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04/03/2015

KR'TNT ! ¤ 225. ERVIN TRAVIS / GREG DULLI / SPUNY BOYS / SEXE & ROCK AND ROLL / MEMPHIS SLIM / GUITARE SECHE

 

KR'TNT ! ¤ 225

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

05 / 03 / 2015

 

 

ERVIN TRAVIS / GREG DULLI ( + friends ) / SPUNY BOYS

SEXE & ROCK'N'ROLL / MEMPHIS SLIM / GUITARE SECHE

 

 

 

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HELLO DULLI, MON JOLI DULLI

 

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Lors du concert parisien des Gutter Twins en février 2008, j’eus clairement l’impression d’assister à un show extra-ordinaire. Greg Dulli et Mark Lanegan semblaient recréer l’illusion des dieux antiques. Plongés dans une fournaise de lumière rouge et littéralement effervescents, ils déversaient sur un public complètement fasciné des hymnes élégiaques, et cela avec une sorte de grâce naturelle qui n’en finissait plus de les rapprocher du divin.

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L’éléphantesque Greg Dulli et le fantomatique Mark Lanegan constituaient à l’époque la plus fine équipe qu’on ait vu se former sur le sol américain depuis les Righteous Brothers ou Sam & Dave. Physiquement, Greg Dulli pourrait faire penser à Apollinaire, mais sans la bonhomie, car il se dégage de lui quelque chose de dur et même d’extrêmement violent. Il a frôlé la mort à plusieurs reprises. Il se souvient d’avoir quitté un bar une hache à la main, avec le crâne ouvert comme une noix. 56 points de suture. Il ventripote allègrement et il ne porte que du noir, mais pas du petit noir à la Rob Younger. Greg Dulli est homme à s’habiller chez un tailleur. Depuis l’époque des Afghan Whigs, il a doublé de volume. On voit bien qu’il mène la grande vie : jolis poules, cigares et alcools chers. Il mange certainement comme dix et il fume à la chaîne. Le voir fumer sur scène dans un pays où il est interdit de fumer dans les lieux publics en dit assez long sur son tempérament. Oh bien sûr, il faut le voir sur scène. Il y déplace énormément d’air. Il bouge constamment et fait parfois des pas disco. Il plaque sur sa grosse Gibson noire de sacrées bordées d’accords. C’est un entertainer de premier ordre et un sacré cabochard. Il s’assoit parfois au piano pour placer des compos riches en teneur minérale. Greg Dulli est un songwriter complet, ample, épique au sens de Brel et envahissant. C’est un conquistadore de l’impossible, un fracasseur d’étoiles filantes. Les albums qu’il enregistre avec les Twilight Singers sont tout bêtement d’inépuisables mines d’or mélodique. Certains morceaux des Gutter Twins montent en drone, sur des atmosphères lourdement chargées d’orientalisme pervers. 

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Arrimé par les deux bras à son pied de micro, Mark Lanegan a toujours le même visage inquiet, la même stature. Il est spectaculaire de profondeur. Il ferme les yeux la plupart du temps et va chercher au fond de sa gorge le growl des temps modernes. Après Howling Wolf et Captain Beefheart, il est le seul au monde à pouvoir le fournir. Depuis la mort de Johnny Cash, Mark Lanegan est devenu - avec Jerry Lee - le plus grand chanteur américain et Greg Dulli, qui croise son chant en contrepoint, est un peu le champion mondial du growl atmosphérique. Les compos de Greg Dulli sont magnifiques, notamment «Number 9» - dernier morceau de l’album «Blackberry Belle» des Twilight Singers - qui bouclait le show. C’est un hit monumental, une véritable chef d’œuvre atmosphérique qu’ils font monter jusqu’aux cimes de l’impossible. Ce soir-là, Greg Dulli nous ressortit aussi «Papillon», l’un des hits de ce disque immense et traumatisant qu’est «Blackberry Belle».

 

Mais malgré la splendeur des compos de Greg Dulli, c’est Mark Lanegan qui tira son épingle du jeu avec ses propres titres, et notamment le «Methamphetamine Blues» tiré de l’album «Bubblegum» qui fit sauter la poudrière de la Maroquinerie pendant le rappel.

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Mark Lanegan laissait la musique l’envahir. Il donnait le contrepoint à Greg Dulli qui partait souvent dans des éclats hurlés. Puis Lanegan redescendait torturer ses fins de couplets avec tout le feeling d’un bluesman du delta. Greg Dulli et Mark Lanegan sont comme l’ombre et la lumière. Ils se complètent admirablement. Ils ne semblent pas s’être fixé de limites. Ils vont chercher des horizons spectaculaires et jettent leur dévolu sur des ambiances incendiaires. Greg Dulli fume ses Camel, transpire et bat ses accords en puissance. Il est si gros qu’on ne lui fait pas confiance, aussi doit-il redoubler de puissance scénique pour convaincre les foules. C’est un rital, il a ce rock des énergies grandioses chevillé au corps. Il y a en lui la mafia et les macaronis, alors qu’en Mark Lanegan rôde l’esprit de la frontière et de l’alcool de contrebande, de la mort violente et des mountain men. L’un sent la poudre et la perdition, l’autre sent le bal populaire et le ravioli.

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Ils jouèrent aussi ce soir-là les douze titres de «Saturnalia», album fatidique. On y trouve «God’s Children», un morceau traversé par un véritable vent de folie. Ils vont croiser leurs voix au chat perché et c’est repris au mitoyen de l’unisson des géants. Voilà bien ce qu’il faut appeler une terrifiante merveille. Peu de gens savent croiser les chants d’une manière aussi latente et belle. Avec «All Misery/Flowers», on retrouve toute la désespérance de Mark Lanegan. Il pose sa voix sur un beat à l’agonie - Oh Lord ! Oh Lord ! - Ce cut pue la mort. Plus loin, on retrouve le génie vocal de Mark Lanegan dans «Idle Hands», un cut dégingandé de chien de piste. Encore une fantastique élévation, un morceau hanté par les envols de guitare, puissants et si drus. C’est à s’en démettre de ses fonctions. Le timbre coloré de Mark Lanegan donne à ce cut toute sa valeur aurifère. Pur chef-d’œuvre interprétatif. Voilà encore une preuve de l’admirabilité des choses. Mark Lanegan pétrifie le rock dans un environnement de guitares extraordinaire. Comme Mick Farren, il sait sublimer ses chansons par le son. Encore une admirable prestation laneganienne avec «We Will Lead Us». Il chante comme s’il agonisait à l’issue de la bataille de Gettysburg. Il est stupéfiant d’angélisme mortifère. Quelle chance il a, ce Greg Dulli, d’avoir un mec comme Mark Lanegan à ses côtés ! Dulli revient à ses chères embrouilles sentimentales avec «I Was In Love With You» et trouve facilement le chemin des ampleurs catégoriques.

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Embrouilles sentimentales ? Oui, on entre là dans le vif du sujet : tout l’art composital de Greg Dulli repose sur sa difficulté à vivre une relation sentimentale harmonieuse. Dans le lit de Greg Dulli, tout n’est que chaos et destruction. Les six albums des Twilight Singers - et avant cela, les sept albums des Afghan Whigs - sont bardés de chansons consacrées à l’échec. La série des Twilight commence en 2000 après le split des Afghan Whigs. Greg Dulli reconstitue une équipe et enregistre «Twilight As Played By The Twilight Singers». On le sent à la recherche d’une nouvelle identité et il faut attendre «Verti-Marte» pour trouver un truc à se mettre sous la dent. Ambiance bizarre, groove de voix féminines et Dulli balance : «Au revoir enculé !» - Goodbye motherfucker - Dulli joue de la guitare comme un beau diable. Le hit de l’album s’appelle «Into The Street» et après une fabuleuse intro, Greg Dulli se jette dans la rue - One early morning/ I couldn’t sleep/ I poured myself into the street - Voilà un hit précieux et sombre, taillé dans l’immense désarroi du non-retour.

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Mais avec «Blackberry Belle», ça va commencer à chauffer. De grands cocotiers façon Gun Club/Miami ondulent dans l’air chaud de la pochette. Il attaque avec «Martin Eden» et il chante comme un black. Il a ce timbre argenté qu’on retrouve dans la soul music. Martin Eden est un héros de Jack London. Greg Dulli adore étendre au soleil ses longues balades baveuses. «Teenage Wristband» s’ouvre sur des pianotis et une grosse machine se met en route. On fait oumpf ! car c’est une sorte de coup dans l’estomac. Merveilleuse allure. Il miaule plus qu’il ne chante. Le mélange de délicatesse et de brutalité surprend puis enchante. Il finit sa chanson en hurlant comme un possédé - I’ve got no more money to burn/ And I’m gonna stay up all night ! - Il noie sa compo de génie sous des déluges d’envergures fatales. Il colle à la structure avec aménité - She said/ You wanna go for a ride ?/I got sixteen hours to burn - Ses hurlements n’ont rien d’humain. Il va au bout de ce qui est possible. Ce genre de cut ressemble à une aventure. On s’embarque sans savoir comment cela finira. S’ensuit une monstruosité qui s’appelle «The Killer». Le tempo est heavy. The killer rampe au sol. C’est assez magnifique de reptation. Et soudain, Greg Dulli lâche la purée - And I caught a fever/ A holy fire - C’est un lâcheur de purée patenté. Il s’en va percher sa voix si haut qu’on la perd de vue. On sent l’écrivain. Il se paye le luxe des violons. Il fait péter son volcan prodigieux, pure merveille abracadabrante. Les envolées de Greg Dulli sont tragiquement grandioses comme on le voit avec «Decatur St». C’est magnifique de démesure. Dulli retrouve la veine des Pixies. On sent la matière à tous les étages. Il fait venir des petites guitares funky. Il peut même chanter comme Otis. Pour «Papillon», il fait venir un banjo. Ce morceau est à nouveau chargé de densités éparses, de moments inconvenants, et de pulsations à la fois étranges et bienvenues. Greg Dulli frôle constamment le génie, les harmonies sont pures, c’est à hennir. Les progressions sont seigneuriales. C’est stupéfiant - Bye bye butterfly/ I get a little outta control - Le banjo revient comme dans Délivrance, obsédant, et les violons embarquent les oreilles pour Cythère. Greg Dulli est un fantastique pétrisseur d’élastomères. Il peut encore monter en fin de morceau. Ses textes brillent par leur seule présence. Sur «Number 9», Mark Lanegan vient donner un coup de main - Devil/ Sweet talkin’ fly on the wall/ Blackberry Belle on the wall/ Just like you told me/ I’m gonna crawl - Mark Lanegan prend possession du royaume céleste. Monstrueux de puissance barytonale, il descend plus bas que terre, relayé par la voix de paraclet de l’ami Dulli. C’est un prodige sans précédent dans l’histoire du rock. Deux des plus grands héros du monde se donnent la main et se dressent à la surface de la terre, dans une tempête de violons. Ce coup de génie hantera les mémoires jusqu’à la fin des temps.

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«She Loves You» est un album de reprises TERRIBLES. L’ami Dulli attaque avec un «Feeling Of Gaze» chaleureux et même bienveillant, par dessus l’épaule protectrice. «Hyperballad» est une reprise de Bjork assez hypnotique. Ce mec est très fort, beaucoup plus fort qu’Arletty qui elle aussi savait bricoler des Atmosphères géniales. Mark Lanegan fait partie du voyage. Puis il tape dans Billie Holiday avec «Strange Fruit» et ça devient un mélopif ravageur. C’est Lanegan qui chante dans la pénombre, à la fois persistant et inquiétant. On entend une grosse guitare bien grasse. C’est le doom assuré, garanti pur porc. Encore un coup de Jarnac avec le «Red Love» de Mary J Blidge et Lanegan revient au devant. Franchement, c’est énorme. La mélodie appelle le psyché des grands jours. Quelle fabuleuse pièce d’instinct primaire ! Ces deux mecs sont les princes du rock américain, les vrais aristocrates du secteur. S’ensuit un hommage absolument dément à Skip James avec «Hard Time Killing Floor». Lanegan le prend au baryton de la mort sanglante. Doom fatal de terminal extrême de la beauté pure. Le baryton peut sembler relever du contresens vu que Skip James chantait au plus perché. S’ensuit une explosion de bonheur pour le Trane d’«A Love Supreme». À la fois très respectueux et irrespectueux. Il rockent ensuit un vieux coup de Marvin avec «Please Stay». Sacré Greg ! Il ne peut pas s’empêcher d’exploser ce vieux classique de Marvin. C’est gratté à l’avenir du monde, wha-whaté et bardé de chœurs à la dérive. Ils bouclent cet effarant panorama en roulant «Summertime» dans la farine. Alors on se prosterne.

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Greg Dulli enregistre un album solo en 2005. C’est le faramineux «Amber Headlights». Dans «Cigarettes», Greg Dulli  écrase ses syllabes comme des mégots. Il parle de mourir. Il chante son quatrième couplet en féminisant sa voix. Il se livre à des plongées incessantes dans des abîmes d’orchestration gothique, parmi les bouquets de chœurs allumés. «Early Today» démarre un peu comme «Sympathy for the Devil», mais Greg Dulli s’oriente plutôt vers la Nouvelle Orleans. Puis des guitares juteuses reprennent le dessus. C’est sauvagement balayé à la wha-whaterie dévoyée. Ce mec se situe à la croisée des chemins. Plonger dans les abîmes, voilà son obsession. On retrouve Jon Skibic à la guitare. «Golden Boy» sonne comme un hit, avec ses accords mid-tempoïsés et la grosse assistance des arrangements qui font l’étoffe des héros. On sent que Greg Dulli veut en découdre avec la postérité. C’est un morceau qu’on a déjà entendu cent fois, mais il est si bien chanté, si bien orchestré, si bien ordonnancé, si bien jeté dans la balance qu’on s’incline. C’est très anglais comme son, on se régale. Oser mêler la puissance du songwriting américain à la finesse cisaillée des guitares de shoegazers londoniens, il fallait le faire ! Il laisse mijoter ses lyrics dans les baumes soniques d’arrangements épais comme de la boue. Il grince, il couine, puis il bascule. Trop de beauté nuit à la clarté. «Black Swan» est un retour aux racines afghan-whiguesques. Greg Dulli est resté très attaché à ses antécédents. Quelle violence à l’attaque du riff ! C’est proche d’une certaine forme de folie. Son «Black Swan» est admirable de musicalité et d’ambiances éhontées. Il braille dans le chaos des brisures d’extases. Greg Dulli se dresse comme un géant issu du néant. «Pussywillow» est une splendeur musclée, une chanson de séducteur californien soutenue par un rythme très râblé. Greg Dulli  est doué pour la beauté. C’est admirable, il y a du jus, du soleil, du répondant, c’est de la great US pop de niveau supérieur, c’est infernal de célérité, de vitalité, voilà un hit gorgé de vitamines. Greg Dulli est un chanteur puissant et sensitif - Where were you last night/ Why I ask you - Comme d’habitude, il y a des problèmes. Sa voix décolle comme un gros coléoptère. Greg Dulli n’est autre qu’un gros méchant loup qui s’amuse à jouer les empereurs romains.   

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Eh oui, un nouvelle bombe nous tombe dessus en 2006 : «Powder Burns». Qui dira l’extrême puissance racée de l’ami Dulli ? «I’m Ready» est une grosse balade menaçante. Il place des phrases infernales du style «bittersweat is evergreen/ until we get it on». Il fait toujours cet inlassable travail autour de l’amertume qui ronge les plus résistants des hommes. S’ensuit «There’s Been An Accident», chant traînard comme un bagnard, voix de nez au dessus de la mer des Sargasses, chanson de l’au-delà - There’s no sentry at the gate - un ciel noir se déroule sur la terre blanche. La chanson est d’une ampleur peu commune. Les atmosphères sont épaisses, si épaisses qu’elles en sont presque dégoûtantes. C’est du désespoir magnifié - Til you’re crawling under them stones, assorted jones and picked over bones - Voilà l’une des plus grandes odes au désespoir jamais écrites. Maurice Rollinat, chantre institutionnel du désespoir et animateur légendaire du Chat Noir, peut aller se rhabiller au vestiaire. On ne lutte pas contre Greg Dulli, ange noir du déclin des espérances. «Bonnie Brae» est une mélopée encore plus lugubre, et encore plus effarante, car montée sur une envolée de guitares. Il va chercher des horizons très lointains, quasiment inaccessibles et uniformément sombres. Dans cette chanson emprunte du plus profond désespoir, il met son ami en garde contre Bonnie Brae - Since you’re wasting your time, my friend/ on Bonnie Brae - C’est énorme. Les couplets s’écroulent dans l’eau glacée comme des falaises de marbre. Les chansons de Greg Dulli n’ont pas de frontières, elles s’ouvrent à ciel ouvert, elles sont fantastiques et humaines parce que gorgées de douleur. «Forty Dollars» est monté sur un tempo plus soutenu. C’est le rock du midwest, bien nourri. Greg Dulli place des phrases mythiques sous les fondations de sa chanson pour que ça explose au bon moment - We go underground cuz’ there’s emptiness above - Et il s’englue dans des réminiscences des Beatles - She loves you yeah yeah yeah ! - Non mais, quel cocktail détonnant ! On pourrait même parler de magie noire - Buy me love for fifty dollars/ Love is all you need and all you need is love ! - Ce truc est dangereux car il bouffe la cervelle. Languide et fatal, «Candy Love Crawl» s’ouvre comme une porte d’église. Explosion de pop ultime avec «Underneath the Waves», tempête au Cap Horn, beat soutenu sous les cacatois, on sent bien que le mât va lâcher. Cette chanson rassemble tout : l’harmonie, la puissance, l’ampleur, les montées et les descentes, les guitares et les éclats, la tragédie et la beauté - So so and petrified/ So everytime you blow my mind - et voilà que jaillissent de longues gerbes figuratives. Greg Dulli est un renégat magnétique, un jouisseur fabuleux, un prince des ténèbres bleuies, un roi sans sceptre, un messie désarçonné, un véritable ordonnateur des bénéfices immatériels, il est celui que tout le monde guette. Ce mec sait écrire une chanson, c’est un maître-chanteur invulnérable. «My Time (Has Come)» est une chanson de vampire. «Dead To Rights» explose au détour d’un couplet - I’m gonna get a kiss and I’m gonna get away from her - Il chante comme Otis Redding. Les couplets sont démentiels, car il raconte de vraies histoires. Et il part dans un délire hendrixien sur «I’ll Take A Ride». Réellement prodigieux. «Powder Burns» est une horreur rampante, mais trop hollywoodienne. Il y a trop de violons, trop de puissance et trop de grandiloquence, trop d’iode, trop d’envergure. On ne le sait que trop bien, l’envergure finit par tuer l’envergure. Mais quand même, il faut entendre cette explosion vocale ! C’est du pur génie, une fois de plus - Feel the powder burn tonite/ Tonite - Personne ne peut rivaliser avec un tel géant - And I burn and no one can see me tonite/ Tonite - Il embarque son truc beaucoup trop loin.

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Évidemment, les albums de Greg Dulli sont attendus comme le messie. On a accueilli «Dynamite Step» comme il se doit. Dans «Last Night In Town», on l’entend sucer ses syllabes comme des bonbons. Il sait mettre les gaz au bon moment - I promise to be with you till the end/ Or somewhere near there - Il ne s’engage pas - At last until you’re dead. «Be Invited» est un retour aux sources gluantes et pernicieuses. Mark Lanegan vient prêter la main sur un couplet. Retour aux explosions dévastatrices avec «Waves», monté sur un drumbeat de fou. Fantastique extravaganza. Greg Dulli est vraiment le seul a monter si haut dans des ciels d’apocalypse - What you foresee is what you get - Il se prend pour le Christ - Supended from the nail/ God you can’t stop me - Quelle démence ! Quelle façon de repousser les limites ! Même si «On The Corner» est monté sur des machines, il faut écouter les textes - Spread your legs/ Insert your alibi - oui écartez les jambes et insérez votre alibi - And kiss your dirty face - Il ne recule devant aucune provocation littéraire - Come taste the body, come on - S’ensuit un solo lumineux qui révèle toute la grandeur du gang. Quel stupéfiant mélange de textes et d’ambiances musicales ! Que peut-on espérer de mieux ? Dans «Gunshot», il se prend pour un braqueur, tire, baby et fendons la foule - Gunshots baby let’s cut thru the crowd - Et le pire c’est que le cut est bon. Il donne son interprétation des choses. Il aurait bien aimé tirer dans la foule sous un ciel très bleu et connaître cette ivresse que traduit la musique. Et le festival se poursuit avec «She Was Stolen», épique et explosif, «Blackbird & The Fox», pure débauche, «Never See No Devil», avec un second couplet hurlé dans le désert, il ne perd pas une seule miette de cauchemar. Et puis voilà «The Beginning Of The End», absolument renversant, on croirait entendre chanter le diable en personne - All come alive for the hesitant/ The summer sun is blind and inverterate - On sort de cet album transi et hagard.

 

Alors bien sûr, on a aussi les albums de Afghan Whigs. Mais ils sont un peu moins spectaculaires que ceux de l’âge d’or des Twilight Singers. À l’origine, ce groupe s’est formé à Cincinnati et Greg Dulli avait un penchant affirmé pour le rock, mais aussi pour la soul et notamment les Temptations, fascination qu’il partageait avec Steve Ellis.

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On trouve tout de même de belles énormités sur «Up In It» paru en 1990 et notamment le fascinant «Retarded», têtu et insistant, un hit de frappadingue versatile. Si on aime bien le dégueulis, alors il faut écouter «Hated», véritable dégueulis de tout venant guitare et scream. McCollum joue comme un démon, il est partout, il recouvre l’Amérique toute entière, il wha-whate dans tous les coins, il est tentaculaire et au milieu de cet ignoble océan de vomi, Greg Dulli hurle comme un hérétique ligoté sur un bûcher. Vous recherchez le rock qui sort de l’ordinaire ? Avec Greg Dulli et ses bonnets afghans, vous êtes servi. «Southpaw» est littéralement stoogien, c’est monté aux accords de Detroit avec des clap-hands et un beat dévastateur. Et Dulli par dessus le marché. Encore une énormité dégoulinante. Ce disque sonne comme une infamie. À l’époque, les Whigs nous emmenaient déjà au septième ciel avec ce McCullom qui jouait comme un con dans tous les coins. Et ce n’est pas fini car voilà «Amphetamines And Coffee», un chant de guerre, amené très haut, et qui brasille d’énergie garage. C’est une bénédiction pour le bulbe. Ces mecs sont monstrueux de solidité et l’autre, là, le McCollum, il rejaillit dans les fluctuations, ça gicle dans tous les coins et ils rajoutent tellement de son qu’ils détraquent le mastering. On ne peut plus respirer. Il faut voir le sourire coincé de Greg Dulli sur la pochette. Ce mec est possédé par le diable, il n’existe pas d’autre explication. Il fout un peu la trouille. Au dos de la pochette, on voit une photo superbe : un black dans la rue, accoudé sur une grosse enceinte. Sûrement volée. Et sur le mur, derrière, un graph : Fuck you ! Sur «Son Of The South», Greg Dulli fait du Beefheart et on retombe dans la démence. Ce disque est à éviter, si on veut préserver son équilibre mental.

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«Congregation» qui paraît deux ans plus tard est un peu moins explosif. Ils attaquent avec une belle pièce de psyché descendante, «Her Against Me» et on assiste à une fantastique partie de guitare évolutive. Ils nous entraînent dans un fouillis de nappes de son, un véritable mille-feuilles ethno-guitaristique typique des années de petite braise. Et tout l’album va sonner comme ça, dans le multi-layerage de guitares fouillassées. Ah ça pour être fouillassé, c’est fouillassé ! Quel festival ! Dans «Turn On The Water», Greg Dulli se débat pour survivre, et la guitare sublime vole à son secours - trop tard - I’m gone but it’s all right - Cet album semble consacré à la haine. «Conjure Me» est une chanson extraordinairement malsaine - I hate your mind my love but I can’t waste it yet - Le hit de cet album s’appelle «Kiss The Floor», un cut traversé d’éléments malsains, et le morceau titre s’écroule dans un fracas épouvantable de paroles et de son - I’m your creator - C’est fabuleusement intense, comme poussé dans les extrémités. Pur génie. Il renoue avec la dentelle d’excellence en chantant «This Is My Confession», et tout ça se dédouble d’excellence guitaristique signée McCollum. Franchement, ça grouille de son dans tous les coins. On sent l’extrême puissance afghanne.

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«Gentlemen» est l’album des big atmospherix. Dès l’intro, avec «If I Were Going», on sent que Greg Dulli ne va pas bien. Il se plaint énormément. Le morceau titre de l’album est lui aussi bien torturé du beat. Greg hurle dans la tourmente - Understand ! - Il bouffe la viande crue de ses couplets comme un loup affamé. Derrière ça wha-whate et ça tabasse. On sent ces musiciens investis de tous les pouvoirs. Encore un morceau incroyablement embouteillé et torturé : «Be Sweet». Ce mec ne connaît pas la fluidité - Cause she wants love and I want to fuck - Il a besoin que ça se congestionne. Et il nous refait le coup de la magnifique inflammation incendiaire amenée au solo de cœur de bœuf et il embarque Be Sweet au paradis - And baby you be sweet - C’est extravagant de puissance et de colorations. Et voilà l’avènement des puissances des ténèbres avec «Debonair», un cut fabuleux de fluctuations éperdues, monté à la va-vite sur un funky strut de basse. Il hurle, le Greg ! - It’s in our love baby and it’s in our bed - C’est magnifique de désespérance - Tonight I go to hell/ For what I’ve done to you - Au lit, c’est mort. C’est l’expression de la pure souffrance affective, et il hurle au dessus des précipices. L’excellence coule dans les veines du grand Dulli. Dans «Fountain And Fairfax», il s’arrête de boire - Angel, I’m sober I got off that stuff - et il s’en va psychetter dans les passages collatéraux. «What Jail Is Like» n’est pas une chanson sur la taule, mais sur la relation sentimentale. Il chante ensuite «My Curse» d’une voix de pain sec et le très gros son du gang vole à son secours. C’est absolument énorme de malédiction - And there’s blood on my teeth/ When I bite my tongue to speech - Pur génie de la dépouillade. «My Curse» est le hit de cet album terrifique.

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On retrouve tous les artifices du groupe dans «Black Love». «Crime Scene Part One» sonne comme du petit Wedding Present. C’est amené à la progression latérale et forcément, à un moment, ça éclate avec des guitares acides. Greg Dulli va toujours chercher ses désespérances dans les pires accents rageurs. C’est un chanteur hautement climatique. Si on osait un rapprochement, on pourrait dire qu’il est le Brel trash du rock américain. Dans «My Enemy», on entend jouer Rick McCollum. Ce guitariste sait ficeler une épopée. Et Greg Dulli continue de s’intéresser au côté sombre des relations sentimentales - I told you once I told you twice - Oui, c’est vrai, il n’en finit plus de prévenir ses copines. Dans «Blame Etc», on le voit revenir au combat avec une hargne toujours intacte. «Going To Town» saute à la gorge, car ce cut est insidieux au possible. Voilà un vrai hit avec une fin d’agonie à la «Cold Turkey». Stupéfiant ! Il attaque la face B avec «Honky’s Ladder». Il chante ça à la grande parade d’éclat princier. Il jette ses mots au ciel. Il a vraiment la stature d’un prince russe à l’ancienne. «Bullet Proof» est un solide romp de grattage d’accords. Le groupe joue sur des effets de retours incongrus et le morceau paraît s’étendre à perte de vue, oui, c’est cela, à perte de vue. «Summer’s Kiss» est mélodiquement impressionnant, car tassé dans le ciel et lancé au petit bonheur la chance dans l’œil du cyclope. L’épique n’a pas de limite.

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Un cosmonaute flotte sur la pochette de «1965». On considère cet album comme le classique des Afghan Whigs, mais il paraît un peu plus calme que ses prédécesseurs. Ils attaquent avec «Somethin Hot», une jolie pièce de garage plombée au gras. On reste au garage avec «Uptown Again», légèrement dévastateur - baby you cry too much/ I’m tired of the sound - Mais Greg Dulli sonne un peu comme Bono, et c’est un défaut. Belle surprise que ce «Citi Soleil», groove hispano claqué à la corde nylon. Ça explose très vite et ça bascule dans un final expiatoire - Join the triumph of the choir/ I love to say citi soleil ! - Rien que pour ce final éblouissant, il faut écouter l’album. Avec «John The Baptist», il revient à son thème de prédilection : Greg Dulli ne vit que pour et par les femmes et toutes ses chansons tournicotent autour du même thème, la ruche. Le hit de l’album se niche à la fin : «The Vampire Lanois», un instro jubilatoire et complètement extravagant, fabuleux et dévergondé. Une vraie foire à la saucisse.

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Le groupe s’est reformé après quinze ans de silence. Leur dernier album «Do To The Beast» vient de paraître, d’où le concert prévu au Trabendo. Sur cet album, tout est très tendu, tout est dans l’ampleur. Tout est dans la tête de Greg Dulli. Ils attaquent avec «Parked Outside», un cut ombrageux et doomique, bien posé sur son beat rebondi. On retrouve ces ambiances épaisses et privées de lumière auxquelles Greg Dulli nous habitue depuis vingt ans. On se croirait quelque part sur des remparts au Danemark, là où soufflent les vents de toute l’éternité shakespearienne. Mais les morceaux sonnent parfois un peu indie, voire parfois comme du U2. La grandeur épique est aussi visitée par d’autres gens. Il faut attendre «Algiers» pour retrouver la marque dullienne. Pas de problème, ce gros lard sait monter une mayonnaise. Mais les morceaux finissent pas se ressembler inexorablement. Il revient toujours à ses histoires de cul - Come bed time Come bad time - il fait de son incapacité à aimer une femme un art whigien. Au moins, ça sert à quelque chose. Méchante épopée que ce «Royal Cream». Voilà du solide, du bardé de hautes nappes, retour des climats épais et back to the littoral de drumbeat impavide. «I’m A Fire» est un morceau de batteur. C’est Patrick Keeler des Greenhornes qui bat le gros beat des galères.

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Si on aime bien le double concentré de tomates, alors il faut s’offrir la rétrospective intitulée «Unbrakable» et qui couvre les années 1990-2006. Là dessus, on a tout, tout, tout et le reste. Ça démarre très fort avec «Retarded» - Television is gone and I’m alone with Lucifer - et ses fins de couplets explosifs - Who you call retarded ? - C’est Gargantua qui chante, un démon tourmenté, et puis ça continue avec «Crazy» (gluant, pas d’autre mot possible - you’re going crazy over the rainbow), «Debonair» (fantastique cauchemar extravagant d’explosivité - Greg Dulli décrit une bête qui dévore l’amour, puis le cœur, puis la tête et enfin le lit conjugal), «Be Sweet» (complainte absolument fascinante, Dulli cherche la provoc et ça marche bien, un pur modèle de final explosif), «Come See About Me» (reprise des Supremes, fantastique énergie, pure merveille d’atmosphère véridique), «Uptown Again» (énormité insidieuse - Uptown again/ Throw me a bone - monté sur un heavy groove de basse), «Magazine» (hanté et possédé), «I’m Her Slave» (terrifiant de qualité intrinsèque), «Going To Town» (I’ll get the car/ You get the match and gasoline - fantastique explosion de délinquance et final dément) et «Gentleman» (avec sa harangue pourrie - Your attention please/ Your infection please ! Pure démesure qu’on ne finira jamais de réécouter - I hardly recognize - Effarant). Et ça repart de plus belle avec «Let Me Lie To You» (océanique explosé aux guitares et embarqué au sommet de toutes les possibilités), «John The Baptist» (Sonne comme du Marvin - come on and taste me ! So taste me ! - impérial - Come on waste me/ Come on erase me / I’ve got the devil in me girl - et c’est suivi au sax, démence parfaite) et «Faded», (apologie du suicide - Tonight I say goodbye to everything that thrills me - véritable ode à la mort - You could meet me at the scene of the crime - mais comment fait-il pour briller d’un tel éclat ? Il fait exploser sa chanson. Il part d’un sentimentalisme de petite assise et il en fait un truc inflammatoire. Ce mec ne connaît pas de limites. Ses textes fondent dans la fournaise de sa cervelle - yah yah yah - Et il revient toujours pour exploser en mille morceaux.)

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— Alors c’était bien le concert des Afghan Whigs ?

 

— Bof...

 

— T’es bizarre comme mec. Hier, tu m’as tenu la jambe pendant une plombe avec tes putains d’Afghan Whigs et aujourd’hui, on dirait que ça t’emmerde d’en causer !

 

— T’as pas envie de parler d’autre chose ?

 

— T’es bien allé au Trabendo, non ?

 

— Il y a eu un léger contretemps...

 

— Me dis pas que tu t’es fait poirer au volant avec trois grammes !

 

— Non, c’est encore mieux que ça !

 

— Le concert était annulé ?

 

— Non, il s’est passé un truc incroyable. Je n’ose pas le raconter, parce que justement, c’est incroyable. Mais tant pis, si tu insistes...

 

— Alors vas-y, c’est quoi ton histoire incroyable ?

 

— On devait prendre la bagnole habituelle, mais elle a pris feu, un court-jus dans le tableau de bord. On a réussi à sortir juste à temps, car elle a explosé dans la rue. Pas le temps de s’en occuper, on s’est tirés avant l’arrivée des schmidt et on a pris ma caisse.

 

— La Twingo ?

 

— Pouf, nous voilà sur l’autoroute ! Tout va bien, vitesse de croisière, vent dans le dos et vingt bornes après la sortie de Rouen, paf, plus rien sous la pédale ! Rien ! En train de doubler un poids lourd qui roulait comme un con, j’essaie de rétrograder, rien, que dalle ! On perd toute la vitesse d’un seul coup dans la côte. Et pof ! un mec qui arrive à fond derrière nous percute de plein fouet, bam ! et la Twingo décolle et on fait un vol plané de plusieurs centaines de mètres et bim ! on retombe dans la pelouse d’un échangeur, la Twingo rebondit trois ou quatre fois et s’arrête. On appelle le 17 et une demi-heure après le dépanneur arrive. Un mec en cuir noir...

 

— Ouais c’est ça, même qu’il ressemblait à Vince Taylor, hein ?

 

— Non, pas tout à fait, mais presque. Il gare la dépanneuse et ouvre le capot de la Twingo. Il dit que c’est pas grave, que c’est juste une poussière qui a bouché le carbu, mais comme il n’a pas les outils pour démonter le carbu, il propose de nous ramener vite fait à son garage. Sur la route on papote et on lui raconte qu’on allait voir un groupe américain à Paris. Alors il nous demande quel groupe c’était et on lui dit les Afghan Whigs ! Il sursaute violemment et fait une grosse embardée sur l’autoroute ! Il dit «Putain, les gars, c’est mon groupe favori !»

 

— Et il vous a emmené à la Villette, c’est ça ?

 

— Non, parce qu’il n’a pas réussi à redresser et il s’est mangé un poids lourd, bam ! la dépanneuse a rebondi dans les rails de sécurité et un deuxième poids lourd a percuté l’arrière bim ! et on a vu la Twingo décrochée du plateau refaire un vol plané. Y a des jours comme ça, tu vois ta bagnole traverser le ciel et tu ne comprends plus rien. Sinon, oui, tu as raison, on aurait dû y aller avec lui. Un gentil mec.

 

Signé : Cazengler, l’Afghan vide

 

Afghan Whigs. Up In It. Sub Pop 1990

 

Afghan Whigs. Congregation. Sub Pop 1992

 

Afghan Whigs. Gentlemen. Sub Pop 1993

 

Afghan Whigs. Black Love. Sub Pop 1996

 

Afghan Whigs. 1965. Columbia 1998

 

Afghan Whigs. Do To The Beast. Sub Pop 2014

 

Twilight Singers. Twilight As Played By The Twilight Singer. Columbia 2000

 

Twilight Singers. Blacberry Belle. One Little Indian 2003

 

Twilight Singers. She Loves You. One Little Indian 2004

 

Greg Dulli. Amber Headlights. Infernal Recordings 2005

 

Twilight Singers. Powder Burns. One Little Indian 2006

 

Gutter Twins. Saturnalia. Sub Pop 2008

 

Twilight Singers. Dynamite Steps. Sub Pop 2011

 

Afghan Whigs. Unbreakable - A Retrospective 1990-2006. Rhino 2007

 

 

TROYES27 / 02 / 15

 

 

LE 3 B

 

 

SPUNY BOYS

 

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La teuf-teuf filoche sans demander son reste. Faut dire que dedans la conversation est animée, Mumu, Billy, et Mister B évoquent la grande époque du Golf et le renouvellement des générations rockab, la vieille garde se glorifie de ses heures incandescentes in the eighties et regrette l'époque bénie des dieux du rock. Difficile de tourner la page pour Mister B, Mumu plus philosophe assure que l'on ne se baigne pas deux fois dans la même rivière. Les temps ont changé, les mentalités aussi. Mister B aimerait un peu plus de reconnaissance, il évoque le devoir essentiel de transmission mais est le premier à admettre que remonter la rivière nostalgie nous conduit dans des eaux dormantes que plus personne ne vient réveiller... Billy reste plus pragmatique, chacun de nous est un fragment vivant de l'histoire ancienne, déclame-t-il. Idées et constats tombent en vrac, l'âge d'or possédait aussi ses tares, tous les rockers dans leurs perfectos noirs n'étaient pas blancs comme la neige, comme dans tous les milieux certains étaient de véritables véroles, la pratique de la dépouille ne relevait pas de la lutte de classe mais plutôt d'une ossification intégriste culturelle... Mais ce sont bien ces gamins de par chez nous, pour la plupart désargentés et souvent issus de milieux populaires, qui ont été le chaînon de préservation et de survie de la musique des pionniers. Pas tout seuls, car sans le mouvement des teddies anglais qui ont insufflé un esprit de réappropriation musicale, le mouvement rockabilly se serait en Europe enlisé dans une admiration béate et stérile d'une musique muséifiée...

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C'est passer un peu vite sur les années cinquante et soixante, les mythiques blousons noirs que la génération des années 80 n'ont d'après leurs témoignages que très peu connus, entraperçus sans véritable passage de témoin. Rockers évanouis dans la brume du temps... Atlantide perdue, à rechercher... La famille rockab fut composée de tribus qui se sont fait la guerre et qui traînent leurs casseroles d'images stéréotypées - donc intrinsèquement fausses même si elles reposent sur des éléments non dépourvus de véracité - Teddies et Confédérés un peu trop racistes, Cats un peu trop petit-bourgeois, Rockers un petit peu trop évanescents, Black Panthers un petit peu trop idéologiquement violents... Le temps est passé par là et a fait le ménage. La fausse sagesse de l'âge et l'âpre réalité de la vie sont des aspirateurs d'énergie et d'idéaux de grande puissance... Beaucoup ont disparu, embranchés dans d'autres aventures, aspirés par d'autres modes, ou pire ayant renié leurs engagements existentiels, ne sont restés que ceux viscéralement attachés à cette musique. Des fans, d'où sont issus, ou auxquels se sont raccrochés, musiciens et organisateurs de concerts. Dimension mercantile sous-jacente mais bien réelle qui peut rentrer en conflit avec certaines puretés ou naïvetés musicale. A chacun de savoir où il pose ses blue suede shoes.

 

LES 3 B

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La conversation s'arrête, la teuf-teuf nous dépose à cinquante mètres des 3 B. De la théorie à la pratique. Le bar est toujours aussi étroit mais chaleureux et rempli de figures avenantes. Toutes générations emmêlées – doit bien avoir presque un demi-siècle d'écart entre les séniors et les juniors. Troisième fois que les Spuny Boys passent par le coin et les bons groupes attirent systématiquement un large public.

 

OH BOYS !

 

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Sont entassés dans ce que j'appelle l'estuaire, davantage d'espace mais pas le grand large, surtout que le public s'est massé en nombre, aussi serré qu'un banc de sardines dans la nasse traîtreuse. Guillaume préside au centre derrière sa batterie, Eddie à notre gauche engin de mort au flanc, et Rémi un peu partout. Pas évident pour lui de faire tournoyer sa big mama à bout de bras, mais il se débrouille. Très bien. Et pourtant il ne la pilote pas avec l'assistance d'un ordinateur, la tourne et la détourne dans tous les sens, la hisse, la hausse, s'y couche dessus, et découche dessous, y décoche quelques pains, l'escalade et en dégringole, la ramène à lui et l'enlace comme une amoureuse salace, l'écarte et s'en amuse comme la faena d'un torero pour embêter le museau du taureau rock and roll, et rendre l'animal sauvage encore plus furieux. Le tout sans se départir d'un franc sourire amusé. Le grand jeu. Me semble avoir tout de même oublié un aspect important du phénomène. Ah ! Oui quand il fait le manège de chevaux de bois, ou le flamant rose perché sur un pied, ou le kangourou bondissant – la ménagerie en folie – non, ce n'est pas ça. Ah ! Ça y est. Il joue de la contrebasse. Il chante aussi. Le fou à tout faire.

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ALL OF MY LOVE !

 

Le plus grave c'est qu'il n'est pas tout seul à s'agiter. Ça se voit moins, car il ne peut pas se promener avec son attirail. Alors Guillaume se venge méchant. Lui tape dessus comme un forcené. Kiffe son kit d'une drôle de façon. Joue à la bataille navale, pas avec une grille des chiffres et des lettres, non, au canon ! Vous démâte la cervelle sans préavis. Et puis vous écrase un à un les petits oiseaux qui tournent autour de votre tête. Une énergie folle. Tout petit devait être un catalogué parmi les hyperactifs et au lieu de lui donner du théralène ses parents l'ont laissé se déchaîner sur les casseroles en cuivre de la maison. L'aurait pu mal tourner et finir dans une batucada brésilienne, mais à l'adolescence – âge ingrat et périlleux par excellence - l'a été ensorcelé par les rythmes maudits du rockabilly, et le voici qui s'agite derrière ses chaudrons magiques. Pas le genre d'hurluberlu à se pavaner en claquant des castagnettes, lui c'est plutôt dévastation et hurricane force 10. Opération foudre et tonnerre. Joue de tout son corps. L'influx nerveux depuis le talon et une montée d'adrénaline comme une éruption de lave volcanique. Transforme le rockabilly en rockhardbilly, lui infuse une dose de vitamine pour éléphant adulte. Avec ses favoris qui lui mange les joues, il devient votre batteur préféré en un tour de main. L'a dû tailler ses baguettes dans ces chênes qu'on abattait pour le bûcher d'Hercule. ( Dixit Hugo Victor ).

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ALL OF MY KISSIN'

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C'est le dernier de la bande. Mais il ne vaut pas mieux que les autres. Un garçon charmant, ne bouge pratiquement que ses doigts, un pas en avant de temps en temps, pousse même l'obligeance jusqu'à laisser Rémi se servir de son crâne ou de son épaule ( la droite ) comme d'un reposoir pour la fesse ( la gauche ) de sa big mama. C'est tout ce que je trouve de sympathique à dire de lui. En vérité c'est un tueur fou, un riffeur effroyable, vous pouvez liker ces licks même sans l'avoir entendu. Vous entrevoyez le remue-ravage que font les deux autres sauvages, eh bien lui quand il rajoute sa pincée de sel, ce sont des avalanches de plomb fondu qui vous fendent les oreilles. Et il a de l'imagination, j'irais jusqu'à dire de l'imagénienation, est incapable de gratter ses cordes sans en extraire un petit plus qui n'appartient qu'à lui. Le problème c'est qu'un petit plus + un petit plus répétés toutes les douze secondes ça finit par former de grandes choses. Un guitaro – c'est de l'espagnol, en anglais l'on dit guirar-hero – qui vous sert du concentré de rockab. Pur jus. Nature. Sans additif d'eau. Pour les enjoliveurs de la bécane et les auto-collants sur le réservoir, vous irez ailleurs. Lui, il s'occupe du moteur. Vous le livre débridé, avec pile nucléaire atomisée. Ce n'est pas en option. Voudrais pas réécrire le scénario, mais quand E.T. est rentré chez lui, n'aurait pas dû voler la bicyclette des copains, l'aurait été plus rapide avec le turbo d'Eddie.

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OH BOY, THE WORLD CAN SEE

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J'ai été prudent. Vous les ai présentés un par un pour ne pas vous faire peur, mais nul n'échappe à son destin, faut vous préparer à l'idée qu'ils jouent tous les trois ensemble. Oui, monsieur le commissaire, tous complices et pas un pour sauver les deux autres. La même énergie, le même plaisir. N'ont pas fini un titre que c'est à qui se jettera le premier dans le suivant. Un jeu marrant, comme ils n'ont pas de set-list, ils se lancent dans des morceaux surprises. C'est Rémi qui perd le plus souvent, les deux autres profitent lâchement pour lui sabrer son speech d'un riff ronfleur inopiné, ou d'un coup de baguette théâtral, faut le voir alors courir vers sa contrebasse pour prendre le train en vol.

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Puisque l'on est sur Rémi ( je vous en prie, épargnez-moi vos scabreuses remarques ) restons-y. L'est aussi le quatrième homme du trio. La voix, the voice. Ne mâche pas ses mots. Vous les sert direct. Livre live. Bruts de décoffrage. Le rock ne se déclame pas, il se crache, vous saute à la gorge, vous soufflette et vous percute sans préavis. Mais attention, une tragédie à chaque fois, n'écoutez pas Rémi, observez-le, ne se contente pas de chanter, il interprète, il joue, des gestes à peine esquissés, presque esquivés, mais aussi limpides que le langage des signes des indiens des grandes plaines. No message, le médium rock est le message lui-même. Pas de temps à perdre, les Spuny Boys ont assimilé cette notion d'urgence véhiculé par le rock and roll. Se saisir des jouissances qui passent au plus près au plus vite, et si possible être soi-même jouissance, car le chemin de la vie nous mène tout droit vers la tête grimaçante de la camarde. Camarades, hâtez-vous de vivre. Ne soyez jamais des caramels mous.

 

OH ! SPUNY BOYS

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Deux sets, deux merveilles. Le premier incomparable. Le deuxième le surpassant. Les Spuny Boys ont tout compris du rock. La jeunesse n'a pas de frontière, se servent dans les rayons en ignorant les dates de péremption, une brassée de pionniers, Gene Vincent, Buddy Holly, Eddie Cochran, une dose de country de Johnny Horton à Johnny Cash, la renaissance anglaise de Sandy Ford à Crazy Cavan, sans oublier Black Raven, et un assortiment de leurs propres compositions qui se fondent dans les classiques du répertoire comme les rosettes du léopard dans les épineux rampants de la brousse.

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Les Spuny Boys ont un avantage sur beaucoup d'autres groupes. Ils aiment la musique qu'ils jouent et ne s'astreignent pas au minimum syndical. Ne jouent que du rock and roll, à leur manière rentre-dedans-et-renverse-tout-dehors. Quand au bout d'une heure trente de démantèlement intégral Rémi annonce un slow, toute la salle fait « Oh ! », Important Words de Gene Vincent précise-t-il, et toute la salle fait « Ah ! ». That's rock and roll !

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Concert terminé. Heure légale dépassée. Ne reste plus qu'une vingtaine de personnes. Les Spuny se dirigent vers leur matos. The roadie hour ? Pas tout de suite. Trois petits morceaux en rab surprise des chefs, just for fun, juste pour cette énergie rock qui les habite et les transfigure.

 

 

RETOUR

 

A l'arrière de la voiture, Mister B et Billy refont le concert des Spuny, en très très mais vraiment très-très légèrement, à peine un poil, moins bon... surtout qu'ils ne connaissent que le premier couplet des morceaux, Mumu me lance des regards atterrés lorsqu'ils passent au répertoire français et qu'ils recherchent l'air de Couleur Menthe à l'Eau... Je ne voudrais pas être responsable d'une vague de suicides chez les lecteurs, j'arrête tout de suite.

 

Merci à Julien 3 B et à Phil Fifi pour l'organisation de tous ces concerts passés et à venir.

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Damie Chad.

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( Superbes photos prises sur le FB de Christophe Banjac )

 

 

SEXE & ROCK'N'ROLL

 

JORDI BIANCIOTTO

 

Editions La Mascara : 2000

 

( Collection : Sur la musique )

 

 

 

Je tournais en rond dans le magasin depuis trois quart d'heure, je cherchais la faille. Me faufilais entre les rayons, averti par un sixième sens. Un fouillada géant. Des présentoirs remplis de livres disséminés parmi les boîtes de conserve et les vêtements. Les invendus, les stocks des magasins en faillite. Question bouquins c'était rempli. Hélas tous du même tonneau, le fonds d'une librairie catholique, des titres à hennir de rire du genre Trente Ans d'Apostolat, Une vie de paroissien, les trois cent cinquante deux numéros ( en plusieurs exemplaires ) de La Revue des Carmélites, Jean-Paul II m'a Dit... des tonnes et des tonnes de littérature bénite, évidemment je cherchais la griffe, le prince de ce Monde n'avait pu apercevoir ce fatras de pieux immondices sans glisser quelque part un petit signe de sa présence. Comme ces lézards qui vous filent entre les doigts ne vous laissant que leur queue au creux de votre paume. J'ai fini par mettre la main dessus, dans le rayon consacré à la très Sainte Vierge Marie, le haut d'une couverture qui dépassait, un fin liseret écarlate, qui m'a attiré comme la peau rouge du fruit juteux du pêché qui a induit Eve en une funeste tentation.

 

Sexe et rock'n'roll, comme les vieux bluesmen qui avaient à choisir entre les cantiques à la gloire du Seigneur et la musique du diable, j'ai opté pour les délices de Satan. Qui puis-je, je ne suis qu'un pauvre homme à l'âme souillée de mille perversions enfermée dans un étui de chair aussi fragile qu'un préservatif de mauvaise qualité. Me suis dépêché pour me pencher avec attention sur l'objet délictueux. En tout bien tout honneur ai-je besoin de préciser, le froid regard du critique littéraire qui ne juge que selon des critères de pure intellectualité. Vous me connaissez, vous me faites confiance.

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Paru en l'an 2000, un vieux truc, mais le sexe n'a pas d'âge. Quoique les vieilles grand-mères, perso... Les Editions La Mascara ont sombré en 2005 après dix ans d'existence, mais le projet fut transformé en Tournon SA qui offrit en son temps près de deux cents titres gravitant de près ou de loin autour du monde du rock et de la pop. Jordi Bianciotto est un éminent journaliste catalan, a écrit dans une infinité de magazines plus ou moins proches de la presse spécialisée rock et livré au public des monographies sur des groupes célèbres, Pink Floyd, Beatles, Deep Purple, Dylan, etc... Je sens que je vous ennuie et que vous trépignez d'impatience, que vous n'avez qu'une envie plonger, dans cet océan de stupre que je n'ai qu'à entrouvrir pour dévoiler les mille et une nuits les plus croustillantes du rock and roll.

 

Modérez vos ardeurs. Bien sûr il y a les photos, Sid ( oh ! le vilain vicieux ) qui dévoile son zizi, Nina Hagen en conversation très étroite avec une amie très chair, Wendy O' Williams à l'entrecuisse délicieusement plissée, mais dans l'ensemble nous empruntons les couloirs de la suggestion et les portes du hard ( rock ) porno nous sont fermées à double tour. Quant au sex-text, désolé vous risquez d'être déçu, ça ressemble davantage à une thèse universitaire de troisième cycle qu'à Justine ou les Infortunes de la Vertu du cher Marquis Donatien, Alphonse, François de Sade.

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Pour Monsieur Jordi Bianciotto, les rockers sont des goujats qui profitent de leur position de rock-star pour se livrer à des kama-sutra un tantinet dégoûtants. Jordi épluche les contradictions du rocker de base : A ) le rock and roll est une musique de rébellion, quasi-révolutionnaire. Dès les années cinquante il a réussi à faire craquer le corset des préjugés puritains dans lequel les sociétés occidentales réfrénaient les désirs surabondants de leurs adolescents boutonneux. Intenses moments de libération et de jubilation existentielles en ces années d'après-guerre dont Jordi est prêt à excuser les excès. Nos pionniers en sortent indemnes, passe l'éponge sur les frasques de Chuck Berry, replace la romance amoureuse de Jerry Lou et de Mira dans leur contexte sudiste, tire un peu l'oreille à Elvis qui a beaucoup abusé des jolies actrices, rien de bien méchant. Ferme même les yeux sur les fredaines conjointes de Little Richard et de Buddy Holly ( celui-là avec ses lunettes d'étudiants studieux l'a un peu trompé son monde ). Faut bien que jeunesse se passe...

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C'est quand on passe au B du plan, que Jordi se fâche tout rouge et sort la grosse artillerie. Préfère ne pas vous raconter tout le mal qu'il dit des Rolling Stones, vous savez ces voyous à qui vous refusiez de confier votre petite sœur, mais ce n'est rien comparé à la volée de bois vert qu'il réserve à Led Zeppelin. Je ne rapporte ses propos pas car ça pourrait donner de mauvaises idées à votre chaste sœurette. Voici donc la suite du raisonnement : ces jeunes gens qui sont devenus riches et célèbres en répandant une musique prônant une éthique sexuelle libertaire, se sont comportés vis-à-vis de la gent féminine comme d'infâmes libertins rétrogrades de l'ancien temps. Se sont complus en les rôles de sinistres phallocrates, de tristes consommateurs, je te baise et tu te casses, tu t'abaisses et je te fracasse, des jouisseurs sans cœur et sans pitié, des dépravés sans morale. Mais le pire restait à venir. C'est que ces comportements libidineux connus de tous n'altérèrent en rien l'impact de ces groupes sur notre saine jeunesse. Aussitôt colportées par la presse ces anecdotes peu reluisantes décuplèrent la célébrité de ces bands un peu trop bandant... C'est à croire que ces comportements répréhensibles devinrent un élément de pénétration dans les charts.

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Bianciotto s'étrangle d'indignation. Heureusement ce phénomène nauséabond se dégonfle avec l'advenue du punk. Le côté anti-star de l'idéologie punk fait passer au second plan les habitudes tant soit peu machistes de nos nouveaux héros. Des garçons décidément moins pervers et qui possèdent l'art et la manière de se conduire auprès de nos dames, troussent moins de jupons préfèrent passer leur temps à cracher et à vomir innocemment sur les plateaux de télévision. De parfaits gentlemen. Les filles raffolent tant de leurs si distinguées manières qu'elles se complaisent à les imiter. Les greluches prennent le pouvoir. Ne se contentent plus d'être les égéries secrètes des backstages anonymes. Sont devant, sous les feux des projecteurs et très vite elles se conduisent aussi mal que leurs alter égo masculins revendiquant une liberté d'allure aussi déconcertante. Que ce soit Blondie qui joue les fausses mijaurées à trente cinq balais, ou Patti Smith qui urine sur scène.

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Lorsque les filles se libèrent vous êtes priés de ne pas condamner sévèrement. Ce sont les riots grrrrls qui passeront à la dimension au-dessus, dès la génération suivante. Femelles en furie qui revendiquent tous les outrages et tous les désirs. Succès de scandale qui leur ouvrent les colonnes des journaux bien-pensants. Ces chattes brûlantes ne connaîtront pas la gloire. Ne sortiront pas de l'underground. C'est la pop sucrée qui tirera les marrons du feu. A Madona de jouer avec les phantasmes et les dessous affriolants. Les filles revendiquent le droit au plaisir sans remettre en cause les fondements de l'exploitation libérale. La femme sujet de délices charnel remplace la femme objet de désir phantasmatique. Même pas l'épaisseur d'une gaze de string entre les deux. Mais tout est dans la manière de se glisser dans l'air du temps. Les légions interchangeables poupées gonflées du R'n'B qui n'ont pas froid au sexe – ces initiales doivent signifier Rhythm and Barbies – nous susurrent à longueur d'antennes des mots épicés à vous brûler le pénis... Jordi Bianciotti en est le premier embêté. Lui qui a dénoncé les mauvais traitements des méchants rockers phallocratiques ne peut plus condamner les conduites libératrices de ces nymphowomen déchaînées.

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Le lecteur innocent que je suis se mélange un peu les petites culottes. Pourquoi la surconsommation masculine du sexe des rockers des trois premières décennies de l'histoire du rock seraient-elles beaucoup plus condamnable que les jouissances sans entraves prônées par les rockeuses qui prirent le relais dans le dernier quart du vingtième siècle ? Il me semble que Jordi caresse les poils des pubis dans le sens historial de l'idéologie dominante. Condamnation du machisme et bienveillance envers tout ce qui aide à promouvoir la femme citoyenne libre et responsable dont notre société a tant besoin pour la façonner à l'image du troupeau masculin des consommateurs impavides, bêlant et consommant du sexe merchandisé sans se poser trop de problèmes métaphysiques et encore moins physiques. Il faut se méfier des engouements idéologiques, ce sont de terribles moyens de manipulation mentale, la critique exacerbée d'un état de fait quelconque n'est souvent que le premier mouvement de la dialectique de l'uniformisation collective de son acceptation.

 

Le onzième chapitre s'arrête sur une réflexion sur l'ambiguïté des dernières frontières. L'homme qui se veut femme pour séduire les hommes et la femme qui ne s'intéresse qu'à la femme. Ce n'est pas tout à fait la simple homosexualité ou le franc lesbianisme, car ces deux nouvelles postulations sont construites en tant que modélisation d'une séduction de l'espèce entière, mâle et femelle. Les dix dernières années - que le livre paru en l'an 2000 ne peut prendre en compte - ont résolu cette aporie apparemment insurpassable grâce à l'émergence des nouvelles théories du genre ( elles hérissent tant nos catholiques bien-aimés toujours coincés du cul ! ) qui stipulent que notre sexe physique ne correspond pas obligatoirement à notre sexe mental... De larges permissivités sociétales sont encore à défricher si l'on adopte ces analyses théorétiques. Selon ces nouvelles approches les premiers rockers se sont comportés comme des néandertaliens avec un phallus encore plus court que leur vue.

 

Les normes du sexuellement correct évoluent en fonction des mutations de notre société. Souvent nos agissements les plus intimes sont régis par des codes collectifs dont nous n'avons aucune conscience. Amies rockeuses et friends rockers, vivez votre sexualité comme vous l'entendez, entre prédation et soumission, entre exaltation et coopération, entre vous et qui vous voulez. L'important surtout est de ne pas être dupe de ses propres représentations qui ne nous appartiennent pas toujours. Parfois nous pensons faire l'amour, mais ce n'est qu'une fausse croyance, c'est l'amour des autres qui nous fait à son image.

 

RONNIE HAWKINS

 

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L'on ne parle pas assez souvent de Ronnie Hawkins chez les rockers, aussi lui laisserons-nous la parole, prélevée in-extenso dans le chapitre 13 intitulé Manifestes à la première personne. Nous aimons trop les pionniers du rock pour ne pas être insensible au développement de cette pensée empreinte d'un pragmatisme façonné par une solide expérience à laquelle rien ne saurait être opposé :

 

«  Pendant toutes les années que j'ai passées sur la route, je dois m'être fait un million de nanas, quelques mecs et une chèvre de temps en temps. Les chèvres ne sont pas mal ; tu dois seulement aller à l'autre extrémité si tu veux les embrasser. »

 

Damie Chad.

 

 

MEMPHIS SLIM

 

BEER DRINKIN' WOMAN

 

( Collection : Les Génies du Blues / ATLAS )

 

LATE AFTERNOON BLUES / I BELIEVE I SETTLE DOWN / BORN WITH THE BLUES / BAD LUCK TROUBLES / MEMPHIS SLIM USA / JUST LET ME BE / ROCKIN'CHAIR BLUES / I FEEL SO GOOD / SLOW BLUES / FRISCO BAY / BLUES FOR BERTHA MAY / IN THE EVENING / IF YOU SEE KAY.

 

1-8 : New York, janvier 1961 / 9-14 : Londres 1960.

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Collection mensuelle et populaire lancée dans les années 90 par les Editions Atlas. Ont débuté par le jazz, ont continué par le blues et se sont même attaquées au rock. Le CD, chaque mois chez votre marchand de journaux accompagné d'un livret. L'on trouve facilement l'objet sonore dans les brocantes. Attention, le pressage est à l'économie et pour le choix des morceaux ils ont souvent pris les droits d'exploitation les moins chers du marché quitte à ne pas privilégier les enregistrements significatifs des artistes.

 

De toutes les manières dès qu'il traîne un truc de Memphis Slim, je prends sans faire la fine bouche. C'est Memphis le Mince qui m'a ouvert le monde du blues. Sans que je m'en aperçoive. Par contamination et traîtrise. J'avais quatorze ans et sur France Inter, ils passaient systématiquement un morceau de Memphis Slim, tous les matins, à sept heures moins dix, petit déjeuner blues avant d'aller à l'école. Tout un printemps. Après c'étaient les infos, pouvaient claironner toutes les mauvaises nouvelles qu'ils voulaient, la planète à feu et à sang, prête à exploser, ça me faisait rire. J'avais ma dose de blues. Que pouvait-il m'arriver de pire ? J'étais immunisé, comme ces gens qui roupillent tranquilles à l'ombre d'une centrale nucléaire puisque en cas d'explosion ils ont leur pastille d'iode dans le tiroir de leur table de nuit. Parfois il en faut peu pour se sentir invulnérable. Tout se passe dans la tête. Pendant les cours je regardais les copains. Avec commisération. J'étais un être séparé. Un mutant. De l'espèce clandestine des humanoïdes bleus. Très loin de la commune humanité. J'avais le blues. Je ne l'ai jamais vécu comme une malédiction. Au contraire, une arme secrète, de dévastation absolue à l'encontre du monde ennemi. Ô dieux de l'Olympe, rendez-moi, les fièvres de mon adolescence ! The Blue Time was the Good Time.

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Late Afternoon Blues ça pumpe moins que Jerry Lou mais ça trille beaucoup plus, le même résultat sur une seule touche, en sourdine derrière le blues qui se profile mais cette note entêtante qui s'en vient vire-volter au marteau-piqueur, à vous rendre maboul, à vous faire lécher les murs de votre chambre au détriment de la chatte de votre copine. Avec les grandes eaux à la fin du morceau qui débarquent comme une inondation du Mississippi. On se calme, après tout c'est juste la fin de l'après-midi. I Believe I'll Settle Down n'a pas joué une note que déjà il cause, le piano est en option obligatoire, peut se mettre à hurler à la Ray Charles qu'il believe in Mary et tout le flot d'insanité qui marche avec, il y a ces rafales de mitraillettes qui vous découpent le cœur en deux. Peut se demander ce qu'il veut sur le futur de ses relations avec Mary, nous a refilé le blues pour huit jours. Born with the Blues et recommence aussitôt mais ce coup-ci en murmurant comme s'il ne voulait pas vous déranger, à part que de temps en temps il vous pousse une gueulante à vous glacer le sang. Pour le piano, je commence à comprendre pourquoi il y avait des gars qui trucidaient le pianiste dès qu'ils rentraient dans un barrelhouse. Bad Luck and Troubles putain, ça ne s'arrange pas, en apparence du sur douze mesures, tout ce qu'il y a de plus classique, mais une voix à vous foutre les chocottes à un paquet de biscottes, et le piano qui se prend pour un roman de Raymond Chandler, vous n'avez qu'une idée, vous tirer au plus vite, mais impossible, c'est aussi beau qu'un cercueil de bois vernis. Memphis Slim USA le classique du maître, sûr qu'il va nous le mettre. Les touches du piano rigolent et se foutent carrément de votre gueule enfarinée. Chante comme un rocker, mais c'est pour mieux vous tromper. Just Let me Be une caresse, les plus méchants sont les plus romantiques, lui fait le coup du serpent qui la fascine, avant de l'avaler toute crue. Pour un peu vous verseriez des larmes d'alligator. Comme lui. La fange boueuse du vieux sud. Rockin' Chair Blues numéro de séduction, rock me baby, il y a même une guitare et un harmo qui traînent dans le fond, de la blues musak pour ascenseur vers le paradis, mais c'est le piano qui babytifole comme un étalon tout heureux. I Feel so Good l'a parlé de BB King dans le morceau précédent, nous cause de Big Bill Bronzy maintenant, l'a accompagné dans sa jeunesse, l'harmonica fait jeu égal avec le piano, la voix est devenue sonore et virile, on sent Memphis heureux de ses souvenirs, goin' down to the station, l'est parti pour un long voyage. Slow Blues s'agit pas decroire que le monde est rose, la tristesse prédomine ne l'oubliez jamais, Memphis Slim se tait, laisse pleurer le piano à sa place. Résonne comme un harmonium dans une chapelle désertée. C'est beau comme du Debussy. Des vagues de basse qui déferlent comme la mer. Beer Drinkin Woman réveillez-vous le gars qui hurlece n'est pas n'importe qui, c'est Memphis Slim et son appareil démoniaque, vous le démantibule un peu, et puis changement de décor, un thème jazzy un peu fumeux vient se balader, l'on ne sait pas trop pourquoi. D'ailleurs Memphis écourte la ficelle au plus vite. Se met à parler, hausse la voix et nous raconte ses aventures avec la dame en question, mais pourquoi le vocal devient-il si coquin ? Quelques ondulations de piano et c'est une affaire classée. Restera mémorable. Nous le certifie sur le ton de la confession ultime, mais l'on est déjà dans le Blues for Bertha May encore une qui lui a fait grosse impression. Ce qu'il y a de bien avec le blues c'est que vous pouvez raconter n'importe quoi, à partir du moment où vous savez chanter et jouer du piano aussi bien que Memphis Slim, la moindre aventurette devient aussi intéressante que le cinquième chant de l'Odysée. In the Evening mais il se fait tard et Memphis cause toujours et vous ensorcelle les synapses. C'est le soleil qui se couche, un truc assez banal mais vous pourriez coller la mélodie sur Victorieusement fui le suicide beau de Mallarmé, ça ne déparera pas. Le drame de l'univers et de l'éros mille fois répétés, à chaque fois aussi poignant et essentiel. If You See Kay c'est la suite,Memphis improvise de morceau en morceau, I have a girl et la chienne est partie. Si vous la revoyez ramenez-la moi à la maison. Ne partez pas à sa recherche, avec ou sans minette à caresser le Memphis il vous refile le microbe du blues aussi sûrement que la gastro-entérite en temps de pandémie. Deux petites notes en scie mineure et c'est fini.

 

Le genre d'enregistrement dont vous ne sortez pas indemne. Du blues trois étoiles. Ne pleurez pas, je vous recauserai de Memphis une autre fois.

 

Damie Chad.

 



 

GUITARE SECHE N° 31.

 

( Avril / Mai / Juin )

 

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Si je devais acheter tous les magazines qui traitent de guitare dans les kiosques, il faudrait doubler ma paye. Revue de maniacos pas obligatoirement dépressifs. L'unplugged c'est bon pour Paco de Lucia, et la guitare sèche je la préfère humidifiée à l'électricité. D'habitude je la feuillette mais ne l'achète pas. Oui mais cette fois, la couverture vaut le détour, la déjà célèbre troisième photo, découverte depuis peu, de Robert Johnson avec Johnny Shines à ses côtés. Avouez que c'est tentant. Plus un dossier de 27 pages sur le blues acoustique. Des photos, des partoches, des bios ultra-courtes sur les premiers bluesmen, les rudiments de base qui vous permettent de naviguer tout seuls comme des grands. Idéal si vous n'y connaissez rien et parfait si vous croyez tout savoir.

 

Le plus intéressant c'est l'étymologie de blues qui ne vient pas de l'angliche blue. Sort de notre douce langue françoise du mot bluette qui signifie étincelle. Comme nos ancêtres aimaient bien se faire remarquer auprès des copains, racontaient souvent des histoires d'amours pétillantes dont ils étaient les héros, les ont nommées des bluettes. La garce t'allume et pfft! C'est déjà consommé. Aujourd'hui l'on parle encore de bluettes pour désigner une petite aventure sentimentale sans intérêt. C'est du moins ce que l'on assure à sa tendre épouse. A la Nouvelle Orleans, ils ont pris la chose plus au sérieux, z'ont coupé le dimunitif -ette trop dépréciatif et ont gardé l'étymon blue qui désigna les histoires du vécu quotidien que l'on rapportait au hasard des conversations. Quand les noirs se sont mis à mettre en musique leurs mésaventures personnelles, ces productions ont été très naturellement appelées des blues.

 

Pour l'histoire de la musique du diable, vous retiendrez l'expression anglaise Blue Devils que l'on traduit en français par Idées Noires, et vous n'ignorerez pas qu'à l'origine blue signifait blanc en français. C'est que la peinture blanche paraît plus blanche et plus éclatante que sa teinte naturelle éteinte quand elle est rehaussée d'un peu de pigment azuréen. Un truc à se mélanger les pinceaux.

 

Damie Chad.