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28/11/2013

KR'TNT ! ¤ 165. MAC CURTIS/ CAT O'NINE TAILS / BIKERS / CHISTIAN VANDER / CHRONIQUES VULVEUSES ( 12 )

 

KR'TNT ! ¤ 165

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

28 / 11 / 2013

 

 

MAC CURTIS / CAT O'NINE TAILS /

JEAN-WILLIAM THOURY / CHRISTIAN VANDER ( + Magma )

CHRONIQUES VULVEUSES

 

 

RECTIFICATION

Mister B se fend d'un coup de téléphone pour l'Epiphone. Car ce n'est pas sur une Gretsch que joue le guitariste de Roy Thompson & his Mellow King mais bien sur une Epiphone. (Voir chronique N° 164). Remarquez, ce lascar vous lui refilez la guitare en carton bouilli avec fil en plastique mou de votre petit frère, au bout de cinq minutes il vous en tirera un solo à rendre jaloux Chet Atkins. C'est cela la classe.

 

 

MAC EST MORT

 

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Pour une fois, on avait du grain à moudre avec le nouveau numéro de R&F. Belle interview de Jon Savage qui reste pour les lecteurs de «England’s Dreaming» le seul vrai spécialiste du punk anglais, puis deux belles pages sur Brigitte Fontaine, deux aussi sur King Khan (enfin), puis un très bel article sur Thee Oh Sees et puis une info coincée au bas d’une page de télégrammes : mort du «guitariste rockabilly Mac Curtis». Voilà comment s’achève dans la presse française le parcours terrestre d’un grand artiste texan.

 

Ça peut sembler grinçant de dire la chose comme ça, c’est vrai, mais au moins on a l’info, et c’est l’essentiel. On se dit : «Oh, mais ils sont très bien, ces gens-là, quelle culture !»

 

Dommage que Mac Curtis ne fasse pas l’objet d’un hommage plus appuyé. Il fait partie des Texans encore jeunes qui eurent le privilège de voir jouer sur scène l’Elvis de la période Sun et qui décidèrent de consacrer leur vie au rock’n’roll.

 

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À quinze ans, il est pote avec Johnny Carroll et ils participent ensemble à tous les concours de rock des environs, ce qu’on appelait en France les radio-crochets. En 1956, Mac passe à la radio. Un mec le repère et le signe sur King, le label de Syd Nathan, basé à Cincinnati. King cherche un clone d’Elvis, pour faire du blé, comme Sun. Avec King, on entre dans la mythologie, même si Mac dit qu’il n’a jamais rencontré le boss Syd. Il va même jusqu’à se demander si Syd connaissait son existence. Car King est une usine. Mais pas n’importe quelle usine : une usine à mythe.

 

Mac enregistre seize cuts pour King entre 1956 et 1957, puis il est saqué. Son contrat n’est pas renouvelé. Petite consolation : les spécialistes considèrent Mac comme le vrai pionnier du rockabilly texan.

 

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Au même titre que Sun, Chess, Specialty, Imperial, Okeh, Modern, Fortune ou Excello, King joue un rôle considérable dans l’histoire du rock américain. King est même considéré comme le label américain le plus légendaire et le label indépendant le plus important des années quarante et cinquante. Sur King on trouve absolument de tout : du gospel, du hillibilly, du western swing, du bluegrass, du blues, du jazz, du r’n’b et de la pop. Premier atout : Syd brasse tout, contrairement à Chess qui se spécialise dans le blues ou Atlantic qui louche sur le r’n’b. Deuxième atout : Syd monte King dans les années quarante après avoir été vendeur de disques. Il connaît donc parfaitement le marché et sait ce qu’aiment les gens. Il veut faire des disques pour «the little men». Troisième atout : il n’est pas raciste. Il embauche Henry Glover comme directeur artistique. Quatrième atout : il trouve une solution radicale chaque fois que se pose un problème. Problème de studio chez truc ou machin ? Pouf, Syd monte SON studio (concept repris par Chess et Sun). Problème de recrutement de session-men ? Pouf, Syd engage SON house band (concept repris par Stax et Motown). Problème de fabrication des vinyles ? Pouf, Syd monte SON usine. En 1945, il sort deux mille disques par jour. En 1951, il en sort un million par mois. Puis SON imprimerie, car il faut bien fabriquer les pochettes et tout le matériel de promo. Problème de distribution ? Pouf, Syd monte SON réseau de trente-trois bureaux à travers tout le pays. Il va même jusqu’à financer SA flotte de camions. King on the road. Il lance même SA gamme de tourne-disques. Aucun label n’est jamais allé aussi loin. Non seulement ce mec avait du génie, mais il avait en plus très bon goût. Car les grands artistes se bousculaient à son portillon. Les géants de la country comme Grandpa Jones et les Delmore Brothers sont sur King, avec ce country boogie qui est à l’origine du rock’n’roll. Le proto-rockab Moon Mullican, hard-rocking daddy, gros frappeur de clavier et principale influence de Jerry Lee, est sur King. Moon cassait la baraque bien avant que Bill Haley et Elvis ne s’y mettent. Les rois du r’n’b comme Wynonie Harris, Clyde McPhatter (chanteur des Dominoes, remplacé par l’ancien boxeur originaire de Detroit Jackie Wilson - après quoi Clyde monte les Drifters) et Hank Ballard & the Midnighters - sharp looking and hard-rocking - sont sur King. D’autres artistes faramineux comme Little Willie John (qui casse sa pipe au ballon), Esther Phillips (alors Little Esther) sont aussi sur King. Parmi les géants de l’époque, on trouve aussi Roy Brown (principale influence de James Brown) et le fabuleux sax alto Earl Bostic sur King. Syd embauche un rital nommé Ralph Bass et lui confie les clés de Federal, filiale de King. Bass découvre un groupe qui s’appelle les Flames et les signe aussitôt. Leonard Chess qui avait repéré ce groupe de Macon, Georgie, ne lui pardonnera jamais de s’être fait doubler sur ce coup-là. Bass fout les Flames en studio. Ils enregistrent «Please Please Please». Syd déteste ce disque. Mais il le fabrique quand même et prévient Bass que si ça floppe, il est viré. Mais Bass se marre car «Please Please Please» casse la baraque. Bass vient de découvrir Mister Dynamite, rien que ça. Plus tard, Bass ira travailler pour Leonard Chess à Chicago et produira les grands albums de Muddy Waters, de Wolf et de bien d’autres.

 

Syd Nathan a la main verte. Il ramène souvent dans ses filets de grosses prises, comme par exemple John Lee Hooker, en 1948. Un John Lee Hooker qui se moquait des contrats comme de l’an quarante et qui changeait de nom pour aller ramasser du blé là où on lui en proposait (il se fait appeler Little Pork Chops, John Lee Booker ou Birmingham Sam & His Magis Guitar). On trouve aussi le géant Albert King sur King, qui battait le beurre pour Jimmy Reed à Chicago avant de se tailler une réputation d’immense guitariste. Il a son premier hit sur King en 1961 («Don’t Throw Your Love On Me So Strong») puis il passe chez Stax avec armes et bagages pour faire les ravages que l’on sait. Comme John Lee Hooker, Albert King aimait jouer très fort. On dit de lui qu’il est le guitariste qui a influencé le plus de gens, dans le monde du blues et du rock. Un autre King sur King défraye la chronique du blues : Freddie King qui éberlue les jeunes loups britanniques des sixties : Clapton, Jeff Beck, Peter Green et Jimmy Page. L’ancien boxeur de la Nouvelle Orleans Champion Jack Dupree atterrit lui aussi sur King, ainsi que Memphis Slim. Ike Turner est sur King dès le début de sa carrière, il a déjà aidé Sun à démarrer et il est tellement brillant qu’il va rapidement connaître la consécration en embauchant Annie Mae Bullock, la blackette qui deviendra Tina Turner. Et pourquoi Charlie Feathers débarque un jour chez King ? Parce qu’il ne s’entendait pas très bien avec Sam Phillips. Il enregistre huit titres pour King en 1956 et 1957, huit bombes. Mais ça ne marche pas. Charlie Feathers trouvait que le son chez King n’était pas bon. Chez Sun, c’était mieux. Passer de Sun à King, c’était pour lui comme de passer d’une Cadillac à une Ford. Et comme le souligne si justement John Hartley Fox dans son ouvrage consacré à King, les singles King n’ont pas rendu Charlie Feathers riche, c’est vrai, mais ils l’ont fait entrer dans la légende. Hank Mizell et le fascinant Johnny Otis enregistrent aussi des singles magiques sur King. On trouve aussi sur King l’un des guitaristes les plus wild de l’histoire du rock : Johnny Guitar Watson qui aura - comme Mick Farren - l’immense privilège de mourir sur scène, au Japon, en 1996. Et si on remonte vers les couches supérieures de la célébrité, on tombe évidemment sur Mister Dynamite, l’extraordinaire Jaaames Brown, dont tous les hits sont sur King. Et c’est même James Brown qui a permis à King de survivre, grâce à ses 98 tubes entrés au Top 40, un record jamais égalé. James Brown sur King, c’est aussi l’histoire d’une shoote permanente avec Syd qui, comme bon nombre de boss, était un vrai rat. Exemple : James veut faire un album live et Syd qui n’aime pas l’idée lui dit : «T’as qu’à le financer !» Okay, James casse sa tirelire et enregistre «Live At The Apollo» qui devient le plus grand album live de tous les temps. Syd ferme sa gueule de rat et ramasse le pognon à la pelle.

 

Voilà dans quelle pétaudière Mac mit les pieds en 1956.

 

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Bien sûr, on peut dire qu’il a bénéficié du prestige que lui apportait le label King, mais il n’était qu’un artiste perdu parmi tant d’autres et il n’a pas eu le type de soutien dont ont bénéficié les chouchous de Sam chez Sun : Jerry Lee, Johnny Cash, Carl Perkins ou Elvis. Mac a dû se débrouiller tout seul, comme des milliers d’autres apprentis sorciers, à l’époque, et il s’est probablement épuisé.

 

On trouve assez facilement une compile de ses grands classiques intitulée «Grandaddy’s Rockin’» et si on apprécie le bon rockab, alors ce disque est un vrai régal. On y retrouve tout ce qui fait la grandeur du genre : un vrai son de slap, un battage à la caisse et surtout une vraie voix. Ces gens avaient le génie du son. Le morceau qui donne son titre à l’album est un classique superbement orchestré, sec et raw to the bone. Aussitôt après on voit «Goose Bumps» fendre l’air, classieux et longiligne, Mac pose sa voix sur une guitare en cocotte de bras tatoué. On sent dès l’intro le son et l’attitude dont cherchaient à s’approcher les Stray Cats. Mais qui pouvait vraiment approcher l’épouvantable classe d’un combo de rockab texan des années 56-57 ? Personne, évidemment. Mac et ses musiciens personnifiaient cet art unique au monde, de la même façon qu’il n’existe qu’un seul Giacometti, qu’un seul Gauguin et qu’un seul et unique Manet. Mac Curtis, Charlie Feathers et Johnny Carroll sont inimitables. Il suffit de les écouter pour comprendre ce que ça signifie.

 

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Sur «If I Had Me A Woman», Mac sort sa voix de cat qui dérape au bon endroit. Le morceau est rythmé comme dans un rêve. Essayez d’avoir ce son avec les copains, vous verrez bien que c’est quasiment impossible. On ne retrouvera jamais le son de cette stand-up sourde et de ce cliquetis agencé. Voilà le son pur, Texas me, baby, Texas-m’en cinq, Mac. Cet album ne peut qu’émerveiller l’amateur de son. «That Ain’t Nothing But Right» est un softy catwalk perlé de gouttes de guitare sur lequel se prélasse Mac le mec. Il prend «You Ain’t Treatin’ Me Right» du bas de la glotte. Mac le mythe assure bien, il fait passer l’émotion comme une lettre à la poste. On retrouve Mac de la voix mûre en face B avec «Say So». Mac est le mec qui tape dans le mille. Puis on tombe sur un vrai hit de juke, «Little Miss Linda», strummé à la mode texane. C’est à la postérité ce que l’océan est au peintre : un prétexte à la grandeur. Mac le mec tord son chant - she sucks me - et ulule sur déboulade de strum de haut vol. Si on veut s’épater, il suffit tout simplement de l’écouter chanter «Don’t You Love Me» : il va chercher des intonations à la Elvis. Et «What You Want» nous rappelle que les rockabs texans étaient déjà des punk-rockers, vingt ans avant cette pauvre cloche de Sid Vicious. Sur «What You Want», Mac sonne comme un délinquant. Uh ! Il te demande ce que tu veux d’une voix qui claque.

 

Comme son compatriote texan Ray Campi, Mac se retrouve vingt ans plus tard dans le salon de Ronnie Weiser. Tu veux une bière, Mac ? Oh yes, Ron ! Et si on enregistrait un p’tit disque, Mac ? Yeah, bonne idée, Ron ! Alors attends voir, j’appelle Ray !

 

Mac enregistre quelques albums sur le label Rolling Rock et crac, il relance sa carrière. Et quels albums ! C’est ce qu’il faut bien appeler de la belle musique américaine de très haut niveau.

 

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Mac, Ray et Ron enregistrent «Ruffabilly» dans le salon de Ron en 1973. Ils ‘amusent bien, et ils sortent un album au son plus que primitif, un modèle du genre. Plus la peine d’aller chercher les singles Meteor, vous avez tout ce qu’il vous faut sur «Ruffabilly», le rough sound of the billy bop. Dès le premier morceau, Mac nous envoie au tapis. «Big D Woman» est une horreur rockab violemment slappée par ce bopping-génie de Ray Campi. Le morceau idéal pour tous ceux qui veulent en découdre avec le vrai son du slap. Quand on entend ça, on se croit dans le salon de Ron, on entend les doigts de Ray glisser sur les grosses cordes, c’est d’un primitif de rêve, avec un son très sourd. Heureusement que Ron ne disposait pas du petit matériel informatique à la mormoille qui permet aujourd’hui de bien lisser les sons des instruments, car on aurait jamais eu un disque aussi raw entre les pattes. Ils font ensuite une petite reprise sympa de «Baby Let’s Play House» et Ray fait un malheur sur sa stand-up. Il place ce qu’il faut bien appeler des descentes sauvages. On l’entend saccader ses ponts avec une ferveur malicieuse. Il est tout simplement monstrueux. Si on doit écouter un joueur de stand-up, c’est Ray Campi. Grâce à Ron et à sa prise de son amateur, on entend toutes ses notes et sa cadence. Ron a compris que le moteur du bop, c’est la stand-up et il la met devant. En fait il n’avait pas le choix, car le son de l’instrument s’imposait de lui-même dans le salon, vu qu’il n’y avait pas un bûcheron derrière la batterie et que la guitare restait discrète, comme l’impose l’art secret du rockabilly. La stand-up est le véritable heartbeat du rockab. Elle fait toute sa précieuse spécificité. On le comprend mieux quand un chanteur de rockab est accompagné par une basse électrique : le son retombe comme un soufflet. L’autre perle noire de «Ruffabilly» s’appelle «Fannie Mae», boogie de salon primitif en diable, finement teinté d’accordéon. Ray y prend un solo de punkster et démonte la gueule des dieux penchés sur lui. En écoutant ça, on se dit : «Bon, voilà encore un truc superbe et infiniment supérieur à tout le reste...» Mac, Ray et Ron réinventaient tout bêtement le rockabilly, un genre difficile et sacré, réservé aux très grands artistes américains. Mac, Ray et Ron étaient bons parce qu’ils ne vivaient que pour ça. La meilleure preuve est leur version de «Good Rockin’ Tonight», slappée à mort, chantée à la Elvis, hallucinante de véracité olfactive et boppée avec une incomparable hardiesse. Ray les bat tous. Par contre, les trois reprises de Johnny Carroll présentes sur l’album («Crazy Crazy Lovin’», «Wild Wild Woman» et «Hot Rocks») sont plus classiques et donc moins fulgurantes. Par contre, on voit ce fou de Ray prendre un solo infernal sur «Wild Wild Woman». Il en remet une couche dans «Sexy Ways» qu’il truffe de gimmicks diaboliques et qu’il transperce en plein cœur d’un solo de malade.

 

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Ray doit se sentir bien seul depuis que Mac est parti. Tous ses fans espèrent qu’il va ressortir la stand-up de l’étui et qu’il va claquer quelques vieux hits de sa jeunesse.

 

«Good Rockin’ Tomorrow» sort en 1976. On retrouve la même équipe de surdoués et une nouvelle série de gemmes rockab de la meilleure eau. On prend «Good Rockin’ Tomorrow» dans les dents : effarant de classe mortelle, avec un slap insidieux. Mac tire tout à la voix et à coups de reins, et Ray cale ses descentes de slap démentes. On le voit claquer ses cordes comme un con. Rien qu’avec le premier morceau, on se retrouve au paradis. Rebelote avec «Wake Up Rock’n’roll», slappé dans la face du cut et Mac sabre ses hiccups avec la rage d’un rat texan. Le morceau est tellement excitant qu’on sacre Mac grand sachem de le Sierra. Encore plus wild, «Hard Hearted Girl», slappé par un Ray fou à lier. Encore meilleur, «Party Line», merveille tentaculaire qui nous suce les neurones, un truc à se pourlécher les babines. Mac chante ça de l’intérieur du menton et Ray claque son manche comme plâtre. Ça continue de monter en température avec «Rockabilly Uprising» et son heavy beating sérieusement éméché. Voilà l’archétype du rockab classieux joué en syncope et parsemé d’éclairs de guitare, aussi sérieux que les grands rockabs d’Elvis. Mac réinvente la magie Sun et on entend un incroyable solo foireux. Si avec tout ça, on ne se décroche pas la mâchoire, c’est qu’on a de la chance. Puis ils swinguent à la vie à la mort «Been Gone A Long Time». Au Texas, on ne plaisante pas avec le slap. On embarque à fond de train ou on n’embarque pas. Il n’existe pas de demi-mesure. Puis ils frisent le pur génie avec «Juice Box». Mac fait claquer chaque mot. Il maque le mythe. Il tape dans le tas. On croit qu’on a tout vu. Grave erreur, il reste encore une sacrée bombe sur ce disque : «Wildcat Tamer». Cette ultime boucherie texane bouscule la postérité d’un coup d’épaule. Ce slappy slop s’embarque pour Cythère en roulant des hanches sans aucune pudeur. Ray roule et place des descentes furtives à tous les coins de rue. Et la bopperie insensée de «Let’s Go» rentre toute seule au panthéon des merveilleux classiques, sans demander l’avis de personne.

 

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Nouvelle galette magique sur Rolling Rock en 1978 : «Rock Me». Si on ne sait pas ce que peut donner un heavy rockab, alors il faut écouter «That’s How Much I Love You». Stupéfiant. Ray nous pulse ça à la stand-up. Sur «Turn Away From Me», on entend Kevin Fennell - des Rockin’ Rebels de Ray - prendre un solo d’une éblouissante virtuosité. Et ça continue comme ça jusqu’au bout. Mac chante cette pièce de country globale qu’est «Making It Right» d’une voix d’airain dans un gant de cuir noir. Il boppe les syllabes en vrai cat et on se retrouve avec un vrai hit de l’Amérique profonde sur les bras. Mac va chercher ses accents chauds à la Elvis. Il détient le pouvoir d’une telle profondeur. Encore une pure merveille avec «Real Good Itch», un cut de cat judicieux et bien enlevé, adroit et juteux, admirable et survoltant, solide et puissamment boppé par Ray la montagne. Ces mecs sont classiques jusqu’au bout des ongles. Ils déroulent leur boniment sur un joli background strummal et cascadé de chorus jaillis du fond de la vallée. La seule manière de qualifier «Suntan» qui ouvre le bal de la face B, c’est d’utiliser le latin : c’est un classicus cubitus es spiritus sanctus rockitus. Si vous ne deviez écouter qu’un seul morceau de l’album, ce serait celui-ci, ne serait-ce que pour la finesse de jeu du batteur. Il s’appelle Keith Landrum et il roulotte en retrait, d’une manière merveilleusement swinguante. Mac revient à l’Elvis avec «I’d Run A Mile For You», ballade terriblement globale, radieuse et aussi élancée que la Delage décapotée de Picabia. C’est une matérialisation de l’élégance suprême, l’édifiante classe smoothy d’un Mac hors pair. Il a cette douce exhalaison calorifique, celle qui allume tant de lanternes dans les caves libidinales des demoiselles d’Amérique. Mais Mac revient au rocky road beat avec «Good Love Sweet Love» et il balance ça avec un vrai tact de cat. Derrière, Kevin Fennell claque ses cordes pour couler un solo punk de bronze, ce qui donne une idée de la faculté de dépotage de nos amis. Encore un fabuleux cut de cat. Mac boucle son bouclard avec le fameux «Rock Me» de Piano Red qu’il découvrit à l’âge de quinze ans. Ray la montagne nous slappe ça aux petits oignons.

 

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Pauvre Mac. Même si les crocodiles sacrés du Temple t’embarquent toi, ton nom et ton art au plus profond des eaux troubles de l’oubli, nous continuerons à sortir tes disques des vieilles pochettes usées pour les poser sur nos platines, histoire de poursuivre la lutte acharnée contre la médiocrité.

 

 

 

Signé : Cazengler, coMac troupier

 

Mac Curtis. Grandaddy’s Rockin’. Kay Records 1987

 

Mac Curtis. Ruffabilly. Rolling Rock 1973

 

Mac Curtis. Good Rockin’ Tomorrow. Rolling Rock 1976

 

Mac Curtis. Rock Me. Rolling Rock 1978

 

Jon Hartley Fox. King Of The Queen City. The Story of King Records. University of Illinois. 2009

 

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22 - 11 – 13 / LA CALE SECHE / PARIS

 

 

CAT O' NINE TAILS

 

 

Tout comme les hordes germaines traversant le limes romain sur le Rhin gelé en 455 de notre ère, la teuf-teuf mobile fonce sur Paris. Sur notre passage les radars clignotent comme les guirlandes des arbres de Noël. Les feux rouges brûlent comme des torches. Les piétons épouvantés s'éparpillent sur les trottoirs. Si nous nous octroyons de telles privautés avec le code citoyen de la route, c'est que nous nous mettons en harmonie idéologique avec le festival culture bar bars. Rien n'y a fait, c'était perdu d'avance, sortis trop tard du boulot. L'on a gagné trente minutes sur notre chrono habituel, mais lorsque je pousse la porte de la Cale Sèche, le concert a déjà débuté depuis vingt minutes.

 

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Me fraie un chemin au travers d'une foule compacte agglutinée devant le bar. Ah ! Ma bonne dame toute cette jeunesse dépravée le verre de bière à la main, de mon temps c'était des bouteilles de sky que l'on sifflait directement au goulot. Quelle décadence ! Ouf ! Ça y est ! Suis parvenu à pied d'oeuvre juste devant le groupe. On a dû lire la livraison 163 de Kr'tnt à la Cale Sèche car l'on a pensé à protéger les musicos. Un ruban rouge et blanc en matière plastique – le même avec lequel on entoure les entreprises chimiques classées Soweto 3 lorsqu'elles explosent afin de mettre la population à l'abri des émanations empoisonnées – a été tendu entre deux piliers. Le plus étrange c'est que tout le monde respecte si bien cette frontière symbolique que lorsqu'elle tombera personne n'osera franchir cette limite devenue invisible...

 

 

FIGURE DE PROUE

 

 

Je déboule en plein morceau. Je reconnais Jimmy Boy. Aucune idée de qui doit être ce brave garçon, mais laissez-moi vous dire qu'il filoche au minimum à vingt-cinq noeuds à l'heure. Les deux guitares à fond la caisse et l'étrave de la basse qui trace un noir sillon dans les lames sauvages. Faut-il le préciser, ce soir les Cat O' Nine Tails nous préparent le jus de chaussette sur leur cafetière électrique. Pour une fois ils ont l'autorisation de ne pas nous offrir leur nectar au papier filtre.

 

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N'exagèrent pas non plus, n'ont pas emmené trois containers d'amplis et le batteur se contente d'une batterie électronique. Le kit parfait pour ne pas faire trop de bruit. Mais entre nous soit dit ça ne vaut pas les vieilles peaux. Pas comme celle du dessus, la voisine carabosse qui téléphone à la maison poulaga chaque fois que la porcelaine de Limoges se met à tinter dans son buffet. Il vaut peut-être mieux ne pas trop énerver tata-rabat-joie la bique carnée ennemie de la jeunesse qui niche à l'étage.

 

 

ARTIMON

 

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Le chat à neuf queues frappe encore. Energie Noire, Fuel Conspiracy se succèdent sans coup férir. Mais peut-être ces deux mâts du répertoire sont-ils de ceux invitant les naufrages car Naufrage profile son trou béant à l'horizon. Le public est aux anges, l'âme sereine et les oreilles frangées d'écume, aucun spectateur ne se jette sur les canots de sauvetage. C'est que la chorale marine est aussi envoûtante que le chant des sirènes. Ne rêvez pas aux doux sopranos de charmantes demoiselles au torse dénudée. Nous sommes dans un choeur de matelots, voix viriles et rocailleuses, qui vous vrillent les tympans dans la plus pure tradition des hurleurs blues, soul, hard, stoners, bref des shouters d'enfer qui vous ragaillardissent le moral plus sûrement qu'une lampée de rhum.

 

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MISAINE

 

 

Calme plat, plus une corde qui grince. Serait-ce déjà la fin ? Non c'est Marianne qui se présente à la coupée. Est accueillie par une bordée de vivats. J'ai oublié de le dire mais le public est pour beaucoup composé de jeunes demoiselles, comme si la gent féminine faisait bloc dès que l'une d'entre elles devient la figure de proue d'une manifestation musicale. Le lecteur soucieux d'approfondir notre docte contribution à la réflexion sociologique contemporaine se reportera sans tarder à notre chronique de la semaine précédente consacrée à Gizzelle.

 

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Excusez-moi de me faire un coup de pub personnel, mais il faut bien que je meuble l'intermède car Dame Marianne prend son temps pour sortir son fleuret d'abordage de son étui. Ca y est, elle pose devant elle une espèce de partition mathématique constituée de fractions hâtivement griffonnée et met en joue. Pas nous, mais son altomètre serré entre son épaule et son cou.

 

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C'est parti pour Black Cat Jack, le violon miaule comme une corne de brume et les guitares foncent dans une purée de poix à couper au couteau. Equipage de forbans en goguette. Le pont ruisselle de sang et les canons tonnent dans l'entrepont. L'on a hissé le drapeau noir et l'on s'arrache de la mer des Sargasses. Droit devant et vent debout. C'est la folie dans la bordée des spectateurs.

 

 

Changement d'ambiance. ( Oceano ) Nox a troqué sa guitare contre un banjo. Avec le crin-crin de Marianne nous voici au port dans un pub irlandais. Drunken Sailor, l'on reprend en choeur. Ambiance très Pogues. Les ivrognes nous marchent sur les mains. Post punk marin. Tellement bien, qu'ils la referont en rappel.

 

 

JETEZ L'ANCRE !

 

 

Car c'est la fin. Le bruit n'est autorisé que jusqu'à vingt deux ( les flics ) heures. La municipalité respecte le repos de ses honnêtes électeurs. Ai pris le rafiot en pleine couse. Une demi-dose d'amphétamine rock c'est mieux que rien. Mais même si c'est de la super qualité, ce n'est pas suffisant. Je rêve de revoir les Cat O' Nine Tails sur une scène aussi large que la baie de Douarnenez et des empilements de baffles jusqu'au pommeau du grand-mât. Avec l'effigie de Marianne sur les timbre-postes pour représenter la Première République Pirate.

 

 

Damie Chad

 

 

 

CHRISTIAN VANDER

 

 

A VIE, A MORT, ET APRES...

 

 

ENTRETIEN AVEC LE FONDATEUR DE MAGMA

 

 

PAR CHRISTOPHE ROSSI

 

 

( NAÏVE LIVRES / 2013 )

 

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J'ai éprouvé un sentiment de honte. Je ne voyais que l'en-tête BATTEUR N° 274, Novembre 2013, tout au fond du présentoir, avec une dizaine d'autres revues qui cachaient la couverture. Non de Zeus, deux cent soixante quatorzième numéro, au jugé plus de vingt ans d'existence et je ne m'en suis jamais acheté un fascicule ! Il est des erreurs que l'on répare tout de suite, me suis emparé de l'exemplaire, l'ai déposé sur le comptoir du buraliste, ai payé et suis ressorti illico du magasin pour tomber nez à nez avec une jolie... Mais ceci est une autre histoire. Ce n'est que deux jours plus tard que j'ai retrouvé la revue sur la banquette arrière de la teuf-teuf mobile. Un rocker ne commet jamais d'erreur, Christian Vander en couverture ! Oh !Chouette ! un article sur le créateur de Magma, que non ! hibou et grand-duc ! l'annonce d'un livre d'entretien ! J'ai couru comme un fou chez mon libraire passer commande «  Ah ! Ah ! Vous avez toujours des bouquins chez des éditeurs, peu commun ! ». Et deux jours plus tard, je tenais la merveille entre mes petites menottes innocentes...

 

 

ENTRETIEN

 

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Christophe Rossi présenté sur le revers de la jaquette comme le rédacteur en chef de Batteur. C'est surtout un bon interviewer, ne profite pas de sa fonction pour raconter sa propre vie. Applique la seule bonne méthode possible pour une interview, questions courte et réponses longues. Faut obligatoirement connaître son sujet et ne pas viser à côté. L'est sûr aussi qu'il faut aussi avoir sous la main quelqu'un qui ait quelque chose à dire. Faites confiance à Christian Vander. L'homme sait structurer ses longs soli. Captive votre attention dès la première phrase et ne vous ennuie jamais. Amateurs d'histoires croustillantes, de révélations intimes scandaleuses, de ragots malfaisants sur de célèbres personnalités, vous risquez d'être déçus. Christian Vander ne donne pas dans l'anecdote. Parle, mais ne se met jamais en scène. Raconte sa vie de musicien et n'en dit pas plus. Pour une seule et bonne raison : seule la musique l'intéresse. Elague le quotidien, cet aspect commun et misérable du vécu humain que Nietzsche qualifiait de « trop humain ». La quête intérieure est plus essentielle que le paysage extérieur. N'emploie pas pour autant la langue de bois, ne règle pas ses comptes mais ne mâche pas ses mots. Les compliments, les reconnaissances, la gratitude, mais aussi les déceptions et les incompréhensions. Sans vantardise pour les premières et sans aucune récrimination pour les dernières. Prise en compte des évènements tels qu'ils se sont déroulés sans joie exubérantes ni colères rentrées, ni jalousies, ni désirs de vengeance. L'homme est au-delà de tout ressentiment.

 

 

BERCEAU JAZZ

 

 

Beaucoup de lecteurs de KR'TNT auraient aimé que dans leur enfance, Jerry Lee Lewis et Eddie Cochran passent régulièrement à la maison leur apprendre à tripoter le piano et à caresser la guitare. Rêve fou. Celui qu'a vécu éveillé Christian Vander dès son âge le plus tendre. Sa mère est une fan de jazz, elle le mène dès quatre ans dans les clubs les plus hot de Paris, et les plus grandes figures mythiques de la jazz musique noire, passent et même parfois logent dans son appartement. Des pointures comme Chet Baker ou Elvin Jones.

 

 

La suite de l'histoire se profile avec ses gros sabots dès qu'apparaît Elvin Jones. Comment ne pas vouloir devenir batteur, plus tard lorsque vous serez grand, lorsque le plus abouti ( formule à l'emporte-pièce ) des batteurs de jazz vous apprend les rudiments de son art. Lui procurera même en des circonstances rocambolesques sa première véritable batterie... Mais Elvin lui apportera un autre cadeau, bien plus précieux. Celui qui sculpte le futur de votre existence avant même que vous ayez commencé à vivre. Elvin fut le batteur de John Coltrane qui restera l'amour suprême de Vander. Reportez-vous à Villiers de L'Isle Adam pour entendre le véritable sens de cette expression en tant qu'intercession avec cette chose innommable que certains s'obstinent à appeler le divin.

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Mais pour avoir été très tôt en contact avec la quintessence de l'énergie noire, la vie du jeune Vander n'en est pas pour autant tissée de fils roses. Passons sur les années malheureuses chez sa tante que nous décrirons comme un confinement carcéral en un lieu privé de musique pour nous retrouver dans la solitude de l'adolescence. La célèbre trilogie sex, drugs and rock'n'roll en cache une autre similaire mais peut-être plus primale, ass, dope and jazz. La mère de Christian Vander tombera pour trafic ( en fait consommation ) de produits illicites. Des années de prison. Vander très jeune se retrouve seul, abandonné de presque tous, face à sa batterie. La rage. La violence contenues explose sur les peaux. Vander sera un autodidacte. La vie est un combat contre tous. C'est en combattant – ne serait-ce que contre ses démons intérieurs – que l'on devient un guerrier.

 

 

RHYTHM AND BLUES

 

 

Le petit Vander commence à être connu dans les clubs de jazz. L'est doué, possède un savoir-faire indubitable, mais difficile de l'admettre dans la french family. A le mauvais goût de ne reconnaître pour maître que Coltrane – un amerloque certes, mais irrespect fondamentale des hiérarchies nationales – et puis surtout il joue avec trop de pêche. Trop de jus dans son jazz. L'est vite catalogué comme un twister. Commencera donc par jouer au milieu des années soixante dans des groupes de rhythm and blues qui nécessitent une énergie... disons plus appuyée. N'a pas l'impression de déchoir. Si en France les jazzeux se bouchent le nez devant de telles facilités, Vander sait que tous les musiciens noirs américains ont été bercés par cette musique, au sens laudatif du terme, populaire. C'est l'idiome de base, la langue vernaculaire du rythme et du blues, essentielle pour la transmission des racines originelles. Vander en viendra à s'exiler en Italie. Il y passera deux ans dans d'obscurs combos de rhytm and blues, jusqu'à ce que sans raison apparente il éprouve le besoin de rejoindre le sol natal.

 

 

L'APPEL DU ROCK

 

 

L'a tout juste vingt et un an lorsqu'il rentre en France au printemps soixante neuf. Le pays sort de la lessiveuse de mai 68. Le vieux monde est mort ( c'est du moins ce que l'on croit ) les champs du possible ne demandent qu'à être labourés. L'on a besoin d'horribles travailleurs. Très vite Vander s'aperçoit que les musiciens qui accueillent sans sourciller sa frappe monstrueuse sont ceux qui se réclament du courant rock. N'oublions pas qu'à l'époque la vélocité d'un Keith Moon et la puissance d'un John Bonham sont les parangons ultimes du battle rock.

 

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Beaucoup d'appelés et peu d'élus. Une génération de musicien rock est en train de naître sur le territoire hexagonal, mais l'on est encore loin du compte. Vander exige davantage que des imitateurs. Veut des personnalités et des créateurs. Pas question de se contenter de jouer correctement un riff, faut aussi une connaissance, une réflexion, une expérience de la musique encore inconnue sur la planète France. Faudra donc aller sur une autre planète, quitte à la créer de toutes pièces. Cet astéroïde fabuleux portera le nom de Magma.

 

 

MAGMA

 

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Magma sera donc le seul groupe rock français capable de rivaliser avec les groupes anglais et américains. D'abord par son originalité et très vite par sa puissance de frappe. Suffit de le comparer avec l'autre french combo très légèrement antérieur à sa naissance, les Variations. Je les adore, ont été adoubés par Steppenwolf et New York Dolls mais il suffit d'écouter leurs disques réciproques pour entendre qu'ils ne jouent pas dans la même catégorie. Magma est ailleurs. Ce qui m'étonne le plus dans l'aventure Magma, c'est que le groupe de Vander soit très vite accueilli, comme faisant parti de la famille, par un public rock français pas du tout accoutumé à écouter de la musique si élaborée qui a néanmoins su faire preuve d'une ouverture musicale étonnante à l'époque. Vander y est pour beaucoup, pas besoin d'apprendre par coeur les deux cent soixante quatorze numéros de Batteur pour savoir que l'on tenait là un musicien hors-classe, d'une fougue, d'une violence et d'une justesse extraordinaires. L'évidence s'imposait.

 

 

L'emportait le morceau. Ce qui n'était pas donné d'avance. Magma c'était autre chose que le riif fabuleux de Whole Lotta Love, que Led Zeppelin avait piqué à Muddy Waters. Magma ne vous refilait pas le blues en douce. Bossait sur le rythme et redécouvrait d'instinct la complexité syncopale de la musique classique européenne vers laquelle beaucoup de jazz men ont longtemps tendu une discrète oreille, du genre voyons ce que nous offre la concurrence.

 

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Magma c'était davantage Stravinsky que Chuck Berry. Avec la puissance de l'orchestre symphonique en pleine action mais décuplée par l'électricité. Musique savante follement attractive. N'importe qui ne pouvait postuler une place chez Magma. L'histoire du groupe est pleine d'arrivées et de départs. Certains s'en vont sur d'autres projets, mais d'autres s'aperçoivent que rester demanderaient des efforts d'apprentissage et de renouvellement qu'ils ne sont pas prêts – par paresse ou incapacité - à à fournir.

 

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Vander n'en parle pas, l'évoque très superficiellement en trois lignes qui risquent de ne pas alerter un lecteur contemporain. Magma prend son essor au début des seventies, des années où domine un discours d'extrême-gauche marxo-anarcho-situationnistes. Magma ne colle pas à l'esprit festif de l'époque. Rien n'est plus éloigné du débraillé idéologique que les postures hiératiques de ses musiciens et leur musique souveraine. Leur langue – le kobaïen, importée de la planète Kobaïa, offre des intonations quelques fois un peu trop germaniques... Quelques critiques s'élèveront, on parlera d'une musique fasciste. En ces temps post-68, c'est une condamnation dont on ne se relève pas. Pire qu'une bulle d'inquisition prononcée à votre encontre dans l'Espagne Catholique du seizième siècle. Par sa seule présence scénique ( et discographique ) Magma pulvérisera ce genre d'anathèmes qui seront en trois mois renvoyés dans les poubelles de l'histoire d'où elles n'auraient jamais dû sortir.

 

 

SUITE SANS FIN

 

 

Pour beaucoup l'histoire de Magma se termine autour de 1978. Les temps ont changé. L'on parle moins de Magma qu'auparavant. Moi le premier je ne prête qu'un regard distrait aux différentes résurgences du groupe... La démarche magmaïque devient peu lisible. Mais Christian Vander continue son chemin. Le livre devient passionnant. Ce n'est plus l'histoire d'un batteur génial que nous suivons mais l'émergence d'un compositeur. Le musicien diabolique nous a longtemps caché l'ampleur de l'oeuvre.

 

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Magma nous a donné des mouvements épars de trilogies. Durant des années de clandestinité médiatique Christian Vander a composé les fragments manquants. Une trilogie vandérienne, c'est l'équivalent d'une symphonie de Beethoven par l'ampleur du projet et des quatuors de Bartok pour la sidérante brutalité de son apport à la musique du siècle qui vient.

 

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La batterie est devenue secondaire. L'en joue toujours. Mais après la composition. Le style a évolué. Ne cherche plus l'épate époustouflante rock'n'rollienne des concerts de Magma, retourne souvent d'où il est venu, au jazz. Avec un nouveau groupe Offering. Un peu à géométrie variable. Recherche ce que Miles Davis – à la démarche duquel il n'adhère pas – appelé la note bleue. Ne s'agit pas de faire rugir la cymbale comme un lion en colère, mais la faire feuler comme le tigre qui vous regarde de travers. Avant de se jeter sur vous pour vous dévorer. L'on change de plateau de jeu mais les règles sont toujours aussi dangereuses à suivre.

 

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Magma-Vander est un phare dans la tempête. Possède sa maison de disque – le do it yourself punk est un concept applicable à toute sorte de musiques qui se veulent libres et dégagées de tout impératif commercial – ses rééditions et ses archives, ses propres revues, son interface net et même toute une collection de groupes divers qui empruntent le sillon tracé par ce grand défricheur qu'est Christian Vander. Qui continue sa route hors des sentiers qu'il n'a pas battus lui-même.

 

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Peut-être n'aimez-vous pas le rock'n'roll, peut-être n'aimez-vous ni le jazz, ni le classique, peut-être n'aimez-vous pas la batterie, peut-être n'aimez vous pas la musique de Magma, peut-être même n'aimez-vous pas la musique elle-même ( l'on se demande alors ce que vous faites sur ce site ! ), mais que cela ne vous dispense pas de lire ce livre. Par-delà la vie d'un musicien et d'un fastueux instrumentiste, vous découvrirez la démarche d'un artiste d'une totale intégrité qui n'a jamais pactisé avec les médiocres nécessités de son temps mercantile. N'en tire aucune fierté démesurée. A d'ailleurs assez bien vécu de son art et jamais ne pose au poëte maudit ou incompris. Est simplement conscient de n'avoir pas renié sa promesse d'homme en mettant un mouchoir sur ses rêves d'enfant.

 

 

Damie Chad.

 

Concerts de Magma : voir : KR'TNT N° 126 du 10 / 01 / 13 article sur Rock'o'rico de Christian-Louis Eclimont

 

Pour en savoir plus : http://kosmicmu.blogpost.fr et facebook de Muzïk Zeuhl

 

 

JEAN-WILLIAM THOURY

 

 

BIKERS

 

Les morards sauvages à l'écran

 

de The WILD ONE à SONS OF ANARCHY

 

 

Un travail de bénédictin. Ce n'est pas tout à fait l'expression qu'il faudrait car le goût de la violence, du sexe, du stupre, de la jouissance sans entrave, de l'exaltation de la force, de l'alcool, des produits et des armes ne sont pas des vertus chrétiennes patentées. D'ailleurs l'occurrence des mots Hell et Enfer semble indiquer que les voies du seigneur ne se parcourent pas en moto. Âmes sensibles abstenez-vous de toquer à la porte de ce monde de plaisirs sulfureux. Vous risqueriez de vous y complaire. C'est tout le mal que nous vous souhaitons.

 

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Près de quatre cents feuillets, des illustrations pleine-page et des photos mais beaucoup de texte. Cent scénarii de films racontés du début à la fin, avec en final un petit topo sur le réalisateur et les acteurs principaux. Plus un index qui vous épargnera des recherches fastidieuses, et un glossaire des termes spécialisés. Jean-William Thoury a dû y passer plus d'un long hiver à compiler une telle somme de renseignements et de connaissances. Je suppose qu'il s'est quand même offert le plaisir à chaque fois de revisionner le film. Doit avoir une sacrée dvdthèque.

 

 

L'on ne présente plus Jean-William Thoury, manager de Bijou, journaliste, écrivain, amateur de rock'n'roll. Nous le croisons parfois dans des concerts, ce n'est certainement pas un hasard si souvent il trimballe des gants de moto. Nous avons déjà chroniqué son irremplaçable livre sur Gene Vincent ( Voir KR'TNT N° 18 DU 27 / 09 / 10 ) paru au Camion Blanc. Ne manque pas de s'en référer à plusieurs fois à Race With The Devil, le titre totémique de Gene.

 

 

Au moment où j'écris cet article je projette de me rendre au local des Loners à Lagny sur Marne écouter les Ghost Highway. Cela relève d'une logique, les bikers ont très vite adopté le rock sous toutes se formes ( pionniers, rockabilly, stoner, hard... ) dès sa naissance. Ces deux univers sont proches, ils se recoupent tout en gardant leur singularité.

 

 

HISTORIC

 

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Aussi étrange que cela puisse paraître un film comme L'Equipée Sauvage a peut-être beaucoup plus fait pour la naissance de l'esprit rock que l'enregistrement de Mystery Train dans les studios Sun, ou plus tard de Heartbreak Hotel par Elvis. Si Presley s'est jeté, sans prendre de garanties suffisantes quant au choix des tournages, dans sa carrière cinématographique, qui se révèlera à la longue si désastreuse pour son aura de rocker, c'est qu'il était subjugué par les apparitions de James Dean et de Marlon Brando. Je n'ignore pas bien sûr que notre musique vient de loin, qu'elle était déjà présente dans le rythm and blues noir d'après guerre et en gestation dans le hillbilly, mais ces racines ne touchaient que des publics limités. Si RCA sort son premier disque d'Elvis en 56, Blackboard Jungle date de 1953 et The Wild One et La Fureur de vivre de 1955.

 

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L'on m'objectera que déjà en 1954 Bill Haley... oui mais Bill Haley n'opère pas la véritable coupure révolutionnaire et épistémologique du rock, il est un précurseur mais qui s'inscrit dans la mouvance de la musique rythme de son temps, conçue pour la danse. Chahuteuse mais pas séditieuse. Elvis apporte un plus, il offre en même temps, un impact énergétique bien plus dynamique et sensuel que le gros Bill, et le reflet de la tourmente adolescente que traduisent si bien les visages boudeurs et blasés de Skinny Jim et de Johnny Strabler.

 

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Graine de Violence et Rebel whithout a Cause traitent de l'ennui scolaire et existentiel des adolescents, cette nouvelle catégorie sociale en pleine émergence après la seconde guerre mondiale. Si ces deux films décrivent abruptement l'apparition de ce phénomène, ils ne proposent aucune solution. Au contraire dès le générique, The Wild One offre le pharamineux avantage de montrer qu'un autre monde est possible, que la révolte des enfants contre la morale privative et la vie étriquée des adultes ne se termine pas finalement par l'acceptation contrainte et forcée d'un ordre honni. L'ado n'est pas obligé de retourner contre lui – du mal-être passager au suicide définitif nombreuses sont les solutions - la violence coercitive que le monde exerce à son encontre. Il lui suffit de se doter de l'arme qui l'aidera à se délivrer.

 

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Ce sera le cheval. De fer. La moto. Certes tous les amateurs de rock, ni tous les jeunes, ne se regrouperont pas en moto-club, mais parfois il suffit de savoir qu'une alternative existe pour se sentir mieux. Il existe mille manières d'exprimer sa révolte. Mais le choix des premiers american riders reste porteur d'une mythologie phantasmatique rarement égalée.

 

 

CINEMASCOPE

 

 

Nous nous laissons facilement manipuler par la lanterne magique. Certes notre esprit critique nous souffle que les les couleurs de l'écran ne sont guère l'exact reflet de la grisaille de notre quotidien, mais nous ne demandons qu'à faire semblant de le croire. La rutilance des choppers, les hordes sauvages, les filles nues, les règlements de compte, nous les vivons surtout par procuration au cinéma. Producteurs et réalisateurs sont engagés dans une course sans fin, chaque nouveau film doit se démarquer de ses prédécesseurs, le spectateur en veut pour son adrénaline d'où une surenchère. Toujours plus de sang, de sexe, de baston, de meurtres, de mort... Les séries télé ne feront que précipiter le mouvement, les saisons se suivent et n'ont pas le droit de se ressembler. La suivante doit surpasser la précédente.

 

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La lecture à la suite des scénarii est assez éloquente. Vers le cinquantième je commençais à me dire que j'en savais assez pour en pondre un sur un coin de table, les mêmes plans, les mêmes scènes, les mêmes séquences, l'envie de déposer le bouquin et d'y revenir dans une quinzaine m'effleura. Mais ma persévérance fut remerciée, les histoires s'étoffent et se complexifient, le caractère des héros se module, les méchants ne sont plus aussi infâmes et les gentils ne sont plus de simples innocents. Vous serez jugé sur la noirceur de vos actes, mais l'on tiendra aussi compte de vos motivations secrètes. Il n'est pas sûr qu'elles soient plus pures que celles de vos ennemis. Les colombes ne sont pas aussi immaculées qu'elles le paraissent et les oiseaux de proie font preuve d'une cruauté que la raison peut comprendre.

 

 

L'AVERS DE LA MEDAILLE

 

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Jean-William Thoury y revient plusieurs fois. Trop souvent les films se complaisent à dévoiler le côté obscur de la force. Il est entendu que les bikers ne sont pas des anges. Mais présenter les moto-clubs systématiquement comme des associations de malfaiteurs évacue bien des aspects positifs. Seulement un pour cent de ces organisations se classent d'elles-mêmes dans la catégorie des anti-sociaux et revendiquent une éthique de hors-la-loi. Ce sont celles-ci dont on parle le plus, les Hell Angels, Los Bandidos, les Outlaws, la police les surveille, la presse en fait ses choux gras, le cinéma s'en inspire... Certains d'entre eux participent même au tournage, comme figurants, comme conseillers spéciaux. L'on oublie que les moto-clubs fonctionnent aussi comme les antiques solidalités. Ce sont des ères de fraternité et de protection, des instruments de défense contre la dureté de la société. Facile de dénoncer les regroupements de motards très bruyants et très voyants. Mais il existe des groupes de pression, financiers ou institutionnels, pratiquement invisibles mais beaucoup plus nocifs pour la population citoyenne que les bikers jubilatoires. Si vous ne marchez pas sur la queue du crotale, toutes les chances sont de votre côté pour qu'il ne vous morde pas.

 

 

RESTRICTIONS

 

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Maintenant l'on peut tout de même remarquer que beaucoup de bikers se définissent selon une idéologique droitière. Se réclament d'une individualisme anarchisant et forment des groupements collectifs dont le coeur, dans la grande majorité des cas, ne penche pas à gauche. Historiquement cela s'explique, les premiers bikers furent des soldats revenus des champs de bataille européens qui eurent du mal à se réadapter à la vie civile. On ne les attendait pas. Qui va à la chasse perd sa place. Ils se regroupèrent entre amis, mais en anciens combattants ils gardèrent dans leur nouvelle formation un goût prononcé pour la hiérarchie. Se sentant rejetés par le système, ils édifièrent leur propre mode de vie mais en reprenant pour modèle les idées d'ordonnancement de ce même système. En Allemagne d'après 18, l'on assista à un phénomène similaire, la naissance des Corps-francs.

 

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Mais aux USA, à des milliers de kilomètres du conflit, les vétérans n'eurent pas l'occasion de remettre cela. D'autant plus qu'ils avaient remporté la victoire. Démobilisés, retournés à la vie civile, n'ayant aucune revanche à prendre, mais désirant vivre selon leurs envies, ils créèrent ces espèces de communautés d'un genre nouveau, en même temps dans le système et contre le système, qu'ils définirent comme des espaces de liberté. Ce ne sont pas des républiques pirates, Jean-William Thoury rappelle que beaucoup de policiers américains, une fois leur service terminé passent leur temps libre dans leur uniforme de biker... Contradiction skizophrénique sociologique ! Vous pouvez dénoncer les limites de telles expériences, mais il faut reconnaître que leurs existences, leur longévité ( plus de soixante ans pour les plus anciennes ) et leur prolifération dans de nombreux pays, attisent bien des rêves. Qu'on le veuille ou non, elles sont une des rares réussites de redéfinition et de reconstruction des liens collectifs détruits par l'implantation des sociétés industrielles.

 

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C'est peut-être pour cela que se sont tissées de multiples accointances avec le rock'n'roll et les rockers, qui retrouvent en elles un parfum de cette ruralité perdue dont leur musique émana.

 

 

 

Ce beau livre de Jean-William Thoury – le tout premier de cette ampleur en langue française – est un plaisir des yeux et de l'esprit. Il est en quelque sorte authentifié par la préface – courte mais aussi tranchante que la lame d'un poignard – de Sonny Barger, le fondateur du Chapitre des Hells Angels d'Oakland.

 

 

Damie Chad.

 

 

CHRONIQUES VULVEUSES

 

 

DOUZIEME EPISODE

 

Résumé de l'épisode précédent : L'agent Damie Chad 009891 du SSRR ( Service Secret du Rock'n'Roll ) est envoyé de toute urgence en Ariège afin d'enquêter sur l'inquiétante entreprise terroriste de déstabilisation psycho-culturelle surnommée La Conjuration Vulvaire. Tous les faits rapportés dans cette oeuvre à enrobage littéraire affirmé sont tirés de la réalité la plus triste, les documents officiels de la justice et des gendarmes sont là pour en apporter la preuve définitive.

 

 

39

 

 

Plusieurs heures que nous roulions tassés dans notre cercueil comme Toutankamon dans son sarcophage. Une sourde inquiétude me minait le coeur. Il y avait longtemps que nous avions dépassé la SPA du Mas d 'Azil et même celles de Foix, de Toulouse, de Montauban, de Cahors, de Brives, de Limoges... Bref nous étions en route vers Paris. Je me dépêchais de faire part de mes réflexions au Chef qui crapautait sereinement son dix-huitième Coronado N° 12 :

 

 

«  Très justes supputations, agent Chad, d'après mes calculs nous ne sommes plus loin de la capitale, il serait donc extrêmement judicieux que nous préparions la sortie de notre cheval de bois à roulettes.

 

  • Sans avoir l'air trop curieux j'aimerais bien connaître comment nous parviendrons à nous tirer de cette déplorable situation, s'enquit Claudius

  • L'enfance de l'art cher Claudius, pourquoi pensez-vous que sommes si serrés à l'intérieur de notre boîte mortuaire ?

  • Trois individus plus un chien dans une bière prévue pour un seul cadavre, la réponse tombe de soi, maugréa le Maître de l'Affabuloscope.

  • Pour un artiste vous manquez de perspicacité cher Claudius, n'avez-vous pas remarqué que dans ce que vous nommez notre malheur, dans leur précipitation les services du Proc m'avaient octroyé un modèle de cercueil XXL, ce qui m'a permis d'y bricoler un double fond.

  • Pour votre réserve de Coronados, Chef ?

  • Point du tout, vous allez voir, accrochez-vous aux petites herbes ! »

 

 

Nous ressentîmes comme une vibration sous notre ventre. Molossa émit un gémissement, mais très vite nous fûmes entourés par un bruit assourdissant, et le cercueil se mit à avancer et à reculer sur un rythme de plus en plus rapide. Il se catapultait si fort contre les portes blindées du fourgon qu'elles ne tardèrent pas à céder sous la violence des coups assénés, nous rebondîmes sur l'asphalte si brutalement que le couvercle se détacha, en une fraction de seconde nous nous retrouvâmes tous les trois assis dans notre cercueil roulant qui filochait au minimum à cent trente kilomètres heures, sur le Périphérique Lutéçois. Nous étions libres, à ceci près que nous roulions à contre-sens du flot de bagnoles qui se ruaient sur nous.

 

 

Le Chef rigolait comme un dément. Il tenait son boîtier électronique comme un téléphone portable et s'amusait à zig-zaguer entre les files de voitures. Nous devions ressembler aux quatre chevaliers de l'Apocalypse, dès qu'ils nous voyaient les conducteurs levaient les bras au ciel en se recommandant au Seigneur. Qui ne devait pas trop les prendre en pitié car les véhicules s'encastraient les uns dans autres, s'écrasaient sur les piles des ponts, certains prenaient feu, d'autres explosaient, des passagers affolés transformés en torches vivantes essayaient de se réfugier sur les terre-pleins centraux mais se faisaient systématiquement renverser sur la chaussée avant d'atteindre leur refuge salvateur.

 

 

Molossa excitée aboyait de toutes ses forces. C'était tellement mieux que dans un jeu vidéo que nous fîmes trois fois le tour du périph rien que pour jouir du spectacle. En fin de compte le Chef avisa une sortie et l'emprunta à un train de sénateur.

 

 

«  Chef ! Fabuleux ! »

 

 

Pour une fois il fit le modeste : «  Ce n'est presque rien, une broutille, sous le faux-fond – vous n'ignorez pas comme j'aime bricoler le dimanche matin chez moi, pendant que ma femme s'occupe dans la cuisine – j'ai adapté deux tuyères au propergol, vous savez ce carburant pour les fusées que l'on trouve en vente libre sur les marchés d'Afghanistan, j'ai simplement relié le tout à la commande du petit train téléguidé de mon filleul et vous avez vu le résultat ! N'importe quel mécano du dimanche peut vous monter un bidule pareil, en moins de vingt minutes ! »

 

 

Nous félicitâmes le Chef, louant son esprit inventif, renchérissant sur son ingéniosité diabolique. Molossa posa sa truffe humide sur sa cuisse gauche en guise de remerciement. Elle ne dit rien mais ses yeux dorés trahissaient sa profonde reconnaissance. Nous étions arrêtés à un feu rouge. Un peu grisés de notre succès. Des petits enfants manifestaient leur surprise :

 

 

«  Regarde Maman, les trois monsieurs assis dans la grosse boîte à sucre en bois !

 

- Et le monsieur avec sa grosse cigarette qui fume, c'est le plus rigolo

 

  • Oui mais le chien noir est encore plus beau, pas vrai Maman !

  • Adorable mon chéri, mais retire ta main, il est peut-être méchant !

  • Mais non Madame, tu peux la caresser, elle est très gentille, elle s'appelle Molossa ! »

 

Le bambin tendit sa menotte et se mit à couiner comme un porc qu'on égorge, Molossa venait de lui sectionner deux doigts d'un coup de dents. J'eus le temps d'apercevoir les yeux horrifiés de Claudius. Déjà le Chef accélérait, avant que nous brûlions le feu resté au rouge j'eus le réflexe d'abattre la mère qui s'effondra sur le trottoir d'une rafale de mon UZI.

 

 

«  Ne vous inquiétez pas Claudius, l'on a reconnu une agent secrète. L'on s'est échappés mais ils nous ont repérés. Sont à nos trousses. Ils ne reculeront devant rien pour nous éliminer. Faut vous enquillez cette idée-là dans la tête, le 008 ce n'est pas un amateur, la partie est loin d'être gagnée. En face ils sont prêts à tout pour nous neutraliser, nous sommes en zone noire, considérez que vous êtes déjà mort, cela vous aidera à survivre. Pensez à votre Affabuloscope que vous êtes obligé de vendre. Un conseil Claudius, à tout instant soyez méchant. »

 

 

Pendant que je briefais Claudius, le Chef fonçait comme un madurle sur les grands boulevards à tombeau ouvert. Pas de temps à perdre. Dans le flot de véhicules que nous remontions à toute vitesse l'on remarquait de plus en plus souvent les voitures bleues de la gendarmerie qui nous prenaient en chasse dès que nous les dépassions. De grosses berlines noires se mêlaient à la procession qui nous coursait. J'étais prêt à parier une crotte de Molossa que la plus grosse qui s'obstinait à ne pas nous lâcher d'un centimètre était piloté par 008 en personne. Difficile de le reconnaître derrière les vitres teintées, mais j'entendais un Hi ! Hi ! Hi! Si caractéristique. Un hennissement qui vous donnait envie d'ouvrir une boucherie chevaline.

 

 

Brusquement il y eut comme un flottement chez nos poursuivants, le Chef en profita pour accélérer, le cul d'une voiture se profila devant nos yeux horrifiés, d'un magistral tête à queue le Chef la dépassa, nous étions maintenant entre deux files de motards, Claudius désigna du doigt une espèce d'allée sur la droite, coup de frein, emportés par leur élan les deux files de motocyclettes qui nous entouraient continuèrent leur route droit devant, le Chef tourna sa manette à angle droit, nous virâmes sur deux roues, nous passâmes sous un porche et nous débouchâmes dans une vaste cour, le Chef freina une dernière fois juste devant des escaliers. Claudius ouvrait les yeux comme un merlan frit. Il venait de reconnaître l'édifice, il avait vu maintes et maintes fois cet endroit à la télévision.

 

 

Le Chef sauta allègrement hors du cercueil. Se tournant vers nous il eut cette phrase depuis lors devenue proverbiale : «  Mieux vaut s'adresser à Dieu qu'à ses saints » et c'est d'un pas ferme que nous montâmes les marches du perron de l'Elysée.

 

FIN DU DOUZIEME EPISODE

 

 

22/11/2013

KR'TNT ! ¤ 164.SPYKERS / ATOMICS / MARCOS SENDARRUBIAS & HIS BAND / ROY THOMPSON & HIS MELLOW KINGS / LIL'GIZZELLE / BLUE CHEER / NON! / SUBWAY COWBOYS / CHRONIQUES VULVEUSES

 

KR'TNT ! ¤ 164

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

21 / 11 / 2013

 

 

SPYKERS / ATOMICS /

MARCOS SENDARRUBIAS & HIS BAND /

ROY THOMPSON & THE MELLOW KINGS / LIL' GIZZELLE

BLUE CHEER / NON! / SUBWAY COWBOYS

CHRONIQUES VULVEUSES

 

 

16 / 11 / 2013 / SAINT MAUR DES FOSSES

 

 

SWING PALACE / ROCK AROUND PARIS

 

 

THE SPYKERS / THE ATOMICS

 

 

MARCOS SENDARRUBIAS & HIS BAND

 

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Banlieue chicos de Paris. Grosses villas individuelles, immeubles de standings, ce soir ce n'est pas fantasia chez les ploucs. Pas de morts dans les fosses communes à Saint Maur les Fossés. Sans Mumu, l'on aurait ramé un max, suivant ses indications la teuf-teuf se faufile dans des ruelles désertes, elle raccourcit, coupe et évite les encombrements avec une habileté diabolique. Un petit coup de GPS pour les trois derniers giratoires et nous voici devant le Swing Palace. Pas las du tout, l'on se précipite vers l'édifice – béton cossu – qui n'est pas tout-à-fait à la hauteur de son appellation. Nous, tout ce que l'on demande, c'est avant tout que ça swingue. A peine la porte principale poussée l'on nous dirige vers le sous-sol. Escalier blanc-hôpital de service qui nous mène à une salle souterraine - ce doit être un abri Atomics – un peu quelconque, un bar sur la gauche, une scène près de l'entrée, quelques chaises le long des murs, lumière bleuâtre qui nous habille d'une teinte cadavérique peu avenante, peu de monde. Tout de même Edonald fidèle au poste, sacs et appareils de photos en bandoulière, Thierry Crédaro et Fred, mais aussi Olivier Clément des Black Prints que l'on n'avait pas eu le bonheur de croiser depuis trop longtemps. Et puis les têtes connues vont se multiplier comme des croissants au beurre dans la vitrine d'une boulangerie.

 

 

THE SPYKERS

 

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Enfin on va pouvoir les voir ailleurs que dans l'espace exigu du pub ADK de Roissy. La scène est tout de même un peu encombrée par le matériel des groupes suivants, ce qui les oblige à se placer les uns à côté des autres, sans pouvoir jouer sur la profondeur du lieu. Tout de suite l'on remarque Seb. N'est pas derrière la batterie mais assis sur son caisson, les jambes écartées, imperturbable il marque le rythme. De ce fait le combo se démarque de la plupart des groupes de rockabilly. Pas de caisse claire, mais un martelage incessant, plus puissant, plus grave, un peu comme les tambours indiens, original mais qui de temps en temps peut paraître monotone. Texas Joe – un surnom qui fleure bon le cowboy – est à ses côtés, guitare rythmique et au micro. Un peu trop près du cajon qui parfois lui mange la voix.

 

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Ni blanc, ni rouge, l'on commence par la noirceur du blues. Bruno est à l'harmonica, et nous à Chicago avec Muddy Waters et Little Walter. Une autre facette des Spykers que nous découvrons avec ravissement. Roucoulades bluesy, kyrielles de notes qui s'échappent à jets continu de l'orgue à bouche intarissable, presque invisible dans les mains du géant qu'est Bruno. Un régal.

 

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Deux antinomies à chaque bout de l'estrade. J. P. Jorge et sa contrebasse, toute la tradition rockabilly, slap et contre slap, assure le rythme et Eduardo, le jeune lead guitar, somme toute très électrique. Avec lui l'on quitte plaines et contreforts country pour la modernité des villes. Parfois il se lance dans de longues cavalcades, galope en tête et les autres s'engouffrent dans la brèche.

 

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Bruno nous ramène dans le ghetto, le son est plus lancinant, le chant moins bondissant que celui de Texas Joe mais plus appuyé, courbé vers la terre. Le blues urbain dans toute sa splendeur et la ruralité du rockabilly, les Spykers alternent les climats. L'ensemble n'est en rien disparate. Les racines de la musique populaire américaine sont si emmêlées que l'on retrouve des échos des unes chez les autres. Les Spykers refusent de s'enfermer dans des territoires trop étroits. Ils ouvrent des portes, repoussent les limites des chasses gardées.

 

 

Thierry Creadaro est appelé pour les deux derniers morceaux. Deux tueries. En blanc et en noir. Rock et blues, les deux faces de la même carte à jouer. Les Spykers ont sorti le grand jeu. On les reverra avec plaisir.

 

 

THE ATOMICS

 

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Rockin'trio sur scène. Pas de temps à perdre. N'ont pas commencé que c'est déjà parti. La faute à Raphaël. Doit avoir un compte à régler avec sa Gretsch, l'a beau être blanche, ne croit plus à son innocence. Vous la traite méchant, un dompteur altéré de sang qui entend régner en maître sur sa panthère albinos. Elle rugit et sort ses griffes. N'a pas le temps de s'occuper de ses deux complices. Mais ils connaissent l'animal. Lui fournissent le background nécessaire. la contrebasse démarre en trombe, pas question de laisser le soliste tout seul, bat-man barbichette en pointe mouline sur ses toms. Vitesse de croisière atteinte en dix-sept secondes, le restant ce sera de la course de côte. Incontrôlée.

 

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Mais Raph la rafale ne se contente pas de si peu. L'est aussi au chant. Tout ce que vous voulez, le vibrato de Buddy Holly, comme le nasillement hillbilly. En grande forme. Bateau toute voile dehors sur la mer démontée. Pas possible, s'est fait poser une pile Atomics tout prêt du coeur. Inusable, guitariste sniper, méthodique qui ne rate jamais l'occasion de tirer plus vite que son ombre. Un show mené guitare battante. Evidemment derrière, le tambour major ne chôme pas. Et le contrebassiste slappe comme si son dernier jour était arrivé.

 

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Pas d'attente, pas d'hésitation, pas de coupure. Un morceau n'est pas terminé que déjà les plans de base du prochain sont en gestation dans l'esprit des musicos. Jamais vu les Atomics jouer avec autant de célérité et de rage. Une énergie impériale. Ne nous laissent pas le temps de respirer, course-poursuite avec l'horloge du rock'n'roll dont les aiguilles sont devenues folles. De temps en temps, Raph nous signale en coup de vent que le morceau suivant est une compo. Ne se distingue pas des reprises habituelles. Le groupe a acquis une maturité évidente. Peut désormais voler sur ses propres ailles, l'on n'y verra que du feu. Qui brûle.

 

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Nous filent la grande claque. Celle qui fait du bien en vous remettant les idées à l'endroit. Le combo va de l'avant. Tout droit. Ne s'arrête pas en route pour vous laisser admirer le paysage. Vitesse hot rods obligatoires. Pas la peine de demander à descendre. Refuseront tout net. Accrochez-vous aux herbes et essayez de survivre. Inutile de fermer les yeux, ça vous rentre par les oreilles. La salle est scotchée devant la scène et personne ne voudrait en perdre une miette.

 

 

En plus, malgré la dextérité de Raphaël c'est bien un groupe qui joue. Une entité. Une globalité agissante et bondissante. Chacun apporte sa quote-part au peau commun. Ensemble, chacun des trois essayant de fournir un maximum d'éléments aux deux autres. S'entraident et se propulsent. Pas de retardataire. Une troïka attelée au seul traîneau du rockabilly. Un triumvirat qui expédie les affaires extraordinaires.

 

 

Ce soir, les Atomics furent irradiants.

 

 

MARCOS SENDARRUBIAS & HIS BAND

 

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Des inconnus. Par chez nous. On a un peu trop l'habitude de regarder toujours du même côté, comme si question rockabilly le monde se résumait à l'Angleterre et aux Etats-Unis. L'on en oublie de mater chez nos plus proches voisins. Pourtant en Espagne le mouvement rock est peut-être plus fort que de notre côté des Pyrénées. Nous mêmes n'avons jusqu'à maintenant chroniqué qu'un seul groupe espagnol Charlie Hightone and The Rock-It's ( voir KRTNT N° 109 du 13 / 09 / 12 ), aussi attendons-nous avec impatience ce mystérieux Marcos Sendarrubias & His Band.

 

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Devaient être aussi pressés que nous de voir à quoi ressemblait le public français, les Atomics n'avaient pas fini de dégager leur matériel que déjà ils investissaient la place et commençaient à brancher leurs instruments. A première vue, rien ne ressemble plus à un groupe de rockabilly français qu'un groupe de rockabilly espagnol. Un chanteur à la rythmique au centre, un contrebassiste sur sa gauche, un lead guitar sur sa droite, le batteur en arrière. Jusque là rien que de très normal. Attendaient qu'on leur donne le top départ. Le batteur tapotait gentiment ses toms en suivant le rythme du morceau qui servait de fond sonore, et le contrebassiste caressait doucement ses cordes avec sollicitude.

 

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Dernier regard, Marcos Sendarrubias s'assure que tout est en ordre, et c'est parti mon kiki. Focalisation totale sur le mec en complet marron qui cinq secondes avant se tenait tranquillement debout à côté de sa contrebasse. Métamorphose ! Le voici collé à sa big mama, ses mains baladeuses s'agitent et se mettent à slaper comme si la survie de l'univers était en jeu. Elles impulsent un rythme fou et tout son corps tressaute et entre dans une danse érotique copulatoire des moins équivoques. N'arrêtera plus de tout le set. Quand on reproche au rock and roll d'être une musique à forte connotation sexuelle, soyez sûr qu'il y a du vrai dans l'assertion. En voici un qui ne peut pas cacher ses ascendances psychobilly.

 

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Dans son gilet panthère le guitariste est aussi immobile qu'un roc battu par les flots houleux de la tempête. Parfaite antithèse. L'un semble un agité perpétuel échappé de l'asile et l'autre reste en lui-même concentré sur son jeu et son instrument. Mais la musique parle pour lui. Si son acolyte envoie, lui réceptionne et renvoie vers la foule qui blêmit de plaisir. Arc électrique. Un jeu serré et tatillon. Ne laisse rien échapper. Restitue l'énergie pure.

 

 

Difficile d'entrevoir le batteur, les larges épaules de Marcos le cachent, jouera en quelque sorte dans un parfait anonymat. Marcos enlèvera vite sa veste country à parement fleuri. N'est pas né de la dernière pluie Marcos Sendarrubias, plus de vingt ans qu'il officie dans le milieu rock espagnol. A participé à une pléthore de groupe, du Doo Wop au rockabilly, tout cela pour confirmer qu'il bénéficie d'une solide expérience vocale. Le concert fut un régal. Beaucoup de titres inconnus. On reconnaîtra au passage les riffs de Brown Eyed Handsome Man de Chuck Berry et de Gonna Back Up Baby de Gene Vincent. C'est dans le rock des pionniers que Marcos puise la force séminale de sa musique.

 

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A la fin du concert Marcos appelle Bruno des Spykers à monter sur scène et l'ambiance électrique se charge d'une teinte blues plus qu'alléchante. Nul doute que Marcos Sendarrubias est un activiste rock. L'a organisé des dizaines de concerts, nous n'en citerons que deux : ceux de Crazy Cavan et d'Ervin Travis. Son premier disque sur son propre label Carmela ( tout un programme ) affichait un titre qui sonnait comme une profession de foi It Ain't Nothing, But Rock'n' roll. Trois fois rien, mais du rock'n'roll.

 

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Sa prestation fit l'unanimité. Mais l'homme est aussi d'une simplicité, et d'une générosité exemplaire, se mêle devant la porte à la cohorte des passionnés qui ont du mal à rentrer chez eux retrouver un quotidien moins enflammé que les heures qu'ils viennent de vivre là. Marcos discute le coup en anglais qu'il parle sans la moindre trace d'accent espagnol. L'internationale du rockabilly en action. Un frère d'armes.

 

 

*

 

 

Desconocidos. Aqui en Francia. Demasiado costumbre se tiene de mirar del mismo lado, como si el mundo se resumiera a Inglaterra y Estados Unidos cuando de rockabilly se trata. Incluso vamos olvidando de echar un vistazo a los vecinos mas cercanos. Sin embargo, en Espana el movimiento Rock es a lo mejor mas fuerte que de nuestro lado de los Pirineos. Hasta hoy solo cronicamos a un grupo de rock espanol Charlie Hightone and The Rock-It's ( ver KRTNT N° 109 du 13 / 09 / 13 ) es por lo que esperamos con tanta impaciencia conocer a este misterioso Marcos Sendarrubias y his band.

 

 

Les corrian tanta prisa a ellos tambien de conocer que pinta tenia el publico francés. Tan pronto cuando Los Atomics se largaron con sus cosas, que ya se habian apoderado del escenario y que iban empezando a enchufar sus instrumentos. A primera vista no hay nada tan parecido a un grupo de Rockabilly Francés como otro un grupo espanol. Un cantante a la ritmica en el centro, un contrabajo a la izquerdia, un lead guitar a la derecha y un bateria detras. Hasta entonces, todo normal. Esperaban que les dijeran que empezaran. El drummer golpeaba tranquilo sus tambores siguiendo el ritmo del titulo que servia de musica de ambiente y el contrabajo iba acariciendo suavemente las cuerdas con solicitud.

 

 

Ultima mirada, Marcos asegurandose que todo anda bien y todo empieza. Focalizacion total en el tio de traje marron quien cinco segundos antes, permanecia quieto de pie al lado del contrabajo. Metamorfosis, he aqui parece pegado a la big mama sus manos busconas agitandose se echa a golpear las cuerdas como si de supervivencia del universo se tratara. Sus manos van impulsando un ritmo loco y todo su cuerpo sobresalta y va entrando en un baile erotico copulador sin que dudara se pudiera. No parara hasta el final del set.En cuanto se le reprocha al rock que sea una musica con fuerte conotacion sexual no es una casualidad. Y he aqui uno que no puede renegar de sus ascendencias psychobilly.

 

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En su chaleco pantera el guitarrista permanece tan inmovil como una roca en medio del oceano un dia de tempestad. Perfecta antitesis. Uno parece agitado, loco de atar escapado de un manicomio mientras que el otro, esta concentrandose en su juego y su instrumento. Pero la musica habla en su lugar. Si su complice envia, él la recepciona y la vuelve a enviar hacia la muchedumbre quien palidece de placer. Arco electrico. No deja nada escapar. Restituye la energia pura.

 

 

Nos cuestas ver a la bateria, sera por los anchos hombros de Marcos que lo oculta, tocara en un total anonimato. Enseguida Marcos se quitara la chaqueta con flores. No hay nacido ayer, ya hace mas de veinte anos que oficia en el mundo de rock espanol. Participo de un monton de grupos, du doo wop al rockabilly, eso para subrayar que se puede orgullecerse de una solida experiencia vocal. El concierto fue un deleite. Muchos titulos desconocidos. Se reconoceremos entre otros los riffs de Bronw Eyed Handsome Man de Chuck Berry y de Gonna Back Up de Gene Vincent. Es en el rock de los pioneros que va sacando fuerza seminal de su musica.

 

 

Al final del concierto Marcos llama a Bruno de los Spyker a que viniera al escenerio el ambiente se hizo electrico, se tinta con pinta de blues muy atractivo. No conviene dudar de que Marcos Sendarrubias sea un activista del rock. Organizo decenas de conciertas. Solo citaremos dos de ellos , los de Crazy Cavan y de Ervin Travis. Su primer disco salio de su propio label Carmela – vaya programa – anunciaba un tema que sonaba a profesion de fé. Ain't Nothing, But Rock'n' roll. Es nada, sino Rock'n'roll.

 

 

Su prestacion fue aprobada por todos. Pero el hombre es tambien de una sencillez y generosidad ejemplar, se mezcla con las cohortes de los aficionados a quienes les cuesta volver a casa para reanudar con un cotidiano menos apasionante que las horas acaban de vivir aqui Marcos charla en Ingles sin la menor punta de acento espanol. La internacional del rock se pone en movimiento. Hermanos de lucha.

 

( Special thanks to Beatriz )

 

Damie Chad.

 

 

17 / 11 / 2013 / PARIS

 

 

LA JAVA / FAUBOURG DU TEMPLE

 

 

ROY THOMPSON & THE MELLOW KINGS

 

 

LIL' GIZZELLE

 

 

La Java, un lieu mythique de Paris. Belleville populaire des années trente, le Rock et le Punk y ont débarqué, puis plus tard le commencement de la décrépitude avec l'invasion de la Salsa... Aujourd'hui la Java n'a plus le blues, elle monnaye son nom, elle vit sur ses acquis, elle est devenue un lieu branché, un endroit à la mode pour les soirées bobo-parigotes. Mais ce soir l'on y court, puisque Lil' Gizzelle y donne un concert.

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L'entrée est au fond d'un faux passage. Tout de suite la caisse et un double-escalier qui vous descend au saint des saints. Une avant-salle avec bar – uniquement des boissons froides, licence IV - la salle proprement dite, étroite mais longue, un plancher central, piliers et nefs latérales sur les côtés. Au fond la scène, peu surélevée malgré ses deux niveaux. Le matos des Mellow Kings est en place. Jusque là tout baigne dans l'huile. Pedro, le batteur de Carl and The Rhythm All Stars, est à la console. Fait office de disc-jockey, vous balance des tubes de rhythm'n'blues à la pelle. Le temps de zieuter le stand de Wild Records, l'espace est envahi par des hordes de danseurs.

 

 

Va falloir se les fader durant près de trois heures. Pénible. Ce n'est pas qu'ils dansent mal – il est certain que la plupart fréquentent les cours de danse - mais donnent l'impression de suivre un entraînement de gymnaste. De tous âges ils se prennent tous trop au sérieux. S'exhibent plus qu'ils ne prennent du plaisir. Le rock'n'roll est en train de devenir une danse de salon. Se fait récupérer par les milieux semi-friqués de la petite-bourgeoisie qui prend le train à l'arrêt de la rébellion sans danger, soixante ans après Bill Haley.

 

 

ROY THOMPSON & THE MELLOW KINGS

 

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Du monde sur la scène. Basse, batterie, piano forment la deuxième ligne d'attaque. Roy Thompson est au centre, cravate et guitare rythmique au cou, guitariste gretsch à sa droite, souffleur de sax à sa gauche. Tous des jeunes – Roy est l'aîné, c'est lui qui drive la barque – mais les autres souquent comme des fous. S'amusent. Ont autant de plaisir à jouer que nous à les écouter. De joyeux drilles. Avec Jean-Pierre Cardot au piano, l'on comprend que l'on ne va pas s'ennuyer. Larrons en foire et rires de bossus. Les trois du fond n'en ratent pas une. N'en finissent pas d'échanger des coups d'oeil complices. Se surveillent. Chacun en rajoute un peu au dernier moment, manière que les deux autres se sentent piqués au vif et veuillent à tout prix avoir la dernière note.

 

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Devant c'est la danse des sax. Un seul souffleur mais deux appareils, en change à chaque morceau. Doit les laisser refroidir car il en sort un son brûlant qui vous ramone la colonne vertébrale. Pas besoin de section de cuivres. Fait autant de bruit qu'une fanfare à lui tout seul. Un sirop de glucose épais, onctueux à souhait. L'on en mangerait, nous enveloppe, nous enserre, nous colle à la peau comme une tunique de Nessus. Difficile de l'enlever.

 

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A peine avez-vous trouvé votre équilibre mental que tout se déglingue au-dedans et au-dehors de vous. Le combo change de vitesse. Dérailleur en folie. A l'intérieur du même morceau, et de morceau à morceau. Du jump au boogie, du rhythm and blues pur Harlem au jazz le plus syncopé. Grand orchestre mais aussi subtilités harmoniques. Pas le temps de s'attarder, un riff de rock'n'roll et c'est reparti pour la folie noire.

 

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Avec un batteur qui bouscule tout le monde. Un homme orchestre, de grands gestes à la Stravinsky dirigeant l'Oiseau de Feu. N'est pas établi sur une ligne rythmique qu'il rebondit ailleurs, surtout pas dans la direction précédemment infléchie. Retombe toujours sur ses pattes comme un chat qui fait semblant de tomber du toit. Vous rattrape tout son monde au dernier moment et ça a intérêt à filer droit.

 

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Y en un autre dans son coin, et sous son chapeau, qui nous joue une drôle de musique. Normalement c'est le dernier truc que l'on entend dans un combo de rhythm and blues, c'est juste pour les gimmicks à la fin des lignes rythmiques, le couinement sympathique qui nous annonce que l'on vient de terminer une séquence et qu'une autre va tout de suite commencer, et ensuite l'on joue en rythmique pour ne pas se faire remarquer, c'est d'ailleurs de ce retrait que sont nés le groove et le funk, mais les Rois Moelleux ne sont pas pour rien affiliés à la scène rockabilly. La guitare ne saurait être un simple instrument d'accompagnement. Faut qu'elle prenne le devant de la scène. Ecoutez-moi, c'est moi qui suis la reine.

 

 

Le sax souffle, mais la Gretsch nous époustoufle. Damned, en voici un qui a dû s'endormir au premier carrefour. Touche pas comme un demi-manchot. Nous douche de stupeur. Pour qu'il n'y ait pas d'erreur, il nous déboule un instrumental d'Ike Turner à vous rendre malheureux pour le reste de votre vie. N'avait pas atterri au studio Sun par hasard, the great Ike. Ce mec a contribué à la naissance de la guitare rock aussi bien que Graddy Martin ou Link Wray, et notre guitar héros de la soirée nous restitue la panoplie en entier. Ira jusqu'à mordre les cordes à la Charlie Patton. Superbe. Chapeau bas. Rien que pour cela, l'on n'est pas venu pour rien. Vous auriez entendu ce ronflement de Spitfire que tout comme moi, vous en deviendrez lyrique.

 

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Mais avec Roy Thompson vous n'avez pas le temps de vous appesantir. Personne ne s'octroie une pause pipi et c'est reparti pour un tour. Toutes les cinq minutes, Jean-Pierre Cardot vous pète un cardan, et le grand escogriffe une durite sur sa caisse claire. Charivari non remboursé par la sécurité sociale, le pauvre piano bastringue doit subir une révision générale après chaque concert, ces touches d'ivoire ne vont pas faire de vieux os... N'y aura même pas besoin d'un rappel. Roy se contente de préciser qu'ils reviendront plus tard pour accompagner Lil' Gizelle. Personne ne rouspète, ont trop donné pour que l'on pense à demander du rabe. L'on est comblés, comme des roys.

 

 

UN BEMOL

 

 

Ca chauffait un peu. Beaucoup même. Entre deux titres Roy a demandé trois bières. Pour six gaillards recouverts de sueur. Elles tardaient à venir... Quatre ou cinq morceaux plus tard réitération de la demande. Ce coup-ci un quidam du staff s'est précipité. Vous avez tout faux. Ce n'était pas pour emmener tres cervezas muy frescas. D'abord les tickets de rationnement. Set interrompu. Les musicos ont dû fouiller dans leurs poches pour trouver le sésame liquéfiant. Quelle générosité ! Quel respect des artistes ! C'était organisé par la Baronne de Panam'.

 

 

LIL' GIZZELLE

 

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Roy Thompson et son combo n'attendent plus qu'elle. Se démène comme des fous pour lui ménager une entrée tonitruante. La grande star arrive. Pas plus d'un mètre cinquante, sur boots à talons hauts. Sourire carnassier aux lèvres. Vingt-quatre ans et l'allure d'une insupportable gamine. L'on sent tout de suite l'enfant gâtée, la môme capricieuse, l'irréductible créature qui n'en fait qu'à sa tête, l'égo débordant sur les côtés comme un sombrero mexicain. Un charme fou. Des bras de camionneurs tatoués comme la Chapelle Sixtine, exquise et potelée, une jupe lamée qui arrondit sa cambrure, une poitrine de rêve, naturelle et féminine à l'excès, une présence. Une femme dans tous ses atours. Sans complexe.

 

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L'arrive un verre de tisane à la main. De l'autre elle s'empare du micro et met tout le monde KO dès le premier hurlement. Un coffre. De pirates rempli de merveille. L'est enrouée mais pas muette comme une carpe. Elle jette et elle s'époumone. Les Mellow lui tricotent une chasuble d'or. Un peu de mal pour les contrechants, l'on sent que d'habitude elle doit monter beaucoup plus haut. L'on ne regrette même pas. S'excuse de son coup de froid. Mais depuis qu'elle est sur scène c'est plutôt le coup de chaud. L'est à trente pour cent de ses possibilités, mais bien au-dessus de la plupart. Et puis il y a cette indolence tranquille, ce sourire ravageur, de petite fille candide qui quoi qu'elle fasse sait très bien que tout lui sera pardonné.

 

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Déjà sur scène ils sont tous à ses pieds. Roy Thompson qui la domine de sa grande taille la surveille comme si c'était la première merveille du monde. La protègent comme une rose fragile alors que l'on comprend qu'elle est capable de se défendre toute seule. Elle entonne un chant de guerre, se ruent derrière elle à toutes pompes, ah ces nappées de saxophone, et plaf, elle lève le bras, et tout s'arrête, et se brise, et s'écroule, et se reconstitue par miracle sur un rythme, un ton différents.

 

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Lui mangent dans la main. Ne savent pas quoi faire pour lui complaire. Taquine, mutine, coquine, elle les aguiche un par un, et chacun se sentant pour un moment le roi élu de la fête, souffle, gratte, tape à s'en faire péter la sous-ventrière. M'étonne qu'il y ait une majorité de filles jeunes massées devant la scène, viennent prendre des leçons ! Le tout n'est pas d'être la plus belle, mais la plus vindicative, suffit de vouloir pour être la maîtresse de l'univers. Elle en profite, entre deux lampées de tisane elle ordonne les soli. Pas de jaloux, chaque musicien repassera plusieurs fois, et tous essaient de se surpasser. Seul Roy Thompson échappe à la corvée. Tient le rôle du traducteur. Ne comprend pas tout – nous, rien – alors il raconte la semaine de fous qu'ils viennent de passer avec elle durant cette tournée européenne. Ils en ont bavé, mais n'auraient pas donné leur place pour un empire. Est aussi une adepte de l'auto-médicamentation, elle s'administre de temps en temps des petits verres de téquila, et lorsque l'on voit son sourire l'on a l'impression que ça nous fait du bien.

 

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Une majorité de morceaux de Lavern Baker dans son répertoire, rhythm and blues certes mais qui penche du côtés du screamin'rock. Elle n'a pas pu tout donner, mais nous on a tout pris. Jusqu'à la dernière miette. Ce n'est pas un hasard si elle est la vedette féminine du label Wild Records. Pas vraiment des mollusques chez Wild Records. Enregistrent un maximum de chicanos, des colériques, des excités, qui crient leur hargne et leur rejet. Sont un peu les nouveaux noirs des States, des citoyens de seconde zone qui ont des comptes à régler avec la vie.

 

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Lorsque le set s'est terminé. N'y a plus beaucoup de monde. Les danseurs se sont éclipsés. Sont fatigués. Ils aiment secouer leur popotin sur des musiques rythmées, mais il ne faut pas que ça leur monte au cerveau. Ne veulent surtout pas réfléchir sur la signification de leur hobby stérile.

 

 

J'ai oublié de raconter la meilleure : à un moment Lil' demande à ce qu'on lui apporte un deuxième thé chaud. Flottement dans l'organisation, un employé s'empare du micro et explique que pour y avoir droit, il faut d'abord donner un ticket boisson. Réaction outragée du public. La Baronne comprend que cette intervention peu aristocratique ne fleure pas la générosité. Reviendra avec une carafe. Perso, si j'avais été Lil je me serais cassé aussi sec. J'ai du mal avec la pingrerie. Ce n'est pas une constituante de l'esprit rock. Peu rancunière Lil' nous octroiera tout de même faire deux morceaux au rappel. Prenons-en de la graine. De violence.

 

 

Damie Chad.

( Photos de Edonald Duck prises sur le facebook des artistes )

 

 

Blue Cheer, ça déchire

 

 

On a une petite actualité Blue Cheer, oh pas grand chose, mais tout de même de quoi replonger dans le monde à part de Dickie Peterson : la parution de «Blue Cheer 7» (l'album perdu) et d'un DVD, «Blue Cheer Rocks Europe», qui propose un concert enregistré pour l'émission Rockpalast, en Allemagne.

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Pendant plus de quarante ans, Blue Cheer a su conserver son statut de mythe du rock américain. Cherchez bien, vous n'en trouverez pas des masses qui ont su tenir la distance et rester fidèles à leur vision et donc à leurs fans. Comme le confie Dickie Peterson au cours de la longue interview incluse dans le DVD, Blue Cheer constituait sa vraie famille, puisque ses parents étaient morts quand il était encore très jeune. On le considère comme l'inventeur du heavy rock. Il suffit d'écouter ou de réécouter «Vincebus Eruptum», le premier album de Blue Cheer, pour comprendre ce que Dickie Peterson entendait par heavy rock. En réalité, il envisageait le rock comme un pilonnage d'accords de blues et une saturation extrême du son. Il se situait aux antipodes du son West Coast, gracile et aérien comme un papillon. Dickie préférait une bonne charge de mammouths. Son jeu favori consistait à enfoncer les clous à coup de masse, vous savez ces grosses masses qu'on utilise sur les chantiers pour cogner sur les clés de frappe et débloquer les écrous des couvercles d'échangeurs. Dickie Peterson ne raisonnait qu'en termes de puissance et de décibels. Les groupes de San Francisco cultivaient la dentelle florentine, le psyché bucolique. Dickie ne rêvait que de trous d'obus et de façades écroulées. Dickie Peterson avait une vision du rock tellement à part que son groupe se retrouva rapidement isolé. (On leur reprochait d'être «too loud and too simple» - trop bruyants et trop primaires). Quand on lui demande quels sont ses meilleurs souvenirs de concert, il cite aussitôt un concert au Grande Ballroom de Detroit en compagnie du MC5. Au moins, ceux-là parlaient le même langage.

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Depuis la parution du premier album, les coups de chapeau se sont multipliés, surtout de la part des malheureux hardeux qui ont besoin de se raccrocher à des noms pour légitimer leur démarche. Alors, ils sont unanimes pour dire que Blue Cheer a inventé le heavy metal, sauf que Blue Cheer n'a rien à voir avec le heavy metal. «The Hunter» n'a jamais été un morceau de heavy metal, mais un morceau de heavy blues. Comme Lemmy, Dickie Peterson insiste sur la distinction. Il joue du rock'n'roll et ça n'a rien à voir avec le fucking metal.

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D'ailleurs, dans l'interview, Dickie Peterson s'amuse bien avec ces histoires de parrainage. Il revendique l'invention du punk-rock et aussi du grunge. Force est de constater qu'il ne raconte pas d'histoires. Blue Cheer se retrouve bien à la source des vagues les plus agitées de l'histoire du rock.  

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Quarante ans, c'est long pour un groupe, surtout quand on y consomme énormément de drogues, comme c'était le cas chez nos trois amis de Blue Cheer. Après les deux premiers albums, la qualité va chuter et on les perdra de vue pendant vingt ans, en gros jusqu'à 1999, date de la parution d'un album enregistré live au Japon (et paru sur le label japonais Captain Trip) : «Hello Tokyo, Bye Bye Osaka», véritable résurrection de la Bête. Si on ne sait pas ce que heavy signifie, alors il faut écouter «Babylon», le morceau qui ouvre le bal. Sur cet album singulièrement ravageur, on a des morceaux de quatre minutes qui prennent leur envol comme des prédateurs d'acier noir dans un ciel embrasé. Blue Cheer inspire une sorte de terreur sacrée. Ce n'est pas un groupe qu'on admire, oh que non ! C'est un groupe qu'on vénère en tremblant. Hormis Monster Magnet, aucun groupe ne sonne comme Blue Cheer, aujourd'hui. Sur «The Hunter», la guitare d'Andrew 'Duck' McDonald et la basse de Dickie Peterson sont en saturation maximale, bien au-delà des normes autorisées. Dickie Peterson mitraille à coups de basse comme s'il était un fantassin de la Wermarcht acculé aux murailles de Stalingrad par une division de mongols cannibales. Ça devient hallucinant de violence carnassière. On pousse des aaahhhh ! et des uuuhhhh ! tellement on est emballé par toute cette démesure frénétique. Il faut avoir entendu un morceau comme «Girl Next Door» une fois dans sa vie pour comprendre ce que peut vouloir dire Richard Burton quand il évoque le musc nacré de l'Islam. C'est vrai que Peterson chante souvent en hurlant, comme si ses nerfs lâchaient, mais comment pourrait-on lui en vouloir ? Franchement, c'est impensable. S'il hurle, c'est qu'il en a besoin. Blue Cheer déverse ses tonnes de décibels sur la gueule des Japonais. C'en est presque comique ! Le solo de McDonald se répand comme de l'or liquide dans un vacarme assourdissant. Blue Cheer se situe au-dessus des lois. La guitare traîne en larsen sur les tap-tap de Paul Whaley et le gros riff de «Summertime Blues» vient tout écrabouiller. Aucun groupe n'a un son aussi atomique, au sens de la bombe. C'est tellement ravageur que ça en devient ubuesque. «Ankya very much !» Bon prince noir des galaxies acides, Dickie Peterson salue une audience japonaise complètement tétanisée. «Out Of Focus» ! C'est encore plus épais, plus pesant que tout ce qu'on ira imaginer. Plus sauvagement sombre, plus dramatiquement abyssal, plus génialement plombé que toutes les énormités du Vanilla Fudge.

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Dans un numéro de Classic Rock de décembre 2003, Dickie Peterson donnait une interview assez cocasse. «Les seuls avec lesquels ça gazait bien, c'était Big Brother And The Holding Company, qui s'habillaient comme nous, c'est-à-dire comme des hors-la-loi. Paul Whaley s'est tapé cette poufiasse de Janis (Joplin) pendant un bon bail. Ils restaient des journées et des journées entières à baiser comme des lapins dans un terrier. Alors des fois, il fallait que j'entre dans la piaule en fracassant la porte pour sortir la bite de Paul du cul de Janis, comme ça, plok !, le traîner jusqu'au van et filer à toute bombe, car nous avions un engagement des Hell's Angels pour un concert, et là terminé la rigolade, umph !» Plus loin, il répond à une autre question : «Quoi ? Hein ? Excusez-moi, je suis un peu sourdingue ! D'où vient le blaze de Blue Cheer ? C'est une bonne question ! Voici la réponse. Blue Cheer, c'est une fabrication spéciale de LSD d'Owsley Stanley». Il précise ensuite que le Magic Bus des Merry Pranksters était garé dans la cour. Dickie raconte qu'il commençait par s'envoyer une tablette, puis, comme il s'habituait facilement à tous les excès, il passait à deux, puis à trois et il finissait par en croquer neuf comme ça, comme d'autres croquent des tablettes de chocolat. Dickie peut se vanter de s'être goinfré d'acides et d'héro. Un vrai gosse. Le journaliste le branche ensuite sur la basse. C'est vrai que personne ne joue de la basse comme lui, en larsen, en feedback, en distorse et en accords. «Qui ? Hein ? Quoi ? Ah oui ! Lemmy Kilmister ! C'est le seul qui hurle et qui joue de la basse comme moi dans un trio tremblement de terre. On s'est rencontrés. On a parlé. Ugh !» En vrai ostrogoth, Dickie admire très peu de gens. Les rares qui recueillent son assentiment, c'est Jimi Hendrix ainsi que le Jeff Beck Group du temps où Rod Stewart occupait le poste de chanteur. «Le Jeff Beck Group, ouais, parce qu'ils sont passés comme une tornade à San Francisco. Hendrix, pour sa prestation nucléaire à Monterey où je ne suis pas allé, parce que ce soir là, j'avais invité une gonzesse avec des miches pas possibles chez moi. Au milieu du salon, il y avait une cheminée. J'ai mis le feu à deux ou trois billes de séquoia et on s'est retrouvés à poil tous les deux sur la fourrure du grizzly. J'étais en train de la défoncer en levrette quand soudain une trombe d'eau froide m'a coupé la chique. C'était ces abrutis de pompiers qui ont d'abord essayé de sonner à la porte, mais la musique était trop forte, alors ils ont éteint l'incendie en balançant de l'eau par le toit dans la cheminée». Dickie est mort de rire. Arf Arf. Plié en deux.

 

Le concert enregistré pour l'émission Rockpalast date de 2008. Paul Walhey est encore là, alors que Dickie le disait très malade, dans l'interview de 2003. Dickie porte un T-shirt Pirates (sans doute en l'honneur du groupe de Mick Green) et des lunettes noires sous sa crinière de vieux lion de la West Coast. Il porte aussi des bagues, des bracelets, des tatouages, un anneau des frères de la côte à l'oreille et il mâche un chewing-gum, ce qui est très pratique quand on chante. On voit des Jolly Roger sur les amplis. Dickie chante du gras de la glotte, comme le capitaine Flint, jadis, lorsqu'il hurlait ses ordres dans la tempête, au passage du Cap Horn. Il annonce «Parchman Farm», and it goes like this. On voit jouer l'inventeur du garage psyché. Blue Cheer, c'est aussi sacré que les Stooges. Andrew McDonald part en solo de wha-wha, comme au bon vieux temps. McDonald, nous dit Dickie dans l'interview, fait partie de la famille : il joue dans le groupe depuis vingt-deux ans (Par contre, pas un mot sur Leigh Stephens). Ils passent tous leurs classiques à la casserole et envoient une version honorable du «Summertime Blues» qui les a rendu célèbres. Ils jouent ce vieux classique avec la même énergie. Dickie annonce «Doctor Please» : «Il y a une rumeur qui dit que c'est une drug-song. Je veux en finir définitivement avec cette rumeur. C'est vrai... It's a drug-song !». Ils terminent leur set avec leur version de «The Hunter» qui est dix mille fois plus lourde que celle de Free. D'ailleurs, quand on y repense, Paul Kossof se coiffait comme Dickie Peterson, avec de grands mèches de chaume loin devant le visage. Pour cette version ultime de «The Hunter», Dickie va chercher au fond de son gosier des accents gutturaux qui font la grandeur du morceau.

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Pour choper «Blue Cheer 7», pas d'autre solution que de le commander chez Bomp, comme au bon vieux temps. C'est un petit label texan nommé ShroomAngel qui s'est chargé de la besogne de réédition, et les liner notes sont signées Eric Albronda, premier batteur du groupe devenu par la suite leur producteur. En 1978, le groupe n'existait plus. Après six albums, Mercury-Phillips avait lâché le groupe. Mais rien ne pouvait arrêter Dickie. Il voulait redémarrer Blue Cheer coûte que coûte. Il le fit avec le guitariste Tony Rainer et un batteur nommé Michael Fleck. Dickie décida de repartir sur la voie du premier album et de revenir aux sources : le heavy blues.

 

Ils ouvrent le bal de l'album «7» avec une nouvelle version de «Summertime Blues». Joli shoot de heavy blues avec «Take Me Away», un cuissot de heavy bien gras, comme on les aime. C'est la face B qui va réserver son lot de belles surprises. Après une version outrancièrement psychédélique de «Out Of Focus», on tombe sur «Starlight», une petite pop-song montée sur un gros drive de basse. Joli coup. Une autre surprise arrive à la suite avec «Child Of Darkness», une superbe pièce de pop psyché jouée en cocotte et agrémentée de ponts superbes et très mélodieux, comme le jardin de Claude Monet à Giverny. La surprise est de taille car on ne s'attend pas du tout à trouver des morceaux de cette qualité chez un groupe comme Blue Cheer. Non pas qu'il faille les considérer comme des bas du front, mais leur fonds de commerce, ce serait plutôt l'assommoir. D'ailleurs, ils ramènent la grosse Bertha pour «Blues Cadillac». 

 

Dickie Peterson a de sacrés points communs avec deux autres héros : Lemmy et Ron Asheton. Comme Lemmy, il est féru d'histoire. Lemmy se passionne pour la Seconde Guerre Mondiale et il dévore pas mal d'ouvrages très pointus sur la question. Il s'en est même fait une spécialité et comme beaucoup de gens très cultivés, il explique le monde contemporain à la lumière de l'éclairage historique. Dickie lui s'intéresse à l'une des sciences de l'antiquité, l'égyptologie. Quand le groupe tourne en Europe, il disparaît pour aller fureter dans les musées.

 

Le point commun avec Ron Asheton est beaucoup plus macabre. Ils sont morts tous les deux en 2009 (Ron, crise cardiaque et Dickie, petit cancer). Deux d'un coup. La nuit, quand le vent se lève, on entend rire la Grande Faucheuse, là-bas, au fond de la vallée. 

 

 

Signé : Cazengler, triste cheer

 

Blue Cheer. Vincebus Eruptum. Réédité par Sundazed en 2010

 

Blue Cheer. Outsideinside. Réédité par Sundazed en 2010

 

Blue Cheer. Hello Tokyo, Bye Bye Osaka. Captain Trip 1999

 

Blue Cheer. Rocks Europe. Live at Rockpalast. DVD 2009

 

Blue Cheer. 7. ShroomAngel Records 2012

 

 

 

NON! de Dieu !

 

 

Allons donc ! Un disque dédicacé à Léon Bloy ! Avait-on déjà vu chose pareille ? Pas encore. Personne n'osait. Et pour cause.

 

Une dédicace de la sorte mérite qu'on lève son chapeau car elle révèle l'homme de goût... Un goût d'exterminateur de lieux communs et de pourfendeur de médiocres, par exemple. En fier disciple de Léon Bloy, le dédicaceur pourrait comme lui claironner : «Tous vous diront que je suis un monstre et qu'il n'y a pas de moyen d'échapper à ma dent féroce.»

 

Le dédicaceur s'appelle Didier Balducci. Baldu pour les intimes. Un Niçois qui voit la fuzz et la provocation comme les deux mamelles de l'hédonisme. On le retrouve dans trois groupes : les Dum Dum Boys dont la réputation n'est plus à faire, Die Idiots et NON!, qui est logotiquement parlant un dérivé de NEU!, l'âpre krautrock band d'antan.

 

Du coup, ça représente pas mal de disques, dans des genres différents : Dum Dum Boys, quintette à deux guitares avec des morceaux chantés en anglais et abondamment nappés de fuzz, Die Idiots, trio fuzzy qui propose aussi des choses en anglais, dans une veine similaire, et NON!, duo qu'on pourrait qualifier d'electro-pop, qui chante en français, mais qui par son énergie et sa fraîcheur de ton va beaucoup plus loin que les mièvreries artistement chroniquées dans les torchons parisiens.

 

Il faut donc aller farfouiller. Mon ami le vénérable Professor Von Bee m'ayant mis sur leur piste, j'y suis allé franco, appâté par «Je M'en Fous», un morceau fabuleux niché sur le second album de NON! Les curieux ne seront pas déçus. Loin de là. Baldu fait partie des gens qu'il faut suivre à la trace, car il est comme le lait oublié sur le feu, il déborde d'idées géniales. À sa façon, il incarne dans notre beau pays le pur esprit rock, et c'est tellement peu fréquent qu'il faudrait pouvoir le beugler sur tous les toits.

 

Commençons par l'album des Idiots. On y trouve Soulsheik des Dum Dum Boys au chant, et deux guitares fuzz tenues par Didier et Nitric Flash Dave. Le recto de pochette emporte la palme de l'ésotérisme le plus hermétique, puisqu'il s'orne d'un aimable trait lumineux, mais au dos, on peut apercevoir nos trois gaillards solidement attablés. Quelques objets encombrent la table, comme par exemple un ouvrage en anglais traitant de l'usage des drogues au cinéma, un CD de Neil Young, un autre CD qui est un Best Of de Burt Bacharach, un paquet de cigarettes, un petit tas de tabac en vrac et une pétoire de gangster, histoire de rappeler que les Idiots ne sont pas des plaisantins. Ils portent tous les trois des lunettes noires et affichent des mines claquemurées de croque-mitaines acariâtres. L'auto-dérision imprègne tellement cette image qu'on sent bien que ce disque échappe à l'ordinaire. Et de là à l'écouter, il n'y a qu'un pas qu'on franchit allègrement. 

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Les amateurs de bombes se pourlécheront les babines. On en trouve au moins trois sur ce disque, et des bien grosses. Rien qu'avec le premier titre, on est grassement récompensé d'avoir extrait l'album du bac où des toiles d'araignées commençaient à le couvrir. «You're Nothing New» sonne comme un authentique Detroit-rock en suspension, l'un des ces vieux rocks qu'on voyait tituber dans les ruisseaux qui firent les grandes rivières sans retour. Il faut les voir se jeter tous les trois à corps perdus dans le second couplet ! Du coup, nous voilà aux aguets pour la suite. Le second titre percute moins, mais une menace bourdonnante et affreusement permanente le hante. Ah la permanence ! Que deviendrions-nous sans elle ! La deuxième bombe se niche au bout de la face A. «Bad Trip» saute à la gorge, comme une giclée indus d'Al Jourgensen et ça embraye avec le riff stoogien de «1969», ce qui donne une précieuse indication sur la pureté des intentions de nos Idiots. Ils emmènent le bad trip jusqu'aux frontières de la mad psychedelia. It's a bad trip ! Ils ont du souffle et on raffole non seulement du souffle en tant que tel, mais aussi des groupes qui ont du souffle. Sur la face B se tapit une pernicieuse reprise des Stones («Miss You») et une autre bombe, «Come On», le genre de morceau un peu allongé qui peut éveiller dans certaines cervelles le souvenir des Black Moses et des Spacemen Three. Dans l'interview accordée à Dig It, Didier qualifiait le son des Die Idiots de fuzz rock trash. Au moins, c'est précis.  

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Avec les Dum Dum Boys, on reste dans un univers parallèle. L'excellent Soulsheik (Karim Badi) préside aux destinées vocales du groupe, mais attention ! Un démon œuvre sur ce disque. On le nomme dans les messes noires Erik 'Guy Pop' Fostinelli et il joue de la basse. On l'entend faire des ravages sur «Feelin' Motown» et «Jukebox Jesus». Rien de tel qu'un bon drive de basse pour embarquer un morceau. On se souvient des exploits de Chas Chandler dans les Animals. Il pétaradait avec une belle insolence et multipliait jusqu'à la nausée les figures de style. Avec ce coup de chapeau au Motown Sound agrémenté d'un solo de guitare parfaitement idoine, les Dum Dum Boys réussissent leur coup. Pour ceux qui aiment soigner la bande-son de leurs trajets routiers, «I Remember» est une pièce de tout premier choix. Ce mid-tempo entêtant est parfaitement indiqué pour la route. En l'écoutant, on voit défiler les paysages. «Speedin'/Come Down» se présente comme un assaut punk. On sent l'haleine chaude des juments, par un petit matin de janvier, sur la plaine d'Eylau, juste avant que ne sonne le clairon de charge. Juste après l'assaut, vous trouverez une méchante bombe : «Five Fingers And A Brain», qui renvoie aux grandes heures des Mary Chain. Quelle ampleur ! Voilà un morceau mélodiquement parfait et bourré de fuzz. Il claque au vent comme un classique. On croirait entendre l'un des hits des frères Reid, mais non, c'est un effarant classique des Dum Dum Boys, hautain, élégant et dévastateur, porté par le génie du gimmickage fuzz, five fingers et des pam-pam-pam qui évoquent les dérives mortifères de «Darklands».

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Un nouvel album des Dum Dum Boys vient tout juste de sortir : «Alive In The Echo Chamber». On y retrouve les mêmes caractéristiques que sur l'album précédent. L'ensemble tient admirablement la route et on tombe de temps en temps sur de vraies bombes. «The Fuzz», par exemple, qui ouvre le bal. Le morceau sonne comme un hit glorieux. Sur «A Girl Like You», vous entendrez la basse entrer dans le morceau après le chant. L'effet en subjuguera plus d'un. Le morceau file tout droit, de façon admirable, comme certains exploits des Cosmic Psychos. Le son de la basse est incroyablement beau, bien sourd, et un killer solo vient rompre la mécanique du tout-droitisme. C'est tellement inspiré qu'on retrouve là encore la veine des Mary Chain. «The Endless Boogie» allume aussi le plafonnier, avec une entrée de la basse au deuxième tour et une tension perpétuelle alimentée par de discrets panaches de guitares incendiaires. Peu de gens se risquent à de tels subterfuges. On se réjouit d'une telle audace.

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Retournez la pochette du premier album de NON! Vous y trouverez Didier et Karyn, aussi allongés qu'ils sont élégants. Karyn attaque «Je Suis Une Fille» d'une voix d'ingénue desaxée : «J'ai une chatte et un cerveau !» Excellente introduction au monde désenchanté des NON! Karyn fait sa Bardot dévoyée et Didier pulse le beat avec un art consommé. Par leur énergie, ils évoquent les Stereo Total qui savaient eux aussi embraser les imaginations (voici quelques années, des promoteurs peu scrupuleux commettaient l'erreur de programmer Stereo Total en première partie de certains concerts parisiens - le public était singulièrement miséricordieux car il tolérait les malheureux groupes qui osaient monter sur scène après Stereo Total - les Strokes, par exemple).

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Le premier album des NON! grouille de gemmes rares : une sublime apologie de l'ennui («Tu M'ennuies»), un hommage au bubblegum monté sur un petit tempo scélérat («J'écoute Du Bubblegum»), une ode au désordre mental fagotée comme un gros jerk bas sur pattes («Stoned»), une parabole érotique de la meilleure eau («Canapé») et un pamphlet virulent, digne de Léon Bloy, visant cette infamie qu'est le monde de la pop-music conditionnée («C'est Ça La Pop Musique ?») Admirable de verdeur punitive. Avec une telle maîtrise du coup de hache, Didier Balducci peut largement se prévaloir de cette pensée bloyenne : «Je le confesse, il n'est pas en mon pouvoir de me tenir tranquille. Quand je ne massacre pas, il faut que je désoblige. C'est mon destin. J'ai le fanatisme de l'ingratitude.» La face B renferme aussi un joli lot de surprises : texte de qualité serti sur bourdonnement d'abeille solidement charpenté («Jamais»), apologie des intrusions coquines («Partout»), brillant hommage baudelairien à Elvis («Paradis Artificiels»), sommet du neurasthénisme provocatoire («Comme ça») - «Je crache sur la tombe des chanteurs morts/ Et je crache à la gueule de ceux qui vivent encore/ Je sais pas pourquoi mais c'est comme ça.» Et vous finirez par la septième merveille du monde, «Quatre Accords Et Une Mélodie», brillant exercice de style dans lequel Karyn chante les quatre accords d'un tube qui réveillerait les morts. Et c'est là qu'on se frappe la paume : Bon dieu, mais c'est bien sûr ! Didier Balducci, il a du génie !

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Le second album de NON! labourera encore plus profondément les cervelles. Il fait partie de ce qu'on pourrait appeler les disques parfaits. Aucun déchet ne souille cet album. Nos mâchoires se décrochent dès le premier morceau qui s'appelle «Plus Rien». En entendant l'intro, on croit que c'est pour rire, comme chez Taxi Girl, mais une grosse couche de fuzz nous tombe dessus. On passe de la rigolade au vrai jerk et on file danser au Bus Palladium jusqu'à l'aube, les cheveux dans les yeux et les muqueuses en émoi. «Si Tu Savais» ressemble à un hommage à Suicide. On redanse de plus belle dans le dérèglement prismatique que suggère le stroboscope. Les NON! nous offrent le meilleur disque de danse des temps modernes - «Si tu savais qu'il y en a eu d'autres avant/ et d'autres après/ et même pendant !» Karyn ne vous lâchera plus. La féline miaule, wouahh, et ondule dans la lumière blanche. Des reflets psychédéliques dansent sur la peau de ses cuisses. Impossible de rester assis dans une banquette. Avec «Extasie», on se retrouve avec une merveille digne de Stone et Charden, c'est du pur sixties sound taille basse, riffé à la sauce de la rue Fontaine. Karyn fait sa BB sous acide et allume tous les lampions - «Quelque chose de chimique ! Il n'y a que défoncée que je peux supporter la réalité» - c'est du Velvet chocolaté arrosé de fuzz bien rose. Et c'est là que votre destin va basculer : avec «Je M'en Fous», ces deux démons réinventent le nihilisme et la barbe de Bakounine dégouline de fuzz. Et là, une fois de plus, on crie au génie - «et vomir enfin/ le dimanche matin» - Elle clame qu'elle n'aime pas le travail, ce qui devrait plaire à Pierre Carles. Notons l'intrusion démoniaque de la fuzz à un certain moment. La face A s'achève avec «Tout Est Fini», zébré d'éclairs violents et mauves, installé sur une parfaite assise de fuzz, doté d'un beat dressé et lézardé. Voilà que point le matin et les corps tanguent encore, mollement pulsés par un beat turgescent. La face B emportera la bouche aussi sûrement que le piment de Cayenne qu'on vient de croquer accidentellement. «Pas La Peine» élève la guitare trash au rang d'art suprême. «Le Disco» envoie de longues giclées de fuzz dans la raie offerte du vieux disco. «C'est Ça L'amour» évoque les méandres bourbeux de la vie conjugale, «les surgelés chez Picart», et élève Didier et Karyn au rang de Stone et Charden du trash, comme s'ils s'étaient volontairement john-waterisés. Ils mettent un terme à l'hallali avec «La Mécanique De L'amour», un pamphlet organique - «le spermatozoïde, c'est comme le saumon, c'est con» - qui bascule dans l'héroïc fantasy et qui par certains côtés renvoie à l'abyssale plongée du Léo Ferré verdâtre d'«Il N'y A Plus Rien» vers l'au-delà du lieu commun.    

 

Grâce au Professor Von Bee, j'ai pu entendre des morceaux de Screamplay, un 45 t solo de Karyn. Cinq morceaux décrochent violemment la timbale. Blong. Stoogerie abominable, «C'mon Everybody» nous envoie rissoler dans l'enfer du detroit-sound. Avec «Come With Me», on bat tous les records d'atomisation. On ne reverra pas de sitôt couler une telle purée, un déversement aussi pesant. C'est en quelque sorte du pachydermique enfoncé à coups de boutoir par des soudards tarasboulbiques du moyen-âge ivres de mauvais vin et de carnage. Il règne dans ce morceau une violence dont on n'a pas idée - «Everything is alright but she don't know» - c'est tellement riffé au fond du garage qu'on sent l'odeur de la graisse ambrée, celle dont on enduit les pignons des boîtes de vitesse. «I Don't Give A fuck» s'inscrit dans la grande veine provocatrice et bat tous les records d'agression sonique. Explosif et insultant ! Il y a dans ce morceau toute l'énergie de l'adolescent boutonneux qui s'arc-boute pour essayer de renverser un car de CRS. C'est le trésor trash dont a rêvé Ali Baba. Ce morceau contient une telle énergie qu'on l'entend siffler comme un boulet ramé envoyé dans la mâture d'un vaisseau amiral. Sus à l'Espagnol ! Pas de quartier !

 

Il existe encore un morceau de Screamplay qui s'appelle «Run» et qui rivalise d'ardeur avec les autres. Un courant violent l'emporte. De toute façon, il n'avait aucune chance, vu qu'il est trashé jusqu'au croupion. Complètement dévasté. Et même encore plus dévasté qu'on ne saurait l'imaginer. Rarement un morceau donnera aussi nettement cette sensation d'une course vers le néant. Il frise la démence. Avis aux amateurs.

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Le phénomène NON! n'a rien de surprenant, étant donné le niveau d'érudition de notre trashman. On ne va pas très loin si on n'alimente pas sa cervelle. Meilleures sont les nourritures et meilleures sont les productions. C'est une règle qui se vérifie chaque fois que vous entrez dans une maison remplie de livres ou de disques. On est certain de ne pas s'y ennuyer. Les bibliophiles et les collectionneurs de disques ont certes leurs petits travers, mais ils ne vous parleront jamais du temps qu'il fait. Quand Didier Balducci évoque ses rockers et ses auteurs de prédilection, il cite en vrac les noms des Cramps, de Suicide, des Stooges, des Mary Chain, de Dashiell Hedayat, du Velvet, de Monsieur Quintron, des Subsonics, de Ian Svenonius, de Joris-Karl Huysmans, de Léon Bloy - comme on l'a vu - de Jules Barbey d'Aurevilly, de Pier Paolo Pasolini, d'Orson Welles, de Pierre Clémenti, d'Isodore Isou, et de quelques autres cocos du même tonneau. Il n'est donc pas surprenant que ses disques soient particulièrement inspirés. Comme le sont ceux des Cramps ou de Tav Falco, par exemple. 

 

Alors que les Barracudas essoraient leurs chemises dans une pièce annexe du Batolune et qu'un fort vent d'Ouest fouillait les chevelures d'un public ravi et agglutiné sous un réverbère, le Professor fendit la foule jusqu'à notre petit groupe pour me remettre un cadeau : le nouvel album de NON! tout juste sorti du four, encore bien chaud et bien craquant.

 

Ce mini-album se joue en 45 tours. Il porte le doux nom de «Dé/composés» et propose neuf reprises pas piquées des hannetons. Notre apprenti-sorcier voit grand, puisqu'il ouvre un éventail qui va des Pretty Things jusqu'à la disco, en passant par des horreurs comme Elvis Costello et Cabaret Voltaire. Ces deux mets faisandés donnent justement au menu un caractère aventureux.

 

Tels deux vauriens en maraude, Didier et Karyn s'emparent d'un vieux hit magistral d'Electric Light Orchestra, «Don't Bring Me Down» et le bousculent sans ménagement. Avec une ardeur juvénile sans pareille, ils lui grillent la plante des pieds, lui arrachent tous ses secrets et le rebaptisent «À Quoi bon», le bourrent de paille et de propos nihilistes puis le plantent en plein champ les bras en croix pour le léguer à la postérité agricole. S'ensuit une reprise de «LSD» qui s'accommode d'une belle montée de la menace et qui s'affiche comme le point culminant de cette fière galette. Fidèles au rendez-vous, les deux z de la fuzz zèbrent la nuit d'un signe qui pourrait vouloir dire Tzara. Pas impossible, parce qu'on trouve de l'autre côté une reprise d'un groupe new wave nommé Cabaret Voltaire. Ce groupe tire son nom de l'endroit mythique où s'illustra Tzara, au temps où il séjournait encore à Zurich. On est hélas loin - pour ne pas dire aux antipodes - du noir cacadou et des poèmes chimiques. Et même si Karyn chante «Non Non Non» avec une adorable voix de canard, on sent la présence détestable du «Nag Nag Nag» new-waveux. Fort heureusement, nos deux vauriens en maraude reviennent à dada par la bande, car leur petit train tcootchoote à travers les Alpes sous l'œil torve d'une tome de chèvre embusquée.

 

Une chanson d'Ike and Tina Turner sert de vague prétexte à une apologie rigolote des drogues et avec «Plutôt Mourir», ils tapent dans la tripe disco à la mode de Caen. Voilà donc un bol de disco qui comme toujours s'accommode merveilleusement bien de la boîte à rythme. Comme toute disco, la chose tend invariablement vers l'irrésistible. Difficile de rester assis sur sa chaise. Dès le premières mesures de la chanson suivante, on reconnaît le «Pump It Up» de l'ignoble Costello, l'Elvis à deux sous stiffé sur le revers des vestes des petits punks qui avaient mauvais goût, l'Elvis incongru qui se posait comme une mouche verte sur la charogne du rock anglais. Le Pump à la mormoille devient «Mais Qu'est-ce Que Tu Veux Que Ça Me Foute». Beaucoup plus sexy, comme titre. Ils mettent ensuite les pieds dans le Devo avec «Une Semaine Chargée». Côté texte, c'est admirablement dévoté : «D'apéritif en digestif/ Je finis décontractée/ Carrément anesthésiée.» Il faut voir avec quelle trasherie goûlue elle envoie ça. Soyez certain que vous n'en perdrez pas une miette. Maintenant, les filles à la mode qui chantent du «rock» se prennent très au sérieux et on bâille aux corneilles. Ce qui ne risque pas d'arriver quand Karyn chante. On dresse l'oreille et on se marre comme un bossu. Histoire de finir en beauté, Didier tape dans Kim Salmon. «Too Much Music» sort de l'un des innombrables albums de l'ex-Scientist difficiles à localiser et que traquent inlassablement les pisteurs endurcis. Didier en fait un «Trop De Musique» dans lequel il règle quelques comptes ultimes avant de refermer sa boîte à camembert : «Tout le monde est artiste/ Tout le monde est musicien/ Moi.../ (Silence interminable)/ Pas !»

 

Comme on ne trouve pas forcément tous ces disques frais et roses chez les disquaires, le plus simple est de contacter directement Didier par mail à l'adresse indiquée ci-après. Vous verrez, c'est quelqu'un de très gentil et ses disques ont deux qualités majeures : ils sont excellents et vraiment pas chers, Nom de dieu !, comme dirait Catherine Deneuve dans «Dieu Est Un Fumeur De Havanes».

 

 

Signé : Cazengler, qui dit oui à NON!

 

NON! NON! Mono-Tone 006 - (Mono-Tone Records, The Sound of Emptiness)

 

NON! Encore Moins. Mono-Tone 010

 

NON! Dé/Composés. Mono-Tone 013 - 2013

 

Dum Dum Boys. Flash ! Trash ! Heat ! Mono-Tone 009 - 2011

 

Dum Dum Boys. Alive In The Echo Chamber. Mono-Tone 012 - 2013

 

Die Idiots. One Way Trip To Nowhere. Mono-Tone & Beast Records

 

memphismao@gmail.com

 

CROCKROCKDISC

 

 

HONKY TONK TIME. THE SUBWAY COW-BOYS.

 

 

Big River / Honky Tonk Blues / Take Me Back To Tulsa / Tonight The Bottle Let Me Down / Walkin The Floor Over You / Ramblin' Man / Take This Job And Shove It / Lonesome On'ry And Mean / Get Rhythm / I Can't Help It / Mama Tried / White Lightnin' / Rawhide.

 

 

Vocal, Rhythm Guitar : Will / Lead Guitar : Fab / Doublebass : Matt /

 

Special Guest : fiddle : Alexis Routhiau.

 

 

Recorded and Mixed : Mister Jull ( B.L.R. Studio )

 

Mastered : Jean-Pierre Bouquet ( L'Autre Studio )

 

 

subwaycowboys@gmail.com / Will +33(0) 678-396-815

 

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On les avait beaucoup appréciés en concert ( voir KR'TNT N° 146 du 30 / 05 / 13 ) à Longjumeaux, bar L'Excuse. On n'avait qu'un reproche à leur reprocher à ces étrangers qui venaient dans notre saloon préféré picoler notre sky, n'avaient même pas un disque à nous refourguer. On leur avait fait la morale à ces mauvais garçons, dans notre grande prairie parisienne si tu n'as pas un CD toujours à disposition dans ta poche revolver, c'est comme si tu n'existais pas. Z'ont retenu la leçon, la preuve nous en est donnée par cet artefact, en partie issu des studios, BLR qui n'arrête pas de tourner sur le poste depuis toute une semaine.

 

 

Maintenant les rôles sont inversés, c'est à nous de faire profil bas. Nous assènent la grosse artillerie. Bien sûr on kiffe le Honky depuis tout petit, mais là on est médusé. Certes tout le monde ( enfin presque ) peut faire le mariol dans un bar, mais sur un disque, il est impossible de tricher. Et faut avoir un sacré toupet pour s'attaquer à des monuments comme Johnny Cash, Hank Williams er Merle Hagard. C'est que dans ce cas-là le ridicule tue plus sûrement qu'une bastos de Smith & Wesson. Beaucoup tentent le coup, mais comme ils ne sont pas fous, il assaisonnent la sauce au goût rockabilly. Epice extraforte qui gomme les nuances, vous arrache la gueule et emporte votre approbation en moins de deux minutes.

 

 

Oui, mais les Subway Cowboys ne marchent pas à la mèche courte, préfèrent appuyer longuement longuement où ça fait mal, respectent l'esprit original du old country time. Un tiers de délire tarentulé, un tiers de prenante nostalgie, un tiers d'on ne sait quoi que faute de mieux nous nommerons le charme amerloque. Faut être né dans le Teenneesse pour le posséder, nous les petits froggies l'on est éliminé dès la naissance. Tous, sauf le grand Will. L'est parti neuf longues années tout seul avec sa guitare et ses grolles arpenter les States, plutôt les coins bouseux que les écoles de commerce. Autant vous dire qu'il manie la langue de Walt Withman à perfection ( bien mieux que Vince Taylor s'exerçant à chanter en français ), et ça s'entend dès qu'il ouvre la bouche.

 

 

Pourrait se suffire à lui tout seul, mais l'a trop fréquenté les juke joints pour ne pas ignorer qu'au jeu du poker menteur, lorsque l'on a un as dans son jeu, c'est encore mieux d'en avoir deux autres dans la manche. Et un dernier dans la poche au cas où. Donc Pat, le lead guitar, faites gaffe, ne montre pas sa patte à tout bout de chant, faut pas se laisser endormir par le rythme du train, vous case par-ci par là de ces petits solos de derrière les haricots à vous rendre jaloux, interventions meurtrières, ouvrez l'oreille et appréciez la précision des rafales.

 

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Itou pour Matt, faut le mater un max pour entrer dans sa mathématique supérieure. Un doigté de fée, vous monte et descend des escaliers sur talons hauts. Tap, tap, tap, ce ne sont pas de grands coups de battoirs, non des pointes fines qui l'air de rien vous charpentent un morceau et vous le dotent d'une ossature impeccable. N'y a pas de batterie pour ponctuer, mais le Patt vous fout des virgules à bon escient pour que personne ne sorte des rails.

 

 

A eux trois, ils sont parfaits. La première fois que le violon d'Alexis Routhiau – l'est là sur neuf des treize titres – s'en est venu batifoler dans mes trompes d'Eustache, j'ai fait la grimace. Vous savez ces invités de la dernière minute que l'on n'attendait pas, bon ! l'a su gagner sa pitance. N'a pas mis les coudes sur la table et s'est abstenu de faire du bruit pour manifester ostensiblement sa présence, intervient à bon escient, l'a compris qu'il était là pour souligner et pas pour mener le bal. Sert de contre-chant aux instrumentistes, met en évidence leur rudesse campagnarde par l'évidence de son glissendo plus civilisé.

 

 

La voix de Will se joue des paroles, tantôt rêveuse s'allongeant sur les syllabes comme le patient sur le divan du psychanalyste, tantôt à double-sens, complice et moqueuse, pousse la corne mélancolique de la tristesse d'un long-horn qui voit se profiler à l'horizon les abattoirs de Chicago, yodelise à souhait dans la plus pure tradition des rodéos, vous promène aux quatre coins de l'Amérique populaire, loin des fantasmes starisés du cirque rock'n'roll.

 

 

Que des reprises. La set-list est éloquente. La corde est tendue entre de hauts sommets. Bonjour le vertige. Faut se balader sur le fil en évitant le moindre faux-pas. Ne se sont pas débinés en nous offrants quelques compos originales qui n'atteindraient pas à de telles altitudes. Le résultat est étonnant. Parcours sans faute. Ne donnent pas envie de chercher dans votre discothèque les versions classiques et brevetées. L'on se contente béatement de ce que l'on nous offre, parce que c'est aussi moelleux qu'un apple pie sorti toit droit du four à pain d'une ferme de Kentucky, l'on y croque le goût âpre des vertes senteurs de l'Amérique populaire. Comme on l'aime, joyeuse et rebelle.

 

 

A consommer sans modération.

 

 

Damie Chad.

 

 

CHRONIQUES VULVEUSES

 

 

ONZIEME EPISODE

 

Résumé de l'épisode précédent : L'agent Damie Chad 009891 du SSRR ( Service Secret du Rock'n'Roll ) est envoyé de toute urgence en Ariège afin d'enquêter sur l'inquiétante entreprise terroriste de déstabilisation psycho-culturelle surnommée La Conjuration Vulvaire. Tous les faits rapportés dans cette oeuvre à enrobage littéraire affirmé sont tirés de la réalité la plus triste, les documents officiels de la justice et des gendarmes sont là pour en apporter la preuve définitive.

 

 

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La situation n'était pas presque. Elle était désespérée. Carrément. Rondement le Chef s'empressa de dissiper la pesante atmosphère de défaite qui planait en l'air.

 

 

«  Claudius, vous qui êtes un bricolo du dimanche, pardon je voulais dire un artiste génial, pourriez-vous me confectionner à l'aide d'une vrille quelconque deux petits oeilletons sur les parois latérales de ma valise roulante, juste à cet endroit-là, et de la belle ouvrage s'il vous plaît, ne salopégez pas le boulot, il est quatre heures cinquante deux minutes dix-sept secondes, nous avons le temps, ces gens-là ne se permettront pas d'agir avant six heures tapantes. Agent Chad, munissez-vous d'une balayette, je tiens à laisser cet endroit aussi propre que je l'ai trouvé en rentrant, à la moindre trace de sciure sur le sol je vous radie des cadres ! Pendant que vous vous affairez à notre survie commune, je m'en vais fumer un Coronado N° 8, la situation l'exige. »

 

 

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Six heures tapantes !

 

 

    • Hi ! Hi ! Hi ! ( je reconnus aussitôt le rire crispant du proc ), Vous êtes faits comme des rats, sortez un par un les mains en l'air, que l'on vous abatte sans rémission. Pour la cabote ne vous inquiétez pas, nous avons prévu un camion fourrière. Dès qu'elle sera à la SPA, nous nous dépêcherons de la faire piquer. C'est fou ce nous aimons les bêtes ! Hi ! Hi ! Hi !... Moins d'une seconde que j'attends, c'est beaucoup trop. Première compagnie de CRS, face au vantail droit ! Deuxième compagnie de CRS, face au vantail gauche. A mon commandement tirez lentement le battant vers l'extérieur. Bien parfait, arrêtez le mouvement, je me faufile dans l'espace de cinquante centimètres que vous avez dégagé, vous me laissez décharger mes 88 balles réglementaires, avant d'ouvrir en grand et de récupérer les cadavres. Hi ! Hi ! Hi !

 

Pas un de nous ne bougea. L'eussions-nous voulu que nous n'aurions point pu. Nous avions eu un mal fou à refermer de l'intérieur le cercueil. L'était prévu pour une place, et même en nous serrant un max, il y avait toujours la queue de Molossa qui dépassait et qui empêchait une parfaite jointure du couvercle. Le Proc s'impatientait, il tapait du pied et vociférait après les pauvres CRS qui n'y étaient pour rien. Il les envoya en hurlant fouiller le bâtiment, le rez-de chaussée et les deux étages «  Bandes d'incapables, n'oubliez pas que je les veux morts ! »

 

 

Est-il nécessaire de préciser que dans notre cercueil régnait justement un silence de mort. Nous entendions les bleus qui montaient et descendaient les escaliers en courant et qui poussaient une exclamation de découragement chaque fois qu'ils ne nous trouvaient pas dans le placard qu'ils venaient d'ouvrir pour la cent-trente troisième fois. Au bout de deux heures de courses éperdues nous commencions à trouver le temps long. Le Proc aussi.

 

 

«  Arrêtez ! Que pas un de vous ne bouge, je suis sûr que les trouve à moi tout seul en moins de trois minutes ! Laissez-moi me concentrer ! Dans la vie tout est une question de flair ! »

 

 

J'imaginais la scène, le Proc monologuant à haute voix avec autour de lui les CRS immobiles, stoppés dans leur élan, comme quand on joue à Un ! Deux ! Trois ! Soleil ! dans la cour de récréation, et que l'on reste debout sans bouger une jambe en l'air, en équilibre sur la pointe des pieds en une posture extravagante.

 

 

«  De flair disais-je donc, snif, snif, mais quelle est cette délicieuse fragrance qui s'insinue en mes narines ! Ne serait-ce point l'odeur caractéristique d'un Coronado N° 12 ! Savez-vous qu'il n'y a au monde que deux personnes capables de fumer un Coronado N° 12 sans être pris de violentes quintes de toux suivies de longs vomissements ? Quant à l'identification de ces deux individus, c'est ultra-simple : un briseur de pianos louisianais connus sous le nom de Jerry Lee Lewis, et l'espèce d'imbécile patenté qui dirigeait il n'y a pas si longtemps que cela le Service Secret du Rock and roll. Hi ! Hi ! Hi ! Un proverbe austro-hongrois déclare que qui ressent l'atroce puanteur du Coronado 12, ne tarde pas en voir la fumée... tiens, que disais-je, regardez ce cercueil rangé contre le mur. Par ces deux ouvertures latérales, n'est-ce pas la puante fumée d'un Coronado 12 qui s'en échappe ! Vous m'embarquez le cercueil dans le camion de la fourrière. Ne l'ouvrez pas, je suis sûr qu'ils tous dedans, serrés comme des sardines sans huile. Une fois au refuge, on les piquera tous les quatre ensemble ! HI ! Hi ! Hi ! »

 

 

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Quelques instants plus tard nous fûmes poussés par une cohorte de CRS tout joyeux de s'apercevoir que les roulettes de la boîte oblongue les dispensaient de tout portage jusqu'au fourgon de la SPA. Nous entendîmes les portes se refermer et la clef tourner dans la serrure.

 

 

    • Chef, quelle malencontreuse idée de vous mettre à fumer un Coronado N° 12, en de telles circonstances !

    • Votre subordonné a raison renchérit Claudius, votre triste addiction nous a conduit à notre perte ! Dire que dans une demi-heure nous serons obligés de quitter notre cercueil pour mourir ! En plus dans un chenil !

    • Wouaf ! Wouaf ! Cétait Molossa, apparemment la perspective de retrouver ses congénères l'enchantait. En sa pauvre âme innocente, elle n'avait jamais entendu parler des camps de la mort.

    • HI ! Hi ! Hi !

    • Chef, je vous en supplie, cessez d'imiter le rire idiot de 008. N'oubliez pas que si nous sommes en de si beaux draps, c'est un peu de votre faute et de votre Coronado N° 12.

    • Ah ! Soupira le Chef, tout grand capitaine est un incompris tant qu'il n'a pas apporté la victoire éclatante à ses hommes dubitatifs ! Ingratitude humaine, Ô Tempora ! Ô Mores ! N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie !

 

 

J'ai cru que sa voix allait se briser. Mais il tapota d'une main distraite le flanc de notre prison et nous demanda :

 

 

    • N'est-ce pas du du bois ?

    • Oui Chef, du chêne !

    • Du chêne que l'on abat pour le bûcher d'Hercule ! Ne comprenez-vous pas que ma prédiction se réalise. L'ennemi ramène le cheval de bois au coeur de sa forteresse. En s'emparant de ce cercueil il a signé son arrêt de mort.

 

Et le chef se mit à fredonner Whole Lotta Shakin' goin' on... La guerre de quatre pouvait commencer.

 

FIN DU ONZIEME EPISODE

 

14/11/2013

KR'TNT ! ¤ 163. CAT O' NINE TAILS / JAMES LEE BURKE / BRIAN NEVILL / NOIR DESIR / CHRONIQUES VULVEUSES /

 

KR'TNT ! ¤ 163

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

14 / 11 / 2013

 

 

CAT O' NINE TAILS / JAMES LEE BURKE / BRIAN NEVILL / NOIR DESIR / CHRONIQUES VULVEUSES

 

 

CALE SECHE / PARIS XX° / 08 - 11 – 13

 

 

CAT O' NINE TAILS

 

 

La teuf-teuf ronronne de joie, deux fois qu'elle vient à Paris à une semaine d'intervalle et elle retrouve sa place de stationnement, à croire qu'aucun véhicule n'a depuis osé fouler la trace de ses pneus. Non je ne remets pas mon Gibus sur la tête, j'ai rendez-vous à la Cale Sèche avec le Chat A Neuf Queues. Je vous en prie Mesdemoiselles, ne rosissez pas de plaisir, ce n'est pas l'ustensile ménager que vous escomptez, s'agit d'un instrument de torture, celui dont on se servait dans la marine anglaise pour fouetter le dos des marins récalcitrants. Mais peut-être avez-vous écouté un peu trop Lou Reed – actualité oblige - chantonner Venus In Furs sur le premier Velvet...

 

 

Ne dites pas que vous ne les connaissez pas : reportez-vous à notre première visite à la Cale Sèche ( voir KR'TNT N° 147 DU 07 / 06 / 13 ), Arnaud qui officie aussi dans les Lucky Gamblers est le guitariste de Cat O'Nine Tails, et le chanteur invité qui était venu balancer deux titres de sa superbe voix et qui nous avait lâchement abandonnés était en fait le soliste du chat à multi prises. Tout s'éclaire !

 

 

PREMIERE QUEUE

 

 

Le bar ne s'est pas agrandi depuis le mois de juin. Tout en longueur, mais des progrès, ce soir ce n'est pas la soupe aux légumes que l'on sert mais une sangria. Nettement plus appétissant. Je n'ai pas fait trois pas dans le café que mon esprit déductif digne d'Edgar Poe a tout de suite localisé les musicos. L'est vrai qu'ils sont en train de jouer. Par contre peut-être serez-vous incapables de déchiffrer l'acronyme C.O.N.T sur leur T-shirt Blanc. Nettement plus rapide à prononcer que Cat O' Nine Tails, à peu près le même sens, mais vu sous son côté féminin.

 

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Quant à l'inscription Cale Sèche, si elle est un hommage au bar elle est aussi le titre du nouvel album des Cat O' Nine Tails. Pourquoi pas après tout. A une certaine époque de ma vie je faisais adresser mon courrier à mon café préféré, j'étais sûr d'y passer au moins tous les jours. Chez moi, c'était plus aléatoire.

 

 

DEUXIEME QUEUE

 

 

Trente-sept secondes de musique, quatre essais de voix, et plus personne. La soirée était prévue à huit heures, mais un contre-ordre du grand amiral qui officie derrière le comptoir, la repousse à neuf heures ce qui ne manque pas de cohérence quant au neuf queues du groupe. Le pacha connaît l'état de la mer, car de grosses vagues de clientèles ne vont pas tarder à submerger la dunette. La Cale Sèche est remplie à ras-bord comme un baril de rhum. Ca déborde même sur le trottoir de temps en temps.

 

 

Mais les Cat O' Nine Tails sont envoyés dans la mâture pour hisser un cacatoès blanc contre le mur. Sont même obligés de surfer entre les consommations sur les tables pour se livrer à ce périlleux exercice. Marine à voile mais technologie d'avant garde, un petit clic sur le rétro-projecteur et l'insigne pirate de deux sabres d'abordage entrecroisés s'affichent sur l'écran blanc de fortune.

 

 

TROISIEME QUEUE

 

 

 

Programme aux porte-voix microphoné : premièrement le visionnage du Clip, deuxièmement l'écoute de l'album sur la sono du bar, troisièmement, petit set du groupe. Mais en acoustique. Car il ne faut pas réveiller les voisins chagrin. Ce n'est pas un concert à proprement parler, mais une petite réjouissance pour fêter la sortie du nouveau disque. Je m'exprime mal : crise économique incapacitant et nouvelles technologies aidant, Cale Sèche est disponible uniquement par télé-chargement. Voici la clef d'accès du coffre au trésor :

 

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QUATRIEME QUEUE

 

 

Silence dans l'entrepont ! Philippe Villeneuve appuie sur le bouton fatidique et les premières images défilent. Black Cat Jack, c'est le titre. Comme l'oreille du rocker prime sur son oeil, vous causerai d'abord du morceau. Hyper bien foutu, tempo rapide, guitares lourdes, reprises speedées, voix posées à merveille, un stoner comme l'on n'en fait que trop rarement en notre douce France. Je serais directeur de programme radio, je vous jetterai le chat noir dix fois par jour sur l'antenne. De quoi faire sauter la banque. Ne rêvez pas, le jour où l'on verra une station miser sur le rock ( je n'ai pas dit pop ) n'est pas encore prêt à se lever. Que voulez-vous il est inutile, il est nuisible, de rendre les foules intelligentes.

 

 

CINQUIEME QUEUE

 

 

Comme tout clip qui se respecte, Black Cat Jack est constitué aussi d'images. L'art du clip est aussi difficile que le sonnet. Les contraintes imposées sont fortes et les réussites inversement proportionnelles à leur nombre incalculable. N'importe qui aujourd'hui est à même de tourner un clip de trois minutes, ne serait-ce qu'avec son téléphone portable. De plus, le clip-rock véhicule une mythologie traditionnelle peu originale aussi passe-partout que les compliments hyperboliques attendus dans les sonnets d'amour.

 

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Pierre Villeneuve n'a pas transigé avec les données de base ; décors suburbains crasseux, parties de cartes de la dernière chance, bagarres et bastons, groupe sur scène, nana nue en dessert gourmet. Pas de quoi fouetter un chat. La différence, c'est l'art et la manière. Le montage séquentiel des images qui s'entrechoquent, les plans qui s'entrecroisent et qui sont engagées dans une course-poursuite virevoltante et diabolique. Pas de temps mort, des échos incisifs mais pas de mornes répétitions. Le tout enveloppé comme dans l'ancien temps du cinéma muet. Noir et blanc, et apparition de cartons noir avec écriture blanche qui résument l'action et vous aident à la comprendre.

 

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Version numérisée, mais tournée en super-huit. Plus lent, plus cher, mais qui peut être montré en festival. Ouvertures pour jeunes cinéastes. Les Cat O' Nine Tails ont non seulement une bonne bande pour les passages radio mais aussi un super outil d'appel pour passage TV. Gisement qui a toutes les chances de rester inexploitable... Les bravos crépitent. Clip ! Clip ! Clip ! Hourrah !

 

 

SIXIEME QUEUE

 

 

Pour l'écoute de l'album, vous repasserez. La perfection formelle du clip a délié les langues. La Cale Sèche bruit de mille gosiers assoiffés. Les conversations vont bon train, on interpelle les Cat d'un bout à l'autre du local pour les féliciter, même avec la sono poussée à fond l'on n'entend rien. Je tends les deux oreilles, tel un sioux sur le sentier de la guerre, hormis les basses qui caracolent à fond la caisse, je ne distingue rien de bien probant. A peine si je parviens à reconnaître dans cette chienlit généralisée Black Cat Jack que je viens d'écouter. Foutrement bien construit.

 

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SEPTIEME QUEUE

 

 

Je ne peux pas le certifier, mais je ne pense pas que les C.O.N.T. aient laissé les onze plages de l'enregistrement s'écouler jusqu'à la fin. Se saisissent de leurs instruments et tentent de se débattre dans leur deux mètres carrés contre la horde envahissante du public qui ce soir possède une âme de squatters sans vergogne. Le batteur a trouvé refuge sur son caisson. Pas fou, l'a compris la règle du cat perché, tant que je bouge pas, personne ne prendra ma place. L'est aussitôt imité par Nox le guitariste qui se réfugie sur un tabouret de comptoir, l'est juché sur son nid de poule et tel Jim Hawkins dans L' Île au Trésor l'on sent à fine moustache effilée qu'il vous videra le barillet de son pistolet dans votre corps si vous tentez de le déloger. Pour les deux autres c'est plus difficile, le chanteur essaie de se cacher derrière le micro et le bassiste s'en sortira vivant non sans avoir fracassé de son manche de basse quelques cranes trop entreprenant. Ce dont personne ne se plaint. Quand un groupe est près de son public, celui-ci lui pardonne tout.

 

 

HUITIEME QUEUE

 

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N'auraient même pas eu besoin de s'excuser en début de set en précisant que d'habitude ils jouent en électrique, car avec leurs sèches branchées sur un ampli qui doit d'être un accessoire des poupées Barbies, ils dégagent sans problème un boucan de tous les diables. Génèrent une énergie folle. Pas pour rien qu'ils se définissent tant bien que mal comme un groupe punko-alternatif pirate. Surtout pavillonné de noir. Nous voici embarqués en haute mer et ça tangue méchant. Ben vous tape sur sa caisse à outils comme un cachalot qui file des coups de tête à vous couper un deux un récif, les guitares balancent une houle de huit mètres de creux, mais ô mon coeur entend le chant des matelots, sont trois à se relayer aux vocaux, tous sauf celui qui bat le beurre à cent noeuds à l'heure. Voix rauques, puissantes, viriles, qui vous emportent en plein milieu des océans, vers de maelstroms géants.

 

 

NEUVIEME QUEUE

 

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Zut deux morceaux et une déjà une escale. Avec un nouveau marin qui monte à bord. Ah ! une Marine ! ou plus exactement Marianne. Tient son alto d'une main et son équilibre de l'autre. Une vraie femme pirate qui n'a pas peur de se pencher sur les gouffres amers de l'onde remuante, sera obligée de jouer pliée en deux, tout en prenant soin de ne pas crever les yeux des spectateurs – de temps en temps elle les repousse d'un coup d'épaule - trop proches de son archer. Vous n'allez peut-être pas me croire mais le violon sur la grande tempête qu'est Black Cat Jack n'arrondit en rien les angles, au contraire a tendance à les aiguiser et à les rendre plus tranchants. Dès sa première intervention Marianne reçoit une magnifiques rincée de cris d'extases et d'exhortations exaltées ( quand je pense qu'en guise de récompenses dans des concerts moins rock'n'roll les altistes reçoivent des bouquets de roses Hi ! Hi ! Hi ! ), reste à son poste sous la mitraille sans fléchir.

 

 

Après le matou noir, l'on aura droit à un hymne à toutes les Bloody Mary qui ont écumé les mers, et à Drunken Sailor. Que ce soit chanté en français ou en anglais, les vocaux vous râpent le gosier comme de l'eau-de-mort de contrebande. Moonfleet sur les vergues et l'Olonnois sur le tillac. Les Cat O' Nine Tails, nous fouettent à tour de bras. Et l'on en redemande. Mais en véritables sadiques du rock qui ne veulent pas faire plaisir à leurs victimes consentantes, ils entrent au port et amarrent le bateau. Tous à terre.

 

 

ENCORE ! ENCORE !

 

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Fini. Terminé. Nous ont abandonné sur une île déserte. Juste une petite demie-heure. Une croisière touristique. Pour chevaucher les ouragans, rendez-vous à la Cale Sèche le vendredi 22 novembre, à 19 heures 30. Ce coup-ci ils auront droit à l'électricité, puisque c'est dans le cadre du Festival Culture-Bar-bars.

 

 

Les Cat O' Nine Tails nous ont ravi. Un groupe qui nous sort de la triste galère de notre morne quotidien.

 

 

Damie Chad.

 

 

LA PLUIE DE NEON / JAMES LEE BURKE

 

 

BURKE NOUS MENE EN BARQUE

 

 

Un paquet vient de tomber dans la boîte aux lettres. Trente secondes plus tard, il livre son contenu : un petit polar de James Lee Burke qui s'intitule «La Pluie de Néon». Wow ! It comes from John Ives, my old mate.

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Le héros de James Lee Burke s'appelle Dave Robicheaux. C'est un flic du PDNO, c'est-à-dire le Police Department de la Nouvelle Orléans. On a vu Robicheaux à l'écran, incarné par Tommy Lee Jones, dans un film tiré d'un autre polar de Burke, «Dans la Brume Électrique Avec les Morts Confédérés». Bertrand Tavernier signait ce film superbe. Tavernier, Robicheaux, Burke, ça finit par faire beaucoup de monde.

 

Les films tirés de bons livres sont généralement des classiques du cinéma et quand Tavernier s'intéresse à un auteur, il fait systématiquement un carton. Par exemple avec Georges Simonon (L'Horloger de Saint-Paul), Jim Thompson (Le Coup de Torchon), Roger Vercel (l'extraordinaire Capitaine Conan) et donc Burke. Tavernier est allé tourner son film en Louisiane et il nous emmène en balade dans le bayou. Dépaysement garanti. On y croise des personnages irréels : Levon Helm, par exemple, appuyé sur une béquille de fortune et vêtu d'un uniforme gris clair fatigué et d'un chapeau d'officier de la Guerre de Sécession. C'est le fantôme du général John Bell Hood. Il parle avec l'accent traînant du Sud. Il se planque dans le bayou, avec les quelques hommes qui lui restent. Ils bivouaquent et tentent de préserver un minimum de discipline militaire. On croise aussi un black d'un certain âge assis sur un perron avec une guitare dans les pattes. Oh mais c'est Buddy Guy ! Il joue le rôle du mystérieux Sam Patin, celui qui peut fournir de précieuses informations. Robicheaux le consulte car il enquête sur la mort d'une femme dont on a retrouvé le corps dans le bayou. Il sait que ce n'est pas un alligator qui a fait le coup. C'est forcément un petit blanc dégénéré, l'un de ceux qui traitent les noirs, les Vietnamiens et les Irakiens comme des mégots qu'on écrase longuement, jusqu'à ce qu'ils ne fument plus. «La Pluie de Néon» est donc un vrai polar, plein de bons rebondissements, de petites scènes de violence bien troussées et de plans qui illustrent bien le racisme endémique propre à cette région du monde. À un moment, on voit un noir enchaîné courir dans le bayou, avec de l'eau à mi cuisse et bien entendu, une balle le rattrape et le frappe dans le dos. Une petite bite a tiré, juste pour le fun.

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Ce film ne fait que rappeler à quel point les noirs avaient raison d'avoir peur. Ils servaient parfois de gibier à des petits blancs haineux qui les lâchaient dans la nature puis qui les traquaient pour les abattre. On voit ça aussi dans «Mississsipi Burning» d'Alan Parker. Vas-y mon gars, on te laisse dix minutes d'avance. T'es libre si tu cours assez vite. Évidemment, le malheureux black n'a aucune chance d'échapper aux chiens et aux chasseurs montés à cheval et armés de fusil de chasse.

 

Dans le film de Tavernier, on ne sent pas trop la chaleur de la Louisiane. On sent plutôt l'humidité. Par contre, dans «La Pluie de Néon», on sent cette chaleur cuisante, propre aux tropiques. James Lee Burke excelle à peindre l'ambiance de sa Louisiane natale, lorsqu'il installe son héros sous «une marquise de grands chênes», attablé devant une bière Jax et une torpille, le sandwich local qu'on bourre de crevettes, d'huîtres, d'oignons, de tomates, de feuilles de laitue et de sauce pimentée. Et pour parfaire l'image d'Épinal, on entend au loin la voix caverneuse d'un vieux black qui s'accompagne à l'accordéon.

 

Burke nous emmène aussi faire un petit tour dans la taule d'Angola, rendue jadis célèbre par Chuck Berry qui y fit un premier séjour alors qu'il était encore adolescent et qu'il venait d'attaquer un automobiliste simplement pour lui piquer sa bagnole et poursuivre sa fugue.

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Si Burke écrit des polars, c'est aussi pour évoquer le charme de sa Louisane natale. Burke délègue tout à son héros Robicheaux qui est donc un pur Cajun. Ses parents parlaient français quand il était petit et il se souvient que son père («Cajun rieur à la peau sombre, aux dents blanches et aux yeux turquoise qui avait grandi, nourri de boudin, de cush-cush et de boulettes de viande de lépidostée») lui offrit pour son anniversaire «des balles minié datant de la Guerre de Sécession et un revolver rouillé de l'armée confédérée qu'il avait déterré d'une berge de Bayou Teche». Un peu plus loin, il fait parler son père et là on se régale : «Bien plus que l'aigle, c'est l'écrevisse qui devrait être le symbole des États-Unis. Si tu mets un aigle sur une voie ferrée et si un train arrive, qu'est-ce qu'y va faire, l'aigle ? Y va s'envoler, li. Mais tu mets une écrevisse sur c'te voie ferrée et qu'est-ce qu'elle va faire ? Elle va se dresser, mandibules en avant pour l'arrêter, le train.»

 

C'est bien joli, tout ça, mais où sont passés nos chers alligators ? Ils arrivent, toujours par la voix du père : «Mais il était un conseil important qu'il avait coutume de nous donner (...) : quand tu as battu tous les marais à la recherche du gros gator qui t'a dévoré ton cochon et que tu reviens les mains vides, repars de là où t'étais parti et recommence. Parce que tu lui es passé dessus en chemin.» 

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James Lee Burke traite ses scènes de violence avec une certaine bonhomie et les amateurs de polar y trouveront leur compte. Une fois qu'on a Tommy Lee Jones en tête, on voit bien Robicheaux, même s'il n'a pas la mèche blanche, comme dans le roman. Alors, on voit Tommy Lee Robicheaux cogner des voyous black - et parfois blancs - pour leur arracher des infos, entrer nuitamment chez les gens sans mandat et sortir son fusil à pompe juste avant la scène finale, pour éradiquer le mal. Les méchants n'ont absolument aucune chance de lui échapper. Et comme Robicheaux est un bon flic, il recevra l'absolution.

 

C'est peut-être là où Burke devient pénible. Il nous fait l'apologie du flic et franchement, on s'en passerait bien. Pas besoin d'épiloguer. Sir Arthur Conyan Doyle n'a jamais fait l'apologie de Sherlock Holmes. Il laisse le locataire du 221 Baker Street se shooter à la coke et donner libre cours à sa misogynie.

 

Avant de refermer ce livre, je jette un coup d'œil à la page «Du même auteur». Burke a écrit une vingtaine d'ouvrages et certains titres semblent assez attirants. Mais le polar ne fait pas partie des priorités. Il faut d'abord attaquer la pile qui prend un malin plaisir à grandir. Juste à côté d'elle se dresse fièrement la bouteille de rhum des Boucaniers qui, bizarrement, me fait un clin d'œil putassier. Bon d'accord... Une dernière rasade et au lit !

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Je suis réveillé par des cris d'oiseaux. Je mets un pied au sol. De l'herbe ? Un type est assis tout près du lit, sur une chaise. Sa silhouette m'est familière. Mince ! C'est le général confédéré ! Je me pince. Non ce n'est pas un rêve. Qu'est-ce que c'est que cette histoire à dormir debout ? Un peu plus loin, je vois quelques soldats confédérés sortir du bois en portant des fagots.

 

-- Je suis le général John Bell Hood, du Quatrième Bataillon d'Infanterie du Texas et du Second Régiment de Cavalerie du Texas...

 

-- Oui, oui, je vous reconnais... Mais que faites-vous chez moi ?

 

-- Réveillez-vous, mon garçon ! Nous sommes au cœur du Bayou, à l'abri des obus de l'Union, que vous entendez au loin.

 

Nous nous trouvons effectivement sur un îlot. Je jette un coup d'œil circulaire et je vois tout autour un rideau d'arbres et de lianes, des flots de lumière filtrés par les hautes branches. Tous ces grands arbres majestueux sortent d'une eau couleur émeraude.    

 

-- Vous ne craignez pas les alligators, Général ?

 

-- Du tout, mon garçon. Les 'gators du bayou sont nos alliés. Ils ne dévorent que les cochons et les homme de Sherman. Tous ceux qui ont tenté d'entrer dans le bayou pour nous encercler pourrissent désormais sous l'eau. Les racines des palétuviers sont leur ultime demeure. Les Yankees sont jaloux de cette alliance secrète qui unit les hommes du Sud aux éléments de la nature divine. Les Yankees préfèrent pactiser avec des machines à vapeur et des prodiges architecturaux lancés à l'assaut du ciel et c'est la raison pour laquelle nous ne pourrons jamais nous entendre et que nous devrons nous faire la guerre. Nous divergeons singulièrement, en tous points de vue. Mais Dieu reconnaîtra les siens et nous donnera la victoire.

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Visiblement, le pauvre général ne connaît pas le dénouement de cette guerre civile. Inutile d'aller lui causer du chagrin. Le pauvre vieillard est déjà assez abîmé comme ça, avec une jambe en moins et un bras raide. Ces superbes officiers confédérés inspirent un mélange d'admiration et de pitié. Plus que chez les autres, le panache se mêle étroitement au tragique, comme chez Don Quichotte. Leur combat est perdu d'avance. Ils défendent l'indéfendable, et notamment une notion de profit basée sur l'esclavage.

 

-- Excusez-moi, Général, mais je ne sais pas grand chose de la guerre que vous livrez aux armées du Nord. Vous savez, ici en France, les profs d'histoire nous racontent plus volontiers les exploits du petit Napoléon Bonaparte...

 

-- Lequel Bonaparte fut un stratège exemplaire, mais pas aussi puissant que Clausewitz, que nous étudions tous avec ardeur à West Point... Trève de balivernes. Nous sommes au repos, pour une durée indéterminée et je me sens d'humeur badine. Distrayons-nous. Connaissez-vous la musique de ce pays ? Je vous sens novice, dites-moi si je me trompe...

 

-- Vous parlez du tex-mex rock de Doug Sahm et des groupes de San Antonio ?

 

-- Oh, non, je ne connais pas l'homme dont vous me parlez. Le Texas a certes une frontière commune avec le Mexique, mais je vous parle de la Louisiane, où nous nous trouvons, et donc du Bayou. D'extraordinaires artistes are bluesin' by the bayou, le saviez-vous ?

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-- Oh j'ai entendu quelques morceaux de Lighnin' Slim, sur un Best Of Excello. Si mes souvenirs sont bons, il est louisianais, comme Jerry Lee et Huey P. Meaux, n'est-ce pas ?

 

-- Parfaitement exact, mon garçon. Lightnin' Slim est l'un des plus grands bluesmen qu'on ait vu jouer ici bas, de ce côté-ci du paradis terrestre. Je recommande toujours aux gens que je croise, que ce soit dans les salons d'Atlanta ou dans les campements de campagne, un morceau de Lightnin' Slim qui s'appelle «Big Fat Woman». Grand dieu ! C'est la huitième merveille du monde, un blues frappé sec, hypnotique et primitif, the real thing, croyez-moi ! Pour voir Lightnin' Slim, vous devrez vous rendre chez J.D. Miller, à Crowley, une bourgade située sur la route qui va de Lafayette à Lake Charles. Je dis toujours que Lightnin' Slim est un personnage haut en couleurs, sans mauvais jeu de mots. C'est un séducteur né et vous ne verrez jamais la même femme à son bras. Il a aussi un faible pour les chaussures neuves dont il finit toujours par couper le bout pour libérer ses orteils persécutés. Écoutez aussi «I Ain't Got No Money», un vrai blues de voyou nègre, salement gratté, secoué de spasmes et de licks malsains. The real punk ! Rien que pour ça, il aurait pu finir pendu à la branche d'un gros chêne. Il n'y encore pas si longtemps, on accrochait des nègres aux branches pour moins que ça, par ici. Croyez-moi, Lightnin' Slim est une sale bête, un guitariste particulièrement hargneux, et c'est pour ça qu'on l'adore. Et puis si vous appréciez particulièrement les blues hantés, je vous recommande vivement d'écouter «Stranger In Your Town». Vous y entendrez ce maudit délinquant cracher dans le micro et traîner ses paroles dans la vase du delta - I'm a lonely boy yeah, darling/I'm a stranger in your town - oui, vous allez palper l'âme du blues - What time do your next train leave goin' to East ? - et je vous vois déjà tressaillir au moment où Lightnin' Slim s'adresse à son complice Lazy Lester : Aaah blow it son ! Et Lazy embouche son harmonica pour un moment de pure magie.

 

Effectivement, le général semble ensorcelé. Son visage s'éclaire et ses petits yeux clairs noyés dans l'ombre du chapeau dardent de mille feux.

 

-- Lazy Lester ?

 

-- Eh bien oui, le fabuleux Lazy Lester qui dormait dans le studio de Miller les nuits où il ne dormait pas en prison pour ivresse sur la voie publique. Lazy Lester appartient à cette caste de nègres anormalement doués qui finissent par gagner notre sympathie. Écoutez donc «Late In The Evening» et ti m'en diras des nouvelles, ti, comme disent les Cajuns. Late est un blues frappé en continu, à la spatule. Lazy Lester chante en laid-back, avec de la purée de maïs plein la bouche. Vous ne trouverez jamais plus primitif que cet enregistrement de Lazy Lester. Ça traîne et ça joue de l'harmonica comme nulle part ailleurs. Vous serez encore plus subjugué par ce morceau qui s'appelle... attendez donc une seconde, ça va me revenir... Ah oui, «I'm Gonna Leave You Baby», un monstrueux heavy blues. Cette limace infecte de Lazy Lester hantera votre imagination, quand vous l'entendrez mâcher son texte avec mauvaiseté. Une vraie limace du bayou, je vous le dis, surmontée d'une banane crépue. Il buvait de tout et à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. À ce qu'on m'a rapporté, il serait encore de ce monde. J'aimerais aussi vous parler d'un autre phénomène régional qui s'appelle Taddeus Declouet et d'un de ses blues qui s'appelle «Catch The Morning Train». Vous avez là un blues rock qu'il faut bien qualifier d'épais - au sens de la boue du delta. C'est un gros brouet teinté d'accordéon, ou si vous préférez une grosse dégelée macacrush-crush pimentée dont les origines remontent à la préhistoire. Taddeus vit à Lake Charles et enregistre très peu. Par contre, Clifton Chenier multiplie les prouesses. Il est d'ailleurs devenu le roi du Zydeco...

 

-- Le zi quoi ?

 

-- Oh, le Zydeco est le nom qu'on donne à cette musique typiquement louisianaise - l'ancien Zarico - et qu'on chante dans un patois de Français et en s'accompagnant à l'accordéon. Clifton a enregistré sur de nombreux labels comme Imperial, Specialty, Chess, Arhoolie puis il a fini par enregistrer avec Huey P. Meaux sur son label Crazy Cajun. C'est là qu'on l'a couronné roi du Zydeco et qu'il s'est mis à porter cape et couronne sur scène. «Worried Life Blues» est une fantastique mélasse de blues électrique et d'accordéon, un son unique au monde, une pure dégelée d'exotisme pernicieux. Vous n'en reviendrez pas. Vous savez, c'est en écoutant «Walkin' Out My Door» de Blues Boy Dorsey que j'ai pris conscience d'une chose fondamentale. Le point fort du blues, mon garçon, c'est la détermination. Les vieux nègres avancent d'un pas ferme. Ils clouent leurs mots au tronc d'un bouleau et se tiennent raides comme des piquets sous le soleil des plantations. Ils savant balancer, ce que ne sauront jamais faire les blancs. Un autre exemple avec «In The Dark In The Park» de Jimmy Anderson. Vous avez là le swing, le vrai, et Jimmy Anderson y pose sa voix de miel. Nous ne somme plus dans la succulence accordéonique de Clifton Chenier, nous sommes dans le swing tribal, tel qu'on pouvait encore l'entendre au début du siècle à Congo Square. Le swing de Jimmy Anderson vous accrochera et ne vous lâchera plus. Vous verrez luire cette face noire dans la nuit. Cette maladie du bayou se glissera sous votre peau, mon garçon, et pour rien au monde, vous voudrez la chasser. Jimmy Anderson est la cerise sur le gâteau pichegrain. Vous verrez de quelle façon il traîne en chantant. Tout un art. J'ai reçu une éducation qui ne me permettait pas de réfléchir à la condition humaine de tous ces noirs qui peuplent nos villes et nos campagnes. C'est seulement en écoutant les disques de tous les personnages dont je viens de vous parler que j'ai commencé à me poser des questions que ne se posent jamais les gens d'ici. Il faut bien avouer que dans tous les états de l'ancienne Confédération, tous les systèmes mentaux sont construits sur une haine absolue du nègre. Aucune remise en question de ce postulat n'est envisageable, malheureusement. Le racisme est passé de l'état philosophique - dont on peut discuter - à l'état génétique - incurable. Et fort souvent, je me suis rendu à l'évidence : des nègres qui n'avaient pas plus d'espoirs que les chiens ou les mules chantaient comme des dieux. Mais comme j'appartiens à l'armée de Robert E. Lee, je ne puis malheureusement plus revenir en arrière. Je dois continuer à me battre pour les valeurs que nous défendons et dont, hélas, mille fois hélas, fait partie cette culture de la supériorité de la race blanche. Il m'est même très souvent arrivé de penser qu'un nègre exploité par le patron d'un label régional a mille fois plus de dignité que le blanc qui fait du profit sur son dos, parce que, justement, il chante comme un dieu et s'il existe une justice divine, comme je le crois volontiers, il finira par entrer dans l'histoire, au contraire du blanc malhonnête qui finira au fond de l'une de ces tombes à trois sous que viennent dévaliser les hyènes du Bayou.  

 

-- Seuls les géants comme Howlin' Wolf et Muddy Waters entrent dans l'histoire...

 

-- Certes, mais je ne vous parle pas de la grande histoire, mon garçon, je vous parle de la petite histoire, la vôtre, celle des gens qui s'intéressent aux vrais artistes, vous comprenez ? Quelqu'un après moi parlera de Lightnin' Slim ou de Lazy Lester à quelqu'un d'autre et ainsi de suite. Les disques de ces nègres fabuleux continueront de voyager de la main à la main et des gens continueront de s'étonner le l'incroyable modernité des blues de la Louisiane. Lorsque vous écouterez «Forty One Days» de Boozoo Chavis, vous serez le premier à aller crier sur tous les toits le nom de Boozoo Chavis, car vous aurez subi comme moi le délicieux assaut des accordéons, vous aurez subi la souffle de ce merveilleux démon, vous l'aurez comme moi entendu monter en température à grands coups d'accordéon et vous n'aurez de cesse de vanter partout les mérites de cette monstruosité gorgée de sel et d'humidité. Et comme moi, vous supplierez Silas Hogan : Oh Silas, faites-moi danser ! Et alors, il vous servira son brouet infernal, son infernale gratouillade dégoulinante de sauce piquante. Et Slim Harpo ? On ne peut plus se passer de lui, dès lors qu'on a mis le doigt dans son pot de confiture. Un seul exemple avec «That's Alright», un boogie-woogie strummé à l'oignon frit, enragé, tendu comme la corde du pendu, sacrément orchestré et tenu de main de maître. Savez-vous qu'avec Lightnin' Slim, ils écumèrent ensemble les clubs de Baton Rouge ? Dites-vous bien qu'on n'est pas prêts de revoir passer sur scène une paire de nègres aussi talentueux. Bon, je dois passer mes hommes en revue. Quelles que soient les circonstances, nous devons respecter les consignes du code militaire, sans quoi nous aurions vite fait de basculer dans l'infâmie, ce que je ne puis souhaiter ni à mon ennemi Sherman ni au déserteur qui finira par fuir le campement lors de l'une de ces prochaines nuits. Tant qu'il me restera une jambe ou un bras, je poursuivrai le combat et je continuerai d'espérer la victoire. Veuillez donc m'excuser de vous avoir tiré de votre profond sommeil et de vous avoir assommé avec mes histoires. Permettez-moi donc de vous souhaiter une bonne continuation. Merci, mon garçon, pour votre attention.

 

Signé : Cazengler l'embayouté 

 

James Lee Burke. La Pluie de Néon. Rivages/Noir 1999

 

Bertrand Tavernier. Dans La Brume Electrique. DVD TF1 Video

 

Bluesin' By The Bayou. Ace Records 2013

 

 

 

BOOM BABY / BRIAN NEVILL

 

 

LA VIE DE BRIAN

 

 

Brian Nevill vient de faire paraître un petit recueil de souvenirs intitulé «Boom Baby». En quatrième de couverture, l'éditeur prévient que si on veut lire des choses concernant le Swinging London, alors ce n'est pas le bon livre.

 

C'est la meilleure des bonnes raisons pour s'intéresser à ce petit livre. On échappe enfin à l'événementiel assommant des grosses bios, à la valse des célébrités, aux voyages au Japon et à Los Angeles, aux rencontres dans les palaces et aux surenchères toxico-sexuelles. On ne voit plus des mecs comme Dave Grohl vouloir tout le temps devenir les meilleurs du monde et jouer avec les plus grandes stars, comme si le rock n'était plus qu'un incessant concours canin. Au moins, avec Brian Nevill, on souffle un peu et on retombe dans un genre classique qui est celui d'une vraie  littérature rock : un type cultivé écrit ses souvenirs ordinaires. C'est évidemment à la portée de tout le monde, mais il faut tout de même posséder un minimum de talent et un certain style. De ce côté-là, Brian Nevill n'a absolument aucun souci. Il dispose même de l'arme suprême : le fameux humour anglais. Quand Mick Farren choisit de fermer un chapitre avec une formule spectaculaire, Brian Nevill préfère, lui, l'anecdote hilarante.

 

Quand on parle d'humour anglais, on parle généralement de la partie visible de l'iceberg, celui des films des Monthy Python. Tout le monde connaît la fameuse scène de crucifixion sur le Golgotha transformée en comédie musicale. Mais c'est une forme d'humour - caustique et particulièrement irrésistible - qu'on retrouve surtout dans la vie de tous les jours, en Grande-Bretagne. Un jour je me suis retrouvé à table dans un repas de famille, quelque part dans le Kent. Des gens ordinaires discutaient de tout et de rien, entre le mouton à la menthe et aux green peas et le pudding. Un oncle très âgé expliquait qu'il n'avait plus assez de force dans les mains et qu'il lâchait son verre lorsqu'il voulait le tenir. Juste en face de lui, une tante toute aussi âgée répondit qu'elle avait strictly le problème inverse. Quand elle tenait son verre, sa main se coinçait et elle ne pouvait plus le lâcher.

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Au beau milieu de son livre, Brian Nevill relate le souvenir d'un concert que Roy Harper donnait dans une petite cave. Pour faire un peu d'air, il n'y avait qu'un gros ventilateur bruyant - a big noisy fan. «Roy Harper once called for it to be turned off during his performance but some wit warned him that it wasn't a good move as it was the only fan he had in there.» (Roy Harper voulait qu'on l'éteigne, mais un esprit avisé lui conseilla de ne pas faire ça étant donné que c'était le seul fan qu'il avait dans la salle).

 

Né en 1948, Brian Nevill fait partie de la génération du baby boom qui est arrivée juste après la guerre, comme Lemmy, Mick Farren et des centaines de milliers d'autres. Il se situe parmi les «faceless faces» qui ont vécu l'âge d'or du rock anglais des sixties et des seventies. Comme nous sommes tous des faceless faces, alors on ressent une sorte de familiarité. On se demande par exemple comment il s'y prenait pour vivoter - à l'époque on ne parlait pas encore de survie, comme on le fait aujourd'hui - et quels concerts il allait voir, car Brian Nevill avait l'immense avantage de vivre à Croydon, au Sud de Londres.

 

Quand on était ado et qu'on vivait encore chez ses parents, nos seules préoccupations étaient d'ordre secondaire : fringues, disques et parfois deux roues. C'est d'ailleurs cette courte tranche de vie qui va conditionner tout le reste, et notamment l'attitude qu'on s'efforce d'observer tout au long de sa vie. L'ado Brian Nevill roule en moto et nous livre des pages exceptionnelles sur l'univers des bikers anglais. «On était des gamins, on traînait à l'intérieur du café, on mangeait des œufs et des frites, on buvait du café, on mettait des pièces dans le jukebox, on comparait nos casquettes et les décorations de nos blousons. On se peignait et on frimait. Les vrais bikers, ceux qui portaient des blousons de cuir Lewis, restaient dehors. Ils parlaient de motos, ils les examinaient, ils riaient et ils fumaient. Les motos, c'était quelque chose de très sérieux.» Et il attaque une page sur les Harleys : «Les Harleys 1250 cm3 sont arrivées. C'était énorme. Mais les motards anglais les snobaient. Trop lentes, trop lourdes, trop m'as-tu-vu. On a entendu dire qu'il y avait un modèle en 750 cm3. Même les mecs de notre gang disaient : 'N'achète pas d'Harley, ça consomme trop, et on ne trouve pas de pièces. Et tu ne pourras jamais la revendre.' Je voulais absolument une 1000 cm3. J'étais obsédé avec ça. Et soudain, j'ai vu qu'une Ariel Four Square 1948 était à vendre.»

 

L'ado Brian Nevill choisit donc son camp qui est celui des bikers du Sud de Londres. Mais il observe attentivement les Modernists : «Les Modernists en pinçaient pour le sharp et le cool. Ils ont commencé à porter ces costumes stricts à vestes trop courtes, plutôt que le costume edwardien des Teddy Boys. Les Modernists portaient les mêmes fringues que les jazzmen noirs américains qu'ils admiraient. Ils préféraient les vêtements fabriqués à l'étranger, les chemises à pointes de cols boutonnées et les cravates ficelles. Plutôt que de lire, ils préféraient s'intéresser de près aux films de la Nouvelle Vague française.» Brian Nevill décrit les fringues, les chaussures et les coiffures méticuleusement, histoire de rappeler l'importance que ça pouvait revêtir quand on était ado. Il décrit avec une incroyable délectation les coiffures extravagantes de deux Teds montés à l'étage du bus. Puis un autre jour, toujours à l'étage du bus, il voit arriver deux well-suited Mods : «Ils portaient aux pieds des Clarks en daim clair. Je louchais dessus. Je me demandais comment j'allais pouvoir intégrer des Clarks dans ma panoplie de Rocker.»

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Il évoque à longueur de pages ses copains d'alors, et à travers son regard, on voit la culture rock évoluer très vite, d'année en année. Ici, il évoque le souvenir de Billy Fury («Billy et Dickie Pride enjambèrent les portières de leur décapotable. Ils portaient tous les deux des pantalons de cuir de gauchos, avec les médailles et les lacets sur le côté des jambes. Absolute rock'n'roll cool») puis on passe très vite à l'ère psychédélique et aux drogues. Évolution des fringues, avec «les chemises de John Stephens sur Carnaby Street que tout le monde copiait», les pantalons aux couleurs criardes, «like green or mustard». Le soin qu'il met à détailler ce genre de souvenir rend toutes ces pages particulièrement appétissantes, car elles réactualisent des choses depuis longtemps enfouies dans les tréfonds de la mémoire, le détail des vêtements qu'on achetait à Kensington Market ou à Portobello Road, ces vestes en velours d'un joli vert foncé ou d'un éclatant bleu nuit, ces écharpes en soie à motifs imprimés et ces cuban heel boots si fragiles qu'on ramenait en France comme de précieux trophées.

 

Vu le niveau littéraire auquel il fait naviguer son récit - et sans la moindre prétention - on ne sera pas surpris de tomber sur des paragraphes consacrés à Dada ou aux Situationnistes. Brian Nevill évoque le souvenir d'un copain Mick qui portait un Dada badge à l'école, et qui avait les cheveux longs mais d'une longueur tout juste tolérée par le règlement, avant expulsion. C'est toujours grâce à ce copain Mick et aux slogans figurant sur ses badges qu'il se voit confronté à l'idéologie révolutionnaire situationniste conçue à la fin des années cinquante et popularisée en France par cet immense écrivain que fut Guy Debord. Brian Nevill s'intéresse vivement à l'idéologie situationniste, ce qui lui permettra de fréquenter Jamie Reid, le célèbre graphiste anarcho-situationniste qui a signé la pochette de «Never Mind The Bollocks» et la fameuse affiche «God Save The Queen». Avec une modestie qui l'honore, Brian Nevill évoque sa relation d'amitié avec Jamie Reid, sa contribution au fanzine Suburban Press, et évoque accessoirement l'ombre du boutiquier de World's End, tout au fond de Kings Road : «Il me parlait d'un copain de lycée nommé Malcolm qui avait ouvert une boutique de fringues rock appelée Let It Rock sur Kings Road. Les Teds lui en faisaient voir des vertes et des pas mûres parce qu'il avait oublié de soigner certains détails sur les costumes qu'il leur vendait. Mais Malcolm n'avait aucun souci à se faire, car des jours meilleurs allaient arriver, grâce au talent visionnaire de Jamie et à l'aide de sa femme, Vivienne Westwood.»

 

Avec un luxe de détails effarant, Brian Nevill décrit les lieux successifs qu'il a occupé, le plus souvent des pièces minuscules dans lesquelles vivaient plusieurs personnes. Comme beaucoup de jeunes gens à cette époque là, il se contentait du strict minimum : un endroit où dormir, une chaîne stéréo, une collection de disques et quelques livres. Les copains venaient pour prendre un trip, dormir et éventuellement taper l'incruste, le temps de trouver un autre plan. On le suit de lieu en lieu, et c'est vrai que les choix de vie menaient à une époque à une certaine forme de précarité, surtout lorsqu'on se contentait de petits boulots mal payés. Mais il régnait dans ce chaos un gigantesque parfum de liberté.

 

La co-location était certainement le mode de logement le plus courant. À plusieurs reprises, Brian Nevill loue des chambres chez des gens. Les portraits qu'il fait alors des co-locataires sont quelques fois délicieux : «La cuisine semblait être le territoire d'un type qui s'appelait Demented Dan. Dan adorait se balader à poil et il vint même ouvrir une fois la porte d'entrée à ma mère. Elle fut tellement impressionnée par les bonnes manières de Dan qu'elle ne remarqua même pas ses couilles.»

 

Il se souvient avec une précision diabolique des drogues qu'il prenait. À cette époque, on en faisait tous un usage démesuré. Fumer de l'herbe ou prendre un acide, c'était alors d'une effarante banalité, comme ça pouvait l'être de boire des bières au bar du coin. Il fallait juste faire très attention à ne pas éveiller les soupçons des parents ou pire encore, de la flicaille. Car ça pouvait prendre des tournures plutôt cauchemardesques.

 

Comme il fait constamment allusion à ce qu'on appelle la culture Mods, il en arrive fatalement à évoquer la technique des uppers et les downers. En France, on appelait ça les amphètes et les mandrax. «Il faut dire que même si les mandies te rendaient sympa, ils te donnaient un air vraiment stupide. Mais j'aimais bien en prendre. Une fois j'en ai gobé deux d'un coup pour passer la soirée. Je me suis endormi et j'ai roupillé devant Led Zeppelin, pendant tout leur set !» Et quand il attaque la période LSD, alors on se pâme de rire. Lorsque Ace Kefford des Move évoque le souvenir de ses trips à l'acide, il parle d'une véritable descente aux enfers. Brian Nevill a dû avoir toutes les peines du monde à rédiger ses souvenirs de trips, car il devait être plié de rire : «Deux autres copains sont arrivés dans la soirée et je ne les ai pas laissés entrer, car ils ressemblaient à deux gnomes rigolards. Quand j'y repense, ils devaient eux aussi avoir pris un truc psychédélique car l'un d'eux n'arrêtait pas de me dire que je ressemblais à un morse - je m'étais en effet laissé pousser une grosse moustache après avoir quitté l'appartement de George.» Pages cossues aussi où il parle du Demerol et de la Dexedrine comme s'il parlait de choses ordinaires. Brian Nevill n'est pas dans le pathos romantico-morbide des types qui évoquent leurs souvenirs glauques de camés notoires, comme s'amusent à le faire les m'as-tu-vu californiens de Motley Crüe, par exemple. Il situe tout cela dans une normalité urbaine et avec une fraîcheur de ton qui ôte toute ambiguïté. N'oublions jamais que les Mods travaillaient toute la semaine et prenaient des amphètes le vendredi soir pour pouvoir profiter pleinement de leur week-end, c'est-à-dire sans dormir. Ces pratiques n'avaient rien à voir avec la déchéance à laquelle on a par la suite associé la culture des drogues. Les chauffeurs de poids lourds américains se shootaient à la benzédrine pour ne pas s'endormir au volant. Ginger Baker allait voir un médecin qui lui prescrivait de l'héroïne sur ordonnance, parce qu'il jouait mieux sous héro. Quand on attaque un long trajet de nuit au volant, on prend obligatoirement des trucs pour ne pas avoir à lutter contre le sommeil. Les fanzines anglais des sixties donnaient les adresses des endroits où l'on pouvait se procurer certaines drogues - et parfois les prix - et sensibilisaient les novices aux effets de ces drogues, et notamment les descentes. La drug-culture faisait partie intégrante de la culture alternative. On ne pouvait pas concevoir l'écoute d'un disque d'Amon Dull ou de Van Der Graff sans fumer de la bonne herbe. Et dans les parcs de Londres, les mecs la vendaient vraiment pas cher. Ça faisait partie des choses normales de la vie de tous les jours. De la même façon que les chasseurs ne conçoivent pas de partir en battue sans être complètement bourrés.

 

C'est la grande force de ce recueil de souvenirs. Brian Nevill resitue tout cela dans une sorte de normalité et avec un humour qui ne cède en rien à la facilité.

 

Et la musique ? Elle est partout, mais ce n'est pas vraiment le sujet principal de ce livre. Brian Nevill alterne les jolis coups de chapeau avec les souvenirs amusés, comme celui d'une série de six concerts de Fats Domino au Saville : «C'était la première fois que Fats venait en Angleterre. En première partie, il y avait Gerry & The Pacemakers, toujours managés par Epstein, me semblai-t-il - il organisait aussi les concerts au Saville - et les Bee Gees, qui eurent à affronter la fureur des Teds et les objets volants, pendant toute une semaine.»

 

Fabuleux coup de chapeau à Gene Vincent. À une certaine époque, Brian Nevill louait une chambre chez un nommé Johnny Hawkins à Tamworth Road. Il décrit notamment la cave qui servait de local de répète aux Wild Angels : «C'était une pièce carrée parfaitement immonde. Humide, crade et mal éclairée. On avait fixé aux murs des matelas dégueulasses pour insonoriser la pièce, car les Wild Angels l'utilisaient pour répéter.» Et plus loin, Brian parle d'un documentaire consacré à Gene Vincent, filmé lors de sa dernière tournée anglaise en 1971. Les Wild Angels accompagnaient Gene, pour cette ultime tournée : «Ce que ne restitue pas ce documentaire, c'est l'impression de profond dégoût qu'on pouvait éprouver en descendant dans cette cave dégueulasse. À ça, il faut ajouter le fait qu'un des artistes les plus importants de son temps fut contraint de se rabaisser à descendre dans un tel endroit.»

 

Powerful Nevill.

 

Les hommages aux rockers et aux groupes qu'il a croisé, comme tout amateur averti, sont toujours majestueux, comme par exemple ce coup de chapeau aux Pretty Things : «Un autre single, un de ceux que j'ai achetés, 'Dimples' de John Lee Hooker, entra dans le top 30 ce mois-là. Le jour où j'ai acheté le single de John Lee Hooker, j'ai aussi acheté 'Rosalyn' des Pretty Things, qui par bien des côtés, étaient nettement meilleurs que les Stones.» Au fil des hommages, Brian Nevill devient une sorte de copain. On s'aperçoit qu'on apprécie les mêmes choses. Il flashe aussi sur la bible de Milton Mezz Mezzrow, «Really The Blues», devenu en France «La Rage de Vivre» et pour bon nombre d'entre nous, l'une des plus grandes révélations littéraires de tous les temps. «Ça cristallisait pour moi certaines choses que je voulais suivre, faire, être - do, be. Doo Bee Doo - pendant plusieurs mois, j'ai parlé le slang de Mezzrow au lycée.» Ce livre de Mezzrow n'a rien perdu de sa modernité. Si l'on considère la rock culture dans son ensemble, peu d'ouvrages se sont situés au niveau du livre de ce fou de Mezz Mezzrow.

 

Il rend aussi des hommages spéciaux au MC5 ou à Jerry Lee : «Je possédais une copie du Live At The Star Club de Hambourg à laquelle je tenais comme à la prunelle de mes yeux. On pouvait difficilement rester assis quand on écoutait ce disque. Une fois, Chris réussit à sauter, avec une sorte d'exubérance incontrôlable, droit sur le tourne-disque alors qu'on écoutait mon Jerry Lee. Je n'arrivais même pas à lui en vouloir, même si je voyais le premier d'une longue série de copies de cet album finir de la sorte.» Coups de chapeau furtifs à John Hammond et à Charlie Musselwhite, «qui traînait avec Elvis à Memphis et qui était alcoolique». Coup de chapeau aux Nice, «J'ai toujours bien aimé le rocking Hammond, depuis la grande époque de Georgie Fame and the Blue Notes». Mais il se fout de la gueule à Keith Emerson : «The Nice n'était pas vraiment un groupe qui m'intéressait et encore moins les extravagances du groupe qu'a monté le leader après. Je ne veux d'ailleurs pas lui faire la grâce de citer son nom ici. (Pour ceux qui sont trop jeunes pour savoir, ou qui ont trop honte d'admettre qu'ils savent, je peux bien vous le dire : le leader c'était Keith Emerson et le trio qu'il a monté après The Nice était un groupe prog réputé dans le monde entier pour son côté horriblement m'as-tu-vu). Coups de chapeau - sous acide - à Doctor John et à Charlie Mingus. Puissant hommage à Lord Sutch : «Son altesse arpentait la scène, mettait le feu ici et là, engueulait le public, hurlait à s'en arracher les poumons, il était capable de tout faire sauf de chanter. Il ne savait pas chanter. Son groupe, les Savages, était fantastique.» Comme tout le monde à l'époque, il était fasciné par Julie Driscoll. «Elle m'a subjugué avec son énorme afro et sa voix profonde. J'ai d'abord cru que c'était un mec. Elle était magnifique, je n'avais encore jamais vu ni entendu une chanteuse aussi bonne.» Hommage vibrant à Bert Jansch «qui a eu sur le rock (et une génération) plus d'influence qu'on ne le croit». Et il salue au passage des tas d'autres personnages comme Martin Stone (The Action, Chilli Willi & the Red Hop Peppers, Mighty Baby et Pink Fairies - devenu un ami), Champion Jack Dupree (le premier qu'il ait vu porter des boucles d'oreilles), Mick Taylor (à l'époque des Gods avec Ken Hensley) ou Jimi Hendrix («une nuit de septembre 66, down at Cousins, juste après son arrivée à Londres»).

 

Brian Nevill est aussi batteur. Il raconte quelques épisodes de sa vie de batteur dans des groupes de rock londoniens. À une époque, il vit au 102 Edith Grove, à Chelsea. Adresse connue comme le loup blanc, car c'est celle du flat autrefois occupé par les Stones. Brian et ses copains répètent. Évidemment le voisin tape dans le mur et balance la formule qui tue : «D'accord, les Rolling Stones m'ont pourri la vie ! Mais certainement pas des gens comme vous !»

 

Phillippe qui m'a conseillé la lecture de ce livre me confiait en prime que Brian Nevill avait accompagné Teddy Paige et joué sur certains morceaux des Gorillas. Qu'il avait été le premier employé officiel de Ted Carroll chez Rock On. Gros parfum de légende, mais tous ces petits détails qui valent leur pesant d'or n'apparaissent pas dans le livre. C'est dire la modestie de l'auteur. Surtout pas question de la ramener. Il laisse le m'as-tu-vu à ceux que ça intéresse. 

 

 

Signé : Cazengler, boomé net

 

Brian Nevill. Boom Baby. McZine 2013

 

Voir aussi : KR'TNT 106 du 12 / 07 / 12 pour La Rage de Vivre de Milton Mezz Mezzrow.

 

 

DE NOIR DESIR

 

A BERTRAND CANTAT

 

 

PIERRE MIKAÏLOFF

 

 

( J'ai Lu / 2013 )

 

 

Un livre sur Téléphone au mois de septembre, un autre sur Noir Désir ce mois-ci, Pierre Mikaïloff met les bouchées doubles. Les fidèles lecteurs de KR'TNT se souviendront de notre recension de son livre Kick Out The Jam, Motherfuckers ( Livraison 121 du 06 / 12 / 12 ) consacré à l'histoire du punk. Pierre Mikaïloff fait partie de cette frenchy génération suscitée par l'english punky explosion, ces jeunes gens modernes qui ont dans l'ensemble beaucoup plus promis que donné car il n'est pas souvent facile de réaliser ses rêves rock dans une société fondamentalement hostile à ce vecteur de rébellion culturelle qu'est notre musique. Pierre Mikaïloff ne s'est pas au long de son existence contenté de commenter l'histoire du rock avec sa plume, l'a aussi tenu la guitare au coeur des Désaxés et plus tard derrière Jacno.

 

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Autant mettre tout de suite les poings sur les i de Noir Désir, je n'ai jamais été un grand fan du groupe. Voici quatre ou cinq ans devant l'insistance de ( faux ? ) amis qui me conjuraient de sortir de la disco de Gene Vincent et Eddie Cochran ( + quelques autres ) j'ai saisi ma bonne volonté de mes deux mains et suis allé emprunter tous les CD de Noir Désir à la médiathèque voisine : j'ai tout écouté, plage par plage, sans en omettre une seule. Le résultat a été sans appel, me suis ennuyé quelques heures, et n'ai plus recommencé depuis. Motif, ai trouvé que ça ne sonnait pas vraiment rock, que c'était un peu trop catalogué chanson française de qualité, certes avec un effort d'électrification, mais un ORCI ( objet rampant clairement identifié ) venu d'une vieille planète. C'est mon avis personnel et je le partage. Maintenant, m'étant de toujours intéressé au rock français, je ne me suis pas désintéressé du book de Pierre Mikaïloff, ne serait-ce que pour complaire à ma fille adorée qui me tarabuste depuis plusieurs années avec Noir Désir.

 

 

Plus de trois cents pages pour suivre la carrière de Noir Désir et de son leader minimo ( j'emploie ce terme pour ne pas froisser les idées d'égalités individuelles qui furent une constante de base de l'idéologie qui présida au fonctionnement du combo ) du tout début à la parution du prochain album Bertant Cantat. Beaucoup de documents, je ne parle pas du mini cahier central des photos de Youri Lenquette qui auraient mérité un format plus développé, mais des innombrables citations collectées par Pierre Mikaïloff, dans la presse spécialisée ( Best, Rock & Folk, Les Inrockuptibles ), dans les différents témoignages recueillis auprès de quelques uns qui ont croisé à divers titres la route de la formation, et dans les livres suscités par la trajectoire du groupe. A tel point que l'on en vient à regretter que l'auteur n'intervienne pas plus souvent et souhaiter qu'il pousse ses analyses personnelles un peu plus loin.

 

 

UN GROUPE ETHIQUE

 

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Si l'aspect purement musical de Noir Désir me laisse aussi froid qu'un iceberg encore rattaché à sa banquise, je dois avouer que la démarche du groupe ne me déplaît pas. J'irai même jusqu'à dire qu'à certains égards elle m'agrée. Partis de rien, quatre ados qui doivent reconnaître à la première répétition qu'ils ne savent ni jouer ni chanter et qui intuitent qu'ils doivent avant tout se mettre au travail, cela me semble le minimum syndical. Mais au bout de plusieurs années de galères nos quatre héros comprennent que rien ne sert de se précipiter, ni de partir avant les autres. C'est que Bordeaux peut au début des années quatre-vingt aligner des formations qui tiennent la route de Strychnine à Gamine, mais Noirs Désirs ( l'on supprimera les S plus tard ) ne veut pas tirer deux cartouches et puis plus rien. Face à Barclay, ils dédaignent le single proposé et exigent un album, finiront par couper la poire en deux et se contenteront d'un six-titres. Ne voir aucune trace de mégalomanie dans cet entêtement, ils ont simplement conscience qu'un petit quarante-cinq tours serait incapable de rendre justice à leur musique, qui a besoin d'un plus vaste espace pour se développer.

 

 

Veulent bien mettre de l'eau dans leur verre mais sans la mélanger à leur vin. Noir Désir ne cède pas aux sirènes de la Major qui les signe. Se battront pas à pas pour imposer le choix et le style de leurs morceaux et la manière dont ils entendent être promus. Refusent les participations aux émissions télévisées débiles dont le contenu idéologique est en contradiction flagrante avec la vision de leurs textes, à dominantes alternatives dirons-nous pour faire vite. Les nécessités économiques se doivent de céder le pas devant l'impératif poétique.

 

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Mais rien n'est jamais acquis. Le monde bouge sans cesse et vos principes reposent leurs pieds douillets sur des réalités instables. Dès le second disque, le succès arrive et la donne change. Ne pas décevoir un noyau de fans purs et durs reste dans les limites du possible, ne pas être compris de vastes foules qui viennent vous acclamer vous oblige à rester sans arrêt la garde haute. Mais tout cela dépend de vous. Les rachats successifs et la concentration des labels – sur lesquels les artistes n'ont aucune prise – feront qu'un beau matin Noir Désir se réveillera dans les mains de la multinationale Universal. Ce n'est pas qu'on ne les laisse pas tranquilles. Apportent assez d'argent à chaque nouvel album pour qu'ils puissent diriger leur barque musicale tous seuls. Pire on leur permet d'autant plus de liberté qu'ils servent de caution morale à la variétoche de merde produit par Vivendi. La chanson est connue : « Chez nous les artistes sont libres d'enregistrer ce qu'ils veulent : vous n'avez qu'à écouter toutes les condamnations sans ambages du capitalisme dont Noir Désir emplit ses cd. » Lors de la remise des trophées des Victoires de la Musique en 2002, Bertrant Cantat lira devant des millions de spectateurs une lettre à son camarade-PDG dont il expose la stratégie libérale mais pas du tout libertaire...

 

 

EXPLOSION

 

 

Les pressions, la fatigue, les excès, l'afflux d'argent, les tournées finiront par imposer de longues périodes de repos qui ne nuisent pas à la réception du groupe. Fidèle à ses idées, Noir Désir, soucieux de ses fans qui achètent ses créations, négocie avec sa maison de disques un prix bas pour toutes ses productions et même n'exige pour certains de ses spectacles que le défraiement du staf technique... Vingt ans que le groupe existe et sa cote d'amour auprès du public ne baisse pas. C'est alors que survient l'impondérable.

 

 

Je ne m'étendrai pas sur cette lamentable affaire. Bertrant Cantat se retrouve accusé du meurtre de Marie Trintignant, sa compagne. L'affaire éclate comme un coup de tonnerre en juillet 2003 et divise la France en deux camps. Encore pire que l'affaire Dreyfus. Par exemple, sur le marché de Provins circule une pétition dénonçant la conduite hystérique de Marie... Beaucoup trop de bruit pour une querelle d'amoureux qui tourne mal. Comme le rappelle fort opportunément Pierre Mikaïloff, Jerry Lee Lewis a dû commettre bien pire dans sa vie. Mais s'en est mieux tiré – normal, c'est un rocker-crotale notre Jerry Lou bien-aimé - que Cantat qui écopera de huit ans de prison – de fait quatre avec la libération anticipée - et de plusieurs années de mise à l'épreuve. L'on profitera qu'il soit enfermé pour très courageusement incendier sa maison... Ces derniers jours – dix ans après les évènements - des féministes enragées ( Orphée est mort déchiré par des Ménades jalouses de son inappétence envers leurs précieuses personnes ) cherchent encore à le traduire devant la justice pour avoir moralement, psychologiquement, et physiquement poussé sa femme Krisztina au suicide...

 

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Cantat mettra du temps à se remettre de l'affaire qui rebondit pratiquement à chacune de ses apparitions publiques... Nous lui souhaitons des temps plus cléments... L'est sûr que ses nombreuses déclarations politiques en ses heures de gloire ne lui auront pas fait que des amis et qu'il est plus facile de frapper votre ennemi lorsqu'il est à terre que lorsqu'il est reconnu par des dizaines de milliers de fans comme le porte-parole de toute une génération.

 

 

THE END

 

 

Comme dans tous les drames il faut toujours un traître pour hâter la fin. Ce sera le compagnon de la première heure Serge Teyssot-Gay - sans doute a-t-il pensé que rien ne recommencerait comme avant avec la même intensité musicale et qu'il valait mieux se saborder que se survivre - qui annoncera unilatéralement en novembre 2010 la dissolution de Noir Désir... L'épopée se termine en eau de boudin noir.

 

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Livre idéal – mise à jour de la première édition parue en 2009 chez Alphée - pour ceux qui voudraient avoir une vision chronologique du parcours de Noir Désir. Donne à réfléchir sur la main-mise de l'artiste rock sur sa propre musique. Le système est prêt à vous en déposséder promptement. Les parcours de groupes comme BB Brunes ou Mustang sont plus qu'éloquents quant à l'infléchissement musical auxquels une formation rock peut être soumis plus ou moins consciemment, plus ou moins volontairement, en notre pays. Le brin d'originalité qui caractérise un combo de débutants n'est pas à proprement parler ce qu'un label tentera de développer. Noir Désir aura réussi à devenir ce qu'ils voulaient être. Sans y laisser trop de plumes. Ce n'est déjà pas si mal.

 

 

Damie Chad.

 

 

CHRONIQUES VULVEUSES

 

 

DIXIEME EPISODE

 

Résumé de l'épisode précédent : L'agent Damie Chad 009891 du SSRR ( Service Secret du Rock'n'Roll ) est envoyé de toute urgence en Ariège afin d'enquêter sur l'inquiétante entreprise terroriste de déstabilisation psycho-culturelle surnommée La Conjuration Vulvaire. Tous les faits rapportés dans cette oeuvre à enrobage littéraire affirmé sont tirés de la réalité la plus triste, les documents officiels de la justice et des gendarmes sont là pour en apporter la preuve définitive.

 

 

36

 

 

«  Je vois, je vois » murmura le Chef en se reversant pour la dix-septième fois une chope de sky dont le cercueil à roulettes devait contenir une inépuisable provision. Je doutais de sa faculté de compréhension mais lorqu'il résuma le long exposé de trois heures que nous relata Claudius, je dus m'avouer que le problème était parfaitement exposé point par point, avec une clarté d'eau de roche ( vulvaire ) :

 

 

Point 1 : après avoir bourlingué aux quatre coins du monde Claudius de Cap Blanc vous revenez vous installer dans votre Ariège natale.

 

Point 2 : c'est dans la charmante ville du Mas d'Azil que vous mettrez en oeuvre votre Affabuloscope.

 

Point 3 : les autorités voient d'un bon oeil cet établissement culturel qui ne peut qu'aider à promouvoir le tourisme local.

 

Point 4 : Tout commence à dérailler lorsque vous vous mettez à graver des pierres vulvaires que vous déposez dans des endroits stratégiques : sentiers de grande randonnée, monuments aux morts, divers édifices publics.

 

Point 5 : les pouvoirs publics reçoivent quelques lettres indignées de vertueux citoyens éminemment choqués par l'érection de ces pierres vaginales.

 

Point 6 : les plaintes émanant de citoyens et d'associations commencent à pleuvoir. La justice immanente des hommes réagit sans retard et vous êtes condamné : une amende et l'interdiction de recommencer. Hélas vous persévérez dans votre lamentable erreur.

 

Point 7 : les services du tourisme départemental vous font savoir que désormais ils ne feront plus mentions dans leurs dépliants de l'existence de l'Affabuloscope. Ce que l'on appelle une extinction programmée.

 

Point 8 : jusqu'à lors nous sommes en présence d'une simple éruption de puritanisme républicain. Faut croire que nos élus et nos dirigeants laïques sont aussi coincés du postérieur que les représentants de la très Sainte Eglise Catholique Apostolique. Il faut reconnaître qu'en gravant des représentations stylisées du sexe de la femme, vous réveillez tous les phantasmes, notamment la grande peur de la bouche d'ombre insatiable qui vient jusque dans nos campagnes pomper le sperme de nos concitoyens.

 

 

  • Chef, je ne savais pas que votre verbe pouvait atteindre à une si haute poésie !

  • Agent Chad, taisez-vous !

 

 

Point 9 : C'est à ce moment que le Département, suivant en cela la dernière mode initiée par le Château de Versailles, décide d'inviter des artistes actuels dans la grotte du Mas d'Azil afin de mettre en résonance la création contemporaine et l'art pariétal préhistorique...

 

Point 10 : Lorsque vous apercevez la première de ces oeuvres – ce que nous appelons le troboscope d'Hawkwind - et que vous apprenez que pour celle-ci et une deuxième exposée dans les parties visitables de la grotte, le Conseil Général s'est généreusement départi d'une somme de près de 150 000 euros, vous décidez d'agir.

 

Point 11 : vous qui êtes déjà victime d'une amende vous pensez que vos pierres vulvaires sont beaucoup plus en relation avec l'art préhistorique qu'un troboscope d'Hawkwind, et sans vous poser davantage de questions, vous convoquez la presse pour qu'elle puisse vous admirer en train de tracer au pochoir quelques signes vulveux sur les constructions inhérentes à la grotte.

 

Point 12 : la presse ne sera pas au rendez-vous, il semble que de mystérieux coups de fil aient eu raison des volontés d'informer et de la sacro-sainte liberté de ladite presse. Néanmoins, tel ces racailles de grapheurs qui inondent de leur immondes tags les murs de nos radieuses cités, vous perpétrez cet acte de rébellion caractérisé.

 

Point 13 : les réactions ne se font pas attendre : vous êtes mis en garde-à-vue, déféré devant un juge et condamné à rembourser les travaux d'effaçage de vos vulves dégradatives que la mairie chiffre à près de 7000 euros.

 

Point 14 : l'est sûr que vous gênez, l'on veut se débarrasser de vous, on y réussit si j'en juge cette pancarte de mise en vente de l'Affabuloscope que vous étiez en train de fignoler lorsque nous sommes arrivés.

 

Point 15 : pour mieux vous enfoncer l'on se livre en haut lieu à une grande manoeuvre de manipulation, l'on signale au SSRR l'émergence d'une organisation terroriste internationale que l'on surnomme La Conjuration Vulveuse.

 

Point 16 : lorsque je suis informé du danger imminent. Je n'y crois point. C'est pour cela que j'envoie le pire de nos agents, le matricule 9981 dans le secret espoir que sa teuf-teuf mobile rende l'âme sur la Nationale 20, ou que son insupportable cabot profite d'une pause-pipi pour jouer la chienne de l'air. Bref que l'équipe de bras cassés et de pattes brisées que je délègue ne parvienne jamais à rallier le 09.

 

 

    • Chef, vous subodorez que...

    • Taisez-vous matricule 9981 !

 

 

 

Point 17 : hélas une fois sur place, notre malheureux missionnaire prend son rôle si au sérieux que dans les sphères supérieures l'on a peur qu'il ne découvre le pot aux roses. Dans un premier temps l'on procède à son arrestation, dans un deuxième temps par un principe de précaution l'on coupe le bras véreux. Le SSRR est liquidé. Naturellement j'en réchappe. Et je descends en Ariège afin de prendre l'affaire en main.

 

 

C'est à cet instant précis que l'on entendit un chuintement étrange. Nous nous précipitâmes aux fenêtres, mais dans la clarté lugubre du petit matin nous ne vîmes rien. Les poils de Molossa se hérissèrent si droit qu'elle ressemblait à un opaque porc-épic épique.

 

 

    • Je me demande à quoi peut correspondre cet étrange bruit s'interrogea à mi-voix Claudius

    • Je sais, c'est un convoi de CRS, ils ont entouré les pneus de leurs camions avec des chiffons de feutre pour mieux nous surprendre, lui répondit le Chef, qui n'était pas né de la dernière pluie. Ni de l'avant-dernière.

    • Chef, je suis sûr que là-dessous il y a mon ami le proc, ce porc de 008 !

    • Agent Chad, à m'écouter parler vous devenez intelligent !

    • Je sens que vous allez encore avoir besoin de vous laver les dents, s'écria Claudius, que l'imminence du danger galvanisait comme un fil de fer.

    • Bien non, figurez-vous qu'au dernier moment j'ai remplacé ma vingtaine de désintégrateurs par autant de fioles de sky, s'exclama le Chef le sourire aux lèvres.

 

 

Etrangement son optimisme ne se communiqua point à Claudius qui proféra ce magnifique mais funèbre alexandrin, à superbes rimes intérieures.

 

 

    • Alors on est foutu, on l'a tous dans le cul !

    • Mais non, mais non, le rassura le Chef, nous allons leur faire le coup du cheval de quatre !

 

FIN DU DIXIEME EPISODE