Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/11/2013

KR'TNT ! ¤ 162. LOU REED / THE FALL / JAMY & HIS ROCKIN'TRIO / GHOST HIGHWAY / PAT McGINNIS AND HIS 2 STARS /

 

KR'TNT ! ¤ 162

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

07 / 11 / 2013

 

 

LOU REED / THE FALL / JAMY & THE ROCKIN' TRIO / GHOST HIGHWAY / PAT Mc GINNIS / TONY MARLOW /       ALEISTER CROWLEY /CHRONIQUES VULVEUSES

 

 

Rideau pour Lou Reed

 

 

Mon pauvre Johnny, te voilà dans un sale état, avec tes béquilles et tes boîtes de médicaments. Ton corps te lâche. Tu peux encore te consoler en te disant que tu as toute ta tête, mais ce n'est qu'un répit. Et les médecins ne savent pas quel mal te ronge ? Une sorte de dégénérescence du système nerveux ? On est bien peu de choses. C'est mon amie la rose qui me l'a dit ce matin.

 

Heureusement qu'on arrive encore à parler de musique quand on passe un moment ensemble. On évoque tous les groupes magiques qu'on a été voir ensemble, les Heartbreakers, les Mary Chain, les Saints et les Pixies, avec le gros Black qui se penchait sous son micro pour hurler comme un goret qu'on égorge. Et toutes ces heures passées à jouer ensemble, avec les deux autres, dans un petit local du Kalif, à taper dans les classiques des Groovies, des Ducks Deluxe et des Saints... Shake, Kissing Cousins, Fireball et toutes ces belles chansons qu'on jouait en sifflant des mousses. Ah tu parles d'une histoire !

 

-- Et les Pale Saints ? Tu te souviens des fabuleux Pale Saints de Leeds, avec ce bassiste, là, Ian Masters qui chantait si bien, avec sa petite voix blanche ? Tu te souviens de ce morceau dément qu'on avait commencé à reprendre... Ah zut ! Me rappelle plus !

 

-- «Sight Of You», avec le beau riff de basse, bam ba-la ba-la-ba-dam, bam ba-la ba-la-ba-dam, ouais, et il attaquait le chant, The sight of you/ The sight of you/ Makes me feel good/ Makes me feel good, et tu repartais sur le riff, bam ba-la ba-la-ba-dam...

 

-- Moi, le concert qui m'a le plus marqué, c'est celui du Velvet à l'Olympia. Encore plus que celui des Heartbreakers au Bataclan. Le Velvet, c'était en 1993, je crois. Ouais, c'est ça, je venais tout juste d'être muté à Saint-Ett. On était arrivés sur le boulevard et on avait vu le nom du Velvet écrit en grosses lettres rouges sur la façade, tu te rappelles ? Il faisait chaud, ce soir-là. C'était comme dans un rêve. On allait voir le Velvet sur scène. C'était assez inespéré, non ?

 

-- T'as raison, mais souviens-toi, on s'attendait quand même au pire - comme pour la reformation des Pretty Things. Mais oui, rappelle-toi, ils avaient raconté partout qu'ils ne s'étaient reformés que pour le pognon, donc il fallait craindre le pire, d'autant plus qu'à l'époque Lou Reed cultivait le cynisme et traitait les journalistes comme de la merde. Il s'amusait à les torturer.

 

velvet_1.jpg

 

C'est vrai qu'on était quelques uns dans le secteur à vénérer le Velvet des trois premiers albums. On trouvait les disques tellement parfaits qu'il n'était pas question d'en reprendre des morceaux. Ils nous semblaient intouchables, comme le sont devenus plus tard ceux des Pistols. Même si Johnny avait ce qu'on appelle une vraie voix et qu'il se prenait parfois pour Chris Bailey, il n'aurait jamais pu chanter comme Lou Reed. C'est un peu comme Johnny Cash : personne ne peut chanter comme lui. C'est une question de timbre, de diction, d'accent et de classe. On ne parle même pas du son des morceaux du Velvet et encore moins de la façon dont Moe Tucker battait le beurre sur ces trois premiers albums. On n'a jamais vu un batteur comme ça à Rouen. Ça n'a même certainement jamais existé en France. Le seul qui ait approché cette façon de battre, c'est Bobby Gillespie, à l'époque où il jouait dans les early Mary Chain.

 

Le Velvet avait un son unique au monde et tous ceux qui ont tenté de les singer se sont cassé les dents. Il faut quand même bien se souvenir qu'à cette époque, Lou Reed, David Johansen et Iggy étaient les rois du pétrole. 

 

-- Shiny shiny boots of leather... J'ai toujours cet air-là en tête, depuis quarante ans...

 

-- Ben oui, ça fait un bail, poto. Je me rappelle bien de ce concert parce que ça commençait mal. Tu te souviens, on était au balcon. On a vu Lou Reed ramener sa fraise sur scène, en T-shirt noir et en jean. Pas de cuir, rien. Il avait une atroce guitare à manche tronqué. Et il portait des lunettes de vue. Il me faisait penser à un pasteur presbytérien psycho-rigide. Un gros coincé du cul. L'horreur. Il avait l'air constipé. Tu te souviens comme il était crispé ? Il ne bougeait pas les pieds. Il avait l'air collé au sol. Et la gueule de merlan frit qu'il tirait ! Plus rien à voir avec son look Velvet, black shades à la Ray Charles et petite coupe frangée. Il jouait les pète-sec, cet abruti. Alors le pire, c'était John Cale, avec ses tempes rasées. Méchant frimeur. N'importe quoi ! Qu'est-ce qu'il pouvait avoir l'air con, avec son profil d'aigle de mes deux ! Le seul qui s'en sortait bien, c'était Sterling Morrison. Lui, la classe !

 

-- Ouais, c'est vrai. Et on ne voyait pas trop Moe Tucker, derrière. C'est Sterling Morrison qui jouait de la basse sur Venus, hein ?

 

-- Exact. Et puis après, Jean Cale a repris la basse pour White Light, ah putain, one two three, on se l'est pris en plein dans la gueule ! L'un des hits les plus incendiaires de l'histoire des fournaises ! Même les cromagnons, ils n'avaient pas des fournaises comme celle-là. Tu te souviens, on s'est mis à faire les cons et à danser comme des gros nains. On aurait pu écrouler le balcon à sauter comme on sautait.  

 

-- White Light, franchement, c'est l'un des morceaux que j'emmène sur l'île déserte ! C'est sûr ! Et le père Lou Reed qui chantait ça sans broncher. Ça m'a scié. Il nous la jouait nerfs d'acier. Le pasteur pète-sec cassait la baraque et il restait impassible. Il est vraiment spécial, ce mec. N'importe qui à sa place se serait roulé par terre. Et le solo de Sterling Morrison ? Tu te rappelles ? Encore un truc de fou. Le son qu'il avait ! Jamais on aurait pu avoir un son comme celui-là, même avec des pédales d'effets. C'était dans sa façon de jouer. Il prenait des chemins de traverse. Ooh-ooh white heat...

 

velvet_2.jpg

 

-- Hey foxy mama watchin' her walk down the street ! Et derrière, Moe battait le beurre comme une rockab, bien binaire, comme si elle avait battu pour Tav Falco. Elle a une façon assez unique de battre. C'est elle le heartbeat du Velvet. C'est ce que les Demolition Doll Rods ont compris : ils ont repris l'idée du beat tribal minimaliste. Le vrai truc. C'est dommage que tu ne sois pas venu les voir quand ils jouaient à Paris, ou même à Évreux, ça t'aurait vachement plu. La petite batteuse à demi aveugle des Demolition bat tout droit, comme Moe. Pas de roulements, pas de fioritures, pas de chichis à la noix de coco. Rien que le beat. Le gros beat turgescent. Moe Tucker est debout derrière un gros tom basse et elle bat comme une vache. C'est tout ce qu'elle sait faire. Battre. On aurait dit qu'elle était née pour ça.

 

-- Mais quand elle est venue chanter «I'm Sticking With You», les mecs ont sorti des banderoles, tu te souviens ? On aurait dit que tout le monde était venu uniquement pour elle. L'égo de Lou Reed a dû salement morfler.  C'est elle qui a eu les plus grosses acclamations !

 

-- Sterling Morrison semblait aussi un peu effacé. T'as vu, c'était vraiment Lou Reed le patron. Putain, la gueule ! Il ne rigolait pas. Ça allait mieux quand il a changé de guitare. C'était quoi déjà, comme guitare ?

 

-- Une Telecaster. Et il a renvoyé vite fait Moe Tucker à ses fourneaux. T'as vu comment il a squatté le chant après ? Et c'est là où Lou Reed est très fort. Comment il a mis le turbo avec «I Heard You Call My Name» ! C'est l'un des hits les plus violents du Velvet !

 

-- Avant de les voir jouer ça sur scène, j'étais persuadé que le solo, c'était Sterling Morrison. Pour moi, le soliste fou du Velvet, c'était Sterling Morrison !

 

-- Grave erreur, monsieur le commissaire, c'était Lou Reed. Démente, sa bouillie volcanique. Il nous refaisait le coup des nerfs d'acier alors qu'il balançait l'une des pires saloperies qu'on ait entendue dans l'histoire du rock. C'est lui qu'on aurait dû appeler le killer, pas Jerry Lee. Pour moi, Lou Reed est l'une des plus parfaites incarnations du rock. Tu sais, on accusait autrefois les sorciers d'être des incarnations du diable. Lui, c'est exactement ça. L'incarnation du rock. Et du diable aussi, d'ailleurs. Je le revois jouer ses notes brûlées vives. Stupéfiant ! C'est certainement le meilleur guitariste que j'aie pu voir. Le plus wild, au niveau son. Lou Reed est bien plus teigneux que Chris Spedding ou Jeff Beck. Ou même que Wayne Kramer ! Ceux-là vont chercher des gros trucs, mais Lou Reed va beaucoup plus loin, il va carrément chercher l'apocalypse. Il nous fait l'incendie qui ravage Babylone. Il va chercher l'aplatissement de Sodome à coups de colonnes d'Hercule ! Tiens ressers-moi un coup de Jenlain.

 

-- En les voyant jouer sur scène, je comprenais mieux ce que ça voulait dire, un groupe comme le Velvet. C'était une conjonction surnaturelle de musiciens hors du commun.

 

-- Sauf qu'ils ont réussi à massacrer «Waiting For My Man». L'horreur. La sainte horreur... Pas mal pour des musiciens hors du commun ! Cet abruti de John Cale s'est mis au piano électrique avec ses temps rasées et, pire encore, il a osé chanter ce classique, alors que c'est du pur Lou Reed. Sans la voix de Lou Reed, ça ne vaut pas un clou. Ah le désastre ! Tu te souviens, on s'est regardés. On n'en revenait pas de voir ça. Comme disait Kurtz dans Apocalypse Now, J'ai vu des horreurs... Depuis, je lui en veux à Jean Cale d'avoir massacré Waiting. Méchant connard prétentieux ! J'ai viré tous ses disques, sauf «Paris 1919»...

 

-- C'est vrai qu'à cause de lui, le concert est retombé comme un soufflet. Il chantait comme un âne. On aurait dit qu'il en faisait exprès. Comme pour se venger de Lou Reed... Va-t-en savoir, avec ces mecs-là...

 

-- Et du coup, on a même pas eu le solo de basse qu'on entend à la fin du morceau, sur le disque. Complètement désossée, cette version de Waiting. Ça restera pour moi l'une des grandes tragédies du XXe siècle.  

 

a1155dessin.jpg


 

-- Mais après, Lou Reed a repris les choses en main avec sa méchante apologie du junk, la huitième merveille du monde, «Heroin». Quelle ode, poto ! Quel hymne fatal ! When I'm rushing on my run/ And I feel just like Jesus' son...

 

  -- And I guess/ that I just don't know...

 

  -- C'est vrai qu'on a atteint un sommet avec cette version. T'auras jamais ça ailleurs. Mais le morceau qui m'a vraiment collé des frissons partout, y compris dans les doigts de pieds, c'est «Pale Blue Eyes». C'est le morceau du Velvet que j'ai toujours préféré, depuis le début. Pour moi, «Pale Blue Eyes» contient tout le génie de Lou Reed, cette infinie délicatesse de transcendeur transsexuel qui délie une mélodie d'une finesse byzantine, d'une subtilité magique. Sometimes I feel so sad/ Sometimes I feel so happy/ But mostly you just make me mad/ Baby, you just make me mad/ Linger on your pale blue eyes/ Linger on your pale blue eyes (Des fois je suis triste, des fois je suis heureux, mais toi tu me rends dingue, quand je me noie dans tes yeux bleus). D'ailleurs, après, il aura du mal à retrouver un niveau comparable.

 

  -- Tu charries ! Il l'a fait avec «Transformer» ! Encore un vrai coup de génie ! Vi-chious/ You hit me with a flo-wer/ You do it every ha-our/Ohh, baby you're so vi-chious. Quand le disque est sorti, il m'a rendu dingue. Encore plus qu'avec le premier Stooges. Pour moi, c'était le disque de rock parfait, la classe absolue et seul Lou Reed pouvait sortir un album comme ça après ses trois classiques velvétiens. En général, ils s'arrêtent à trois. Regarde bien, tous les géants se sont arrêtés à trois. Jimi Hendrix, les Stooges, les MC5, trois albums, trois classiques. Ni les Dolls, ni les Heartbreakers, ni les Pistols n'ont pu arriver jusqu'à trois. Dommage. Le seul qui a dépassé les trois, c'est Lou Reed. Wham Bam, il débarque en plein glam avec ses yeux fardés et ses petits hits trashy. You want me to hit you with a stick/But all I've got is a guitar pick/Uh... baby you're so vi-chious ! Pas mal hein ? À l'époque on portait des maillots noirs à manches longues avec un tigre et Wild Thing écrit en gros et on tortillait du cul dans des pantalons en velours peau de pèche hyper-moulants. Lou Reed nous claquait ses paroles au nez, comme des coups de fouet. Tu te souviens, on traînait avec des salopes et on descendait chacun une bouteille de vodka dans la soirée. Baby you're so vi-chious... Depuis le début, Lou Reed clamait qu'il était le meilleur, et il avait raison. Il avait parfaitement les moyens de balancer un truc comme ça. Tu te souviens, on disait à l'époque que tous les mecs qui avaient vu le Velvet sur scène avaient monté des groupes. À part les Stones, je ne vois pas de qui on pourrait dire une chose pareille.   

 

a1153transformer.jpg


 

-- T'as raison, «Transformer» est un gros disque, mais j'aime pas trop la touche Bowie.

 

-- Mais on s'en fout de la touche Bowie ! Et puis, il y avait Mick Ronson dans les parages. Encore un sacré numéro. D'ailleurs Lou Reed s'est bien entendu avec lui. Il l'a traité de sweet guy. Lou Reed avait de la chance. Il avait mis le grappin sur l'un des plus grands guitaristes anglais, un sorcier du son et un spécialiste des arrangements. Ronno la star !

 

-- Lou Reed, il est un peu comme Keef. Il peut pondre des hits planétaires montés sur trois accords. Mais quand tu prends «Gimme Shelter» et «Vicious», tu t'aperçois dès les premières notes que c'est un hit. Tu crois que c'est du basique, mais en fait c'est du très haut de gamme. Tu as la voix, tu as le son et tu as la prod. Même «Satellite Of Love» est un gros truc, en dépit de son apparence pop un peu tordue.

 

-- Pour revenir à Bowie, c'est un peu logique de le retrouver dans ce circuit Stooges-Velvet. Bowie était un vrai fan de rock. Il était au premier rang, quand les Pretty Things ou Vince Taylor montaient sur scène à Londres. Tiens ressors ta copie de «Pin Ups», tu vas voir, il reprend deux hits des Pretty Things, deux des Who, Friday des Easybeats et d'autres trucs des Kinks et des Yardbirds. C'était sa vraie culture. Il était aussi fasciné par les Stooges, et sur «Hunky Dory», il rend un super hommage à Lou Reed, avec «Queen Bitch». Il a même pompé les accords de White Light, si je me souviens bien.

 

-- Non, «Sweet Jane» !

 

-- Enfin bref, il avait une dette énorme envers tous ces mecs qu'il admirait. Bowie était un pur kid londonien fan de rock et c'est pour ça qu'on l'a suivi pendant tout le glam jusqu'à «Aladin Sane». Après, ça s'est gâté, c'est vrai. On ne s'en souvient plus très bien, mais l'arrivée de la musique du Velvet en Europe a provoqué une petite révolution. Comme Bowie à Londres, on a pris ça en pleine gueule.

 

-- Comment t'as découvert le Velvet ? Je me souviens que c'est toi qui m'as prêté les trois albums. Je ne les connaissais pas.

 

a1152velvet3.jpg

 

-- Pour moi, le Velvet, c'est arrivé en France par Actuel, à l'époque du vrai Actuel. Quand Bizot est revenu d'un voyage aux États-Unis, il a racheté Actuel qui était un beau canard de Jazz, imprimé sur du beau papier mat. Il en a fait un canard underground, LE canard qu'il ne fallait pas rater, avec des numéros à thèmes, sur la drogue, le sexe, le rock dégénéré, avec Alice Cooper en couverture. J'ai encore tous les numéros dans un carton. Bizot venait de découvrir la contre-culture américaine et il a commencé à faire connaître ça en France en publiant les dessins de Robert Crumb et ceux de Gilbert Shelton, tu sais, les Freak Brothers. Et paf, il y a eu un jour un article sur le Velvet ! C'est quoi ce groupe ? C'était la chronique d'un double album. Une page entière ! «The Velvet Underground - Andy Warhol's Velvet Underground featuring Nico», je crois bien que je l'ai encore. Sur la pochette, il y avait des lèvres rouges peintes par Warhol qui s'ouvraient pour sucer une paille plongée dans une bouteille de coca. Une petite séquence en plusieurs images. Dans le style pop art. L'article était tellement dithyrambique que j'ai cavalé chez un disquaire. J'ai ramené ça à la maison et ce que j'ai entendu, c'était exactement ce que le mec d'Actuel racontait : des histoires de fournaise, de morceaux chauffé à blanc, de chaleur blanche et de rush d'héro, un vrai truc de fou, avec du violon qui grinçait atrocement et une atmosphère macabre sur certains morceaux. On n'avait encore jamais entendu un truc pareil, ni une telle voix de désaxé. Je suis tombé raide dingue de ce double album qui était une sorte de Best Of, sur MGM. Après je me suis rencardé à droite et à gauche, j'ai su qu'il y avait trois albums et j'ai fini par les choper à Londres, d'occase, en pressage américain, évidemment. Tu vois, ils sont encore là. Ils ont survécu à tous les naufrages. Ils font partie de ceux que je vais emmener sur l'île déserte. C'est à peu près la seule fois où j'ai vraiment eu l'impression de ne pas me faire arnaquer par une chronique parue en France - excepté celles d'Yves Adrien, of course. Dans son texte, le mec d'Actuel disait la pure vérité. Il avait découvert ce groupe new-yorkais et il voulait en faire profiter les copains. Je me souviens la première fois que j'ai entendu Waiting. Ça m'a vraiment secoué. Je n'en revenais pas d'entendre un truc aussi bien foutu, cette rythmique obsédante doublée de tambourin, et cette voix bien posée qui arrive comme un requin, le côté tordu des paroles, j'attends mon mec au coin de la rue, fabuleux, et la délinquance qui règne là-dedans ! Et puis le départ de basse en fin de morceau, Lou Reed qui fait that's alrite ! 

 

-- Sur Transformer, tu as une autre perle, «Walk On The Wild Side»...

 

-- Ah putain. On entendait ça le soir à la radio, au Pop Club de José Arthur. Je crois que c'était Bernard Lenoir qui faisait le DJ. Il passait souvent le morceau. C'était même le disque de la semaine. Ça foutait le frisson. Quand tu y réfléchis bien, il n'y a pas tellement de trucs qui te foutent le frisson. Moi, je ne connais que la musique, et quand je dis la musique, c'est faux. Certains morceaux de rock. «1969», «Gimme Shelter», «Cockroach», «Do It Again» des Beach Boys, «Sunglasses After Dark», tu vois des trucs dans ce genre-là. Des trucs directs, bien foutus, comme le «Cheater Man» d'Esther Phillips. «See See Rider» d'Eric Burdon continue de me faire tomber de ma chaise. N'importe quel morceau du premier album des Cramps me secoue encore le cocotier. «Sex Beat» du Gun Club me fait toujours twister les neurones. Mais Walk, c'est encore autre chose. Walk, c'est comme «You've Got That Loving Feeling» des Righteous ou «River Deep» orchestré par Phil Spector, avec la voix de Tina Turner. C'est du très grand art. Je mets ça au même niveau que Vlamink, Vallotton ou Otto Dix. Tu vois, je prends des noms complètement au hasard...

 

-- De toute façon, tu ne peux pas t'empêcher de la ramener. C'est ton côté Raymond la Science. T'es un peu chiant, comme mec...

 

-- Mais non, c'est pas ça du tout. Les peintres et les rockers, c'est exactement la même chose. Une vision, une énergie, et un peu de talent. Il faut juste être un peu curieux, poto. Au lieu de regarder ton putain de match de foot, tu ferais mieux de t'intéresser à des peintres, ou d'aller voir un bon film. Un truc de Scorsese. Ou le nouveau Jarmush. Je ne te parle même pas de Godard, et pourtant, c'est de l'oxygène à haute dose. C'est un violent trifouilleur, le père Godard. Regarde, Captain Beefheart racontait la vie de Jackson Pollock à ses copains du Magic Band et ça les intéressait. Pourquoi ? Parce que Beefheart jouait les passeurs. Il leur refourguait de la légende en barre et visiblement, les mecs du Magic Band en redemandaient. Quand on me refile une barre de légende, je la prends. Toujours. Et je m'arrange pour la refiler dès que c'est possible. Sans réflechir. Je me dis que si j'ai croqué dedans, un autre croquera aussi dedans. C'est comme ça que le Velvet est arrivé dans Actuel. C'est comme ça que je t'ai refourgué le Velvet, parce qu'on me l'avait refourgué. Et c'est pour ça que l'Olympia était plein comme un œuf quand on y est allés, parce que des mecs avaient réussi à faire passer la légende du Velvet en Europe. Alors que ce n'était pas gagné. Si Andy Warhol n'avait pas été là pour les protéger, les mecs du studio d'enregistrement auraient nettoyé le son, et c'était foutu. T'aurais jamais entendu parler de ces mecs-là     

 

--  C'est Herbie Flowers qui joue de la basse sur Walk. Un vrai dieu. On dit qu'il a doublé sa piste de basse : d'abord un tour à la stand-up bass et il a fait par dessus un re-re avec un tour de basse électrique. C'est la basse qui fait la force du morceau.

 

-- Ben oui. Et Lou Reed raconte l'histoire de Holly Woolman qui avait quinze ans à l'époque de la Factory ! Belle attaque, Holly cam' from Miami F L A - cette façon qu'il a de traîner ses trois lettres, F-L-eeehh. Elle a traversé le pays en stop - Hitch-hik'd her way 'cross the US-eeehh - Elle s'est épilé les sourcils - Pluck'd her eyebrows on the way - Rasé les jambes et à l'arrivée c'était un trans - Shav'd her leg and then he was a she. Coup de génie, un de plus. Lou Reed fait une véritable galerie de portraits dans Walk, c'est Apollinaire dans les bas-fonds new-yorkais ! Il a un couplet sur Candy Darling, l'un des premiers trans rendus célèbres par Warhol. Candy venait de Long Island/ Dans la cuisine, tout le monde lui passait dessus/ Mais elle n'a jamais perdu la tête/ Même quand elle se faisait tailler une pipe. Il joue sur le mot head - But she never lost her head/ Even when she was given head. On disait à l'époque que Lou Reed s'était inspiré d'un bouquin de Nelson Algren qui portait le même titre, «Take A Walk On Te Wild Side». Algren c'est le mec qui s'est tapé Simone de Beauvoir, tu sais....

 

-- Attends, tu ne vas pas recommencer à me péter les couilles avec tes histoires de Sartre et tous ces mecs-là ! C'est bon, là...

 

-- Mais t'es con ! Je te parle de la chanson, pas de Sartre et du castor ! J'allais te dire que pour moi, Walk c'est la chanson parfaite et t'en trouveras très peu qui sont aussi parfaites à tous les niveaux : texte, mélodie, orchestration, ambiance. Quand tu entendais Walk, à l'époque où c'est sorti, tu chantais avec le disque parce que tu connaissais les paroles par cœur et l'effet était encore plus ravageur. C'était comme quand tu chantais «Jumping Jack Flash» en même temps que les Stones ou «Like A Rolling Stone» en même temps que Dylan, tu t'envoyais un vrai shoot directement dans le cerveau. Walk est l'une des plus belles romances de l'histoire du rock. Lou Reed parle de ses héros les beautiful losers, et il en fait un mythe. C'est lui qui a déclenché l'arrivée de toute cette imagerie relayée ensuite par Johnny Thunders : le romantisme junkie, si magnifique et si terrible. Au point qu'on finissait à un moment par ne plus pouvoir le supporter, tellement ça devenait pathétique. Rappelle-toi, on fantasmait tous sur des conneries graphiques, style des mots écrits au rouge à lèvres sur le miroir de la salle de bain ou des talons aiguilles. Ce qu'on a pu être cons, quand j'y pense. Mais ce qui est le plus marrant, c'est que Lou Reed nous tenait tous par les couilles avec Walk. Quand j'écoutais les chœurs - And the colour'd girls say - j'avais l'impression qu'ils fondaient comme un esquimau en plein cagnard et qu'ils me coulaient dans la manche. C'est comme certains poèmes d'Aragon ou d'Apollinaire, ou les paroles de «Letter To Memphis» que tu vas trouver sur le quatrième album des Pixies, je n'ai jamais oublié les paroles des couplets de Walk. L'histoire de Jackie qui roule à toute berzingue et qui se prend pour James Dean et qui finit, chargée de valium, dans un platane... Jackie's just speeding away/ Thought she was James Dean for a day/ Then I guess she had to crash/ Valium would 've help'd that dash. La classe !      

 

-- Oh je ne sais pas si c'est la classe de finir dans un platane. Des fois, tu racontes des conneries aussi grosses que toi.

 

-- C'est une façon de parler, poto. Dans Walk, chaque couplet est une tranche mythologique de l'histoire du rock. Chaque couplet contient tous les tenants et les aboutissants. Et tu as ces chœurs qui te coulent sur les doigts comme quand tu te branles. C'est le glamour à l'état le plus pur. Pour moi, le rock sans sexe, ça ne veut rien dire. On s'en fout que Caty Jane Garside chante bien. Ce qui compte, c'est qu'elle montre ses seins. Et là, elle tape dans le mille. Pourquoi crois-tu que les concerts d'Hawkwind étaient tout le temps pleins ? Tu crois que ça nous amusait de nous faire péter les oreilles par les fréquences de ce malade, là, le Dikmik ? C'était plein à cause des gros nibards de Stacia, bien sûr. Et pas que ça. Elle montrait tout. La motte ! T'aurais vu ça ! Rock'n'roll ! Tout le monde louchait ! Tout le monde rêvait de la baiser. Super belle poule bien grasse, bien bandante ! Et quand Lou Reed parle de pipes et d'héro dans ses chansons, il fait du vrai rock. Il est à la racine même du rock, exactement comme Slim harpo, quand il fait son King Bee, baby, laisse-moi venir buzzer autour de ta ruche, quand ton mec est parti/ Hey, laisse-moi entrer dedans, baby, je peux te ramoner all night long. Slim le héros ! Et Andre Williams, quand il dit à sa poule, d'une voix de shouter au désespoir : Baby !  Let me put it in ! C'est pas mal non plus, hein ?

 

a1153lèvresnico.jpg

 

-- Le truc qui me fait marrer avec «Transformer», c'est la photo qui est au dos de la pochette, tu sais, le mec avec la casquette en cuir. Tu connais l'histoire ?

 

-- Non.

 

-- Ce mec est un pote à Lou Reed qui s'appelle Ernie. Lou Reed lui a mis une banane dans le pantalon pour corser l'affaire. Et les autres albums solo de Lou Reed, tu les as écoutés ?

 

-- Ouais, ouais. Il y a des trucs sympa. J'aime bien la période avec Robert Quine, mais là on est repartis pour trois heures. De toute façon, t'en finiras jamais avec Lou Reed. C'est impossible d'en faire le tour. C'est comme avec Marlon Brando, tu peux revoir ses films un par un et tu vas crier au génie à chaque fois, même si tu connais par cœur le film que tu revois. Kurtz, Don Corleone, Johnny Strabler, Valentine Xavier avec sa veste en peau de serpent, Robert Lee Clayton le régulateur, tout ça, c'est énorme. Lou Reed, c'est exactement la même chose que Brando. Tiens, d'ailleurs, on ne sait même pas s'il est mort !

 

-- Qui ça, Brando ?

 

 

Signé : Cazengler l'éphéméReed

 

The Velvet Underground - The Velvet Underground & Nico - Verve 1967

 

The Velvet Underground - White Light White Heat - Verve 1968

 

The Velvet Underground - The Velvet Underground - Verve 1969

 

Andy Warhol's Velvet Underground featuring Nico - MGM 1971

 

Lou Reed - Transformer - RCA Records 1972

 

 

LA GAÎTE LYRIQUE / PARIS / 30 / 10 / 13

 

 

THE FALL

 

 

TRIOMFALL

 

a1164affichefall.jpg

 

 

Nous franchîmes une très grande porte et pénétrâmes d'un pas décidé dans cet endroit que les Lutéciens nomment la Gaîté Lyrique. Un forgeron au teint cuit par les feux de forge nous fixa un bracelet au poignet, en guise de sauf-conduit. Puis nous traversâmes un premier grand hall. Nos pas résonnaient. Nous grimpâmes ensuite deux longues volées de marches avant de déboucher dans une salle gigantesque, d'allure kitsch mais à l'ancienne mode babylonienne du troisième empire ! Le long des murailles, des rangées de colonnes de stuc s'élevaient à six cents coudées pour supporter une immense voûte sphérique en pierre taillée. Cette salle de réception frappait par la démesure de son volume et par l'outrance de son luxe décoratif. On y croisait des nuées bourdonnantes de courtisans tous plus affairés les uns que les autres. Ils semblaient tous porter des tuniques taillées dans le même tissu noir. Les femmes portaient sur elles les stigmates de l'ancienne déviance indy. Nous franchîmes un dernier sas en présentant nos bracelets au garde et débouchâmes enfin dans la grande salle du temple. Sur la scène, un pitre de la pire espèce jouait des disques et s'offrait en spectacle. Par les dieux, ça n'avait aucun sens ! N'importe quel maraud aurait pu prendre sa place et gesticuler. Le spectacle de cette créature nous agaça prodigieusement. Plutôt que de le huer ou de sortir leur glaive pour lui trancher les pieds, les courtisans le regardaient. Comme s'il s'agissait d'un vrai spectacle. Comme s'il y avait quelque chose à regarder. Le monde à l'envers ! Nous dûmes supporter le hideux spectacle de ce pantin en attendant l'arrivée de l'empereur Smith et de sa cohorte. Par les dieux du ciel et des enfers, il nous en cuisait.

 

Nous avions traversé l'empire et épuisé nos montures pour venir nous prosterner aux pieds de l'empereur Smith.

 

Les musiciens de sa garde rapprochée apparurent enfin. Ils étaient bien entraînés et furent immédiatement opérationnels. Aucune extravagance, excepté le design futuriste de la guitare verte de Peter Greenway. Rasé et tatoué, le bassman Dave Spurr semblait venir tout droit d'un banc de nage. Même chose pour le puissant batteur de tambours Keiron Melling. Eleni Poulou, surmontée d'un chignon et concubine en titre de l'empereur Smith, se planta derrière un petit clavier et se fit aussi discrète que possible.

a1163dessin.gif

 

Vint enfin le tant attendu, l'incomparable empereur des terres du Nord, Mark E. Smith, le premier et sans doute le dernier du nom. Nous le dévorâmes littéralement des yeux. Il portait un petit ensemble anodin constitué d'une veste et d'un pantalon taillés dans la grisaille mancunienne, et de souliers noirs et bien cirés, semblables à ceux que portent les vieux chefs de districts aux yeux usés. L'empereur Smith semblait passablement érodé par les méfaits de cet hydromel informel qu'on sert dans les bordels. Il ne regardait rien ni personne. Il laissait son regard se perdre dans le néant impérial. Son nez en trompette ramollissait la dureté d'une image échappée et le rattachait indiciblement à la terre des hommes. Il avait le visage lavé par les excès, mais beaucoup moins qu'on ne l'aurait cru. Il circulait en vérité tellement d'images de l'empereur dans les venelles et sous le manteau qu'on s'était habitué au violent décati de son visage, aux sillons qui lui réseautaient impitoyablement le front et le tour des yeux, aux cernes qui étiraient son regard jusqu'à l'absurde et à une dentition résumée à quelqu'ultime chicot bruni par la chique.

 

Pour achever de dérouter le tas grouillant d'adorateurs agglutinés à ses pieds, il commença par scander une chanson que personne ne connaissait. Sa mauvaise réputation avait depuis longtemps traversé les frontières de l'empire et même les océans inexplorés, et donc personne ne montra le moindre signe d'étonnement. Il maniait l'imprévu comme d'autres manient le fouet. Puis il nous servit la rasade de cinglante fallerie tant attendue avec «Hot Cake», un psycho-cancut bulbeux tiré de «Your Future Our Clutter», un album véritablement monstrueux sorti voici trois ans et distribué dans tout l'empire. Mais «Hot Cake» n'est pas le meilleur morceau de l'album, loin s'en faut ! Il joua plus tard dans le set un autre morceau tiré de l'immense Future, «Bury PTS 1 +3», voilé d'ombre par un titre hermétique, certes, mais mille fois plus ravageur que son collègue le Hot Cake. «Bury PTS» réinvente tout simplement le pachydermisme. L'empereur Smith s'y révèle le grand dada rock par excellence. Il étend son empire jusqu'aux lointaines frontières de l'irréel, jusqu'aux univers convoités, et même jusqu'aux absalons d'orgasmes ventilatoires. Il multiplie les imprécations mâchées, les râles d'édenté, les rimes léprosées. On sent clairement à l'écoute de Bury que l'empereur Smith réfléchit au rock et qu'il trouve des voies nouvelles. Il invente le drumbite au cul de la ferraille, l'aileron de la belle prestance, il stompe quand il faut, il libère ses vents glam, il se révèle à la fois important et importé, puissant et pisseur, meneur et manant, trapu et trappeur. Il presse le rock comme un citron, jusqu'à la dernière goutte.

a1156fallphoto.jpg

 

Tous les sujets de l'empire savent depuis belle lurette que de tous les instruments, l'empereur préfère la basse. Ce que confirme «OFYC Showcase», le premier titre de l'immortel Future. Il l'installe sur un drumbite au cul dada et réveille les dieux de la modernité en envoyant au charbon une basse ronde et poilue. OFYC veut dire Your Future Our Clutter qu'il scande et rescande et qu'il stompe dans l'os et qu'il hante jusqu'au bout, après avoir ouvert une brèche pour y introduire la cavalerie, bien sûr. Il ahane, lui le potentat de l'édentition, le dévôt des varices, l'allumé du benzène. Your future ! Vous en voulez ? Our Clutter ! C'est pas cher ! Rien qu'avec ce brûlot, l'empereur a rempli son rôle de discobole. Oh, mais on trouve un autre germe bactérien, sur ce disque. Le fatal «Mexico Was Solvent», forgé à la basse fuzz. Mais si, il ose. Il chante même en mélodie sur le drumbeat de Mekiko. Il crache ses mots qui sifflent sur nos têtes, ssssss, et il bredouille son Mekiko comme un Oliver Twist édenté à coups de talon. Il trousse son talking-blues mancunéen comme il trousse sa manucure nubienne, il cherche la mélodie rasoir, celle qui glisse froidement sur la lèvre gercée, il étire sa mélasse en longueur et la traîne dans le buzz de la basse fuzz, il la coule dans le mortier et elle ne fait plus d'efforts pour échapper à la mort, hand me a wrenchhhhhh/ On a sssssloppy ssssseat/ and a vegetable on itsssssssssstahhhh. Comme dans ses autres disques, l'empereur Smith revient sur le thème principal avec «YFOC/Slippy Floor», encore un truc sérieux et coupable, joué à deux basses, cette fois. Les deux basses prennent le cerveau en tenaille. Aïe. Avant lui, personne n'y avait pensé. Il chante sa martingale d'artiste échoué dans la vase d'un port. Clapotis monstrueux. Il fait péter la poire d'accords baudruches et sème une poussière d'or dans les rayons d'un soleil noir digne de Marcel Schwob. Avec l'empereur Smith, vous n'aurez que du jamais vu, du toujours plus, du encore mieux qui colle au parquet - le slippy floor - l'empereur tangue, ça glisse, erh, on voudrait mourir tellement on se sent en phase avec l'au-delà. Il pousse son bouchon, push push boogaloo, il nous prend d'assaut, ça passe dans le travers, ça crève l'écran. Encore une fois, on réalise que l'empereur est le dernier gnome fabuleux du Commonwealth. Après, il ne vous restera plus qu'à vous ronger l'os du genou, comme disent les malheureux jetés vivants au fond de puits profonds et au dessus desquels on scelle des grilles. 

a1157fallphoto.jpg

 

Sur scène, l'empereur Smith tapa une troisième fois dans son limpide Future avec «Chino» qui n'avait l'air de rien, mais on sentait la présence d'une petite scie derrière les apparences. L'empereur faisait sa limace, il était tellement malsain qu'on en aurait pleuré, comme le font si facilement les peuplades méditerranéennes. Il rampait sous la lune et nous frémissions du meilleur dégoût. Il tirait sur ses syllabes baveuses et pulvérisait tous les records de l'abjection. Il dégageait une forte odeur de génie jaune. Par les dieux de la déambulation et du commerce d'esclaves, nous n'en revenions pas !

a1158fallphoto.jpg

 

L'une des grandes spécialités de l'empereur Smith consiste à s'approprier des morceaux qui ne lui appartiennent pas, de la même façon qu'il s'est approprié les vastes territoires des Sardes et des Scythes. Sur l'album Your Future, il fait main basse sur «Funnel Of Love», un précieux rockab ayant appartenu à Wanda Jackson. Il utilise toujours la même technique : il s'empare de sa proie d'un geste sec, la désarticule comme une volaille pas encore cuite et la réarticule à son goût. Quel seigneur ! Peu de gens osent agir ainsi. Mais lors du grand soir, il préféra réarticuler un vieux classique des Sonics, l'excitant «Strychnine», qu'il expédia comme une formalité, histoire de bien nous rappeler qu'il n'était pas sentimental.

a1160fallerzats.jpg

 

Bizarrement, il ne piocha pas dans son avant-dernier album, «Ersatz GB», qui constitue pourtant une excellente réserve de munitions. On y trouve notamment «Nate Will Not Return», que l'empereur caresse d'une main de guerrier, out of the fuck. Il va même y chercher la petite bête, c'mon you fuck, grasp the connechhhhhion, the dechepchhhhion. Il pèse bien ses mots, There's a man called Nate, on le suit à la trache. L'empereur gronde le ciel, it's Nate, mate-sssshhh, il fait voler les cake-sssh comme des soucoupes volantes, c'est plein de ruchians, de New-York schhtate-sssh. Il insiste lourdement, I am Nate ! It's too late-sssh, il s'amuse, Mark the Nate de la tchatche du PMU-sssh de petit matin glauque de pompe à bascule d'alcool et de pas de fesses et de bien habillé et de si détruit par toutes ces pintes de bas-fonds de pubs et de briques noires de suie et de parquets qui puent l'encaustique des caustic people d'I am Curious Orange de Shiftwork à la mormoille. L'empereur Smith est le plus grand dadaïste des temps modernes. Pour venir au secours de cette affirmation, citons «Greenway», un morceau de doom-trash metal smithien embarqué lui aussi dans l'Ersatz. Vous avancerez à travers des tourbillons de fumées grasses et vous l'entendrez maugréer au milieu des clameurs des damnés brûlés vifs dans les flammes de l'enfer, un spectacle aussi terrible et aussi dur à soutenir que celui des cochons qu'on voit rôtir vivants à la foire aux jambons de Chatou.

 

Le grand vice de l'empereur consiste surtout à magic-bander. Dans l'Ersatz, vous l'entendrez magic-bander «Laptop Dog» de façon magistrale, avec le soupçon de décadence qui sied à un tel projet. Il tend vers le Subterrean Homesick Blues, mais il réussit à maintenir le cap vers le hit sublime, grâce à une diction pondérée. Il devient une sorte de Lord Smith au comptoir de Alizés.  D'autant que derrière, c'est battu à la diable, ce qui lui permet d'atteindre le Graal du rock, cet optimum en fragrance irisée tellement convoité par tous ces soudards qu'on voit se bousculer aux portes d'airain.

a1159fallphoto.jpg

 

L'empereur allait et venait sur scène. Il cherchait à tromper l'ennui et à se distraire. Il arpentait la scène et s'arrêtait devant les amplis de ses musiciens pour modifier les réglages. Il tournait les boutons de réglage à fond, d'un coup sec. Soit il ajoutait des basses, soit il retirait des aigus. Il cherchait à provoquer des petits effets de larsen en approchant son micro. Il parvint même à couper le son sur l'ampli de Peter Greenway qui ne fit rien pour masquer son envie d'étrangler l'empereur. On entendit ses dents grincer. On ne savait s'il fallait rire ou pleureur. L'empereur alla même s'asseoir pendant de longues minutes derrière un rempart d'amplis. Assis là, il continua à psalmodier, matérialisant ainsi le profond mépris qu'il concevait pour les photographes. Il se livra plusieurs fois à ce petit jeu. Il revint chaque fois sur le devant de la scène avant de retourner s'abriter derrière le rempart.

a1162fallremit.jpg

 

Il tapa à quatre reprises dans «Re-Mit», qui est le dernier album, frais émoulu des écuries Cherry Red. D'abord avec «Jet Plane», emmené au tambour militaire et co-chanté par la courtisane en titre. Il alluma ensuite la mèche de «Hittite Man», un vieux groove fallique de trente ans d'âge, traité à la scansion emblématique du monsieur passe-partout du post-punk et patenté de la pataterie de la Reine Pédauque. L'Hittite man est la pure affirmation du soi de Smith, une invitation aux dérives reptatives anormales de type python sauvage. Il enchaîna avec «Sir William Wray» et l'on vit l'empereur Smith débiter son argument - ga-ga-ga - en rondelles. Il semblait haranguer l'entière plaine des Midlands. Sa cohorte tricotait la plus épineuse des figures post-punk. Il jouait de sa voix comme d'un élastique et tirait le morceau là où il voulait. L'empereur Smith ne chantait pas, il enfonçait ses clous syllabiques. Il posait sa prestance et son tangage sur une rythmique superbe. Il nous semblait qu'après lui l'énergie allait disparaître de la surface de la terre. Il démantibulait, il scandait les rumeurs du marché aux esclaves du port de Manchester. Il chanta aussi «Kinder Of Spine», cette déclamation haranguée, cette meringue brune de briques. Son Kinder cahotait comme la charrette à bras du marchand de quatre saisons. On sentait le collé d'un mégot dans une boursouflure de lèvre, le nuage de buée et le filet de salive noire.

 

Comme le temps était limité, l'empereur ne put pas continuer de taper dans la réserve magique de l'album «Re-Mit». Nous fûmes tous contraint d'accepter le verdict de la fatalité. L'empereur allait nous priver de ses meilleures beefhearteries, «Irish» et surtout l'effarant «Loadstones». Nous allions nous retrouver dans un état d'inconsolabilité marqué pendant tout le chemin du retour. Dans le cœur sacré du temple, «Irish» aurait dardé de mille feux et asservi mille cervelles supplémentaires. «Irish» est le morceau bien tempéré par excellence, bassu d'entrée, drummé dans le tas, beefhearté dans le ventre. C'est du pur jus zoot-horn-rollien, c'est rolloté sous toutes les coutures et matelassé de prestige avancé. On voit la dent pourrie du grand roquet blanc. Elle gode et derrière ça art-trippe à gogo. C'est du fallique envoyé dans le fion du rock. Ils drop-outtent à volonté et Lickent tous les Decals off, baby. À part eux, personne n'est plus capable de jouer comme ça, dans tout l'empire, et on peut chercher aussi loin que porte le regard. N'oublions surtout pas «Loadstones» qui nous met aussi en coupe réglée. Impossible de passer outre. C'est une nouvelle beefhearterie digne d'un Bobby Lapointe psychédélique, tirée par un attelage de buffles trappus. On y entend la voix rêche de l'empereur jaillir au creux d'une nappe d'orgue.

 

Les plus courageux d'entre vous iront aussi voir ce qui se passe dans «Victrola Time». Ils se feront embarquer par un superbeat à la Devo, mais en vérité, Victrola propose du pompeux britannique pomponné comme une poularde prématurée. En d'autres termes, il fait le con. Il artaudise son discours musical. Il reprend la main alors que derrière ça continue de pomper dans le pompeux et d'avancer en crabe.  

 

Il boucla son set lutécien avec des morceaux plus anciens, tirés d'albums antiques comme «Middle Class Revolt» et «Reformation Post TLC». Il repassa la veste qu'il avait ôtée, signifiant ainsi l'imminence de son départ. Pour couper court à tout risque d'assombrissement psychique, nous décidâmes de quitter le temple brusquement. Il nous semblait que la messe avait été dite et que la coupe était pleine. Nous avions pu nous assurer d'une bonne chose : l'empereur Smith régnait sans partage sur le continent. Celui qui aurait pu prétendre lui dérober sa couronne n'était pas encore né. Ce qui lui laissait de confortables longueurs d'avances et tout le loisir de s'adonner à sa passion de la beuverie concomitante. 

a1161yourfuture.jpg

 

De retour au bercail, j'attachai l'alezan à l'anneau d'or habituel puis grimpai jusqu'au dernier étage de ma tour d'ivoire. Et comme j'étais encore sous le charme de son spectacle, je voulus me replonger dans la magie blanche de sa pensée. Je me rendis dans l'atrium pour extraire de la bibliothèque le précieux volume de ses mémoires. Un in-quarto relié de basane et serti de rubis.

 

L'empereur fit paraître en 2008 ce recueil de pensées sous le titre «Renegade». Sur le plat de couverture, on le voyait tirer ce qu'il faut bien appeler une sale gueule, comme s'il voulait donner le ton de l'œuvre. Il rend effectivement très peu d'hommages, mais ce sont des hommages dont tous les sujets de l'empire se souviennent. Il raconte par exemple l'arrivée de Chuck Berry en Angleterre. Chuck descend de l'avion avec sa guitare à la main. La première chose qu'il fait c'est de réclamer cinq mille livres en cash, sinon, il repart. On est à Manchester et l'organisateur n'est pas très dégourdi. Il répond qu'il doit d'abord aller à la banque. Alors, Chuck fait demi-tour vers l'avion. Comme par miracle, l'argent apparaît. Deux minutes plus tard, Chuck se fait conduire chez Hertz et demande la meilleure bagnole. Immédiatement et sur le compte de l'organisateur. L'empereur ajoute qu'il aurait fait exactement la même chose que Chuck. Wow ! Quelle classe. Au bas de la même page, l'empereur rend un hommage vibrant à ses héros : «J'ai vraiment un faible pour des types comme Cash, Jerry Lee, Link Wray et même Iggy Pop. Ils tirent leur art d'une très riche expérience. L'authenticité, ça ne se fabrique pas. Ils ont suivi leur instinct. Pour eux ça a marché. Je les admire pour ça. Il n'y a pas beaucoup de mecs de cette trempe, dans le secteur.» Au fil des premières pages, il nous confie quelques souvenirs d'enfance, dont un qui frappe vraiment. Quand il avait cinq ans, il avait l'habitude d'aller voir son voisin, Stan-les-pigeons. C'était un Teddy Boy. «Personne n'avait le téléphone, alors, et les Teds envoyaient des messages attachés à des pigeons à leurs fiancées, à Blackpool ou ailleurs.» Il raconte un peu plus loin à quel point il adorait les Stooges lorsqu'il était jeune : «Quand j'allais chez Virgin, ils me répondaient qu'ils n'avaient pas l'album des Stooges. À la place, ces bâtards me proposaient Tubular Bells... en offre spéciale, en plus. Quand j'ai fini par choper l'album des Stooges, j'étais content. Dans les années soixante-dix, aucun groupe ne sonnait comme les Stooges. Je ne suis pas guitariste, mais je sais jouer leurs chansons. Et j'adore ça. Et c'est ça qui me plait chez eux, et le fait qu'il aient composé tous leurs morceaux en une nuit. Fantastique ! Ils ne connaissaient que trois accords. Il n'y a pas beaucoup de groupes qui bossent comme ça, maintenant. Les groupes sont trop précieux. C'est le syndrome des Stones Roses : cinq ans pour enregistrer un album. Entre en studio et joue, mon pote ! Fais ton job !» Hommages impériaux aux Pistols, à Liam Gallagher, à John Cooper Clarke, à Lee Mavers des La's («Il était brillant, comme les Searchers, dans un style plus soul.»), aux poivrots («Ils ont un bon sens de l'absurde, j'aime ça.»), à John Peel («Il n'est pas près d'être remplacé. Tous les autres ont la trouille d'être virés s'ils passent un disque qui va réveiller les gens.»), à Kurt Cobain («Pour choisir ses amis, il n'était vraiment pas doué. Je crois qu'il n'a jamais fréquenté des gens bien.»), aux chaises («Je n'ai que trois chaises chez moi, une pour la femme - the woman - une pour moi et une pour l'invité. Un seul à la fois. C'est ma philosophie. Vous n'aimeriez pas que votre maison devienne une communauté hippie, hein ?») et à The Fall («J'ai toujours voulu que The Fall soit le groupe qui représente  les gens qui en ont marre de se faire enculer. De ceux qui ont encore envie de se battre.») Je refermai le précieux ouvrage et sentis mon admiration pour Mark E. Smith doubler de volume.

 

Signé :  Cazengler le Fall dingue

 

The Fall. La Gaîté Lyrique. Paris IIIe. 30 octobre 2013

 

L'œuvre du groupe s'étend à perte de vue. On se limitera donc aux trois derniers albums

 

The Fall. Your Future Our Clutter. Domino 2010

 

The Fall. Ersatz GB. Cherry Red Records 2011

 

The Fall. Re-Mit. Cherry Red Records 2013

 

Mark E. Smith. Renegade. Viking/ Penguin Books 2008

 

 

GIBUS / PARIS / 01 – 11 - 13

ROCKERS KULTURE

 

 

JAMY & THE rOCKIN TRIO

 

GHOST HIGHWAY / PAT Mc GINNIS

 

a1166afficheconcert.jpg

 

 

On n'a pas pris le bus pour aller au Gibus. La teuf-teuf a suffi. Heureusement qu'elle a grillé tous les feux, car un concert qui commence à vingt heures pile à Paris, un vendredi soir, ce n'est pas évident. A peine le temps d'engouffrer un grec et nous voici devant l'entrée du Gibus. Un club mythique qu'ils disent, mais les escaliers ne sont pas à moitié mi-toc, un casse-gueule aussi étroit et aussi peu éclairé que la rue de la Vieille-Lanterne, où Gérard de Nerval décida de dire au-revoir à ce monde cruel. Mais ne nous réduisons pas à de si sombres extrémités, en bas des marches ce n'est pas la vie que l'on nous demande, mais dix-huit euros de notre bourse. Que ne donnerait-on pas pour un concert de rock, surtout que Johnny Thunders a hanté – en des temps lointains – ce temple parisien du rock !

 

a1165gibuslogo.jpg

 

 

JAMY AND THE ROCKIN' TRIO

 

a1170groupe.jpg

 

 

Dix-neuf heures cinquante-huit lorsque nous pénétrons dans le local, relativement vaste pour une salle de concert parisien. Les Jamy's sont déjà sur scène mais on ne les voit pas. Le lieu est divisé en deux, une partie bar – assez de place pour arsouiller une colonie d'assoiffés plus un labyrinthe de banquettes et de tables pour les romantiques en mal de conciliabules, et une partie concert proprement dite. Faut passer les piliers pour apercevoir le combo. Mais maintenant on ne les entend plus.

 

 

Non un sort funeste ne s'acharne pas sur nous. Juste un dernier réglage et le set commence à huit heures tapantes. Celui qui tape au fond – pour une fois honneur au batteur – c'est Tony Marlow, le même que j'ai maudit jusqu'à la cent soixante dix-septième génération, la semaine dernière, voir livraison 161. Inutile l'air de rien de me pousser du coude pour me rappeler que Tony Marlow est un guitariste. C'est la vérité vraie, mais il a débuté à la batterie, il y a longtemps je vous l'accorde, avant même d'officier dans les Rockin' Rebels à la fin des seventies. Jamy est au micro et à la guitare rhytmique. Faisait partie avec Rocky et sa contrebasse des Hot Boppin Cats. Un trio de vétérans.

 

a1168nico.jpg

 

 

Mais c'est la toute dernière recrue qui attire les regards. Un gamin, entendons-nous, sous ma plume le terme n'est pas dépréciatif, d'ailleurs s'il veut échanger son âge contre le mien, j'accepte tout de suite, ensuite si je jouais de la guitare ne serait-ce que dix fois moins bien lui, je pousserais des hurlements de joie. Little Nico court sur ses dix sept ans et se trouve investi d'une mission bien périlleuse, tout seul devant sur sa guitare solo, et tout le monde qui le suit des yeux. S'en sort bien.

 

 

Ne lui font pas de cadeau sur le choix des titres. Par exemple un Well I knocked, Bim Bam puis un Race with The Devil, de Gene Vincent yes sir, mais avant tout des parties de guitare de Cliff Gallup. S'en tire plus que bien, le petit Nico, certes il lui manque la violence d'assaut sur les cordes, cela viendra avec l'âge, mais il a saisi le sens de la découpe rythmique, et de la ponctuation, l'enchaîne les séquences sans perdre de temps et se prendre les pieds dedans. On sent qu'il a assimilé dans sa tête bien des subtilités stylistiques.

 

 

Sait aussi éviter de se laisser déstabiliser par l'impondérable. N'ont pas entamé le troisième morceau que sa guitare commence à gratouiller d'une manière peu satisfaisante, trente secondes de flottement à vous faire couler à pic, mais Jull des Ghost lui refile rapido sa Gretsch, et Nico illico reprend son rôle. Bien joué !

 

a1170marlow.jpg

 

 

C'est que derrière, ça ne plaisante pas, Tony envoie les caramels par paquets de dix, ce n'est pas un obsédé de la caisse claire le great Tony, l'est plutôt un aficionado du roulement incessant, mouline sur les toms sans temps mort, il catapulte le tempo plus qu'il ne le marque, lui reste encore de l'énergie puisqu'il pousse des hurlements de peaux-rouges à vous percer les tympans. Jamy est obligé de se plier à ce train d'enfer, possède un timbre agréable et sait lui insuffler toute la plasticité nécessaire à un tel rendement. Donne même l'impression que c'est lui qui fait tourner le rotor.

 

a1169nico+jamy.jpg

 

 

A sa gauche Rocky est plus placide. Suit le mouvement, avec en plus comme en sourdine une pincée de nostalgie country qui se dégage en contrechant des cordes de sa contrebasse. L'air de rien il nourrit le son du groupe d'harmoniques des mieux venues. Le groupe rocke à souhait et le public ne ménage pas ses encouragements. Hélas, ça s'arrête déjà, le temps est minuté, à vingt-trois heures tout doit être terminé pour laisser place à une autre soirée. Le temps d'un rappel et Jamy & the Rockin' Trio quittent la scène. A suivre.

 

 

GHOST HIGHWAY

 

 

Quatre mois que je n'avais pas vu les Ghost. Une piqûre de rappel s'avérait nécessaire. Pas eu longtemps à attendre, le temps de croquer trois petits gâteaux dehors, sous une espèce de passage couvert qu'il faut déjà redescendre le coupe-gorge au triple galop. Les Ghost sont sur scène ( pas vraiment grande, mais la sono est bonne ) et commencent à balancer la semoule chaude.

 

a1174arnaud+orchestre.jpg


 

 

Que de progrès en trois mois. Le son s'est épaissi. Forme un tout compact et onctueux. Ce ne sont plus quatre instruments qui convergent les uns vers les autres pour se fondre en une pseudo-unité relativement artificielle mais un tout cohérent organique et primal dans lequel votre oreille va chercher et se plaît à décrypter tour à tour la participation individuelle de chacun. Un délice. On en mangerait. Un véritable groupe, des musicos qui jouent ensemble, ce qui est la moindre des choses, mais pas si facile que cela à obtenir à un certain niveau de précision et de qualité exigées, mais qui avant tout parviennent à produire une matière sonore dans lequel chacun peut s'exprimer à son aise, sans être gêné par la prépondérance de l'un ou de l'autre.

 

a1171jull.jpg

 

 

Mais l'exiguïté temporelle les force à bouleverser leur répertoire. Ce qui nous dès le troisième morceau une magnifique interprétation de Cause I Forgot sur laquelle Mister Jull se surpasse au chant. Que de poignante nostalgie en cet original. Le jour où les Ghost seront capables d'en aligner douze d'un tel calibre, ils auront touché le gros lot. Sera suivi d'un bijou Burnette à vous faire pâlir d'envie et de jalousie. Ce n'est pas qu'ils jouent bien, c'est qu'ils font preuve d'intelligence et de compréhension intuitive de l'essence du rock'n'roll. De même plus tard, leur version de I'm ready de Cochran sera à couper le souffle. A very great rock 'n' roll sensibility.

 

 

A l'harmonica Arnaud nous offre une version beaucoup plus bluesy que d'habitude de Country Heroes. La ballade country cède le pas à une interprétation plus proche du delta que des Appalaches. Le morceau y gagne une gravité qu'il n'avait pas jusqu'à lors. Pour la petite histoire, Arnaud nous paraît pourtant particulièrement joyeux lorsqu'il s'apprête à lancer le morceau. C'est aussi le moment où l'on peut saisir le travail de Zio. Puisque toute la première partie il ne touche pas sa contrebasse, mais lorsqu'il commence à effleurer les cordes, tout doucement s'insinue un bourdonnement majestueux qui enfle sans fin. Faut des années de swing et d'application pour produire un tel effet. N'en ai entendu de semblables que dans certaines représentations wagnériennes.

 

a1172phil.jpg

 

 

Terminent sur un Nervous Wolfman magistral. Ca gronde et vibre de partout. Préfère ne pas vous parler du public lorsque la salle s'aperçoit que c'est le dernier morceau. N'iront pas bien loin lorsqu'il descendront de scène, obligés d'y remonter dare dare pour le final. La guitare de Jull qui se moque du vieux refrain sudiste et la batterie de Phil qui pulse et explose. Un Phil hyper concentré tout le set, qui ne nous a pas laissé respirer une demi-seconde. Une frappe rapide et sans à-coups qui a permis au groupe de donner cette impression de puissance, de perfection et de facilité.

 

 

D'ailleurs plus tard dans la voiture, la copine n'a parlé que des Ghost, à croire que moi et la teuf-teuf on n'existait plus.

 

 

PAT McGINNIS

 

AND HIS TWO STARS

 

 

Je l'avoue, je ne me suis pas rendu à ce Rockers Kulture pour Pat McGinnis. M'étais profondément ennuyé lors de leur prestation à Villeneuve Saint Georges. N'étais pas le seul. La salle était divisée en deux, ceux qui appréciaient et qui parlaient d'authenticité et de retour aux racines, et ceux qui attendaient que l'herbe repousse dans leurs oreilles... Mc Ginnis, la couleur du rock'n'roll, le goût du rock'n'roll, mais ce n'est pas du rock and roll, bref chez lui rien ne m'épate.

 

a1175patgroup.jpg

 

 

La première partie du concert m'a confirmé dans mes réticences. Chapeau blanc de cow-boy, chemise noire country, même Johnny Horton ne s 'habillait plus ainsi ça à la fin de sa vie. Quand on sait que notre héros vient de Suède, l'on a l'impression d'un déguisement, et d'un cow-boy d'opérette, même si tout le monde n'a pas la classe de Roy Rogers.

 

 

Semble un peu sorti de l'armoire aux souvenirs du country jump, Pat Mc Ginnis. Une machine, un métronome. Vous débite ses morceaux au mètres. Au décimètre même, car rares sont ceux qui excèdent les deux minutes. Ca tombe au quart de tour, pile poil, où il faut quand il faut. Pas de défaut. Calibré au millimètre. Y a tout ce dont on a besoin, manque une chose, l'esprit. C'est froid comme du hareng en caque. Je suis honnête, devant il possède des fans qui apprécient. Ce qui a pour résultat de le dégeler et de l'humaniser.

 

 

Commence par présenter les morceaux ( mais l'anglais avec l'accent suédois, ce n'est pas très clair ) et soulève son chapeau à la fin de chaque titre, et puis se relâchant de son attitude guindée il prend l'habitude de puiser ostensiblement dans une canette de bière, l'ambiance et l'alcool produisent enfin leur effet car brutalement Pat Mc Gini nous pond un truc énorme que Little Richard lui-même n'aurait pas désavoué. Magie du rock'n'roll, lui qui n'était qu'un petit blanc insipide s'est métamorphosé en monstre dégoulinant de sueur et de rythme. Que n'eût-il été ainsi depuis le début et je lui aurais tressé une couronne de laurier digne d'un empereur romain !

 

a1179patlittlerichard.jpg

 

 

Encore deux titres hyper bien balancés et c'est la fin. Non, l'aura droit à deux rappels, et une dernière revoyure alors que le groupe s'est éclipsé et qu'il faut les rechercher malgré eux. Pat revient avec un pack de bière qu'il partage avec le public. L'est crevé mais heureux et toute cette fin de concert est des mieux venues. N'est pas accompagné par des manchots du cercle polaire, d'abord ce coup-ci, les Two Stars sont bien trois ( voir livraison 133 de KR'TNT ) , racontez ce que vous voulez mais un batteur ça donne de l'ampleur au son ! Et ça sonne ! Le contrebassiste n'est pas né lors de la dernière aurore boréale, mais le plaisir c'est le guitariste. Une bête, un véritable chien de traineau, celui qui en tête trace le chemin et qui ne perd jamais la piste. Tout compte fait ça doit être assez facile de chanter avec un tel malamute sur qui s'appuyer. Porte la note au bon endroit pour renforcer vos effets, vous dépose le riff juste quand vous avez besoin de respirer, en plus il se permet d'inventer des raccourcis à vous couper le souffle, donne l'impression de jouer en solo et en solitaire toute la soirée alors qu'il n'y a pas de plus attentif que lui à son leader.

 

a1176guitar+pat.jpg


 

 

La soirée s'achève, faut laisser la place au deuxième concerts. En sortant l'on croise toute une tribu de jeunes aux visages peinturlurés, mais la teuf-teuf nous attend, elle a horreur de la solitude la petite bête. Et puis après, un concert de rock qui serait capable d'écouter un autre style de musique ?

 

 

Damie Chad.

 

 

( Photos prises sur le facebook de Edonald Duck )

 

 

Krockkrockdisk

 

 

ROCKABILLY TROUBADOUR. TONY MARLOW.

 

 

Rockabilly Troubadour. Le Cuir et le Baston. Pium'da Che L'Amore. L'Ivresse. Debout ! Le Garage. Elle Revient. Paso ! Le Diable Au Corps? Buchi Vuchi Tu ? Le Prochain Train. Get Your Motor Runnin' ( Part I ). Get Your Motor Runnin' ( Part II ). Laissez-moi Dormir. Monto cintu.

 

 

Contrebasse : Gilles Tournon / Chant & guitare : Tony Marlow / Batterie & percussion : Denis Baudrillart.

 

 

+ Mathias Lusztinski : saxophone / Steve Verbeke : Harmonica.

 

Studio B. L. R. ( Mister Jull ) / Prod : Patrick Renassia / Artwork : Alain Chennevière.

 

 

Rock Paradise / Rockers Kulture.

 

a1186discmarlow.jpg


 

 

Iconoclaste, le troubadour Tony Marlow. Renverse deux totems : présente un disque chanté en français, et tous les morceaux avoisinent ou dépassent de très loin les trois minutes. Plein feu sur les tabous, non le rockabilly, ça ne se décline pas obligatoirement en moins de deux minutes et en américain. En plus pour les reprises des titres inconnus tirés à trois cents exemplaires, en 1954, sur un label fantôme, vous pouvez vous brosser le ventre. Des compos personnelles ou des amis. Bref un disque de rock français. Pas tout à fait ! Pousse le vice jusqu'à interpréter – ascendance originelle oblige - deux morceaux en corse. Mille fois mieux que les pompantes polyphonies.

 

 

Plus qu'un disque. Un album, pensé dans ses moindres recoins, qui forme un tout, avec une cohérence, ne serait-ce qu'entre le contenu des chansons et le prodigieux travail d'illustration effectué par Alain Chennevière. Quant à l'unité musicale suffit de mettre votre boîtier à CD en marche pour comprendre. Suivez le fil d'Ariane sonore. Vous pète au visage dès les cinq premières secondes. Un son de guitare vous saisit à la gorge et ne vous lâche plus pendant près d'une heure. Impossible d'y échapper. Un grondement de train lancé à toute vitesse, qui ne s'arrête jamais. Early sixty sound and Link Wray cavalcade. Tony Marlow, sort le grand jeu, quinte flush à tous les étages. N'avez plus qu'à faire le chien et vous coucher en attendant que le tonnerre de l'orage vous passe par-dessus.

 

 

Du début à la fin, et le pire c'est que vous ne vous ennuyez jamais. El maestro sonne les cloches et vous en redemandez. Ecrase tout sur son passage. Se permet parfois quelques fantaisies, hispaniolades sur Elle revient ( après la France et la Corse rien ne nous étonne plus ), mais avant tout la poignée à fond, et fonce la motocyclette rebelle. Retour aux premières mythologies rock, Equipée Sauvage et Ace Cafe. L'on rajoute les filles – difficile de s'en passer – et le salut à la jeunesse qui reste le combustible rock par excellence, celui qui brûle dans votre tête, et dont le feu ne s'éteint jamais. Enfin chez certains.

 

a1185dessinmarlow.jpg

 

 

Ce n'est pas Gilles Tournon et Denis Baudrillart qui vont faire la tête devant un tel programme. Y participent largement, déjà dans l'écriture de la moitié des morceaux, et avant tout dans la pâte sonore qu'ils fournissent à Marlow. Tony est la loco folle qui court après le déraillement et ses deux acolytes sont le tender qui fournit les briquettes et la fournaise. Peut se livrer à des exercices de haute école Tony sur ses cordes, rafales de notes et attaques en piqué, les deux autres s'occupent de l'intendance et de la logistique. L'est sûr qu'aucun des trois ne ménage sa monture. Un véritable groupe avec un son bien à eux.

 

 

Ensuite chacun relèvera ce qui lui plaît, la participation de Jean-William Thoury ( qui fut le parolier et le maître d'oeuvre de Bijou ) sur Debout !, les paroles sur le Garage de la voisine très proches des textes à double-sens de la plupart des premiers blues, la transition phonique entre les part I et II de Get your Motor Runnin', j'arrête la liste là mais les clins d'oeil ne manquent pas.

 

 

Complètement obnubilé par la guitare de Tony, je m'aperçois que j'ai oublié de parler des vocaux. Difficile de chanter le rock en français, c'est un truisme, ou pour être plus précis difficile de posséder une voix reconnaissable entre mille en notre roman patois. L'on dit que notre langue ne possède pas assez d'échelle d'intonations, pas de syllabes beaucoup plus fortes que les autres, que tous nos phonèmes sont grosso modo équivalents en volume sonore et qu'il est difficile de s'appuyer sur certaines syllabiques et de les expectorer ou de les faire exploser à volonté. Je penserais plutôt que balancés un peu trop violemment les mots français ont tendance à bouffer le timbre des voix, à éliminer le particularisme individuel de chaque phrasé. Ecoutez les groupes des années 60, au bout d'un moment toutes les parties vocales se ressemblent et sont interchangeables. Même les amateurs de rap français reprochent aussi à leurs idoles l'uniformisation des flux malgré les diverses provenances géographiques de leurs artistes.

 

 

Tony Marlow a résolu la problématique à sa manière, tonalité de basse médium et coups de fouets sur les les sonèmes i et o ce qui évite de stationner sur la même ligne mélodique. Ce qui nous donne des attaques de mots à la Dick Rivers éparpillés dans un grondement continu de basse à la Buddy Holly sur des titres comme Down the Line par exemple. Evidemment la distribution des voyelles reste un peu aléatoire mais sur l'ensemble cela donne un résultat agréable et original.

 

 

Ce Rockabilly Troubadour nous semble une parfaite réussite.

 

 

Damie Chad.

 

 

LIVRES

 

 

MAGICK

 

ALEISTER CROWLEY

 

 

Traduit par PHILIPPE PISSIER

 

 

Volume I + Volume II

 

 

e s h éditions

 

 

Je connais des fans de Led Zeppelin qui possèdent quatre-vingt concerts pirates de leur groupe préféré. Vont devenir fou quand je leur aurai dit que moi, sur les étagères de ma bibliothèque trônent deux gros in quarto à couverture rouge, une teinte incendie oscillant entre grenade et framboise, d'Aleister Crowley. Je ne les ai pas faits venir à prix d'or des USA, je n'ai même pas eu besoin de graisser la patte d'un membre de la Golden Dawn d'Angleterre Reconstituée, certes j'aurais pu me laisser tenter, mais cela ne m'aurait pas apporté grand chose de plus. C'est que moi, je ne suis pas comme le Cat Zengler qui vous traduit les bios de Gene Vincent aussi facilement que vous éclusez un verre de sky. Parce que voyez-vous, lire Aleister Crowley en Anglais, c'est déjà difficile pour un sujet moyennement cultivé de sa très gracieuse Majesté( que Dieu a placé sous la vigilante garde de Saint Johnny Rotten). Alors mézigue avec mes rudiments, me faudrait trois ans pour transcrire une page.

 

a1184bibliothèque.jpg

 

 

Philippe Pissier s'est chargé du boulot. Pour moi ( et pour les autres aussi ce qui est un vexant ). L'en avait déjà donné il y a quelques années une version qui jusqu'à maintenant faisait autorité. Mais la bombe atomique que voilà n'est en rien comparable, tellement supérieure, tant au niveau esthétique que magicque. De la belle ouvrage, mais ici le fond correspond à la forme. C'est que l'on ne lit pas Magick comme on parcourt un thriller. Magick de Crowley c'est comme une grenade dégoupillée, pouvez la jeter au hasard contre le monde entier, mais parfois elle éclate toute seule et l'apprenti assassin devient sa propre victime.

 

 

Replongez-vous dans la saga de Led Zeppelin, tous les évènements qui surviennent une fois que Jimmy Page - qui fut de toujours un fan revendiqué de Crowley - s'est offert l'ancien manoir d'Aleister... Série noire en furie. Jusqu'à l'éclatement du groupe. Faut pas jouer au zo-so comme on s'amuse au yoyo. Qui veut faire l'ange finit comme bête au zoo. Voire à l'abattoir.

 

 

Vous n'êtes pas obligés d'y croire. Contentez-vous de penser. Ce ne sera déjà pas si mal. A chacun selon ses moyens. A chacun selon ses pouvoirs. Ce qui tombe bien puisque Magick est un précis d'initiation à la magie. Magie Noire et Magie Blanche, plus leur dépassement dialectique en Magie Rouge. Rappelez-moi la couleur de la couverture s'il vous plaît.

 

a1182philippepissier.jpg

 

 

De Philippe Pissier je vous dirai rien. Tout juste un coin du voile qui cache l'Espion-Sebek sera levé dans une prochaine Chronique Vulveuse. Sachez qu'il est une des grandes figures sulfureuses de l'underground français. Une plaque tournante des savoirs fissurés. De Crowley, pour ceux qui sont non initiés, une visite à wikipédia s'impose juste pour savoir les dates de naissance et de retirement ( 1875 – 1947 ), je vous mâche le travail ! Pour des pistes plus bavardes faîtes un tour sur le catalogue de Camion Noir. Pour les jeunes filles qui aiment la poésie, relisez Yeats. Plus simple encore : procurez-vous ces deux premiers tomes qui sont les deux premières stèles de la Bibliotheca Crowleyana des éditions E S H qui se sont lancées dans le projet fou de présenter toute l'oeuvre de Crowley en langue française...

 

 

Vous ai indiqué quelques sentiers d'approches. Ce ne sont que trois – sur les 666 possibles - propositions malhonnêtes qui n'engagent que ceux qui leur obéissent. Si ça ne vous inspire pas, suivez vos propres idées ou vos sales désirs. Débrouillez-vous, après tout je m'en fous. Après rien, vous êtes libres. Faites ce que vous voulez !

 

 

Exactement le commandement originel et suprême de l'enseignement d'Aleister Crowley. Difficile de s'en dépatouiller une fois que vous y avez glissé le doigt. A Mage fou, Image Pas Sage. Ce qui est sûr, c'est que vous trouverez rarement écrivain davantage rock and roll qu'Aleister Crowley. Discutez-en avec les fans de Led Zeppelin.

 

Damie Chad

 

a1183magick.jpg

.

 

 

PS 1 : ( A 88 Euros le volume – pas excessif quand on regarde la qualité du papier et de l'impression, le tirage, les années de recherche pour la traduction, et l'ampleur du projet éditorial, mais très onéreux pour les portefeuilles raplapla, songez à tante Agathe qui se fera un plaisir de les déposer au pied du sapin. )

 

PS 2 : entretien Philippe Pissier sur : zazzetoumind.blogspot.com

 

 

 

CHRONIQUES VULVEUSES

 

 

NEUVIEME EPISODE

 

Résumé de l'épisode précédent : L'agent Damie Chad 009891 du SSRR ( Service Secret du Rock'n'Roll ) est envoyé de toute urgence en Ariège afin d'enquêter sur l'inquiétante entreprise terroriste de déstabilisation psycho-culturelle surnommée La Conjuration Vulvaire. Tous les faits rapportés dans cette oeuvre à enrobage littéraire affirmé sont tirés de la réalité la plus triste, les documents officiels de la justice et des gendarmes sont là pour en apporter la preuve définitive.

 

 

33

 

L'on n'a pas eu besoin d'un Coronado N° 5 pour forcer la porte de l'Affabuloscope. Les deux vantaux se sont ouverts d'eux-mêmes pour nous laisser passer. Se sont refermés sans bruit derrière nous.

 

 

«  Je vous attendais depuis longtemps, hélas vous arrivez trop tard ! Venez dans mon atelier, nous serons plus à l'aise pour discuter ! »

 

 

Lorsqu'il eut allumé une petite lupiote discrète sur sa table de travail Claudius de Blanc Cap ne sembla pas surpris par notre accoutrement. L'aurait pu avoir peur, mais cet homme d'apparence chétive n'était point effrayé, ni par le suaire du Chef, ni par le cercueil, ni par Molossa. L'est vrai que cette dernière s'était fourrée la tête entre les pattes, comme un chat, et qu'elle dormait du sommeil insouciant du juste qui a accompli son dur devoir durant sa journée. Pendant un moment l'on n'entendit plus que son ronflement.

 

 

Le Chef posa délicatement ses pieds sur le bureau, sortit de sa poche un Coronado N° 7, dont il réchauffa soigneusement la robe mordorée avec son briquet, avant de le porter à sa bouche et d'exhaler voluptueusement plusieurs ronds de fumée abolis en autres ronds.

 

 

«  Cher Claudius, parlez-moi un peu du troboscope, nous avons beau scoper dessus, quelque chose nous échappe ! »

 

 

Un silence interrogatif fut la seule réponse de Claudius. Je compris qu'il n'avait jamais entendu parler d'Hawkind. Comme quoi l'on peut être un artiste tout en ayant de graves lacunes dans sa culture générale. Je décidai de lui venir en aide :

 

 

«  Nous agents du SSRR, Service Secret du Rock and Roll, nous possédons notre jargon interne, ce que nous appelons troboscope n'est autre que cette fleur géante que l'on a déposée comme une énorme crotte de chien ( Molossa poussa un soupir apitoyé ) au beau milieu de la grotte néolithique.

 

 

    • Pour une fois comparaison sera raison, s'écria Claudius, cet infâme étron canin ( Molossa dressa une oreille ) est la cause de bien des maux. Mais c'est une longue histoire et peut-être faudrait-il commencer par le commencement. Voyez-vous, cette merdouille cynique ( Molossa ouvrit un oeil ) n'est que le couronnement d'une conjuration anti-vulvaire sans précédent, la cerise fécale sur les chiottes généralisées qu'est devenue la France, si je puis me permettre de m'exprimer ainsi ! »

 

 

Mais il ne put pas, Molossa étouffa un wouaf d'alerte sans équivoque, le Chef envoya bouler d'un coup de botte la lampe de chevet qui nous éclairait si chichement tandis que je plaquais Claudius au sol.

 

 

Dehors une voix mâle et virile retentit :

 

 

«  Rendez-vous, vous êtes cernés, nous vous donnons trois minutes pour sortir, sans quoi nous enfonçons la porte » Et une rafale de mitraillette ponctua cette mise en demeure comminatoire en laquelle j'avais reconnu la voix de l'Adjudant Chef.

 

 

34

 

Sur le coup la situation me parut désespérée, et je compris pourquoi avant de lancer la révolution Bolchévicke Lénine avait entrepris d'écrire son célèbre opuscule «  Que faire ? » Mais pour nous, rien à faire, nous étions pris au piège comme des rats.

 

 

Ce n'est pas l'intervention orale du Chef qui contribua à m'apaiser :

 

 

«  Trois minutes, c'est deux de trop, je crois que je vais en profiter pour me laver les dents ! »

 

 

Dans la pénombre nous échangeâmes un regard navré avec Claudius, à l'instant critique le tiers de notre effectif était frappé de folie douce !

 

 

«  Agent Chad, auriez-vous l'obligeance d'ouvrir le cercueil et de me faire passer le premier tube de dentifrice que vous y trouverez ! »

 

 

Faute de mieux j'obtempérais, peut-être le Chef tenait-il à mourir vite comme James Dean et à faire un beau cadavre. Je lui tendis donc en soupirant le tube de pâte à dents qui m'était comme par miracle tombé sous la main, à peine l'eus-je introduite.

 

 

Mais le Chef continuait à délirer :

 

 

«  Une merveille ce dentifrice. C'est ma belle-mère qui l'a essayé la première, une réussite parfaite. La pauvre femme, quand je pense qu'elle a dû attendre si longtemps avant qu'un agent ne me le ramenât des USA, vous savez les Ricains sont aussi bon en dentifrice qu'en rock and roll ! 

 

 

  • Heu ! en cherchant dans mon fouillis je trouverai bien une brosse à dents - s'exclama Claudius, et se tournant vers moi il ajouta - à mourir autant mourir dans la provocation dadaïste ! »

 

 

Il y eut un grand bruit. Les vantaux venaient de s'écrouler. Les gendarmes s'étaient servis de leur estafettes comme d'un bélier. S'étaient tous, une quarantaine, regroupés derrière le véhicule et le poussaient dans le hall d'entrée vers notre direction. N'étaient plus qu'à vingt mètres de nous. Quinze mètres. Dix mètres. Cinq mètres...

 

 

35

 

Je me saisis de Molossa et l'embrassai une dernière fois sur le museau. O toi la fidèle qui m'a suivi jusque dans le tombeau murmurai-je. D'une légère pichenette le Chef tourna le bouchon du tube du dentifrice. Un rayon vert s'en échappa. Et puis plus rien. Je crus que j'étais mort. Mais à côté de moi Claudius ouvrait des yeux si ahuris que je compris que j'étais encore en vie.

 

 

Molossa s'échappa de mes bras et courut flairer le sol, aux endroits exacts où trois secondes auparavant avançait une escouade de pandores derrière leur camionnette bleue. Parut un peu interloquée, mais déjà elle agitait la queue en signe de contentement. Le danger avait disparu.

 

 

«  Alors, Agent Chad que pensez-vous de mon désintégrateur, c'est nouveau, ça vient de sortir aux States !

 

    • Vous m'en bouchez un coin Chef, j'ai cru que vous étiez devenu fou. Toutefois, si je peux me permettre, c'était un peu risqué, imaginez que ça n'ait pas marché, avec les nouveaux produits, faut se méfier.

    • Enfin, Agent Chad, je vous ai déjà dit que j'avais essayé sur la belle-mère. Envolée la vioque, elle et sa bicoque, ma femme n'a pas retrouvé un seul grain de poussière. Je l'ai consolé en lui disant que sa mère avait dû s'enfuir avec un nouvel amant.

    • Chef, je reconnais en ce pieux mensonge votre délicatesse légendaire.

    • Merci Agent Chad, mais cher Monsieur Claudius si nous reprenions cette conversation, là où elle fut si malencontreusement interrompue ! »

 

FIN DU NEUVIEME EPISODE

 

 

 

01/11/2013

KR'TNT ! ¤ 161. ENDLESS BOOGIE / VIGON / FRENCH SIXTIES / CHRONIQUES VULVEUSES

 

KR'TNT ! ¤ 161

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

A ROCK LIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

25 / 04 / 2013

Endless Boogie / Vigon / French sixties /

Jean-Pierre Leloir + Johnny Hallyday / Chroniques Vulveuses

AU 106 / ROUEN / 18 – 10 – 2013

ON NE TIENT PAS

LES ENDLESS BOOGIE EN LAISSE

 

a1113dessin.gif

Paul Major et son cosmic boogie band faisaient halte à Rouen, par ce beau soir d'octobre irisé de nuées boréales. Après un souper composé d'une omelette aux champignons mexicains, d'un space cake, le tout largement arrosé de mezcal d'Oaxaca, nous nous dirigeâmes vers le Saucisse Céleste pour y accueillir les maîtres trippeurs.

 

a1110photo1.jpg

Ils apparurent sur scène un par un, comme sur la scène d'un petit théâtre de banlieue où l'on donne Kantor. Paul Major émergea des brumes artificielles et léger comme un fantôme, il alla brancher sa Gibson Les Paul Sunburst. Une longue chevelure encadrait son visage taillé à la serpe et noyait dans l'ombre ses yeux mi-clos. Il portait un T-shirt informel, un jean anonyme et des boots épuisées. Mark Ohe arriva quelques minutes plus tard. Il se pencha devant sa tête d'ampli et alluma son cosmic smartphone pour afficher la photo de ses réglages d'ampli qu'il reproduisit minutieusement. Par son allure sportive et décontractée, il banalisait les brumes. Harry Druzd arriva ensuite pour effectuer d'ultimes réglages sur sa drum-machine. Rien qu'à voir la taille de ses bras, on comprenait qu'il cognait dur. Son pas souple était celui d'un pisteur navajo et on sentait chez lui une sorte de familiarité avec la violence. Puis Jesper Eklow vint brancher une Dan Amstrong transparente, identique à celle que tient Cyril Jordan sur la pochette de l'album «Teenage Head». Une casquette de base-ball noire enserrait sa tignasse grise. Quelques minutes plus tard, Paul Major grogna comme un ogre dans le micro pour établir le contact avec le public et claqua un accord pour donner le départ d'un effarant cosmic trip. Franchement, de mémoire de trippeur, on n'avait pas vu une chose pareille depuis les très anciennes odyssées stroboscopiques d'Hawkwind. Aussitôt le premier morceau, on rejoignait les anneaux laiteux d'une lointaine dimension. Paul Major allongeait sans fin son boogie, jouait ses gammes en la, pendant que Jesper Eklow riffait sur sa guitare métabolique. Ils pulsaient un flux stompé bien linéaire qui finissait par générer l'hypnotisme tantrique grâce auquel on se détache du monde réel. Ils laissaient fermenter leur fracas boogie pendant une demi-heure et libéraient petit à petit des effluves d'énergies insoupçonnées. Ils jouèrent quatre morceaux dont le faramineux «General Admission» qui se trouve sur leur troisième album («Long Island»). Jesper Eklow charpentait cette monstruosité avec un riff purement stoogien et il embarquait son équipe et tous les voyageurs présents dans la salle vers des galaxies inconnues, au cœur du chaos. Jesper Eklow dégageait exactement la même puissance que celle dégagée jadis par Dave Brock et Lemmy, lorsqu'ils rivalisaient de violence sonique avec Dikmik et Del Dettmar occupés à persécuter leurs oscillateurs.

Le premier album des Endless Boogie s'appelle «Focus Level». Joli titre. En gros, ça peut vouloir dire niveau d'attention. Comme les deux albums suivants, la version vinyle se présente sous la forme d'un double album, avec onze titres répartis sur les quatre faces. «Smoking Figs In The Yard» donne le ton de l'œuvre. Ils démarrent avec un gros boogie inspiré, une belle bête qui fait le dos rond, grrrr, un son plein qui joue son va-tout et des gimmicks perlés qui relancent constamment la machine. Paul Major vire au Johnny Winter, pour le meilleur et pour le pire, sauf que c'est pour le meilleur. Jesper Eklow balance des coups de wha-wha là-dedans comme d'autres jettent des pelletées de charbon dans la gueule béante d'une chaudière de paquebot.

 

A1107DISCPARC.jpg

En l'écoutant, on a clairement l'impression que ce boogie-rock est vivant et qu'il bouge, comme bouge la charogne de Baudelaire. Tout y est rond, cocky à souhait. Break et ça repart sur les vieux sentiers de la gloire avec une énergie purement stoogienne. Ça chante comme ça dégueule, ça beefheartise dans le pâté punk, now c'moooon ! On retrouve l'énergie des grands boogie-bands américains comme Lynyrd Skynyrd, mais avec un gros suppositoire de speed enfoncé dans le cul. Un tel son et la beefhearterie adjaçante, tout cela sur fond de boogie ôte-toi-de-mon-chemin, c'est tout simplement inespéré. L'énergie bouillonne dans les veines de ce morceau. Voilà enfin des gens qui ont tout compris.

Ce n'est que le premier d'une série de onze titres. Les autres sont aussi inspirés. Bien sûr, il faut savoir apprécier le boogie. Ces gens-là s'inspirent directement de John Lee Hooker et redonnent vie à son esprit, par une sorte de tour de passe-passe shamanique.

Une intro hypnotique et des gargouillis beefheartiens lancent «The Manly Vibe». Si vous cherchez le groupe de rock du XXIe siècle, c'est Endless Boogie. Chacun de leurs morceaux sonne comme un classique, avec une intro massive, une montée en température et des grognements de bête sauvage. Le monstre se prélasse dans la bauge. Ils nous font tout simplement une resucée de «Sister Ray», mais vautrée dans la paille. On tombe rarement sur des disques d'une telle densité. Quand on écoute «Focus Level» pour la première fois, ça provoque un vrai choc. «Gimme The Awsome» est du pur jus seventies vaudou, un genre qui n'existait pas vraiment, sauf peut-être chez Doctor John. La chose se veut répétitive, conforme aux théories de Steve Reich. Back to the raw bone ! C'est tellement puissant qu'on paye pour voir. Le gerbeux «Executive Focus» n'en finit pas et «Bad River» renvoie à la fois à Captain Beefheart et à John Lee Hooker, avec une atmosphère plus moyenâgeuse, étrange et culbutante. Un véritable marécage. Pas besoin d'aller faire un tour en Louisiane. Comme son nom l'indique, «Steak Rock» est plus viandu, bien farci de notes de basse et de wha-wha, et articulé sur un gimmick de guitare dégingandé. C'est un pur cas d'hypnose caractérielle. Les Endless Boogie sont les rois de la transe. Ils piétinent allégrement les plates-bandes de Can et des autres pionniers de l'hypnotisme carabiné, comme Hawkwind, les Spacemen Three ou les Dragontears.

Personne ne peut résister à une horreur brûlante comme «Move Back». C'est du garage vénéneux extrêmement convainquant. Ils cultivent la déflagration, ils sont passés maîtres dans l'art d'insuffler des reptations sous-cutanées. On trouve dans ce morceau toutes sortes de choses extravagantes : un déluge de feu séculaire, du riffage pandémique, des solos stoogiens dégoulinants de fluides malsains et du gros beat en gelée à la mode de Caen.

Plus généralement, chaque morceau des Endless Boogie est une petit objet musical baroque qu'on pourrait presque considérer comme une expérience initiatique de fête foraine à deux sous. On l'a pour presque rien, on la teste en s'amusant bien et puis après on passe à autre chose.

 «Jamming With Top Dollar» mérite une petite explication. Top Dollar est le surnom de Paul Major. Ils ont d'ailleurs tous des surnoms, sauf le batteur Harry Druzd. On surnomme Jesper Eklow The Governor et Mark Ohe Memories From Reno. Dans le Magic Band, Captain Beefheart aussi avait attribué un surnom à chacun des musiciens. «Jamming With Top Dollar» renvoie directement à Canned Heat et au boogie à l'état le plus pur. La chose est bourrée de belles lignes de basse bien grasses et chantée bien sale. Top Dollar hurle comme un damné. Le boogie devient incontrôlable. Ils transfigurent le genre. C'est exactement ce qu'on ressentait en les voyant jouer sur scène. Leur véritable talent, c'est la transcendance.

Leur technique consiste à lancer des couplets d'apparence inoffensive puis ils mettent le feu au poulailler. Alors, ils dévorent tout, les poules en feu, le renard et les flammes. Paul Major est un grand fakir.

Le dernier morceau de cet album vivace s'appelle «Coming Down The Stairs». C'est du full blown boogie qu'ils overblowent comme des malades. Le morceau avance comme un rouleau compresseur. Somptueux et dévastateur. On sent le souffle d'une énergie démentielle et on ira encore piocher dans la caisse à surenchère pour taxer ce disque d'inégalable.

En l'espace de trois disques et de quelques concerts en Europe, Paul Major a réussi à créer l'événement, une sorte de mini-mythe basé sur le son, l'étrangeté, son look et la longueur des morceaux. C'est principalement ce qu'on demande aux musiciens de rock : qu'ils nous fassent rêver, qu'ils créent un univers dans lequel on puisse aller les rejoindre. C'est une vieille obsession qui remonte à l'adolescence : se protéger du monde des adultes. Pour ça, il existait un moyen radical : le rock. On s'y mettait à l'abri. Les adultes n'y avaient pas accès. 

 

 

A1108FULLHEADBOOGIE.jpg

Leur second album s'appelle «Full House Head». Quand on demande à Paul Major pourquoi on trouve cette photo de femme sans tête sur la pochette de l'album, il répond en rigolant qu'il ne sait pas. L'image sort d'un magazine de mode, c'est tout ce qu'il pouvait en dire. On se retrouve en gros avec le même genre d'ambiance que sur le premier album : huit longs morceaux répartis sur quatre faces, tous très atmosphériques et visant la transe. «Empty Eye» qui ouvre le bal est reptilien en diable. Paul Major chante ça avec une violence d'Ostrogoth et on sent la lente montée d'une marée fatale. En dix minutes, on se retrouve plongé dans le même bain.

«Top Dollar Speaks His Mind» pourrait bien devenir un morceau d'anthologie. On y entend Top Dollar piquer une crise. La colère lui va comme un gant. La machine se met en route mécaniquement. Cette fois, il nous fait un numéro à la Kim Fowley (I'm Baaaad), avec des régurgitations. Comme tous les autres morceaux, celui-ci est monté sur un principe implacable et garni de zones nébuleuses grassement wha-whatées. Retour aux Stooges avec «Mighty Fine Pie», bardé de gros accords sourds issus des ténèbres du passé. On retrouve dans tous les morceaux cette énergie dévorante qui fait le charme des Endless Boogie. Ils savent aussi taper dans le heavy blues. La preuve ? «Pack Your Bags», heavy blues des enfers impeccablement baveux et très hendrixien dans le groove. Puis Paul Major rend hommage au «Dropout Boogie» de Captain Beefheart dans «New Pair Of Shoes».

«Long Island» vient juste de sortir. Avec cet album, vous ferez de sacrées économies : plus  besoin d'acheter les albums de stoner et de groupes comme Atomic Bitchwax, Monster Magnet, Fu Manchu, Nebula, plus besoin des fucking Desert Sessions ni des disques de tous les autres heavy bone-crunchers. Paul Major et ses amis produisent une synthèse parfaite de tout le boogie stoner jamais imaginé dans l'univers.

 

 

A1109DISC3SPECTRE.jpg

Une sorte de monstre fantasmatique orne la pochette de «Long Island». Lors d'une halte en Norvège, Jesper Eklow est tombé par hasard sur ce tableau intitulé «Skogstroll», datant de 1906. Il n'en revenait pas : «Mais c'est Paul !» Effectivement, quand on regarde bien le troll, on voit Paul Major. L'album est la suite logique des deux premiers : aucune originalité, mais une sacrée maîtrise de monture. L'ordinaire finit par produire de l'extra-ordinaire. «Taking Out The Trash» est une sacrée pièce de boogie blast bien bardée d'accords, et piquée d'accents beefheartiens - day on me - sur la fin. Et puis on retrouve cette monstruosité qu'est «General Admission» sur la face 4, balayée par des vents d'Ouest chargés de wha-wah. C'est une hallucinante tourmente chargée de clameurs de perdition. Ils sont le MC5 par le riff, les Stooges par la wha-wha, la barbarie par le growl et l'avenir de l'humanité par la sainte ardeur.  

Alors évidemment, ce groupe atypique génère une sorte de buzz dans le Clochemerle musical. C'est une bonne chose. Pour une fois, on retrouve dans le rond du projecteur des gens qui en valent vraiment la peine.

Paul Major est un collectionneur de disques chevronné, comme l'était d'ailleurs Bob Hite de Canned Heat (il collectionnait les 78 tours de blues - la partie visible de l'iceberg apparaît sous la forme de compiles parues dans la série «Doctor Boogie Presents» - deux volumes parus - «Rareties From The Bob Hite Vaults» et «Bob's Traces - Nuggets From Bob's Barn»). Depuis quatre décennies, Paul Major fouille dans les bacs et les caisses de vinyles d'occasion à la recherche d'albums loufoques et surprenants. Il fait partie des gens qu'on appelle les diggers, en souvenir des gold-diggers de la grande Ruée Vers l'Or qui ravagea l'Ouest des États-Unis à la fin du XIXe siècle. Comme tous les diggers, il se fie parfois aux pochettes et donc à son flair. Un visuel incongru mène parfois à un disque intéressant. C'est une véritable loterie : on perd ou on gagne. Mais quand on gagne, ça peut rapporter gros, comme on dit aujourd'hui. C'est le pari que font les nouveaux diggers professionnels : «Investis un euro sur une foire à tout, Bob, il peut t'en rapporter deux cents si tu as le client pour te racheter la pièce que tu viens de chiner !» Du coup, on assiste à une nouvelle ruée vers l'or. Avant que le soleil ne se lève, les diggers grimpent à bord de leurs chariots et foncent à travers les plaines, de foire à tout en foire à tout, jusqu'à ce que les chevaux s'écroulent, épuisés et couverts d'écume blanche. Tous les villages de France et de Navarre organisent des foires à tout. Les foires à tout prolifèrent. On ne parle plus que des foires à tout. Que fais-tu demain ? Oh, je vais à la foire à tout ! Les pauvres y trouvent de paires de chaussures et de la vaisselle à un euro et les gosses y revendent leurs jouets pour en acheter d'autres. On dit même que ces foires sont devenues le passe-temps favori des Français de la douce France, du doux pays de mon enfance. Les diggers attachent leurs chevaux à l'entrée du village et se jettent dans les allées. Ils avancent d'un pas rapide. Il faut prendre de vitesse les autres diggers dont on flaire l'odeur dans les parages. Les diggers balaient tous les étalages du regard. Rien n'échappe à leur sagacité. Ils repèrent des cartons rangés sous les tables. Ils farfouillent dans les petits étalages d'objets misérables à la recherche de la pépite qui va leur rapporter quelques billets bien craquants. Comme le fut le ruée vers l'or en Californie, cette ruée de diggers échappe à tout contrôle et à toute forme de rationalité. D'autant que les prix flambent sur le net. L'argus devient fou, lui aussi. On voit la cote de certains albums grimper, de semaine en semaine, et ça n'en finit plus de jeter de l'huile sur le feu. «Ah tu voulais une copie du 'Bulletproof' de Hard Stuff , Bob ? Il fallait te décider quand elle valait encore trente euros. Tiens regarde, le pressage anglais, y vient de passer à quatre-vingt. Fais gaffe, Bob, la semaine prochaine, il passera le cap des cent ! Tu ferais mieux de te décider vite fait !» Écœuré, Bob répond que beaucoup de gens n'ont même pas ça pour manger dans le mois et qu'on trouve le disque sur CD à moins de dix euros sur Amazon. «Ah mais non ! C'est pas du tout la même chose, Bob ! Tu sais bien qu'il vaut mieux écouter un pressage original !» Bob ne répond pas. Il observe le visage de son ami et fait l'impossible pour masquer sa compassion. 

Les personnages de Tex Avery avaient des dollars à la place des rétines. Les nouveaux diggers ont les yeux qui clignotent comme des machines à sous. Gling glong ! Quand les deux poires apparaissent, gling glong, c'est qu'ils viennent de payer un euro un Blue Note très recherché. Ce n'est plus teenage lust mais digging lust. Ainsi vont les choses. On s'éloigne du point de départ qui est la musique. Mais peu importe, au fond. Seul compte le bonheur du digger qui vient d'arracher sa pépite du petit tas de déchets. Il lève les bras au ciel, brandit sa trouvaille à bout de bras comme s'il voulait prendre Dieu à témoin et se met à arpenter l'allée, criant à toutes et à tous qu'il est devenu riche et qu'il va de ce pas aller fêter ça au saloon. Il y entre fièrement, donne un violent coup de poing sur le bar et interpelle le barman : «Hola Ténardier ! Sors-moi ton meilleur whisky et remplis-moi tout les verres posés sur le bar à ras-bord ! C'est ma tournée !»

 

a1111photo2.jpg

Paul Major avoue humblement qu'il a toujours connu cette fièvre du vinyle rare, une pathologie que tous les amateurs de vinyles d'occasion connaissent bien. Tout le monde sait aussi que les ressources sont aussi inépuisables qu'elle l'étaient voici trente ans, lorsqu'on fouillait frénétiquement les bacs des second-hand shops à Londres. Une vie ne suffit pas à explorer l'extraordinaire labyrinthe de la culture rock. Plus on creuse et plus on trouve à creuser. C'est la raison pour laquelle on continue de hanter les conventions du disque et les boutiques de certains disquaires, car on brûle toujours de la même fièvre. Brûle encore, bien qu'ayant tout brûlé. Brûle encore, même trop, même mal.  

Petit à petit, Paul Major est entré en contact avec des collectionneurs basés dans le monde entier, ce qui lui permet de troquer des copies rarissimes ou de faire rentrer un très gros billet pour financer les imprévus. Comme il aime à le rappeler, avant Internet, il n'y avait rien ou presque. Les collectionneurs devaient se débrouiller avec des listes de dealers et des adresses postales. Dans les années soixante-dix, on pouvait s'offrir les pressages américains des Standells, des Yellow Pages, de Savage Revolution ou de Bohemian Vendetta en misant sur la auction list de Bomp. On trouvait aussi les albums du Thirteen Floor sur International Artists en allant tout simplement chez Music Action, Carrefour de l'Odéon. Ce n'était pas très compliqué, au fond. Et à Londres, on trouvait tout ce qu'on voulait chez Rock On et dans les second-hand shops de Golborne Road. On se débrouillait très bien avec les moyens du bord. Il est vrai qu'avec Internet, on se débrouille encore mieux, parce que l'accès aux disques recherchés se fait dans l'immédiat, ce qui dénature un peu le plaisir de la recherche. Quelques clics et un numéro de carte bleue suffisent. Pour les vrais collectionneurs, Internet est devenu l'outil indispensable, et on pourrait même dire l'outil rêvé. Pour les autres, c'est la porte ouverte à toutes sortes de dérives.

 

a1112photo3.jpg

Dans une interview, Paul Major indique qu'un album de Kenneth Higney intitulé «Attic Demonstration» fut l'une de ses plus belles trouvailles. Et comme tous les collectionneurs chevronnés, il cite en vrac des noms de groupes dont on n'a jamais entendu parler. Comme Lux Interior et Greg Shaw le faisaient de leur vivant, Paul Major continue de rechercher inlassablement les disques rares et insolites et il ne semble vivre que pour le bonheur de la trouvaille. Et comme Lux Interior, il parvient à canaliser sa passion, son énergie et son immense culture pour la réinjecter dans un groupe, histoire de donner un sens à sa passion. Endless Boogie, c'est la même chose que les Cramps. Ou que les Panthers Burns. Bob Hite jouait dans Canned Heat parce qu'il était dingue de blues. Paul Major fonctionne exactement de la même façon que Tav Falco, Lux Interior ou Bob Hite. Quand on aime la musique à ce point, on finit fatalement par se retrouver dans un groupe. C'est la seule finalité possible. Sinon, à quoi bon collectionner les disques ? Au contact de personnages comme Paul Major, les choses reprennent tout leur sens.  

Pour avoir pu discuter de Captain Beefheart et d'Edgar Broughton avec lui après le concert, je peux vous affirmer que ce personnage est un véritable héros, un pur rock'n'roll animal, digne des plus grands et de ceux dont il tire son inspiration. À 58 ans, il ne rêve plus de succès, on s'en doute bien. Il ne monte sur scène que pour jouer le full blown boogie avec ses amis.

Signé : Cazengler, gaga de boogie

Endless Boogie. Au 106, Rouen. 18 octobre 2013

Endless Boogie. Focus Level. No Quarter 2008

Endless Boogie. Full House Head. No Quarter 2010

Endless Boogie. Long Island. No Quarter 2013

PARIS / 19 -10 – 2013 / AU MERIDIEN

VICON SORT DE SES CONDS

 

a1125logoméridien.jpg

Pour voir Vigon sur scène, l'idéal c'est encore d'aller au Méridien de la Porte Maillot. Au rez-de-chaussée de l'hôtel se trouve le club Lionel Hampton, un endroit chicos dans lequel se produisent pas mal de grosses pointures. Il n'y a pas si longtemps, on pouvait s'installer confortablement à quelques mètres de Screamin' Jay Hawkins ou de Ike Turner et les dévorer des yeux pendant deux heures tout en sirotant ces merveilleux cocktails exotiques qui montent directement au cerveau. Vigon, c'est exactement du même niveau que Ike Turner et Screamin' Jay. Il est tellement auréolé de légende qu'on s'interroge : pourquoi si peu de gens viennent le voir se produire sur scène, alors que d'atroces connards remplissent les grandes salles de la capitale ? 

a1118vigon63.jpg

Ce mec est depuis 1965 l'un des deux géants du rock français (l'autre étant bien sûr Ronnie Bird). Quand on voit Vigon chanter sur scène, on comprend tout. C'est un pur, un type hanté par ses héros. Quand on le voit remuer la tête indépendamment des épaules, on sent la présence du fantôme de Ray Charles en lui. Le fait qu'il porte des lunettes noires ne fait qu'aiguiser ce sentiment. La façon dont il bouge le buste et dont il ramène le micro à portée de voix nous renvoie directement à Jaaaaaames Brown. Il fait une version tellement démente du divin «I Feel Good» qu'on sent nettement la présence du fantôme de Mister Dynamite. Oui, Vigon est bon à ce point. Il incarne l'esprit de tous ses héros disparus. Ça crève les yeux. Il y a du Otis en lui, du Ike Turner - il fait le baryton ikien sur une fiévreuse reprise de «Proud Mary» - du Little Richard, quand il screame «Bamalama Bamaloo - baby», l'un de ses vieux chevaux de bataille. Ils sont douze sur scène. L'orchestre comprend une section de cuivres complète avec saxophones et trompettes, deux mecs aux claviers, un fabuleux batteur, un guitariste qui joue le funk de Stax, un boute-en-train saxophoniste-guitariste qui présente les morceaux et qui chauffe le public. Et en prime, un mec qui souffle les basses dans un soubassophone, cette espèce de gros tuba qu'on voit dans les fanfares et qui est en fait une basse à vent. Vigon pilote cette énorme machine, comme s'il pilotait une formule 1, et il donne de violentes impulsions en dansant entre les couplets. Il a complètement intériorisé la magie du r'n'b. Son corps la contient toute entière. On voit bien que son corps obéit aux lois disloqueuses du funk. Il entre à l'intérieur de lui-même pour puiser dans cette lumière blanche et libère les vieilles énergies qui ont révolutionné le monde musical des sixties. En observant Vigon, on réalise qu'il fait ça pour de vrai. On réalise qu'il est hanté pour de bon. Il n'est pas dans la représentation. Il chante dans le club d'un grand hôtel, c'est vrai, mais il ne pense qu'à Jaaaaames Brown quand il attaque «I Feel Good», il puise dans la perception qu'il a de Mister Dynamite depuis cinquante ans pour trouver le ton exact, le ton juste. Il puise et c'est exactement ce qu'on voit, quelqu'un de présent mais qui est totalement ailleurs, en lui, habité par autre chose. Il ne pense qu'à chanter aussi bien que son héros, à pousser le bon cri au bon moment, à réussir l'attaque du couplet avec le même chien - 'nd I feel nice/ lik' sugar 'd spice. Vigon est comme Jeffrey Lee Pierce. S'il tient un micro sur une scène, devant un public, c'est uniquement pour invoquer les esprits. Tout le reste n'est qu'intendance. Il envoie des classiques comme «Knock On Wood» et «Hold On I'm Coming» rivaliser de verdeur et d'authenticité avec les originaux. Il nous gratifie d'une version irréelle de «My Girl», vertigineuse de feeling et de justesse - I've got sunshine/ On a cloudy day - l'un des morceaux les plus difficiles à chanter et que se réservaient quelques rares géants du calibre de Steve Marriott ou de Jim Reid. Sa reprise de «I'll Go Crazy» tient du miracle, pulsée par un shuffle de basse à vent et de cuivres. On se mord la lèvre pour ne pas crier au génie, tellement c'est gorgé de menace et de pulsions primitives. Il rappelle qu'«Harlem Shuffle» fut le morceau fétiche qui lui permit de remporter le tremplin du Golf Drouot. Et hop, il nous envoie une version de rêve, montée sur un groove impeccable. Par contre, aucune trace de Wilson Pickett, dans son set. Plus de Mustang ni de Sally, comme au bon vieux temps.

a1123affiche.jpg

En juillet 2004, Vigon participait à une sorte de festival historique. L'Olympia présentait le retour des pionniers du rock français avec une affiche des plus alléchantes : les Pirates, Billy Bridge et les Mustangs, Joey et les Showmen, Vigon et des tas d'autres qui, quarante ans après leur heure de gloire, paraissaient toujours prêts à en découdre. Nous n'étions là que pour Vigon, dont on avait un peu perdu la trace. Son impresario croisé dans la file d'attente éclaira nos lanternes en nous expliquant que Vigon s'était replié pendant vingt ans chez lui, à Casablanca, qu'il avait chanté tous les soirs dans un cabaret et mené la grande vie. Mais il était de retour à Paris et on pouvait le voir jouer tous les soirs dans un club situé à deux pas de l'endroit où nous faisions la queue : l'American Dream. Et pouf, il nous refila un flyer.

a1120bestof.jpg

Ce soir-là, l'Olympia était plein comme un œuf. Moyenne d'âge : soixante-dix ans. Il nous fallut un temps d'adaptation assez long. On se retrouvait mêlé à une stupéfiante concentration de ventripoteurs à cheveux blancs et de vieillardes accrochées comme des algues aux souvenirs de leurs quinze ans. On réalisait brutalement que le rock des origines avait pris un sacré coup de vieux, au point qu'on se posait de drôles de questions, du genre : et si les artistes revenus du passé étaient encore plus racornis que le public ?

a1124angenoir.jpg

Le grand rideau rouge s'ouvrit à vingt heures trente tapantes. Ce furent les Soquettes Blanches qui ouvrirent le bal avec des reprises des Chaussettes Noires, évidemment. «Dactylo Rock» et d'autres classiques de Schmoll - qui n'était encore à cette époque que Claude Moine - réveillaient des souvenirs lointains. On nous annonça ensuite les Pirates. Waouh ! Mais non, car il fallut déchanter. Ce fut le premier mauvais gag de la soirée. Un mec à cheveux gris habillé en noir se pointa tout seul et chanta deux ou trois rocks balloches à la mormoille. Puis ce fut le tour de Claudine Coppin. Personne n'avait jamais entendu parler d'elle et on comprenait pourquoi : une gosse femme blonde ventrue et massive comme un tonneau vint se dandiner devant nos yeux ronds de stupeur. Sortait-elle de l'imagination du Professeur Choron ? Le spectacle d'une grosse femme vulgaire arpentant la scène en chantant faux un truc inepte qui datait de l'époque où elle avait passé son bac, c'était du pur Choron. Avant de replonger dans les abîmes de l'oubli, elle signala au public qu'elle était suivie depuis trente-six ans par un hôpital de banlieue. Les Bourgeois de Calais fournirent ensuite une prestation de bonne facture. Sosie de Darry Cowl, le chanteur anglais Jeff Parker se pavana sur la scène en veste de smoking blanc - type ambassadeur au Kenya ou joueur professionnel à Macao - et il embarqua le public avec lui grâce à une reprise du pimpant «Forty Days» de Cliff Richard. Mais les choses basculèrent ensuite dans l'horreur. Jeff Parker annonça un morceau du nouveau disque des Bourgeois de Calais : «Jamais». Il s'agissait d'un disco-funk absolument désastreux. Ils réussirent à tétaniser l'Olympia. On espérait se shooter à la légende en venant assister à ce spectacle et ça tournait à la plaisanterie de mauvais goût.

a1138laplaya.jpg

Un mec des Champions arriva directement du Japon pour nous jouer des instrus lagoyesques. On croyait rêver. Il nous rejoua son tube du début des années soixante, «Playa», gros classique entré dans l'inconscient collectif. Puis les Mustangs se radinèrent dans leurs costards roses, mais sans Billy Bridge qui avait disparu. Un petit jeune le remplaçait au pied levé. Les Mustangs régalèrent les amateurs d'un joli medley d'instrus connus comme le loup blanc et coiffèrent leur set d'une version de «Madison» drôlement verte. Burt Blanca surgit des limbes du passé pour essayer de mettre le feu aux poudres. Petit et trapu, belge et vivace, le cheveu étrangement fourni pour un mec de son âge, il emporta l'adhésion du public à la force du poignet. Il bougeait, il allait, il venait, il ponctuait ses couplets de gimmicks de guitares bien incisifs, il essayait laborieusement d'imiter Jimi Hendrix, la guitare sur la nuque, il remuait des montagnes, il déménageait avec «J'déménage». Ce mec poilant et virulent nous redonnait du poil de la bête. On sentait bien que Burt Blanca avait conservé toute sa foi dans le rock'n'roll. Les vétérans des sixties présents ce soir-là dans la salle allaient reparler longtemps de la patate belge de Burt Blanca. Le gros truc arriva enfin avec Joey & the Showmen. Ils eurent du mal à se mettre en route, mais quand Joey s'y mit, ce fut comme un réveil en fanfare ! Quel guitariste ! Il démarra avec «Carol», en détachant l'intro sur deux accords. Joey avait un son énorme, avec sa strato noire et blanche. Il jouait avec une virulence peu courante. Ce mec avait lui aussi le rock dans la peau, c'était la faute à Ringo, le rock était son vice, c'était la faute à Elvis. Ce fut une version de «Carol» à tomber par terre. Joey bougeait bien, il était très physique dans son attaque au chant. Il enchaîna avec «Great Balls Of Fire», nouvelle performance brûlante à cause de ses incursions de guitare incendiaires. Rappelons que les trois quarante-cinq tours de Johnny avec Joey & the Showmen - «Les Rocks Les Plus Terribles» - comptent parmi les fleurons du rock français de cette époque. Ce qui fait le charme de ces trois EPs, c'est le panache électrique de Joey & the Showmen. Et en voyant Joey sur scène quarante ans plus tard, on comprenait le pourquoi du comment. Joey avait un peu une tête d'Yves Robert, avec ses moustaches. Il portait une chemise blanche au col grand ouvert et un pantalon noir. Pas d'effets vestimentaires. Tout le show reposait sur sa technique de guitare virulente et son étonnante modernité. Il fit monter un nommé Patrick sur scène pour une reprise de «Escuse-moi Partner». Malgré ses muscles et son cuir noir, le Patrick en question était mauvais, mais Joey doublait le chant de chorus épouvantablement bons et construits sur des mélodies inversées qui auraient épaté Jimmy Page. Il termina son set avec une version instrumentale de «Memphis» qui scia les connaisseurs. Les gros porcs de la régie tirèrent le rideau en plein cinquième morceau.

a1119vigonbethune.jpg

À l'entracte, des centaines de grabataires se ruèrent vers le bar. Ce fut un effarant spectacle. Reprise avec un combo ridiculement désuet, Mystery of Sound, qui nous pompa l'air avec des reprises des Shadows. Les Fantômes arrivèrent pour dire qu'il joueraient comme des fantômes, c'est-à-dire qu'on ne les vit pas. Le batteur jouait du jazz ailleurs et le bassiste était mort, c'était donc un vrai fantôme. Exit les Fantômes. Eux au moins, il essayaient d'être cohérents. Leur prestation éclair fut bien plus kitsch que celle des Pirates. Puis se radina sur scène le playboy de service, Mike Shannon, qui, apparemment, était dans les Chats Sauvages. Sa prestation fut typiquement sixties-variète-chanson de charme. Évidemment, les vieilles des alentours connaissaient les paroles par cœur. Celui qui lui succéda sur scène avait perdu sa banane en route. C'était assez embêtant pour Jacky Gordon, puisqu'il se prenait pour Jerry Lee. Sans mèches ni banane, la chose se révélait périlleuse. Avec un courage insensé, il s'escrima sur son clavier comme un beau diable, mais il lui manquait l'essentiel.

Ce fut ENFIN le tour de Vigon, pour lequel on s'était déplacés. Il arriva sur scène, tout de cuir noir vêtu. Il était plus que jamais ce diable marocain qui nous avait embrasé l'imagination au temps jadis et qui n'avait jamais connu la gloire qu'il méritait en tant qu'authentique soulman. Il balança trois énormes classiques du rhythm'n' blues coup sur coup : «Midnight Hour», «Hold On I'm Coming» et «Knock On Wood». Vigon était trop bon, presque miraculeux. Le jour et la nuit avec le reste du spectacle. Il incarna ce soir-là Wilson Pickett, Sam and Dave et Eddie Flyod, puis James Brown avec une version complètement allumée de l'explosif «I Feel Good». Vigon vitupérait. Vigon virait au vert. L'immense rocker marocain de nos rêveries adolescentes chauffa les fesses du firmament. Et je crois même qu'avec seulement quatre morceaux, il défonça la rondelle des annales et sauva la soirée du désastre.

a1115endofvigon.jpg

Sortait en 2008 un curieux disque compilatoire intitulé «The End Of Vigon», un album avec une face lente et une face rapide, comme l'étaient ceux de la collection des Formidable Rhythm'n'Blues jadis conçue par Atlantic. La pochette était celle d'un EP de Vigon : on le voit de profil, assis au sol, au sommet d'un escalier public, sur fond de ciel bleu. Il porte un pull orange et un pantalon noir. God, comme il est jeune. Même si on n'aime pas les morceaux lents, il faut faire l'effort d'écouter la face lente. Vigon y est vertigineux de génie soul. Son animalité ressort mieux dans les slows super-frotteurs que dans les jerks torrides, comme chez Otis, d'ailleurs. Son timbre est d'une justesse remarquable et il prend toute son ampleur dans les morceaux lents comme «It's All Over» et «Dreams». Ce sont de vraies merveilles à climats animées par des montées en puissance absolument fabuleuses, des coulures de kitsch qui scintillent comme des diamants. Tous les amateurs de soul devraient écouter ce disque extraordinaire. Il faut entendre Vigon hurler les dernières phrases de «Dreams» dans la plus pure tradition des grands soulmen de Detroit ou de Memphis. Vigon se racle la gorge avec une aménité qui pourrait subjuguer si nous n'étions pas nés de la dernière pluie. Il pousse des petits cris suspects et finit en hurlant comme un singe de Bali. Il est effarant de penser qu'on ne le prend pas au sérieux en France, alors qu'il est l'égal absolu de Wilson Pickett, de Percy Sledge, de James Brown et d'Eddie Flyod. C'est quelque chose, non ? Il dispose exactement du même registre, de la même classe, de la même énergie et du même génie d'interprétation. La face A est tellement haut de gamme qu'on devine ce qui se passer ensuite : la face B va exploser comme un volcan.

a1121pollution.jpg

Boum ! Et même badaboum ! Il entre directement dans la cour des grands avec «Pollution», un funk infectueux monté sur un beat toxico. Comment fait-il pour tenir cette chose en laisse ? Dieu seul le sait. Avec ce funk tendu, Vigon se montre l'égal de George Clinton. Il y a quelque chose de terriblement organique là-dedans. «Pollution» tient l'auditeur par les hanches. A-t-on déjà entendu funk plus jouissif ? Non, évidemment. Le bougre embraye sur «Harlem Shuffle». Il est dessus. Aucun doute. Il fait grimper la température. Il noie les paroles de ce classique dans la chaleur de son âme avant de les recracher pour que les trompettes les emportent au ciel, puis il calme le jeu - yeah yeah. Pure magie noire. On assiste à une remontée des trompettes et Vigon crie dans la nuit de Harlem - Aaaah Aaaah - On danse au fond de la salle sur cette prodigieuse fournaise de juke-box. Encore une fois, on ne comprend pas que ce demi-dieu marocain soit resté dans l'ombre. Il est beaucoup trop bon. Ça dépasse les normes. Vigon paye le prix fort, enfermé dans la légende comme le moucheron enveloppé vivant dans le cocon de fil tissé par l'araignée.

a1122vigonatco.jpg

Il tape ensuite dans le premier classicus cubitus de Sam & Dave, «You Don't Know Like I Know». Encore un joyau de la couronne qu'il emmène au pas, sans forcer le destin et qu'il chauffe à blanc, juste pour rigoler. God, comme ce mec est doué. Vigon ne craint pas le danger, car il tape dans des morceaux déjà parfaits, pour lesquels aucune valeur ajoutée n'est envisageable. Et pourtant, il réussit à leur redonner vie et soigne tellement son interprétation qu'il réussit chaque fois un miracle. Son talent fou le rend crédible. «Baby Your Time Is My Time» est plus groovy et plus orchestré. Pièce magnifique d'urbanité. «Ma chère Épiphanie, ce morceau te percera le cœur», disait le Comte de Lautréamont à sa carafe en cristal. Franchement, Vigon fait partie de ceux qui ne prennent pas les gens pour des cons en leur faisant croire qu'ils ont du talent. Lui en a, et à revendre. Fabuleux héros. Il reprend ensuite «The Spoiler» l'unique morceau d'Eddie Purrell enregistré chez Stax et composé par Donald Duck Dunn (après la parution du single, Eddie disparut. Personne n'entendit plus jamais parler de lui). Sur Stax, c'était déjà une vraie bombe. Un cinglant winner. Vigon prend à bras le corps cette monstruosité noyée d'orgue dès l'intro, cueillie aux cuivres et balancée dans la stratosphère. C'est un jerk mortel, de la race de ceux qui ont disparu avec Stax. Comme Eddie, Vigon y va - I'm a spoiler, ouuh - Monstrueux ! Do the spoil ! Comme Eddie avant lui, Vigon joue son va-tout. C'mon C'mon. Vigon entraîne son orchestre dans la course folle. Ce disque ressemble tout à coup à une bénédiction. C'est quasiment un coup à devenir mystique et à aller se recueillir au pied de la statue de Sainte-Cécile, la patronne des soulmen d'Occident. L'oreille en chou-fleur d'un banlieusard devenu provincial pouvait-elle rêver meilleur destin ?

Vigon va conclure son affaire avec un «Woo Woo Song» d'apparence inoffensive, mais la magie ne viendra pas au rendez-vous. On ressentira une certaine tristesse. On pressentira même  une fin prochaine. Le morceau ira son train jusqu'à la sortie des artistes et Vigon le suivra, la tête baissée, résigné, et il s'enfoncera dans l'ombre où son nom finira par se perdre aussi. 

Signé : Cazengler, le vigoné de service.

Vigon & the Dominoes. Le Méridien. 19 octobre 2013

Vigon. The End Of Vigon. Barclay 2008

FRANCOIS JOUFFA - JACQUES BARSAMIAN

GENERATION JOHNNY

LES IDOLES DES ANNEES SOIXANTE

( GRÜND / 2010 )

 

a1129rectobbook.jpg

Pas la première fois que nous rencontrons François Jouffa et Jacques Barsamian dans KR’TNT. Les deux compères, des vieux de la vieille qui ont vécu l’éclosion du rock en France en ses tout débuts, se retrouvent périodiquement pour traiter d’un pan de son histoire protéiforme. Comme la plupart de ceux qui ont connu ces époques lointaines leur cœur est resté accroché à ces années que l’émerveillement auroral et la nostalgie de cet âge d’intégrité qu’est l’adolescence recouvrent d’une indestructible patine légendaire.

Johnny en tête d’affiche, mais il existe aujourd’hui tant de livres publiés sur le personnage que l’intérêt du lecteur se portera avant tout sur tous les seconds couteaux que son apparition aura suscités. Reste encore à délimiter les années soixante. Géographiquement Jouffa et Barsamian ne s’embarrassent pas de mille précautions. Nous sommes en France et nous ne nous éloignerons pas de ses rivages. Si vous ne savez pas qui sont Elvis Presley ou les Beatles, à vous de parfaire votre culture par des lectures complémentaires, citeront leurs noms sans plus d’explications. Historiquement, c’est déjà plus difficile. La France s’est énormément transformée durant cette décennie fabuleuse. Mettront le curseur entre 1958 - arrivée du Général De Gaulle au pouvoir - et 1968 année évènementielle par excellence, sans s’interdire de déborder allègrement des deux côtés de ces dates significatives mais peu fatidiques.

LE GOÛT DU PUBLIC

A musique populaire, public populaire. Les mouvements minoritaires, les chapelles groupusculaires ne seront évoquées ici que si elles parviennent à faire basculer les goûts d’une large fraction de la population. Ce livre n’est pas une contre-histoire du rock and roll, il suit le curseur majoritaire dans ses déplacements les plus gravitationnels. Tous ceux qui n’essaient point d’échapper à la force obscure du grégaire goût des masses silencieuses à ruminer la nourriture distribuée sans chercher à voir si ailleurs l’herbe est plus verte trouveront ici pâture à leur dévotion.

a1130verso.jpg

Près de trois cents artistes évoqués, en gros tout ce qui est passé sur les antennes radio. Pour les marges qui n’ont pas eu accès à un minimum de diffusion sur les ondes, rien. L’on reste parfois sur sa faim, l’on aimerait bien savoir la suite de l’aventure pour ceux qui se sont retrouvés à la case départ de l’anonymat plus vite que souhaité.

FIFTIES RATEES

La France est passée à côté des fifties. En ces temps-là l’Amérique est au-delà des préoccupations quotidiennes. La droite est très conservatrice et la gauche dominée par le Parti Communiste est en guerre froide culturelle envers ces satanées yankees dès les années trente. L’on aime le jazz, l’on aime le swing, l’on aime cette musique de nègres exploités par les méchants amerloques, mais à la française, aveuglément. Le jazz est du côté du bien, en toute logique Elvis ses rouflaquettes et son rock épileptique se retrouvent classés dans le camp du mal.

Faut regarder les photos du groupe surréaliste, tous engoncés dans leurs costumes et ficelés par leur cravate, pour comprendre comment tout ce qui bouge, tout ce qui s’inscrit dans des stratégies de ruptures sociétales et artistiques a été annexé par la frange la plus intellectuelle mais aussi très embourgeoisée de la jeunesse française… Faudra le pressentiment de la guerre, son éclatement et son lot de privations pour que quelques cohortes estudiantines arborent un véritable look séparatif. Les zazous ne feront pas de petits par chez nous. Ce sont les prolétaires anglais qui récupèreront leur manière de s’habiller qu’ils requalifieront d’Edwardienne.

Le premier chapitre court de Charles Trenet à Gilbert Bécaud. Sans oublier Jacques Brel et Sacha Distel. L’idéologie gauloise du savoir-faire national et de l’humour gras est en place. Celle qui sera magnifiée à la puissance dix par Boris Vian. Plus on est stérilement stupide, plus on se sent intelligent. L’on écrit de la chansonnette et l’on se croit détenteur d‘un esprit de finesse sans égal. Vian disparaîtra an 1959, la jeunesse des années soixante ne le regrettera pas, la génération étudiante des années 70 le remettra à la mode. Ces jeunes gens qui prennent le train de la pop music en marche décrèteront, sans avoir jamais rien entendu d’autre que ce que leur propose ( chichement ) les média, que tout ce qui existait avant eux n’avait aucune valeur… Nous ne reviendrons pas pour l’avoir souvent dénoncée dans nos colonnes sur la navrante galéjade du soi-disant premier disque de rock français d’Henry Cording, concoctée par le trio des pitres pitoyables Vian- Legrand-Salvador.

a1132claudepiron.jpg

Claude Piron a bien la prescience que le rock and roll c’est autre chose que de l’amusement rythmé, mais il ne convaincra jamais sa maison de disques Ducretet Thomson du sérieux de la chose. En fait un Gabriel Dalar, un Richard Anthony ne sont pas branchés sur les pionniers, ils sautent dans le train au bon moment mais se trompent de wagon, entre Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent et Johnny Ray, Paul Anka, les Kalin Twins il ya toute la différence qui existe entre la folie et le romantisme à l’eau de rose. Quant à Danyel Gérard qui met sur le même pied d’égalité Elvis et Bécaud, l’on ne peut pas dire qu’il avait une idée bien claire de l’essence du rock and roll. Modérons toutefois nos critiques, Boris Vian avait l’œil, tournait comme un vautour autour des têtes nouvelles, leur refilait de ses propres chansons prenant ainsi bien soin de castrer la concurrence avant qu’elle ne déplie ses ailes loin de lui. Devait pas être facile non plus, vu le peu d’informations et de documents qui devaient traverser l’Atlantique en ces temps préhistoriques, de pousser l’analyse très loin. D’ailleurs ce n’est pas le disque qui sera le vecteur d’accès au rock and roll pour la véritable première vague de nos rockers nationaux, mais le cinéma. D’abord par l’entremise du western, ensuite grâce aux films de James Dean et d’Elvis Presley ( merci, mon colonel ! ).

a1131dalar.jpg

PLACE A PART

Si le rock a éclaté en France c’est un peu parce que Johnny n’a pas emprunté le canal historique de la jazzriété française. Provenait d’autre part. Un enfant de la balle, abandonné par ses parents, récupéré par sa cousine Desta et son mari Lee, artistes de music hall et de cabaret… pour lui le chemin est tout tracé, sera un artiste qui bouffera de la vache enragée pour survivre… Ne va pas souvent à l’école mais fait déjà ses petits numéros sur scènes, habillé en cowboy, chantant Brassens et Aznavour jusqu’au jour où il rencontre Presley dans un cinéma. A quinze ans il sait ce qu’il veut devenir : chanteur de rock.

a1133discjohnny.jpg

Mais un chanteur de rock sans public c’est un peu comme Néron sans son aula neronia, ce fan club qui le suivait pour applaudir l’Empereur à chacune de ses représentations, Johnny aura son noyau de supporters fervents qui lui permettront de remporter ses premières victoires auprès d’un public récalcitrant. N’y a pas alors beaucoup d’endroits en région parisienne où la jeunesse puisse se divertir sans se faire rappeler à l’ordre à la première incartade. Vous refais pas non plus la saga du Golf ( j’attends de remettre dans mon barda la main sur le bouquin d’Henri Leproux pour vous en causer plus longuement ), d’autant plus que du Golf émergera Hallyday mais aussi quelques unes des têtes les plus importantes de la génération Yé-yé.

GENERATION YE-YE

Car si Johnny réussira à s’imposer ce n’est pas le rock qui sortira gagnant de la bataille. Va y perdre trop de plumes dans les pugilats. Le yé-yé empochera la mise. Le rock français déboule trop tôt et trop tard. Dès 1959, la pendule du rock est arrêté aux Etats-Unis, les deux derniers rockers encore en activité, Vincent et Cochran s’en viennent travailler en Europe. En Angleterre les maisons de disques ont eu le temps d’amadouer les poulains les plus sauvages, Cliff Richard, Billy Fury, Marty Wilde se laissent manœuvrer par Larry Parnes et leurs maisons de disques et enregistrent un flot de romances sucrées… Les Beatles eux-mêmes seront obligés d’attendre des temps meilleurs au Star Club de Hambourg. En France il n’y aura pas d’échappatoire de recours, le rock restera prisonniers entre les quatre murs de l’hexagone et suivra le principe de déperdition de l‘énergie en vase clos. L’introduction de ferments étrangers telle les tournées de Gene Vincent ou la venue de Vince Taylor chez Barclay ne confirmeront pas leurs exemplaires promesses. Taylor sera même victimisé par ce vice congénital de la mentalité nationale en son immense majorité rétive au rock and roll.

a1134vincetaylor.jpg

PREMIERE VAGUE

Cela n’avait pourtant pas trop mal commencé. En quelques mois, suite à la folie déclenchée par les Chaussettes Noires et les Chats Sauvages, des milliers de groupes éclosent sur notre territoire. Hélas, la quantité n’a jamais été synonyme de qualité. Du jour au lendemain des milliers de jeunes gens s’improvisent chanteurs ou guitaristes de rock. Ne savent évidemment ni chanter, ni jouer. Ce n’est pas le plus grave. Après tout nombre de groupes punks n’étaient guère plus performants en leurs débuts. Techniquement parlant, oui. Mais dans la tête les jeunes anglais de 1976 possédaient des centaines de plans rock entendus à la radio, regardés à la télé, stockés dans des milliers de vinyls, facile de faire du rock dans ces conditions. Nos condisciples mangeurs de grenouilles ne pouvaient puiser qu’en de maigres bagages. Beaucoup n’avaient qu’une idée toute approximative des arcanes de cette musique du diable. A part quelques disques de Presley, et souvent pas les enregistrements Sun mais ceux déjà altérés de chez RCA, et les disques de Cliff Richard qui connut une récupération parallèle à celle d’Elvis, fallait être un sacré fouineur dans nos provinces pour s’allaiter aux bonnes crèmeries.

a1135fingers.jpg

Difficile de chanter du rock en français, comme par hasard les trois premiers furent les trois meilleurs, même si rien ne laissait prévoir comment les voix d’Hallyday, de Mitchell et de Rivers allaient se bonifier avec l’âge, et le travail. Alors dans les groupes rock l’on tourna la difficulté en l’évitant. Ce fut la revanche du musicos sur le lead singer, ce mec qui s’appuie sur les copains qui s’escriment sur leurs instruments derrière lui et dont il prend un malin plaisir à couper les plus beaux effets en beuglant dessus tel un veau appelant sa mère pour téter. En plus c’est lui qui emballe les filles à la fin du set. Supprimer le problème et il n’y aura plus de problème. Les Englishes ont trouvé la solution : prenez Cliff Richard et les Shadows et les minettes se pâment pour Cliff. Laissez Cliff à la maison et malgré ses lunettes de myope Hank Marvin vous a tout de suite une gueule d’Apache de cinéma. N’y a pas photo non plus sur le produit, des mecs qui chantent y en a toujours eu, même sous les hommes préhistoriques, mais un son de guitare électrique, ça c’était la nouveauté absolue, le bruit que l’on avait encore jamais ouï par ici, le symbole du rock. Les Fingers, les Mustangs, les Champions, retiennent l’oreille des connaisseurs.

a1137mustangs.jpg

Danny Boy ( autrement dit Claude Piron ) et ses Pénitents, Vic Laurens et ses Vautours, Danny Logan et les Pirates ne donneront l’illusion que quelques mois. Chanteurs sympathiques mais qui n’ont pas la carrure et qui surtout seront incapables d’imaginer une autre voie que celle qu’ils ont empruntée d’instinct et d’une manière assez irréfléchie emportés par l’ivresse du moment. Les musiciens n’étaient pas plus doués que leurs maîtres chanteurs. En studio l’on fait appel à des vieux du jazz qui savent au moins tenir un rythme sans décrocher toutes les dix secondes. Misère et petitesse du rock français à ses débuts !

a1141vicvautours.jpg

Laissez-les jouer et les yé-yés reconnaîtront les leur. Lorsque le reflux arriva les plus mauvais rentrèrent chez eux la guitare entre les jambes, les meilleurs se retrouvèrent derrière nos trois grands rockers nationaux qui n’hésitèrent pas aussi à piocher ailleurs, dans les Play Boys de Vince Taylor par exemple, et puis comme il faut manger tous les jours l’on finit par exemple par accompagner Claude François… Par un juste retour de manivelle beaucoup de musiciens de la deuxième vague des groupes français des années soixante dix provenaient des orchestres de nos chanteurs de variétés où ils pantouflaient et s’ennuyaient…

LES YE-YES

Mais à force de parler des problèmes de nos rockers, vais oublier de vous causer du principal contenu du bouquin. Les rockers ne furent qu’une minorité, pas plus de dix pour cent, et souvent des personnages pathétiques à la Moustique qui reçut l’adoubement de Little Richard et de Gene Vincent, ou à la Rocky Volcano, un peu moins perdu, un peu plus profiteur, mais tous deux des marginaux qui ne surent rentrer dans le système du showbiz. Des amateurs de rock, mais surtout des amateurs tout court avec ce que ce terme peut contenir de mépris.

a1142volcano.jpg

Ce sont les bosseurs à la Claude François - toujours à l’affût des modes middle of the road venues d’Amérique - ou des clones à la Sheila obéissants à leurs producteurs pygmalions qui finirent par s’implanter dans le consensus mou du bon goût franchouillard… Jouffa et Barsamian ne portent guère de jugement de valeur - du moins font-ils l’effort de se l’interdire - s’en tiennent au fait mais l’articulation de leurs chapitres aide à comprendre comment l’on est arrivé à une telle catastrophe. Des Ronnie Bird, des Noël Deschamps, des Vigon, des Gille Nau, des Herbert Léonard, sont impitoyablement rejetés par le système ou pire parfois édulcorés et même châtrés. Ou ils se taisent, ou ils se soumettent.

a1143ronniebird.jpg

Johnny parvient à surnager. Y laisse parfois son authenticité rock, enfile un costume pour passer à l’Olympia, part bidasse à l’armée, se déguise en hippie, chante San Francisco au risque de perdre toute crédibilité rock auprès des blousons noirs et de ses premiers fans, mais franchit avec plus ou moins de pertes, tous les barrages que le système lui oppose…

a1136noel.jpg

Entre temps l’on amuse le public avec de faux débats, Johnny contre Antoine, tout est bon pour l’éloigner du rock and roll. Après Adamo par trop vieillot, l’on profile des vedettes un peu plus charismatiques à la Polnareff et à la Julien Clerc et les années soixante sont déjà terminées. Mais chassez le rock par la grande porte il rentrera par le vasistas de chiottes. Si la première génération des années soixante a été décimée, une frange du public, certes minoritaire mais agissante, qui a gagné en maturité et en connaissances se branche désormais directement sur ce qui se fait aux States et dans le Royaume-Uni.

Les retombées d’un tel mouvement seront catastrophiques pour la génération rock des années soixante-dix, tout ce qui sera produit en France sera automatiquement suspect. Le rock français souffrira d’une taxe rédhibitoire, les groupes et les chanteurs ne trouveront jamais ces noyaux primordiaux de fans qui permettent à un groupe de progresser et de s’installer dans leurs propres musiques.

Cette Génération Johnny fourmille de renseignements divers. Qui parmi les lecteurs de KR’TNT a par exemple entendu parler d’une chanteuse comme Eileen ? Ne vous suicidez pas de honte et de désespoir, ce n’est pas la Janis Martin de nos contrées ( toutefois vous pouvez trouver Mickey Baker sur un de ses disques ). Le phénomène rock national ( très délayé ) est tout de même analysé avec soin, notamment sa propagation sur les ondes radio. Un livre précis et précieux pour mieux comprendre l’infortune du rock français.

Damie Chad.

JOHNNY SIXTIES PAR LELOIR

( présenté par Gilles VerlanT )

FETJAIME / OCTOBRE 2009

 

a1145book.jpg

C'est cela la vie, à peine êtes-vous mort que l'on vous fout au pilon. Sic transit gloria mundi. L'ai trouvé à deux euros cinquante, grand format, relié avec jaquette bristol, belles repros noir et couleur chez Noz, la grande surface des petits pauvres ). Neuf, ça vous en coûtait trente pour le mettre sous votre sapin de Noël. J'en connais plein qui déclareront qu'ils préfèreraient brûler leur conifère – ce qui s'appelle mettre le feu - si par mégarde ils trouvaient un livre consacré à Hallyday dessous.

Oui, mais c'est du Jean-Pierre Leloir. L'a cassé sa pipe à presque quatre-vingt berges en décembre 2010. Un vide dans le paysage de la photo-rock. L'était là depuis les tout débuts, et l'en est passé du beau monde dans ses focales. Du moins bon aussi. S'en explique à mots couverts dans son bouquin. Faut manger tous les jours. Encore que tout le monde ne picore pas les mêmes gourmandises dans son assiette.

 

a1147leloir.jpg

Peu de textes. Mais en stéréo. D'abord Leloir qui expose ses souvenirs sur ses prises de vue. Suivi d'une séquence Repères dans laquelle Gilles Verlant ( encore un, parti un peu trop vite ) situe – je n'ose pas dire plus objectivement – historiquement ( en toute simplicité, le point sur la carrière de Johnny ) l'évènement couvert par l'envoyé spécial.

 

a1149affichealhabra.jpg

L'a déjà pas mal bourlingué dans les backstages Jean-Pierre Leloir lorsque l'envie le prend de se rendre à L'Alhambra à la première de Raymond Devos. Pas pour le comique troupier, mais pour la première partie. L'on en parle de plus en plus de ce jeune blanc-bec. N'est pas en service commandé pour Jazz Magazine, simplement le désir de juger par lui-même du phénomène. C'est que le rock n'est pas en odeur de sainteté dans les milieux du jazz français. Nous ne reviendrons pas sur la lucrative hostilité manifestée par le tandem Vian-Salvador à l'encontre de cette musique de sous-développés musicaux.

 

a1146jazz.jpg

Ce soir-là, Leloir fit montre d'indépendance et d'esprit de liberté. Peut se le permettre, son carnet de chasse parle pour lui, a déjà photographié tous les géants du jazz de Louis Armstrong à Billie Hollyday... Sur place, il ressent en quelques minutes que Johnny Hallyday n'est pas seul, que derrière lui c'est toute une génération douée d'un incommensurable appétit de vivre qui se presse. Stupidement, l'on espère qu'en abattant l'arbre, on mettra aussi la forêt qu'il cache en coupes réglées. Et le gamin s'en tire mieux que bien. Le subjugue par son courage. Tient tête à la cohue. La provoque même. Par inconscience peut-être. Ou porté par l'esprit messianique des anges exterminateurs.

Ensuite c'est l'engrenage, la montée en flèche de la carrière de Johnny occasionnera de multiples reportages. Puisque l'homme a déjà vu la bête et qu'il en est revenu vivant, autant l'envoyer à lui. Salut Les Copains, Paris Match, Rock & Folk – il fait partie de l'équipe fondatrice – le délèguent auprès de l'idole. S'en suivra une amitié, quelquefois en pointillés, mais durable.

La connivence s'arrêtera aux débuts des années soixante dix. Le métier se professionnalise. Entendez par là, que l'on cherche à tirer un maximum d'une soirée. Tu fais deux ou trois photos et tu files à l'autre bout de Paris couvrir truc machin chose qui donne une représentation... De l'autre côté, le staff des artistes tient à tout contrôler, l'on parque les photographes en un seul endroit, ils ont droit à quinze minutes et après basta. Finie la belle époque où l'on promenait son appareil un peu partout, devant, derrière, sur les côtés, en totale liberté.

Jean-Pierre Leloir s'en va voir ailleurs, sans haine ni rancune. Témoigne tout au long de ses commentaires d'un profond respect pour Johnny Hallyday. Possède son éthique. Dans la mesure du possible, il ne photographie que les artistes qu'il aime. Déteste aussi travailler pour la gloire, on le sent attentif à ses droits.

 

a1144hendrix.jpg

Par une étrange bourrade du destin Jean-Pierre Leloir qui a côtoyé les stars du jazz et du rock – d'Ella Fitzgerald à Jimmi Hendrix - est surtout connu du grand public pour la photo qui réunissait Brel, Ferré et Brassens sur la couve du N° 25 de Rock & Folk, un truc vraiment pas rock and roll selon ma très sectaire opinion.

Je préfère – et de loin – m'attarder sur les photos de Johnny Sixties. Font un peu mal au coeur, découvrir Hallyday si jeune alors que l'on voit sa gueule de septuagénaire un peu partout autour de nous. Ah ! Les ravages du temps. Moral dans les chaussettes noires du désespoir. Sommes-nous tous inclinés sur un tel naufrage ! Pas moi ! Pas moi !

 

a1148train.jpg

Pour ceux qui comme moi était tout mineau aux débuts de la carrière d'Hallyday, c'est un peu comme regarder un album de photographies de familles. On les connaît par coeur, toutes, ou des similaires, en ces époques Johnny était un vrai caméléon, changeait de look comme de chemise, tous les trois mois il réapparaissait sous une autre forme. Le dieu Protée. Rien que la teinte des cheveux, un nuancier à rendre fou les maîtres de la peinture de la Renaissance. Jean-Pierre Leloir réussit à gommer ces incessants changements car il emploie très souvent le blanc et le noir. Pour les photos studio, le fond du cliché est si sombre qu'il parvient toujours à affadir les couleurs les plus crues.

Le livre ne déroge pas à son titre, Johnny est la vedette. Pour les photos de scène lorsque l'on a la chance d'apercevoir un musicien, c'est bien parce que Leloir ne pouvait pas l'abstraire de son champ de vision ! La plus belle selon moi, issue de la série qui a servi à la pochette de son sixième trente-trois tours Halleluyah, Johnny descendant d'un vieux train, prise en Allemagne, mais qui trimballe toute la mythologie des hobos américains. De la belle ouvrage. Mais en réalité, je préfère celle de L'Olympia ( 19 septembre 1961 ) Johnny penché sur le micro, dans une superbe pose, à la Gene Vincent.

Damie Chad.

PEREGRINATIONS D'UN ROCKER

Vendredi soir, 25 octobre, malade comme un chien je renonce à me rendre au concert de Philipe Fessard et Thierry Lecoz au Saint-Sauveur à Ballainvilliers. La mort dans l'âme... Samedi après-midi, 26 ( je vois que vous savez compter sur les doigts ) octobre la forme revenant je me précipite sur Rockarocky, et là devant mes yeux émerveillés, je dois avouer que les Dieux du rock'n'roll m'envoient un super lot de consolation, quatre concerts accessibles pour la teuf-teuf, ne reste plus qu'à faire le choix. Cornélien.

Les Hoop's à Chavin dans l'Indre, un peu loin tout de même, mais j'aime bien les Hoop's, les Alley Cats au Saint Vincent à Saint Maximin, un groupe que je ne connais pas dans un café qui nous reçoit comme des rois, alléchant, toutefois faut se taper la traversée de Paris, tiens en pleine campagne dans un coin perdu de l'Yonne, aux Bordes, les Ol' Bry que je n'ai pas vus depuis longtemps, plus les Cosh Boys des Ritals, et UB Dolls, super ! un groupe de filles, je savoure déjà, mais non je vois les scènes de jalousie à la maison, les reproches perfides et les basses insinuations, évitons les psychodrames. Attention ! les Atomic Cats à Vity le François. Un gang de sauvages, m'étais promis de les revoir après leurs quatre titres chez Rocker's Kulture, mais ces Dijonnais se cantonnent très souvent aux alentours de la ville de Dijon chère à Aloysius Bertrand et les voici qu'ils poussent leur graine de moutarde dans le sud du nord, faut récompenser leurs efforts, bingo, c'est là que j'y go.

La teuf-teuf ronronne de plaisir. Nuit noire mais elle pourrait y aller les phares fermés. Facile depuis la maison, c'est 107 kilomètres tout droit, sans dévier d'un pouce, un vrai vol d'oiseau. Dans Vitry, encore tout droit, vous suivez le panneau «  Centre Ville » puisque ça se situe au centre du centre ville. Place de la Halle. De quoi haleter de plaisir car vous pourriez mettre le château de Versailles, sous le chapiteau de bois.

 

a1126cladagpub.jpg

Claddagh Club, l'ai déjà repéré, la terrasse est illuminée et une trentaine de jeunes squattent devant. Malédiction, ils refusent du monde ! Non, la horde s'éclipse je ne sais où, la porte est grande ouverte. J'entre, je me précipite, je longe le bar, l'orchestre doit être au fond. Pas la trace de la moindre de la contrebasse à tête de mort de Hugo Garcia, doit y avoir une cave au sous-sol, j'interroge le patron derrière le comptoir «  Les Atomic Cats, c'est ici, mais c'était hier vendredi ! » Je frémis, je suis au bord de la rupture cardiaque, mais la voix compatissante d'une jeune femme à mes côtés ( le gauche ) vient faire écho à la mienne : «  Nous sommes deux, moi aussi je croyais que c'était aujourd'hui ! ». Nous voici frère et soeur de misère unis par un destin mauvais. Nous nous racontons nos concerts passé, ce qui fait du bien. Le patron en profite pour me passer un tract sur les concerts du mois de Novembre, un par semaine et du beau monde, notamment Jamie Clarke's Perfect qui officia dans les Pogues...

Plus tard à la maison je m'endors heureux, moins idiot que je ne l'ai cru un moment, sur Rockarocky le concert était bien indiqué pour le samedi 26 

*

Mercredi matin, 30 octobre, m'excitais tout seul sur la notion de rebel rock et m'incitais à grapher un petit topo sur le sujet, tout en flemmardant ostensiblement sur le canapé, un CD de Muddy Waters à fond les ballons, tout compte fait il y en a de plus malheureux que moi me disais-je, ce n'est pas la chienne qui ronflait comme une escadrille de spitfires au décollage à côté de moi, qui s'apprêtait à me contredire. La vie d'un rocker présente parfois quelques avantages.

C'est plus tard, devant mon assiette que la mauvaise conscience m'est venue. Les infos à la radio, Jeanne Moreau – pas spécialement une idole du rock – lisait une lettre Nadejda Tolokonnikova. Inconnue au bataillon me direz-vous. Mais non, vous connaissez, c'est l'ancienne fondatrice du groupe punk les Pussy Riot. Sûr, niveau musical elles sont à douze octaves au-dessous des Sex Pistols, mais question provocation à mille coudées au-dessus. Ont entonné une prière punk ( demandant à dieu la non-réélection de Poutine ) dans la cathédrale du Saint Sauveur. Qui n'a rien fait pour les sauver. Condamnées à deux ans de prison, dans un camp de travail. Sainte Russie Orthodoxale au doux parfum de fachisme !

 

a1127pussyriot.jpg

La Tolokonniko va pas fort. Réduite – comme ses compagnes de travail forcé – en esclavage. Seize heures de couture par jour, hygiène plus que réduite, mal nourrie – j'en passe mais que des pires - elle dénonce avant tout le système de brimades incessantes qui détruit toute solidarité entre les prisonnières. Plus à craindre des consoeurs qui s'auto-érigent en chiennes de garde que de l'Administration Centrale. Si vous voulez des détails, vous trouverez sans difficulté sur le Net.

Ainsi, il y a encore des pays où le rock est porteur de provocation et de rébellion ! Nouvelle à la fois alarmante et réjouissante. Mais qui bouscule nos existences encroûtées dans le confort de nos fausses libertés !

*

 

a1128baker.jpg

Puisque je suis en veine de confidence, l'autre jour, je ne donne pas la date exacte pour que l'on ne me reconnaisse pas, la honte de ma vie. Commotion en zieutant le dernier numéro de Jukeboxe Magazine, Sheila et ses couettes en couverture en pleine page, le premier mouvement c'est de ne pas l'acheter, oui mais à l'intérieur Tony Marlow ( qu'il soit maudit jusqu'à la cent soixante-dix-septième génération ) nous offre cinq pages sur la carrière de Mickey Baker, plus une analyse de son jeu de guitare. Irremplaçable. Mickey Baker que l'on entend derrière Screamin' Jay Hawkins, derrière Wynonnie Harris, derrière Ronnie Bird, et qui s'en est venu vivre et mourir en France dans un quasi-incognito, lui un maillon essentiel dans l'invention de la guitare rock. Bref j'ai payé, et je suis parti, l'air de rien en rampant jusqu'à la teuf-teuf mobile.

Damie Chad.

CHRONIQUES VULVEUSES

HUITIEME EPISODE

Résumé de l'épisode précédent : L'agent Damie Chad 009891 du SSRR ( Service Secret du Rock'n'Roll ) est envoyé de toute urgence en Ariège afin d'enquêter sur l'inquiétante entreprise terroriste de déstabilisation psycho-culturelle surnommée La Conjuration Vulvaire. Tous les faits rapportés dans cette oeuvre à enrobage littéraire affirmé sont tirés de la réalité la plus triste, les documents officiels de la justice et des gendarmes sont là pour en apporter la preuve définitive.

29

Le Proc s'était trahi. Avec Molossa nous ne marchions pas au hasard, nous nous dirigions droit vers la grotte. L'avait dit un mot de trop. Boscope. Le boss 008 se prenait pour un cador, et pourtant par un excès de forfanterie l'avait indiqué le chemin. Simple analyse lacanienne, les vocables que nous employons disent ce que nous voulons taire. Faut savoir les écouter.

Je ne savais pas encore où exactement chercher, mais il suffisait de fureter pour trouver la piste. Le truc de la lettre volée d'Edgar Poe, que vous cherchez partout et qui est juste devant vous. L'avait dit troboscope avec sa trombine d'enfoiré, fallait fouiner autour pour mettre la main dessus. Or à vingt mètres du troboscope, qu'y avait-il ? Les locaux d'accueil de la grotte ! Voilà qui méritait une petite visite.

On s'est approchés sans bruit du parallélépipède en béton. Silence absolu. L'on aurait entendu une chauve-souris voler. L'on n'en était plus qu'à une dizaine de mètres lorsque Molossa émit tout en sourdine un grognement d'alerte. Je compris aussitôt. Quelqu'un nous avait précédé. Se promenait à l'intérieur, facile de le repérer, n'avait pas réfléchi à sa lampe électrique. Par les baies vitrées l'on apercevait son halo qui se déplaçait lentement. On s'est collés fissa contre le mur et j'ai risqué un oeil par une baie vitrée.

30

Diable ! Enfer et damnation ! La nuit des zombies ! Ou des vampires ! Je vous laisse le choix. Ne suis pas peureux de nature, mais là j'ai failli faire directo dans mon froc. Imaginez une masse blanchâtre, informe, d'où s'exhalait un épais nuages de vapeurs, avec à ses pieds une longue boîte oblongue en laquelle ma raison fut forcée de reconnaître un cercueil !

Fuir ! Là-bas fuir, je sais que des oiseaux sont ivres, mais non, un agent du SSRR n'a pas peur, l'a déjà vu la scène avec Sreamin Jay Hawkins, alors à l'attaque ! Un plan d'une audacieuse témérité s'échafaudait dans ma tête.

«  Molossa devant la porte, tu aboies, le fantôme sort, et moi en couverture à trente mètres, je l'abats d'une seule balle entre les deux yeux, si cet agrégat gélatineux en possède. Exécution immédiate ! »

31

Nous neutralisâmes notre objectif, mais pas tout à fait comme prévu. Molossa campée sur ses quatre pattes émit une volée d'aboiements dignes de Cerbère. La porte s'ouvrit lentement, prudemment, la chose ne passa que la main, une véritable main de momie, serrée dans des bandelettes sanglantes, j'attendais qu'elle fasse un pas de plus pour tirer... elle resta en suspens deux interminables secondes et...

« Entre Molossa ! Arrête ce boucan, l'on va se faire repérer, mais va d'abord chercher ton maître, j'ai besoin de lui ! »

Je l'aurai reconnue entre mille, la voix du Chef, the real big boss man ! Je lui tombai dans les bras en pleurant :

«  Chef ! Chef ! Vous ici ! Comme je suis heureux, je vous croyais mort !

    • Agent Chad, apprenez que les chefs sont immortels. Je reconnais qu'ils ont failli m'avoir. Quand ils sont venus liquider le service, ils m'ont tiré une rafale de mitraillette dans le dos. Aucun organe vital atteint. J'ai fait le mort, z'étaient tellement pressés que quand ils m'ont bazardé dans le linceul, et puis dans le cercueil, et puis dans la tombe, ils ne se sont même pas aperçus que j'étais vivant. Dès que je les ai entendus partir, je me suis dépêché de sortir de mon trou et suis venu te rejoindre au plus vite.

    • Mais Chef, comment avez-vous fait pour ouvrir votre cercueil ?

    • Me méfiais. Sentais que l'affaire n'était pas franche du collier. Dans ma poche intérieure, j'ai toujours un Coronado N° 5. La forme du cigare, l'odeur du cigare, la couleur du cigare, mais en fait un tournevis-percuteur qui ouvre n'importe quelle boîte. L'enfance de l'art, toujours un coup d'avance sur l'ennemi. Retenez bien ce principe Chad, il vous sauvera la vie.

    • Oui Chef, mais pourquoi restez-vous enveloppé dans votre linceul ?

    • Tenue idéale de camouflage, avec ça sur le dos, vous êtes blanc comme la neige. M'ont même laissé passer gratuitement aux péages d'autoroute. En plus ça me rappelle la robe de mariée de ma femme.

    • Chef ! Vous êtes un véritable romantique ! Mais le cercueil ?

    • Agent Chad, nous émargeons au budget de l'Etat, je refuse de gaspiller l'argent du contribuable. Désormais, je m'en sers comme valise. Idéal pour avoir son pyjama et sa brosse à dents à portée de la main, j'y ai adapté des roulettes et un système de télé-guidage à distance. Je le dirige sans peine avec mon boitier électronique dans la poche. Mais arrêtons de bavarder. Inutile de s'attarder ici, j'ai tout fouillé, les preuves que nous cherchons ne sont pas là. Que me proposez-vous agent Chad ?

    • Je pense qu'il serait temps d'avoir un petit entretien avec ce fameux Claudius de Cap Blanc, Chef.

    • Excellente idée. En route. »

32

Comme toujours le Chef avait raison. Personne n'est venu nous embêter. Nous n'avons rencontré qu'un groupe d'une trentaine de fêtards. Se sont tus dès qu'ils nous ont vu. L'on devait pourtant avoir une drôle d'allure, le Chef devant drapé dans son linceul et couvert de pansements sanglants, moi derrière mon Uzi qui dépassait de ma poche gauche et le Glock de ma poche droite, Molossa entre nous deux placidement assise sur le cercueil à roulettes qui se déplaçait tout seul. Des gens polis qui ne se sont même pas permis une remarque déplacée. De quoi vous réconcilier avec l'Humanité.

FIN DU HUITIEME EPISODE