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28/11/2013

KR'TNT ! ¤ 165. MAC CURTIS/ CAT O'NINE TAILS / BIKERS / CHISTIAN VANDER / CHRONIQUES VULVEUSES ( 12 )

 

KR'TNT ! ¤ 165

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

28 / 11 / 2013

 

 

MAC CURTIS / CAT O'NINE TAILS /

JEAN-WILLIAM THOURY / CHRISTIAN VANDER ( + Magma )

CHRONIQUES VULVEUSES

 

 

RECTIFICATION

Mister B se fend d'un coup de téléphone pour l'Epiphone. Car ce n'est pas sur une Gretsch que joue le guitariste de Roy Thompson & his Mellow King mais bien sur une Epiphone. (Voir chronique N° 164). Remarquez, ce lascar vous lui refilez la guitare en carton bouilli avec fil en plastique mou de votre petit frère, au bout de cinq minutes il vous en tirera un solo à rendre jaloux Chet Atkins. C'est cela la classe.

 

 

MAC EST MORT

 

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Pour une fois, on avait du grain à moudre avec le nouveau numéro de R&F. Belle interview de Jon Savage qui reste pour les lecteurs de «England’s Dreaming» le seul vrai spécialiste du punk anglais, puis deux belles pages sur Brigitte Fontaine, deux aussi sur King Khan (enfin), puis un très bel article sur Thee Oh Sees et puis une info coincée au bas d’une page de télégrammes : mort du «guitariste rockabilly Mac Curtis». Voilà comment s’achève dans la presse française le parcours terrestre d’un grand artiste texan.

 

Ça peut sembler grinçant de dire la chose comme ça, c’est vrai, mais au moins on a l’info, et c’est l’essentiel. On se dit : «Oh, mais ils sont très bien, ces gens-là, quelle culture !»

 

Dommage que Mac Curtis ne fasse pas l’objet d’un hommage plus appuyé. Il fait partie des Texans encore jeunes qui eurent le privilège de voir jouer sur scène l’Elvis de la période Sun et qui décidèrent de consacrer leur vie au rock’n’roll.

 

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À quinze ans, il est pote avec Johnny Carroll et ils participent ensemble à tous les concours de rock des environs, ce qu’on appelait en France les radio-crochets. En 1956, Mac passe à la radio. Un mec le repère et le signe sur King, le label de Syd Nathan, basé à Cincinnati. King cherche un clone d’Elvis, pour faire du blé, comme Sun. Avec King, on entre dans la mythologie, même si Mac dit qu’il n’a jamais rencontré le boss Syd. Il va même jusqu’à se demander si Syd connaissait son existence. Car King est une usine. Mais pas n’importe quelle usine : une usine à mythe.

 

Mac enregistre seize cuts pour King entre 1956 et 1957, puis il est saqué. Son contrat n’est pas renouvelé. Petite consolation : les spécialistes considèrent Mac comme le vrai pionnier du rockabilly texan.

 

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Au même titre que Sun, Chess, Specialty, Imperial, Okeh, Modern, Fortune ou Excello, King joue un rôle considérable dans l’histoire du rock américain. King est même considéré comme le label américain le plus légendaire et le label indépendant le plus important des années quarante et cinquante. Sur King on trouve absolument de tout : du gospel, du hillibilly, du western swing, du bluegrass, du blues, du jazz, du r’n’b et de la pop. Premier atout : Syd brasse tout, contrairement à Chess qui se spécialise dans le blues ou Atlantic qui louche sur le r’n’b. Deuxième atout : Syd monte King dans les années quarante après avoir été vendeur de disques. Il connaît donc parfaitement le marché et sait ce qu’aiment les gens. Il veut faire des disques pour «the little men». Troisième atout : il n’est pas raciste. Il embauche Henry Glover comme directeur artistique. Quatrième atout : il trouve une solution radicale chaque fois que se pose un problème. Problème de studio chez truc ou machin ? Pouf, Syd monte SON studio (concept repris par Chess et Sun). Problème de recrutement de session-men ? Pouf, Syd engage SON house band (concept repris par Stax et Motown). Problème de fabrication des vinyles ? Pouf, Syd monte SON usine. En 1945, il sort deux mille disques par jour. En 1951, il en sort un million par mois. Puis SON imprimerie, car il faut bien fabriquer les pochettes et tout le matériel de promo. Problème de distribution ? Pouf, Syd monte SON réseau de trente-trois bureaux à travers tout le pays. Il va même jusqu’à financer SA flotte de camions. King on the road. Il lance même SA gamme de tourne-disques. Aucun label n’est jamais allé aussi loin. Non seulement ce mec avait du génie, mais il avait en plus très bon goût. Car les grands artistes se bousculaient à son portillon. Les géants de la country comme Grandpa Jones et les Delmore Brothers sont sur King, avec ce country boogie qui est à l’origine du rock’n’roll. Le proto-rockab Moon Mullican, hard-rocking daddy, gros frappeur de clavier et principale influence de Jerry Lee, est sur King. Moon cassait la baraque bien avant que Bill Haley et Elvis ne s’y mettent. Les rois du r’n’b comme Wynonie Harris, Clyde McPhatter (chanteur des Dominoes, remplacé par l’ancien boxeur originaire de Detroit Jackie Wilson - après quoi Clyde monte les Drifters) et Hank Ballard & the Midnighters - sharp looking and hard-rocking - sont sur King. D’autres artistes faramineux comme Little Willie John (qui casse sa pipe au ballon), Esther Phillips (alors Little Esther) sont aussi sur King. Parmi les géants de l’époque, on trouve aussi Roy Brown (principale influence de James Brown) et le fabuleux sax alto Earl Bostic sur King. Syd embauche un rital nommé Ralph Bass et lui confie les clés de Federal, filiale de King. Bass découvre un groupe qui s’appelle les Flames et les signe aussitôt. Leonard Chess qui avait repéré ce groupe de Macon, Georgie, ne lui pardonnera jamais de s’être fait doubler sur ce coup-là. Bass fout les Flames en studio. Ils enregistrent «Please Please Please». Syd déteste ce disque. Mais il le fabrique quand même et prévient Bass que si ça floppe, il est viré. Mais Bass se marre car «Please Please Please» casse la baraque. Bass vient de découvrir Mister Dynamite, rien que ça. Plus tard, Bass ira travailler pour Leonard Chess à Chicago et produira les grands albums de Muddy Waters, de Wolf et de bien d’autres.

 

Syd Nathan a la main verte. Il ramène souvent dans ses filets de grosses prises, comme par exemple John Lee Hooker, en 1948. Un John Lee Hooker qui se moquait des contrats comme de l’an quarante et qui changeait de nom pour aller ramasser du blé là où on lui en proposait (il se fait appeler Little Pork Chops, John Lee Booker ou Birmingham Sam & His Magis Guitar). On trouve aussi le géant Albert King sur King, qui battait le beurre pour Jimmy Reed à Chicago avant de se tailler une réputation d’immense guitariste. Il a son premier hit sur King en 1961 («Don’t Throw Your Love On Me So Strong») puis il passe chez Stax avec armes et bagages pour faire les ravages que l’on sait. Comme John Lee Hooker, Albert King aimait jouer très fort. On dit de lui qu’il est le guitariste qui a influencé le plus de gens, dans le monde du blues et du rock. Un autre King sur King défraye la chronique du blues : Freddie King qui éberlue les jeunes loups britanniques des sixties : Clapton, Jeff Beck, Peter Green et Jimmy Page. L’ancien boxeur de la Nouvelle Orleans Champion Jack Dupree atterrit lui aussi sur King, ainsi que Memphis Slim. Ike Turner est sur King dès le début de sa carrière, il a déjà aidé Sun à démarrer et il est tellement brillant qu’il va rapidement connaître la consécration en embauchant Annie Mae Bullock, la blackette qui deviendra Tina Turner. Et pourquoi Charlie Feathers débarque un jour chez King ? Parce qu’il ne s’entendait pas très bien avec Sam Phillips. Il enregistre huit titres pour King en 1956 et 1957, huit bombes. Mais ça ne marche pas. Charlie Feathers trouvait que le son chez King n’était pas bon. Chez Sun, c’était mieux. Passer de Sun à King, c’était pour lui comme de passer d’une Cadillac à une Ford. Et comme le souligne si justement John Hartley Fox dans son ouvrage consacré à King, les singles King n’ont pas rendu Charlie Feathers riche, c’est vrai, mais ils l’ont fait entrer dans la légende. Hank Mizell et le fascinant Johnny Otis enregistrent aussi des singles magiques sur King. On trouve aussi sur King l’un des guitaristes les plus wild de l’histoire du rock : Johnny Guitar Watson qui aura - comme Mick Farren - l’immense privilège de mourir sur scène, au Japon, en 1996. Et si on remonte vers les couches supérieures de la célébrité, on tombe évidemment sur Mister Dynamite, l’extraordinaire Jaaames Brown, dont tous les hits sont sur King. Et c’est même James Brown qui a permis à King de survivre, grâce à ses 98 tubes entrés au Top 40, un record jamais égalé. James Brown sur King, c’est aussi l’histoire d’une shoote permanente avec Syd qui, comme bon nombre de boss, était un vrai rat. Exemple : James veut faire un album live et Syd qui n’aime pas l’idée lui dit : «T’as qu’à le financer !» Okay, James casse sa tirelire et enregistre «Live At The Apollo» qui devient le plus grand album live de tous les temps. Syd ferme sa gueule de rat et ramasse le pognon à la pelle.

 

Voilà dans quelle pétaudière Mac mit les pieds en 1956.

 

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Bien sûr, on peut dire qu’il a bénéficié du prestige que lui apportait le label King, mais il n’était qu’un artiste perdu parmi tant d’autres et il n’a pas eu le type de soutien dont ont bénéficié les chouchous de Sam chez Sun : Jerry Lee, Johnny Cash, Carl Perkins ou Elvis. Mac a dû se débrouiller tout seul, comme des milliers d’autres apprentis sorciers, à l’époque, et il s’est probablement épuisé.

 

On trouve assez facilement une compile de ses grands classiques intitulée «Grandaddy’s Rockin’» et si on apprécie le bon rockab, alors ce disque est un vrai régal. On y retrouve tout ce qui fait la grandeur du genre : un vrai son de slap, un battage à la caisse et surtout une vraie voix. Ces gens avaient le génie du son. Le morceau qui donne son titre à l’album est un classique superbement orchestré, sec et raw to the bone. Aussitôt après on voit «Goose Bumps» fendre l’air, classieux et longiligne, Mac pose sa voix sur une guitare en cocotte de bras tatoué. On sent dès l’intro le son et l’attitude dont cherchaient à s’approcher les Stray Cats. Mais qui pouvait vraiment approcher l’épouvantable classe d’un combo de rockab texan des années 56-57 ? Personne, évidemment. Mac et ses musiciens personnifiaient cet art unique au monde, de la même façon qu’il n’existe qu’un seul Giacometti, qu’un seul Gauguin et qu’un seul et unique Manet. Mac Curtis, Charlie Feathers et Johnny Carroll sont inimitables. Il suffit de les écouter pour comprendre ce que ça signifie.

 

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Sur «If I Had Me A Woman», Mac sort sa voix de cat qui dérape au bon endroit. Le morceau est rythmé comme dans un rêve. Essayez d’avoir ce son avec les copains, vous verrez bien que c’est quasiment impossible. On ne retrouvera jamais le son de cette stand-up sourde et de ce cliquetis agencé. Voilà le son pur, Texas me, baby, Texas-m’en cinq, Mac. Cet album ne peut qu’émerveiller l’amateur de son. «That Ain’t Nothing But Right» est un softy catwalk perlé de gouttes de guitare sur lequel se prélasse Mac le mec. Il prend «You Ain’t Treatin’ Me Right» du bas de la glotte. Mac le mythe assure bien, il fait passer l’émotion comme une lettre à la poste. On retrouve Mac de la voix mûre en face B avec «Say So». Mac est le mec qui tape dans le mille. Puis on tombe sur un vrai hit de juke, «Little Miss Linda», strummé à la mode texane. C’est à la postérité ce que l’océan est au peintre : un prétexte à la grandeur. Mac le mec tord son chant - she sucks me - et ulule sur déboulade de strum de haut vol. Si on veut s’épater, il suffit tout simplement de l’écouter chanter «Don’t You Love Me» : il va chercher des intonations à la Elvis. Et «What You Want» nous rappelle que les rockabs texans étaient déjà des punk-rockers, vingt ans avant cette pauvre cloche de Sid Vicious. Sur «What You Want», Mac sonne comme un délinquant. Uh ! Il te demande ce que tu veux d’une voix qui claque.

 

Comme son compatriote texan Ray Campi, Mac se retrouve vingt ans plus tard dans le salon de Ronnie Weiser. Tu veux une bière, Mac ? Oh yes, Ron ! Et si on enregistrait un p’tit disque, Mac ? Yeah, bonne idée, Ron ! Alors attends voir, j’appelle Ray !

 

Mac enregistre quelques albums sur le label Rolling Rock et crac, il relance sa carrière. Et quels albums ! C’est ce qu’il faut bien appeler de la belle musique américaine de très haut niveau.

 

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Mac, Ray et Ron enregistrent «Ruffabilly» dans le salon de Ron en 1973. Ils ‘amusent bien, et ils sortent un album au son plus que primitif, un modèle du genre. Plus la peine d’aller chercher les singles Meteor, vous avez tout ce qu’il vous faut sur «Ruffabilly», le rough sound of the billy bop. Dès le premier morceau, Mac nous envoie au tapis. «Big D Woman» est une horreur rockab violemment slappée par ce bopping-génie de Ray Campi. Le morceau idéal pour tous ceux qui veulent en découdre avec le vrai son du slap. Quand on entend ça, on se croit dans le salon de Ron, on entend les doigts de Ray glisser sur les grosses cordes, c’est d’un primitif de rêve, avec un son très sourd. Heureusement que Ron ne disposait pas du petit matériel informatique à la mormoille qui permet aujourd’hui de bien lisser les sons des instruments, car on aurait jamais eu un disque aussi raw entre les pattes. Ils font ensuite une petite reprise sympa de «Baby Let’s Play House» et Ray fait un malheur sur sa stand-up. Il place ce qu’il faut bien appeler des descentes sauvages. On l’entend saccader ses ponts avec une ferveur malicieuse. Il est tout simplement monstrueux. Si on doit écouter un joueur de stand-up, c’est Ray Campi. Grâce à Ron et à sa prise de son amateur, on entend toutes ses notes et sa cadence. Ron a compris que le moteur du bop, c’est la stand-up et il la met devant. En fait il n’avait pas le choix, car le son de l’instrument s’imposait de lui-même dans le salon, vu qu’il n’y avait pas un bûcheron derrière la batterie et que la guitare restait discrète, comme l’impose l’art secret du rockabilly. La stand-up est le véritable heartbeat du rockab. Elle fait toute sa précieuse spécificité. On le comprend mieux quand un chanteur de rockab est accompagné par une basse électrique : le son retombe comme un soufflet. L’autre perle noire de «Ruffabilly» s’appelle «Fannie Mae», boogie de salon primitif en diable, finement teinté d’accordéon. Ray y prend un solo de punkster et démonte la gueule des dieux penchés sur lui. En écoutant ça, on se dit : «Bon, voilà encore un truc superbe et infiniment supérieur à tout le reste...» Mac, Ray et Ron réinventaient tout bêtement le rockabilly, un genre difficile et sacré, réservé aux très grands artistes américains. Mac, Ray et Ron étaient bons parce qu’ils ne vivaient que pour ça. La meilleure preuve est leur version de «Good Rockin’ Tonight», slappée à mort, chantée à la Elvis, hallucinante de véracité olfactive et boppée avec une incomparable hardiesse. Ray les bat tous. Par contre, les trois reprises de Johnny Carroll présentes sur l’album («Crazy Crazy Lovin’», «Wild Wild Woman» et «Hot Rocks») sont plus classiques et donc moins fulgurantes. Par contre, on voit ce fou de Ray prendre un solo infernal sur «Wild Wild Woman». Il en remet une couche dans «Sexy Ways» qu’il truffe de gimmicks diaboliques et qu’il transperce en plein cœur d’un solo de malade.

 

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Ray doit se sentir bien seul depuis que Mac est parti. Tous ses fans espèrent qu’il va ressortir la stand-up de l’étui et qu’il va claquer quelques vieux hits de sa jeunesse.

 

«Good Rockin’ Tomorrow» sort en 1976. On retrouve la même équipe de surdoués et une nouvelle série de gemmes rockab de la meilleure eau. On prend «Good Rockin’ Tomorrow» dans les dents : effarant de classe mortelle, avec un slap insidieux. Mac tire tout à la voix et à coups de reins, et Ray cale ses descentes de slap démentes. On le voit claquer ses cordes comme un con. Rien qu’avec le premier morceau, on se retrouve au paradis. Rebelote avec «Wake Up Rock’n’roll», slappé dans la face du cut et Mac sabre ses hiccups avec la rage d’un rat texan. Le morceau est tellement excitant qu’on sacre Mac grand sachem de le Sierra. Encore plus wild, «Hard Hearted Girl», slappé par un Ray fou à lier. Encore meilleur, «Party Line», merveille tentaculaire qui nous suce les neurones, un truc à se pourlécher les babines. Mac chante ça de l’intérieur du menton et Ray claque son manche comme plâtre. Ça continue de monter en température avec «Rockabilly Uprising» et son heavy beating sérieusement éméché. Voilà l’archétype du rockab classieux joué en syncope et parsemé d’éclairs de guitare, aussi sérieux que les grands rockabs d’Elvis. Mac réinvente la magie Sun et on entend un incroyable solo foireux. Si avec tout ça, on ne se décroche pas la mâchoire, c’est qu’on a de la chance. Puis ils swinguent à la vie à la mort «Been Gone A Long Time». Au Texas, on ne plaisante pas avec le slap. On embarque à fond de train ou on n’embarque pas. Il n’existe pas de demi-mesure. Puis ils frisent le pur génie avec «Juice Box». Mac fait claquer chaque mot. Il maque le mythe. Il tape dans le tas. On croit qu’on a tout vu. Grave erreur, il reste encore une sacrée bombe sur ce disque : «Wildcat Tamer». Cette ultime boucherie texane bouscule la postérité d’un coup d’épaule. Ce slappy slop s’embarque pour Cythère en roulant des hanches sans aucune pudeur. Ray roule et place des descentes furtives à tous les coins de rue. Et la bopperie insensée de «Let’s Go» rentre toute seule au panthéon des merveilleux classiques, sans demander l’avis de personne.

 

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Nouvelle galette magique sur Rolling Rock en 1978 : «Rock Me». Si on ne sait pas ce que peut donner un heavy rockab, alors il faut écouter «That’s How Much I Love You». Stupéfiant. Ray nous pulse ça à la stand-up. Sur «Turn Away From Me», on entend Kevin Fennell - des Rockin’ Rebels de Ray - prendre un solo d’une éblouissante virtuosité. Et ça continue comme ça jusqu’au bout. Mac chante cette pièce de country globale qu’est «Making It Right» d’une voix d’airain dans un gant de cuir noir. Il boppe les syllabes en vrai cat et on se retrouve avec un vrai hit de l’Amérique profonde sur les bras. Mac va chercher ses accents chauds à la Elvis. Il détient le pouvoir d’une telle profondeur. Encore une pure merveille avec «Real Good Itch», un cut de cat judicieux et bien enlevé, adroit et juteux, admirable et survoltant, solide et puissamment boppé par Ray la montagne. Ces mecs sont classiques jusqu’au bout des ongles. Ils déroulent leur boniment sur un joli background strummal et cascadé de chorus jaillis du fond de la vallée. La seule manière de qualifier «Suntan» qui ouvre le bal de la face B, c’est d’utiliser le latin : c’est un classicus cubitus es spiritus sanctus rockitus. Si vous ne deviez écouter qu’un seul morceau de l’album, ce serait celui-ci, ne serait-ce que pour la finesse de jeu du batteur. Il s’appelle Keith Landrum et il roulotte en retrait, d’une manière merveilleusement swinguante. Mac revient à l’Elvis avec «I’d Run A Mile For You», ballade terriblement globale, radieuse et aussi élancée que la Delage décapotée de Picabia. C’est une matérialisation de l’élégance suprême, l’édifiante classe smoothy d’un Mac hors pair. Il a cette douce exhalaison calorifique, celle qui allume tant de lanternes dans les caves libidinales des demoiselles d’Amérique. Mais Mac revient au rocky road beat avec «Good Love Sweet Love» et il balance ça avec un vrai tact de cat. Derrière, Kevin Fennell claque ses cordes pour couler un solo punk de bronze, ce qui donne une idée de la faculté de dépotage de nos amis. Encore un fabuleux cut de cat. Mac boucle son bouclard avec le fameux «Rock Me» de Piano Red qu’il découvrit à l’âge de quinze ans. Ray la montagne nous slappe ça aux petits oignons.

 

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Pauvre Mac. Même si les crocodiles sacrés du Temple t’embarquent toi, ton nom et ton art au plus profond des eaux troubles de l’oubli, nous continuerons à sortir tes disques des vieilles pochettes usées pour les poser sur nos platines, histoire de poursuivre la lutte acharnée contre la médiocrité.

 

 

 

Signé : Cazengler, coMac troupier

 

Mac Curtis. Grandaddy’s Rockin’. Kay Records 1987

 

Mac Curtis. Ruffabilly. Rolling Rock 1973

 

Mac Curtis. Good Rockin’ Tomorrow. Rolling Rock 1976

 

Mac Curtis. Rock Me. Rolling Rock 1978

 

Jon Hartley Fox. King Of The Queen City. The Story of King Records. University of Illinois. 2009

 

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22 - 11 – 13 / LA CALE SECHE / PARIS

 

 

CAT O' NINE TAILS

 

 

Tout comme les hordes germaines traversant le limes romain sur le Rhin gelé en 455 de notre ère, la teuf-teuf mobile fonce sur Paris. Sur notre passage les radars clignotent comme les guirlandes des arbres de Noël. Les feux rouges brûlent comme des torches. Les piétons épouvantés s'éparpillent sur les trottoirs. Si nous nous octroyons de telles privautés avec le code citoyen de la route, c'est que nous nous mettons en harmonie idéologique avec le festival culture bar bars. Rien n'y a fait, c'était perdu d'avance, sortis trop tard du boulot. L'on a gagné trente minutes sur notre chrono habituel, mais lorsque je pousse la porte de la Cale Sèche, le concert a déjà débuté depuis vingt minutes.

 

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Me fraie un chemin au travers d'une foule compacte agglutinée devant le bar. Ah ! Ma bonne dame toute cette jeunesse dépravée le verre de bière à la main, de mon temps c'était des bouteilles de sky que l'on sifflait directement au goulot. Quelle décadence ! Ouf ! Ça y est ! Suis parvenu à pied d'oeuvre juste devant le groupe. On a dû lire la livraison 163 de Kr'tnt à la Cale Sèche car l'on a pensé à protéger les musicos. Un ruban rouge et blanc en matière plastique – le même avec lequel on entoure les entreprises chimiques classées Soweto 3 lorsqu'elles explosent afin de mettre la population à l'abri des émanations empoisonnées – a été tendu entre deux piliers. Le plus étrange c'est que tout le monde respecte si bien cette frontière symbolique que lorsqu'elle tombera personne n'osera franchir cette limite devenue invisible...

 

 

FIGURE DE PROUE

 

 

Je déboule en plein morceau. Je reconnais Jimmy Boy. Aucune idée de qui doit être ce brave garçon, mais laissez-moi vous dire qu'il filoche au minimum à vingt-cinq noeuds à l'heure. Les deux guitares à fond la caisse et l'étrave de la basse qui trace un noir sillon dans les lames sauvages. Faut-il le préciser, ce soir les Cat O' Nine Tails nous préparent le jus de chaussette sur leur cafetière électrique. Pour une fois ils ont l'autorisation de ne pas nous offrir leur nectar au papier filtre.

 

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N'exagèrent pas non plus, n'ont pas emmené trois containers d'amplis et le batteur se contente d'une batterie électronique. Le kit parfait pour ne pas faire trop de bruit. Mais entre nous soit dit ça ne vaut pas les vieilles peaux. Pas comme celle du dessus, la voisine carabosse qui téléphone à la maison poulaga chaque fois que la porcelaine de Limoges se met à tinter dans son buffet. Il vaut peut-être mieux ne pas trop énerver tata-rabat-joie la bique carnée ennemie de la jeunesse qui niche à l'étage.

 

 

ARTIMON

 

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Le chat à neuf queues frappe encore. Energie Noire, Fuel Conspiracy se succèdent sans coup férir. Mais peut-être ces deux mâts du répertoire sont-ils de ceux invitant les naufrages car Naufrage profile son trou béant à l'horizon. Le public est aux anges, l'âme sereine et les oreilles frangées d'écume, aucun spectateur ne se jette sur les canots de sauvetage. C'est que la chorale marine est aussi envoûtante que le chant des sirènes. Ne rêvez pas aux doux sopranos de charmantes demoiselles au torse dénudée. Nous sommes dans un choeur de matelots, voix viriles et rocailleuses, qui vous vrillent les tympans dans la plus pure tradition des hurleurs blues, soul, hard, stoners, bref des shouters d'enfer qui vous ragaillardissent le moral plus sûrement qu'une lampée de rhum.

 

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MISAINE

 

 

Calme plat, plus une corde qui grince. Serait-ce déjà la fin ? Non c'est Marianne qui se présente à la coupée. Est accueillie par une bordée de vivats. J'ai oublié de le dire mais le public est pour beaucoup composé de jeunes demoiselles, comme si la gent féminine faisait bloc dès que l'une d'entre elles devient la figure de proue d'une manifestation musicale. Le lecteur soucieux d'approfondir notre docte contribution à la réflexion sociologique contemporaine se reportera sans tarder à notre chronique de la semaine précédente consacrée à Gizzelle.

 

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Excusez-moi de me faire un coup de pub personnel, mais il faut bien que je meuble l'intermède car Dame Marianne prend son temps pour sortir son fleuret d'abordage de son étui. Ca y est, elle pose devant elle une espèce de partition mathématique constituée de fractions hâtivement griffonnée et met en joue. Pas nous, mais son altomètre serré entre son épaule et son cou.

 

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C'est parti pour Black Cat Jack, le violon miaule comme une corne de brume et les guitares foncent dans une purée de poix à couper au couteau. Equipage de forbans en goguette. Le pont ruisselle de sang et les canons tonnent dans l'entrepont. L'on a hissé le drapeau noir et l'on s'arrache de la mer des Sargasses. Droit devant et vent debout. C'est la folie dans la bordée des spectateurs.

 

 

Changement d'ambiance. ( Oceano ) Nox a troqué sa guitare contre un banjo. Avec le crin-crin de Marianne nous voici au port dans un pub irlandais. Drunken Sailor, l'on reprend en choeur. Ambiance très Pogues. Les ivrognes nous marchent sur les mains. Post punk marin. Tellement bien, qu'ils la referont en rappel.

 

 

JETEZ L'ANCRE !

 

 

Car c'est la fin. Le bruit n'est autorisé que jusqu'à vingt deux ( les flics ) heures. La municipalité respecte le repos de ses honnêtes électeurs. Ai pris le rafiot en pleine couse. Une demi-dose d'amphétamine rock c'est mieux que rien. Mais même si c'est de la super qualité, ce n'est pas suffisant. Je rêve de revoir les Cat O' Nine Tails sur une scène aussi large que la baie de Douarnenez et des empilements de baffles jusqu'au pommeau du grand-mât. Avec l'effigie de Marianne sur les timbre-postes pour représenter la Première République Pirate.

 

 

Damie Chad

 

 

 

CHRISTIAN VANDER

 

 

A VIE, A MORT, ET APRES...

 

 

ENTRETIEN AVEC LE FONDATEUR DE MAGMA

 

 

PAR CHRISTOPHE ROSSI

 

 

( NAÏVE LIVRES / 2013 )

 

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J'ai éprouvé un sentiment de honte. Je ne voyais que l'en-tête BATTEUR N° 274, Novembre 2013, tout au fond du présentoir, avec une dizaine d'autres revues qui cachaient la couverture. Non de Zeus, deux cent soixante quatorzième numéro, au jugé plus de vingt ans d'existence et je ne m'en suis jamais acheté un fascicule ! Il est des erreurs que l'on répare tout de suite, me suis emparé de l'exemplaire, l'ai déposé sur le comptoir du buraliste, ai payé et suis ressorti illico du magasin pour tomber nez à nez avec une jolie... Mais ceci est une autre histoire. Ce n'est que deux jours plus tard que j'ai retrouvé la revue sur la banquette arrière de la teuf-teuf mobile. Un rocker ne commet jamais d'erreur, Christian Vander en couverture ! Oh !Chouette ! un article sur le créateur de Magma, que non ! hibou et grand-duc ! l'annonce d'un livre d'entretien ! J'ai couru comme un fou chez mon libraire passer commande «  Ah ! Ah ! Vous avez toujours des bouquins chez des éditeurs, peu commun ! ». Et deux jours plus tard, je tenais la merveille entre mes petites menottes innocentes...

 

 

ENTRETIEN

 

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Christophe Rossi présenté sur le revers de la jaquette comme le rédacteur en chef de Batteur. C'est surtout un bon interviewer, ne profite pas de sa fonction pour raconter sa propre vie. Applique la seule bonne méthode possible pour une interview, questions courte et réponses longues. Faut obligatoirement connaître son sujet et ne pas viser à côté. L'est sûr aussi qu'il faut aussi avoir sous la main quelqu'un qui ait quelque chose à dire. Faites confiance à Christian Vander. L'homme sait structurer ses longs soli. Captive votre attention dès la première phrase et ne vous ennuie jamais. Amateurs d'histoires croustillantes, de révélations intimes scandaleuses, de ragots malfaisants sur de célèbres personnalités, vous risquez d'être déçus. Christian Vander ne donne pas dans l'anecdote. Parle, mais ne se met jamais en scène. Raconte sa vie de musicien et n'en dit pas plus. Pour une seule et bonne raison : seule la musique l'intéresse. Elague le quotidien, cet aspect commun et misérable du vécu humain que Nietzsche qualifiait de « trop humain ». La quête intérieure est plus essentielle que le paysage extérieur. N'emploie pas pour autant la langue de bois, ne règle pas ses comptes mais ne mâche pas ses mots. Les compliments, les reconnaissances, la gratitude, mais aussi les déceptions et les incompréhensions. Sans vantardise pour les premières et sans aucune récrimination pour les dernières. Prise en compte des évènements tels qu'ils se sont déroulés sans joie exubérantes ni colères rentrées, ni jalousies, ni désirs de vengeance. L'homme est au-delà de tout ressentiment.

 

 

BERCEAU JAZZ

 

 

Beaucoup de lecteurs de KR'TNT auraient aimé que dans leur enfance, Jerry Lee Lewis et Eddie Cochran passent régulièrement à la maison leur apprendre à tripoter le piano et à caresser la guitare. Rêve fou. Celui qu'a vécu éveillé Christian Vander dès son âge le plus tendre. Sa mère est une fan de jazz, elle le mène dès quatre ans dans les clubs les plus hot de Paris, et les plus grandes figures mythiques de la jazz musique noire, passent et même parfois logent dans son appartement. Des pointures comme Chet Baker ou Elvin Jones.

 

 

La suite de l'histoire se profile avec ses gros sabots dès qu'apparaît Elvin Jones. Comment ne pas vouloir devenir batteur, plus tard lorsque vous serez grand, lorsque le plus abouti ( formule à l'emporte-pièce ) des batteurs de jazz vous apprend les rudiments de son art. Lui procurera même en des circonstances rocambolesques sa première véritable batterie... Mais Elvin lui apportera un autre cadeau, bien plus précieux. Celui qui sculpte le futur de votre existence avant même que vous ayez commencé à vivre. Elvin fut le batteur de John Coltrane qui restera l'amour suprême de Vander. Reportez-vous à Villiers de L'Isle Adam pour entendre le véritable sens de cette expression en tant qu'intercession avec cette chose innommable que certains s'obstinent à appeler le divin.

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Mais pour avoir été très tôt en contact avec la quintessence de l'énergie noire, la vie du jeune Vander n'en est pas pour autant tissée de fils roses. Passons sur les années malheureuses chez sa tante que nous décrirons comme un confinement carcéral en un lieu privé de musique pour nous retrouver dans la solitude de l'adolescence. La célèbre trilogie sex, drugs and rock'n'roll en cache une autre similaire mais peut-être plus primale, ass, dope and jazz. La mère de Christian Vander tombera pour trafic ( en fait consommation ) de produits illicites. Des années de prison. Vander très jeune se retrouve seul, abandonné de presque tous, face à sa batterie. La rage. La violence contenues explose sur les peaux. Vander sera un autodidacte. La vie est un combat contre tous. C'est en combattant – ne serait-ce que contre ses démons intérieurs – que l'on devient un guerrier.

 

 

RHYTHM AND BLUES

 

 

Le petit Vander commence à être connu dans les clubs de jazz. L'est doué, possède un savoir-faire indubitable, mais difficile de l'admettre dans la french family. A le mauvais goût de ne reconnaître pour maître que Coltrane – un amerloque certes, mais irrespect fondamentale des hiérarchies nationales – et puis surtout il joue avec trop de pêche. Trop de jus dans son jazz. L'est vite catalogué comme un twister. Commencera donc par jouer au milieu des années soixante dans des groupes de rhythm and blues qui nécessitent une énergie... disons plus appuyée. N'a pas l'impression de déchoir. Si en France les jazzeux se bouchent le nez devant de telles facilités, Vander sait que tous les musiciens noirs américains ont été bercés par cette musique, au sens laudatif du terme, populaire. C'est l'idiome de base, la langue vernaculaire du rythme et du blues, essentielle pour la transmission des racines originelles. Vander en viendra à s'exiler en Italie. Il y passera deux ans dans d'obscurs combos de rhytm and blues, jusqu'à ce que sans raison apparente il éprouve le besoin de rejoindre le sol natal.

 

 

L'APPEL DU ROCK

 

 

L'a tout juste vingt et un an lorsqu'il rentre en France au printemps soixante neuf. Le pays sort de la lessiveuse de mai 68. Le vieux monde est mort ( c'est du moins ce que l'on croit ) les champs du possible ne demandent qu'à être labourés. L'on a besoin d'horribles travailleurs. Très vite Vander s'aperçoit que les musiciens qui accueillent sans sourciller sa frappe monstrueuse sont ceux qui se réclament du courant rock. N'oublions pas qu'à l'époque la vélocité d'un Keith Moon et la puissance d'un John Bonham sont les parangons ultimes du battle rock.

 

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Beaucoup d'appelés et peu d'élus. Une génération de musicien rock est en train de naître sur le territoire hexagonal, mais l'on est encore loin du compte. Vander exige davantage que des imitateurs. Veut des personnalités et des créateurs. Pas question de se contenter de jouer correctement un riff, faut aussi une connaissance, une réflexion, une expérience de la musique encore inconnue sur la planète France. Faudra donc aller sur une autre planète, quitte à la créer de toutes pièces. Cet astéroïde fabuleux portera le nom de Magma.

 

 

MAGMA

 

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Magma sera donc le seul groupe rock français capable de rivaliser avec les groupes anglais et américains. D'abord par son originalité et très vite par sa puissance de frappe. Suffit de le comparer avec l'autre french combo très légèrement antérieur à sa naissance, les Variations. Je les adore, ont été adoubés par Steppenwolf et New York Dolls mais il suffit d'écouter leurs disques réciproques pour entendre qu'ils ne jouent pas dans la même catégorie. Magma est ailleurs. Ce qui m'étonne le plus dans l'aventure Magma, c'est que le groupe de Vander soit très vite accueilli, comme faisant parti de la famille, par un public rock français pas du tout accoutumé à écouter de la musique si élaborée qui a néanmoins su faire preuve d'une ouverture musicale étonnante à l'époque. Vander y est pour beaucoup, pas besoin d'apprendre par coeur les deux cent soixante quatorze numéros de Batteur pour savoir que l'on tenait là un musicien hors-classe, d'une fougue, d'une violence et d'une justesse extraordinaires. L'évidence s'imposait.

 

 

L'emportait le morceau. Ce qui n'était pas donné d'avance. Magma c'était autre chose que le riif fabuleux de Whole Lotta Love, que Led Zeppelin avait piqué à Muddy Waters. Magma ne vous refilait pas le blues en douce. Bossait sur le rythme et redécouvrait d'instinct la complexité syncopale de la musique classique européenne vers laquelle beaucoup de jazz men ont longtemps tendu une discrète oreille, du genre voyons ce que nous offre la concurrence.

 

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Magma c'était davantage Stravinsky que Chuck Berry. Avec la puissance de l'orchestre symphonique en pleine action mais décuplée par l'électricité. Musique savante follement attractive. N'importe qui ne pouvait postuler une place chez Magma. L'histoire du groupe est pleine d'arrivées et de départs. Certains s'en vont sur d'autres projets, mais d'autres s'aperçoivent que rester demanderaient des efforts d'apprentissage et de renouvellement qu'ils ne sont pas prêts – par paresse ou incapacité - à à fournir.

 

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Vander n'en parle pas, l'évoque très superficiellement en trois lignes qui risquent de ne pas alerter un lecteur contemporain. Magma prend son essor au début des seventies, des années où domine un discours d'extrême-gauche marxo-anarcho-situationnistes. Magma ne colle pas à l'esprit festif de l'époque. Rien n'est plus éloigné du débraillé idéologique que les postures hiératiques de ses musiciens et leur musique souveraine. Leur langue – le kobaïen, importée de la planète Kobaïa, offre des intonations quelques fois un peu trop germaniques... Quelques critiques s'élèveront, on parlera d'une musique fasciste. En ces temps post-68, c'est une condamnation dont on ne se relève pas. Pire qu'une bulle d'inquisition prononcée à votre encontre dans l'Espagne Catholique du seizième siècle. Par sa seule présence scénique ( et discographique ) Magma pulvérisera ce genre d'anathèmes qui seront en trois mois renvoyés dans les poubelles de l'histoire d'où elles n'auraient jamais dû sortir.

 

 

SUITE SANS FIN

 

 

Pour beaucoup l'histoire de Magma se termine autour de 1978. Les temps ont changé. L'on parle moins de Magma qu'auparavant. Moi le premier je ne prête qu'un regard distrait aux différentes résurgences du groupe... La démarche magmaïque devient peu lisible. Mais Christian Vander continue son chemin. Le livre devient passionnant. Ce n'est plus l'histoire d'un batteur génial que nous suivons mais l'émergence d'un compositeur. Le musicien diabolique nous a longtemps caché l'ampleur de l'oeuvre.

 

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Magma nous a donné des mouvements épars de trilogies. Durant des années de clandestinité médiatique Christian Vander a composé les fragments manquants. Une trilogie vandérienne, c'est l'équivalent d'une symphonie de Beethoven par l'ampleur du projet et des quatuors de Bartok pour la sidérante brutalité de son apport à la musique du siècle qui vient.

 

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La batterie est devenue secondaire. L'en joue toujours. Mais après la composition. Le style a évolué. Ne cherche plus l'épate époustouflante rock'n'rollienne des concerts de Magma, retourne souvent d'où il est venu, au jazz. Avec un nouveau groupe Offering. Un peu à géométrie variable. Recherche ce que Miles Davis – à la démarche duquel il n'adhère pas – appelé la note bleue. Ne s'agit pas de faire rugir la cymbale comme un lion en colère, mais la faire feuler comme le tigre qui vous regarde de travers. Avant de se jeter sur vous pour vous dévorer. L'on change de plateau de jeu mais les règles sont toujours aussi dangereuses à suivre.

 

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Magma-Vander est un phare dans la tempête. Possède sa maison de disque – le do it yourself punk est un concept applicable à toute sorte de musiques qui se veulent libres et dégagées de tout impératif commercial – ses rééditions et ses archives, ses propres revues, son interface net et même toute une collection de groupes divers qui empruntent le sillon tracé par ce grand défricheur qu'est Christian Vander. Qui continue sa route hors des sentiers qu'il n'a pas battus lui-même.

 

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Peut-être n'aimez-vous pas le rock'n'roll, peut-être n'aimez-vous ni le jazz, ni le classique, peut-être n'aimez-vous pas la batterie, peut-être n'aimez vous pas la musique de Magma, peut-être même n'aimez-vous pas la musique elle-même ( l'on se demande alors ce que vous faites sur ce site ! ), mais que cela ne vous dispense pas de lire ce livre. Par-delà la vie d'un musicien et d'un fastueux instrumentiste, vous découvrirez la démarche d'un artiste d'une totale intégrité qui n'a jamais pactisé avec les médiocres nécessités de son temps mercantile. N'en tire aucune fierté démesurée. A d'ailleurs assez bien vécu de son art et jamais ne pose au poëte maudit ou incompris. Est simplement conscient de n'avoir pas renié sa promesse d'homme en mettant un mouchoir sur ses rêves d'enfant.

 

 

Damie Chad.

 

Concerts de Magma : voir : KR'TNT N° 126 du 10 / 01 / 13 article sur Rock'o'rico de Christian-Louis Eclimont

 

Pour en savoir plus : http://kosmicmu.blogpost.fr et facebook de Muzïk Zeuhl

 

 

JEAN-WILLIAM THOURY

 

 

BIKERS

 

Les morards sauvages à l'écran

 

de The WILD ONE à SONS OF ANARCHY

 

 

Un travail de bénédictin. Ce n'est pas tout à fait l'expression qu'il faudrait car le goût de la violence, du sexe, du stupre, de la jouissance sans entrave, de l'exaltation de la force, de l'alcool, des produits et des armes ne sont pas des vertus chrétiennes patentées. D'ailleurs l'occurrence des mots Hell et Enfer semble indiquer que les voies du seigneur ne se parcourent pas en moto. Âmes sensibles abstenez-vous de toquer à la porte de ce monde de plaisirs sulfureux. Vous risqueriez de vous y complaire. C'est tout le mal que nous vous souhaitons.

 

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Près de quatre cents feuillets, des illustrations pleine-page et des photos mais beaucoup de texte. Cent scénarii de films racontés du début à la fin, avec en final un petit topo sur le réalisateur et les acteurs principaux. Plus un index qui vous épargnera des recherches fastidieuses, et un glossaire des termes spécialisés. Jean-William Thoury a dû y passer plus d'un long hiver à compiler une telle somme de renseignements et de connaissances. Je suppose qu'il s'est quand même offert le plaisir à chaque fois de revisionner le film. Doit avoir une sacrée dvdthèque.

 

 

L'on ne présente plus Jean-William Thoury, manager de Bijou, journaliste, écrivain, amateur de rock'n'roll. Nous le croisons parfois dans des concerts, ce n'est certainement pas un hasard si souvent il trimballe des gants de moto. Nous avons déjà chroniqué son irremplaçable livre sur Gene Vincent ( Voir KR'TNT N° 18 DU 27 / 09 / 10 ) paru au Camion Blanc. Ne manque pas de s'en référer à plusieurs fois à Race With The Devil, le titre totémique de Gene.

 

 

Au moment où j'écris cet article je projette de me rendre au local des Loners à Lagny sur Marne écouter les Ghost Highway. Cela relève d'une logique, les bikers ont très vite adopté le rock sous toutes se formes ( pionniers, rockabilly, stoner, hard... ) dès sa naissance. Ces deux univers sont proches, ils se recoupent tout en gardant leur singularité.

 

 

HISTORIC

 

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Aussi étrange que cela puisse paraître un film comme L'Equipée Sauvage a peut-être beaucoup plus fait pour la naissance de l'esprit rock que l'enregistrement de Mystery Train dans les studios Sun, ou plus tard de Heartbreak Hotel par Elvis. Si Presley s'est jeté, sans prendre de garanties suffisantes quant au choix des tournages, dans sa carrière cinématographique, qui se révèlera à la longue si désastreuse pour son aura de rocker, c'est qu'il était subjugué par les apparitions de James Dean et de Marlon Brando. Je n'ignore pas bien sûr que notre musique vient de loin, qu'elle était déjà présente dans le rythm and blues noir d'après guerre et en gestation dans le hillbilly, mais ces racines ne touchaient que des publics limités. Si RCA sort son premier disque d'Elvis en 56, Blackboard Jungle date de 1953 et The Wild One et La Fureur de vivre de 1955.

 

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L'on m'objectera que déjà en 1954 Bill Haley... oui mais Bill Haley n'opère pas la véritable coupure révolutionnaire et épistémologique du rock, il est un précurseur mais qui s'inscrit dans la mouvance de la musique rythme de son temps, conçue pour la danse. Chahuteuse mais pas séditieuse. Elvis apporte un plus, il offre en même temps, un impact énergétique bien plus dynamique et sensuel que le gros Bill, et le reflet de la tourmente adolescente que traduisent si bien les visages boudeurs et blasés de Skinny Jim et de Johnny Strabler.

 

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Graine de Violence et Rebel whithout a Cause traitent de l'ennui scolaire et existentiel des adolescents, cette nouvelle catégorie sociale en pleine émergence après la seconde guerre mondiale. Si ces deux films décrivent abruptement l'apparition de ce phénomène, ils ne proposent aucune solution. Au contraire dès le générique, The Wild One offre le pharamineux avantage de montrer qu'un autre monde est possible, que la révolte des enfants contre la morale privative et la vie étriquée des adultes ne se termine pas finalement par l'acceptation contrainte et forcée d'un ordre honni. L'ado n'est pas obligé de retourner contre lui – du mal-être passager au suicide définitif nombreuses sont les solutions - la violence coercitive que le monde exerce à son encontre. Il lui suffit de se doter de l'arme qui l'aidera à se délivrer.

 

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Ce sera le cheval. De fer. La moto. Certes tous les amateurs de rock, ni tous les jeunes, ne se regrouperont pas en moto-club, mais parfois il suffit de savoir qu'une alternative existe pour se sentir mieux. Il existe mille manières d'exprimer sa révolte. Mais le choix des premiers american riders reste porteur d'une mythologie phantasmatique rarement égalée.

 

 

CINEMASCOPE

 

 

Nous nous laissons facilement manipuler par la lanterne magique. Certes notre esprit critique nous souffle que les les couleurs de l'écran ne sont guère l'exact reflet de la grisaille de notre quotidien, mais nous ne demandons qu'à faire semblant de le croire. La rutilance des choppers, les hordes sauvages, les filles nues, les règlements de compte, nous les vivons surtout par procuration au cinéma. Producteurs et réalisateurs sont engagés dans une course sans fin, chaque nouveau film doit se démarquer de ses prédécesseurs, le spectateur en veut pour son adrénaline d'où une surenchère. Toujours plus de sang, de sexe, de baston, de meurtres, de mort... Les séries télé ne feront que précipiter le mouvement, les saisons se suivent et n'ont pas le droit de se ressembler. La suivante doit surpasser la précédente.

 

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La lecture à la suite des scénarii est assez éloquente. Vers le cinquantième je commençais à me dire que j'en savais assez pour en pondre un sur un coin de table, les mêmes plans, les mêmes scènes, les mêmes séquences, l'envie de déposer le bouquin et d'y revenir dans une quinzaine m'effleura. Mais ma persévérance fut remerciée, les histoires s'étoffent et se complexifient, le caractère des héros se module, les méchants ne sont plus aussi infâmes et les gentils ne sont plus de simples innocents. Vous serez jugé sur la noirceur de vos actes, mais l'on tiendra aussi compte de vos motivations secrètes. Il n'est pas sûr qu'elles soient plus pures que celles de vos ennemis. Les colombes ne sont pas aussi immaculées qu'elles le paraissent et les oiseaux de proie font preuve d'une cruauté que la raison peut comprendre.

 

 

L'AVERS DE LA MEDAILLE

 

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Jean-William Thoury y revient plusieurs fois. Trop souvent les films se complaisent à dévoiler le côté obscur de la force. Il est entendu que les bikers ne sont pas des anges. Mais présenter les moto-clubs systématiquement comme des associations de malfaiteurs évacue bien des aspects positifs. Seulement un pour cent de ces organisations se classent d'elles-mêmes dans la catégorie des anti-sociaux et revendiquent une éthique de hors-la-loi. Ce sont celles-ci dont on parle le plus, les Hell Angels, Los Bandidos, les Outlaws, la police les surveille, la presse en fait ses choux gras, le cinéma s'en inspire... Certains d'entre eux participent même au tournage, comme figurants, comme conseillers spéciaux. L'on oublie que les moto-clubs fonctionnent aussi comme les antiques solidalités. Ce sont des ères de fraternité et de protection, des instruments de défense contre la dureté de la société. Facile de dénoncer les regroupements de motards très bruyants et très voyants. Mais il existe des groupes de pression, financiers ou institutionnels, pratiquement invisibles mais beaucoup plus nocifs pour la population citoyenne que les bikers jubilatoires. Si vous ne marchez pas sur la queue du crotale, toutes les chances sont de votre côté pour qu'il ne vous morde pas.

 

 

RESTRICTIONS

 

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Maintenant l'on peut tout de même remarquer que beaucoup de bikers se définissent selon une idéologique droitière. Se réclament d'une individualisme anarchisant et forment des groupements collectifs dont le coeur, dans la grande majorité des cas, ne penche pas à gauche. Historiquement cela s'explique, les premiers bikers furent des soldats revenus des champs de bataille européens qui eurent du mal à se réadapter à la vie civile. On ne les attendait pas. Qui va à la chasse perd sa place. Ils se regroupèrent entre amis, mais en anciens combattants ils gardèrent dans leur nouvelle formation un goût prononcé pour la hiérarchie. Se sentant rejetés par le système, ils édifièrent leur propre mode de vie mais en reprenant pour modèle les idées d'ordonnancement de ce même système. En Allemagne d'après 18, l'on assista à un phénomène similaire, la naissance des Corps-francs.

 

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Mais aux USA, à des milliers de kilomètres du conflit, les vétérans n'eurent pas l'occasion de remettre cela. D'autant plus qu'ils avaient remporté la victoire. Démobilisés, retournés à la vie civile, n'ayant aucune revanche à prendre, mais désirant vivre selon leurs envies, ils créèrent ces espèces de communautés d'un genre nouveau, en même temps dans le système et contre le système, qu'ils définirent comme des espaces de liberté. Ce ne sont pas des républiques pirates, Jean-William Thoury rappelle que beaucoup de policiers américains, une fois leur service terminé passent leur temps libre dans leur uniforme de biker... Contradiction skizophrénique sociologique ! Vous pouvez dénoncer les limites de telles expériences, mais il faut reconnaître que leurs existences, leur longévité ( plus de soixante ans pour les plus anciennes ) et leur prolifération dans de nombreux pays, attisent bien des rêves. Qu'on le veuille ou non, elles sont une des rares réussites de redéfinition et de reconstruction des liens collectifs détruits par l'implantation des sociétés industrielles.

 

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C'est peut-être pour cela que se sont tissées de multiples accointances avec le rock'n'roll et les rockers, qui retrouvent en elles un parfum de cette ruralité perdue dont leur musique émana.

 

 

 

Ce beau livre de Jean-William Thoury – le tout premier de cette ampleur en langue française – est un plaisir des yeux et de l'esprit. Il est en quelque sorte authentifié par la préface – courte mais aussi tranchante que la lame d'un poignard – de Sonny Barger, le fondateur du Chapitre des Hells Angels d'Oakland.

 

 

Damie Chad.

 

 

CHRONIQUES VULVEUSES

 

 

DOUZIEME EPISODE

 

Résumé de l'épisode précédent : L'agent Damie Chad 009891 du SSRR ( Service Secret du Rock'n'Roll ) est envoyé de toute urgence en Ariège afin d'enquêter sur l'inquiétante entreprise terroriste de déstabilisation psycho-culturelle surnommée La Conjuration Vulvaire. Tous les faits rapportés dans cette oeuvre à enrobage littéraire affirmé sont tirés de la réalité la plus triste, les documents officiels de la justice et des gendarmes sont là pour en apporter la preuve définitive.

 

 

39

 

 

Plusieurs heures que nous roulions tassés dans notre cercueil comme Toutankamon dans son sarcophage. Une sourde inquiétude me minait le coeur. Il y avait longtemps que nous avions dépassé la SPA du Mas d 'Azil et même celles de Foix, de Toulouse, de Montauban, de Cahors, de Brives, de Limoges... Bref nous étions en route vers Paris. Je me dépêchais de faire part de mes réflexions au Chef qui crapautait sereinement son dix-huitième Coronado N° 12 :

 

 

«  Très justes supputations, agent Chad, d'après mes calculs nous ne sommes plus loin de la capitale, il serait donc extrêmement judicieux que nous préparions la sortie de notre cheval de bois à roulettes.

 

  • Sans avoir l'air trop curieux j'aimerais bien connaître comment nous parviendrons à nous tirer de cette déplorable situation, s'enquit Claudius

  • L'enfance de l'art cher Claudius, pourquoi pensez-vous que sommes si serrés à l'intérieur de notre boîte mortuaire ?

  • Trois individus plus un chien dans une bière prévue pour un seul cadavre, la réponse tombe de soi, maugréa le Maître de l'Affabuloscope.

  • Pour un artiste vous manquez de perspicacité cher Claudius, n'avez-vous pas remarqué que dans ce que vous nommez notre malheur, dans leur précipitation les services du Proc m'avaient octroyé un modèle de cercueil XXL, ce qui m'a permis d'y bricoler un double fond.

  • Pour votre réserve de Coronados, Chef ?

  • Point du tout, vous allez voir, accrochez-vous aux petites herbes ! »

 

 

Nous ressentîmes comme une vibration sous notre ventre. Molossa émit un gémissement, mais très vite nous fûmes entourés par un bruit assourdissant, et le cercueil se mit à avancer et à reculer sur un rythme de plus en plus rapide. Il se catapultait si fort contre les portes blindées du fourgon qu'elles ne tardèrent pas à céder sous la violence des coups assénés, nous rebondîmes sur l'asphalte si brutalement que le couvercle se détacha, en une fraction de seconde nous nous retrouvâmes tous les trois assis dans notre cercueil roulant qui filochait au minimum à cent trente kilomètres heures, sur le Périphérique Lutéçois. Nous étions libres, à ceci près que nous roulions à contre-sens du flot de bagnoles qui se ruaient sur nous.

 

 

Le Chef rigolait comme un dément. Il tenait son boîtier électronique comme un téléphone portable et s'amusait à zig-zaguer entre les files de voitures. Nous devions ressembler aux quatre chevaliers de l'Apocalypse, dès qu'ils nous voyaient les conducteurs levaient les bras au ciel en se recommandant au Seigneur. Qui ne devait pas trop les prendre en pitié car les véhicules s'encastraient les uns dans autres, s'écrasaient sur les piles des ponts, certains prenaient feu, d'autres explosaient, des passagers affolés transformés en torches vivantes essayaient de se réfugier sur les terre-pleins centraux mais se faisaient systématiquement renverser sur la chaussée avant d'atteindre leur refuge salvateur.

 

 

Molossa excitée aboyait de toutes ses forces. C'était tellement mieux que dans un jeu vidéo que nous fîmes trois fois le tour du périph rien que pour jouir du spectacle. En fin de compte le Chef avisa une sortie et l'emprunta à un train de sénateur.

 

 

«  Chef ! Fabuleux ! »

 

 

Pour une fois il fit le modeste : «  Ce n'est presque rien, une broutille, sous le faux-fond – vous n'ignorez pas comme j'aime bricoler le dimanche matin chez moi, pendant que ma femme s'occupe dans la cuisine – j'ai adapté deux tuyères au propergol, vous savez ce carburant pour les fusées que l'on trouve en vente libre sur les marchés d'Afghanistan, j'ai simplement relié le tout à la commande du petit train téléguidé de mon filleul et vous avez vu le résultat ! N'importe quel mécano du dimanche peut vous monter un bidule pareil, en moins de vingt minutes ! »

 

 

Nous félicitâmes le Chef, louant son esprit inventif, renchérissant sur son ingéniosité diabolique. Molossa posa sa truffe humide sur sa cuisse gauche en guise de remerciement. Elle ne dit rien mais ses yeux dorés trahissaient sa profonde reconnaissance. Nous étions arrêtés à un feu rouge. Un peu grisés de notre succès. Des petits enfants manifestaient leur surprise :

 

 

«  Regarde Maman, les trois monsieurs assis dans la grosse boîte à sucre en bois !

 

- Et le monsieur avec sa grosse cigarette qui fume, c'est le plus rigolo

 

  • Oui mais le chien noir est encore plus beau, pas vrai Maman !

  • Adorable mon chéri, mais retire ta main, il est peut-être méchant !

  • Mais non Madame, tu peux la caresser, elle est très gentille, elle s'appelle Molossa ! »

 

Le bambin tendit sa menotte et se mit à couiner comme un porc qu'on égorge, Molossa venait de lui sectionner deux doigts d'un coup de dents. J'eus le temps d'apercevoir les yeux horrifiés de Claudius. Déjà le Chef accélérait, avant que nous brûlions le feu resté au rouge j'eus le réflexe d'abattre la mère qui s'effondra sur le trottoir d'une rafale de mon UZI.

 

 

«  Ne vous inquiétez pas Claudius, l'on a reconnu une agent secrète. L'on s'est échappés mais ils nous ont repérés. Sont à nos trousses. Ils ne reculeront devant rien pour nous éliminer. Faut vous enquillez cette idée-là dans la tête, le 008 ce n'est pas un amateur, la partie est loin d'être gagnée. En face ils sont prêts à tout pour nous neutraliser, nous sommes en zone noire, considérez que vous êtes déjà mort, cela vous aidera à survivre. Pensez à votre Affabuloscope que vous êtes obligé de vendre. Un conseil Claudius, à tout instant soyez méchant. »

 

 

Pendant que je briefais Claudius, le Chef fonçait comme un madurle sur les grands boulevards à tombeau ouvert. Pas de temps à perdre. Dans le flot de véhicules que nous remontions à toute vitesse l'on remarquait de plus en plus souvent les voitures bleues de la gendarmerie qui nous prenaient en chasse dès que nous les dépassions. De grosses berlines noires se mêlaient à la procession qui nous coursait. J'étais prêt à parier une crotte de Molossa que la plus grosse qui s'obstinait à ne pas nous lâcher d'un centimètre était piloté par 008 en personne. Difficile de le reconnaître derrière les vitres teintées, mais j'entendais un Hi ! Hi ! Hi! Si caractéristique. Un hennissement qui vous donnait envie d'ouvrir une boucherie chevaline.

 

 

Brusquement il y eut comme un flottement chez nos poursuivants, le Chef en profita pour accélérer, le cul d'une voiture se profila devant nos yeux horrifiés, d'un magistral tête à queue le Chef la dépassa, nous étions maintenant entre deux files de motards, Claudius désigna du doigt une espèce d'allée sur la droite, coup de frein, emportés par leur élan les deux files de motocyclettes qui nous entouraient continuèrent leur route droit devant, le Chef tourna sa manette à angle droit, nous virâmes sur deux roues, nous passâmes sous un porche et nous débouchâmes dans une vaste cour, le Chef freina une dernière fois juste devant des escaliers. Claudius ouvrait les yeux comme un merlan frit. Il venait de reconnaître l'édifice, il avait vu maintes et maintes fois cet endroit à la télévision.

 

 

Le Chef sauta allègrement hors du cercueil. Se tournant vers nous il eut cette phrase depuis lors devenue proverbiale : «  Mieux vaut s'adresser à Dieu qu'à ses saints » et c'est d'un pas ferme que nous montâmes les marches du perron de l'Elysée.

 

FIN DU DOUZIEME EPISODE

 

 

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