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24/11/2011

KR'TNT ! ¤ 74. PHILIPPE MANOEUVRE / JOHNNY CASH

 

KR'TNT ! ¤ 74

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

24 / 11 / 2011

 

 

 

 

 

33 TOURS ET NE S'EN VONT PAS

 

 

 

ROCK'N'ROLL

 

LA DISCOTHEQUE ROCK IDEALE ( 2 )

 

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PHILIPPE MANOEUVRE

 

INTRODUCTION ISABELLE CHELLEY

 

 

 

ALBIN MICHEL / 0ctobre 2011

 

 

 

 

 

Pas la peine de me dire ce que vous allez commander au Père Noël à déposer dans vos creepers puants. Comme tout amateur qui se respecte vous avez déjà le Tome 1, paru en 2005, Rock'n'Roll : la discothèque idéale, 101 disques qui ont changé le monde, du rédac-chef de Rock'n'Folk. Et comme tout le monde vous avez râlé en le découvrant. Il manquait juste le 33 tours de votre vie, le seul que vous emporteriez sur une île pas du tout déserte mais exclusivement peuplée de jeunes filles nues. Commençait par les Sun Sessions d'Elvis et finissait sur Up the bracket des Libertines...

 

Pour ma part, pour m'appuyer sur un exemple qui me touche de près, j'ai failli avoir une attaque d'apoplexie lorsque je me suis aperçu qu'aucun des six premiers opus de Gene Vincent n'était retenu par notre spécialiste émérite... Il doit bien exister une justice quelque part puisque les cinq années qui suivirent se transformèrent en un redoutable enfer pour notre grand manoeuvrier. N'a pu rencontré un amateur de rock – et de par son boulot il côtoie cette engeance exigeante du soir au matin – sans recevoir de quoi remplir un cahier de doléances quotidien.

 

Devait avoir aussi des tas de remords personnels qui lui rongeaient la cervelle, alors pour régler ses dettes à la grande communauté des rockers de tous poils et soulager sa conscience, s'est résolu à se lancer dans la rédaction d'un tome 2. S'est peut-être pas fatigué beaucoup puisqu'il a repris ses chroniques mensuelles de Rock'n'Folk, s'est contenté de combler les vides. Entre parenthèse a dû passer davantage d'heures à opérer de cruciaux choix qu'à rédiger les notules.

 

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Une pleine page pour la repro de la pochette ( recto ) avec en vis-à-vis le texte de la présentation idoine, truffé d'informations de première mains ou d'anecdotes les plus curieuses. Ecrit méchamment bien Philippe Manoeuvre, j'ai tout lu, d'une traite, sept heures sur le canapé, sans m'ennuyer une seule minute. Vous pouvez aussi faire semblant, le texte est coupé par la reproduction recto et verso des étiquettes centrales des disques, et parfois lorsqu'un ou plusieurs singles étaient issus de la même séance d'enregistrement vous avez aussi droit aux photos des 45 T.

 

Je ne vais pas vous faire le coup, ah ! Qu'elles étaient belles les quadrichromies de nos long-playing chéris, au contraire m'apitoie plutôt surtout sur les vignettes centrales. Ah ! Qu'est-ce qu'elles étaient tristes, sans âmes, moches et ternes. Pas très rock'n'roll ! Quand on voit qu'une major comme Columbia ne possédait même pas un logo personnalisé ! Au petit jeu de la comparaison le CD honni remporte la palme de l'imagination !

 

VOYAGE DANS LE TEMPS

 

Ca part en roue libre The Freewheelin' de Bob Dylan, sorti en mai 63, et ça se termine par une belle crevaison, celle de In Rainbows de Radiohead beaucoup plus près de nous en octobre 2007. Ce n'est point un critique musicale. Me permettrai pas, je n'ai jamais écouté ce disque de Radiohead. Premièrement parce que je n'aime guère Radiohead, deuxièmement parce que ce n'est pas à proprement parler un disque.

 

Mais avant de nous lancer dans les sujets qui fâchent délectons-nous des années heureuses. Trente disques pour les seules sixties. Laissons parler nos coeurs de rocker, le disque de Noël de Phil Spector, le Star-Club de Jerry Lee Lewis, le Golden Hits de Chuck Berry, le From Elvis in Memphis, on ne va pas s'étendre sur les pionniers, par contre si vous n'avez jamais entendu le Star-Club de Jerry Lee, jetez-vous par la fenêtre, ou sous un train, au choix, comme vous voulez, mais je vous en prie faites quelque chose puisque vous ne méritez pas de vivre.

 

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Pour ceux qui ont survécu au paragraphe précédent, vous entrez dans une ère de délices. Ici tout n'est que calme luxe et volupté, comme dit Baudelaire. Encore que avec des gaziers comme Steppenwolf qui entonnent Born to be Wild, l'hymne national des révoltés de tous bord et des bikers de la mort, les panthères blanches du MC 5 qui vous traitent de Motherfuckers à tous les coins de sillon en vous conseillant de Kick out the Jams, et ces voyous des Stones qui supplient le diable pour que ça Let it bleed beaucoup, vous risquez d'être un peu secoués.

 

Non c'est la richesse fabuleuse des propositions qui nous émeut, entre Jimmy Hendrix qui s'inquiète de savoir si Are you Experienced, les Who qui vous content la malheureuse histoire de Tommy et les Cream de Clapton qui déraillent à cause de leur Disraeli Gears, vous avez de quoi vous perdre et vous retrouver cent fois. Vous tournez les pages et vous apprenez comment le hard-rock est né du psychedelic, avec un soupçon d'imagination vous devinez en arrière-fond toute cette mouvance expérimentale qui caractérise cette période.

 

Quarante cinq disques plus loin vous vous extrayez du maquis touffu des seventies. En mai 70 vous pataugez dans la boue de Woodstock, vous rêvez d'un monde meilleur, vous tirez sur des pétards en croyant que le ciel est toujours bleu même quand il pleut, pour dix années plus tard répondre à l'appel de Londres. Non pas celui de de Gaulle mais le London Calling du Clash. Vous le hippie de service, vous êtes devenu guerrier urbain sans avenir, punk sans futur.

 

Seize albums pour la décennie qui suit. Du lourd tout de même avec Mötley Crüe et Mettalica, du meilleur avec Gun Club et Stray Cats, mais l'on sent que la prophétie punk se révèle juste. Avec U2 et Michael Jackson l'entertainment prend le dessus. Doucement mais sûrement.

 

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Sept disques pour les nineties. Le rock ne se meurt pas. Il est mort. L'on jette les dernières pelletées sur le cercueil. Cinq disques pour la suite. La machine cale en 2007. Rien à se mettre sous la dent ces cinq dernières années.

 

DITES 33

 

Mais il temps de rallumer la radio et de résumer les épisodes précédents. Bougeons le cursus rapidement, 78, 45, 33 tours. Nous y sommes. Presque. Avons fait l'impasse sur les maxi-45 ( le 33 tours du pauvre ), carte de visite sonore et de grand format pour groupes débutants ne possédant pas un max de morceaux au point, avons de même ignoré le picture-disc idéal pour pomper le fric des collectionneurs et qui vous classe tout de suite parmi les artistes soucieux d'esthétique.

 

Oubli total des cassettes, mépris souverain pour les CD – à croire que seuls les blaireaux les collectionnent – et ce retour vers les vinyls qui n'est pas obligatoirement une garantie de qualité sonore, car en ce début du vingt et unième siècle – comme en la fin du précédent – l'arnaque est partout.

 

Donc Radiohead. N'ont pas été les premiers à le faire. Des tas de groupes offraient déjà leur musique à écouter gratuitement sur le net. Oui mais des sans-grades, des inconnus, des anonymes dont la réputation ne dépasse pas le cercle étroit de la famille et des amis. Radiohead lui vendait ses oeuvres par centaines de milliers. Le chouchou, le miroir des adolescents mal dans leur peau, des lycéens qui se la pètent un peu intello, bref toute une génération s'est reconnue en lui.

 

Mais EMI n'a pas su renouveler le contrat. Tom Yorke aurait demandé dix millions de dollars. Trop cher a estimé la major. Dépité, le groupe a mis son nouvel opus en vente libre sur son site. Eux ils ont dit : « à télécharger gratuitement », mais on fait quand même passer le chapeau du bon coeur. Vous donniez ce que vous vouliez. Les jeunots sont tombés dans le piège et ont déboursé une moyenne 1, 5 euro par tête de pipe. Y en a tout de même trois sur dix qui ont raflé la mise sans laisser un seul centime. Pas les plus bêtes d'après moi. Les Radio - qui n'avaient pas perdu leur - head ont ramassé un million et demi d'euros. Du cash, et pas besoin d'envoyer une armée d'avocats éplucher les ventes et vérifier le décompte des royalties.

 

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C'est maintenant qu'il faut réduire l'équation. Relativement simple. Si vous n'avez plus de disque, en face vous n'aurez plus de rock'n'roll. «  Et depuis c'est chacun pour soi et la fin du monde pour tous » c'est ainsi que Manoeuvre met un point final à sa chronique et à son bouquin.

 

UNE HISTOIRE DE LA ROCK MUSIC

 

Pouvez y trouver tous les défauts que vous désirez, n'empêche que Manoeuvre s'en sort plutôt bien. Dessine assez bien la courge de Gauss ( toujours les kids ) de la rock music. La courbe monte, se gonfle, redescend et crève comme un ballon de baudruche. Passe par tous les points obligatoires, les pionniers, le folk, le blues, les groupes féminins, le british-blues, le psychédélic, le hard, la soul, le garage, le glam, le rock, le country rock, le jazz-rock, le pub-rock, le punk, la new-wawe, le grunge, les déviances rap-electro... Si vous croisez cette liste avec celle du premier tome vous ne ferez que renforcer votre impression.

 

L'exception ne sert qu'à confirmer la règle. Certains disques se sont vendus à des millions d'exemplaires et d'autres n'ont pas dépassé les cinq milles unités. Certes ces malheureux ont pu être redécouverts et atteindre des altitudes moins compromettantes. Certains jouissent de succès d'estime et leur plus grande gloire reste de voir leur nom émarger dans une encyclopédie. Cette discothèque idéale n'en reste pas moins celle d'une reconnaissance marchande ou- si l'on veut atténuer l'impact du mot nous proposerons - marchandisée.

 

Le rock arrive à un tournant de son histoire. Sa transmission est en train de devenir un simple troc acoustique. Tu me donnes ta money et je t'offre un chargement auditif. Ce qui fut longtemps distribué sous forme d'objets de vénération est désormais accessible en tant que monnaie d'échange. Nous avions un produit, nous sommes soumis à un flux impalpable de financiarisation.

 

D'un autre côté cette main-mise des plus totales des groupes industriels et bancaires sur la diffusion de cette musique est peut-être sa chance ultime de survie car elle invite à se débrouiller par soi-même. Do it yourself ! La multiplication des petits labels, des studios associatifs des mini-réseaux d'écoulement ( et non de vente ) des disques enregistrés en des conditions minimales, marque le retour obstiné de cette musique de là d'où elle vient : des marges.

 

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Alors que le jazz s'est ossifié en tant que jazz et ne survit plus aujourd'hui qu'en se faisant faire des enfants dans le dos par tout nouveau courant musical qui passe, le rock qui depuis vingt ans s'est lui aussi laissé phagocyter par tout ce qui n'était pas lui ( l'électro, la world music, la techno, le rap et même le jazz ! ) retourne à lui-même et se détourne de tous les pygmalionâtres qui ont tenté de l'asservir et de l'abâtardir mettant ainsi toutes les chances de son côté de renaître de ses cendres encore chaudes.

 

Cette discothèque idéale est celle d'un passé révolu. Si on ne lui donne pas un sens, si on ne la soumet à aucune dialectique significative, elle n'est que lettre morte, objet d'érudition générationnelle qui dans un demi-siècle n'intéressera plus personne. J'ai bien peur que pour trop de lecteurs elle soit une simple visite de cimetière. L'on s'extasie sur la beauté de tombeaux qui ne renferment que le néant de leur vacuité. La meilleure façon de se débarrasser d'un cadavre c'est encore d'y poser une pyramide par-dessus. L'on est sûr que personne ne pourra vérifier si le mort bouge encore.

 

Ce bouquin de Philippe Manoeuvre reste un livre ouvert. Très intelligemment fait. Les imbéciles s'y perdront facilement, ce qui n'est point grave. Les gamins un peu finauds qui le feuilletteront et s'interrogeront sur les deux dernières décennies en queue de poisson, et qui comprendront que tout reste à faire seront sur le bon chemin. Ce n'est pas que le combat est en train de cesser faute de combattants, c'est qu'au contraire la place est libre et que l'on peut s'y tailler des empires à la démesure du rock'n'roll. Magnifique appel d'air.

 

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Philippe Manoeuvre est un malin. Il n'a pas cédé aux sirènes de la facilité ou de la démagogie musicale. L'on n'attire pas des mouches avec du miel édulcoré lorsque l'on veut leur donner à manger de l'ambroisie. Même si de prime abord la nourriture des dieux paraît indigeste aux estomacs habitués aux ersatz.

 

C'est justement parce que le rock'n'roll est une musique borderline qu'il existe des limites à ne pas franchir.

 

Damie Chad

 

FILM

 

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DIALOGUE DE FEU. LAMONT JOHNSON.

 

JOHNNY CASH et KIRK DOUGLAS.

 

 

 

Titre original : GUNFIGHT. 1971.

 

 

 

Dialogue ou combat. Titre français et titre original en anglais proposent deux lectures possibles d'une même histoire. Dialogue et combat à la fois ou alternativement. Seul le coup de feu peut les réunir.

 

Abe Johnny Cross Cash et Will Kirk Tenneray Douglas sont frères, sont plus que frères. Ils se voient l'un dans l'autre. Ils se retrouvent face à eux-mêmes en se plaçant face à l'autre.

 

Dès la chanson du générique, composée et chantée par Johnny Cash, le spectateur a l'intuition du destin inéluctable des héros. Il n'y a plus de place dans l'ouest pour les vieux héros fatigués de tirer, de tuer pour vivre. Aucune retraite n'est possible pour les tireurs professionnels, aucune amitié n'est possible entre eux. Ils se retrouvent prisonniers de leur histoire, de leur personnage, de la vision qu'en a toute la société qui les entoure.

 

Nous sommes là au coeur d'une tragédie grecque. Le destin est à l'oeuvre, impossible d'y échapper. Le regard des personnages plus encore que leurs paroles montre la conscience de ce que doit être, de ce que va être leur destinée. L'attitude désabusée, le regard triste et profond, voire désespéré, de Johnny Cash en font l'égal d'Oedipe, d'Antigone, d'Hyppolyte...

 

Le western mené à son plus haut niveau est la réécriture du destin éternel des hommes ; les décors changent, l'humanité reste. Le tragique de l'existence se dévoile aussi bien sur les rivages de l'Egée qu'au milieu des grandes plaines.

 

Gunfight et Dialogue de feu. Les deux héros voient leur mort, savent leur mort, avancent vers leur mort inévitablement, inéluctablement. Il s'agit là d'un des plus beaux westerns tragiques qui soit et que chacun devrait savoir.

 

PHILIPPE GUERIN.

 

 

17/11/2011

KR'TNT ! ¤ 73. SENDERS. N. Y.DOLLS

 

KR'TNT ! ¤ 73

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

17 / 11 / 2011

 

 

 

RETURN TO THE SENDERS

 

 

 

PHILIPPE MARCADE

 

AU-DELÀ DE L'AVENUE D

 

NEW YORK CITY : 1972 – 1982

 

269 pp. SCALI. 2007

 

 

 

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FOLIE DU LIVRE

 

L'on n'est toujours trahi que par soi-même. Qu'est-ce que ce truc ? Me suis-je demandé en le retirant tout à fait par hasard du rayon de la bibliothèque où il moisissait depuis au moins deux ans. Puis je me suis donné raison : qu'est-ce que ce titre à la mords-moi le noeud ? Au-delà de l'Avenue D ! D comme débile ! C'est juste à ce moment-là que je me suis souvenu qu'aux States c'était ainsi qu'ils dénommaient leur rue. Un rapide coup d'oeil sur le sous-titre confirma mes déductions New York City, puis Scali en bas de page, la bête commençait à m'intéresser.

 

De 2004 à 2008 Scali a publié près de deux cent livres. Beaucoup trop pour un éditeur indépendant qui ne contrôle pas sa diffusion. Est vite devenu prisonnier du jeu d'avances sur retours qui consiste à payer à l'éditeur les livres qui n'ont pas encore été achetés mais qui sont placés en librairies. Jeu de dupe qui ne peut que conforter les grands groupes éditoriaux qui échappent au remboursement des invendus grâce à leur flot continu de nouveautés. Bertil Scali a cru se tirer d'affaires en se lançant dans des coups éditoriaux médiatiques qui n'ont pas marché. Ce n'est pas son lectorat de base peuplé d'amateurs de rock souvent désargentés mais relativement sectaires qui allaient mordre à l'hameçon de volumes rédigés à la hâte sur des sujets d'actualité n'ayant aucun rapport leur domaine de prédilection... Scali est mort de sa belle mort en septembre 2008. L'on ne peut pas dire que l'establishment ait versé des larmes de crocodiles sur son cadavre. Il ne faudrait tout de même pas abuser des joyeusetés de la contreculture américaine : les musiques de sauvage, ce goût immodéré pour les drogues douces et dures, ces ferments d'anarchie à grand-peine contenus, ne sont guère exemplaires quand on y pense. Vous n'avez qu'à vous pencher sur les mémoires de Philippe Marcadé pour vous en convaincre.

 

NEW YORK AVEC TOI

 

Puisque c'est là-bas que ça se passe Philippe Marcadé, dix-sept ans en 1972, décide d'aller voir de ses propres yeux ce qu'il en est. Ne part pas sans biscuit puisqu'il emmène son coach, son meilleur copain, Bruce, rencontré en Hollande – mais pour quelle mystérieuse raison cet adolescent parisien à cheveux longs qui glandait aux Beaux-Arts s'était-il entiché du pays des tulipes ! - américain d'origine qui tient à le présenter à son père qui vit à Boston. C'est du moins l'explication officielle qui sera donnée aux parents...

 

Vont vite se la jouer à la Easy Rider nos deux amis. Faute de motos se contenteront d'une camionnette pourrave, et vogue la galère, cap sur la Californie. Comme ils ne sont pas des hippies ce n'est pas San Francisco qu'ils visent mais Los Angeles. We came donw to Phoenix chante Jim Morrison, eux ils déchantent très bas à Phoenix dans le Pénitencier qui les accueille à bras ouverts et qui compte refermer ses grilles sur eux durant cinq ans... un avocat commis d'office les tirera de ce mauvais pas...

 

Retour à Paris pour Philippe. Escale de plusieurs mois de l'année 73 à Amsterdam auprès d'une jolie nana, visite de Bruce. Re-départ pour Boston. Quelques mois de folie bostonienne. Bref intermède parisien. Retour à Boston, émigration en septembre 74 de toute la bande des copains à New York... Knockin' on the heaven door de la Big Apple. Philippe va s'y sentir si bien que trente ans plus tard il y est encore...

 

EDUCATION MUSICALE

 

Philippe Marcadé a toujours eu du goût. L'envie de partir aux States ne lui est pas encore venue au cerveau qu'il affirme déjà une préférence innée pour des groupes comme les Animals et les Yardbirds. Trois ans plus tard les Emerson Lake et Palmer, les Yes et les Genesis lui cassent les oreilles. C'est qu'entre temps chez un pote de Boston il a pu parfaire ses préférences musicales, toute une collection de singles de la fin des années cinquante et du début des années soixante : Gene Vincent, Link Wray, Johnny Burnette Trio, The Champs, Screamin'Jay Hauwkins, Hank Williams, Tammy Wynette, Gene Chandler, Muddy Waters, les Ronettes ( de Phil Spector pour ceux qui nous lissent assidument depuis au moins la semaine dernière ), Fats Domino, Eddie Cochran... Que du lourd ! Une certaine idée du rock'n'roll !

 

Marcadé et ses amis se roulent des joints aussi épais que des paquebots et essaient produits variés et substances plus ou moins stonifiantes mais n'en sont pas pour autant des babacools avachis. Ne sont pas des hippies, eux-mêmes se définiraient comme des freaks, des monstres pour traduire littéralement. Comprenons des gens qui vivent dans les marges, qui refusent la société de consommation et ses inquiétants corollaires : le travail, la propreté physique et l'ordre moral. Etrange tribu libertaire qui s'étend des paumés aux drogués, des homosexuels aux anarchistes, des petites-frappes aux petits-bourgeois déclassés, a mi-chemin entre la bohème romantique et la cour des miracles. A l'extrême bout de ce continent underground vous trouvez la mouvance arty issue de la beat génération qui sera représentée par Patti Smith et à l'autre extrémité les jeunes lumpens sans présent, ni passé ni futur. Au milieu un fort pourcentage d'amateurs de rock'n'roll qui ont compris d'instinct que cette musique exprimait et contenait les ingrédients indispensables à leur survie. Le rock est en lui-même le vecteur et le message, le trait fédérateur qui relie fun, fureur, révolte, sexe, drogues, jouissance, outrage, gloire et perdition. Le trip total.

 

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Ils ont les oreilles plus ouvertes que les yeux. Ont déjà flashé sur deux combos prometteurs, Aerosmith et New York Dolls. Plus tard Aerosmith décollera vraiment... Aussi le laisserons-nous s'envoler et frapper à la porte de la renommée... Mais New York Dolls, c'est une autre saga. Ce sont les Stones du pauvre. Ce qui signifie que les Rolling sont les Dolls du riche. Et vu sous cet angle, ça change tout. Les Stones sont le plus grand groupe de rock'n'roll sur la terre, comme se complaisait à le rappeler un pirate fameux, mais les Dolls n'en sont pas pour autant le pire. Ce sont les Pistols qui plus tard s'éclaireront à la lumière noire de ce flambeau éteint. Non les Dolls sont les plus magnifiques. Ils ne jouent pas mieux que la bande à Jagger mais plus fort et plus vite. Les Stones ont pillé les vieux bluesmen pour nous recracher un rhythm'n'blues de derrière les fagots du Klu-Klux-Klan, les Dolls ont inoculé à ce blues'n'rock très vieille Angleterre la rage du rock'n'roll au goût prononcé d'american white trash people. Si les Stones sont issus du ruisseau, les Dolls n'en sont jamais sortis. Saloperie blanche.

 

C'est autour d'un plat de spaghetti que Bruce et Philippe vont sympathiser avec Johnny Thunder. Amitié indéfectible à laquelle seule la disparition de Thunder mettra un point, non pas final mais de suspension car à la façon dont Philippe Marcadé en parle l'on devine que l'on est mort seulement le jour où plus personne ne se souvient de vous.

 

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THE SENDERS

 

L'exemple l'emporte sur la théorie. A admirer les New York Dolls, à avoir eu la chance de découvrir Dr Feelgood, en public et en Europe, Dominique Marcadé prend conscience qu'il est né pour être dans un groupe de rock. En 1977 son groupe, les Senders, donnent leur premier concert.

 

Entretemps il a donc quitté Boston pour New York. Atterrit à l'endroit exact où il faut être. Au Chelsea Hotel. N'est pas le premier à y être passé : William Burroughs, Henry Miller, Tennessee Williams, Janis Joplin, Joni Mitchell, Jimi Hendrix, l'y ont déjà précédé, mais quand on sait combien de temps Patti Smith piaffera devant l'entrée avant d'acquérir une chambre, l'on se dit que notre petit français est tout de même vernis.

 

De même quand il déménagera sa piaule ne sera jamais très loin du CBGB'S et du MAX'S parfois même entre les deux établissements phares du punk new yorkais. Nous avons lâché le gros mot qui fâche. Directement importé d'Angleterre pour baptiser un mouvement qui s'enracine dans l'histoire du rock américain, à tel point que le mot est spécifiquement ricain et désignait : « un petit délinquant qui n'avait pas encore commis de véritable crime... Seulement un petit frimeur minable avec des bras tout maigres et des boutons plein la gueule ». Les punks sont des branleurs et Philippe Marcadé ne leur dore pas la pilule. Des perdants dégueulasses en quelque sorte...

 

Oui mais le milieu est électrisant. Les Senders reçoivent dès 1978 un fabuleux coup de pouce. En 1978 alors que les New York Dolls n'existent plus depuis belle lurette et que les Heartbreakers de Johnny Thunder ont déjà beaucoup de plomb dans l'aile, Jo le Tonnerre s'en vient jouer avec eux pour quelques concerts au MAX's... Si vous n'y étiez pas ne nous donnez pas l'excuse foireuse de n'être pas encore nés à l'époque, d'épiques vidéos sont disponibles sur le Net.

 

Désormais les Senders seront de toutes les fêtes. Le Clash leur offrira même la première partie d'un de leur concert... Seront aussi de toutes les galères. Le groupe ne percera jamais. Enregistreront une poignée de titres qui ne connaîtront pas une diffusion digne de ce nom. C'est que les Senders ne renieront jamais leur mode de vie dope and rock'n'roll, folie et insouciance : pouvoir brancher leurs amplis dans un club cradingue et balancer la sauce à tout berzingue leur suffit. Ne donnent pas dans les fioritures, balancent le blues et roulent le rhythm'n'blues. De la batterie Philippe Marcadé passe très vite au chant. Se sent dans son élément au milieu de la tempête. Plus tard, en l'an 2000, on leur décernera le titre de de meilleur groupe live - autant sous-entendre de seconde zone – de New York...

 

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C'est vrai qu'ils furent des seconds couteaux. Trop cool, trop imprévisibles pour intéresser une major mais durant dix ans ils côtoyèrent tout ce qui comptait, Blondie, Madonna ( à l'époque totalement inconnue ), Ramones, Sid Vicious et tous les ténors du punk américain comme Richard Hell... mais nous préférons nous arrêter sur Wylli Deville, Robert Gordon, les Cramps et les Stray Cats. Le punk américain fut un fabuleux creuset. Point de sectarisme. Le rockabilly, néo et psycho, trouve naturellement sa place dans ce capharnaüm. Les formes musicales ne sont pas identiques mais l'esprit est le même. Une rage qui déborde. Du garage.

 

Entre 1980 et 1981 les Senders sont au top. Il semblerait que rien ne pourrait arrêter leur marche en avant. Rien, si ce n'est deux redoutables fléaux. L'héroïne et le sida. Les temps changent. Beaucoup tombent au champ d'honneur de l'anonymat. Coupe sombre parmi les musiciens et les fans. La génération punk se fragmente. Plus rien ne sera jamais comme avant. Le repli identitaire commence à faire des ravages. Les communautés s'organisent et revendiquent leur propre musique. Les homosexuels qui avaient trouvé dans le milieu rock un territoire d'acceptation s'en vont créer leur propre royaume, moins de rock davantage de techno... Suivront toutes les modes house, funk, électro... Pas très gai !

 

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Lorsque Marc Zermati – le grand prêtre de Skydog Records – celui qui a sûrement fait pour Iggy Pop davantage que Bowie – vient les enregistrer, c'est la fin, deux drogués, un sourd et un mort. Reste plus grand-chose. Le résultat ne sera pas mauvais. Plutôt bon, même. Auront même droit à des petits papiers dans Best et Rock'n'Folk.

 

Philippe Mercadé fera partie des Blackbones jusqu'en 1989. Mais en 1992, le groupe reprend vie et continuera jusqu'en 2005 avec notamment l'adjonction d'un ancien musicien de Little Bob Story. En 2007 Philippe Marcadé sort son bouquin. La boucle est bouqulée.

 

AU-DELÀ DE L'AVENUE D

 

Vous l'ai résumé à grands traits. Aucun intérêt. Faut le lire. A, depuis deux ans, été réédité chez Camion Blanc avec en plus un Avant-propos de Debbie Harris. Document indispensable sur un des moments les plus importants de l'histoire du rock américain. D'une qualité d'écriture indéniable. Marcade ne chauffe pas son rock'n'roll au bois de la langue. Direct. Et uppercut en pleine poire. Ne cache rien. Révèle tout. Se relève de tout. Le bonhomme a traversé l'enfer. Plus d'une fois. Le sourire aux lèvres et le rire aux gencives. Car attention il sait mordre aussi.

 

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Ne pleure pas sur lui. Rigole sur les autres. Quantités d'anecdotes croustillantes – au-dessus et au-dessous du cerveau - à vous mettre là où vous voulez. Tiens celle de ces rockabs anglais qui transitent par la Grosse Pomme, dans le but d'aller chercher à Norfolk un guitariste qui gratterait dans le style de Cliff Gallup... Ben, dans la patrie de Gene Vincent ils n'en ont pas trouvé un seul. Z'ont dû se contenter d'un New Yorkais !

 

New York est à cette époque le centre névralgique du rock'n'roll. Un dernier exemple symbolique : lors de leur dernier show de 1981, les Senders seront accompagnés par Wayne Kramer des MC 5. Si vous dénichez une caution plus rock que celle-là, faites-moi signe.

 

Damie Chad

 

PS 1 : Vous nous ferez le plaisir de ne pas confondre The Senders ( 1962 – 1968 ) du français Dominique Marcadé avec le groupe français Les Senders de Gérard Fournet qui en 1964 enregistra une version de Bee Bop a Lula et en 1966 à notre connaissance un deuxième super 45 tours très inspiré par les Them...

 

PS 2 : Le lecteur désireux de more punkitude se repaîtra de :

 

Glorieuse Patti : livraison 31 du 16 / 12 / 10

 

Punk is not dead : livraison 38 du 04 / 02 / 11

 

Motor Amerika is burning : livraison 39 du 11 / 02 / 11

 

Anarchy in the punk : livraison 54 : 26 / 05 / 11

 

 

 

URGENT, CA PRESSE !

 

 

 

 

 

PLUGGED. N°1.

 

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De grands posters sur tous les kiosques parisiens, sortie prévue pour le 29 octobre. En voyant les affiches je me suis dit que My Rock avait du souci à se faire. Mais maintenant que j'ai l'objet entre les mains je respire. My Rock et Plugged sortent de la même boîte. Buzzer Presse ayant éclaté, l'ancienne centrale pub de Rock Sound et Rock One décédés se retrouve – je suis incapable d'expliquer la chose très clairement, ces mouvements de capitaux se faisant à l'abri des regards indiscrets – dans le groupe Capitale Régie éditrice des magazines Stuff et Vivre à Paris...

 

Se la jouent cool, le premier numéro est décliné sous deux couvertures. Ou Noël Gallagher ou Justice. Autant que lorsque l'on tombe de Charybde en Scylla, il n'y a plus de justice en ce bas monde et que l'on n'est pas encore prêt de fêter Noël dignement en cette fin d'année. Le lecteur curieux se demandera de l'intérêt de posséder deux magazines de rock. Juste une question de créneau. My Rock vise un public plus jeune et plus rock. Plugged vous a un côté jeune adulte branché. N'y a qu'à lire les sous-titres pour comprendre : Rock'n'roll, Pop, Electro, Style, Culture, Tendance.

 

On a vite compris. Lulu Gainsbourg, Red Chili Hot Peper, Kasabian, l'on ne peut pas dire que l'on prend des risques chez Plugged. Beaucoup de photos et peu de textes. Beaucoup plus mode que style ! Avec évidemment Lou Lesage dès la page 14 ! Peut pas se plaindre de sa boîte de com la demoiselle, on la retrouve partout, dans tous ces ersatz de magazines rock qui prolifèrent depuis cet été.

 

La tendance au conformisme glamour devient inquiétante dans la presse rock de notre pays. Mais chez Plugged l'on frôle l'imbécillité. L'on parvient au fond du grotesque à la fin du numéro, les BB Brunes et Daniel Darc habillés par Audrey Jehanno... après les requins de studio voici les mannequins de la vente catalogue. Ce n'est pas encore La Redoute, mais c'est déjà redoutable. Je sais bien qu'il faut vivre avec son temps, mais il est inutile de se prostituer. Nos artistes s'aperçoivent-ils qu'ils vont finir par perdre leur caution rock à ce petit jeu ?

 

Pour certains individus peu reluisants au commande des groupes financiers, le rock n'est plus une musique en mouvement, ils sont en train de le transformer en produit d'appel pour consommation de masse.

 

Un seul conseil : débranchez !

 

Damie Chad.

 

 

 

 

 

 

10/11/2011

KR'TNT ! ¤ 72. PHIL SPECTOR.

 

KR'TNT ! ¤ 72

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

10 / 11 / 2011

 

 

 

 

 

LE SPECTRE DU ROCK

 

PHIL SPECTOR / LE MUR DE SON

 

MICK BROWN

 

( SONATINE / 756 pp /2010 )

 

 

 

Le Phil est coupé, difficile de rencontrer des jeunes gens de moins de vingt (trente ? ) ans qui connaissent encore le nom de Spector. Il fut un Dieu au début des années soixante, à l'époque vous ne pouviez rencontrer un amateur de rock sans que les expressions Spector's Sound, ou Wall of sound ne s'imposent dans la discussion, souvent d'une manière assez fautive au détours d'un essai de description du son des Rolling Stones, aujourd'hui ces mots ne veulent plus rien dire du tout et Spector est davantage connu pour les murs de sa prison que pour ce fameux wall of sound que l'on traduisait d'ailleurs dans les conversations à bâtons rompus fort incorrectement par mur du son...

 

Félicitations à Mick Brown d'avoir su restituer une époque et donner vie à un personnage des plus prodigieusement controversés aujourd'hui enclouté en un cercueil vivant et surtout d'avoir témoigné d'une certaine fidélité admirative envers un artiste qu'il n'avait côtoyé que quelques heures.

 

EN LES DEBUTS DU ROCK'N'ROLL

 

Phil Spector naquit en 1939 – Elvis Presley et Gene Vincent en 1935, ce dernier détail devrait vous mettre la puce à l'oreille – n'a pas eu besoin de se demander sous quelle étoile il était né. Grosse, brillante et mauvaise. Son père lui fit la plus mauvaise farce que l'on puisse faire à un garçon, s'éclipsa dans sa voiture en le laissant seul avec sa mère et sa soeur. Ce n'était pas un accident selon la version qui circulait dans la famille, l'apprit plus tard qu'il s'était suicidé en inhalant les vapeurs méphitiques issues du pot d'échappement...

 

Neuf ans au moment des faits. Spector ne s'en remettra jamais. Un mouchoir dessus, pour que personne ne soit jamais témoin de sa douleur qui monta dans sa tête et lui rongea le cerveau, qui s'obstina à repousser tous les jours. Maintenant ne tirez pas le vôtre ( le mouchoir, pas le cerveau dont vous êtes dépourvu ) pour vous apitoyer. Toute sa jeunesse Spector ne fut qu'un infâme trou du cul. Le genre gringalet que la nature n'a pas comblé, ces graines d'adolescents, ce n'est pas que les filles ne les remarquent pas, c'est qu'elles ne s'aperçoivent même pas qu'ils existent, ou du moins pas plus que la corbeille à papier au fond de la salle de classe.

 

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Sera un spectateur obligé de la comédie inhumaine. Se contentera de rêver le rôle que les autres ne lui donnent pas. Un introverti de tapisserie qui se tait, observe et n'en pense pas moins. Un Monte-Cristo sans amour qui ne rêve que de vengeance et qui ne connaîtra pas la rédemption de l'amour. A la maison ce n'est pas la joie. Entre la mère hystérique qui lui reproche tout le temps la mort de son père – n'a pas fini au pénitencier pour rien à l'âge de 68 ans, sa culpabilité était prononcée depuis longtemps – et la soeur qui rêvait de devenir chanteuse et qui finira à l'asile, l'ambiance était cauchemardesque. Chez ces gens-là on ne parlait pas, l'on s'engueulait à n'en plus finir.

 

Une seule consolation la guitare. Ne nous lancez pas non plus sur les vertus apaisantes de la musique. Son instrument ne sera jamais une arme pour tuer les fachistes mais un sabre de samouraï destiné à faire place nette autour de lui. S'en sert plutôt pour vous le planter dans le dos que pour vous affronter de face. Spector a tout compris : dans l'aquarium de requins qu'est la vie, si vous désirez surnager soyez plus féroce que les autres. Pas de pitié, pas de regrets, pas de remords. Aide-moi et je te tuerai pour que ton cadavre me serve de marche-pied. Egorge celui qui t'a pris en stop, il ne pourra plus jamais te doubler.

 

Sait ce qu'il veut et surtout comment y arriver. Par derrière. Ne sera pas le plus grand des guitaristes, ne sera pas le plus doué des chanteurs, sera l'homme de l'ombre, l'éminence grise, celui par qui tout arrive, le grand manipulateur. Comprend très vite que ceux qui gagnent le plus d'argent, ce ne sont ni ceux qui tiennent le micro ou les instruments, mais les sociétés qui détiennent les droits des chansons.

 

Pas la peine de s'attarder au bas de l'échelle. En plein milieu du panier de crabes, mais au côté des plus gros. Le menu fretin ne l'intéresse point. Un peu de chance et beaucoup d'entourloupe. Prend tout ce qu'il peut, absorbe le savoir des uns telle une éponge mais rejette les zestes dès que le citron est pressé. Se débrouille plutôt bien. Passons sur les échelons intermédiaires, ô combien de copains de lycée et étudiants rejetés très malproprement sans coup férir...

 

Puisque Presley est au zénith il entrera dans l'équipe de Doc Pomus ( le complice de Mort Shuman ), gonflera tellement Lee Hazlewood ( producteur de Duane Eddy et de cette merveille de Lady Bird avec Nancy Sinatra ) qu'il le refilera – à moins que ce ne soit l'inverse - au tandem Jerry Leiber et Mike Stoller ( paix à son âme ! ), flirtera avec les tandems Gerry Goffin /Carole King, Barry Mann / Cynthia Weil ( plus tard pourvoyeurs des Animals ) -et finira par faire ami-ami avec Ahmet Ertegün le patron d'Alantic ( le même pour qui Led Zeppelin acceptera de se reformer en 2007 pour un tribute concert mémorable )... rien que du beau monde. Nous sommes au coeur de l'industrie de la musique rock de la fin des années cinquante.

 

MUSIQUE NOIRE

 

L'ascendance juive de Phil Spector n'est pas étrangère à une ascension si foudroyante. Les juifs ont essaimé les maisons d'éditions musicales new-yorkaises, c'est une industrie dans laquelle on peut faire fortune rapidement et la communauté trustera en toute logique ses propres enfants. Mais cette concentration va aussi orienter la musique populaire américaine à regarder de plus près la musique noire de son pays. La communauté juive trouve en le racisme quotidien dont sont victimes les populations originaire d'Afrique de très fortes réminiscences avec les situations vécues par leurs parents européens pendant des siècles.

 

Black is beautiful ! Si le slogan des Black Panthers éclate avec tant de force en 1967 dans la société américaine, c'est aussi en partie parce que les élites artistiques blanches du pays en sont depuis longtemps persuadées. Presley s'est ingénié à copier les manières de chanter et de s'habiller des Noirs, Ike Turner dont nous reparlerons plus tard fut un chasseur de tête pour Sun où il enregistra Rocket 88 le morceau qui passe pour être le premier rock'n'roll jamais gravé dans la cire...

 

Les noirs ont dans leur voix une urgence qu'un blanc ne saura égaler. C'est un des crédos de Spector. Ajoutez-y la beauté féline de toute jeunes filles sorties du ghetto, le timbre magique de leur voix et vous obtenez la matière première du mur du son. Pour le reste Phil Spector se fait fort d'emmener les briques de son génie particulier. Lui faudra quelques années pour construire sa grande muraille de Chine ( qui lui retombera sur les orteils ) mais dès le début des années 60, la conception de base est arrêtée.

 

La virtuosité ne suffit pas. Eddie Cochran qui passa presque toute sa jeunesse dans les studios s'en convainquit assez vite. Le roi de la guitare possède un plus beau swing s'il double les cordes de sa Gretsch, de même il peut en étoffer le son en superposant deux ou trois fois le même riff sur la même bande... Le travail Lee Hazelwood pour faire sonner la guitare de Duane Eddy marche dans ce genre d'idées, l'on peut aussi accentuer la force d'un instrument en le positionnant plus ou moins loin du micro... Phil Spector sera le premier à considérer et à traiter le problème en son intégralité.

 

L'instrument de base sera le studio. Musiciens et chanteurs sont interchangeables. Se débrouillera tout de même pour choisir des bons. Pour le producteur, il n'y en a qu'un: Pil Spector. Tous les autres sont de vulgaires exécutants. Qu'ils obéissent au doigt et à l'oeil. En attendant qu'ils la ferment, le Maître pose les micros un peu partout, mais pas n'importe où. Réglages qui prennent des heures. Et puis on rejoue imperturbablement les mêmes notes. Durant des heures encore. Ta gueule et va te faire enculer si tu oses la moitié d'une suggestion. Tout le monde la ferme devant le tyran. Imbuvable, impitoyable, torture chinoise et crises de nerf. Si t'es pas content, tu fous le camp.

 

On le tuerait volontiers, mais les résultats sont là, un son splendide. Wagnérien. Quatre guitares pour un simple gratouillis, trois pianistes sur un seul piano, une batterie réduite à la grosse caisse, mais l'ensemble est plus près d'une symphonie de Mahler que de la rusticité d'un combo de rockabilly. Avec Spector, la musique change de spectre.

 

Pour les paroles, on est tout de suite dans le mélodrame des amours adolescentes, des rires et des pleurs, énormément de larmes, l'amour infini est toujours perdu, l'hôtel des jeunes filles au rut brisé... le fan transi de base peut s'y reconnaître. L'histoire de Phil Spector tient en trois morceaux. Da doo Ron Ron des Crystals. Pas du verre fêlé, à l'écoute une chose est claire, la chanson possède un plus : la manière dont elle est enregistrée. Ce n'est pas un titre des Crystals mais un morceau de Phil Spector, le sorcier des studios.

 

Le deuxième : You've lost that lovin' feelin'. Ne dites pas que vous ignorez, c'est la chanson au monde qui est le plus passée à la radio. Des Righteous Brothers, un truc à vous brûler le coeur que vous n'avez pas. A mon avis, pas le meilleur de Spector – même que je préfère la version 65 de Mitchell - plein de petites babioles entre 58 et 64 lui sont supérieures, mais il n'y a pas d'enregistrement qui ait été réalisé avec davantage de virtuosité. Les Beatles qui avaient compris d'où venaient le vent et qui se sont beaucoup inspirés de Spector pour Rubber Soul, ne sont jamais parvenus à une telle aisance. Entre George Martin et Phil Spector, toute la différence entre un artisan et un artiste.

 

Et puis le summum. Le chant du Cygne, River Deep - Mountain High de Ike et Tina Turner. Ce coup-ci Ike s'est contenté de fournir Tina. Le titre de trop, celui que la profession ne lui pardonnera pas. Les imbéciles qui citent Good Vibrations des Beach Boys comme point ultime de l'enregistrement rock, peuvent se rhabiller. Faut pas confondre une inondation avec un tsunami. River Deep – Mountain High est une avalanche de beauté, une ovnilanche de stupeur, le genre de truc qui vous tombe sur le coin du museau et vous empêche de l'ouvrir pour le restant de vos jours. Même Mick Brown notre auteur qui est des plus favorables à Phil Spector ne comprend rien à la génialité de cette fulgurance.

 

INCOMPREHENSION

 

Devant tant d'ingratitude du milieu pro et d'incompréhension de la part du public Phil Spector se retire. Que peut-il espérer de mieux ? Il lui faut un monstre de la taille d'Elvis Presley. Qui l'ignore. Se contentera des Beatles. Sauvera les bandes de Let it be, l'album que les Beatles en pleine crise avaient laissé tomber. Peu après il s'occupera du Plastic Ono Band et en 1974 de l'album Rock'n'roll de John Lennon.

 

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Mais Spector est devenu invivable, Lennon retournera à Londres terminer son oeuvre hommagial aux héros de son adolescence Gene Vincent et Buddy Holly ( encore lui ! ). Spector s'enferme dans sa parano-mégalomaniaque et sa bi-polarité schizophrénique. Toute sa vie il fut un solitaire, incapable d'établir une véritable relation humaine avec quiconque. Sa possessivité maladive lui interdit d'avoir un semblant de complicité amoureuse avec une femme. A plus forte raison, la sienne. Toute amitié dans laquelle il essaie de s'impliquer tourne vite au rapport de force. Il blesse systématiquement ceux qui lui sont les plus attachés.

 

La mort de son fils âgé de neuf ans le précipite dans l'alcool. Il n'est plus qu'une légende qui a mal vieilli. Enfermé dans une somptueuse demeure, entouré de ses gardes du corps, recouvert de perruques et de chemises à jabots de dentelles, il n'est plus qu'un has been décati qui ne jure que par la puissance de sa fortune.

 

N'est pas un monstre sans coeur ni courage. Sera le seul à défendre Lenny Bruce, le fantaisiste ( le mot pourfendeur conviendrait mieux ) américain qui durant les années cinquante et soixante dénonce la morale américaine et les vertueuses hypocrisies d'une société tournée vers le seul culte de l'argent. Alors que Lenny se retrouve sur la liste noire du FBI et de la CIA, Spector éditera ses disques et lui apportera aide morale et soutien financier. Sans compter, ce qui est très rare chez lui. Se chargera même de son enterrement et du discours mortuaire.

 

BOUQUET FINAL

 

Mais cet homme qui ne fut jamais heureux ne pouvait finir dans une lente décrépitude annoncée. Choisit une sortie très rock'n'roll. A son corps défendant. Surtout celui de Lana Clarkson, actrice hollywoodienne sur le retour retrouvée morte chez Phil Spector, d'une balle dans la bouche... Malgré ses millions de dollars, Phil Spector fut déclaré coupable de meurtre. Faut dire que quatre de ses anciennes liaisons témoignèrent d'avoir été menacée dans des circonstances similaires... Après cinq ans d'échappatoires diverses et deux procès, Phil Spector voit le 2 mai 2011 son jugement confirmé. Il devra purger une peine incompressible de dix-neuf ans de prisons.

 

Peu de chance d'en ressortir vivant, et pire que tout, même pas l'espoir que Johnny Cash vienne donner un concert.

 

Damie Chad.

 

PS : Au-delà de la poignée de hits que reste-t-il aujourd'hui de Phil Spector alors que les techniques d'enregistrement ont tellement progressé ? Une attitude rock'n'roll star, serais-je tenté de répondre. Il fut un homme certes détestable, infatué de lui-même, mais il a tracé un chemin, somme toute méritoire. Le rock'n'roll n'est pas un dîner de gala.

 

 

 

 

 

KRONIKROCK

 

RADIO EDIT. { 01 ]

 

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DJ BERU. FAMILY BUSINESS featurin' TOM CHARLES. NEIRDA. SISTA M. JMDEA-BEAT. CRIL SANS €. LUCIEN & NEIRDA. SYLPHONICS. DOVE M.L.E.H. CANDY. PEUCH.

 

Première production des Disques d'en Face ( www.denface.com ), une structure mixte coachée par Tony Fontaine et Julien Legrand à activités multiples, enregistrements, concerts, conseils, radio... fondée au mois d'avril de cette année 2011.

 

Radio Edit est leur première création d'envergure un CD compilation de 15 titres de onze participants réunis pour donner «  une vision éclectique de la musique électronique actuelle » .

 

Agréable à écouter, mais nous sommes loin du rock'n'roll, unité de ton malgré le mélange des genres, phrasé rap ou rock, musique orientale, funk doux, boîtes à rythmes, paroles ironiques, touches de house, jamais méchant, tonique et toujours pétillant.

 

S'il fallait définir l'ensemble du disque je le qualifierais de jazz moderne, à chaque morceau l'on entre dans des phases répétitives plus ou moins longues qui se succèdent comme une série de lied-motives habilement agencés. Mais il saute à l'oreille que l'imperturbabilité de la machine a remplacé la maîtrise de l'instrument.

 

Générationnellement très différent que ce que chez KR'TNT nous attendons de la musique. Ici elle agit en tant que transe hypnotique et vise à une certaine impersonnalité. Nous pouvons nous y glisser à l'intérieur et nous laisser emporter. Mais si nous préférons le rock c'est parce qu'il fabrique des héros qui nous ressemblent. Préférons être sur le devant de la scène que dans le bruit de fond de l'Histoire.

 

Réservé à ceux qui écoutent les musiques défendues par la revue Elégy présentée dans notre livraison précédente.

 

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DAMIE CHAD.