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07/12/2016

KR'TNT ! ¤ 306 : KADAVAR / AIRPLANE / THE ACCIDENT / POGO CAR CRASH CONTROL / RON HAYDOCK / MYSTERY TRAIN / VIRGINIE DESPENTES / LONGUEUR D'ONDES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 306

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

08 / 12 / 2016

KADAVAR / AIRPLANE / THE ACCIDENT

/ POGO CAR CRASH CONTOL /

RON HAYDOCK / MYSTERY TRAIN /

VIRGINIE DESPENTES / LONGUEUR D'ONDES

Kadavar n’est pas avare

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Oh la la ! D’où sortent-ils, ces trois-là ?
Ces trois Allemands pourraient très bien sortir des bois. César et ses légions ont vu exactement les mêmes voici plusieurs siècles, lorsqu’ils tentèrent en vain de pacifier les hordes barbares des frontières du Nord. Miraculeusement, les Allemands et les Scandinaves ont su garder ces dégaines de bêtes sauvages qui remontent à la nuit des temps.

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Les trois Kadavar affichent le look barbare pur et dur, avec ce que les Anglais appellent le big facial hair, c’est-à-dire une barbe de cinquante centimètres et une tignasse qui ne descend pas jusqu’aux genoux, mais presque. Ce look fit pas mal d’adeptes en Angleterre dans les années soixante-dix : rappelez-vous d’Edgar Broughton et de son frère Steve. En France aussi. Ce fut une époque où on aimait bien faire le freak au lycée, histoire de se démarquer des beaufs à lunettes. Une époque où on adorait sentir les mèches de cheveux gras et sales nous fouetter le visage quand on circulait en deux roues. C’était avant les casques et les contrôles d’alcoolémie. Ceux qui avaient les moyens pileux de se laisser pousser une barbe se plaignaient que les filles fussent trop chatouilleuses. On notait aussi la présence de déchets alimentaires dans les barbes, ce qui ne manquait pas de déclencher de fantastiques parties de rigolade.

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Mais quand on a la chance de voir un groupe comme Kadavar sur scène, on oublie vite les misérables histoires de look. Car dès qu’ils commencent à jouer, il se passe quelque chose de spécial. Les appréhensions s’envolent d’un seul coup. Ces trois mecs tapent tout simplement dans la magie noire du premier album de Black Sabbath, l’un des plus beaux albums de l’histoire du rock anglais.
C’est avec cet album qu’Ozzy et ses amis créèrent un monde nouveau. À ce moment-là, il n’existait rien de comparable en Angleterre. Ce fut un coup de maître, car ce disque dégageait une atmosphère capiteuse et ne contenait aucun déchet. Il fut à Sabbath ce que le premier album des Ramones fut aux Ramones : un disque absolument parfait et insurpassable. Sabbath comme les Ramones passeront toute leur vie à tenter d’égaler la perfection de leur premier disque sans jamais y parvenir. Oh ils feront d’autres très bons albums, mais jamais aussi magistraux que leurs premiers coups de Trafalgar. Led Zep connaîtra le même destin : une suite de bons albums, mais rien d’aussi définitif que Led Zep 1, surtout à l’époque où il est paru, en 1968. Cet album rendit dingue plus d’un petit lapin blanc.

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Et si Kadavar accroche dès les premières mesures du set, c’est tout simplement parce qu’ils viennent de ce manoir hanté qu’on aperçoit derrière les arbres mauves, sur la pochette de Black Sabbath, un album devenu mythique par la force des choses. Les journalistes anglais ont toujours voulu classer cet album dans le hard rock, alors que ça n’avait rien à voir. Ce premier album était un album de heavy rock anglais absolument parfait, comme le sont ceux d’Atomic Rooster et plus tard de Motörhead que ces mêmes journalistes traitaient de hard-rockers, ce qui ne manquait pas d’agacer profondément Lemmy. Il passa sa vie à répéter à ces cloches de journalistes qu’il ne jouait que du rock’n’roll et rien d’autre. Pas d’interprétation hâtive, s’il vous plaît. Commencez par écouter les disques.

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Au-delà des clichés, Kadavar c’est d’abord un son. Et trois mecs qui sont contents de jouer. Ça se sent ! Il suffit de voir le batteur : pendant tout le set, il joue les bras et les cheveux en l’air. Il est à la fois explosé et explosif. Complètement extraverti. C’est un batteur qui nage dans le bonheur du son et qui fournit le plus heavy des fuckin’ beats qu’on ait vu ici bas. Le bonheur d’un musicien est quelque chose de terriblement communicatif, n’avez-vous pas remarqué ? De l’autre côté, le bassman fait son job, et si ses cheveux ne volent pas, c’est sans doute parce qu’il en a moins que ses collègues et qu’il se concentre sur ses drives tarabiscotés. Quant au leader Lupus Lindermann, il chante et joue sur une SG blanche. C’est un mec pas très haut et plutôt fluet, mais il a cette dégaine derrière son micro qui fait un peu penser à Dickie Peterson. Il joue avec une sorte de prestance, une jambe bien raide et l’autre en mouvement pendant les couplets, et puis soudain, il saute en arrière et claque le beignet d’un riff pour faire jaillir un ouragan de son. Très spectaculaire, d’autant que ses cheveux se mettent à flotter comme ceux de son copain batteur. Ces mecs sont dans leur son et ils nous convient tout simplement à partager leur festin de son dyonisiaque. À ce degré d’intensité et de véracité, c’est bien sûr un honneur. Black Sabbath et Blue Cheer, c’est pas mal comme influences, non ?

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Ils sont tellement bons que le set ne traverse pas les points bas habituels, souvent imaginés par les groupes eux-mêmes pour scénariser un final digne de ce nom. Ça ne semble pas être le cas de Kadavar qui n’est pas avare, puisqu’ils maintiennent pendant un peu plus d’une heure un niveau d’incandescence permanent. Mais ils vont en plus terminer avec un final éblouissant : ils tapent dans l’intapable, l’un des rares cuts que personne n’a jamais osé reprendre, à part les Pretty Things : «Helter Skelter». Eh oui, Lupus gratte le motif d’intro, et on retient son souffle... Va-t-il grimper dans la folie comme McCartney ? Oui, il en screame une prodigieuse équivalence, les voilà au sommet de leur art avec une explosion combinée de cheveux et de son, sur l’un des fleurons de l’histoire du rock.
Mais ne cherchez pas cette reprise sur les albums de Kadavar. La petite blonde qui tenait le mersh expliquait que le groupe ne jouait «Helter Skelter» que sur scène.

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Leur premier album sobrement titré Kadavar est paru en 2011. Il est bien sûr destiné aux amateurs de son gras et de psyché à la petite semaine. On y retrouve la lourde mélasse du premier Sab et de jolis départs en solo. C’est le heavy rock des seventies, celui que tout le monde semble redécouvrir aujourd’hui. Lupus Lindermann n’a pas vraiment de voix, mais comme Ozzy, il dispose de l’essentiel : une vraie présence. Les guitaristes se régaleront de «Forgotten Past» monté sur un riffage irrégulier, sans doute parmi les plus difficiles à jouer. On retrouve dans ce cut les échos du morceau titre de ce fatidique premier album de Sab, cette mélodie chant ensorcelante qui peuplait si bien la nuit. «Godness of Dawn» semble aussi sortir de cet ancien disque qui du coup joue le rôle d’un grimoire pour les nouveaux venus. En B se niche «Purple Sage», joliment emmené au beat à cloche, bien pulsé. C’est leur hit. Des spoutnicks traversent le ciel et ça sonne comme du Hawkwind. C’est chanté à deux niveaux de chat perché et ça vire à la mad psyché enchanteresse, constellée de notes étoilées. Envoûtement garanti. Ils dégagent là quelque chose de spécial, un vrai fumet païen, ça sent le corps de garde, le psyché poilu qui sort d’une caverne l’air hagard. En tintant dans le binarisme, le petit rebondi de clochette fait la grandeur du cut.

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On retrouve le même son sur leur deuxième album, l’ineffable Abra Kadavar paru deux ans plus tard. Nos trois amis chevelus s’amusent comme des petits fous, avec leurs riffs et tout le tralala. Nous voilà de retour au manoir hanté du premier Sab. Avec «Eye Of The Storm», ils passent au stomp à l’Anglaise, ce vieux stomp qui nous rappelle de si bons souvenirs. On nage dans le gras. Il faut beaucoup de courage et surtout de l’abnégation pour renouer avec un son vieux de quarante ans. En B, on se régalera d’un très beau «Fire» gorgé de son, comme d’ailleurs tout le reste de l’album. Ils flirtent ici avec Jethro Tull. La dimension épique finit par l’emporter et par convaincre. Et puis avec «Liquid Dream», ils nous proposent un son psyché tourbillonnant de la meilleure catégorie. Mais on sent bien qu’ils cèdent un peu facilement aux tentations qui fomentent le complot du genre. Ils terminent ce bel album avec un morceau titre groové au rock psyché, et on note la permanence de la prestance.

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La petite gonzesse qui orne la pochette du double album Berlin rappelle un peu celle qu’on trouve sur la pochette du Green Mind de Dino. On retrouve l’apanage du gros son dès «Lord Of The Sky». Ces trois mecs sont vraiment restés bloqués en 1972, un temps où le son coulait comme une rivière de miel à travers la vallée enchantée. Lupus joue comme un enragé. Back to Sab avec «Last Living Dinosaur», mêmes accents de voix perchée, même écho du temps, même mélasse progressive de Birmingham, même excellence de la stature. Lupus et ses copains réinventent le vieux monde. En B, Lupus claque «Filthy lllusion» à l’honnête riffing d’Humble Pie de pie d’apple de people together outrageously, oui, c’est solide et bien balancé, voilà encore un cut qui réchauffe le cœur. Et le «Pale Blues Eyes» qui suit n’est pas celui du Velvet, non, ils vont plus sur Hendrix, car ça wha-whate sec dans la marmite de cassoulet. Ces mecs-là ne réinventent pas le fil à couper le beurre, mais ils charbonnent bien la ferronnerie. On retrouve leur fabuleuse énergie scénique dans «Stolen Dreams». Si on les admire, c’est sans doute pour la bienveillance qu’ils montrent à l’égard du vieux rock des seventies. Ils lui redonnent vie. Ils en remplissent leurs trois albums sans jamais céder à la facilité, pas de balade inepte comme chez Aerosmith, pas la moindre trace de filler puant comme sur le deuxième album de Hard Stuff. Lupus se régale quand il part en solo, le plaisir le dévore de l’intérieur, ça se sent, ce mec est un fan de Sab à l’état le plus pur. En donnant une suite au premier Sab, il balance une pierre blanche dans la gueule de Dieu.
Sur le disk 2, «The Old Man» sonne comme un cut de Jethro Tull, dans l’esprit du chant. On croirait vraiment entendre Jon Anderson nous raconter la sombre histoire d’Aqualung. Mais les choses s’étiolent un peu sur la distance, ce qui paraît normal. Il faut un sacré répondant pour remplir un double album. Tout le monde n’est pas Jimi Hendrix, Dylan ou les Beatles. On écoute la dernière face nonchalamment, et certains cuts comme «Into The Night» réveillent les bons souvenirs du concert. C’est déjà pas mal.

Signé : Cazengler, cas dada

Kadavar. au 106. Rouen ( 76 ). 29 octobre 2016.

Kadavar. Kadavar. This Charming Man Records 2011
Kadavar. Abra Kadavar. This Charming Man Records 2013
Kadavar. Berlin. Nuclear Beast 2015

 

03 / 12 / 2016
MAGNY-LE-HONGRE / FILE 7


AIRPLANE / THE ACCIDENT
POGO CAR CRASH CONTROL

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Magnez-vous les eunuques, on file sec, le devoir nous appelle. Personne ne répond à part la teuf-teuf toujours prête à la moindre cavalcade rock'n'rollienne. Pas très joli le paysage, châtré de toute fantaisie, une interminable rue toute droite, qui n'en finit pas, bordée de maisons blanches bêtement unidimensionnelles, des guirlandes de Noël blanches et bleues en accord avec l'atmosphère glacée, l'on a l'impression de traverser un faux paysage de matière plastique. Magny n'est guère magnétique, l'est vrai que le patelin est niché contre Serris, tout près du Parc Walt Disney. Cet abcès putride de sous-culture américaine destinée à pomper le fric des masses populaires abêties par des années de soirées canapés avachies devant les ignominieux borborygmes de la télévision-réalité.
La teuf-teuf déniche une place toute seule comme une grande devant la Maison des Associations, symboliquement coincée entre un supermarché et une Eglise. Une vie à consommer, et un dernier réconfort avant le cimetière. Tout est prévu. Contrairement à que ces amers propos préliminaires le laisseraient présager je ne suis pas en dépression. Point du tout. J'ai le coeur chaud comme de la braise ardente. Ne me suis pas aventuré en cette morne plaine par hasard, Pogo Car Crash Control est de concert, et je suis de cette race impie prête à traverser de long en large les pires ZAD ( Zones Architecturales à Détruire ) pour répondre à l'appel du rock'n'roll.
File 7, c'est d'abord une Association qui fait partie du Réseau Musiques Actuelles (et Amplifiées ), qui gère salle de spectacle, studio d'enregistrement mis à disposition, et programmation large et variée. Un peu trop grand public et à la mode, à notre goût, mais ce soir, c'est la soirée Scène Locale, ce qui explique une sélection relativement axée sur le rock and roll, et cette pépite d'or finale que sont ces pogos incontrôlés.
Belle salle, grande scène, un bar au fond, somptueuses consoles pour le son et les éclairages. Un seul regret, l'altimètre sonore qui affiche le nombre de décibels – cette société hypocrite qui s'inquiète de mes facultés auditives tout en laissant des milliers de personnes dormir dehors par ces temps de glaciales froidures m'horripile...

THE AIRPLANE

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C'est beau comme de la musique classique. Pas pour rien que le guitariste s'en vient de temps en temps taquiner son clavier. N'ai rien contre. Mais rien pour, non plus. C'est le groupe local chouchouté par File 7. Ce n'est pas moi qui l'affirme, c'est écrit sur la présentation du concert. De la belle ouvrage. Des gars sérieux. Me souviens des temps anciens lorsqu'on emmenait les copines dans nos chambres d'étudiants pour leur faire comprendre que Genesis et Yes ce n'étaient pas tout à fait du rock'n'roll. On leur passait Johnny Winter, Canned Heat, Steppenwolf et autres gourmandises par trop juteuses... Mais revenons à notre avion. N'a pas encore décollé. Sont tous les quatre immobiles dans la pénombre, prêts à démarrer sur les chapeaux de roue du train d'atterrissage mais ils attendent le moment idoine. Laissent se dérouler la bande-son, mélodramatique et shakespearienne, vous met tout de suite dans l'ambiance, grandiose et grandiloquente, et hop, comme un seul homme, tous les quatre s'imbriquent dans le générique... envol réussi, aucune secousse ressentie, même pas ce léger et ultra bref malaise qui vous traverse lorsque vous ressentez que la carlingue ne repose plus sur la croûte terrestre mais flotte par le miracle de la technique sur la légèreté de l'air.

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Free World, Walk On, deux grand grands morceaux, deux courtes symphonies, qui vous emportent loin. Vous survolez de paisibles et sereines contrées d'herbes verdoyantes et de rivières méandreuses, mais parfois se présentent de fiers massifs vertigineux aux parois hérissées de glaces et de monstrueuses araignées géantes tentent de précipiter d'un coup de leur horribles pattes votre appareil dans leurs sombres repaires, c'est alors que la musique s'accélère, ou plus exactement qu'elle s'amplifie et gagne en puissance. Mais le danger passé de justesse, la plénitude envahit le coeur des voyageurs. Rien n'arrêtera la course de nos hardis voyageurs. Reçoivent de la terre ces renforts sonores d'ondes porteuses et technologiques qui les entraînent et les poussent en avant. If The Sun, Lazy permettent à Joris de nous emporter toujours plus haut, toujours plus loin, monte vers le haut de sa guitare et émet des notes cristallines de toute splendeur. L'on sent comme du recueillement chez ses collègues qui modulent en sourdine, en veilleuse pour ne pas déranger les spectateurs de leurs songeries intérieures. Visages sérieux de l'assistance – l'on a l'impression que des extra-terrestres sont en train de leur communiquer des nouvelles ultra-importantes sur les secrets de l'Univers – j'en souris, mais point trop, Arthur possède une belle voix qui se fond parfaitement avec l'instrumentation, l'est au diapason de l'ambiance veloutée.

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Nous emmènent loin, Future, Goodbye, sont comme les passagers de 2001 Odyssée de l'Espace, sont à des milliers d'années lumières de nous, sont en train de dépasser les limites du temps, accèdent aux arcanes du passé, du présent et du futur. Astronomy Domine conceptualisait Pink Floyd en ses débuts. Repoussent les frontières, passent les limites du big bang, nous envoient des messages chiffrés, DXHN, difficiles à décrypter, impossibles à comprendre, mais tout de même envoûtants. Silence absolu dans la salle. Tout le monde est ravi d'être submergé et dépassé par la majesté de ces signaux venus des océaniques splendeurs éthériques de l'outre-monde. N'y a que moi, sur mon matelas pneumatique de survie qui avec mon air goguenard doit ressembler au vilain petit canard sur la marre du scepticisme rock and rollien.
Font leurs adieux. Arthur nous présente ses remerciements et annonce le dernier morceau. Malgré son petit chapeau tout plat, l'a l'onction d'un prêtre qui vous apprend que la cérémonie sera d'ici peu terminée, que la divinité déjà s'éloigne, et ne sait quand elle reviendra. Grey accentue la lente lourdeur déclamatoire de sa basse et Alex nous englobe sous de majestueux roulements qui n'en finissent plus de se répercuter sur les murs. Avec leurs casques sur leurs têtes, qui leur donnent un air d'aviateur du temps des pionniers, donnent l'impression d'un équipage fou qui s'enfonce à tout jamais dans la béance de l'ultime trou noir de l'espace temps. Une espèce de remake de Robur le Conquérant en diaporama phonique du meilleur effet.
Ne sont plus là. Ovations triomphales de la salle. Beaucoup sont venus pour eux et disparaîtront dans l'interset, remplacés par une vague de nouveaux arrivants beaucoup plus jeunes. Sympathiques, pas du tout bégueules pour un quart de demi-sou. Propagent une musique que l'on pourrait qualifier de sérieuse sans se prendre pour des cas d'or. Ont réussi leur prestation. Pas tout à fait ma tasse de bourbon. Me manque le scorpion qui nage dans la bouteille...

THE ACCIDENT

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Attention un vélo peut en cacher un autre. Ne l'ai pas vu venir. M'a roulé dessus sans que je m'en aperçoive. Pour ma défense je peux alléguer que ce samedi soir du 26 mars 2016, les larmes d'un effroyable rhume obstruaient quelque peu mon champ de vision et peut-être même embrumaient-elles mon cerveau. J'étais dans le flou artistique. Ce n'est qu'au moment d'écrire cet article que ma raison raisonnante a provoqué le déclic salvateur. Une réminiscence platonicienne. Peut-être n'avez-vous rien compris et vous demandez-vous pourquoi Platon traverse cette épic chronic en bicyclette. Vous explique, permettez-moi d'éclairer votre catadioptre. The Accident est un groupe, et peut-être mieux un projet, formé par Patrick Biyick à la suite d'un accident de vélocipède... ( cf notre livraison 275 ) Et c'est bien lui que j'ai déjà vu ce dernier printemps à la date ci-dessus...
N'ai reconnu personne du groupe. Peut-être ont-ils changé, d'autant plus que le son n'est plus le même. Patrick Biyick lui-même s'est métamorphosé. Ne renfonce point son visage sous une capuche rouge. N'est plus obnubilé par son micro, n'a plus cet effort de verbalisation syncopale de ces textes qui le forçait à une certaine immobilité alors que ce soir entre deux couplets il saute comme un cabri enragé. L'a un méchant guitariste méchamment rock. Filez-lui un riff et il en sculpte une armature de fer irradiante, un cheval de frise en acier chromé que manufacturerait avec joie tout groupe de hard qui se respecte. D'ailleurs le premier morceau APE Living Free opère une salutaire coupure avec The Airplane. Le gros rythme binaire du bon vieux rock revient patauger de ses deux Pataugas en peau d'iguane dans l'antique boue du delta. Mais ça ne durera pas. Dès les deux titres suivants, Cri de Guerre et La loi du Marché, l'on comprend que l'on est dans une autre démarche. Les textes sont aussi importants que la musique. Et celle-ci n'est peut-être que le vecteur nécessaire à leur lancement. Sont comme des crachats à la face du système coercitif qui emprisonne et empoisonne les existences. Ce qui n'exclut pas une certaine jubilation qui s'épanouit en humour noir dévastateur. Jusqu'ici Tout va Bien, ce qui est sûr c'est que ça ne va pas continuer même si l'on est Trop Jeune pour Mourir.

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S'est vite débarrassé de son T-shirt, arbore un sourire ravageur et un torse musculeux qui a dû ravir les demoiselles. Sait communiquer avec le public et le faire réagir au quart de tour. Pose des questions et n'attend la réponse que pour vous renvoyer la balle. Débite ses lyrics à toute vitesse, ne cherche pas l'esbroufe mais une fois terminé rajoute un petit commentaire pour montrer qu'il a encore du souffle et qu'il pourrait continuer. Mais l'instant du déchaînement dionysiaque est venu et il tourne sur la scène de plus en plus vite pendant que derrière l'orchestre accélère. Et puis hip hop ! une deuxième rasade de texte immédiatement suivie d'un tourbillon bondissant. Incarne la joie de Vivre, cette allégresse vertigineuse qui vous saisit pour la simple raison que vous respirez.
L'a la salle dans la main, lui fait entonner le plus insipide des refrains La, La, La et tout le monde s'exécute sans rechigner et reprend en choeur a capella. S'y colle dessus, et le band le suit. Morceau un peu faiblard toutefois, trop facile, avis personnel qui ne semble pas coïncider avec l'ensemble de l'assistance. Le dernier titre remet la pression, la guitare reprend son rôle d'instrument reine du roick and roll, et sonne le la(minoir) des forges incandescentes. Sortent sous une salve d'applaudissements.

POGO CAR CRASH CONTROL

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Noir total. Des guitares qui gisent par terre. Silence et une bande qui tourne. Minimale, une basse qui s'acharne sur une note comme l'insecte en colère qui tente de traverser la vitre qui l'isole de la complétude du monde. Quatre ombres qui entrent, sous les cris, et s'en vont prendre leur place. Eclair de lumière, sont déjà en train de ceindre les sangles et de se poster derrière les fûts. Pas de temps à perdre. L'aprockalypse arrive sans attendre d'être annoncée. Aucune vaticination ne saurait y surseoir. Un râle de caisse claire et c'est parti pour le voyage au bout de la nuit. Celle qui n'est point suivie d'aube lumineuse. Louis tapi, dans l'ombre on ne le verra pratiquement pas, à peine un bras qui surgit tel un geste d'adieu, semblable à celui du Maître inférant le tumulte de l'Océan du fond d'un naufrage mallarméen, indiquant le nombre fatal du chiffre de la démesure outrancière du rock and roll. Simon frotte sa guitare sur le micro, tel le lion qui pousse son mufle sanglant dans l'entrejambe de sa femelle. Le rock est tissé de ses rubans métalliques qui percent les tympans, pris d'une rage soudaine de berserker en furie il monte à l'assaut du piédestal de la batterie et s'écroule dans les toms tandis que ses cordes glapissent comme des cris de haine. Nous n'en sommes qu'au deuxième morceau et déjà les fils du kaos brisent leurs chaînes. Royaume de la douleur, Paroles M'assoment, Hypothèse Mort, se succèdent comme un syllogisme de l'amertume cioranesque. Olivier ne chante pas, il scande les épines de l'adolescence humaine. L'est le fou dans le cabanon, qui tape à poings fermés sur les murs, à qui personne n'ose plus apporter à manger, se nourrit du sang de sa propre colère, il écrase les mots, les uns contre les autres, les mord à pleine bouche, à pleine dents, les brise comme des os pour que la substantifique moelle de la révolte vous abreuve de ses pâles fureurs. Lola, seul photon de lumière noire dans la tourmente, gracile d'apparence, mais la corne de sa basse qui imite la courbe de la hallebarde des lansquenets est engoncée entre ses seins comme une menace d'auto-destruction et ses minimalistes gestes des mains redessinent l'espace sonore pour précipiter le désastre de l'auto-destruction instinctive de ceux qui ne veulent toucher qu'à la beauté sauvage et rimbaldienne du monde. Tout Gâcher, Je Suis un Crétin, il est des dépressions auto-punitives qui se traduisent par une hargne, par une rage, qui vous induit à retourner le couteau du rock contre vous-même pour que la blessure se transforme en exaltation indienne, danse de sioux à l'esprit du soleil noir des alchimistes. Pogo Car Crash ne contrôle plus rien, l'électricité déferle sur vous, vous arrache une par une les écailles de l'expérience de tous vos échecs accumulés. Public tout contre la scène, visages extatiques, vous savez que vous vivez un de ces instants magiques qui vous rapte, vous offre l'accès à un champ infini de condensation énergétique hors du commun. Consensuel, Restons-en là, Je perds mon Temps, le temps du dépit, le monde est trop petit pour ceux qui aspirent aux fièvres purpurales des passions délirantes. Le rythme s'accélère, Conseil, sur quel titre Olivier rompt-il un câble, je ne sais plus, court de jack en jack mais la pression ne décroît pas d'un iota le temps que, retiré au fond de la scène il répare les dégâts, Simon en profite pour envoyer des riffs torpilles tandis que Louis et Lola tracent des gerbes d'écume, ne s'est pas écoulé que deux minutes que la saison en enfer continue, Crash Test, Crève, les deux derniers titres immolés sans pitié, les jouent avec une intensité égale, ni plus vite, ni plus fort, mais davantage en pointe, une horde barbare qui emporte tout sur son passage, roulent à tombeau ouvert en un continuel rictus de jouissance, nous balancent tous les résidus ectoplasmiques du rock'n'roll, le mythe et la présence, le cri qui tue et l'instant qui se détraque, la fulgurance et la jeunesse éternelle qui pousse le chant du cygne éternellement recommencé. Olivier qui scie et strie sa guitare, Lola dans le pâle halo de sa blondeur lacère sa basse, Louis nous éblouit l'ouïe de ses raquèlements reptatifs, Simon déchaîné dans son jus électrique, tout cela s'arrête et quitte la scène sans un mot. Une tornade qui s'éloigne et vous laisse pantelant d'avoir trop crié et hurlé. Va falloir se réhabituer à faire semblant de vivre.

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RETOUR AU REEL


J'étais venu pour Pogo Car Crash Control. Les deux autres groupes n'ont pas été mauvais, mais ils ne s'inscrivent guère dans la généalogie rock que je vénère. Un peu inquiet. Il y a quinze jours j'avais été plus que surpris ( et emballé ) de la qualité de leur set. Etait-ce un coup de chance, un concert exceptionnel comme l'on n' en fait qu'un dans toute sa vie ? Parfois les dieux descendent et vous influent une énergie que vous ne retrouverez plus jamais. J'osais espérer que ce serait aussi bon. Ce fut bien meilleur. Plus sec, plus nerveux, plus intense. Une simplicité classieuse. Du pure electric rock'n'roll. Une merveille. A ne pas quitter des yeux.

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( Photos : FB des artistes, ne correspondent pas à cette soirée )


Damie Chad.

SOUNDS LIKE RON HAYDOCK
99 CHICKS / BE-BOP-A JEAN / ROLLIN' DANNY / CAT MAN
EP -043 / NORTON RECORDS


99 Chiks : sonne un peu comme le Rocky road Bbues de Vincent, un piano fou qui file droit, mais la voix de Ron trop grave n'a pas la flexibilité si particulière qui lui permettrait de rouler aussi vite que le bastringue. Be-Bop-A-Jean : une resucée de ce que vous savez, étrangement dans l'intonation vous retrouvez comme un lointain écho de Buddy Holly. Rollin' Dany : des quatre titres c'est celui qui colle le mieux à son modèle, même si l'orchestration préfigure le son très sixty de l'album Crazy Times. lui manque cette touche de génie que l'on appelle la réappropriation. Cat Man : s'attaque à un gros morceau. Un des titres les plus inquiétants du répertoire. Ron Haydock évite l'erreur de vouloir rendre la violence contenue de l'original. En accélère le tempo, lui donne un petit air de mariachis mexicains – je sens que je vais me faire insulter – les roulements percussifs ne sont pas sans rappeler l'atmosphère de Havana Moon de Chuck Berry.

Pris d'un doute suis parti sur You Tube, j'ai l'impression que les versions sorties d'autres enregistrements que de cet EP sonnent parfois mieux. Un son plus ramassé, plus fort. La version de Cat Man possède en outre l'avantage d'être illustré par des images de comix d'époque. Ne manquez pas non plus son Rock Man ( tribute to Gene Vincent ) dans lequel Ron a su poser le timbre plutôt grave de sa voix sur une orchestration rythmiquement très resserrée.

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L'avais pris pour la pochette, une transposition de Sounds Like Gene Vincent. Je ne connaissais pas, un petit rockabilly man comme il y en a eu des centaines pensai-je – des gars qui ont gravé deux titres géniaux et qui se sont éloignés des radars, l'on ne sait pas trop pourquoi, la faute à pas de chance, à manque de promotion, ou à la jeunesse qui se termine en queue de poisson, mariage, gosses, turbin, exunt les rêves de gloire.
En fait pas du tout. Ron Haydock est à classer entre Gene Vincent et les Cramps, une vie éminent rock'n'roll, au piment de Cayenne du commencement à la fin, un scénario de film. Le début, naît le 17 avril 1940 – vingt ans jour pour jour avant la mort d'Eddie Cochran – et sera enterré en 1977, le jour même de la disparition d'Elvis. Meurt sur une bretelle de sortie de la mythique Road 66, sur laquelle il déambulait à pieds.
Reçut sa première commotion électrique lors de la sortie de La Blonde et Moi en 1956. Dès 1959, à la tête de son groupe Ron Haydock and the Boppers, fondé l'année précédente, il enregistre une poignée de singles chez Cha Cha Records, apparaîtra aussi dans une des émissions culte d'un certain Lux Interior. Le rock'n'roll n'est toutefois qu'une passion adjacente, dévastatrice certes, mais il est avant tout un fan de comics. Désolé, ce n'est pas un adepte de la ligne claire, préfère les noirceurs pulpeuses, l'est attiré par le wild side, les serial killers and the hot erotic practices... après diverses collaborations à plusieurs organes de la presse spécialisée en ses croustillantes matières il finit par monter sa propre revue Fantastic Monsters of the Films. Publie aussi des nouvelles sous le nom de Don Sheppard notamment Scarlet Virgin au titre prometteur. Rédigera sous le pseudonyme de Vin Saxon plusieurs ouvrages pornographiques pour adultes ( que les enfants, allez savoir pourquoi, s'empressent de lire ), Pagan Lesbians, Unatural Desires, Erotic Executives, des titres qui vous mettent l'eau et le foutre à la bouche. Sera aussi un collaborateur de Creepy le magazine de James Waren. S'est adonné au cinéma en tant que scénariste et acteur in Rat Pfink qui eut son heure de gloire.

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Disparaîtra à 37 ans, pratiquement à l'âge de son héros Gene Vincent. Une vie mouvementée. Sex, rock and horror, il semblerait que la folie dépressive s'en soit aussi venue frapper à plusieurs reprises à la porte de l'esprit de cet activiste culturel de haut vol et de basses oeuvres. Un héros populaire.

Damie Chad


P.S. 1 : Merci à Woodyanders et à sa mini-biographie de Ron sur imbd.com
P.S. 2 : l'existe aussi chez Norton un CD : 99 Chicks ( CED 247 ) qui regroupe une grande partie des enregistrements de Ron Haydock, mais les versions des deux derniers morceaux de ce 45 T, sont inédites.

MYSTERY TRAIN


S'agit du premier groupe d'Hervé Loison beaucoup plus connu sous les appellations de Hot Chickens, de Jacke Calypso, et de Wild Boogie Combo. L'on ne présente plus, vous savez tout le bien qu'en pensent les amateurs de rockabilly. Quelqu'un qui bouge les murs de l'intérieur en ressuscitant la folie originelle.

MYSTERY TRAIN
DRIVES UP TO THE MOON / MILKCOW ROCK
LOVELY LOLA / BUTCHER'S STROLL
EAGLES RECORDS EA-R 95051 /1995

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Drives up to the Moon : départ en trombe, éruptif à la Sromboli, après le pont l'a dû être atteint d'une thrombose du cerveau, ricane à lui tout seul comme l'ensemble des pensionnaires de l'asile des fous de la région. Avant de l'enfermer définitivement laissez-le un peu tourner en rond, en toute liberté sur votre pick up. Cela vous fera du bien. Milkcow Rock : les ruminants dans la grande prairie, il y a bien une vache folle qui yodelle comme un cow-boy ivre dans le saloon, mais dans l'ensemble nous classerons cela dans le registre évocation country. Un peu déjantée, nous l'admettons, puisque vous n'insistez pas. Lovely Lola : l'est dans tous états l'Hervé, la miss Lola lui fait un effet boeuf, enfin taureau spermateux au bord de l'embolie sexuelle. Quant aux accompagnateurs sont dans le même état, screament de toutes leurs forces comme sur un disque de Gene Vincent. Butcher's Stroll : instrumental, rien de déchirant mais pour montrer que l'on sait le faire. Vous retrouvez ce son sur certaines démos d'Eddie Cochran.


MYSTERY TRAIN
TRENAGERS INVASION
BAD GIRLS PARTY / I LIKE TO ROCK, I LIKE TO BOP
COTTONPICKIN' / TEENAGERS INVASION
EAGLES RECORDS EA-R 95052 / 1996

 

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Bad Girls Party : faudrait lui interdire de s'approcher des filles, vous le propulsent dans un de ces états l'Hervé, on ne le retient plus dès qu'il sent une braise de clitoris clignoter comme une centrale atomique prête à exploser. Et derrière, les autres qui bêlent comme des chacals en manque qui viennent de trouver un cadavre de chair fraîche à dépiauter. I like to rock, I like to bop : ne sont pas encore calmés, Loison manque de s'étrangler à chaque respiration. L'en cocotte même comme un poulet à qui l'on est en train de trancher le cou. Ne vous affolez pas, c'est juste du rock and roll. Cotton Pickin' : un petit instru pour faire passer le poulet au sang. N'oubliez pas les cris de rigueur. Emballez, pesez, n'oubliez pas de servir chaud. Teenagers Invasion : ça devait lui peser de ne pas chanter, se précipite sur L'invasion des teenagers comme un chien affamé sur de craquantes croquettes. Les trois autres mousquetaires le suivent en mettant le feu à leurs guitares.


L'on peut dire que ces disques sont les années d'apprentissage. Etude des tables de multiplications à réciter par coeur. Mais l'on se permet de changer les chiffres de place. De quoi faire sourciller les puristes qui n'aiment pas les petits malins trop doués. Oui mais ils sont créatifs.

MYSTERY TRAIN
IN MEMORY OF ELVIS PRESLEY
ROCKIN' ELVIS ( Medley ) / MYSTERY TRAIN
STROLLIN' ELVIS / GOOD ROCKIN' TONIGHT
EAGLES RECORDS EA-R 9704059 / 1997


Rockin' Elvis : une vieille passion d'Hervé. Tout dernièrement Hervé était aux States avec un mini-magnéto portatif, y enregistrait des voix dans les lieux preleysiens symboliques pour un prochain album sur les chansons douces d'Elvis. Piégeux, l'on vous attend toujours au tournant de ce genre hommagial. Commence bien, imite parfaitement la voix d'Elvis, ne s'en éloigne jamais tout à fait mais se permet d'en accentuer le côté campagnard. Ce côté innocence rurale qui excuse toutes les excursions tendancieuses vers quelque chose un peu plus étrangement trouble. Mystery train : un titre qui s'imposait. A l'origine de Little Junior Parker, un de ces bluesmen que Sam Phillips enregistrait dans la première période Sun. Ceci peut permettre de comprendre l'amour immodéré qu'Hervé Loison porte au blues. Une batterie qui prend trop de place et un Loison qui pour être trop fidèle essaie de passer en force, heureusement que dans la deuxième partie se libère d'un respect par trop encombrant en se mettant à siffler comme une locomotive. N'ira pas jusqu'à joindre une poursuite de peaux-rouges criards. Dommage. Strollin Elvis : un des grands secrets du succès d'Elvis, savait rocker mieux que personne, mais l'avait compris que les filles préféraient l'eau tiède du stroll. Evidemment ces gros bêtas de garçons ont suivi. Ont oublié que les filles les aiment mieux quand ils se la jouent rebelles et qu'il y a beaucoup mieux à faire que d'endosser le rôle de chevalier-servant bien élevé par sa maman. L'êtralité féminine est pleine de contradictions. D'ailleurs l'Hervé nous semble un peu emprunté dans ce costume trop à l'étroit pour lui. Good rockin' tonight : L'essaie de se rattraper sur le morceau suivant, mais c'est un peu comme s'il lui manquait un peu de noir à la nuit. Y en a qui préfère Marylin Monroe dans Bus Stop, mais question cowgirl, elle est bien plus convaincante dans The Misfits. Reste trop près de l'original. Plus attendu. Ne faut pas hésiter à tuer le Maître. Mission accomplie depuis.


Damie Chad.

KING KONG THEORIE
VIRGINIE DESPENTES


( Livre de poche 30904 / 2012 )

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Me faudrait un petit livre, vite lu, pour une chro sur KR'TNT ! Descends au garage, ma seconde bibliothèque, dans lequel j'entasse en un fouillis indescriptible tous les bouquins chinés au hasard des coups de tête chez les bouquinistes. Tiens celui-ci, n'a même pas un centimètre d'épaisseur, je tire de l'amoncellement, main heureuse, King Kong Théorie – serait-ce la théorie du con royal ? -de Virginie Despentes. Parfait, n'ai encore jamais lu une ligne de cette virginienne des pentes fatales. En ai beaucoup entendu parler. Sulfureuse réputation. Amoindrie ces derniers temps par son entrée à l'Académémie Goncourt, en ce début d'année 2016. Sérail littéraire d'élite poissoneuse au service du merchandising culturel. Que voulez-vous, nulle n'est parfaite, moi je préfère les pistes ombreuses. N'êtes en rien obligés de partager mes goûts a-prioriques. En tout cas, Virginie Despentes est un personnage rock, à cent pour cent, une insoumise qui ne marche pas au pas.
L'est née en 1969, année idéale pour avoir quinze ans lors de l'explosion punk. L'en partagera toutes les dérives – au sens situationniste de ce terme – tous les itinéraires tangentiels d'une exploration existentielle du nihilisme contemporain. Si la vie n'a pas de futur, ne reste plus qu'à en repousser les limites, pour tenter de voir ce qu'il y a derrière. Logique et précieux offertoire baudelairien conclusif des Fleurs du Mal. Toutefois l'on n'échappe guère à son implantation charnelle, appartenant à l'espèce humaine Virginie n'en reste pas moins un être féminin, une femme, une femelle. L'avait en gros une chance ( ou une malchance ) sur deux de tomber dans cette case, et le hasard génétique l'a fait naître en une époque historicienne de revendication et révolte féministe. Méfions-nous des tartes à la crème des idées correctement admises par la société. L'est un féminisme revendicatif, bon-chic, bon-genre – BCBG à ne pas confondre avec CBGB – politiquement correct, partagé par toute la bonne pensance de gauche comme de droite, qu'il convient de culbuter dans les sentiers exigus de la moraline. L'en est un autre qui ne se contente pas de bêler dans le sens moutonnier de la sage intégration respectueuse des droits de l'Homme ( et de la Femme ) octroyée comme une charte participative au bon savoir-vivre-ensemble d'un contrat social démocratique qui aurait besoin de quelque dépoussiérage.

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C'est qu'il existe des brebis noires, qu'un esprit pervers pousse à explorer les chemins de traverse que le troupeau réprouve. Au nom de quelque chose, qui n'est jamais nommé, ce vieux fond de christianisme faisandé, puritain, et patriarcal qui enjoint à toute les soeurs de normativement se bien conduire. Chacune à sa place et les oies ( plus ou moins, faut hélas vivre dans son époque ) blanches seront bien auto-gardées. Un peu de liberté, librement auto-consentie à soi-même, mais point trop n'en faut.
Pour celles qui empruntent les pistes dangereuses, qu'elles ne viennent pas se plaindre. Motus et lèvres cousues. Genre de proposition par trop péremptoire qui ne plaît guère à Virginie. L'a l'habitude de les ouvrir toute grandes. Pour son plaisir personnel. Et son déplaisir aussi. Commence donc toute jeune à courir les routes de France. En auto-stop. Pour assister à des concerts punk – une saine occupation qui devrait lui valoir l'absolution pleine et entière de l'Association des Enfants de la Sainte-Vierge – disséminés aux quatre coins du territoire national. Lever le pouce est un moyen de transport économique, mais qui peut coûter cher et chair. Un soir, le scénario tourne mal, elle et sa copine sont frappées et violées par trois jeunes gens. S'en sortent bien, puisqu'elles sont vivantes. Virginie ne se plaint pas. Ne joue pas à l'innocente jouvencelle qui n'avait jamais vu le loup sortir du bois pour entrer dans ses abattis. Un mauvais moment à passer. Un pénible souvenir à oublier.
L'est une affranchie du sexe, ne dit jamais non quand on lui plaît. Reconnaît même que parfois quand on a bu, on ne sait plus trop au matin ce que l'on a fait la veille. Pas de quoi en écrire une tragédie racinienne en cinq actes. Surtout qu'elle ne cache rien. Survit en faisant des petits boulots. ( Perso je pense qu'il n'existe que des boulots mal payés. ) Met en expérience ce que nos chantres – pardon, nos chancres – politiciens nomment flexibilité. Cherche à se sortir de cette précarité financière. Se prostituera occasionnellement. L'assume sans ambages. L'expérience n'est pas si désagréable qu'il n'y paraîtrait. Ne parle pas de plaisir extatique mais de connaissances. Pratiques sexuelles diverses et surprenantes, mais surtout connaissance de soi. C'est au pied du sexe que l'on est capable de savoir jusqu'où l'on peut aller. En ésotérisme tantrique, l'on appelle cela la voie de la main gauche...
L'arrêtera ses pratiques, le succès de Baise-moi lui permet d'être moins dépendante... C'est alors que survient le retour du bâton. Freud aurait dit le retour du phallus, mais Virginie Despentes est trop engagée dans la concrétude du sexe pour se risquer à de telles élucubrations phantasmatiques conceptuelles. Se contente de rédiger sa King Kong Théorie.

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Point de mauvaises et fausses interprétations de cette titulature. Ne signifie pas que les hommes sont de vulgaires primates, d'ignobles orang-dégoûtants prêt à sauter sur tout ce qui possède une mignonnette et innocente chatounette dans le creux de son entrejambe. Référence au film de Peter Jackson. Le méchant gorille géant fait ami-ami avec la belle Ann Darrow, s'installe une relation de confiance et de respect entre le géant et la fragile jeune femme. Au-delà et en-deçà du sexe. Pas de l'amour, pas de l'amitié. Une espèce de lien érotique bâti sur la trop grande disproportion corporelle des protagonistes. Certes ce n'est qu'un film. En monnaie de singe. Peut-être même à l'eau de rose. Mais comme une nouvelle donne proposée pour régir les relations homme / femme, l'absence de sexe n'exclut pas le désir quand le désir ne s'abolit pas dans l'appropriation forcenée du sexe.
Virginie Despentes ne se berce pas d'illusion. Une direction à envisager, entrevue dans un lointain temporel pour lequel elle ne prend même pas la peine d'avancer une date de réalisation hypothétique. Pas mal pour quelqu'un qui provient du No Future punkoozitäl. Retourne vite dans le présent. Appuie sur les idées toute faites. Non, elle ne condamne pas la pornographie. Accepte même que l'on puisse y prendre du plaisir. Brut et sans pruderie. De même pour la prostitution. Beaucoup la pratiquent par raison économique. Un travail pas jojo et pénible. Mais n'est pas le seul dans notre société, si vous croyez que c'est beaucoup mieux d'être rivé à la chaîne chez Peugeot ou humilié toute la journée par la sous-merde arrogante qu'est votre chef de bureau ou de chantier, vous vous mettez le doigt dans l'oeil jusqu'à la clavicule et c'est tout autant désagréable, sinon plus, que le client qui vous enfonce sa pine dans le cul. Reste à savoir quel est le mieux payé.
Vous écarquille les yeux. N'ôte pas ce sexe que vous ne sauriez voir. Nous sommes dans une société marchande. Et libérale. Tout se vend. Tout s'achète. Faut que le client et l'artisan retirent un égal bénéfice de la transaction. Pas d'intermédiaire qui se goinfre au passage. Aujourd'hui la prostitution est rayée de la carte. Exit des centre villes. Est reléguée dans les quartiers périphériques. La police et la morale marchent la main dans la main. Certains diront dans le sac. Hypocrisie sociale. Surtout cacher que les travailleuses du sexe sont pour la plupart des gamines issues des milieux populaires et des malheureuses illégalement entrées sur le territoire national... Tout s'achète et tout se vole.

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Et le viol d'une papillonne a donc engendré ce livre de colère ! Mais le viol lui-même qu'en est-il ? L'a sa théorie là-dessus. Bâtie sur sur sa propre expérience. N'a pas été à la fête. L'a eu la trouille de sa vie. Le cul brûlé aux vits mais dans sa panique, l'a tout de même gardé la tête froide. Toute théorie découle d'une observance, d'une pratique inattaquable. Les mecs qui vous baisent en groupe sont plus intéressés par les performances des copains que par les gigotements de la proie. Le mâle se dévoile, c'est à qui l'aura la plus longue et la plus efficace. L'on se jauge et l'on s'envie, sans fausse honte puisque la témoin est sans importance et qu'elle essaie de se faire oublier, aussi petite que son  trou de souris, dont les gros matous se moquent alors même qu'ils la foutent en coeur. Chose acquise – de gré et à priori de force – perd tout intérêt, les violeurs sont des voyeurs qui ne vous regardent pas, leurs désirs sont ailleurs, sur ces corps d'hommes que leur fierté virile leur interdit de désirer. Le viol en tant que pratique refoulatoire de l'homosexualité. Virginie Despentes n'y va pas pas avec le dos de la ceinture de chasteté outragée, va-te faire foutre ailleurs par tes alter-égos, lance-telle à la gueule de ses pendards. Tu aimerais faire la queue, pas à la fille, mais à l'autre file, celle des mecs, que ton idéologie machiste à la mords-toi le noeud t'interdit. Honte sur celui qui est incapable d'accomplir ses désirs les plus intimes. Ces rêves irréalisés que vous transmettez sous forme d'actes cauchemardesques à celles qui n'y sont pour rien. Un livre qui remet les braguettes en place.
Sex, drugs and rock'n'roll. N'effleure que le premier membre de la trinité. Les deux autres, les mentionne incidemment, ne sont pas le sujet du livre. Même si ces parallèles se croisent – et parfois finissent par s'embrouiller – dans bien des existences. Question sexe vous êtes servi. Mais attention, Virginie ne vous force pas à manger. Si d'autres assiettes vous tentent, ne les dédaignez pas. Sa théorie n'est pas universelle. Rejoint le principe thélémite, fais ce qu'il te plaît, et surtout ne force pas les autres à pratiquer ce qui fait ton bonheur. Bien sûr, tu peux te retrouver vite seul à ce grand jeu du désir de vivre. Mais ce sera toujours mieux que d'être mal accompagné.


Damie Chad.

SUR LA MÊME
LONGUEUR D'ONDES
LE DETONATEUR MUSICAL
N° 79 / AUTOMNE 2016

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Pas cher. C'est gratuit. Se moquent pas du monde. Cinquante-deux pages, photos couleurs, bien écrit. Fondé en 1982 par Serge Beyer, tiré à cent mille exemplaires. Distribué en France, en Belgique, au Québec et en Acadie, principalement dans les lieux à vocation culturelle. Ne me demandez pas comment ils équilibrent les comptes. Tout de même quatorze pages de pub dans ce dernier numéro. Sûr qu'il doit y avoir une nuée de bénévoles qui marnent pour le plaisir. Possèdent aussi un site et un FB que vous devez aller voir si les groupes et les chanteurs dont nous causons dans KR'TNT ! vous paraissent trop bruyants. S'intéressent aux créateurs francophones. Ouvert à tous les styles, chansons, électro, et ce que j'appelle les artistes France-Inter, ils adorent découvrir les inconnus – certains deviennent célèbres comme Dominique A et Noir Désir - mais en règle générale c'est un peu le mainstream des anonymes. Pour résumer et faire court, ce n'est pas très rock and roll. Evitez de confondre avec Sniffin' Glue et Big Beat.


Damie Chad.

 

30/03/2016

KR'TNT ! ¤ 275 : STEVIE WRIGHT / DISTANCE / ACCIDENT / JUNIOR RODRIGUEZ / JANINE / SAN FRANCISCO

KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 275
A ROCKLIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
31 / 03 / 2016

STEVIE WRIGHT + EASYBEATS
THE DISTANCE / THE ACCIDENT
JUNIOR RODRIGUEZ & THE EVIL THINGS
JANINE + WC 3 / SAN FRANCISCO


IT' S ALL WRIGHT !

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Little Stevie Wright a cassé sa pipe avec une admirable discrétion. Pas de numéro spécial dans les kiosques, pas d’émissions à la télé, la classe totale ! Il est certain que les Easybeats appartenaient depuis longtemps au passé, et qui allait encore s’intéresser au chanteur d’un groupe préhistorique ?
Eh oui, il y a de cela 50 ans, les Easybeats arrivaient d’Australie pour rejoindre peloton de tête des prétendants au trône. Ils disposaient d’un potentiel qui leur permettait de rivaliser directement avec les Beatles.
On commettait tous la même erreur à l’époque en pensant que les Easybeats étaient australiens. En réalité, Stevie Wright était né à Leeds, Harry Vanda aux Pays-bas et George Young en Écosse. Leurs familles avaient émigré en Australie lorsqu’ils étaient jeunes et le groupe s’était formé down under.
Les Easybeats durent leur popularité au tandem Vanda & Young qu’on surnomma l’usine à tubes, mais avant que cette usine ne ponde des tubes planétaires comme «Friday On My Mind», «Pretty Girl» ou encore «Who’ll Be The One», George Young composait tous les hits du groupe avec Stevie Wright.

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Fantastique album que ce «Easy» paru en 1965 ! Dès «I’m A Madman», on est frappé par la hargne de Stevie. Il chante comme Van Morrison et pose sa voix sur un tempo de valse à trois temps. C’est sacrément bien descendu à la cave avec du solo très étiolé. Plus loin, «I’m Gonna Tell Everybody» sonne plus poppy, très Hollies dans l’esprit, mais l’époque veut ça. Stevie revient au garage pur et dur avec l’excellent «Hey Girl» et se montre exceptionnel. On reste dans une certaine forme de sauvagerie avec «She’s So Fine» bien dégringolé à coups de basslines transversales. En B, on tombe aussitôt sur un «You Got It Off Me» solide, de belle allure, chanté à l’unisson, avec une certaine prestance de la constance. Il maîtrisaient déjà l’art du hit. On trouve plus loin «You’ll Come Back Again» monté sur un beat survolté et joué avec une sorte de sauvagerie bon enfant. Ils bouclent avec une dernière giclée de pur garage, «You Can’t Do That» : Stevie y chante le meilleur garage du monde.

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Tout aussi frais et rose, voici «It’s 2 Easy» paru un an plus tard. Et là on tombe sur l’un des plus gros hits de l’époque, «Women (You Make Me Feel Alright)», la pop idéale zébrée par un beau solo d’Harry. C’est à ce moment-là que l’énergie des Easybeats entre dans la légende. Et tous les cuts qui suivent nous embarquent pour Cythère. Avec «Come And See Her», on a une belle pièce de pop évolutive et même extrêmement ambitieuse. On s’effare de l’incroyable vitalité des Easybeats. Encore de la jolie pop d’attaque frontale avec «I’ll Find Somebody To Take Your Place». On a sur cet album un mélange de genres tellement original qu’on pense bien sûr à l’Album Blanc des Beatles qui allait sortir un peu plus tard. Les Easybeats allaient absolument partout, dans toutes sortes de directions. S’ensuivait un «Some Way Somewhere» une extraordinaire pièce de pop têtue bien montée aux guitares et chantée par Harry. Retour à l’ambition faramineuse avec «Easy As Can Be». On continue de s’alarmer de ce foisonnement d’idées, au fil de morceaux qui se suivent et qui ne se ressemblent pas. De l’autre côté, il tapent dans les Who pour «I Can See», chant perçant et beat nerveux, très moddish. Ils auraient pu ajouter for miles. Ils prennent plus loin «Something Wrong» au petit beat de circonstance. On pense là aux Pretties de SF Sorrow. Les Easybeats sont un groupe tout aussi magique, avec un chanteur doté d’un timbre distinct et dont le niveau composital renvoie directement à celui de Phil May. On croit rêver en entendant l’harmo et les chœurs. Ils nous font même le coup du Mersey beat avec «What About Our Love». On se croirait sur la rive du Mersey en 1963 ! Et voilà une petite compo de Vanda & Young : «Then I’ll Tell You Goodbye». Ça décolle dans la seconde, on sent le déclic du progrès harmonique, et le cut s’oriente directement sur l’avenir, avec une petite mélodie sous-jacente. Stevie referme la marche avec un «Wedding Ring» dévastateur, incroyablement agressif, écœurant d’énergie et de classe.

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Le troisième album de cette trilogie légendaire s’appelle «Volume 3». On retrouve leur fantastique énergie avec «Sorry» joué à la cocotte sourde et de toute évidence pompé par Jethro Tull pour «Locomotive Breath». C’est exactement le même riff. Ils reviennent à l’énergie du Mersey beat avec «You Said That». Encore un cut délicieux qui fond dans la bouche, une power pop de rêve pointue et intemporelle. Tout est parfait dans ce cut, le riff récurrent, les chœurs et la bassline traversière. Ils re-sonnent comme les Pretties avec «Goin’ Out Of My Mind», Stevie chante avec l’esprit du fauve de cave qui guette sa proie, le rat, et on assiste à des montées de fièvre extraordinaires. On ne sent que ça, d’énormes possibilités. Le délire continue avec «Not In Love With You», un pulsatif de beat tendu et goinfré de chœurs superbes. De l’autre côté, ça s’essouffle un peu. Ils se tapent une Scottish lament avec «The Last Day Of May». Roy Wood aurait ajouté des cornemuses, c’est sûr. Et ils reviennent une dernière fois sur la rive du Mersey pour «What Do You Want Babe».
Grâce à ces trois albums, les Easybeats connurent la gloire en Australie. Ce fut la fameuse Easymania, un véritable fléau biblique. Les hordes de fans s’abattaient sur les hôtels et les salles de spectacle comme des nuées de sauterelles et rasaient tout. Obligés de vivre clandestinement pour protéger leurs biens et leurs proches, les Easybeats décidèrent de quitter l’Australie en 1967 pour aller s’installer en Angleterre. Et c’est là où, malgré les hits pré-cités, le groupe entama son déclin. À Londres, ils n’étaient plus qu’un groupe parmi tant d’autres. Et comme ceux qui jouaient du r&b et du garage, ils durent évoluer rapidement vers un son plus ambitieux. Vanda et Young se mirent à écouter des albums de soul et à composer des choses nettement plus ambitieuses, ce qui mit les trois autres très mal à l’aise : Dick Diamonde en bavait sur sa basse. Little Stevie était un excellent showman, mais les vocalises n’étaient pas son fort et Snowy s’épuisait à anticiper les relances de batterie. Petite cerise sur le gâteau, George Young et Harry Vanda demandèrent à Shel Talmy de les produire.

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C’est sur «Good Friday» paru en 1967 qu’on retrouve «Friday On My Mind», l’hymne des mods working-class des hot nights du Swingin’ London. Sucré, rapide et juteux à souhait, c’était le hit idéal - I’ll lose my head tonite - En ce temps là, il est vrai qu’on sortait uniquement pour se défoncer. Stevie ne pense plus qu’à ça, il attend le vendredi to have fun in the city. Bowie avait bien compris la magie de ce cut. Avec cet album, les Easybeats prennent un tournant décisif : toutes les compos sont signées Vanda & Young. Sauf «River Deep Mountain High» dont ils lâchent une version redoutable, menée au trot par Stevie le râblé. Ils jettent tout leur génie de rockers dans la balance. Le seul qui parviendra à dépasser ça sera Chris Bailey avec les Saints. Et les voilà qui enchaînent les hits pop bardés de na-na-na-na et de aïe-aïe-aïe-aïe, «Saturday Night», hit ambitieux comme pas deux, suivi d’un paradis pop intitulé «You Me We Love», où ils font monter la sauce avec des chœurs ouvragés dignes des coupoles en or massif de Byzance. Encore un pur hit d’élan vital avec «Pretty Girl» et de l’autre côté on replonge aussi sec dans l’excellence «Happy Is The Man», une pop entrepreneuriale d’effervescence évidente, orienté vers la lumière comme le fameux tournesol du champ d’Auvers. Encore un hit absolu avec «Make You Feel Alright (Women)» annoncé par un riff d’intro et le mnnnn de Stevie. Mené à la baguette et descendu au refrain poppy des saperlipopettes, le tout doté d’un joli tatapoum de Snowy et d’un solo aigrelet d’Harry - Mnnn woman come along with me ! - Alors attention, car on passe à la magie pure avec «Who’ll Be The One». Tout éclate dans des boisseaux d’harmonies vocales et de chutes de refrains lancés au chat perché. On assiste là à de spectaculaires ascensions vers la lumière. Niveau harmonies vocales, ils sont aussi puissants que les Beatles, ça ne fait pas de doute. On revient à la belle pop acidulée avec «Remember Sam», joué à la guitare claire et dopé par un fil mélodique qui dans tous les cas ne laisse pas indifférent. Ils bouclent avec le fantastique «See Line Woman» joué aux percus du Gainsbarre de «Couleur Café». Les Easybeats y créent une fabuleuse ambiance négroïde de sorcellerie tribale. On y danse avec les esprits de la forêt profonde.

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Les Easybeats enregistrèrent encore deux albums, avant la fin des haricots, «Vigil» et «Friends». Tout est signé Vanda & Young sur «Vigil». On ne trouve sur cet album que deux énormités, tout juste de quoi satisfaire les appétits. À commencer par «Good Times», avec sa fantastique dynamique de la cloche, un hit fondamental dans lequel on entend Stevie screamer au coin du bois et Nicky Hopkins faire couler des rivières de diamants. Mais les morceaux qui suivent semblent le plus souvent laborieux, très anglais dans l’approche. On se croirait chez les Hollies ou les Beatles, période cuivres fantaisistes, c’est-à-dire Sergent Pepper’s. Il est évident que ça ne pouvait pas plaire à Stevie. De l’autre côté, ils tapent une belle version groovy du «Hit The Road Jack» de Percy Mayfield, et Nicky Hopkins y refait des siennes. Stevie sauve l’album avec un «I Can’t Stand It» énorme, aussi énorme que les grands hits du Spencer Davis Group.

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«Friends» est leur dernier album avant le split, en 1969. Il semble qu’avec ce disque ils soient arrivés au sommet de leur art, car le morceau titre qui ouvre le bal montre une ambition démesurée, par la qualité de chœurs qu’on dirait conçus pour des cérémonies religieuses, des chœurs tellement perchés qu’on s’en étonne, un côté épique qui fait bien sûr penser à l’opéra, mais pop. On retrouve l’éclat surnaturel des Easybeats dans «Watching The World (Go By)», un éclat dont on ne se lassera jamais. On se régale ensuite du «Can’t Find Love» craquant de gratte de guitare comme un gratin dauphinois et le chant entre tardivement dans ce pur jus de Vanda & Young. On sent qu’ils testent un nouveau rayon d’action avec tous ces morceaux et notamment «Holding On», un morceau qui s’emballe au prodigieux du propre et à l’élan du figuré. On se régale une fois de plus car c’est gorgé de dynamiques internes et pulsé par une bassline démente. Et là, surprise, voilà qu’ils envoient un «I Love Marie» digne des plus grands hits produits par Phil Spector. Quel spectaculaire rebondissement ! Stevie chante avec la hargne d’un Tom Jones. On retrouve une bassline fabuleuse dans «The Train Song», un cut qui sonne comme du Three Dog Night avec ses petits grattés de gratte funky et sa grosse bassline bien fournie. Ils finissent cette carrière météorique avec un véritable coup de Jarnac : «Woman You’re On My Mind». Stevie donne tout ce qu’il a, c’est un sacré bigorneau. Il va partout où il peut aller. Quelle atmosphère envoûtante ! On aura adoré les Easybeats pour ça. Ils auront su créer des espaces où il faisait bon s’installer pour danser jusqu’à l’aube.

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Les fans des Easybeats sont tous aller fourrer leur museau dans une compile d’inédits intitulée «The Shame Just Drained» qui en plus flattait l’œil avec sa belle photo de pochette en fish-eye, dans la tradition des grandes pochettes anglaises des sixties («Have Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow» et la pochette anglaise d’«Are You Experienced ?»). On tombe très vite sur l’incroyable «Baby I’m A Comin’», garage pop que Stevie embarque à fière et même très fière allure. On trouve sur cet album des cuts produits par Shel Talmy et qui étaient restés sur le carreau. Incroyable mais vrai ! On retrouve plus loin dans «Peter» tout le foisonnement musicologique qui faisait la grandeur des Easybeats, cette fantastique propension à l’élévation harmonique. Encore de la puissance indiscutable avec «Me & My Machine» que George emmène au bal, un cut effarant d’aisance et vraiment lumineux. De l’autre côté se niche le morceau qui donne son titre à la compile et c’est encore une fois mélodiquement très ambitieux. Nos amis les Easybeats n’en finissent plus d’aller chercher le très haut de gamme des combinaisons harmoniques et forcément, on se prosterne. Stevie chauffe un peu plus loin cette grosse machine qu’est «Johnny No One». On sent chez lui une belle appétence pour la viande de shuffle. Puis l’aventure des Easybeats s’arrêta. Il ne nous restait plus que nos yeux pour pleurer.

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Alors que Vanda & Young filaient vers le succès en tant que compositeurs de renom, Stevie chercha a monter des groupes pour redémarrer. Ses albums solo sont extrêmement difficiles à dénicher, mais ils valent largement le détour. On savait qu’il était l’un des grands chanteurs des Sixties, et l’écoute de ses disques solo ne fait que confirmer tout le bien qu’on pensait de lui. Il suffit par exemple de poser «Hard Road» (même titre que sa bio) sur la platine et on comprend immédiatement ce qui se passe. Stevie prend son boogie rock avec la niaque d’un Rod The Mod, et ça frôle parfois le Highway to Hell. Quelle énergie ! On est en plein dans le haut de gamme de ce qu’on appelle le boogie-rock anglais des seventies. C’est solide et gorgé d’énergie brute, pris à la tripe de chant. Il enfile les petits cuts comme des perles. Il adore le boogie et les trucs teigneux à la Steve Marriott. Il boucle sa face avec un «Didn’t I Take You Higher» admirablement mené au chant et on se régale d’un gros passage de percus, comme sur l’album d’Art (post-VIP’s et pré-Spooky Tooth). On sent que Stevie cherche encore le hit intemporel. La merveille des merveilles se trouve de l’autre côté : «Elvie». Voilà un cut en deux parties, véritable chef-d’œuvre composé par Vanda & Young. Stevie part un peu à la hurlette comme dans AC/DC, et on a même du gros solo gras, mais le cut évolue et semble filer comme un train à travers des pays imaginaires. On a là une belle suite progressive qui tourne à l’équipée passionnante, avec une succession de climats intensifs. Belle évolution captative ! On a une zone en balladif enchanté et la surprise se niche dans le lard de la deuxième partie d’Elvie. Stevie vire soul et même pounding de soul, sur un beat vainqueur. Édifiant ! C’est un hit fantastique ! On s’effare de tant de classe de la part de Vanda & Young. On a là l’une des meilleures combinaisons de l’histoire du rock, un équivalent de Bacharach/Warwick, de Greenwich/Spector, de Hayes/Sam & Dave, du très haut de gamme capable de faire des miracles. Et ça repart à la conquête du monde dans des gerbes d’excellence. On trouve une autre merveille sur cet album, «Didn’t I Take You Higher», un joli rock de tension permanente, bien serré dans ses sangles et on le voit monter doucement en puissance, une véritable merveille de grosse compo évolutive.
La règle d’or : quand on dispose d’un beau chanteur comme Stevie Wright, on se doit de lui composer de belles chansons.

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Il existe un autre album solo de Stevie qui vaut le détour : «Black Eyed Bruiser». Le morceau titre reste très AC/DC dans l’esprit, car Stevie chante perché et derrière ça riffe sans vergogne. Il répète qu’il ne veut pas être le black-eyed bruiser. On le comprend. Autre gros cut, «The Loser», chanté au glam des faubourgs. Stevie s’y montre le rampant de service, digne des Heavy Metal Kids et de Gary Holton. Encore un joli cut avec «My Kind Of Music», joué au shuffle d’orgue et sous-tendu par un joli riff de basse joué en sourdine - I like to play all kinds of music - Il ajoute qu’il aime bien le devil’s corner. C’est dingue comme les gens savaient faire de bons albums en ce temps-là.
Mais Stevie va rencontrer l’héro et entamer une belle carrière de loser. Il va même faire les frais d’un traitement médical à base de sommeil intensif et un peu louche qui va lui démolir la cervelle. Stevie va en ressortir vivant, mais dans un état comparable à ceux de Syd Barrett, de Brian Wilson et de Roky Erickson, les trois autres éclopés de la légende du rock. Stevie passa de l’état de très beau mec à celui d’épave aux dents jaunes.


Signé : Cazengler, le Stevie Wrong de service


Stevie Wright. Disparu le 27 décembre 2015
Easybeats. Easy. Parlophone 1965
Easybeats. It’s 2 Easy. Parlophone 1966
Easybeats. Volume 3. Parlophone 1966
Easybeats. Good Friday. United Artist Records 1967
Easybeats. Vigil. United Artist Records 1968
Easybeats. Friends. Polydor 1969
Easybeats. The Shame Just Drained. Albert Productions 1977
Stevie Wright. Hard Road. Albert Productions 1974
Stevie Wright. Black-Eyed Bruiser. Albert Productions 1975

 

26 / 03 / 2016 – ROISSY-EN-BRIE
PUB ADK

THE DISTANCE / THE ACCIDENT
JUNIOR RODRIGUEZ
AND THE EVIL THINGS

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Faut suivre son instinct de rocker. Remarquez parfois le choix n'est pas cornélien. Ne se pose même pas. Junior Rodriguez à soixante-dix kilomètres avec annonce de pluie diluvienne pour le retour, ou alors, à dix neuf heures tapantes des invités avec petits gâteaux fourrés à la crème et rosbeef au four qui embaume la maison. L'est moins cinq, le temps de sauter dans la teuf-teuf et de s'arracher.
Bizarre, le parking est vide, les dernières fois que je suis venu l'était plein comme un oeuf... de Pâques. Doit y avoir du monde qui n'a pas pu s'évader. Les traditions familiales c'est comme le lichen, ça s'incruste partout. Perdu dans mes hautes pensées philosophiques, me trompe de porte et atterris... en Afrique. Des gosses qui s'amusent sagement, une centaine d'adultes qui discutent paisiblement autour de tables encore encombrées d'assiettes. Non ce ne sont pas des réfugiés arrivés par le dernier radeau qui prend l'eau ( vous savez ces gens qui souillent les plages du littoral grec avec les cadavres de leurs gamins ), mais une structure d'accueil, un havre de secours ( payant ) pour des familles qui ont du mal à trouver un logement. Comme par hasard tous des noirs ( comme dirait Donald Trump, doivent être génétiquement programmés pour le blues ). L'est désolant de voir comment la France anciennement Mère des Arts et Terre d'Asile se transforme aujourd'hui en territoire d'instabilité sociale et de précarité honteuse. Suis reçu avec sourire, gentillesse et dignité. L'on pousse même l'amabilité jusqu'à me raccompagner de l'autre côté du bâtiment, dans la cour de la Ferme d'Ayau qui abrite le Pub ADK.
Fermé ! Mon coeur arrête de battre. N'ayez crainte, l'en faut beaucoup plus pour tuer un rocker. Une dizaine de jeunes gens qui battent la semelle devant la porte me détrompent. Ouverture dans quelques minutes, l'on en profite pour évoquer Led Zeppelin, Elvin me parle du groupe The Accident, des amis à lui, qui assurent lourd. Genre de promesse qui me met en appétit. Me vend des craques, The Accident n'assure pas lourd, ils assurent très lourd. Mais procédons avec ordre et méthode.


THE DISTANCE


Surprise, surprise. Ce n'est pas la face A de Parachute Woman des Stones, c'est The Distance – pas stone mais plutôt stoner - le groupe qui était annoncé en tant que surprise guest sur le flyer Facebook du concert. Une bonne et même une des meilleures. Dagulard est relégué tout au fond derrière sa batterie. Sans cesse présent, cartonne ample sur ses drums et ne peut s'empêcher de reprendre les lyrics en sourdine... appuyée très fort, dans son micro. Peau de miel dorée et voix de bourdon. L'a intérêt à marquer sa place car devant les deux guitares fricotisent à bout de bras. Deux grands gaillards, Sylvain cheveux blonds viking et guitare drakkar qui fend les flots, Mike, anneau de pirate à l'oreille, guitare brise-glace et maître du micro. Duff est à la basse, s'en va souvent jouer, dos au public, face à Dagulard, manière de faire déborder la mayonnaise.

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Jouent serrés, faut le temps que l'oreille s'habitue pour savoir qui fait quoi, le groupe est merveilleusement en place, totalement imbriqué, total instrumental, met en place un mur sonore qui s'avance sans cesse vers vous, implacable. Imsomnia ( sûr que l'on ne va pas s'endormir ! ) la fièvre des cauchemars vous étreint, Radio Bat, How Long Before, pas le temps de réaliser que c'est méchamment bon qu'avec Mesmerise et Unconscious Smile, l'on change d'étage, le son prend une autre dimension, plus appuyé, plus dense, jamais stérilement agressif, mais dans une urgence d'autant plus affolante que froidement contrôlée. Belles parties vocales de Mike, timbre écrasé comme du verre pilé quand il fait monter la pression et puis, plus haut c'est l'éclaircie après la folie, le rayon de soleil sur les champs de désastre.
Séparation des sexes dans le public, les garçons immobiles, scotchés, sérieux et attentifs et les filles, grand sourire extatique, qui dansent, l'une d'elles bras levé virant sur elle-même, gracieuse comme un cygne dans l'onde pure d'un poème de Stéphane Mallarmé. Doivent être insensibles à la poésie, car voici qu'ils en rajoutent une couche. Don't Try This – non, on n'essaiera pas, le réussissent trop bien – The Calling, aussi wild que le roman de London, mais brûlant, une flamme dévastatrice qui vous assèche les neurones. Définitivement. Trouble End, presque la fin, et c'est vrai que c'est la lutte finale, la musique qui flotte comme un étendard et Mike qui nous pulvérise avec ses lyrics à vous défenestrer de joie.

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C'est la fin. Vous ne comprenez pas. Vous avez envie de rembobiner la cassette et de faire défiler de nouveau. Soudés comme pas un, compacts et tranchants. Ce n'est pas un concert, c'est une démonstration. Rien à reprocher. Faut entendre les clameurs d'approbation. Et puis quand ils commencent à ranger le matériel, les félicitations et les remerciements qui pleuvent. Des invités surprise comme cela à la maison, je ne pars pas.

THE ACCIDENT

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Ne connaissais rien d'eux sauf les trois premières lignes du texte qui les annonçait sur FB : le groupe aurait été formé à la suite d'un accident de vélo – ce qui n'est guère courant, moi-même enfant étant passé sous une voiture avec ma bicyclette n'ai jamais éprouvé un tel désir – et Accident serait l'acronyme de Apte À Contre Carrer Idées Débiles Et Nazes Tonton. En plus ce serait du hip-hop. Je ne suis pas réticent ( mais à quatre-vingt dix neuf, oui ). Elvin m'a promis monts et merveilles, mais les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Une première consolation, sur la scène s'agite le grand noir qui tout à l'heure s'est proposé pour annoncer la soirée et présenter The Distance. Aisance, décontraction et énergie en quelques mots.

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Sont en place. Démarrent fort : deux constatations dans les quinze premières secondes : c'est du hip hop nitroglycériné, pouvez coller l'étiquette hard rock and roll sur le flacon, vous ne serez pas embêté par la DGCCRF, Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes. Chantent en français. Soyons sérieux, ils ont des choses à dire. Les minettes tringlées sur le siège arrière des décapotables, c'est résolument rock, mais quand on y réfléchit, notre société a aussi besoin d'autres lubrifiants. The Accident ne chante pas pour passer le temps. D'où les racines rap.

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Patrick Biyick est au micro et à la guitare qu'il quitte souvent pour, tel un scalde, scander ses textes et laisser le sens du slam slalomer dans les bruits de colère des tambours. Ne quittera pas son K-Way rouge flamboyant, capuche sur la tête de toute la soirée. Nous crache pas au visage, partage nos frustrations. Nos vies en cage, nos quotidiens aseptisés, nos désirs normés, ce fachisme libéral douceâtre qui devient de plus coercitif ces dernières années, dédiera sous les applaudissements un morceau aux jeunes du Lycée Bergson qui sont allés caillasser un commisariat, n'a pas dit que la veille ils se sont faits brutaliser par la police, car les temps ne sont plus à l'apitoiement, mais à la riposte.
Musique violente et de rage. Et de jouissance. Les titres parlent d'eux même : Maintenant, Horrifice, Cri de Guerre, Pussy is good, Jusqu'ici tout va bien... les décline façon hardcore, façon rap slam avec derrière le combo qui booste comme des galériens sous les fouets de la chiourme. Un batteur fou au fond, un organiste présenté comme le guitariste de Linkin Park, un bassiste traité d'Egytien et un guitariste avec casquette et capuche sur la tête, un ensemble à première vue hétéroclite mais qui rocke à mort ou qui funke à fond. Se foutent des genres et des classifications. Sont musiciens pour renverser les barrières musicales. Mentales et physiques aussi. Sans céder à la facilité. Pas d'esquive, l'énergie en premier, des mots pour faire éclater les consciences et des notes pour que les corps se pâment.
Applaudissements nourris. Font l'unanimité. Elvin avait mille fois raison. Sont superbe. Une véritable découverte.

JUNIOR RODRIGUEZ
& THE EVIL THINGS

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Les Choses Mauvaises. Laissez-moi rire. Ne vous laissez pas avoir. C'est le Mal en entier qui s'est installé sur la scène. Vous savez ce côté obscur de la force, cette chatoyance sans fin, ce miroitement infini qui vous fascine et vous attire irrésistiblement à lui. Junior Rodriguez and The Evil Things squattent la beauté du monde. Donnez-lui une guitare et votre vie s'agrandit. Nous en apportera la preuve lorsqu'au deuxième morceau, une corde cassera. S'emparera de celle que lui tend Accident, et continuera comme si de rien n'était. C'est bien le guitariste qui fait la guitare et pas le contraire. Question d'influx. La musique est avant tout une chose instinctivement mentale.
Les deux groupes précédents ont préparé la piste d'envol. C'est l'heure de se surpasser et de nous emmener en voyage. Beaucoup sont venus pour cela et l'on sent les frémissements du public. Même pas d'impatience. Embarquement immédiat. Dommage qu'il ne soit pas sans retour. Rêves et ouragances, musique d'oubli et sensitive, synesthésie de toutes les perceptions, des grésils de lumières flashantes vous enveloppent dans des linceuls de pourpre tyrienne et des splendeurs ultraviolettes. Il y a un guitariste fou qui s'avance sur le bord de la scène et qui lance des orages d'acier, Junior est derrière, en retrait au centre du plateau, magicien de la six-cordes, la voix qui se perd dans les haubans de la tempête et navigue sur les eaux tels les alcyons d'André Chénier qui pleurent le blues de la mort et l'éclat incandescent des fragrances idéelles.

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A la fin du concert, chichiteront sans mélodramatiser sur le son qui à tel moment n'était pas, sur la guitare qui n'était pas, sur tout ce qui n'était pas... au top, nous n'y avons vu que du feu, brûlant volcanique, éruptif. Des perfectionnistes d'une humilité quasi-incompréhensible. Termineront sur Heaven Lips, tous ceux qui se demandent depuis trois décennies ce que la Lady qui ne croyait pas que tout ce qui brille soit en or allait faire en haut de son fameux Stairway to Heaven, la réponse est enfin donnée. Si vous redoutez les ambiances paradisiaques? Bite Me Now and Cactus Seed vous ménagent des descentes vertigineuses dans les escaliers des fournaises infernales. Junior et ses sbires vous offrent les anneaux de la volupté et la morsure du serpent. Plus les visions oniriques qui vont avec – méfiez vous Dali was a Liar, et les Chants d'innocence d'un William Blake sont aussi ceux des expériences les plus extrêmes. Turn on the Light et Sweet Demon pour synthétiser l'alliance des contraires.
Ne sont que quatre – batteur et bassiste qui fourbissent et fournissent l'appareillage audacieux de structures rythmiques, brisures et contre-brisures, élévations soudaines et dégringolade de dénivellements les plus abrupts. Et les guitares, l'on ne peut même pas parler de guitaristes car ils ne sont que des focales irradiantes d'ondes tour à tour maléfiques et apaisantes.

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La voix de Junior qui ne rappelle en rien celle d'un Robert Plant, plus suavement épicée, emporte ailleurs, qu'elle morde ou caresse, elle infléchit la musique vers un noyau gravitationnel, originel, caravelle en partance vers les particules électriques de lointains tropiques mystérieux et emplis de périls. Les lèvres du paradis entrouvertes se referment. La technique fait signe qu'il se fait tard. Immense ovation.

RETOUR


Difficile de se quitter. Trois prestations de toute magnificence. Duff exprime la pensée commune – celle du public, de l'organisation, et du public – un triple concert tellement beautiful où chaque groupe s'est porté à son meilleur qu'il est dommage qu'ils ne puissent tout de go partir en tournée...
Me reste deux bricoles à rajouter : la route transformée en patinoire jusqu'à la maison ce qui est peu intéressant, et cette exclamation qui fuse «  C'est un honneur ! » lorsque Junior remercie pour la guitare que le guitariste d'Accident vient de lui passer, ce fut aussi un honneur pour nous d'assister à un tel concert.


Damie Chad.

P.S. 1 : récupéré deux CD ( Distance et Evil Things ) que je chronique la semaine prochaine.
P.S. 2 : les photos des deux derniers groupes sont prises sur le FB de Fustin Do de la Nébuleuse d'Hima que nous retrouverons bientôt en spectacle.

JANINE
OLIVIER HODASAVA

( INCULTE / Janvier 2016 )

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Etrange livre. Glauque à souhait. Sur la couverture ils ont ajouté la mention roman. L'on ne sait jamais. Peut-être ont-ils espéré que ça passerait mieux en tant qu'œuvre d'imagination. Mais le livre s'inscrirait davantage dans la section des documentaires. Et même si l'on veut être plus précis dans la série des enquêtes. Encore que le lecteur ne découvre rien de plus que ce qu'il savait déjà, ou que ce que la quatrième de couve lui aura révélé. Il est des murs qu'il est difficile de franchir. Celui du futur et celui de la mort, pour ne citer que deux culs-de-sac de la pensée. Vous vous en doutez, mes deux exemples ne sont pas pris au hasard. Nous avons pourtant droit à un témoin de première main. Un fan absolu. Nous pouvons lui faire confiance.

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Au départ il s'agit de l'histoire d'un groupe de rock français. L'un des plus célèbres de cette génération que l'on surnomma les Jeunes Gens Modernes. Expression malheureuse. Rien ne se démode davantage que la modernité. A Trois dans les WC, un groupe, pour vous les situer, un peu dans la mouvance de Taxi Girl ( que j'abomine, mais là n'est pas la question ), mais provincial, du grand nord, pas la toundra boréale mais Saint-Quentin. Z'auraient pu rester des inconnus, mais leur appellation non contrôlée a dû soulever bien des phantasmes puisque très vite ils furent signé par CBS. Good deal, une major. L'a tout de même fallu qu'ils changeassent leur nom en WC 3 – moins graveleux pour les programmateurs frileux de nos radios nationales... Le succès ne fut pas au-rendez-vous, et CBS s'apprêtait à ne pas renouveler leur contrat après deux disques lorsque le groupe arrêta de lui-même les festivités. S'étaient formés à cinq, très vite ne furent plus que quatre, puis se retrouvèrent à trois, lorsque Janine, au sortir d'un concert décida de mettre fin à son existence en avalant volontairement une surdose de médicaments, le jeu à deux n'en valait plus la chandelle... Pour la musique, je vous laisse juge, vous trouverez sur You Tube une cinquantaine de titres à écouter, pour ceux qui voudraient creuser plus profond, ces dernières années ont vu quelques rééditions...

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Olivier Hodasava fut un fan de la première heure. L'assista au dernier concert. Celui à la suite duquel Janine décida de franchir la frontière interdite... De quoi vous glacer le sang et l'âme. Ce n'est que trente ans plus tard, suite à la mort de son père, qu'il se sent capable de revenir sur l'énigmatique tragédie de la disparition volontaire de Janine. Remonte la pente. Explore toutes les cavités. Interroge les survivants. Essaie de circonscrire au plus près les circonstances du drame, amasse les documents... et finit par ne pas trouver grand chose...
Françoise n'est pas une beauté. Un peu boulotte. Elevée dans une famille de cathos coincée du cul, enfant sérieuse qui trouve son évasion dans la musique. Piano, orgue, premier prix du conservatoire, une voie royale se dessine, l'on imagine le rêve des parents. Patatras, l'enfant modèle se laisse séduire par la musique du diable. Si ce n'est pas l'amour du rock and roll qui la guide, nous diagnostiquerons le désir d'un joli pied de nez à Papa et Maman et leur vie trop étriquée pour une adolescente... Mal dans sa peau et silencieuse. C'est ainsi qu'aux premières semaines on la ressent dans le groupe. Mais les garçons ne font pas les difficiles, elle s'y entend trop en musique pour lui tenir rigueur de son air un peu rébarbatif... Surtout que les mois passant, elle finit non pas par s'amadouer mais par trouver sa place. Regards commisératifs de grande fille sur ces gamins insupportables mais attachants. Leur apprend le respect, la distance, petit sourire et légère dose d'ironie, elle ne s'en laisse point compter. Mine de rien, elle préserve son intimité et son mystère. Le papillon s'extrait de sa chrysalide. Janine est belle et attirante.

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Le groupe est soudé, partage espoirs et galères. Sans doute y trouve-t-elle cette chaleur affective qui lui a été refusée pendant l'enfance. Finira même par sortir avec Jean-François. L'idylle durera quelques mois, mais les relations s'espaceront peu à peu. Pas de fâcherie. Une incompatibilité existentielle. Trop de silence de sa part qui excède l'empressement du garçon dérouté...
Le groupe possède sa base de repli : Saint-Quentin. Mais il arrive un jour où nécessité fait loi. C'est à Paris que se forge les grands destins. A la capitale, WC 3 ne se retrouve que pour les séances de répétition et de studio. Chacun assure sa survie économique dans son coin comme il peut. Janine ne peut pas grand chose. L'est remarquée dans le milieu pour ses compétences musicales, mais elle ne parviendra jamais à participer à un projet qui ferait décoller sa carrière professionnelle. Le groupe enregistre son ultime disque et décide de le défendre en tournée, vous connaissez la fin.
Le mystère reste entier. Mal-être qui remonte à l'enfance ? Dépendance à l'héroïne ? Déception, errance amoureuses ? Déviances ( nous sommes en 1984 ) homosexuelles ? Troubles bipolaires héréditaires ? Janine ne s'est jamais livrée, peut-être aussi l'auteur préfère-t-il taire, par respect envers la discrétion existentielle dont elle fit preuve, des éléments qui expliqueraient la trajectoire de la musicienne.
Ironie de la vie, Janine repose dans la sépulture familiale. Elle n'est plus qu'un nom, un surnom, un souvenir dont la présence en ce monde se dilue doucement... Le livre ne nous apprend rien. Il est le reflet exact de notre angoisse devant l'effacement progressif dont tout ce que nous aimons et nous-mêmes deviendront l'objet. La trame de nos jours n'appartient qu'à nous. L'histoire de WC 3, parfaitement racontée, ne saurait rendre compte de la vie d'un de ses membres. Pas très joyeux. Ni très optimiste. Olivier Hodasava a écrit un très beau livre, que les futurs lecteurs s'attendent davantage aux grandes orgues funèbres des sermons de Bossuet sur la mort, plutôt qu'à une monographie sur l'histoire du rock and roll. Même si c'est Janine qui tient les claviers. Marche funèbre.

Damie Chad.

SAN FRANCISCO
1965 – 1970. LES ANNEES PSYCHEDELIQUES


BARNEY HOSKYNS

( Castor Astral / 2006 )

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Le titre original Beaneath The Diamond Sky / Haight-Ashbury est beaucoup plus classe et plus précis. Pas question d'en faire une omelette aux regrets, c'est un cadeau – j'aurais choisi quelque chose de plus virulent dans la collection, mais je ne regrette pas ma lecture. A peine cent cinquante pages si vous enlevez la bibliographie et l'index, mais un topo d'une clarté et d'une limpidité absolues.
Barney Hoskyns est surtout connu de par chez nous pour son énorme livre sur Led Zeppelin paru chez Rivage Rouge en mai 2014, sous le titre de Gloire et Décadence du plus Grand Groupe du Monde, qui se présente comme un montage chronologique de plus de cinq cents pages de propos oraux tenus par les acteurs – qu'ils soient du premier ou du dernier cercle de l'aventure du Dirigeable. Fut aussi rédacteur à Mojo et au New Musical Express. Sa bibliographie est aussi longue que le pédigrée de la famille royale d'Angleterre. L'a apposé sa signature dans tous les grands titres de la presse anglo-saxonne mais depuis l'an de grâce 2000, il dirige le site en ligne Rock's Backpages qui archive plus de vingt-huit mille documents écrits sur la musique que l'on aime. A ma connaissance, ils n'ont pas encore archivé KR'TNT ! une erreur impardonnable, une tâche honteuse et indélébile dont leur réputation ne se relèvera pas.

SAN FRANCISCO

Si vous allez à San Francisco
Vous y verrez des gens que j'aime bien
Tous les hippies de San Francisco
Vous donneront tout ce qu'ils ont pour rien

Une petite intro pour vous faire bondir de vos chaises. Non nous ne sommes pas en France, en 1967, avec Johnny Hallyday, mais à San Francisco, aux States en 1964. Pas très loin des pionniers quand on y pense, mais sur l'autre versant. Le rock and roll à la Elvis, c'est celui des pouilleux et des ignares. L'existe une autre musique, parallèle, serait-on tenté de dire, qui ne se mélange pas avec les torchons graisseux. Le folk. Ce n'est pas très différent du country, mais ça s'inscrit dans une autre tradition, celle du prolétariat en lutte. L'est écouté par les étudiants, des intellos qui commencent à lire Sur La Route de Kerouac paru en 1957, une jeunesse quelque peu contestataire qui se sent étouffée par le futur que leur réserve leurs parents...
Fallut une conjonction de plusieurs éléments pour que l'explosion eut lieu. Une ville : ce sera San Francisco : le soleil, les loyers modérés - notamment dans les quartiers de New Rose puis de Haight-Ashbury qui ont attiré au début des années soixante la première vague contestataire, la génération Beat, littérature, jazz, marginalité... Début soixante, toute une jeunesse issue de la petite-bourgeoisie se regroupe menant une indolente et innocente vie de bohème et de fumette... C'est alors que survient l'élément catalyseur qui va chambouler les esprits, au propre comme au figuré.

THE MERRY SPRANKERS


La bestiole délirante descend du bus. Celui des Merry Sprankers. Les joyeux drilles. Cornaqués par Ken Kesey. Un écrivain, l'auteur d' Vol au-dessus d'un Nid de Coucous, un aficionado de cette nouvelle substance communément appelé LSD. Pas une vulgaire drogue. Un additif spirituel qui vous débouche à la dynamite les portes de la perception de votre cerveau. L'expérience psychédélique par excellence. Une nouvelle philosophie de la vie. Accessible à tous. Suffit d'ouvrir la bouche et de recevoir l'hostie salvatrice.

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Dans son bus ultra-colorié Ken Kesey parcourt les USA. Organise de mémorables soirées : avec musique et dégustation gratuite. Les Merry Sprankers hallucinent leur folk originel, de blues et puis de rock. Tout est bon pour faire monter la mayonnaise. C'est à San Francisco qu'ils recevront le meilleur accueil : toute une frange de jeunes oisifs qui ne demandent qu'à être convertis à la nouvelle religion lysergique. Autour de Ken Kesey gravitent bien des personnalités locales destinées à devenir célèbres : Jerry Garcia, John Cipollina, George Hunter, Paul Kanter... vous avez reconnu dans l'ordre d'apparition les premiers éléments appelés à fonder Gratefuu Dead, Quick Silver Messenger Service, Charlatans et Jefferson Air Plane...

1965


Toutes ces formations sont encore instables, les changements de personnel – fâcheries, divergences – seront fréquents, mais l'on peut parler d'une communauté musicale au sens large. L'important ce n'est ni la musique, ni le succès. Le plaisir d'être ensemble est primordial : ne donnent pas des concerts mais participent à des rencontres acidulées. Pas de coupures entre les musiciens et l'assistance. Une espèce d'expérience sensitive généralisée. Des moments de vie plus intense, les corps et les esprits s'ouvrent et s'interpénètrent. L'utopie réalisée. Mieux qu'en rêve. Eros et psychos !

1966

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Un joyeux bordel organisé. Mais la nature a horreur du vide. Toute société humaine éprouve le besoin de perdurer. Et cette noble tâche de la survie collective débouche sur un problème d'institutionnalisation. Nos doux hippies ne cherchent pas à élaborer un code civil, ils ont seulement besoin de pérenniser l'organisation de leurs fêtes... Deux logiques vont s'affronter : celle de la rationalité froide portée par Bill Graham et ses fameux concerts au Filmore Auditorium, et celle générée par la seule lancée du mouvement lui-même qui sous l'égide de l'association Family Dog et de Chet Helms le petit copain de Janis Joplin réunissait à l'Avalon Ball les jusqu'au-boutistes des expérimentations lysergiques.

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Une lutte sourde opposa les deux salles. Ce fut Bill Graham qui l'emporta. Sa victoire est de l'ordre du symbole : peu porté sur la consommations des produits, l'était frais comme un gardon dès le petit matin. Quand Chet Helms enfin remis de ses frasques de la veille se réveillait en début d'après midi, Graham avait déjà passé les coups de téléphone nécessaires à l'organisation de ses futurs concerts. Graham ne travaillait pas pour l'amour de l'art ou de la cause, mais pour gagner de l'argent. Ses ennemis reconnaissaient toutefois qu'il offrait au public des plateaux de qualité.
A l'opposé du pragmatisme grahamiste, les Diggers ( voir in KR'TNT ! 116 du 01 / 11 / 2012 notre recension de Ringolevio l'autobiographie d'Emmett Grogan ) organisaient des concerts gratuits et distribuaient de la bouffe gratuitement et essayaient de mettre sur pied des magasins libres...

1967

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L'été de l'amour fut celui de la résolution de toutes les contradictions. Si les Charlatans ratèrent leur coup, Gratefull, Jefferson et Messenger Service, avaient pris de l'importance. Le mouvement prenait de l'ampleur et se mesurait au reste du monde. Y eut une première cassure idéologique suscitée par les mouvements des étudiants de Berkeley. Hippies et rads ( entendez radicaux politisés ) ne vibraient pas sur les mêmes longueurs d'ondes. Les seconds manifestaient pour abattre la société fachisante, et les premiers se contentaient de vivre dans leurs espaces de liberté conquise... Les milliers de jeunes adolescents fugueurs qui alertés par les médias se ruèrent vers l'Eldorado de San Francisco, ne furent pas les seuls à s'intéresser à cette nouvelle poule aux oeufs d'or. Le danger vint de la soeur ennemie. La ville de Los Angeles, bardée d'hommes d'affaire et de représentants du show-bizz. Le piège fut parfaitement tendu. Très agréable. L'organisation d'un festival hippie avec les Who, Jimmy Hendrix et Otis Redding. Bien entendu la scène de Monterey était ouverte pour les têtes d'affiche de Frisco. Difficile de résister aux sirènes lorsque l'on s'appelle Jefferson Airplane ou Janis Joplin and the Holding Compagny, Country Joe and the Fish, Steve Miller Band, Moby Grape, Quick Messenger Service... La pomme s'était précipitée vers les vers. Dans les majors l'on sortait déjà les carnets de chèques...

1968


Les groupes maison de Frisco tournaient désormais dans tous les States. Les anciens camarades se sont transformés en rock and roll stars. Mais la réalité rattrapait maintenant nos utopistes sans lendemain. Engluée au Vietnam, l'armée avait besoin de chair fraîche, plus question de gober son acide pépère dans son coin, fallait se mobiliser et organiser les filières d'expatriation au Canada pour les réfractaires à cette conscription de plus en plus entreprenante... Nos hippies eurent de surcroît à subir les critiques de la communauté noire qui leur reprochait leur absence dans la lutte pour les droits civiques... Le rêve se lézardait de partout...

1969

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Le pire était à venir. Coup double. Face claire et face sombre. Pluie et sang. Woodstock fut le chant du cygne. Cinq cent mille jeunes vautrés dans la boue, hébétés par toute sortes de produits, un beau film, une catastrophe moutonnière. La mode hippie. La pré-industrialisation galopante. La victoire du renoncement. Mais ce n'était que la brise qui annonce la tempête. Partaient d'un bon sentiment. Les Rolling offraient un concert gratuit. Le Gratefull Dead leur indiqut un service d'ordre dont ils n'ont jamais eu à se plaindre, les Hell Angels d'Oakland. Pas plus gentils que ces bikers ! Barney Hoskyns ne jette la stone à personne, nous explique que les différents clans des Angels étaient en guerre quant au contrôle des ventes de stupéfiants sur la Californie, réglèrent-ils leur différent en s'en prenant aux innocents spectateurs ? La boue et la pluie à Woodstock, la mort et le sang à Atlamont... Le rêve agonise.

1970


The end. Les fugueurs qui ne sont pas retournés chez leurs parents s'adonnent aux drogues et à la prostitution. L'acide n'est plus ce qu'il était. Le monde change. L'on a trouvé mieux. L'héroïne. L'acide vous déglinguait les neurones, l'héro vous chavire le sang. Dureté des temps. Il pousse de plus en plus de tombes dans les cimetières. Le rock est devenue une industrie. La musique ne libère plus. Elle vous endort. Elle vous assomme. Votre existence s'azombie, vous êtes l'addict de votre propre consommation. Rock ou héroïne, quelle différence ?
Un livre qui fait réfléchir. Qui remue le couteau dans l'espoir d'une vie vouée au rock and roll.
Des dizaines de noms, de nombreuses pistes de recherche. Une époque foisonnante, plus audacieuse que la nôtre. A lire pour tous ceux qui n'étaient pas nés et qui ont du mal à se représenter une si folle effulgence.


Damie Chad.