07/12/2016
KR'TNT ! ¤ 306 : KADAVAR / AIRPLANE / THE ACCIDENT / POGO CAR CRASH CONTROL / RON HAYDOCK / MYSTERY TRAIN / VIRGINIE DESPENTES / LONGUEUR D'ONDES
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 306
A ROCKLIT PRODUCTION
08 / 12 / 2016
KADAVAR / AIRPLANE / THE ACCIDENT / POGO CAR CRASH CONTOL / RON HAYDOCK / MYSTERY TRAIN / VIRGINIE DESPENTES / LONGUEUR D'ONDES |
Kadavar n’est pas avare
Oh la la ! D’où sortent-ils, ces trois-là ?
Ces trois Allemands pourraient très bien sortir des bois. César et ses légions ont vu exactement les mêmes voici plusieurs siècles, lorsqu’ils tentèrent en vain de pacifier les hordes barbares des frontières du Nord. Miraculeusement, les Allemands et les Scandinaves ont su garder ces dégaines de bêtes sauvages qui remontent à la nuit des temps.
Les trois Kadavar affichent le look barbare pur et dur, avec ce que les Anglais appellent le big facial hair, c’est-à-dire une barbe de cinquante centimètres et une tignasse qui ne descend pas jusqu’aux genoux, mais presque. Ce look fit pas mal d’adeptes en Angleterre dans les années soixante-dix : rappelez-vous d’Edgar Broughton et de son frère Steve. En France aussi. Ce fut une époque où on aimait bien faire le freak au lycée, histoire de se démarquer des beaufs à lunettes. Une époque où on adorait sentir les mèches de cheveux gras et sales nous fouetter le visage quand on circulait en deux roues. C’était avant les casques et les contrôles d’alcoolémie. Ceux qui avaient les moyens pileux de se laisser pousser une barbe se plaignaient que les filles fussent trop chatouilleuses. On notait aussi la présence de déchets alimentaires dans les barbes, ce qui ne manquait pas de déclencher de fantastiques parties de rigolade.
Mais quand on a la chance de voir un groupe comme Kadavar sur scène, on oublie vite les misérables histoires de look. Car dès qu’ils commencent à jouer, il se passe quelque chose de spécial. Les appréhensions s’envolent d’un seul coup. Ces trois mecs tapent tout simplement dans la magie noire du premier album de Black Sabbath, l’un des plus beaux albums de l’histoire du rock anglais.
C’est avec cet album qu’Ozzy et ses amis créèrent un monde nouveau. À ce moment-là, il n’existait rien de comparable en Angleterre. Ce fut un coup de maître, car ce disque dégageait une atmosphère capiteuse et ne contenait aucun déchet. Il fut à Sabbath ce que le premier album des Ramones fut aux Ramones : un disque absolument parfait et insurpassable. Sabbath comme les Ramones passeront toute leur vie à tenter d’égaler la perfection de leur premier disque sans jamais y parvenir. Oh ils feront d’autres très bons albums, mais jamais aussi magistraux que leurs premiers coups de Trafalgar. Led Zep connaîtra le même destin : une suite de bons albums, mais rien d’aussi définitif que Led Zep 1, surtout à l’époque où il est paru, en 1968. Cet album rendit dingue plus d’un petit lapin blanc.
Et si Kadavar accroche dès les premières mesures du set, c’est tout simplement parce qu’ils viennent de ce manoir hanté qu’on aperçoit derrière les arbres mauves, sur la pochette de Black Sabbath, un album devenu mythique par la force des choses. Les journalistes anglais ont toujours voulu classer cet album dans le hard rock, alors que ça n’avait rien à voir. Ce premier album était un album de heavy rock anglais absolument parfait, comme le sont ceux d’Atomic Rooster et plus tard de Motörhead que ces mêmes journalistes traitaient de hard-rockers, ce qui ne manquait pas d’agacer profondément Lemmy. Il passa sa vie à répéter à ces cloches de journalistes qu’il ne jouait que du rock’n’roll et rien d’autre. Pas d’interprétation hâtive, s’il vous plaît. Commencez par écouter les disques.
Au-delà des clichés, Kadavar c’est d’abord un son. Et trois mecs qui sont contents de jouer. Ça se sent ! Il suffit de voir le batteur : pendant tout le set, il joue les bras et les cheveux en l’air. Il est à la fois explosé et explosif. Complètement extraverti. C’est un batteur qui nage dans le bonheur du son et qui fournit le plus heavy des fuckin’ beats qu’on ait vu ici bas. Le bonheur d’un musicien est quelque chose de terriblement communicatif, n’avez-vous pas remarqué ? De l’autre côté, le bassman fait son job, et si ses cheveux ne volent pas, c’est sans doute parce qu’il en a moins que ses collègues et qu’il se concentre sur ses drives tarabiscotés. Quant au leader Lupus Lindermann, il chante et joue sur une SG blanche. C’est un mec pas très haut et plutôt fluet, mais il a cette dégaine derrière son micro qui fait un peu penser à Dickie Peterson. Il joue avec une sorte de prestance, une jambe bien raide et l’autre en mouvement pendant les couplets, et puis soudain, il saute en arrière et claque le beignet d’un riff pour faire jaillir un ouragan de son. Très spectaculaire, d’autant que ses cheveux se mettent à flotter comme ceux de son copain batteur. Ces mecs sont dans leur son et ils nous convient tout simplement à partager leur festin de son dyonisiaque. À ce degré d’intensité et de véracité, c’est bien sûr un honneur. Black Sabbath et Blue Cheer, c’est pas mal comme influences, non ?
Ils sont tellement bons que le set ne traverse pas les points bas habituels, souvent imaginés par les groupes eux-mêmes pour scénariser un final digne de ce nom. Ça ne semble pas être le cas de Kadavar qui n’est pas avare, puisqu’ils maintiennent pendant un peu plus d’une heure un niveau d’incandescence permanent. Mais ils vont en plus terminer avec un final éblouissant : ils tapent dans l’intapable, l’un des rares cuts que personne n’a jamais osé reprendre, à part les Pretty Things : «Helter Skelter». Eh oui, Lupus gratte le motif d’intro, et on retient son souffle... Va-t-il grimper dans la folie comme McCartney ? Oui, il en screame une prodigieuse équivalence, les voilà au sommet de leur art avec une explosion combinée de cheveux et de son, sur l’un des fleurons de l’histoire du rock.
Mais ne cherchez pas cette reprise sur les albums de Kadavar. La petite blonde qui tenait le mersh expliquait que le groupe ne jouait «Helter Skelter» que sur scène.
Leur premier album sobrement titré Kadavar est paru en 2011. Il est bien sûr destiné aux amateurs de son gras et de psyché à la petite semaine. On y retrouve la lourde mélasse du premier Sab et de jolis départs en solo. C’est le heavy rock des seventies, celui que tout le monde semble redécouvrir aujourd’hui. Lupus Lindermann n’a pas vraiment de voix, mais comme Ozzy, il dispose de l’essentiel : une vraie présence. Les guitaristes se régaleront de «Forgotten Past» monté sur un riffage irrégulier, sans doute parmi les plus difficiles à jouer. On retrouve dans ce cut les échos du morceau titre de ce fatidique premier album de Sab, cette mélodie chant ensorcelante qui peuplait si bien la nuit. «Godness of Dawn» semble aussi sortir de cet ancien disque qui du coup joue le rôle d’un grimoire pour les nouveaux venus. En B se niche «Purple Sage», joliment emmené au beat à cloche, bien pulsé. C’est leur hit. Des spoutnicks traversent le ciel et ça sonne comme du Hawkwind. C’est chanté à deux niveaux de chat perché et ça vire à la mad psyché enchanteresse, constellée de notes étoilées. Envoûtement garanti. Ils dégagent là quelque chose de spécial, un vrai fumet païen, ça sent le corps de garde, le psyché poilu qui sort d’une caverne l’air hagard. En tintant dans le binarisme, le petit rebondi de clochette fait la grandeur du cut.
On retrouve le même son sur leur deuxième album, l’ineffable Abra Kadavar paru deux ans plus tard. Nos trois amis chevelus s’amusent comme des petits fous, avec leurs riffs et tout le tralala. Nous voilà de retour au manoir hanté du premier Sab. Avec «Eye Of The Storm», ils passent au stomp à l’Anglaise, ce vieux stomp qui nous rappelle de si bons souvenirs. On nage dans le gras. Il faut beaucoup de courage et surtout de l’abnégation pour renouer avec un son vieux de quarante ans. En B, on se régalera d’un très beau «Fire» gorgé de son, comme d’ailleurs tout le reste de l’album. Ils flirtent ici avec Jethro Tull. La dimension épique finit par l’emporter et par convaincre. Et puis avec «Liquid Dream», ils nous proposent un son psyché tourbillonnant de la meilleure catégorie. Mais on sent bien qu’ils cèdent un peu facilement aux tentations qui fomentent le complot du genre. Ils terminent ce bel album avec un morceau titre groové au rock psyché, et on note la permanence de la prestance.
La petite gonzesse qui orne la pochette du double album Berlin rappelle un peu celle qu’on trouve sur la pochette du Green Mind de Dino. On retrouve l’apanage du gros son dès «Lord Of The Sky». Ces trois mecs sont vraiment restés bloqués en 1972, un temps où le son coulait comme une rivière de miel à travers la vallée enchantée. Lupus joue comme un enragé. Back to Sab avec «Last Living Dinosaur», mêmes accents de voix perchée, même écho du temps, même mélasse progressive de Birmingham, même excellence de la stature. Lupus et ses copains réinventent le vieux monde. En B, Lupus claque «Filthy lllusion» à l’honnête riffing d’Humble Pie de pie d’apple de people together outrageously, oui, c’est solide et bien balancé, voilà encore un cut qui réchauffe le cœur. Et le «Pale Blues Eyes» qui suit n’est pas celui du Velvet, non, ils vont plus sur Hendrix, car ça wha-whate sec dans la marmite de cassoulet. Ces mecs-là ne réinventent pas le fil à couper le beurre, mais ils charbonnent bien la ferronnerie. On retrouve leur fabuleuse énergie scénique dans «Stolen Dreams». Si on les admire, c’est sans doute pour la bienveillance qu’ils montrent à l’égard du vieux rock des seventies. Ils lui redonnent vie. Ils en remplissent leurs trois albums sans jamais céder à la facilité, pas de balade inepte comme chez Aerosmith, pas la moindre trace de filler puant comme sur le deuxième album de Hard Stuff. Lupus se régale quand il part en solo, le plaisir le dévore de l’intérieur, ça se sent, ce mec est un fan de Sab à l’état le plus pur. En donnant une suite au premier Sab, il balance une pierre blanche dans la gueule de Dieu.
Sur le disk 2, «The Old Man» sonne comme un cut de Jethro Tull, dans l’esprit du chant. On croirait vraiment entendre Jon Anderson nous raconter la sombre histoire d’Aqualung. Mais les choses s’étiolent un peu sur la distance, ce qui paraît normal. Il faut un sacré répondant pour remplir un double album. Tout le monde n’est pas Jimi Hendrix, Dylan ou les Beatles. On écoute la dernière face nonchalamment, et certains cuts comme «Into The Night» réveillent les bons souvenirs du concert. C’est déjà pas mal.
Signé : Cazengler, cas dada
Kadavar. au 106. Rouen ( 76 ). 29 octobre 2016.
Kadavar. Kadavar. This Charming Man Records 2011
Kadavar. Abra Kadavar. This Charming Man Records 2013
Kadavar. Berlin. Nuclear Beast 2015
03 / 12 / 2016
MAGNY-LE-HONGRE / FILE 7
AIRPLANE / THE ACCIDENT
POGO CAR CRASH CONTROL
Magnez-vous les eunuques, on file sec, le devoir nous appelle. Personne ne répond à part la teuf-teuf toujours prête à la moindre cavalcade rock'n'rollienne. Pas très joli le paysage, châtré de toute fantaisie, une interminable rue toute droite, qui n'en finit pas, bordée de maisons blanches bêtement unidimensionnelles, des guirlandes de Noël blanches et bleues en accord avec l'atmosphère glacée, l'on a l'impression de traverser un faux paysage de matière plastique. Magny n'est guère magnétique, l'est vrai que le patelin est niché contre Serris, tout près du Parc Walt Disney. Cet abcès putride de sous-culture américaine destinée à pomper le fric des masses populaires abêties par des années de soirées canapés avachies devant les ignominieux borborygmes de la télévision-réalité.
La teuf-teuf déniche une place toute seule comme une grande devant la Maison des Associations, symboliquement coincée entre un supermarché et une Eglise. Une vie à consommer, et un dernier réconfort avant le cimetière. Tout est prévu. Contrairement à que ces amers propos préliminaires le laisseraient présager je ne suis pas en dépression. Point du tout. J'ai le coeur chaud comme de la braise ardente. Ne me suis pas aventuré en cette morne plaine par hasard, Pogo Car Crash Control est de concert, et je suis de cette race impie prête à traverser de long en large les pires ZAD ( Zones Architecturales à Détruire ) pour répondre à l'appel du rock'n'roll.
File 7, c'est d'abord une Association qui fait partie du Réseau Musiques Actuelles (et Amplifiées ), qui gère salle de spectacle, studio d'enregistrement mis à disposition, et programmation large et variée. Un peu trop grand public et à la mode, à notre goût, mais ce soir, c'est la soirée Scène Locale, ce qui explique une sélection relativement axée sur le rock and roll, et cette pépite d'or finale que sont ces pogos incontrôlés.
Belle salle, grande scène, un bar au fond, somptueuses consoles pour le son et les éclairages. Un seul regret, l'altimètre sonore qui affiche le nombre de décibels – cette société hypocrite qui s'inquiète de mes facultés auditives tout en laissant des milliers de personnes dormir dehors par ces temps de glaciales froidures m'horripile...
THE AIRPLANE
C'est beau comme de la musique classique. Pas pour rien que le guitariste s'en vient de temps en temps taquiner son clavier. N'ai rien contre. Mais rien pour, non plus. C'est le groupe local chouchouté par File 7. Ce n'est pas moi qui l'affirme, c'est écrit sur la présentation du concert. De la belle ouvrage. Des gars sérieux. Me souviens des temps anciens lorsqu'on emmenait les copines dans nos chambres d'étudiants pour leur faire comprendre que Genesis et Yes ce n'étaient pas tout à fait du rock'n'roll. On leur passait Johnny Winter, Canned Heat, Steppenwolf et autres gourmandises par trop juteuses... Mais revenons à notre avion. N'a pas encore décollé. Sont tous les quatre immobiles dans la pénombre, prêts à démarrer sur les chapeaux de roue du train d'atterrissage mais ils attendent le moment idoine. Laissent se dérouler la bande-son, mélodramatique et shakespearienne, vous met tout de suite dans l'ambiance, grandiose et grandiloquente, et hop, comme un seul homme, tous les quatre s'imbriquent dans le générique... envol réussi, aucune secousse ressentie, même pas ce léger et ultra bref malaise qui vous traverse lorsque vous ressentez que la carlingue ne repose plus sur la croûte terrestre mais flotte par le miracle de la technique sur la légèreté de l'air.
Free World, Walk On, deux grand grands morceaux, deux courtes symphonies, qui vous emportent loin. Vous survolez de paisibles et sereines contrées d'herbes verdoyantes et de rivières méandreuses, mais parfois se présentent de fiers massifs vertigineux aux parois hérissées de glaces et de monstrueuses araignées géantes tentent de précipiter d'un coup de leur horribles pattes votre appareil dans leurs sombres repaires, c'est alors que la musique s'accélère, ou plus exactement qu'elle s'amplifie et gagne en puissance. Mais le danger passé de justesse, la plénitude envahit le coeur des voyageurs. Rien n'arrêtera la course de nos hardis voyageurs. Reçoivent de la terre ces renforts sonores d'ondes porteuses et technologiques qui les entraînent et les poussent en avant. If The Sun, Lazy permettent à Joris de nous emporter toujours plus haut, toujours plus loin, monte vers le haut de sa guitare et émet des notes cristallines de toute splendeur. L'on sent comme du recueillement chez ses collègues qui modulent en sourdine, en veilleuse pour ne pas déranger les spectateurs de leurs songeries intérieures. Visages sérieux de l'assistance – l'on a l'impression que des extra-terrestres sont en train de leur communiquer des nouvelles ultra-importantes sur les secrets de l'Univers – j'en souris, mais point trop, Arthur possède une belle voix qui se fond parfaitement avec l'instrumentation, l'est au diapason de l'ambiance veloutée.
Nous emmènent loin, Future, Goodbye, sont comme les passagers de 2001 Odyssée de l'Espace, sont à des milliers d'années lumières de nous, sont en train de dépasser les limites du temps, accèdent aux arcanes du passé, du présent et du futur. Astronomy Domine conceptualisait Pink Floyd en ses débuts. Repoussent les frontières, passent les limites du big bang, nous envoient des messages chiffrés, DXHN, difficiles à décrypter, impossibles à comprendre, mais tout de même envoûtants. Silence absolu dans la salle. Tout le monde est ravi d'être submergé et dépassé par la majesté de ces signaux venus des océaniques splendeurs éthériques de l'outre-monde. N'y a que moi, sur mon matelas pneumatique de survie qui avec mon air goguenard doit ressembler au vilain petit canard sur la marre du scepticisme rock and rollien.
Font leurs adieux. Arthur nous présente ses remerciements et annonce le dernier morceau. Malgré son petit chapeau tout plat, l'a l'onction d'un prêtre qui vous apprend que la cérémonie sera d'ici peu terminée, que la divinité déjà s'éloigne, et ne sait quand elle reviendra. Grey accentue la lente lourdeur déclamatoire de sa basse et Alex nous englobe sous de majestueux roulements qui n'en finissent plus de se répercuter sur les murs. Avec leurs casques sur leurs têtes, qui leur donnent un air d'aviateur du temps des pionniers, donnent l'impression d'un équipage fou qui s'enfonce à tout jamais dans la béance de l'ultime trou noir de l'espace temps. Une espèce de remake de Robur le Conquérant en diaporama phonique du meilleur effet.
Ne sont plus là. Ovations triomphales de la salle. Beaucoup sont venus pour eux et disparaîtront dans l'interset, remplacés par une vague de nouveaux arrivants beaucoup plus jeunes. Sympathiques, pas du tout bégueules pour un quart de demi-sou. Propagent une musique que l'on pourrait qualifier de sérieuse sans se prendre pour des cas d'or. Ont réussi leur prestation. Pas tout à fait ma tasse de bourbon. Me manque le scorpion qui nage dans la bouteille...
THE ACCIDENT
Attention un vélo peut en cacher un autre. Ne l'ai pas vu venir. M'a roulé dessus sans que je m'en aperçoive. Pour ma défense je peux alléguer que ce samedi soir du 26 mars 2016, les larmes d'un effroyable rhume obstruaient quelque peu mon champ de vision et peut-être même embrumaient-elles mon cerveau. J'étais dans le flou artistique. Ce n'est qu'au moment d'écrire cet article que ma raison raisonnante a provoqué le déclic salvateur. Une réminiscence platonicienne. Peut-être n'avez-vous rien compris et vous demandez-vous pourquoi Platon traverse cette épic chronic en bicyclette. Vous explique, permettez-moi d'éclairer votre catadioptre. The Accident est un groupe, et peut-être mieux un projet, formé par Patrick Biyick à la suite d'un accident de vélocipède... ( cf notre livraison 275 ) Et c'est bien lui que j'ai déjà vu ce dernier printemps à la date ci-dessus...
N'ai reconnu personne du groupe. Peut-être ont-ils changé, d'autant plus que le son n'est plus le même. Patrick Biyick lui-même s'est métamorphosé. Ne renfonce point son visage sous une capuche rouge. N'est plus obnubilé par son micro, n'a plus cet effort de verbalisation syncopale de ces textes qui le forçait à une certaine immobilité alors que ce soir entre deux couplets il saute comme un cabri enragé. L'a un méchant guitariste méchamment rock. Filez-lui un riff et il en sculpte une armature de fer irradiante, un cheval de frise en acier chromé que manufacturerait avec joie tout groupe de hard qui se respecte. D'ailleurs le premier morceau APE Living Free opère une salutaire coupure avec The Airplane. Le gros rythme binaire du bon vieux rock revient patauger de ses deux Pataugas en peau d'iguane dans l'antique boue du delta. Mais ça ne durera pas. Dès les deux titres suivants, Cri de Guerre et La loi du Marché, l'on comprend que l'on est dans une autre démarche. Les textes sont aussi importants que la musique. Et celle-ci n'est peut-être que le vecteur nécessaire à leur lancement. Sont comme des crachats à la face du système coercitif qui emprisonne et empoisonne les existences. Ce qui n'exclut pas une certaine jubilation qui s'épanouit en humour noir dévastateur. Jusqu'ici Tout va Bien, ce qui est sûr c'est que ça ne va pas continuer même si l'on est Trop Jeune pour Mourir.
S'est vite débarrassé de son T-shirt, arbore un sourire ravageur et un torse musculeux qui a dû ravir les demoiselles. Sait communiquer avec le public et le faire réagir au quart de tour. Pose des questions et n'attend la réponse que pour vous renvoyer la balle. Débite ses lyrics à toute vitesse, ne cherche pas l'esbroufe mais une fois terminé rajoute un petit commentaire pour montrer qu'il a encore du souffle et qu'il pourrait continuer. Mais l'instant du déchaînement dionysiaque est venu et il tourne sur la scène de plus en plus vite pendant que derrière l'orchestre accélère. Et puis hip hop ! une deuxième rasade de texte immédiatement suivie d'un tourbillon bondissant. Incarne la joie de Vivre, cette allégresse vertigineuse qui vous saisit pour la simple raison que vous respirez.
L'a la salle dans la main, lui fait entonner le plus insipide des refrains La, La, La et tout le monde s'exécute sans rechigner et reprend en choeur a capella. S'y colle dessus, et le band le suit. Morceau un peu faiblard toutefois, trop facile, avis personnel qui ne semble pas coïncider avec l'ensemble de l'assistance. Le dernier titre remet la pression, la guitare reprend son rôle d'instrument reine du roick and roll, et sonne le la(minoir) des forges incandescentes. Sortent sous une salve d'applaudissements.
POGO CAR CRASH CONTROL
Noir total. Des guitares qui gisent par terre. Silence et une bande qui tourne. Minimale, une basse qui s'acharne sur une note comme l'insecte en colère qui tente de traverser la vitre qui l'isole de la complétude du monde. Quatre ombres qui entrent, sous les cris, et s'en vont prendre leur place. Eclair de lumière, sont déjà en train de ceindre les sangles et de se poster derrière les fûts. Pas de temps à perdre. L'aprockalypse arrive sans attendre d'être annoncée. Aucune vaticination ne saurait y surseoir. Un râle de caisse claire et c'est parti pour le voyage au bout de la nuit. Celle qui n'est point suivie d'aube lumineuse. Louis tapi, dans l'ombre on ne le verra pratiquement pas, à peine un bras qui surgit tel un geste d'adieu, semblable à celui du Maître inférant le tumulte de l'Océan du fond d'un naufrage mallarméen, indiquant le nombre fatal du chiffre de la démesure outrancière du rock and roll. Simon frotte sa guitare sur le micro, tel le lion qui pousse son mufle sanglant dans l'entrejambe de sa femelle. Le rock est tissé de ses rubans métalliques qui percent les tympans, pris d'une rage soudaine de berserker en furie il monte à l'assaut du piédestal de la batterie et s'écroule dans les toms tandis que ses cordes glapissent comme des cris de haine. Nous n'en sommes qu'au deuxième morceau et déjà les fils du kaos brisent leurs chaînes. Royaume de la douleur, Paroles M'assoment, Hypothèse Mort, se succèdent comme un syllogisme de l'amertume cioranesque. Olivier ne chante pas, il scande les épines de l'adolescence humaine. L'est le fou dans le cabanon, qui tape à poings fermés sur les murs, à qui personne n'ose plus apporter à manger, se nourrit du sang de sa propre colère, il écrase les mots, les uns contre les autres, les mord à pleine bouche, à pleine dents, les brise comme des os pour que la substantifique moelle de la révolte vous abreuve de ses pâles fureurs. Lola, seul photon de lumière noire dans la tourmente, gracile d'apparence, mais la corne de sa basse qui imite la courbe de la hallebarde des lansquenets est engoncée entre ses seins comme une menace d'auto-destruction et ses minimalistes gestes des mains redessinent l'espace sonore pour précipiter le désastre de l'auto-destruction instinctive de ceux qui ne veulent toucher qu'à la beauté sauvage et rimbaldienne du monde. Tout Gâcher, Je Suis un Crétin, il est des dépressions auto-punitives qui se traduisent par une hargne, par une rage, qui vous induit à retourner le couteau du rock contre vous-même pour que la blessure se transforme en exaltation indienne, danse de sioux à l'esprit du soleil noir des alchimistes. Pogo Car Crash ne contrôle plus rien, l'électricité déferle sur vous, vous arrache une par une les écailles de l'expérience de tous vos échecs accumulés. Public tout contre la scène, visages extatiques, vous savez que vous vivez un de ces instants magiques qui vous rapte, vous offre l'accès à un champ infini de condensation énergétique hors du commun. Consensuel, Restons-en là, Je perds mon Temps, le temps du dépit, le monde est trop petit pour ceux qui aspirent aux fièvres purpurales des passions délirantes. Le rythme s'accélère, Conseil, sur quel titre Olivier rompt-il un câble, je ne sais plus, court de jack en jack mais la pression ne décroît pas d'un iota le temps que, retiré au fond de la scène il répare les dégâts, Simon en profite pour envoyer des riffs torpilles tandis que Louis et Lola tracent des gerbes d'écume, ne s'est pas écoulé que deux minutes que la saison en enfer continue, Crash Test, Crève, les deux derniers titres immolés sans pitié, les jouent avec une intensité égale, ni plus vite, ni plus fort, mais davantage en pointe, une horde barbare qui emporte tout sur son passage, roulent à tombeau ouvert en un continuel rictus de jouissance, nous balancent tous les résidus ectoplasmiques du rock'n'roll, le mythe et la présence, le cri qui tue et l'instant qui se détraque, la fulgurance et la jeunesse éternelle qui pousse le chant du cygne éternellement recommencé. Olivier qui scie et strie sa guitare, Lola dans le pâle halo de sa blondeur lacère sa basse, Louis nous éblouit l'ouïe de ses raquèlements reptatifs, Simon déchaîné dans son jus électrique, tout cela s'arrête et quitte la scène sans un mot. Une tornade qui s'éloigne et vous laisse pantelant d'avoir trop crié et hurlé. Va falloir se réhabituer à faire semblant de vivre.
RETOUR AU REEL
J'étais venu pour Pogo Car Crash Control. Les deux autres groupes n'ont pas été mauvais, mais ils ne s'inscrivent guère dans la généalogie rock que je vénère. Un peu inquiet. Il y a quinze jours j'avais été plus que surpris ( et emballé ) de la qualité de leur set. Etait-ce un coup de chance, un concert exceptionnel comme l'on n' en fait qu'un dans toute sa vie ? Parfois les dieux descendent et vous influent une énergie que vous ne retrouverez plus jamais. J'osais espérer que ce serait aussi bon. Ce fut bien meilleur. Plus sec, plus nerveux, plus intense. Une simplicité classieuse. Du pure electric rock'n'roll. Une merveille. A ne pas quitter des yeux.
( Photos : FB des artistes, ne correspondent pas à cette soirée )
Damie Chad.
SOUNDS LIKE RON HAYDOCK
99 CHICKS / BE-BOP-A JEAN / ROLLIN' DANNY / CAT MAN
EP -043 / NORTON RECORDS
99 Chiks : sonne un peu comme le Rocky road Bbues de Vincent, un piano fou qui file droit, mais la voix de Ron trop grave n'a pas la flexibilité si particulière qui lui permettrait de rouler aussi vite que le bastringue. Be-Bop-A-Jean : une resucée de ce que vous savez, étrangement dans l'intonation vous retrouvez comme un lointain écho de Buddy Holly. Rollin' Dany : des quatre titres c'est celui qui colle le mieux à son modèle, même si l'orchestration préfigure le son très sixty de l'album Crazy Times. lui manque cette touche de génie que l'on appelle la réappropriation. Cat Man : s'attaque à un gros morceau. Un des titres les plus inquiétants du répertoire. Ron Haydock évite l'erreur de vouloir rendre la violence contenue de l'original. En accélère le tempo, lui donne un petit air de mariachis mexicains – je sens que je vais me faire insulter – les roulements percussifs ne sont pas sans rappeler l'atmosphère de Havana Moon de Chuck Berry.
Pris d'un doute suis parti sur You Tube, j'ai l'impression que les versions sorties d'autres enregistrements que de cet EP sonnent parfois mieux. Un son plus ramassé, plus fort. La version de Cat Man possède en outre l'avantage d'être illustré par des images de comix d'époque. Ne manquez pas non plus son Rock Man ( tribute to Gene Vincent ) dans lequel Ron a su poser le timbre plutôt grave de sa voix sur une orchestration rythmiquement très resserrée.
L'avais pris pour la pochette, une transposition de Sounds Like Gene Vincent. Je ne connaissais pas, un petit rockabilly man comme il y en a eu des centaines pensai-je – des gars qui ont gravé deux titres géniaux et qui se sont éloignés des radars, l'on ne sait pas trop pourquoi, la faute à pas de chance, à manque de promotion, ou à la jeunesse qui se termine en queue de poisson, mariage, gosses, turbin, exunt les rêves de gloire.
En fait pas du tout. Ron Haydock est à classer entre Gene Vincent et les Cramps, une vie éminent rock'n'roll, au piment de Cayenne du commencement à la fin, un scénario de film. Le début, naît le 17 avril 1940 – vingt ans jour pour jour avant la mort d'Eddie Cochran – et sera enterré en 1977, le jour même de la disparition d'Elvis. Meurt sur une bretelle de sortie de la mythique Road 66, sur laquelle il déambulait à pieds.
Reçut sa première commotion électrique lors de la sortie de La Blonde et Moi en 1956. Dès 1959, à la tête de son groupe Ron Haydock and the Boppers, fondé l'année précédente, il enregistre une poignée de singles chez Cha Cha Records, apparaîtra aussi dans une des émissions culte d'un certain Lux Interior. Le rock'n'roll n'est toutefois qu'une passion adjacente, dévastatrice certes, mais il est avant tout un fan de comics. Désolé, ce n'est pas un adepte de la ligne claire, préfère les noirceurs pulpeuses, l'est attiré par le wild side, les serial killers and the hot erotic practices... après diverses collaborations à plusieurs organes de la presse spécialisée en ses croustillantes matières il finit par monter sa propre revue Fantastic Monsters of the Films. Publie aussi des nouvelles sous le nom de Don Sheppard notamment Scarlet Virgin au titre prometteur. Rédigera sous le pseudonyme de Vin Saxon plusieurs ouvrages pornographiques pour adultes ( que les enfants, allez savoir pourquoi, s'empressent de lire ), Pagan Lesbians, Unatural Desires, Erotic Executives, des titres qui vous mettent l'eau et le foutre à la bouche. Sera aussi un collaborateur de Creepy le magazine de James Waren. S'est adonné au cinéma en tant que scénariste et acteur in Rat Pfink qui eut son heure de gloire.
Disparaîtra à 37 ans, pratiquement à l'âge de son héros Gene Vincent. Une vie mouvementée. Sex, rock and horror, il semblerait que la folie dépressive s'en soit aussi venue frapper à plusieurs reprises à la porte de l'esprit de cet activiste culturel de haut vol et de basses oeuvres. Un héros populaire.
Damie Chad
P.S. 1 : Merci à Woodyanders et à sa mini-biographie de Ron sur imbd.com
P.S. 2 : l'existe aussi chez Norton un CD : 99 Chicks ( CED 247 ) qui regroupe une grande partie des enregistrements de Ron Haydock, mais les versions des deux derniers morceaux de ce 45 T, sont inédites.
MYSTERY TRAIN
S'agit du premier groupe d'Hervé Loison beaucoup plus connu sous les appellations de Hot Chickens, de Jacke Calypso, et de Wild Boogie Combo. L'on ne présente plus, vous savez tout le bien qu'en pensent les amateurs de rockabilly. Quelqu'un qui bouge les murs de l'intérieur en ressuscitant la folie originelle.
MYSTERY TRAIN
DRIVES UP TO THE MOON / MILKCOW ROCK
LOVELY LOLA / BUTCHER'S STROLL
EAGLES RECORDS EA-R 95051 /1995
Drives up to the Moon : départ en trombe, éruptif à la Sromboli, après le pont l'a dû être atteint d'une thrombose du cerveau, ricane à lui tout seul comme l'ensemble des pensionnaires de l'asile des fous de la région. Avant de l'enfermer définitivement laissez-le un peu tourner en rond, en toute liberté sur votre pick up. Cela vous fera du bien. Milkcow Rock : les ruminants dans la grande prairie, il y a bien une vache folle qui yodelle comme un cow-boy ivre dans le saloon, mais dans l'ensemble nous classerons cela dans le registre évocation country. Un peu déjantée, nous l'admettons, puisque vous n'insistez pas. Lovely Lola : l'est dans tous états l'Hervé, la miss Lola lui fait un effet boeuf, enfin taureau spermateux au bord de l'embolie sexuelle. Quant aux accompagnateurs sont dans le même état, screament de toutes leurs forces comme sur un disque de Gene Vincent. Butcher's Stroll : instrumental, rien de déchirant mais pour montrer que l'on sait le faire. Vous retrouvez ce son sur certaines démos d'Eddie Cochran.
MYSTERY TRAIN
TRENAGERS INVASION
BAD GIRLS PARTY / I LIKE TO ROCK, I LIKE TO BOP
COTTONPICKIN' / TEENAGERS INVASION
EAGLES RECORDS EA-R 95052 / 1996
Bad Girls Party : faudrait lui interdire de s'approcher des filles, vous le propulsent dans un de ces états l'Hervé, on ne le retient plus dès qu'il sent une braise de clitoris clignoter comme une centrale atomique prête à exploser. Et derrière, les autres qui bêlent comme des chacals en manque qui viennent de trouver un cadavre de chair fraîche à dépiauter. I like to rock, I like to bop : ne sont pas encore calmés, Loison manque de s'étrangler à chaque respiration. L'en cocotte même comme un poulet à qui l'on est en train de trancher le cou. Ne vous affolez pas, c'est juste du rock and roll. Cotton Pickin' : un petit instru pour faire passer le poulet au sang. N'oubliez pas les cris de rigueur. Emballez, pesez, n'oubliez pas de servir chaud. Teenagers Invasion : ça devait lui peser de ne pas chanter, se précipite sur L'invasion des teenagers comme un chien affamé sur de craquantes croquettes. Les trois autres mousquetaires le suivent en mettant le feu à leurs guitares.
L'on peut dire que ces disques sont les années d'apprentissage. Etude des tables de multiplications à réciter par coeur. Mais l'on se permet de changer les chiffres de place. De quoi faire sourciller les puristes qui n'aiment pas les petits malins trop doués. Oui mais ils sont créatifs.
MYSTERY TRAIN
IN MEMORY OF ELVIS PRESLEY
ROCKIN' ELVIS ( Medley ) / MYSTERY TRAIN
STROLLIN' ELVIS / GOOD ROCKIN' TONIGHT
EAGLES RECORDS EA-R 9704059 / 1997
Rockin' Elvis : une vieille passion d'Hervé. Tout dernièrement Hervé était aux States avec un mini-magnéto portatif, y enregistrait des voix dans les lieux preleysiens symboliques pour un prochain album sur les chansons douces d'Elvis. Piégeux, l'on vous attend toujours au tournant de ce genre hommagial. Commence bien, imite parfaitement la voix d'Elvis, ne s'en éloigne jamais tout à fait mais se permet d'en accentuer le côté campagnard. Ce côté innocence rurale qui excuse toutes les excursions tendancieuses vers quelque chose un peu plus étrangement trouble. Mystery train : un titre qui s'imposait. A l'origine de Little Junior Parker, un de ces bluesmen que Sam Phillips enregistrait dans la première période Sun. Ceci peut permettre de comprendre l'amour immodéré qu'Hervé Loison porte au blues. Une batterie qui prend trop de place et un Loison qui pour être trop fidèle essaie de passer en force, heureusement que dans la deuxième partie se libère d'un respect par trop encombrant en se mettant à siffler comme une locomotive. N'ira pas jusqu'à joindre une poursuite de peaux-rouges criards. Dommage. Strollin Elvis : un des grands secrets du succès d'Elvis, savait rocker mieux que personne, mais l'avait compris que les filles préféraient l'eau tiède du stroll. Evidemment ces gros bêtas de garçons ont suivi. Ont oublié que les filles les aiment mieux quand ils se la jouent rebelles et qu'il y a beaucoup mieux à faire que d'endosser le rôle de chevalier-servant bien élevé par sa maman. L'êtralité féminine est pleine de contradictions. D'ailleurs l'Hervé nous semble un peu emprunté dans ce costume trop à l'étroit pour lui. Good rockin' tonight : L'essaie de se rattraper sur le morceau suivant, mais c'est un peu comme s'il lui manquait un peu de noir à la nuit. Y en a qui préfère Marylin Monroe dans Bus Stop, mais question cowgirl, elle est bien plus convaincante dans The Misfits. Reste trop près de l'original. Plus attendu. Ne faut pas hésiter à tuer le Maître. Mission accomplie depuis.
Damie Chad.
KING KONG THEORIE
VIRGINIE DESPENTES
( Livre de poche 30904 / 2012 )
Me faudrait un petit livre, vite lu, pour une chro sur KR'TNT ! Descends au garage, ma seconde bibliothèque, dans lequel j'entasse en un fouillis indescriptible tous les bouquins chinés au hasard des coups de tête chez les bouquinistes. Tiens celui-ci, n'a même pas un centimètre d'épaisseur, je tire de l'amoncellement, main heureuse, King Kong Théorie – serait-ce la théorie du con royal ? -de Virginie Despentes. Parfait, n'ai encore jamais lu une ligne de cette virginienne des pentes fatales. En ai beaucoup entendu parler. Sulfureuse réputation. Amoindrie ces derniers temps par son entrée à l'Académémie Goncourt, en ce début d'année 2016. Sérail littéraire d'élite poissoneuse au service du merchandising culturel. Que voulez-vous, nulle n'est parfaite, moi je préfère les pistes ombreuses. N'êtes en rien obligés de partager mes goûts a-prioriques. En tout cas, Virginie Despentes est un personnage rock, à cent pour cent, une insoumise qui ne marche pas au pas.
L'est née en 1969, année idéale pour avoir quinze ans lors de l'explosion punk. L'en partagera toutes les dérives – au sens situationniste de ce terme – tous les itinéraires tangentiels d'une exploration existentielle du nihilisme contemporain. Si la vie n'a pas de futur, ne reste plus qu'à en repousser les limites, pour tenter de voir ce qu'il y a derrière. Logique et précieux offertoire baudelairien conclusif des Fleurs du Mal. Toutefois l'on n'échappe guère à son implantation charnelle, appartenant à l'espèce humaine Virginie n'en reste pas moins un être féminin, une femme, une femelle. L'avait en gros une chance ( ou une malchance ) sur deux de tomber dans cette case, et le hasard génétique l'a fait naître en une époque historicienne de revendication et révolte féministe. Méfions-nous des tartes à la crème des idées correctement admises par la société. L'est un féminisme revendicatif, bon-chic, bon-genre – BCBG à ne pas confondre avec CBGB – politiquement correct, partagé par toute la bonne pensance de gauche comme de droite, qu'il convient de culbuter dans les sentiers exigus de la moraline. L'en est un autre qui ne se contente pas de bêler dans le sens moutonnier de la sage intégration respectueuse des droits de l'Homme ( et de la Femme ) octroyée comme une charte participative au bon savoir-vivre-ensemble d'un contrat social démocratique qui aurait besoin de quelque dépoussiérage.
C'est qu'il existe des brebis noires, qu'un esprit pervers pousse à explorer les chemins de traverse que le troupeau réprouve. Au nom de quelque chose, qui n'est jamais nommé, ce vieux fond de christianisme faisandé, puritain, et patriarcal qui enjoint à toute les soeurs de normativement se bien conduire. Chacune à sa place et les oies ( plus ou moins, faut hélas vivre dans son époque ) blanches seront bien auto-gardées. Un peu de liberté, librement auto-consentie à soi-même, mais point trop n'en faut.
Pour celles qui empruntent les pistes dangereuses, qu'elles ne viennent pas se plaindre. Motus et lèvres cousues. Genre de proposition par trop péremptoire qui ne plaît guère à Virginie. L'a l'habitude de les ouvrir toute grandes. Pour son plaisir personnel. Et son déplaisir aussi. Commence donc toute jeune à courir les routes de France. En auto-stop. Pour assister à des concerts punk – une saine occupation qui devrait lui valoir l'absolution pleine et entière de l'Association des Enfants de la Sainte-Vierge – disséminés aux quatre coins du territoire national. Lever le pouce est un moyen de transport économique, mais qui peut coûter cher et chair. Un soir, le scénario tourne mal, elle et sa copine sont frappées et violées par trois jeunes gens. S'en sortent bien, puisqu'elles sont vivantes. Virginie ne se plaint pas. Ne joue pas à l'innocente jouvencelle qui n'avait jamais vu le loup sortir du bois pour entrer dans ses abattis. Un mauvais moment à passer. Un pénible souvenir à oublier.
L'est une affranchie du sexe, ne dit jamais non quand on lui plaît. Reconnaît même que parfois quand on a bu, on ne sait plus trop au matin ce que l'on a fait la veille. Pas de quoi en écrire une tragédie racinienne en cinq actes. Surtout qu'elle ne cache rien. Survit en faisant des petits boulots. ( Perso je pense qu'il n'existe que des boulots mal payés. ) Met en expérience ce que nos chantres – pardon, nos chancres – politiciens nomment flexibilité. Cherche à se sortir de cette précarité financière. Se prostituera occasionnellement. L'assume sans ambages. L'expérience n'est pas si désagréable qu'il n'y paraîtrait. Ne parle pas de plaisir extatique mais de connaissances. Pratiques sexuelles diverses et surprenantes, mais surtout connaissance de soi. C'est au pied du sexe que l'on est capable de savoir jusqu'où l'on peut aller. En ésotérisme tantrique, l'on appelle cela la voie de la main gauche...
L'arrêtera ses pratiques, le succès de Baise-moi lui permet d'être moins dépendante... C'est alors que survient le retour du bâton. Freud aurait dit le retour du phallus, mais Virginie Despentes est trop engagée dans la concrétude du sexe pour se risquer à de telles élucubrations phantasmatiques conceptuelles. Se contente de rédiger sa King Kong Théorie.
Point de mauvaises et fausses interprétations de cette titulature. Ne signifie pas que les hommes sont de vulgaires primates, d'ignobles orang-dégoûtants prêt à sauter sur tout ce qui possède une mignonnette et innocente chatounette dans le creux de son entrejambe. Référence au film de Peter Jackson. Le méchant gorille géant fait ami-ami avec la belle Ann Darrow, s'installe une relation de confiance et de respect entre le géant et la fragile jeune femme. Au-delà et en-deçà du sexe. Pas de l'amour, pas de l'amitié. Une espèce de lien érotique bâti sur la trop grande disproportion corporelle des protagonistes. Certes ce n'est qu'un film. En monnaie de singe. Peut-être même à l'eau de rose. Mais comme une nouvelle donne proposée pour régir les relations homme / femme, l'absence de sexe n'exclut pas le désir quand le désir ne s'abolit pas dans l'appropriation forcenée du sexe.
Virginie Despentes ne se berce pas d'illusion. Une direction à envisager, entrevue dans un lointain temporel pour lequel elle ne prend même pas la peine d'avancer une date de réalisation hypothétique. Pas mal pour quelqu'un qui provient du No Future punkoozitäl. Retourne vite dans le présent. Appuie sur les idées toute faites. Non, elle ne condamne pas la pornographie. Accepte même que l'on puisse y prendre du plaisir. Brut et sans pruderie. De même pour la prostitution. Beaucoup la pratiquent par raison économique. Un travail pas jojo et pénible. Mais n'est pas le seul dans notre société, si vous croyez que c'est beaucoup mieux d'être rivé à la chaîne chez Peugeot ou humilié toute la journée par la sous-merde arrogante qu'est votre chef de bureau ou de chantier, vous vous mettez le doigt dans l'oeil jusqu'à la clavicule et c'est tout autant désagréable, sinon plus, que le client qui vous enfonce sa pine dans le cul. Reste à savoir quel est le mieux payé.
Vous écarquille les yeux. N'ôte pas ce sexe que vous ne sauriez voir. Nous sommes dans une société marchande. Et libérale. Tout se vend. Tout s'achète. Faut que le client et l'artisan retirent un égal bénéfice de la transaction. Pas d'intermédiaire qui se goinfre au passage. Aujourd'hui la prostitution est rayée de la carte. Exit des centre villes. Est reléguée dans les quartiers périphériques. La police et la morale marchent la main dans la main. Certains diront dans le sac. Hypocrisie sociale. Surtout cacher que les travailleuses du sexe sont pour la plupart des gamines issues des milieux populaires et des malheureuses illégalement entrées sur le territoire national... Tout s'achète et tout se vole.
Et le viol d'une papillonne a donc engendré ce livre de colère ! Mais le viol lui-même qu'en est-il ? L'a sa théorie là-dessus. Bâtie sur sur sa propre expérience. N'a pas été à la fête. L'a eu la trouille de sa vie. Le cul brûlé aux vits mais dans sa panique, l'a tout de même gardé la tête froide. Toute théorie découle d'une observance, d'une pratique inattaquable. Les mecs qui vous baisent en groupe sont plus intéressés par les performances des copains que par les gigotements de la proie. Le mâle se dévoile, c'est à qui l'aura la plus longue et la plus efficace. L'on se jauge et l'on s'envie, sans fausse honte puisque la témoin est sans importance et qu'elle essaie de se faire oublier, aussi petite que son trou de souris, dont les gros matous se moquent alors même qu'ils la foutent en coeur. Chose acquise – de gré et à priori de force – perd tout intérêt, les violeurs sont des voyeurs qui ne vous regardent pas, leurs désirs sont ailleurs, sur ces corps d'hommes que leur fierté virile leur interdit de désirer. Le viol en tant que pratique refoulatoire de l'homosexualité. Virginie Despentes n'y va pas pas avec le dos de la ceinture de chasteté outragée, va-te faire foutre ailleurs par tes alter-égos, lance-telle à la gueule de ses pendards. Tu aimerais faire la queue, pas à la fille, mais à l'autre file, celle des mecs, que ton idéologie machiste à la mords-toi le noeud t'interdit. Honte sur celui qui est incapable d'accomplir ses désirs les plus intimes. Ces rêves irréalisés que vous transmettez sous forme d'actes cauchemardesques à celles qui n'y sont pour rien. Un livre qui remet les braguettes en place.
Sex, drugs and rock'n'roll. N'effleure que le premier membre de la trinité. Les deux autres, les mentionne incidemment, ne sont pas le sujet du livre. Même si ces parallèles se croisent – et parfois finissent par s'embrouiller – dans bien des existences. Question sexe vous êtes servi. Mais attention, Virginie ne vous force pas à manger. Si d'autres assiettes vous tentent, ne les dédaignez pas. Sa théorie n'est pas universelle. Rejoint le principe thélémite, fais ce qu'il te plaît, et surtout ne force pas les autres à pratiquer ce qui fait ton bonheur. Bien sûr, tu peux te retrouver vite seul à ce grand jeu du désir de vivre. Mais ce sera toujours mieux que d'être mal accompagné.
Damie Chad.
SUR LA MÊME
LONGUEUR D'ONDES
LE DETONATEUR MUSICAL
N° 79 / AUTOMNE 2016
Pas cher. C'est gratuit. Se moquent pas du monde. Cinquante-deux pages, photos couleurs, bien écrit. Fondé en 1982 par Serge Beyer, tiré à cent mille exemplaires. Distribué en France, en Belgique, au Québec et en Acadie, principalement dans les lieux à vocation culturelle. Ne me demandez pas comment ils équilibrent les comptes. Tout de même quatorze pages de pub dans ce dernier numéro. Sûr qu'il doit y avoir une nuée de bénévoles qui marnent pour le plaisir. Possèdent aussi un site et un FB que vous devez aller voir si les groupes et les chanteurs dont nous causons dans KR'TNT ! vous paraissent trop bruyants. S'intéressent aux créateurs francophones. Ouvert à tous les styles, chansons, électro, et ce que j'appelle les artistes France-Inter, ils adorent découvrir les inconnus – certains deviennent célèbres comme Dominique A et Noir Désir - mais en règle générale c'est un peu le mainstream des anonymes. Pour résumer et faire court, ce n'est pas très rock and roll. Evitez de confondre avec Sniffin' Glue et Big Beat.
Damie Chad.
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