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15/11/2017

KR'TNT ! 348 : STOOGES / BARNY AND THE RHYTHM ALL STARS / ROCKABILLY GENERATION / VINCE TAYLOR / FRANCOIS REICHENBACH / JOHNNY HALLYDAY / MOUSTIQUE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 348

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

16 / 11 / 2017

STOOGES / BARNY & THE RHYTHM ALL STARS

ROCKABILLY GENERATION / VINCE TAYLOR

FRANCOIS REICHENBACH / JOHNNY HALLYDAY

MOUSTIQUE

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Stoog by me - Part Two

Allons bon, encore un livre sur les Stooges ! On le sort de l’étagère. Il pèse une tonne, avec de la bonne vieille stoogerie à toutes les pages. On le feuillette et on le repose. On ne regarde même pas le prix. Vu le look du book, il coûte forcément une fortune. C’est vrai, Memphis Soul coûtait aussi une petite fortune, et on ne l’avait pas regretté. Oh et puis fuck it ! Allons fouiner ailleurs. Tiens, par exemple au rayon presse. Ah tous ces magazines de rock qui te tendent les bras en criant : «Prends-moi ! Prends-moi !». Quelle débauche d’images ! On se croirait devant les vitrines du quartier chaud à Amsterdam. On prend vite le large et comme le destin fait bien son boulot, on repasse devant la fameuse étagère, et hop, on met machinalement le grappin sur le book des Stooges, histoire de lester la cale du brigantin.

Le book s’appelle Total Chaos. Joli titre. Couverture parfaite. Quand on l’examine, deux choses frappent immédiatement. Un, la photo d’Iggy est à l’envers, le voilà accroché au plafond comme une chauve-souris. Deux, il dégage quelque chose d’à la fois cadavérique et christique. La peau sur les os, la bouche ouverte, un torse qui sort de l’ombre comme s’il ressortait vivant d’une tombe, un collier de chien remplace la couronne d’épines, ceci est mon sang, kiss my blood, par le sacrifice de mon corps, je rachète cash tous vos péchés, ceci est ma dope, I’ve been dirt, mais comme on est à Detroit et non en Palestine, Iggy s’empresse d’ajouter I don’t care, c’est-à-dire qu’il s’accorde un passe-droit, l’accès direct à l’amoralité, l’état de l’homme sans qualité, bien avant Robert Musil et tout le bordel des religions, bien avant que ne plane sur les cervelles en surchauffe l’ombre de Mircea Eliade, et on se prend à rêver d’une église moderne, avec ce livre posé debout sur l’autel et l’immense foule du dimanche matin qui psalmodierait «No fun, my babe no fun», à la suite de quoi le prêtre lancerait d’une voix forte et douce : «No fun to be alone», alors la foule répondrait «Walking all by myself», et le prêtre lèverait les bras au ciel puis il relancerait la ferveur des fidèles en clamant une nouvelle fois «No fun to be alone», et bien sûr, la foule ferait trembler les colonnes de la nef en tonnant «In love with nobody else !».

Dans sa préface, Jeff Gold nous explique qu’il a rassemblé 100 docs des Stooges et qu’il est allé voir Iggy chez lui à Miami. Car à la différence des autres livres consacrés aux Stooges, c’est Iggy qui mène le bal de celui-ci, et comme il fait partie des hommes les plus intelligents de cette terre, on entre un peu dans ce livre comme Fernandel dans la Caverne d’Ali-Baba. C’est bardé de citations de choc. Iggy s’exprime comme un messie : «Je ne voulais pas faire un break total avec la musique d’alors, je ne voulais pas me faire passer pour un musicien, je voulais seulement faire quelque chose de complètement nouveau. Comment ? The answer is it was done with drugs, attitude, youth, and a record collection.» On a là une définition parfaite du rock qu’on aime bien.

On passe les épisodes Iguanas et Prime Movers qu’Iggy drum drum boy commente dans le détail - il se montre effarant de précision - et on finit par tomber sur la genèse des Stooges. Iggy raconte que Scott Asheton le harcelait pour qu’il lui apprenne à jouer de la batterie - He was just a beautiful kid who looked athletic and would stare at me and say ‘Would you teach me to play some drums ?’ - Iggy va répéter chez les frères Asheton. Il doit commencer par les réveiller, car ils ne se lèvent pas de bonne heure, puis il leur fait fumer un joint, car les frères Asheton ne répètent pas s’ils ne sont pas stoned. Alors voilà les early Stooges : Ron (bass), Scott (drums) et Iggy (keyboard). Ça donne Iggy + Ron the weird guy + Scott de stoned punk - That’s very accurate - Et puis Iggy comprend que Ron doit jouer de la guitare, et non de la basse. Et tout part de là, pendant une répète informelle - Ron jouait un riff hendrixien, bam bam, baa, de, doot-doot, daa, de, doot-doot, doo, exactly how it went - et Iggy se met à danser comme un Chiricahua, à faire le con. Le plus tordant de cette histoire, c’est la remarque de John Cale qui produit leur premier album. Il lance à Iggy : «They don’t play good unless you jump around», alors Iggy saute partout dans le studio pendant que les trois autres Stooges enregistrent les cuts de leur premier album. Iggy fait les voix dans un deuxième temps. Ça s’appelle la naissance d’un mythe. Dans une histoire comme celle des Stooges, le moindre détail revêt une importance considérable.

Les Stooges ? Au tout début, Ron n’y croit pas trop. Quant à Scott, il ne dit rien. Ni oui, ni non - He was always ready to drum if you could get him out of bed - Par contre, Iggy n’en finit plus d’y croire - We can do this ! - Il devient la loco des Stooges. Et paf ça part ! On tombe soudain sur une photo des Stooges dressés dans un champ de maïs. Double page. Direct en pleine poire. Iggy commente l’image en disant que les Stooges ressemblent à Nirvana, sauf que c’est en 1968, it’s the whole ethic, and not just the clothes but the whole attitude you know ? And the music - the music, the Asheton brothers - those two wonderful people lived their whole lives in a trance - Iggy fait l’apologie de la transe, bande-son de l’amoralité.

Il brosse un stupéfiant portrait de Dave Alexander, ce petit mec qui souffre de problèmes de peau, qui boit parce qu’il n’arrive pas à baiser une seule gonzesse à cause de sa mauvaise peau, un petit mec qui adore Love, alors que Ron ne jure que par Jimi Hendrix et les Pretty Things - You could really hear that in the bass playing on Raw Power - Iggy ajoute que John Stax did wonderful walking bass lines. Iggy leur fait aussi écouter le Velvet, évidemment. Ils adorent aussi Stones, bien sûr. Plus tard, Scott ira plus sur Funkadelic, des blacks qui sont aussi à Detroit, ils les connaissent bien. De son côté, Iggy raffole de Jim Morrison et des Doors, et du MC5. Mais surtout de James Brown : il entend un jour «Papa’s Got A Brand New Bag» à la radio - Holy shit what the fuck is this ? - c’est ce qu’il veut faire dans Fun House - A little bit urban blues but a lot of James Brown in there - Et quand Iggy voit Jim Morrison faire n’importe quoi sur scène and still look great doing it, il comprend que ce type de bordel est à sa portée.

Toutes les légendes se construisent à partir de menues broutilles, que ce soit en Palestine ou a Detroit, et les concours de circonstances historico-sociologiques font le reste du boulot. Tu marches dans le désert et tu wanna be your dog, tu marches sur l’eau et tu call mom on the telephone, tu reviens d’entre les morts et tu don’t care, tu portes le poids du monde et tu gonna have a real cool time, tout est dans tout, rien n’est dans rien, ainsi va cette vie dont nous ne savons finalement pas grand chose et qui va s’achever avant même que nous ayons compris quoi que ce soit. À peine le temps de danser le jerk des Stooges, et on replonge dans le néant dont on vient.

Pourvu qu’on ait le temps de finir la lecture de ce livre palpitant ! On a beau connaître l’histoire par cœur, on s’y replonge, car Iggy parle et son timbre résonne. On l’a souvent dit ici et là, c’est le meilleur pote qu’on ait jamais eu, le seul en qui on peut avoir une totale confiance. Pas besoin de l’avoir rencontré. Sa seule présence suffit. Pourvu qu’il tienne encore un peu. On se souvient du départ de Gainsbarre. Celui d’Iggy serait encore plus douloureux.

Voilà que les Stooges entrent dans le godlike corporate world du show-business : Danny Fields les repère et les recommande à Jac Holzman d’Elektra qui se déplace en personne pour venir écouter trois chansons. Tope-là ! Il signe le groupe pour 5.000 $, et profite de son séjour à Detroit pour signer en plus le MC5 (15.000 $). Fabuleuse anecdote d’achats en gros. Sacré Jac, il fait une bonne affaire, à ce prix-là. Iggy trouve Jac intelligent, alors ça se passe bien. Les Stooges ont du blé, ils trouvent une bicoque sur Packard Road et la baptisent The Stooges Manor, ou Fun House, c’est comme on veut. Et paf, Ron comes up with two riffs that you could start staking a career on. I knew that at the time when I heard «Dog» and «Fun» - Oui, c’est Ron qui s’y colle, car Iggy est trop camé. Ron sort les deux riffs clés des Stooges, ceux de Wanna Be Your Dog et No Fun. Tout va ensuite très vite. Les voilà à New York en studio pour enregistrer leur premier album. Iggy profite de l’occasion pour rappeler qu’il règne une ambiance stoogy dans le studio : John Cale porte une cape de Dracula et Nico tricote - And the two of them it was really like the Munsters - Ça ne te rappelle rien ? Oui, c’est la même histoire que celle de l’enregistrement du premier album des Cramps à Memphis, dont se souvient Tav Falco - The Cramps approached studio recording as if it were a wild live show. Their antics in the studio were astonishing (Les Cramps jouaient en studio comme ils jouaient sur scène, avec la même sauvagerie. Les séances d’enregistrement furent spectaculaires) - Iggy précise un point fondamental : on fait un meilleur album avec un producteur qui est une personnalité plutôt qu’avec un technicien. Parmi les applications de ce théorème, on trouve Andy Warhol (Velvet), Nick Lowe (Damned), David Bowie (Lust For Life et The Idiot) et bien sûr Jim Dickinson.

Alors forcément, quand on traîne du côté de la Palestine, on finit par tomber sur les pharaons. Quand il ne répète pas, Iggy va fouiner dans les livres d’art de la bibliothèque du coin. Le look des pharaons le fascine - The paraohs with no shirts and I thought ‘It just looks so classic !’ - Et pouf, le voilà torse nu sur scène. Il faut savoir se donner les moyens de sa stoogerie. Mais Iggy connaît aussi le Living Theatre, Nam June Park et John Cage, il est loin d’être l’abruti que l’on croit. Il sent germer les idées en lui, il sait qu’il va bientôt marcher sur les mains des fidèles. Ses apôtres Saint-Ron, Saint-Dave et Saint-Scott se gavent de came. Les Stooges écument les États-Unis d’Amérique et dix ans après Elvis, ils rallument tous les brasiers et réinventent le rock.

L’histoire s’emballe. Ils enregistrent Fun House à Los Angeles avec Don Galucci, et donc ils tournent, tournent, tournent, ils deviennent énormes - We were shit hot - Iggy prend de tout, coke, speed, LSD, héro - I would use that heroin to calm me down - et il devient accro - I became a complete drug maniac on and off from late 1970 through the end of ‘74 - et quand Saint-Dave commence à merdouiller sur scène, Iggy le vire comme un malpropre. C’est là que l’alchimie des Stooges se casse la gueule dans les escaliers - When you change a thing in a group like that, it destabilizes everything - Joe Strummer disait exactement la même chose après avoir viré Topper Headon. Les Stooges entament leur déclin, alors qu’ils sont partout dans la presse. Iggy tente de colmater les fuites dans la cale, il engage le dark Williamson, ce sale mec qu’on voit dans une spectaculaire photo des Stooges, assis par terre en slibard noir et en bottes. Il est encore plus stoogy qu’Iggy. Il a même une hépatite A - I’m sick man, don’t bother me - Iggy ne l’aime pas, mais Williamson lui montre des riffs, comme celui de «Penetration» - It had this moody violent vibe - Qu’en pense Iggy ? Ça lui va - We have syncopation a la Fun House, but more sophisticated - Iggy tente de sauver les Stooges car il sait qu’il a le meilleur groupe de rock d’Amérique. Alors direction l’Angleterre. Iggy et ce Williamson, un vautour qui déteste tout et tout le monde, Bowie, les Anglais, tout - Is James malovelent ? I think so - Iggy le sait malveillant. Pas d’auditions à Londres comme on l’a raconté partout, à l’époque, Williamson propose d’appeler Saint-Scott. Iggy rétorque : Saint-Scott ne vient pas sans Saint-Ron. Bon alors okay. Oh la belle ambiance ! - Ron hated me and hated James, but not openly. Scott hated James and hated Ron sometimes in like a brotherly way - Et voilà que le street walking cheetah with a heart full of napalm écume Hyde Park, Iggy porte ces silver-leather pants et ce blouson Cheetah acheté au Kensington Market et il marche, marche, marche pour travailler ses idées - So that was the idea and the I’d always liked the song ‘Heart Full Of Soul’ by the Yardbirds - Et il n’en finit plus d’aimer la vie, le lust de la vie - I actually enjoy food, sex, intoxication, travel and freedom - Et tous ses ennuis, ajoute-t-il, viennent justement de ce mighty lust for life - Which is what I sing about - Il fait de cette fantastique amoralité un fonds de commerce, mais attention, c’est un fonds de commerce stoogien, unique au monde. La cohérence de son goût pour l’amoralité peut faire peur, mais il finit par l’imposer, aussi vrai que le diable règne sur cette terre et que les Stooges sonnent comme la plus grande preuve de l’existence d’un dieu des drogues, on appelle ça le Raw Power, et la presse saute dans le train en marche et s’empresse de titrer «Punk messiah of the teenage wasteland», pas mal, n’est-ce pas ? Mais les Stooges vont mourir - too much drugs, the end of it all - avant de renaître glorieusement. Alors, partout dans le monde, les foules vont aller se prosterner aux pieds des Stooges revenus d’entre les morts.

Signé : Cazengler, Stoobidoo bidoo bidoo ahh

Jeff Gold. Total Chaos. The Story Of The Stooges/As Told By Iggy Pop. Third Man Books 2016

Encore une chose : quand on pose la question à Iggy : «Que doit-on retenir de l’histoire des Stooges ?», il répond ceci qui est le mot de la fin : «Well, I think it’s the eyes of a kid looking at the world» (C’est le regard d’un gamin sur le monde). «That’s what I would say. The feel of the group emanates from looking at everything from a childish perspective» (L’essence du groupe émane d’une vision enfantine du monde). «That’s what I would say. There are good things and bad things to come from that.»

11 / 11 / 2017TROYES

LE 3 B

BARNY & THE RHYTHM ALL STARS

 

Paris-Troyes d'une seule traite. J'arrive juste à temps pour la balance de Barny & The Rhythm All Stars. Sont tatillons les gars, ne laissent rien au hasard. Démarrent au quart de tour, splendide sans se forcer, mais chinoisent, coupent les pousses de bambou en quatre comme Lao-Tseu sur le sentier infinitésimal du Tao, apparemment une mesure en rupture de ban dont l'absence ne se profile guère dans mon oreille. Ce qui est marrant c'est qu'ils semblent y prendre un plaisir fou. Ce qui est précis est précieux affirmait Paul Valéry, certes mais pour les rockers c'est encore mieux quand s'y mêle une pointe de sauvagerie... En tout cas, un excellent hors d'œuvre avant le concert, eux ils auront en prime la raclette que dame Béatrice leur a mitonnée...

CONCERT

Pour des sauvages, commencent doucement, Barny collé au fond devant le rideau noir – une nouveauté – immobile, et le band qui entre sans se presser dans le riff de Claude Placet, monte systématiquement d'un demi-cran toutes les cinq secondes, avec cette régularité inquiétante de l'océan imperturbable qui grignote peu à peu les îlots sableux du Pacifique, mais eux ils vont plus vite, sont patients mais point trop, et dès avant la submersion finale, Barny surgit devant le micro, jeune et sauvage. L'est beau Barny, avec ses yeux noirs pleins de fougue et de gravité, la bandoulière de sa guitare à son nom incrusté de perles, et sa voix de foudre qui se pose en gerbe de feu tel l'alcyon sur les eaux tempétueuses. N'a pas fini son deuxième morceau que déjà une corde désemparée vole au vent. Rien de grave. N'en continue pas moins de frapper son instrument avec cette hargne méthodique et enivrante des outlaws qui mettent le feu à la prairie juste pour précipiter les cavalcades des tribus indiennes. Nous refera le même coup au troisième set, mais ne prendra même pas la peine de changer d'instrument, pas de souci à se faire avec les trois autres pistoleros à ses côtés.

Fred est à la contrebasse. Tout contre. L'est droit comme un I, cheveux peignés en arrière, l'a le look de ces serveurs de casino stylés dans les films d'espionnages, de ceux qui vous ramassent sur les tapis verts d'un coup élégant de raclette des milliers de dollars avec cette indifférence dégoûtée des philosophes revenus de toutes les turpitudes humaines, et qui se révèlent dès la première scène d'action la plus fine gâchette de la pellicule. Le croupier est amateur de belle croupe. Connaît la valeur des jetons ronds et des féminines rondeurs. Tient sa big mama fermement, dans sa jupe de bois cirée comme un cercueil, debout, plantée comme un arbre raide comme la justice, balancier immobile, axis mundi de la régularité temporelle. Visage imperturbable et main infiniment baladeuse sur le corsage du cordage. A peine la penche-t-il légèrement que sa volute vous surplombe comme tête menaçante de drakkar effilé qui remonte les fleuves à la recherche d'un village à piller et à incendier. Le rockab est une musique de prédateurs. La contrebasse est tour à tour moutonnement régulier des vagues, ou mouette rieuse qui rase les flots déchainées ivre de vent et de tempêté, la blanche Leucothéa qui s'en vient porter secours à Ulysse sur son radeau disloqué par les coups de boutoirs des lames neptuniennes. Ingratitude humaine, le contrebassiste semble suivre le mouvement, rameur obstiné rivé à son banc de nage, mais lorsque le guépard rockabillien se met en chasse, faut un doigté clitoridien pour épouser les félinités des successives cambrures de son échine, frôlements de velours quasi inaudibles dans les moments d'approches, lentes traînées insidieuses pour les reptations nécessaires aux positions d'affûts, staccati démultipliés pour les fulgurances de l'assaut ; slaps brutaux pour les morsures sanglantes des résolutions finales. Fred, l'impeccable imperturbable, suscite traduit et dessine de ses doigts agiles les scènes technicoloresques de nos imaginations les plus vives. Souligne les contours et avive la couleur amarante des flammes du rockab.

Stephane est à la batterie. J'avoue avoir été distrait lorsque Barny nous l'a présenté pour expliquer sa présence – une ravissante bout de chou de trois ans s'étant glissée tout devant la scène à mes mes côtés, Barny s'est d'ailleurs précipité, tombé à genoux pour lui permettre de gratouiller sa guitare – tranquille, pas inquiet, prend soin de vérifier sur sa set-list le prochain titre que Claude ou Barny lui annoncent, et il démarre aussitôt comme s'il accomplissait une formalité. C'est qu'avec les numéros de haute-voltige effectués par les deux trapézistes l'a intérêt à renvoyer le trapèze au dixième de seconde prêt. N'a pas droit à l'erreur. Alors il n'en fait pas. L'a une technique que je qualifierai de couvre-feu, s'agit de modérer brutalement les envolées à coups de cymbales comme si vous tentiez de regrouper les braises éparpillées dans la cheminée à mains nues. Pour mieux laisser s'échapper les flammes, plus hautes, plus vives, plus brûlantes, dès que le morceau en cours nécessite une de ces soudaines bouffées d'énergie dont en les violentes survenues réside l'essence du rockab. D'autant plus remarquable que parfois il improvise, résout les problèmes à la vitesse des ordinateurs qui vous posent les satellites en orbite avec cette tranquille assurance avec laquelle vous remplissez votre verre de liqueur ambrée.

Claude est à la lead. Ou plutôt la lead est enchaînée à Claude comme l'esclave soumise à son maître. L'en fait ce qu'il en veut. Une facilité déconcertante. Ne le citez pas en exemple à un guitariste débutant. L'aurait l'impression qu'en un peu moins de trois heures il maîtrisera facilement cet instrument rudimentaire. Vous passe les riffs les plus sauvages avec le tour de main inimitable de Tante Agathe qui repasse votre chemise. Sourire débonnaire et doigts incendiaires. L'air innocent du promeneur distrait qui sort de la pinède en flammes tout étonné des trois cents pompiers appelés en renfort pour éteindre l'incendie qu'il s'est fait un plaisir d'allumer, just for fun. Vous déclenche une catastrophe sonore chaque fois qu'il touche de son onglet une corde. Une espèce de tumulte sonique qui vous emporte au septième ciel, z'avez l'impression de voir Dieu en personne et des anges qui caressent le luth de sainte-Cécile pour en extraire des riffs de fou, mais non, ce n'est que Claude qui médite sereinement l'endroit exactement adéquat où il faut frapper la corde pour qu'elle se détende et libère une note dont l'intensité égalera la morsure du mamba noir ulcéré d'avoir été dérangé dans sa sieste.

On a passé l'équipage en revue. Reste le capitaine. Le plus jeune, le plus audacieux. D'abord la voix. Ou plutôt l'art de la poser. Où il faut. Quand il faut. Comme il faut. Avec en plus cette impression de n'agir que dans l'urgence, de s'en débarrasser à toute vitesse, d'avoir commencé trop tard et fini trop tôt, ou de la jeter avec cette désinvolture de grand seigneur comme des pièces de monnaie pour que le personnel s'amuse, du grand art, quoiqu'il fasse la constatation s'impose, c'était là et ainsi qu'il fallait faire. Barny a l'instinct du rockab, l'est habité par, possédé, l'est des moments où il ne s' appartient plus, des montées foudroyantes de speed-stress, n'est plus lui-même mais n'est pas un autre non plus, l'est simplement la musique qu'il est en train d'exsuder de son corps comme de son intimité la plus profonde, n'en voulons pour preuve que cette interprétation démentielle de Run Away dédié à son père Carl, faut dire que derrière les matelots ont hissé la voilure et que le combo file comme l'ouragan, surtout Stéphane avec ses reprises de batteries, ses trois coups de feu qui relancent la bordée de mitraille, un long morceau qui vous conte la libération de l'esprit qui s'envole à la rencontre de l'âme du monde, le cheval noir de l'attelage platonicien a pris le contrôle sur le blanc et vous conduit en une course folle dans l'excessivité exaltante du soleil, un des plus beaux moments que j'ai vécus, un instant d'infinitude folle, une intensité de toute beauté, jamais égalée, l'on ne sort pas indemne d'une telle interprétation, Barny se retire derrière le rideau noir, tel le roi lézard de Jim Morrison dans sa tente à la fin de la cérémonie, laissant l'orchestre improviser un instrumental.

Revient pour le troisième set. Comme si de rien n'était. Et l'on peut admirer sa prestance. Certes l'espace du 3 B ne permet pas de grands mouvements mais il nous régalera de ces poses stupéfiantes, instantanés de guitare bloquée en des immobilités hiératiques, morceaux à l'arrache et à l'emporte pièce qui vous dégoupillent la grenade du cerveau. Il se fait tard, la soirée se termine sur deux morceaux époustouflants de hargne rockab.

Un des plus beaux concerts du 3 B ( et d'ailleurs) chargé d'une émotion à couper au cran d'arrêt.

Merci à Barny, au Rhythm All Stars, et à dame Béatrice.

Damie Chad.

YOUNG ' N' WILD

Wild Records ( USA ) / 2016

Barny Rodrigues Da Silva :vocals, acoustic guitar, / Claude Placet : electric guitar / Fred Bonifacio : upright bass / Pedro Pena : drums.

 

Belle pochette cartonnée avec à l'intérieur des mots simples et percutants qui marquent le passage de témoin de Carl à Barny, du père au fils, l'héritage pleinement relevé et assumé, car le wild rockabilly ne saurait mourir. Tant qu'il subsistera des amateurs pour perpétuer la légende et entretenir la flamme dévorante. Jusqu'à ce qu'elle nous ait tous consummés et qu'il ne reste personne pour s'intéresser à ces cendres froides d'un monde évanoui. Qui fut et qui aura été nôtre.

 

Run away : l'adieu et l'hommage à Carl, parti trop tôt selon nous, mais selon la destinée qu'il s'est choisie en homme libre. Cordes acoustiques et la voix qui monte et s'interroge, l'élan d'une flamme que le vent couche mais n'éteint pas, se redresse et reprend de plus belle sur cette brève charge de tambour ulcérée, montagnes russes de la douleur et de l'acceptation, les chevaux les plus libres et les plus fous courent d'infinis galops dans les pâturages hauturiers. Magnifique. Une Partenza digne de Viélé-Griffin. Not ready : une deuxième composition de Barny, tous les ingrédients du rockab réunis et réussis, une guitare insistante, une basse grondante et une batterie impitoyable, une voix qui s'impose d'office, naturellement. Bluffant, déconcertant de facilité. I got the bull by the horns : faut toujours chercher la cocarde d'honneur entre les cornes du taureau. Si possible, un vieux vicieux qui a fait ses preuves, c'est ainsi que la jeunesse n'attend pas le nombre des années, Barny et ses stars vous massacrent ce redoutable bison de Johnny Horton de fort belle manière, une danse de scalp indienne comme l'on n'en fait que trop rarement dans nos contrées. I got the river : remettent tout de suite le couvert, un peu plus fort, un peu plus sauvage, la guitare de Claude s'électrifie comme une ligne à haute tension. Barny tient ferme sur la vache folle du rodéo et son vocal qui vous arrache des touffes d'herbes aussi grosses que des balles de foins. Help me to find out : ne s'agit pas de foncer comme une brute, faut encore oser au coeur des tempêtes le détachement moqueur et la voix qui s'amuse, sans oublier que derrière les intruments sont comme le lait sur le feu qui n'attendent qu'un moment d'inattention pour déborder et envahir le monde. Crazy beat : des partisans de la montée continue, vous voulez du sauvage, en voici, en voilà, à profusion, c'est à qui ira le plus vite, la voix ou la musique, passent la ligne d'arrivée à fond en oubliant de s'arrêter. Vous renversent la tribune d'honneur et s'adjugent la coupe d'or promise par les Dieux. Mary Sue : Vous croyiez avoir touché le paroxysme, eh ben non, vous font valser le jupon de la petite Mary par dessus les moulins de Don Quichotte. Vous lui essorent le sexe d'une bien belle manière. Je n'en dirai pas plus mais n'en pense pas moins. Vu les cris, ce doit être particulièrement voluptueux. I don't want to be like you : la voix traîne un peu sur la rythmique endiablée, la guitare en profite pour vous passer un riff dans les replis accordéonesques d'un reptile qui étire ses méandres venimeux. Au point où vous en êtes un peu plus de folie ne peut que vous rendre plus sage. Il faut soigner le mal par le mal. Brutale thérapie. Mais vous file la forme. Mad man : la deuxième et dernière reprise du disque, de Jimmy Wages, le pionnier improbable, l'a connu Elvis à Tupelo, l'a enregistré chez Sun avec Jerry Lee au clavier et Charlie Rich à la guitare. N'a rien vu sortir. Un peu trop sauvage, un peu en dehors des canons – lui qui pourtant tirait à boulets rouges. Plus qu'un symbole, un parti pris. L'enregistrent avec la folie nécessaire. Commencent comme en sourdine et finissent collés au plafond. Crazy about you : tant qu'à être fous, soyons-le jusqu'au bout. Barny traîne exprès sur les syllabes, broute à Charlie Feathers, la vie et l'amour ne sont qu'un jeu de jupe et de dupe. Ce n'est pas pour cela que l'on ne va plus s'amuser. Oh mama : du riff et de la voix. Pas besoin d'ajouter de la persillade sur la lave du volcan qui brûle votre maison. La basse de Fred halète comme un chien qui a couru après tous les chats du quartier, et la batterie de Pedro vous hache le filet de boeuf en purée mousseline. Young and wild : une promesse, un engagement. Tous les deux tenus. Démarrage tout en douceur, mais très vite Barny allume l'incendie, ce sont toujours les pyromanes qui s'égosillent le mieux pour appeler les pompiers. Le plaisir du vice. D'être jeune et sauvage. Dans sa tête. C'est là l'essentiel.

 

Je me répète : un disque essentiel.

 

I GOT THE RIVER / OH MAMMA

( RIP CARL )

Je le cite pour mémoire. Les deux morceaux sont sur le CD. Ce quarante cinq tours sorti quelques mois après la disparition de Carl avait fait le buzz dans le milieu rockab. C'était trop beau, trop inespéré pour être vrai.

Damie Chad.

ROCKABILLY GENERATION N°3

Novembre – Décembre 2017

L'art de la revue est difficile et de longue haleine, tient en même temps du marathon et du cent mètres haies. Faut tenir la distance et paraître à allure métronomique. Sergio Kazh et son équipe ont décidément adopté le bon tempo, celui de la parution régulière et de l'intérêt accru à chaque numéro. Avant d'être une mine d'informations Rockabilly Generation est un bel objet, se feuillette par plaisir, typographie aérée, superbes photos, papier glacé. Plaisir de voir, désir de toucher sont au fondement de l'esthétique et de l'érotique de l'art de la revue. Pin up rockabilly !

Ce numéro trois nous permet de voyager en Europe, compte-rendu du festival Get Rhythm Go Wild d'Ebelsbach en Allemagne et visite chez Rick & Ruby de The Tinstars, en Hollande. Toute la différence entre un reportage et l'accueil chaleureux dans une maison d'amis. L'on se sent bien, comme chez soi, dans ces pages, une conversation à bâtons rompus mais menée fort intelligemment qui se révèle pleine d'enseignements, Rick donne l'impression d'un guerrier rockabilly qui a atteint la maîtrise absolue de la zénitude. Grand article sur Hot Slap de Rouen qui retrace son histoire, quelques propos alléchants des Memphis Flyers, une rapide évocation d'Israël Proulx originaire du Canada, et une interview des Noisy Boys réalisée quelques minutes avant leur dernier concert... Rubriques habituelles, disques Be Bop Creek à l'honneur, concerts, courriers des lecteurs...

Nous avons gardé pour la fin, l'hommage à Sonny Burgess placé en tête du fascicule. Honneur aux pionniers – la forêt d'arbres cannibales qui se cachent derrière le séquoia majestueux d'Elvis - sans qui rien ne serait arrivé mais dont l'histoire épouse les contours d'une génération sacrifiée...

Attention, lecteurs faites vite, les numéros 1 et 2, sont épuisés et vu la qualité et la densité de ce 3, il risque de disparaître rapidement.

Damie Chad.

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 36 pages, 3, 50 Euros + 3, 40 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, abonnement 4 numéros : 25 Euros, chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro.

VINCE TAYLOR

SONORAMA N° 37 / FEVRIER 1962

Moins connu que le scopitone, la revue Sonorama. Revue papier et sonore. Chaque article s'étalait sur deux pages, mais la merveille résidait entre, le disque souple glissé entre les deux. Suffisait de poser la revue sur le tourne-disque pour écouter. Sonorama proposait plusieurs sujets d'actualité, mais quand on regarde les sommaires il est facile de se rendre compte que les chanteurs et dans une moindre mesure les artistes de cinéma étaient privilégiés. Entre octobre 1958 et juillet 1962, parurent 42 numéros. Les documents consacrés à Johnny Hallyday ont été réédités par Jukebox Magazine. Pour les curieux, les numéros se trouvent facilement sur les sites à des prix tournant entre 4 et 20 euros... A l'époque la revue était relativement chère ce qui explique son interruption. Le promoteur en était Louis Merlin fondateur d'Europe 1. L'est sûr que le succès de Salut Les Copains ( numéro 1 en juillet 1962 ) a dû lui couper le sifflet. Sonorama a toutefois bénéficié de signatures célèbres comme Jean Cocteau, Pierre Mac Orlan, Louise de Vilmorin...

Et de Vince Taylor, ce qui est nettement plus classe. Twenty Fligth Rock d'entrée, rien de tel pour vous mettre de bonne humeur, mais voici qu'une voix féminine se livre à une analyse psychologique de notre rocker (quasi)national N° 1. L'est comparé à Doctor Jekyll et Mister Hyde, à en croire notre demoiselle ( Jacqueline Joubert ) Vince le jour serait un garçon timide et bien élevé, mais hélas quand survient la nuit et qu'il est assailli par les démons du rock... l'ange de la destruction en personne, et hop on lui donne la parole avec surtout cette bonne idée de faire la traduction une fois qu'il a fini de parler et non pendant. Un peu gêné le Vince, tente de raccommoder la vaisselle brisée – c'est trop tard, l'on n'a pas le texte des deux pages de présentation mais l'on subodore que c'est juste après la mise à sac du Palais des Sports du 18 novembre 1961 – rejette la faute sur la centaine de voyous qu'il ne faut pas confondre avec l'ensemble des cinq mille participants, même si le rock comporte un arrière-fond de violence... passons... la speakerine laisse Bobby Clarke dérouler son solo, les guitares s'en donner à coeur joie et Vince déroule en intégralité un très bon Sweet Little Sixteen.

Tout amateur de Vince écoutera avec plaisir. N'en sort point trop étrillé le Vince, maintenant je ne sais pas comment la majorité des lecteurs de Sonorama devaient recevoir le paquet cadeau quand on pense que le N° 1 proposait Le Soulier de Satin de Paul Claudel... Une étude statistico-sociologique s'impose !

Damie Chad.

A LA MEMOIRE DU ROCK

( V. Taylor, J. Hallyday, E. Mitchell )

FRANCOIS REICHENBACH

1962

Cinéaste, François Reichenbach est un témoin important de la naissance du rock en France. L'a beaucoup filmé et archivé ( voir KR'TNT ! 312 du 19 / 01 / 2017 ) mais à part le long métrage sur Johnny Hallyday et ce court documentaire qui ne dépasse pas la douzaine de minutes peu d'images ont été montrées au public.

Réalisé en 1962 ce film mélange entre autres des rushes du premier ( 24 février 1961 ), du deuxième ( 18 juin 1961 ) festival international de rock'n'roll au Palais des Sports de Paris. Notons que Vince Taylor était la tête d'affiche du troisième festival du 18 novembre 1961. La salle chavire avant qu'il ait pu rentrer en scène... La carrière de Vince ne s'en relèvera pas...

Fallait du courage pour oser montrer d'un oeil sympathique la furia rock'n'roll en pleine action, François Reichenbach ne se démonte pas et use de subterfuges socio-culturels qui le rangent parmi les manipulateurs d'opinion les plus remarquables. Réalise un agressif et insidieux mélange cinématographique : complaisance d'images-choc enveloppées dans une bande-son des plus séductrices.

Bruit de foule déchaînée et lecture en lettres blanches sur fond noir d'un extrait d'un article du 21 novembre 1961 de France-Soir. Assez prémonitoire quand on pense au joli mois de mai 1968, les échauffourées du 18 novembre 1961 ne sont que signes avant-coureurs d'une tempête plus dangereuse qui se profile à l'horizon. Brutal changement d'ambiance, une de magazine offrant un beau portrait de Johnny Hallyday alors que s'égrènent les premières notes du Quintette N° 1 de Luigi Boccherini. Le genre de musique que l'on retrouverait facilement en fond de lecture de La Chartreuse de Parme de Stendhal. Vous allez vous en fader encore quelques instants de ce satané Luigi durant les gros plans sur les visages d'une jeunesse qui se dirige vers les entrées du Palais des Sports. Sont beaux, sont jeunes, nos Rastignac du Rock, n'empêche qu'aujourd'hui ils dépassent les soixante-dix balais et que la réalité a dû raboter sérieusement ce désir de vivre qui les habitait... Du bruit et du noir. Des cris infinis dans lesquels surnage la musique des Chaussettes Noires. Vous ne les entreverrez qu'à peine, la caméra préfère ne pas quitter de son œil de verre ces jeunes fous qui dansent, remuent, crient, exultent... une vague de folie communicante, les Chaussettes têtes coupées pour mieux insister sur la désarticulation des corps et montrer que l'hystérie de la cohue généralisée n'appartient à personne et subitement dans la cohue surgit le visage extatique de Vince Taylor, apparition dionysiaque, félin cerclé de cuir noir, essentiel, absolu, l'essence même du rock, une vision, une interpolation des plus artificielles puisque Vince n'a pas chanté – je dirais des plans de son spectacle à l'Olympia de décembre / Janvier 61 / 62 – puis par la grâce du montage retomber sur Hallyday qui fut la vedette incontestée et incontestable de la soirée du 24 février. Les images s'éclaircissent comme pour filmer un tour de chant des plus classiques, mais non, pour mieux désigner la descente des flics qui provoquent mouvement de reflux et sur la musique de Boccherini se dessine un étrange ballet de pandores qui marque la mesure de leurs matraques qu'ils abattent sur la tête de cette jeunesse en délire. La caméra se braque comme un fusil sur ces jeunes innocents et nous désigne les coupables qui continuent à danser, à tressauter, à s'agiter infiniment, visages épanouis, corps comme libérés de la pesanteur sociétale, comme si leurs soubresauts épousaient le rythme des violoncelles de Boccherini... manière de dire qu'au-delà des siècles musique de chambre ''classique'' et rock'n'roll sauvage ne sont que la même expression de la rage de vivre.

Si je devais donner un titre, ce serait : Tombeau pour Vince Taylor.

Car les images de François Reichenbach ne sont pas loin de la perfection formelle des sonnets mallarméens.

Damie Chad.

Disponible sur Youtube. Tapez les quatre lignes de notre titre. La (re)lecture de Vince Taylor, le perdant magnifique de Thierry Liesenfeld s'avère indispensable pour les esprits curieux et les amoureux du rock.

Ces deux articles ont été suscités par les posts de Vince Rogers sur son FB. Mine de combustible hautement radio-actif à ciel ouvert.

JOHNNY

LA DERNIERE DES LEGENDES

CLAUDE FLEOUTER

( Robert Laffont / Septembre 1992 )

 

Rien que deux livres parus sur Johnny, ces 26 et 27 octobre dernier... J'ai remonté de mon garage – la pièce la plus rock de tout appartement respectable - celui-ci, sorti en septembre. 1992. Un quart de siècle s'est écoulé depuis sa parution. La dernière des légendes a décidément la vie dure. Aussi dure que du bois dont on fait les cercueils. Claude Fléouter n'est pas né de la dernière pluie non plus. L'a réalisé une trentaine de films et écrit une trentaine de bouquins. L'est aussi le fondateur des Victoires de la Musique et des Victoires de la Musique Classique. Je vous laisse seuls juges, n'ai jamais vu puisque que je ne possède pas chez moi cette boite à esclaves que d'aucuns s'entêtent à appeler télévision. L'on sent l'inconditionnel, qui a connu Johnny dans sa jeunesse. Sait de quoi il parle. L'a cette qualité rare, de ne pas se mettre en avant. Raconte Johnny, pas les aventures de Fléouter avec Johnny. A peine si l'on peut deviner sa silhouette dans les coins.

Pas d'anecdotes graveleuses. Ne se voile pas non plus les yeux devant les seins qui dépassent et les chattes qui miaulent de plaisir. Ne raconte pas. Dresse un portrait. Qui tient aussi bien de La Bruyère pour les scènes de genre, que de Pascal pour la contemplation des gouffres intérieurs. Pas d'effort de style, mais bien écrit. Un Johnny en noir et blanc. Beaucoup de gris, beaucoup de noir. Peu de blanc. Ce n'est pourtant pas la couleur qui manque. La saga hallydéenne en épouse les teintes les plus vives. De quoi faire le bonheur d'un coloriste. Cléouter ne s'en prive pas non plus, mais toute la quincaillerie rutilante il la laisse en arrière-plan. L'on ne compte plus les journalistes en mal de ressentiment qui ne se sont pas privés d'attacher de multicolores casseroles dans le dos de notre rocker national. L'on reconnaît les écrivaillons du ressentiment à leurs stylos qui bavent.

Cléouter décrit le rocker mais s'attache à l'homme. Commence par la douleur. Automne 1966. Johnny ne sera pas sur la scène de la Fête de l'Humanité. L'a craqué, tentative de suicide. Sur la brèche depuis trop de temps. Le succès n'est pas venu trop vite. Il est venu très vite. Bien sûr il y a eu les années de galère, mais cela c'est la ration quotidienne de l'artiste qui s'en vient chambouler le jeu de quille établi. N'ont pas duré trop longtemps et lorsque l'on a seize ans et dix-sept ans cela relève encore du jeu. Idem pour le public qui se colle à lui dès la première émission télé. Et qui ne le lâchera plus. Il est l'allumette qui met le feu à la bonbonne de poudre noire. La jeunesse se découvre en le regardant. Il est n'est pas qu'un simple miroir. Il est un modèle. Il est l'artificier. Tout lui sourit. La gloire, l'argent, les filles et le rock'n'roll. De 1960 à 1965, il est l'idole d'une génération. A peine est-il parti à l'armée, à peine s'est-il marié que tout se désagrège. La vague adolescente qui l'a porté reflue, et la nouvelle guigne déjà ailleurs. Se retrouve seul dans un monde nouveau. Son nom fait encore illusion, il est un symbole, ce n'est pas un hasard si les communistes lui offrent le plus grand podium de France. Mais Johnny n'est pas dupe. L'a vu de près la solitude égotiste de Dylan et celle extasiée d'Hendrix, il le sait, il le comprend, il sera seul jusqu'au bout.

Quand l'aigle est blessé il ne revient pas chez les siens parce qu'il na pas de chez lui. Ou il crève ou il se métamorphose en phénix. Et Johnny revient. L'a retenu la nuit du désespoir dans sa poche avec un mouchoir dessus pour qu'elle ne ressorte comme le mauvais génie de la lampe. Côté soleil Johnny est imbattable. Fatigue tout le monde, inlassable, increvable, se couche pour ne plus se relever et se réveille le lendemain en pleine forme. Toujours des idées nouvelles, des lubies qu'il lui faut réaliser à la minute. Filles, voitures, musique, tout et tout de suite. Le prince flamboyant du rock'n'roll. Côté lunaire, c'est nettement moins drôle, un insomniaque – ce n'est pas qu'il est trop surexcité pour dormir, ce n'est pas qu'il ne peut pas, c'est qu'il ne veut pas se confronter à ces minutes d'abîme qui précèdent le sommeil, peur du rêve qui vire au cauchemar, peur inconsciente de la mort, de ne pas se réveiller, Johnny est un angoissé. Rayonnant dès qu'il met pied à terre. Mais l'angoisse l'habite, l'angoisse le ronge. Ne le quitte pas, même quand il allume le feu. Celui qui brûle la peau et qui consume le désir.

Certains mettront plus de temps que lui à comprendre que le rock est une course avec le devil. Même ceux qui se vantent de sympathiser avec lui. En 69 le concert d'Hyde Park en l'honneur de Brian Jones, si symboliquement pharamineux fût-il, n'était que cinq gars qui essayaient tant bien que mal de recoller les morceaux cassés de leur groupe. En 67, Johnny est au Palais des Sports, ne s'agit pas d'un énième tour de chant dont il sait fort bien s'acquitter, mais d'une mise en scène, d'un spectacle qui en donne plus. Faudra attendre la douche froide d'Altamont pour que les Stones comprennent qu'ils ont mangé le pain bleu du rock'n'roll, que désormais il va falloir voir plus grand, prouver au monde entier que c'est eux qui possèdent le plus gros zizi. Entre temps Johnny est revenu aux racines du rock, l'a son Johnny Circus, une folie entre le barnum originaire du Colonel Parker et la carriole des medecine show, mais revue façon cirque Pinder et Bouglionne. Une catastrophe financière mais il s'en relèvera plus grand, plus fort, le livre s'achève alors que la démesure hallydéenne se met en marche...

Je vous passe la tarte à la crème de l'enfant abandonné, Johnny n'est pas Cosette, l'a su se construire sur une situation de départ qui n'était pas jojo. C'est tout. Claude Fléouter ne cache rien, le bon comme le moins agréable, mais pas besoin de sécher vos larmes aux rideaux de la salle à manger. Nous dessine un Johnny timide, secret et sans doute le maître-mot : pudique. L'auteur a eu le trait sûr et perspicace. Un quart de siècle plus tard, Johnny ressemble à ce portrait initial. En vingt-cinq ans frasques et vicissitudes se sont accumulées. Les temps ont changé. Le monde a périclité. Johnny est toujours égal à lui-même. Nous avons pris un sacré coup d'usure. Ce livre antédiluvien de Claude Fléouter nous permet de vérifier qu'à l'intérieur Johnny n'a pas vieilli.

Essayer de faire pareil. Alors on en reparlera.

Damie Chad.

MICHEL GREGOIRE DIT

MOUSTIQUE

UNE LEGENDE DU ROCK'N'ROLL

( Reportage inédit du 17 novembre 1989 / YouTube  )

Ma chronique de l'album de Tony Marlow la semaine dernière m'a donné mauvaise conscience. L'on approche la trois-cent cinquantième livraison et Moustique n'a jamais été nommé qu'incidemment. Reste pourtant un pionnier du rock'n'roll français. On passe un peu vite sur lui, on l'écarte comme un moustique indésirable qui s'en vient butiner dans le pré-carré de votre peau. N'empêche qu'il est monté sur scène avec les plus grands, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent et surtout Little Richard qui l'a revendiqué comme ami. Ce mini-reportage est à voir. Moustique dès le début y revendique fièrement ses origines prolétariennes, un gosse de Paris, fils de la misère, à jamais traumatisé par l'apparition du rock'n'roll à l'orée des années soixante. Son premier 45 tours enregistré chez Barclay, la firme qui avait à son catalogue Les Chaussettes Noires et Vince Taylor lui apporta la gloire, celle qui survit à tout. N'en emprunta pas pour autant la voie royale d'Eddy Mitchell, comme Vince malgré des raisons différentes, il connut les itinéraires de la déglingue, rejeté par la vague yé-yé sur le sable les plages du dédain et de la non-rentabilité économique. Un avenir aussi sombre que le fond noir de sa première pochette. N'était pas le genre de gars que l'on pouvait calibrer, comme l'énonçait son premier hit Je suis comme ça, la reprise de My Way d'Eddie Cochran, quinze ans avant Sid Vicious, l'avait la sale habitude de n'en faire qu'à sa tête. N'a pas fait long feu chez les requins du showbizz. Alors l'a tout fait, la prison, un stand d'objets africains aux Puces, l'a tenu deux restaurants, bref l'a survécu dans les eaux troubles de la vie. Irrémédiablement rocker jusqu'au bout des ongles. L'est toujours présent, personnage doté d'un optimisme inamovible et pathétique, la foi du rock'n'roll chevillée au corps, toujours prêt à monter sur scène pour répandre la mauvaise parole du early rock'n'roll, cette musique qui vous salit les mains dès que vous les trempez dans son moteur et vous brûle l'âme. Irrémédiablement. Dès la première écoute. Moustique est un survivant. Moustique est un rocker.

Damie Chad.

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