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21/11/2018

KR'TNT ! 394 : ENDLESS BOOGIE / LITTLE BARRIE / BILL CRANE / NO HIT MAKERS / CARLA BLEY / ROCKAMBOLESQUES ( 8 )

 KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 394

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

22 / 11 / 2018

 ENDLESS BOOGIE / LITTLE BARRIE

BILL CRANE / NO HIT MAKERS / CARLA BLEY

ROCKAMBOLESQUES ( 8 )

TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

On ne tient pas les Endless Boogie en laisse - Part Three

Visiblement, Paul Major et son Endless Boogie ne font pas l’unanimité, chez les festivaliers binicais. Certains leur volaient même dans les plumes, ici et là. C’est vrai que ces New-Yorkais échappent un peu aux normes. Quatre morceaux en une heure, c’est d’un rapport qualité/prix qu’on pourrait qualifier de mauvais, si le concert n’était pas gratuit. Mais si on réfléchit une minute, le vrai problème qui se pose est de savoir si l’endless boogie peut se saucissonner en chapelets de deux minutes. Pas évident ! Même John Lee Hooker qu’on disait expert en la matière ne savait pas le faire. Par définition, l’endless boogie ne devrait jamais s’arrêter et quand Paul Major décide de couper court pour respecter les conventions de Genève, on sent bien qu’il le fait à contre-cœur, car c’est un non-sens. On pourrait même aller jusqu’à le soupçonner d’avoir reçu un pot de vin pour accepter de jouer quatre morceaux en une heure, au lieu d’un seul morceau en trois heures. Au pays de Descartes, la notion d’endless boogie ne correspond à rien de connu. L’endless boogie n’est ni référencé aux Arts & Métiers, ni considéré comme étalonnable par l’ISO, l’Organisation Internationale de Normalisation. Encore moins susceptible d’entrer dans un programme de recherche à des fins normatives, car il faudrait alors doper les cervelles des chercheurs, comme on dope celles des cyclistes professionnels. Examiner l’endless boogie de bout en bout équivaudrait en gros à grimper un col des Alpes en échappée solitaire. On mesure d’ici l’effort à fournir. Et les conséquences judiciaires en cas de contrôle médical. Risque auquel se plaît à échapper Paul Major, car vu qu’on fout la paix à son endless boogie, il peut s’allumer la lanterne à l’acide en toute impunité. C’est ce qui fait sa grandeur. Paul Major est l’acid-Fantomas, le shaman psychédélique par excellence, la résurrection de l’acid-freak mythique des seventies, le prince du blow out patenté. La seule chose qu’on pourrait lui reprocher serait de ne pas partager. Il part en voyage avant même d’avoir lancé son endless boogie, et il faut en moyenne une demi-heure à trois-quarts d’heure au festivalier à jeûn pour commencer à tripper, d’où sa colère légitime. C’est comme une poule qui prend son pied sans vous. Ce décalage est extrêmement désagréable. Contraire au principe d’harmonie universelle et aux règles intrinsèques du romantisme. Si Paul Major se doutait des conséquences de sa passion pour l’endless boogie, ça le rendrait immanquablement triste, car de toute évidence, il prêche pour la concorde psychédélique. Sa naïveté frise le génie. Il fait un peu penser à Gandhi qui aimait tellement les hommes qu’à aucun moment il n’aurait imaginé qu’on allait lui tirer dessus à bout portant. D’aucuns diront que la naïveté fait bon ménage avec l’irresponsabilité et qu’un coup de dés jamais n’abolira le hasard, mais ce n’est pas une raison pour condamner l’endless boogie, l’une des dernières valeurs refuges des temps modernes, l’endless boogie refuse les notions de croissance et de rentabilité, de respectabilité et d’autorité, l’endless boogie adresse des pieds de nez au Monde Diplomatique et à toutes les petites menaces que nous cuisinent quotidiennement nos chers médias, l’endless boogie s’amuse bien dans son bac à sable pendant que les autres essaient désespérément de trouver du sens à la vie dans des réseaux sociaux, l’endless boogie prend son temps quand d’autres vont pointer pour des clopinettes, la chevelure de Paul Major flotte dans le vent breton comme l’étendard d’une Table Ronde contente d’avoir trouvé son Graal, l’endless boogie, précisément. Plus besoin d’aller errer au-delà des frontières du Nord, plus besoin d’aller affronter le chevalier noir au pont du Bec Hélouin, on joue l’accord et Paul Major part en vrille, au propre comme au figuré, tissant sur le manche de sa Les Paul d’infinies variations névralgiques, histoire de tonifier l’endless boogie et de le voir prendre son envol dans l’éclat subsonique d’un crépuscule des dieux.

Inespéré, Paul Major et ses amis font halte en Normandie pour distribuer une fois encore les mannes de leur endlessy endless boogie so far out. Ce qui frappe le plus dans leur attitude, c’est bien leur absence totale de frime. Ils se branchent, s’accordent et jouent. Et Paul Major attaque avec cette histoire mirobolante de Kiss on stage at the kite festival, un concours de cerfs-volants doublé d’un festival pop auquel il se rendit avec ses amis en 1974 à Saint-Louis pour voir a new band called Kiss. On aurait tendance à croire que le far out ne concerne que la musique de Paul Major, mais tous ceux qui ont lu son livre et ses notes de pochette savent que le far out concerne aussi les textes. Il manie les deux extrêmes stylistiques avec un brio stupéfiant, l’aphorisme comme la prose au long cours - I didn’t have kites of my own/ I didn’t want anybody ele’s kites either/ I wanted to see Kiss - Chez lui fond et forme ne font qu’un, il développe ses climats, y installe des images et gronde au coin du bois comme Captain Beefheart - I saw John Zorn put ice-cream into a trumpet/ But I saw Kiss at a kite contest - tout sonne irrémédiablement, tout indique que nous atteignons le maximum des possibilités du genre. Avec ce mec-là, nous ne sommes plus dans l’approximatif, nous sommes dans ce qu’il faut bien appeler l’impact orgasmique, celui que pratiquaient de leur vivant des gens comme Lou Reed, Captain Beefheart ou Mick Farren. En d’autres termes, il s’agit d’un art bâti sur l’expérience d’une vie de transgression, où dope et culture musicale jouent le rôle principal - We make our way up to the stage/ Right up front and the acid’s kicking in - Paul Major nous invite à partager des moments ordinaires qu’il transforme en moments d’exception. Et si vous voulez savoir si les gens de Kiss avaient des cerfs-volants, il saura vite vous rassurer, car non, Kiss did not bring their own kites/ They were kiteless/ Carefree/ It was either spring or fall/ Kiteless - Kiteless at a kite festival, ça résume bien Kiss. Était-ce le printemps ou l’automne, en tous les cas, ils n’avaient pas de cerfs-volants. Par contre des mecs qui étudiaient le théâtre au collège s’étaient rasé les sourcils because of David Bowie et Paul Major fut blessé : en se retournant pour observer attentivement les langues dans les bouches des gens, il reçut une bouteille en pleine poire. Comme à Binic, le set se déroule paisiblement, au rythme de quatre cuts à l’heure, en de lentes montées de libre arbitre patiemment élaborées et émaillées de violentes poussées de fièvre, moments tellement intenses qu’on croit entendre des chœurs alors que personne ne chante. Comme John Lee Hooker avant eux, les New-Yorkais travaillent la matière du climax et montent leur rock en neiges du Kilimanjaro. Chacun sait qu’il faut laisser du temps au temps pour gagner l’état de transe. Par certains côtés, le Dropout Boogie de Paul Major rejoint le Babaluma de Can ou la Ray du cul du Velvet. «I couldn’t hit sideways» et «I saw Kiss at a Kite festival» même combat. Prodigieuse extension du domaine de la lutte intestine. Toute la problématique du rock scénique se situe là, très précisément : comment sort-on de l’ordinaire ? Comment marque-t-on les imaginaires au fer rouge ?

Paul Major vient de faire paraître Feel The Music Vol. 1, une compile de cuts qu’il aime bien, tirés d’albums inconnus au bataillon et souvent d’une qualité acid-folk stupéfiante, à commencer par «The Travesty Of My Life» de Tim Lonergan & Buddy Kelly, cut qu’on dirait hanté par le vent des plaines - Nearly all human beings endure certains moments of bleak clarity leading them to believe their entire existence is a hopeless disaster (presque tous les êtres humains connaissent des moments de lucidité qui leur font croire que leur vie entière est un désastre) - C’est bien le son de la désespérance - Few have captured it - Bravo Paul Major ! C’est une énormité jouée au psyché de cabane en bois. L’autre grosse bombe de l’album s’appelle «Let It All Hang Out» par The Yays & Nays. Absolument dément ! C’mon fevah ! Ils grattent ça à la folie pure. Explosif ! Chanté au gras du menton, on a là une vraie sensation de génie sonique en gestation. Cette musicalité frise la folie. Paul Major enchaîne ça avec «Ruby» de Merkin - Impossibly rare LP. Music From Merkin Manor, the sort of house where you can’t quite tell if strange things are really happening or it’s just your mind playing tricks on you (Le genre de maison où des phénomènes étranges se produisent. Vous ne savez pas s’ils se produisent réellement ou si c’est votre cerveau qui vous joue des tours) - Joli shoot de rumble psyché chanté à deux voix. Ahhh Ruby Ruby Ruby, c’est à la fois soft et musculeux, chargé de son comme une mule, bien troussé du beat, avec un départ en solo claironnant. Voilà encore un grand rock US complètement inconnu au bataillon. On peut dire la même chose du «Run» de Ray Harlowe & Gyp Fox, une ballade rongée par la fuzz. Tout est fascinant sur cette compile et ça continue avec «Behold» de Justyn Rees - Death is mere illusion and Justyn has the ethereal psychedelic sound to make a believer out of you. Works quite well while you are still alive (la mort est une pure illusion et grâce à son pouvoir psychédélique, Justyn peut vous en convaincre. Ça marche mieux si vous êtes vivant) - C’est une sorte de psychedelia définitive, une horreur lysergique. On la suivrait jusqu’en enfer. Ce cut dégage un fort parfum de mort psychédélique. Les notes de Paul Major sont une aubaine pour l’intellect en manque d’aubaines. Elles sonnent comme des aphorismes. Pour le «Passages» de Sebastian, il écrit : «When 10 000 weeds are smiling and talking to you, the acid has definitely kicked in.» (Quand 10 000 brins d’herbe vous sourient et commencent à vous parler, ça veut dire que l’acide commence à faire son effet). Paul Major présente Sebastian comme the Canadian king of dried hair psychedelia. Avec le «Saturday Thought» de Bob Edmund, Paul Major recommande d’appeler de l’aide, une aide qui n’arrivera jamais because your system only exist in the past or future, not now. Paul Major s’exprime dans une langue prophétique. Le garage psyché de Bob Edmund vaut largement celui de Byrds, no no no no ! Par contre, Jerry Solomon se prend pour Donovan avec un «Denied» qui sonne comme «Hurdy Gurdy Man». Spécial et spectral. Chanté au trembling électronique. On note l’extraordinaire portée de Dave Porter et de son «Where Do Clouds Go» - Asking the question in such a melancholy world weary way that the question becomes the answer (Dans un monde aussi mélancolique que le notre, on aurait tendance à penser que la réponse est dans la question). Paul Major se demande qui est la mystérieuse fille qui chante avec Marcus dans «Captain Zolla Queen». Et il termine cette émouvante compile avec un autre empereur assyrien, Darius et son «I Feel The Need To Carry On», absolument dégoulinant de psychédélia verdâtre. Ode à la morve.

Signé : Cazengler, endless raboogri

Endless Boogie. Binic Folk Blues Festival (22). 29 juillet 2018

Endless Boogie. Le 106. Rouen (76). 3 novembre 2018

Paul Major. Feel The Music Vol. 1. Anthology Recordings 2017

Il est cinq heures, Barrie s’éveille

Il s’appelle Barrie Cadogan et rêve de freakbeat. Alors il fait Little Barrie. Dans Shindig, il dit à Paul Osborne qu’il essaye de faire something different avec les vieux sons qu’il adore. Il cite par exemple les Silver Apples et les weird sci-fi/electronic sounds. Il cite aussi Can qui avait un rock’n’roll gear et qui a trouvé un moyen de faire quelque chose de différent.

Little Barrie vient de sortir un nouvel album, Death Express. Barrie Cadogan y évoque des sujets aussi réjouissants que la surveillance policière («Copter»), la peur savamment entretenue par les médias («New Disease») et le vent de folie qui souffle actuellement sur le monde («Golden Age») - Things are definitively not good now - ajoute Barrie Cadogan. Little Barrie est en fait un trio dans lequel joue aussi le fils de Steve Howe, on devrait plutôt dire jouait, car il vient de mourir. Death Express est salué dans la presse anglaise par une sorte de buzz, mais ce n’est pas non plus l’album du siècle, pas d’affolement. Les compos sont parfois terriblement faibles, comme justement le «Copter» auquel Cadogan fait allusion dans l’article. Le groove de «Golden Age» et connu comme le loup blanc, puisqu’il s’agit de celui de «Little Johnny Jewel». Exactement le même. Little Barrie est un trio de groovers. Ils jouent pas mal de heavy-rock revanchard sans aucun intérêt. Par contre «You Can’t Stop Us» vaut le détour, c’est un vrai dévergondage, joué par vagues assez violentes et ultra-remué par la basse. Le bassman tient bien son rang. Il s’impose dans certains cuts comme «Count To Ten». Encore un cut intéressant, «Love Or Love», joué au maximum overdrive. Terrific, digne des Seeds et de tout les garages de banlieue. Ces trois-là sont des surdoués de la voltige, ils sonnent comme les Seeds, mais en plus musculeux. Cadogan sur-joue «Molotovcop» à la guitare, il claque ses notes à la Clapton sixties, on se croirait chez John Mayall, c’est un son qui ne trompe pas. Virgil Howe sur-joue lui aussi, mais il est vrai que dans un trio, il faut ce qu’il faut. Peut-être sont-ils trop doués, comme pouvait l’être la première mouture de Lizzy avec Eric Bell. Question guitare, Cadogan en connaît un rayon, comme on le voit avec «Produkt». Il vient toujours se positionner sur le spot du guitar hero. Il en a les moyens, il adore s’exprimer sur fonds bien syncopés, mais ça tourne au ridicule, sans doute à cause du jeu trop tarabiscoté de Virgil Howe. Par contre, «Ultraviolet Blues» redevient intéressant, avec le chant perdu dans le fond du studio. Mais Virgil Howe est beaucoup trop présent dans le mix. Il n’empêche que ce cut est bardé de son, c’est l’un des hauts faits des riches heures du duc de Barrie. Ça repart de plus belle avec le morceau titre et son brouet d’electro. La guitare sonne comme un synthé. C’est dire s’ils bouffent à tous les râteliers. L’album est long, vingt cuts, ça ne s’écoute pas en cinq minutes. On fatigue un peu. Heureusement, «Shoulders Up» réveille en sursaut, car c’est très hot et joué au gras double. Mais la section rythmique finit par agacer. Trop présente. Elle ruine un peu l’album par sa technicité.

Quand on lit l’article de Paul Osborne, on éprouve un immense respect pour ces journalistes qui parviennent à remplir une page avec rien. Ce pauvre Barrie Cadogan n’a hélas pas grand chose à raconter. Il faut donc se contenter des albums, Death Express étant le cinquième.

Le premier date de 2005 et s’appelle We Are Little Barrie. Avec la pochette rouge, ils tentent de renouer avec l’esprit des grandes pochettes rouges de l’histoire du rock, celles de Slade Alive et de Grand Funk. L’album est excellent et plutôt chaudement recommandé. Cadogan attaque «Free Salute» au heavy groove. Il sonne comme un mec qui cherche un son et qui le trouve, et qui en plus le farcit de tortillettes de notes claires. C’est ultra-convaincu d’avance. Il chante avec l’haleine puante d’une hyène. Quel merveilleux mélange de volonté d’en découdre et de son instinctif. Cadogan chante en demi-lune et claque de choses à la cantonade. C’est tellement bon que ça dépasse toutes les attentes. Il impressionne encore avec «Burned Out». Cadogan chante avec un petit ton bien perverti. Il est bon d’emblée. Il sonne bien. Avec le glouglou de la basse, on croirait entendre de la Soul. Il chante aussi «Greener Pastures» avec une petite insistance merveilleuse. Il est frénétique dans son pantalon, il shake son shook avec de la rémona, on se croirait presque à Muscle Shoals, mais en plus jazzy. Il joue de l’acou jazz comme un démon, du coup, on prend ce mec très au sérieux. Ces trois-là sont des surdoués, on le voit bien avec «Be The One». Il jouent le groove à l’anti-groove, ils ultra-jouent et installent une sacrée ambiance. On le voit aussi chanter «Well And Truly Done» d’une petite voix judicieuse et compressée. Cadogan invente un système. Il se mêle de Soul. Il claque des accords de white Soul et multiplie les incursions vénales, alors ça prend une tournure prodigieusement intéressante, ça vire white niggah, il fait ses yeah yeah yeah à la bonne franquette de black joint. Quelle belle énormité ! Encore du groove avec «Stone Throw». Cadogan renoue avec le feeling du vieux swinging London. Il se sent concerné par le London groove. C’est assez fascinant. On le voit revenir à l’esprit Savoy Brown/Ten Years After avec «Long Hair». On se croirait à Londres en 1967. C’est sa came, et c’est bien shaké du coconut, avec un solo d’intraveineuse. Comme c’est bien foutu ! Ce mec est fiable, et dans «Thinking On The Mind», il soigne son petit accent pervers à la Aubrey Beardsley et joue des notes claires comme l’eau du lac. Et puis il prend son temps avec «Move So Easy». Il adore les cuts de cinq minutes. Ça lui permet de s’exprimer. Il n’y va pas par quatre chemins. Le groove d’abord. Pour le reste, on verra. Une folle vient faire les chœurs. Elle n’est même pas créditée, mais ce n’est pas si grave. L’important c’est de participer.

Changement de registre avec Stand To Your Ground paru deux ans plus tard. Cet album est beaucoup moins intense que le premier, même si on retrouve ces parti-pris de beat sophistiqués et de groove salé et poivré. On a l’impression que Virgil Howe fait tout le boulot. Cadogan joue sec, lui aussi, mais pas autant que Virgil. Le point fort de l’album s’appelle «Cash In». Pas facile d’entrer dans cet album, ils tentent des choses, mais ça reste d’un conformisme beaucoup trop épais, même lorsque Cadogan chante à la glotte folle. «Cash In» sonne pourtant comme un hit. On se croirait sur le premier album des Ten Years After. C’est un son incroyablement anglais. On trouve aussi un beau degré d’intentionalité dans «Love You». Mais avec «Pin That Badge», ça tourne en rond. Ils s’engluent dans leur modèle groovytal et on finit par s’ennuyer comme des rats morts. «Green Eyed Fool» agace un peu, car c’est du garage convenu, chargé de son, c’est vrai, mais bon. On passe à travers. On sent bien qu’on se fait rouler. Encore du groove systématique avec «Just Wanna Play», et pourtant on a là un bassmatic inventif. Mais la viande fait cruellement défaut. Il faut tout de même reconnaître que Barrie Cadogan dispose d’un don particulier pour revenir à des formats anciens. Il est dans le son de 1968, avec un goût acéré pour la modernité commerciale. Il termine avec un «Pay To Join» assez solide. Mais le côté petit chant d’accent avarié ne passe pas. Ce mec et ses deux bras droits tentent toujours le tout pour le tout.

Belle pochette de Polaroids pour King Of The Waves. L’imagerie se veut très sixties, très soignée. Virgil Howe joue «How Come» au stomp, il faut voir comme c’est envoyé. Quelle belle énergie de groove anglais. On sent qu’ils sont là pour de vrai dès «Surf Hell». Les voilà de retour avec leurs petits bras et leurs idées de pacotille, mais que de ferveur ! Edwyn Collins les produit. «Does The Halo Rust» est beaucoup moins réjouissant. On ne gagne pas à tous les coups, mais le final peut hanter un château d’Écosse. Avec «Precious Pressure», on voit que le rock de Barrie Cadogan peut passer par des phases laborieuses. Pas facile d’avoir toujours des bonnes idées. Parfois, il arrive qu’on n’en trouve pas, même pas sous le sabot d’un cheval. De cut en cut, on réalise que l’album est cousu de fil blanc. On sait bien qu’ils cherchent à percer. Barrie Cadogan joue avec tout ce qu’il a dans le ventre, et des deux bras droits aussi, mais visiblement ça ne suffit pas. Leur système ne mène nulle part. Alors ils cherchent des idées au hasard, comme avec «Dream To Live». Edwyn Collins vielle au grain, mais ça ne résout pas le problème du manque de viande. Heureusement, quand barrie Cadogan barre en couille, on retrouve la terre ferme. Dommage qu’il ne se laisse pas aller plus souvent. Ils ramène son petit timbre d’Oliver Twist dans «I Can’t Wait», mais c’est Vrirgil Howe qui fait tout le boulot, une fois de plus. Ils sont marrants, ils se prennent pour les rois du monde. Petit sursaut avec «New Diamond Love», ils chargent toutes les dynamiques à fond de train et reviennent au heavy beat de syncope avec «Money In Paper». Ces mecs-là ont un sens du beat qui défie toute concurrence. Pendant que Virgil Howe fait tout le boulot, Cadogan vire sa cutie et ça tourne à la foire à la saucisse.

On trouve une belle énormité sur Shadow : «Pauline». Enfin un hit ! Cadogan y claque de violents accords de storm. Il tente de sauver son album. Voilà une Pauline qui vaut tout l’or du monde. Mais pour le reste, il faut vraiment se forcer. «It Don’t Count» sonne vraiment comme un vieux groove usé et on s’ennuie un peu. Ils jouent leur va-tout sur «Everything You Want Will Be Yours Tonight», un groove de bass/drum assez intéressant, mais ils constatent une fois de plus qu’il est difficile de percer. Ils s’enlisent dans un manque de perspectives. Ils tentent le coup du raout funky avec «Realise», ils y croient dur comme fer, mais c’est du funk anglais. Et c’est vrai, dès le «Bonneville Ride» d’ouverture de bal, on sent qu’on sera privé de surprises, comme d’autres sont privés de dessert. Ce pauvre Barrie Cadogan s’épuise à vouloir créer la sensation. Il n’a jamais su retrouver la niaque de son premier album. La vie est parfois cruelle. Le pire est qu’on attend des miracles de ces gens-là, mais quand on écoute «Sworn In», tout espoir s’envole. Ils y deviennent laborieux et même ridicules. Ils retapent dans leur vieux groove pour «Stop or Die» et il faut attendre «Eyes Were Yound» pour retrouver la terre ferme. Gros groove seventies, mais pas de surprise. Barrie Cadogan n’invente ni le fil à couper le beurre, ni la poudre, ni la roue. C’est un honnête ouvrier du rock, un mec qui s’efforce de bien faire son boulot du matin au soir. Tout cela se termine avec le morceau titre en forme de fin de non-recevoir, un peu absurde de la part d’un mec capable de pondre des hits comme «Pauline», mais il veut se montrer attachant jusqu’au bout de la nuit, alors on le suit sans moufter.

Signé : Cazengler, Little Barrique

Little Barrie. We Are Little Barrie. Guenine 2005

Little Barrie. Stand To Your Ground. Guenine 2007

Little Barrie. King Of The Waves. Bumpman Records 2010

Little Barrie. Shadow. Tummy Touch Records 2013

Little Barrie. Death Express. Hotless Entertainment Unlimited 2017

Paul Osborne. First Class Return. Shindig #69 - July 2017

MONTREUIL-SOUS-BOIS

17 / 11 / 2018 / L'ARMONY

BILL CRANE / NO HIT MAKERS

Les gens sont méchants. Ne supportent pas que chaque semaine j'aille en concert, sont jaloux. Ce weed-end ils ont inventé un jeu, se sont mobilisés par centaines de milliers pour m'empêcher de chercher ma ration de décibels. Comme ils ne savaient pas où je me rendais exactement, ils ont occupé pas moins de deux mille axes de circulation sur tout le territoire national. Je trouve cela particulièrement stupide, il existe bien d'autres raisons hautement plus essentielles pour bloquer le pays, je cite en vrac, les salaires minuscules, les taxes majuscules, la misère qui monte, la mal-bouffe,... mais non se sont focalisés sur le fait de me barrer le chemin. Un truc à devenir parano. C'était un pari perdu d'avance, comment empêcher un rocker d'assister à un concert ! Autant s'acharner à vider les océans à la petite cuillère. Imaginez un vampire à qui l'on refuserait son bol de sang frais au petit déjeuner du matin. S'en est fallu de peu pour qu'ils réussissent, deux barrages successifs sur la N4, le dernier au rond-point stratégique et les forces du désordre qui nous ont rejetés dans un labyrinthe sans fin... Bref a contrario de Bobby Fuller IV, la teuf-teuf et moi, on a gagné, avec une demi-heure d'avance sur le début des festivités. Pas question de rater deux de mes groupes préférés ! Surtout que les deux sets ont été fastueux !

BILL CRANE

Se cherchent des yeux, Bobo au fond, dans sa marinière, un vieux loup de mer qui a navigué sur tous les océans et essuyé toutes les tempêtes, fidèle à son poste, Eric devant, au centre, avec sa Fender toute pourrave, style radeau de la Méduse qui flotte l'on ne sait comment, mais totalement insubmersible, Gwen le gabier prêt à aux acrobaties les plus dangereuses sur les cordes de sa basse, à l'autre extrémité Patrice, tient entre ses mains une lourde couleuvrine, son arme fétiche pour les abordages de haut vol. Bref un équipage de pirates qui s'apprête à hisser les voiles.

Dès Move It en ouverture, l'on sent que le vent cogne dans la voilure et que c'est parti pour l'aventure. Patrice use de son sax baryton comme d'un troupeau de mammouths antédiluviens dans un magasin de porcelaines de saxe. L'a le souffle qui carbure au grabuge. L'emporte tout sur son passage et les autres se coulent dans la trouée comme le Mississippi dans la digue renversée. Ne vous étonnez pas si quelques bestioles peu engageantes nagent à vos côtés. Dans l'aquarium du rock'n'roll surnagent toujours quelques alligators. Dans l'équipage Bill Crane vous avez deux bordées. A tribord Eric et Gwen. A bâbord Bobo et Patrice. Eric mène la barque et Gwen souque ferme. L'a intérêt à ne pas quitter le Ric des yeux, car le Ric à la guitare, il est du genre cascadeur sans filet, se rattrape au bout du riff à la dernière seconde, l'on ne sait pas comment, mais il vous réalise les miracles à la chaîne, joue à la déglingue, se réclame d'une éthique peu commune, pour lui il n'y a pas de rock'n'roll sans danger, commence par abattre les arbres à la tronçonneuse et coupe les branches à la hache, sa guitare miaule comme un tigre qui a faim, à ses côtés Gwen essaie de le rassurer, sa basse est une voix grave apaisante, lourde et ronde, qui essaie de caresser le fauve dans le sens de la fourrure, mais l'animal est si agité que l'ensemble sonne à la manière d'un tourbillon frénétique infini, qui se transforme en le combat du Yin contre le Yang. Imaginez que vous ayez à accompagner ce nœud de serpents entremêlés, que feriez-vous, sinon donner votre démission ? Eric n'entrevoit pas le rock comme un long fleuve tranquille, plutôt comme une ultra-rapide glissade reptatrice expérimentale. Mais il la fomente bourrée d'énergie pure, et vous la refile en morceaux saignants, un peu comme ces serpents vivants que l'on vous découpe en tranche sur les marchés en Inde et que vous déchirez à pleines dents tout crus, une bouchée de chair sanguinolente, une bouchée gorgée de venin. Le cassoulet d'Eric Calassou est un peu sauvage.

Vous n'avez pas répondu à la question, bandes d'ignorants. Heureusement que Bobo et Patrice, sont des gars solides qui savent orchestrer les réponses satisfaisantes. Deux solistes qui marchent ensemble. Pour Patrice, c'est clair et net. Fonce sans se perdre dans d'abstruses interrogations métaphysiques. N'arrête pratiquement jamais de souffler. L'Eric ne peut pas envoyer une giclée de barrés totalement barrés sans que le sax ne se jette dessus et ne vous les enveloppe de barrissements monstrueux. Le Pat vous sature l'ossature des morceaux. Vous rature la tessiture. Bombarde d'abord. Bombarde ensuite. Bombarde encore. Devant un tel déluge Eric et Gwen ne peuvent qu'accélérer la rythmique. C'est en ces moments qu'intervient Bobo. Non il ne fait pas dodo. Il veille, en stéréo. Ce zigue il a les deux lobes du cerveau qui fonctionnent en même temps. L'a un coup d'avance sur les trois-quarts de l'humanité. Se la donne à mort, mais avec cette attitude olympienne du mec peu émotif pas pressé pour un empire et qui vient de sauver le monde en un tournemain parce que vous avez beaucoup insisté alors qu'il aurait eu mieux à faire chez lui. D'abord d'un coup de baguette lourd comme un paquebot et fuselé comme un air-craft il rétablit l'équilibre avec les deux zozos qui courent vers le zoo, ensuite il s'occupe de l'autre zèbre au sax à fond. Entre en dialogue avec lui, vous froisse le rythme pour mieux l'accompagner dans ces interminables souffleries de trompes tibétaines, et du coup se mettent à dialoguer comme s'ils prenaient le thé chez Mme de Récamier. Mais en plus brutal, en plus pressé, interjectent des plus précipitamment, et évidemment Gwen et Eric se mêlent à la conversation. Une partie carrée, l'un ramène sa fraise et l'autre le pot de confiture, ça fuse de tous les côtés, ça jacte et ça déblatère sans fin. Tous ensemble, mais chacun à sa place, le combo se fait quatuor, l'on dézingue à fond la caisse, mais les réparties sont fignolées au millimètre. En plein rock, avec des relents de traitements de sons à la free-jazz. Rien que ces manières sur les fins de morceaux de faire crisser le bout de la baguette sur la baguette de la cymbale, et ces chorus sandwichés de sax et de batterie...

L'ensemble balance et roule à la perfection. Sonne garage et rappelle le son du Velvet Underground en ses plus beaux moments. Inutile de vous la péter à l'objection votre honneur, le Velvet sans la voix ouatée du grand méchant Lou... justement mes agneaux, j'ai gardé le meilleur pour la fin. Le Calassou sonne fort. Certes le rock instrumental c'est bien, avec le vocal en plus c'est mieux. L'a la voix comme la truffe du chien, toujours devant, en éveil, le fouet à lanières coutes qui vous galvanise, le coutelas qui pique la couenne et vous tranche la chair. C'est elle qui fouette les chevaux et rameute le public devant la scène. Faudrait énumérer tous les morceaux, les reprises et les originaux, toutes mixées selon une interprétation d'enfer. L'assistance enfiévrée, vont nous allonger dix-huit titres qui mettent le public au bord de la dépression nerveuse. Un set roc'n'roll éblouissant !

NO HIT MAKERS

Bitter Taste en introduction. Orange amère si vous voulez, mais quelle merveilleuse potion. Le goût de l'ambroisie que goûtaient les Bienheureux sur le Mont-Olympe. On les connaît les No Hit Makers, mais nous refont le coup à chaque set. C'est comme la charge héroïque, une fois qu'elle est lancée, vous ne l'arrêtez plus, de la première seconde au dernier rappel. Vous n'y échappez plus. Néo Rockabilly si vous le désirez, c'est inscrit sur le flyer, mais avant tout c'est de toute beauté, une grande flamboyance qui vous scotche et qui ne vous lâche plus. Fascinatoire, l'assistance sous le charme – entendez ce mot en le sens de rite incapacitant qui vous immobilise et vous submerge de l'intérieur. Vous avez l'impression que l'on allume une lumière dans les organes vitaux de votre corps. La musique se mélange à la lymphe de vos rêves et vous pénétrez en des royaumes qui gisent tapis en de secrètes et mystérieuses parties de vous-mêmes dont vous ignoriez jusques à lors l'existence.

Quatre à s'insinuer en vous, à entrer sans frapper, et à vous baigner d'extasies musicales. Forment un tout indissociable, les grains d'une grenade fermée comme le poing que vous ne sauriez dissocier. Eric est au centre, guitare à ouïe de serpent orange, casquette plate et barbichette pointue, fin sourire malicieux et voix qui coule sans fin comme le vent caresse les épis de blés et les emporte en une vague à l'autre bout du monde. Une rythmique incessante, une flamme qui se propage parmi les herbes. Larbi collé à la tranche de sa big mama, la tricote sans fin, l'on entend le tac-tac des aiguilles qui se cognent et se pressent, le même bruit que les écailles du crotale qui s'en vient imperturbablement sonner à votre porte l'heure de votre mort. Ces deux-là pour le mécanisme de fond, fournissent et fourbissent la musique du film, celle qui court du générique aux séquences palpitantes, celle qui cliquette dans votre tête même si vous ne savez pas que vous êtes en train de l'écouter. Celle qui déroule d'inquiétantes images sur les vitraux de votre âme.

Derrière, pratiquement caché par le mur mouvant des trois camarades, Jérôme. Comme les autres le balancier de la pendule devenu fou. Fait partie de cette famille des batteurs qui ne bougent pratiquement pas les bras. Ce sont ses poignets qui s'activent, une frénésie articulatoire démoniaque, une espèce de robotique délirante qui parcourt le champ des toms à la vitesse d'un cheval en fuite. Une cavalcade en accélération constante, la production d'une poussée phénoménale, un moteur à plein régime qui ne sait pas s'arrêter.

A côté, c'est le mot, un peu en aparté, Vincent, ce n'est pas qu'il ne joue pas avec les autres, c'est qu'il se permet l'accélération des particules des tuyères adjacentes de la fusée. Alors que le trio file droit à la façon d'une charge de cavalerie, il infléchit le sens de la course, prend les devants et délivre du bout des doigts des ruissellements de tonitruance, sa Gretsch crache la foudre et explose, ou alors il s'enfonce tout seul dans des dédales rythmiques labyrinthiques qui éclatent comme autant de broderies de feu, dont il ressort vainqueur, immanquablement en tête.

No Hit Makers, aux réactions du public, on s'aperçoit qu'ils ont malgré ce qu'ils affichent et proclament quelques hits, Soldier of Peace ou The Doors of Heaven par exemple pour n'en citer que deux. Au fur et à mesure que les titres défilent la tension monte, les exclamations fusent et certains se laissent emporter par le rythme. Maintiennent la pression, et tout s'accélère. Larby ne s'appartient plus, sa longue silhouette saccadée semble vouloir pénétrer et se fondre en sa big mama, existe-t-il meilleure métamorphose pour un musicien que se transformer en son propre instrument, sa tête roule comme si elle ne demandait qu'à se détacher, le bouchon que l'on dévisse pour sortir de soi et se fondre et peut-être même se dissoudre dans le reste de l'univers.

Le groupe atteint à un certain vertige psychédélique. Les pieds dans le rockab mais l'esprit beaucoup plus haut. Le chant d'Eric porte l'empreinte d'une certaine emphase hypnotique, ouvre des portes ignorées vous catapulte en des hauteurs inconnues. Le timbre est doux, mais puissant, vous dépose vous ne savez trop où en orbite de vous-même. Il semble murmurer au micro, mais les paroles bruissent de mille affects et éclatent dans vos tympans comme mandragores au pied des gibets.

Si Jérôme agit comme un pusher, un intensificateur des battements d'ailes astrales, un pulsar métronomique infatigable, Vincent, les doigts dans la réalité des cordes, reste le pieu planté dans le cœur du rock'n'roll, pour qu'il ne s'échappe point, pour qu'il ne quitte pas la boue originelle du delta et la terre gestatrice des Appalaches. Il est le point d'ancrage, le cordon d'or qui accompagne tous les envols et assure le retour dans les fondrières du rock. Faut le voir, courbé, attentif, précis, incisif, découpe les séquences, les délimite, ouvre et ferme les grilles, assure et règle la circulation sanguine de la musique du Diable. Ne vous y trompez pas, c'est bien le pouls de la bête hideuse qui bat dans la fragrance safranée des No Hit Makers. Si vous clignez des yeux sans doute arriverez-vous à entrevoir son regard d'eau glauque dans lequel vous aurez envie de vous noyer.

Une espèce de transe a saisi l'assistance. Un envoûtement collectif. Lorsque le concert s'arrête, le public s'ébroue, la chute dans la réalité est trot abrupte, insupportablement brutale. L'exigence minimale d'un rappel se fait entendre. Il y en aura trois. Depuis nous sommes en manque.

Damie Chad.

 

CARLA BLEY L'INATTENDU-E

LUDOVIC FLORIN / JEAN – MICHEL COURT

ALEX DUTHIL / JEAN-FRANCOIS MONDOT

( Naïve Livres / 2013 )

Longtemps que Carla Bley ne s'était imposée à mon esprit. C'était aux heures glorieuses de Rock & Folk. En ces temps-là on ne dormait plus de la nuit ( gros mensonge ) l'on se demandait ce qu'allait faire Mick Taylor après avoir quitté les Rolling Stones et voilà que l'on nous apprenait qu'il s'acoquinait avec Jack Bruce, le bassiste de Cream ( et plus tard de West Bruce & Laing ) et... Carla Bley... pendant d'autres nuitées on a attendu en vain une véritable concrétisation... et puis plus rien, une bulle de savon éclatée et perdue à jamais dans le vol transparent d'un cygne éblouissant qui n'a pas fui, pour singer Mallarmé.

Décidément l'on n'en a jamais fini avec son passé, vous mord aux mollets à la manière des chiens enragés de l'enfer. Tout de suite sur la jaquette intérieure, j'apprends que nos écrivains sont des passionnés de jazz - nul n'est parfait – que certains d'entre eux ont contribué à Jazz Hot, à Jazz Magazine, à Jazzman, je n'en suis guère surpris, par contre totalement stupéfait d'apprendre que deux d'entre eux sont Maîtres de Conférences à l'UTM. Moi aussi j'y ai traîné quelque peu mes guêtres en cette université à une époque très remuante, c'est-là qu'aux temps de mes chères études j'ai peaufiné mon sujet de maîtrise '' Défense et illustration du rock'n'roll français'' dans le sous-département, un peu à part, Musique et Littérature, on y étudiait Richard Wagner. Tout se transforme rien ne se perd dixunt Lavoisier et Anaxagore, l'UTM vous prépare maintenant à une Licence Jazz et Cultures Musicales, Jean-Michel Court et Ludovic Florin – ce sont eux les coupables – ont même imaginé de remettre à Carla Bley son diplôme Doctor Honoris Causa de l'Université Toulouse-Le Mirail. Et la Carla n'a pas hésité à venir chercher son diplôme...

Nombre de nos lecteurs qui ne possèdent pas sur leurs étagères sa discographie complète doivent se demander qui est cette Carla. Nous ne les laisserons pas en proie aux affres de l'ignorance.

Au début de sa vie Carla était une petite fille qui avait tout pour être heureuse et devenir une grande personne sage. Certes elle a grandi, mais n'a jamais fait preuve d'une exemplaire sagesse. L'était mignonnette la jeune Lovella May Borg, quand vous regardez les photos, avec sa petite gueule d'angelot vous la confondriez avec Boucle d'Or, l'héroïne du conte aux trois ours. Plus tard elle a changé sa coiffure, sur la couve du bouquin l'on dirait qu'elle pose pour une pub des balais O-Cédar tout juste sortis de l'eau sale... Et pourtant elle naquit dans une famille aimante, un papa pasteur, une maman pianiste. Des gens très bien qui écoutaient et jouaient de la musique classique. La Lovella s'est entichée du piano. Ses parents devaient la rêver en concertiste, se hâtèrent de lui infliger les rudiments et les bases de l'instrument roi. Mal leur en prit. Dans cette jeune âme, rôdaient des ferments d'anarchie et ce bout de chou ( né en 1938 ) se mit, bien avant qu'elle ne soit inventée ,à l'école de la pratique punk du Do It Yourself. L'a bouté les profs parentaux du clavier, l'a claironné qu'elle apprendrait toute seule, et elle n'en a pas démordu une seconde. Le paternel a essayé de rattraper la situation par la bande. Lui a montré que certes on jouait la musique mais que pour cela il fallait d'abord la lire. Et l'écrire. Vous pigez le sous-entendu, la musique ma chérie c'est beaucoup plus difficile que la peinture à l'huile, alors je vais te montrer. Inutile, s'exclama Lovella, et hop illico elle se saisit d'une feuille de cahier de musique vierge et s'employa à remplir les portées d'une foultitude de notes. Lorsque toute fière elle montra le résultat à son père, celui-ci ne put que laisser échapper cette phrase qui devait avoir de grandes conséquences pour l'avenir de la musique populaire américaine '' Mais il y a beaucoup trop de notes !''

Adolescente, elle n'échappe pas à l'american way of life, tient l'orgue à l'Eglise, s'adonne au skate, occupations bien innocentes mais le démon de la perversité la pousse à jouer du piano dans les bars et commence ainsi à entendre des pointures comme Chet Baker, Lionel Hampton, Dave Brubeck, mais le saxophoniste Teo Macero qui joue du saxophone et qui deviendra le producteur de Miles Davis, l'enjoint de se rendre à New York, là où tout se passe...

L'AVENTURE FREE

Pas blaireaute la demoiselle Bley, s'introduit au cœur de la citadelle, vendra des cigarettes – à la manière des ouvreuses de cinéma qui les années cinquante offraient des bonbons et autres friandises pendant les entractes. Nous sommes en 1955, et le jazz arrive à sa plus grande effulgence, Carla se tait et écoute. Tous les grands ténors défilent dans ses oreilles. Sans doute dans sa tête se demande-t-elle, comment toute cette magnificence évoluera-t-elle ? Elle ne le sait pas encore, mais elle sera au centre du maelström sonore qui s'approche. La faute en revient à un certain Paul Bley, se rencontrent en 1956, se marient en 1959. Paul Bley est moins connu que Jerry Lou, mais peut-être son approche du piano est-elle beaucoup plus révolutionnaire. A la base il est un musicien classique, mais il a envie de pousser les murs, se rend bien compte qu'autour de lui ce sont les jazzmen qui font bouger les choses. Alors il rôde dans les clubs, il montre que question touches il touche un max. Un soir Charlie Parker lui demande de jouer avec lui, mais c'est Charlie Mingus qui le lance dans le grand bain, lui fait enregistrer son premier disque Introducing Paul Bley avec Mingus et Art Blakey.

Paul le surdoué et Carla l'autodidacte ! Le feu et l'eau se marièrent très bien. Carla se sent toute petite face au savoir de Paul, et Paul qui cherche toujours à casser les murs de la musique n'est pas insensible aux brisures du savoir amassé au hasard des découvertes par son épouse. Carla doute, et construit ses redoutes. Les évènements s'enchaînent Paul Bley compte désormais Don Cherry, Billy Higgins et Ornette Coleman dans son quintette... Mais le coup décisif et emblématique de cette nouvelle musique qui pointe à l'horizon sera porté par le Kind of Blue de Miles Davis. En 1960, Paul rencontre Steve Swallow qui deviendra l'ami et le confident de Carla. Plus tard son mari. Mais nous n'en sommes pas encore là. Carla a de plus en plus de boulot. Ce qui lui prend un peu le ciboulot. Elle ne se sent pas assez douée pour jouer en public, par contre elle compose à la maison, et écrit ses partitions. Le big problem, c'est que ses connaissances sont plutôt défaillantes, elle connaît la marche à suivre, un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout... Alors elle vous écrit des trucs minuscules – ça tient facilement sur deux portées - pas très précises. Justement le truc que recherche la nouvelle génération de musiciens en quête de choses nouvelles. Avec ses débris de partoche, Carla devient une des pierres angulaires de la New Thing. George Russel, Don Ellis, Albert Ayler, et bien d'autres interprètent ses compositions...

Carla possède une autre particularité, ses œuvres laissent une très grande liberté aux interprètes, chacun l'arrange à sa façon, l'accentue selon sa personnalité, la Bley c'est la copine imaginative capable de vous filer une idée follement originale et atypique pour votre rédaction, mais le gars à qui elle la souffle est très souvent un mec un peu génial... mais de surcroît elle est capable de la modifier pour l'adapter aux manières de jouer de deux musiciens aux styles diamétralement antithétiques. Le free-jazz est une musique extrémiste. Le public n'y adhère pas vraiment. Un peu de scandale au début, un peu de curiosité par la suite, mais au final les musiciens ont du mal à trouver des labels pour enregistrer. Le côté Diy de Carla ne manque pas de trouver une parade à cette situation exaspérante. En 1964, avec le trompettiste Bill Dixon, elle pousse à la fondation de Jazz Composers Guild Association, dont le but est de regrouper des musiciens pour interpréter les essais et créations d'auteurs qui ne parviennent pas à se faire connaître. Archie Shepp et Sun Ra apporteront leur soutient. Un certain Michael Mantler aussi. Ne tardera pas à remplacer Paul Bley dans la vie de Carla. Mantler travaille dans la même optique que Carla, européen il apporte un regard plus intellectuel que les américains sur leur musique. Il ne peut que pousser Carla à approfondir la désorganisation structurale de son écriture. Des albums comme Communication, Jazz Reality et Agenuine Tong Funeral dans lesquels on remarquera la présence de Steve Lacy, ne poussent plus les murs, ils les dynamitent.

LE GRAND OEUVRE

Ils ont réussi leur coups. Ils ont cassé la maison. Z'y ont mis toute leur force. Mais pendant qu'ils s'acharnaient à réduire en poussière les gravats, d'autres s'activaient à la reconstruire. Ce ne sont pas des jazzmen, mais cette engeance maudite des rockers. Le parallèle avec le surréalisme poussant sur les ruines de Dada s'avère judicieux. Certes en 56 Presley avait une belle voix mais pour un amateur de jazz ce n'était que de la variété rythmée... Quinze ans plus tard, la désaffection du public emmène les puristes du jazz à reconsidérer le phénomène. Carla la première. D'abord elle sait faire amende honorable, oui il y a chez les rockers des instrumentistes doués par exemple ce Jack Bruce, et puis il lui faut reconnaître avoir subi la commotion Beatles. Voici des jeunes gens qui ont imposé au monde entier un album composé selon des idées qui ressemblent aux siennes, le Sergeant Pepper Lonely Heart Club Band propose une musique nouvelle, des chansons-collage, des sonorités-exploratoires, des couches musicales successives et entremêlées, ces blancs-becs ont retrouvé ( repris ? ) à leur manière la démarche du free-jazz... en plus ils vendent des disques par millions... Qui dit mieux ?

Carla s'y colle. Les Beatles ont produit un double-blanc, elle commettra un triple-mordoré. Lui file même un titre : Escalator Over The Hill. Me suis souvent demandé si le Stairway To Heaven de Led Zeppelin... je parle du titre, pas de la forme du morceau. Parce que l'Escalator de Carla, c'est plutôt un escalier branlant. A part qu'il vous mène au moins au sixième ciel. L'est fait avec des matériaux récupérés un peu partout. Des musiques de tous genres, d'occident et d'orient, un patchwork inimaginable qui retrace l'explosion musicale des années 68. L'a même recruté des musicos de vingt-cinquième zone pour que les cadors qui y participent ne se lancent pas dans la construction d'un double-escalier spiralé monumental en porphyre. Les morceaux sont écrits par Carla, mais l'enregistrement est improvisé. Aucune compagnie n'a voulu prendre la bête en charge, l'on grapille des heures de studio, un peu partout, au pied levé. Pas d'argent pour réunir les solistes, chacun enregistre sa partie chez lui, parfois à des milliers de kilomètres, miracles du re-recording... L'ensemble se présente comme une espèce d'opéra-jazz à partir de quelques textes plutôt énigmatiques du poète anglais Paul Haines, lorsque Carla ne sait plus quoi faire d'un personnage elle téléphone à Haines, qui réside en Inde, pour qu'il lui envoie une solution, lui refourgue quelques textes tout aussi mystérieux censés amener quelques éclaircissements... Lui faudra quatre ans pour mener l'entreprise à bien. Les amateurs de rock seront heureux de savoir que John McLaughin, Jack Bruce, Linda Ronstadt ont participé à ce monstre hybride... L'ensemble sonne comme un étrange mix entre L'Opéra des Quat'sous de Kurt Weil und Berthold Bretch et le Finnegans Wake de Joyce... Vous trouverez la bête sur Spotify et des extraits de la version live avec Jack Bruce et Mick Taylor sur You Tube. L'écoute n'est pas obligatoirement de tout repos...

AFTER WORK

Après Escalator Over the Hill, Carla ne sera plus tout à fait la même. Se sent capable de monter sur scène et de jouer. Une tournée avec le Jack Bruce's Ochestra lui permettra de goûter à la grande vie, beaux hôtels et bons vins... Ses choix musicaux se diversifient, elle enregistre avec Jack Bruce mais travaille aussi avec Keith Jarrett, Nick Mason du Pink Floyd, Chris Spedding, Charlie Haden, slalomant entre rock-fusion, valse, latino-style, et Nino Rota... comme si elle recherchait à un niveau formel un déséquilibre perpétuel, elle délaisse peu à peu les parties chantées, se consacrant à l'aspect strictement sonore de la musique.

En 1991 devenue la compagne de Steve Swallow elle en subit quelque peu l'influence... Elle n'est plus une partisane convaincue des ruptures musicales, au contraire, ses nouvelles partitions, ses disques et son Big Band se présentent comme un retour décalé à l'histoire du jazz. Peut-être s'est-elle prise à son propre piège. La jeune compositrice un peu ignorante des arcanes de l'écriture musicale, après de longues années de travail, a acquis d'impressionnantes connaissances, elle a atteint le niveau de ces illustres devanciers contre lesquels elle s'était élevée... Le serpent du jazz se mord la queue...

Très beau livre. Très riche illustration. Avec interview de la dame. Pas de surprise, tous les gars qui sortent de l'UTM sont des GSH.

Damie Chad.

N. B. : GSH : Génie Supérieur de l'Humanité.

 

ROCKAMBOLESQUES

FEUILLETON HEBDOMADAIRE

( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

en butte à de sombres menaces... )

EPISODE 8 : ROCK'N'ROLL FOR EVER

( Fuego explosivo )

Le Chef arrêta le fourgon à une quarantaine de mètres de l'Oslo Lines, juste en face de la porte. L'escalier de descente tardait à arriver. Régnait un semblant de panique dans l'aéroport, des camions de pompiers arrivaient de tous côtés, des flammes géantes de cinquante mètres de haut embrasaient la tour de contrôle, des gens affolés couraient en tous sens, à l'autre bout du tarmac l'Airbus s'ouvrit brutalement en deux, l'on vit des passagers qui s'enfuyaient de la carlingue éventrée, ils sautaient sur la piste, mais un sort funeste les attendait, les réservoirs crevés avaient laissé échapper des milliers de litres de kérosène qui s'enflammèrent soudainement, les malheureux furent instantanément transformés en torches vivantes qui s'éparpillaient comme des feux follets, on les entendait hurler de leurs toutes dernières forces !

    • Quelle horreur, s'exclama le Chef, ces idiots empuantent déjà la barbaque grillée, ils se prennent pour quoi ces sauvages, leurs relents de saucisses graisseuses, rissolant sur une grille de barbecue, altèrent jusqu'au délicat fumet de mon Coronado. Agent Chad, retenez bien ceci, nous sommes une poignée d'esthètes assiégés par des hordes de malappris qui ne savent pas quoi imaginer pour nous empêcher de nous adonner aux plaisirs les plus subtils et et les plus innocents.

    • Le pire ajouta Cruchette c'est les taches noirâtres qu'ils laissent, ne pensent même pas aux pauvres gars qui vont venir nettoyer, sûr qu'ils vont gratter dur !

Pendant que nous devisions, un escalier roulant avait été poussé contre la porte de l'Oslo Line, les passagers commençaient à descendre, jetaient des yeux hagards sur le spectacle d'apocalypse qui s'offrait à leurs yeux. Ne s'attardaient pas galopaient ventre à terre vers les deux bus qui espéraient-ils les mèneraient hors de ce maelström, il en passa une centaine devant nous, les femmes se débarrassaient de leurs nourrissons qu'elles jetaient à terre sans ménagement, les pères les expédiaient au loin d'un coup de pied : '' C'est bien chérie, ne t'inquiète pas avec le fric des assurances, je pourrai t'en faire d'autres''. Se battirent méchamment pour squatter les places assises dans le bus qui déjà s'éloignaient. Claudine ne put retenir un cri d'angoisse :

    • Darky n'est pas là ! mais où sont les Svarts ?

LES SVARTS

Ils étaient là. Tous les cinq. Sur le haut de la passerelle. Quatre gars avec des mines de croque-morts déterrés de l'avant-veille. Tenaient leurs étuis de guitare avec le soin maniaque des tueurs de la mafia qui ne quittent jamais de leur œil torve leur flight-case à mitraillette. Paraissaient même soucieux de n'avoir encore eu personne à tuer. Cheveux blonds et perfectos noirs. Plus punk qu'eux tu meurs. Mais au milieu cette monture de diamants noirs resplendissait une opaline rouge sang. Une chevelure rousse écarlate retombait jusqu'au bas des fesses sur un pantalon en sky de très mauvaise qualité déchiré juste à l'endroit du sexe. Son téton gauche qui s'échappait de son t-shirt maculé au sang de ses dernières règles, s'agrémentait d'un piercing au bout duquel pendait un porte-clé '' Just fuck You'' Darky leva les bras au ciel et se lança d'une voix métallique à faire fuir les serpents à une invocation odinique : '' Odin dieu de la guerre et des catastrophes, tu as ravagé de tes flammes la Rome de Néron et maintenant tu fais honneur à ta prêtresse en lui offrant en holocauste Paris en feu, sois-en remercié''

    • Elle n'est pas un peu givrée, hasarda Cruchette

    • Pas du tout, répondit le Chef, c'est une parfaite allumeuse.

    • La bestialité rock'n'roll incarnée, me sentis-je obligé de préciser.

Mais déjà Darky se jetait dans les bras de Claudine. Il y eut des cris, des embrassades, des pleurs, des rires, des effusions interminables jusqu'à l'instant où Darky abaissant jusqu'à son nombril l'encolure de son T-shirt retira d'entre ses deux seins d'airain une petit objet parallélépipédique qu'elle tendit fièrement à sa copine :

    • Tiens, la cassette que tu m'as demandée, tu vois que je ne l'avais pas perdue !

Le Chef s'en saisit vivement et décréta avec un grand sourire :

    • C'est maintenant que les ennuis vont commencer !

DANS LE FOURGON

Nous extraire des abords de l'aérogare ne fut pas facile. Un embouteillage monstre, des centaines de véhicules de secours affluaient de partout, la circulation fut même longuement interrompue pour laisser passer un cortège de voitures noires escorté par des motards, comme nous avions accès aux ondes réservées à la police nationale nous apprîmes qu'il s'agissait du Président de la République et d'une ribambelle de ministres. Moi je buvais du petit lait, sur la banquette avant coincé entre Darky et Claudine. Toutefois je connaissais le Chef et à sa manière d'allumer un nouveau Coronado je compris qu'un détail le turlupinait. Aussi ne m'étonnai-je point lorsqu'il se permit d'interrompre le papotage émotionnel des deux anciennes collégiennes :

    • Charmante Darky – s'enquit-il – vous avez bien dit que Claudine vous avait contacté pour la cassette ?

    • Mais non, s'exclama Claudine, j'ignorais ce que tu étais devenue !

    • Tu m'as pourtant envoyé un E-mail ! Et le même jour j'ai reçu une offre d'un booker français qui me proposait de m'offrir un voyage gratuit en France, moi et les Svarts, afin de préparer une tournée, j'ai tout de suite téléphoné à Popol, un de mes anciens petits copains quand j'étais au lycée qui m'a proposé un premier concert dans son bar. Normalement nous aurions dû arriver hier en fin d'après-midi, mon booking-tour avait prévu que nous logerions dans à l'Hôtel du Papillon, mais on a raté l'avion, une calamité, je n'avais plus un T-shirt sale chez moi, que des propres, j'ai dû improviser, heureusement alors que je désespérais j'ai eu mes règles. J'ai perdu un peu de temps à réaliser une véritable œuvre d'art, bref l'avion a décollé sous notre nez, j'ai appelé Popol pour qu'il vienne nous chercher, et quel plaisir de retrouver Claudine, au lieu de Popol.

    • Ne vous inquiétez pas, Darky, on passe d'abord à la maison, j'ai quelques Coronados à récupérer et ensuite l'on fonce chez Popol.

SUR LA ROUTE DU QG

Nous nous étions enfin dégagé des encombrements. Darky s'était endormie les deux pieds sur le tableau de bord après avoir avalé une douzaine de pilules multicolores.

    • Agent Chad, ne m'avez-vous pas parlé d'un vieux copain de maternelle qui galère méchant, un certain Alfred ?

    • Oui Chef, il s'est improvisé reporter free-lance, mais aucun journal n'a encore voulu d'un seul de ses articles, et pourtant il touche un max, vous verriez ses photos, et en plus il a une sacrée belle plume, mais que voulez-vous il n'a aucune relation !

    • Parfait, appelez-le d'urgence, dites-lui de nous attendre devant le QG, nous allons lui offrir le scoop de sa vie. Il est bon d'encourager la jeunesse.

A peine le fourgon s'était-il arrêté qu'Alfred bondit son Gamex à la main, et commença à mitrailler la camionnette sous tous les angles. Le Chef descendit prestement et lui adressa un salut militaire.

    • Brigadier Dupont, pour mon ami Chad sur sa demande et parce que par le plus grand des hasards il m'a permis de sauver une jeune innocente des flammes de l'enfer, nous revenons de Roissy, nous avons été un des tous premiers véhicules de secours sur place, je n'ai même pas eu le temps d'endosser ma tenue réglementaire...

    • De Roissy ! mais la zone est interdite même aux journalistes professionnels, les chaînes TV et la radio ont été refoulées, et une zone de brouillage électronique empêche le fonctionnement des portables des témoins qui voudraient envoyer des messages et des photos à leurs proches, tout ce que l'on sait c'est que le Président de la République est sur place, les rumeurs les plus folles courent, est-ce que vous me permettriez de vous poser quelques questions.

    • Certes, mais montez avec nous, je vous expliquerai en fumant un Coronado.

L'on ne parvint pas à réveiller Darky, les boys durent la monter dans le QG, ils la jetèrent dans un canapé et coururent s'enfermer dans la cuisine avec Cruchette, manifestement ils avaient sympathisé durant le voyage. Cruchette referma la porte non sans avoir annoncé :

    • Ils ont faim, je vais leur préparer une purée mousseline !

Alfred s'assit en face du Chef et prit consciencieusement des notes, quand il s'apprêta à nous quitter il avait des étoiles qui brillaient dans ses yeux !

    • Je vais le proposer à la République de Seine & Marne !

Mais le Chef décrochait son téléphone :

    • Allo Paris-Match, ici le SSR, une édition spéciale – premier tirage à cinq-cent mille exemplaires, grand-format avec photos couleurs à l'appui, ça vous irait... oui je sais vous êtes un hebdomadaire, mais là c'est de première main sur les évènements de Roissy – nous entendîmes un rugissement au bout du fil – nous vous envoyons l'article dans vingt minutes par le net, faites chauffer vos rotatives et prévoyez une distribution par voitures particulières ! Non, non, c'est gratuit, par contre je vous recommande le jeune free-lance Alfred, c'est lui qui nous a apporté le document, mais comme nous ne savions pas quoi en faire, nous avons pensé à vous.

    • Agent Chad, empruntez son portable à Cruchette, elle a pris quelques photos des incidents de Roissy, aidez un peu Alfred à mettre sa copie au propre.

Je dois le reconnaître je n'eus que quelques fautes d'orthographe à corriger, Alfred n'avait pas tout à fait assimilé les accords du participe passé, mais il était survolté, écrivait, dictait et montait la maquette en même temps, le Chef fumait placidement un Coronado, mais quand au bout d'un quart-d'heure nous lui présentâmes la maquette, il laissa échapper un petit sifflement d'admiration :

    • Bien, très bien, cher Alfred vous avez de l'imagination, du style et le sens de l'image, agent Chad vous devriez l'embaucher pour rédiger vos mémoires, votre demi-page que vous avez laissée traîner sur le bureau ne m'a guère convaincu... Maintenant cher Alfred, deux minutes qu'ils ont reçu votre prose, courez chez Paris-Match, je pense qu'ils doivent déjà être en train de préparer votre contrat d'embauche. N'oubliez pas d'exiger une secrétaire jeune et jolie, ce sont des vieux renards, si vous n'y faites pas gaffe, ils vont vous refiler une vieille bique ménopausée à trois ans de la retraite sous prétexte qu'elle a de l'expérience.

Alors qu'Alfred descendait quatre à quatre son escalier, Cruchette ouvrait la porte de la cuisine :

    • Chef, ils sont marrants les copains de Darky, ils ont mis de la mousseline partout, sur les murs, jusqu'au plafond et même dans ma culotte, ça chatouille et ça fait une drôle d'impression, il ne me reste plus qu'à récater !

    • Vous nettoierez plus tard, quatre heures du matin, à cinq nous devons être chez Popol, réveillez Darky, mes enfants de grandes choses nous attendent, n'ayez crainte je vous mènerai à la victoire, mais sachez que ce sera dur, très dur, extrêmement dur ! N'oubliez jamais notre maxime : Rock'n'roll for ever !

      ( A suivre. )

02/11/2017

KR'TNT ! ¤ 346 : CAN / NO HIT MAKERS / THE NOBELS / LOOLIE AND THE SURFIN ROGERS / NATCHEZ / ZINES / BLUES FEMININ

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 346

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

02 / 11 / 2017

CAN / NO HIT MAKERS / THE NOBELS

LOOLIE AND THE SURFIN ROGERS

NATCHEZ / ZINES / BLUES FEMININ

TEXTE + PHOTOS SUR :

  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/…/2…/11/index.h...

Le Can dira-t-on

 

Bon, voilà, terminé pour Jaki Liebezeit, l’âme de Can, le roi du beat hypno qui jouait chaque nuit pour des éléphants roses, oui la chanson morose, celle du temps où il s’appelait Jaki. Il est parti notre kiki, sous sa croûte, le kraut est en deuil, les voyageurs au long cours descendent à la prochaine station, les trips gratuits, c’est terminé, les petits cocos. Game over !

Terminé aussi pour Holger, celui dont on n’arrivait pas à prononcer le nom, alors on s’arrêtait à Holger. Holger Czukay, tu parles d’un nom ! D’ailleurs, c’était un peu la même chose avec les deux mecs qui accompagnaient Tony McPhee dans les Groundhogs. Des blazes impossibles à prononcer et encore moins à mémoriser.

Jaki et Holger sont des vieux de la vieille : ils sont nés à la fin des années trente. En plus, ils ne sortent pas de la cuisse de Jupiter. Comme John Cale, Holger vient d’un circuit classique, puisqu’il eut Stockhausen à la fois comme professeur et comme père spirituel, de 1963 à 1966. Stockhausen lui apprit l’art de composer mais l’incita surtout à prendre des risques. Jette-toi à l’eau ! C’est vrai qu’on ne fait rien dans la vie si on ne prend pas de risques. N’oubliez pas que Stockhausen figure sur la pochette de Sergent Pepper, juste à côté de WC Fields. Holger rencontra aussi Karajan qui dirigeait sans jamais lire une partition (il connaissait tout par cœur), puis John Cage.

En 1966, Holger s’installe en Suisse et devient prof dans une école de musique où il rencontre Michael Karoli. Rencontre intéressante puisque Karoli l’initie au rock en lui montrant «I Am The Walrus». L’organiste Irmin Schmidt qui suit aussi les cours de Stockhausen prend contact avec eux et Jaki vient compléter les effectifs. Voilà pour la genèse.

En montant Can, leur plan est simple : mélanger le rock, le jazz, la musique contemporaine et ce qu’on va appeler plus tard la world music, tout en préservant l’esprit d’improvisation. L’une des aventures les plus excitantes de l’histoire du rock allait commencer. Jaki allait se spécialiser dans l’hypnotic minimalism en conseillant tout simplement à Holger de ne pas jouer ses notes de basse on the beat, mais off the beat - never try to double a foot drum, you play somewhere else - Alors Holger allait jouer something in between, d’où ce son.

Ceux qui ne supportaient pas ce «rock planant» que les marchands de disques appelaient le kraut-rock (sans savoir ce que ça voulait dire) parvenaient quand même à écouter quelques cuts de Can. Car Can rockait. Ces cats de Cologne trempaient dans l’expérimental, bien sûr (comme d’ailleurs le Velvet), mais certains de leurs albums dégageaient un réel parfum de sauvagerie (comme le Velvet, d’ailleurs). Les deux responsables de cette sauvagerie teutonique s’appelaient Malcolm Mooney et Jaki Liebezeit. Il faut aussi savoir que John Lydon rêvait d’avoir Jaki dans PIL.

Pour Holger, le meilleur souvenir de Can, c’est le premier album Monster Movie - The luck is getting under your wings - Sur la pochette, Holger est surnommé technical laboratory chief & red armed bass. Avec «Father Cannot Yell», Jaki crée bien les conditions de l’hypno latéral et l’infâme Malcolm en profite pour commencer à déconner. Ils passent à la pop-rock puissante avec «Outside My Door» et jouent la carte de Can, avec un Malcolm débridé qui donne libre cours à son animalité génétique et là, le miracle de Can commence à se matérialiser. En B, vous ne trouverez qu’un long cut intitulé «You Doo Right», et c’est là que les camps vont se constituer : d’un côté le camp des amateurs de cuts longs, et de l’autre côté, le camp de ceux qui préfèrent le format chanson de trois minutes et qui ne savent pas quoi faire de ces longs morceaux partis à la dérive. Ce ne sont évidemment pas des choses qu’on peut écouter à jeun. Pour rester magnanime, disons qu’il s’agit d’invitations au trip, ce qui était assez courant, pour ne pas dire banal, à l’époque.

On trouve deux parfaites abominations sur Soundtracks paru l’année suivante : «Soul Desert» et «Mother Sky». Dans «Soul Desert», Malcolm institue officiellement le groove de cromagnon. Il devient l’espace d’un cut le grand génie malade du XXe siècle. Malcolm Mooney se conduit comme un fabuleux empêcheur de tourner en rond. Ce mec est atteint, oui, mais prodigieusement atteint. Il s’en prend aux maudites morues monotones et immodestes. Dans «Mother Sky», Jaki bat vite et bien, il crée les meilleures conditions du beat hypno longitudinal, celui qu’on jouait en place de Tarente et dans la plaine du Pô, le beat fou des tarentelles qui courent à travers les haies de cyprès depuis des siècles, c’est l’hypno des légendes incertaines et Jaki joue d’incroyables variantes tapageuses, il voyage d’un fût à l’autre à l’allegrio des Grisons. Oh il faut aussi entendre Malcolm jazzer le groove dans «She Brings The Rain». Autre merveille indispensable à tout kraut cat : «Don’t Turn The Light On Leave Me Alone», un groove canien joué à coups d’acou et à la flûte de Pan, et ça fonctionne admirablement. Jaki passe aux sableurs du désert et on assiste à une intensification malveillante du groove basané, à la galvanisation balsamique du grain, au clônage de graves de bazar. Et pour répondre à la question : «Ces mecs créent-ils un monde ?», la réponse est oui.

Tago Mago est l’album le plus connu et sans doute le plus apprécié de Can. Mais c’est surtout l’album de Jaki. On assiste avec ce double album au couronnement d’Hypno 1er, roi du beat têtu comme une bourrique. Tous les cuts intéressants de ce disque sont hantés par cet incroyable métronome à deux pattes que fut Jaki Liebezeit. C’est aussi là que Damo Suzuki fait son entrée. Il remplace Malcolm. Dès «Paperhouse», Jaki bat tout droit alors qu’à l’Ouest se lève une tempête sonique. S’ensuit un «Mushroom» devenu un classique. Oui, car voilà le prototype du cut hanté et monté sur le plus décharné des beats qui se puisse concevoir ici bas. Jaki bat ça sec et net. Le mushroom dont parle Damo, c’est bien sûr celui d’Hiroshima - Well I saw a mushroom here - Et en B, ils partent en virée avec «Halleluwah» monté sur un beat de syncope sauvage et complètement fascinant. Jaki crée là l’identité du groupe. C’est le cut de beat parfait et on vit en direct une sorte d’expérience tribale. Après un court interlude musical, on assiste au redémarrage de la machine infernale, c’est digne de Tinguely, tout Can vient de là, de ce mouvement perpétuel et de ce ferraillage exaltant, de cette forme d’Africanité de Cologne, un beat taillé pour la route, dix-huit minutes d’intensité et de classe et avec ça, Jaki crée déjà les conditions d’un monde à venir, celui de Babaluma. Jaki, c’est le jah du job, le jus de Can, un joke de jive.

S’ensuit Ege Bamyasi et sa boîte de piments verts. Avec «Pinch», on reste à l’âge d’or de l’ère Damo. Voilà encore un cut d’apparence barbare, la présence de Damo renforce le côté mongole et des trouées de fuzz enveniment encore les choses. Jaki bat ça si sec qu’on s’en effare une fois encore, le beat halète littéralement et Damo se prélasse dans un son qui lui permet d’exercer sa logique psychotique. Avec «Sink Swan Song», Damo Suzuki fait son kiki comme Jaki, et on arrête aussitôt de rigoler, car Can crée les conditions du climat. On a parfois l’impression d’un grand sérieux quand on écoute Can, sans doute à cause de ce côté laid-back persistant. Mais il n’existe rien d’aussi bien battu que ça. Oui, Jaki bat ça sec et sans remords. Can répond à toutes les questions : Can est-il Can ? Oui, car Can est dans Can. Les cuts se succèdent benoîtement en une sorte de procession et Jaki n’en finit plus de trousser ses petites dégelées circonstancielles, comme dans «I’m So Green» - Yes I feel what you said - et l’impression se confirme, tout repose sur Jaki, c’est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer en matière de beurre, il bat tout à la dure de gras sec. Ce brillant album s’achève avec un «Spoon» qui sonne véritablement comme un hymne.

Future Days paraît en 1973. Le morceau titre de l’album préfigure le Babaluma à venir. Il est ici question de vaporous intensity. La voix de Damo flotte dans des espaces intermédiaires, on a une belle texture respiratoire, douce et si agréable à l’oreille. Tout le monde solote et personne ne solote. Can est le groupe universaliste par excellence. Jaki cultive tranquillement sa polyrythmie. Il préside au destin de Can. Comme toujours, Can affiche un mépris total de la prétention, surtout celle qu’affichent les groupes de rock. John Payne nous rappelle que Can enregistre à l’époque sur un deux pistes, et donc ils s’interdisent toutes les fioritures. Ça finit par donner un son trop dépouillé, trop éthéré, qui ne peut certainement pas plaire à tout le monde. «Bel Air» remplit toute la B, mais on y sombre, corps et âme.

Encore deux merveilles impérissables sur Soon Over Babaluma qui date de 1974 : «Dizzy Dizzy» et «Come Sta La Luna». Jaki prend le beat de Dizzy au primaire élastique. Il fabrique une ambiance fascinante avec ses petits bras. Nous voilà au pays magique de Babaluma et franchement, on aimerait bien y rester pour toujours. Les notes y flottent dans une espèce de stratosphère lumineuse. Jaki passe au mambo pour la Luna, mais avec une clameur venue du fond des âges. Can veloute l’atmosphère une fois de plus, nos amis de Cologne chaloupent des hanches sur ce groove mystérieux en qui tout est, comme en un ange, aussi subtil qu’harmonieux. On a là quelque chose d’une beauté parfaite, quelque chose de lointain et de désincarné. Si par curiosité on va faire un petit tour en B, alors on tombe sur «Chain Reaction», une merveille incroyablement africaine. Jaki nous réinvente le beat des savanes, ces fameuses savanes que traversèrent à pieds Gordon et Speke lorsqu’ils exploraient l’Est du continent africain à la recherche des sources du Nil. C’est un cut pour le moins extraordinaire, joué à la meilleure prestance tribale. On y sent battre le pouls du monde antique.

Une nommée Christine s’est amusée à grimer les quat’ Can sur la pochette de Landed. L’effet est marrant. C’est fou ce que la fantaisie peut plaire, ici bas. Par contre, les quat’ Can n’ont plus de chanteur, plus de Damo ni de Malcolm. C’est Holger Czukay qui s’y colle, mais il faut bien admettre que le groupe perd toute sa démesure. Ils rentrent dans le rang, mais avec un son toujours tiré à quat’ épingles. Et avec «Half Past One», on revient à Babaluma et à Dizzy Dizzy avec le backbeat exotiki de Jaki le kiki du Kon Tiki. On voit planer un joli beat suspendu tout étoilé d’awites d’Holger. Ils restent dans le velouté de Babaluma pour «Hunters & Collectors». C’est un pays qu’on aime bien, les quat’ Can ont su conserver leur double élégance groovitale et orbitale. Ils retrouvent leur étonnante vitalité avec «Vernal Equinox» joué à la fuite en avant et à la guitare pulsative. On se souvient qu’ils mirent un temps un point d’honneur à se vouloir inclassables. Ils attaquent leur bonne B avec «Red Hot Indians», et comme l’indique le titre de l’album, ils ont atterri non pas sur la lune, mais sur Babaluma, ce qui est nettement plus intéressant. Et donc tout repart de cette contrée magique. Jaki le kiki joue des tablas congolais et Michael Karoli le koko gratte l’oukoulélé du Kon Tiki. Un mystérieux sax vient jazzer le groove, alors ça devient incroyablement délicieux et même jouissif.

En 1976, paraît un tas de fonds de tiroirs intitulé Unlimited Edition. Alors bien sûr, quand on est fan de Can et surtout de Jaki, on le rapatrie. On trouve de tout sur ce double album, du «Doko E» joué aux petites ambiances inutiles, de l’hypo canique avec «TV Spot» et «Correction», où Malcom joue les constructivistes à la Malevitch. On l’entend aussi se lancer dans un talking jive sur «The Empress And The Unkraine King» et «Mother Upduff». Il tire admirablement bien son épingle du jeu dans «Fall Of Another Year», une tranche d’épopée musicologique absolument captivante. On trouve aussi des resucées de Babaluma, comme «Ibis». On le sait depuis Landed, ils adorent alunir sur Babaluma.

La même année paraît l’excellent Flow Motion. Ils tapent directement dans le Babaluma Sound avec «Babylonian Pearl». La musique semble flotter au dessus des détritus below et dériver vers le futur. Shimmering Fata Morgana. Avec «Smoke», ils tapent dans un beat africain issu de la nuit des temps. C’est à la fois sombre et terriblement angoissant. Mais c’est en B que se joue le destin de ce très grand album. «I Want More» sonne plus pop, et même un peu trop synthétique pour être honnête. De la part d’un groupe comme Can qui refuse habituellement toute forme de concession, voilà un cut étrangement putassier. Ils reviennent au charming laissez-faire avec «Cascade Waltz». Alan Bangs parle même d’une dream-like quality of the music. On est tous d’accord. C’est Michael Karoli qui embarque «Laugh Till You Cry Live Till You Die» au riff de rock sur fond de reggae-dub. C’est délicieusement bon et lourd de sens, riche au sens des splendeurs de Babylone, fruité au sens des goyaves des Caraïbes. C’est un groove de rêve absolument parfait. Ils bouclent cet album superbe avec «And More», véritable coup d’hypno exacerbé. Jaki est ses amis sont encore capables de miracles.

Une grosse lame de scie circulaire orne la pochette du pauvre Saw Delight qui sort au mauvais moment, c’est-à-dire en 1977. Can a récupéré deux transfuges de Traffic, Reebop et Rosco Gee, vieux habitués de l’impro. Reebop amène dans Can l’exubérance de la world music. Il chante «Don’t Say No» à l’Africaine. Puis Can renoue avec le Moonshine groove de Future Days. C’est somptueux - Do what you feel that you need to do - Rosco Gee passe un fantastique shuffle de basse dans «Sunshine Day & Night». Jaki bat sec et le cut fascine, enrichi par les percus de Reebop. En B, ils filent droit sur le rock ethnique avec «Animal Waves» et le voyage s’achève avec la belle pop de «Fly By Night». Ces gens-là sont toujours capables de miracles.

Le mystère règne sur la pochette d’Out Of Reach qui sort des limbes en 1978. Holger Czukay n’est pas là. Il a quitté le groupe après que Reebop lui ait mis son poing dans la gueule - It became very very dangerous - mais ça n’empêche pas Jaki de battre «Serpentine» comme plâtre. On retrouve l’extraordinaire musicalité qui fait le son du groupe. Peu de gens savent ainsi favoriser l’extension du domaine de la lutte. Ils jouent au dada game avec une sorte de facilité déconcertante. Avec «Pauper’s Daughter And I», ils tapent dans un thème connu. Rosko Gee chante et joue de la basse comme un démon. Leur truc fonctionne aux petites poussées de fièvre maligne. On a là du Can solide, très puissant, bien percuté, drivé à l’os. Retour des ambiances épaisses avec «Seven Days Awake», gros coup de Can rock anguleux et arithmétique, très particulier. Le fan de Can s’y perd et s’y retrouve en même temps. Mais on perd le fil de Can dans «Give Me No Roses». Il faut attendre «Like INOBE GOD» pour renouer avec le groove démentoïde, l’atmosphère de fête et cette ambiance de fin de nuit arrosée qui caractérise si bien le Can dira-t-on.

Voilà Can et sa clé de quatorze. On trouve pas mal de hits, là-dessus, notamment «Safe», frappé sec on s’en doute. Mais sans cette frappe, ce genre de disque n’aurait aucun intérêt. Jaki fait le son et comme toujours l’atmosphère finit par envoûter. On a aussi du bel hypno léthargique avec l’«All Gates Open» d’ouverture de bal d’A. C’est encore un beat à la Babaluma. Jaki n’en finit plus de donner du sens aux choses. L’autre hit de l’album se trouve sur la face cachée de la lune : «Sodom». Avec son fantastique thème mélodique, ce cut obsédant et conspiratoire sonne comme une liturgie d’extase purulente. On les entend jouer au ping-pong dans «Ping Pong» et ils terminent avec l’ambiance superbe du Be-Can de «Can Be».

Delay 1968 paru en 1981 fait partie des albums indispensables, car on y retrouve Malcolm Mooney dans ses grandes œuvres. Ça saute à la gorge dès «Butterfly». L’hypno, c’est sa came. Pendant que les autres tripotent les ambiances, Jaki et Malcolm créent le mythe de Can. On voit bien que Jaki sait rester ferme sur ses intentions. Il n’est pas homme à baisser les bras. Il tient sacrément bien la distance, huit minutes, ce n’est pas de la roupie de sansonnet. Ils tapent ensuite un hit de r’n’b avec «Nineteen Century Man» ! C’est complètement inespéré, car voilà que Malcolm jerke la paillasse du groove de Cologne. Et derrière Irmin Schmidt gratte des accords de psyché-funk. Ces mecs-là sont capables de tout. Sur sa basse, Holger Czukay joue la carte de Stax ! D’autres merveilles guettent l’imprudent voyageur en B, à commencer par «Man Named Joe», dur et dense, dru et dingue, ah quelle aventure ! Ces mecs savent tracer la route d’un cut et le festival se poursuit avec «Uphill». Malcolm Mooney y fait de sérieux ravages, il découpe bien ses syllabes et syncope son shoot comme un dieu de la guerre et du fer travaillé. Jaki envoie le beat avec la puissance d’une loco à vapeur, on a là le hit terrible de Can, le Can the Can de la révolution industrielle, la rouge rage de la Rhur, l’infernal battage des rivets. Pas de retour possible en arrière. Ils tapent ensuite un blues pour «Little Star Of Bethlehem». Malcolm swingue son texte sur un groove de heavy blues et il en bouche un coin, d’autant qu’on se régale du jeu de basse d’Holger Czukay. Ces mecs ne rigolaient pas.

Paru en 1989, Rite Time fait partie des albums magiques, ne serait-ce que pour ce coup de génie qui s’intitule «The Withoutlaw Man» et sa belle approche en crabe. Malcolm Mooney l’explose au fantastique cha cha cha to me. Ils renouent avec la pure hypno, Michael claque des redémarrages. Avec ce genre de cut, Can rappelle qu’il est essentiel de savoir jouer. Retour au groove de jazz déconcertant avec «Below This Level». Effarant ! C’est rien de le dire. Voilà encore une sorte de miracle underground qui bascule dans la démence - Below this level/ There is none - Groove de rêve, Jaki bat. On reste dans la crème de l’hypno avec «Movin’ Right Away». Jaki frappe ça à la vie à la mort. On comprend qu’il soit le batteur dont rêvait John Lydon. C’est encore une fois un cut effarant de puissance démesurée, du Can the Can patenté. On retrouve là cette dimension de l’hypno invariable, le Can crush beat System Sound, la pure sauvagerie de la Révolution industrielle. Tout est noyé de son sur cet album, tout est bardé d’aventures et de thèmes mélodiques. Encore une partie de rigolade pour ce démon de Jaki avec «Hoolah Hoolah». Il bat ça si sec que ça se transforme en chef-d’œuvre de dry beat. Non, il n’existe pas de batteur plus vert sur cette terre. Il fait de ce cut un exercice de style d’éclate dynamitée. Jaki est bel et bien l’âme de Can. Il fait du Keith Hudson dans «Give The Drummer Some». Il joue le groove du dub et claque le beat à la sporadique. On se régalera aussi d’«On The Beautiful Side Of A Romance» qui fait l’ouverture du bal, oui, car voilà encore une fantastique énormité. Malcolm Mooney est de retour pour jouer les victimes du colonialisme. On a là un cut puissant et bien ravagé, même carrément biblique. Jaki ramène dans le beat une dimension africaine. C’est un cut qu’il faut bien qualifier de prophétique. Michael passe des chorus d’une grande violence retenue. Il est tout de même conseillé de bien s’arrimer.

Il reste encore au moins deux grosses compiles à se mettre sous la dent : The Lost Tapes et The Singles. Attention, The Lost Tapes est un triple album, mais si on aime bien Can, ça ne mange pas de pain. Ces mecs n’en finissaient plus d’enregistrer, et quand on dispose d’un batteur comme Jaki, on imagine que c’est un bonheur que d’entrer en studio. Comme Sonic Boom, ces gens savent créer du son. Ils nous embarquent dès «Waiting For The Streetcar». Pur Can Sound, répétitif et bien barré. Le jeu consiste à répéter le streetcar jusqu’à plus-soif. Pour ça, ils sont fortiches - I do wait for the streetcar/ I do wait for the streetcar - Jaki nous bat tout ça en syncope arythmique, évidemment. On n’entend que lui. Il libère ses membres. On s’aperçoit au fil des cuts que tout Can repose sur le Jaki beat, toujours en surtension et sur-mixé dans la confiture, ce qui le rend ultra-présent et donc fascinant. On observe le même phénomène dans «Deadly Doris», embarqué au beat de non-retour. Ils restent dans le bon vieux répétitif, Jaki fourbit bien le beat. Il fait tout le boulot. On tombe plus loin sur un «Oscura Primavera» très spécial. D’ailleurs, tout est très spécial dans ce conglomérat. C’est joué en folk-rock lumineux, à la manière du «Pale Blue Eyes» du Velvet, et ça donne une extraordinaire virée intra-utérine, un modèle du genre. S’ensuit un authentique coup de génie : «Bubble Rap», amené au Cannish beat, pur jus de garage colognais. C’est violent et à peine contrôlé, arrosé d’essence et un mec craque une allumette, alors vloooooooofffff, gerbe de fuzz inflammatoire, c’est joué à la Can, avec un sens de l’ultimate qui n’appartient qu’à eux, c’est à la fois puissant et dévastateur, joué et pulsé au beat. Ils mettent un temps fou à retomber sur leurs pattes. Voilà du grand art, empreint d’une certaine explosivité des distorses retorses. Le disk 2 démarre sur l’énorme «Your Friendly Neighbourhood Whore», embarqué au beat tribal de Jaki le kéké et chanté à la merveilleuse ramasse de Malcolm. Dazling, avec un sens du creative drive. On retrouve Malcolm au helm dans «Midnight Sky», extraordinaire runt de r’n’b. Malcolm et Jaki accouplent leurs talents pour le meilleur et pour le pur, Jaki joue en syncope de funk master. C’est tout de même incroyable : l’un des meilleurs r’n’b du monde vient de Cologne. Ils tapent ensuite dans «Desert», qui est le fait le «Soul Desert» de Soundtracks. Fabuleuse dose d’hypno. Malcolm excelle dans ce répétitif cher à John Cale. On a là de l’hypno à l’état très pur. On trouve à la suite une version live de «Spoon», avec un extraordinaire babalumage du son. Le public claque des mains. Damo Suzuki chante. Et on tombe une fois encore sur un coup de génie : «Abba Gada Braxas», ambiancier en diable, situé quelque part dans l’espace. Fantastique aventure extrapolatoire. Un bonheur, un entrelac à la Can qui n’en finit pas. Pur jus de Mad Psychedelia. Sur le disk 3, on retrouve l’ineffable «On The Way To Mother Sky», assez hypno, bien ravagé par la fuzz et hanté par ce démon de Malcolm. Belle dose d’hypno aussi dans «Nesser, Scissors, Fork And Light». Ils n’ont plus besoin de compteur, ils foncent. Encore une fois, tout repose sur Jaki, il tape sec, il va droit à l’hypno. Ils passent en mode jazz-rock pour «Barnacles» et dans «EPS 108», Jaki fourbit les percus de Geoffrey Oryema. On a aussi une belle version live de «Mushroom» et toute cette fantastique aventure se termine avec un «One More Saturday Night» d’échappatoire délibéré. Can s’y fait têtu, c’est chanté à la non revoyure et pulsé au pur beat de la régalade.

La compile intitulée The Singles qui vient de paraître fait partie des disques indispensables à tout amateur de bonne chère. Vingt-trois cuts et tout est bon. Le calcul est vite fait. Can n’enregistrait pas que des cuts longs, les impératifs commerciaux les obligeaient parfois à faire court. Et dès «Soul Desert», on retrouve ce fabuleux Soul searcher qu’est Malcolm Mooney. C’est l’hypno inné, Malcolm pousse le désert dans les orties, c’en est presque beefheartien. «Spoon» sonne comme une mésaventure mentale délibérée. On s’aperçoit très vite que tous les cuts, sans exception, sonnent comme des hot hits de hutte, surtout «Halleluwah», où Jaki bat le beat des galères et on voit Malcom entrer dans la danse en titubant comme l’archange Gabriel sous acide. Ou encore «I’m So Green», gorgé de son et de présence, et où Malcolm chante sur le ton de la confidence. Le pire c’est que ça joue aux accords de jazz, et ce n’est pas peu dire. Can nous plonge en permanence dans l’excellence d’un fourmillement de génie cérébral. Tout est superbe, soigné, pulsé, joué avec un art de la retenue unique au monde. Jaki fait feu de tous bois dans «Mushroom», hypno assuré d’avance, il bat à la ramasse du chant et ça tourne vite à l’hallucinant travail de sape. Jaki crée les conditions du mystère, alors que Malcolm hurle sa détresse dans le désert. Retour aussi à «Moonshake» joué au vif argent, dans l’idée d’un décadentisme expressionniste à la Murnau. On tombe plus loin sur l’impérissable «Dizzy Dizzy», un cut béni des dieux qui crée un monde magique, celui de Babaluma. Jaki l’enlumine d’un beat suspensif. «Splash» sonne comme un coup de génie et «Hunters & Collectors» tourne la tête, car trop richement orchestré. C’est un son unique au monde. On sent chez eux une vraie passion pour le groove. Dans «Vernal Equinox», Jaki fait un numéro de cirque assez extravagant et Michael Karoli part en solo de dérapage contrôlé. Comme toujours, Can visite quelques couches atmosphériques. Ils n’ont aucun problème de mobilité. Ils vont là où ça les chante. La compile enchaîne ces deux merveilles que sont «I Want More» et «And More», la pop et le punk, avec un punk d’«And More» mille fois plus punk que tout le punk à venir, monté sur un beat tribal qui évoque la marche des légions de Scipion sur Carthage. C’est exactement l’hypno de marche des armées de l’Antiquité, extrêmement sévère et si salutaire. Can passe le chant de Noël «Silent Night» à la moulinette. Ils expérimentent sous les flocons et on note une fois encore l’extrême intelligence du beat. Il est impossible de se lasser d’un batteur comme Jaki. Can continue de créer des vertiges galactiques avec «Cascad Waltz». Ils font du technicolor colognais. Il règne là une extraordinaire ambiance de fin de règne. On sent que tout a été dit et bien dit chez Can. Donc l’empire de Can peut sombrer dans les ténèbres. Au fond, la vie d’un groupe compte si peu au regard de l’éternité. Quelques disques et puis s’en vont. «Return» paraît plus jazzé du cubitus. Alors Jaki s’en donne à cœur joie. Il est l’un des meilleurs batteurs du monde, il relance avec des roulements d’une extrême finesse.

Holger : «Jaki hated it when anyone would say ‘Play your drum solo’. He is someone who wants to integrate and serve in the common sound. That is definitively Can.» (Jaki détestait quand on lui demandait de jouer un solo de batterie. Tout ce qu’il voulait, c’était faire partie du son. Voilà, Can c’est ça).

 

Signé : Cazengler, Baballumé

Jaki Liebezeit. Disparu le 22 janvier 2017

Holger Czykay. Disparu le 5 septembre 2017

Can. Monster Movie. Music Factory 1969

Can. Soundtracks. Liberty 1970

Can. Tago Mago. United Artists Records 1971

Can. Ege Bamyasi. United Artists Records 1972

Can. Future Days. United Artists Records 1973

Can. Soon Over Babaluma. United Artists Records 1974

Can. Landed. EMI 1975

Can. Unlimited Edition. Harvest 1976

Can. Flow Motion. Harvest 1976

Can. Saw Delight. Harvest 1977

Can. Out Of Reach. Harvest 1978

Can. Can. Harvest 1978

Can. Delay 1968. Spoon Records 1981

Can. Rite Time. Mercury 1989

Can. The Lost Tapes. Spoon Records 2012

Can. The Singles. Spoon Records 2017

Holger Czukay. The Mojo Interview by Ian Harrison. Mojo #273 - August 2016

Sur l’illusse, de gauche à droite : Damo Suzukin Jaki, Irmin Schmidt, Holger et Michael Karoli.

 

27 / 10 / 2017 / PARIS

SUPERSONIC

NO HIT MAKERS / THE NOBELS

LOOLIE AND THE SURFIN' ROGERS

 

Encore victime d'une injustice cette année, la médaille Fields qui couronne les sommités mathématiques du siècle ne m'a pas été attribuée, moi qui pourtant sait compter jusqu'à deux depuis la maternelle, toutefois je ne suis pas rancunier et décide de me rendre à cette réunion qui regroupe cinq prix Nobel nationaux au Supersonic. Notez toutefois que les destins me furent contraires, dans les couloirs du métro une nasse de contrôleurs fait barrage m'obligeant à une retraite stratégique et un détour inopiné qui me fit débarquer en retard alors que les No Hit Makers avaient déjà entamé leur set. Moi qui croyais que la libre-circulation des individus sans droits de douane et d'octroi était un principe cardinal du libéralisme !

 

NO HIT MAKERS

Tout ce que je n'aime pas. Arriver en retard à un concert. En plus un de mes groupes préférés.

Une seule consolation, c'est d'être happé par la musique dès l'ouverture de la porte. Je débarque en fin de By my side et tout de suite je suis emporté. Les No Hit Makers, c'est du rockab symphonique. De visu ne se différencient en rien d'un autre groupe de rockab, ne donnent pas dans le country avec une section de quinze violons, n'ayez crainte, Larbi se démène sur sa contrebasse, Vincent maltraite sa Gretsch, Jérôme bétonne sur sa batterie et Eric chante et fusille sa rythmique, mais c'est le résultat d'ensemble qui fait la différence. Ce n'est pas qu'ils soient synchro, c'est que leur musique est complétude absolue, rien à retrancher et surtout rien à rajouter. Ils atteignent à la perfection – non pas l'universelle illusoire – mais celle qui correspond à leur projet. Certains insistent sur leur côté néo-rockab pour rendre compte de leur sauvagerie, n'ont pas tort l'on pourrait tout aussi bien souligner l'aspect fougueux de leur lyrisme. En tout cas, c'est toujours plein de subtilités, ces passages par exemple où la guitare de Vincent endosse on ne sait comment l'exacte tessiture de la voix d'Eric que vous ne savez plus par moments si c'est lui ou la Gretcsh que vous entendez. Toutes deux dans le prolongement de l'autre. Un artifice devenu quasi instinctif qui fait que vous avez l'impression que les morceaux entrent dans une dimension a-temporelle et qu'ils ne se terminent jamais. Alors qu'une fois accomplis vous exécrez leur brièveté. De toute beauté.

Larbi est bien sage ce soir, l'astique sa big Mama avec un sérieux et une hargne méthodologique qui fait du bien à voir. Tout intérieur, en feu couvant. Inlassable. Ses bras tatoués comme des serpents venimeux qui passent de branche en branche. Très concentré, pousse de temps un temps un hurlement comme une locomotive à vapeur qui siffle de toutes ses forces pour amorcer une descente fatidique. Eric est à ses côtés, électro-acoustique Gretsch à rosace triangulaire en tête de cobra, un timbre magnifique qui vous colle sur l'enveloppe du chant déployé, Whatcha Gonna Do psalmodié à l'étrille explosive, The Doors of Heaven ouvertes au bazooka, Long Black Shiny Car conduite les yeux fermés, et la révélation dernière, The Devil is in Me, ne croyez pas que le diable s'époumone à vos oreilles, c'est du sirop d'érable qu'il verse dans vos tympans, hélas empoisonné mais terriblement persuasif. Quand le rockab casse les oeufs de l'omelette d'Hamlet tout va bien. Terrible travail cordique de Vincent, l'aborde son instrument à la manière dont Heidegger décrit l'emprise de la technique sur la nature. Processus irréversible qui modifie jusqu'à votre code génétique, vous inocule l'héroïne du rock'n'roll dans vos veines. C'est ce que l'on appelle une sacrée chance. De succomber aux mantras de la sublimation épileptique. Jérôme dans son coin, que l'on n'aperçoit que lorsque l'un de ses acolytes se retourne à-demi vers lui, est le grand préparateur des explorations soniques. Fixe le cap de la dérive entrevue à l'horizon sans cesse reculé. L'a la batterie traçante, genre de ces fusées rouges que l'on lance pour signaler aux troupes l'instant fatidique de l'assaut. Libère les coursiers de l'écurie en feu. Roulements de baguettes qui déchirent les limbes inexplorées du futur et les trois autres qui s'engouffrent dans la verticalité ascendante des avens stellaires dont il ensemence les cieux orageux du rock'n'roll. Un dernier Boogie Chillen et le vaisseau spatial des No Hit Makers se pose notre terre à vaches folles. A vaches molles. Un demi-set que nous noterons à sept et demi sur 7,5. Assistance comblée. L'ombre pourpre du rock'n'roll a encore frappé.

 

PRE-NOBELS

Se dépêchent de passer leur grosse médaille de prix Nobel à ras de cou. C'est que la salle est surexcitée. Les kr'nteurs en connaissent déjà trois, Luc, Djiv, et Batt, sous ces trois appellations abréviatives se cachent les terribles mâchoires de la mort, les Howlin' Jaws, sont comme les squales qui happent tout ce qui passe à leur portée. Z'ont déjà salement amoché le rockabilly et voici que maintenant ils ont trouvé un nouvel os à ronger, dans le garage. Ne leur confiez pas votre voiture pour une éraflure, sont des requins-marteaux vont vous la transformer en compression de César. Pas Jules, le sculpteur. L'en reste deux, un grand Fran à la guitare et un Tom malingre à l'orgue. L'a fallu l'aider pour monter sur la scène l'on se demandait ce qu'il devait porter de si lourd dans sa valise. Son orgue, petit, beaucoup plus large que long, costaud, massif, du solide, comme un roc – idéal pour le rock – on s'en est rendu compte lorsqu'il a dégringolé de son perchoir pendant son installation, ça ne l'a pas empêché de fonctionner merveilleusement tout le set.

PRIX NOBELS

Loi du garage. Vous démarrez en trombe ou vous êtes éliminé d'office. Pas de seconde chance. Le cheval qui tombe, faut l'abattre sans rémission. Les Nobels vous franchissent l'obstacle à l'arrache ouragan. Baptiste vous crashe la batterie sans pitié et Lucas se précipite sur le devant de la scène pour vous planter des banderilles de riffs – personne ne les fait plus courts, plus rapides et plus violents que lui – l'assistance ondule de plaisir sous ces piqûres de rappel . Des maxi-doses à refiler la tremblote aux menhirs. Vous vous dites que c'est bien parti. Et c'est là que survient la surprise. Excellente. Tom farfouille sur son espèce de farfisa compacté, et le chant mélodieux d'une sirène – moitié ulysséenne, moitié usine – s'élève et magnifie l'entrée tonitruante du départ. Et là-dessus, Tom nous fait coup double, non seulement il sait se servir de son clavier mais en plus il chante. L'a la voix rapide qu'il faut, sans faute. Attention, ça sonne anglais de chez anglais, un arrière-goût Animals sauvage qui n'entend pas périr dans l'arène, pas question d'y aller trop rachitique ou trop tonitruant, faut être dans le rythme, comme la mousse sur la crête de la vague, toujours tout en haut mais collé au mouvement comme ventouse de pieuvre sur le Nautilus du Capitaine Nemo. Get your Mama, Sally Tease, Help Yourself, trois coups de semonces sous la ligne de flottaison, les Nobels quand ils frappent n'y vont pas avec le revers de la médaille. Evidemment Djivan est privé de micro, n'a plus non plus sa monumentale contrebasse pour s'imposer, l'a trouvé la parade, une danelectro longhorn, en forme de lyre, tout de suite ça vous refile une allure d'Orphée descendu aux enfers. D'ailleurs l'on a l'impression qu'il tire sur les nerfs et les tendons des ombres rencontrées, s'en exhale longues plaintes interminable de bête torturées ou cris de souffrance d'âmes inassouvies soumises au supplice de tantale. Toute la différence entre un djivan freudien et une table de dissection abandonnée dans un garage. Seconde guitare pour Fran. Avec les virevoltes de Lucas, vous vous demanderiez ce que vous pourriez faire si vous étiez à la place de Fran. Placer une quelconque contre-rythmique entre les poinçons phoniques de Lucas est tâche impossible. Sont trop rapprochés, pas d'espace suffisant entre eux. Aussi difficile que de faire rentrer un éléphant dans un trou de souris. Se dégonfle pas le Fran, si vous croyez que vous pouvez vous passer de moi, vous vous trompez, et il vous la fait au pachyderme qui vous arrose d'eau saumâtre, mais lui il fuzze, vous barbouille le tableau de traînées de suie qui en approfondit la noirceur. Vous passe le local au cambouis. Du graisseux bien noir, indélébile, qui ne s'efface pas.

Vous avez un aperçu des mécanos. Regardons le boulot. Sur des modèles connus. In the Midnight Hour, de Wilson Pickett, the whicked, z'ont retenu la légende du méchant, pour le châssis du riff lourd à souhait pas de problème, vous le laissent s'écraser par terre d'aussi haut, mais à forte cadence, un rythme démentiel, vous n'avez pas longtemps à attendre jusqu'à minuit, la pendule du rock'n'roll ils la démantibulent dans le vestibule, les aiguilles vous passent douze mille fois sur le douze sans que vous ayez le temps de faire un pas sur la pelouse. Idem pour le fameux jungle sound de Bo Diddley, vous en accélère le tempo, pour le sound c'est plutôt hound mais pour la jungle c'est une horde de tigres affamés qui se jettent sur un village, pas de chance, celui où vous habitez. Quant au It's been nice – Gene Vincent vous l'a transformé en bibelot de toute mignarde rouerie – les Nobels ils vous le concassent à la moulinette à choucroute, c'est du joli !

Vous raconte pas l'effervescence dans la salle. Tom en délaisse son orgue, s'empare du micro à pleines mains et mène le bal des ardences. Un dernier Catch A Ride et c'est fini. Ils ont cassé la baraque et nous n'aurons même pas droit à un quinzième petit morceau supplémentaire. Les Nobels sont grands, mais la vie est injuste.

 

LOOLIE AND THE SURFING ROGERS

Loin d'être enthousiasmé par leur instru d'introduction. Une espèce de patchwork sixty-funk du pire effet. Plutôt poussifs les quatre gars. Rien à voir avec mes souvenirs du mois de juin 2012. Syncope pantouflarde, un sax qui aboie courtement comme un roquet de quinze centimètres qui pense terroriser la planète, bassiste et guitariste en costume, instruments rouge et blanc à l'identique, cela vous a un air d'autant plus vieillot que le hachis funky qu'ils nous servent semble un pathétique effort pour paraître jeune... Mais non, ce n'était qu'un piège diabolique, ont déroulé un tapis miteux, pour que mieux resplendît l'éclat Loolie. Elle arrive, toute belle dans son bustier léopard et sa jupe de cuir fendue jusqu'aux haut d'une cuisse qui voile et parfois dévoile le lieu des féminités fermentueuses. N'a pas encore ouvert la bouche que derrière vous sentez la différence, embrayent en mort, et vont nous le faire en accélération constante tout le long du set.

Loolie focalise les regards et les oreilles. Derrière ils affûtent sec. Bye bye le mauvais funkadelic, bonjour les sixties. Guitares sonnantes, se permettent un instrumental, ce ne sont pas les Apaches mais la tribu Comanche qui se radine au complet au galop de ses mustangs sauvages, superfins les Rogers évitent de plagier le Marvin, ont leur son à eux, avec des fusées de sax et une batterie en contre-chant qui soudoie le rythme plus qu'il ne le propulse. Une espèce de tölt islandais, mais à vive allure. La démarche en crabe qui pince-moi quand pince-mi est sur le do.

De toutes les manières pourraient vous faire du juji-su ou du jus d'orange, vous vous en foutez. Loolie vous captive. L'a tout ce qu'il faut, une voix de petite fille perverse qui vous affole, ou alors de ces moues de chat aguichantes et dédaigneuses qui vous rendent marteaux, faut l'entendre susurrer Do you Understand ?, philosopher sentencieusement mais pas vraiment platoniquement sur la nature humaine de He's a boy, ou vous inciter à tous les outrages avec Beat me down. L'a la voix douce comme une lanière de fouet, suave comme une porte qui se referme sur vos doigts, tendre comme une batte de base-ball qui vous caresse l'occiput, pas le temps de vous ennuyer, déménage sec, jette les mots comme des meubles par la fenêtre pour tout de suite poser la tête sur l'épaule d'un des boys, une gamine qui demande un câlin, exprès pour les gêner, et bien entendu ils font les hypocrites mettent leur honneur à jouer encore mieux malgré cette mouche du coche qui toute fière de ses méfaits s'en va faire quelques pas de danse candido-voluptueuse devant son micro.

Vous mène le public par le bout du nez, bizarrement ce sont les filles les plus énervées qui ne cessent de l'interpeller et de l'acclamer. Une lui tient son verre pour qu'elle puisse y trempoter deux secondes ses lèvres rougeoyantes, l'autre lui baise la main, toutes dansent et remuent, un véritable rond de sorcières de Salem. L'a du charme et du peps, ses cheveux noirs qui tombent sur ses épaules, sa pincée de seins comme poudre magique de perlimpinpin rock, perchée sur ses talons de jaguar ocellé, muscles ondoyants, postures tour à tour gracieuses et graveleuses, en 2012 me souviens d'une jeune fille qui comptait avant tout sur son aisance à interpréter les standards des années cinquante, l'a twisté vers les soixante, mais elle chante autant avec sa voix qu'avec son corps. Du métier et de l'aisance, et encore plus du plaisir à partager son entrain, aucune naïveté, pas le genre à vous tirer des larmes de nostalgie, l'a compris que l'époque ne se fait aucune illusion, elle joue à merveille la fausse innocence, et les musicos sont au diapason, Loolie et ses Rogers ne sont pas dupes, ils sont en représentation d'une image mythique d'un passé lointain que la jeunesse qui forme la majeure partie de l'assistance n'a pas connu mais auquel elle fait semblant d'adhérer, juste pour une heure. Tout le drame et tout le clinquant du rock dans ce brin de loolita exubérante qui étincelle sur scène. Nabokov doit s'en retourner dans sa tombe. L'ardeur est là. Mais les temps sont futiles. Alors Loolie nous abandonne. A notre triste sort. Sort sans se retourner, reine capricieuse qui laisse les guys nous permettre d'atterrir en douceur. Immense ovation, mais elle n'est déjà plus là, fondue dans la foule. Disparue.

 

CARNET MONDAIN

Présence remarquée de Tony Marlow et remarquable d'Alicia Fiorucci. Toutefois l'assistance aura regretté, l'absence de sa Majesté Speedrock.

Damie Chad

 

28102017 / TROYES

3 B

NATCHEZ

 

La tribu des Natchez s'est sournoisement infiltrée dans le 3 B, le désert à vingt heures, difficile de se frayer un chemin à vingt et une. Depuis trente ans qu'ils mènent leur guerre indienne les Natchez rallient à eux les adeptes de la south-music. Si tu penses à la sardane perpignanaise, passe ton chemin, étranger au cerveau aussi pâle que ton visage. Ici nous sommes sur les territoires sacrés du rock'n'roll, ne pose pas tes pieds n'importe où, seuls de funestes serpents se vautrent avec délice sur les sables arides de cette fournaise mythique, mais si l'esprit de survivance des tribus massacrées habite ton âme, tu seras accueilli avec respect et sérénité.

 

NATCHEZ

Non, ce n'est pas parti. Manque l'essentiel aux deux grands escogriffes. Leurs légendaires chapeaux noirs aplatis aussi importants à leur dégaine que le poncho et le cigare éteint à l'homme des hautes plaines. D'un peu le concert était annulé avant la première note, on l'a échappé belle mais les voici coiffés de leurs couvre-chefs indispensables à leur état de pistoleros déjantés. Marchent toujours par deux. L'un à droite, l'autre à gauche. Sortis tout droits d'un cinémascope de Sergio Leone, dégaine narquoise auréolée d'un fouillis de cheveux bouclés qui retombent en cascades broussailleuses sur leurs épaules. De sacrés tireurs. De ceux qui ne ratent pas leur cible même lorsqu'ils ne regardent pas dans sa direction. A chacun sa spécialité. Se ressemblent comme deux gouttes d'eau mouillées – sèches on ne voit plus rien – Facile de reconnaître Manu, c'est celui qui porte un sweat Fender et une Gibson – le dictionnaire médical Larousse nous éclaire : syndrome aigu de la schizophrénie du rock'n'roll vulgairement appelée la malédiction du rocker – en tout cas il sait jouer, vous sert de ces coulées de miel de frelon à vous rendre fou. Son alter-égo, Barbac'h tient aussi une guitare mais son instru, c'est surtout le chant, un gosier hérissé de chardons, in englishe and in french. Mais où sont les indiens ? Pourquoi ces hors-la-loi ? Pourquoi s'arroger le nom de Natchez lorsque l'on se présente comme un gang d'outlaws sans foi ni loi occupés à braconner le grizzli sauvage du rock'n'roll ? Ben, comme tous les bons indiens, ils sont tous morts. L'en reste tout de même un, le dernier, le surveillent de près, l'encadrent soigneusement. Une plume d'aigle accrochée sur sa guitare et une longue chevelure brune qui retombe sur ses épaules. Pourrait se nommer Nuage Rouge, Cheval Fou, Taureau Assis, mais a choisi de répondre au surnom des plus franchouillards de DD. Ruse ignoble, fait semblant de s'assimiler pour vous décocher dans le dos les flèches mortelles de sa basse dont il use comme d'un arc maléfique. Regardez bien son jeu, souvent il recule d'un pas, lève les deux bras et laisse les deux Kit Carson faire tout le boulot. Les deux autres sont à la bourre, pourchassent les coyotes du riff à en perdre haleine, lui il attend sans se buffalo-biler, et puis lorsque la bête est essoufflée il vous la zigouille de deux traits imparables, un dans l'œil droit et l'autre dans le gauche, juste pour leur démontrer que sans lui, la bestiole courrait encore. L'en reste un, que l'on ne voit presque pas. L'est très occupé, tricote de la layette sur ses cymbales. On ne peut pas le lui reprocher, sa tendre copine attend un bébé pour novembre, mais avec les coups incessants qu'il donne m'étonnerait que l'enfançon puisse fermer les mirettes avant longtemps.

Vous les voyez, ne vous reste plus qu'à les entendre. Répertoire aussi vaste que les grandes plaines. Rolling Stones, Creedence Clearwaler Revival, Lynyrd Skinyrd, Eagles, ZZ Top – vous reniflez le topo – tout ce qui contient de monstrueuses coulées de lave de guitares volcaniques – nous feront bien trois slows pour nous prouver qu'ils peuvent rouler en respectant les limitations de vitesse, mais z'ont une préférence pour les dégringolades qui tombent de haut, ou les virées sur la highway avec la caisse à fond, Manu s'envole pour les étoiles à chaque solo, d'ailleurs parfois on a l'impression que le morceau n'est qu'un seul solo, un long fleuve de feu qui n'en finit pas de monter jusqu'au septième ciel. Et là-dessus Barbac'h jette l'essence de sa voix sur le barbecue, flambée d'organe qui vous mène à l'orgasme auditif et primitif. Sans oublier les fourbes flèches de DD qui vous apportent la petite mort. Benjamin derrière sur sa machine à coudre se charge des finitions, du cousu-main de fer spécial-trappeurs. Ont aussi leur propres modèles. Style Electric Speed Woman. En profitent pour remercier l'ami Ritchie qui met un coup de rabot sur leur anglais – peu usité dans la Marne française – composent aussi en français, un mix de critique acerbe et d'humour incisif. Qui leur ressemble. Le sourire philosophique qui tue, sans se prendre au sérieux. Trois steaks de set, des brûle-gueules, à chaque fois davantage saignants. De la bosse de bison. Distribution collective avec invités-surprise.

Princesse Léna pour commencer. Du cheptel familial. Quatorze printemps, des yeux d'un bleu céruléen soulignés d'un sourire célestial, fluette, gracieuse comme une fleur, digne fille de Barbac'h qui lui laisse interpréter Chaman, l'est prêt à la secourir au moindre faux-pas, inutile précaution, l'est habitée par le courage et guidée par une détermination sans faille. Vous ressuscite l'esprit des bêtes et de la nature, vous guide dans le cercle des danses sacrées et sa voix rebondit comme grêle de sabots de broncos sur la roche dure.

Titi pour continuer. Non ce n'est pas le petit dernier de la famille, mais un dur-à-cuire qui a beaucoup vécu, guitariste des Rednecks et de Flagstaff, l'est invité à prendre une guitare, choisit celle de Manu qui tout de suite se jette sur son râtelier pour se saisir d'une Gibson – comportement typique d'un sujet gravement atteint, nous renseigne encore le Larousse Médical, pathologie lourde et insistance qui frise la perversité mono-maniaque – mais arrêtons la consultation, Manu laisse à Titi le temps de se chauffer les doigts, en profite pour nous faire une démonstration, et hop c'est à Titi de se jeter à l'eau, pas un adepte de la brasse coulée, l'est clair qu'il préfère le crawl frénétique, allume toutes les bougies du boogie en une seule fois, et puis tous deux se rapprochent face à face et se lancent dans un chant alterné, un note à note prodigieux qui vous file le frisson de la mort verte, DD s'immisce entre eux et avec son plus grand sérieux sardonique de peau-rouge imperturbable, il s'amuse à caresser sans fin sa plus grosse corde d'un seul doigt répétitif, puis s'éclipse de l'air dégoûté de l'artiste souverain...

Enfin Pascal, repéré dans l'inter-set, le guitariste de l'ancien groupe Gang aujourd'hui dissous, et qui a déjà joué en première partie de Natchez, lui aussi commis d'office et au pied levé à poser ses poignes sur une guitare. Encore un qui n'a pas les doigts palmés. Une touche plus nerveuse, plus rock que south-side, bref un de ces petits bonheur qui vous aident à vivre dans ce monde d'inconséquences. Hélas, il se fait tard, même en tenant compte du changement d'heure. Béatrice la patronne surgit toute émotionnée... pour demander un ultime morceau, très long, du genre de ceux qui ne s'achèvent jamais, et les Natchez, crevés mais tout heureux, nous donnent la joyeuse aubade des petits matins du bout de la nuit. Merci Béatrice !

Bref une nuitée rock'n'roll comme on les aime. Rouge brûlant.

Damie Chad.

 

ZINES

TU SAIS PAS

 

Troisième vidéo – visible sur You Tube - de Zines. On n'est pas sérieux à dix-sept ans dixit Rimbaud, Zines apporte comme un démenti. Fond noir tâché d'encre violette, deux visages qui n'en forment qu'un qui clignotent comme pour marquer qu'il est difficile de s'ancrer dans la stabilité du réel. L'histoire d'une séparation, celle du rêve avec l'image statutaire et statuaire du rap. Des touches impressionnistes de clavier tombent en gouttes de pluie lentes. Létales. Deux voix très légèrement décalées qui se suivent de près pour marquer l'incertain malaise, lorsque les yeux intérieurs s'ouvrent sur le monde, que l'on se penche sur le puits des abîmes et que l'eau croupie vous renvoie un portrait qui ne correspond pas. Le mythe de la rapcaille s'écaille, l'on est toujours un autre que les autres voilent. Zines déchire le voile de Tanit, le rideau se lève sur le néant de la pellicule vide. Aucune couleur ne s'impose que la béance du noir. Zines délivre le message de la désillusion. La vie est plus facile que l'on ne croit. Rien ne sert de se grimer pour faire le clown. Les dieux ne sont que des valeurs fiduciaires qui n'ont plus cours chez le peuple des hommes. Il existe une mince fêlure – comme un zeste d'orange amère – entre la vie et l'existence. Un gouffre obscur que l'on s'empêche de voir. Son nom peut être solitude. Zines y porte le regard. Sous le flot noir clapotent les monstres du nihilisme et des croyances mortes. Tout constat auto-identitaire se confond davantage avec l'échec qu'avec le jeu. Drame hamlétique des hochets de la figuration percés au jour de la nuit. Voix de petite fille finale comme un regret d'innocence qui s'éloigne. Définitivement.

Zines continue son chemin. Même dans les voies sans issue de la déréliction. L'on dit que la sagesse vient avec l'âge. Mais ce sont là sentences insipides. C'est la cruauté qui apporte la maturité. Zines écarte la tenture. Nous ne savons pas encore ce qu'ils découvriront derrière, mais nous attendons avec impatience. Sont déjà sous des sentes dissidentes. Entre le mur et l'affiche, le tout est de savoir ce qui s'y colle. Ne semblent pas être du genre à s'y engluer. A suivre. Ne pas perdre de vue.

Damie Chad.

 

BLUES ET FEMINISME NOIR

ANGELA DAVIES

( Editions LIBERTALIA / octobre 2017 )

 

Sweet Black Angel des Rolling Stones lui est dédié. Angela Davis est une figure emblématique de la résistance noire aux Etats-Unis, adepte des Black Panthers, accusée de meurtre pour avoir organisé l'évasion de trois militants lors de leur procès – l'intervention des policiers ayant provoqué la mort du juge et de deux des accusés – elle n'a cessé toute sa vie d'être présente dans tous les combats de libération politique, économique et culturelle du peuple africain, américain- pour reprendre une de ses terminologies. Le combat féministe ne lui est pas étranger. A tel point qu'elle prit en 2013 position contre l'interdiction de porter le voile dans les services en relation avec le public en France. L'on sait à quelle dictature pro-islamique a abouti la revendication du port du foulard dans les universités en Turquie, présenté alors comme un simple signe de liberté individuelle...

Les cent quarante premières pages de ce livre portent la marque de ce féminisme exacerbé et use d'une méthode un tantinet exaspérante. Ce n'est pas que ce qui est avancé et théorisé soit particulièrement faux, retors ou pervers. Passant au crible les paroles des titres de Ma Rainey et de Bessie Smith, Angela ne rate jamais une occasion de rappeler que si les femmes noires ont subi dans les années vingt et trente la domination des mâles blancs, elles ont en prime dû se débattre contre les violences exercées à leur encontre par le virilisme noir. Cette affirmation nous paraît justifiée mais répétée des dizaines et des dizaines de fois, reprise systématiquement en introduction et en conclusion de chacun des extraits de textes ainsi décryptés, elle en devient lassante. Bis repetita placent certes, mais le mieux est aussi l'ennemi du bien. Au bout d'un certain temps cela tourne à la ritournelle exaspérante de suffragette en mal d'arguments.

Faut passer par-dessus cette méthode répétitive à outrance qui ne peut que vous encourager à abandonner la poursuite de la lecture. Car enfin, nous sommes en bonne compagnie, celle de Ma Rainey, celle de Bessie Smith, et surtout celle du blues. Julien Bordier, le traducteur a tenu à faire précéder sa traduction en français des titres cités du texte anglais original. Notons qu'Angela Davis use de l'expression langue anglaise pour désigner ce beaucoup s'obstinent depuis une vingtaine d'années à nommer américain. Dans le même ordre d'idée Julien Bordier s'est refusé de transcrire l'anglais des noirs en parler petit nègre, ses versions sont donc rédigées en un français des plus corrects, bien loin de ce galimatias qu'employa par exemple Marguerite Yourcenar dans Fleuve Profond, Sombre Rivière, méthode qui pour lui revient à conférer toute sa dignité à ce langage à part entière qu'est le Black English.

Angela Davis part en guerre contre les idées reçues quant au lyric des textes de blues. On les tient trop souvent pour une étroite transcription des plus réalistes du vécu des noirs. Très centrés sur le quotidien le plus plat, dépourvus de toute ambition critique et politique. Ouvrez les yeux si vous vous aventurez dans les blues. Ce ne sont pas de simples bluettes, mais des pièges à blancs dont les mâchoires se referment sur vous sans que vous les sentiez. Même pas mal, vous traversez le champ de mines sans qu'elles explosent, et parvenu sain et sauf de l'autre côté vous regrettez de vous être déplacé pour si peu. Vous avez tort. Les noirs comprenaient le véritable sens des paroles, leur portée symbolique est loin d'être anodine, et l'humour n'est que le mouchoir du désespoir.

Ma Rainey et Bessie Smith ne furent pas de faibles femmes. De véritables matrones qui parlaient haut et fort. Le blues est une musique sexuelle. Non pas parce que le sexe est une des composantes essentielles de la vie de tout un chacun. Ma Rainey appartient à la première génération née après la fin de l'esclavage. Le droit de choisir son partenaire est une des deux libertés sur lesquelles les lois dites de Jim Crow rapidement édictées pour empêcher les anciens esclaves de vivre pleinement leur indépendance ne purent araser. Les hommes ne sont plus des étalons reproductifs et les femmes des porteuses désignées de forts bébés destinés à travailler dur dans les champs. La liberté sexuelle sera vécue comme l'exercice plein et entier de la dignité retrouvée. Ma Rainey, chante ses nombreux amants, préfère les biens membrés qui savent y faire aux maladroits maladifs. L'on est loin des romances lamartiniennes. Mais il y a pire, ne crache pas sur les copines, collectionne les amantes, cette revendication homosexuelle est pratiquement incongrue au début de ce siècle. Les blancs tirent des mines dégoûtées, imités par ces bourgeons de middle-class noire qui commence à poindre... Bessie Smith suivra le modèle défini par Ma Rainey.

La deuxième liberté qui échoit aux noirs depuis deux siècles rivés de force dans les plantations est la possibilité de pouvoir se déplacer à leur guise. L'on cavale sans arrêt dans le blues, on ramble interminablement, à travers les états, du Sud au Nord et du Nord au Sud, car ailleurs l'herbe est rarement plus verte... ces cavalcades incessantes – à pieds ou en train - si elles permettent de démultiplier les possibilités de rencontres amoureuses, n'en sont pas moins pourvoyeuses de sourdes colères, car très vite l'on s'aperçoit que l'on tourne en rond dans un espace plus vaste mais dont les voies de dégagement restent bloquées.

Ma Rainey et Bessie Smith sont davantage que des chanteuses. De véritables idoles. Le public parcourt de longues distances pour assister à leurs tours de chants, mais elles sont surtout des exemples vivants qu'un autre monde est possible, que la femme n'est pas obligée de recevoir sans se plaindre les horions de leur maris ou de leurs amants, que le désir traverse les genres, que c'est dans sa propre vie qu'il faut d'abord gagner ce respect qui plus tard se traduira par la bataille des droits civiques.

Le blues sera la matrice du politique. Il influe, l'air de rien, à mots couverts, l'idée de classe. Le racisme n'est que le cache-sexe de l'exploitation des pauvres et la nécessité de les tenir dans la misère économique et culturelle afin de ne pas écorner les bénéfices, de ne pas renoncer aux privilèges. Rien ne sert de se plaindre. Ni d'imiter les maîtres blancs. Le blues est la musique du diable car il remet en question l'acceptation de la situation sociale prônée par la musique du dieu blanc. Terrible partition du peuple noir, déchiré entre le badigeon rose de l'acceptation de l'Eglise et la vie en bleu sombre. Déchirement qui n'épargne pas les individus en leur intimité. Ma Rainey passera les dernières années de sa vie à refuser de chanter le blues pour s'occuper exclusivement de sa congrégation. Une fin de vie de renégate si l'on y réfléchit. Mais nous userons de charité chrétienne envers elle, elle a tant donné dans ses meilleures années que nous l'absolvons de son péché de bêtise absolue. Bessie Smith ne condescendra pas à se renier. Elle meurt d'un accident des la route en ramblin'woman qui se respecte. Au bon moment, car beaucoup de noirs pauvres qui accèdent à un semblant de mieux-être se détournent du blues qui rappelle d'une façon un peu trop crue le chemin parcouru. Mais Bessie n'est pas qu'une chanteuse de blues, elle est une artiste, son expressivité, sa façon de dire plus que les mots proprement dits par le seul fait de les moduler, influenceront beaucoup les musiciens, l'on peut dire qu'elle allume le flambeau au jazz.

Dernier chapitre consacré à Billie Holyday. Elle n'est pas une chanteuse de blues proprement dite. Elle n'aura pas la possibilité de composer ses propres morceaux. Les temps ont changé. Columbia lui choisira d'office ses titres. D'insipides chansonnettes sentimentales. Mais elle n'est pas pour rien la digne héritière de Bessie Smith, la rudesse du moonshine ne provient pas de la bouteille mais de sa distillation sauvage. Filez-lui un refrain à la noix de coco et elle vous le transforme en drame shakespearien. Tout dans l'interprétation. Encore plus douée que Bessie. Mais beaucoup plus abîmée par la vie. L'alcool, la drogue, les amours, mais avant tout son impossibilité à supporter le racisme quotidien, trop de couleuvres, trop d'anacondas à avaler chaque jour. Une immense colère l'habite. Qui la poussera à enregistrer Strange Fruits, malgré sa maison de disques qui s'y oppose et qui finira par peur du scandale à le sortir sous une sous-marque. Elle le paiera très cher. Mais c'est ce morceau pour lequel elle tient à se battre chaque soir avec les organisateurs des concerts et les patrons des lieux où elle se produit afin de l'imposer à tout prix, bravant toutes les interdictions... Traiter Strange Fruits de première chanson contestataire serait un euphémisme, elle fut la mère de toutes les batailles, l'étincelle du réveil de la conscience noire. Tout comme Bessie Smith l'influence de Billie Holiday sera aussi grande sur le jazz qui était en perte de vitesse. Les musiciens trouvent un nouveau public en reprenant les airs des morceaux qu'elle enregistra et mit à la mode, ils deviendront leurs thèmes de prédilection...

Ne pas oublier l'hommage appuyé à deux écrivains noirs Langston Hughes – ai dû vous présenter dans KR'TNT ! l'ensemble de ses textes disponibles en langue française - et Zora Neale Hurston, firent tous deux partie de la mouvance artistique de la Harlem Renaissance, ils furent les seuls à revendiquer l'héritage du blues dans leurs œuvres alors que l'ensemble des autres artistes se détournèrent de cet héritage séminal, préférant calquer leur démarche sur les canons esthétiques de la littérature blanche. Démarche volontaire d'auto-acculturation qui en dit long sur les cheminements obscurs des esprits si pénétrés des rapports de domination qu'ils pensent lutter contre leurs néfastes emprises alors même qu'ils sont en train de renoncer à la spécificité idiosyncrasique définie par leur peuple. Souvent les esclaves s'affranchissent des maîtres en adoptant leurs habitus culturels, phénomène d'assimilation intellectuelle qui n'est pas sans danger car il gomme les rapports de classe et ressemble à s'y méprendre à une trahison inconsciente. Ces renonciations expliquent pourquoi aujourd'hui de nombreux africains, américains n'osent plus regarder le blues en face.

Damie Chad.

 

PS : Le livre est accompagné d'un CD que nous chroniquerons dans notre livraison 347.

 

13/12/2016

KR'TNT ! ¤ 307 : PIXIES / EL CRAMPED / CULTURE LUTTE / NO HIT MAKERS / RUST / ROCK'N'BONES / LES CHAMPIONS / PRESIDENT ROSKO / POGO CAR CRASH CONTOL / SIDNEY BECHET /

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 307

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

15 / 12 / 2016

PIXIES / EL CRAMPED /

CULTURE LUTTE / NO HIT MAKERS / RUST

ROCK'N'BONES / LES CHAMPIONS / PRESIDENT ROSKO

POGO CAR CASH CONTROL

SYDNEY BECHET

Have you seen the little
Pixies crawling in the dirt ?

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En apparence, les Pixies n’ont pas vraiment de lien direct avec les Beatles qui, rappelez-vous, nous chantaient «Piggies» sur l’Album Blanc. Il s’agissait d’un subtil hommage aux petits cochons qui se vautrent dans la bouillasse. Mais si on y regarde de plus près, le parallèle devient vite évident. Prenons justement l’Album Blanc comme point de repère. Les Pixies sont à l’image des Beatles de l’Album Blanc : divers, c’est-à-dire pop, rock et surtout novateurs, parfois exotiques, toujours fascinants, parfois diablement raunchy, mélodiques et surtout capables de miracles. Pour ceux qui ont grandi en écoutant l’Album Blanc, le souvenir des moments d’écoute quasi-religieuse reste très présent. Avec les Pixies, c’est exactement la même chose. Leur reprise de «Head On» vaut bien le carnage d’«Helter Skelter». La magie de «Letter To Memphis» vaut bien celle de «Why My Guitar Gently Weeps». On se pelotonnait à l’époque dans le confort de ce double album magique, de la même façon qu’on se pelotonnait dans les années 90 dans le confort de Trompe Le Monde. Car c’est l’un des chefs-d’œuvre absolus de l’histoire du rock.

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On ne compte pas moins de quatre coup de génie sur cet album, notamment cette version vertigineuse du «Head On» des Mary Chain. Le gros donne libre cours à sa folie - I’ll take myself to the dirty part of town/ Where all my troubles can’t be found - et s’en va valser dans les orties. Tous ceux qui ont joué «Head On» dans un groupe ont vite laissé tomber la version originale des Mary Chain - trop balloche - pour revenir à celle-ci, à condition bien sûr de disposer du chanteur qui allait avec. S’ensuit un «U-Mass» aussi fatal - Oh kiss the sky/ Oh kiss my ass - joué au stomp pixique, qui est l’une des spécialités du gros - It’s educational ! - On ne se rendait pas compte à l’époque comme le gros nous gâtait. C’est souvent comme ça, quand on traverse une tranche de vie heureuse, on ne sait pas mesurer la chance qu’on a. Et puis bien sûr, on finit par tomber sur «Letter To Memphis» qui reste certainement l’un des sommets de l’art pixique. On y vit en direct une descente dans l’enfer du paradis des guitares de rêve. C’est une aubaine inégalable. Frank Black devient ici une sorte de visionnaire du rock comme le fut Dylan en 1965, et le trying to get to you se fond dans l’épiderme du cortex qu’aiguillonnent encore les tortillettes de Joey Santiago. On a là du pur génie sonique. Le gros nous embarque au-delà des modes, au-delà du temps et des choses. Comme savait si bien le faire John Lennon. On a encore des merveilles à savourer sur ce disque, comme «Palace Of The Brine», hit admirable d’I saw the crawling of the famous family et les infra-sons gorgent la peau de frissons. Le gros nous saccage «Planet Of Sound» à coups de riffs vengeurs et nous chante ça à la niaque des cavernes. En B, on tombe dans les bras de «Bird Dreams Of The Olympus Mons», une belle pop de caractère, comme tendue vers l’horizon. Mais avec le gros, ça se déploie et ça tourne au vertige. Et puis on a ce «Space» amené aussi comme un hit avec son Jeffrey with one f, et ça vire au classique dans l’instant. Le gros n’en finit plus d’emmener sa horde à l’assaut des hit-parades. Quand on écoute «Distance Equals Rate Times Time», on sent bien l’absolutiste, le tenace qui ne cédera jamais à la médiocrité. Il reste encore un cut magique sur cet album, «Motorway To Roswell» qui sonne d’emblée comme un hit planétaire - Last night he coundn’t make it/ he tried hard but he couldn’t make it - Le gros fait un hit d’un aveu d’impuissance et bascule dans le grandiose. On entend tout simplement chanter un géant radieux.

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Trompe Le Monde fut leur dernier album, et Come On Pilgrim le premier. Mis à part «Caribou», on s’y ennuie comme un rat mort. Le gros chante son Caribou à la dégueulade angélique. Jon Dolan : «Le chant de Francis dans ‘Caribou’ est la meilleure punk rock physical comedy depuis Johnny Rotten.». Toutes les caractéristiques de son génie s’y bousculent déjà au portillon. En réalité, Come On Pilgrim fut un mini-album tiré d’une démo intitulée The Purple Tape enregistrée à Fort Apache. Paul Kolderie affirme que tous les grands hits des Pixies existaient déjà à cette époque : «Subbacultcha», «Dig For Fire» et «Here Comes Your Man» que Frank et les autres appelaient le Tom Petty song, car trop poppy. C’est en écoutant The Purple Tape qu’Ivo Watts-Russell, le boss de 4AD à Londres, craqua pour les Pixies et qu’il les signa sur son label. C’est donc un Anglais qui mesura aussitôt le potentiel du gros. Les labels américains n’avaient rien compris, à l’époque.

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Dans leur recueil de témoignages intitulé Fool The World - The Oral History Of A Band Called Pixies, Josh Frank & Caryn Ganz vont même très loin en affirmant que les Pixies sont le groupe quintessentiel de l’époque et que leur son à base de hurlements, de textes surréalistes, d’alternances de calme et de tempête, de guitare surf, de délicates basslines et de pilonnage de caisse claire est tout simplement resté inégalé. Sans les Pixies, pas de Nirvana. James Iha, le guitariste des Smashing Pumkins, ajoute que Nirvana et les Pixies avaient en commun ce goût de la demented pop, mais Nirvana était beaucoup plus commercial que les Pixies. Il faut savoir que le gros avait une sainte horreur des vidéos commerciales et qu’il refusait de mimer le chant devant une caméra. No way !
Tout le monde sait que Buñuel le fascinait. Mais David Lynch aussi. L’art libre de Frank Black ne sort pas de nulle part, et surtout pas de la cuisse de Jupiter. Il cite David Lynch comme l’une de ses principales influences : «Il te montre quelque chose, sans avoir à l’expliquer.». Tanya Donelly raconte qu’une nuit à Berlin, le gros n’avait pas envie de dormir. Alors, il lui fit une proposition : «Roulons dans Berlin toute la nuit en écoutant ‘The Passenger’ d’Iggy.». Ce qu’ils firent. «The Passenger» over and over and over again. Tanya fut enchantée : «It was just a really nice night !»

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C’est avec «Where Is My Mind» qu’il attaque son set au Zénith de la porte de Pantin, par ce beau soir de novembre. Revoir les Pixies sur scène, c’est un peu comme aller au cirque quand on est gosse : on sait d’avance qu’on va bien s’amuser et qu’on va bien se régaler.

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Adulte, on sait qu’on va voir un génie à l’œuvre, un gentil géant descendu de sa montagne pour nous faire passer une bonne soirée. Les concerts des Pixies ont toujours été des concerts exceptionnels, au moins autant que ceux des Stooges et du Velvet. Les Pixies font partie des groupes qui atteignent le sommet de ce qu’on pourrait appeler l’art rock, ce singulier mélange d’invention, de puissance, de son et de mélodie.

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Frank Black a toujours su diversifier ses chansons et créer de l’émotion. L’amie qui m’accompagnait ce soir-là ne connaissait pas très bien les Pixies, et pourtant, elle a dansé pendant presque deux heures, comme ballottée par une marée de son. Frank Black remue les esprits et les corps, et lorsqu’il hurle, il crée une sorte d’osmose cathartique à laquelle personne ne peut se soustraire. Avec le temps, son art atteint de nouveaux sommets. On pense à un capharnaüm grandiose imaginé par Piranese, on pense à une tour de Babel dressée dans le monde moderne par ce Breughel du rock qu’est Frank Black On le sait depuis longtemps, cet homme ne se connaît pas de limites, et il nous offre ce sentiment d’infinitude en partage. Il a créé son monde pour le partager avec nous, comme s’il cuisinait un gâteau extraordinaire et qu’il nous conviait à venir le déguster. Chez lui, on se sent en sécurité. On va même chez lui les yeux fermés.

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Dans l’univers de Frank Black, il n’existe pas la moindre petite trace de médiocrité. Il veille à ce que tout reste bien baudelairien, au sens du calme, du luxe, de la volupté, et du scream. Sur scène, il enfile tous ses hits comme des perles, les «Break My Body», les «Gouge Away», les «Monkey Gone To Heaven» et là, juste à côté de nous pauvres pêcheurs, deux filles dansent mollement et entrent en transe, avec les yeux blancs, et puis «Caribou» justement, un véritable enchantement, la magie de gros se répand sur Paris qui redevient l’espace de deux minutes la ville lumière, et «Wave of Mutilation» que tout le monde semble connaître par cœur, et «Tame», hurlé à la vie à la mort, et bien sûr l’immensément immense «Debaser» et tout autour jaillissent des chiens/ andalou/sia, et puis voilà l’it’s educational de «U-Mass» qui nous tombe sur la tête comme le ciel au temps des Gaulois. Ah ça ne finira donc jamais, comme disait Moloudji au temps de l’album communard ? Ils reviennent pour deux titres, le «Vamos» des débuts, et nous envoient rôtir en enfer avec «Into The White».

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Le deuxième album des Pixies parut en 1988. Bientôt trente ans ! Il s’appelait Surfer Rosa. Ivo Watts-Russell recommanda Steve Albini pour produire l’album. Mais il se trouve qu’Albini n’aimait pas la musique des Pixies. Il était à l’époque une sorte de radicaliste au crâne rasé, amateur de hardcore, de Pistols et de Ramones. Mais il trouvait Kim Deal très douée et le gros assez unique. Dès «Bone Machine», les Pixies donnaient libre cours à leur groove têtu. On avait même l’impression que l’affreux Frank Black tordait le bras de son groove pour le faire grimacer. Il poussait des petits cris de hyène andalouse. C’est dingue ce qu’à l’époque il pouvait adorer Buñuel. Et ça virait à l’excellence, avec ce chant à deux voix. Bienvenue au twisted world des Pixies ! Les compos du gros ont une sacrée particularité : elles sonnent souvent dès les premières mesures comme des hits. Exemple : «Break My Body», monté sur un riff impérieux. Le gros a l’art et la manière d’allumer un hit comme on allume un spliff. L’autre bombe de l’A, c’est bien sûr le «Gigantic» que chante Kim Deal, «Gigantic» d’autant plus énorme qu’elle chante ça à l’ingénue édulcorée et que Joey Santiago y place un spectaculaire solo ambiancier. En B, on tombe tout de suite sur l’un des grands hits pixiques, «Where Is My Mind», une traînarderie insidieuse. Le gros s’amuse à torturer la fille des muses, il lui fait subir les pires outrages sur fond de beat bass-drum très ralenti. Au travers de ces morceaux, les Pixies bâtissent un nouveau monde.

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Les hits pullulent sur Doolilttle qui parut l’année suivante. Coup de génie d’entrée de jeu avec «Debaser», hit universel. Ce qui fait sa grandeur, c’est le décalage entre la folie du gros - chien andalousia - et la pureté du thème mélodique. Le gros fut le seul à l’époque à réussir un coup pareil. Le festival se poursuit avec «Tame», un savant mélange de démence dans la partance et de beat poppy. La force du gros, c’est de savoir ouvrir un abîme et de s’y jeter avec tout son orchestre. S’ensuit «Wave Of Mutilation», un autre hit universel monté sur un thème glorieux et pulsé comme il se doit. Kim Deal joue une bassline de rêve et le gros chante à l’éclat du temps. Fucking genius ! À l’époque, on appelait ça de la pop indé, mais c’est probablement ce qui s’est fait de mieux depuis l’âge d’or des Beatles. Il reste encore un hit puissant et bien martelé sur cette face : «Monkey Gone To Heaven». On y assiste à une magnifique progression vers le firmament. Rien ne pouvait alors résister aux Pixies. On trouve d’autres hits, de l’autre côté, comme «Crackety Jones», ou un «Gouge Away» chanté une nouvelle fois au bord de l’abîme, mais la démesure de l’A fait défaut.

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Avec les Pixies, on s’habitue vite aux coups de génie. Bossanova qui parut un an plus tard en proposait au moins trois, à commencer par «Rock Music» qui bat tous les records d’insanité. Il faut entendre le gros hurler comme un porc - My brain ! - C’est un pur chef-d’œuvre d’insanité pulsative. En B, se niche l’effarant «Down To The Well», écarlate de puissance, oh qui dira l’immensité du don ? Qui dira la démesure du scream par delà les frontières du réel, qui dira la puissance du gros et la portée de sa vision ? Il achève son hit à coups de screamadelica. Tout aussi énorme, voilà «The Happening», joué au heavy beat sur une progression bien lourde. Voilà un joli poids jeté dans la balance du rock sempiternel. «Hang Wire» sonne aussi comme un hit profond et généreux qui s’adresse à la terre entière. Ces albums révèlent une profonde humanité, une épaisseur de la chair, à l’image du gros. «Velouria» sonne comme un hit pop. Comme ceux des Beatles, ce hit entre dans l’inconscient collectif. Le monde entier connaît l’air de «Velouria». Le gros amène aussi «Is She Weird» au beat de la menace. Grâce à la basse de Kim Deal, on a une profondeur de son extraordinaire. Le gros met ses dynamiques en route pour mieux broyer le cortex du contexte. Voilà la grande force des popsters de haut vol : il savent imposer un thème pour qu’il sonne comme un hit. Même chose avec «All Over The World», doté de la même puissance mélodique. Si ce n’est pas un hit, alors qu’est-ce que c’est ? Le gros finit l’album avec «Havalina» qui est le chant du paradis. Celui qu’on entend lorsqu’on meurt enfin.
Dans la presse anglaise, un nommé Mat Snow qualifia les Pixies de maîtres de l’incongruité calculée. Et Ian Gittins dans feu le Melody Maker affirmait bien haut que les Pixies étaient le meilleur groupe de la planète. Here we go !
Oh et puis vint le split. Le gros vira Kim Deal qui, pétée, avait raconté des conneries dans une interview. Le gros annonça la fin du groupe par fax : «Je ne voulais pas de confrontation avec les autres. Je ne voulais pas qu’on discute de ça dans une réunion. Je n’étais pas heureux dans ce groupe et je l’ai quitté.». En fait, il fit bien d’arrêter le groupe à temps. Comme dirait J. Mascis : «J’imagine qu’on peut rester dans une groupe jusqu’au bout et, comme les Ramones, tous mourir d’un petit cancer.»

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On n’y croyait plus, et pourtant le miracle a fini par s’accomplir : les Pixies sont retournés ensemble en studio pour y enregistrer un nouvel album, l’excellentissime Indie Cindy. Deux cuts sortent du lot, «Blue Eyed Hexe» et «Andro Queen». Hexe parce que ça sonne tout de suite comme une extravagance riffale à la «U-Mass», avec en prime des paroles aventureuses. Le gros nous fait même un couplet entier à la hurlette, comme au temps béni du concert à l’Olympia, quand il passait la tête sous le micro pour hurler comme un goret qu’on tire par les oreilles pour le hisser jusqu’au croc. Andro parce que joué à la reverb magique - Have you ever seen Andro Queen/ Wandering all for her ruby - Voilà ce dont est capable cet immense poète surréaliste qu’est Frank Black. Il perpétue une essence perdue depuis l’éviction d’Artaud du Groupe Surréaliste. Ce cut est joué aux infra-basses dans une extraordinaire tension poétique. Vous ne trouverez pas ça ailleurs. Les bons cuts pullulent sur ce double album qui se joue en 45 tours. Le gros retape dans sa belle veine mélodique avec «What Goes Boom» et provoque quelques belles montées de fièvre - Grace in her face - C’est l’un des songwriters les plus doués d’Amérique. On reste dans l’excellence mélodique pour «Greens And Blues» qu’il chante d’une voix apaisée, presque duveteuse. Mais cette fois, il laisse la démesure au vestiaire. Retour aux vieux accents colériques pour le morceau titre - Indie Cindy be in love with me/ I beg for you to carry me - On retrouve la belle colère de «Subbacultcha». Puis on l’entend enflammer la fin de «Bagboy», un cut joué au bass-drum de hip hop et on tombe en bout de B sur une autre merveille, un «Silver Snail» en trois dimensions : poétique, dramatique et mélodique - I could sleep with a loaded gun/ In a room with a lightbulb sun - Pure magie qui vaut bien le «Happiness Is A Warm Gun» de John Lennon, n’est-il pas vrai ? Il faut hélas bien se rendre à l’évidence : tous les cuts sont bons sur ce disque. On est une fois encore confronté à un problème d’une extrême densité. Trop d’oxygène, comme dans les textes de Picabia. Écoutez la belle pop lumineuse de «Ring The Bell» ou encore celle de «Snakes». Tout ce qu’il compose passionne profondément. Il finit cet album éprouvant pour les sens avec «Jaime Bravo», une mélodie fusionnelle qui flirte dangereusement avec le firmament. Mais chez le gros, c’est une spécialité.

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Et pouf, voilà que tombe du ciel Head Carrier, un nouvel album des Pixies. C’est inespéré. Pourquoi inespéré ? Parce qu’on y trouve deux nouvelles preuves de l’existence de Dieu : «Bel Esprit» et «All I Think About Now» chanté par Paz Lenchantin, la petite brune qui a remplacé Kim Deal. Les Pixies ont joué ces deux merveilles au Zénith, et je vous prie de croire que les frissons nombreux étaient au rendez-vous. Sur «Bel Esprit», le gros partage le chant avec Paz. Ils renouent avec l’ambiance magique de «Letter To Memphis». Joey crée l’ambiance avec son titillement mélodique et le gros suinte le chant qui en réalité est un chef d’œuvre d’auto-dérision - He’s not much of a bel esprit/ She can’t seem to understand him/ A bit more like a chimpanzeee - Et il ajoute, stoïque - That’s the way of this man - Oui, il faut le prendre comme il est, pas très bien dégrossi. On reste dans la magie pure avec «All I Think About Now». Paz chante au filet de voix comme Kim - If I could go to the begin/ ing/ I would be another way - Devant un tel chef d’œuvre de délicatesse mélodique, on pense bien sûr à John Lennon qui après avoir composé des merveilles comme «Dear Prudence» ou «Sexie Sadie» était capable de revenir quelques années plus tard avec «Jealous Guy». C’est la raison pour laquelle il faut suivre le gros à la trace. C’est l’un des derniers artistes capable de faire des miracles, en Occident. Et quand on entend un truc comme «All I Think About Now» dans la fosse du Zénith, on pense bien sûr à un miracle. Le reste de l’album se tient à un très bon niveau pixique, ne serait-ce que par le morceau titre qui fait l’ouverture, monté sur un heavy beat finement teinté d’harmonies à la Roswell. Quel magnifique chanteur que ce gros lard. Encore typique de l’attaque pixique, voici «Classic Masher». On y voit le gros affronter la mélodie comme il sait si bien le faire. Il envoie sa chanson papillonner par dessus les toits, avec la grâce d’un Paul Verlaine du rock moderne, suprêmement dopé à la fantastica. Puis il revient à sa chère folie dévastatrice dans «Ball’s Back». On retrouve cette hurlette vacharde qu’on aime tant. Wow, quel merveilleux mécontent, quelle belle boule de pus colérique ! Le gros fait ce qu’il veut du rock, depuis toujours, et sans produire le moindre effort, comme le souligne Bowie dans Gouge. «Talent» glisse tout seul, comme huilé, c’est un rock oblong qui file à travers les étoiles. Ils terminent cet album fascinant avec «All The Saints» monté sur une merveilleuse bassline dodue et bien douce. Paz sait jouer, c’est une bath du bassmatic.

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Les fans des Pixies sont gâtés : il existe un DVD paru en 2004 qui propose un concert des early Pixies à Londres et Gouge, un documentaire racontant leur histoire. Le concert vaut bien sûr le détour, car Frank Black est encore très jeune, il a tous ses cheveux et porte un T-shirt trempé de sueur. Kim chante en rigolant et Joey joue sur une Les Paul en or. Ils sont tout simplement fascinants, car ils ont déjà les chansons. Dès «Levitate Me», les cuts se mettent à sonner comme des hymnes et «Caribou» vire à la magie pure. Le moment le plus intense de ce vieux concert est certainement celui du cut de Kim, «Gigantic». Elle est poignante, et ça marche à tous les coups. Chaque fois qu’elle attaquait «Gigantic» en concert, le public chantait avec elle. Puis le gros revient faire des siennes avec «In Heaven». L’ancienne définition de la puissance était la suivante : se tenir au coin d’une rue et n’attendre personne. La nouvelle : Frank Black chantant «In Heaven». Et ils terminent avec un hommage mythique aux Beatles, avec «Wild Honey Pie», comme par hasard. Frank Black : «‘Wild Honey Pie’ n’est pas ‘Hey Jude’ ni ‘Revolution’, c’est juste un truc bizarre qu’ils ont enregistré un jour sur une cassette.». C’est une façon de dire qu’il aime bien travailler ainsi. Sur ce DVD on voit aussi un docu intitulé On The Road, mais il ne s’y passe rien de très intéressant. C’est Gouge qui emporte la palme, car les Pixies et des gens comme Bowie, Tim Wheeler, les mecs de Blur et de Radiohead, Bono et PJ Harvey racontent l’histoire de ce groupe hors du temps - A band incredibly clever - Oui incroyablement intelligent, tout est dit ! PJ avoue que Surfer Rosa est son album préféré, elle se dit fascinée par Charles, c’est-à-dire le gros, à travers les paroles qu’il écrit. Et Bowie n’en finit plus de rendre hommage au génie des Pixies - It’s done so effortlessly - Il a tout compris, les Pixies ne font aucun effort, c’est dans leur nature d’être géniaux, et il ajoute : One of the strongest songs I’ve heard is «Debaser» - et il conclut avec un dernier hommage au gros : On stage, he’s a mass of screaming flesh - Nouvelle définition de la puissance.
Bowie ne croit pas si bien dire, car le gros écrit ses paroles sur une nappe en papier cinq minutes avant de les enregistrer : «Des fois c’est bon, des fois c’est pas bon. That’s just the nature of that songwriting.»

 

Signé : Cazengler, pixé de la ruche


Pixies. Zénith. Paris XIXe. 23 novembre 2016
Pixies. Come On Pilgrim. 4AD 1987
Pixies. Surfer Rosa. 4AD 1988
Pixies. Doolilttle. 4AD 1989
Pixies. Bossanova. 4AD 1990
Pixies. Trompe Le Monde. 4AD 1991
Pixies. Indie City. Pixiesmusic 2014
Pixies. Head Carrier. Pixiesmusic 2016

Josh Frank & Caryn Ganz. Fool The World - The Oral History Of A Band Called Pixies. Virgin Books 2008
Pixies. DVD 2004


Viva El Cramped

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La scène se déroule en 2037, dans l’une des loges du Budokan, à Tokyo. Au terme de vingt ans de tournées dans le monde entier, El Cramped, célèbre cover-band des Cramps, y donnait son concert d’adieu. Ah c’est sûr, le Professor et le Loser ont pris un sacré coup de vieux, mais ils n’ont rien perdu de leur manie de vouloir s’amuser coûte que coûte. Ils sifflent une dernière bouteille au goulot avant d’aller coucher au panier.

— À la vôtre, Professor !
— C’est dommage qu’on arrête le groupe, Loser, on s’amusait drôlement bien...
— Oui, c’est vrai, mais regardez-vous, Professor, vous ressemblez au Père Noël, maintenant, et moi aussi d’ailleurs. On a vraiment l’air cons tous les deux avec nos grandes barbes blanches ! Même si on aime bien Lux et jouer les vieux cuts des Cramps, je crois qu’il faut se faire une raison et lâcher l’affaire... Mais n’ayons aucun regret, car si vous y réfléchissez bien, vous constaterez que nous n’avons que des bons souvenirs !
— Ça paraît logique, Loser, puisque nous n’avons joué que dans des Lux Lives. Ça nous a comme qui dirait immunisé contre la médiocrité. No sell out ! Ahhh quand j’y repense, qu’est-ce que j’ai pu adorer notre premier Lux Lives à Glasgow ! Putain, les boîtes de bière qui volaient partout, les mecs nous balançaient des chaises, vous vous souvenez comment j’ai failli prendre une brique en pleine gueule ? Yurk !
— C’était chaud mais quelle rigolade ! Ah les Écossais y savent faire la fête !
— Et la hache qui s’est plantée dans l’ampli basse, comme au concert de Suicide ! On se serait cru dans un western, quand les Indiens attaquent Fort Navajo !
— Vous avez raison Professor, c’est l’un de nos meilleurs souvenirs !
— Sean m’avait prévenu : s’ils sont contents, ils vont lancer des haches ! C’est comme ça à Glasgow. Et il avait ajouté : essaye de ne pas te trouver dans la trajectoire ! ha ha ha !
— Franchement, Professor, je préfère voir arriver une hache plutôt que d’entendre hurler toutes ces dingues de Japonaises ! Elle m’ont pété les oreilles, enfin ce qu’il en reste !
— J’aime bien ces gamines japonaises en uniformes, elles me font penser à la collégienne-killer de choc de Kill Bill. Puisqu’on parle de chair fraîche, vous souvenez-vous de ces belles gonzesses à poil qui dansaient au premier rang, au Lux Lives de Miami, sur la plage ? J’avais même pas besoin de leur faire l’article en leur chantant Naked Girl, ha ha ha ! Dommage que le vieux Marcel n’ait pas pu voir ça !
— Vous saviez que Duchamp avait du mal à pisser ?
— C’est pour ça qu’il a exposé un urinoir ?
— Oui, il adorait uriner sur le rat nu d’Uranus !
— Revenons aux choses sérieuses, Loser ! Vous souvenez-vous du Lux Lives qu’on a fait à Munich, et de ce mec qui nous a balancé des tas de têtes de chat ?
— Ah votre copain Michael ! Lui au moins, il avait tout compris ! Crampologue averti, teenage tiger éternel, aussi goo-goo que vous, Professor. Quelle rigolade ! Si seulement la SPA avait pu voir ça, oh la tronche qu’ils auraient tiré, les béni-oui-oui !
— Et le Lux Lives de Boston, Loser ! Quand on a tout cassé sur scène, la basse, la Gretsch, tout y est passé, un concert fabuleux ! Franchement digne des Who en 1966 !
— Et vous savez qui a ramassé les morceaux ?
— Yep ! Kogar ! Il a même fait plusieurs voyages pour tout récupérer, y compris le pied de micro que j’ai réussi à tordre en huit, ce que Lux n’avait jamais réussi à faire. Oh et puis le Lux Lives de Bangui ! Vous vous souvenez, ce dingue de blackos qui l’organisait m’avait offert un boa constricteur et me l’avait installé autour du cou, là comme ça, splouch ! Il m’a confondu avec Alice Cooper, cet abruti ! Pendant tout le début du set, ce putain de boa n’a pas bougé, et en plein New Kind Of Kick il a commencé à me serrer le kiki ! Yurk ! Méchante saloperie ! Il a bien failli m’étrangler ! Ahhh la vache ! Je ne pouvais plus m’en débarrasser ! Et personne n’est venu à mon secours ! Personne n’a bougé le petit doigt ! Ah elle est belle la solidarité dans les groupes ! On peut crever et tout le monde s’en bat les couilles, hein ?
— Mais il fallait bien continuer à jouer, Professor ! Mais vous étiez fantastique, car c’est la seule fois où vous avez vraiment hurlé kiiiiiiiiiiiiick et que vous vous êtes roulé par terre ! Vous sembliez vraiment possédé par le voodoo des Cramps ! C’était absolument fa-bu-leux ! C’est un guide de brousse présent au concert qui vous a sauvé la vie. Il a sorti sa machette de l’étui et tranché la tête du boa d’un seul coup. Tchak ! Le concert devait l’intéresser et il voulait sans doute voir la fin.
— C’est vrai qu’un tribute aux Cramps doit sortir de l’ordinaire, Loser, au fond, vous avez raison. Ce n’est pas la même chose qu’un tribute à Stong, hein ? Oh et le Lux Lives de Madrid que mon vieux pote Lindsay avait organisé ! Vous vous en souvenez Loser ? On était tous déguisés en minotaures, encore une de vos idées à la con, on a failli crever sous ces grosses têtes de carnaval !
— C’était un double hommage à Picasso et à Fellini. Vous verrez un minotaure en chair et en os dans le Satyricon. J’ai toujours pensé que Lux naviguait au même niveau que Picasso et Fellini. Au commencement, ces gens-là ont une vision, Professor, et sans vision, on ne va pas très loin.
— Bon, vous n’allez pas me refaire votre Raymond la Science à l’heure qu’il est, après un concert au Budokan ! Vous me fatiguez. Oh mince ! La bouteille est vide, Loser !
— Attendez, je crois qu’il en reste une dans mon sac... Vous vous souvenez du premier Lux Lives qu’on a fait, Professor ?
— Attendez voir... Où c’était déjà... J’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien...
— Faut manger du poisson, Professor ! Notre premier Lux Lives, figurez-vous que c’était à Évreux, dans la ville où vous viviez, en ce temps-là... Vous vous rappelez la petite maison, avec le portail de traviole...

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— Ahhhh oui ! On avait joué dans une salle toute neuve ! Ouiiii, vous avez raison, ça me revient tout à coup, une petite salle encaissée, bien dimensionnée, sans doute dessinée par un architecte... Ah oui, quelle rigolade ! Avec toute une ribambelle de groupes qui passaient avant nous ! Ahhh oui...
— Les groupes étaient contents de jouer, rappelez-vous, c’était plutôt bon esprit. Et comme nous montions sur scène pour la première fois, on avait joué la sécurité avec une set-list ultra-courte...
— On démarrait avec «I’m Cramped», puis «Goo Goo Muck», si mes souvenirs sont bons...
— Exact, on avait aussi des trucs comme «Human Fly», «Naked Girl» et des choix à vous, Professor, «Walked All Nite», «Lonesome Town» et «Get In Your Pants». On finissait avec «New Kind Of Kick» et «Can’t Find My Mind».
— Ah on peut dire que depuis, la set-list a bien évolué ! On a dû jouer tout ce que les Cramps ont joué en leur temps !
— Et dans tout ce tas de hits, lequel est votre préféré, Professor ?
— «Ain’t Nothing But A Gorehound !»
— Vous vous foutez encore de ma gueule ? Parfois, vous avez parfois un humour dévastateur, Professor. Comme le jour où vous m’annonciez que vous aviez transmis une photo de répète à un torchon local.
— Et vous, Loser... What’s the loser’s fave ?
— Depuis la première fois où je l’ai entendu, c’est «Garbage Man» avec son petit bruit de moteur à l’intro et cette manière infiniment subtile de rendre hommage à cet art suprême qu’est le rockabilly. Et puis «Human Fly» bien sûr, car c’est du Wolf schtroumphé à la fuzz. On vendrait son père et sa mère pour un son comme celui-là. En ce temps-là, les Cramps créaient un monde.
— Pour revenir au premier Lux Lives, vous ne paraissiez pas bien concentré, ce soir-là, Loser...
— Outta my mind on a saturday night !
— Sauf que là, c’était un vendredi, mon pauvre Loser !
— Ah vous adorez couper les cheveux en quatre ! Mais au fond, vous avez raison, il faut savoir rester précis en toute chose...
— Vous ne l’étiez pas sur «I’m Cramped», en tous les cas !
— Comme dit Will Carruthers dans son livre, j’avais l’impression de jouer avec trois mains gauches. Fantastique ! Ça permet de faire plein de choses qu’on ne fait pas habituellement, mais à un moment donné, on ne sait plus quelle est la vraie main.
— Quelqu’un m’avait dit à l’époque qu’il vous avait vu repartir d’un pas hésitant et qu’en cherchant votre bagnole, vous étiez tombé dans l’Iton.
— Aucun souvenir. Ah si, attendez voir, une scène me revient : trois ou quatre mecs absolument extraordinaires qui sont restés pour discuter et boire un dernier coup sur le trottoir, devant la salle. Ils avaient bien aimé le trash d’El Cramped. Celui qui portait du cuir noir et des chaînes était encore plus défoncé que moi. Tellement défoncé qu’il nous proposait d’aller boire un coup chez lui et de faire tourner sa copine.

Signé : Cazengler le loser


El Cramped. Lux Lives In Evreux #1 (27). 9 décembre 20

 

MONTREUIL / LA COMEDIA
SURIMI PARTY / 09 – 12 – 16
CULTURE LUTTE / NO HIT MAKERS
RUST / ROCK 'N' BONES

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Ne vois-tu rien venir, petite teuf-teuf d'amour ? Que nenni, my dear Damie, ni route, ni bas-côté, ne serait-il pas plus prudent de retourner ? Teuf-teuf, tu le sais, un rocker n'a pas le droit de reculer quand il part en concert, tel un spartiate au combat de l'antique Hellade ! Entre parenthèses, je ne suis pas fier de moi, la brume Seins-et-Marnaise est un fléau plus redoutable qu'un album de Genesis, mais en contrepartie le blues végétatif de la terre plate et infinie ne peut vous atteindre. Z'ont eu beau de ne plus être à côté de la plaque paire ou impaire, et lever cette gesticulation écologique pour le weekend, les autorités nationales ont raté leur coup, peu de monde devant le centre commercial où je gare sans difficulté la voiture, les consommateurs désargentés sont restés terrés chez eux. J'aie une pensée émue pour toutes les multinationales qui n'auront pas fait les bénéfices escomptés des achats de Noël. Pour un peu j'en pleurerai. Des larmes de crocodile.
Retour à Montreuil. A la Comédia, pas divine, mais presque. Le paradis des rockers. Surimi Party sur deux jours, Vendredi et samedi. En mon âme et conscience, après avoir longuement pesé le pour et le contre des deux programmation, j'ai opté lors d'une interminable traversée intérieure des douloureuses et cruelles affres de l'incertitude, pour le samedi. Pas du tout, le choix s'est imposé de lui-même, en moins d'une seconde, aucune hésitation, les No Hit Makers sont en ville !

CULTURE LUTTE

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L'est des semi-minutes qui résument tout un projet. N'ont pas encore commencé, l'on vient de tester en un tour de main les instrus un par un, quand la sono, demande une vue d'ensemble. Se regardent comme embarrassés, mais J-hell dissipe cet instant de doute après avoir jeté un coup d'oeil à la set-list – une espèce de rouleau d'un bon mètre de long qui gît à terre comme le serpent tentateur de la Genèse, au pied du fameux pommier de la connaissance du Bien et du Mal. Ce sera Police, juste l'intro. Assez pour nous faire comprendre que nous ne sommes pas en présence d'un groupe de folkleux acoustiques, une giclée de sève qui tombe sur vous comme les pavés sur les rangs des CRS au joli mois de mai. Eux la pomme pourrie du Mal, ils l'ont identifiée, l'est suspendue du mauvais côté des barricades policières et mentales qui triquent et étriquent nos existences de paisibles citoyens. Devenus enragés. Bref, le Police de Culture Lutte ce n'est pas le J'ai Embrassé un Flic des imbéciles.

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Nous le font savoir très fort. Charge de batterie de pOOp, molotovs de guitare de Loïc, et enfonçage des lignes de la basse de Heil Nönö. Bien en place, cohésif et superbement bien envoyé, le tout magnifié par J-hell au micro. Encore un qui déchire les slogans de la révolte. L'a adopté, par rapport à nous sur le devant de la scène, la position de profil, peut-être pour être face à la majorité du public massé, vu l'implantation des lieux, sur la largeur de l'estrade. Se définissent en tant que Trash de pneu, un peu à l'image de ces traces noir-anar de pneumatiques qui empiètent sur toutes les parties interdites des chaussées. Pas une fusion, sont à l'endroit le plus dangereux du carrefour où se croisent les sentiers perdus du rock'n'roll, du trash, du hardcore, du punk, tous ces courants jusqu'au-boutistes du rock qui refusent de respecter les panneaux de limitation de vitesse. Superbe prestation de J-hell, s'appuie sur les braises qu'alimentent ses compagnons derrière lui, leur souffle dessus de sa voix puissante, se courbe et recule au début de chaque morceau, comme s'il rentrait en lui-même avant de faire cracher le lance-flamme, des mouvements de bras étonnants qu'il allonge comme s'il cherchait un appui sur l'air afin de propulser avec encore une plus grande violence ses lyrics de feu.
Un set impeccable qui paraît bien court, dommage que le public ne sera pas encore au complet lors de leur passage, s'est privé d'une des deux meilleures parts du gâteau amphétaminé de la soirée.

NO HIT MAKERS

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No Hit Makers, un de mes groupes préférés de la mouvance rockabilly actuelle. Les puristes leur reprocheront leurs accointances psychobilly. Querelles d'initiés qui refusent de mettre un seul pied hors de leur chapelle. Mais c'est vraisemblablement cette ouverture qui leur permet de faire un tabac au milieu de cette programmation hardcore. Une leçon de savoir-faire. La différence entre le rockabilly et le rock de toute énergétique brutalité professée par les autres groupes de la soirée, est facile à définir pour ceux qui auraient envie d'y participer. Ce n'est pas une superficielle question d'instrument, comme la contrebasse de Lardi imposant sa masse volumineuse à l'entrée de la réponse. L'énergie est commune. La même hargne, la même urgence à la faire mousser dès les premières secondes. Mais le rockabilly ne vous bourre pas le mou par la soudaine et irréversible implantation d'un unique instrument chargé de vectoriser tout le reste de l'instrumentation sur la véhémence de son implantation souveraine dans une coulée de lave sonore. L'essence rockabilly réside en une intrication empreinte d'une plus grande subtilité, le jeu se joue au minimum à deux et l'idéal est que chacun y assume son rôle à part égale. Dans le hardcore, c'est un peu toujours la même passe qui revient, la trapéziste s'est élancé dans les airs et vous êtes sûr que là-haut son partenaire la réceptionne d'une prise solide. Accrochage sans défaut. Parfaitement bien huilé. En rockab, vous vivez, pour ceux qui savent entendre, des moments d'angoisse. La trapéziste vole au-devant de son partenaire qui tend des bras accueillants et salvateurs... qui refuseront la prise salvatrice. La loi de la gravité entraîne notre ballerine céleste vers la terre, l'est quasi certain qu'il ne lui reste plus qu'à s'écraser sur le sol. Tout est foutu. On l'a dans le Q de l'angoisse. Mais voici qu'au moment que l'on n'attend plus, un doigt se glisse sous la bretelle du soutien-gorge de la miss et lui influe le retour d'équilibre énergisant dont elle avait besoin pour rejoindre son perchoir. Sauvetage non dépourvu d'un discret et envahissant parfum d'érotisme qui crayonne exactement cette ligne de démarcation qui sépare l'essence du rock de l'appuyé pornographique du blues. Distinction affirmée qui explique que les No Hit Makers se définissent aussi comme un groupe de rockin'blues.
Et cela les No Hit Makers le mettent en pratique dans la majorité de leurs morceaux. Une rythmique d'ensemble qui filoche à cinq mille noeuds et soudain la brisure. Tout s'arrête, accident funéraire d'infinie perdition. Mais c'est Vincent qui relance la machine, deux notes de Gretsch, dans la seule fraction de seconde qui précède le naufrage inéluctable déjà programmé dans la tête du spectateur, et hop la truite arc-en-ciel du rockab rebondit de ses mille luisances diaprées par le soleil et le combo repart dans le vif du courant. Ou alors c'est Jerôme qui bat de deux coups de caisse claire le rappel décisif qui vous rejette sur la crête de la vague. Faut entendre le murmure de plaisir qui monte de la foule massée devant la scène. Le soulagement de l'extase comblée. Non pas la catharsis finale du dégonflement cessatif du désir mais l'acmé de sa complétude jouissive.

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Lardi descend ses deux mains jointes le long de son manche. Masturbe sa basse me théorisera un spectateur enthousiasmé par ce lien éminemment érotique qui traduit gestuellement l'osmose parfaite qui devrait exister entre l'instrumentiste et son instrument. Je lui laisse la responsabilité de sa vision. Le désir est trop souvent une projection individuelle qui rend difficile toute analyse objectale. L'est une autre marque de fabrique des No Hit Makers. Rajoutent un plus à leur rythmique effrénée. Pas le swing, mais quelque chose qu'il est plus difficile d'entremêler aux rythmes des balancements binaires ou ternaires. Le serpent d'une mélodie qui glisse entre les branches épineuses sans jamais s'écorcher la peau. La mélodie, un fin collier de perles prêt à se briser au moindre heurt, c'est Eric au chant qui se charge de ce reptile de verre. Faut un timbre d'or pour cette délicate tâche, pas question d'amoindrir ou d'adoucir, voire d'affadir la sauce, au contraire cette note sucrée est destinée avant tout à faire ressortir les aigreurs du rock and roll. Une voix tour à tour pleine ou nasale qui rampe et qui crampse, flexible, qui se coule autant dans la moindre des anfractuosités qu'elle épouse la forme des protubérances les plus aiguisées.
Un set impeccable qui emporta l'adhésion de la salle mais surtout des quatre prestations de cette soirée, la plus accomplie. Ne font peut-être pas des hits, mais quoi qu'ils touchent lui font subir des transmutations alchimiques de rêve. Un Frenzy à faire sortir Screamin' James Hawkins de sa tombe, un Long Black Shiny Car rutilant qui vous permet de comprendre pourquoi la petite amie de Mike Page l'a laissé tomber comme une vieille chaussette au profit de l'heureux propriétaire de cette bagnole que les Makers pilotent comme un hot Rod on the evil Road et une vingtaine d'autres merveilles du même tonneau.

RUST

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L'on dirait une vitrine de Noël pour enfants turbulents qui cassent tout ce qu'on leur offre et qui chourrent dans les rayons interdits tout ce qui leur plaît sans rien demander à personne car dans la vie, on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Deux guitaristes, un très grand au visage tout embroussaillé de poils à droite, à la guitare un peu noisy, l'autre chétif au caillou largement déserté à gauche, aussi à la guitare davantage riffeur, au milieu Marine placide et discrète, genre rousse incendiaire à la basse, à ses côtés Rachel, un bisped à l'indéniable présence scénique, micro en main, langue bien sortie de la poche du silence, charismatique, et au fond, au centre le batteur. C'est lui qui tient le groupe. Avec ses épaules carrées et sa frappe solide il est à la fois la base et le moteur du groupe. En retrait mais essentiel. Irremplaçable. L'est la proue de la frégate qui trace le sillon et emmène l'assaut. D'une efficacité sans bornes.

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Des punks mais pas des nihilisto-destroys à mort avec des chiens enragés prêts à vous mordre à la moindre caresse. Défendent des causes nobles et sans appel. Rachel les énumère sans discours, sont un groupe tendance dit-elle non sans humour. Vaudrait mieux dire tendancieux. Conjugue véganisme, incestophobie et féminisme. Deux compositions personnelles qui ne jurent pas avec leurs reprises des Hives, des Pixies, de 999, de Billy Idol... une manne pour le public qui reprend en cheour. Rust est manifestement bien aimé, connu et apprécié de tous, contraindront Rachel et ses sbires à un rappel alors que l'heure fatidique approche et qu'il reste encore un groupe à passer.
Devant la scène, beaucoup de garçons gondolent leurs corps à la manière des tôles ondulées des abris de jardin. Sûr que Rachel a un ascendant. Dont elle ne joue nullement d'ailleurs. Un set bien enlevé, de mieux en mieux en place au fur et à mesure de son déroulement, qui déclenche la ferveur partisane de l'assistance. Rien de nouveau, mais le soleil qui réchauffe et vous fortifie l'âme.

ROCK 'N' BONES

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Apparemment le clou de la soirée. L'on n'attend qu'eux. Attaquent dès que la scène est dégagée. Des costauds. Une fille parmi eux, Nath à la basse, deux guitares, Paddy à la batterie. Riko au micro. Arbore une crête à faire crever de jalousie une colonie de porc-épics. Les indianologues affirment que ces pics de cheveux dressés tout droit figuraient pour les indiens la représentation de silhouettes de bisons se profilant sur l'horizon de la verte prairie... Peut-être, mais les Rock'n'Bones pourchassent d'autres gibiers. Appartiennent à la mouvance des Antifas et le font savoir autrement. Leurs titres le proclament sans ambages, A Wind of Revolt, General Strike, Engagé, et pour ne pas se tromper de cible The Real Enemy. Une meute punk prête à toute émeute. Si je vous racontais que leur set s'assimilait à la cérémonie zen du thé, ce serait un mensonge. Là encore c'est la batterie de Paddy qui emporte le tout, les autres embrayant aussi sec, mais très ramassés et étroitement compactés autour de ce monstrueux galop initial. Riko ne screame guère, micro en main il assène les lyrics avec force vigueur et rude rigueur. Sont un peu atteints du complexe Ramones, des morceaux courts, très courts, expédiés les uns à la suite des autres, comme une vedette qui jette méthodiquement ses grenades sous-marines afin de torpiller les idées incapacitantes qui paralysent en catimini votre cerveau. Pas de temps à perdre. Les titres se suivent et se ressemblent, engendrent une certaine monotonie, notre esprit se prend à rêver de changement, mais non à chaque fois c'est le retour du duplicata à l'identique qui revient. Ont la pêche qu'ils vous écrasent sans ménagement sur la trogne, prenez-vous cela en pleine poire, idéal pour vous plonger en une rogne salutaire ! Comment le set aurait-il évolué, sont tout justes arrivés à la moitié de leur set-list lorsque Riko remercie tout le monde et nous annonce que c'est le dernier morceau. Et en effet à la surprise générale, ils entreprennent de quitter la scène non sans ranger les guitares dans leur étuis. Amplis débranchés, pogos terminés, rien ne va plus dans le monde du rock and roll. Nous avaient prévenus dès le début. Le fachisme est partout. Même dans les règlements qui interdisent de faire trop de bruit dans les parties surimiennes. Pas de regrets, la lutte continue.

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( Photos : FB : Constance Ludès )


Damie Chad.

FRENCH SIXTIES

Apache, sans doute la plus grande victoire des tribus indiennes remportée sur notre territoire. Par procuration. Sous forme phantasmatique. Tout cela par la faute de quatre ombres menées par la diabolique et anglaise guitare d'Hank Marvin. En France, ce fut une véritable commotion. Un son nouveau venu d'ailleurs. L'électricité transformée en esthétique. Certes Johnny Hallyday, Dick Rivers qui exhibaient ses Chats Sauvages en liberté sans grille de protection, Eddy Mitchell qui enfilaient ses Chaussettes Noires encore plus puantes que nos camemberts, monopolisaient le devant de la scène, fascinaient les foules, mais c'était si neuf, si troublant, que les oreilles n'en croyaient pas leurs yeux, derrière eux y avaient des musicos qui proposaient quelque chose d'inhabituel. Le rock balbutiait de par chez nous et des milliers d'adolescents s'achetèrent illico une Eko – les plus chanceux s'en adjugeaient une dans les loteries des fêtes foraines - et s'escrimaient à reproduire l'inimitable. Ce fut la grande vogue des groupes instrumentaux. Les maisons de disques ne laissèrent pas passer la poule aux oeufs d'or. Lui arrachèrent jusqu'aux plumes du croupion. C'était aussi une manière de recycler les musiciens anonymes de studio en stars, et puis faut l'avouer aussi des gars capables de chanter rock en notre langue en 1962 y en avait moins que les doigts d'une main. Surtout qu'avec ce diable de Vince Taylor qui vous coulait les bielles en anglais, vous étiez hors-circuit avant d'ouvrir la bouche...
Histoire ancienne. Rien ne se démode plus vite que la mode. Y eut des dizaines de groupes qui accédèrent au studio. Trop, sans doute. Des guitaristes à la pelle mais peu d'expérimentateurs. On interprétait un morceau – plus ou moins bien – parfois l'on avait une idée originale, vite recopiée par les voisins, mais l'on pensait, que l'on sache ou pas lire la musique, encore sous forme de partition, l'on n'avait pas la démarche globale de construire un son. Cinquante ans après, l'est facile de compatir sur ces malheureux, ils enchantèrent en leur temps bien des adolescents et préparèrent les pistes d'atterrissage de la réception des premiers groupes de l'invasion british, furent des pionniers, au sens plein du terme.
Sur les brocantes vous exhumez sans trop de mal d'anciens EP au prix dérisoire d'un euro et le vendeur vous remercie de le débarrasser de ces rossignols qui encombrent depuis dix ans ses cageots...

 

LES CHAMPIONS
Bel Air : 221192
LA LONGUE MARCHE / 1647 METRES G. O.
1293 METRES G. O. / RENDEZ-VOUS AU GOLF DROUOT

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Furent d'abord un groupe vocal formé autour de Willy Lewis transfuge des Chats Sauvages et de l'injustement oublié Jaky Chane ( échappé du château des Fantômes ) au chant, mais en 1963 une nouvelle mouture du groupe, devenu et resté célèbre en tant que combo instrumental regroupe Claude Ciari à la guitare solo, Alain Santamaria à la guitare d'accompagnement, Yvan Ouazana à la batterie, et Benoît Kaufman à la basse. Enregistreront pas moins de onze 45 tours et un vingt-cinq centimètres dix titres. Ont leur titre de gloire inscrit en lettres d'or sur le fronton du rock'n'roll puisqu'ils accompagnèrent Gene Vincent en 1962 au Théâtre de l'Etoile. Furent aussi aux côtés de Vince Taylor et de Danyel Gérard. Le groupe s'éteindra aux abords de l'année 1965. Une page de l'histoire du rock qui se tourne. Définitivement. La mer de l'oubli a englouti l'antique raffut de ces rafiots. L'est bon de plonger sur les lieux de ces surfin naufrage. D'en ramener pépites et pacotilles.

La longue marche : du tout doux du tout lent, pour ballade romantique au bord de la plage. Des gouttes d'eau qui ruissellent sur le dos de la donzelle. Pas de mélancolie vous l'oublierez aussitôt les vacances finies. Pseudo nostalgique. L' « original » français est d'Eddy Mitchell. Vous pouvez mourir tranquille si vous ne l'avez jamais entendu. Par contre le son de ce vieux sillon sonne étonnement bien. 1647 mètres G. O. : beaucoup mieux, un groove bien balancé à la batterie, magistralement repris par Claude Ciari, on regrettera les deux interventions des choeurs qui dénaturent un peu l'ensemble. Nous l'apparenterons à de la triche, ouïr les poissons rouges des guitares qui tournent en rond dans le bocal instrumental n'est pas obligatoirement ennuyant. Rappelons que 1647 go était la longueur d'onde d'Europe 1, la station de radio qui fut un des vecteurs d'introduction du rock and roll en France. 1293 mètres G. O. : L'on passe à la station concurrente : Radio-Luxembourg. Introduction à la batterie plus tribale cette fois-ci et la guitare qui filoche comme une Floride sur le macadam, l'on amuse par deux fois l'auditeur par des claquements de main Rendez-vous au Golf Drouot : ça commence bien mais ça se poursuit par un riff passepartout vaguement parfumé de relents jazzy. Ciari essaie de nous faire comprendre qu'il n'est pas une brelle, mais on l'avait déjà intuité. Un titre ô combien emblématiquement frenchy rock, mais qui diffuse une vieille musique.


Damie Chad.


PRESIDENT ROSKO
FRENCH CONNECTION / C. B. WRAPPER
Magnet 1981. Diffusé par Polydor

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Me suis rappelé en écrivant la chro sur le 45 tour des Champions que j'avais récupéré ce single – à vue de nez une dizaine d'années – chez Emmaüs. L'avais pris d'office. Ne savais même pas qu'il L'avait enregistré. J'en avais remis l'audition jusqu'à aujourd'hui. M'y suis risqué pour vous. Ne me remerciez pas, c'est inutile. Il est temps de parfaire votre éducation politique. L'année électorale s'approche, s'il vous plaît ne me fendez pas le coeur en me faisant part de votre choix. Quel qu'il soit, il sera mauvais. La France n'a eu qu'un seul président digne de ce nom. S'est exfiltré de lui-même de notre pays en plein milieu des évènements de Mai 1968. L'aurait pris pris peur. Notre citoyen américain n'était pas habitué à ces grands soubresauts populaires et tumultueux des gentils froggies... Venait d'un milieu amerloque aisé et artistique. N'aurait pas supporté la remise en cause des privilèges. En 1790, de nombreux nobles français choisirent l'immigration en terre étrangère, lui il s'exila en son propre pays.
L'avait déjà déchu de statut lorsque Radio Luxembourg lui confia les rênes de sa nouvelle émission censée attirer les adolescents, tous les jours hors week end de seize heures trente à dix-huit heures. Sur Radio Caroline, la fameuse pirate, l'était Emperor Rosco, mais en notre pays de moeurs farouchement républicaines il consentit à s'octroyer le titre de Président Rosko. Le seul Président à qui j'ai jamais consenti à prêter allégeance, fallait lever la main droite devant le transistor et répéter tout fort après lui je jure de n'avoir pour président et pour seul Président que le Président Rosko. A ma connaissance l'unique seul chef d'état qui ne prélevait pas d'impôt et qui vous déversait le contenu de la corne d'abondance du rock and roll sans compter. Minimax c'était un maximum de titres anglais et américains, pour les français tapait beaucoup dans le plus électrique de nos rockers, Ronnie Bird. L'avait l'art et la manière de vous infuser le rock and roll et le rhythm and blues le Président Rosko, un accent à couper au sabre d'abordage, un débit à faire pâlir de honte les flots boueux de l'Amazone, des jingles criards à vous tailler les oreilles en pointe toutes les trois minutes, bref un grand moment quotidien de fébrilité rock and rollienne. N'est même pas resté deux ans en place, mais après lui, la radio française est devenue une morne plaine... L'existe une autre version de son départ plus glamour que nous préférons de loin, l'aurait été remercié quod corrumpet juventum, certains officiels mettant en relation les houleuses fièvres de son émission avec les turbulences effrénées des constructeurs de barricades dans les rues de notre capitale...

Donc ce disque sur Magnet. Une compagnie dont le catalogue comporte des artistes comme Alvin Stardust, Chris Rea, Silver Convention et Matchbox. Si vous ne l'avez pas, inutile de vous défenestrer, ce n'est pas du rock and roll. De la musique de boîte, un bon bon groove, des choeurs féminins à la voix prometteuses d'affriolantes cabrioles, et le flew du President sans défaut, suffirait qu'il ralentisse un peu et s'amuse à syncoper les syllabes pour être un des premiers rappers. Deux titres interchangeables que je n'écouterai plus jamais. Aujourd'hui l'Emperor président devrait écrire ses mémoires. Sous le nom de Mike Prescott l'a tourné dans le milieu discographique français notamment chez Barclay au milieu des années soixante... Je l'avais écouté voici quatre ans, sur sa radio internet, l'avait inversé sa formule – ou je suis mal tombé – c'était un minimum de music et un maximum de blabla à toute blinde totalement incompréhensible pour moi petit frenchie... L'avait encore encore la frite. Même si par chez nous ses carottes étaient cuites depuis longtemps...
Un personnage du rock français dont peu ( je suis très optimiste ) se souviennent lorsque je l'évoque au hasard de conversations informelles...


Damie Chad.


POGO CAR CRASH CONTROL

Quand on a un bon groupe en vue faut en parler. N'ai pas eu besoin de chercher bien loin – sur leur FB pour visionner leur dernier clip – et seulement quelques clics pour retrouver la trace de leur premier dérapage discographique. C'est un album CD collectif qui regroupe douze groupes. Sortie en septembre 2014.

LA PEPINIERE 2014 : DIAMOND FIZZ ( Release ) / POGO CAR CRASH CONTROL ( A quoi ça sert ) / CENTRAL STATION ( This morning ) / PSYCHEDELIC GROOVE ( Take off to the unknow ) / BALTO PARRANDA (Paper maze ) / OK ( Sharks ) / ITHAK ( Totem ) SOUL FAKERS ( Explore ) / STRICKAZ ( Devolution ) / JET BANANA ( Kelly ) / THE JONBORROWS ( Club 59 ) / THE EARL GREY ( The Faith ).

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De qualité, bien enregistré. Propre, net sans bavure. Une aubaine pour des artistes qui cherchent à se faire remarquer, dans l'ensemble se sont rués dessus comme la gale sur la tonsure d'un moine syphilitique. En ont profité et mis les rallonges à la table de ce banquet des mendiants, Z'ont choisi les titres les plus longs de leur répertoire, Ithak est celui qui a tiré le plus sur l'élastique, dépasse les six minutes. Ne sont que deux à ne pas atteindre les trois minutes, Jet Banana avec la dénommée Kelly qui ne doit pas être bien grande, et nos Pogo avec leur 2' 35''. L'est sûr que si ça ne sert à rien, ce n'est pas la peine d'insister et de perdre son temps. Faut être en accord avec ses préceptes philosophiques. J'ai tout écouté du début à la fin. Scrupuleusement, vous connaissez l'honnêteté des rockers qui n'aiment que le rock. Comme par hasard les deux meilleurs titres sont les plus courts. Nous rajouterons les Jonborrows qui tirent leur épingle du jeu. Balancent bien et le chanteur a une belle voix. Au moment où j'écris ces lignes sont en concert à Meaux avec les Wahshington Dead Cats. Nous les croiserons un de ces jours. Me suis remis deux ou trois splits de Kelly Banana avant de me tourner vers les Pogo.

A QUOI ÇA SERT ?


Sont en deuxième piste. Font l'effet de l'aspic sur le sein de Cléopâtre. L'instant crucial. Un larsen pour commencer et un autre cinq secondes après pour vous trancher la gorge. Et tout de suite l'assaut des guitares. Plus tard elles s'emballent comme un gigantesque hachoir mécanique. C'est comme l'Enfer de Dante, laissez vos espérances devant la porte d'entrée. Dans le porte-parapluie. Puisqu'il paraît que l'humour est la politesse du désespoir. Dedans ça machette dur. Une demi-seconde de repos et c'est la chute finale. Bref mais intense. Tiens, vous êtes encore vivant ? C'est sûrement une erreur. Vous n'avez pas su répondre à la question subsidiaire que les paroles klaxonnent. Pourquoi y a-t-il quelque chose et pas rien ? Ah ! vous n'avez pas compris. Vous voulez rentrer chez vous vous mettre au chaud. Ce n'est pas grave. Tenez prenez ce bouquin, Oui-Oui et la Voiture Jaune, il vous aidera à vous endormir. A l'impossible nul n'est tenu. Le rock and roll, ça se mérite.

 

PAROLES M'ASSOMMENT

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Vais pas vous raconter le clip. Une véritable histoire avec un début, un milieu et une fin. Vous êtes assez grand pour le regarder par vous même ( F.B. des artistes ou You Tube ). Ce n'est pas le sujet qui est intéressant, c'est la mise en scène. L'esprit. Les Pogo Car Crash Control sont intelligents. Ont pigé que le rock est un art total. Au miroir d'un opéra wagnérien. Les images, bien sûr. Les fixes et celles qui bougent. Le rock, c'est beaucoup plus subtil que trois guitares qui hurlent. Faut mettre en scène. Pas tout à fait la même chose qu'être sur scène. Ne rien laisser au hasard, les affiches, les pochettes, les clips. Les trailers. Il y a ceux qui n'y pensent pas. Tant pis pour eux. Sont comme les trous sans le gruyère. Ceux qui se trompent, donnent dans l'esthétisme, la futilité du beau. Enfin ceux plus rares qui sont motivés par une esthétique. Pas facile, ça se construit. Faut la penser, la mettre au point. Faut savoir s'entourer. Exemple Baptiste Groazil pour la pochette. Les références sont nécessaires, doivent être là mais en profondeur. Les Dieux qui dorment sont ceux qui portent les projets les plus dangereux. Ne s'agit pas de jacasser, mais de signifier. Un minimum de moyens, un peu de savoir faire, de l'idée, pas des idées à l'épate patate, à la mord-moi-le-noeud de ma cravate tous les dimanches matins. Un profilage. Surtout si vous avez choisi comme les Pogo la coïncidence des contraires, hard trash and bad laugh, z'avez intérêt à ce que l'humour prenne la teinte du masque de la mort rouge d'Edgar Poe, mais version grotesque néronien. Léger décalage. En dents de scie. Coupante. Et aussi un but. Toute action doit être téléologique. Sachez inverser les signes, deuxième exemple, le clip de Paroles m'assomment vous repasse les plats du cinoche muet. Vous êtes tout fier, vous avez trouvé cela tout seul, oui mais il se paie votre tête. Un joyau d'or pur. A bon entendeur salut.


Damie Chad.

SIDNEY BECHET MON PERE

DANIEL-SYDNEY BECHET

EDITIONS ALPHEE – JEAN-PAUL BERTRAND

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Le fils qui rend hommage à son père. N'élude pas ses difficultés. A très peu connu son géniteur. Avait avait à peine cinq ans quand il est mort. L'a dû se fier et se défier des témoignages de ceux qui l'ont fréquenté, parfois admiratifs, parfois rongés par l'envie et la jalousie. L'a aussi interrogé les proches, sa mère qui n'avait point la fibre maternelle et s'en est tout de suite débarrassé ( gouvernante, pensions, famille ), et Jacqueline l'ancienne femme de Sydney qui l'a aimé... N'en est pas resté haineux pour autant. A su faire la part du respect et de l'affection. Créole, l'a reçu dans son sang la méfiance instinctive de ceux qui refusent de voir le monde, tout en blanc, ou tout en noir. Un détail qui ne trompe. Est devenu musicien de jazz. Batteur, remarquez que si Kenny Clarke était venu à la maison et m'avait refilé un coup de baguette magique, moi aussi je... Joue aussi du piano. S'est adonné à plusieurs styles de musique, l'a accompagné de grosses pointures, n'a pas dédaigné les musiques subalternes style, fusion, variétoche et même hard rock...

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Sidney Bechet nous l'avons à peine encontré dans KR'TNT ! incidemment lorsqu'il est venu d'Amérique en 1925, avec Joséphine Baker ( Kr'tnt ! 123 du 20 / 12 / 12 ) pour la fameuse Revue Nègre. Aussi dans la biographie de Moustache ( Kr'tnt ! 262 du 30 / 12 / 15 ) qui raconte en de trop épisodiques pages les premières pérégrinations vers le succès de l'artiste. L'a aussi joué avec Mezz Mezzrow ( voir Kr'tnt ! 106 du 12 / 07 /12 ). Mais pour le plus passionnant, la première partie de sa vie, aux Etats-Unis, les documents font défaut. Daniel recopie de longs extraits de l'autobiographie de son père, Treat It Gentle, traduit en Français sous le titre de La Musique c'est ma Vie parue à La Table Ronde en 1977.

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Sidney n'y raconte pas simplement sa vie. L'inscrit dans la saga de l'esclavage noir. Erige son grand-père en personnage mythique, esclave qui tous les dimanches battaient le tambour et menait la danse sur Congo Square ( Kr'tnt ! 143 du 09 / 05 / 13 ). Une histoire mélodramatique et romantique qui finira mal. Accusé par son maître d'avoir violé sa fille, il sera poignardé par un ami qui tenait à recevoir la prime promise. Qui ne lui fut pas remise.

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Histoire peut-être inventée mais nécessaire à l'histoire de la naissance du jazz entreprise au travers de sa biographie par Sidney. Une invention qui ainsi ne sort pas de la famille. C'est des tambourinades d'Omar le grand-père qui renouait avec le legs rythmique africain que naîtra le ragtime, cet entrecroisement de rythmes de plus en plus sophistiqués, de plus en plus complexifiés. C'est ensuite que s'installe la grande dichotomie, le succès des musiciens blancs qui récupèrent cette musique rebaptisée Dixieland et qui en retirent beaucoup d'argent, l'insécurité matérielles des créateurs noirs qui voient à chaque nouvelle avancée leurs trouvailles leur échapper. Bechet se définit plutôt comme un musicien de blues, mais qu'il adapte à sa clarinette et plus tard à son saxophone ténor. A treize ans, l'est déjà reconnu comme un sujet des plus intéressants. En 1924, le voici en Angleterre dans l'Orchestre de Duke Ellington, sera expulsé pour participation à une bagarre. Dans son livre Bechet se présente comme enfant d'une famille pauvre, créole et responsable. Pas question de traîner avec les voyous du quartier dans la Nouvelle-Orléans. L'était peut-être sage comme une image, mais à la fin de son second séjour en Europe, sera mis en prison pour onze mois, par chez nous, pour avoir réglé un différent avec Mike McKendrick, qui s'était mis à marcher un eu trop sur ses plate-bandes musicales, à coups de revolver en pleine rue... Daniel est formel, son père ne sortait jamais sans son revolver... Ce trait de caractère n'est pas sans évoquer la violence qu'entretenaient entre eux les joueurs de blues dans le Delta.

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Reviendra en France en 1949. Y résidera jusqu'à la fin. L'a trouvé toute une brochette de jeunes artistes plein d'enthousiasme à qui il délivrera bien des connaissances. Pas très patient, si vous ne comprenez pas ce qu'il vous explique, il vous montre en vous prenant l'instrument des mains. Une seule fois, ne supporte pas les esprits obtus. Les orchestres de Claude Luter et d'André Réwéliotty seront ses plus fidèles accompagnateurs. Petite Fleurs et Les Oignons lui permettent d'accéder à un succès mondial que les Etats-Unis lui auraient refusé d'acquérir. Z'étaient un de trop, son caractère tempétueux et les circonstances ont fait que ce fut à Louis Armstrong que fut dévolu le titre emblématique de représentant du jazz, aux States et puis dans le monde entier. En manifesta une sourde rancoeur. Le fils n'hésite pas à le classer parmi les quatre fondateurs du jazz avec King Oliver, Jelly Roll Morton et Louis Amrstrong. Insiste sur ses talents de découvreurs, a su s'entourer de musicien destinés à devenir célèbre notamment Kenny Clarke et Max Roach. Comme par hasard l'a toujours préféré les pianistes et les batteurs à tous les souffleurs... L'on n'est jamais mieux ensemble que lorsqu'on est le seul de son espèce.

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L'est un peu passé de mode. Sa figure d'apparence joviale et bonhomme qu'on lui prêta en France, ses frasques et son mariage carnavalesque sous forme d'un défilé monstre, ont aujourd'hui par un étrange retournement d'image quelque peu désacralisé l'icône. Les souvenirs de Moustache n'ont pas aidé à le monter sur un piédestal... On lui reproche parfois son succès européen, trop populaire pour être honnête. L'on en a conclu à un coupable laisser-aller vers la facilité. Daniel explique que la prolifération des groupes de style New Orleans ont codifié les saveurs exubérantes de ce premier jazz par trop séminal. L'est devenu une musique corsetée, froide, morte qui ne donne surtout pas à l'auditeur l'envie d'explorer les fiévreuses éminences des enregistrements originels. Sidney Bechet est mort en 1959. Son oeuvre est à redécouvrir, notamment ses compostions pour ballet qui n'aboutirent pas.


Damie Chad.

Private P.S. : le tableau de Staël est pour Léa & Patrick.