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27/02/2019

KR'TNT ! 408 : SCHIZOPHONICS / MONKEES / BILL CRANE / CRASHBIRDS / ISLATION / MELISA BERNARDOT / SPEEDBALL /KRONIK

KR'TNT

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 408

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

28 / 02 / 2019

 

SCHIZOPHONICS / MONKEES

BILL CRANE / CRASHBIRDS / ISLATION

MELISA BERNARDOT / SPEEDBALL

KOMIKS KRONIK

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Pas de remède pour la schizophonie

 

Pas de surprise : le show des Schizophonics est un blast. The big blast. Pire encore : the real deal. Difficile d’imaginer un set plus explosif, au sens où le furent en leur temps Jimi Hendrix et le MC5. Difficile d’imaginer plus juste dans l’exaltation, plus pointu dans la fournaise, plus débridé dans le shaking all over, Pat le crac bim-bam-boome au delà de tout ce qu’on peut raisonnablement espérer. Tu veux du rock, c’est lui ! Tu veux du power-chord, c’est lui, tu veux du ramalama et de l’incendiaire, c’est lui, tu veux le revival des riches heures du Duc de Berry, c’est lui, tu veux du Black To Comm comme si c’était hier, c’est lui, d’ailleurs il démarre son set avec ce vieux stormer du MC5, histoire de bien marquer son territoire. Au moins comme ça les choses sont claires, tu peux dormir sur tes deux oreilles et laisser les décibels bercer ton âme de langueurs monochromes. En fait, ce mec est tellement spectaculaire qu’il finit par évoquer le souvenir de Nijinski et de ses bonds de huit mètres qui fascinèrent tant le public des Ballets Russes durant années vingt. Pat ne danse pas le jerk mais un ballet de jerk. Ses cabrioles sont extrêmement précises, il ne laisse rien au hasard de l’explosivité sinon il passerait son temps à se cogner dans son pied de micro. Et c’est là où il devient très fort, car il ajoute l’énergie du corps en mouvement à l’énergie du son, comme si les deux énergies se stimulaient réciproquement. Il ne fait que réactualiser un vieil adage : un concert de rock est plus marrant quand les gens se roulent par terre. Mais pour faire ce qu’il fait, il vaut mieux être en caoutchouc, oui car il rebondit, il se plie en deux ou en trois, ça dépend de l’angle d’attaque, il saute en l’air et retombe en grand écart sans s’éclater le cul, c’est très impressionnant. Seuls les athlètes sont capables de tels prodiges, alors saurait-on imaginer un athlète rock ? À part James Brown et Jesse Hector, on n’en voit pas des masses. Des gens du niveau de Jesse Hector qui passent quasiment la moitié du set au sol en combinant le chant, la rythmique et les solos, ça ne court pas les rues. Et puis quand «In Mono» arrive, il se produit exactement la même chose que s’il attaquait «Kick Out The Jams», on flaire le hit immédiatement, et par les temps qui courent, les hits de cet acabit valent tout l’or du monde.

Dans sa course folle, Pat le crac parvient toujours à caler un yeah dans son micro, ça n’a l’air de rien, comme ça, mais en une heure, il couvre pas mal de kilomètres et il semble logique de le voir perdre son souffle en fin de set. Il termine d’ailleurs avec une espèce de fin de non-recevoir, un petit medley en hommage à Little Richard, «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On» couplé avec «Jenny Jenny».

Alors bien sûr, il faut écouter leur album. Le buzz est arrivé en 2017 via The Next Big Thing, le zine de Lindsay Hutton. On y trouvait un texte de Long Gone John qui annonçait après dix années de silence le redémarrage de son label Sympathy For The Record Industry à cause des Schizos qu’il venait de découvrir. Il en faisait une apologie long-gone-johnienne, et comme il fait partie des gens dont on boit les paroles, alors on buvait. Glou glou glou. Long Gone John racontait que la scène actuelle ne le faisait plus trop bander, mais en découvrant ce groupe, son vieil instinct s’était réveillé - And that was so great I simply could not refuse - Refuse what ? Redémarrer Sympathy, bien sûr ! Long Gone John racontait que Pat et Lety Beers s’étaient un jour installés à San Diego et avaient commencé à écouter le John Reis Swami Sound System weekly radio slow. Comme ils se goinfraient déjà de MC5, de Stooges, d’Hendrix et de James Brown, ils se sentaient en terrain de connaissance. Ils montèrent ensuite les Schizos et devinrent les chouchous de Mike Stax qui a d’ailleurs sorti un single sur Ugly Things - I think the Schizophonics are an amazing force, deserving attention (Je pense que les Schizos sont un groupe très puissant qui mérite votre attention) - Et ce fier poète qu’est Long Gone John ajoutait que trop de bons groupes disparaissent dans l’indifférence générale, while stylish derivative piles of useless wet shit continue to flourish and thrive (tirade scatologique qu’il n’est pas nécessaire de traduire, car tout le monde sait bien ce qu’est la wet shit - berk). Long Gone John terminait en conseillant vivement d’aller voir les Schizophonics sur YouTube, mais surtout d’aller les voir jouer en concert. You will love them and you can thank me later. (Vous allez les adorer et vous me remercierez plus tard).

L’album s’appelle Land Of The Living, et sa place se trouve à côté des albums du MC5 et de Little Richard que vous conservez précieusement dans vos étagères. Dès «Streets Of Heaven & Hell», Pat la bête gratte à la Sonic Smith et chante à la Rob Tyner. Il y va de bon cœur. Il fait même son Wayne Kramer pendant que sa poule Lety fait son Machine Gun Thompson. On assiste à une terrible débauche des forces vives de la nation. C’est d’un très haut niveau de blast furnace. On trouve au moins quatre autres cuts dignes du MC5 sur cet album, à commencer par un «Make It Last» noyé de son, pur jus purulent de Detroit Sound, fabuleux éclair de génie rockalama Fa Fa Fa. Même chose pour le «Welcome» qui ouvre le bal de la B, c’est pilonné du pilon, martelé au tatapoum de badaboum, giclé au crack-boum uh-uh et chanté à l’efflanquée, avec un son kramérisé à outrance. Ça coule sur les doigts. Ah comme c’est bon ! «World Of Your Gun» sonne comme «Kick Out The Jams». Pat joue ça au riff Pinder, il ne se refuse aucune exaction. Il halète comme Rob Tyner. Le hit du disk s’appelle «In Mono». Son riff glorieux entre dans Rome comme un général couvert de butin et d’esclaves, brillant, têtu, ardu, poilu et ventru. Pat joue son solo dans l’œil du typhon. Quelle bardée de bordée ! Tout aussi infernal, voilà «This Train» monté au Diddley beat trépidant et joué à la cisaille infernale. Encore un pur chef-d’œuvre avec «Move». Ses départs en solo sont des modèles du genre. Pat joue ses cuts à l’emporte-pièce de garage ardent. Pas de fioritures. Rien que du brûlot expansif à l’état le plus pur. Il termine cet album faramineux avec un «Put Your Weight On It» joué sous le boisseau en flammes. Motor City is burning baby, on y est, c’est le grand embrasement catégoriel, pas de demi-mesure, c’est d’une infamie démesurée arrosée à l’excès par des tas de solos éclatés du bas-ventre.

Signé : Cazengler, schizophrène

Schizophonics. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 19 février 2019

Schizophonics. Land Of The Living. Sympathy For The Record Industry 2017

 

C’est parti Monkee Kee - Part One

 

Souvenez-vous, dans les années soixante, les Monkees rivalisaient avec les Beatles en tête des hit-parades. On aurait tendance à les oublier de nos jours, mais en 1966, ils comptaient parmi les légendes de la pop américaine.

Trois Américains (Micky Dolenz, Mike Nesmith, Peter Tork) et un petit mec originaire de Manchester (Davy Jones) jouaient dans ce groupe formaté pour les télés américaines. On s’apercevra au fil du temps que Davy Jones était l’âme du groupe, comme le fut Brian Wilson dans les Beach Boys. Il faut dire qu’on ne prenait pas vraiment les Monkees au sérieux, quand on voyait leurs photos dans SLC, mais quand «Last Train To Clarksville» passait à la radio, là, on ne rigolait plus.

Des quatre, il n’en reste plus que deux, Nesmith et Dolenz. Davy Jones fut le premier à casser sa pipe en bois en 2012, suivi de Peter Tork, tout récemment.

Visuellement, celui sur lequel on flashait le plus était Mike Nesmith car il semblait un peu moins puéril que les autres. Il jouait le plus souvent sur une grosse Gibson demi-caisse et portait un bonnet de docker qui lui donnait un petit côté aventurier à la Jack London. Et celui qui nous agaçait le plus était le batteur/chanteur Micky Dolenz qui n’en finissait plus de sourire comme une gravure de mode. Il fut aussi pendant longtemps le chanteur principal du groupe, ce qui était un vrai gâchis, car Davy Jones paraissait beaucoup plus intéressant.

Pour ce Part One, on se contentera d’un petit panorama discographique, histoire de vérifier qu’on n’avait pas rêvé. Oui, les Monkees méritent leur place au panthéon, parmi les géants des sixties.

Si on ne possède pas l’EP, on retrouve l’excellent «Last Train To Clarksville» sur le premier album des Monkees paru en 1966. C’est le premier cut de la B, le prototype du hit sixties, l’emblème psyché joué à l’attaque frontale, doté de la meilleure énergie continentale - Oh no no no ! Caus’ I’m leaving in the morning - Et il ajoute qu’il must go. C’est saturé d’effluves sixties et joué entièrement au riff. Et là, on entre sur le territoire de Tommy Boyce & Bobby Hart, le brillant duo de compositeurs qui vont travailler pendant quelques années pour les Monkees. S’il faut retenir un hit des Monkees, c’est sans doute celui-ci. L’autre gros hit de l’album s’appelle «(Theme From) The Monkees» - Hey hey hey we’re the Monkees - repris plus tard par les Gories qui en feront Hey hey hey we’re the Gories ! On a là toute l’énergie de l’Amérique teenage. C’est absolument renversant. Back to the Monkees’ Sound avec «Tomorow’s Gonna Be Another Day» que chante Micky le batteur avec du hey hey hey plein la bouche. Il est bon, dans ces coups-là. Il chante comme s’il chevauchait un étalon. Quel fabuleux popster ! Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. C’est Davy Jones qu’on entend chanter «Saturday’s Child», un cut éclaté aux guitares claires des sixties, sacrément psych-out et oh, so far-out, so faaar-out, baby. Et puis voilà qu’avec «I’ll Be True To You», notre petit Davy nous fait son Robin Gibb.

Ils reviennent l’année suivante avec More Of The Monkees sur lequel se niche l’autre grand hit du groupe, «(I’m Not Your) Stepping Stone», un hit exceptionnel et râblé. Figurez-vous que c’est la basse ronde qui mène le bal du garage, ici. Pas étonnant que tous les kids d’Angleterre et principalement les Pistols aient flashé là-dessus comme des ronds de flanc. On voit que les Monkees sont capables de jouer le meilleur garage de leur époque, surtout lorsqu’il est signé Boyce & Hart. Attention au dernier cut de la B : il s’agit bien sûr du troisième grand hit des Monkees, «I’m A Believer», composé par Neil Diamond. Rien qu’avec Stepping Stone et celui-là, les Monkees sauvent leur album. Ils amènent Believer au riff d’orgue et ça démarre dans l’intimité du génie des sixties. Tout s’articule admirablement, avec de l’énergie - I couldn’t believe it if I tried - Nous non plus, Micky ! Le When I saw her face est rentré dans l’histoire et on se goinfre de coups d’If I try et on se shoote de aaaaaah et des relances intempestives, il semble que l’énergie se démultiplie à l’infini, apanage des grands hits - I’m in love ! - C’est l’âge, ils sont dedans and then I saw her face ! Davy se tape plus loin un beau «Hold On Girl» et il semble dégager l’horizon, avec son extraordinaire dynamique de sucre d’orge. Il chante d’une voix de rêve. Davy le popster colle au bonheur. Il tape lui aussi dans Neil Diamond avec «Look Out (Here Comes Tomorrow)». Il sait tenir son rang de popster intercontinental. Disons que c’est le troisième hit de cet album qui semble quand même un peu mou du genou.

La même année paraît Headquarters, avec la belle photo du groupe sur un fond blanc, le genre de pochette qui vous fait de l’œil lorsqu’elle est accrochée dans la vitrine du disquaire. Alors on entre. C’est encore l’époque où le disquaire vous fait écouter le disque et vous en parle. Mais bizarrement le disque n’accroche pas. Il manque un truc important : les hits.

— On ne peut pas dire que ce soit un grand disque, hein ?

— Tiens écoute ça !

Le cut s’appelle «Forget That Girl». Davy chante et c’est magnifique d’innocence poppy. On a l’impression de sucer une pop sucrée et chocolatée. Le disquaire tourne le disque et passe un autre cut, «Sunny Girlfriend». Ah voilà le hit de l’album, joué par Mike Nesmith qui gratte des arpèges à la volée, on a là un truc tonique et sur-vitaminé ! Wow ! Il faut voir à quelle vitesse il tricote ses mailles, c’est même effrayant et excessif. Mais ce n’est pas suffisant. Il y a trop de trous dans cet album. Mais on le prend quand même pour l’écouter tranquillement à la maison. On ne sait jamais.

En 1967 paraît un troisième album des Monkees, Pisces Aquarius Capricorn & Jones Ltd. On frise un peu l’overdose, d’autant que cette année-là paraissant des tonnes d’albums fantastiques. Impossible de suivre financièrement. Par chance, Pisces n’est pas bon. On l’écoute chez le même disquaire qui en convient lui-même. Bon ben bof... Le seul hit qu’on trouve là-dessus est le fameux «Pleasant Valley Sunday» repris par Gedge avec son Wedding Present. C’est logique que ce soit un hit puisque Carole King et Jerry Goffin l’ont composé. On retrouve avec ça tout l’éclat de la grande sunshine pop américaine. Davy Jones se tape la part du lion avec «Hard To Believe» qui ouvre le bal de la B, Il ramène sa pointe d’English class dans ce fatras de pop américaine et sauve un peu l’album en claquant des doigts. Il swingue son charme à la bonne mesure. Ce mec sait aller chercher du rêve dans l’exercice de la démesure. Et quand on écoute «Words», on a l’impression d’entendre une resucée de «Murder Mystery» du Velvet. Et puis on voit nettement se cristalliser les tendances bluegrass de Mike Nesmith à travers des cuts comme «What Am I Doing Hanging Around», une sorte de country-rock des collines qu’il joue au picking rapide, l’œil rivé sur l’horizon.

On approche de la fin de l’âge d’or avec The Birds The Bees & the Monkees, paru l’année suivante. Un hit s’y niche, le fameux «Daydream Believer», chanté par Davy, hit de pop suprême, orchestré aux trompettes. Davy joue la carte de la consistance de la consonance et il s’affirme en tant que héros du groupe. Il faut voir comme il remplit bien l’espace. Il chante aussi «Dream World», et on pense aux early Bee Gees, car c’est le même genre de magie, avec le même timbre de canard sucré que celui de Robin Gibb. Sa pop se veut enjouée, solide, envolée, voluptueuse, toute en bulbes et en coupoles dorées dans l’azur immaculé de ces sixties hélas disparues pour toujours. Davy refait son Robin dans «We Were Made For Each Other», balladif de charme intense et notre petit génie de Manchester chante au micro étoilé. Il est un peu le Gerald Love des Monkees. On reste dans le haut de gamme avec «Tapioka Tundra», sunshine pop over the rainbow, bien soutenue, bien fourbie, nerveuse à souhait et relativement élancée. Quand il chante «The Poster», en B, on détecte dans son timbre des accents de Robin, mais aussi de Bowie.

Oh et puis la même année paraît Head, un album qui s’arrache aujourd’hui à prix d’or et on se demande bien pourquoi. Les hits y brillent par leur absence. «Porpoise Song» sonne exactement comme un cut des Beatles. Niveau ambiance, c’est assez proche d’«A Day In The Life», mais il vaut mieux écouter les Beatles. On frémit un peu à l’écoute de «Circle Sky», amené avec une belle densité de son et monté sur un beat d’acou. L’autre cut solide de l’A s’appelle «Can You Dig It», un drive pour le moins fantastique joué à la guitare psyché. Et puis en B, eh bien, on bâille aux corneilles. Davy tente de sauver l’album avec «Daddy’s Song», mais l’étincelle lui fait cruellement défaut.

En 1969, ils sortent deux albums : The Monkees Present et Instant Replay. Present subit à peu près le même sort que son prédécesseur : il est privé de hit. On y entend Mike Nesmith jouer les virtuoses sur «Little Girl» et «Good Clean Fun» et Davy revient charmer les ménagères avec «If I Knew», une pop très anglaise dans l’essence de la gazoline. Mike revient à sa chère country avec «Never Tell A Woman Yes». C’est dingue comme ces mecs ont des goûts différents. Davy revient avec une compo signée Boyce & Hart, «Looking For The Good Times» et tente de faire décoller cet album. Il fait émerger ses tendances bubblegum. En B, on s’ennuie une fois encore comme un rat mort et Micky referme la marche avec un «Pillow Time» chanté au doux de la voix avec un petit côté duveteux de loutre pop, coquin de creux du cou. Replay n’est pas beaucoup plus convainquant. Boyce & Hart continuent de travailler pour nos amis, mais on sent beaucoup trop les influences de Sergent Pepper’s. Dès que Davy chante, comme c’est le cas avec «Don’t Listen To Linda», l’atmosphère se réchauffe. Mais on sent bien que l’inspiration fait défaut. Les pop-songs comme «Me Without You» ou «I Won’t Be The Same Without Her» refusent obstinément de décoller. Le «Tear Drop City» qu’on trouve en B est un belle resucée de «Last Train To Clarksville» : on a exactement le même gratté de guitares. C’est Neil Sedaka qui signe «The Girl I Left Behind Me», une pop éminemment bien foutue, sucrée et raffinée à souhait. Et puis voilà. T’as encore dépensé des sous pour rien.

L’année suivante, ils ne sont plus que deux dans le groupe : Micky et Davy. Ils ne se formalisent pas pour autant et enregistrent l’album Changes. Avec «It’s Got To Be Love», il tapent dans la petite pop délicate, mais il leur manque l’envergure. L’intimisme qu’ils pratiquent ne fonctionne pas du tout. Par contre, ils défraient bien la chronique avec «99 Pounds». Ils reviennent à leurs racines pop-rock, avec du vrai son vitaminé, plein de tambourins et là, ça marche. En B, Davy ramène toute la chaleur poppy dont il est capable dans «Do You Feel It Too». Il chante de son meilleur timbre d’ambre jaune et un joli solo joué au velouté rehausse cet épisode joliment inspiré. Mais pour le reste, on pourra se serrer la ceinture.

Dix-sept ans passent sous le Pont Mirabeau et on les retrouve tous les trois dans une piscine : Davy, Peter et Micky. L’album s’appelle Pool It et ça démarre sur «Heart And Soul», une grosse pop à la Cheap Trick. On reconnaît bien là les penchants touche-à-tout de Micky. Avec «Secret Heart», ils font même de la diskö. Incroyable mais vrai ! Alors là, on peut dire qu’ils se grillent. En B, ils passent carrément au rock FM et histoire de bien finir de scier la branche sur laquelle ils sont assis, ils font aussi un brin de reggae. Cet album est un véritable catalogue des horreurs.

Paru en 1996, Justus pourrait bien être le meilleur album des Monkees. On y trouve en effet deux véritables coups de génie, à commencer par «You And I», fabuleuse pop de caractère. Davy Jones chante et il se montre extraordinaire de répondant. Il sait monter sa pop en neige. Avec «Admiral Mike», on passe au heavy groove. On se croirait sur l’Album Blanc tellement c’est bon, argenté et plein de son - Your copy kills/ Your copy smells - C’est joué aux énormes accords du ponant. Les Monkees ont du génie. Il faut voir avec quelle classe ils partent en sucette sur des accords rock’n’roll. Attention, ce cut est d’un niveau peu commun. En réalité, on s’embarque pour Cythère dès le premier cut, «Circle Sky». Ils lâchent une véritable cavalcade de pop portée à l’incandescence, sauvagement grattée et propulsée. On retrouve sur ce disque la formation originale du groupe et diable, comme ils sonnent bien ! Attention, avec les Monkees, les choses peuvent devenir très sérieuses ! Avec «Oh What A Night», le grand Davy Jones tape la carte de la good time music. On fond comme beurre en broche - Your kisses were so tender/ Oh what a day - Les Monkees poussent le bouchon très loin. Par contre, les compos de Micky Dolenz ne décollent pas. Il nous embête. Celles de Peter Tork accrochent un peu mieux, comme par exemple «I Believe You», pièce atonale à cheval sur trois pattes et qui tire un peu vers la gauche. Ah Tork sait avancer de travers. On perd l’habitude d’entendre des cuts aussi étrangement bons. Micky Dolenz finit par s’imposer avec «It’s My Life», un joli balladif. Chez les Monkees, le moindre balladif sonne pour de vrai. Celui-ci se révèle exceptionnel. On est aux antipodes des mauvais balladifs d’Aerosmith et de tous ces groupes de rock FM. Davy Jones boucle ce fantastique album avec «It’s Not Too Late». On sent l’Anglais dès l’intro. En fait, dans le groupe, c’est lui qui passe le mieux. Il sait modeler une mélodie pour la réchauffer et l’humaniser. Davy Jones est mort, désormais, mais il fut un petit roi de la pop. Il rayonnait et dardait de mille feux - It’s not too late/ To turn this ship around/ To sail into the world my love/ Before we run aground - Il est assez précis dans l’évaluation des conséquences. Davy Jones crée l’envoûtement. C’est un enchanteur pourrissant, comme dirait Apollinaire.

Nos amis sont de retour en 2016 avec un nouvel album intitulé Good Times. Même si Davy Jones n’est plus là, c’est bardé d’énormités, comme «Gotta Give It Time», une puissante compo de Jeff Barry. Ah on danse autour du juke et on note l’excellence de la corpulence d’Hortense, la grosse qui danse en mini-jupe. Effarante pop. On sent bien la force des vétérans. Dans le morceau titre qui fait l’ouverture du bal, on note la présence d’Harry Nilsson. Ils font une cover de Weezer, «She Makes Me Laugh». Micky, Peter et Michael jouent ça avec une énergie considérable. Ils retapent dans Tommy Boyce & Bobby Hart avec «Whatever’s Right». Back to the basics, les Monkees reviennent aux sources de leur légende. Avec «Love To Love», ils tapent dans Neil Diamond et la voix qu’on entend est celle d’un Davy Jones ressuscité. Encore une pure merveille avec une reprise de «Birth Of An Accidental Hipster», joli cut signé Noel Gallagher. C’est traversé par un solo extravagant et on se retrouve une fois de plus avec une pure merveille sur les bras. Ils reprennent ensuite «Wasn’t Born To Follow» de Goffin & King et jouent ça au bongo du bingo. Et ça se termine avec une autre énormité cavalante, «I Was There», jouée au boogie rampant.

Peut-être qu’au fond le mieux serait de se limiter à un bon Greatest Hits, comme par exemple celui sorti sur Arista en 1976. On y retrouve tous les hits qui firent la grandeur de ce groupe : «Last Train To Clarksville», «Daydream Believer», «I’m A Believer», «Pleasant Valley Sunday» et «Stepping Stone», bien sûr. On y trouve aussi un hit qui ne figure pas sur les albums, «A Litlle Bit You A Little Bit Me», mais qui se trouve sur un single. C’est l’un de leurs hits les plus resplendissants. On réécoute aussi avec un plaisir non feint «She», ce beau cut signé Boyce & Hart. Au plan mélodique, il se pourrait fort bien que ce soit la meilleure chanson des Monkees. C’est pur et toxique, comme peut parfois l’être le plaisir charnel.

Signé : Cazengler, et monkee, c’est du poulet ?

Peter Tork. Disparu le 21 février 2019

Monkees. The Monkees. Colgems 1966

Monkees. More Of The Monkees. Colgems 1967

Monkees. Headquarters. Colgems 1967

Monkees. Pisces Aquarius Capricorn & Jones Ltd. Colgems 1967

Monkees. The Birds The Bees & the Monkees. Colgems 1968

Monkees. Head. Colgems 1968

Monkees. The Monkees Present. Colgems 1969

Monkees. Instant Replay. Colgems 1969

Monkees. Changes. Colgems 1970

Monkees. Pool It. Rhino Records 1987

Monkees. Justus. Rhino Records 1996

Monkees. Good Times. Rhino Records 2016

Monkees. Greatest Hits. Arista 1976

Ah au fait, sur l’illusse, Peter Tork est celui qui est devant, avec les cheveux plus clairs. Derrière lui, de gauche à droite : Mike Nesmith, Davy Jones et Micky Dolenz.

 

22 / 02 / 2019MONTREUIL

L'ARMONY

BILL CRANE / CRASHBIRDS

 

Armony du soir. Un peu dissonante, je l'admets, mais le rock'n'roll est rempli d'aspérités, c'est ainsi, l'on n'y peut rien. En plus ce soir ce sont les oreilles qui vont saigner mais aussi les yeux. Disposés sur une table Speedball et Kronik vous arrachent la vue, pas de panique, les numéros sont présentés plus bas, plus un supplément la semaine prochaine, ne me remerciez pas, je sais que vous ne le méritez pas, mais c'est mon jour de bonté, profitez-en, en attendant, allons voir ce qui se trame du côté – pour le situer d'une manière proustienne - de la scène.

BILL CRANE

Z'étaient l'objet d'une précédente chronique voici quinze jours, mais c'est comme les attaques de banque à mains armées, quand vous y aviez goûté vous ne pouvez plus vous en passer. Quand on y pense le rock'n'roll quand il est bien fait, ça vous prend très vite un petit air à la Jesse James. Mais ce soir les héros ce ne sont pas les frères de l'Ouest sauvage du bon vieux temps qui s'activent mais Bill Crane, une espèce de combo d'outlaws qui se complaît à fracturer non pas les coffre-forts, mais le rock'n'roll. Un art pas facile. Qui équivaut à se déplacer sur un fil de fer barbelé qui vacille en s'interdisant d'éviter toute blessure, une esthétique de la rupture.

Ce soir Gwen nous offre une basse de velours, la compresse d'ouate douce pour les ecchymoses que vous n'avez pas encore reçues mais qui vont très bientôt tuméfier votre visage. L'a adopté la démarche du chat en chasse, souplesse et indolente, qui arpente négligemment la faitière du toit le plus haut de la ville, griffes rentrées et coussinets feutrés. Semble marcher en somnambule, méfiez-vous la bulle de sa pupille est aux aguets, arrêtez de sourire et priez pour vos souris, ce soir Gwen a la basse carnassière, s'insinue partout, l'est maintenant le boa réticulé qui se glisse sous les toits et vous ne voyez plus qu'une traînée de tuiles qui se soulèvent et trahissent sa marche en avant, insidieuse et prédatrice. La vieille technique de la tortue chère aux légions romaines qui permet d'avancer sus à l'ennemi sans désemparer. Ce soir Gwen est métamorphose, l'est la ligne intangible, le filon d'or qui court sous la montagne, les trois autres ont compris qu'il était la fréquence de base ( et de basse ), le rayon de lumière noire qui indique la direction, et permet de foncer sans fin vers les confins du rock'n'roll, qui se dérobent toujours.

Le serpent qui rampe et l'aigle qui vole. Patrice suit l'avancée reptilienne, mais de haut, l'a le sax flamboyant, Gwen est l'ombre tutélaire et Patrice la lumière victorieuse. L'un qui fore fort et l'autre qui force l'or du feu à étinceler en gerbes flamboyantes qui n'en finissent pas de passer telles des queues de comètes interminables. Patrice a définitivement opté pour l'art de la surabondance, l'en rajoute toujours un max, toujours un sax, l'a décidé de saturer le palimpseste, de raturer les runes secrètes, l'institue ainsi un déséquilibre tangentiel dans le rock'n'roll de Bill Crane, une rupture sonique, une faille infaillible, une dévastation plénière. Une dénivellation ascendante, un escarpement différentiel. Faut le voir souffler sans interruption, comme s'il jetait sa force vitale dans le vide, comme s'il désirait se vider de lui-même, et remplir le monde de son influx nerveux.

Bobo n'est pas à la fête. Doit répondre aux deux postulations contradictoires, l'a les bras qui n'arrêtent pas de taper, mais le plus spectaculaire c'est de suivre son travail de frappe sur son visage. Ses baguettes donnent l'air de s'activer toute seules, un ballet d'essuie glaces automatiques qui se régule sans besoin d'aide et s'adapte au moindre changement de rythme avec une facilité déconcertante. Une machine. Mais c'est dans sa tête que ça turbine le plus. Un ordinateur qui pense, qui calcule, qui prévoit. Suit des yeux les moindres mouvements des trois autres, qu'est-ce qu'ils vont encore inventer, mais non, peuvent imaginer tout ce qu'ils veulent, lui il possède la parade et la solution, l'a cet air entendu du mec à qui on ne la fait pas, ah, bon ce n'était que ça, vous voulez la révolution, voici la résolution.

Et pourtant l'a du souci à se faire avec le Calassou, l'a sans arrêt, mais avec avec arête de poisson coincée dans le gosier, un truc de travers à sortir de sa guitare calebasse. L'a le riff qui ripe et qui râpe. Ne peut pas ne pas vous surprendre. Vous savez bien qu'il est le spécialiste de la déglingue, le skieur maudit qui déclenche l'avalanche, le chauffeur de bus qui casse le moteur, le capitaine qui coule, l'aviateur en panne de kérosène, vous attendez, et à chaque fois il invente un incroyable bidule de sauvetage, la neige qui fond, l'autobus sans abus, le sous-marin, le moteur à air, et il retombe sur les pieds du riff avec l'élégance d'une panthère qui saute par terre avec cette souplesse féline qui n'appartient qu'à elle. Sachez-le, un riff de guitare chez Bill Crane, c'est une catastrophe annoncée qui s'achève en splendeur éphémère, car il ne faut pas trop exagérer, le rock'n'roll sans danger qui reste sur ses acquis c'est comme le couteau sans lame auquel il manque le manche.

En plus possède une arme pas secrète du tout. L'agite à la manière d'un drapeau sur le champ de bataille, l'a la voix oriflamme qui claque au vent, aux quatre vents de l'esprit dirait Victor Hugo. Vous la jette dans la tambouille sonique à croire qu'il voudrait s'en débarrasser. Un grand pavois qui cloque et qui prend ses cliques, car elle file à folle rapidité, l'écrase les crevasses et décime les cimes. Et tout le monde suit sans demander son reste. Un set de Bill Crane, c'est comme quand vous avez enlevez la clef de voûte de la pyramide, tout s'écroule autour de vous, l'on ne compte plus les morts en marmelade sous les pierres, les femmes hurlent, les enfants pleurent, mais vous vous en foutez, royalement, sous vos yeux éblouis la chambre secrète est enfin ouverte et vous pouvez contempler le visage du pharaon inconnu, et vous vous apercevez qu'il vous ressemble.

On s'en doutait, mais Bill Crane confirme.

 

CRASHBIRDS

C'est le printemps, les cui-cui sont de retour. Z'ont quitté leur chaumière du Finistère rien que pour nous. C'est que nous sommes très importants, si beaux, si bons, si bien que nous sommes ( en filigrane ) sur leur prochain disque, un double CD enregistré en public à l'Armony, qui sera présenté le dimanche 7 avril de 18 heures à 23 heures à ( quel hasard ) l'Armony. Risque d'y avoir du monde vu que ce soir l'assemblée compressée ressemble à ces fagots d'haricots verts extra-fins retenus tout droit par un fil dans les restaurants qui se la jouent classe. En attendant ce jour faste Pierre est déjà au boulot, talque sa guitare avec le soin maniaque d'un pâtissier qui saupoudre ses millefeuilles, Delphine se pavane parmi un groupe d'admirateurs et d'admiratrices revêtue de son insolente beauté et d'un béret noir qu'elle porte comme une couronne de reine. Mais il est temps que les choses sérieuses commencent.

Crashbirds, this old dirty hot blues, l'effet d'une incantation voodoo dès les premières notes, la cérémonie bleue pétrole marée noire vient de commencer. Vous avez deux sortes de blues originel, celui de Charley Patton qui mugit de l'intérieur, faisandé sur lui-même, une explosion atomique souterraine dans l'auto-cuiseur de votre cervelle, et celui de John Lee Hooker, un balancement hypnotique, un cheminement incoercible, une marche en avant infatigable, qui vous mène tout droit dans le cœur putride de votre chair, deux sentiers différents qui se dirigent vers l'identique lieu, la forteresse désarmée de votre âme lézardée. Deux manières d'être au monde qui correspondent aux voies humide et sèche de l'alchimie intime, Crashbirds ose celle de feu, sans concession ni rémission. Une ligne de crêtes solitaires aiguisées comme autant de poignards impitoyables levés vers le ciel des aurores sanglantes. Le vieil when I awoke this morning, et toute la misère du monde qui s'affale sur vous et que vous allez lacérer en un corps-à-corps mortel, tout cela, c'est l'arrière-fond immémorique de la musique de Crahbirds, ne vous étonnez pas s'ils commencent par faire un sort à votre personnel grigri christique. Le blues est sans pitié, on y sacrifie aussi bien le dieu oublié qui vous appelle au téléphone que les alligators carnassiers qui nagent dans les boyaux de vos désirs et les bayous mortels de vos affects.

Rollin' To The South. Pierre regarde vers les Enfers et Delphine vers Dionysos. Il est le démon, elle est la ménade païenne échevelée. Pierre souque ferme sur ses boîtes soniques. Du pied il donne le rythme, s'obtient par le geste du talon répétitif qui écrase les têtes de serpents qui s'entrelacent à même le sol. Un peu voûté par ce piétinement primordial qu'il faut alimenter sans arrêt, mais les doigts courent sur les cordes de sa guitare, l'arakné obstinée du blues tisse le défi de sa toile, un tricotage riffique infini dont il semble impossible de s'arracher, la psalmodie orphique des cordes produit ses effets serpentiques et fascinatoires sur le public qui ne peut plus détacher les yeux de cette combustion venimeuse enchanteresse qui se communique lentement mais sûrement au monde entier. Nous descendons les sinistres escaliers avec lui et maintenant nous les remontons derrière Eurydice, Delphine est renaissance, la germination primitive, c'est elle qui chante, crie, rit, et gesticule. Ses cheveux roux sont la flamme de la torche nuptiale du jour et de la nuit, l'ivoire de son teint est la blancheur matutinale des premiers rayons du soleil qui irise le monde. De sa gorge s'échappent les clameurs péremptoires de la joie de vivre, elle dit, elle ordonne, elle façonne, sa voix est un fouet délicieux qui coupe et cisaille. Prêtresse et comédienne, elle demande à boire et l'on se précipite pour lui apporter une bière bienfaisante dans un verre aussi long qu'un cou de girafe, elle s'amuse vocalise, escalade les aigus et les cimes cristallines avec une facilité et une gracilité vocales de petite fille et de grande diva.

Le message n'en est que plus noir. Elle dénonce et elle prophétise, We Lobotomy, No Mercy, European Slaves, Someone to Hate, les titres assénés comme des coups de couteaux dans le dos de vos illusions ne laissent planer aucun doute quant au constat de la réalité professé par nos ornithos qui vous déchirent le réel à cruels coups de bec, lui sortent les tripes du ventre pour que vous n'ignoriez rien de la puanteur sociale qui nous entoure. Et Pierre imperturbable en rajoute, entre deux morceaux, le temps d'agrémenter sa tambourinade de de quelques réparties vaseuses et scrofuleuses, élégance dénonciatrice selon un mode auto-dérisoire de l'inanité des choses. Puis comme le forçat attaché à son boulet, reprend son boulot de Sisyphe à pousser le rock du riff sur les plus hauts sommets incantatoires. Delphine le suit de près sur sa rythmique, mais ce soir elle a tellement incarné sa présence dans sa voix que ne me restent que quelques flashs de ses mains sur les cordes. Pétulante et pétillante, le cordon qui étincelle avant de détonner le bâton de dynamite. Les guys ne pensent qu'à la regarder mais devant la scène une cohorte de filles de feu s'adonnent à une étrange ronde nervalienne en son honneur.

Hélas sur cette terre les édiles ont décidé qu'il y avait une heure pour le bonheur dionysiaque à laquelle il convient de ne pas contrevenir. Le concert s'arrête, no fun for punks, telle est la terrible loi de nos existences grillagées. Qu'importe, même si le monde est une saleté, quelle soirée de rêve bleu et rock.

Damie Chad.

 

ISLATION N° 31

( Hiver 2018 )

 

Je ne le savais pas mais c'était chez moi, bien au chaud sur le bureau, sous des tonnes de bouquins, de CD et de factures. Un véritable petit trésor, à peine plus épais qu'un feuillet à cigarettes, vingt-huit pages, j'ai dû réfléchir pour savoir d'où ça provenait, ah, oui la poignée de fanzines récupérée chez Vicious Circle à Toulouse l'été dernier, un coup de chance en farfouillant sur le net me suis aperçu qu'il avait seulement été distribué que sur la ville rose et à Paris in Le Silence et la Rue, boutique spécialisée en vinyles. Vous livre même le nom de l'individu qui est derrière cette publication, Bertrand Redon, un passionné de bonnes musiques. Allez faire un tour sur son bertrandmusicblogspot.

Fanzine certes, mais pas un truc esthétique du pauvre les tripes à l'arrache, une maquette parfaite, en trois couleurs, noir, blanc, gris, bien écrit, plutôt porté vers le folk, mais l'on devine une ouverture d'esprit sans œillère. Ai été attiré par le long article sur Tamara Lindeman. Actrice ( film et télé ) canadienne sous le nom de Tamara Hope, mais aussi compositrice et chanteuse. Elle raconte une histoire invraisemblable. Tombe amoureuse d'un garçon, passent leur temps à se promener dans les bois désertiques du Canada. André a une habitude bizarre, ramasse toutes sortes de plantes et les grignote toute crues. Elle comprend et admet cela, les gens qui habitent des contrées solitaires développent des comportements qui peuvent sembler étranges aux habitants des villes, mais qui renouent peut-être avec de très anciennes habitudes de préhension du monde, survie et connaissance, qui remontent pourquoi pas d'avant le néolithique. Le guy retourne chez ses parents sur une île lointaine, un coup de téléphone lui apprend qu'il est mort, il a mâché de l'aconit. Poison violent qui aura raison de lui en trois heures. André était passionné de musique, ayant récupéré les cassettes qu'il avait enregistrées sur son dictaphone, elle comprend qu'elle se doit de devenir chanteuse. A ce jour elle a produit quatre albums sous le nom de The Weather Station. L'on sent Bertrand Redon subjugué par le personnage de Tamara, comme si l'acte même de chanter était relié chez elle, d'une manière des plus intimes, à la manducation du premier garçon avec qui elle avait partagé une charnelle et spirituelle communication poétique.

L'article suivant est une présentation du treizième album de Chuck Prophet, Bobby Fuller Died For Your Sins. Un titre magique pour les rockers, même si question originalité il est un peu trop connoté avec le Horses de Patti Smith, d'autant plus qu'une autre plage du disque s'intitule Jesus Wass a Social Drinker. Ah, ce sentiment de culpabilité post-puritaniste du citoyen américain, moyen ou borderline, qui n'en finit pas d'éclabousser sa conscience ! Rien que le fait de se surnommer prophète est très symbolique d'une lourde hérédité. Reste que le titre éponyme de l'album est teinté d'une ironie de bon aloi. Quant aux paroles du petit Jésus et sa rythmique subtilement titubante elles valent le détour.

Lee Bains King Krule, Cancer, Fleet Foxes, Hiss Golden Messenger, Big Blood, Susanne Sundfor, Real Estate, Gzauson Capps, John Moreland, Scott Miller, Widow-speak, Macolm Holocombe, Charlie Parr, David Rawlings, Cindy Lee Berryhill, Watermelon Slim, je cite tous ces noms pour que vous ayez honte de votre inculture ( de la mienne aussi ), autant d'albums chroniqués, peu de mots mais des évocations qui décrivent à chaque fois un univers particulier, Bertrand Redon est doué et en connaît un rayon. Par contre son article de tête sur Smoky Tiger est la preuve absolue que chacun de nous aime des horreurs abominables. Si vous êtes de ceux qui pensent que les goûts et les couleurs sont très symboliques de vos états d'être vous risquez d'être plongés dans des gouffres d'interrogation sans fin.

Diantre, ce modeste fanzine vous en apprend davantage que deux numéros de Rock & Folk ! Pastèque sur le gâteau, il est gratuit. Il existe donc encore quelques bienfaiteurs de l'humanité.

Damie Chad.

 

MELISA BERNARDOT

SHOOTS AND DRAFTS

 

Support parisian rock scene, c'est ainsi qu'elle se définit lapidairement sur son FB, c'est elle qui nous a fourni les photos de la livraison 407 du 21 / 02 / 2019 du concert Amain Armé / Britches de la Comedia. Je ne parlerai point en cette chronique de ces photographies si ce n'est pour signaler cette manière de présenter souvent le même cliché en couleur puis en noir & blanc, ce dernier se conférant, selon cette double présentation, pour emprunter un terme au philosophe allemand Friedrich Wilhelm Schelling, une dimension réale fort prononcée tout en se donnant à voir comme la vision idéelle de ce dont il procède. Rappelons que le mot réal signifie effectif, ce qui est étrange puisque c'est la juxtaposition des deux clichés qui produit l'effet, et non l'effectivité du seul cliché shirokurique. Comme quoi la répétition du même ne reproduit pas obligatoirement le même. Nous vous laissons tirer de par vous-mêmes les conséquences métaphysiques de la précédente affirmation...

Donc en cette kronic nous nous intéresserons uniquement aux dimensions draftiennes de la jeune artiste. En d'autres termes à l'album ( visible sur le FB : shoots and drafts ) 90377 : my drawings / visuals. Un dossier de cinquante trois vues qui forme un ensemble assez disparate de ces dessins et de ces esquisses que peintres et dessinateurs ont souvent l'habitude de jeter sur un carnet ou le premier bout de feuille qui leur tombe sous la main. Boîte à idées précieuses ou corbeille de bureau dans lesquelles on se débarrasse des mouchoirs en papier des rhumes de cerveau créatifs. La majeure partie de l'ensemble est d'ailleurs réservée à l'Inktober 2018. L'Inktober est une pratique relativement nouvelle lancée en 2009 par le dessinateur de comics Jake Parker, s'agit durant chaque jour du mois d'octobre de jeter l'encre de son imagination aiguillonnée par la proposition d'un seul mot fourni par le calendrier inktobrique. Autant dire que votre liberté est fortement bridée et que c'est à vous de vous débrouiller pour que votre propre vision du monde et votre style transparaissent dans cet exercice imposé. Une espèce de gymnastique intellectuelle qui n'est pas sans rappeler la pratique du Questionnaire Proust en littérature à la charnière des dix-neuvième et vingtième siècles.

Nous nous arrêterons au deux octobre. Un dessin plus travaillé que les autres. Qui sert à Mélisa Bernardot de vignette à son FB, une espèce de masque symbolique, une figure en quelque sorte héraldisée de soi-même, le trait anguleux du visage rappelle Bernard Buffet, et l'attitude les poses hiératiques des héroïnes de Klimt. Olympe de goule si je peux me permettre ce calembour qui allie la beauté à l'envers du décor. Le mystère de la féminité pour se replacer dans l'esthétique symboliste fin de siècle ! Pauvre poulette, l'a été condamnée, le trois de ce mois funeste, à passer quelques minutes dans le grille-pain, la donzelle en est ressortie quelque peu cuite aux entournures, l'a perdu ses airs de déesse et peut-être pire les ailes du désir. Ces deux dessins sont symboliques du travail de l'artiste quant à l' auto-représentation de la femme, tour à tour sorcière, fée, criminelle, attirante et puis brutalement l'envers du décor dézinguée, vieille, perdue, morcelée, découpée... Victorieuse ou défaite. Les deux versants de la vie, celui qui monte vers le point acméique pour aussitôt décliner vers la dissolution finale. Le deuxième dessin de ce codex 90377, visage auréolé d'une chevelure transformée en soleil noir qui surmonte un corps qui semble déjà soumis à l'informe dégradation des pourrissements terminaux, symbolise à mortveille cette dégradation horrifiante. Immédiatement après deux représentations féminines, camelote bijoutière à motif cabalistique de pacotille ou marque sur le front d'une croix inversée sont à mettre en relation avec l'œil rehaussé de travers de l'une, et totalement blanc de l'autre, ces yeux glauques trahissent la perception d'un réel et d'un outre-réel menaçant et inquiétant. Les longs cheveux de la deuxième s'entrecroisent avec les larges rayures de son pull-over écarlate et forment comme une grille derrière laquelle rougeoie comme une fournaise annonciatrice, de sa simple présence au monde. Nous apparaît comme le joker de la mort.

Nous sauterons les espèces de collages qui séparent les deux images qui répondent d'une esthétique mangaïque, force et beauté sont au programme. Pas très loin, beau portrait d'un jeune mec le visage habillé d'une insolence paresseuse. Aux claires couleurs des deux précédents succèdent trois noirceurs de fille, de face, de dos et ce visage pratiquement dédoublé par la coupure d'une mèche ombreuse de cheveu anarchique, vu de si près qu'il excède la pleine page. Ensuite nous picorerons, ce réveil englobé dans un semblant de gangue de main qui serre son étreinte sans pouvoir arrêter le temps. Une autre mouture de cette image se retrouve plus loin dans l'Inktober sous forme d'une gamine tenant dans sa main une tasse de café mais le corps engoncée dans le cadran de la montre du temps fatidique. Vous la retrouverez à la page suivante recroquevillée en position d'œuf fœtal que l'on espèrerait retour originel, mais sur un dessin suivant, accrochée aux ballons de son rêve que l'on pressent d'une tristesse infinie. Ne reste plus sur une image postérieure qu'une poupée jetable abandonnée sur un trottoir déserté d'humanité. Admirons cette tête d'E. T. aux cinq yeux qui pétillent d'intelligence d'autant plus forte que débarrassée du reste de la chair de son corps absent. Tout comme cet homme le corps englouti dans la boue d'un marécage qui atteint déjà les narines, derrière lui des arbres morts tendent leur branches désespérées vers le rien, à mettre en relation avec la coiffure de cette petite fille à la chevelure de palmes vivantes qui court à son shopping, à l'assaut du monde, les billets verts entre les dents.

Ce n'est qu'un carnet. Certains lui reprocheront de ne pas être spécialement rock, pour ceux qui ont nécessairement besoin d'une guitare pour qu'une image soit obligatoirement rock, ou une pancarte '' Eléphant'' accrochée à la trompe de l'animal idoine, un de ces jours je chroniquerai les photos de concert de Mélisa. Le rock c'est aussi un esprit diffus. Ça flotte dans l'air sous forme d'atomes subtils, certains sont de véritables passoires, sont traversés par ces nuages microscopiques mais ils n'en retiennent aucun. A moins que ce ne soient les corpuscules qui ne veulent pas d'eux. Ce n'est pas donné à tout le monde d'en abriter quelques uns. Regardez la planche entière qui regroupe l'ensemble des dessins. Sont empreints d'une terrible solitude. Les personnages sont figés dans l'apparence spectrale de leur image. Que ce soit la vieille grand-mère qui tient précieusement son sac-à-main, ou l'homme à deux têtes pour mieux insulter le monde, chacun s'entête à représenter sa propre idée, la mémé qui s'accroche à son goutte-à-goutte comme à son cancer, ou l'hoplite qui a traversé des siècles d'histoire en sentinelle avisée. Mélisa Bernardot a soigné le look de chacun, jusqu'à ce qu'ils deviennent les archétypes de notre société dont nous ne sommes plus que des pièces disjointes, des figurines d'œuf Kinder sur l'étagère du désespoir.

De fait ces croquis sont plus proches du blues que du rock. Ce qui n'exclut pas l'humour noir, la plus terrible des armes blanches. Mélisa nous offre cinquante-trois lamelles pour étude spectographique de la faune contemporaine, cinquante-trois arcanes du tarot spectral de la féminité moderne que vous ne saurez regarder sans être traversé d'un fort courant d'électricité. Lumière noire.

Damie Chad.

( Dessins visibles sur FB : Shoots and drafts )

 

SPEEDBALL

MALEDIXION

N° 13 / Février 2019

 

Arnaud & Maniak / Romuald Martin / Manolo Prolo / Pierre Bunk / Lenté Chris / Chester / Carlota / Jokoko / Gomé / Kyja / Mlce / Madd / Slo / Méli / Louna / Jess X / Dr Silk / Krokaga / Gromain / Max Clem / Pat Pujol / Dav Guedin / Denis Grr / Tôma Sickart / Pierre Berger / Marc Brouillon / Gwen Tomahawk / Laurent Z. Rondet.

 

Sont comme ça les Bédéistes, vous achetez une revue, vous ouvrez et c'est aussi plein qu'un zodiac chargé de migrants au milieu de la Méditerranée, se déplacent en groupes d'entourloupe, en tribus de zébus assoiffés d'abus, en peuplades de camarades en rade, arborent leurs noms de guerre comme des étamines de pirates, se jettent sur vous à trente contre un, quand vous apercevez cette cohue tohu-bohu, vous vous dites que rien de sérieux ne pourra jamais sortir de ce pandémonium. Et plock ! ils vous glissent la lame 13 du tarot, sous les naseaux, un objet de luxe, rutilant, grand comme un département, avec papier glacé et teintes flaschy, malédixion ! et manque de bol, ils vous collent une balle de speedball en plein cœur.

Vous n'y échapperez pas. Alors prenez votre temps. Sachez qu'il existe des malheureux qui se précipitent pour lire Speedball. Ce n'est pas de leur faute, ont dû être torturés par leurs parents dès le berceau, leur manque une case ou un igloo, je ne sais pas trop quoi, mais sûrement quelque chose... Non, Speedbal ne se lit pas. Speedball se regarde, Speedball s'écoute. Non, bandes de Béotiens, vous ne trouverez pas un CD enchâssé dans la couverture, soyez un peu esthètes par pitié, n'imitez pas ces ignorants qui ont besoin de poser un disque de Beethoven sur la platine pour entendre la Neuvième, un véritable bédéimane est comme le mélomane qui se contente d'étudier avec soin et rigueur la partition pour apprécier le génie du musicien, idem pour Speedball, prenez la brochure dans votre menotte gauche ( non, pas celle-là, l'autre ) et de la droite laissez perler sous votre pouce les pages, doucement, une par une, et la symphonie vous éclate au visage. Un festival de couleurs se déploie lentement sous vos yeux, z'avez l'impression de voir le monde se refléter sur les écailles d'un naja de quinze mètres de long, un rêve coloré passe devant vous, n'essayez point de grappiller quelques mots, the beautifull dream tournerait vite au cauchemar, que votre attention se porte exclusivement sur le travail de composition, pensez qu'avec une trentaine de participations de bric et de broc, ils ont réussi à donner une unité formelle à leur bouquin, et tirez-leur votre chapeau.

Voilà normalement cela devrait vous suffire, maintenant vous savez que c'est beau, vous devriez reposer votre intelligence en cette béatitude et laisser votre âme s'abreuver de ce seul sentiment idéal, mais vous êtes de ces mal-appris qui trempez vos doigts dans les plaies du Christ et puis dans l'anus de votre partenaire sexuel, alors pour satisfaire vos instincts touristiques les plus bas, vous aurez droit à une visite guidée. Nous ne verrons pas tout, nous effleurerons à peine, mais nous comptons sur votre perversité naturelle pour tout mirer par vous-mêmes.

D'abord le truc bluffant, cette page blanche au début, vous venez d'être maudits et hop on vous refile la blancheur de l'agneau innocent. Un peu comme le bourreau sadique qui vous passe la corde au cou et qui vous demande des nouvelles de votre santé avant de remplir son office. Ensuite dorures titulaires sur fond noir, planche ( de salut ) couleur avec rectangles d'architecture HLM, et splash, Gomé s'y met. Esthétique minimaliste. Case absente ou ondulatoire. Joue avec le blanc. Deux couleurs, le noir de l'humour et le rouge cible. C'est pour rire. Plus loin, rouge sang, noir anarchie et gris existentiel, l'on ne rit plus, rien ne va plus, rien n'a changé, de Louise Michel d'hier aux manifestations d'aujourd'hui, la révolution communiste est en marche. Tremblez bourgeois. J'ai le regret d'attirer votre attention sur cet étrange fait : Speedball n'est pas une revue macroniste. Si vous ne me croyez pas, suivez les vikings de Pierre Bunk dans leur recherche du trésor oublié. Une œuvre archéo-actualitoire. Désopilante. Plus inquiétante le Psych X man de Jess K qui nous plonge dans les circonvolutions de l'auto-surveillance psychique, notre futur proche.

Je vous laisse découvrir le reste. Ceux qui détestent l'humour punk s'abstiendront. En quatre-vingt dix pages, les histoires se suivent sans se ressembler tout en décrivant la même réalité. Mais surtout méditez ces pleines pages – dessins de styles divers ou photos trafiquées – elles rythment la revue, sont à regarder comme si dans notre quotidien des scénaristes pervers avaient remplacé les pubs de nos panneaux publicitaires, par des espèces d'engrammes symboliques, une efflorescence de représentation kaléidoscopiques des images les plus triviales de notre quotidien mêlées aux icônes les plus spasmodiquement mythiques de la culture populaire. Speedball ne recule devant rien, mais ceux qui en ressortiront choqués n'auront pas compris que la revue est à lire selon un autre plan. Ses dessins n'ont d'autres but que de mettre en mouvement la roue grippée des concepts dans la tête de nos concitoyens. Speedball, accélérateur de conscience.

Damie Chad.

 

KOMIKS KRONIK

N° 15 / Novembre 2018

 

Aurelio / Jokoko / El Primate / Toma Sickart / Chester / Syl / C. Sénegas / Camille Pull / Nemo / Pierre Lehoulier / Tusghin & Pierre Bunk / Tim64 / Mimi Traillette / Méli & Afeu / Pat Pujol / Toki / Gromain / Gwen Tomahawk / Madame Cruiii / Benoît Bedrossian / Gomé / Virginie.B / Jurg

 

L'on ne prend pas les mêmes – quoique en y regardant de près l'on s'aperçoit que certains participent aux deux aventures – et l'on recommence. Chez Kronik l'on n'hésite pas à renverser les axiomes du punk. No Future ? Eh bien si, et de beaucoup. Numéro spécial '' Space Robot''. Ne sont pas optimistes chez Kronik. Les robots ont gagné la bataille. Ne sont pas plus intelligents pour cela. Aussi médiocres que les humains. Les deux races coexistent aussi paisiblement que les ethnies humaines au cours de l'Histoire. Nous les avons créés à notre image. C'est sans doute pour cela qu'ils adoptent nos conduites et sont incapables de construire un univers mental différent du nôtre.

Un format légèrement moins grand que Speeball, mais quarante pages de plus. Mais est-ce une illusion, les encrages semblent différents, teintes plus claires et en même temps plus vives chez Kronik. Mine de rien il y a un sacré travail de mise en page dans ce numéro. Jokoko en est le maître d'œuvre, tout est dans l'alternance, ne s'agit pas de marier les styles mais faire en sorte que les mises en page se succèdent sans que l'une ne mange la suivante ou la précédente. Orchestration visuelle. Tact graphique obligatoire. Le bistre de fond de page d'Outer Space d'Aurelio, les bordures noires pour les vignettes faussement naïves et réellement scatophiles de A Plus Uranus de Jokoko, les incipits à dominante bleu de nombreux épisodes, les images de Goldoraque de C Sénégas découpées et recollées, et puis Zizi et Pantoufle qui semble un texte illustré par des images, les vignettes panoramiques de Super Gros Con de Pierre Lehoulier ( le même qui guitare dans Crashbirds ) avec son en-tête très années cinquante, la poésie de Boracho Le Clodo de Riri qui n'est pas sans évoquer la maladresse des dessins d'enfants, les dessinS au fil de Framax qui rappellent l'esthétique de Tron, tout cela ( et bien d'autres ) il a fallu l'inscrire dans une continuité pour ainsi dire narrative. Car dans ce Kronik vous pouvez simplement vous éclater à lire les histoires une par une, mais ce serait passer à côté de l'intérêt du volume si l'on ne s'aperçoit pas que ce numéro 15 est aussi un déploiement du traitement de l'image, de sa mise en scène, de sa mise en réflexivité avec le texte, c'est peut-être avant tout l'histoire du rapport entre l'image dessinée et l'image cinématographique qui est ici parfaitement illustrée et évoquée. Que cela n'effraie pas le lecteur, ce numéro n'est pas théorique, se présente plutôt comme un condensé expériençal des différentes manières de concevoir la mise en forme du récit graphique.

Qui dit robot dit science-fiction, l'imaginaire de nos auteurs ( pas tous ) est plus près de la science-friction. Frictions érotiques de la chair et du métal, comme si l'important du futur résidait dans cette approche mutuellement fascinatoire de l'Homme et de la Machine. Aussi tourmentée que celle de l'Un avec l'Autre. A croire que si les formes changent les problématiques ne varient pas d'un iota. Ce Kronik est beaucoup plus philosophique qu'il n'y paraît. Le rire n'est-il pas la force suprême de la sagesse ?

Damie Chad.

13/02/2019

KR'TNT ! 406 : EDDIE C. CAMPBELL / REVEREND BEAT-MAN / RÂOULEX KING TRIO / BILL CRANE / MOTOR KIDS / FOLSOM / WEALTHY HOBOS / PARIS IS BURNING

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 406

A ROCKLIT PRODUCTIOn

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

14 / 02 / 2019

 

EDDIE C. CAMPBELL  

REVEREND BEAT-MAN

RÂOULEX KING TRIO / BILL CRANE 

MOTOR KIDS / FOLSOM 

WEALTHY HOBOS 

PARIS IS BURNING

TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Campbell s’est fait la belle

 

Eddie C. Campbell est littéralement sorti du bois en 1977 avec l’extraordinaire album King Of The Jungle. Quel disque ! Pour la pochette, Eddie se fit photographier à Brooklfield Zoo. Les mecs qui l’accompagnent sont ceux de l’orchestre de Muddy Waters. On est embarqué sans ménagement dès «Santa’s Messing With The Kid». C’est du blues de punk. Eddie ne rigole pas. Il va au boogie comme d’autres vont au combat. Il fait du boogie solide et râblé qui ne s’embarrasse pas des canards boiteux. Eddie joue comme un gros dur des Batignolles. Quel son ! On se croirait presque chez Lazy Lester ! Attention à «Still A Fool» - Well I wash/ I wash a cat fish - Il plonge dans le deep blue sea avec les woman fishing after me. Il a tous les automatismes du heavy blues - Well sure nuff I - alors ça repasse à l’harmo du crépuscule et ça joue aux notes de la menace. Il passe ensuite au boogie jazz de haut rang avec «Cheaper To Keep Her». C’est du pur killer blues de cannibale. Il joue ça dans l’épaisseur d’un groove carnassier. C’est tout simplement effarant de mauvaiseté. Tiens, encore une magnifique cavalcade avec «Poison Ivy». Il sort aussi un «Red Rooster» heavy et dépenaillé et revient au beat de boogie infernal avec «Smokin’ Potatoes». On voit rarement passer de tels trains d’enfer. Il nous swingue «King Of The Jungle» au meilleur jive de boogie et revient au heavy blues de cro-magnon avec «She’s Nineteen Years Old». Il joue un vieux solo au ricochet de notes bardé de reviens-y. S’ensuit «Look Watcha Done», un boogie rock énorme et même monstrueux. On tombe rarement sur des sons aussi caverneux. Ça goutte de jus. On l’entend l’harmo des cavernes, là-dedans. Quel son dément. Pur génie ! Il revient au boogie blues avec «Weary Blues» - I’ve been searchin but I can’t find - avec le retour de guitare - I don’t care about my pride/ Oooh babe you know I try - Franchement énorme.

Eddie n’est pas n’importe qui. Comme les autres grands nègres de sa génération, il s’est initié au diddley bow et il est arrivé à Chicago pour jouer dans des orchestres de blues. Il a douze ans quand Muddy Waters le fait jouer dans son orchestre au 1125 Club. Il imite Magic Sam qui habite au-dessus de chez lui et pendant quatre ans, il accompagne Jimmy Reed. Il aurait bien voulu accompagner Wolf, mais son jeu ne lui plaisait pas - he was a rough man to play with !

Sur Let’s Pick It, Eddie tape une superbe reprise du «Red Light» de Jimmy Reed. Il la joue à la sourde et sort un son fabuleux. Ça sent la cave, avec un joli fumet de sauvagerie. Il tape aussi dans Big Albert avec «Don’t Throw Your Love On Me So Strong», mais c’est difficile, car tout ce que fait Big Albert est intouchable. Alors il se rattrape avec «All My Whole Life», un boogie blues racé et bien sanglé qu’Eddie emmène au galop. Sacré Eddie, il adore ça. Il peut être rapide comme l’éclair !

Un an plus tard, il revient ruer dans les brancards avec The Baddest Cat On The Block. Belle pochette en noir et blanc avec un Eddie qui semble screamer comme Buddy Guy. Il revient sur Albert King avec le même résultat et toute l’A passe un peu à l’As. Par contre, en B ça chauffe dès «Early In The Morning», salement trépidé, monté sur un joli beat. Ça pianote à la surface. Il amène ensuite «Same Thing» aux vrais accords de heavy blues, ceux de Stan Webb, dans Chicken Shack. Joli coup aussi ce «Cheaper To Keep Her» à fort parfum de jazz. Eddie a vraiment de la chance d’avoir derrière lui des mecs comme Wayne Elliott à la basse et John Drummer aux drums. On sent le beat in progress.

Si on de la chance, on peut encore trouver une copie de Mind Trouble, un double album paru en 1986 et enregistré à Amsterdam, avec pas mal de musiciens blancs. Pour Eddie, c’est cool as fuck, Amsterdam est une ville où on se sent bien. Il n’a rien perdu de sa belle aisance guitaristique et le seul reproche qu’on pourrait faire à ce disque serait son manque d’originalité. Eddie C. Campbell n’est plus cet homme des bois qui nous fit tant baver. Ça se réveille un peu en B avec «Life Is Like A Game», un heavy blues bien gluant d’harmonica - Life is like a game/ And is sharp like a razor - C’est digne des grandes heures d’Elmore James - You got dangles in your eyes/ And I’m sorry I ain’t the same - Il revient plus loin avec un autre heavy blues à la Elmore James, «Vibrations In The Air». C’est sa came. Attention, la C et la D se jouent en 45 tours. C’est là qu’on tombe sur une sacrée merveille, «Devil’s Walk», un groove jazzé par Tom Mad Jones. C’est de très haut niveau, assez anglais dans l’approche du son, my son. Cuivré de frais et ambiancier au possible. Puis avec «Loneliness And Me», il passe, grâce à l’approche délibérée des intrications, au slow blues hendrixien.

On trouve encore un joli coup de génie sur That’s When I Know paru en 1994 : «Been Thinkin’», un boogie primitif. C’est tout l’art d’Eddie. Il peut swinguer comme un bad black punk. Il invente l’empire du punk black avec le background de la pire sourdine de l’univers. C’est complètement démento à gogo. Voilà les bases du rock, baby, la souche du punk des blancs. Il faut l’entendre jouer de la guitare sur le cut d’ouverture, «Sister Taught Me Guitar». Il travaille à l’ongle sec. Eddie sait nous mettre l’oreille en éveil. Il crée un climat direct au blues d’attaque, le meilleur des blues, sur un beat remonté comme un ressort, ah quelle claque de classe épouvantable, c’est joué aux accords coincés et forcés, ces accords de mi-manche en mi-fonction. Ah la vache, il pince ses notes comme un sadique et ça dégouline de classe. Il tape plus loin dans le vieux boogie pour le morceau titre. Il revient aux notes claires entre deux couplets. Il est même un peu pop sur ce coup-là. Il réussit toutefois à virer voodoo. Il est dessus, toujours aussi inspiré. Ce mec a vraiment quelque chose de spécial. Il tape «You Make Me Feel All Right» au petit riff retardataire. Il fait son John Lee Hooker - I like the way you talk - Joli clin d’œil à Hooky. Il refait même son bad black punk. Il boucle cet album fatidique avec «Devil’s Talk», bien fouetté du beat. On retrouve sa puissance rythmique. C’est sa contribution au monde moderne. Il passe un solo impeccable. What a bluesman !

Sacré disque que cet Hopes And Dreams paru en l’an 2000. Il s’y niche des chefs-d’œuvre absolus. L’un est hypnotique, l’autre mélodique. «Geese In The Ninny Bow» relève du coup de génie, avec son stomp brisé au riff sec à la Jeff Beck. Incroyable ! - Geese is alrite hey hey - C’est bardé de coups de trompettes, explosé au funk. Quant à «You Worry Me», c’est un heavy blues de rêve, monté sur une bassline descendante qui tourne comme un requin autour du naufragé blessé à la jambe. On entend des coups de guitare inopinés et un piano en perdition. Eddie est un diable. On trouvera d’autres énormités sur cet album comme par exemple «Did I Hurt You» qui ouvre. C’est aussitôt un très gros son. On est habitué, oui mais quand même. Il exagère. Quelle brute ! Son boogie dégage les dents de devant. Eddie a un son de guitare lumineux et vif argent. Le morceau titre de l’album est un vieux coup de boogie down. Il tape dans le meilleur jus et fait ça au feeling pur. Quelle présence ! C’est bien gratté, sérieux, quasiment portugais, mais Eddie gratte ses notes avec la rage d’un punk. C’est atrocement bon, plein de son, secoué du cocotier. Plus loin, il passe au canard de beat avec «Cool Cool Mama», encore un boogie impitoyablement pulsé. Il faut voir avec quel courage Eddie entre dans le groove. Il attaque un solo comme on déclare une guerre, sans préavis. Et derrière, l’insolente rythmique pouette comme ce n’est pas permis. Et ça continue ainsi jusqu’au bout du bout. On voit rarement des attaques de boogie comme celle de «Spend». Eddie y éclate encore un solo à la réverb de clarté suprême. Il finit l’album avec «Cougar» et une intro énervé. C’est d’un chien qui dépasse toute la chienne de l’univers.

En 2009, Eddie débarque sur Delmark pour enregistrer un premier album, Tear This World Up. Il nous refait le plan habituel du premier cut en forme de boogie explosif. «Makin’ Popcorn» sonne comme le boogie ultime. Eddie démarre toujours en force, mais là il bat tous les records. Il sort là l’un des boogies les plus énergiques de l’histoire du boogie. Il rivalise de grandeur avec Jerry Boogie McCain et Lazy Lester. Eddie part en vrille, il gratte à la raclette avec un son de casserole et il se met à beugler comme une bête des bois. Autre merveille : «Easy Baby». On dirait qu’il joue son heavy blues au fond de la cave - Magic Sam was my best friend - Et il annonce qu’il aime bien jouer à son idée, it goes like this, easy babe ! Avec «Tie Your Love», il revient au boogie monstrueux et c’est avec «It’s So Easy» que tout explose. C’est claqué aux mains et joué au meilleur beat fantasmatique. Il y dans ce cut tout le ruckus du boogie. Eddie crée une vraie atmosphère sur un beat d’enfer. Il faut aussi écouter «Bluesman» qui est l’histoire de sa vie - I played with everyone from A to zzzzzzzzzzzzz, Muddy, Wolf, Percy Mayfield, Litlle Walter, Magic Sam, James Brown, Lowell Fulson, Memphis Slim, Paul Butterfield, Otis Rush, I mean everyone - From A to Zzzzzzzzzzzzzzzz !

Eddie a 72 ans quand il enregistre Spider Eating Preacher. Sa femme Barbara qui est aveugle joue de la basse et leur fils David joue un peu de violon. Il pose avec sa fameuse Jazzmaster pourpre. Attention, c’est un album FANTASTIQUE qui démarre (comme les autres) avec l’infernal boogie «I Do». Dès l’intro, Eddie et son orchestre déploient des trésors de vélocité. Quelle énergie ! Le bassman, le sax, tout frise la folie, le sur-dimensionnement de la démesure apoplectique, mais avec Eddie, on le sait depuis le départ, il faut s’attendre à tout, surtout à ça, au sur-dimensionnement de la démesure apoplectique. Il balance un solo d’entre-deux mers qui défonce la rondelle des annales. La fête continue avec le morceau titre de l’album - The devil in disguise ! - Eddie part en solo de réverb démento à gogo de dingoïde mongoloïde ! Plus personne n’ose joue comme ça aujourd’hui. C’est un fou ! T’as déjà vu un mec jouer comme ça ? Non ? Ben non ! Eddie cuit le boogie dans un jus de mélodie - Under my rocking chair - Il joue avec un entrain inconsidéré et revient à son fantôme de solo. Dans «Call Me Mama» Eddie fait son Wolf. Il puise dans le secret des dieux et pique des notes à la pétaudière. C’est épais et travaillé à la note éparse. Quelle ambiance infernale ! On tombe plus loin sur «Soup Bone», une pure exaction de heavy blues - I got a soup bone and I’m hungry - On peut lui faire confiance. S’ensuit «I Don’t Understand This Woman», il y fait le con, wow wow wow et il taille dans le marbre. Eddie est le roi du boogie, il partage sa couronne avec Hooky. Il fait le clown à la démesure du wow wow wow et s’appuie sur un effarant pounding. Il n’en finit plus de nous en boucher des coins car voilà «Boogmerang», toujours dans le haut vol et traversé par un solo d’orgue. Retour au r’n’b infernal avec «Skin Tight». Eddie est un bon, il peut rauncher comme Clarence Carter. Il revient au beat des enfers avec «My Friend (For Jim O’Neal)» et il fait du Bo, avec un son énorme et l’énergie maximale. Il se paye aussi le luxe d’un «Brownout» à la James Brown. En fait, cet album n’est que l’incessante démonstration de force d’Eddie le vainqueur, mais pas tant vainqueur que ça, car la grande faucheuse vient de lui charcler les deux pattes. Adieu Eddie et merci pour tous ces blasters de bad black punk.

Signé : Cazengler, l’Eddie qui bêle

Eddie C. Campbell. Disparu le 20 novembre 2018

Eddie C Campbell. King Of The Jungle. Mr. Blues 1977

Eddie C Campbell. Let’s Pick It. Black Magick Records 1984

Eddie C Campbell. The Baddest Cat On The Block. JSP Records 1985

Eddie C Campbell. Mind Trouble. Double Trouble Records 1986

Eddie C Campbell. That’s When I Know. Blind Pig Recordings 1994

Eddie C Campbell. Hopes And Dreams. Rooster Blues Records 2000

Eddie C Campbell. Tear This World Up. Delmark Records 2009

Eddie C Campbell. Spider Eating Preacher. Delmark Records 2012

 

Monsters Class - Part Two -

The Beat-Man Way

Tout l’art du Reverend Beat-Man consiste à mettre en scène sa fantaisie. Il joue du Trash Blues à 185%, mais il pourrait aussi danser le Gambuh balinais selon Eugenio Barba ou mimer ses rêves sur scène comme le fit Rufus à une époque au petit théâtre La Bruyère. Et comme tous les grands artistes de l’avant-garde théâtrale, le Révérend Beat-Man offre un spectacle complet en donnant tout simplement de sa personne. Il est LE spectacle, il est le cerveau du temps, le spectacle n’est qu’une simple représentation de sa vision. Il ne s’agit pas que de musique comme on serait tenté de le croire, l’art de Beat-Man va beaucoup plus loin. Sa passion des vieux objets de type Emmaüs renvoie forcément à Kantor. La scène devient un décor, une grosse valise noire datant de l’exode porte la mention 185% Trash Blues peinte en grosses lettres blanches. Il installe des petites lampes de chevet de bric et de broc au pied de son vieux bass-drum. Tout date, chez lui, comme s’il s’agissait d’ancrer véritablement les choses. Cette démarche n’a rien de prétentieux. Au contraire, elle renforce le sentiment du sacré, dès lors qu’on considère le spectacle de rock comme un rituel. Les exemples abondent : la fête païenne des Stooges au Zénith, ou encore ce parallèle qu’établit Tav Falco entre les Cramps et le Théâtre de la Cruauté selon Artaud - As envisioned by Antonin Artaud, the French dramaturgist, The Cramps were the apotheosis of a post-modern rockabilly band that embodied the Theather of Cruelty - Le bon Reverend Beat-Man se situe très exactement dans cette optique : redonner au rock son caractère sacré.

Avant de commencer à jouer, Beat-Man passe un colleret blanc sous son col de chemise. Et puis une Carmélite assez jeune vient poser son cul sur un tabouret à côté de lui. Elle sort tout droit de chez Clovis Trouille. Elle se cale derrière une caisse claire. Elle dispose aussi d’un petit clavier. Elle ne sourit pas. Elle pose sur la salle un regard d’une intense gravité. Ses lèvres peintes en noir accentuent considérablement l’austérité de son expression. Une sorte de religiosité de bas étage s’installe. Et lorsque le cantique baroque d’introduction s’achève, nos deux serviteurs de Dieu se mettent lourdement en branle. Ils singent la bible et créent l’enfer sur la terre ! La carmélite saute littéralement sur son tabouret et frappe comme une dingue, alors que Beat-Man gratte sa gratte comme un dératé. Il s’ébroue comme un poney apache, la bouche en cul de poule. En comparaison, l’Apocalypse selon Saint-Jean n’est plus que de la roupie de sansonnet.

Voilà en quoi consiste l’art théâtral de Beat-Man : il entre dans le sujet comme dans du beurre. Lui et Sœur Tape-Dur défoncent la rondelle des annales pour que passe la caravane du ramalama. Ils transforment le beat en montagne pelée pour que toussent les îles, ils knockent down the heaven’s door, ils serrent la vis de Clovis et lui Trouillent la bouille, ils battent tous les records d’excellence combinatoire. L’ignoble morve trash de Beat-Man qu’on connaît par cœur se mélange aux fièvres de Sœur Tape-Dur, ils montent ça en neige du Kilimandjaro, avec une sorte de perversité casuistique. Du coup, ils dématérialisent le concept du duo pour le recréer selon the Beat-Man Way. C’est un tour de passe-passe hallucinant. Beat-Man crée son monde à partir de rien, il part de triple zéro, comme lorsqu’il racontait l’histoire de son enfance au temps du Beat-Man Way. Voilà qu’il nous narre à présent sa saga. Il remonte loin dans le temps, très loin, plusieurs millions d’années en arrière, lorsqu’il arriva sur terre et qu’il vit se former les océans et qu’il vit pousser les arbres et qu’il vit des poissons sortir de l’eau pour devenir des bestioles qui allaient se redresser pour commencer à marcher, oui à marcher ! Mais tout cela n’était rien en comparaison de ce qui allait suivre, car il vit les bêtes commencer à s’entre-dévorer, et les choses allaient encore se détériorer avec l’apparition des hommes qui allaient rapidement se multiplier et qui allaient commencer à construire des maisons, yes build houses, de plus en plus de maisons, et qui allaient construire des villes, yes big towns ! Puis il vit des gens se foutre sur la gueule, killing each other ! Raping each other ! Stealing from each other, il n’en revenait pas de voir tout ce bordel, toute cette mauvaiseté, toute cette violence, il vit même des hommes en détrousser d’autres qui n’avaient presque rien, et comme si cela ne suffisait pas, il les vit détruire tout ce que possédaient les autres, yes they destroy everything the other has ! Il les vit violer des femmes dans les villages et les même les animaux ! Tout cela n’était plus qu’un endless hell fire, un enfer sur la terre, alors il craqua et décida de fuir cette planète de malheur et toute la décrépitude du genre humain ! I decided to fly away from this planet of hate ! Puis il est revenu en 2018 pour tenter de sauver le genre humain en implantant des puces dans tous les cerveaux, des milliards de puces - I’m in your brain ! - Et c’est tant mieux. Il vaut mieux être contrôlé par Beat-Man que par les mecs de Google.

Tout est là. The Beat-Man Way ! Il prêche sur scène pour enfoncer ses clous. Sœur Tape-Dur et Beat-Man réinventent complètement le concept du duo éculé par tant d’essais, des White Stipes aux Black Keys en passant par les Kills et les Kulls. En fait, ce n’est pas qu’ils le réinventent, ils le beat-manisent, c’est complètement autre chose. On imagine pas à quel point un duo peut devenir explosif, en tous les cas on ne l’aurait jamais imaginé sans Beat-Man et Sœur Tape-Dur. Pour éviter la surchauffe, ils sont même souvent contraints de revenir à des choses plus calmes. Dans la vie, il faut parfois essayer de calmer le jeu. Et chaque fois qu’ils relancent leur pilon des forges, Sœur Izobel saute sur son tabouret. Elle frappe à bras raccourcis, mais avec un objectif : suivre the Beat-Man Way. Bien sûr, on sait Beat-Man doué, mais on ne l’imaginait pas doué à ce point-là. But Beat-Man doesn’t give a FUCK !

On retrouve toute cette folie dans l’album qui vient ENFIN de paraître. Ça fait six mois qu’on est là comme des cons à l’attendre, depuis les concerts au Petit Bain en première partie des Oblivians et au Rush sur la presqu’île. Six mois, non seulement c’est inhumain, mais ce n’est pas sympa. Le prêche évangélique dans lequel Beat-Man couvre la terre de honte se trouve en fin de B et s’appelle «My Name Reverend Beat-Man». C’est un document hystérique capable de galvaniser des foules en manque d’insurrection. Ah si seulement Beat-Man pouvait passer dans les émissions de télé aux heures de grande écoute ! Il battrait tous les records d’audience, c’est évident. L’autre gros coup de Jarnac de cet album qui s’appelle Baile Bruja Muerto, c’est bien sûr l’effarant «Pero Te Amo» qui démarre dans l’exotica de basse extraction pour se transformer en stormer du désert. On y voit ce filou de Beat-Man entrer au but I love you et ça bascule dans le chaos éruptif, c’est même l’une des pires exactions dingoïdes qu’on ait vu ici bas depuis le temps de Peter Aaron et des Chrome Cranks. On voit Sœur Tape-Dur sauter sur son tabouret dans «Come Back Lord», just keep on walking/ Walking in the streets, pur jus de beatmania, stompé au one-banditisme - Just keep on walking/ keep on talking - Ils nous plongent dans les basses œuvres d’une fosse de vidange de rêve. Ces démons enchaînent avec un «I Never Told You» drivé à la purée de fuzz. Sœur Tape-Dur pose ses conditions - I can’t satisfy you baby - Et elle ajoute avec une moue extrêmement désagréable : «I won’t be thinking about you/ When I hit the road !» Oh la la, Beat-Man joue son solo sur une seule note. On a l’impression que l’immeuble va s’écrouler, tellement la terre tremble. Par contre, il se vautre un peu avec sa version du «Love Me Two Times» des Doors. Il tente le coup du heavy doom des catacombes, il tente de transcender la lizarderie et d’enfiler le mythe à la hussarde. Il ne fait que couler un bronze gras et tiède. Ce démon ne respecte rien. Il est vrai que Jimbo aurait adoré ça.

Signé : Cazengler, con comme une bite, man !

Reverend Beat-Man & Nicole Izobel Garcia. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 28 mai 2018

Reverend Beat-Man & Nicole Izobel Garcia. Baile Bruja Muerto. Voodoo Rhythm 2018

07 / 02 / 2019 – PARIS

BLACK STAR

RÂOULEX KING TRIO 

BILL CRANE

L'on avait choisi les filles de Shewolf pour ce soir, mais les louves ne sont pas entrées dans Paris, pas de panique - porte close comme bouton de rose sous la bise n'est pas mortelle tuberculose sur la banquise - ne pas confondre un rocker privé de concert avec le pacha du Titanic qui partit jouer aux saute-glaçons sans prévoir les canots de sauvetage pour les soirs de naufrage. Les regards se tournent vers moi, mais c'est dans la tourmente que l'on reconnaît les grands capitaines. Bien sûr que j'ai un plan B, j'en ai même deux, le premier ce sont les Boys Spunyques à Fontainebleau, mais vu l'heure et la distance voici un pari hors de Paris dont la victoire reste aléatoire, la deuxième solution B prime : Bill Crane à l'Etoile Noire du côté de la Bastille. C'est celle-ci qu'il faut prendre !

RÂOULEX KING TRIO

On arrive juste à temps pour le début de Râoulex King Trio, sûr qu'il y a une guitare qui sonne joliment country, l'est dans les mains d'Alexis Dupont, casquette et lunettes lui confèrent l'air de monsieur tout le monde, mais attention un personnage, le français au-dessus de la moyenne qui roule en solex et qui râle comme pas un. Une voix, un ton, qui attisent la sympathie. A sa gauche au fond de Lo, Azelo à la basse, et si j'osais José à la batterie. Formation réduite, mais tout terrain. A la manière de ces usines chinoises qui s'adaptent à la demande, le lundi vous fabriquent des casseroles, le mardi vous sortent des bicyclettes et le mercredi des feux d'artifice. Le King Trio c'est le couscous royal, mille épices différentes du curry ska au piment rock, et salmigondis de viandes doctement faisandées, fricassées de textes d'esprit apache et d'ironie faubourienne, hachis de hits tangentiels qui frisent le délire poétique, empruntés à Bashung, Thiéfaine, et Dutronc... Le Râoulex King Trio brinqueballe mais parvient toujours à bon port. Vous refilent de la bonne came en poudre d'or et de perlimpinpin, un subtil alliage qui mêle auto-dérision et rentre-dedans. Les titres défilent à la manière d'une manifestation festive aux banderoles colorées de paroles vertes et noires. Un peu de rouge saignant avec Sitting Bull. De temps en temps Alexis nous donne une régalade d'harmonica qui lui donne un faux air de Dylan, puisque en authentique adéquation avec lui-même. José nous offre un de ces petits soli de batterie comme l'en faisait dans les années soixante, pas trop long mais grondant à souhait. A Lo de le seconder pour ces rythmiques skaïques sautillantes, sur lesquelles la voix d'Alexis s'entremêle avec la vigueur d'une liane rampante qui passe d'arbre en arbre en se jouant des intervalles. Sur les deux morceaux, au débotté Patrice s'en vient adjoindre son saxophone, s'insère adroitement dans le tempo, comme chez lui, aussi à l'aise qu'un poisson rouge dans la Mer Rouge. Pas la foule des grands soirs pour cette soirée, mais un vif succès pour le Trio fortement encouragé par un quarteron d'admirateurs enthousiastes.

BILL CRANE

Changement de programme. Bill Crane n'a jamais résonné aussi fort. Jamais aussi new-yorkais, une espèce de garage avant-gardiste sans concession. Un ordre de bataille d'une efficacité extrême. Sur les côtés, deux ailes de cavalerie lourde. Pour les premiers morceaux Bobo aura un jeu de cymbales particulièrement bruitiste, clinque et clanque de partout, produit une espèce de métallifération sonore diffuse qui s'insinue et tintinnabulise l'atmosphère, un ensorcèlement incantatoire vaudouïque destiné à dézinguer votre stabilité mentale, vous coupe de vos repères sensoriels, vous désarçonne, loa de boa cataphractaire. Si Bobo a choisi de vous ensevelir dans un ouragan de sable désertifiant, Patrice adopte une tactique différente. Celle du sax oriflamme, du buccin de la victoire, s'est planté au milieu de la mêlée et n'en démordra pas, saxophone et sax assomme, incessantes cuivrées assénées et assassines. Patrice souffle sans interruption et sans fin, il faut espérer que le jour où l'engeance humaine disparaîtra il restera un ultime souffleur de cette espèce pour perpétuer au-travers l'espace intersidéral infini l'écho exacerbé de notre extinction dinosaurienne. Mais tout cela ne serait rien, s'il n'y avait entre les deux cadors les phalanges cordiques.

Eric et sa guitare, elle porte d'étranges tatouages, elle ressemble à une feuille de journal trop longtemps abandonnée dans une flaque d'eau sale. Les colonnes détrempées se sont déplacées et entremêlées, la lecture en est devenue floue. Alors Eric se charge d'énoncer le dernier message, ces mauvaises nouvelles d'un monde en perdition. Il brise les riffs, les triture, les désarticule, les rature, les torture, les transforme en d'innommables raclures censées envenimer les gerçures de vos âmes perdues. Mais c'est le rock qu'il est en train de tuer, arrêtez-le dans son geste impie et impitoyable ! N'en faites rien, laissez-faire, car s'il ne meurt, il sera incapable de renaître. Ne chante pas, il proclame et vaticine, sa voix est menace, à peine montée qu'elle sombre, à peine au fond qu'elle fond sur vous à la vitesse de l'exocet. Suit une ligne amélodique qui oscille entre imprécation et distanciation. Comprenne qui ne pourra pas. Entend qui ne pourrit pas. A ses côtés Gwen le silencieux. Souvent en attente, en alerte. Lorsque le bateau penche trop, c'est alors qu'il le soutient et le tire avec le filin de ces lignes de basse, remet à flots la barcasse à moitié échouée sur les récifs, déporte le courant pour qu'elle ne s'enquille pas définitivement sur les brisants acérés, contre les dents cariées de la mer. Gwen est le phare dans la tempête. Les trois autres crapahutent et tarabustent. Gwen construit la hutte de survie sur la bute de basalte noir que la montée des colères océaniennes n'engloutira pas.

Quelques titres, l'initial She's My Baby, la revendication primale et primaire du rock'n'roll, l'urgence sexique que rien ne comble, ni sa plénitude, ni sa finitude, Eric en éjacule les lyrics comme jus empoisonné de mangue entrouverte, Travelin' Man, l'errance de la solitude à la poursuite de sa propre fierté, Darkness un orage noir de gouffre aux senteurs de soufre, faut entendre Bobo, quitte les hauteurs stratégiques des cymbales pour le galop des toms, se prend au jeu, sa frappe devient puissance, orchestre fou, cataclysme qui ne sait s'arrêter, et de l'autre côté Patrice fait chorus avec lui, nous offrent un duel sax-tambour, deux taureaux furieux qui s'affrontent de toute la force de leur musculature, l'un qui souffle du feu par les naseaux et l'autre qui donne des coups de front à vous casser les bucranes. Danse sacrée des joutes néolithiques. A laquelle succèdera l'étrange ballet saxofaunique d'Eric et de Patrice, la guitare qui morsure tout azimut et le sax qui ouvre sa gueule maintenant de crocodile, et le caïman dément se métamorphose en félin géant à la crinière impérieuse. Parfois le rock électrique parvient à évoquer la brutalité innocente de ces outre-temps antédiluviens. Retourne à une sauvagerie enfouie et endormie depuis si longtemps dans nos zones d'ombres charnelles et nos abîmes mentaux que nous les avons oubliés, que nous nous croyons supérieurement civilisés alors que nous ne sommes que l'ombre squelettique de nos désirs émoussés. Alors il est bon qu'un groupe tel que Bill Crane vienne nous tirer des marécages de nos léthargies, nous réveiller de nous-mêmes, nous rappeler que nous sommes des mines d'or que nous avons laissées en déshérence... il se fait tard, un dernier rappel que Bobo culmine en un requiem fracassant, une onde de choc pyramidale. Cris et applaudissements fusent, des mains émues se tendent pour remercier. Passage et échange de l'énergie du rock'n'roll !

Damie Chad.

08 / 02 / 2019 – MONTREUIL

LA COMEDIA

MOTOR KIDS / FOLSOM

THE WEALTHY HOBOS

A peine pénétré dans la Comédia la truffe chaude de Whisky se pose sur ma jambe. C'est sa manière à lui de dire bonjour pendant que Personne, son maître, s'affaire à la sono. De toute la faune réunie ici, Whisky est vraisemblablement celui qui possède la meilleure ouïe, et peut-être entend-il des fréquences rock'n'roll inaudibles à nos misérables esgourdes. N'a que quatre pattes, mais peut-être est-il plus savant que nous tous réunis. Anubis stellaire.

MOTOR KIDS

Pas vraiment des kids mais très loin du troisième âge. Coupe afro à la Hendrix ou à la Clapton version Cream pour Kejji à la basse et Alim Elbouki à la lead. Un premier morceau qui me fige la raison et me laisse mi-figue mi raisin, pas de direction évidente, impossible de dire à quoi ils veulent en venir. Hurlement de Léo Flank à la batterie, à vous fouetter les sangs de tout rocker jusqu'à lors indécis - disons-le à la manière des sceptiques grecs qui suspendaient prudemment leur jugement avant de porter un jugement définitif – nom de Zeus, voilà que ça se met à trotter allègrement, se sont apparemment réchauffés les doigts et décidé à mettre le turbo à la turbine. Toutefois faudra attendre le troisième morceau pour piger vers quel objectif lune ils ont jeté leur dévolu. Jusque là, Alim Elbouki avait caché son jeu de guitare. S'était contenté de ronronner collé à la rythmique comme le chaton au ventre de sa mère. Premier envol, et ils ne sont pas prêts à tourner rond, misérablement en orbite stationnaire autour du plancher des vaches sages. Un seul mot d'ordre, vers le plus haut du haut. Autant de morceaux, autant de montées souveraines, en de longs soli en partance pour les étoiles. L'est suivi comme une ombre par Kejji, fidèle écuyer qui suit son chevalier du zodiaque dans les altitudes les plus vertigineuses, les espaces les plus raréfiés. Sûr qu'Alim a écouté Hendrix, pas expressément celui de l'Expérience, celui de la dernière période, ne compresse pas les notes, les étire, les épure, rappelle un peu la fluidité des Allman, en davantage détaché de la terre du blues, plus près des poussières cosmiques. Le berger du ciel rassemble la foule autour de la scène, tout le monde est d'accord pour suivre ce vaisseau qui fonce dans la viduité intergalactique.

Nos trois gaminos motorisés au properpol se partagent le chant, plus rauque pour Léo, plus souple pour Kejji, plus éthéré pour Alim. Parfois l'on passe des zones de turbulence, d'énormes forces invisibles rejettent l'engin spatial vers le bas, il a touché à quelques plafonds de verre, quelques champs de gravitation infranchissables, mais non malgré ces agrégations d'orages de particules néfastes, il en ressort vainqueur, la guitare monte en vrille et transperce ces cuirasses de boucliers atomiques, alors Alim Elbouki nous allume et nous lime un bouquet de soli incandescents qui vous arrachent des gutturalités extatiques de satisfaction. On les aurait suivis encore durant quelques années-lumières, mais ils n'ont pas eu le temps de percer la coque de la temporalité universelle. L'heure c'est l'heure... la descente est rapide, juste au moment où se profilait la courbe d'un astre mystérieux sur lequel nous ne poserons pas le pied ce soir...

FOLSOM

Z'ont pris un nom pour dérouter les fans de rockabilly. Folsom, l'on se voyait déjà s'évader du pénitencier et rattraper le temps perdu en pillant une quinzaine de banques ou en attaquant le train qui transportait la paye des terrassiers de la mine de l'allemand perdu... Même en rock, il ne faut pas se fier aux étiquettes, nous nous sommes trompés de film, de bout en bout. Changement de décor et d'ambiance.

Léo Flank est resté aux drums. L'a le boulot le plus difficile. Ne le plaignez pas. Il aime ça. N'arrête pas une seconde. L'est la cheville ouvrière essentielle et articulatoire de la formation. Flank vous flanque le funk comme volées assourdissantes de tôles méthodiquement agitées. L'est incapable d'émettre un rythme quelconque sans avoir envie – en enfant surdoué et sardonique – de casser illico la loco de son beat. Frappe sèche et a-rythmique. Le gars qui vous abat un arbre à chaque coup mais en biseau picassien. Professe une aversion pathologique pour tout ce qui est droit et régulier. Déteste les chemins les plus courts, n'aime que les lignes brisées, réussit à vous tracer des zig-zags sonores de traviole qui vous entrent dans l'oreille droite et ressortent par le pied gauche. Vous prend le cerveau à contre-sens.

N'est pas le seul de la bande, l'a réuni des garnements de sa trempe. Florian ne joue pas de la guitare. Il pointille, il abrutille, il contrapuncte, il contrafunke, il enfonce des pitons dans le dos des antilopes riffiques, les pauvres bêtes ne peuvent plus courir, agitent leurs membres brisés spasmodiquement, s'affalent et tombent lourdement, l'est férocement secondé par Théo Defranaix, s'est spécialisé dans les défenestrations mutilantes, l'a la basse qui klaxonne pour vous conseiller sagement de rester sur le bord de la route et poum, un trucker balourd s'en vient vous écraser, juste pour vous apprendre à mourir.

J'ai toujours pensé que malgré l'amour que je porte à James Brown que le funk n'est pas franc, que le groove peut devenir grave énervant au possible. En cela il n'est pas si éloigné qu'il y paraît du jazz. En moins intello, en plus prolo. Là où le jazz suggère, le funk fonce. En plus l'Histoire nous a appris que c'est un art qui dégénère facilement en musique de boite discoïdale.

Dès qu'ils ont commencé à jouer, j'ai pensé, attention danger, chaussée glissante. Oui mais Folsom dans leur genre ils sont gâtés. Et pas petitement. Z'ont un as qui pique dur et fort, pas du tout caché dans leur manche. Peter Gattet, n'est pas comme ses collègues. L'a résisté à la tentation de prendre un instrument et de le transformer en percussion. Rien entre les mains. Des cordes d'airain dans le gosier. L'a la voix qui envoie. Grasse et collante, un corps de boa brûlant qui s'enroule autour de vous et vous enlace dans ces anneaux écailleux. Vous porte à ébullition au creux d'une cocotte minute explosive. Qui n'explose pas, c'est là le secret du funk, mais qui vous secoue salement, vous remue-ménage dans tous les sens, vous transporte dans ces manèges forains qui simulent le décollage d'une navette spatiale, sans que jamais vous n'atteigniez les étoiles, mais quel plaisir de sentir ses os s'entrechoquer. Le public s'envole dans un ersatz de pogo punk, une pantomime grotesque qui n'est pas sans esthétique d'ailleurs, une danse de pantins maladroits et énamourés qui s'approchent sans se se toucher, qui s'invitent en s'évitant, qui dessinent de leurs bras hécatonchiriens les silhouettes des partenaires de cette ronde mimétique.

Folsom n'a aucune honte – et ils ont raison – Peter se lance dès le deuxième titre dans un hachis rappique destructeur dans lequel il excelle. Vers la fin il nous assènera un disc(o)-funk, en ses débuts martelé comme un lancer de marteau, mais en sa deuxième moitié, filant droit devant, tel une éjaculation de javelot. Le set s'est déroulé entre les deux extrémités de ce spectre fatal, abordera toutes les couleurs d'un heavy groove funky, calotté à fond de caisses embarquées sur un porte-containers salement engoncé dans une tempête de force 9.

THE WEALTHY HOBOS

The last, but not the least. Enfin du rock. Qui brûle et renaît de ses cendres automatiquement à la manière du fabuleux phénix. Slim Terrorizer a ceint ses longs cheveux noirs d'un turban apache. L'est assis devant son kit drumique tel un guerrier de Geronimo qui prépare sa monture pour un raid meurtrier sur un village mexicain. N'a pas un vocabulaire limité mais il ne connaît pas le mot pitié. L'est né pour terroriser le monde et ce dernier ne moufte pas, n'a aucune envie d'attirer l'attention sur lui. C'est que Slim possède une frappe à deux coups. Un premier à la manière des batteurs chevronnés, galonnés et médaillés, le coup indubitable qui fait poum, qui tombe comme l'œuf de l'autruche, et au revoir les amis, je passe au suivant. Non ce genre de simplicité ne lui suffit pas. Vous file un surplus, un deuxième qui suit le premier comme l'ombre le soleil, de si près qu'il semble un écho renvoyé par les murs d'un canyon, au début, ce coup fantôme, ce coup zombie, vous surprend, lorsque vous recevez une balle dans le corps qui vous traverse le poumon, d'abord vous entendez le cri de souffrance que vous ne manquez pas de pousser et tout de suite après la détonation vous parvient – si vous êtes encore en vie – aux oreilles – un coup, deux bruits – est-ce un contre-coup envoyé en douce par la grosse caisse, je ne sais pas, ce qui est certain c'est que très vite vous croyez être au centre d'une chambre d'échos, et – j'ai oublié de le préciser, les Wealthy Hobos ignorent totalement le mot lenteur. Sont pressés de vivre.

Cette double percussion propulsive, ce n'est pas rien, mais ce n'est pas tout. Les Wealthy, jamais quitte, toujours double. Sacha B adopte la même tactique de la terre brûlée deux fois. Mais au chant. Un peu plus difficile peut-être. Un lointain souvenir de la réverbération Sun, je ne sais. Ce qui est sûr c'est qu'il possède une étrange technique, une corde vocale tendue comme d'un arc qui vous envoie la flèche mortelle, et une deuxième résonnante comme celle d'une lyre qui raquelle le requiem funèbre de votre entrée au paradis des braves. Cette seconde onde sonore semble plus amortie, le claquement bref d'une torpille-ventouse qui s'en vient se fixer sous la ligne de flottaison de la coque d'un tanker empli de pétrole. Pour la mise à feu, vous n'attendez pas des heures, quasi illico presto. Un titre comme Bloom, ça fait boum à la puissance mille, ça vous déplume la superstructure en moins de deux secondes, et Clutch enclenche et réveille en vous le réflexe pavlovien, fatal et passionnel, de votre appétence pour le goût immodéré de la destruction-rock.

Les premières rafales de ce quatuor sont tellement ouraganiennes qu'au début l'assistance reste un peu en retrait. Le rock serait-il une musique dangereuse ? Oui bien sûr, c'est-là sa vocation, et bientôt le public de la Comedia en proie à une brutale remémoration platonicienne se souvient que c'est pour cet appel de la forêt sauvage, ce call of the wild, qu'il est friand de ces esclandres soniques, il se livre alors à un tohu-bohu barbare et pogoïque du meilleur effet.

Leo B joue le lion solitaire. Non, il ne boude pas son plaisir. Vous griffe les oreilles, vous arrache la gueule de ces soli déjantés. S'échappent de sa guitare comme horde de vikings en rut. Toutefois rien de désordonné dans ces assauts redoutables. Agit en vrai stratège. Trouve le passage de la dérive entrevue au nord, entre la double flotte d'icebergs s'entrechoquant que sont les émissions échoïfiés de Sacha et de Slim, sa guitare serpente et se glisse en traits de feu entre ces castagnettes diaboliques, se joue de la difficulté, mais finit par sortir de ces pièges redoutables, et alors elle éclate en clameur d'épouvante.

Que serait le rock sans blues ? Inutile de barjoter à chercher la réponse. Sacha vous l'apporte, quand il ne chante pas, quand il ne soutient pas sa voix de ses riffs, il se saisit de son harmonica, prend soin de ne pas retomber dans les pesanteurs embourbées de la lancinante rythmique deltaïque, bye-bye les bayous et les alligators qui s'accrochent à vos jambes, en use et en carbure pour accélérer le mouvement, car à quoi bon ajouter un moteur d'appoint si ce n'est pour brûler les étapes et faire en sorte que l'ascenseur troue le toit de l'immeuble et vous propulse au septième ciel infernal.

Nash Goldfinger – he loves bass, only bass – n'est pas en reste. N'est pas venu pour regarder pousser la bruyère sur sa tombe. L'a fort à faire. The Wealthy Hobos est bâti comme ces cuirassés à double tourelles de tir. Bosse selon deux angles d'attaque. Soutient dans le même temps la batterie de Slim et la guitare de Sacha, triangulation acrobatique, dédoublement à engendrer un vacillement d'identité, à vous perdre hors de vous-même, à vous engouffrer dans un voyage en astral sans retour, mais garde son sang-froid, l'est comme l'aiguille de la boussole folle qui retrouve toujours l'étoile polaire dans sa ligne de mire. Nash bass cash. Si Sacha porte si haut le flamboiement de sa voix c'est que Nash vous tisse, au plus près de ces altitudes, l'exhaustif filet de ces lignes de basse coulées d'or.

Nos hobos sont riches. Répandent le rock'n'roll dispendieusement, à la manière de Zeus se métamorphosant en cette pluie d'or qui s'engouffra dans le sexe de Danaé afin d'engendrer les épopées pré-homériques et l'émerveillement des simples mortels. Mais le plus beau de la soirée, ce fut sans doute cette expression de contentement sur leur visage lorsqu'ils ont quitté la scène. Nous étions certains qu'il savaient qu'ils avaient rallumé le flambeau du rock'n'roll dans nos âmes inassouvies.

Damie Chad.

PARIS IS BURNING

( 2018 / Paris is burning )

La photo de couve ne laisse planer aucun doute sur le message molotov de ces groupes. Motor City Is Burning du MC 5 n'en finit pas d'irradier les révoltes populaires. Comme quoi une étincelle rock peut mettre le feu à toute la plaine. C'est que quand la coupe est pleine, elle se transforme en cratère volcanique. Les manifestations contre la loi Travail en 2017, et les rassemblements des Gilets Jaunes en 2018, s'inscrivent dans ces feux d'artifice dont la France, qui peut s'en enorgueillir à juste titre, est coutumière. Dans un souci constant d'amélioration de notre balance des paiements nous souhaitons qu'elles deviennent notre marchandise d'exportation la plus prisée dans notre monde mis en coupe réglée par les banques, les entreprises, les élites libérales et les Etats de moins en moins protecteurs, de plus en plus policiers. Tous unis et tous coupables dans cet accaparement des richesses et dans cette spoliation sans fin dont les dépossédés sont les principales victimes. En attendant leur anéantissements, voici quelques vingt cris de haine, de révolte et d'accusation proférés par dix groupes de rock en surchauffe. Ce Paris Is Burning est l'expression de ce feu qui couve.

Les numéros correspondent à l'ordre de succession sur le CD.

BREAKOUT : from Paris : punk as fuck, since 2013 ( ? ).

1 : No master race : giclée de sons, dégoulinades de guitares, la batterie embraye, et c'est parti pour un cri de haine contre la haine bête. Un titre qui gronde comme une bête blessée et d'autant plus dangereuse. Ne plus se laisser faire. Riposter. 18 : Spitting : montée en puissance, un vocal dévastateur et un background rouleau-compresseur à qui rien ne résiste. Parfois le morceau ralentit comme un fleuve qui se calme pour mieux accumuler la force du courant. Finit par briser toutes les digues.

ROCK'N'BONES : from Ile de France, riot punk, since 2005.

2 : Marching dead : les morts marchent sans fin, un torrent de putréfaction hante les rues, les guitares dévalent le pavé et grondent de colère. Machine mortelle. Ne s'arrête jamais. 15 : Antifa rockers : marche militante au pas de course. Invincible et fiers d'être ce qu'ils sont. Z'auraient pu l'agrémenter de whahou ! féroces et menaçant, juste pour la couleur locale et la douleur policière.

LOUIS LINGG & THE BOMBS : from Paris, punk rock, anarchism, revolution, annoying people, since 2006.

3 : Grindstone : capharnaüm de bruits flottants, une voix féminine surnage et mène le train. Maintenant sont une chiée plus une à épandre le bordel dans le monde entier. La bonde excrémentielle est lâchée. Rien ne sera plus comme avant. Optimisme forcené. 13 : Rave and steal : une espèce de dessin animé musical dévoyé. La dépouille et la débrouille, l'on peut toujours s'en sortir, suffit de courir plus vite que le vieux monde. Une musique qui sortait autrefois des transistors. Méfiez-vous les temps changent plus vite que vous.

KIDZ CET DOWN : from Paris, punk parifornien, since 2015.

4 : Sweat, farn, buy and die : un flot de colère condamnifère qui emporte tout. Nul trou de souris où se cacher. Les guitares dévalent la chaussée du destin. Le band a décidé d'écraser tous vos espoirs. Une voix d'outre-tombe et un salmigondis de guitares sans pitié. Le pire est à venir. Un des meilleurs titres de la compil. 17 : Enjoy it all : porte bien son titre, une voix sympathique qui s'adresse à vous, une invitation festive, très différent du morceau précédent. Surprenant.

THE MERCENARIES : from Paris, punk, since 2014.

5 : Night Call : presque joyeux, rythme entraînant qui s'amuse à casser les trois pattes d'un canard. La cruauté de l'ironie ne connaît pas de limites. Intermèdes sautillants mais les voix vous rappellent que votre devoir de révolte vous appelle. Sortez de vous-mêmes ! Dansez jusqu'au bout de la nuit. Lumineux et ingénieux. 16 : Rocky Road : des voix qui claquent et l'on est embarqué dans une espèce de comptine punk, un orgue s'amuse à bousculer les ellipses temporelles, tout le monde reprend en chœur brisé.

UNION JACK : from Paris, punk rock, since 1997.

6 : Blackout : Une voix qui festonne par-dessus une purée de sons indescriptibles. A toute vitesse. L'on dirait que la batterie vous tire la langue très fort. L'impertinence du désespoir. Et puis chacun s'exprime bien loud and lourd et toutes ces vitupérations sont nids de vipères heureuses de posséder leur venin mortel. 20 : The Glore : un dernier pour la route et la gloire des causes perdues qui triompheront toujours. Voix goguenardes, musiques sautillantes. Attention sous la plage les pavés ne demandent qu'à voler comme merles moqueurs au temps des cerises mûres.

HUMAN DOG FOOD : from Mantes-la-Jolie, punk, since 2005.

7 : Nothing has changed : urgence, il serait temps de perdre ses illusions et d'envoyer tout balader, la comédie a trop duré, l'on aimerait tant qu'elle tourne enfin au drame sanglant. Briser le cercueil des jours immobiles, tel est le mot d'ordre. 11 : Sometimes : encore plus fort, encore plus violent, encore plus rapide, plus de temps à perdre, la batterie reprend souffle et les guitares vous tombent dessus comme pluie de pavés sur les CRS. Il est temps de mettre le feu. Sirènes clignotantes dans le lointain arriveront trop tard.

HARASSMENT : From Paris, weirdo punk for hipsters making business, since 2015.

8 : Just don't : Une corde de pendu qui se balance dans un cliquètement de cymbales, des guitares musicales par dessous et une voix comminatoire qui précipite le hachis final. Malgré les éructations vocales, le morceau possède un fort avant et arrière-goût instrumental. Superbe orchestration. 14 : Concrete walk : voix caverneuse qui s'enfonce au milieu de la terre. Des éclats métalliques de guitares éparpillées et un galop de batterie qui fonce la tête la première contre les murs. Une immense cavalcade défile sous vos yeux ébahis.

ALL THIS MESS : from Paris, playing a loud blaring punk rock, since 2015.

9 : Screen head : brouillard dans votre tête, l'est occupée par des ondes étrangères qui la colonisent, une voix féminine bat le rappel de vos neurones, la batterie claque comme une marche guerrière, délivrez-vous, Suivez la grande prêtresse, elle vous emmènera où elle veut. Et vous serez heureux. Un must. Au-dessus du lot. 19 : The way they go : Alicia bien sûr, qui chevauche une rythmique de fous furieux. Chevauchez le tigre, le serpent et l'éléphant, c'est ainsi que vous vous accomplirez. Les autres laissez-les, vous n'en avez plus besoin. Démentiel.

STATELESS : from Mantes-la-Jolie, street punk, hard punk, since 2015.

10 : 1986 : Une voix de rage qui déferle , des tumulus de stimuli de guitares s'effondrent sous les butées rageuse d'une batterie infatigable. Rien à perdre. L'on pense à certaines pages de Moravagine de Cendrars. 12 : Pollution : un flot d'ordures vous submerge. La voix surnage parmi les débris. Vous avertit que bientôt il sera trop tard. Elle s'étrangle de haine. Ce qui vous attend est déjà là. Tant pis pour vous.

 

Un CD qui n'a pas été primé aux Césars de la Musique. L'on se demande pourquoi. A croire que le monde est injuste. Mériterait tout de même le sticker Parental Advisory Explicits Content. Mais que fait la police ?

Damie Chad.

 

 

21/11/2018

KR'TNT ! 394 : ENDLESS BOOGIE / LITTLE BARRIE / BILL CRANE / NO HIT MAKERS / CARLA BLEY / ROCKAMBOLESQUES ( 8 )

 KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 394

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

22 / 11 / 2018

 ENDLESS BOOGIE / LITTLE BARRIE

BILL CRANE / NO HIT MAKERS / CARLA BLEY

ROCKAMBOLESQUES ( 8 )

TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

On ne tient pas les Endless Boogie en laisse - Part Three

Visiblement, Paul Major et son Endless Boogie ne font pas l’unanimité, chez les festivaliers binicais. Certains leur volaient même dans les plumes, ici et là. C’est vrai que ces New-Yorkais échappent un peu aux normes. Quatre morceaux en une heure, c’est d’un rapport qualité/prix qu’on pourrait qualifier de mauvais, si le concert n’était pas gratuit. Mais si on réfléchit une minute, le vrai problème qui se pose est de savoir si l’endless boogie peut se saucissonner en chapelets de deux minutes. Pas évident ! Même John Lee Hooker qu’on disait expert en la matière ne savait pas le faire. Par définition, l’endless boogie ne devrait jamais s’arrêter et quand Paul Major décide de couper court pour respecter les conventions de Genève, on sent bien qu’il le fait à contre-cœur, car c’est un non-sens. On pourrait même aller jusqu’à le soupçonner d’avoir reçu un pot de vin pour accepter de jouer quatre morceaux en une heure, au lieu d’un seul morceau en trois heures. Au pays de Descartes, la notion d’endless boogie ne correspond à rien de connu. L’endless boogie n’est ni référencé aux Arts & Métiers, ni considéré comme étalonnable par l’ISO, l’Organisation Internationale de Normalisation. Encore moins susceptible d’entrer dans un programme de recherche à des fins normatives, car il faudrait alors doper les cervelles des chercheurs, comme on dope celles des cyclistes professionnels. Examiner l’endless boogie de bout en bout équivaudrait en gros à grimper un col des Alpes en échappée solitaire. On mesure d’ici l’effort à fournir. Et les conséquences judiciaires en cas de contrôle médical. Risque auquel se plaît à échapper Paul Major, car vu qu’on fout la paix à son endless boogie, il peut s’allumer la lanterne à l’acide en toute impunité. C’est ce qui fait sa grandeur. Paul Major est l’acid-Fantomas, le shaman psychédélique par excellence, la résurrection de l’acid-freak mythique des seventies, le prince du blow out patenté. La seule chose qu’on pourrait lui reprocher serait de ne pas partager. Il part en voyage avant même d’avoir lancé son endless boogie, et il faut en moyenne une demi-heure à trois-quarts d’heure au festivalier à jeûn pour commencer à tripper, d’où sa colère légitime. C’est comme une poule qui prend son pied sans vous. Ce décalage est extrêmement désagréable. Contraire au principe d’harmonie universelle et aux règles intrinsèques du romantisme. Si Paul Major se doutait des conséquences de sa passion pour l’endless boogie, ça le rendrait immanquablement triste, car de toute évidence, il prêche pour la concorde psychédélique. Sa naïveté frise le génie. Il fait un peu penser à Gandhi qui aimait tellement les hommes qu’à aucun moment il n’aurait imaginé qu’on allait lui tirer dessus à bout portant. D’aucuns diront que la naïveté fait bon ménage avec l’irresponsabilité et qu’un coup de dés jamais n’abolira le hasard, mais ce n’est pas une raison pour condamner l’endless boogie, l’une des dernières valeurs refuges des temps modernes, l’endless boogie refuse les notions de croissance et de rentabilité, de respectabilité et d’autorité, l’endless boogie adresse des pieds de nez au Monde Diplomatique et à toutes les petites menaces que nous cuisinent quotidiennement nos chers médias, l’endless boogie s’amuse bien dans son bac à sable pendant que les autres essaient désespérément de trouver du sens à la vie dans des réseaux sociaux, l’endless boogie prend son temps quand d’autres vont pointer pour des clopinettes, la chevelure de Paul Major flotte dans le vent breton comme l’étendard d’une Table Ronde contente d’avoir trouvé son Graal, l’endless boogie, précisément. Plus besoin d’aller errer au-delà des frontières du Nord, plus besoin d’aller affronter le chevalier noir au pont du Bec Hélouin, on joue l’accord et Paul Major part en vrille, au propre comme au figuré, tissant sur le manche de sa Les Paul d’infinies variations névralgiques, histoire de tonifier l’endless boogie et de le voir prendre son envol dans l’éclat subsonique d’un crépuscule des dieux.

Inespéré, Paul Major et ses amis font halte en Normandie pour distribuer une fois encore les mannes de leur endlessy endless boogie so far out. Ce qui frappe le plus dans leur attitude, c’est bien leur absence totale de frime. Ils se branchent, s’accordent et jouent. Et Paul Major attaque avec cette histoire mirobolante de Kiss on stage at the kite festival, un concours de cerfs-volants doublé d’un festival pop auquel il se rendit avec ses amis en 1974 à Saint-Louis pour voir a new band called Kiss. On aurait tendance à croire que le far out ne concerne que la musique de Paul Major, mais tous ceux qui ont lu son livre et ses notes de pochette savent que le far out concerne aussi les textes. Il manie les deux extrêmes stylistiques avec un brio stupéfiant, l’aphorisme comme la prose au long cours - I didn’t have kites of my own/ I didn’t want anybody ele’s kites either/ I wanted to see Kiss - Chez lui fond et forme ne font qu’un, il développe ses climats, y installe des images et gronde au coin du bois comme Captain Beefheart - I saw John Zorn put ice-cream into a trumpet/ But I saw Kiss at a kite contest - tout sonne irrémédiablement, tout indique que nous atteignons le maximum des possibilités du genre. Avec ce mec-là, nous ne sommes plus dans l’approximatif, nous sommes dans ce qu’il faut bien appeler l’impact orgasmique, celui que pratiquaient de leur vivant des gens comme Lou Reed, Captain Beefheart ou Mick Farren. En d’autres termes, il s’agit d’un art bâti sur l’expérience d’une vie de transgression, où dope et culture musicale jouent le rôle principal - We make our way up to the stage/ Right up front and the acid’s kicking in - Paul Major nous invite à partager des moments ordinaires qu’il transforme en moments d’exception. Et si vous voulez savoir si les gens de Kiss avaient des cerfs-volants, il saura vite vous rassurer, car non, Kiss did not bring their own kites/ They were kiteless/ Carefree/ It was either spring or fall/ Kiteless - Kiteless at a kite festival, ça résume bien Kiss. Était-ce le printemps ou l’automne, en tous les cas, ils n’avaient pas de cerfs-volants. Par contre des mecs qui étudiaient le théâtre au collège s’étaient rasé les sourcils because of David Bowie et Paul Major fut blessé : en se retournant pour observer attentivement les langues dans les bouches des gens, il reçut une bouteille en pleine poire. Comme à Binic, le set se déroule paisiblement, au rythme de quatre cuts à l’heure, en de lentes montées de libre arbitre patiemment élaborées et émaillées de violentes poussées de fièvre, moments tellement intenses qu’on croit entendre des chœurs alors que personne ne chante. Comme John Lee Hooker avant eux, les New-Yorkais travaillent la matière du climax et montent leur rock en neiges du Kilimanjaro. Chacun sait qu’il faut laisser du temps au temps pour gagner l’état de transe. Par certains côtés, le Dropout Boogie de Paul Major rejoint le Babaluma de Can ou la Ray du cul du Velvet. «I couldn’t hit sideways» et «I saw Kiss at a Kite festival» même combat. Prodigieuse extension du domaine de la lutte intestine. Toute la problématique du rock scénique se situe là, très précisément : comment sort-on de l’ordinaire ? Comment marque-t-on les imaginaires au fer rouge ?

Paul Major vient de faire paraître Feel The Music Vol. 1, une compile de cuts qu’il aime bien, tirés d’albums inconnus au bataillon et souvent d’une qualité acid-folk stupéfiante, à commencer par «The Travesty Of My Life» de Tim Lonergan & Buddy Kelly, cut qu’on dirait hanté par le vent des plaines - Nearly all human beings endure certains moments of bleak clarity leading them to believe their entire existence is a hopeless disaster (presque tous les êtres humains connaissent des moments de lucidité qui leur font croire que leur vie entière est un désastre) - C’est bien le son de la désespérance - Few have captured it - Bravo Paul Major ! C’est une énormité jouée au psyché de cabane en bois. L’autre grosse bombe de l’album s’appelle «Let It All Hang Out» par The Yays & Nays. Absolument dément ! C’mon fevah ! Ils grattent ça à la folie pure. Explosif ! Chanté au gras du menton, on a là une vraie sensation de génie sonique en gestation. Cette musicalité frise la folie. Paul Major enchaîne ça avec «Ruby» de Merkin - Impossibly rare LP. Music From Merkin Manor, the sort of house where you can’t quite tell if strange things are really happening or it’s just your mind playing tricks on you (Le genre de maison où des phénomènes étranges se produisent. Vous ne savez pas s’ils se produisent réellement ou si c’est votre cerveau qui vous joue des tours) - Joli shoot de rumble psyché chanté à deux voix. Ahhh Ruby Ruby Ruby, c’est à la fois soft et musculeux, chargé de son comme une mule, bien troussé du beat, avec un départ en solo claironnant. Voilà encore un grand rock US complètement inconnu au bataillon. On peut dire la même chose du «Run» de Ray Harlowe & Gyp Fox, une ballade rongée par la fuzz. Tout est fascinant sur cette compile et ça continue avec «Behold» de Justyn Rees - Death is mere illusion and Justyn has the ethereal psychedelic sound to make a believer out of you. Works quite well while you are still alive (la mort est une pure illusion et grâce à son pouvoir psychédélique, Justyn peut vous en convaincre. Ça marche mieux si vous êtes vivant) - C’est une sorte de psychedelia définitive, une horreur lysergique. On la suivrait jusqu’en enfer. Ce cut dégage un fort parfum de mort psychédélique. Les notes de Paul Major sont une aubaine pour l’intellect en manque d’aubaines. Elles sonnent comme des aphorismes. Pour le «Passages» de Sebastian, il écrit : «When 10 000 weeds are smiling and talking to you, the acid has definitely kicked in.» (Quand 10 000 brins d’herbe vous sourient et commencent à vous parler, ça veut dire que l’acide commence à faire son effet). Paul Major présente Sebastian comme the Canadian king of dried hair psychedelia. Avec le «Saturday Thought» de Bob Edmund, Paul Major recommande d’appeler de l’aide, une aide qui n’arrivera jamais because your system only exist in the past or future, not now. Paul Major s’exprime dans une langue prophétique. Le garage psyché de Bob Edmund vaut largement celui de Byrds, no no no no ! Par contre, Jerry Solomon se prend pour Donovan avec un «Denied» qui sonne comme «Hurdy Gurdy Man». Spécial et spectral. Chanté au trembling électronique. On note l’extraordinaire portée de Dave Porter et de son «Where Do Clouds Go» - Asking the question in such a melancholy world weary way that the question becomes the answer (Dans un monde aussi mélancolique que le notre, on aurait tendance à penser que la réponse est dans la question). Paul Major se demande qui est la mystérieuse fille qui chante avec Marcus dans «Captain Zolla Queen». Et il termine cette émouvante compile avec un autre empereur assyrien, Darius et son «I Feel The Need To Carry On», absolument dégoulinant de psychédélia verdâtre. Ode à la morve.

Signé : Cazengler, endless raboogri

Endless Boogie. Binic Folk Blues Festival (22). 29 juillet 2018

Endless Boogie. Le 106. Rouen (76). 3 novembre 2018

Paul Major. Feel The Music Vol. 1. Anthology Recordings 2017

Il est cinq heures, Barrie s’éveille

Il s’appelle Barrie Cadogan et rêve de freakbeat. Alors il fait Little Barrie. Dans Shindig, il dit à Paul Osborne qu’il essaye de faire something different avec les vieux sons qu’il adore. Il cite par exemple les Silver Apples et les weird sci-fi/electronic sounds. Il cite aussi Can qui avait un rock’n’roll gear et qui a trouvé un moyen de faire quelque chose de différent.

Little Barrie vient de sortir un nouvel album, Death Express. Barrie Cadogan y évoque des sujets aussi réjouissants que la surveillance policière («Copter»), la peur savamment entretenue par les médias («New Disease») et le vent de folie qui souffle actuellement sur le monde («Golden Age») - Things are definitively not good now - ajoute Barrie Cadogan. Little Barrie est en fait un trio dans lequel joue aussi le fils de Steve Howe, on devrait plutôt dire jouait, car il vient de mourir. Death Express est salué dans la presse anglaise par une sorte de buzz, mais ce n’est pas non plus l’album du siècle, pas d’affolement. Les compos sont parfois terriblement faibles, comme justement le «Copter» auquel Cadogan fait allusion dans l’article. Le groove de «Golden Age» et connu comme le loup blanc, puisqu’il s’agit de celui de «Little Johnny Jewel». Exactement le même. Little Barrie est un trio de groovers. Ils jouent pas mal de heavy-rock revanchard sans aucun intérêt. Par contre «You Can’t Stop Us» vaut le détour, c’est un vrai dévergondage, joué par vagues assez violentes et ultra-remué par la basse. Le bassman tient bien son rang. Il s’impose dans certains cuts comme «Count To Ten». Encore un cut intéressant, «Love Or Love», joué au maximum overdrive. Terrific, digne des Seeds et de tout les garages de banlieue. Ces trois-là sont des surdoués de la voltige, ils sonnent comme les Seeds, mais en plus musculeux. Cadogan sur-joue «Molotovcop» à la guitare, il claque ses notes à la Clapton sixties, on se croirait chez John Mayall, c’est un son qui ne trompe pas. Virgil Howe sur-joue lui aussi, mais il est vrai que dans un trio, il faut ce qu’il faut. Peut-être sont-ils trop doués, comme pouvait l’être la première mouture de Lizzy avec Eric Bell. Question guitare, Cadogan en connaît un rayon, comme on le voit avec «Produkt». Il vient toujours se positionner sur le spot du guitar hero. Il en a les moyens, il adore s’exprimer sur fonds bien syncopés, mais ça tourne au ridicule, sans doute à cause du jeu trop tarabiscoté de Virgil Howe. Par contre, «Ultraviolet Blues» redevient intéressant, avec le chant perdu dans le fond du studio. Mais Virgil Howe est beaucoup trop présent dans le mix. Il n’empêche que ce cut est bardé de son, c’est l’un des hauts faits des riches heures du duc de Barrie. Ça repart de plus belle avec le morceau titre et son brouet d’electro. La guitare sonne comme un synthé. C’est dire s’ils bouffent à tous les râteliers. L’album est long, vingt cuts, ça ne s’écoute pas en cinq minutes. On fatigue un peu. Heureusement, «Shoulders Up» réveille en sursaut, car c’est très hot et joué au gras double. Mais la section rythmique finit par agacer. Trop présente. Elle ruine un peu l’album par sa technicité.

Quand on lit l’article de Paul Osborne, on éprouve un immense respect pour ces journalistes qui parviennent à remplir une page avec rien. Ce pauvre Barrie Cadogan n’a hélas pas grand chose à raconter. Il faut donc se contenter des albums, Death Express étant le cinquième.

Le premier date de 2005 et s’appelle We Are Little Barrie. Avec la pochette rouge, ils tentent de renouer avec l’esprit des grandes pochettes rouges de l’histoire du rock, celles de Slade Alive et de Grand Funk. L’album est excellent et plutôt chaudement recommandé. Cadogan attaque «Free Salute» au heavy groove. Il sonne comme un mec qui cherche un son et qui le trouve, et qui en plus le farcit de tortillettes de notes claires. C’est ultra-convaincu d’avance. Il chante avec l’haleine puante d’une hyène. Quel merveilleux mélange de volonté d’en découdre et de son instinctif. Cadogan chante en demi-lune et claque de choses à la cantonade. C’est tellement bon que ça dépasse toutes les attentes. Il impressionne encore avec «Burned Out». Cadogan chante avec un petit ton bien perverti. Il est bon d’emblée. Il sonne bien. Avec le glouglou de la basse, on croirait entendre de la Soul. Il chante aussi «Greener Pastures» avec une petite insistance merveilleuse. Il est frénétique dans son pantalon, il shake son shook avec de la rémona, on se croirait presque à Muscle Shoals, mais en plus jazzy. Il joue de l’acou jazz comme un démon, du coup, on prend ce mec très au sérieux. Ces trois-là sont des surdoués, on le voit bien avec «Be The One». Il jouent le groove à l’anti-groove, ils ultra-jouent et installent une sacrée ambiance. On le voit aussi chanter «Well And Truly Done» d’une petite voix judicieuse et compressée. Cadogan invente un système. Il se mêle de Soul. Il claque des accords de white Soul et multiplie les incursions vénales, alors ça prend une tournure prodigieusement intéressante, ça vire white niggah, il fait ses yeah yeah yeah à la bonne franquette de black joint. Quelle belle énormité ! Encore du groove avec «Stone Throw». Cadogan renoue avec le feeling du vieux swinging London. Il se sent concerné par le London groove. C’est assez fascinant. On le voit revenir à l’esprit Savoy Brown/Ten Years After avec «Long Hair». On se croirait à Londres en 1967. C’est sa came, et c’est bien shaké du coconut, avec un solo d’intraveineuse. Comme c’est bien foutu ! Ce mec est fiable, et dans «Thinking On The Mind», il soigne son petit accent pervers à la Aubrey Beardsley et joue des notes claires comme l’eau du lac. Et puis il prend son temps avec «Move So Easy». Il adore les cuts de cinq minutes. Ça lui permet de s’exprimer. Il n’y va pas par quatre chemins. Le groove d’abord. Pour le reste, on verra. Une folle vient faire les chœurs. Elle n’est même pas créditée, mais ce n’est pas si grave. L’important c’est de participer.

Changement de registre avec Stand To Your Ground paru deux ans plus tard. Cet album est beaucoup moins intense que le premier, même si on retrouve ces parti-pris de beat sophistiqués et de groove salé et poivré. On a l’impression que Virgil Howe fait tout le boulot. Cadogan joue sec, lui aussi, mais pas autant que Virgil. Le point fort de l’album s’appelle «Cash In». Pas facile d’entrer dans cet album, ils tentent des choses, mais ça reste d’un conformisme beaucoup trop épais, même lorsque Cadogan chante à la glotte folle. «Cash In» sonne pourtant comme un hit. On se croirait sur le premier album des Ten Years After. C’est un son incroyablement anglais. On trouve aussi un beau degré d’intentionalité dans «Love You». Mais avec «Pin That Badge», ça tourne en rond. Ils s’engluent dans leur modèle groovytal et on finit par s’ennuyer comme des rats morts. «Green Eyed Fool» agace un peu, car c’est du garage convenu, chargé de son, c’est vrai, mais bon. On passe à travers. On sent bien qu’on se fait rouler. Encore du groove systématique avec «Just Wanna Play», et pourtant on a là un bassmatic inventif. Mais la viande fait cruellement défaut. Il faut tout de même reconnaître que Barrie Cadogan dispose d’un don particulier pour revenir à des formats anciens. Il est dans le son de 1968, avec un goût acéré pour la modernité commerciale. Il termine avec un «Pay To Join» assez solide. Mais le côté petit chant d’accent avarié ne passe pas. Ce mec et ses deux bras droits tentent toujours le tout pour le tout.

Belle pochette de Polaroids pour King Of The Waves. L’imagerie se veut très sixties, très soignée. Virgil Howe joue «How Come» au stomp, il faut voir comme c’est envoyé. Quelle belle énergie de groove anglais. On sent qu’ils sont là pour de vrai dès «Surf Hell». Les voilà de retour avec leurs petits bras et leurs idées de pacotille, mais que de ferveur ! Edwyn Collins les produit. «Does The Halo Rust» est beaucoup moins réjouissant. On ne gagne pas à tous les coups, mais le final peut hanter un château d’Écosse. Avec «Precious Pressure», on voit que le rock de Barrie Cadogan peut passer par des phases laborieuses. Pas facile d’avoir toujours des bonnes idées. Parfois, il arrive qu’on n’en trouve pas, même pas sous le sabot d’un cheval. De cut en cut, on réalise que l’album est cousu de fil blanc. On sait bien qu’ils cherchent à percer. Barrie Cadogan joue avec tout ce qu’il a dans le ventre, et des deux bras droits aussi, mais visiblement ça ne suffit pas. Leur système ne mène nulle part. Alors ils cherchent des idées au hasard, comme avec «Dream To Live». Edwyn Collins vielle au grain, mais ça ne résout pas le problème du manque de viande. Heureusement, quand barrie Cadogan barre en couille, on retrouve la terre ferme. Dommage qu’il ne se laisse pas aller plus souvent. Ils ramène son petit timbre d’Oliver Twist dans «I Can’t Wait», mais c’est Vrirgil Howe qui fait tout le boulot, une fois de plus. Ils sont marrants, ils se prennent pour les rois du monde. Petit sursaut avec «New Diamond Love», ils chargent toutes les dynamiques à fond de train et reviennent au heavy beat de syncope avec «Money In Paper». Ces mecs-là ont un sens du beat qui défie toute concurrence. Pendant que Virgil Howe fait tout le boulot, Cadogan vire sa cutie et ça tourne à la foire à la saucisse.

On trouve une belle énormité sur Shadow : «Pauline». Enfin un hit ! Cadogan y claque de violents accords de storm. Il tente de sauver son album. Voilà une Pauline qui vaut tout l’or du monde. Mais pour le reste, il faut vraiment se forcer. «It Don’t Count» sonne vraiment comme un vieux groove usé et on s’ennuie un peu. Ils jouent leur va-tout sur «Everything You Want Will Be Yours Tonight», un groove de bass/drum assez intéressant, mais ils constatent une fois de plus qu’il est difficile de percer. Ils s’enlisent dans un manque de perspectives. Ils tentent le coup du raout funky avec «Realise», ils y croient dur comme fer, mais c’est du funk anglais. Et c’est vrai, dès le «Bonneville Ride» d’ouverture de bal, on sent qu’on sera privé de surprises, comme d’autres sont privés de dessert. Ce pauvre Barrie Cadogan s’épuise à vouloir créer la sensation. Il n’a jamais su retrouver la niaque de son premier album. La vie est parfois cruelle. Le pire est qu’on attend des miracles de ces gens-là, mais quand on écoute «Sworn In», tout espoir s’envole. Ils y deviennent laborieux et même ridicules. Ils retapent dans leur vieux groove pour «Stop or Die» et il faut attendre «Eyes Were Yound» pour retrouver la terre ferme. Gros groove seventies, mais pas de surprise. Barrie Cadogan n’invente ni le fil à couper le beurre, ni la poudre, ni la roue. C’est un honnête ouvrier du rock, un mec qui s’efforce de bien faire son boulot du matin au soir. Tout cela se termine avec le morceau titre en forme de fin de non-recevoir, un peu absurde de la part d’un mec capable de pondre des hits comme «Pauline», mais il veut se montrer attachant jusqu’au bout de la nuit, alors on le suit sans moufter.

Signé : Cazengler, Little Barrique

Little Barrie. We Are Little Barrie. Guenine 2005

Little Barrie. Stand To Your Ground. Guenine 2007

Little Barrie. King Of The Waves. Bumpman Records 2010

Little Barrie. Shadow. Tummy Touch Records 2013

Little Barrie. Death Express. Hotless Entertainment Unlimited 2017

Paul Osborne. First Class Return. Shindig #69 - July 2017

MONTREUIL-SOUS-BOIS

17 / 11 / 2018 / L'ARMONY

BILL CRANE / NO HIT MAKERS

Les gens sont méchants. Ne supportent pas que chaque semaine j'aille en concert, sont jaloux. Ce weed-end ils ont inventé un jeu, se sont mobilisés par centaines de milliers pour m'empêcher de chercher ma ration de décibels. Comme ils ne savaient pas où je me rendais exactement, ils ont occupé pas moins de deux mille axes de circulation sur tout le territoire national. Je trouve cela particulièrement stupide, il existe bien d'autres raisons hautement plus essentielles pour bloquer le pays, je cite en vrac, les salaires minuscules, les taxes majuscules, la misère qui monte, la mal-bouffe,... mais non se sont focalisés sur le fait de me barrer le chemin. Un truc à devenir parano. C'était un pari perdu d'avance, comment empêcher un rocker d'assister à un concert ! Autant s'acharner à vider les océans à la petite cuillère. Imaginez un vampire à qui l'on refuserait son bol de sang frais au petit déjeuner du matin. S'en est fallu de peu pour qu'ils réussissent, deux barrages successifs sur la N4, le dernier au rond-point stratégique et les forces du désordre qui nous ont rejetés dans un labyrinthe sans fin... Bref a contrario de Bobby Fuller IV, la teuf-teuf et moi, on a gagné, avec une demi-heure d'avance sur le début des festivités. Pas question de rater deux de mes groupes préférés ! Surtout que les deux sets ont été fastueux !

BILL CRANE

Se cherchent des yeux, Bobo au fond, dans sa marinière, un vieux loup de mer qui a navigué sur tous les océans et essuyé toutes les tempêtes, fidèle à son poste, Eric devant, au centre, avec sa Fender toute pourrave, style radeau de la Méduse qui flotte l'on ne sait comment, mais totalement insubmersible, Gwen le gabier prêt à aux acrobaties les plus dangereuses sur les cordes de sa basse, à l'autre extrémité Patrice, tient entre ses mains une lourde couleuvrine, son arme fétiche pour les abordages de haut vol. Bref un équipage de pirates qui s'apprête à hisser les voiles.

Dès Move It en ouverture, l'on sent que le vent cogne dans la voilure et que c'est parti pour l'aventure. Patrice use de son sax baryton comme d'un troupeau de mammouths antédiluviens dans un magasin de porcelaines de saxe. L'a le souffle qui carbure au grabuge. L'emporte tout sur son passage et les autres se coulent dans la trouée comme le Mississippi dans la digue renversée. Ne vous étonnez pas si quelques bestioles peu engageantes nagent à vos côtés. Dans l'aquarium du rock'n'roll surnagent toujours quelques alligators. Dans l'équipage Bill Crane vous avez deux bordées. A tribord Eric et Gwen. A bâbord Bobo et Patrice. Eric mène la barque et Gwen souque ferme. L'a intérêt à ne pas quitter le Ric des yeux, car le Ric à la guitare, il est du genre cascadeur sans filet, se rattrape au bout du riff à la dernière seconde, l'on ne sait pas comment, mais il vous réalise les miracles à la chaîne, joue à la déglingue, se réclame d'une éthique peu commune, pour lui il n'y a pas de rock'n'roll sans danger, commence par abattre les arbres à la tronçonneuse et coupe les branches à la hache, sa guitare miaule comme un tigre qui a faim, à ses côtés Gwen essaie de le rassurer, sa basse est une voix grave apaisante, lourde et ronde, qui essaie de caresser le fauve dans le sens de la fourrure, mais l'animal est si agité que l'ensemble sonne à la manière d'un tourbillon frénétique infini, qui se transforme en le combat du Yin contre le Yang. Imaginez que vous ayez à accompagner ce nœud de serpents entremêlés, que feriez-vous, sinon donner votre démission ? Eric n'entrevoit pas le rock comme un long fleuve tranquille, plutôt comme une ultra-rapide glissade reptatrice expérimentale. Mais il la fomente bourrée d'énergie pure, et vous la refile en morceaux saignants, un peu comme ces serpents vivants que l'on vous découpe en tranche sur les marchés en Inde et que vous déchirez à pleines dents tout crus, une bouchée de chair sanguinolente, une bouchée gorgée de venin. Le cassoulet d'Eric Calassou est un peu sauvage.

Vous n'avez pas répondu à la question, bandes d'ignorants. Heureusement que Bobo et Patrice, sont des gars solides qui savent orchestrer les réponses satisfaisantes. Deux solistes qui marchent ensemble. Pour Patrice, c'est clair et net. Fonce sans se perdre dans d'abstruses interrogations métaphysiques. N'arrête pratiquement jamais de souffler. L'Eric ne peut pas envoyer une giclée de barrés totalement barrés sans que le sax ne se jette dessus et ne vous les enveloppe de barrissements monstrueux. Le Pat vous sature l'ossature des morceaux. Vous rature la tessiture. Bombarde d'abord. Bombarde ensuite. Bombarde encore. Devant un tel déluge Eric et Gwen ne peuvent qu'accélérer la rythmique. C'est en ces moments qu'intervient Bobo. Non il ne fait pas dodo. Il veille, en stéréo. Ce zigue il a les deux lobes du cerveau qui fonctionnent en même temps. L'a un coup d'avance sur les trois-quarts de l'humanité. Se la donne à mort, mais avec cette attitude olympienne du mec peu émotif pas pressé pour un empire et qui vient de sauver le monde en un tournemain parce que vous avez beaucoup insisté alors qu'il aurait eu mieux à faire chez lui. D'abord d'un coup de baguette lourd comme un paquebot et fuselé comme un air-craft il rétablit l'équilibre avec les deux zozos qui courent vers le zoo, ensuite il s'occupe de l'autre zèbre au sax à fond. Entre en dialogue avec lui, vous froisse le rythme pour mieux l'accompagner dans ces interminables souffleries de trompes tibétaines, et du coup se mettent à dialoguer comme s'ils prenaient le thé chez Mme de Récamier. Mais en plus brutal, en plus pressé, interjectent des plus précipitamment, et évidemment Gwen et Eric se mêlent à la conversation. Une partie carrée, l'un ramène sa fraise et l'autre le pot de confiture, ça fuse de tous les côtés, ça jacte et ça déblatère sans fin. Tous ensemble, mais chacun à sa place, le combo se fait quatuor, l'on dézingue à fond la caisse, mais les réparties sont fignolées au millimètre. En plein rock, avec des relents de traitements de sons à la free-jazz. Rien que ces manières sur les fins de morceaux de faire crisser le bout de la baguette sur la baguette de la cymbale, et ces chorus sandwichés de sax et de batterie...

L'ensemble balance et roule à la perfection. Sonne garage et rappelle le son du Velvet Underground en ses plus beaux moments. Inutile de vous la péter à l'objection votre honneur, le Velvet sans la voix ouatée du grand méchant Lou... justement mes agneaux, j'ai gardé le meilleur pour la fin. Le Calassou sonne fort. Certes le rock instrumental c'est bien, avec le vocal en plus c'est mieux. L'a la voix comme la truffe du chien, toujours devant, en éveil, le fouet à lanières coutes qui vous galvanise, le coutelas qui pique la couenne et vous tranche la chair. C'est elle qui fouette les chevaux et rameute le public devant la scène. Faudrait énumérer tous les morceaux, les reprises et les originaux, toutes mixées selon une interprétation d'enfer. L'assistance enfiévrée, vont nous allonger dix-huit titres qui mettent le public au bord de la dépression nerveuse. Un set roc'n'roll éblouissant !

NO HIT MAKERS

Bitter Taste en introduction. Orange amère si vous voulez, mais quelle merveilleuse potion. Le goût de l'ambroisie que goûtaient les Bienheureux sur le Mont-Olympe. On les connaît les No Hit Makers, mais nous refont le coup à chaque set. C'est comme la charge héroïque, une fois qu'elle est lancée, vous ne l'arrêtez plus, de la première seconde au dernier rappel. Vous n'y échappez plus. Néo Rockabilly si vous le désirez, c'est inscrit sur le flyer, mais avant tout c'est de toute beauté, une grande flamboyance qui vous scotche et qui ne vous lâche plus. Fascinatoire, l'assistance sous le charme – entendez ce mot en le sens de rite incapacitant qui vous immobilise et vous submerge de l'intérieur. Vous avez l'impression que l'on allume une lumière dans les organes vitaux de votre corps. La musique se mélange à la lymphe de vos rêves et vous pénétrez en des royaumes qui gisent tapis en de secrètes et mystérieuses parties de vous-mêmes dont vous ignoriez jusques à lors l'existence.

Quatre à s'insinuer en vous, à entrer sans frapper, et à vous baigner d'extasies musicales. Forment un tout indissociable, les grains d'une grenade fermée comme le poing que vous ne sauriez dissocier. Eric est au centre, guitare à ouïe de serpent orange, casquette plate et barbichette pointue, fin sourire malicieux et voix qui coule sans fin comme le vent caresse les épis de blés et les emporte en une vague à l'autre bout du monde. Une rythmique incessante, une flamme qui se propage parmi les herbes. Larbi collé à la tranche de sa big mama, la tricote sans fin, l'on entend le tac-tac des aiguilles qui se cognent et se pressent, le même bruit que les écailles du crotale qui s'en vient imperturbablement sonner à votre porte l'heure de votre mort. Ces deux-là pour le mécanisme de fond, fournissent et fourbissent la musique du film, celle qui court du générique aux séquences palpitantes, celle qui cliquette dans votre tête même si vous ne savez pas que vous êtes en train de l'écouter. Celle qui déroule d'inquiétantes images sur les vitraux de votre âme.

Derrière, pratiquement caché par le mur mouvant des trois camarades, Jérôme. Comme les autres le balancier de la pendule devenu fou. Fait partie de cette famille des batteurs qui ne bougent pratiquement pas les bras. Ce sont ses poignets qui s'activent, une frénésie articulatoire démoniaque, une espèce de robotique délirante qui parcourt le champ des toms à la vitesse d'un cheval en fuite. Une cavalcade en accélération constante, la production d'une poussée phénoménale, un moteur à plein régime qui ne sait pas s'arrêter.

A côté, c'est le mot, un peu en aparté, Vincent, ce n'est pas qu'il ne joue pas avec les autres, c'est qu'il se permet l'accélération des particules des tuyères adjacentes de la fusée. Alors que le trio file droit à la façon d'une charge de cavalerie, il infléchit le sens de la course, prend les devants et délivre du bout des doigts des ruissellements de tonitruance, sa Gretsch crache la foudre et explose, ou alors il s'enfonce tout seul dans des dédales rythmiques labyrinthiques qui éclatent comme autant de broderies de feu, dont il ressort vainqueur, immanquablement en tête.

No Hit Makers, aux réactions du public, on s'aperçoit qu'ils ont malgré ce qu'ils affichent et proclament quelques hits, Soldier of Peace ou The Doors of Heaven par exemple pour n'en citer que deux. Au fur et à mesure que les titres défilent la tension monte, les exclamations fusent et certains se laissent emporter par le rythme. Maintiennent la pression, et tout s'accélère. Larby ne s'appartient plus, sa longue silhouette saccadée semble vouloir pénétrer et se fondre en sa big mama, existe-t-il meilleure métamorphose pour un musicien que se transformer en son propre instrument, sa tête roule comme si elle ne demandait qu'à se détacher, le bouchon que l'on dévisse pour sortir de soi et se fondre et peut-être même se dissoudre dans le reste de l'univers.

Le groupe atteint à un certain vertige psychédélique. Les pieds dans le rockab mais l'esprit beaucoup plus haut. Le chant d'Eric porte l'empreinte d'une certaine emphase hypnotique, ouvre des portes ignorées vous catapulte en des hauteurs inconnues. Le timbre est doux, mais puissant, vous dépose vous ne savez trop où en orbite de vous-même. Il semble murmurer au micro, mais les paroles bruissent de mille affects et éclatent dans vos tympans comme mandragores au pied des gibets.

Si Jérôme agit comme un pusher, un intensificateur des battements d'ailes astrales, un pulsar métronomique infatigable, Vincent, les doigts dans la réalité des cordes, reste le pieu planté dans le cœur du rock'n'roll, pour qu'il ne s'échappe point, pour qu'il ne quitte pas la boue originelle du delta et la terre gestatrice des Appalaches. Il est le point d'ancrage, le cordon d'or qui accompagne tous les envols et assure le retour dans les fondrières du rock. Faut le voir, courbé, attentif, précis, incisif, découpe les séquences, les délimite, ouvre et ferme les grilles, assure et règle la circulation sanguine de la musique du Diable. Ne vous y trompez pas, c'est bien le pouls de la bête hideuse qui bat dans la fragrance safranée des No Hit Makers. Si vous clignez des yeux sans doute arriverez-vous à entrevoir son regard d'eau glauque dans lequel vous aurez envie de vous noyer.

Une espèce de transe a saisi l'assistance. Un envoûtement collectif. Lorsque le concert s'arrête, le public s'ébroue, la chute dans la réalité est trot abrupte, insupportablement brutale. L'exigence minimale d'un rappel se fait entendre. Il y en aura trois. Depuis nous sommes en manque.

Damie Chad.

 

CARLA BLEY L'INATTENDU-E

LUDOVIC FLORIN / JEAN – MICHEL COURT

ALEX DUTHIL / JEAN-FRANCOIS MONDOT

( Naïve Livres / 2013 )

Longtemps que Carla Bley ne s'était imposée à mon esprit. C'était aux heures glorieuses de Rock & Folk. En ces temps-là on ne dormait plus de la nuit ( gros mensonge ) l'on se demandait ce qu'allait faire Mick Taylor après avoir quitté les Rolling Stones et voilà que l'on nous apprenait qu'il s'acoquinait avec Jack Bruce, le bassiste de Cream ( et plus tard de West Bruce & Laing ) et... Carla Bley... pendant d'autres nuitées on a attendu en vain une véritable concrétisation... et puis plus rien, une bulle de savon éclatée et perdue à jamais dans le vol transparent d'un cygne éblouissant qui n'a pas fui, pour singer Mallarmé.

Décidément l'on n'en a jamais fini avec son passé, vous mord aux mollets à la manière des chiens enragés de l'enfer. Tout de suite sur la jaquette intérieure, j'apprends que nos écrivains sont des passionnés de jazz - nul n'est parfait – que certains d'entre eux ont contribué à Jazz Hot, à Jazz Magazine, à Jazzman, je n'en suis guère surpris, par contre totalement stupéfait d'apprendre que deux d'entre eux sont Maîtres de Conférences à l'UTM. Moi aussi j'y ai traîné quelque peu mes guêtres en cette université à une époque très remuante, c'est-là qu'aux temps de mes chères études j'ai peaufiné mon sujet de maîtrise '' Défense et illustration du rock'n'roll français'' dans le sous-département, un peu à part, Musique et Littérature, on y étudiait Richard Wagner. Tout se transforme rien ne se perd dixunt Lavoisier et Anaxagore, l'UTM vous prépare maintenant à une Licence Jazz et Cultures Musicales, Jean-Michel Court et Ludovic Florin – ce sont eux les coupables – ont même imaginé de remettre à Carla Bley son diplôme Doctor Honoris Causa de l'Université Toulouse-Le Mirail. Et la Carla n'a pas hésité à venir chercher son diplôme...

Nombre de nos lecteurs qui ne possèdent pas sur leurs étagères sa discographie complète doivent se demander qui est cette Carla. Nous ne les laisserons pas en proie aux affres de l'ignorance.

Au début de sa vie Carla était une petite fille qui avait tout pour être heureuse et devenir une grande personne sage. Certes elle a grandi, mais n'a jamais fait preuve d'une exemplaire sagesse. L'était mignonnette la jeune Lovella May Borg, quand vous regardez les photos, avec sa petite gueule d'angelot vous la confondriez avec Boucle d'Or, l'héroïne du conte aux trois ours. Plus tard elle a changé sa coiffure, sur la couve du bouquin l'on dirait qu'elle pose pour une pub des balais O-Cédar tout juste sortis de l'eau sale... Et pourtant elle naquit dans une famille aimante, un papa pasteur, une maman pianiste. Des gens très bien qui écoutaient et jouaient de la musique classique. La Lovella s'est entichée du piano. Ses parents devaient la rêver en concertiste, se hâtèrent de lui infliger les rudiments et les bases de l'instrument roi. Mal leur en prit. Dans cette jeune âme, rôdaient des ferments d'anarchie et ce bout de chou ( né en 1938 ) se mit, bien avant qu'elle ne soit inventée ,à l'école de la pratique punk du Do It Yourself. L'a bouté les profs parentaux du clavier, l'a claironné qu'elle apprendrait toute seule, et elle n'en a pas démordu une seconde. Le paternel a essayé de rattraper la situation par la bande. Lui a montré que certes on jouait la musique mais que pour cela il fallait d'abord la lire. Et l'écrire. Vous pigez le sous-entendu, la musique ma chérie c'est beaucoup plus difficile que la peinture à l'huile, alors je vais te montrer. Inutile, s'exclama Lovella, et hop illico elle se saisit d'une feuille de cahier de musique vierge et s'employa à remplir les portées d'une foultitude de notes. Lorsque toute fière elle montra le résultat à son père, celui-ci ne put que laisser échapper cette phrase qui devait avoir de grandes conséquences pour l'avenir de la musique populaire américaine '' Mais il y a beaucoup trop de notes !''

Adolescente, elle n'échappe pas à l'american way of life, tient l'orgue à l'Eglise, s'adonne au skate, occupations bien innocentes mais le démon de la perversité la pousse à jouer du piano dans les bars et commence ainsi à entendre des pointures comme Chet Baker, Lionel Hampton, Dave Brubeck, mais le saxophoniste Teo Macero qui joue du saxophone et qui deviendra le producteur de Miles Davis, l'enjoint de se rendre à New York, là où tout se passe...

L'AVENTURE FREE

Pas blaireaute la demoiselle Bley, s'introduit au cœur de la citadelle, vendra des cigarettes – à la manière des ouvreuses de cinéma qui les années cinquante offraient des bonbons et autres friandises pendant les entractes. Nous sommes en 1955, et le jazz arrive à sa plus grande effulgence, Carla se tait et écoute. Tous les grands ténors défilent dans ses oreilles. Sans doute dans sa tête se demande-t-elle, comment toute cette magnificence évoluera-t-elle ? Elle ne le sait pas encore, mais elle sera au centre du maelström sonore qui s'approche. La faute en revient à un certain Paul Bley, se rencontrent en 1956, se marient en 1959. Paul Bley est moins connu que Jerry Lou, mais peut-être son approche du piano est-elle beaucoup plus révolutionnaire. A la base il est un musicien classique, mais il a envie de pousser les murs, se rend bien compte qu'autour de lui ce sont les jazzmen qui font bouger les choses. Alors il rôde dans les clubs, il montre que question touches il touche un max. Un soir Charlie Parker lui demande de jouer avec lui, mais c'est Charlie Mingus qui le lance dans le grand bain, lui fait enregistrer son premier disque Introducing Paul Bley avec Mingus et Art Blakey.

Paul le surdoué et Carla l'autodidacte ! Le feu et l'eau se marièrent très bien. Carla se sent toute petite face au savoir de Paul, et Paul qui cherche toujours à casser les murs de la musique n'est pas insensible aux brisures du savoir amassé au hasard des découvertes par son épouse. Carla doute, et construit ses redoutes. Les évènements s'enchaînent Paul Bley compte désormais Don Cherry, Billy Higgins et Ornette Coleman dans son quintette... Mais le coup décisif et emblématique de cette nouvelle musique qui pointe à l'horizon sera porté par le Kind of Blue de Miles Davis. En 1960, Paul rencontre Steve Swallow qui deviendra l'ami et le confident de Carla. Plus tard son mari. Mais nous n'en sommes pas encore là. Carla a de plus en plus de boulot. Ce qui lui prend un peu le ciboulot. Elle ne se sent pas assez douée pour jouer en public, par contre elle compose à la maison, et écrit ses partitions. Le big problem, c'est que ses connaissances sont plutôt défaillantes, elle connaît la marche à suivre, un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout... Alors elle vous écrit des trucs minuscules – ça tient facilement sur deux portées - pas très précises. Justement le truc que recherche la nouvelle génération de musiciens en quête de choses nouvelles. Avec ses débris de partoche, Carla devient une des pierres angulaires de la New Thing. George Russel, Don Ellis, Albert Ayler, et bien d'autres interprètent ses compositions...

Carla possède une autre particularité, ses œuvres laissent une très grande liberté aux interprètes, chacun l'arrange à sa façon, l'accentue selon sa personnalité, la Bley c'est la copine imaginative capable de vous filer une idée follement originale et atypique pour votre rédaction, mais le gars à qui elle la souffle est très souvent un mec un peu génial... mais de surcroît elle est capable de la modifier pour l'adapter aux manières de jouer de deux musiciens aux styles diamétralement antithétiques. Le free-jazz est une musique extrémiste. Le public n'y adhère pas vraiment. Un peu de scandale au début, un peu de curiosité par la suite, mais au final les musiciens ont du mal à trouver des labels pour enregistrer. Le côté Diy de Carla ne manque pas de trouver une parade à cette situation exaspérante. En 1964, avec le trompettiste Bill Dixon, elle pousse à la fondation de Jazz Composers Guild Association, dont le but est de regrouper des musiciens pour interpréter les essais et créations d'auteurs qui ne parviennent pas à se faire connaître. Archie Shepp et Sun Ra apporteront leur soutient. Un certain Michael Mantler aussi. Ne tardera pas à remplacer Paul Bley dans la vie de Carla. Mantler travaille dans la même optique que Carla, européen il apporte un regard plus intellectuel que les américains sur leur musique. Il ne peut que pousser Carla à approfondir la désorganisation structurale de son écriture. Des albums comme Communication, Jazz Reality et Agenuine Tong Funeral dans lesquels on remarquera la présence de Steve Lacy, ne poussent plus les murs, ils les dynamitent.

LE GRAND OEUVRE

Ils ont réussi leur coups. Ils ont cassé la maison. Z'y ont mis toute leur force. Mais pendant qu'ils s'acharnaient à réduire en poussière les gravats, d'autres s'activaient à la reconstruire. Ce ne sont pas des jazzmen, mais cette engeance maudite des rockers. Le parallèle avec le surréalisme poussant sur les ruines de Dada s'avère judicieux. Certes en 56 Presley avait une belle voix mais pour un amateur de jazz ce n'était que de la variété rythmée... Quinze ans plus tard, la désaffection du public emmène les puristes du jazz à reconsidérer le phénomène. Carla la première. D'abord elle sait faire amende honorable, oui il y a chez les rockers des instrumentistes doués par exemple ce Jack Bruce, et puis il lui faut reconnaître avoir subi la commotion Beatles. Voici des jeunes gens qui ont imposé au monde entier un album composé selon des idées qui ressemblent aux siennes, le Sergeant Pepper Lonely Heart Club Band propose une musique nouvelle, des chansons-collage, des sonorités-exploratoires, des couches musicales successives et entremêlées, ces blancs-becs ont retrouvé ( repris ? ) à leur manière la démarche du free-jazz... en plus ils vendent des disques par millions... Qui dit mieux ?

Carla s'y colle. Les Beatles ont produit un double-blanc, elle commettra un triple-mordoré. Lui file même un titre : Escalator Over The Hill. Me suis souvent demandé si le Stairway To Heaven de Led Zeppelin... je parle du titre, pas de la forme du morceau. Parce que l'Escalator de Carla, c'est plutôt un escalier branlant. A part qu'il vous mène au moins au sixième ciel. L'est fait avec des matériaux récupérés un peu partout. Des musiques de tous genres, d'occident et d'orient, un patchwork inimaginable qui retrace l'explosion musicale des années 68. L'a même recruté des musicos de vingt-cinquième zone pour que les cadors qui y participent ne se lancent pas dans la construction d'un double-escalier spiralé monumental en porphyre. Les morceaux sont écrits par Carla, mais l'enregistrement est improvisé. Aucune compagnie n'a voulu prendre la bête en charge, l'on grapille des heures de studio, un peu partout, au pied levé. Pas d'argent pour réunir les solistes, chacun enregistre sa partie chez lui, parfois à des milliers de kilomètres, miracles du re-recording... L'ensemble se présente comme une espèce d'opéra-jazz à partir de quelques textes plutôt énigmatiques du poète anglais Paul Haines, lorsque Carla ne sait plus quoi faire d'un personnage elle téléphone à Haines, qui réside en Inde, pour qu'il lui envoie une solution, lui refourgue quelques textes tout aussi mystérieux censés amener quelques éclaircissements... Lui faudra quatre ans pour mener l'entreprise à bien. Les amateurs de rock seront heureux de savoir que John McLaughin, Jack Bruce, Linda Ronstadt ont participé à ce monstre hybride... L'ensemble sonne comme un étrange mix entre L'Opéra des Quat'sous de Kurt Weil und Berthold Bretch et le Finnegans Wake de Joyce... Vous trouverez la bête sur Spotify et des extraits de la version live avec Jack Bruce et Mick Taylor sur You Tube. L'écoute n'est pas obligatoirement de tout repos...

AFTER WORK

Après Escalator Over the Hill, Carla ne sera plus tout à fait la même. Se sent capable de monter sur scène et de jouer. Une tournée avec le Jack Bruce's Ochestra lui permettra de goûter à la grande vie, beaux hôtels et bons vins... Ses choix musicaux se diversifient, elle enregistre avec Jack Bruce mais travaille aussi avec Keith Jarrett, Nick Mason du Pink Floyd, Chris Spedding, Charlie Haden, slalomant entre rock-fusion, valse, latino-style, et Nino Rota... comme si elle recherchait à un niveau formel un déséquilibre perpétuel, elle délaisse peu à peu les parties chantées, se consacrant à l'aspect strictement sonore de la musique.

En 1991 devenue la compagne de Steve Swallow elle en subit quelque peu l'influence... Elle n'est plus une partisane convaincue des ruptures musicales, au contraire, ses nouvelles partitions, ses disques et son Big Band se présentent comme un retour décalé à l'histoire du jazz. Peut-être s'est-elle prise à son propre piège. La jeune compositrice un peu ignorante des arcanes de l'écriture musicale, après de longues années de travail, a acquis d'impressionnantes connaissances, elle a atteint le niveau de ces illustres devanciers contre lesquels elle s'était élevée... Le serpent du jazz se mord la queue...

Très beau livre. Très riche illustration. Avec interview de la dame. Pas de surprise, tous les gars qui sortent de l'UTM sont des GSH.

Damie Chad.

N. B. : GSH : Génie Supérieur de l'Humanité.

 

ROCKAMBOLESQUES

FEUILLETON HEBDOMADAIRE

( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

en butte à de sombres menaces... )

EPISODE 8 : ROCK'N'ROLL FOR EVER

( Fuego explosivo )

Le Chef arrêta le fourgon à une quarantaine de mètres de l'Oslo Lines, juste en face de la porte. L'escalier de descente tardait à arriver. Régnait un semblant de panique dans l'aéroport, des camions de pompiers arrivaient de tous côtés, des flammes géantes de cinquante mètres de haut embrasaient la tour de contrôle, des gens affolés couraient en tous sens, à l'autre bout du tarmac l'Airbus s'ouvrit brutalement en deux, l'on vit des passagers qui s'enfuyaient de la carlingue éventrée, ils sautaient sur la piste, mais un sort funeste les attendait, les réservoirs crevés avaient laissé échapper des milliers de litres de kérosène qui s'enflammèrent soudainement, les malheureux furent instantanément transformés en torches vivantes qui s'éparpillaient comme des feux follets, on les entendait hurler de leurs toutes dernières forces !

    • Quelle horreur, s'exclama le Chef, ces idiots empuantent déjà la barbaque grillée, ils se prennent pour quoi ces sauvages, leurs relents de saucisses graisseuses, rissolant sur une grille de barbecue, altèrent jusqu'au délicat fumet de mon Coronado. Agent Chad, retenez bien ceci, nous sommes une poignée d'esthètes assiégés par des hordes de malappris qui ne savent pas quoi imaginer pour nous empêcher de nous adonner aux plaisirs les plus subtils et et les plus innocents.

    • Le pire ajouta Cruchette c'est les taches noirâtres qu'ils laissent, ne pensent même pas aux pauvres gars qui vont venir nettoyer, sûr qu'ils vont gratter dur !

Pendant que nous devisions, un escalier roulant avait été poussé contre la porte de l'Oslo Line, les passagers commençaient à descendre, jetaient des yeux hagards sur le spectacle d'apocalypse qui s'offrait à leurs yeux. Ne s'attardaient pas galopaient ventre à terre vers les deux bus qui espéraient-ils les mèneraient hors de ce maelström, il en passa une centaine devant nous, les femmes se débarrassaient de leurs nourrissons qu'elles jetaient à terre sans ménagement, les pères les expédiaient au loin d'un coup de pied : '' C'est bien chérie, ne t'inquiète pas avec le fric des assurances, je pourrai t'en faire d'autres''. Se battirent méchamment pour squatter les places assises dans le bus qui déjà s'éloignaient. Claudine ne put retenir un cri d'angoisse :

    • Darky n'est pas là ! mais où sont les Svarts ?

LES SVARTS

Ils étaient là. Tous les cinq. Sur le haut de la passerelle. Quatre gars avec des mines de croque-morts déterrés de l'avant-veille. Tenaient leurs étuis de guitare avec le soin maniaque des tueurs de la mafia qui ne quittent jamais de leur œil torve leur flight-case à mitraillette. Paraissaient même soucieux de n'avoir encore eu personne à tuer. Cheveux blonds et perfectos noirs. Plus punk qu'eux tu meurs. Mais au milieu cette monture de diamants noirs resplendissait une opaline rouge sang. Une chevelure rousse écarlate retombait jusqu'au bas des fesses sur un pantalon en sky de très mauvaise qualité déchiré juste à l'endroit du sexe. Son téton gauche qui s'échappait de son t-shirt maculé au sang de ses dernières règles, s'agrémentait d'un piercing au bout duquel pendait un porte-clé '' Just fuck You'' Darky leva les bras au ciel et se lança d'une voix métallique à faire fuir les serpents à une invocation odinique : '' Odin dieu de la guerre et des catastrophes, tu as ravagé de tes flammes la Rome de Néron et maintenant tu fais honneur à ta prêtresse en lui offrant en holocauste Paris en feu, sois-en remercié''

    • Elle n'est pas un peu givrée, hasarda Cruchette

    • Pas du tout, répondit le Chef, c'est une parfaite allumeuse.

    • La bestialité rock'n'roll incarnée, me sentis-je obligé de préciser.

Mais déjà Darky se jetait dans les bras de Claudine. Il y eut des cris, des embrassades, des pleurs, des rires, des effusions interminables jusqu'à l'instant où Darky abaissant jusqu'à son nombril l'encolure de son T-shirt retira d'entre ses deux seins d'airain une petit objet parallélépipédique qu'elle tendit fièrement à sa copine :

    • Tiens, la cassette que tu m'as demandée, tu vois que je ne l'avais pas perdue !

Le Chef s'en saisit vivement et décréta avec un grand sourire :

    • C'est maintenant que les ennuis vont commencer !

DANS LE FOURGON

Nous extraire des abords de l'aérogare ne fut pas facile. Un embouteillage monstre, des centaines de véhicules de secours affluaient de partout, la circulation fut même longuement interrompue pour laisser passer un cortège de voitures noires escorté par des motards, comme nous avions accès aux ondes réservées à la police nationale nous apprîmes qu'il s'agissait du Président de la République et d'une ribambelle de ministres. Moi je buvais du petit lait, sur la banquette avant coincé entre Darky et Claudine. Toutefois je connaissais le Chef et à sa manière d'allumer un nouveau Coronado je compris qu'un détail le turlupinait. Aussi ne m'étonnai-je point lorsqu'il se permit d'interrompre le papotage émotionnel des deux anciennes collégiennes :

    • Charmante Darky – s'enquit-il – vous avez bien dit que Claudine vous avait contacté pour la cassette ?

    • Mais non, s'exclama Claudine, j'ignorais ce que tu étais devenue !

    • Tu m'as pourtant envoyé un E-mail ! Et le même jour j'ai reçu une offre d'un booker français qui me proposait de m'offrir un voyage gratuit en France, moi et les Svarts, afin de préparer une tournée, j'ai tout de suite téléphoné à Popol, un de mes anciens petits copains quand j'étais au lycée qui m'a proposé un premier concert dans son bar. Normalement nous aurions dû arriver hier en fin d'après-midi, mon booking-tour avait prévu que nous logerions dans à l'Hôtel du Papillon, mais on a raté l'avion, une calamité, je n'avais plus un T-shirt sale chez moi, que des propres, j'ai dû improviser, heureusement alors que je désespérais j'ai eu mes règles. J'ai perdu un peu de temps à réaliser une véritable œuvre d'art, bref l'avion a décollé sous notre nez, j'ai appelé Popol pour qu'il vienne nous chercher, et quel plaisir de retrouver Claudine, au lieu de Popol.

    • Ne vous inquiétez pas, Darky, on passe d'abord à la maison, j'ai quelques Coronados à récupérer et ensuite l'on fonce chez Popol.

SUR LA ROUTE DU QG

Nous nous étions enfin dégagé des encombrements. Darky s'était endormie les deux pieds sur le tableau de bord après avoir avalé une douzaine de pilules multicolores.

    • Agent Chad, ne m'avez-vous pas parlé d'un vieux copain de maternelle qui galère méchant, un certain Alfred ?

    • Oui Chef, il s'est improvisé reporter free-lance, mais aucun journal n'a encore voulu d'un seul de ses articles, et pourtant il touche un max, vous verriez ses photos, et en plus il a une sacrée belle plume, mais que voulez-vous il n'a aucune relation !

    • Parfait, appelez-le d'urgence, dites-lui de nous attendre devant le QG, nous allons lui offrir le scoop de sa vie. Il est bon d'encourager la jeunesse.

A peine le fourgon s'était-il arrêté qu'Alfred bondit son Gamex à la main, et commença à mitrailler la camionnette sous tous les angles. Le Chef descendit prestement et lui adressa un salut militaire.

    • Brigadier Dupont, pour mon ami Chad sur sa demande et parce que par le plus grand des hasards il m'a permis de sauver une jeune innocente des flammes de l'enfer, nous revenons de Roissy, nous avons été un des tous premiers véhicules de secours sur place, je n'ai même pas eu le temps d'endosser ma tenue réglementaire...

    • De Roissy ! mais la zone est interdite même aux journalistes professionnels, les chaînes TV et la radio ont été refoulées, et une zone de brouillage électronique empêche le fonctionnement des portables des témoins qui voudraient envoyer des messages et des photos à leurs proches, tout ce que l'on sait c'est que le Président de la République est sur place, les rumeurs les plus folles courent, est-ce que vous me permettriez de vous poser quelques questions.

    • Certes, mais montez avec nous, je vous expliquerai en fumant un Coronado.

L'on ne parvint pas à réveiller Darky, les boys durent la monter dans le QG, ils la jetèrent dans un canapé et coururent s'enfermer dans la cuisine avec Cruchette, manifestement ils avaient sympathisé durant le voyage. Cruchette referma la porte non sans avoir annoncé :

    • Ils ont faim, je vais leur préparer une purée mousseline !

Alfred s'assit en face du Chef et prit consciencieusement des notes, quand il s'apprêta à nous quitter il avait des étoiles qui brillaient dans ses yeux !

    • Je vais le proposer à la République de Seine & Marne !

Mais le Chef décrochait son téléphone :

    • Allo Paris-Match, ici le SSR, une édition spéciale – premier tirage à cinq-cent mille exemplaires, grand-format avec photos couleurs à l'appui, ça vous irait... oui je sais vous êtes un hebdomadaire, mais là c'est de première main sur les évènements de Roissy – nous entendîmes un rugissement au bout du fil – nous vous envoyons l'article dans vingt minutes par le net, faites chauffer vos rotatives et prévoyez une distribution par voitures particulières ! Non, non, c'est gratuit, par contre je vous recommande le jeune free-lance Alfred, c'est lui qui nous a apporté le document, mais comme nous ne savions pas quoi en faire, nous avons pensé à vous.

    • Agent Chad, empruntez son portable à Cruchette, elle a pris quelques photos des incidents de Roissy, aidez un peu Alfred à mettre sa copie au propre.

Je dois le reconnaître je n'eus que quelques fautes d'orthographe à corriger, Alfred n'avait pas tout à fait assimilé les accords du participe passé, mais il était survolté, écrivait, dictait et montait la maquette en même temps, le Chef fumait placidement un Coronado, mais quand au bout d'un quart-d'heure nous lui présentâmes la maquette, il laissa échapper un petit sifflement d'admiration :

    • Bien, très bien, cher Alfred vous avez de l'imagination, du style et le sens de l'image, agent Chad vous devriez l'embaucher pour rédiger vos mémoires, votre demi-page que vous avez laissée traîner sur le bureau ne m'a guère convaincu... Maintenant cher Alfred, deux minutes qu'ils ont reçu votre prose, courez chez Paris-Match, je pense qu'ils doivent déjà être en train de préparer votre contrat d'embauche. N'oubliez pas d'exiger une secrétaire jeune et jolie, ce sont des vieux renards, si vous n'y faites pas gaffe, ils vont vous refiler une vieille bique ménopausée à trois ans de la retraite sous prétexte qu'elle a de l'expérience.

Alors qu'Alfred descendait quatre à quatre son escalier, Cruchette ouvrait la porte de la cuisine :

    • Chef, ils sont marrants les copains de Darky, ils ont mis de la mousseline partout, sur les murs, jusqu'au plafond et même dans ma culotte, ça chatouille et ça fait une drôle d'impression, il ne me reste plus qu'à récater !

    • Vous nettoierez plus tard, quatre heures du matin, à cinq nous devons être chez Popol, réveillez Darky, mes enfants de grandes choses nous attendent, n'ayez crainte je vous mènerai à la victoire, mais sachez que ce sera dur, très dur, extrêmement dur ! N'oubliez jamais notre maxime : Rock'n'roll for ever !

      ( A suivre. )