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18/12/2021

KR'TNT ! 535 : HOLLAND & HOLLAND / WHY OH WHYS / WHITE FENCE / ROCKABILLY GENERATION NEWS / GENE VINCENT / LANGSTON HUGHES / DANIEL GIRAUD/ ROCKAMBOLESQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 535

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

23 / 12 / 2021

 

HELLO, GALS & GUYS

LA LIVRAISON 536 PARAÎTRA

LE 06 / 01 / 2022

NOUS VOUS SOUHAITONS

DE TORRIDES SATURNALES !

KEEP ROCKIN' !

 

ATTENTION CETTE LIVRAISON 535 PARAÎT

AVEC QUELQUES JOURS D'AVANCE

N'OUBLIEZ PAS DE LIRE LA 534 !

 

HOLLAND & HOLLAND / WHY OH WHYS

WHITE FENCE 

ROCKABILLY GENERATION NEWS

GENE VINCENT / LANGSTON HUGHES

DANIEL GIRAUD / ROCKAMBOLESQUES

 TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Holland & Holland of thousand dances

 

Comme chacun sait, le trio Holland/Dozier/Holland fut la poule aux œufs d’or de Motown : tous les hits des Supremes, des Marvelettes, des Four Tops et de Martha Reeves & the Vandellas, c’est eux. Eddie et Brian Holland reviennent dans l’actualité avec un recueil de mémoires, Come And Get These Memories et le fameux Mojo Interview, réservé aux grands de ce monde.

Les pépères ont pris un coup de vieux, mais c’est un peu logique, car ils composaient déjà des chart-toppers quand tu étais encore en culottes courtes. Ils portent des barbes, des lunettes et des casquettes, mais diable, il s’agit de deux des plus grands héros de l’histoire de la Soul ! Eddie atteint les 80 piges. S’il a attendu aussi longtemps pour publier ses mémoires, c’est dit-il parce qu’il jugeait tout cela trop personnel, une façon de dire : ça ne regarde personne, après tout. Puis des affairistes se sont rapprochés d’eux pour leur soumettre un projet de biopic et quand Eddie et Brian on vu que ça tournait autour des clichés habituels (la relation de Brian avec Diana Ross, les procès avec Berry Gordy et le gambling d’Eddie), ils les ont envoyés sur les roses. Eddie rappelle aussi dans l’interview qu’il eut la chance d’être initié à la musique et à la philosophie par Uncle James, ce qui lui a permis toute sa vie de garder une distance avec la réalité.

Eddie est l’aîné, le plus joli des deux, il réfléchit et écrit les paroles (il est assis sur l’illusse). D’un naturel rêveur, Brian est le mélodiste (debout sur l’illusse). C’est lui amène les idées et qui lance les hits planétaires. Brian commence à gagner du blé en tant qu’auteur/producteur pour Motown, alors qu’Eddie qui est chanteur et poulain de Berry Gordy, n’en gagne pas. C’est là qu’il comprend qu’il est dans le wrong business et qu’il doit devenir auteur, comme son frère. Alors il apprend à écrire des textes de chansons. Pour lui, le crack, c’est Smokey Robinson, toutes ses chansons sont parfaites. Tellement parfaites qu’Eddie se dit qu’il ne parviendra jamais à écrire des textes aussi bons. Il s’aperçoit toutefois que les textes de Smokey sont assez sophistiqués, alors Eddie se dit qu’il va trouver son propre style. Il réfléchit à l’utilisation d’expressions familières et aux associations d’idées, il veut raconter des histoires et rester fluide, il apprend à utiliser les virgules - The correct use of commas. Elles sont devenues très importantes pour moi car nos chansons étaient très rythmiques et le commas jouaient un rôle majeur dans la syncope - Eddie ne cherche pas systématiquement les rimes. Il recherche plutôt à exprimer des pensées et des sentiments. Il trouve la rime trop contraignante. Il s’enferme et passe des semaines sur ses textes. Il est obsédé. On connaît le résultat. Brian résume tout à sa façon : «That quest for perfection... that is what this book is about.»

Côté influences, Eddie dit ne pas aimer le blues. Il préfère le gospel et la pop. Ado, Eddie voit des tas de concerts à Detroit, Little Willie John, Ike & Tina Turner, les Diablos qui étaient les plus populaires à l’époque. Et les Royal Jokers avec Willie Jones qui dit-il était bien meilleur que Clyde McPhatter. Quant à Brian, il écoutait les Flamingos, les Soul Stirrers et the greatest singer of them all, Ira Tucker of the Dixie Hummingbirds, un gospel group actif depuis les années 20 et qui a inspiré tout le monde, y compris Jackie Wilson et James Brown - Black music would have been different without the Hummingbirds et ils avaient encore un impact dans les années 70 - Brian ajoute que Lynda Laurence qui était dans l’un des derniers Supremes line-ups était la fille d’Ira - Nobody could song like Ira - Brian repart de plus belle avec Nat King Cole, the greatest thing ever and I don’t care what anybody says.

Le Holland book apporte un éclairage extraordinaire sur l’early Motown. Tous les férus de Soul vont devoir lire ce book car on entre au 2648 West Grand Boulevard, dans ce gros pavillon qui fut un studio de photographe avant de devenir Hitsville USA, the nerve center of American pop music for the next ten years or more. Brian est le premier employé de Motown. Il ramasse un chèque de 12 $ chaque semaine. Les autres, comme Mickey Stevenson et Norman Whitfield sont arrivés après. Le concept de Berry Gordy consiste à créer un son unique, comme l’a fait Phil Spector. Pour ça, il lui faut un house-band qui va jouer sur tous les disques, une équipe de producteurs maison et un studio intégré. Il veut aussi une équipe d’auteurs pour tous ses groupes, ça fait partie du concept. Il va encore pousser le bouchon du concept en créant le fameux Quality Control Department. Brian en fait partie, avec Billie Jean Brown, VP of Creative Evaluation. Il y a aussi Smokey Robinson et Mickey Stevenson. Eddie est impressionné par Berry Gordy : tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait pointe dans une seule et même direction, Motown - management, composition, publishing, recording, everything - Berry nous dit Eddie aimait le talent, especially raw talent et il aimait par dessus tout le développer - If you were good when you walked through the Hitsville door, you became great. All we had to do was learn - Eddie poursuit : «Everything we knew, we learned from Berry. He was our mentor.» C’est un hommage extraordinaire qui nous repose de l’habituel Berry-bashing.

Lorsque la société américaine des mid-sixties entre en ébullition avec la lutte pour les civil rights, Berry Gordy décide rester à l’écart du mouvement. Il pense que c’est une erreur de se radicaliser. Il a nous dit Eddie une autre approche du problème : il veut combattre le système de l’intérieur. Il rêve d’un temps où les artistes noirs envahiront les hit-parades - Which is what we did, assène Eddie en guise de chute radicale - Motown a plus fait pour la cause des noirs aux États-Unis que le mouvement initié par Dylan, Joan Baez, Phil Ochs, Peter Paul & Mary et tous les tenants de l’aboutissement.

Eddie revient souvent sur la personne de Berry Gordy qu’il connaît depuis toujours. Il l’a vu devenir adulte, connaître des hauts et des bas mais quoi qu’il pût arriver, Berry continuait d’avancer. Il a toujours été déterminé - Le succès de Motown n’est pas un accident. It grew from Berry’s understanding of what both the times and the music required - Eddie enfonce son clou : «The Motown Sound was Berry’s creation. Pas complètement, il est vrai que tous ceux qui ont travaillé à Motown ont contribué sur le plan créatif, but the basics were Berry.» Eddie insiste aussi beaucoup pour dire que Berry payait bien les gens, contrairement à ce que prétendent ses détracteurs. Il payait même mieux qu’ailleurs. Berry raconte qu’à l’époque où il écrivait des chansons pour Jackie Wilson, il n’était pas payé. Il s’était alors juré qu’il ne traiterait jamais personne comme on l’avait traité, and he didn’t.

Et puis un jour, on présente Lamont Dozier aux frères Holland. Ils sympathisent tous les trois et décident de bosser en trio - The greatest songwriters and production team ever - Eddie nous dit que Lamont était un batteur qui s’y connaissait en syncope. Il ajoute que Lamont était aussi un gros dépressif et pas mal de ses chansons came out of that. La première chanson qu’ils composent tous les trois en 1963 est «Come And Get These Memories» pour Martha & the Vandellas. Au début, les Vandellas s’appelaient les Del-phis, mais Berry détestait ce nom. Il proposa the Dominettes, mais Martha détestait ce nom. Elle suggéra à la place The Vandellas, «a cross between Van Dyke Street in Detroit and her favourite singer, Della Reese. Berry agreed.» Lamont est the driving force dans le trio. «Heat Wave» vient d’un thème mélodique qu’il avait l’habitude de jouer sur le piano du studio quand on arrivait. Comme il manquait une chanson aux Vandellas, son thème est devenu «Heat Wave». Eddie insiste beaucoup pour rappeler à quel point Martha & the Vandellas étaient énormes en 1963. Eddie supervisait l’enregistrement des lead vocals et Brian enregistrait. Lamont supervisait les backing vocals. Et dans tous les cas, c’est Brian qui mixe - the final mixes were my decision - Lorsque les Vandellas perdent de la vitesse, le trio passe aux Supremes et aux Four Tops. Ils ne travaillent pas forcément avec les autres stars Motown. C’est Norman Whitfield qui bosse avec Marvin - Marvin himself was a dream. He was the greatest - Brian ajoute : «Marvin chantait tout ce qu’on lui demandait de chanter. He’d do jazz, he’d do gospel, pop music, he was that good. Vous lui donniez une chanson à interpréter, pas besoin de lui expliquer ce qu’il fallait faire, il savait. That guy was the most brillant singer of them all.» Le système Motown est particulier : le compositeur propose une chanson au producteur. Puis l’artiste l’enregistre - That was one of Motown’s strongest points, the producer chose the songs, not the artist - Mais dans le cas de Smokey, c’est différent, parce qu’il est à la fois producteur et artiste. Holland/Dozier/Holland composent «Mickey’s Monkey» pour Smokey et bizarrement, Smokey l’accepte et l’enregistre. Brian rend aussi hommage à James Jamerson qui savait tout jouer - He played with one finger, ce qui est très difficile (...) Il pouvait jouer très vite avec un temps de réaction exceptionnellement rapide - Il rend ensuite hommage aux fameux Funk Brothers, Benny Benjamin, Robert White, Joe Messina, Earl Van Dyke, Richard Pistol Allen et Eddie Bongo Brown.

C’est bien sûr avec les Supremes que le trio HDH décolle. Les Supremes explosent avec «Were Did Our Love Go». C’est là que Motown devient énorme - Motown became a sound and a lifestyle - Le job du trio consiste à maintenir les Supremes au sommet. Alors ils se mettent à bosser d’arrache-pied : «Baby Love», «Come See About Me» et «Stop In The Name Of Love». Brian avoue qu’il a composé «Baby Love» pour Diana qui était alors sa poule. C’est une période miraculeuse - Everything the Supremes touched turned gold - Eddie compose «You Keep Me Hanging On» grâce à sa copine Venelle qui est enceinte et qui se plaint qu’Eddie la fasse poireauter en ne voulant pas s’engager. Alors elle pleure et elle gueule, you just keep me hangin’ on. Eddie tire tous ses textes de son vécu.

Et puis il y a les Temptations. Tout le monde chez Motown veut travailler avec eux, HDH les veut, Norman Whitfield les veut, mais ils sont la chasse gardée de Smokey. Les frères Holland devront attendre 1978 pour produire Bare Back, qui, d’ailleurs n’est pas sur Motown mais sur Atlantic. Chez Motown, c’est Norman Whitfield qui va finir par les avoir. Il les voulait de toutes ses forces. C’est au moment du virage psyché. Berry monte même le label Rare Earth pour enregistrer des groupes de rock. Brian entend la reprise de «You Keep Me Hanging On» par Vanilla Fudge et trouve ça dément - It was phenomal, it was eight minutes long, they slowed it right down, they completely rebuilt it. The first time I heard it, I said, ‘Oh man, that’s great...’ - Puis Eddie est promu chef A&R chez Motown. Il signe Ashford & Simpson qui sont eux aussi des poules aux œufs d’or et Rita Wright qui justement enregistre l’«Ain’t Nothing Like The Real Thing» d’Ashford & Simpson. Une Rita qui retrouvera son vrai nom un peu plus tard, Syreeta.

Comme Eddie trouve que son frangin n’est pas assez bien rétribué, il en parle à Berry. Berry accepte de verser une prime à Brian en stock options, mais il tarde à agir. Alors Eddie met la pression. Pas de stock options, il veut monter un label HDH à l’intérieur de Motown. Berry dit non. Et les choses s’enveniment. Berry lui tend un papelard et lui dit de signer : c’est sa lettre de démission. Il n’est plus chef A&R. Eddie signe, furieux. Il quitte ensuite Hitsville. Puis Brian est viré à son tour - I left the building and went home, and I never went back - Mais ce n’est pas fini : Berry poursuit Eddie pour rupture de contrat. La guéguerre va durer quelques années, puis comme ils s’aiment bien, ils se réconcilieront.

Les frères Holland parlent de Motown comme d’un phénomène sacré. C’est un peu l’empire romain, the rise and fall. Eddie voit le Motown délocalisé se transformer : «Il y avait encore les grands noms, Marvin, Diana, Stevie, Smokey, Ashford & Simpson et une nouvelle génération était arrivée avec les Jackson 5 et les Commodores. Mais les chansons, c’était n’importe quoi, there wasn’t that old sense of Motown about it.» Brian ajoute que Motown n’aurait jamais dû quitter Detroit - Detroit was still the heartbeat of American music, and it still had a lot of untapped talent, as we had proven with Invictus - C’est Gamble & Huff qui prennent le relais, avec leur label Philadelphia International et les O’Jays, Billy Paul, The Three Degrees et Harold Melvin. Pour Brian, Gamble & Huff font le même job que Berry Gordy, il raflent tout - Ils avaient les artistes, ils avaient les musiciens, ils avaient leur studio et ils décrochaient hit after hit.

Après avoir quitté Motown, Holland/Dozier/Holland montent Invictus, c’est-à-dire invincible, et le sister label Hot Wax. Ils tentent de faire avec Invictus et Hot Wax ce que font Gamble & Huff à Philadelphie. Eddie démarre avec des groupes qui ne sont pas vraiment des groupes, 100 Proof Aged In Soul et Honey Cone, qui dit-il est son parfum de glace préféré. Il avait repéré ces trois blackettes à la télé, elle faisait des backing vocals pour Burt Bacharach : Edna Wright, frangine de Darlene Love, Shelly Clark, ex-Ikette et Carolyn Willis, a session singer. Eddie leur propose de devenir Honey Cone et d’enregistrer sur Hot Wax. Il rassemble aussi une équipe d’auteurs : William Weatherspoon qui n’est pas resté longtemps chez Motown, sa future femme Venelle qui écrit sous le nom d’Edythe Wayne et Ronald Dunbar. Eddie fait travailler des vétérans du snake pit d’Hitsville et le house band from the 20 Grand, McKinkley Jackson & The Politicians - They played on a lot of our sides.

Les artistes phares d’Invictus sont les Chairmen Of The Board, Parliament et Ruth Copeland, déjà évoqués ailleurs. Sur Hot Wax, on trouve principalement Honey Cone et Laura Lee, dont on parle aussi ailleurs, et d’autres groupes passionnants comme The Flaming Ember et 100 Proof Aged In Soul dont on va parler ici.

Eddie rappelle que les quatre Chairmen Of The Board sont des lead singers. Ils peuvent chanter tout ce qu’on leur propose et sonner comme les Four Tops ou les Temptations. Ils sont le fer de lance d’Invictus. Quand General Johnson et Ron Dunbar composent «Patches» pour le premier album des Chairmen, tout le monde tombe en pâmoison devant ce hit. Clarence Carter qui l’entend l’enregistre aussitôt chez Fame et il décroche un number one avec, les Chairmen sont pris de vitesse. Berry Gordy est tellement outré par l’épisode qu’il appelle Eddie pour lui dire «How did you allow that to happen?».

Harrison Kennedy et Danny Woods qui sont deux des Chairmen enregistrent des albums solo. L’Hypnotic Music d’Harrison Kennedy sort en 1971. On y retrouve la version de «Come Together» des Chairmen enregistrée l’année précédente sur l’album sans titre des Chairmen. Il confirme cette tendance poppy qui court sur tout son album : Harrison chante le hit des Beatles à la maniérée de la magnitude. Il attaque son morceau titre d’ouverture de bal d’A à la grosse voix de Detroit Soul Brother. C’est même étonnant d’entendre une voix d’une telle maturité chez un mec aussi jeune. Il passe au balladif poppy avec «Night Comes Day Goes». On croirait entendre un blanc, il fait presque du Traffic avec de longs entrelacs ambianciers qui partent à la dérive sans jamais mener nulle part. Vers la fin, il vise même l’«Hey Jude». Il nous refait le coup du balladif à l’anglaise en B avec «You Hurt Your Mother Again», mais ça ne tient que grâce à sa grosse présence vocale. Il tape aussi dans la Detroit Soul avec un «Gimme A Glass Of Water» bien stompé. C’est avec «Children Of The Day» qu’il finit par emporter la partie, il chante cette belle Soul d’Invictus au mieux du raw, ce très beau Soul Bother peut devenir inexorable c’est un screamer faramineux.

Le Chairman Danny Woods enregistre Aries en 1972. Big album, il ne faut pas prendre Danny pour la cinquième roue du carrosse. Il y a du Levi Stubbs en lui. Danny est un puissant seigneur. Il attaque son «Let Me Ride» au power maximaliste pour en faire du heavy raw de Detroit. Tout sur cet album est traité au même niveau de power qualitatif, on note l’excellence de «Try On My Love For Size», un r’n’b quasi-Sly dans l’exercice du pouvoir. Il reste dans le r’n’b dense et tendu avec «It Didn’t Take Long», just like it baby. Danny chante à la force du poignet. Il passe à la Soul des jours heureux avec «Working On A Building Of Love», you & me, me & you, il veut faire entrer everybody dans le building of love. Il attaque sa B avec un balladif de Willie Nelson, «Funny How Time Slips Away». Danny va le chercher là-haut sur la montagne, comme le ferait Jackie Wilson. Il monte encore d’un cran avec «Two Can Be As Lonely As One», il s’en va travailler sa Soul dans des clameurs spectaculaires. Il a tout le répondant du chant en stock et le trio Holland/Dozier/Holland fourbit l’enchantement orchestral. Dans les crédits figurent aussi les noms de H.P. Barnum et de McKinley Jackson. Danny finit à l’éplorée compositale avec «Danny Boy», il chante à la pointe de la glotte, il va chercher des notes suspendues à un fil, il chante à la poire pleine et remplit tout l’espace. C’est un fabuleux sculpteur d’objets sonores, il fait corps avec sa glaise métaphysique. Il faudrait se souvenir de Danny Woods comme d’un formidable rossignol de la Soul.

L’Inside The Glass House de Glass House paru en 1971 sur Invictus est devenu culte pour au moins une raison : «Heaven Is There To Guide Us». C’est une heavy Soul à la Junior Walker, du pur jus de genius de hot Soul, c’est brûlant, violent et insidieux. Le génie de Holland/Dozier/Holland consiste à recréer Motown après Motown. Ce que montre encore «I Surrendered» en A : Scheerie chérie qui est la sœur de Freda Payne fait du Motown pur et dur. Black power ! C’est sans doute Ty Hunter qui chante «Look What We’ve Done To Love» avec la voix de Marvin. On le retrouve aux manettes de «You Ain’t Living Unless You’re Lovin’», c’est l’un des grands Soul Brothers de la Detroit scene. En B ils passent au r’n’b plus classique avec «If It Ain’t Love (It Doesn’t Matter)». C’est très bon enfant, salué aux trompettes, chacun prend son petit couplet, Pearl Jones, Larry Mitchell, Ty Hunter et Scheerie chérie. Ils passent au Detroit funk avec «Hotel», chanté à la pointe de la glotte rose, ah comme elle est bonne notre Scheerie chérie !

Thanks I Needed That paraît l’année suivante et se distingue encore par les qualités de ses chansons. La petite black de Glass House chante merveilleusement «House Is Not A Home», un hit de Burt. Les frères Holland savent orchestrer, pas de problème. On retrouve Scherrie Payne avec «The Man I’ll Never Have». Elle chante avec une passion consommée, elle monte bien. Holland/Dozier/Holland signent «Thanks I Needed That» qui ouvre le bal de la B, ils font ce qu’ils savent faire de mieux, du pur Motown. Scherrie chérie revient exploser «Don’t Let It Rain On Me», il faut la voir chanter la Motown Soul étoilée ! Elle co-signe encore «Let It Flow» avec Brian Holland et Lamont Dozier, elle chante son I need you baby au gros popotin, alors pas de problème. Au final, c’est un très bel album de Soul, il porte bien la griffe HDH, c’est une perfection.

Les deux albums de The 8th Day parus en 1971 et 1973 sont assez mitigés. Le premier qui s’appelle 8th Day bénéficie d’une pochette superbe : un diable t’invite à danser le funk. Le groupe monté de toutes pièces par les frères Holland propose une Soul qui sent bon le vécu. L’homme chante à l’éraillée. C’est de la Soul classique montée sur un bassmatic bien rebondi à la Jamerson. Ils tapent dans l’énorme hit de Ronald Dunbar, «Too Many Cooks (Spoil The Soup)», un heavy r’n’b chanté à la glotte incandescente. Même power que celui des Tempts, on reconnaît d’ailleurs les dérapages contrôlés d’«I Know I’m Losing You». La B est une face lente, comme sur les compiles Formidable Rhythm’n’Blues d’Atlantic. Ils font du balladif ambiancier à la Curtis Mayfield («Just As Long») et du balladif élégiaque singé Dunbar («I’m Worried»). «I’ve Come To Save You» sonne comme la Soul vainqueuse d’all over the ‘cause I need you.

Leur deuxième album se loge à la même enseigne et s’appelle I Gotta Get Home (Can’t Get My baby Get Lonely). On les voit tous les huit sur la pochette, cinq blacks et trois blancs. Ils démarrent avec «I Gotta Get Home», un fantastique shoot de hard hitting Soul, c’est martelé au beat des forges de Detroit, rivé à chaud et bardé de Black Power, sans doute le meilleur du monde. Ils font des instros de soft groove («Cheba» et «Anythang») joués dans les règles du lard fumant. Pas de meilleur lard que celui-là, le lard Holland/Dozier/Holland supervisé par Ronald Dunbar. En B, ils passent au Soul funk avec «Rocks In My Head», très inspiré de Sly Stone, monté sur un beat hypno bien répercuté par les filles aux chœurs. Ils restent dans le heavy funk avec «Faith Is The Answer» et le réhaussent de wah, c’est un vrai carnage, on frise le funkadelic, boy ! Ces gens expérimentent et «Get Your Mind Straight» en bouche en coin, car voilà un cut en arrêt joué aux infra-basses et lâché ensuite dans la nature pour virer poppy. Ils terminent avec cet «Heaven Is There To Guide Us» qu’on retrouve sur le premier album de The Glass House. Bel hommage aux Tempts, il vise le haut du panier. Dès qu’on touche aux Tempts, ça devient forcément emblématique.

Freda Payne a enregistré trois albums sur Invictus, à commencer par Band Of Gold en 1970. Au dos de la pochette, on voit la belle Freda pensive à la fenêtre et avec le morceau titre, elle nous fait un superbe hit Motown, lourd de conséquences et de gros popotin, gorgé d’aplomb et de rage contenue. Ron Dunbar signe cette merveille impérissable. L’album est très Motown, Freda chante sa soft Soul d’une voix de rêve. Avec «Rock Me In The Craddle», elle règne sur le Freda world, elle est fantastique. Son «Unhooked Generation» est digne des early hits de Stevie Wonder, elle a la niaque du son, c’est pas loin d’«I Was Made To Love Her». Voilà encore un excellent shoot d’Invictus, tous les cuts sont soignés, ce ne sont que des grosses compos. Elle monte bien en neige «The World Don’t Give You A Thing», un hit signé Holland/Dozier, pour changer, et elle revient enchanter le monde avec «Happy Heart», une merveille de Soul magique violonnée par dessus les toits.

Paru l’année suivante, Contact est un peu moins dense. Il semble que cet album soit conçu comme une comédie musicale. C’est très orchestré avec du narratif intempestif. La Soul devient hollywoodienne. Elle fait un peu de Motown avec «You Brought Me The Joy» et casse la baraque en fin d’A avec «You’ve Got To Love Somebody (Let It Be Me)». Elle monte à un très haut niveau d’enchantement. Elle fait du Motown de l’âge d’or. Elle monte en B au sommet de son chat pour «I Shall Not Be Moved», elle sait parfaitement pousser son Motown dans les étoiles. Freda est terriblement savoureuse. Et dans «Mama’s Gone», on retrouve le filet mélodique du «Patches» de General Johnson. Excellent ! Freda le tartine bien.

Elle se tape un dernier shoot d’Invictus en 1973 avec Reaching Out. Elle attaque l’album avec une belle Soul de sexe chaud, à l’image de la pochette. Corps de rêve. Toute l’A est consacrée au sexe chaud. Les affaires reprennent en B avec «We’re Gotta Find A Way Back To Love», big Soul de prestige, tout est là, l’ambiance, le swing, la voix, la classe, c’est à se damner pour l’éternité. Elle reste dans la Soul de charme avec «Rainy Days & Mondays» - Rainy days & mondays/ Always get me down - Avec Freda, le trio Holland/Dozier/Holland tenait une grosse poissecaille. Elle tape à la suite dans l’«If You Go Away» de Jacques Brel, elle en fait une version honorable mais pas aussi définitive que celle de Scott Walker. Elle le chante cependant à pleine gorge. Elle finit en classic Motown Sound avec «Right Back Where I Started From», elle tape ça au gros popotin, à la suprêmo des Supremes, Freda fait sa Ross quand elle veut, avec un sens aigu du chien de sa chienne.

En 1977, Eloise Laws enregistre Ain’t It Good Feeling Good. Elle attaque au diskö Soul, mais avec du chien de sa chienne. Impossible de rester assis en écoutant le «You Got Me Loving You Again» d’ouverture de bal d’A. La diskö Soul d’Invictus est venue pour vaincre, comme dirait Jules Cesar. Encore de la belle diskö Soul de l’autre côté avec «Put A Little Love Into I (When You Do It)» : voix passionnante et orchestrations pulpeuses, tout est soigné aux petits oignons chez Invictus. Quand elle tape un balladif, elle colle bien aux désirs d’Invictus («I Believe In You Baby»). Elle peut aussi taper un r’n’b («Make It Last Forever») et le chanter au souffle court, avec une niaque de remontrance extraordinaire. Elle termine cet album superbe avec «Camouflage», un balladif de Soul sophistiquée, très chanté et très orchestré, avec des chœurs de rêve et tout le bataclan. Eloise arrive comme la cerise sur le gâtö, telle une star Motown, dans tout l’éclat de sa féminité. Black power !

L’un des premiers groupes signés sur le sister label Hot Wax fut 100 Proof Aged In Soul, une sorte de super-groupe monté par Joe Stubbs, Clyde Wilson et Eddie Anderson. Stubbs qui a fait partie des Falcons est en fait le grand frère de Levi Stubbs, le lead des Four Tops. Holland/Dozier/Holland voyait 100 Proof comme une harder-edged alternative aux autres groupes Soul-pop signés sur Hot Wax, notamment les Flaming Ember. Un premier album paraît en 1971, Somebody’s Been Sleeping In My Bed. Attention, ne vous fiez pas à la pochette en forme de gag, car c’est du solide, du hard Soul bien foutu, Soul funk de Detroit, pur jus d’Hot Wax. Ils démarrent avec le morceau titre et ils y vont au heavy Hot Wax. Ils y croient dur comme fer. Ils passent au heavy r’n’b avec «One Man’s Leftovers (Is Another Man’s Feast)». Ils font aussi quelques slowahs assez épouvantables, au sens où ça colle bien, et ils repartent au big rumble de Detroit Sound avec «Not Enough Love To Satisfy». C’est violent et suburbain. Nouvelle explosion de Soul power avec «Too Many Cooks (Spoil The Soup)», ça chauffe comme chez Jr Walker, par dessus les toits de la ville en flammes, c’est du hot de 100 Proof. C’est une vraie bombe de relentless, un hit des plus brûlants, qu’on trouve aussi sur l’album de 8th Day paru la même année. Ça se termine avec le faramineux «Backtrack», qui est tout bêtement le parfait r’n’b, l’excellence définitive. Ça chante à la féminine et c’est terrific. Hot Wax forever.

Leur deuxième album titré 100 Proof paraît l’année suivante. Sur la pochette, une belle afro photographiée de dos. Au moins, on sait où on est. Ces mecs groovent comme les Tempts, sur un beau bassmatic. On reste dans la belle Soul Motown des early seventies. Ils chantent leur «Since You Been Gone» à pleins poumons, avec du come back baby plein la bouche. Ils visent l’ampleur de Sam Cooke. Leur grandeur reste du domaine de l’implacabilité des choses. Avec «Ghetto Girl», ils foncent doit dans la belle Soul urbaine, avec le Ghetto, c’est forcément urbain. Ils restent classiques mais dans l’excellence. Ils reviennent à la Soul de Tempts avec «Don’t Scratch Where It Don’t Itch». Ils visent aussi le power d’Edwin Starr. Ils font du heavy r’n’b à la Starr et le scratch scratche bien. Ils maintiennent le cap sur la Soul conquérante avec «Don’t You Wake Me», ils cultivent leurs germes avec bonheur. Tu ne coupes pas la chique aux 100 Proof.

Le Think Of The Children de Satisfaction Unlimited paru en 1972 sur Hot Wax est un bon album de groove urbain, un peu à la Terry Callier. «I Know It’s Love» est un fabuleux shake de groove chanté au yes it is. Comme le montre «Spread Your Love Around», leur groove est aussi d’une incroyable modernité, à cheval sur la Soul et le heavy rock US. On tombe en B sur l’excellent «Somebody Else’s Woman», un rock de Soul chargé de climax et bien nappé d’orgue, vraiment très bien foutu, chanté à la ferveur de la chandeleur. Ils cultivent leur pré carré de groove urbain, ils excellent dans l’exercice de l’extrême onction. Tout sur cet album est savamment orchestré, percus + cuivres et cette voix de black à l’accent chantant. Une trompette accompagne «Seeing You Throught The Eyes Of A Blindman» vers la sortie, avec une sacrée dignité.

McKinley Jackson est l’un des personnages clés de l’aventure Hot Wax/Invictus. C’est lui qu’on retrouve sur l’album de Lamont Dozier, Out Here On My Own. Il traîne aussi dans les parages de General Johnson. Mais c’est avec son album The Politicians Featuring McKinley Jackson paru en 1972 qu’on va vraiment pouvoir l’apprécier, d’autant qu’il démarre avec un véritable coup d génie : «Psycha-Soula-Funkadelic». La basse y broute la motte du funkadelice. Le bassmatic a l’énergie du diable. Attention, c’est un album d’instros, mais d’instros bien sentis. Les Politicians qu’on voit au dos de la pochette n’en finissent plus de charger la barcasse de la rascasse, c’est plein de bass drive et de percus («Free Your Mind»). Le bassman s’appelle Peanut Roderick Chandler. En B, on se régale de «Funky Toes», un bel instro de good time music. Voilà du Detroit Sound bien tempéré, comme dirait Jean-Sébastien.

Eddie avait repéré The Flaming Ember, un rock group qui nous dit Eddie est dans le circuit de la Detroit scene depuis des années - In terms of local popularity, they were second only to Mitch Ryder - Ce que confirme l’excellent Westbound #9 paru en 1970. Ils démarrent sur une belle cover du «Spinning Wheel» de Blood Sweat & Tears, suivi d’un morceau titre bien sonné des cloches. C’est de la Soul blanche extrêmement solide. Ils tentent de faire du black power avec de la Soul blanche, c’est pas mal, il faut avoir le courage d’essayer, en tous les cas. Jerry Plunk monte bien au chat perché. Ils font un «Going In Circles» somptueux et ils bouclent l’A avec «Why Don’t You Stay», un hit signé Dunbar & Wayne qui ont pondu des œufs d’or pour Freda Payne et les Chairmen. Extrêmement balèze ! On trouve encore deux merveilles en B, «This Girl Is A Woman Now» et le raw r’n’b de «Heat On». Tous les cuts sont inspirés par les trous de nez, diable comme ce Jerry Plunk est bon ! «Flashback And Reruns» est co-écrit avec le General, et c’est forcément bon. Chez Hot Wax, on ne table que sur le qualitatif.

Le deuxième et ultime album de Flaming Ember s’appelle Sunshine et paraît l’année suivante. Ces mecs se battent pied à pied avec le lard de la matière. Il font de la Detroit Soul blanche et une guitare se perd dans l’écho du temps. Il faut attendre «Stop de World (And Let Me Off)» de Ron Dunbar pour que ça décolle. Ils sonnent comme les Tempts. Ça repart de plus belle en B avec un «Gotta Get Away» dévoré par un bassmatic carnivore. Pareil, on y retrouve tout le power des Tempts, avec une belle virée de wah sur le tard. Ils font du Motown en blanc. Jerry Plunk reste un excellent shouter. Leur «Ding Need Dong» reste puissant, avec cette ossature rythmique et ce raunch du chant de Ding-a-ling qui évoquent chaque fois les Tempts.

Pourquoi faut-il écouter It Moves Me - The Complete Recordings 1958-1964, cette compile d’Eddie Holland parue sur Ace ? Parce que c’est là qu’on trouve la version originale du «Leavin’ Here» qu’ont repris les Birds, Lemmy et d’autres. L’ancêtre gaga par excellence. L’autre bombe s’appelle «Twin Brother», hit signé Smokey, heavy shoot de r’n’b, c’est bouffé tout cru par les chœurs de yeah yeah yeah. On trouve à la suite une autre version plus heavy et quand Eddie se coule dans le caramel, les folles reviennent. Le problème que cette compile (56 cuts en tout) grouille de bombes : «True Love Will Go A Mighty Long Way», Eddie nous sert ce vieux r’n’b sur un plateau d’argent. Pas étonnant que Berry Gordy ait tenté de le lancer, Eddie chante comme un dieu, il peut faire son Marvin («(Lonelinness Made Me Realize) It’s You That I Need»), du early Tempts («Happy Go Lucky») et des classiques de r’n’b comme cet énorme «Too Late To Cry». Il peut même taper des pétaudières de type «Pretty Angle Face» et devenir carrément explosif avec «Take Me In Your Arms». C’est du hot Motown sound dévastateur, Eddie rocks it off, c’est aussi puissant que la revue d’Ike. Eddie saute encore dans les bras de la Soul avec «I Like Everything About You». C’est un Soul Brother inexpugnable, il roule tout le r’n’b dans sa farine. Tout est à tomber, sur le disk 2 de cette compile. Et pourtant ce n’est pas évident, car sur le disk 1, Eddie avale pas mal de couleuvres, c’est-à-dire qu’il doit chanter les cuts infâmes que compose son mentor Berry Gordy. On en trouve une bonne douzaine en début de dik 1. Quand il chante «The Last Laugh» composé par son frangin Brian, c’est complètement autre chose. Pareil avec «Jamie», signé Barrett Strong, un vieux rumble plein de son et de chœurs. Puis à mesure que le temps passe, Eddie a des cuts plus solides à se mettre sous la dent comme cet excellent «It’s Not Too Late». Le son Motown prend forme avec «Just A Few More Days». Son «I’m On The Outside Looking In» tient la dragée haute à Stevie Wonder et avec «If It’s Love It’s Alright» et «Candy To Me», les bombes continuent de pleuvoir. Si ne n’était pas une métaphore d’un goût douteux, il faudrait se mettre à l’abri.

Mais Eddie et Brian n’ont pas le backing nécessaire, même s’ils font partie de Capitol. Le problème c’est que Capitol ne pige rien au black market et c’est Eddie qui doit financer sur ses fonds propres le marketing black market. Il est tellement excédé qu’il rencontre Clive Davis qui est alors président de Columbia. Clive Davis pige tout de suite, mais il est viré pour avoir détourné des fonds. Eddie et Brian se retrouvent dans la pire des situations : liés à un label qui ne sait même pas qui sont les frères Holland. Alors glou glou glou.

Brian : «J’ai adoré les Invictus years. Ce fut une période heureuse. Mais au fond de ma tête, il restait ces conflits, avec Motown puis avec Lamont.» En 1984, les frères Holland rebondissent en montant le label Holland-Dozier-Holland. Leur première idée est de rééditer les groupes phares d’Invictus et d’Hot Wax, mais leur manie de la découverte reprend vite le dessus : ils produisent Liquid Heat et Cassandra, puis Ronnie Laws et Rick Littleton. Mais on va s’arrêter là, car l’âge d’or se trouve derrière eux.

Signé : Cazengler, fromage de Hollande

Eddie Holland. It Moves Me - The Complete Recordings 1958-1964. Ace Records 2012

Flaming Ember. Westbound #9. Hot Wax 1970

Flaming Ember. Sunshine. Hot Wax 1971

8th Day. 8th Day. Invictus 1971

8th Day. I Gotta Get Home (Can’t Get My Baby Get Lonely). Invictus 1973

Harrison Kennedy. Hypnotic Music. Invictus 1971

Glass House. Inside The Glass House. Invictus 1971

Glass House. Thanks I Needed That. Invictus 1972

Danny Woods. Aries. Invictus 1972

Freda Payne. Band Of Gold. Invictus 1970

Freda Payne. Contact. Invictus 1971

Freda Payne. Reaching Out. Invictus 1973

100 Proof Aged In Soul. Somebody’s Been Sleeping In My Bed. Hot Wax 1971

100 Proof Aged In Soul. 100 Proof. Hot Wax 1972

Satisfaction Unlimited. Think Of The Children. Hot Wax 1972

McKinley Jackson. The Politicians Featuring McKinley Jackson. Hot Wax 1972

Eloise Laws. Ain’t It Good Feeling Good. Invictus 1977

Eddie & Brian Holland. Come And Get These Memories. Omnibus Press 2019

Andrew Male : The Mojo Interview. Mojo # 315 - February 2020

 

 

Inside the goldmine

- Oh Why don’t we do it in the road ?

 

— Voyons, monsieur Klein, je ne peux pas vous le céder à un tel prix... Vous ne vous rendez pas compte...

— Ce sera mon dernier prix ! Et si vous revenez demain, je réduirai mon prix de moitié ! À prendre ou à laisser. Décidez-vous rapidement, car vous me faites perdre mon temps.

— Vous abusez de votre position, monsieur Klein, mais c’est chose courante par les temps qui courent. Tout le monde veut tirer le meilleur profit de tout le monde, sans le moindre égard...

— Prenez votre décision car je vous l’ai dit, mon temps est précieux.

— Croyez-vous vraiment que ce soit correct de votre part de me proposer ce prix pour une œuvre aussi singulière ?

— Personne ne vous fera une meilleure offre pour cet obscur objet du désir. Veuillez croire qu’en vous proposant de vous racheter l’objet à ce prix, je vous rends service.

— Vous me voyez contraint et forcé d’accepter...

— Allons mon vieux, ne faites pas cette tête de Juif errant. Vous le savez, dans la vie, il faut des baisés.

L’homme prit la liasse de billets que lui tendait monsieur Klein, l’enfouit dans la poche de son manteau et s’éclipsa sans mot dire. Klein posa l’objet sur un petit chevalet et s’installa à deux mètres de distance pour l’admirer. La pureté graphique du visuel l’enchantait. Un immense ‘Oh’ noir aux contours peints à la main frappait tel un sceau impérial le blanc cassé de l’aplat. Aux yeux de Klein, ce visuel relevait de l’absolue perfection.

 

Pourquoi se pencher sur le destin de l’album des Why Oh Whys ? La réponse est simple. Elle est même toujours la même : il suffit juste d’entendre un cut à la radio pour situer l’importance d’un épiphénomène. Un seul cut suffit.

Ça devait être en 2018 sur le Dig It! Radio Show. Gildas annonça «Join Me In Confusion» par les Why Oh Whys. Ça tilta rien qu’avec la conjonction des deux éléments, le titre du cut - quasi-hendrixien - et le nom du groupe - élégance suprême de la phonétique - À cela s’ajouta dans la foulée un son d’une rare présence, un battage d’esprit de Seltz altéré par des remugles Dollsy. Ces mecs jouaient avec un sens aigu de la désaille et un tact fou, jetant dans leur balance tout le poids d’une résonance de notes de basse qui garnissait le cortex d’une viande considérable. Comme l’y invitait le titre, on se laissa doucement glisser dans la plus délicieuse des confusions.

Allons, allons, un peu de calme. On ne va quand même pas faire un fromage de cet album qui, comme des milliers d’autres, tombe dans l’oubli aussitôt fabriqué. Qui se soucierait encore aujourd’hui de l’album d’un groupe suédois paru en 2018 sur le plus underground des labels suédois, Beluga Records ? Quel sens ça peut avoir d’aller déterrer ce truc-là ? Why Oh Why ? Bonne question.

Le Why Oh Whys n’est pas l’album du siècle. Il n’est pas certain non plus qu’il ait son billet pour l’île déserte. Il fait simplement partie des groupes découverts par Gildas au temps où il conduisait le fol équipage de son Radio Show. Il diffusait chaque semaine trois heures de cuts triés sur le volet et ceux qui sortaient du lot nous poussaient au vice, c’est-à-dire à la commande.

L’arrivée à bon port de l’album des Why Oh Whys fut salué par des oh et des ah d’admiration. Objet parfait, au recto comme au verso. Graphisme pur sur le recto - big fat oh black - et photo du groupe au verso. Et là, on comprend mieux, quand on voit la dégaine des Why Oh Why. Ils ont des allures de Ron Asheton 68, mais à la suédoise. Alors ça devient cohérent. On sait pourquoi ces mecs sont doués et on se débrouille avec ça : onze titres et la photo du groupe. Au fond, le bon rock n’a pas besoin d’autre chose. Au temps du Velvet et des Stooges nous n’avions que ça à nous mettre sous la dent, les titres et les photos, et ça suffisait. Nous n’avions pas vraiment besoin de littérature.

L’album des Why Oh Why ne sera jamais un album culte, mais il peut pourtant plaire infiniment, rien qu’à voir la dégaine de ces mecs. Ils ont vraiment l’air d’en avoir rien à cirer, boom ils envoient leur dégelée d’«Hoochie», un cut que passait aussi Gildas, un «Hoochie» qui dégage de violents parfums seventies, avec un son qui s’entortille dans un lierre référentiel absolu. Ils tartinent leur rock dans la joie et la bonne humeur. On garde précieusement le souvenir de cette première écoute, qui disons-le franchement, provoqua un réel coup de cœur. Il faut aussi les voir allumer leur «Crimey» au ouh-ouh, ils sont assez fiers d’exhiber leurs racines gaga-punk suédois, mais en ferraillant comme les Stones de la grande époque. Ils ont tous les bons réflexes. Les riffs de «Without You I’m Nothing» rappellent ceux de «Should I Stay Or Should I Go», mais ils jouent ça... comment dire... à bride abattue, comme si, déterminés à vaincre, ils cisaillaient l’apanage aurifère. De toute évidence, ces mecs écoutent les grands albums de rock des seventies. La façon dont tombe le pli du riff est chaque fois exemplaire. Il faut voir Alex Patrini Mansson lâcher ses awite ! Quelle classe ! On note aussi l’excellence de la section rythmique. Ces mecs ont le répondant du rebondi, ils savent jouer serré dans les lignes droites, ils disposent de la puissance de la fière évanescence, ils voudraient être des modèles qu’ils ne le pourraient pas, occupés qu’ils sont à remaker le remodel et ils dotent leur «Pov» d’un final gorgé de basse tétanique, alors bravo.

Signé : Cazengler, ouaf oh ouaf (ramène la baballe !)

Why Oh Whys. The Why Oh Whys. Beluga Music 2018

 

L’avenir du rock

- Sittin’ on a White Fence

 

Histoire de varier les plaisirs, l’avenir du rock a décidé de se présenter aux élections. Il arrive sur le plateau d’une grande chaîne de télé nationale. Trois des plus fins analystes politiques l’attendent, comme des vautours guettant leur proie :

— Cher avenir du rock, merci de participer à notre débat. La première question que se posent nos téléspectateurs est de savoir pourquoi vous faites cavalier seul...

— Je n’ai besoin de personne/ En Harley Davidson, vroom la la, vroom la la...

Les analystes se regardent, interloqués. Caroline de Beaunibard relance immédiatement le débat :

— Si je vous comprends bien, vous favorisiez les investissements américains en Europe, au détriment des forces vives de la nation ?

— J’appuie sur le starter/ Et voici que je quitte la terre, vroom la la, vroom la la...

— Mais vous ne pouvez pas faire passer les intérêts de la Nasa avant ceux de l’aéronautique nationale, avez-vous pensé aux milliers de salariés d’Air Toulouse ?

— J’irai peut-être au parlement/ Mais dans un train d’enfer, vroom la la, vroom la la...

— Ainsi, vous faite la promotion du libéralisme radical ? Ne craignez-vous pas de voir les Français descendre dans la rue ?

— Je tiens bien moins à la démocratie/ Qu’à mon terrible engin, vroom la la, vroom la la...

— Vous comptez donc passer en force avec une utilisation abusive du 49.3 au risque de mettre la Ve République en danger ?

— Que m’importe de courir/ Les cheveux dans le vent, vroom la la, vroom la la...

— Soyez certain, avenir du rock, que les Français auront reçu votre message !

— Vive la République, vive la Fence !

 

Il s’agit bien sûr de White Fence, ce projet mené dans l’ombre de l’underground américain par Tim Presley, lequel Presley, qui n’est pas apparenté au Presley qu’on croit, fréquente assidûment un autre grenouilleur impénito-californien, Ty Segall, et comme Ty, Tim œuvre au sein d’une nébuleuse de projets, le plus saillant étant White Fence. Ty, Tim et John Dwyer sont devenus en peu de temps les champions hors compétition du productivisme underground mondial et la septième plaie d’Égypte pour le porte-monnaie des ménagères qui fréquentent les disquaires.

Album étonnant que le premier album sans titre de White Fence paru en 2010. Sur le «Be Right Too» qui referme la marche de la B, Tim Presley sonne exactement comme John Lennon, période Lennon solo. Il se situe à ce degré d’excellence, même sens de la prod spectorienne et du chant d’accent. Fantastique exercice de style ! On est aussi tout de suite saisi par le weird de «Mr Adams» en ouverture de bal d’A, une petite pop d’intimisme prolixe très anglaise, avec des voix évaporées. C’est ce qu’on appelle l’empire du weird. S’ensuit un joli groove underground, «Who Feels Right». Ces petits mecs créent leur monde. Et dans «Slaughter On Sunset Strip», on entend le solo le plus souterrain de l’histoire de l’underground, mêlé à des échos de Velvet, avec du Fence en plus. Tiens, puisqu’on parle du loup, le voilà : «Sara Snow» sonne comme un balladif du Velvet, illuminé de l’intérieur, avec des dissonances dans le solo, comme dans celui de «Pale Blue Eyes». On se régale aussi de la heavy pop de «The Gallery & The Honeydripper», une heavy pop noyée d’éclairs et de stridences parasites du meilleur effet. En B se niche un big bazar nommé «Destroy Everything» : énormité du son, tout le spectre est rempli avec de la disto qui dégueule comme si elle avait le mal de mer. Quant au solo, il ne fait que défenestrer. C’est déjà pas mal.

Tim Presley fonctionne exactement de la même manière que Ty Segall et John Dwyer : il propose des albums à bases d’idées et de son. L’Is Growing Faith paru en 2011 en est le parfait exemple. «And By Always» sonne comme du vite fait bien fait, il ne perd pas de temps, il est tout de suite dessus, il noie sa petite pop indé dans l’écho, il fait claquer sa gratte à l’éclat fatal, avec la pulsion d’un énorme bassmatic derrière. Excellent ! Il a tout bon : une énorme énergie et un gros son de guitare. Il joue «Sticky Fruitman Has Faith» à la petite arrache bienveillante, les guitares scintillent et la rythmique halète, et ça monte encore d’un sacré cran avec un «Enthusiasm» bien demented, furieux et génial à la fois, noyé de folie sonique. Il dispose d’un fantastique power de base. Il revient au heavy sound un peu plus loin avec «Lillian (Won’t You Play Drums?)», il connaît toutes les ficelles de caleçon de l’indie blast, sa pop-rock flirte avec l’effarance, c’est du psyché avec un son bien raw. On le voit ensuite flirter avec le son du Magic Band dans un «Get That Heart» battu tribal. Il veille à rester soigneusement underground. Pas de danger qu’il aille se brûler les ailes. Il bosse pour l’avenir du rock.

Ty & Tim enregistrent Hair en 2012. Bel album collaboratif. On en pince tout de suite pour «Scissor People», un cut tendu visité par des vents psychédéliques. C’est donc un album psyché. Nouvelle rasade psyché avec «Tongues». Ils renouent avec les grandes heures du psyché anglais et des harmonies vocales des Hollies, le tout monté sur un bassmatic élastique et un peu sourd. Que de son, my son ! L’«I Am Not A Game» qui se niche en A est aussi très anglais. On se croirait à Londres en 1965, quelque part entre les Hollies et les Zombies, dans une pop psychédélique teintée d’orgue. Ty & Tim nous offrent ici une belle flambée de freakout so far out. Ils régalent leur auditoire. Ils restent dans la pop anglaise avec un «Easy Rider» imparable, très compréhensible, avenant et vivace, quasi-lennonien. On dira la même chose de «The Black Glove/Rag», encore qu’on y sente plus l’influence de Donovan, puisque ce sont les effets vibrés d’«Hurdy Gurdy Man». Ty s’y fend d’un joli chabalabada psychédélique. Cet album est un véritable paradis pour l’oreille. Encore du haut de gamme avec «(I Can’t) Get Around You». Ty sur-barde à nouveau son cut de son et tape un solo à la George Harrison. Fameux. Même si on essayait, on ne pourrait pas s’en lasser.

Ce serait une grave erreur que de faire l’impasse sur Family Perfume Vol. 1 et Family Perfume Vol. 2, ces belles compiles underground parues en 2012. Ce sont des collections d’exercices de style qui flirtent assez souvent avec le génie, la preuve avec «Down PNX», vieux shoot de heavy punk-rawk joué au rebondi et à la violence étoilée. Le cut d’ouverture de bal vaut lui aussi pour une belle énormité, «WF/FP», heavy trashcore enfoncé au heavy beat, joué aux gros sabots, voilà le trash à la hussarde dont on rêve tous. Tim Presely claque sa chique à la suite avec «Swagger Vets And Double Moon», c’est bien tagada, taillé dans la masse du sur-mesure. Cet album sonne comme une leçon de savoir-faire, c’est intense, bien cloué dans la Fence. Ils jouent quasiment tout à la belle envergure de heavy ramasse. S’ensuit un «Hope! (Servatude, I Have No!)» plein d’esprit, puis ils avalent «Soaring, Daily Pique Num. 2» au heavy trash, glurp, taillé dans la masse une fois de plus, pas de rémission et ils passent au «Hermes Blues» en serrant le son dans les virages, c’est amené au vieux gratté d’excellence. «Hey! Roman Nose» sonne très anglais, très empesé, le trackback est majestueux, c’est joué à la boucle défaite, tordu à ravir. Tim Presley chante ensuite son «Breathe Again» d’autorité, il règne sans partage sur son petit royaume et nous sommes tous les bienvenus. Il maîtrise tous les arts. Et il va continuer de bluffer sa clientèle sur le Volume 2, avec deux pastiches : un pastiche des Beatles («She Relief») - On se croirait sur Revolver, incroyable métabolisme - et un pastiche de Syd Barrett («Lizards First»). Il faut l’entendre passer un solo de fuzz dans «Real Smiles». Il fait encore un pastiche avec «Upstart Girls», cette fois des Mary Chain. Il se montre de plus en plus anglophile. Comme le fait Jim Reid, Tim Presley remonte bien le courant. Ces deux albums sont des mosaïques extraordinaires. On le voit cultiver le classicisme avec «A Good Night» et attaquer «I Am A Sunday» aux accords gaga de Gloria. Il se fond dans son groove d’excellence, c’est infernal car il joue avec les idées de son et il met au passage le gaga à sa botte. Il descend dans l’«Anna» avec un sacré gusto - Country flavor - Quel incroyable caméléon, sa country est un modèle du genre. On le suivrait jusqu’en enfer. Ce mec est bon au-delà de toute expectitude. Il est le premier convaincu de son génie à la ramasse, comme le montre «Tame». Il ramène des guitares sixties dans «King Of The Decade», il joue des licks aériens de George Harrison, il les recycle, on se croirait à Abbey Road. Il joue la carte du son à fond.

Cyclops Reap ? Quel album ! On sent tout de suite la belle énergie indé. Ça ne ressemble à rien sauf à la Fence. Il trame son «Beat» en père peinard sur la grand-mare des canards. Même s’il nous tourne le dos sur la pochette, ce mec force la sympathie. L’album paraît agréable, plein d’inventivité. Pas de vagues, pas de hit, juste une présence. La voix est là, juste derrière. Comme tous les aventuriers, il va chercher du son. Il fait avec «Pink Gorilla» du bon psyché indé et ne se montre pas avare de désinvolture. Il vise parfois la clochadisation du son, comme le fit Jad Fair en son temps. Il lui arrive aussi de s’offrir un beau délire de power pop duveteuse («Live In Genevieve»), on se sent bien en sa compagnie, il noie le chant dans le son, non seulement il excelle, mais en plus il déroute. Il parvient même à se rendre indispensable («New Edinburgh Man»), il chante du fond de l’underground, sa voix se mêle à des relents de riffs infectueux, on tombe sous le charme discret de sa bourgeoisie et il brise la glace avec un final de fou dangereux. Si tu recherches de l’aventure, c’est la Fence qu’il te faut. «Make Them Dinner At Our Shoes» est un petit brouet de tout ce qu’on aime : le psyché insidieux, les montées de fièvre gaga et la pop qui va bien. C’est solide et bien intentionné. Sa façon de jouer sur tous les tableaux est assez pertinente. Tim n’a pas de voix, seulement une présence, c’est déjà pas mal.

Sur l’excellent Live In San Francisco paru en 2013, on retrouve «Enthusiasm», cette belle envolée garage digne du 13th Floor. L’ensemble de l’album est de très haut niveau, à commencer par le dévastateur «Swagger Vets And Double Moon» et sa belle évanescence de swagger, Tim Presley chante à la décadence absolutiste, il fait du heavy gaga dylanesque. Il a tout le power derrière lui, ça sonne comme un extraordinaire entrain piloté par une guitare d’investigation et là tu tombes à genoux. Power pur ! Avec «Mr Adams/Who Feels Right?», il entre dans le lard d’une pop-rock californienne extrêmement bien foutue, dotée de tout le power du monde, il joue sur le pulsatif du beat de Frisco. Psycho-power ! Encore un fantastique numéro d’hypno avec «Baxter Corner», ça dure 8 minutes, ces mecs sont capables du meilleur. Ils montrent un goût prononcé pour le trash-punk avec «Harness», on croirait entendre les Buzzcocks tellement le son est anglais et retour à l’underground avec «Lizards First», joué à coups de slide et au beat de la revoyure. Tim est un bon. Sur scène, il a énormément de son. Et comme le montre «Pink Gorilla», il ne recule devant aucune extrémité. Il sonne encore une fois comme le 13th Floor. Il termine avec «Breathe Again», il y ramène tout le rock du monde, il chante comme Dylan à Frisco.

Avec For The Recently Found Innocent, Tim Presley ne change rien à son mode de fonctionnement : il chante un petit laid-back de petit brun. Il fait son petit truc. On note la présence du copain Ty au beurre. Tim bénéficie donc de la chaleur d’un bon beat, surtout dans «Like That». Tim taille bien sa route. Il reste très vieille Fence, très pop indé. Il balance en permanence entre l’entrain et l’ennui. Il faut attendre «Arrow Man» pour frémir enfin, car c’est joué au beat rebondi. Puis il se prête au petit jeu des redondances infectueuses avec «Actor» et se montre fabuleusement intriguant. Se pose toujours le vieux dilemne, les trucs à dire et à ne pas dire. La heavyness de «Afraid Of What’s Is Worth» est bienvenue de la part d’un mec comme Tim. On sait bien qu’il ne va pas chercher à nous entuber, ce n’est pas son genre, il joue son heavy balladif dans la plus parfaite sérénité. Oui, la sérénité, c’est son truc. Tim est un cas intéressant car il n’a aucun espoir. Et puis voilà le dernier round : «Paranoid Bait». Encore une fois, il est le bienvenu parmi nous, il bascule dans le gaga. Ce qui est bien avec un mec comme Tim, c’est qu’à aucun moment on est obligé de se prosterner. Il fait son job de White Fence en toute sérénité, sans jamais chercher à la ramener.

Autre album collaboratif de Ty & Tim : Joy. On passe un peu à travers, mais la fascination de Ty pour les Beatles refait surface dans «Good Boy». Ils suivent tous les deux un process expérimental vaguement beatlemaniaque. Ty n’en finit plus d’explorer les textures aventureuses - We see oceans baby blue - Il s’amuse aussi avec «Baby Behavior» dans le bac des minutes de sable mémorial et en B, il raconte dans «Do Your Hair» une micro-histoire à la Jad Fair - He stole a car/ And ate garbage - C’est sacrément bien foutu, mais l’album sonne comme un repas frugal. Pour le dessert, ceinture.

L’I Have To Feed Larry’s Hawk date de 2019. Le groupe ne s’appelle plus White Fence mais Tim Presley’s White Fence. L’album est un peu moins dense que les précédents. Il propose une petite pop assez possessive, mais pas innocente. Très Fence, en fait. Il va cependant devoir rétablir la confiance, il va lui falloir beaucoup de courage. Cette fois c’est le côté dandy qui ressort dans le son. Il propose un «I Love You» assez enchanteur. Il sait lever une pâte. Le voilà qui sonne comme Syd Barrett dans «Lorelei». Incroyable rapprochement, c’est très inspiré, même chose avec «Neighborhood Light», plus rock, même s’il semble emmener son rock en ballade. Il chante à l’éplorée des TV Personalities, il fait de la pop anglaise de très haut niveau avec toutes les interférences qu’on peut bien imaginer. Son abandon ne trompe pas. Il reste très anglais avec «I Can Dream You», puis il va se mettre ensuite à expérimenter des trucs, alors on perd le dandy. Dommage.

Signé : Cazengler, White Fiotte

White Fence. White Fence. Make A Mess Records 2010

White Fence. Is Growing Faith. Woodsist 2011

Ty Segall & White Fence. Hair. Drag City 2012

White Fence. Family Perfume Vol. 1. Woodsist 2012

White Fence. Family Perfume Vol. 2. Woodsist 2012

White Fence. Cyclops Reap. Castle Face 2013

White Fence. Live In San Francisco. Castle Face 2013

White Fence. For The Recently Found Innocent. Drag City 2014

Ty Segall & White Fence. Joy. Drag City 2018

Tim Presley’s White Fence. I Have To Feed Larry’s Hawk. Drag City 2019

 

ROCKABILLY GENERATION NEWS n° 20

JANVIER / FEVRIER / MARS 2022

Vous avez commandé quoi au Père Noël, moi j'ai déjà reçu mon cadeau surprise, avec quinze jours d'avance, je l'attendais pour mes étrennes, ça n'a pas traîné, direct dans la boite à lettres. Z'ouvrons zé lizons !

Commençons par le commencement : par le premier des rockers. C'est ainsi que le présentaient Guy Pellaert et Nick Cohn in Rock Dreams, Non ce n'est pas Elvis. Ne pensez pas à Bill Haley. L'est tout beau, avec son chapeau blanc sur la deuxième de couve. Non il n'a pas l'air d'un rocker, un peu cowboy du dimanche dans son costume, le même que vous portiez ( avec moins de classe ) pour le mariage de votre cousine, le parfait plouc qui s'est fait beau pour descendre au saloon et monter honorer les demoiselles au premier étage le samedi soir. Un petit air maladif qui devait plaire aux filles. En plus il ne chantait pas du rock 'n' roll mais du country, pas tout à fait, l'a assuré la liaison entre le hillbilly et le country, dans la mythologie nordique Nidhögg le serpent rouge ronge les racines d'Yggdrasil l'arbre du monde, c'est pareil pour le rock'n'roll quand vous cherchez ses racines, tout au bout vous trouvez Hank Williams, chanteur extraordinaire, compositeur exemplaire, et créateur suicidaire de l'attitude rock. Un rebelle, pas contre le système, contre l'existence, sachez faire la différence, l'a avalé à lui tout seul plus de pills et de whisky que tous les habitants de l'Amérique depuis 1776, l'était comme nous, l'avait du mal à vivre dans la médiocrité du monde, s'est endormi à même pas trente ans sur le siège arrière de sa Cadillac, un premier janvier, sa façon à lui de souhaiter une bonne année 1953 à ses contemporains. Greg Cattez évoque avec brio cette comète qui n'a fait que passer mais dont le souvenir s'est inscrit dans la mémoire des hommes.

Les deux pages qui suivent serrent le cœur. Jenny reprend le flambeau de son père le Grand Dom, suit l'injonction du grand organisateur sur son lit d'hôpital, toute de simplicité et de pudeur, avec la volonté farouche de continuer les trente-six années de combat pour le rockabilly, Rockabilly Generation est présent au premier concert, à ce Tribute to Grand Dom qui n'est qu'un début, l'appareil photo de Sergio Kazh porte témoignage...

Kustom Festival & Tatoo, comme cela ça ne dit rien, dites Parmain et les visages s'éclairent. Des carrosseries et des tatoueurs mais aussi des concerts de rockabilly, Kr'tnt ! vous y a déjà emmenés, Philippe Cousyn raconte l'Odyssée, l'histoire est triste, le covid, l'interdiction du festival, le pari fou de reprendre l'aventure sans un sou dans les soutes, faudra être au rendez-vous pour la prochaine mouture, Parmain reprend son souffle et n'abandonne pas la lutte !

Deux pages, mais du lourd, même si Miss Dey est gracile comme une libellule, Jacky Chalard la présente, le créateur de Big Beat Records raconte la saga de Miss Dey ( Wild Woman ) and the Residents avec en prime mise en page esthétique.

Les premiers festivals ont repris. Sergio Kazh est doublement heureux, Pleugueneuc c'est chez lui ( tout ce qui est Breton lui appartient ) alors il mitraille à tout-va, atout cœur, l'a mis un carburateur sur son obturateur, on ne se lasse pas de tourner et de retourner les pages, certes du beau monde, Tony Marlow, Billy Bix, Fame and the Flames, Spunyboys, mais aussi un artiste qui sait saisir l'instant et fixer les attitudes. Un véritable coloriste aussi.

Trois pages sur les deux sets de Barny and the Rhythm All Stars au Corcoran, vous n'y étiez pas, vous avez eu tort. Moi aussi. L'on se dirige vers la fin, les rubriques habituelles, Backstage, Guide Musique, dernière nouvelle – le Cat Zengler m'avait prévenu - les Hot Slaps se séparent, nous aussi, courez vite acheter ce numéro, le vingtième à qui nous donnons la note 20 / 20.

Damie Chad.

Comment j'aurais oublié quelque chose, pas du tout, vous vous trompez, vous faites erreur. Vous insistez, moi qui voulais la garder pour moi tout seul, elle est trop belle. Déjà sur la couve, vous ne voyez qu'elle, d'abord la pivoine épanouie sur son avant-bras, et derrière la rose des roses, Lily Moe, l'Impératrice du Rhythm 'n' blues. Là perso, je pense que Sergio Kazh n'a aucun mérite pour ses magnifiques pleines pages, Lily sourit et vous voyez la beauté éclore sous vos yeux. Lily Moe se raconte, l'histoire d'une petite fille qui habitait dans la campagne suisse et qui rêvait de devenir chanteuse et qui l'est devenue, c'est venu comme cela, le destin des circonstances, elle aime la vie, toute simple, la joie pétillante, et le vin, et le rhythm 'n' blues, non pas les sonores orchestrations cuivrées de Stax et de Muscle Shoals, le rhythm 'n' blues des années cinquante d'où a émergé le rock 'n' roll, celui de Bill Haley, encore empreint de syncopes noires et du swing des danses enfiévrées...

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 5,15 Euros + 4,00 de frais de port soit 9, 15 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !

 

GENE VINCENT

( in Rock 'n' Folk N° 652 )

652 numéros de R 'n' F et toujours pas de couve consacrée à Gene Vincent... scandalissimo, ridiculissimo, n'en jetons plus, d'autant plus que cette fois le nom est en couverture, signe d'un article à l'intérieur. Je cherche la page sur le sommaire, ah, plumé de Nicolas Ungemuth, je fais la moue, je tremble, j'ai peur, quand il est arrivé dans la revue, l'avait pris l'habitude de dégommer les idoles phares des années 70, une manière de remettre les pendules à l'heure de la modernité, l'est sûr qu'il est parfois bon de disperser les cendres froides du passé, mais il est difficile de démonter les vitraux des adorations perpétuelles sans abîmer la verroterie des affects...

Fausse crainte. Un bel article. Esthétiquement bien mis en page. Un beau portrait, le fan n'apprend rien, mais une introduction quasi-parfaite pour le lecteur curieux qui ignorait jusqu'à son existence. Quelques manquements, les enregistrements Challenge ont bien paru en 33 tour, ( dix morceaux + 1 simple de deux autres titres ) mais en France. Quant à qualifier les deux derniers trente-trois de Kama Sutra de ''quelconques'' c'est être passé à côté de leur poignante et splendide dimension crépusculaire...

Un article à découper et à conserver précieusement. Merci à Nicolas Ungemuth. Very muth.

Damie Chad.

 

 

LA PANTHERE ET LE FOUET

LANGSTON HUGHES

( Ypsilon Editeur / 2021 )

 

Merci à Sébastien Quagebeur de m'avoir signalé la sortie de ce recueil de poèmes de Langston Hughes. Rappelons que dès notre vingt-et-unième livraison du 07 / 10 / 2010 de Kr'tnt ! nous évoquions The Weary Blues son premier recueil, lorsque l'on me demande le titre de mon morceau de blues préféré j'ai pour habitude The Weary Blues de Langston Hughes. Pour ceux qui pensent que je cite un obscur bluesman inconnu, je précise que c'est un livre écrit par un des plus grands poëtes américains, et pourtant les amerloques ils en ont un stock de grandes voix d' Egar Allan Poe à Jim Morrison en passant par Emily Dickinson....

La panthère et le fouet est le dernier recueil que Langston Hughes comptait faire paraître. La camarde blafarde s'y opposa. L'ouvrage parut à titre posthume en 1967. Le volume regroupe des inédits et un choix de poèmes piochés dans différents recueils.

La panthère ( nous la souhaitons aussi noire, aussi belle, aussi chasseresse que celle de Leconte de Lisle ) et le fouet celui qui s'abattait sur le dos des esclaves qui ne ramassaient pas le coton avec une suffisante célérité, en deux mots tout est dit. Après la mort de l'écrivain la célébrité, l'affection et l'admiration que son combat pour l'émancipation du peuple noir lui procura, connut une éclipse. La nouvelle et jeune génération de militants imbue de romantisme révolutionnaire, galvanisée – et en même temps déçue - par les résultats des luttes pour les Droits Civiques le déclarèrent dépassé, il paraissait trop tiède à cette nouvelle mouvance radicale qui se regroupa autour du Black Panther Party.

Ce n'est donc pas un hasard si le mot panthère ouvre le titre. Il est à entendre comme une protestation de Langston Hughes à l'encontre du dédain de cette jeunesse révoltée. Une mise au point nécessaire. Le recueil contient les poèmes les plus engagés de son œuvre. L'on peut parler de poésie politique. Ce genre de cocktails molotov verbal est particulièrement difficile à manier. Il exige des angles vifs, qui des années plus tard donnent au lecteur une impression de trop grande simplicité caricaturale. Hughes évite le piège. Il use de formes brèves et ne cède que rarement à l'invective criarde. Dire moins pour susciter la force imaginative du lecteur. La violence n'est pas explicitement tournée vers les blancs, il préfère rappeler celle dont sont victimes les noirs, toutefois l'ennemi est clairement désigné.

En une cinquantaine de poèmes, c'est toute la lutte des noirs qui est retracée, quelques mots, quelques vers, jamais davantage, tous les hauts-faits de la geste – trop souvent symbolique – de libération, les principales figures du mouvement abolitionniste, les meurtres, les lynchages, les injustices... tout est noté, autant de stèles sanglantes sur un chemin interminable...

Langston Hughes ne se contente pas de se cacher derrière les boucliers commémoratifs du passé que l'on lève sans danger comme des étendards de victoire alors que le combat est à modeler dans la glaise du présent. La lutte n'est d'ailleurs pas là où on le voudrait. Il ne suffit pas de porter des coups à l'ennemi. Serait-il militairement battu que la partie ne serait pas gagnée. Il resterait encore des millions de forteresses à prendre et à dynamiter. Elles ne se dressent pas, de béton armé, hérissées de canons sur des pics inaccessibles. Ce sont juste les cervelles des blancs engluées de préventions et de préjugés, qui demandent aux noirs de les remercier de leur bonne foi, de leur bonne volonté, de la générosité sans faille de leur prise de conscience... le racisme aura disparu où les noirs leur seront éternellement reconnaissants de leur grandeur d'âme... Langston Hughes met le doigt sur la contradiction majeure du problème blanc. Il est de fait sur la même position politique que James Baldwin.

Le livre s'achève par la force des choses en 1967. Un demi-siècle plus tard la situation ne s'est guère améliorée. Ni du côté des blancs. Ni du côté des noirs. A plusieurs reprises Langhston laisse planer une sourde menace, si rien ne change... La prochaine fois... le feu ! prophétisera Baldwin... Rien ne s'est produit. Le mouvement noir est en train de se replier sur des positions identitaires, pour ne pas dire raciales. L'explosion n'a pas eu lieu. L'implosion, si. Remarquons qu'en fidèles imitateurs atlantistes toute une partie de la gauche française est en train de se noyer dans le verre d'eau des notions de genre... Parions que Pascal Neveu, le traducteur n'a pas ajouté au hasard sous le titre original la mention Poèmes de notre temps... Avec le recul l'analyse de Langston Hughes n'a pas vieilli, ou plus exactement la situation ne s'est pas améliorée...

Remercions les Editions Ypsilon de leurs traduction de Langston Hughes, mais aussi de la revue Feu !! ( devoted to youger negro artists, sous-titrée Harlem 1926 ), et encore Canne de Jean Toomer, autre figure de proue avec Hughes du mouvement littéraire Harlem Renaissance. Une maison intelligente qui lors de sa fondation s'était donné pour but d'éditer une version d'Un coup de dés jamais n'abolira le hasard digne des exigences de Stéphane Mallarmé. Bon sang ne saurait mentir !

Damie Chad.

 

LE PASSAGER

DES BANCS PUBLICS

DANIEL GIRAUD

( Les Editions Libertalia / 2021 )

 

Lecteurs, ne vous demandez pas qui c'est ce mec-là. L'était-là bien avant vous. Présent dès la troisième livraison de votre blogue favori, ayant appris que je fondais un blogue-rock, l'a tout de suite envoyé le récit de sa première expérience rock, sa participation à un concert de concert Johnny Hallyday à la fin des années cinquante... Depuis j'avons chroniqué quelques uns de ses livres et deux de ses disques de blues... Daniel Giraud est né en 1946, l'a bourlingué sur toutes les routes du monde, l'a publié des dizaines de plaquettes, l'a fondé la revue-culte Révolution Intérieure, l'a traduit les plus grands poëtes chinois, l'a même écrit un poème sur Éric Cantona, l'a tout fait. Je l'entends me reprendre, erreur cher Chad, je n'ai rien fait.

Si vous vous demandez lequel de Dam ou de Dan ment, vous êtes prêt à vous lancer dans la lecture de ce livre. Pas très long, cent trente pages, mais qui risque de vous laisser de cul. Sur le banc. Bien sûr. Si vous pensez que vous êtes assis à la bonne place et que vous allez bécoter à bouche-que-veux-tu sur un de ces bancs publics chantés par Brassens vous vous trompez. Essayez plutôt de vous poser une question intelligente, par exemple : Qu'est-ce que la métaphysique du blues ? Cela vous mettra en condition. Remarquez que le blues n'est pas vraiment le sujet du bouquin.

L'évoque un peu sans s'attarder, une dizaine de lignes. Puis il passe à autre chose. Normal, c'est un passager. Le Dan a beaucoup roulé sa bosse. En stop, en train, en voiture, à pattes. Oui mais maintenant il est légèrement moins jeune. Alors quand il marche, l'aime bien de temps en temps poser son popotin sur un strapontin public. Question de reprendre souffle. Vous comprenez. Hélas, ce n'est pas tout à fait cela. C'est plus complexe. Pensez-vous que les actes de votre vie ont un sens ? Celui que vous leur donnez, certes. Mais existe-t-il une congruence quelconque entre ce que vous vivez et ce que vous êtes. Question gênante. Qui instille un doute. N'est-ce point être trop présomptueux de répondre oui, et de faire preuve d'une fausse humilité en affirmant : non. Dans les deux cas vous êtes piégé.

Le Dan pose le problème d'une autre manière, je suis ce que j'ai vécu, et ma vie présente n'est que la résultante de tout ce que j'ai vécu. Vous suivez. C'est maintenant qu'il porte son coup de Jarnac. De toutes les manières, tout ce que j'ai fait n'a aucune importance, car si je ne l'avais pas fait, cela n'aurait pas plus d'importance. Agir = Non-Agir. D'où cette habitude de poursuivre la route de son existence, tout en se ménageant des instants de repos ( par exemple sur un banc public ), vivre et ne pas oublier de se regarder vivre alors que l'on ne fait rien, si ce n'est regarder le monde : les arbres, les passants, ceux qui passent et ceux qui viennent taper un brin de causette.

Le Dan, l'a son litron et son sandwich, avec ces deux éléments indispensables il peut aller de banc en banc jusqu'au bout du monde. Mais il n'y va pas. Vous intuitez : il s'assoit pour draguer ! Que nenni, ce sont souvent des octogénaires qui s'assoient à ses côtés, pour se reposer. Rien de bien folichon. Non le Dan, il a autre chose à faire, un autre endroit où aller. Ne s'aventure pas au bout du monde, il va juste au bout de lui-même. Sa propre existence, remonte dans ses souvenirs. Vous aussi. C'est bien, mais Dan il y rajoute un zeste de méditation nietzschéenne, retourner sur ses pas, n'est-ce pas se plier au mythe de l'éternel retour du monde, n'est-ce pas affirmer sa présence passagère en ce monde pour toute l'éternité. Vous pensez qu'il a la grosse tête, qu'il finira fou comme l'auteur de Par-delà le bien et le mal, c'est là que le Dan vous prend à contre-pied, le monde notre présence au monde n'est-elle pas une illusion, le monde n'est-il pas égal au néant, ne sommes-nous pas toute notre existence le cul entre deux chaises et non plus sur un banc. Ne vaut-il pas mieux ne point trop se mêler au monde, plutôt se mettre sur un banc pour le regarder...

C'est ainsi qu'a vécu et que vit Dan Giraud. Sans jamais être dupe de sa propre présence au monde. Neruda a donné pour titre à sa biographie J'avoue que j'ai vécu, l'aurait pu tout aussi bien la nommer : J'avoue que je n'ai pas vécu.

Mais comment s'y prend-on pour vivre sa vie sans la vivre. Avant d'aborder cette vision strictement existentielle, résumons en quelques mots : si la position métaphysique de Daniel Giraud paraissait déroutante à certains lecteurs c'est que ceux-ci se trouvent plus ou moins à leur insu et à leur corps défendant pris dans le réseau inconscient de la pensée occidentale qui au contraire de la pensée orientale - exprimée par Lao Tseu elle pose l'équivalence de la présence à celle de la non-présence, différencie l'être du mon-être, celui-ci pouvant s'inscrire dans le registre de l'être ou y échapper.

Assis sur son banc, Giraud vagabonde, du moins sa pensée, le moindre fragment de la réalité hasardeuse qui accroche son œil ouvre en lui des pistes de réflexions, s'aventure sous les sentes obscures des remembrances. Offre tout en vrac serait-on tenté de dire. Il n'en est rien, le kaos apparent de l'intérieur, se révèle à la longue une cosmographie unifiée. Au début vous avez l'impression d'être parachuté dans un labyrinthe sans queue ni tête mais à tourner les pages vous êtes obligé de reconnaître qu'il s'agit d'une construction mentale, une weltanschauung qui répond à sa propre logique idiosyncratique.

Alain Giraud porte un regard sur le monde profondément libertaire. Pas pour rien que le livre soit édité chez Libertalia. S'asseoir sur un banc est un acte d'une haute portée symbolique. C'est se mettre en retrait du monde, pire que cela se désinvestir de la comédie humaine du pouvoir, des liens de domination et des hiérarchies sociétales. Des plus dangereuses, armée, école, usine, oppression pour reprendre un slogan du joli moi de mai à celles plus insidieuses des regards que la société et les individus des masses anonymes portent sur ces êtres vivants que leurs attitudes dénoncent et trahissent. Des marginaux qui refusent de rejoindre la morale communautaire et de pactiser avec l'hypocrisie du contrat social censé garantir protection et sécurité alors qu'il n'est qu'asservissement et amoindrissement des moindres libertés. Pour être heureux, vivons quelque peu détaché. De la société. Des autres. Et de soi.

Ce troisième point est le plus difficile. Malgré les préceptes et la pensée de Lao Tseu il est difficile de s'arracher de soi. Giraud ne s'assoit pas sur n'importe quel banc. L'a ses préférences. Certains sont mieux situés, un peu d'ombre un jour de soleil n'a jamais tué quelqu'un, une certaine tranquillité n'est pas à dédaigner... mais les bancs de Giraud sont souvent inclus dans un itinéraire. L'assassin revient sur les lieux de ses crimes. Point de terribles turpitudes, les lieux de l'enfance, de l'adolescence, de plus tard. Plus masochiste, de ceux qui ont marqué des étapes difficiles de l'existence. Il n'y a pas d'amour heureux a dit Aragon, l'on aime à revenir lécher ses plaies même quand elles ne suintent plus, ne nous ont-elles pas appris que nos affects si constitutifs soient-ils sont eux aussi transitoires.

Reste à aborder l'aspect politique d'une telle démarche métaphysqique. Giraud ne s'inscrit pas dans le carcan de la militance, l'idée d'agir pour changer ( en mieux ) le monde ne le séduit pas. Ce genre de volonté lui paraît totalement inopératoire. Il ne croit pas en l'efficacité des regroupements idéologiques ou identitaires. Ce ne sont que des hochets inutiles dont ne peut naître que des perversions. Que chacun soit ce qu'il veut être. A sa guise. Selon son choix qui lui appartient. Sous-entendu, que l'on me laisse libre d'être ce que moi je désire être.

Comportement égotiste dénué de toute volonté de dominance. Être soi n'est pas facile dans notre monde. Une existence de retirement n'est pas un long fleuve tranquille. Sur la fin de son livre Giraud se lance dans une longue triade au vitriol – fortement jouissive pour le lecteur - de tous ceux qui par leur comportement et par les représentations qu'ils se font de leurs petites personnes sont des obstacles à l'épanouissement de toute simple vie humaine. Même la leur !

Encore faut-il réussir la dernière opérativité de l'indivis, être soi est impossible. Encore est-il nécessaire de comprendre que l'on ne peut pas être soi autant que l'on peut être. Le Soi est à détacher de l'être égoïste qui croit en être le propriétaire. Il faut tuer le Moi pour atteindre le Soi qui se tient à la jonction de l'être et du non-être. Position extra-êtrale. Il est permis de sourire du mot extra à qui l'on peut prêter deux sens totalement antithétiques ( extrêmement / extra ). Si vous parvenez à rire de cette ambiguïté, vous êtes sur la bonne voie. N'hésitez pas à vous assoir de temps en temps sur le premier banc qui vous tendrait les bras, afin de vous reposer et de laisser vaquer votre esprit librement...

Si malgré tout vous ressentez un léger ennui, sortez Le passager des bancs publics de Daniel Giraud de votre poche, cette lecture vous aidera. Vous en avez grande nécessité.

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

UNE TENEBREUSE AFFAIRE

EPISODE 12

Une croisière gratuite, qui la refuserait ! L'on s'est mis à galoper le long du quai, ne restait plus qu'à trouver une embarcation, la chance était de notre côté, nous n'eûmes même pas besoin de chercher, alors que nous cavalions comme des fous, un haut parleur se mit à grésiller :

    • Ça y est, je les vois, les six derniers invités en retard, trois couples, 255, 256, 257, 258, 259, 260 la liste est au complet, en plus ils ont emmené leurs chiens, pas prévu, un bateau Mouche qui se prénomme L'Albatros ne peut pas refuser un animal, bienvenue aux heureux retardataires, le départ dans quelques secondes !

Nous enfilâmes la passerelle au pas de course, personne ne faisait attention à nous. Le bateau débordait de monde. Nous nous mêlâmes à la foule et regardâmes autour de nous. A la proue du navire une gigantesque pièce montée de deux mètres de haut, devant ce monument pâtissier un jeune couple s'embrassait, les gens applaudissaient et se pressaient tout autour pour prendre des photos. Le Chef alluma un Coronado, d'un signe bref, il me fit signe de le suivre. Nous nous éloignâmes doucement, nous traversâmes un vaste salon couvert, des employés en grande tenue s'activaient autour d'un vaste buffet, un chef de rang se porta à notre rencontre :

_ Ces messieurs cherchent-ils quelque chose ?

_ Z'oui, le pipi-room !

_ Si ces messieurs veulent bien m'accompagner...

Il y eut une clameur autour du buffet, d'un bond Molossa et Molossito sautèrent d'une table, ils emportaient de concert dans leur gueule, un énorme poisson, les garçons se ruèrent à leur suite, rejoints par notre Chef de rang, perdant toute dignité, gueulait comme un putois : le saumon fourré au foie gras ! Déjà sur le pont les cabots galopaient parmi les invités, la horde des poursuivants reçut fortes moqueries et acerbes quolibets...

En quelques instants nous grimpâmes jusqu'aux postes de commandement. Un homme à casquette s'apprêtait à tourner un volant et enclenchait doucement la vitesse. Au micro, un Monsieur loyal, débutait son speach : '' Juliette et Roméo vous remercient de votre présence, d'être venus si nombreux à la célébration de leur mariage, ah ! euh, oui je... je... une petite surprise offerte par la direction des Bateaux Mouches, accrochez-vous, la course folle vers le bonheur débute tout de suite !''

Au micro, le Chef se débrouillaient comme... un chef ! Les deux malheureux qui avaient tenté de s'interposer à notre entrée dans la cabine, gisaient à nos pieds, je virais brutalement à bâbord, et poussai les gaz à fond, un énorme panache de fumée noire noya les invités dans une brume épaisse, une fois dissipée la robe blanche de la marié se retrouva teinte en noir !

Il y eut des cris de stupéfaction, mêlés d'éclats de rire. L'Albatros prenait de la vitesse, tout compte fait, les invités prenaient la chose du bon côté, lorsque le Chef annonça au micro que nous allions doubler un deuxième Bateau Mouche, tout le monde trépigna pour fêter notre triomphe.

Le Cormoran, ainsi se nommait-il, se prit au jeu, son capitaine obliqua quelque peu afin d'occuper l'espace central sous l'arche du prochain pont, pensant qu'il nous n'aurions pas assez de place pour effectuer notre dépassement, mal lui en pris, quelques encablures avant le pont je le harponnais vivement sur son arrière, et le drossais sur la pile, ce fut sanglant, le Cormoran s'ouvrit pratiquement en deux, la plupart des passagers, femmes, enfants, vieillards, handicapés en tous genres glissèrent dans la Seine, on les entendait crier au secours, mais les flots cruels refermaient leurs bras froids sur eux, et des bulles glouglouteuses remontaient à la surface, le chef ne put se retenir de citer Victor Hugo en l'honneur de ces victimes innocentes :

Ô combien de marins, combien de capitaines

Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines

Dans ce morne horizon se sont évanouis

Combien ont disparu dure et triste fortune...

Les funèbres et énergiques alexandrins hugoliens produisirent leur effet, leur mâle tristesse envahit les cœurs, des larmes coulèrent, des prières furent psalmodiées, le Chef entreprit de raffermir les volontés :

_ Il est plus que temps de venger ces victimes innocentes, nous devons arrêter la mystérieuse péniche chargée de sable qui est la cause de leur disparition, nous la poursuivrons jusqu'au bout de l'océan !

Le Chef savait manier les foules, elles sont par essence versatiles, il suffit d'offrir un but à une masse atterrée pour la transformer en troupes de choc, des cris de haine fusèrent à l'encontre de la mystérieuse péniche, mais brutalement le charme fut rompu. Par la faute de Juliette :

_Vous ne voyez pas que ce sont des fous qui racontent n'importe quoi, Roméo mon amour, va les arrêter, je te l'ordonne au nom de mon amour !

La Juliette était totalement hystérique, une fraction des invités s'apprêtait à prendre son parti, elle s'arracha des bras de Roméo et d'une voix mélodramatique elle reprit son incantation !

_ Va Roméo il n'est plus temps de m'embrasser, va, tue-les et reviens couvert de leur sang criminel te jeter sur mon sein, qui n'attend que tes caresses ! Je te promets...

Elle ne put tenir ses promesses. Nous ne sûmes jamais ce qu'elle voulait promettre, une balle du Chef lui perfora la tête. Son sang gicla sur la pièce montée, elle vacilla, et tomba en arrière entraînant la tour de friandise dans sa chute. On ne la voyait plus ensevelie sous une tonne de choux à la crème. Il y eut un cri terrible qui glaça d'horreur l'assistance.

C'était Roméo, le malheureux se frappa la poitrine de ses poings, regarda la cabine vitrée du poste d'équipage, nous fixa froidement, hurla : '' J'arrive !'' . Il traversa le pont à une vitesse folle, animée par une fureur de berseker, et entreprit d'escalader trois à trois les marches qui menaient jusqu'à nous :

    • Agent Chad, toujours à fond, ne vous préoccupez pas de lui, je m'en charge !

Le Chef n'eut même pas le temps d'atteindre la porte pour lui barrer le passage, ni même de ressortir de sa manche son Beretta, ni même l'occasion d'allumer un Coronado. Roméo était sur lui et l'enveloppai d'une vigoureuse étreinte, un instant je crus que les évènements me portaient à la tête du SSR, il n'en fut rien :

_ Merci, merci, ô merci, des sanglots déchiraient la poitrine de Roméo, ô merci, comment avez-vous su que la détestais, que je me suis marié avec elle uniquement pour son argent, vous m'avez arraché à une existence horrifique, en tant que mari, je suis le propriétaire de sa fortune, en la tuant vous m'avez sauvé la vie, merci, merci, merci ! A moi maintenant, les palaces, les suites de luxe, les mannequins, les actrices, les restaurants douze étoiles, les casinos !

Tout enfiévré de son avenir radieux il s'adressa à tous ceux qui s'étaient massés au bas des escaliers et hésitaient à les escalader :

_ Mes amis tout va bien, ce n'est qu'une vulgaire méprise, Juliette a été touchée par un tireur d'élite posté sur la péniche noire, en abattant mon innocente moitié, il pensait que nous arrêterions la poursuite, je tiens à ma vengeance, nous irons jusqu'au bout !

Des clameurs de joie lui répondirent, un vent de haine et de folie suicidaire emportait les esprits, Joël saisit l'occasion au vol, s'emparant d'une pile d'assiette, il les remplit à pleines mains de choux à la crème tâchés du sang de Juliette, Françoise, Framboise, Noémie les distribuèrent, très vite relayés par Roméo magnifiquement inspiré !

_ Prenez et mangez, elles sont tâchées du sang de mon amour immortel, comme son amour vous deviendrez immortels !

L'on se ruait sur les assiettes, des aspirants ivres de vengeance et d'éternité se jetèrent à genoux devant l'amas de gâteaux, ils puisaient à même la manne miraculeuse source de vie et gobaient les boules débordant de crème pâtissière comme des hosties sacrées, en quelques minutes il n'en resta plus une seule, il y eut un geste de recul devant le corps de Juliette dans sa robe de mariée noire qui lui servait désormais de suaire, des femmes glapirent, elles arrachèrent des lambeaux de tulle qu'elles se disputèrent, chacune exigeant une relique protectrice, tant et si bien que le corps nu de Juliette apparut aux yeux de tous et suscita un redoublement de ferveur, des lèvres se posaient sur cette chair si blanche, elles ne tardèrent pas mordre, à lécher le sang qui s'écoulait des mille plaies de la sainte innocence, à croquer un morceau, ce fut un entremêlement homérique, tout un chacun désirait participer à ce festin, elle fut dévorée en quelques minutes, dans la mêlée j'entrevis Molossa et Molossito qui s'étaient emparés d'un bout d'intestin et ne voulurent à aucun prix le lâcher...

    • Agent Chad, forcez encore la vitesse, j'entrevois au loin la poupe d'une péniche noire !

Je la reconnus, nous gagnions sur elle, le Chef avisa la foule qui se rua sur le bastingage, je reconnus le chef de rang, un sacré futé, dans la mêlée il s'était débrouillé pour pieusement recueillir la petite culotte rose de Juliette qu'il faisait tournoyer sur son index levé comme l'oriflamme des croisés devant les remparts de Jérusalem, la péniche chargée de mille tonnes sable ahanait, je me rangeai contre son bord, nous la surplombions, la silhouette noire de Charlie Watts se réfugia vers l'avant, Rouky bondissait à ses côtés, le chef de rang fut le premier à sauter, tout le monde l'imita, les imprécations fusèrent :

_ A mort ! À mort ! Assassin !

L'étendard de la petite culotte rose menait l'assaut, ils étaient à vingt mètres du batteur des Stones, l'image de ibis rouge se déploya derrière Charlie dont la figure était maintenant cachée par son long bec d'acier...

A suivre...

 

23/03/2016

KR'TNT ! ¤ 274 : JOHNNY LYDON / AMNASTY / FALLEN EIGHT / FROM A BROKEN STEREO / CASEY / ACRES / BURNING DOWN ALASKA / 45 T / LANGSTON HUGHES

KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 274
A ROCKLIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
24 / 03 / 2016

PUBLIC IMAGE LIMITED
AMNASTY / FALLEN EIGHT
FROM A BROKEN STEREO
CASEY / ACRES
BURNING DOWN ALASKA
LANGSTON HUGHES

PRESSE ROCK


Ce rapide encart pour vous signaler la présence de deux groupes que nous aimons bien chez KR'TNT ! dans la presse rock nationale distribuée en kiosque.

BLUES MAGAZINE N° 80

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Ce petit ( nous évoquons le format ) trimestriel, consacre quatre pages à interviewer Mathieu le contrebassiste de SWINGING DICE dont nous avons relaté un concert toulousain dans notre livraison 200 du 11 septembre 2014.

ROCK & FOLK N° 584

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Vous ne raterez pas la chronique ( p 86 ) de LOVE-O-RAMA de LES ENNUIS COMMENCENT que nous vous présentions dès le 25 février 2016 dans notre livraison 270.

 

Le Trianon. Paris XVIIIe. 6 octobre 2015

Public Image Limited.

PUBLIC IMAGE ILLIMITED

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Vous serez frappé par la stature de John Lydon. Il arrive sur scène enveloppé dans un immense costume gris foncé, un vrai sac à patates sans autre forme que celle d’une stricte verticalité : même tour de torse que de chevilles. Il porte des chaussures multicolores qui font de lui une sorte de clown grotesque digne d’un conte macabre de Tim Burton. On aurait presque tendance à vouloir se moquer du vieux punk. Mais attention, en deux minutes, il impose un respect total et ce d’une manière radicale. Toute la force du personnage se concentre dans la figure et dans la voix qui sont l’une et l’autre d’une incomparable expressivité.

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Comme si John Lydon avait réinventé l’expressionnisme. Il met en route ce qu’il faut bien appeler un tour de chant, comme le firent avant lui des gens comme Jacques Brel ou Nina Simone, Barbara ou Dusty Springfield. Sa légende de punk-rocker le sert et le dessert à la fois. Mais oui, John Lydon fut au temps des Pistols le plus grand shouter d’Angleterre, mais aujourd’hui, il ne doit son prestige qu’à son seul génie de chanteur, comme s’il échappait définitivement à l’histoire du rock, au temps, aux tendances et surtout aux clichés. John Lydon crée son monde sur scène avec une assurance et un impact qui sont ceux d’un géant. Lorsque vous allez voir chanter de très grands interprètes, vous oubliez rapidement leur apparence physique et l’environnement pour vous centrer sur le visage, car c’est là que tout se passe. Le visage et les mains - et donc la voix - deviennent le temps d’un set le centre du monde, une source de fascination dont on ne décroche qu’à la fin, lorsque le public ovationne.

 

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Tout ce qui dans les albums de Public Image pouvait déplaire - le côté talkative de certaines chansons - passe bien sur scène, car John Lydon chante d’une voix forte et image ses propos d’expressions et d’intonations merveilleusement justes. Comme s’il redonnait du son au son, de la même façon dont Michel Serres ou Pierre Bourdieu redonnent du temps au temps dans les pages de leurs livres respectifs. L’idéal serait presque de ne pas connaître ses disques, car on sent chez John Lydon une volonté certaine d’emmener son public avec lui dans le monde qu’il bâtit au fil des chansons.

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C’est un monde incroyablement ressemblant à celui qu’on connaît, un monde de vrais gens et d’injustice, un monde de faux amis (You cheat easily like all charity - Disappointed), un monde d’argent (I’m changing my way where money applies - This Is Not A Love Song), un monde d’arnaques religieuses (This is religion/ A liar on the altar - Religion), un monde de colère (Anger is an energy - Rise) et un monde de gens courageux (I’ll never surrender/ I’m a Warrior - Warrior). John Lydon pose son regard sur le public avec une sorte d’intentionnalité, comme s’il s’adressait à des gens venus pour entendre des messages. Il offre un curieux mélange d’artiste et de tribun. Et comme les grands artistes pré-cités, il donne TOUT. On n’en finira plus de gloser sur la générosité de cet homme. C’est probablement le trait de son caractère qui frappe le plus. Parfois, on découvre que pour donner - à ce niveau - il faut savoir se montrer extrêmement puissant. John Lydon donne TOUT ce qu’il a. Tu veux mon monde ? Tiens le voilà ! Je te le donne ! Il est à toi ! Prend-le.

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Suivez les grands artistes. Jamais vous ne serez déçu.
En rappel, il se paiera le luxe de jouer un hit planétaire, le fameux «Public Image» datant de sa résurrection après la fin tragique des Pistols. Quelle fantastique ampleur ! Lu Edmonds retrouve sans mal le chemin du son de Keith Levene et le pauvre Scott Firth cavale péniblement après le fantôme de Jah Wooble. Mais John Lydon entre dans la danse et tout reprend du sens. Le vieux Trianon se remet à tanguer sur ses fondations. Il finit bien sûr avec «Rise» et beugle «Heart Heart Heart !» en guise d’ultime message à un public tétanisé.

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L’autre façon d’approcher - autant que faire se peut - John Lydon, c’est de lire ses deux volumes autobiographiques parus à vingt ans d’intervalle, «Rotten» et « Anger Is An Energy». Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il s’y livre sans détour, principalement dans le second. Il y parle longuement de Nora, de son choix de vivre en Californie (John se lève tôt pour profiter du soleil - it really is all about getting up early and enjoying sunrise and sunset), des soins dentaires qui lui ont changé la vie (fin des problèmes de santé), il avoue admirer Duran Duran et Boy George, les Status Quo et Captain Beefheart (in a big way), il explique que Sid adorait Bowie et que lui préférait Mick Ronson (just seemed like a lad). Il ne supportait pas le Grateful Dead (the dullest band I’ve ever known), mais il adorait Oscar Wilde (Oscar Wilde I found outrageously funny), les Pink Fairies (fantastic!) et Edgar Broughton Band (filthiest beards and hair). Mais aussi les Dolls (I thought they were great) et Chrissie Hynde (we were very attuned to each other). Mais le chapitre démolition est lui aussi bien fourni. Avec Liam Gallagher et William Reid, John Lydon est certainement le meilleur entrepreneur de démolition d’Angleterre. Il navigue quasiment au niveau des grands polémistes français de l’Avant Siècle, des gens comme Octave Mirbeau et Léon Bloy qu’on craignait pour leur férocité. Les deux cibles favorites de Lydon sont bien sûr Vivienne Westwood et McLaren dont il brosse d’horribles portraits - Westwood was basically a born-and-bred shopkeeper, of the Margaret Tatcher kind - Allez traduire ça, c’est impossible. On perdrait tout le fantastique mépris qui graisse la formule. La langue de John Lydon est unique, comme l’est celle de Dylan que je considère depuis quarante ans comme intraduisible - sa langue est un souffle poétique, au sens pouchkinien du terme. Quand John Lydon parle de McLaren, il évoque le souvenir d’un manipulateur pitoyable qui n’arrivait même pas à gérer sa propre vie (A bit of a disaster. Poor sod). Les Clash (poor old Joe Strummer), Nick Kent, Jon Savage (Who the fuck are you Jon Savage ? You were not a Sex Pistol) et l’Angleterre (The teduim of council flat existence - it’s an incredibly unfair universe, Britain) passent aussi à la casserole. On s’enivre littéralement du souffle de John Lydon. Quand il épingle la pingrerie des Thénardiers McLaren/Westwood, il assène ceci : «Any of the gear we wore from the SEX shop we absolutely had to pay for». Et puis il y a l’épisode hilarant des dents - By the time I was joining the Pistols, the second I smiled it was like, ‘Oh my God, look at these teeth of him’ - D’où le surnom Rotten. John raconte qu’il a grandi dans un milieu social où on ne se lavait pas les dents et dès qu’on le pouvait, on se faisait tout arracher pour mettre un dentier payé par la sécu anglaise. Seulement, les produits fixants n’étaient pas fiables et quand les adultes rigolaient ou qu’ils dansaient dans les petites fêtes, ils perdaient leurs dentiers. John raconte que gamin, son père lui confiait la mission de ramasser les dentiers qui tombaient lors les fêtes de famille, mais il peinait à identifier les propriétaires.


Pages fantastiques consacrées aux Pistols, bien sûr - We came on and we came in very strong and very quick. We became, I think, the world’s most powerful band - et il a diablement raison de dire ça, qui oserait prétendre le contraire ? Mais en même temps, il reste assez amer, car il rêvait d’une complicité au sein du groupe qui n’a jamais existé, même lors des deux reformations - So eat shit and die, you cunts. That’s my polite way of saying, we could’ve been good - Le paragraphe consacré à la première reformation est certainement l’un des passages clés d’Anger. John retrouve Steve Jones et Glen Matlock à la marina de Venice Beach, en Californie - So it was a good meeting and we were as usual very open with each other. There’s not much subterfuge going on with us lot - Puis ils durent affronter les journalistes dans les conférences de presse, l’horreur - Oh come on, isn’t it all about the money ? - Excédé, John répond - I’m fat, forty and back. Deal with it. Next ! - Retour sur les chansons - My songs were echoes of rebellion and empathy for people - Puis il règle ses comptes avec le mouvement punk - I’m sorry but I never did this for the narrow-minded - Il appréciait surtout les Buzzxocks, X-Ray Spex, les Adverts et les Raincoats, plus les Slits, bien sûr, à cause d’Ari Up, la fille de Nora. Il finit le chapitre sur la reformation des Pistols avec l’évocation d’un concert exceptionnel au Chili, et bien sûr, que se passe-t-il le lendemain matin ? Steve, Paul et Glen se font la cerise sans même dire au revoir - What can I say ?

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On note un détail qui diffère d’un livre à l’autre : John se teignait les cheveux en vert à une époque et son père le mit à la porte. Dans Anger, son père dit : «Get out of the house, you look like a Brussels sprout !» - c’est-à-dire un chou de Bruxelles, et il ajoute plus loin - which I now realize was somewhat of a compliment - Dans Rotten, son père dit : «Get The fuck out of my house and take that fucking cabbage on your head with ya !» - Mais dans les deux cas, John se dit fier de son père. Rotten est un ouvrage beaucoup plus expéditif et truffé de témoignages de gens comme Billy Idol ou Chrissie Hynde. Les souvenirs des Pistols sont plus frais et John donne le détail des attaques à l’arme blanche dont il a été victime dans la rue. Toute la genèse des Pistols s’y trouve, traitée dans une langue directe. Glen qui n’aimait pas les paroles de «God Save The Queen», Glen qui était fan d’Abba (And funny enough so was Sid), poor Glen (He wanted everyone to like him and have a good time. So boring), la haine des Anglais (There will always be hate in the English because they’re a hateful nation), Vivienne Westwood (Vivienne Westwood always made me laugh and it annoyed her no end) (She’s deeply silly. Wacky shit), la supériorité écrasante des Pistols (Avec ou sans le Grundy show, l’explosion était inévitable. After all the Pistols were so good. There’s no other way of describing them), Sid, justement (Sidney was basically stupid), Sid qui n’avait pas de copine, avant Nancy (Sid never had girlfriend. He loved himself too much), et on tombe sur des passages hilarants, comme par exemple cette soirée au Wedgies où il sont invités (Sid wore something approaching a leather jacket, but there was a sleeve missing). Autre grand moment de rigolade : McLaren force l’entrée chez CBS pour obtenir un contrat, mais la secrétaire lui dit de dégager. Humilié, McLaren lance : ‘How dare they ! I’ll call the police !’ et la secrétaire ajoute : ‘No need. They’re on their way !’ N’oublions jamais que John Lydon est aussi un mec infiniment drôle. Il sort une autre anecdote hilarante. La scène se déroule à San Francisco, John vient de se faire virer du groupe et il n’a pas un rond. Il ne sait pas comment faire pour rentrer en Angleterre. Alors il appelle Warner Brothers à Los Angeles (le label qui représente les Pistols aux États-Unis). Une secrétaire décroche et il se présente, Johnny Rotten. La secrétaire explose de rire : «Oh yeah sure. Johnny Rotten’s on the phone. Wouahhhh ! Ha ha ha ! As if he can use a phone !» Vous verrez aussi Steve Jones raconter qu’il se réveillait le matin dans le studio de Denmark Street, qu’il avalait un black beauty et qu’il apprenait à jouer de la guitare sur un album d’Iggy Pop et le premier album des New York Dolls, un Steve Jones qui, comme le rappelle Paul Cook, était complètement obsédé par le sexe. John raconte que Steve Jones prenait une demi-baguette de pain, enlevait la mie, y versait de l’eau chaude et y fourrait un morceau de foie de porc puis sa bite, pour se masturber. Il revient aussi sur l’effarante pingrerie de McLaren (You could never sit at a bar with Malcolm, because he would’nt buy his rounds). À la fin du livre, John l’accuse tout simplement d’avoir détruit les Pistols (Santa Claus turned into Stalin overnight). On trouve aussi dans ce livre percutant un bel hommage aux Pretty Things (Everybody remembers that the Prettty Things were better than the Stones, but they didn’t get the records out there).

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Tous les fans des Pistols sont allés voir les deux films de Julien Temple, «The Filth And The Fury» et «There’ll Always Be An England - Live From The Brixton Academy». Dans Filth, assis à côté d’un ampli avec sa Les Paul, Steve Jones montre les accords de tous les hits des Pistols - «Bodies», my favorite. La part belle revient évidemment à John Lydon dont on retrouve le style tranchant. Après l’épisode Grundy, il évoque l’attitude de McLaren : «Malcolm panicked beyond belief». Pour commenter l’éviction de Glen, il a cette formule lydonienne : «It was a Bay City Rollers situation. I wanted it more hardcore». Ce qu’on ne comprenait pas bien à l’époque, c’est que Johnny Rotten ne proposait pas qu’une totale réinvention du rock. Il parlait aussi comme un écrivain. Chacune de ses formules sonnait comme un aphorisme. Il fait peser sur la moindre de ses syllabes le poids d’une intelligence hors norme, un peu à la manière de William Burroughs dans «Amarican Prayer». Il est avec Keith Richards et Mick Farren l’un des seuls qui aient des choses capitales à dire sur le rock. C’est sans doute la raison pour laquelle on s’est tellement attaché à lui. Quand God Save arrive, on agresse Johnny dans les rues. «I was attacked on sight», dit-il d’une voix admirablement timbrée. Il se ramasse un coup de machette dans la rotule, un coup de couteau dans le poignet et une bouteille cassée dans l’œil. Johnny décrit l’arrivée de Nancy à Londres - I fucking hated her ! - Elle branlait les mecs pour ten bucks. Le plus atroce des paradoxes, c’est que les Pistols font la une des journaux et qu’ils n’ont pas un rond car McLaren tourne un film avec leur blé. Puis on arrive à la fameuse tournée américaine. A l’aéroport, ils subissent les fouilles à corps. Les douaniers commencent par Sid, mais il arrêtent vite fait, à cause de l’état de son slibard. La tournée entraîne dans son sillage le FBI, la CIA et une cinquantaine de journalistes anglais venus pour provoquer du scandale. Au Longhorn, Sid traite les cowboys de pédés. Il prend une canette pleine dans la gueule. Bong ! Lèvre éclatée. Un mec leur balance une tête de porc. Fin de l’histoire bien connue à San Francisco et John qui lâche : «Je savais que ça allait se terminer mais je ne pensais pas qu’ils se conduiraient comme des branleurs et des lâches. It’s fucking fucked off !» Et ça se termine par un épisode extrêmement bouleversant. John est filmé à contre-jour. Il évoque la mort de Sid et tient Malcolm et le management des Pistols pour les responsables de cette fin tragique - I’ll hate them for evar for doin’ that - Et il se met à chialer - You can’t be more evil, can you really Julien ? - Vicious, poor sod. No fun.

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L’autre film indispensable à une bonne compréhension des Pistols et de John Lydon, c’est le concert filmé à la Brixton Academy par Julien Temple. On y voit jouer un groupe PARFAIT. Ils sont aussi impopulaires en 1977 - Lydon : «S’ils avaient pu nous pendre, ils s’y seraient mis à 36 millions !» - qu’ils sont populaires en 2008 - You ain’t so special - C’est le public qui chante - You’re a liar - C’est l’Angleterre de Brixton qui reprend God Save et du coup ça devient véritablement un hymne populaire. On voit dans la télé ce fantastique showman qu’est John Lydon et on comprend que sans lui, tout ça n’aurait jamais pu exister. On a l’impression que c’est l’Angleterre toute entière qui chante «Bodies».

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Il existe un troisième film qui donne de bons éclairages sur les Pistols, le «Never Mind The Bollocks» d’Eagle Vision. On y voit MacLaren raconter sa version de l’histoire. Il rappelle qu’il n’a donné qu’un seul conseil aux Pistols : do whatever you want, but make it chaotic. Mais sa morgue le rend profondément antipathique. Il est mille fois moins caustique que Johnny Rotten et cependant, il fut le chef. L’anti-manager, comme il aime à le rappeler. McLaren a l’air de donner une leçon d’histoire du rock à tous les petits cons que nous sommes. On voit aussi deux témoins capitaux de cette histoire : Bill Price et Chris Thomas qui ont enregistré l’ALBUM. Bill Price se montre ébahi par le niveau des Pistols. Il parle de high quality lyrics et il affirme qu’il n’a jamais vu depuis un si fantastic guitar player. C’est émouvant de voir ces magnifiques techniciens du son, accomplis et doux, se mettre au service de la subversion. Après «God Save», le National Front s’en prend aux Pistols et les attaque sur un parking. Ils sont onze. Chris Thomas est poignardé. Bill Price qui intervient pour le défendre est mis en pièces, pif paf. Personne ne leur vient en aide, ni le pub en face, ni les flics, ni l’hosto où ils débarquent en sang. Johnny Rotten rend aussi un hommage appuyé à Chris Spedding qui a aidé les Pistols en leur donnant accès aux studios. C’est à Steve Jones que revient l’honneur de conclure ce poignant documentaire en racontant la fin du groupe - It was ugly in San Francisco. I’d just had enough. Regrets.


Après ce que John qualifie d’utter disaster, on imagine qu’il faut un certain courage pour se relever, remonter un groupe et revenir dans l’actualité avec un son entièrement nouveau. C’est pourtant ce qu’il a réussi à faire avec Public Image. On attendait tout de lui, de la même façon qu’on attendait tout de Johnny Thunders ou d’Iggy Pop.

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«First Issue» paraît en 1978, au lendemain de la première vague punk. Dès «Theme», on tombe dans le dub de Jah. C’est lui qu’on entend. Que lui. Keith Levene est en retrait. «Theme» sonne comme un assaut sonique. Quelque chose d’inédit en Angleterre pour l’époque. John geint au fond du studio. On sent qu’il ne va pas bien. Comment peut-on l’aider ? On retrouve dans «Theme» l’hypno de Can que John dig tant. Avec «Religion» 1 & 2, John fait de l’anti-cléricalisme primaire. C’est sur «Annalisa» que Jim Walker montre le bout de son beat. John monte aussi au créneau, mais c’est Jim qui joue le jeu. C’est aussi le retour du Rotten. Il fait son énorme têtu totémique. Il règne sur cet album une tension jusque-là inédite. Même les grands spécialistes du mal-être comme van Der Graff Generator n’étaient pas allés aussi loin dans les profondeurs du tourment psychologique. Keith Levene reprend la vedette en face B avec «Public Image». Il joue ses gros paquets d’accords vinaigrés et John jumppe au sommet de sa gloire éternelle, pendant que derrière, Jah jive son drive. «Low Life» était destiné à McLaren. John chante ça avec une parfaite méconnaissance des lois de la gravité du chant. On le sent privé d’inspiration. Ça sonne terriblement post-punk, un brin arrogant. C’est probablement le but de l’opération. Ils attaquent «Attack» aux accords stoogiens. Ce power-chordage de mauvais aloi masque un manque total de vertu. Par chance, Jah revient dubber la baraque avec «Foodertompf» et un vrai boost de sound-system, du pur jus de Notting Hill Gate Carnaval. Jah mène la danse et blaste l’ambiance. Avec le son bien rond et un peu élastique, il sort un son de basse idéal. Ça groove le vibe dans les chaumières. Salué par la critique, ce disque fut qualifié de «as edgy as the wildest punk singles» et la section rythmique Wobble-Walker de «Sly & Robbie of the blank generation».
Mais à l’époque, le ver était dans le fruit. Wobble et Keith Levene ne pouvaient pas se sentir - Wobble just wanted to kill him. Just kill him. Murder him. Tear him apart - et comme Levene se shootait à l’héro - He was poisoned by chemicals, or a chemichal imbalance in the brain, but it made that rat-arsed, snarly, contemptuous cunt unbearable to put up with...

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Il existe un petit livre très intéressant sur l’histoire de Public Image : «Metal Box. Stories From John Lydon’s Public Image Limited». Phil Strongman y jette un éclairage fascinant sur les racines et la formation de PiL. Pour commencer, pas de manager. Puis John cherche des musiciens - I remembered Wobble, A-ha he can play bass a bit - vaguely ! Let’s give him a call ! - Puis Wobble rappelle que Keith Levene was the best musician on that scene by a country mile. He has a beautiful harmonic sensibility - John voulait au départ répartir l’argent à parts égales dans le groupe - There’s no Rod Stewarts in this band ! - S’ensuivent des pages assez capiteuses sur Gunter Grove et sur les gens que John y hébergeait, notamment les membres de PiL : Jim Walker qui arrivait du Canada et Keith Levene. Pas mal de drogues, rappelle Don Letts - heroin, weed and speed - Party every night - an undertone of evil, rappelle Jim Walker. Wobble parle d’energy vampires out there - Et puis John a installé une incredibly loud sound station, et petite cerise sur le gâteau, les descentes de police se multiplient. Un matin à l’aube, John accueille les flics en brandissant un sabre de cérémonie japonais. Pour Alan McGee, «Lydon was charismatic. Wobble couldn’t really play but he was a genius, doing this jazz-rock free-forming thing. Levene was a Yes guitarist in a punk band.» Mais le principal ingrédient du PiL system, ce fut le chaos. Wobble garde le souvenir d’un concert au Rainbow - the most violent gig I’d ever been to - Ailleurs, John reçoit un boule de billard en plein tête, et à Vienne une bouteille de deux litres de vin heurte John McGeoch en pleine tête, le scalpant. À Athènes, des anarchistes foutent le feu au quartier.
Jim Walker ne va rester qu’un an dans PiL, le temps d’enregistrer ce fabuleux premier album, puis fatigué d’attendre des sous qui ne venaient pas, et fatigué par le manque d’organisation du groupe, il mit les voiles. L’éclairage sur Keith Levene est plus diffus. Strongman brosse le portait d’un brillant musicien devenu junkie notoire. Il était donc hors jeu pendant de longues périodes. Le personnage le plus intéressant du lot est sans aucun doute Jah Wobble, l’architecte du son et de la violence - I ended up kicking the head of security in the face - À Paris, il reçoit une tête de cochon en pleine figure - It knocked me out ! A fucking pig’s head ! - Strongman évoque aussi le son d’un Jah qui jouait tellement fort qu’on croyait entendre un tremblement de terre. Lors d’une première tournée américaine, PiL fut invité à jouer dans la fameuse émission American Bandstand. Le célèbre Dick Clark vint saluer les Anglais dans leur loge: «Hello I’m Dick Clark !». Jah lui répondit aussi sec : «Good, well fuck off then !» - Et puis Jah n’en pouvait plus de voir ce pauvre Keith Levene se traîner avec ses problèmes de junkie pendant les tournées. Il en eut tellement marre qu’il finit par quitter le groupe. Ce petit livre regorge aussi d’anecdotes croustillantes sur John Lydon. Quand un journaliste lui dit que les Gun’sN’Roses sont des fans des Pistols, il réagit violemment : That band has really misundestood us. It was all about opening things up, not closing things down !» Mais il revient toujours régler ses comptes : «Pendant des années, j’ai subi des descentes de police à Gunter Grove et aucun de vous, bande de bâtards, ne m’a soutenu !»

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On attendait forcément des merveilles de «Metal Box»/«Second Edition» paru un an après le premier album. Ils attaquent «Albatross» d’une façon assez spécieuse, c’est-à-dire qu’on a le temps d’y réfléchir. La viande arrive avec «Swan Lake». Jah sort pour l’occasion un rude groove offensif. Pour les autres, c’est du gâteau. Sacré Jah, il embarque bien son monde. Jim Walker dit que tous les cuts sont construits comme ça : lui et Jah jouent un groove et les autres entrent dedans. Ici, Keith Levene ramène un beau thème de guitare. Il règne dans ce cut un énorme parfum de modernité. Voilà bien le groove des temps modernes. Avec «Pop Jones», John entre dans les corridors déserts de sa folie. Personne ne peut plus rien pour lui. On le voit errer à la surface du groove bien sourd et bien malsain de «Carerring». C’est encore Jah qui dubbe «Graveyard». Les autres comptaient vraiment sur son sens aigu du boost. Il repart sur les traces de Keith Hudson pour «The Suit». Jah s’en donne à cœur joie. C’est son album. Les autres n’ont rien dans le crâne. Jah sort un groove de dub et le tour est joué. C’est encore Jah qui soutient John a bout de drive dans «Bad Body». Le pauvre John bat sa coulpe au fond du studio. Il erre comme une âme en peine. Il erre toujours dans sa désolation pour «No Birds». Il chante tout à l’envers, en dépit du bon sens. Pauvre John.

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On retrouve tous ces puissants cuts sur «Paris Au Printemps», un live enregistré à Paris en 1980 : «Theme», toujours lamentatif et mal dans sa peau - And I wish I could die - Puis «Chant», bien Dada, loin du confort du studio, puis «Careering», sauvé par le drive de basse, joué à l’Anglaise, typical brit street sound. On retrouve là l’esprit du grand PiL, avec ce chant de rengaine et le dubbing de Jah. Puis John fait son Pistol dans «Low Life», il renoue avec les flamboyances d’«EMI», il mouille ses syllabes de bouts de phrases et redevient le grand imprécateur, fantastiquement soutenu par le drive de dub. Sur «Attack», Keith Levene refait son petit festival. Ces mecs avaient tout de même une sacrée allure. Ils avaient trouvé un vrai son qui dépassait largement le cadre étriqué du post-punk. Puis John chante «Pop Jones» dans l’écho du temps et Keith Levene tricote ses chaussettes d’arpèges.

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Jah a quitté le navire quand paraît «The Flowers Of Romance» en 1981, année de l’élection de François Miterrand. C’est Jeanette Lee qu’on voit sur la pochette. Ça démarre plutôt mal avec un «Four Enclosed Walls» joué au tambour seul et un John qui semble psalmodier dans le désert. Ce que confirme «Track 8» : John ne va pas bien. Il repart dans les corridors du contre-chant, comme s’il errait dans les corridors d’un vieil asile désaffecté. Ou bien il joue la carte de l’étrangeté, ou bien il renégocie l’équilibre de sa santé mentale. Sur «Phenagen», il joue des cloches thibétaines et donne beaucoup d’inquiétude à ses proches. C’est Martin Atkins qui joue le morceau titre au tambour arythmique. Il fait du togolais, oui mais du togolais de Sainte-Anne, le togolais qui ne sert plus à rien , du togolais dont même les Togolais ne voudraient pas, un togolais qui se perd dans les interstices de la raison. Avec «Banging The Door», John cherche des noises à la noise. Il chante à l’envers, pareil au dingue qui nargue son reflet dans un miroir. Il a décidé d’échapper définitivement à toutes les lois de la raison. John avoue dans Anger qu’il joue tous les instruments sur l’album. Interrogé par un journaliste, Jah Wooble n’y va pas par quatre chemins : «To be brutally honest, we all know that the name PiL after Metal Box meant shite !»

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On retrouve deux belles bêtes sur «Live In Tokyo» : l’hypnotic «Annalisa» et le pistolérien «Low Life». C’est Martin Atkins qui bat le beurre sur «Annalisa». On peut lui faire confiance. Dommage que le bassiste Bernard n’ait pas de son. John refait son Rotten avec «Low Life» - Bourgeois antechrist - On retrouve les morrrron et des anarchists de l’ancien temps. L’avantage de cet album est qu’on retrouve des cuts qui ne figurent pas sur les albums, comme par exemple «This Is Not A Love Song», plaidoyer d’incantation monté au beat discö. Ou encore le fameux «Death Disco», monté lui aussi au beat discö sec, mais cette fois sans le dub de Jah, alors ça retombe comme un soufflet. Et John ne va pas bien. Le voilà reparti dans les corridors déserts de sa folie. On entend sa voix de harpie mal considérée se perdre dans l’écho du temps. Il tente de regagner l’estime des gens avec «Bad Life». Il y sort sa meilleure voix plaintive, mais c’est fatiguant. Martin Atkins revient battre le beurre du beat de «Banging The Door» et John fait son Max la menace. Keith levene joue dans l’arrière-boutique. Imprécation et lancinance sont bien les deux mamelles du pauvre John.

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Nouveau départ en 1984 pour PiL avec «This Is What You Want. This Is What You Get» et une nouvelle équipe autour de John et de Martin Atkins. Keith Levene a quitté le groupe. Sur la pochette, John joue les plaboys. Il est admirablement bien coiffé et porte un blazer pied de poule. Il prend «Bad Life» à la petite hurlette. Cette fois, l’atroce bass-drum des années 80 prend les devants. Monté sur son discö beat, «This Is Not A Love Song» est hélas le cut de PiL le plus connu. S’ensuit un «Solitaire» enchâssé sur un beat post-punk. John monte au créneau et miaule dans les limbes du Pacifique. On tombe en face B sur «Where Are You» que John chante d’une voix de Castafiore énamourée. Il se laisse dériver au long des corridors déserts de sa déchéance septentrionale. L’ambiance semble vouloir cultiver the strangeness of sorts. John fait du bon Dada sans même s’en rendre compte. Ils terminent cet album mi-figue mi-raisin avec «The Order Of Death» joliment ambiancé à la guitare, avec un son qui rappelle celui de Keith Levene, ce qui semble logique puisqu’il a co-écrit le cut avec John. Mais on sent bien que tout ce qui faisait la force de PiL a disparu. Sans Jah, PiL is shite.

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Ce que vient contredire «Album», paru l’année suivante. Là-dessus jouent Ginger Baker, - Ginger, I loved. What a nutter -Tony Williams et Steve Vai. On sent dès «FFF» un parti-pris plus rocky. Steve Vai cocote sur sa guitare. C’est soutenu au beat solide par Tony Williams. Il frappe même très dur. Avec «Rise», John prône l’énergie. Sacré John. Il en aura passé du temps à prôner - I’m gonna rise an energy ! - Sacrément bien battu par Ginger Baker, voilà «Fishing». John semble s’épanouir sur le stomp, pendant que Steve Vai fait des siennes par derrière. On retrouve le même son sur «Round», et John roule ses syllabes dans la farine. Et comme sur les cuts précédents, c’est battu bien dru et Steve Vai fait son guitariste émérite. Le hit du disque, c’est «Bags» qui ouvre le bal de la B. On y retrouve ce curieux alliage de gros beat dur prééminent et d’incursions de guitares incisives - Black rubber bags ! - Voilà un vrai stomp de brute. Sur «Home», John devient fantastique d’imprécation. Il ne quitte pas d’une semelle son vieux style pistolérien d’exaction patriarcale. Par sa densité, cet album renoue avec «Metal Box», minus le dub de Jah. «Ease» se fait encore plus élégiaque. On suivrait John jusqu’en enfer, de toute façon. Steve Vai joue les virtuoses dans une atmosphère crépusculaire de fin de disque. Quelle audacieuse mixture ! C’est terriblement déroutant. On imagine que John a pris des risques en laissant s’exprimer ce virtuose bavard. Pour la petite histoire, John et Ginger ne se sont jamais rencontrés - It absolutely shocked me that people of their status had respect for me.

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Trois ans plus tard paraît «Happy». John reconstitue un PiL avec John McGeoch, Lu Edmonds, Allen Dias et Bruce Smith. Ça commence mal avec «Seattle», un groove privé du dub de Jah. John semble souffrir d’une sacrée panne d’inspiration. Alors il décide de re-rouler ses r, comme au temps des Pistols et il tape «Rules And Regulations», histoire de rappeler qu’il fut un temps le plus grand chanteur d’Angleterre. Il fut même complimenté par Miles Davis qui comparait le chant de John au son de sa trompette. Avec «The Body», on reste dans l’imperturbable vieux son des familles limited. John semble bel et bien limited, pour le coup - We want your body - C’est monté au vieux beat cousu de fil blanc comme neige. Avec «Hard Times», John fait comme Jaz, il dénonce les pollueurs - Spies everywhere/ You put the poison in the air - Et comme Lemmy il dit son dégoût du kaki - I don’t like khaki/ I won’t wear your uniform - John rejette tout en bloc. Il prend «Open And Revolving» au chant de harangue déboîtée - Like some silly soliloquy - Et puis il termine en s’ennuyant sur le beau riff de «Fat Chance Hotel» - I get bored in the brain - Il meurt d’ennui pendant ses vacances - Some useless holiday.

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Il parvient à conserver miraculeusement la même équipe pour «9», sauf Lu Edmunds qui souffre d’acouphènes. Dès «Disappointed», John revient à ses élans d’imprécation cavalante. Mais c’est très muselé au niveau des orchestrations. On note l’absence criante du dub de Jah. Dias n’est pas Jah. Alors John cherche la voie de la rédemption dans le poppy «Warrior». Next to ridiculous. «Sand Castles In The Snow» vire post-punk et John se plaint dans «Worry» - The fruit of life gave me dysentery - Voilà «Like That», monté au joli beat tocky, et des chœurs de filles poppisent atrocement la chose. Le pauvre John hulule - Just like a woman - Et ça finit par friser le discö beat. S’ensuit un «Same Old Song» monté au beat entreprenant. On sent bien cette fois encore que John cherche sa voie. Il continue d’errer au long des vieux corridors déserts de sa destinée.

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Joli système pileux sur la pochette de «That What Is Not». C’est une sorte de clin d’œil irrévérencieux. John McGeoch gratte sa gratte sur cet album. L’«Acid Dream» qui ouvre le bal a ce petit côté incantatoire pileux mais forcément, avec John dans les parages, ça prend vite des proportions extravagantes. Par contre, McGeoch riffe «Luck’s Up» à l’anglaise et même à l’anglaise colérique, mais ça finit par tarabiscoter, c’est peu concis, ça brouillonne. Et le pauvre John s’enfonce dans «Cruel» à la recherche du temps perdu et d’effets de promontoires ridiculous. Il va même virer pop dans «God» et le groove de basse ne vaut pas le dub de Jah. Dommage, tout est dommage sur cet album. McGreoch envoie de bons riffs, John roule bien des r dans son pigeonnier, et ce «Covered» est joué au tambour de guerre africain. Ça tourne à la teignerie et un sorcier africain vient reprendre John au chant. C’est un disque très agité, comme on le voit avec «Love Hope» qui finit dans la folie pure. John ne ménage pas sa peine. Il sait mettre son esprit au service de la déraison. «Unfairground» vaut aussi le détour, car John ressort ses vieilles recettes de Sex Pistol. Dans «Emperor», McGeoch part en solo et joue les fous dangereux. John adore ça. Il revient en imprécateur et se couronne à la cathédrale de Reims. Mais le pauvre John finit par nous fatiguer avec ses crises de grandiloquence. À l’entendre, on croirait qu’il beugle des ordres. Heureusement le fringuant McGeoch part en vrille, dans la meilleure des traditions ashetoniennes. C’est un sauveur d’album. Dans «Good Things», John fait le fou, alors ça tourne au mambo drive de shuffle bizarre et des filles font les contre-feux. John joue la carte de la contrescarpe cavaleuse et on entend les filles hurler dans les collines d’Emily Brontë ou d’ailleurs, on s’en fout de toute façon, car il n’y a aucun espoir.

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Sur «Alife 2009», on retrouve tous les vieux coucous, du genre «Disappointed» (John cherche l’hymne à coups de plaintes geignardes), «Bags» (vieux fonds de commerce de PiL, mais hélas sans Ginger Baker), «Memories» (traité au plan incantatoire anti-jubilatoire), «Annalisa» (on les sent déterminés à vaincre, mais il leur manque le dub de Jah), «Religion» (bien rampant, avec un peu plus de basse dans le son), «Rise» (à peu près le seul cut de PiL qui soit mélodique, on le suit avec un intérêt non feint - I’m gonna rise an energy or anarchy) et «Open Up» (monté au beat entreprenant, ouf, ils finissent quand même par ramener un peu de viande).


En 2012, John Lydon songe à reformer PiL. Wobble se montre gourmand et John lui dit goodbye. Quand à keith Levene ? - I simply didn’t want Keith in my life again. It’s completely clear: he’s a cunt.

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C’est en gros la même équipe qu’on trouve sur «This Is PIL» : Lu et John, Bruce Smith au beurre et Scott Firth à la basse. John prend le morceau titre à l’agonie de Sainte-Anne. Il prêche dans le désert. On trouve cette fois un gros son d’infra-basse qui semble vouloir renouer avec le son du premier album - Welcome to PiL ! We are PiL ! - Ils annoncent la couleur : nous voilà avec un album de dub. Mais les morceaux défilent et il ne se passe hélas pas grand chose. On a la petite jérémiade convenue dans «Human» et le vieux coup de pilisme patenté dans «I Must Be Dreaming». Il se dégage des deux premières faces de ce double album un léger parfum d’ennui. Avec «The Room I Am In», John erre dans sa room. La room où il est. Retour au dub extra pur avec «Lollipop Opera» un cut bourré d’infra-basse de sound system. John remonte sur ses grands chevaux pour «Reggie Song», mais il cavale au long des corridors glacés de son univers branlant - I am from Finsbury Park - Et on tombe enfin sur le hit du disk, «Out Of The Woods», monté au riff de basse hypnotique de big sound system, un fantastique clin d’œil à Can.

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«What The World Needs Now», nouvel album de PiL, sort tout juste du four. Dès «Trouble Double», John retrouve sa vieille niaque d’antan. La tendance se confirme avec «Know How». Il y retrouve ses vieux accents pistoliens et Lu Edmunds nous gave de jolis passages de guitare. Puis John lance une attaque en règle contre l’hypocrisie américaine - le fameux censorship - avec «Betty Page» - God bless America - Il y cherche la dimension grandiose du dénonciatif, une sorte de vieux cheval de bataille, isn’t it ? En face B, on tombe sur un «Spice Of Choice» qui semble pompé sur «Love Is The Drug» de Roxy. On assiste en face C au retour en force du dub sature-man avec «Big Blue Sky» et John profite de l’espace qui s’offre pour lancer au ciel une ouverture symphonique exceptionnelle. On ne l’aurait jamais cru capable d’un tel exploit atmosphérique. Mais c’est vrai qu’il fait aussi partie des gens qui n’ont plus rien à prouver, et ce depuis 1977. L’autre grand cut de l’album se niche en face D : «Corporate», un dub expressionniste à la Bertolt Bretch, pur jus de dénonciatif - Corporate murderer - qui n’est pas sans rappeler le «Blood On Your Hands» des mighty Killing Joke - Welcome to your icloud head - Il finit avec une pure pistolerie du XXIe siècle, «Shoom» - Fuck you ! Fuck off ! Fuck sex ! It’s bollocks ! All sex is bollocks ! Et voilà le travail.

Signé Cazengler qui remPiL


Public Image Limited. Le Trianon. Paris XVIIIe. 6 octobre 2015
Public Image Limited. First Issue. Virgin 1978
Public Image Limited. Second Edition. Virgin 1979
Public Image Limited. Paris Au Printemps. Virgin 1980
Public Image Limited. The Flowers Of Romance. Virgin 1981
Public Image Limited. Live In Tokyo. Virgin 1983
Public Image Limited. This Is What You Want. This Is What You Get. Virgin 1984
Public Image Limited. Album. Virgin 1985
Public Image Limited. Happy. Virgin 1987
Public Image Limited. 9. Virgin 1989
Public Image Limited. That Was Is Not. Virgin 1992
Public Image Limited. Alife 2009. Concert Live 2009
Public Image Limited. This Is PiL. PiL Official 2012
Public Image Limited. What The World Needs Now. PiL Official 2015
Phil Strongman. Metal Box. Stories From John Lydon’s Public Image Limited. Helter Skelter 2007
John Lydon. Anger Is an Energy - My Life Uncensored. Dey Street Books 2015
John Lydon. Rotten - No Irish, No Blacks, No Dogs. St Martins 1994
The Filth And The Fury. Julien Temple. DVD 1999
Sex Pistols. Never Mind The Bollocks. DVD Eagle Vision 2002
Sex Pistols. There’ll Always Be An England. Live From The Brixton Academy. Julien Temple. DVD 2007

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18 / 03 / 2016
GIBUS CAFE / PARIS
AMNASTY / FALLEN EIGHT
FROM A BROKEN STEREO
CASEY / ACRES
BURNING DOWN ALASKA

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Waouh ! Six groupes en une seule soirée, au Gibus Café, commence à 19 h 30 et se termine à minuit. Question espace-temps comme disait Einstein tous les risques que ce soit aussi comprimé qu'un tube d'aspirine effervescent. Je ne connais pas les têtes d'affiche mais depuis la Release Party de Fallen Eight ( KR'TNT ! 269 du 18 / 02 / 2016, tout juste un mois, ô combien le temps passe vite comme disait Héraclite ), j'ai envie de voir From a Broken Stereo. Puis faisons profil bas, le Gibus café, je connais l'endroit où le haut-de-forme est accroché, ne renouvelons pas l'erreur du samedi précédent où après avoir parcouru soixante-dix kilomètres, me suis aperçu que j'avais laissé l'adresse notée rapidement en début de semaine à la maison, mémoire défaillante et coin de la planète perdue puisque non cartographié selon le GPS peu performant...

AMNASTY

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Suis arrivé avec dix minutes de retard. Retenu par une charmante cliente à la librairie juste en face. J'ai raté les deux premiers morceaux. Pratiquement la moitié du set, car l'orga ne leur en a pas donné davantage. Quatre grands gaillards de front. Vous ne verrez pas le batteur, l'est caché par le rideau impénétrable des trois guitares et du chanteur, rangés comme des livres sur l'étagère, en prenant soin de ne pas se gêner.
Heureusement qu'ils ne se laissent pas intimider par la situation limite. Possèdent une arme pas secrète du tout, un bataillon de fans qui se pressent sur le devant de la scène et qui profitent de l'énergie qu'ils dégagent pour se dépenser follement. Sur leur facebook, ils se sont attribués l'étiquette métalcore mélodique. Ne les contrarions pas, mais la mélodie ils ont dû la laisser au local. C'est du gros son, explosif et jouissif. Le bouchon du champagne qui fuse et qui troue le plafond, pour les gentilles bubulles qui sautillent vous repasserez. Ou alors dans la salle des fans déchaînés, un véritable bombardement de neutrons qui ricochent sur les murs. Idéal pour une première partie. L'on sent qu'ils mettent toute la gomme pour qu'on ne les oublie pas. Guère possible, avec toutes les filles qui les prennent en photo. Trois titres et s'en vont. Pas de rappel malgré les applaudissements nourris. Faudra les revoir, en de meilleures conditions. Avec surface de réparation et set in extenso plus distances, temporelles non aumôniales. Amnasty, le nom a été choisi pour ses sonorités. Justement, ils savent se faire entendre.

FALLEN EIGHT

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Dure épreuve. Pas pour nous qui avons bénéficié d'un set de toute beauté. Vous savez ces instants lamartiniens où le temps suspend son vol. Pour le groupe, j'imaginons. Pressé par l'orga alors qu'ils sont en train d'installer leur matériel. Je ne vous parle pas de l'encombrement dans cet espace réduit. Mais aussi en plein milieu du tour de chant... A croire que leurs morceaux seraient interminables. Les américains ont réussi à résumer sur cassette audio La Recherche du Temps Perdu du divin Marcel en une minute, mais il ne faut pas non plus exagérer. Vous nous ferez plaisir de ne pas confondre rocker avec listener's digest.
La scène ne s'est pas agrandie mais Clem trouve la parade : micro en main il saute avec l'agilité d'un cabri par-dessus les retours dans le public et fera ainsi d'incessantes allées et venues entre les deux niveaux ce qui libère plus d'espace pour ces compagnons. Sauf pour JP enfermé avec sa batterie dans une tour d'ivoire de plastique transparent ce qui ne le rend pas plus visible à nos yeux. Le Gibus Café prend soin de nos oreilles, vous avez même un cadran lumineux qui indique en gros chiffres rouges les décibels. Comme sur les routes à automobiles, interdit de dépasser le 110. C'est gentil toutes ces précautions, mais nous sommes dans un concert de rock and roll et non dans une maison de retraite.
C'est en ces occasions qu'un groupe prouve sa maturité et son savoir faire. Fallen Eight prend le minotaure des petites adversités par les cornes et nous offre vingt-cinq minutes de félicité. Pas évident, leur musique nécessite de longs moments où la pression s'accumule lentement pour éclater en de puissants orages tumultuesques infinis. Trouvent la parade, moins de longueur mais davantage d'intensité. Nous offrent un condensé d'énergie irradiante. Les amateurs de rondes guerrières arrêtent leur tourbillon et prennent le temps d'écouter, de se laisser submerger par cette marée musicale qui monte, monte et nous recouvre d'un groove majestueux. Cité d'Ys noyée par les eaux et la cloche de l'église qui bat le glas des morsures envenimées. Fallen Eight nous engloutit dans son monde. Retour au liquide amniotique pour mieux renaître aux forces titanesques du monde qui s'ouvre comme un fruit trop mûr.
Une superbe prestation, la voix de Clem qui se rit des tempêtes des guitares comme l'albatros de Baudelaire des nuées. Un grand moment.

FROM A BROKEN STEREO

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Les Broken n'ont pas brisé notre état de béatitude. Pour la stéréo, ils l'ont définitivement atomisée. Mieux vaut être totalement soi que singer les autres. Après le drapé moiré des Fallen Eight, les five FABS nous ont offert le froissé déchiqueté. De tous les groupes de la soirée, ce sont eux qui ont le mieux utilisé leur mini-plage horaire. Peu de morceaux mais expédiés comme des trailers infernaux. Des particules sonores qui vous poussent à en voir, à en entendre plus. Vous filent des crocs voraces et vous donnent envie de déchiqueter de la chair fraîche. C'est sûr que leur hardcore sans concession était idéal pour se plier au mini-format qui leur était imparti. Antoine – comme tous les batteurs de la soirée isolée dans sa cloche de plongeur plastifiée, est estompé par ses acolytes. Debout tous les quatre sur le devant de la scène. Vous avez l'impression du gang des frères Jesse James, sur l'affiche du cinéma, juste avant de foncer dans la banque qu'ils vont attaquer dans la seconde qui suit. Les hold up comme on les aime, avec les caissiers qui se font exploser le cervelet à la winchester et les chevaux fous dans la rue qui écrasent les passants innocents.
Arthur mène la danse. Chant robuste et d'une redoutable efficacité qui vous arrache la viande des os. Pas un hasard si nous avions remarqué sa très courte apparition à la Rise & Grow Realease Party des Fallen Eight en février dernier. ( voir KR'TNT ! 269 ). Le chahut recommence dans la salle, difficile de rester de marbre devant une telle avalanche de speed. Silence ! Arthur annonce un nouveau morceau avec un son particulier. Et hop, comme par miracle apparaît un râtelier de nouvelles guitares qui vitissimo rejoint les coulisses porteur des anciennes. Un son plus clair, plus léger, mais tout aussi grisant que le premier, cela ressemble à une masse visqueuse qui rampe sur le plancher, une présence menaçante qui vient d'en bas, mais tout aussi chargée de danger que le début du set. Faudrait en entendre davantage pour analyser plus finement. Mais évidemment c'est déjà trop tard. Fin de la partie. Amputé par le gong. En tout cas s'en sont tirés comme des chefs sioux sur le sentier de la guerre. Volée de flèches sur le chariot de nos cerveaux qui flambent. Nous laissent pantois. Belle démonstration de force. A revoir d'urgence dans un concert non équeuté.

CASEY

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Exunt les formations nationales. Bienvenue aux groupes étrangers. N'auront pas droit aux portions congrues. Adieu les sets riquiqui. Carrément roudoudoubles. Z'ont ne les pressera même pas quand le matériel s'accumulera devant la scène. Un véritable déménagement, d'autant plus qu'il faut démonter la batterie des froggies – ce qui libère un quart de scène – et faire coulisser le plexiglass étouffe-son – aussi rébarbatif que les murs anti-bruit du périphérique - jusqu'au kit-drum marqué du logo des Burning Down Alaska qui occupe le second quart. Les anglais tentent de démonter l'objet séparatif peu transactionnel en douce et de le transvaser clandestinement panneau par panneau vers les coulisses. Sont vite arrêtés par la régie-son qui tient à son artefact comme à la prunelle de ses yeux, comme au tympan de son oreille. Mais l'on s'en fout, on a un guitariste.
Pas bêtes les englishes, plantent un micro devant la scène pendant que derrière l'on trimballe les planches à magic box. Normal, il y a un guitariste. N'est pas tout seul. Sont cinq en tout. Je n'ose pas dire que les quatre autres ne comptent pas. Non, ce ne sont pas des demi-portions de Vaches Qui Rit. Une fois qu'ils seront tous casés, Casey dévoilera ses canons à particules oniriques. Vous emportent au pays d'Alice et du lapin blanc en trois coups de cuillère à pudding. Crème anglaise premier choix. Doux comme le vent dans les roseaux des poèmes de Yeats, mais épicé au parfum d'orange amère. Vous caressent la peau en même temps qu'ils vous labourent la chair à vif. Et en plus ils ont un guitariste.
Payait pas de mine, pendant les préparatifs, je me demandais s'il faisait partie du groupe ou si c'était un jeune frère qui venait donner un coup de main. L'a attendu longtemps avant d'ouvrir son étui. Puis s'en est allé branché sa guitare, l'on avait envie de l'aider, de lui montrer l'orifice où brancher le jack. N'était pas encore tout à fait prêt quand les autres ont démarré la machine. Et plaf ! Transformation. C'était un guitariste. Au début, on n'y croyait pas. L'a pris le train en marche, l'a suivi le mouvement. L'on avait même l'impression d'un rythmique qui se la coulait douce, du genre doucement le matin et pas trop vite le soir. Mais c'était un guitariste.
Une dégaine incroyable. Une espèce de banane choucroute qui lui écrasait la tête – exactement la description de Moby Dick la baleine blanche qui s'apprête à foncer sur le malheureux Péquod, les harpons plantés dans son flanc et le cadavre du capitaine Achab entortillé dans les filins d'acier – bref une coiffure so tipycally british, et une veste toute simple qui lui donnait l'allure des guitaristes – anglais – des années soixante. Ce qui tombait très bien, parce que figurez-vous que c'était justement un guitariste.
Plongé dans son jeu jusqu'au rêve. Pas le genre de briscard à vous envoyer des riffs qui vous découpent en tranches de mortadelle avec le tranchant d'un sabre de cavalerie. C'est simple, chaque fois qu'il se passait quelque chose d'intéressant, c'était lui. Les deux petites notes, à première ouïe subsidiaires, mais qui vous emportent dans les hauteurs stratosphériques, c'était lui. Au bout de dix minutes, l'on avait oublié le restant de l'équipe. Que vous pouvez ranger dans les cadors. Car Casey ça casse les manivelles. Pas exactement le rock que j'aime, un peu trop doux pour moi. Oui, mais quand Toby vous disperse un collier de perles précieuses dans les esgourdes, vous vous sentez mieux. Vous pond des notes comme des gouttelettes de rosée opalescentes, un jeu arachnéen, d'une finesse incroyable.
Quand j'ai voulu lui parler à la dernière seconde de l'ultime morceau, l'était déjà entouré des Fallen Eight, qui avaient envie d'en savoir un peu plus sur l'art de ce magicien. Normal, c'est un guitariste.


ACRES

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Etrange cette programmation. Deux groupes qui se ressemblent trop. Acres joue plus fort, plus lourd que Casey. Quand vous comparez, et vous ne pouvez y échapper tellement les deux univers sont semblables, la balance du destin penche toujours en faveur d'Acres. Oui, mais eux ils n'ont pas de guitariste. Enfin sont comme tout le monde. Des guitares comme s'il en pleuvait, un drummer pas plus visible que tous les autres qui l'ont précédé, du métier, de l'expérience, de la conviction. Vous emmènent loin. Une musique aussi belle que du Swinburne. En plus, s'ils n'ont pas de guitariste, ils ont un chanteur.
Le gars qui s'y croit si fort que vous finissez par croire en lui. Ne faut pas être pressé. Les camarades lui brodent de fils d'or un long tapis d'arpèges, et lui il reste appuyé sur le micro, la tête penchée comme un poète romantique attendant la visitation du souffle divin et apollinien. Ne vous regarde pas, l'est tourné vers le mur latéral, immobile et silencieux. Ce n'est qu'au bout de presque dix minutes qu'il s'éveille et entonne le premier couplet.
Acres vous entraîne au pays des fées et des magiciens, vous emmène par la main dans les tableaux des préraphaélites, les femmes y sont belles comme des sorcières aux cheveux rouges de sang et vénéneuses comme des plantes carnivores. Dans l'assistance assise, quasi-religieuse, de fins sourires mystérieux errent sur les lèvres des jeunes filles. Elles s'éclipseront durant l'interlude qui précèdera le dernier groupe.
Sidération et subjugation. Les yeux du serpent qui vous fascinent. Sagesse immémoriale des contes symbolistes. Rien de âcre dans Acres. Vous refile le baiser de la belle au bois dormant pour vous réveiller de la laideur du monde et vous entraîner dans la léthargie contemplative des mangeurs d'opium...

BURNING DOWN ALASKA

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Avec l'apocalyptique promesse du nom je m'attendais à une impitoyable fournaise. Une atmosphère martienne de 3417 degrés celsius minimum. Un groupe torride. Erreur culturelle. Burning Down Alaska nous vient d'Allemagne, les peuplades d'outre-Rhin sont animées d'une fervente foi en la sainte écologie. Peut-être leur nom est-il simplement une mise en garde sur le réchauffement climatique, je ne sais pas, mais enfin je vous apporte une bonne nouvelle, la musique de Burning Down Alaska n'est en rien responsable de l'extinction programmée de la banquise. Nos amis les pingouins peuvent continuer à les écouter sereinement sur leur électrophone sans craindre pour leur habitat de glace fondante, le danger vient d'ailleurs.
Ce n'est pas qu'ils soient mauvais. Même qu'ils sont bons. Ne manque même pas un boulon de huit à leur guitare. Sont au point. Comme des pros. C'est là le gros hic. Peuvent tout faire, s'énerver méchant de temps en temps, mais juste ce qu'il faut, et puis revenir aux ambiances emphatiques de base, lourdes et lentes – comme les amantes d'André Hardelet – dont le public semble se régaler. Connaissent leur affaire. Pas moyen de s'ennuyer avec eux. Allez tout le monde lève la main, allez maintenant tout le monde baisse la main, allez tout le monde tape dans les mains et tout le monde tape dans ses menottes proprottes, allez tout le monde se baisse, et allez quand j'aurai dit trois tout le monde se lèvera, one, two, three, jumping sur place s'il vous plaît, cela me rappelle mes cours de gymnastique à l'école primaire. Sont un peu fatigants. Je ne voudrais pas tomber dans les poncifs, mais cette méthode d'occupation comportementale coïncide si bien avec la fameuse discipline germanique, que cela en devient gênant.
Je dois avoir mauvais esprit car l'assistance – celle qui est restée - connaît leurs morceaux par coeur et les faces s'illuminent de sourires jouissifs. Perso j'éprouve comme un malaise, le hardcore d'entertainment ne me séduit guère. Pense que c'est même juste le contraire de l'esprit du rock and roll. Alaska a tous les codes et toutes les clefs mais ils n'ouvrent aucune porte. Surtout pas celle du cabinet secret des horreurs de Barbe-bleue. Restez groupés autour de nous, ici l'on vous cocoone-rock. Burning Down Alaska me laisse froid. Tout à l'heure en partant, je m'attarderai devant un café, sont cinq pas très géniaux à jouer un rock ni très futé, ni très incisif, mais au moins ils y croient, et je préfère.
Alaska est antinomique. La formation classique – basse, batterie, deux guitares – qui sur le haut de la scène se charge des lignes mélodiques plus les accélérations nécessaires pour ne pas s'endormir. Et en bas, devant, le micro sur pied, et un autre portatif, deux chanteurs. Deux hurleurs qui vomissent leurs tripes sur le devant. Quand l'un est au cromi, l'autre chante pour lui, le corps haché dans une transe frénétique. Ce sont eux qui soufflent le show et le froid. Voix craquelée pour l'un et plus swinguante pour l'autre. Du sur mesure. Mais il manque un grain de folie. Le groupe ne se met jamais en danger. Evite la route des icebergs. Du moins ceux qui font couler les Titanic.
Ce hardcore teuton, ne me titille pas les tétons.

RETOUR


Pas à la maison. Réflexif. Une belle soirée. Ce soir le hardcore avait davantage de coeur que de dureté... Et puis six groupes en cinq heures, sans plateau tournant, c'est un peu beaucoup. Le plus est l'ennemi du bien. Cette constatation : chaque groupe rameute son propre public, qui se volatilise en partie après son passage... La moitié de l'assistance ayant disparu lors du passage d'Alaska. Un public de jeunes gens avec une grande proportion de gent féminine. Le rock serait-il en train de grignoter le terrain perdu ?


Damie Chad.

( Photos prises sur le FB des artistes, ne correspondent pas obligatoirement au concert )

 

45 TOURS
SOUVENIRS, SOUVENIRS

PHILIPPE AMELOT


( Le Castor Astral / 2000 )

 

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Pas plus épais que quatre 45 Tours empilés, longueur pratiquement similaire – dépasse même de cinq millimètres – par contre question surface l'en manque à vue de nez au moins trente pour cent. Au Castor Astral, ils ont une bonne collection rock assez étendue ce qui est un indice positif et puis l'argument décisif du bouquiniste, trois euros. Adjugé, vendu. A ce prix l'on ne boude pas, serait-il frelaté, son hypothétique plaisir.
Philippe Amelot est né en 1964, n'a pas choisi la meilleure période, a fêté ses vingt ans dans le milieu des années 80, son choix de disques a statistiquement peu de chance d'être mirifique. Laisse à désirer : Maxime Le Forestier, Renaud, Mano Negra, Neil Young, Lili Drop, Antoine, Michel Fugain. Sûr je choisis les pires – il y a tout de même un Roy Orbison les Byrds et Les Pogues mais enfin nous n'habitons point sur la même planète. L'est passé à côté. Ses parent avaient écouté Elvis Presley et Bill Haley, l'est vrai qu'ils n'en étaient pas devenus des rockers pour autant, l'on sent les fragrances moisies de la petite-bourgeoisie, de toutes les manières le phénomène de la dégénérescence des générations est un peut-être une course à l'abîme inéluctable.
Quoi qu'il en soit, cela commence mal. Premier disque écouté : Cuando Calienta el sol, accordons-lui le bénéfice de l'âge, moins de dix ans, mais vous conviendrez que ça pue le blaireau. L'est des personnes qui sont maudites avant d'avoir commencé à vivre. Franchement si vous étiez une fille accepteriez-vous de sortir avec un gars qui tout petit écoutait une telle horreur ? Et si vous étiez patron, vous viendrait-il à l'idée de l'embaucher dans votre entreprise à profits ? Et si vous étiez son père, ne l'auriez-vous pas déposer fissa à la Dass, rouge de honte ? Je pourrais continuer mon questionnaire sur des pages et des pages, mais je vous en fais grâce. D'autant plus que la musique Philippe Amelot, il s'en fout un peu. Vous pose le titre en haut du chapitre – bingo, comment avez-vous deviné qu'il y en avait pile quarante-cinq ? - vous rédige deux ou trois pages à la suite et c'est à peine s'il se souvient du hit, souvent il ne lui consacre pas plus de quatre ou cinq lignes, et parfois l'a tellement oublié qu'il le cite in-extremis avant le point final. Pour l'analyse musicale, c'est râpé comme le gruyère à trous.
Et tout de même, il y a une petite musique qui se dégage de ce mince bouquin. Certes pas très joyeuse, première moitié : le occasions ratées, deuxième hémisphère : les regrets. Résumé d'une vie. Un truc pas vraiment marrant à se farcir. D'ailleurs le frère du narrateur s'en est allé avant la fin. Suicide mode d'emploi. L'a mis un dernier disque et a fait sa révérence. Merci du cadeau, frérot. Le genre d'anecdote qui vous plombe une vie. Surtout qu'en plus, l'avait fait le mauvais choix. Amelot remplace le scud par un autre de Nick Drake. Retour à l'expéditeur, lui change la bande-son de la scène ultime.
Pour Amelot la vie est une camelote qui s'effiloche. Nous parle d'Elsa Brezner, qui forma Tanit avec Pascal Humbert – aujourd'hui avec Bertrand Cantat dans Detroit – qui sortit deux disques chez New Rose. L'évoque d'une manière impressionniste. Perdue dans ses rêves. Comme lui en son passé. A peine plus loin, évoque la figure de Marc Seberg. Pas à son avantage. Une attitude pro ou post traumatique. L'aime vraiment cette génération. La sienne. Celle qui s'est fadée l'après-punk. Arrivée sur les débris de la grande désillusion. Perdue avant d'avoir même pensé qu'ils pourraient tenter de miser une misère d'espoir sur la balance de leur destin ébréché.
Décroché de la vie réelle. L' appétence rimbaldienne n'est pas son fort. Au mieux elle est derrière lui. Entassée dans des cartons. Qui ne contiennent pas grand-chose. Mais enfin c'est déjà ça. A appris à survivre en se contentant de peu. Pour le présent, n'y croit pas. Fait semblant de. L'important est de participer. Lui, il a tout perdu. Si nous étions psychiatre nous parlerions de dépression. La grande. Pas celle de 29, celle du 45. Un trauma avec antécédents familiaux. Bien écrit. N'empêche qu'il n'a pas écouté les bons disques. Oui je sais, je suis un peu sectaire. Mais je ne me soigne pas.


Damie Chad.

LANGSTON HUGHES
POETE JAZZ, POETE BLUES

FREDERIC SYLVANISE

( ENS Editions / 2009 )

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Un livre d'universitaire avec tous les défauts de la langue de bois pédagogique. Ce genre d'individu ne peut voir un poème un poème sans y poser par dessus un étron phatique. C'est ce que l'on appelle un commentaire littéraire. Pas autre chose qu'une vulgaire paraphrase qui consiste à répéter en moins bien ce que l'auteur a exprimé en beaucoup mieux. Contrairement à ce que les lignes précédentes le laisseraient accroire c'est un art difficile. Ne faut pas pousser le bouchon trop loin. Inutile de se fâcher avec les pontes de votre domaine d'étude : ce sont eux qui possèdent le terrible pouvoir des fourches caudines de la nomination dite par cooptation. Certes l'art du cirage des pompes possède ses titres de noblesse depuis qu'il fut exercé par James Brown, mais il ne faut pas confondre les dures lois de la survie économique avec la prostitution de la pensée.
Frédéric Sylvanise n'échappe pas à cette règle d'airain de la redite obligatoire. L'a encore une chance dans son malheur, c'est que depuis le Seghers de la collection Poète d'Aujourd'hui qui date de 1964, il existe très peu d'ouvrages d'ensemble sur Langston Hughes, il peut donc apporter bien des éléments neufs à un lecteur français. Néanmoins, son ouvrage ne comporte pas moins d'une centaine de pages redondantes et oiseuses. Notamment une introduction à répétition qui est une véritable invitation au suicide.
C'est d'autant plus dommage qu'il se livre à un travail de présentation passionnant. S'intéresse à quatre recueils de l'oeuvre de Hughes, les plus intéressants, les deux premiers et les deux derniers. Dans l'ordre The Weary Blues ( 1926 ), Fine Clothes to the Jew ( 1927 ), Montage of a Dream Deferred ( 1951 ) et Ask your Mama : 12 Moods for Jazz ( 1961). L'en a écrit d'autres, mais Mister Sylvanise privilégie ceux-là, car ils correspondent parfaitement à l'objet de son étude : le rapport de la poésie de Langston Hughes avec la musique. Dans l'intervalle l'œuvre du poète aurait pris une tonalité militante beaucoup plus accentuée. Nous voulons bien le croire, mais le ton très politique des deux dernières ouvrages ne nous paraît guère traduire une inflexion très prononcée de sa trajectoire.
Dommage que Frédéric Sylvanise ait cru bon de gaspiller des années à pondre une thèse pour ensuite travailler à l'adapter en un livre pour public intéressé mais non spécialisé. C'est que son travail est précieux : l'a introduit dans son volume un nombre conséquent de traduction de poèmes de Langston. Avec le texte original à côté. Quand on pense que ces recueils n'ont pas encore été traduits en français, l'on regrette qu'au lieu de ses commentaires par trop inutiles, il ne se soit donné pour but de rendre la poésie de Langston Hughes enfin accessible en notre bel idiome. Surtout qu'il se débrouille bien, qu'il arrive à rendre d'une manière assez fine les altérations argotiques du langage des populations noires.

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The Weary Blues ( le blues du désespoir ) porte mal son nom, sans être persona non grata, le blues cède la place au jazz, un jazz que nous qualifierons de rythmique, ce pianotement incessant dont le poète s'est servi pour désarticuler la syntaxe anglo-saxonne. N'emploie pas pas le bulldozer, lui préfère les altérations synchroniques du ragtime et du boogie woogie.

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C'est dans le recueil suivant Fine Clothes to the Jews ( que nous transposerions en Beaux Habits de chez ma Tante, afin d'éviter toute attribution d'appétence antisémite à l'auteur, the Jew ne désignant que le Mont-de-Piété ) que le blues foisonne. Sylvanise explique que dans The Weary Blues Hughes évoque le blues issu du Vaudeville – c'est cette altération quelque peu variétalement contaminée qui permit aux chanteuses comme Bessie Smith d'accéder à une large reconnaissance - mais que dans l'oeuvre suivante, il essaie de calquer la structure de ses poèmes sur celle des paroles du blues primitif, folk blues et commando delta. Se perd dans de savantes démonstrations pour établir que tel poème respecte la structure des blues à huit mesures, et tel autre celle des vers à douze mesures. Rien à voir avec le nombre de pieds mais avec la reprise de tel ou tel vers dans les strophes suivantes. Quand on connaît les multiples variations parolières qui existent pour un même morceau de blues... ne contrarions pas notre professeur qui s'accroche si fort à sa théorie.
Le jazz, le blues, tout est parfait, c'est alors que Sylvanise agonise, l'a oublié le troisième couffin. Bordel de Dieu et le gospel, et le negro-spiritual, et les cantiques et les chants au Seigneur, qu'en faire dans tout cette musique profane de mécréants ? Le problème c'est que Langston n'était pas un esprit religieux, alors notre chercheur nous bricole un chapitre intermédiaire dans lequel il essaie de prouver que telle strophe de tel poème correspond au couplet de tel hymne préféré des chapelles noires que notre poète ne pouvait pas ne pas connaître. Perso, je passerai bien un peu de désinfectant Bakounine sur cette partie-là...
Pour les deux recueils suivants, va falloir vous enquiller le concept de modernisme. L'est un peu globuleux, pas bête le Sylvanise prend soin de ne pas le définir. Circonscrivons-le sous une acception rudimentaire de modernisme poétique en le définissant comme toutes les nouvelles formes d'écriture de la poésie après que le dix-neuvième siècle ait cassé en mille morceaux notre bel alexandrin...

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Pour Montage of a Dream Deferred, Langston partage sa page en deux colonnes, la plus grande sur votre gauche, la plus étroite sur votre droite. La première est dévolue au poème proprement dit, la deuxième à son commentaire musical. Sous forme de mots, notations de sons produits par tel ou tel instrument avec force de métaphores filées. C'est un recueil, mais ce n'est qu'un seul et unique poème qui court sur plusieurs pages, avec des thèmes qui s'entrecroisent, qui s'en vont, qui reviennent, le texte fonctionne comme un morceau de Charlie Parker. Un savant montage de points et contrepoints pour expliquer le premier mot du titre.
Pour le Dream Deferred, c'est le fameux rêve americain, l'ameri( yes you )can dream. Mais vu du côté des noirs. C'est pour cela qu'il est différé. Le mot revient avec la constance du leitmotiv wagnérien de l'Or dans la tétralogie. A part que les nègres, l'or ils n'en voient pas la couleur, la reconnaissance, l'égalité, la fin de la misère, l'amélioration des conditions, c'est toujours promis et jamais tenu. Always deferred. L'on sent poindre comme une certaine lassitude.

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Ask your Mama : 12 Moods for Jazz. Ce n'est pas vingt ans plus tard. Mais dix ans après. Le futur s'accélère. Pour la disposition, c'est la même. C'est la musique qui a changé. Le Be-Bop est passé de mode. La première fois que j'ai lu le titre, j'avais compris douze manières de jouer le jazz. Pour le loto, j'avais les douze bons numéros. J'avais la douzaine, mais pas the dozens. Ce qui change tout. Dozen, c'est le distique que l'on se crache à la gueule lorsque l'on s'invective avec un tiers : du genre petit cul quand tu pètes on ne te vois plus, fais pas le malin – passe ton chemin, mais en beaucoup plus fort, demande à ta mère pourquoi tu ne ressembles pas à ton père. Ask your Mama, c'est un peu l'équivalent de notre Nique ta Mère national... La colère est là. Les temps sont discordants. Comme les accords du free-jazz d'un Ornette Coleman. C'est en ces mêmes années que la notion de Black Power devient opératoire. Plus de rêve, plus de poème, plutôt une coagulation, une coulée de textes qui racontent la naissance de la rage noire partout, en Amérique, en Afrique, avant, maintenant, violence radicale et politique en gestation...
Nous sommes en 1961, le pan-africanisme n'est pas encore la baudruche crevée qu'il deviendra, les temps semblent chauds pour une explication finale. Pour les minorité actives noires Langston Hughes ( qui mourra en 1967 ) est déjà dépassé. Les futurs black panthers en germination misent davantage sur les fusils que sur la poésie... Aujourd'hui après l'échec patent de tous ces mouvements de révolte tiers-mondiste, la figure du poète commence à être réévaluée. Il apparaît de plus en plus qu'il fut le premier à opérer une prise – une cassure - de conscience dans les pans les plus démunis des communautés noires, grâce, très tôt, dès ses premiers poèmes, à ce travail de retrempe de la conscience noire dans l'énergie du blues du désespoir.


Damie Chad.

09/03/2016

KR'TNT ! ¤ 272 : BRETT SMILEY / NINA ANTONIA / CRASHBIRDS / HOWLIN' JAWS / BARNY AND THE RHYTHM ALL STARS / HEAVY METAL / LANGSTON HUGHES / W. C. HANDY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 272

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

10 / 03 / 2016

 
BRETT SMILEY / NINA ANTONIA

JOHNNY THUNDERS

CRASHBIRDS / HOWLIN'JAWS

BARNY AND THE RYTHM ALL STARS

HEAVY METAL

LANGSTON HUGHES / W. C. HANDY

 

SMILEY SMILE

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Brett Smiley est mort deux jours avant David Bowie. Ils présentaient de sacrés points communs : on avait là les deux plus beaux glamsters des années soixante-dix. Ils étaient tous les deux beaux comme des demi-dieux felliniens - But Smiley made Ziggy look like a bricklayer - Ils écrivaient leurs propres chansons et le monde semblait leur appartenir, tant il est vrai que le monde appartient aux âmes conquérantes.

L’un est passé à la postérité, l’autre a sombré dans l’oubli. Bowie est mort adulé par la presse people et Brett n’a eu pour seul et unique éloge funèbre qu’une info relayée par quelques connaisseurs avisés. Bowie a rempli les poches de la presse bon chic bon genre et Brett a rejoint sa place naturelle : le néant.

Brett Smiley est passé complètement inaperçu dans l’histoire du rock anglais. Cet Américain ramené à Londres par Andrew Loog Oldham aurait pu plaire au grand public. En tous les cas, il réussit à plaire à Nina Antonia. Elle ne le vit qu’une seule fois à la télé, dans les années soixante-dix. Il chantait «Space Age». Cette gamine de Liverpool se passionnait alors pour les New York Dolls. Brett la fascina au point qu’elle allait lui consacrer un livre. Et quel livre ! C’est un véritable tour de force, puisqu’elle n’a quasiment rien à dire sur Brett Smiley. Il n’existe même pas d’album officiel, à peine une petite compile sortie chez RPM et déjà épuisée. En tous les cas, pas de quoi construire une biographie, au sens où on l’entend généralement.

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Mais ce petit livre vous envoûtera. Nina y raconte sa propre histoire, en parallèle avec celle de Brett. Curieusement, l’histoire de Nina se révèle mille fois plus passionnante que celle de Brett qui est l’histoire classique d’un raté du rock qui descend aux enfers. Quand on entre dans ce double récit, on passe par ces stades divers que sont la consternation (oh la pauvre, elle n’a rien à dire, alors elle nous barbe avec ses souvenirs d’enfance), le rejet (en plus elle se croit drôle avec ses anecdotes familiales, alors qu’en Angleterre, c’est d’une effarante banalité), la colère (oh mais cette histoire de Brett Smiley, c’est une véritable arnaque, puisqu’il n’y a pas d’histoire), la stupéfaction (elle étire ses phrases pour grossir ses paragraphes, non mais regardez-moi ça, c’est du corps 14, une daube pareille, on l’écrit en huit jours !), pour finir par la fascination, car Nina nous raconte de quelle façon sa propre vie a basculé. Et là, on ne lâche plus la seconde moitié du livre. C’est un véritable coup de maître.

C’est un livre-rateau-qu’on-prend-dans-la-figure. Il se trouvait dans l’herbe, on ne le voyait pas, on a marché dessus et paf, le manche en pleine gueule. C’est un procédé qu’avait utilisé Flaubert pour «Madame Bovary», mais en fin de récit.

Nina était foutue. Elle avait quitté sa conne de mère pour aller vivre avec un certain Justin. Amoureuse, tout bêtement. Justin se voulait écrivain, mais il n’arrivait à rien. En prime il disparaissait des semaines entières. Cette pauvre Nina tolérait ça. Comme dans un mauvais roman de Zola, elle se fit engrosser et mit au monde sa fille, Bella Donna. Pourquoi Bella ? Parce que Justin avait deux idoles, Bela Lugosi et Jim Morrison. Bien sûr, le ménage n’avait aucune ressource et les avis d’expulsion se succédaient. Justin disparaissait parfois des mois entiers. Elle n’osait pas poser de questions. Elle ne se préoccupait que d’une chose : nourrir sa fille. Comme elle admirait Johnny Thunders, elle commença à écrire quelques pages, qu’elle envoya chez des éditeurs. Un grenouilleur des bas étage installé à Portobello la fit venir pour lui expliquer que Johnny Thunders, ça ne valait pas un clou. Elle ressortit complètement démoralisée de son rendez-vous et alla traîner dans la rue. Elle stoppa net devant la vitrine d’un disquaire. Au fond de la pièce trônait un poster de Johnny Thunders. Elle fit des pieds et des mains pour avoir le poster, mais il n’était pas à vendre. Pour la consoler, le vendeur lui sortit du bac un EP des Heartbreakers qui venait de sortir. Elle rentra chez elle en miettes. Puis elle vit les flics embarquer Justin. Un commissaire de police finit par lui expliquer que Justin était déjà marié ailleurs et qu’il profitait de plusieurs sources d’allocations pour financer sa méthadone. Nina descendit aux enfers, mais le patron de Jungle Records, où elle était entrée pour demander le poster, réussit à la contacter pour lui dire qu’il voulait absolument voir ce qu’elle écrivait sur Johnny Thunders.

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Une fois arrivé au fond de l’abîme, alors qu’aucun espoir n’est plus permis, il arrive parfois qu’une petite lueur apparaisse. Le sel de la vie ? Allez savoir. En tous les cas, une chose est sûre, on ne vit que deux fois.

Du coup, ce petit livre «rock» raconte deux histoires dont l’une est fascinante, celle de Nina Antonia, bien sûr. Mais en même temps, elle nous sert Brett Smiley sur un plateau d’argent. On est aux antipodes de ces pseudo-bios rock écrites par des journalistes, celles qu’on voit garnir les rayons chez Smith. On peut parler ici de littérature. Oui, Nina Antonia navigue à un autre niveau. Comme Houellebecq, elle met de la viande dans son livre, et c’est la viande de sa vie. Du coup, c’est elle la rock star. Elle a la puissance et le souffle des grands écrivains de langue anglaise. On pense évidemment à Thomas Hardy qui fut le chantre des destins brisés - crac, comme la branche qu’on brise sur le genou - Mais Nina est encore plus forte que le vieux moustachu, puisqu’elle ressuscite en livrant d’un coup deux élégies sublimes, la sienne, celle de Brett et même une troisième puisqu’on assiste en direct à la gestation du Johnny Thunders qu’elle commença à écrire avec RIEN, dans la pire des situations. À ma connaissance, personne n’avait encore réussi un coup pareil.

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C’est vrai qu’on passe un peu à travers l’histoire de Brett Smiley, mais par contre, on ne passe à travers ses chansons. Si on apprécie le glam, on se régale. Ce disque sorti chez RPM est stu-pé-fiant de qualité. On ne comprend pas que l’association de deux surdoués comme Brett et Andrew n’ait pas fonctionné. Les morceaux de Brett Smiley sont tout simplement désarmants de classe et de qualité. On a là du glam musclé à outrance, l’archétype du Swingin London des enfers du paradis. L’une des photos de la pochette attire l’attention : avec son petit regard en coin, Brett a un faux air de Brian Jones jeune. Et ça va commencer à chauffer très sérieusement avec «Space Age». Brett y vise la belle aventure cosmique - Outside the space age - Son «April In Paris» ne doit rien à celui qu’on connaît tous. Il y vise la perversion glam maximale, il vise l’excellence du mijauré, et il faut voir comme c’est tendu, serré, dense, coloré, produit, raffiné et enjoué, nettement plus impressionnant que les chansons d’«Hunky Dory», car on y retrouve une ambition harmonique démesurée qui évoquerait bien celle des Easybeats. Avec «Solitaire» (une compo de Neil Sedaka), on atteint une sorte de nadir, car la voix pure de Brett se noie dans l’ouate humide du mix, avec un rendu voluptueux. On pense à une sorte de prélassement dans des draps pas bien nets et à l’anti-extase malsaine de fins de nuits dangereuses. Brett chante avec la voix d’un agneau de lait et il atteint à une sorte de splendeur stoïque, fascinante de véracité. Il brille d’un éclat faible dans l’écrin d’un certain dévoiement, celui d’un backstage de boîte de traves : vous ne savez sans doute pas à quel point on y vénère Piaf et la beauté pure. Il enchaîne avec un «Va Va Va Voom» absolument dévastateur. Pourquoi «Va Va Va Voom» n’est pas devenu un hit mondial, on ne le saura jamais. Le cut se dote de toutes ces gares où transitent les plaisirs de sens. Steve Marriott y joue des riffs exacerbés. On reste au royaume du glam avec «Run For The Sun». Brett y pousse des ah de janissaire - I wanna I wanna - dans l’enfer d’une orchestration outrancière à la Oldham. Il tape même dans le Wanna Hold Your Hand des Beatles, c’est joué à la grosse attaque, quasiment à la Ronson, avec des clap-hands à la volée et Oldham gave le cut de son comme une oie. On retrouve quasiment les mêmes ingrédients dans «Pre-Colombian Love», mais encore une fois, tout est bien sur ce disque.

Quand on sort du disque, on retourne au livre pour relire quelques passages, et se replonger dans ces portraits extraordinaires, comme par exemple celui d’Andrew Loog Oldham - Still in his late twenties, he was iceberg cool - qui débarque à Detroit pour produire un groupe Motown appelé Sunday Funnies. C’est là qu’il va rencontrer Brett. Le parallèle avec Mickie Most est flagrant, car c’est aussi de passage à Detroit qu’il découvrit les Pleasure Seakers et donc Suzi Quatro qu’il réussit à convaincre de revenir avec lui à Londres SANS les autres filles du groupe. Nina raconte qu’à ce moment-là, Oldham venait de faire faillite - By the time he showed up in Detroit, Oldham’s office consisted of his briefcase - Mais ça ne l’empêcha pas de tout miser sur Brett qu’il emmena enregistrer à Nashville et au Record Plant, à New York. Puis après la parution du single «Va Va Va Voom», Nina raconte qu’Andrew et son chauffeur sillonnaient Londres pour aller déposer le single chez les disquaires - The white Mercedes did the rounds of the record shops, as he personnaly checked stocks of the 45 in London - La Mercedes fantôme fait plusieurs apparitions dans ce récit, et on sent chez Nina le souffle littéraire d’un MacOrlan. Elle fait d’ailleurs énormément de clins d’yeux à de grands auteurs - Beautiful Brett could evoke both Zelda and F. Scott Fitzgerald - mais aussi Oscar Wilde, ce qui semble logique quand un personnage comme Andrew Loog Oldham rôde dans les parages. Andrew traîne Brett dans tous les clubs de Londres - the boss and the blonde - mais Brett souffre d’inconsistance chronique - The best he could hope for was obliteration in a bottle of Johnnie Walker - Andrew demande à Mankowitz (célèbre pour la pochette de Between The Buttons) de faire le portrait de Brett et Nina en profite pour saluer la mémoire de Brian Jones - an enviable young man about town, with no hint of the nightmares to come, save for his prematurely aged eyes - Et c’est ce portrait de Brett par Mankowitz qu’on voit sur la pochette de la compile RPM. Et puis un jour, lassé d’attendre la parution de son album, Brett appelle Andrew pour lui dire qu’il en a assez - It was incomprehensible how quietly it ended - C’est là que Brett va faire la seconde grande rencontre de sa vie, l’héro. En parlant des Heartbreakers, Nina fait part de sa réticence à adhérer à ce culte de l’héro qu’incarna si bien Johnny Thunders - In this bitter new season of death defying machismo and heroin fetichism I secretly missed glam - Ce qui nous conduit à l’un des sommets de ce petit livre, les deux trois jours que passe Nina avec Johnny Thunders qu’elle est chargée d’héberger chez elle.

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Oh, il n’y a rien de dramatique dans ces quelques pages, mais au contraire des passages assez hilarants. Elle doit aller le récupérer dans un hôtel. La chambre est dans un état terrifiant et des seringues traînent partout. La seule solution est de partir discrètement. Mais il y un escalier à descendre pour sortir - Momentarily distracted while he lit a cigarette, Johnny let go the case which noisily clattered down the stairs at high speed, narrowly missing an elderly couple - Quand Nina doit aller faire des courses au supermarket, Johnny l’accompagne - I just hadn’t expected that he’d go to the supermarket in his pyjamas - Fantastique évocation d’un beau souvenir. C’est là où on reconnaît les vrais auteurs. Elle termine ce passage avec un hommage vibrant - By 1986 Johnny Thunders was already an anachronism. He existed beyond the music business establishment, was an exile, an outsider, the last son of true rebel culture - Et la fin du livre plaira beaucoup aux âmes sensibles.

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La bibliographie de Nina Antonia comprend les deux ouvrages définitifs sur les New York Dolls et Johnny Thunders, ainsi qu’une fascinante bio de Peter Perrett.

Signé : Cazengler, brett épaisse

Brett Smiley. Disparu le 8 janvier 2016

Brett Smiley. Breathlessly Brett. RPM Records 2003

Nina Antonia. The Prettiest Star. Whatever Happened To Brett Smiley ? SAF Publishing 2005

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05 / 03 / 2016 / MONTREUIL

LE CHINOIS

CRASHBIRDS / HOWLIN' JAWS

BARNY AND THE RYTHM ALL STARS

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Silence absolu. Pas un mot. Manifestement elle fait la tête. J'essaie de parlementer : « Sûr hier, l'on a avalé mille kilomètres sans s'arrêter, et les flocons de neige qui tournoient autour de nous, ce n'est pas très engageant, mais enfin ce n'est pas très loin, juste quatre-vingts bornes, d'habitude tu roucoules de plaisir ! » Rien, elle ne répond pas. En règle générale les meufs renfrognées qui ne mouftent pas et qui jouent les mijaurées, je leur apprends à sourire à grands coups de satons dans le buffet, mais là ce n'est pas pareil. Celle-là je l'aime. Heureusement la psychologie féminine n'a pas de secret pour moi, j'adopte ma perfide voix numéro 4 de bellâtre énamouré : «  Tu sais chérie, c'est important pour moi, trois groupes, et pas des chiffes molles qui gobent les mouches – là je glisse l'argument - tomahawk percutant - culpabilisateur – moi qui croyais te faire plaisir en t'emmenant à un concert de rock'n'roll ! » Le détonateur choc, irrésistible. Alors que pour la cinquante-troisième fois, en désespoir de cause, je tire sur le starter, le moteur de la meuf-meuf mobile pousse un rugissement de tigre, sous le capot pistons et cardans hululent comme les cadrans des douze pendules de Théodule.

C'est parti pour Montreuil, direction Le Chinois. Local qui pour une fois porte bien son nom. Suffit de traverser la rue pour chiner à votre guise sur les stands brocante vintage et création réunis sous la halle à côté de l'exposition de motos autour desquelles nous retrouvons comme par hasard les membres des Loners de Lagny-sur-Marne... Les chinoiseries s'enchaînent, Mister B and I sommes réquisitionnés d'office, comme au bon vieux temps des colonies et des coolies sur le port de Shangai, pour transporter le matos des Howlin' Jaws.


CRASHBIRDS

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Sont sur scène. L'on a déjà eu un petit aperçu sonore qui nous a mis en appétit puisque l'on a eu la chance d'assister à la fin de leur balance. Mais maintenant, ça balance encore plus dur. Ne sont que deux sur le plateau, mais ne craignez rien. Ils assurent comme des aigles royaux. Pierre Lehoulier est à la lead guitar, cheveux sur les épaules, barbiche en pointe méphistophélique, à moitié assis sur son tabouret. Delphine Viane est à la guitare acoustique, debout devant le micro. Pas de batterie, Pierre s'en charge, martèle du pied les caisses amplifiées disposées devant lui.

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Pierre n'a pas touché ses cordes qu'une rythmique d'acier embrase l'air. C'est Delphine sur son acoustique qui nous assène ses tringles de fer sur le dos. Comment fait-elle avec son acoustique dont elle a operculé la bouche ? Y a sûrement un delay sous rocke dans l'ampli, en tout cas, ça cartonne sec. Et lorsque Pierre s'en vient tresser une mèche fumante de dynamite dans le siroco brûlant qui se lève, vous avez intérêt à courir vers les abris. Trop tard. Delphine n'a pas dit son dernier mot. D'ailleurs c'est dès qu'elle prononce le premier que votre cœur s'affaisse. Belle, grande, tenue noire qui accentue la blancheur de son teint, chevelure aux reflets de feu, walkyrie wagnérienne dans ses bottes, de son corps irradie une fabuleuse puissance de guerrière invincible. Ce n'est pas la force qui est avec elle, c'est la voix. Une voix qui domine le tumulte des guitares. Même lorsqu'elle s'éloigne du micro. Ne crie pas, ne hurle pas, elle clame le blues. Peut tenir une note très longtemps sans s'essouffler, et puis monter encore plus haut sans se briser dans le cristal des aigus en bout de course.

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Pierre est à la forge, sa jambe est comme indépendante de sa volonté, marque le rythme, scande les cadences démoniaques, mais son attention est ailleurs. Sur sa guitare. Lui il sourit. Ce sont ses doigts qui travaillent. Ils suent le gros blues qui tue. La lie grasse du delta et la hargne du Texas. Plus la saleté métaphysique de la vie. L'en sort un gros son de rock et de roll graisseux, le big beat que rien n'arrête. Vous êtes toujours surpris de la fin du morceau. L'on n'étrangle pas un crotale, on le décapite d'un coup de caillou meurtrier. Delphine fait semblant de chercher un accord pendant que Pierre talque sa main gauche, poudre blanche et volatile, les seuls moments de candeur du set, qui repart inexorablement.

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Le blues inextinguible, le rock intraitable, pas de fioriture, des modulation de fréquence post-mortem et traumatologiques, difficile de choisir dans ce couple démoniaque, si vous restez fixé sur le jeu de Pierre qui passe ses longs solos comme d'autres descendent en radeau les Missouri breaks, vous perdez de vue Delphine qui rabat le rythme sur ses cordes implacables sans oublier de laisser tonner sa voix parmi le déluge.

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Un rock dur, violent sans concession, qui ne vous laisse pas respirer une demi-seconde. Toute la noirceur du monde qui vous tombe dessus, la voûte d'une mine de charbon qui s'écroule sur vous et vous engloutit. Les choses noires, informes et infâmes que vous tenez sous clef au fond le plus secret du coffre-fort de votre âme se réveillent et s'agitent. Dans les tourbières de vos cauchemars remontent les vases putrides des désirs inavouables. Crashbirds plane sur vous telle la menace hideuse de ptérodactyles affamés. Dans la salle hypnotisée plus personne ne bouge, un set fascinant, cassant comme une arrête de silex qui détient dans ses entrailles l'incendie sacré.


INTERMEDE 1

Les Crahsbirds quittent la scène sous des applaudissements nourris. Ont convaincu et forcé le respect de toute la large partie des personnes présentes qui ne sont pas des adeptes inconditionnels de leur rock noir. Me précipite pour acheter leur disque que je vous chroniquerai la semaine prochaine. La suite est un peu fatigante. Les danseurs s'emparent de l'espace. Virevoltent sous les flonflons d'une musique tonitruante. Préfèrerais un peu de silence qui permettrait d'échanger. Une éclaircie, les Howlin' montent sur scène, juste pour les réglages. Très rapides. En moins de dix minutes, ils expédient la balance et disparaissent dans les coulisses. Mister B me regarde avec commisération, cette manière d'envisager le rock comme une danse de salon, nous désole. Et c'est reparti pour d'interminables tours de piste...


HOWLIN'JAWS

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Meilleurs à chaque prestation. Le public a doublé. Notre deuxième constatation nous paraît être la conséquence logique de la première. J'ai de la chance, suis placé tout devant l'estrade, juste sous le manche de la guitare de Lucas, si par hasard il m'avait d'un geste inconsidéré mais fatal fendu l'occiput je ne l'aurais point regretté. A quitter ce monde autant que ce soit en un concert de braise.

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Le triangle maudit des Howlin' est fin prêt. Djivan a même changé sa chemise hawaïenne à fond noir qu'il arborait jusques à lors par le sweatshirt rayé réglementaire. Dans l'excitation, certains – je ne donnerai pas les noms – ont oublié de se coiffer de leur célèbre couvre-chef à hélice. Ne leur aurait pas été d'un grand secours car ce soir ils ont adopté l'allure des turbo-jets.

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Non, vous n'avez pas mis les doigts dans la prise, ce sont les Jaws qui ont électrifié votre chaise. Le rockab comme je l'aime, un peu garage, un soupçon vintage, et une coloration sixties qui en fait des tonnes. Ce soir il est manifeste que les Howlin' ont envie de mordre. Baptiste est dans l'angle, pas le mort, le vif. Tout à l'heure quand Lucas aura cassé une corde et que Djivan se lancera dans un mid-tempo hillbilly, il psalmodiera dans son micro une espèce d'imitation de scat trombone qui arrachera des cris de joie à la foule. Mais sinon, servira à ses deux complices un tapis volant de peau de tambour qui leur permettra de se laisser glisser sur ce coussin d'air gonflé à l'hydrogène explosif comme s'ils empruntaient les toboggans de l'Enfer.

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Pantalon rouge pour Djivan et grosse mama en sa robe de bois teintée de chêne astrakan blanc, se penche sur sa hanche mais ne la culbute point, l'est un gentleman, ne la tape pas, ne la tabasse pas, ne la slappe pas, par manque de temps, la paume de la main en crochet jamais totalement ouvert, il tire les cordes, juste ce qu'il faut, caresse sans cesse répétée pour produire ce son de fond dont il sculpte de sa main droite tout le long du manche de fulgurantes modulations. L'est aussi chargé du chant, ni gras, ni guttural, qui coule de source, jaillissant et rebondissant à profusion.

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Lucas le lynx n'est plus que la partie émergée de sa guitare. L'est tant dans son jeu qu'il semble que les rôles sont inversés et que c'est l'instrument qui joue du guitariste. L'a ensorcelé, n'est plus qu'un zombie hypnotisé qui exprime des émotions qui lui sont communiquées par des vertus chamaniques dont la compréhension nous échappe. Lucas est devenu l'esprit animal qui vibre selon des inflexions venues d'ailleurs. L'est le félin sauvage qui s'est incarné en lui. Possédé par une force qui le submerge, avance, recule, par mouvements saccadés, qu'il ne maîtrise plus, descend dans la foule, remonte sur scène, faut voir son visage, les émotions qui circulent sous sa peau et modèlent l'apparence de sa chair. L'est traversé par des haines extatiques, des foudres de fierté, des abîmes de surpuissance nietzschéennes, des furies de tendresses et des houles de perversion. N'est plus Lucas, l'est la bête totem du rock and roll, la plénitude royale du guépard, le sourire carnassier du glavial embusqué.

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Les Howlin' se sont surpassés. Dans la salle, c'est le grand frisson.

 

INTERMEDE 0

Nous échappons au supplice chinois. Doit exister un dieu des rockers quelque part dans l'empyrée, point d'exhibition de danseurs ! Juste le temps aux Howlin' de dégager leur matériel que déjà les Stars du rythme occupent le tableau. Ouf !

 

BARNY AND THE RYTHM ALL STARS

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Sont tous là. Pedro Lena au fond derrière les drums, Claude Placet sur notre droite, Renaud Can sur notre gauche, tourné vers sa contrebasse de laquelle nous ne voyons que le dos. Moment d'émotion et longue ovation, ce n'est pas Carl, mais Barny le fils. Le temps n'est pas aux regrets. Mais à la ferveur.

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Tous les yeux sont rivés sur Barny, classe innée, une impression de force sereine, mais l'on devine la lave qui bouillonne à l'intérieur, red blue jean and tunique blanche à liserets rouges, guitare haute, tenue près du cœur, manche tendu droit telle une bôme d'artimont qui incline et fasèye notre attention. Brutalement comme la coque qui coupe à la lame, Guitar Picker en introduction, titre culte et symbolique du rockab, rythmique cochranesque et envolée de l'orchestre.

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Ce n'est pas que les autres ne font rien, c'est que Barny fait tout. Comprenez-moi bien, les Rhythm sont inimitables, irremplaçables, une des meilleures formation du pays. Et de bien d'autres endroits aussi. Chez ces All Stars, tout est parfait, un batteur qui a un jeu d'une complexité imaginative comme l'on en voit peu. Semble toujours vouloir se prouver qu'il peut encore faire mieux, plus sec, davantage sur le temps et un écho encore plus plein, une perfection qui cherche à se dépasser.

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Ne regardez pas le guitariste. Vous allez en crever de jalousie. L'a cette placidité des gens qui sont sûrs d'eux-mêmes. Le geste chirurgical. Ni trop, ni moindre. Déplace le petit doigt et ça suffit pour changer la face du monde. Un pilier que le doute n'ébranle pas. Comprend à la seconde ce que les autres lui demandent. L'en a un petit côté protecteur, veille sur le gamin comme sur la prunelle de ses yeux.

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Malgré ces deux chênes séculaires à ses côtés, Renaud n'a même pas peur. L'insuffle le groove, cette mobilité qui donne le souffle et permet les grandes foulées. L'huile dans les rouages et l'essence dans le moteur. Impose la cohésion et emporte les galops. Les Rhythm c'est la machine gagnante de la formation rockab par excellence. Même les ricains de Wild Record s'en étaient aperçus.

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Barny aurait pu se contenter de l'héritage. Se prélasser sur le siège arrière et laisser les trois soutiers continuer leur boulot habituel. C'eût été trahir l'esprit de Carl et peut-être même se renier soi-même. Barny a repris le micro et la rythmique, mais avec cette envie folle de continuer en allant plus loin, plus vite, plus fort. Et derrière lui, l'on a compris non pas le challenge, mais la nécessité d'avancer encore et encore. Avec Mister B l'on a déjà vu les All Stars plusieurs fois, mais nous ne les avions jamais entendus jouer avec une telle vélocité, un tel impact.

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Barny leur a communiqué sa fougue, sa jeunesse, se hargne. Reprend les titres de Carl, plus ceux qu'il avait écrit pour lui, plus les nouveaux pour le prochain disque. Très symbolique ce Run Away adressé à Carl, cette course folle en avant vers d'autres pâturages, d'autres passages.

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Ce fut une folie totale. Young and Wild, I Got the Bull by the Horn, Crazy Beat, Slipped my Mouth, chaque titre au fer rouge, Barny survolté, porté par la salle elle-même transportée par sa puissance vocale. Rien à voir avec un tour de chant classique, plutôt une ordalie initiatique vite devenue collective, Barny, le Rhythm All Stars, et le public. Un instant magique et important. Une renaissance.

Deux rappels, un triomphe, une soirée pas tout à fait comme les autres.

RETOUR

La Teuf-teuf nous ramène au bercail. «  Putain ! Je ne regrette pas cette soirée » laisse échapper Mister B après un long silence. Il est inutile de rajouter autre chose.

Damie Chad.

( Photos sur FB CRASHBIRDS ne correspondent pas au concert

Photos HOWLIN' et BARNY de SERGIO PHOTOSTOCK )

*


De loin c'est beau comme le missel des dimanches de Tante Ursule. La couverture n'est pas en cuir – nous ne sommes plus au dix-neuvième siècle – mais c'est relié de fort carton presque aussi épais que le blindage d'un char Sherman. Y en a toute une pile rutilante sur le comptoir du libraire. Un format qui appelle la main ( je n'ai pas dit chapardeuse ) et l'éclat du neuf. Mazette ! C'est du sérieux ! L'Intelligence Artificielle et L'Univers, pour les deux premiers titres. Tiens c'est une série. Le nouveau Que Sais-je ? Le troisième volume un tantinet plus accrocheur. Les Requins. Le livre qui vous dévore ! Déjà mieux que les gentils dauphins ! J'ouvre le quatrième et pousse un cri d'horreur. Le même que celui dont s'égosille le personnage aux longs cheveux noirs et sales sur la couverture. Erreur sur toute la ligne ! Ce n'est pas un livre pieux mais un grimoire sataniste. Un livret belzébutique, le bréviaire des pèlerins du Hellfest.

 

LE HEAVY METAL

JACQUES DE PIERPONT / HERVE BOURHIS

( La petite Bédéthèque des savoirs /

Le Lombard / Mars 2016 )

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Bourhis Hervé, nos services de renseignements ont déjà situé les troubles agissements de ce personnage depuis longtemps, l'a dans un passé récent commis quelques albums BD sur les Beatles, l'histoire du rock et les mythiques singles de notre musique adorée. Un Belge ne marche pas, il dégringole nous a prévenu Charles Baudelaire. Pas de chance pour nous, faudrait être flamand ou wallon pour connaître Jacques de Pierpont qui durant vingt ans a abreuvé les oreilles des belgitéennes peuplades nordiques de stridences rock and rolliennes non homologuées sur les antennes de la RTBF.

Résumer quarante ans d'un mouvement musical aussi tendancial ( et tendancieux ) que le heavy metal en moins de soixante pages – de Coven à Massive Scar Era - n'est pas une mince affaire. C'est là où le découpage graphique de Bourhis sauve l'affaire. Deux couleurs ultra dominantes, le noir et le rouge. La mort et le sang. L'anarchie et la violence. Le taureau et la cape. Des lettrages qui rappellent les atroces tracts trotskistes des adhérents de la quatrième internationale, des reprises salopégées de pochettes, des mini-dazibaos éparpillés en un savant désordre de symboles cultes et de vignettes iconiques. Un dessin aussi bruyant qu'une intro au larsen du Blue Oyster Cult.

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Pour le texte, ils ont préféré le fragment héraclitéen aux vastes périodes cicéroniennes. Maximum de renseignements en un minimum de mots. Z'en ont collé un peu partout, style post-it sur le frigo. Des dactylographiés impeccables pour les notules explicatives et des similitudes de script pour les aspects un peu plus déjantés. Pouvez lire dans tous les sens. Un livre ne commence, ni ne finit, nous avertissait Mallarmé, tout au plus fait-il semblant. Alors nos deux héros nous ont pondu un récit éclaté, mais chronologique. Des couloirs numérotés dans l'ordre, mais chacun d'eux se dispatchant en petit labyrinthe.

Mais comme le signale un proverbe japonais, ce n'est pas la baguette qui fait le riz. Reste maintenant à apprécier le potage au nid de vautours. Le genre même de bouquin qui vous bouscule le fessier entre deux tabourets. Ou vous êtes un fan absolu de Hard Rock et de Heavy Metal et vous pensez qu'un minimum de deux cent cinquante sept groupes essentiels et indispensables manquent à l'appel... ou vous faites partie de ces légions de damnés qui n'avez jamais écouté de votre vie un seul disque de cette satanée musique, mais qui désirez en acquérir un kit vital de survie pour impressionner les petits copains de votre fillette de douze ans, et vous vous apercevez que vous vous êtes engagé fort imprudemment en un monde parallèle infini qui exige autant d'érudition que l'étude des manuscrits de la Mer Morte...

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Les rockers sont de grands enfants, ils adorent qu'on leur raconte l'histoire qu'ils connaissent déjà par cœur. En gros vous n'apprendrez rien – rien de nouveau sous le soleil de Satan le rocker – mais à chaque page vous auriez dix pages de commentaires à rajouter. Aspect extérieur classieux, esthétique intérieure faussement crade réussie, se lit d'un trait, contenu honnête, moins encombrant que les vingt-cinq volumes de l'Encyclopédia Universalis, le genre de bouquin indispensable que vous ne rouvrirez jamais. Mais que vous regretterez de ne pas avoir volé.

Un petit défaut tout de même, faute de bande-son, cet opuscule risque de ne pas faire grand bruit. Un comble pour du heavy metal.

Damie Chad.

 


HARLEM BLUES

LANGSTON HUGHES

ET LA POETIQUE DE LA

RENAISSANCE AFRO-AMERICAINE


CHRISTINE DUALE


( Coll : Etudes Afro-Diasporiques

L'HARMATTAN / Octobre 2015 )

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Cet ouvrage de Christine Dualé est avant tout une étude de L'Ingénu de Harlem de Langston Hughes dans laquelle elle se livre à une analyse des propos de Jesse B. Simple. Le lecteur de KR'TNT qui n'a pas manqué d'apprendre par cœur la chronique que nous avons consacrée à cet ouvrage ( voir notre livraison 271 ) ne se trouvera donc pas en terra incognita. Toutefois, toulousaine professeur d'université de civilisation et de culture américaines, spécialisée en le domaine des littératures noires, Mlle Dualé nous apporte des pistes de recherches les plus prometteuses.

La Renaissance de Harlem fut avant tout littéraire. Certes elle fut portée par la virulence musicale noire, vaudeville, blues, jazz, comédies et revues de Broadway, mais il ne faut pas confondre la puissance vectorielle des souffles, des notes, et des cris avec la puissance atomique des mots qui percutent les carapaces les plus épaisses de la bêtise humaine. La musique incline, mais la littérature détermine.


LES PRECURSEURS

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Jean Toomer est un des piliers fondateurs de la Renaissance Noire. En 1923, son roman Cane sera le premier livre noir publié par un éditeur blanc. Toomer révolutionne l'écriture noire, l'est le premier à s'affranchir des stéréotypes bien-pensants de l'idéologie œcuménique blanche. Tous les noirs ne sont pas de bons Oncles Tom en leur case à barreaux. Sont simplement des hommes avec leur terrible ambivalence humaine. Ne valent pas moins que les blancs, mais pas mieux non plus. Un peu comme les petits blancs d'Erskine Caldwell.

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Honneur aux poëtes. C'est en 1922 que Claude Mc Kay parvient à la célébrité avec son recueil Harlem Shadows. McKay est un personnage qui vaut le détour. Son parcours n'est pas sans rappeler et annoncer, toute proportion historiale gardée, celui de Malcom X, avec une jeunesse militante et révolutionnaire ( pro-communiste ) et un retour décevant vers la religion ( catholique )... C'est McKay qui permettra la publication de The Weary Blues de Langston Hughes en 1926, qui suit de peu celle Colour ( 1925 ) de Countee Cullen. Mais alors que Countee Cullen se définit principalement en tant que poète, s'inscrivant ainsi dans la chaîne culturelle dominante, celle qui part d'Orphée pour s'épanouir dans toutes les ramifications de la grande littérature universelle, Langston Hughes se revendique de sa négritude afro-américaine dans tout son déploiement historial. Deux attitudes divergentes, Cullen cherchant à prouver que le poète noir ne se différencie en aucune manière de tout autre poète de n'importe quelle race, n'importe quelle langue, n'importe quel pays, Langston choisissant d'être la voix de son peuple. Non pas pour en devenir le leader mais pour servir de caisse de résonance et de diffusion à son expressivité.

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ALLER SIMPLE

L'analyse du personnage de Jesse B. Simple de Christine Dualé, quoique beaucoup plus fouillée, ne diffère pas sur le fond de la nôtre. Toutefois elle apporte de nombreux détails éclairants. Ainsi elle connaît sur le bout des doigts la composition sociologique des différents quartiers d'Harlem. Ce n'est pas un hasard si telle discussion se passe dans tel bar ou dans un autre. Les lieux sont connotés, toute géographie est traversée de strates historiales dont il faut savoir démêler le faisceau.

De même, de nombreuses conversations qu'un lecteur averti prendra pour une joute oratoire des mieux réussies mais un tantinet gratuite, repose sur de profonds conflits qui ont divisé la communauté noire. Jesse n'exprime pas toujours ses propres idées, prend fait et cause, ou se refuse à apporter son approbation à des problématiques qui ont secoué the colored people durant le deuxième quart du vingtième siècle.

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L'intégration à quel prix ? C'est ainsi que nous pourrions résumer toutes les impatiences de Jesse. Simple est fatigué de l'inertie des choses. La situation du peuple noir ne s'améliore que très lentement. Les hommes de bonne volonté qui cherchent à arrondir les angles sont-ils les plus sages ? La question, pour la formuler selon notre modernité, n'est pas d'être convaincu qu'un autre monde est possible, mais des manières adéquates pour donner à l'urgence de cette possibilité, toute son imminence. Jesse ne rêve pas d'un futur merveilleux, veut simplement le matérialiser en tant qu'ici et maintenant. Bientôt est un mot qui a pris trop de retard.

Simple n'en est pas encore aux temps des barricades, même si au détours d'une phrase, il admet, comme si la chose était si évidente qu'il ne convient même pas d'en parler, qu'il a participé aux émeutes de 1964. Grand art de Langston Hughes. Ces histoires de Simple à première vue fonctionnent comme des intermèdes comiques au théâtre. Vous arrachent le sourire. Mais Hughes les concocte à la manière des marmites que les anarchistes du siècle dix-neuf emplissaient de poudre noire. Elles ne vous enflamment pas la gueule en une gerbe de feu orangé comme un cocktail molotov, mais elles vous montent en pression comme une précieuse et pulvérisante cocote-minute. Pour l'explosion finale, faudra attendre. Que votre colère soit au maximum. Le poussin noir de la révolte n'est pas encore sorti de l'œuf, mais la nécessité de casser la coquille devient impérative.

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NUITS BLEUES

Christine Dualé dit très souvent le plus grand bien de la traduction de F. J. Roy, nous voudrions bien la suivre sur ce chemin, mais elle possède un savoir que nous ne partageons guère. L'est comme notre Cat Zengler préféré, lit la langue anglo-américaine avec une facilité déconcertante. Vous avez sué durant deux heures et usé deux dictionnaires pour traduire une malheureuse phrase, qu'elle vous dévoile le délicat travail crypto-musical opéré par Langston Hughes. Vous explique le jeu des sonorités, les glissements de sens intraduisibles, les allusions poétiques inconnues, bref elle vous déchiffre et vous offre la recette complète de l'alchimie philologique de l'écriture langstonienne. Un peu décourageant et très enrageant : vous vous apercevez que Lire Hughes en traduction c'est comme si vous regardiez un film d'Eric Rohmer, sans le son. Vous ne perdez pas tout, mais l'essentiel vous échappe. Le superflu aussi d'ailleurs, jugez ainsi du rien qui vous échoit. Langston Hughes tourne sept fois sa plume dans l'encre noire et marécageuse du blues avant d'écrire le moindre mot, de composer le plus minuscule des paragraphes. N'écrit pas en anglais mais en la langue mère de notre musique préférée : le rock and roll.

Damie Chad.


LE DUR CHEMIN DE LA GLOIRE

PORTRAITS DE

NOIRS AMERICAINS


LANGSTON HUGHES


( Nouveaux horizons / 1954 )

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Rassurez-vous, c'est le dernier livre de Langston Hughes paru en français. En ma possession, car il existe de-ci de-là des broutilles éparpillées aux quatre coins d'éditions souvent introuvables. Plus un recueil de poèmes – un très bel objet poétique - que j'ai eu entre les mains voici très longtemps et dont je n'ai jamais retrouvé la trace, malgré de longues recherches dans les catalogues de la Bibliothèque Nationale...

Un livre qui répond au concept de fierté noire cher à Langston Hughes. Nous présente dix-sept portraits de noirs qui furent des sommités en leur domaine, littéraire, sportif, scientifique, journaliste... Sauf l'avant-dernier de Marian Anderson la cantatrice, tous sont rangés par ordre chronologique, de la poétesse Phillis Wheatley – touchante figure - née en 1753, au joueur de base-ball Jackie Robinson qui vit le jour en 1919. Rappelons que Langston Hughes naquit en 1902. Et Barak Obama en 1961. Cela pour montrer le chemin parcouru en deux siècles. Est toutefois encore loin d'être terminé.

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En une courte préface, Langston Hughes rappelle que tous les noirs américains ne sont pas des descendants d'esclaves. Des noms de noirs libres figurent dans les équipages des premières caravelles des Espagnols... Certains combattirent les Anglais au début de la Révolution Américaine. En furent mal récompensés...

Ce qui est sûr, c'est que la plupart des rares noirs dont les capacités furent reconnues par les blancs ont chèrement payé – et physiquement et psychologiquement – leur ascension sociale. L'on note toutefois qu'au fur et à mesure que l'on avance dans le dix-neuvième siècle les conditions s'améliorent quelque peu : d'effroyables elles deviennent extrêmement dures. L'on ne peut parler de réel progrès.


WILLIAM CHRISTOPHER HANDY

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De tous les portraits dressés par Hughes nous ne nous intéresserons qu'a William Christopher Handy ( 1873 – 1958 ) que nous avons déjà rencontré plusieurs fois dans KR'TNT ! sous le nom de W. C. Handy. Le père du blues, comme l'on se plaît à le nommer dans les chapitres introductifs des livres spécialisés dans l'Histoire du Blues. L'immortel créateur de Memphis Blues – le premier blues – et du standard encore plus célèbre, le fameux Saint-Louis Blues. L'on aime magnifier sa réussite sociale, ces dizaines de milliers de sheets – partitions sur feuilles volantes – vendues d'un bout à l'autre de l'Amérique. L'on ne retient souvent que l'anecdote de W. C. Handy sur un quai de gare entendant par hasard un pauvre ouvrier noir gratter sur une vieille guitare un air que revenu chez lui Handy se dépêchera de noter, devenant ainsi l'inventeur – terme qui désigne les trouveurs de trésor – du blues.

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A croire que le hasard fait bien les choses. Langston Hughes remet les évènements en perspective. L'histoire commence bien – une fois n'est pas coutume – Handy eut une enfance modeste mais privilégiée, son père est pasteur - ce qui inclut une toute relative aisance - et sereinement heureuse en pleine campagne prés de Florence, ( Sweet Home ? ) Alabama. Eut la chance d'aller à l'école et d'avoir un maître qui enseignait chaque matin gammes, hymnes religieux et airs de Wagner, Verdi et Bizet... Première modulation négative à douze ans : son père lui fait ramener au magasin la guitare qu'il s'est achetée avec l'argent de ses jobs. Dieu ne tolère pas la musique profane. Son paternel enfonce les clous dans le cercueil symbolique dans lequel il préfèrerait l'enterrer plutôt que de le voir devenir musicien...

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Le gamin persévère malgré l'animosité parentale. Un cirque de passage lui permet d'acquérir un cornet à pistons d'occasion, il suit les répétitions de l'orchestre, et à quinze ans commence à courir les routes avec divers compagnons musicaux et d'infortune. L'arrive à Saint-Louis où il connaît la dèche, dort à la sauvette dans les champs, les gares, sur le bord du Mississippi, pourchassé par les flics et la faim... La chance finira par lui sourire lorsqu'il entrera dans la troupe des Menestrels Noirs du Mahara, restera quatre ans avec eux à parcourir les Etats-Unis et le Canada... Grâce à ses talents de compositeur et de soliste, les Ménestrels sont devenus un big band de quarante deux musiciens, interprétant des œuvres que nous qualifierons de pseudo-symphoniques.

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A trente ans Handy se fixe à Memphis. Prend un virage dans sa tête : il abandonne la musique « classique » pour composer des airs inspirés par tout ce qu'il a entendu sur la route durant quinze ans, tous ces musiciens anonymes, blancs et noirs, qui s'adonnent d'instinct à ce que l'on appelle la musique populaire. Compose une mélodie pour l'élection du futur maire Mr Trump, une fois celui-ci élu, il la rebaptise Memphis Blues. Elle rapportera des milliers de banknotes. Aux éditeurs, à qui il l'a vendue... pour cinquante dollars.

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La leçon sera bénéfique : ne commettra plus la même erreur. A Memphis, dans Beale Street, à quarante ans en 1913, il crée sa nouvelle œuvre, le fameux Saint Louis Blues qui lui emmènera gloire et fortune. La mélodie est remplie de l'amertume, de la détresse, et de la tristesse des ses années d'errance... En Europe, Stravinsky, Honneger, Milhaud, Debussy entendront cette complainte du blues qui ensemencera leur écriture... Aux States Gershwin s'en souviendra lors de la composition de Porgy and Bess...

Handy écrira des dizaines d'autres morceaux, deviendra une sommité de la composition et de l'édition musicale, recevra honneurs et reconnaissance... Mais nous sommes loin de l'anecdote du voyageur qui capte presque par inadvertance un air gratouillé - vraisemblablement slidé - par un malheureux hobo. Handy n'a pas récupéré ce qui ne lui appartenait pas. Avait préalablement acquis la dure expérience qui lui permit de reconnaître le chant altéré de son peuple.

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La vie bleue est toujours moins rose qu'il n'y paraît au premier abord. Grande leçon langstonienne.

Damie Chad.