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28/04/2021

KR'TNT ! 508 : BADFINGER / COBRA VERDE / LOVE AS LAUGHTER / RITA ROSE / LEE O' NELL BLUES GANG / ACROSS THE DIVIDE / MICHEL EMBARECK / ERIC BURDON / ROCKAMBOLESQUES XXXI

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 508

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

29 / 04 / 2021

 

BADFINGER / COBRA VERDE

LOVE AS LAUGHTER / RITA ROSE

LEE O' NELL BLUES GANG / ACROSS THE DIVIDE

MICHEL EMBARECK / ERIC BURDON

ROCKAMBOLESQUE XXXI

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Badfinger in the nose

 

Tout le monde s’accorde à dire que l’histoire de Badfinger est une histoire tragique. En effet, deux pendus, ça vous plombe une histoire. C’est un peu comme si on passait brutalement du jardin magique (la musique) aux poubelles (les faits divers). La vie souriait pourtant à Badfinger. Elle lui souriait de ses trente-deux dents. Son avenir semblait assuré. Ces quatre surdoués savaient composer et les Beatles les chouchoutaient, au point de les signer sur Apple en 1970. Ils en imposaient sur les photos : ouvrez le gatefold de No Dice et vous les verrez rayonner tous les quatre dans la lumière orangée d’un crépuscule gallois. Le grand, derrière, c’est Pete Ham, ou si vous préférez Pete Jambon, dressé comme un phare dans la nuit et principal compositeur du groupe. Le petit rastaquouère, devant, c’est Tom Evans. Une vraie petite gueule de berger calabrais. Il joue de la basse et compose lui aussi pas mal de trucs. À gauche, le mec qui ne ressemble pas à grand chose, c’est Mike Gibbins, le batteur. Et de l’autre côté, la petite gueule de rock star évaporée appartient à Joey Molland, le guitariste et second phare dans la nuit de Badfinger. Alors qui sont les deux pendus ? Pete Jambon et le berger calabrais. On les a retrouvé tous deux pendus, le premier dans son garage, l’autre à un arbre parce qu’il n’avait pas de garage. Que s’est-il passé ? L’histoire classique du groupe à succès qui se fait arnaquer en bonne et due forme par un intermédiaire véreux. Homme d’affaires new-yorkais Stan Polley prend les Anglais sous contrat et ça donne le résultat suivant : une tournée américaine en 1971 rapporte environ 25 000 $ aux quatre musiciens et 75 000 $ à Stan. Ça, c’est du business ! Les plus malins diront : Ah, si les musiciens sont assez cons pour accepter ça, tant pis pour eux ! Mais dans la réalité, les choses ne sont jamais aussi simples qu’on le croit. Déjà, pour commencer, les musiciens ne voyaient pas la paperasse. Ils faisaient confiance. On fait toujours confiance à un spécialiste. On fait même confiance à un comptable.

Le résultat ne se fait pas attendre : les quatre Badfinger n’ont pas un rond alors qu’ils voient leurs singles parader en tête des charts. Pete Jambon se demande comment il va pouvoir rembourser l’emprunt qu’il a contracté pour s’acheter sa baraque. Il finit par se convaincre qu’il n’y parviendra pas. Il flippe tellement qu’il se pend. Dans sa lettre d’adieu, Pete Jambon traite Polley de bâtard. Le berger calabrais finira lui aussi par craquer, huit ans plus tard, suite à une engueulade téléphonique avec Joey.

Dans un récent numéro de Record Collector, Bill Kopp rend hommage à ce groupe décimé par le destin. Kopp rappelle que le nom du groupe provient du working title d’un célèbre cut des Beatles : «With A Little Help From My Friends» s’appelait au début «Badfinger Boogie». C’est McCartney qui leur compose leur premier hit («Come And Get It»), mais très vite Pete Jambon montre qu’il sait lui aussi pondre des œufs. Les quatre Badfinger sont tellement potes avec les Beatles qu’ils sont invités à jouer sur les albums solo de Ringo, de John Lennon (Imagine) et de George Harrison (All Things Must Pass).

Les interviews de Joey Molland menés par Michael Cimino et rassemblés dans Badfinger And Beyond apportent un bel éclairage sur l’histoire de ce groupe qui faillit bien devenir énorme. Indépendamment du fait que George Harrison les avait à la bonne au point de les signer sur Apple, il est important de savoir que Pete Jambon et le berger calabrais étaient gallois, alors que Joey Molland venait de Liverpool et qu’à l’époque où il rejoignit Badfinger, il pouvait déjà se targuer d’un joli parcours. Eh oui, Joey avait connu la mythique Cavern - The Cavern was probably the best Rock club there ever was - Il évoque Rory Storm, Gerry & the Pacemakers et bien sûr les Beatles - The sound was punchy and hard - Il évoque aussi The Big Three, avec le batteur Johnny Hutchinson au chant, Johnny Gustafson à la basse et Brian Griffith à la guitare. Joey était tellement fasciné par Grif qu’il se rendit chez lui, tapa à la porte et lui demanda de lui apprendre à jouer de la guitare, mais Grif lui dit non. Pourquoi ? «Parce que je ne sais pas jouer de la guitare !». On raconte pourtant que Grif a formé George Harrison. Joey raconte aussi son enfance à Liverpool. Chez lui, il y avait un piano, comme dit-il dans toutes les maisons à l’époque. Il rend hommage à son père qui lui enseigna la patience et qui l’autorisa à commettre des erreurs pour apprendre. Il rappelle aussi que le Liverpool de son enfance était une ville très dure, il fallait apprendre à courir vite. Les gangs régnaient dans les quartiers et on se battait à coups de marteau. Et puis on découvre au fil des pages que Joey est un mec charmant. Richard DiLello dit de lui qu’il était toujours de bonne humeur - a Liverpudlian rocker who never seemed to have a bad day - On voit à sa bouille qu’il est à part. Joey fit aussi partie d’un groupe mythique, Gary Walker & The Rain. C’est Gary Leeds, alias Gary Walker, qui lui enseigne le cool - Gary was a very cool guy and he wanted the people around him to be cool. To look cool and to be cool - Le groupe s’installe à Chelsea et Joey n’en revient pas de vivre avec une giant rock star. C’est là dans les clubs du Swinging London qu’il commence à fréquenter la crème de la crème du gratin dauphinois. En 1967, il a vingt ans. Tout le monde portait des futals en mohair et des pulls à col roulé. Le moindre détail avait son importance. Il rappelle que les Londoniens voulaient tous aller en Allemagne, car c’est là qu’on trouvait les meilleures écharpes et les plus beaux cols roulés.

L’histoire de Badfinger remonte au temps où les Beatles cherchaient de nouveaux talents pour leur label Apple. George Harrison avait déjà ramené chez Apple Jackie Lomax, lui aussi de Liverpool, Doris Troy et le clavier de Little Richard, Billy Preston. C’est Mal Evans qui déniche the Iveys, le groupe qui accompagne David Garrick. C’est dans ce groupe que se trouvent les trois autres Badfinger. Avec Joey en complément, le groupe trouve un son. Chez Apple, Joey voit bien sûr Allen Klein et ne l’aime pas beaucoup. Il garde par contre des bons souvenirs de l’enregistrement d’All Things Must Pass, auquel George Harrison leur demande de participer. Parmi les stars qui traînaient au studio 3 d’Abbey Road, il y avait Ringo, Klaus Voorman, Bobby Whitlock, Carl Radle, Leon Russell et bien sûr Phil Spector.

Alors, la réputation de Badfinger est-elle surfaite ? Pour répondre à la question, le mieux est d’écouter les albums. Ce n’est pas une expérience désagréable. Au temps de leur parution, ces albums ne laissaient pas indifférent, même si pour les gueules à fuel le son paraissait un peu trop poppy. Par contre, les obsédés sexuels pouvaient se branler sur la pochette de No Dice. Une fois dépliée, on y voyait une splendide créature au regard torve s’exhiber dans un costume de courtisane orientale. Elle dégageait cet érotisme littéraire à la Pierre Louÿs qui au temps jadis réveillait aisément les bas instincts. S’il l’avait aperçu en vitrine, Baudelaire aurait de toute évidence acheté l’album rien que pour la pochette. Sans doute l’aurait-il ensuite écouté. Sans doute aurait-il succombé au charme de «Love Me Do», cette solide machination inspirée de «The Ballad Of John And Yoko». Sans doute aurait-il salivé à l’écoute de «No Matter What», cette pièce scintillante et pleine de vie, en qui tout est, comme en un ange, aussi subtil qu’harmonieux. Sans doute se serait-il réjoui d’apprendre que Pete Jambon jouait sur la Gibson SG utilisée pour «Paperback Writer», une guitare que lui avait offert George Harrison, et Joey Molland sur sa Firebird de débutant, tous les deux branchés sur des Vox AC30. Sans doute se serait-il agacé de ce «Without You» connu comme l’albatros, cette mélopée torride et bêtement romantique qui, bien que popularisée par Nilsson, ne pouvait plaire qu’aux Belges et à Mariah Carey. Sans doute aurait-il levé un sourcil à l’écoute du jeu byzantin de Joey Molland dans «Better Days», sans doute se serait-il rapproché pour mieux entendre couler cette rivière de diamants dans la texture même du son. Ah, mais ne nous méprenons pas, Baudelaire n’est pas Des Esseintes, il n’ira pas jusqu’à l’évanouissement. Intrigué par tant d’allure, il aura sans doute poursuivi l’examen et découvert que Joey Molland hantait à nouveau un autre château d’Écosse, «Watford John». Comment pouvait-on résister à ce succédané d’élévation spirituelle, à cette touche démiurgicale d’éclat lunaire ? Baudelaire en convenait, c’était impossible. Agité d’une fièvre de curiosité, il aura sans doute poussé jusqu’à «Believe Me», étrangeté chantée d’une petite voix funeste, mais gonflée comme une voile de démesure ancillaire. On ne saura jamais ce que Baudelaire aurait pensé de tout ceci, mais il plaît aux esprits fantasques de l’imaginer.

Dans le cours de ses interviews avec l’ami Cimino, Joey Molland rappelle que No Dice fut enregistré sur du temps libre de studio à Abbey Road, à raison de trois heures par jour, au moment où le groupe qui louait le studio allait déjeuner. Une chanson par jour pendant dix ou douze jours.

La pochette de Magic Christian Music paru sur Apple Records en 1970 nous renvoie tous non pas au vestiaire, mais chez Giorgio De Chirico, ce peintre des architectures somnolentes annexé par les Surréalistes dans les années vingt. Mais nos amis de Badfinger n’ont rien de particulièrement surréaliste. Ils optent pour une petite pop inoffensive et relativement bien intentionnée, au plan des harmonies vocales. Le cut qui sort du lot s’appelle «Dear Angie», un groove de Beatlemania dûment violonné, doux et brillant, admirablement travaillé au corps. Et puis au fil des cuts, une certaine forme de solidité s’impose, digne du meilleur cru albionnesque. On s’effare même du très beau niveau composital de «Beautiful And Blue». C’est une pop qui se tient, une matière chamarrée, nappée de violons et anoblie par l’ampleur des harmonies vocales. Ils frisent la Slademania avec les mah-mah de «Rock Of All Ages». Encore de jolies choses en B, notamment «I’m In Love», un bel exercice de style tapé au drive de basse bondissant. Voilà un cut à la fois convaincu et convaincant, qui flirte avec les progressions de jazz. On est à Liverpool, ne l’oublions pas. Pete Jambon nous chante «Walk Out In The Rain» au fil ténu de sa sensiblerie et «Knocking Down Our Home» flirte avec l’esprit de «Martha My Dear», un esprit généreux et légèrement rétro. C’est à peu près tout ce qu’on peut en dire.

On les voit tous les quatre poser pour la pochette de Straight Up paru un an plus tard. Ce sont les coiffures rococo de l’époque. Le seul des quatre qui sache rester intemporel est Joey Molland, à gauche. Pete Jambon affiche l’air perplexe d’une tête de broc et Tom Evans celle d’une tête de coiffeur pour dames. Todd Rundgren produit quelques cuts et George Harrison d’autres. Deux des cut produits par Todd Rundgren vont éclater au grand jour : «Flying» et «Sometimes» qui est en B. On le sait, Rundgren est un fan des Beatles et comme les quatre Fingers jouent comme des dieux, ça prend une tournure captivante. Les deux cuts sonnent littéralement comme des hits des Beatles. C’est aussi simple que ça. George Harrison passe un solo sur «Day After Day». On note aussi la présence de Leon Russell - Little piano fill. That’s how great those people are, nous dit Joey Molland dans l’une de ses interviews. Tiens, encore un hit digne des Beatles : «Suitcase», doté d’une fantastique émotivité - Pusher pusher/ All alone - Avec «Baby Blue», ils proposent un hit de power-pop et Joey Molland se tape une fois encore la part du lion en déliant un solo magistral. Mais il précise qu’il n’aime pas Todd Rundgren. Pourquoi ? Parce qu’en studio, Rundgren les insulte et leur dit qu’ils ne savent pas jouer - He was openly rude - Il n’a accepté de produire cet album que pour ramasser du blé. Ça se passe mieux avec George Harrison. C’est lui qui joue le Strat stuff sur «I Die Babe» - You make me loving like crazy/ You make my daisy grow high - On entend Nicky Hopkins sur «Name Of The Game». C’est assez puissant car la musicalité est celle d’All Things Must Pass.

Comme ce fut le cas pour la plupart des groupes qui commençaient à marcher à cette époque, le business leur mettait la pression : «Make a hit record !». Ça devint une obsession pour le berger calabrais et Pete Jambon. Ça les rendait fous - Tommy drove himself crazy trying to make a hit record, absolutely crazy - Pete Jambon n’a jamais réussi à écrire un hit, ça le rendait fou, lui aussi. Plus on lui mettait la pression, plus il devenait fou. Il finira par détruire sa guitare préférée.

La carotte qu’on voit sur la pochette d’Ass est une idée du berger calabrais. C’est la fameuse carotte de Magritte (Ceci N’est Pas Une Carotte) qu’on utilisait jadis pour symboliser la motivation, lorsqu’on menait une opération de communication interne dans une grande entreprise. Ass pourrait aussi vouloir dire : tu l’as dans le cul. Il y avait du ressentiment dans les rangs de Badfinger. Ceci dit, Ass reste un très bel album de pop anglaise. Cette pop d’Apple qui jadis nous faisait tant baver. Dès «Apple Of My Eyes», on se retrouve au cœur du Apple Sound System : admirable facture mélodique et Chris Thomas produit, alors, ça fait encore plus la différence. Le hit du disk ouvre le bal de la B et s’appelle «Constitution». Ils sonnent là-dessus comme les Beatles du White Album. Joey Molland signe cette imparable resucée beatlemaniaque. «Icicles» sonne comme un hit de George Harrison, avec un fabuleux son de guitare océanique. Quel cachet ! On trouve aussi sur Ass deux cuts produits par Todd Rundgren et tirés des sessions de l’album précédent, à commencer par «The Winner», qui se veut plus rocky, avec une belle approche du son carré. Alors là, on peut dire qu’ils savent monter un œuf de pop en neige du Kilimandjaro ! Joey Molland explique que sa chanson concerne John Lennon qui passait à son temps à se plaindre de tout. Et quand on écoute «Blind Owl», on se dit qu’on n’en attendait pas moins de Badfinger. Pete Jambon nous entortille ça au riff de guitare virtuose et on voit ces quatre mecs s’auto-émerveiller par tant de brio. Ils éclatent tellement au grand jour que ce spectacle fait plaisir à voir. L’autre cut produit par Rundgren s’appelle «I Can Love You», un immense balladif à prétention romantico-universaliste. Ils savent s’en donner les moyens, c’est vraiment le moins qu’on puisse en dire. Ils savent mailler les moyeux et mouiller les maillets. Au fond, la présence de Rundgren dans les parages n’étonnera personne quand on sait à quel point il vénère lui aussi les Beatles. Il suffit d’écouter les trois albums de Nazz. Et puis nos vaillants héros tragiques bouclent l’Ass avec un «Timeless» extrêmement joué à la guitare. Joey Molland joue au gras tout au long de ce balladif typiquement britannique, il sort ce bon gras spécifique de la panacée, il fait vraiment le show et son solo compte parmi les merveilles du rock anglais. On le voit revenir par vagues, inlassablement, pareil à l’océan hugolien - Ces enfers et ces paradis de l’immensité éternellement émue.

Jolie pochette que celle de ce Badfinger paru en 1974 sur Warner Bros. Eh oui, l’empire Apple s’est écroulé et le vieux label américain, flairant la bonne affaire, les accueille à son bord. Nos héros tragiques ne prennent pas de risques, puisque Chris Thomas veille au grain. «Love Is Easy» sonne comme un hit. On y va les yeux fermés. Ils ramènent tout le bon son dont ils sont capables, d’autant que ça bat bien au devant du mix. Et bien sûr, Joey Molland fait à nouveau des merveilles. En B, on se régalera du r’n’b Mod pop action de «Matted Spam», et plus loin de «Lonely You», une belle pop anglaise soutenue par des harmonies vocales de premier choix et un jeu de guitare bien tempéré. Mais le hit de l’album pourrait bien être «Give It Up», un jaillissement de belle pop immaculée dûment monté en apothéose. Une vraie réussite, tant au plan atmosphérique qu’affectif, parsemée de très beaux éclats de guitare. Nos quatre héros tragiques portent le poids du monde sur leurs épaules et se montrent capables de sacrés coups de Jarnac.

Il semble que le soufflé retombe un peu avec Wish You Were Here paru la même année. Deux cuts sauvent l’album, à commencer par l’excellent «Just A Chance», nouveau coup de pop de grande ampleur, cuivré et chanté à pleine voix. On sent la patte des vieux briscards de la pop. Mais on sent aussi chez eux une tendance à s’endormir sur leurs lauriers, car cette pop devient souvent très pépère. «Know One Knows» se laisse consommer tranquillement. On appelle ça de la petite pop sans histoires. Le «Love Time» qui se planque de l’autre côté sonnerait presque comme un hit, car ce balladif se prévaut d’une élégance suprême. On croirait presque entendre «Across The Universe». Mais il faut attendre «Meanwhile Back At The Ranch» pour enfin trouver chaussure à son pied. Voilà encore de la belle pop à la Lennon, on sent frémir le son d’une belle détermination. Ce cut visité par l’esprit du White Album, indéniablement. Avec les Buffalo Killers et Ty Segall, ils sont sans doute les seuls capables de jouer à ce petit jeu-là.

Joey quitte le groupe en 1974, complètement ruiné. Il perd sa maison à Londres et se retrouve dans un minuscule appart à Golden Green, Lyons avenue. Pete Jambon est mort et Joey se rend à ses funérailles au pays de Galles. Sa famille dit-il était détruite. Ils le croyaient à l’abri du besoin, comme n’importe quelle rock star et ne savaient pas qu’il en bavait et que la dépression due à sa pauvreté allait le pousser à finir pendu comme un paysan ardéchois.

Les voilà sur Elektra pour l’album Airwaves qui sort en 1979. Sur la pochette, on ne voit plus que Joey Molland et Tom Evans, les survivants. Tom Evans compose et chante énormément, mais il ne crée pas forcément la sensation. Joey pense que «Love Is Gonna Come At Last» est une great song et avoue que le riff est difficile à jouer. Mais si on veut de la viande, il faut aller la chercher en B, et ce dès «The Winner» et son festin d’harmonies vocales. Ça joue dans les règles de l’art fingerien et ce n’est pas Joey qui se tape la partie de lead, mais Joe Tansin. D’ailleurs Joey dit de Joe qu’il sait vraiment bien jouer. On retrouve Tansin au lead dans «The Dreamer». Joey dit que ça sonne comme une Ringo song, doesn’t it ? Les voix se fondent dans l’excellence des arrangements orchestraux. Quel fieffé mélodiste que ce Tansin. «Come Down Hard» sonne comme un hit d’entrée de jeu. Joe Tansin rôde dans les parages et perpétue bien l’esprit in the nose de Badfinger.

Tom Evans est encore vivant quand Badfinger enregistre Say No More en 1981. En bons vétérans de toutes les guerres, lui et Joey Molland s’adonnent aux joies du rock’n’roll dès «I Get You». C’est un très anglais et presque trop parfait. Leur «Come On» sonne comme du boogie rock à dents blanches. Le pire, c’est que cet album tient bien la route, même si Pete Jambon n’est plus là. «Hold On» s’orne d’un fil mélodique à l’or fin et «Because I Love You» renoue avec l’ampleur du souffle pop d’antan. C’est exactement ce qu’on attend de Badfinger : une pop cousue de fil d’or. On s’extasie aussi devant la belle tenue de «Rock’nRoll Contact», même si ça chante au guttural. Les retours au calme y fonctionnent comme des havres de paix et Joey Molland gratifie son cut d’un éblouissant final guitaristique. L’un dans l’autre, c’est un beau brin d’A. Il faut bien comprendre que ces mecs ne font pas n’importe quoi. Le «Passin’ Time» qui ouvre le bal de la B sonne incroyablement juste. C’est encore une pop très entreprenante, avec des parties chant gonflées d’énergie - I couldn’t believe it/ Oh no - Et ça accroche terriblement. Idem pour «Too Hung Up On You», chanté à l’Anglaise, c’est-à-dire à l’inspirette carabinée, dans le pur esprit pop, avec tout le répondant du palpité de glotte. Tout est incroyablement solide et bardé de son. Badfinger fait vraiment partie des élus de Palestine. Ils terminent cet album tonique avec «No More», une pop qui comble bien les vides, qui captive et qui nourrit bien son homme. Belle ambiance progressiste et même assez envoûtante. Joey Molland et le berger calabrais ultra-jouent leur va-tout en permanence.

La fin du groupe est moins glorieuse. Joey et le berger calabrais attendent une avance promise par le management. Comme l’argent ne vient pas, Joey refuse de commencer à travailler sur le prochain album. Il quitte le studio et annonce qu’il ne reviendra que si le blé est là. Puis il apprend que le berger calabrais et Tony Kaye continuent tous les deux en tant que Badfinger, annonçant à qui veut bien l’entendre que Joey a quitté le groupe. What ? Joey tente de joindre ses amis, mais personne ne prend ses appels. En désespoir de cause, Joey finit par former un autre Badfinger aux États-Unis. On a donc deux Badfinger en circulation qui finissent par enterrer la légende. C’est une fin d’histoire assez pitoyable.

La nuit où le berger calabrais va se pendre, il appelle Joey pour lui raconter ses déboires financiers. Il avait signé un contrat avec un certain John Cass et comme il n’avait pas honoré ce contrat, Cass lui collait un procès au cul pour plusieurs millions de dollars. Il se savait donc fait comme un rat. Au téléphone, il semblait nous dit Joey très détendu, mais il annonçait tout de même qu’il allait se foutre en l’air. Bien sûr, Joey n’en croyait pas un mot.

Signé : Cazengler, badfinger dans le cul

Badfinger. No Dice. Apple Records 1970

Badfinger. Magic Christian Music. Apple Records 1970

Badfinger. Straight Up. Apple Records 1971

Badfinger. Ass. Apple Records 1973

Badfinger. Badfinger. Warner Bros. Records 1974

Badfinger. Wish You Were Here. Warner Bros. Records 1974

Badfinger. Airwaves. Elektra 1979

Badfinger. Say No More. Radio Records 1981

Michael A. Cimino. Badfinger And Beyond. CreateSpace Independant Publishing 2011

Bill Kopp. Maybe Tomorrow. Record Collector #487 - Christmas 2018

 

La morsure du Cobra

 

Cobra Verbe et son chanteur John Petkovic sont probablement l’un des secrets les mieux gardés d’Amérique. Quand on parle de la scène de Cleveland, on mentionne généralement les Dead Boys et Pere Ubu, mais on oublie hélas Cobra Verde. Ce n’est pas la même époque, bien sûr, mais au niveau prestige, Cobra Verde vaut mille fois les Dead Boys. Six albums sont là pour le prouver. À commencer par l’excellent Viva La Muerte paru en 1994. C’est là que se niche «Montenegro» - Montenegro/ In your mountains of my worthlessness - Fabuleux balladif infectueux, hit en forme de puissant sortilège. Petko mène bien sa barque vers l’autre rive du Styx de l’underground. On trouve plus loin «Debt» qui sonne un peu pareil, avec un bel aperçu sur les abysses - She’s a suicide/ And I’m a cyanide/ Look at us die/ She cries I’m blind - Effarant ! Toutes les puissances des ténèbres se pressent dans le corridor - So in debt/ The days I’ve blown away - John Petkovic est l’un des grands auteurs américains. Même trempe que Mark Lanegan ou Greg Dulli. «Despair» sonne comme une vraie stoogerie clevelandaise. Tout est là, même les clap-hands. Son Awite est stoogy en diable et c’est claqué aux accords de Detroit. Petko jette de l’huile sur le feu, il chante son all the way to the bank à l’arrache impétueuse. Attention aussi au «Was It Good» d’ouverture de bal, car ça joue au funk clevelandais, avec de grosses dynamiques et une basse métallique, invendable mais si présentable. Cet album spectaculairement artistique se termine avec une sacrée doublette : «I Thought You Knew (What Pleasure Was)» et «Cease To Exist». Le premier reste très Velvet d’aspect. Petko vise l’explosion du bouquet final - Don’t make me wait - C’est exemplaire. Il va au bout du wait - I don’t wanna wait in the valley of kings - Puis il taille son Cease dans une matière d’apothéose, c’est très écrit, pulsé à l’ultraïque - I am the richess/ You are the pain/ I’ll never see you ever again - Voilà ce que les historiens appelleront dans 150 ans un classic album.

C’est dans la presse rock américaine de type Spin que paraissaient les rares articles sur Cobra Verde, des textes plutôt bien foutus qui bien sûr mettaient l’eau à la bouche. Le journaliste qui les suivait en faisait une sorte de légende underground et Viva La Muerte répondit bien aux attentes. Cobra Verde devint comme les Saints l’un des groupes à suivre de près.

On retrouve les big atmospherix petkoviens sur Egomania (Love Songs) paru trois ans plus tard. Dès «Everything To You», on retrouve le charme toxique de «Montenegro». Beaucoup d’allure et gros impact - What else could I do but leave everything to you ? - Il lui laisse tout. Pekto a cette générosité, celle du big atmospherix, du larger than life, c’est tellement bardé de son, my son, il va même jusqu’à exploser les annales de sa rafale. S’ensuit un «A Story I Can Sell» battu à la vie à la mort et tout aussi dévastateur - I lost my pride/ I lost myself - On note l’indéniable power du Cobra Sound. Il s’adresse à des chicks from Babylon. Il chante tous ses cuts à la pire intensité de l’incandescence. Avec «Leather», Petko s’énerve - Born in different dreams/ Every stranger is an enemy - Il taille son rock dans la falaise, porté par un gros drive de basse - Same bed/ Different dreams - Ce mec est atrocement doué. Tiens, encore deux passages obligés : «Blood On The Moon» et «For My Woman». Avec Blood, il tape dans le heavy balladif captivant, atmospherix en diable, sacrément bien senti, bien foutu, bien ficelé, bien gaulé, tout tient par la présence de cette voix ultraïque. Même chose avec Woman, Petko fait son cro-magnon - I need to be your man - Quelle clameur ! - Yeah I’m gonna understand - Solide, punkoïde as the fuck of hell, solo de rêve, rond et flashy - You know I love you woman/ More than the world - C’est la réponse du Cobra au défi du love affair de deep end.

Backseat, champagne et poules pour la pochette du Nightlife paru en 1999. Une fois de plus, on se retrouve avec un très gros album dans les pattes. On le sent dès cette puissante démiurgerie clevelandaise qu’est «One Step Away From Myself». Ils nous bardent ça de son, nous cisaillent tout au riffing et il faut voir comme ça descend sur le manche de basse. En gros, ça dégueule de son. Il semble que Cobra Verde crée la sensation sans même le vouloir. Ils sortent un «Conflict» travaillé au corps défendant, bâti par des charpentiers de marine. Et puis soudain, on tombe sur le furieux et glorieux «Crashing In A Plane» - Baby I’m a detour - Petko ressort son meilleur guttural montenegrain - Baby I’m the dustbin - Il envoie ça à l’outrance princière, avec toute la bravado dont il est capable et le sax s’en vient rallumer les brasiers du Shotgun de Junior Walker. Véritable coup de génie que ce «Don’t Let Me Love You», véritable hit d’insistance parabolique - My baby’s desperation/ Is driving me insane - Il faut le voir touiller sa fournaise, c’est absolument faramineux de menace sous-jacente, effarant d’inventivité du glauque. Il n’en finit plus d’allumer les plus bas instincts du rock, il chante à la voix d’orfraie, porté par un sax de free en perdition mentale. Il reste encore une énormité sur cet album : «Don’t Burden Me With Dreams» qui sonne comme une délivrance catatonique, Petko charge en tête du Cobra, il chante à la vie à la mort avec toutes les foisons du monde. Il tape aussi «Casino» aux gros climats d’extrême violence, il s’en va laper du sang dans le creux des mains. Bel exploit aussi que cet «Heaven In The Gutter» tapé à la basse métallique. Ces mecs n’offrent que des solutions extravagantes, il faut le savoir. Joli coup aussi que ce «Back To Venus», ça joue au heavy groove de guitar slinger. Encore un cut que les Stones auraient sans doute rêvé de jouer.

Après cette fantastique triplette, trois membres originaux disparaissent : Don Depew, Dave Swanson et Goug Gillard. Frank Vazzano (guitar), Mark Klein (drums) et Ed Sotelo (bass) les remplacent pour enregistrer cet album effarant qu’est Easy Listening. Trop de son, sans doute. Trop écrit. Trop chanté. Comme le furent les grands albums des Pixies et des Saints. Un cut comme «Whores» frappe par la violence du volontariat. Petko explose la comète - I don’t care cause I got away - Ça explose des deux côtés, par le chant et par le son. Même chose pour «Terrosist» amené aux riffs de non-retour, Petko chante à la glotte en fer, c’est sa force. Back to the big atmospherix avec «The Speed Of Dreams». On a l’impression de voir cette merveille s’écrouler dans la mer comme une falaise de marbre. Ça tombe dans la bascule de l’énormité rien qu’au son du chant - I can’t remember how it is/ You disappeared - Avec «Riot Industry», il fait du rentre-dedans clevelandais. Ça se situe vraiment un cran au dessus du reste. Petko fait régner la terreur de son génie sur le rock américain. Il emmène très vite «Til Sunrise» dans l’enfer clevelandais et jette des lyrics de «Hosanna To Your Pretty Face» au ciel. On trouve un peu de Bowie en Petko, justement dans cette façon de jeter au ciel. Même genre de puissance. Cobra Verde est une vraie usine à tubes. Ils jouent «My Name Is Nobody» au surjeu et traînent leur «Mortified Frankenstein» dans un anglicisme à la Led Zep. Fantastique energy of surgery, fantastique shake up de yeah yeah yeah. Avec «Throw It Away», Petko retrouve son titre de champion du monde du Big Atmospherix - Raise a glass to the dead and gone - Et back to the big Cobra Sound avec «Here Comes Nothing», bardé de relents de Montenegro et forcément ça vire à l’énormité, wow, cette façon qu’il a de swinger et de crawler sous le boisseau du Cleveland Sound of steel, il embarque tout au chant comme dans «Debt».

Nouveau point commun entre Petko et Bowie : l’album de reprises réussi. Oui, car Copycat Killers est aussi brillant, aussi viscéralement bon que Pinups. Petko tape un peu dans les silver sixties, comme Bowie, avec l’«I Want You» des Troggs, qu’il transfigure au stomp de Cleveland, c’est l’une des plus belles versions jamais enregistrées, alone on my own. Quel fantastique écraseur de mégots que ce Petko, il fait son Reg du midwest, c’est punk jusqu’à l’os et il faut voir le départ en solo clevelandais, la torchère devient folle et éclaire la nuit comme un phare breton. Son prophétique, apocalypse démesurée, le solo place le Cobra au panthéon des crève-cœurs. Ils tapent aussi dans le «Play With Fire» des Stones. On s’étonnera toujours de la fascination des Américains pour la Stonesy de série B. Jolie reprise du «Yesterday’s Numbers» des Groovies. Petko veille à chanter à la Roy Loney. Eh oui. Ça donne une petite merveille d’absolutisme absolu. On les voit aussi taper dans un cut de New Order qui s’appelle «Temptation», qu’ils transforment en bête de somme. Petko tord le bras à la new wave pour lui faire pleurer des larmes de sang. Même traitement infligé à Donna Summer et à son hit diskö «I Feel Love». Petko et ses amis transforment ça en shoot de furie clevelandaise. Ah il faut voir le travail ! Quelle admirable incursion dans la pétaudière du dance-floor ! Autre coup de Jarnac : le fameux «Urban Guelilla» d’Hawkwind, ce hit qui rendit Lemmy tellement furieux car il fut censuré sur la BBC. Le Cobra nous claque ça à la volée, ils redonnent vie au vieux coucou d’Hawk, ils le gavent de toute la niaque du monde et développent une puissance de marteau-pilon. C’est embouti à la vapeur. Ils vont loin, bien au-delà du Cap de Bonne Expectation. Encore un hommage de taille avec the «Dice Man», hommage au géant de ‘Chester, Mark E. Smith, via le Diddley Beat, push push, les Clevelandais retroussent les manches, ce n’est pas si simple, et puis voilà le clin d’œil à Mott avec «Rock And Roll Queen», ils sautent au paf, avec de quoi ridiculiser cette vieille moute de Mott. On le sait, Cleveland est une ville infiniment rock. Comme à Detroit, le son, rien que le son. Belle cerise sur le gâteau : un «Teenage Kicks» amené à la baravado, c’est tout de suite over the rainbow, Petko le chante à l’urgence de la démence, c’est déjà un hit monstrueusement beau, alors tu imagines ça dans les pattes de ces mecs-là ! Ils ramènent les clap-hands, ils jouent comme d’habitude à la vie à la mort, c’est d’une profonde véracité fanatique. On sort de là à quatre pattes.

Paru en 2008, Haven’t Slept All Year est encore un album à tomber par terre. L’urgence du beat qu’on trouve dans «World Can’t Have Her» est sans équivalent. On voit ce diable de Petko entrer dans la danse et ça cisaille dans les parages. C’est bien lui, le beat clevelandais, assez ultime, ultra-chargé, d’une terrifiante puissance, c’est même battu au stomp des forges avec des breaks exacerbés et ce diable de Petko hurle dans la fournaise alors que coule l’acier liquide des riffs à la Zep. S’ensuit un «Wildweed» embarqué au meilleur rock de bonne constance. Allez-y les gars, c’est gagné d’avance. Pour ceux qui auraient raté un épisode, les Cobra Verde sont l’un des fleurons du rock américain. Ils font tout beaucoup mieux que les grands groupes, avec une énergie convaincante. C’est ultra-électrique, joué à fond de train, avec un roaring Petko au sommet de son art - I won’t let you go now - Un vrai modèle d’exemplarité concurrentielle. Petko renoue avec la magie des grands balladifs dès «Home In The Highrise». Véritable consécration eucharistique, c’est même un éclair dans le ciel de la pop, une Beautiful Song maximaliste, une merveille assez rare. Petko sait éveiller l’instinct d’un album à des fins mélodiques, cousues de fil blanc, certes, mais quel souffle ! On pourrait dire la même chose du «Haunted Hyena» qui referme la marche, d’autant qu’un killer solo flash lui en transperce le cœur. Ces mecs grouillent de coups de génie comme d’autres grouillent de puces. On trouve aussi un bel exercice de style intitulé «Wasted Again», tapé au groove de jump, assez risqué et pire encore : inutile. Même si les trompettes de Miles viennent saluer la confrérie. Autre cut intriguant : «Something About The Bedroom». Il s’agit là d’une puissante pop sous le boisseau, ou si tu préfères, un puissant boisseau sous la pop. Oui, le Cobra peut aussi sonner pop, presque anglais, même s’ils frappent la pop derrière les oreilles de la pop, et elle n’est pas contente. Elle devra s’arranger avec le batteur. Figure-toi qu’ils se montrent aussi capables d’Americana de haut vol avec «Free Ride» - Bye bye West coast - Quelle équipe ! Et quel album !

L’ère post-Cobra Verde porte le doux nom de Sweet Apple. Petko s’y acoquine avec J Mascis. Les journalistes appellent ça une rencontre au sommet. Leur premier album, Love & Desperation, paraît en 2009. La pochette est un délicieux pastiche de celle du quatrième album de Roxy Music, Country Life : deux belles poules s’y pavanent en petite tenue. Comme le Roxy, on ne l’achète que pour la pochette. Mais on est bien récompensé, car voilà le vieux stomp d’«Hold Me I’m Dying». Petko adore les grandes mesures. Encore de la viande en B, avec «Blindfold». Petko joue la carte du plomb, c’est-à-dire celle du heavy doom suspensif, hanté par les envolées cosmiques du vieux J, la sorcière du Massachusetts. «Somebody’s Else Problem» sonne comme un hit et J y fait carrément des chœurs de Dolls. On assiste là à une véritable débauche cobra-verdesque, une pavane de carrure extravagante. Tiens, tu as encore du heavy rock de Cobra avec «Crawling Over Bodies». Petko le coco revient à l’attaque avec des effets dévastateurs. Ce cut semble sortir tout droit de l’un des grands albums de Cobra Verde. Et ça continue avec «Never Came», fantastique et sur-puissant. Ah ces mecs-là savent ficeler un cut de rock ! C’est le filon du Cleveland rock, les mêmes racines que celles de Rocket From The Tombs. Ils bouclent ce disque ahurissant avec «Goodnight», solide et bien élancé. Avec un J en contrefort, ça donne de la power-pop moderne et riante.

Cinq ans plus tard paraît The Golden Age Of Glitter. On y trouve des invités de marque : Mark Lanegan et Robert Pollard, la fine fleur de l’underground américain. Avec Petko, on entre au royaume de la power-pop par la grande porte, et ce dès «Wish You Could Stay (A Little Longer)». Derrière, J ne chôme pas. Avec des mecs comme J et Petko, on a toujours l’impression de passer aux choses sérieuses. J bat le beurre sur «Reunion» et nos amis flirtent avec le Cheap Trick sound. «Boys In Her Fanclub» sonne comme l’absolu d’Absalon. Laissez tomber Paul Collins et écoutez ça, car on parle ici de haute voltige, d’une power-pop explosive et fraîche comme l’eau d’un torrent d’Écosse. Petko renoue avec son cher stomp de glam dans «Another Dent Skyline». Tous les vieux fans de Cobra Verde sont ravis de retrouver Petko le coco. Et en B ça dégénère avec «I Surrender». Ça s’envole littéralement. Quelle tenue et quelle ampleur ! Il faut voir avec quelle classe Petko manage ses syllabes dans le feu de l’action. J repasse à la guitare pour «Troubled Sleep» et il ramène sa violence proverbiale. En Amérique, il doit bien être le seul à savoir jouer comme ça, sans vergogne, avec un son épais, saturé, infesté de départs de solos apocalyptiques. Il rivalise de démesure avec Bob Mould. Lanegan vient chanter «You Made A Fool Out Of Me», un vieux heavy blues de circonstance. Et ils terminent cet album exceptionnel avec un nouvel hymne planétaire, «Under The Liquor Sing». Ils se situent immédiatement à la croisée des Raspberries et de Brian Wilson. Petko n’en finit plus d’exploser la coque de la power-pop pour en faire jaillir le lait jusqu’au ciel. C’est un homme libre qui chante à l’envie pure. Il réinvente le paradis et la clameur des anges.

Troisième set de Sweet Apple avec Sing The Night In Sorrow. La pochette montre le très gros plan d’une bouche nubile qui fume sa clope, sans doute en écho au délicieux Green Mind de Dinosaur. J Mascis joue essentiellement de la batterie sur l’album et laisse Tim Parmin s’exprimer sur «World I’m Gonna Leave You». John Petkovic cultive toujours ses idées suicidaires et ne souhaite qu’une chose : quitter ce monde cruel. On tombe très vite sur un hit avec «You Don’t Belong To Me». Quelle fantastique élévation power-poppy ! C’est la force du grand Petko que de savoir donner le l’élan. J Mascis revient à sa chère lead guitar sur «She Wants To Run». Voilà encore un hit inter-galactique, chanté à la puissance Byrdsy, mais en power mode heavy. En vérité, on pense plus au Teenage Fanclub, car cette pop roule joliment ses muscles sous la peau. Et J l’honore d’un solo exemplaire. En B, il reste en lead pour l’effarant «Candles In The Sun». On a là une sorte de heavy blues à la Screaming Trees. Admirable, beau et wild. J rôde dans le fond du cut comme un aigle en maraude, il joue loin là-bas dans l’écho du canyon, il plane sur le rock comme l’Empereur sur le pays des aigles, c’est-à-dire l’Albanie. Le tour de force se poursuit avec «Thank You». C’est littéralement bardé du meilleur son d’Amérique, voilà de l’heureuse pop de heavy rock et Pekto la mène au combat, il chante à l’énergie pure, avec toute la grâce et toute la bravado du pur rock’n’roll animal clevelandais. C’est bourré à craquer de stomp et J graisse sa disto à outrance. C’est le genre d’album qui marque la mémoire au fer rouge.

Quant à l’ère pré-Cobra Verde, elle porte le non moins doux nom de Death Of Samantha. Doug Gillard fait partie de cette aventure qui démarre en 1985 avec Strungout On Jargon. Sans doute leur meilleur album, mais à l’époque, on ne le sait pas. Cet album fourmille de hits, à commencer par le «Coca Cola & Liquorice» d’ouverture de bal. Petko chante ça comme un Beefheart de Cleveland, à l’incantatoire, avec un aplomb qui en dit long sur ses intentions. Quelle fabuleuse lutte intestine ! Quel brouet déterminant ! C’est joué au bactériel agressif, à la hargne du Midwest, celle des gens qui liquorisent en lice et qui poussent si loin le bouchon qu’on ne le voit même plus. Avec sa merveilleuse aisance ambulatoire, «Simple As That» renvoie directement au Velvet, car ils jouent ça la dépouille de Lou Reed. Petko scie plus d’un tronc et descend les vallées de son immense Jargon. Ça se corse encore en B avec «Grapeland (I’m Getting Sick)», violemment gratté à l’énergie du MC5. Petko et ses amis renouent avec l’énergie du Grande Ballroom, ils sortent la meilleure des attaques, ils vont vite et bien et Doug Gillard part en virée psyché en pleine cavalcade, alors forcément, ça sidère. Dans «Sexual Dreaming» Petko déclare : «I got to stop/ Sexual Dreaming». Le grand Doug Gillard nous infecte ça à coups de virées intestines. Petko étale ses whaooouh à la surface du groove, un peu dans le style de ce que fait John Lennon dans «Cold Turkey». Ils bouclent cet album captivant avec «Couldn’t Forget ‘Bout That (One Item)», un very big atmospherix. Dans ses moments de rage, Petko sonne comme Jim Morrison, il s’envole dans le taffetas des riffs du bout de la nuit. On a là un thème mélodique imparable doublé d’une atmosphère grandiose qui rappelle Adorable, ne serait-ce que par le côté brillant du dépôt de voix sur l’aile du désir. Là où Petko fait la différence, c’est quand il emmène sa chanson loin dans la démesure. Il la ravive et l’anime indéfiniment, And I got up to there.

Paraît l’année suivante un sacré beau brin de mini-album, Laughing In The Face Of A Dead Man. Pourquoi ce groupe n’a pas explosé comme un pétard dans la bouche d’un crapaud, on ne le saura jamais. On a là un rock extrêmement agité, bardé de son, avec de jolis échos de stonesy, joué au panache clevelandais, très désordonné, littéralement emmené à la force du poignet : bref, tout ce qu’on peut aimer dans le rock. Dans «Blood & Shaving Cream», on a tout le dépenaillé de braguette ouverte qu’on peut espérer. On retrouve en B l’énorme présence vocale de Petko dès «The Set Up (Of Madame Sosostris)». Ces mecs n’en finissent plus d’éclairer l’underground. Ils ont du répondant à revendre. Même chose avec «Yellow Fever», Petko n’en finit plus de ramener sa petite niaque clevelandaise - I’m so/ Sick sick sick.

Ils reviennent avec un nom d’album à coucher dehors : Where The Women Wear The Glory And The Men Wear The Pants. Ça saute à la gueule dès «Harlequin Tragedy». Petko en impose dès le git go. Il ramène sa fraise épique et bien enlevée et sort du cut vainqueur, avec un éblouissant final d’exaction mercuriale. Imbattable. Avec «Good Friday», ils sonnent presque comme les Damned - C’mon round ! - L’autre énormité de cet album se niche au bout de la B : «Blood Creek» : en voilà encore un chargé de son comme une mule, dira le voisin à sa fenêtre - We are/ Going to/ Blood Creek/ baby ! - C’est du rock décidé et sans compromission, une belle viande lardée d’intrusions, les deux guitares surjouent à la mortadelle du cheval blanc d’Henri IV, pas de tergiverse sur le Pont des Arts, ça swingue et ça avance. Petko chauffe son rock avec toute l’énergie clevelandaise - Blood Creek/ Put your hands/ Into the wa/ Ter ! - Dire que tout est bon sur cet album serait un euphémisme. On ne se lasse pas de la présence d’un tel son ni du panache d’un tel Petko. «Lucky Day (Lost My Pride)» sonne si américain. C’est extrêmement travaillé au corps. Avec «Monkey Face», ils trempent dans le Detroit Sound malevolent - You’re so evil - Comme Jagger qui ne supportait pas the man on the radio, Pekto ne supporte pas qu’on vienne lui raconter n’importe quoi on the TV et justement, il part en sucette jaggerienne d’I’m a monkey, et on assiste médusé à une fabuleuse sortie de route - Evil monkey/ Monkey evil ! - Et ça repart de plus belle en B avec «Savior City». Qui aurait pu se douter que l’album était aussi bon ? Petko pose encore une fois sa voix sur un admirable slab de rock, il cale bien son wording sur le beat d’acier bleu du midwest - No one seems to really care/ Baby/ What you’re talking about - Et ça continue avec «Start Through It Now» - We’re gonna have some fun tonite - Il faut dire que Doug Gillard joue comme un dieu. Il reste en effervescence permanente.

Pour leur ultime album, Petko et ses amis vont s’amuser à sonner comme les Dolls. Come All Ye Faithless va tout seul sur l’île déserte. En effet, trois cuts sonnent too much too soon, à commencer par «Geisha Girl» - Geisha Girl get in my Chevrolet/ We’ll make love the American way - Spectaculaire beau et sexy, comme les hits des Dolls. Tout y est, l’énergie du déroulé, les coups de cuivres et le bouquet final digne de Johansen. Même chose avec «Looking For A Face», fantastique déballage de rock samanthy - And we both know/ We’re looking for a face - Ce n’est pas le Looking for a kiss des Dolls, mais tout juste, car flamboyant et comme emporté. Ils remettent ça en B avec un «Machine Language» magnifiquement riffé. Doug et Petko se livrent à une sorte de carnage guitaristique de la pire espèce et on a toujours ce chant héroïque monté au dessus de la mêlée. Petko repart ensuite dans l’un de ces immenses balladifs crépusculaires dont il a le secret, «Oh Laughter». Ça s’étend à l’infini. Il est d’ailleurs l’un des grands specialistes de ce genre d’évasion. Avec «New Soldier/New Sailor», il raconte une nouvelle histoire d’amour, mais il ne traite jamais ça deux fois de la même façon, il trouve chaque fois un nouvel angle - You know and I say/ That we’re both big nothings - Et voilà qu’avec «Come To Me», il sonne exactement comme le Jim Morrison de «When The Music’s Over». Il chante à la supplique de la vint-cinquième heure. Ce mec reste tendu de bout en bout. Quel chantre de la désespérance relationnelle ! Il clame tout à la clameur de la chandeleur.

Signé : Cazengler, cobra cassé

Cobra Verde. Viva La Muerte. Scat Records 1994

Cobra Verde. Egomania (Love Songs). Scat Records 1997

Cobra Verde. Nightlife. Motel Records 1999

Cobra Verde. Easy Listening. Muscle Tone Records 2003

Cobra Verde. Copycat Killers. Scat Records 2005

Cobra Verde. Haven’t Slept All Year. Scat Records 2008

Sweet Apple. Love & Desperation. Tee Pee Records 2009

Sweet Apple. The Golden Age Of Glitter. Tee Pee Records 2014

Sweet Apple. Sing The Night In Sorrow. Tee Pee Records 2017

Death Of Samantha. Strungout On Jargon. Homestead Records 1985

Death Of Samantha. Laughing In The Face Of A Dead Man. Homestead Records 1986

Death Of Samantha. Where The Women Wear The Glory And The Men Wear The Pants. Homestead Records 1988

Death Of Samantha. Come All Ye Faithless. Homestead Records 1989

 

Laughter ne rigole plus

 

Perdu dans l’océan des groupes garagindés américains, il y avait ce groupe au nom rêveur, Love As Laughter. Remember ? Spin qui fut dans les années 90 le canard référentiel en la matière disait le plus grand bien de ce groupe et donc on suivait les recommandations de Spin.

Love As Laughter se distinguait des autres groupes garagindés par un côté expérimentateur qui n’était pas sans rappeler l’early Sonic Youth. Bon, ça pouvait engendrer quelques malentendus, mais au fond, ce n’était pas si grave. Comme beaucoup d’autres pêcheurs, Sam Jayne et ses amis cherchaient le chemin de la rédemption. Il se peut d’ailleurs que Sam Jayne l’ait trouvé, car en cassant sa pipe en bois, il est monté tout droit au paradis.

Il ne nous reste pas que nos yeux pour pleureur. Sam Jayne laisse aussi cinq albums extrêmement intéressants qui au temps de leur parution furent toujours salués dans une certaine presse. Avec son air de ne vouloir toucher à rien et sa chemise à carreaux, Sam Jayne était capable de coups de génie. On en trouvait deux sur ce premier album si difficile à trouver à l’époque, The Greks Bring Gifts. À commencer par l’incroyable «Singing Sores Make Perfect Swords», cette heavy oh so heavy Beautiful Song tartinée au riff de plomb, cette rengaine d’une beauté béatifiante plongée dans le meilleur vinaigre d’Amérique, ces mecs développaient un climax mélodique digne des grandes heures du Duc de Mercury Rev. C’est un Sores qu’il faut saluer. L’autre merveille de cet album s’appelle «Half Assed». Sam Jayne chante à l’anglaise, maybe I’m half to be, mais il le fait de manière seigneuriale, comme s’il avait grandi en Franche-Comté en 1210. Et voilà qu’il part à dada avec «Eeyore Crush It». En sortant son dada flush, il frise l’excellence inversée, il va loin dans le cat cat cat, il a du dada plein la disette, c’est fabuleux de non-sens. Du coup, il devient éminemment sympathique. Et ce n’est pas fini, il dispose de ressources insoupçonnables, comme le montre encore «If I Ever Need Someone Like You». Il va là où le vent le porte. Il nous fait le coup du balladif d’arpèges magiques, tu veux du by one ? Il est là. Sers-toi. Les LAL, comme les appellent les journalistes, cultivent aussi la démesure, comme le montre l’«It’s Only Lena» d’ouverture de bal. C’est sur-saturé de son et Sam Jayne chante en plein cœur de tout ce bordel. Par contre, ils ont pas mal de cuts invertébrés qui n’avaient aucune chance d’atteindre le rivage. Le rock indé introverti était insupportable. Les marchands classaient Love As Laughter dans le bac du garagindé, alors qu’ils n’avaient rien à voir avec ça. Ils s’apparentaient plus à une sorte de mouvance dada paumée, enfin disons qu’ils affichaient clairement leur mépris des conventions. Comment pouvait-on écouter des trucs comme «Uninvited Trumpets» ou «Next Time You Fall Apart» à l’époque ? Ces cuts invertébrés n’avaient aucune chance. Mais on s’extasiait encore de «High Noon». Sam Jayne devenait une sorte de fabuleux essayiste, il testait des idées de son à mains nues avec de l’harmo et du gratté d’acou, alors on lui accordait du temps.

Deux ans plus tard, les LAL réapparaissaient avec #1 USA, un album dramatiquement privé d’information. Le packaging du CD est réduit à sa plus simple expression. Merci K. Ça veut dire en clair : débrouille-toi avec les chansons. Il faut attendre «Fever» pour retrouver la heavy disto de Sores. Et en plus Sam Jayne chante ça à la dégueulante maximaliste. Il est capable d’excès terribles, il faut entendre ses hoquets de dégueulade et cette guitare qui s’étrangle dans le prurit. Sur cet album, il rend deux hommages superbes : le premier aux Stones avec «Pudget Sound Station», un rumble de Stonesy drivé d’une main de fer, le deuxième au Velvet avec «I Am A Bee», gratté au no way out, et là il explose littéralement le fantôme du Velvet, il drive ça de main de maître. Il fait aussi un heartbreaking Blues avec «Slow Blues Fever». Sam Jayne sait allumer la gueule d’un heavy blues, pas de problème. Il propose aussi un «California Dreaming» ravagé par les vinaigres. C’est violent et sans espoir. Ces mecs jouent dans une sorte de dimension supérieure. Le «Old Gold» d’ouverture de bal est assez révélateur. Ils drivent ça comme on drivait les choses à l’époque, au riffing féroce. D’ailleurs, ils grattent pas mal de cuts sans peur et sans reproche. Ils étaient les chevaliers Bayard des années 90.

Ils débarquent sur Sub Pop en 1999 pour Destination 2000. C’est leur album le plus connu et sans doute celui qui s’est le mieux vendu. Dès le «Stay Out Of Jail», on sent les chevaux vapeur, comme dirait Lavoisier. Mais il faut attendre «On The Run» pour retrouver l’ampleur compositale de Sam Jayne. Il nous sort là les power-chords de la romantica et retrouve sa couronne de roi des Beautiful Songs. Puis il passe à son autre marotte, qui est celle des énormités, avec le morceau titre, joué à la ferveur du chaos, un cut bardé de tout le barda du régiment, il gave ses cuts de son et développe des puissances incontrôlables, et boom, voilà que ça explose dans un final dément avec du piano et des cascades du Niagara dans les sous-couches. C’est stupéfiant ! Sam et son gang repartent à l’assaut du ciel avec «Stakes Avenue», ils deviennent passionnants, ils créent leur monde à coups de douches froides et montrent d’excellentes dispositions au power. En prime, Sam Jayne screame son ass out. Nouveau shoot de Stonesy avec «Statuette». Ils ont du répondant à revendre et ils savent lester un cut de plomb. Quel power ! Nouveau prodige avec «Freedom Cop». Sam Jayne arrose son délire de délire, il n’en finit de montrer des dispositions à tout, il fait même du distodada. Quelle singulière aventure que cet album ! Voilà un nouvel épisode avec «Demon Contacts», un mélopif de type Sister Morphine. C’est exactement la même ambiance - Are you sick of fucking your life - Même délire que When are you coming round, Sam the charm jette tout son pathos dans la balance et pour ça, cet enfoiré a la main lourde. Quel stupéfiant power de la mainmise ! Il explose tout. Les tenants fondent dans la graisse des aboutissants. Merci de ne pas prendre Sam Jayne pour un branleur. Il termine son album avec le big surge de «Body Double», au no way out. C’est le côté Sam de Sam, il peut lui exploser la gueule si l’envie lui en prend. En attendant, c’est bardé de gaga à gogo. Il faut aussi le voir amener son «Margaritas» au run down de mec qui va tomber à la renverse. Belle potée aux choux. Ça sonnerait presque comme un hit tellement c’est parfait.

On reste dans les gros disks énergétiques de Sub Pop avec Sea To Shining Sea paru en 2001. On y va de bon cœur car comme Nash Kato dans Urge Overkill ou encore Greg Dulli dans Afghan Whigs, ce mec Jayne a un truc. Son «Coast To Coast» d’ouverture de bal est dévastateur. On comprend qu’ils aient pu se bâtir une grosse réputation. En plus, ça sent bon les drogues. Sam Jayne chante son «Temptation Island» à la petite précipitation. Il cherche le train wreck et chante comme une folle échappée de l’asile. Il entre dans le territoire des énormités avec «Sam Jayne = Dead», un cut terriblement précurseur. Il sonne exactement comme Neil Young dans le Gold Rush - Shoot me in the hand man - Il demande à l’autre de lui faire un shoot dans la pogne alors bienvenue dans le délire de LAL, dans ce fabuleux shake de druggy motion. Monstrueuse dérive ! Il revient à l’experiment avec «Put It Together» et 8 minutes de blast all over, il colle tous les morceaux au plafond d’un rock acrobatique. C’est le rock de Jayne, Sam, mais en même temps il faut suivre. Et puis avec «Miss Direction», il bascule dans le Dylanex. Il est le boss du disk. Et voilà revenu le temps des cerises avec «Druggachusetts». Wow, ça sent bon la titube. Il mise sur sa connaissance des gouffres et ça passe par des excès, il sature ça de solos clairs et nous entraîne dans sa misère psychologique. C’est explosif et beau à la fois, mais d’une beauté plombée comme peut l’être celle de Syd Barrett. Il fait une fois de plus exploser son cut en lui enfonçant un pétard dans le cul. Et ça continue avec «French Heroin», explosif d’entrée de jeu, allumé aux accords de white heat, incroyable renversement des réacteurs abdominaux, le cut explose dans l’œuf du serpent, c’est violent, vraiment digne du Velvet. Sam Jayne a du génie, qu’on se le dise. Il faut le voir allumer sans fin son «French Heroin», il vise la fin des limites qu’on appelle aussi l’infinitude et chante à la clameur fatale de la vingt-cinquième heure. Ses morceaux longs ne tiennent que par l’intensité de la fournaise, comme ceux de Lou Reed au temps du Velvet. Il faut le voir se jeter dans le combat. Beautiful loser.

Le dernier album de LAL date de 2005 et s’appelle Laughter’s Fifth. On y dénombre pas moins de trois coups de génie, pas mal pour un groupe underground, non ? Avec «Every Midnight Song», il repasse un contrat avec la heavyness. Son truc à trac, c’est le big atmospherix. Alors voilà une belle tempête de sonic trash demented. Sam Jayne redevient le temps d’un cut le prince des ténèbres et du débordement. Il se montre encore extrêmement passionnant avec «I’m A Ghost». Il a des idées de son et entre vite dans le vif du sujet. Il drive son power surge dans une madness de ponts audacieux comme pas deux et ça explose de bonheur, aw comme ce mec est doué. Il joue sur les alternances avec du fruit dans le son. Avec «Pulsar Radio», ils se prennent pour les Spacemen 3, puisque c’est amené à l’orgue des drogues. L’ambiance évoque une fois encore le Velvet, Sam Jayne hurle dans le chaos spongieux et là tu vois défiler toute l’histoire du rock, mêlée à son désespoir et à ses tempêtes. Sam Jayne bat bien des records de puissance. Il peut aussi faire son Neil Young comme le montre «An Amber» et tremper son biscuit dans le Crazy Horse, comme le montre «Survivors», mais quand il le faut, il sait ramener des paquets de mer. Il ramène même du Tonnerre de Brest dans «Fool Worship Fool Worship». il claque sa pop-rock sur une guitare rouillée et cultive l’effervescence.

Signé : Cazengler, torve as laughter

Sam Jayne. Disparu le 15 décembre 2020

Love As Laughter. The Greks Bring Gifts. K 1996

Love As Laughter. #1 USA. K 1998

Love As Laughter. Destination 2000. Sub Pop 1999

Love As Laughter. Sea To Shining Sea. Sub Pop 2001

Love As Laughter. Laughter’s Fifth. Sub Pop 2005

 

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Les temps ne sont pas roses pour les groupes. Une année épineuse pour tout le monde. Les avoir privés de concerts c'est comme leur avoir ôté leur raison d'être. En attendant la reprise chacun s'est organisé selon ses moyens. Certains ont sorti un disque, d'autres se sont rabattus sur les radios, on a tourné des clips, on a jammé entre copains, on a joué live devant un public absent calfeutré chez lui derrière l'écran de son ordinateur... bien sûr il y a eu des concerts sauvages de-ci de-là, mais il vaut mieux ne pas ébruiter... Big Brother is hearing you.

Rita Rose est un groupe de reprises, AC / DC, Stones, Pixies, Steppenwolf, des gens que l'on imagine jeter leur dévolu plus facilement sur Guns N' Roses que Les Roses Blanches de Berthe Sylva. A défaut de scènes se sont réunis exactly au DGD Music Studio, et là l'idée leur est venue qu'au lieu de transplanter les boutures déjà existantes ils pourraient créer comme dans le roman d'Alexandre Dumas leur propre tulipe noire. N'ont pas l'âme commerciale, ils ne vendent rien et on ne les achète pas, donc ils l'ont laissé en accès libre et chacun peut la cueillir à sa guise.

TOMORROW MAYBE

RITA ROSE

( Clip / YT )

Chant : Dénis / Guitare : Eric Coudrais / Guitare : Manu Doucy / Basse : Jean-Claude Aubry / Batterie : Michel Dutot.

Quand on a lu dans le paragraphe précédent leur goût pour les reprises hot, l'on est sûr qu'ils vont extirper triomphalement de leur hotte une espèce de hot-rod brûlant dégoulinant de bruit et de fureur, pas du tout, z'ont opté pour la douceur et la nostalgie, une ballade électrique, qui vous emmène doucement en balade, vous prend par la main et vous entraîne sur un sentier tapissé de pétales de roses. Malheureux vous marchez les yeux fermés sur la sente des vipères. Ce Dénis, quel enchanteur, une voix qui coule comme de l'eau pure. N'y buvez pas elle est empoisonnée. Ensorcelante, cascade comme du kaolin sur le verre de vos artères, vous mène par le bout des oreilles, vous emplit le cœur de mélancolie, vous phagocyte la mémoire de souvenirs beaux comme hier, les guitares glissent et la batterie vous attire plus qu'elle ne vous pousse, demain le monde sera plus beau et la nuit s'évapore et l'aube se lève, Rita vous passe exactement le film que vous vous tournez dans votre tête, méfiez-vous des magiciens, ils pétrissent à votre guise la gangue de vos émotions, vous emportent sur les tapis volants des rêves vertigineux d'innocence, et vous suivez la route que l'on vous trace, plus vous avancez plus vous retournez vers le néant du passé et vous vous croyez en partance pour un futur radieux, mais c'est la fin, un susurrement de langue d'aspic et le doute s'installe en vous pour toujours. Seriez-vous cette abeille enivrée dans le calice refermée d'une rose carnivore. Peut-être.

Maintenant que vous avez rouvert les yeux, vous vous apercevez qu'ils sont plus cruels que vous ne l'imaginiez, le clip est empli d'images muettes et remuantes des concerts d'avant...

Damie Chad.

 

LEE O' NELL BLUES GANG

 

Bien avant le temps de la prohibition les vieux bluesmen ne voyageaient pas de ville en ville les mains dans les poches, bien sûr se dépatouillaient pour porter leur guitare, mais la plupart n'oubliaient jamais de se munir de leur assurance tous risques, rien de mieux qu'un calibre en état de marche pour faire son chemin dans la vie. Les temps étaient durs, il était nécessaire de savoir se défendre contre les aigrefins de toutes espèces avec des arguments convaincants. L'association des mots blues et gang s'avère historialement correcte, reste encore à savoir qui se cache derrière cette redoutable association.

Sont français. Cette précision ne relève d'aucun chauvinisme, simplement le fait que l'on peut être amené à les rencontrer au hasard de nos pérégrinations. Respirons, ne sont que deux. Pas beaucoup, mais pensons au gang Barrow plus connus sous le nom de Bonnie and Clyde, justement, sont bâtis sur le même modèle, un couple, aussi venimeux qu'une paire de crotales qui auraient élu domicile dans une de vos bottes ( voir la Mine de l'allemand perdue de Blue Berry ), donc un gars Lionel Wernert et une gerce Gipsy Bacuet. Pas des tendrons de la dernière couvée, citer la liste des mauvais coups auxquels au sein de diverses formations ils se sont livrés, soit séparément, soit ensemble, serait trop long. Ils ont fini par se faire repérer, l'agence Bluekerton de la revue Soul Bag les tient à l'œil. En ces temps covidiques ils ont réussi un gros coup, ils ont sorti en décembre 2020 un album Shades of Love, en cette occasion a éclaté au grand jour les ramifications secrètes de leur influence occulte, notamment leur amitié avec Fred Chapelier, une sommité du blues ( blanc rouge ).

WALKING BY MYSELF ( YT )

Vocal : Gipsy Bacuet, Leadfoot Rivet, Fred Chapelier, Neal Walden Black / Guitars : Lionel Werner, Fred Chapelier / Slide : Neal Walden Black / / Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

Walking by myself because Jimmy Rogers a longtemps été dans l'orchestre de Muddy Waters, vous le chante d'ailleurs assez gentiment sur une rythmique qui musarde doucettement, notre gang le commence comme finissaient les morceaux de musique dans l'antiquité, tous les instruments ensemble en une espèce d'apocalypse sonore, puristes du blues ne criez pas au scandale, le balancement de gondole vénitienne particulier à la zique bleue, il arrive très vite, prenez cette expression au pied de la lettre, sur une espèce d'aircraft électrisé qui fonce droit devant sans se poser de question sur la métaphysique du blues, la Gipsy elle n'aime pas que les gars se reposent, vous envoie le vocal à la batte de baseball et chacun essaie ( et réussit ) de rester sur le même diapason, deux solo de corrida et des lyrics à la rasetta entre les cornes du taureau impulsif. C'est du rapide et ça se déguste, donc il faut réécouter septante sep fois. Avis personnel : ne vous laissez pas happer par les photos réalisées lors de l'enregistrement, elles mangent votre attention et vous empêchent de vous plonger dans la musique, qui vous attend gueule ouverte style les dents de la mer.

ALONE ( YT )

( Official Music Video )

Vocal : Gipsy Bacuet / Guitars : Lionel Werner, Fred Chapelier / Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

Tout ce que vous n'avez pas eu le temps de goûter à sa juste valeur dans le morceau précédent, Alone vous le permet, les images bistres suivent les musiciens de près, les doigts sur les guitares et le bonheur dans la prise. Ne chôment pas pour autant, mais Gipsy a dosé un entrefilet de jazz dans sa manière distinguée de dispatcher les syllabes, elle n'essaie pas d'arriver la première, elle pousse vers le haut, du coup les guitares prennent de l'altitude et deviennent aériennes. Ici la rythmique ne joue pas à la terre brûlée, rapide et relax en même temps, Lionel et Fred se tirent la bourre de la fraternité, montrent ce qu' ils savent faire, mais sans esbroufe, pas à la m'as-tu-vu-je-te-tue, ils distillent leur style félin flexible sur les fusibles, un régal.

DIFFERENT SHADES OF LOVE ( YT )

( Live / La Scène / Sens / Octobre 2020 )

( Organisé par l'association Red & Blue 606 )

Vocal : Gipsy Bacuet / Guitars : Lionel Werner / Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

Blues, soul, rock, tout ce que vous voulez, les gars ont une chanteuse avec eux, alors ils la servent, la gâtent, sont à ses petits soins, pas un qui essaie de tirer la couverture à soi, mais sans cesse un petit yoyo à lui refiler sous chaque intonation, l'air de rien, sans démonstration, juste de temps en temps un petit sourire satisfait car tout baigne, z'auraient d'ailleurs tort d'essayer de se pousser devant, car Gipsy elle survole, l'épeire qui danse dans le soleil de l'aurore sur la toile perlée de rosée, une équilibriste, une funambule, n'a pas le vocal bancal, elle hausse à peine le ton et le monde change de couleur, n'en fait jamais trop, une simplicité renversante, vous donne l'impression qu'elle lit à mi-voix la liste des commissions, mais avec une aisance, un tact et une classe infinis. Le tout sans la froideur de la perfection, sans ostentation, infiniment naturelle.

Damie Chad.

 

BURRIED MEMORIES

ACROSS THE DIVIDE

( Clip / YT / 04 – 04 -2021 )

 

Dans notre livraison 497 du 11 / 02 / 2021 nous présentions Disaray le dernier CD de Across The Divide, nous en avions profité pour évoquer certaines vidéos reprenant certains titres de l'album. Au début du mois est parue une nouvelle vidéo de Regan MacGowan illustrant le deuxième titre de cet opus, que nous avons beaucoup apprécié, un artefact soigné tant au niveau esthétique que musical.

Le clip est à l'image de Across The Divide, un objet fini qui se suffit à lui-même qui de surcroit est facile à appréhender puisqu'il est loin d'atteindre les cinq minutes. De belles prises de vue, un bon son, d'une lecture agréable et facile. Apparemment une situation idyllique, le groupe en pleine nature interprétant une de ses dernières œuvres. La face claire des phénomènes. Cette dernière phrase induit qu'elle coexiste avec une face plus sombre.

Nous n'en dirons pas plus ne voulant pas davantage effleurer le contenu de cette chose. La chose diffère de l'objet, si l'objet relève du mental, la chose participe du mystère de sa propre présence. L'esprit ne l'a pas scannée. Elle fait encore partie de l'informe, du mystérieux, du menaçant, ce n'est pas qu'elle serait non humaine, c'est qu'elle est a-humaine. D'une nature autre. A vous de regarder ce clip. Pas uniquement du début à la fin. De d'avant le début à après la fin. Sachez voir. Ensuite vous êtes libre de l'interprétation. Quand on raconte une histoire, l'on n'est pas obligé de tout dire, à vous d'interpréter les indices. De monter votre propre scénario. A partir de vos malaises et de vos angoisses, et de la réalité dans laquelle vous évoluez.

Ce clip est une merveilleuse réussite, une clef qui s'adapte à de nombreuses serrures. Choisissez la porte qui vous correspond. Celle d'ivoire ou celle d'ébène.

Damie Chad.

 

TROIS CARTOUCHES POUR

LA SAINT-INNOCENT

MICHEL EMBARECK

( L'Archipel / Mars 2021 )

 

Fût-il aristocrate Michel Embareck pourrait se vanter d'avoir des ancêtres qui auraient participé à la première croisade, ceci pour vous dire que notre homme possède ses quartiers de noblesse rock, n'était-il pas une des plumes des plus talentueuses qui en des temps anciens s'illustrèrent dans la revue Best. Si le nom de ce magazine ne vous dit rien c'est que vous êtes jeunes, ce qui n'est pas, je vous rassure, une tare rédhibitoire... Depuis Michel Embareck a publié une bonne trentaine d'ouvrages, nous avons déjà chroniqué en ce blog-rock Jim Morrison et le diable boîteux ( livraison 322 du 29 / 03 / 17 ) et Bob Dylan et le rôdeur de minuit ( livraison 361 du 15 / 02 18 ), le voici qui revient parmi nous avec un roman, qualifié selon sa couverture, de noir. Evitez les raccourcis dangereux, noir ne signifie pas policier.

Certes vous avez un cadavre en ouverture, dès le premier chapitre, mais ce n'est pas le bon, celui-là s'apparente à un cadeau Bonux, circulez il n'y a rien à voir, très vite nous tenons l'assassin, une femme ( elles sont dangereuses ), inutile d'endosser votre chapeau à la Sherlock et de vous munir d'une loupe pour les indices. L'Embareck ne vous laisse pas dans l'embarras, nous refile son nom et nous signale qu'elle a depuis longtemps été jugée et qu'elle a purgé sa peine. Ce n'est pas non plus une serial killer qui aurait avoué un meurtre pour mieux faire silence sur les soixante autres bonshommes qu'elle aurait précédemment occis sans que nul ne la soupçonne. Bref le livre commence alors que l'histoire est terminée, je n'ose pas écrire morte et enterrée.

La victime est aussi au fond du trou. Un gars sympa, un blouson noir – chez Kr'tnt cela équivaut à un certificat de bonne conduite - un bosseur, certes il tapait peut-être sur sa femme – c'est elle qui le dit – mais qui en ce bas-monde n'a pas ses petits défauts... Elle devait bien aimer ça puisqu'elle s'était mariée avec lui.

Donc Michel Embareck rouvre l'enquête. Pourquoi pas. Toutefois quelques détails nous interpellent quant à cette démarche. Premièrement, il ne fait pas cela au grand jour, se déguise en journaliste, pour brouiller les pistes, pour qu'on ne le reconnaisse pas, lui l'amateur émérite de rock'n'roll, il s'adjuge le nom d'un musicien classique : Wagner. Deuxièmement : il nous tend un piège, file au lecteur un détail foireux à se mettre sous la dent. Dans quel ordre ont été tirées les trois bastos qui ont envoyé l'innocent trucidé ad patres ? Non il n' y a pas de troisièmement. Notre perspicacité nous permet dès maintenant de vous filer la véritable identité du meurtrier. Ne poussez pas des oh de stupéfaction ou d'indignation en l'apprenant. Nous fournirons les preuves et les terribles révélations qui marchent avec, dès la fin de ce paragraphe. Tiens, il est fini.

Le criminel c'est... Michel Embareck ! Mais enfin Damie tu dérailles, n'est-ce pas Jeanne Moreau – pas l'actrice, l'autre – qui s'est dénoncée elle-même à la gendarmerie, z'oui âme naïve, mais c'est Michel Embareck qui a créé le personnage de Jeanne et l'assassinat de son mari. Il en est donc pleinement responsable. L'auteur du crime, c'est lui. Mais ce n'est pas tout. Ce n'est qu'un début. Assez médiocre quand on connaît la suite. Ne jetons pas la pierre sur Michel Embareck, ce n'est pas de sa faute, l'a sans doute été atteint du terrible syndrome du tigre altéré de sang. Mangeur d'hommes. Et de femmes. ( Soyons respectueux de la parité ).

Un peu la problématique de la carabine. Si elle ne tire qu'un coup et si vous attrapez un coup de sang, vous ne tuez qu'une seule personne. A répétition, c'est le carnage. L'aurait dû intituler son book, ''Midnight rambler sur piste sanglante'', au long de son enquête l'Embareck wagnérien, il ne s'économise pas, vous offre la tétralogie in extenso, Crépuscule des Dieux compris avec embrasement final terminator. Méfiez-vous si vous ouvrez le bouquin, attention aux balles perdues, parce que l'Embareck en colère ne respecte personne, l'est prêt à abattre son lecteur ( et même sa lectrice ) sans sommation si sa figure ne lui revient pas. Non, n'ayez pas peur, il ne dum-dumise pas au fusil à cinq balles mais à symboles. Plus il avance dans son enquête plus notre confiance en nos institutions s'estompe. N'épargne aucune de nos vaches sacrées. Remonte le troupeau jusqu'au vacher en chef. Un crime peut en cacher un autre.

Attention dear kr'tntreaders, ne vous précipitez pas sur une courageuse lettre anonyme pour dénoncer aux autorités la malfaisance anarchisante de cet ignoble individu qui répond au nom de Michel Embareck, c'est que pour le moment nous n'avons traité que le roman. L'intrigue romanesque si vous préférez. Le plus dur reste à venir. On vous a avertis, c'est noir. Très noir. Non, pas tout à fait le noir anarchie. Plutôt le noir opaque. L'est comme cela l'Embareck vous raconte une petite histoire de rien du tout. Une bonne femme qui se débarrasse de son mari. Ça ne va pas chercher loin. Vingt ans maximum. ( Vingt ans pour avoir tué un blouson noir, perso je lui en aurais filé quarante et l'on n'en parlait plus. ) Le malheur c'est qu'à partir de ce fait divers, Michel Embareck vous fait visiter les sept cercles de l'Enfer de Dante.

Depuis la Divine Comédie les choses ont bien changé, l'Enfer n'est plus en Enfer, s'est déplacé, l'est partout, ses tentacules ont envahi le Purgatoire et le Paradis. Ce ne sont plus les morts qui occupent l'Enfer mais les vivants comme vous et moi qui y résidons. Vous pensez que j'exagère, que je dépeins l'existence terrestre sous une couleur un peu trop sombre. Vous avez totalement raison. C'est plus que sombre, c'est noir. ( Cf la couverture ).

Michel Embareck se gausse tel un gosse, il laisse traîner le fil de l'intrigue et vous vous amusez à le tirer. C'est idiot parce que c'était le cordon du bâton de dynamite qui vous explose à la figure. Ah ! vous croyiez être dans un livre policier, erreur sur toutes les lignes, Embareck vous a embarqué dans un essai politique. Philosophiquement parlant traduisons par : Marx a remis la dialectique de Hegel sur ses pieds. Les crimes ne sont que le miroir de notre société. Si vous inversez la phrase cela donne : notre société est criminelle.

Imaginons que vous soyez de bonne composition. D'accord Damie, Michel Embareck n'a pas tout à fait tort, plus on monte dans la pyramide, moins c'est beau. Vous vous rendez à la raison, oui dear lector avec Embareck l'on part de la mésentente d'un couple pour se retrouver tout en haut, nous l'avons déjà dit, mais en reconnaissant cela vous n'aurez fait que la petite moitié du chemin. En fait vous vous débrouillez pour ressortir de cette histoire ( noire ) blanc ou blanche comme neige, ce n'est pas moi, c'est les autres. Ben non ! vous démontre Embareck que vous aussi ( pas tous, beaucoup d'élus mais peu qui refusent de céder à l'appel trompeur ) vous marchez dans les entourloupes, pardon vous y courez, vous y galopez ventre à terre, car vous êtes totalement manipulés par les instances politiques, médiatiques et marchandiques, elles ont bien compris que vous ne croyez plus en leur combine, alors elles vous préparent et vous proposent la contre-combine, voire l'anti-combine, pour soi-disant esquiver la première, mais qui dans les faits se révèlent encore plus piégeuses. Ce n'est pas de votre faute, c'est que vous êtes bêtes.

Pas moi ! Pas moi ! tout ça c'est de la théorie de l'emberlificotage, vous écriez-vous, alors Michel Embareck qui est très gentil, vous plonge le nez dans votre caca, au moins vous n'êtes pas dépaysé, vous parle du quotidien dans lequel vous tracez votre route, et c'est-là qu'il décanille sec, vous ouvre les yeux, vous révèle ce que Balzac nommait l'envers de l'histoire contemporaine, vous n'êtes que des marionnettes qui récitez le texte que l'on attend de vous. Vous sciez en toute stupide bonne foi la branche sur laquelle vous êtes assis, vous vous attaquez à ceux qui vous ressemblent mais qui gardent une vision claire de la situation que vous n'êtes plus capable d'appréhender...

Ce n'est pas un livre optimiste. Michel Embareck ne se gêne pas pour crever les baudruches des idées nouvelles qui embrasent les fausses colères des révoltes auto-immunes. Talentueux et jouissif, surtout quand il porte direct la main au saint du sein.

Aux lecteurs innocents, la cervelle pleine ! Distribution gratuite de coups de pied au cul pour les autres. Ce dernier mot s'entend aussi au féminin.

Damie Chad.

 

SURVIVOR

ERIC BURDON

( 1977 )

 

Lead vocals : Eric Burdon / Keyboards : Zoot Money – John Bundrick – Jürgen Fritz / Guitar : Alexis Korner – Frank Diez – Colin Pincott – Geoff Whitehorn – Ken Paris + vocals / Bass : Dave Dover – Steffi Stefan / Drums : Alvin Taylor / Backing vocals : Maggie Bell – P. P. Arnold – Vicky Brown

Une belle pochette due à Jim Newport. Un disque à la croisée des chemins pour Burdon. Ne sait plus trop où il en est. L'aventure War est terminée depuis longtemps mais en 1976 est sorti un album de vieilles bandes, il remonte la pente avec la création d'Eric Burdon Band, les Animals datent de la préhistoire pourtant quelques mois après la sortie de ce Survivor sortira le disque de la re-formation originale et cette aventure parallèle durera pratiquement jusqu'au milieu des eigthies, et il faudra attendre 1980 pour un nouveau disque d'Eric Burdon, preuve que le Survivant n'a pas trop bien survécu son titre fait froid dans le dos : Darkness, darkness... Survivor est enregistré en Angleterre, dans la flopée des musiciens l'on remarque un ami de la première heure Alexis Korner pionnier du blues anglais, mais aussi Alvin Taylor qui participa à Sun Secrets et surtout Zoot Money qui depuis la fin des Animals croise sans cesse la route de Burdon et qui co-signe avec lui huit titres sur dix de l'album Si l'on regarde Survivor avec le recul nécessaire, l'on se rend compte que cet album qui n'a jamais été réédité est bien meilleur que les deux derniers disques des Animals reformés, Ark et Greatest Hits Live, qui de fait apparaissent comme de pâles copies, de tristes tentatives avortées. La comparaison est d'autant plus significative que Zoot Money a participé à l'aventure de ces deux disques animaliers.

Rocky : l'on peut partir d'un principe d'équivalence simple c'est que si Eric Burdon n'est pas au mieux de sa forme, c'est que le rock'n'roll a perdu son innocence, certains lecteurs tiqueront, en 77 le punk lui file un sacré coup de pied au fesse au vieux rocky des familles, c'est une époque explosive et séminale, certes mais quand on y réfléchit le Burdon est devenu un has been, la jeune génération n'a pas besoin de lui, ne l'attend pas, alors il va leur montrer comment on manie la dynamite, vous empoigne le vocal et ne vous le lâche pas d'un millimètre et derrière ça déménage un max, on dirait que tous les crédités sont présents sur cette séance et ça tourbillonne dans tous les sens, un bon vieux rock'n'roll comme l'en n'en fait plus et Burdon vous le chevauche comme s'il drivait les chevaux de Poseidon dans la tempête et se sert de sa voix comme du trident neptunien pour ébranler les consciences. Sur ce coup vous fout K.O. Au premier round. Woman of the rings : changement d'atmosphère, vous avez eu le rock, voici le blues. Mais un blues comme vous n'en avez jamais entendu. Comme le Led Zeppe n'a jamais eu l'idée, des guitares qui jouent comme des chats écorchés et un clavier qui roucoule comme la colombe poignardée d'Apollinaire, pas besoin de plus, là-dessus Burdon pose ses phrases sans emphase à tel point que les nanas se chargent de craquer l'allumette et l'orchestre s'engage dans le maelström, et c'est à cet instant précis que vous réalisez, maintenant qu'il se tait, l'art de Burdon, le mec qui fait semblant de chanter à moins qu'il ne fasse semblant de parler, funambule sur la ligne de crête. The kid : un sale gamin qui brouille la piste et qui ne se laisse pas écouter. Tomb of the unknown singer : malheureux vous entendez les premiers arpèges et vous pensez être parti pour une ballade de toute coolitude d'un chanteur qui se meurt d'amour, et puis le Burdon l'on dirait qu'il a emprunté la voix écorchée de Dylan, good trip en perspective, d'ailleurs le titre se retrouve sur la compil Good Times, certes mais alors éloignez-vous tout au fond du jardin et écoutez le ramage des petits oiseaux … pour vous donner une idée de comparaison c'est le même scénario que Le chanteur abandonné de Johnny Hallyday mais avec Burdon le loup est entré dans la bergerie, l'a bouffé le Berger, l'a égorgé tous les agneaux et puis s'en est allé pousser sa plainte lugubre à la lune hécatienne, un iceberg de solitude vous tombe dessus, vous ressentez l'incomplétude humaine, ce titre est une invitation baudelairienne au suicide, une pente fatale qui vous happera sans pitié si par hasard vous ne vous sentez pas au mieux de votre forme, un faire-part de la mort qui vous spécifie l'heure de votre rendez-vous au cimetière. Glaçant. Toutes mes condoléances. Famous flames : réchauffons-nous, rythmique guillerette à conter le guilledou à Magie Bell et ses copines, Alvin Taylor bat le beurre mais ce n'est pas du bio, heureusement qu'il y en a qui se défoncent à la guitare, le Burdon rigole tout seul, mais vous avez du mal à participer à la fête, je vous le dis mais le répétez pas, les flammes ne sont pas aussi fameuses que promises, un peu longuet et la gueule du dragon cracheur de feu n'est pas au rendez-vous à l'autre bout de la queue. Hollywood woman : Burdon nous fait son cinéma country : au début ce n'est pas mal, à la suite aussi, c'est dans les refrains qu'il sourit un peu trop fort pour plaire au grand public, les musicos se la donnent, des petites trouvailles de partout, on en oublie le Burdon qui chante un peu trop dans le registre de l'attendu. C'est vrai que l'on ne peut pas être tout le temps Johnny Cash. Surtout si l'on part du principe que c'est une cause perdue. Hook of Holland : un morceau qui accroche qui arrive à point nommé après les deux relâchements précédents, dans la droite ligne du morceau introductif, un feu de bois qui pétille dans la cheminée et qui met le feu à la maison, Burdon est parfait en pyromane, les filles crient pour qu'il vienne les délivrer, mais non, il faut du combustible pour alimenter le feu de joie. Une guitare incendiaire et des chœurs de pompiers heureux du beau brasier qui s'offre à eux. Chaud. Très chaud. I was born to live the blues : le Burdon l'est comme les aristocrates, se souvient qu'il a le sang bleu, voix nue et une guitare dont les cordes sont en boyaux de chat, le vieux classique de Brownie McGhee qui se permettait de le chanter de sa face joviale et épanouie, le vieux renard qui en a trop vu pour ne pas sourire à la vie, le Burdon lui il emmêle ses tripes dans ses cordes vocales de tigre, la dureté de la vie vous cisaille sans pitié, chante comme une lame de guillotine qui tombe sur les condamnés à mort que nous sommes. Highway dealer : rien qu'au titre l'on sent que l'on aime déjà et quand on écoute l'on est subjugué, non ce n'est pas pied au plancher en sens inverse sur l'autoroute ( si un peu quand même ) une ambiance proche de The man sur Stop, avec des guitares qui pètent les mégaphones à la Roadrunner du grand et du beau Bo Diddley, tout le début pue le soufre et l'enfer, le Burdon barrit comme une éléphante dont un car de touristes vient de buter son petit, bref un carnage. Quant au band derrière et devant il déploie plus d'inventivité et de nuances que le Deutches Symphonie-Orchester Berlin quand il était mené par Wilhelm Furtwangler. P. O. Box 500 : poste restante. Pas à perpétuité mais récidiviste. Rien de plus terrible que d'être mis en boîte par un ami ! Burdon en faux-jeton gagnant ! K. O. Boxe. Cinq sens éteints.

Damie Chad.

 

XXXI

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

Suite à notre trentième livraison, nous avons reçu des centaines de lettres de la part des adhérents de la Société Protectrice des Animaux ulcérés nous reprochant l'absence de Molossa et de Molossito dans les évènements dramatiques relatés. Certains nous accusent même d'avoir falsifié notre document. Jamais, affirment-ils nous n'aurions pu sortir vivants de cette aventure sans leur aide précieuse. C'est la vérité vraie, mais les reproches qui nous sont adressés sont particulièrement injustes, ils méconnaissent surtout le génie stratégique du Chef. Il est évident que sans nos canidés nous aurions perdu la partie, mais il ne faut jamais oublier que dans toute attaque il convient d'assurer la protection de la base de repli. Cette besogne souvent ingrate mais nécessaire échut à nos quadrupèdes aguerris. Connaissez-vous quelque chose de plus féroce qu'un chien de garde ? Sinon deux chiens de garde.

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Nous nous retrouvâmes tous dans la cuisine où nous avaient précédé Vince et Ludovic. Ce dernier avait repris des couleurs, des timbales fumantes de café extra-fort nous attendaient, nous en avions besoin pour nous remettre de nos émotions. Les filles auraient bien croqué un petit gâteau sec, mais le Chef s'y opposa :

    • Nous n'en avons pas le temps, nous repartons dans une minute, le temps que l'agent Chad récupère les chiens, et hop tout le monde dans le SUV !

Molossa était sagement assise devant la porte, je remarquai immédiatement l'absence de Molossito, le museau de Molossa se posa comme par inadvertance sur mon jarret gauche, je la fis rentrer avec moi.

    • Chef, sûrement un problème, l'on doit nous épier, et Molossito n'est pas là !

    • Léger changement de programme dit le Chef, Vince, Ludovic, les filles, vous sortez en papotant comme si de rien n'était, vous ne risquez rien, s'ils ne sont pas intervenus c'est qu'ils attendent les ordres, Vince au volant, moteur allumé vous attendez que l'on revienne, l'Agent Chad et moi-même nous allons récupérer Molossito, Charlotte tu prends Molossa dans tes bras quand tu es devant le Suv tu fais semblant de la poser sur le siège arrière mais tu la relâches discrètement, les autres et les portières grande-ouvertes te faciliteront la manœuvre, que notre comité de surveillance ne s'aperçoive de rien, exécution immédiate !

En passant derrière le tronc de l'ormeau, le Chef et moi nous nous engouffrâmes dans une zone d'ombre, Molossa nous rejoignit très vite et nous guida rapidement vers un bosquet, une longue voiture noire stationnait tout feu éteint. Nous nous accroupîmes sans bruit, le Chef alluma un Coronado en faisant attention qu'aucune flamme ne trahisse notre présence.

    • A toi de jouer Molossa !

Elle ne se le fit pas dire deux fois. Trois secondes plus tard elle était sur le capot, grognant, aboyant de toutes ses forces, l'on s'agita dans la voiture, mais des piaillements aigus nous cisaillèrent les oreilles, l'otage Molossito donnait de la voix, la réaction ne se fit pas attendre, une vitre s'abaissa et Molossito fut rapidement éjecté sans ménagement.

    • Cassez-vous les cabots, vous allez nous faire repérer, proféra une voix sourde,

Nous étions tout près je récupérai Molossito au vol, d'un geste vif le Chef balança son Coronado par l'entrebâillement de la vitre, la grosse limousine explosa illico !

Trente secondes plus tard nous plongions dans le SUV que Vince arracha de son immobilité de main de maître. Le Chef nous conseillait d'avoir toujours un Coronado série El dynamitero dans sa poche, ça peut toujours servir, ajoutait-il.

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Vince connaissait la région, il roulait à tombeau ouvert n'hésitant pas à éteindre régulièrement les phares, et changeant systématiquement de direction à chaque croisement. Malgré toutes ces précautions nous ne tardâmes pas à être repérés par un hélicoptère, qui bientôt nous prit carrément en chasse.

    • Décidément l'homme à deux mains n'aime vraiment pas le rock'n'roll soupirai-je !

    • Il n'a pas que deux mains bougonna Vince, il a aussi les moyens !

    • Hum-hum, le Chef toussota, si nous étions d'un optimisme béat nous pourrions dire que ce déploiement de moyens permet de l'identifier à coup sûr, mais comme nous sommes des pessimistes actifs, nous en déduirons que s'il se montre ainsi à visage découvert c'est qu'il est sûr que nous ne profiterons pas longtemps du renseignement qu'il nous a révélé.

    • Ce qui veut dire ? s'enquit Ludovic que l'on sentait dépassé par la cascades d'évènements qui avaient si abruptement bouleversé sa vie...

    • Vous pensez que bientôt nous allons donner du museau en plein dans un barrage proposa Brunette

    • Non, cela ne correspond pas au personnage, le Chef allumait un nouveau Coronado je suppose qu'il emploiera les grands moyens, il reste à deviner lesquels avant qu'il ne se présente

    • Vous avez-vu, ils ont changé d'hélicoptère, celui-ci il porte un long-tube sous lui !

    • Ce n'est pas un long-tube charmante Charline, mais un missile air-sol, à tête chercheuse, Vince arrête-toi tout de suite, sans vouloir t'offenser l'agent Chad s'est déjà trouvé dans de telles circonstances, ce n'est pas qu'il soit meilleur conducteur que toi, mais il connaît les procédures à suivre en de tels cas, que nous pourrions qualifier de dramatiques.

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Je me mis à zigzaguer sur la chaussée, piètre échappatoire, essayant de me rabattre juste devant les rares voitures que je doublais les obligeant à me coller au cul, ralentissant si elles ralentissaient, accélérant si elles accéléraient de telle manière que nous ne formions qu'un seul véhicule et qu'avec un peu de chance le missile s'abattrait sur l'autre conducteur, mais le gars préférait piler net et s'arrêter sur place, je repartais donc à la recherche d'une tête brûlée qui trouverait ce jeu stupide intéressant. Hélas la nationale n'était visitée que par des pleutres. Ces velléités avaient dû inquiéter, car un deuxième hélicoptère vint se ranger à côté du premier, que je sois sur la voie de droite ou de gauche, j'étais toujours dans le viseur de l'un ou de l'autre.

    • Agent Chad nous avons affaire à des coriaces, sans doute auriez-vous intérêt à adopter une autre stratégie !

Comme toujours le Chef avait raison. Ce fut le déclic qui me permit de prendre les bonnes décisions. Pour être risqué, c'était risqué, mais si je réussissais quel magnifique chapitre à ajouter aux Mémoires d'un Génie Supérieur de l'Humanité. Maintenant que nous connaissions l'identité de l'homme à deux mains il aurait été stupide d'échouer si près du but.

    • Chef je vais utiliser une tactique vieille comme le monde, mais qui au cours de l'Histoire a fait ses preuves.

    • Agent Chad, je n'en attendais pas moins de vous !

    • C'est simple Chef, quand l'ennemi est plus fort que vous il convient de l'attaquer sur son point le plus faible !

    • Agent Chad, cela me paraît d'une grande sagesse, je vous laisse faire, pendant que vous vous emploierez à nous défaire de nos ennemis, si cela ne vous dérange pas, je me permettrai, en toute sérénité de fumer un Coronado. Que le rock'n'roll soit avec nous !

A suivre...

10/02/2021

KR'TNT ! 497 : CHARLIE WATTS / DOWN IN NEW ORLEANS / ACROSS THE DIVIDE / MARC SASTRE / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XX

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 497

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

11 / 02 / 2021

 

CHARLIE WATTS / DOWN IN NEW ORLEANS

ACROSS THE DIVIDE / MARC SASTRE

ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES 20

TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

J’ai la Watts qui s’dilate - Part Two

Les Stones ? On en fait tout un plat, alors que ça ne représente que trente albums. Que sont trente albums comparés à l’univers ? Rien.

Grâce à ce type de raisonnement, on peut se livrer à l’expérience d’une réécoute des trente albums, ce qu’a dû faire Mike Edison pour écrire Sympathy For The Drummer - Why Charlie Watts Matters. Mais ce ne sont pas les Stones qu’on écoute, c’est Charlie Watts. Diable, comme Edison a raison : l’énergie des Stones vient de Charlie Watts. Fantastique éclairage ! Celui qu’on prenait jusqu’alors pour un personnage de second plan devient une sorte de maître d’œuvre de la Stonesy.

C’est ce qui frappe le plus lorsqu’on ressort de l’étagère le premier album des Stones paru en 1964, England’s Newest Hitmakers. Charlie est partout, et même mieux que partout : il pulse, notamment dans «Carol» qu’il bat à la diable. Ce n’est pas un batteur qu’on entend, mais une machine de takatak. Leur «Route 66» est incroyablement bien emmené, on peut même parler de proto-punk. Voilà une occasion en or de saluer le génie de Brian Jones, composante punk des Stones. L’«I’m A King Bee» qui ouvre le bal de la B est sans doute le cut qui situe le mieux Brian Jones dans les Stones : heavy groove et glissé de note dans l’alternance du va et vient, et bien sûr, Jag pose bien son King bee baby. Personne ne peut battre les Stones à ce petit jeu. Ils traînent aussi leur «Little By Little» dans la boue, ils font littéralement du heavy punk avec un beau départ en solo d’épate latérale. Avec «Can I Get A Witness», les Stones semblent nous dire : «Bienvenue dans le swinging London motownisé !». Charlie fait une fois de plus tout le boulot, il bat ça tout droit avec un épouvantable gusto. Ils terminent avec un autre chef-d’œuvre proto-punk, l’infernal «Walking The Dog» de Rufus, c’est du punk in the flesh, avec des coups de sifflet, numéro complet avec l’I’ll show you how to wok the dog et le killer solo flash on the run. Fa-bu-leux, complètement saqué du shook et le beat de Charlie sonne comme des clap-hands.

La même année paraît 12 x 5, un album un peu raté car la moitié des cuts sont mous du genou. Dommage car la pochette est magnifique. On ne voit que Brian Jones dans le coin de droite. Ils ouvrent le bal avec la meilleure version d’«Around & Around» jamais enregistrée. Charlie la swingue à la perfe et les guitares se fondent bien dans l’overwhelming. Avec son tapatap, Charlie n’en finit plus de ramener du jus au jeu. On tombe plus loin sur l’«Empty Heart» qui fit bondir Roky Erickson. Il se peut que tout le son du 13th Floor vienne de là, de cette ferveur cathartique d’harmo et de guitare. Ils rockent aussi le Womack d’«It’s All Over Now» avec toute leur niaque de punksters et glissent dans la course un killer solo flash d’antho à Toto. Quelle section rythmique ! Charlie sauve la B avec «Grown Up Wrong» : il joue ça tout droit avec un petit takaktak de recalage ici et là, pendant que Brian Jones le claque au bottleneck. Ils bouclent avec un «Susie Q» joué punk aux clap-hands. Les Stones comme on les aime.

Trois albums paraissent en 1965, à commencer par The Rolling Stones Now ! Si on voulait faire simple, on pourrait dire que c’est un album de batteur. Eh oui, il faut voir Charlie shaker le vieux hit de Solomon Burke, «Everybody Needs Somebody To Love». Il nous shake ça au tambourin de charley derrière le need you you you. Sur «You Can’t Catch Me», il fait du rockabilly. Tout repose sur l’élégance de son beat. On entend même Bill voyager dans le son, c’est dire si les autres se régalent. Et quand on tombe sur le «Down The Road Apiece» qui ouvre le bal de la B, l’évidence saute une nouvelle fois au paf : tout repose sur le swing de la section rythmique et les solos arrivent comme des bonus mirifiques. Le British beat n’est pas une vue de l’esprit. Brian Jones se tape la part du lion avec ce «Little Red Rooster» monté sur une dentelle de takatak provided by Charlie Watts. Il bat ça fin à la folie et Brian Jones joue au long cours. L’album s’achève avec «Surprise Surprise» que Charlie bat rockab avec des relances d’une incroyable finesse. Il soutient le beat avec un tambourin posé sur la charley et l’auréole d’accointances de cymbales qu’il claquouille à la volée mesurée.

Aux yeux des fans, Out Of Our Heads reste l’un des sommets de la Stonesy, car c’est là que se nichent ces coups de génie inexorables que sont «The Last Time» et «Satisfaction». Ils enregistrent ces deux hits à Hollywood et sont au sommet de leur art. Charlie sort un beat infernal sur «The Last Time» et il ramène du jus d’entrée de jeu dans «Satisfaction», qui reste l’hymne de l’éternelle adolescence. La messe est dite depuis 1965. Charlie amène aussi «The Under Assistant West Coast Promotion Man» d’un simple roulement. Belle leçon de swing. Mais le reste de l’album n’est pas aussi convaincu : ils tapent dans Sam Cooke avec «Good Times», dans Solomon avec «Cry To Me» et dans Marvin avec «Hitch Hike». Ils sont complètement fous ! Par contre leur version du «Mercy Mercy» de Don Covay enregistrée à Chicago est bien envenimée.

Le troisième album enregistré en 1965 s’appelle December’s Children (And Everybody’s). Il laisse un goût amer car on s’y ennuie au peu, malgré les clins d’yeux à Muddy Waters, à Arthur Alexander et à Hank Snow. L’hommage rendu au vieux délinquant de Saint-Louis avec «Talkin’ Bout You» sauve l’A, car elle est heavily insidieuse. Et «Get Off My Cloud» sauve la B. On a là l’un des emblèmes du swinging London. Pas de plus beaux accords de guitare, pas de plus belle profusion de chant, de clap-hands, de Charlie et de Brian. Edison a bien raison d’écouter les takatak de Charlie : c’est de l’art moderne.

En fait, les Stones auront un mal fou à égaler la splendeur punkoïde de leur premier album. Ils auront enregistré cinq albums en deux ans et c’est semble-t-il avec le sixième, Aftermath, que Brian Jones atteint son apogée. Charlie bat «Stupid Girl» sec et net et il donne toute sa mesure avec «Under My Thumb» : il envoie son takatak secouer le doh doh doh de Bill. Si la Stonesy est une science, en voilà l’équation de base : Charlie + Bill = la Stonesy. La perfection du son s’accompagne d’une progression du groove, avec un plus un mélange insolent de marimba et de fuzz, c’est-à-dire Brian + Keef. C’est plombé du beat, down to me. Si Aftermath reste l’album le plus discret des Stones, c’est à cause de «Goin’ Home», véritable apanage du groove de Stonesy. Ils jouent véritablement à l’apogée d’un style. L’autre sommet de l’album est le «Flight Five O Five» qui ouvre le bal de la B, l’un des cuts les plus punky des Stones - Get me on the flight five o five - Jag s’y fracasse la part du lion. Il faut noter l’extraordinaire qualité de la prod hollywoodienne de Dave Hassinger. On note aussi une belle fuzz noyée dans le son d’«It’s Not Easy» et le génie marimbique de Brian Jones dans «Out Of Time».

Brian Jones vole encore la vedette sur la pochette de Got Live If You Want It paru aussi en 1966. Cet album live propose une belle collection d’énormités, à commencer par «Under My Thumb» que Charlie s’empresse de basher aux cymbales. Bill rôde divinement dans le son. The bass on the beat ! C’est le son de la sauvagerie. À ce petit jeu, ils sont imbattables. Bill dévore ensuite «Get Off Of My Cloud», l’hymne des sixties par excellence. Il faudrait que quelqu’un se dévoue pour écrire un book sur Bill. La section rythmique fait encore des ravages dans «Not Fade Away» : carrée et sauvage, pleine de jus, le modèle absolu. En B, ils cassent la baraque avec l’enchaînement fatal de «The Last Time» et «19th Nervous Breakdown». Toute l’énergie vient du team Charlie/Bill et le riff vient incendier la plaine. Il faut voir Charlie entrer dans le beat du Nervous Breakdown ! Here it comes ! C’est là très précisément qu’on entre en religion. Arrive plus loin l’un des plus beaux hits des Stones, «Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow». Quelle purée royale ! Charlie bat le beurre des dieux. C’est joué aux chimes de guitare et battu à la diaboulette. À cet instant précis, les Stones sont le plus grand groupe de rock du monde.

Malgré sa pochette qui compte parmi les plus réussies de l’époque, Between The Buttons n’est pas l’album culte qu’on voudrait qu’il soit. Seuls deux cuts retiennent l’attention, «My Obsession» et «Miss Amanda Jones». Le premier est plutôt weird, monté sur un mish-mash de disto. Pour l’époque, c’est très aventureux et un brillant pianotis soutient les ooh baby du Jag. Il faut aller en B déterrer «Miss Amanda Jones», un cut qui préfigure Exile, c’est-à-dire l’esprit boogie foutraque. Les autres cuts peinent tragiquement à convaincre. Charlie et Bill devaient s’ennuyer à jouer «She Smiled Away». «Cool Calm & Collected», c’est vraiment n’importe quoi. Malgré les coups d’harmo, «Who’s Been Sleeping Here» refuse obstinément de décoller. Par contre la basse de Bill monte bien dans le mix.

Quand la conversation arrivait sur Their Satanic Majesties Request, on parlait d’un album raté. Les fans les plus exacerbés parlaient même de haute trahison. On en voyait se rouler par terre dans la cour du lycée, en proie à de violentes crises de dépit. C’est vrai que le son est beaucoup trop psychédélique pour les Stones. On vit des cars entiers de fans aller se plaindre au mur des lamentations. Keef parvient tout de même à caler un riff de Stonesy dans «Citadel» et Charlie réussit l’exploit de le swinguer. Il faut entendre ses relances titanesques ! Sinon, en s’ennuie pendant tout le reste de l’A, même si Brian Jones s’amuse avec son clavecin et sa flûte. En entendant ça, on criait à l’arnaque. Et tout reprenait du sens en B avec l’arrivée de «She’s A Rainbow», le hit parfait des Stones. Drumming impeccable, puissant et swingué à la fois. C’est ce qui frappe le plus dans ce hit magique : la qualité du drumming. Par contre, «Gomper» bat tous les records de nullité crasse. Cette volonté de psychedelia est une vaste fumisterie. Les Stones sauvent les meubles avec «2000 Light Years From Home» : belle entrée en matière, riff de basse et tatapoum de Charlie, back to the real deal de la Stonesy mais dans les étoiles, smooooth & soooo cool - It’s so very lovely/ 2000 light years from home.

L’un des sommets de la Stonesy s’appelle «Sympathy For The Devil» et se trouve sur Beggars Banquet. C’est l’histoire du man of wealth and taste. Tout repose sur le mix percus/drumbeat, la hargne de Jag, aw yeah, la bassline voyageuse et ces ooh-ooh qui vont marquer l’histoire du rock. Il ne faut pas oublier le solo exacerbé de Keef, assez novateur pour l’époque. La photo déployée dans le gatefold ténébreux illustre parfaitement ce chef-d’œuvre qu’est Sympathy. Encore de la Stonesy à son sommet avec «Parachute Woman», land on me tonite, et ces deux guitares qui se fondent dans le melting pot. Son très Chess dans l’esprit. Puis Jag chante son «Jig Saw Puzzle» au nez pincé à la Dylan, même esprit qu’«All Along The Watchtower», oh the singer he looks so angry. Charlie se tape un coup de génie en B avec «Street Fighting Man». Son tap tap déclenche la furia del sol. Le cut est gorgé de son, de descentes de basse, de rumeurs de sitar. Les Stones remontent à leur apogée. C’est aussi là qu’on trouve la vraie version du «Stray Cat Blues», bien vitriolée aux guitares, rien à voir avec la version à la mormoille que va jouer Mick Taylor par la suite. Et Brian Jones sort son dulcimer pour «Factory Girl».

La deuxième moitié de l’apogée du règne des Stones s’appelle Let It Bleed. Trois coups de génie s’y nichent, à commencer par «Gimme Shelter», if I don’t get somme sheltah, et cette folle de Merry Clayton gueule tout ce qu’elle peut. Les Stones se font tout petits dans le storm de Jag et de Merry, et quand ils chantent ensemble, Charlie pointe bien le beat. C’est un cut dont on ne se lassera jamais. On peut dire la même chose de «Live With Me». Keef & Charlie, voilà le secret des Stones, avec un punk de Jag et ses water rats par dessus. Ah quelle blague ! C’est l’un des pires coups fourrés jamais imaginés. On y entend même un solo de sax, alors t’as qu’à voir ! C’est «Monkey Man» qui illumine la B. Encore un coup du punk Jag, qui aménage une petite accalmie avant la tempête et le freakout savamment orchestré. On a toujours eu un petit faible pour le cut d’adieu, «You Can’t Always Get What You Want». Tout y est : les coups d’acou, les congas de Congo Square, le gospel batch, les pianotis et l’extrême richesse de la musicalité. On y voit le Jag jeter tous ses try sometimes dans la balance, et puis on a aussi les prescriptions filled et les gimmicks de relances très Southern, et bien sûr Mister Jimi. Sans oublier la montée au ciel du gospel batch et le basculement dans l’éternité, avec un décalage du beat imaginé par Charlie Watts. On croise peu de cuts aussi spectaculairement parfaits.

À ce stade des opérations, il est bon de remettre le nez dans le Mojo Interview qu’accorda Charlie en 2015. Mark Paytress y cite Keef : «No Charlie, no Stones.» Un Keef qui rappelle aussi que Charlie était un batteur de jazz peu concerné par la révolution culturelle à laquelle il participait. Charlie aime à rappeler qu’il préférait Charlie Parker à tout le reste, y compris Jimi Hendrix. Il rend aussi hommage à Ginger Baker - He’s a white African - et donc à Phil Seamen, le mentor de Ginger. Charlie se souvient aussi de sa première révélation : Chico Hamilton - You must remember, jazz was very big in those days - Et Charlie cite des noms de jazzmen anglais que personne ne connaît, sauf les spécialistes : Eddie taylor, Brian Broklehurst, John Picard, Danny Moos, people nobody knows now. Puis Charlie remonte dans le temps jusqu’à Fred Below, chez Chess, et DJ Fontana chez Sun - Il ne joue pas comme jouent les batteurs aujourd’hui, he plays shuffle, swing. he’s playing country and western like a big band drummer, a 4/4 swing time swing - Il en arrive fatalement aux Stones et rappelle qu’il suivait Keef - Keef is the rythm and I would follow him. It’s very much a Chuck Berry type mentality - Il a aussi un regard très clair sur le succès des Stones aux États-Unis : à la différence des Beatles qui ramenaient leurs chanson, les Stones se basaient sur des reprises américaines et forcément ça étonne Charlie qu’ils aient pu avoir autant de succès auprès des kids américains - These white kids actually bought it. Amazing ! - Et il ajoute : «On jouait du Jimmy Reed dans des dance shows, ce qui est plutôt ridicule, quand on y pense. Mais les kids aimaient ça. On jouait à Chicago et si tu descendais un peu plus bas dans la rue jusqu’à Smitty’s Corner, tu pouvais voir the real thing. Mais ils n’allaient pas chez Smitty’s.»

En 1970, il a fallu se débrouiller avec un seul album des Stones, ce Get Yer Ya-Ya’s Out qu’on a beaucoup trop écouté. Mick Taylor n’y amène rien. Que dalle. À la limite, on préfère le «Jumping Jack Flash» des Groovies. Si on écoute «Midnight Rambler», c’est uniquement pour Charlie. Pareil pour le Sympathy qui ouvre le bal de la B : tout le jus vient du battage en règle de Charlie. Ça ne tient que par lui. Mick Taylor en fait trop. Très belle version de «Little Queenie», aw took a look at cha, c’est l’un des sommets du boogie boogah, bien allumé au coin du bois. On les voit ensuite ramener toute la musicalité du rock dans «Street Fighting Man». Les descentes de guitares croisent l’impeccabilité du drive de basse, ça claironne très haut dans le ciel du Madison, les Stones jouent à la clameur and Charlie is good tonite, hesn’t he ?

Sticky Fingers est un album à double tranchant. Impossible de s’habituer au son de Mick Taylor. Son solo dans «Sway», ce n’est plus de la Stonesy. Par contre, «Can’t You Hear Me Knocking», si, c’est la Stonesy comme on l’aime, avec une basse bien ronde dans le son et un Jag bien punk au chant - Help me baby/ Ain’t no stranger - Voilà la Stonesy mal peignée, percutée de la culasse, impavide et Bobby Keys rive le clou du cut avec son shoot de sax. Mais ce fut peut-être un peu trop groovy pour les fans des Stones à l’époque. En B, Charlie fait un carton avec «Bitch» et c’est là qu’on entend le fameux my heart’s beating louder than a big bass drum.

Il faut bien dire qu’Exile On Main St sent le remplissage. L’album qui est double ne tient que par la présence de deux merveilles, «Rocks Off» et «Happy». Charlie bat sec l’up-tempo de «Rocks Off» et Keef chante son «Happy» d’une belle voix de fausset. Le voilà à son plus frénétique. Fabuleux travail de riffing. Mais pour le reste, c’est compliqué. On les voit tenter le diable avec «Rip This Joint», jolie tentative de jump cuivré de frais et joué à la stand-up. C’est Charlie qui rafle la mise avec un jive de jump. «Casino Boogie» est l’archétype de la Stonesy qui ne sert à rien. Avec «Tumbling Dice», les Stones inventent les Black Crowes. C’est là que Chris Robinson et les autres vont venir s’abreuver. Il faut dire que la musicalité de Dice est un modèle éternel. La B est la face la plus faible d’Exile. Tous les cuts sont mous du genou et privé d’éclat, comme d’autres sont privés de dessert. Zéro idée aussi en C, à part «Happy». C’est le problème global d’Exile. Pas d’idées. Cet album est infesté de filler. Pas de quoi faire un plat non plus avec la D. Ils recyclent le riff de «Monkey Man» pour essayer de sauver «Soul Survivor», mais on ne l’écoute même pas.

Tous les fans des Stones se sont arrêtés à l’époque avec Goats Head Soup. Le vieux groove de «Dancing With Mister D» rendait l’album tolérable. On éprouvait une immense pitié pour les Stones qu’on sentait en panne d’inspiration. On écoute ce Dancing en sachant bien qu’il ne s’y passera rien de plus que ce qui s’y passe déjà. Exile nous a heureusement habitué aux faces pitoyables, et donc l’A ne choque pas plus que ça. «Doo Doo Doo Doo (Heatbreaker)» se noie dans cette A pitoyable, presque sauvé par des chœurs déshinibés et des nappes de cuivres. On retrouve deux shoots de Stonesy en B, «Silver Train» et «Star Star». Chaque fois, le Silver Train rejaillit du passé. C’est le cut oublié par excellence. Johnny Winter en fit une reprise superbe. «Star Star» est typiquement le genre de cut qu’on attend d’eux : voilà de la Stonesy pure et dure, fuck a star ! Quatre bons titres sur un album, ce n’est pourtant pas si mal. Le problème est qu’à cette époque, on attendait encore des miracles des Stones.

Dans le Mojo Interview, Charlie rappelle à quel point il a détesté le succès - Je n’ai jamais aimé ça. Oh, j’adorais jouer dans un groupe qui marchait bien, et j’adorais la scène. Mais une fois le rideau tombé, laisse tomber. Je détestais ça - Comme il détestait le flower power.

On a tout de suite détesté la pochette d’It’s Only Rock’n’Roll, même si Guy Peellaert la signe. Pochette trop arty pour les Stones ? Allez savoir ! C’est là sur cet album paru en 1974 qu’on trouve le «Luxury» que reprenait Jesse Hector. Joli coup de working so hard to keep in your luxury, monté sur le riff de Keef. Sinon, l’album propose un joli tas de Stonesy bien pépère, du style «If You Can’t Rock Me» ou «Short And Curlies», et même des cuts qui ne servent à rien comme «Ain’t Too Proud To Beg» ou le morceau titre. Voilà où mène la célébrité. On voit même Mick Taylor faire son Santana sur «Time Waits For No One», un cut qui étrangement se laisse écouter. Ils finissent cet album mi-figue mi-raisin avec une belle tentative de retour aux affaires, «Fingerprint File». Ces vieux démons de Jag & Keef savent encore touiller un dirty bag.

Paru en 1976, Black And Blue est peut-être l’album des Stones le plus détesté et donc le moins connu, sans doute à cause de ce «Hot Stuff» qu’on entendait partout à la radio et qui était leur vision du funk blanc. C’est vrai que l’A est catastrophique. Ils se prennent pour Peter Tosh avec un «Cherry O Baby» inepte et pour Rickie Lee Jones en B avec un «Melody» encore plus inepte. Et pire encore, pour Roy Orbison avec «Feel To Cry». Alors que fait Charlie ? Il frappe «Hey Negrita» sec et net. Keef sauve l’album avec «Crazy Mama» et son phrasé distinctif. On y admire une fois encore la cohésion du son. Les Stones, ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est une réalité, l’un des symboles du British sound. Keef est un guitariste qui joue avec une précision exceptionnelle, son petit riff est une véritable merveille d’intentionnalité. C’est aussi sur Black And Blue que Ron Wood fait son entrée dans les Stones. Il joue sur quelques cuts et figure au dos de la pochette.

Le Love You Live paru en 1977 est un document intéressant, quasi ethnologique. Keef y sort une fantastique version de «Happy» qui justifie à elle seule l’écoute de ce double album. C’est un peu comme si tout le dandysme des Stones s’y incarnait. Tout ce qu’on peut aimer dans le rock anglais est là, dans cette version embarquée au heavy beat de Charlie. Et curieusement, le «Hot Stuff» qu’on y trouve est bien meilleur que la version studio de l’album précédent. En B, Keef chante son vieux «Tumbling Dice» à la force du poignet et Woody se fend d’un beau solo entreprenant dans «You Can’t Always Get What You Want», mais quand même, il vaut mieux écouter la version studio pour récupérer le gospel batch. Les Stones rendent hommage aux blackos avec la C : du blues avec «Mannish Boy» et «Little Red Rooster» et du Chuck avec «Around & Around». Ils terminent avec le bouquet fatal «Brown Sugar»/Jumpin’/Sympathy. C’est vrai qu’avec ça, ils sont dans l’universalisme. Voilà trois hits puissants qui ont façonné leur époque. Le Sympathy est assez long mais ultra joué. On en a pour son argent. Les Stones ont des hits, ils s’amusent bien et ils ont raison.

Tiens, voilà l’album du grand retour : Some Girls. En 1978, tout le monde croyait les Stones finis. Les Stones ? Ces vieux has-been ? Ha ha ha ha ! C’est vrai qu’ils commencent l’album en se prenant les pieds dans le tapis avec «Miss You». Sacrilège ! De la diskö ! Mais aussitôt après, Jag fait claquer le fouet de «When The Whip Comes Down». Cut sans peur et sans reproche. Et puis de fil en aiguille, ce bal d’A va nous réconcilier avec les Stones. Si on en pince pour la Stonesy, c’est même l’album idéal. On retrouve le joli mingling de guitares dans «Just My Imagination». Serait-ce le retour de the Ancient Art of Weaving dont parle Mike Edison ? Le morceau titre est lui aussi très bardé de son. Les deux guitares jouent le jeu de la musicalité à gogo. Il semble que les Stones se réinventent avec ce retour aux sources, dans l’insatiabilité de l’Ancient Art of Weaving. Encore trois belles surprises en B, à commencer par un «Respectable» gorgé de guitares et des meilleures. Charlie mène la danse à la force de son énergie. C’est Keef qui chante «Before They Make Me Run», avec son accent biaisé et les guitares en biseau derrière. Fantastique allure de bastringue ! Il relance inlassablement son relentless, penché en avant, comme s’il chantait par en-dessous. Woody passe à la basse pour un «Shattered» tapé à l’insidieuse. Voilà ce qu’on appelle une vraie fin de non-recevoir.

Puisque Some Girls marque le retour à la confiance, alors on peut s’octroyer une écoute d’Emotional Rescue. Force est de constater que les Stones des années 80 savent encore se montrer impressionnants. Il se peut que Woody ait amené du sang neuf. C’est Charlie qui tire l’épingle du jeu en B avec son numéro de drummer dans «When The Boys Go». Il bat ça sec et en force. Il vaut largement tous les batteurs du punk anglais, il pulse à merveille. Les chœurs de filles participent aussi à la grandeur des Stones. Le hit de l’album s’appelle «Let Me Go». Merveilleux shoot de Stonesy - I tried giving you the velvet gloves/ I tried giving you the knock-out punch - Keef joint ses chœurs de fausset à ceux du Jag. On note que Bill est toujours là et on l’entend bien mener la danse de «Dance», alors que Charlie joue au fouetté de peau des fesses avec un tact qui encore une fois en bouche un coin. C’est un plaisir que d’écouter ça, rien que pour le fouetté de Charlie. Cet album ne laisse pas indifférent, on s’effare assez rapidement du son, notamment dans «Summer Romance». Le son est plein comme un œuf. Ils jouent leur vieille carlingue de Stonesy en fer blanc et Charlie bat ça comme s’il avait vingt ans. C’est aussi sur cet album que se niche l’infâme putasserie qui donne son titre à l’album et Keef vole au secours des fans avec «All About You». Il est faux dès qu’il monte son ouuhhh, mais c’est ce qui fait le charme discret de sa bourgeoisie.

Attention, le Tattoo You date de 1981, donc il ne date pas d’hier. Ce Tattoo-là est un faux album puisque les Stones y proposent les restes de sessions précédentes, comme par exemple ce «Slave» qui date des sessions de Black And Blue. On peut donc parler d’un cut sauvé des eaux. Il y a du son, quoi qu’on puisse dire des Stones d’après les Stones. C’est même assez balèze, avec ces coups de sax et ces chœurs de rêve - Don’t wanna be your slave - Mais si on écoute tous les tardifs des Stones, ce n’est pas seulement à cause du big book de Sharky, c’est aussi pour Keef, et là, il nous ressort un «Little T&A» qui date des sessions d’Emotional Rescue. Il faut le voir lancer ses She’s my little rock’n’roll. Il n’y a que lui qui puisse réussir ce sortilège. Il lance des yah keefy, il niaque son chant avec génie et derrière le son fonce comme une diligence. Puissant Keef ! Rescapé des sessions de Some Girls, voici «Black Limousine» que Jag chante comme un punk. Les Stones renouent avec le pâté de boogie. L’autre merveille de ce ramassis de rescapés est «Waiting On A Friend» qui date du temps de Goat Heads Soup. Voilà les Stones dans une espèce de pop-rock à parfum paradisiaque, ambiance Southern, good time music de rêve, pur moment de magie. Sonny Rollins blows the sax et Nicky Hopkins égrène ses rivières de diamant. C’est le cut parfait, avec des accents dylanesques et sa musicalité maximaliste. C’est aussi sur cet album qu’on trouve le heavy keefy «Start Me Up» que Charlie bat à la bravado. Comme si les Stones montraient qu’ils voulaient encore frapper un coup. Et quel coup ! Ce sont les vieux Stones, mais God, comme ils savent tenir un beat. C’est dirons-nous leur façon de chasser le doute parmi les fidèles de la vieille paroisse. Quant au reste, on peut le foutre à la poubelle. Ce sale petit voyou de Jag ruine pas mal d’efforts.

Malgré sa pochette d’une incroyable vulgarité, Undercover est un bel album de Stonesy. On note la frappe sèche et déterminée de Charlie dans «She Was Hot» et «Tie You Up» sonne comme un vieux rockalama net et sans bavures. Keef monte aux chœurs sur les ponts, et comme c’est chanté à la ramasse, ça redevient du grand art. «Wanna Hold You» est le cut de Keef. Il adore chanter ses cuts de Keef. C’est dingue comme il sait faire la différence. Charlie veille au bon grain de l’ivraie, car il cavale bien le beat. On trouve aussi des cuts de diskö-funk bizarres sur l’album («Undercover Of The Night» et «Too Much Blood») et les Stones retrouvent leur éclat avec «Too Tough», un cut qui repose une fois de plus sur le beat de Charlie. Bon d’accord, Jag chante et Keef ramène du riff de fer blanc, mais la classe du cut vient du beat. Curieusement, «All The Way Down» est encore un énorme cut de Stonesy chanté à pleine gueule. Ils continuent de produire cet excellent mix de riffs, de beat et de voix. Ils n’ont rien perdu de leur superbe.

Pochette années 80 pour Dirty Work avec des Stones déguisés en coiffeurs. L’époque veut ça. Il semblerait que ce soit l’album de Charlie car le beat est monté au devant du mix. Du coup, «Fight» devient un cut de batteur. Et comme le montre «Hold Back», Charlie n’a jamais battu aussi sec. Il joue dans la devanture du mix et ça donne du jus à ces cuts qui n’ont pas de cou. Et comme le dit si justement Edison, «Had It With You», c’est le son de Jag et de Keef qui se battent. C’est gratté à l’os et l’harmo ramène les Stones aux sources. Le cut de Keef s’appelle «Sleep Tonight». Au fond, Keef est un vieux requin mélancolique.

On trouve une belle énormité sur Steel Wheels : «Hold On To Your Hat». Les Stones sont encore capables de beaux blasts, il faut s’en féliciter. Keef introduit «Sad Sad Sad» au riff vainqueur et Charlie le bat à la dure. Voilà encore un cut de batteur avec un fort relent de Stonesy. La prod est une merveille absolue. Keef doit aimer le hard funk car voilà qu’arrive «Terrifying». Comme il a des idées de riffs en tête, il faut que ça sorte. Le «Rock And A Hard Place» qui ouvre le bal de la B est plus classique. On entend les Stones de l’époque. Charlie y bat un big break de bass drum. Edison a raison d’insister sur l’importance de Charlie Watts. Pas de Stonesy possible sans cette force de frappe. Et puis voilà le cut de Keef, «Can’t Be Seen». Quand il prend le micro, on sent nettement la différence. Il chante à perdre haleine, embarqué une fois encore ventre à terre par le beat cavaleur de son poto Charlie.

Énorme album que ce Voodoo Lounge paru en 1994. Inespéré ! Charlie casse la baraque avec «You Got Me Rocking». Charlie on the beat, yeah ! Si les Stones, n’ont pas le heavy drum beat de Charlie, ils n’ont rien. Charlie bat comme un galérien. C’est une leçon dont l’histoire se souviendra. Il fait encore des siennes dans «Sparks Will Fly». Une bombe. Tout le chant de Jag repose sur Charlie. C’est bardé de son, avec Darryl Jones on bass. Terrific ! Charlie réveille encore les bas instincts dans «Moon Is Up». Il bat tout ce qu’il peut battre. Alors Jag peut faire son cirque. C’est soutenu au concert d’orgue cajun. Encore une fois, tout repose sur les épaules de Charlie et les autres ramènent du gratté de poux sur leurs guitares. Résultat plutôt fascinant. On entend Keef charger la chaudière d’«I Go Wild». C’est le cut révélatoire de l’album, rien d’aussi explosif. Et les keefy cuts ? On en trouve deux, ici, «Thru & Thru» et «The Worst». Keef ne chante pas très bien son Thru, mais c’est Keef, il est encore capable de coups de Jarnac, d’autant qu’il part en sucette à la fin du cut. Beautiful Keef !

Avec Stripped, les Stones radotent leurs vieux tubes. Charlie bat «Street Fighting Man» comme plâtre, mais on perd toute la magie de la version originale. Puis ils flinguent «Like A Rolling Stone», «Not Fade Away» et battent tous les records d’infamie avec «Shine A Light». Jag s’y prend pour un Soul Brother, c’est comme si on voyait palpiter son anus. Rien à tirer non plus de «The Spider & The Fly» et d’«Im Free». Pareil pour «Wild Horses» : allez plutôt écouter la version originale. Ici, le Jag est insupportable. En fait on ne supporte plus le vieux Jag, on ne supporte plus de le voir ruiner ces hits magiques que sont «Let It Bleed» et «Dead Flowers». Keef sauve le set avec «Slipping Away».

Heureusement, Bridges To Babylon vole au secours des Stones. Quel album ! Démarrage en trombe avec «Flip & Switch», fracassé par Charlie le punk. Wow, on peut dire que Charlie bat ça wild. Alors Jag peut ramener sa fraise mordorée. On entend rarement des beats aussi ramassés. Tous ceux qui s’imaginent que Charlie sucre les fraises se mettent le doigt dans l’œil. Il n’a jamais aussi bien battu. C’est un batteur infernal. Il bat à la folie Méricourt. Il bat dans l’aura du no way out. Keef est juste derrière. Avec «Low Down», on sent que les Stones font l’impossible pour rester les Stones. Ils ressortent toutes leurs vieilles ficelles de caleçon, mais ça ne marche pas. «Gunface» non plus. Keef sauve les meubles avec «You Don’t Have To Hear It», un reggae de pirate, whisper in my ear, Keef nous emmène dans la cabane, il sait le faire, avec les chœurs et les cuivres. Admirable. Retour en force des Stones avec «Out Of Control» et son refrain explosif, comme à la grande époque. C’est le genre de cut qui ne prévient pas, comme un coup de boule. Retour aussi du power dans «Saint Of Me» - You’ll never make a saint of me - ce démon de Charlie bat ça wild encore une fois et Jag tire bien son épingle du jeu. Charlie bat «Might As Well Get Juiced» au hip-hop beat et on entend une belle mélasse de guitares dans le fond du beat et une fois encore, Jag se prend pour le diable. Belle démonstration de heavyness. Encore un cut de batteur avec «Too Tight», violente décharge de Stonesy, Charlie tend le beat. Puis Keef se tape la part du lion avec «Thief In The Night» et «How Can I Stop». Magie pure, on est bien obligé de l’avouer.

Faut-il écouter A Bigger Bang ? Oui, mille fois oui, ne serait-ce que pour «This Place Is Empty», cut de Keef, c’mon baby. Il est effarant de classe. Il chante sa vieille rengaine aux dents branlantes de junkie dude. Du coup, les Stones reprennent du sens, loin des putasseries de Jag. Keef et Charlie veillent au grain. Et puis on voit aussi les Stones devenir fous avec «Rough Justice». Surtout Keef et Charlie. C’est une horreur, une cavalcade infernale, une Stonesy punkoïde qui t’embarque pour Cythère, un ouragan raseur de mottes, ça déloge les bunkers, ça siphonne Tournesol, Charlie frappe comme un frappadingue. Précision capitale : Don Was produit l’album, d’où le son. «It Won’t Take Long» n’est pas de la Stonesy, mais du big heavy sound. Ça reste une aventure de rock électrique intéressante. Il faut dire aussi qu’on croise pas mal de cuts qui ne servent à rien. Il faut attendre «Oh No Not You Again» pour retrouver la terre ferme et la grosse riffalama. C’est assez violent, on assiste à un beau développé de Stonesy et c’est à Charlie que revient l’honneur de finir en beauté avec «Look What The Cat Dragged On». Charlie power ! Imbattable.

Le dernier album des Stones paraît en 2016 et s’appelle Blue & Lonesome. C’est un album conçu en hommage au blues et ils tentent de renouer avec le son de leurs premiers albums, mais sans Brian Jones, ce qui est une grave erreur. Sans Brian Jones, les Stones ne sont pas très doués pour le blues. Les problèmes commencent avec le «Just A Fool» de Little Walter. Jag y sonne comme une vieille tante de la Nouvelle Orleans. Derrière ça joue et ça bat sec et net. Quoi qu’on en pense, il faut avoir écouté ça. Et pas sur un smartphone. Il faut un minimum de son pour se faire une idée. Avec «Commit A Crime», Jag se prend pour Wolf, donc ça pose un problème. Ça ne marche pas, malgré tout l’harmo du monde. On les voit jouer aussi le morceau titre à l’extrême sincérité, mais justement, c’est là où le bât blesse : trop de sincérité tue la sincérité. Jag tente de faire illusion avec l’antique «All Of Your Love» de Magic Sam, mais encore une fois, on décroche. Il faut attendre «I Gotta Go» pour voir les Stones s’aligner sur la folie de Little Walter. Saluons leur courage. C’est gonflé de leur part. Charlie stompe le beat et sauve les Stones du naufrage. Et comme on le voit avec le heavy blues d’«Everybody Knows About My Good Thing», Keef ne fait jamais n’importe quoi. Même s’il choisit Johnnie Taylor, les Stones manquent de crédibilité sur ce coup-là. N’est pas Stax qui veut. Et si c’est Keef qui le prend au chant, on l’accepte, mais jamais Jag. No way. Retour à Little Walter avec «Hate To See You Go» tapé au heavy beat de garage blues. C’est bardé de son et d’énergie, c’mon baby/ baby please don’t go - Ils noient ensuite «Hoodoo Blues» d’harmo, et Jag chante comme à l’aube des Stones. Alors forcément, ça pince le cœur. D’autant que les Stones rendent un bel hommage au génie de Lightning Slim.

Au moment de l’interview, Charlie a 73 balais. Il pense pouvoir jouer avec le Stones jusqu’à 85 ans - C’est facile, tu t’arranges pour que le public soit heureux à la fin de la soirée - L’interview a lieu au moment où les Stones prévoient de partir en tournée pour jouer Sticky Fingers. Mais sans Mick Taylor. En même temps, Charlie avoue qu’il en a un peu marre des tournées - I want to do other than sit in a hotel in Ohio. Je veux dire que j’ai fait ça toute ma vie. Si Keef était là, il dirait : ‘Que veux-tu faire d’autre ?’ - Charlie reconnaît pour finir que les Stones sont plutôt bien conservés. Paytress lui fait d’ailleurs remarquer qu’il a toujours ses cheveux. We’ve kept a lot of it together, lui répond Charlie, surtout Mick. Mais aussi Roger Daltrey, et Ringo. Il rappelle ensuite que passé les 40 ou 50 ans, il y a des choses à faire pour pouvoir encore durer 20 ans. Paytress demande quelles choses et Charlie lui répond faire de l’exercice. Mais pas trop. Il dit détester les muscles. «Si tu as des muscles, tu ne peux plus porter un costume.» Alors Paytress lui rappelle que Ginger avait fait du vélo de course. Charlie conclut là-dessus : comme Keef, Ginger était une force de la nature. Ginger n’avait pas l’air bien ces derniers temps, mais il jouait encore comme un démon après avoir mené la vie qu’il a mené. Now that’s amazing.

Signé : Cazengler Charlie Ouaf (va chercher la baballe)

Rolling Stones. England’s Newest Hitmakers. London Records 1964

Rolling Stones. 12 x 5. London Records 1964

Rolling Stones. The Rolling Stones Now ! London Records 1965

Rolling Stones. Out Of Our Heads. London Records 1965

Rolling Stones. December’s Children. London Records 1965

Rolling Stones. Aftermath. London Records 1966

Rolling Stones. Got Live If You Want It. London Records 1966

Rolling Stones. Between The Buttons. Decca Records 1967

Rolling Stones. Their Satanic Majesties Request. Decca Records 1967

Rolling Stones. Beggars Banquet. Decca Records 1968

Rolling Stones. Let It Bleed. Decca Records 1969

Rolling Stones. Get Yer Ya-Ya’s Out. Decca Records 1970

Rolling Stones. Sticky Fingers. Rolling Stones Records 1971

Rolling Stones. Exile On Main St. Rolling Stones Records 1972

Rolling Stones. Goats Head Soup. Rolling Stones Records 1973

Rolling Stones. It’s Only Rock’n’Roll. Rolling Stones Records 1974

Rolling Stones. Black And Blue. Rolling Stones Records 1976

Rolling Stones. Love You Live. Rolling Stones Records 1977

Rolling Stones. Some Girls. Rolling Stones Records 1978

Rolling Stones. Emotional Rescue. Rolling Stones Records 1980

Rolling Stones. Tattoo You. Rolling Stones Records 1982

Rolling Stones. Undercover. Rolling Stones Records 1983

Rolling Stones. Dirty Work. Rolling Stones Records 1986

Rolling Stones. Steel Wheels. Rolling Stones Records 1989

Rolling Stones. Voodoo Lounge. Virgin Records 1994

Rolling Stones. Stripped. Virgin Records 1995

Rolling Stones. Bridges To Babylon. Virgin Records 1997

Rolling Stones. A Bigger Bang. Virgin Records 2005

Rolling Stones. Blue & Lonesome. Polydor 2016

Mark Paytress. The Mojo interview : Charlie Watts. Mojo # 261 - August 2015

 

Down in New Orleans

Avec Stuart Baker (New Orleans Funk/Soul Jazz), l’autre grand spécialiste du New Orleans Sound s’appelle John Broven. Rhythm And Blues In New Orleans est très certainement l’ouvrage de référence en la matière. Comme le dit si bien Charles Aznavour, ils sont venus, ils sont tous là. Broven brosse dans son livre le portrait de chacun des acteurs d’une scène incroyablement riche, à commencer bien sûr par Cosimo Matassa, le Sam Phillips local, auquel Fatsy, Little Richard, Lloyd Price et tant d’autres doivent tout. Passionné de son, ce petit épicier italien développa ce que Mac Rebennack appelle the Cosimo sound - strong drums, heavy bass, light piano, heavy guitar, light horn and strong vocal lead (gros son de batterie, de basse et de guitare, piano et cuivres légers et chant puissant) - Alors bien sûr, vous allez dire que c’est facile pour lui quand on a des mecs aussi brillants que Fatsy et Little Richard dans le studio, mais non, pas du tout, il faut raisonner à l’inverse, c’est parce que ces mecs sont brillants qu’il faut se montrer à la hauteur. Mac ajoute que Cosimo demandait au guitariste de doubler la bassline et aux cuivres de la renforcer. Mais ce n’est pas tout. Cosimo : «The New Orleans Sound wasn’t only based on horns and rhythm. There’s a kind of attitude to lyrics too.» (Le son New Orleans n’est pas seulement basé sur les cuivres et la rythmique. Les textes jouent aussi un rôle capital). Il cite l’exemple des Cajun guys de la Louisiane du Sud qui avaient la même kind of attitude to lyrics, oui des mecs qui savaient soigner leurs textes. D’ailleurs Huey P. Meaux travailla énormément avec Cosimo. Notons qu’en 1956, Cosimo avait déjà enregistré «Lawdy Miss Clawdy», «Tutti Frutti» et «Ain’t That A Shame». Pas mal pour un petit épicier rital, non ?

Red Tyler parle du studio de Cosimo comme d’un endroit très primitif - Si tu vas y jouer en été, tu vas avoir de sacrés problèmes, car il n’y a pas d’air conditionné - et Bert Frilot qui travailla pour Cosimo de 1961 à 1964 ajoute : «Anytime we had a recording session, that morning we’d call the French Market Ice Company and we would order two tons of crushed ice.» (Chaque fois qu’on allait enregistrer, on appelait la French Market Ice Company pour se faire livrer deux tonnes de glace pilée). Le nom de Cosimo restera donc attaché à des anecdotes aussi poilantes que celle des deux tonnes de glace pilée. Par contre, l’aspect business est beaucoup moins drôle. Le pauvre Cosimo tenta l’aventure en montant Dover Records. Il croyait réussir là où Harold Battiste avait échoué avec A.F.O. Records, mais il allait y laisser toutes ses plumes. Les sous rentraient moins vite qu’ils ne sortaient - I didn’t know anything about the record business - Pourtant il avait des hits («Tell It Like It Is» d’Aaron Neville ou encore «Barefootin’» de Robert Parker), mais ça ne suffisait pas. Les distributeurs jouaient sur les délais de paiement et Cosimo fut confronté au même problème qu’Uncle Sam à Memphis : plus de tréso. Le pauvre Cosimo n’avait pas d’Elvis à vendre pour se remettre à flot et il perdit tout ce qu’il possédait, y compris l’épicerie.

C’est Roy Brown qu’on voit en couverture de l’ouvrage de John Broven. Pour le situer, Broven dit qu’il fut le premier chanteur de Soul et que ses héritiers sont les géants du popular urban-blues, B.B. King, Bobby Blue Bland et Little Milton, auxquels il faut ajouter the early rhythm and blues output de Little Richard, de Clyde McPhatter et de Jackie Wilson. Avec «Good Rockin’ Tonight», Roy Brown started it all in New Orleans : enregistré en 1947 chez Cosimo, soit quatre ans avant que Jackie Brenston et Ike Turner n’enregistrent «Rocket 88» chez Uncle Sam à Memphis, un Rocket qu’on considère à tort comme le first rock’n’roll record. Mais dans les deux cas, on se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude : la première à hot-rocker dans ses godasses fut Sister Rosetta Tharpe en 1944 avec «Strange Things Happening Every Day». Elle y passait un petit solo hardi qui fit bander plus d’un guitariste.

New Orleans devient vite le nouvel El Dorado et le premier à en profiter, c’est Lew Chudd, le boss d’Imperial Records, label indépendant californien. C’est avec Chudd que commence la merveilleuse aventure de Fatsy, l’un des artistes les plus attachants et les plus brillants du XXe siècle. Cosimo rappelle que Fatsy était très créatif. Il savait s’approprier un air traditionnel. Broven : «Somehow Fats was rock’n’roll’s safety valve, and all he was putting down was good-time New Orleans music.» (D’une certaine façon, Fats servait de soupape de sécurité au rock’n’roll, il proposait de la good time music de la Nouvelle Orleans). Et il ajoute : «Relaxed good humour permeated his records and everything was simple and danceable.» Oui Broven a raison, sa musique respirait la joie et la bonne humeur et tout le monde dansait. Fatsy était aussi très populaire chez les Cajuns. Earl King se souvient d’avoir vu dans le bayou des juke-box bourrés de singles du grand Fats Domino. Parmi les gens qui doivent tout à Fatsy, on trouve bien sûr Clarence Frogman Henry, Joe Barry, Warren Storm, Chubby Checker, Bobby Darin et Little Milton à ses débuts. Broven dit mieux que personne la puissance de Fatsy sur scène : «Fats drove the band from the front, with immaculate drummer Smokey Johnson by his side setting up an irresistible street beat.» (Fats jouait devant sur scène et installé à côté de lui, Smokey Johnson battait l’irrésistible street beurre). Allen Toussaint qualifiait Fatsy de master of simplicity, mais il ajoute que la racine de sa légende reposait sur the studio magic created by Fats and Dave Bartholomew, with Cosimo Matassa at the control board. Toussaint a raison d’insister sur ce point : un artiste n’est jamais seul pour créer de la magie. C’est dans tous les cas une combinaison. Ici, ils sont trois : Fatsy, Dave Batholomew ET Cosimo. Dans le cas d’Elvis, ils seront quatre pour créer la magie de «That’s All Right» en 1954 : Elvis, Scotty Moore, Bill Black ET Uncle Sam.

Avec Lew Chudd, l’autre grand exploitant du New Orleans Sound s’appelle Art Rupe, boss de Specialty Records, un autre label indépendant californien. Il voyait Lloyd Price comme un équivalent de Fatsy et «Lawdy Miss Clawdy» parut en 1952. Quand Lloyd Price est appelé sous les drapeaux, il ramène Little Richard chez Specialty, et du coup, il perd sa couronne. Rien ne pouvait arrêter the wild and frantic Little Richard. Tous ses hits furent enregistrés en 13 mois, de septembre 1955 à octobre 1956, chez Cosimo, on North Rampart. Selon Mac Rebennack, Little Richard avait du talent, mais il n’eut de succès que lorsque Lee Allen and Red Tyler put that sound on him and put that hard rock feel on him. C’est le New Orleans Sound that got Little Richard across, and since he’s left that sound behind, he’s never been susscessful. Little Richard devait tout, absolument tout, au barrelhouse power de New Orleans et il commit une erreur fatale en allant ensuite enregistrer ailleurs. Pas de wild and frantic Little Richard sans New Orleans Sound, sans Earl Parmer ni Lee Allen. Il arriva la même mésaventure à Guitar Slim : tant qu’il enregistrait chez Cosimo, ça restait passionnant et tout s’écroula dès qu’Art Rupe l’envoya enregistrer ailleurs - New Orleans music does not travel (c’est un son qui ne s’exporte pas) - Guitar Slim n’enregistra que quatre cuts chez Cosimo, dont le fameux «The Things That I Used To Do», lors d’une session supervisée par Jerry Wexler, pour ATCO. Mais Art Rupe voulait Slim et il l’envoya enregistrer ailleurs, ce qui ruina sa carrière. Guitar Slim mourut alcoolique à New York. Il n’avait que 33 ans. Il était pourtant devenu légendaire : quand il jouait dans un club, il lui arrivait de sortir dans la rue avec sa guitare. Il portait des costards très voyants, rouges, blancs ou verts (the loudest green). Al Reed : «Jimi Hendrix was a latecomer with this electric sound. The man who had a hell of a lot to do with the electric sound was Guitar Slim, because his was the finest and his was about the first. No one else had done it before.» (Jimi Hendrix est arrivé longtemps après Guitar Slim qui fut le premier à jouer aussi électrique et il était le meilleur. Avant lui, personne n’avait jamais sorti un son pareil). Et Mac ajoute que lorsqu’on entend jouer Earl King, on entend Guitar Slim - But Earl was never the insane entertainer that Slim was.

John Broven évoque aussi le proto-punk de la Nouvelle Orleans, avec Jerry Byrne et Ronnie Barron. C’est Byrne qu’on retrouve dans l’ultra-mythique «Morgus The Magnificient» de Morgus and The 3 Ghouls, mystérieuse formation dans laquelle officient Mac et Frankie Ford. Pour Mac, Jerry Byrne et Joe Barry étaient «the two problem kids that I had.» Il faut préciser que tout ce petit monde tournait à l’héro. Broven évoque aussi le souvenir du grand Bobby Charles, un kid blanc qui s’imposa dans la black scene, avec ce mélange de New Orleans r’n’b et de Cajun feel qu’on appelle swamp pop et dont Ace remplit aujourd’hui de délicieuses compiles.

L’autre grand héros de Broven, c’est Johnny Vincent, d’origine italienne comme Cosimo et qui après avoir bossé pour Art Rupe chez Specialty fonda le label Ace à Jackson, Mississippi (un nom qu’allaient reprendre Ted Carroll et Roger Armstrong à Londres, en hommage à Johnny Vincent). Sur Ace, on trouvait Frankie Ford, Huey Piano Smith, Earl King, Joe Tex et... Morgus and The 3 Ghouls. Tout le catalogue Ace est réédité sur Ace en cinq volumes. On peut parler de passage obligatoire.

L’ouvrage de Broven épuise autant qu’une marche en forêt équatoriale. Il n’en finit plus de ramener des figures de légende. Tiens, Earl King, fils spirituel de Guitar Slim. Broven dit qu’avec lui, on est au cœur du South Louisiana swamp-pop style. Cosimo le considère comme un grand producteur, un homme à idées - He would be coming up with little figures that fit (Il sortait des petits gimmicks qui convenaient parfaitement) - Earl King enregistrait pour des tas de labels locaux. Broven évoque aussi les sessions organisées par Berry Gordy en 1963 avec un pack d’artistes de la Nouvelle Orleans, Eskew Reeder (Esquerita), Earl King, Joe Jones et Reggie Hall. Reeder indique que ces sessions changèrent le son de Motown qui était alors cha-cha («Shop Around») et qui se transforma pour devenir le full sound des Vandellas («Nowhere To Run»), that funky boomin’ stuff we brought up from New Orleans. Ne les cherchez pas, ces sessions pour Motown sont restées inédites.

Earl King n’eut pas le temps d’écrire son autobio, Huey Piano Smith non plus, mais par chance, John Wirt lui consacre un ouvrage, Huey Piano Smith And The Rocking Pneumonia Blues. Smith avait commencé dans les années 50 à tourner dans les clubs avec Guitar Slim, puis après avec Earl King. Comme Dave Bartholomew trouvait Smith trop parfait au piano, il lui conseilla de jouer quelques fausses notes, ‘like Little Richard’. Smith tournait avec un groupe à géométrie variable nommé the Clowns dans lequel passèrent des gens comme Bobby Marchan et Gerri Hall. Huey Smith ne jurait que par la good time music, comme Fatsy. Cosimo le traitait de driving force. Huey was hot et ses albums sortaient sur Ace.

Puisqu’on parle des labels locaux, voilà Minit monté par Joe Banashak. Mac : «Banashak was the fortunate cat to fall upon Toussaint’s services.» (Banashak eut la chance de tomber sur un mec aussi doué qu’Allen Toussaint). Banashak embauche en effet Allen Toussaint comme producteur maison et Minit devient légendaire, avec un roster composé de gens comme Bobby Womack, Ernie K-Doe et Chris Kenner qui est selon Mac, l’un des heaviest songwriters down here - I don’t think there was anybody writing better songs, from ‘Sick And tired’ to ‘Something You Got’ in the gospel tradition, and his writing influenced Allen Toussaint - Son vieux complice Marshall Sehorn dit de Toussaint qu’il fut the most talented man I’ve ever known.

Dans ce livre, Mac est à la fête bien sûr, surtout quand Harold Battiste décrit le son de Dr. John the Night Tripper : «African-New Orleans-Congo Square type of spiritual thing.» Eh oui, ça devient intéressant quand le rock se fait spirituel. Battiste sait de quoi il parle puisqu’il produisit le premier album de Dr John à Los Angeles. Personnage clé lui aussi, Harold Battiste, qui fut le boss du label A.F.O., l’un des berceaux du pur New Orleans Sound, et qui comme Cosimo, bouffa la grenouille. Battiste connaîtra des heures meilleures à Los Angeles en lançant Dr John et en produisant «I Got You Babe» de Sonny & Cher. Il va aussi co-produire Doctor John’s Gumbo avec Jerry Wexler, un album clé de la mythologie de Big Easy puisque Mac y rend hommage à tous ses héros, Huey Smith, Archibald, Earl King et Fess, aidé en cela par une ribambelle de légendes locales : Lee Allen, Ronnie Barron, Shirley Goodman, Tami Lynn et Alvin Robinson.

Restons au rayon des producteurs de génie. Voici Dave Bartholomew, qui vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois à l’âge de 100 ans. Bert Frilot le situe ainsi : «Dave Batholomew was another one of those guys that was smarter than he knew he was.» (Il était encore plus classe qu’il ne croyait l’être, pas mal comme compliment, non ?) Frilot ajoute que Bartho pouvait diriger un big band et qu’au premier abord il pouvait avoir quelque chose d’intimidant.

Broven termine son parcours du combattant avec les Meters et leur organized freedom qui fit tant baver Keith Richards. En 2015, Broven se félicitait de voir que ses deux grands héros Fatsy et Bartho étaient encore en vie. Fatsy monta sur scène pour la dernière fois en 2007 au Tipitina, un set qu’on retrouve dans le film Walking Back To New Orleans.

Marshall Sehorn : «You can go anywhere you want to: there’s no music like New Orleans music. There’s no other singers like New Orleans singers. There’s no other people like New Orleans people. Nobody else has as good a time as we do. Nobody else shakes their ass as we do, and that’s everybody, everybody from old to young, black and white, Indians, jumpin’, dancin’, carryin’ on and having a good time. And that’s what it’s all about. That’s what this city is all about.» (Tu peux aller où tu veux : il n’existe rien de comparable au son de la Nouvelle Orleans, rien de comparable aux chanteurs d’ici, rien de comparable aux gens d’ici. Ici, on prend du bon temps, personne ne danse comme on danse ici, les jeunes comme les vieux, les bancs, les noirs et les Indiens, tout le monde danse et prend du bon temps, et ça dit tout ce qu’il faut savoir de la Nouvelle Orleans).

La meilleure illustration de cette déclaration prophétique est sans doute le Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Le roi du Mardi Gras s’appelle Theodore Eugene Bo Dollis. Il chante dans un Indian Tribe nommé the Wild Magnolias, et leur premier album, The Wild Magnolias With The New Orleans Project parut en 1974. Aaron Neville : «The Wild Magnolias record was the first of its kind.» C’est ce qu’on appelle en langage tonitruant a smokin’ beast, un véritable chef-d’œuvre de funk primitif. Art Neville : «You heard everything in that music, Sly Stone, James Brown, Parliament, Funkadelic, even the Meters.» Rien qu’avec «Handa Wanda», c’est dans la poche. Wow, quel shuffle de funk ! C’est wahté d’entrée de jeu, chanté à l’Africaine et monté sur une extraordinaire assise rythmique, avec bien sûr des filles qui déraillent. Bo Dollis mène le bal des vampires. Même jus avec «Smoke My Peace Pipe», afro-cubain en diable, jazz de Soul de butt. On est dans l’excellence du beat, dans la moiteur des jazz-roots, dans l’orgie des influences - Sly, War, Isleys, JB’s, MG’s, Hendrix & Coltrane - Bo : «No pop, but that Otis Redding and Little Willie John, they were alright !». Pour Bo qui adore Otis et Little Willie John, le rêve absolu est de voir les Indian Tribes from Brazil, Trinitad, Haïti and the Wild West hanging out and having fun, Willie Tee est survolté, pas besoin d’expliquer, just listen ! On reste dans l’énormité avec «(Somebody Got) Soul Soul Soul», énorme cut de Soul System, têtu comme une mule, joué à l’excellence des percus et ramoné par le bassmatic. Sans doute avons-nous là le meilleur funk d’Amérique. Les Wild Magnolias terminent ce festin de son avec une triplette insurpassable : «Golden Crown», «Shoo Fly» et «Iko Iko». Back to Congo Square, sous tension maximaliste, avec tout le génie du carnaval et de ses coups de sifflets. Ils tapent «Shoo Fly» au funk têtu comme une mule, avec toute l’énergie du gospel batch puis Bo éclate l’Iko du Congo. Les filles sont magnifiques. Cyril Neville : «It came from New Orleans, and it also came from a deeper place, a place of alienation, double alienation, for being black and for being Indian.» (Ça vient de la Nouvelle Orleans, bien sûr, mais aussi de quelque chose de plus profond, d’une double aliénation, celle d’être nègre et celle d’être indien). Cyril parle bien sûr de marginalisation.

Sur la pochette de They Call Us Wild, les Wild Magnolias posent en grande tenue de carnaval. Au dos de la pochette, on trouve les portraits des musiciens qui les accompagnent. Black is black. Tout l’univers musical des Wild Magnolias tourne autour du carnaval. Ils tapent «New Suit» au funk de Soul très pro. Soul brother à la voix très généreuse, Bo Dollis mène bien sa barque. Le hit du disk s’appelle «Fire Water». Groove de forêt profonde et humide, ultra joué aux percus, un vrai modèle de funk africain et attention, car les Injuns arrivent avec «Injuns Here We Come» ! Bo shake bien son shit secoué de percus. Le bassman Erving Charles fait décoller le groove. Bo mâche sa niaque. Ça repart de plus belle en B avec «New Kinda Groove». Bo joue la carte du heavy groove. Il fait danser les esprits. Bo ne lâche jamais prise. La classe du groove de funk qui suit : «Jumalaka Boom Boom» ! Erving Charles joue comme un dieu. Il drive sa basse en queue de poisson. Il récidive avec «We’re Gonna Party». Ce démon d’Erving Charles crée la magie chez les Magnolias. Groove profond et luxuriant comme la forêt du Douanier Rousseau - Do you wanna party/ That’ what I say/ Party all nite long - Huitième merveille du monde.

Grand retour de Bo Dollis & The Wild Magnolias en 1990, soit quinze après, avec I’m Back At Carnaval Time. Casting de rêve : George Porter on bass et Snooks Eaglin on guitar. Bo attaque avec cet extraordinaire shoot de good time music qui s’intitule «Carnival Time» - Everybody’s happy - organique ! On a même un solo de trompette dixieland. S’ensuit un «Bon Ton Roulet» magnifique, véritable street rumble, il bong tong roulette, Bo chante au timbre fêlé. Belle version d’«Iko Iko» cuite dans son jus d’Africanité. Bo chante ses gênes de Brazzaville et de fuckin’ Servognan et tout l’album remonte ainsi dans le temps, comme une pirogue sur un fleuve inexploré. Tiens voilà «Shallow Water Oh Mama», fantastique exercice de style, soufflé à la Satchmo, c’est-à-dire aux trompettes de la renommée, mais ça joue dans la matière d’un groove, plus sophistiqué, pas loin de Miles Davis. On tombe plus loin sur l’imparable «Tipitina», ils fessent le Fess, à la trompette de tromblon, ce sacré Bo roule Tipi dans sa vieille diction salivaire. On s’effare de tant de classe, tous ces mecs du carni font un carnage et Bo chauffe à blanc le cul du cut. Encore une merveille avec «Coconut Milk». On suivrait Bo Dollis jusqu’en enfer. Si on recherche de l’organique, c’est là. George Porter fait le con sur sa basse pouet-pouet. Tout bascule dans la démesure, dans une orgie de beat et Bo is back, inlassable, mouvant, il groove tout à l’édentée patentée.

Bo Dollis & The Wild Magnolias remettent leur business en route en 1996 avec 1313 Hoodoo Street. Bo tape dans le Cuban beat avec «Run Joe». Ça se danse avec une poule dans les bras et un grand verre de rhum à la main. Ce Bo-là chante divinement, au chicot branlant. Il sonne comme le roi de la fête au village. C’est tellement plein de son que ça frise chaque fois l’énormité. On tombe beaucoup plus facilement accro de Bo Dollis que d’un disque de garage classique. Pourquoi ? Parce qu’ils s’y passe des trucs extraordinaires. Bo est un diable. «Angola Bound» pourrait bien être l’hymne à la liberté des esclaves. Bo le prend à la petite voix, accompagné par les fantômes des congas de Congo Square. Fuck, tous ces pauvres blacks n’avaient pas demandé à voyager, et encore moins à devenir les esclaves des blancs ! Mais Bo décide de prendre la chose du bon côté et fait battre les tambours. Ça donne Bo Diddley à la Nouvelle Orleans. On passe au funk avec l’excellent «Might Mighty Chief», Bo part en guerre - I’ve got a dance - mais il part en guerre sous le boisseau, en pur groover épidermique. Il tape aussi une reprise de «Walk On Gilded Splinters». C’est joué au boogaloo du lac Pontchartrain, avec le spectre de Marie Laveau en toile de fond. Bo sait réveiller les zombies. Il en fait une version bien plus authentique que celle de Steve Marriott. Les morts sont là ! Il n’existe pas de pire version. Son «Voodoo» est trop funk pour le boogaloo, mais comme Bo est un mec bien, alors on le suit. Il sabre son funk à merveille - Voodoo women ! - Les chœurs effarent au plus haut degré. Bo est dans le bain. Ça baigne pour Bo. Encore une belle rasade de funk New Orleans avec un «Injuns Here They Come» très africain, bien ramené au devant de la scène, pure africana, le son a survécu aux horreurs de l’esclavage, c’est dire si la nature humaine a bon dos. Bo salue les Injuns, c’est-à-dire les Indiens, eux aussi victimes de la cruauté des blancs dégénérés. Il termine cet album faramineux avec un «Indian Red» encore plus primitif. C’est leur façon de dire «Foutez-nous la paix !».

Quel fantastique délire carnavalesque que ce Life Is A Carnival ! Cet album peut rendre dingue, surtout si on commence à écouter «Pock-A-Nae» en regardant le Tribe danser la nuit sous le grand chêne. C’est de l’African beat funk, cette Africana qui traversa l’océan bien malgré elle, mais elle resplendit désormais de tout son éclat magique. Rien d’aussi définitif que ce funk de la Nouvelle Orleans, beat têtu et sensuel - All nite long - Pur genius, esprit vengeur du peuple noir qui mangera les petits culs blancs. «Pock-A-Nae» vous hantera. Toute la mythologie se met en route avec «Who Knows», groove Pontchartrain, digne de Dr John et mené par Big Chief Bo Dollis qui n’en finit plus de rallumer des brasiers dans «Party» - We are the Wild Magnolias/ Keen to sing you a song - C’mon, c’est digne de Sly - We’re on a party - C’est à se damner, le Tribe nous balance l’un des meilleurs rafts de funk de l’univers. Raw to the bone ! On vendrait son père et sa mère pour un cut aussi beau qu’«All On A Mardi Gras Day», joué au duveteux de la Nouvelle Orleans, avec un coup de tuba dans le cul du cut. Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? Et voilà le Zulu King, c’est le carnaval, tout le monde danse. «Shanda Handa» sonne assez Dr John, c’est même envoûté de frais, on mesure l’emprise du hoodoo sur le rock blanc. Tout Dr John vient de là, du monde des esprits. Oui, l’Afrique a vraiment débarqué sur le continent. Avec «Cowboys & Indians», on retrouve l’esprit de Splinters, fabuleux groove de cimetière à la nuit tombée joué aux percus. On parlait du loup, le voilà : Dr John joue sur «Blackhawk», nouveau cut d’ambiance subliminale, monté sur un sale groove de mousse de cimetière abandonné - When I come down to New Orleans - Ils racontent leurs routes et leurs déroutes. Tout cet album vibre de hoodoo motion, de pulsion carnavalesque, d’all nite long, on entend jouer un guitar king du coin de la rue dans «Battlefield» et Marva Wright vient débaucher le funk-monster «Hang Tough», elle s’y arrache les ovaires, Bo Dollis l’allume et elle répond du tac au tac. Encore un chef-d’œuvre violent et dangereux avec «Tootie Ma», digne de David Lynch et des exécutions sommaires auxquelles on assiste furtivement dans Wild At Heart.

Un autre Indian Tribe vaut largement le détour : The Wild Tchoupitoulas, avec un album du même nom paru en 1976. Même genre d’extravagance, ces mecs posent en costume d’Injuns de carnaval, mais cette fois, Allen Toussaint les produit et les Meters les accompagnent. Leon, George, Zigaboo, ils sont tous là. Le boss s’appelle Big Chief Jolly et il mène le bal du gospel carnavalesque. Personnage clé dans l’histoire des Neville Brothers puisque George Landry, aka Big Chief Jolly, n’est autre que leur oncle. Ce junkie notoire et dealer local passe ses nuits en ville et rentre au petit matin en sifflotant. Charles Neville : «Always sharp. Hats for days.» Toujours sur son trente-et-un et coiffé d’un chapeau. Aaron raconte qu’Uncle Jolly s’asseyait au piano pour jouer (to bang out) ‘Junkie Blues’. Et bien sûr, Uncle Jolly porte une arme. Un jour, la police l’accuse d’avoir accosté une blanche. Les poulets commencent par le mettre en cage pendant 72 heures. La question n’était plus de savoir si l’histoire était vraie, si Jolly connaissait cette femme, s’il l’avait même déjà vue. La blanche est catégorique, même si pour elle tous les nègres se ressemblent. Alors les poulets mettent la pression sur Jolly. Tu vas avouer, niggah ? Impossible. Pourquoi ? Parce que Jolly ne peut pas avouer un truc qu’il n’a pas commis. Les coups commencent à pleuvoir. Bim bam ! Jolly tient tête. Mais non, j’ai rien fait ! Alors les flicards lui disent : «Baisse ton froc» et le placent face à un bureau. Un poulet ouvre un tiroir, dit à Jolly d’y mettre ses couilles et claque le tiroir. Cyril Neville : «They nearly beat him to death. Ils l’ont tellement rué de coups qu’il n’entend plus d’une oreille. Mais il a réussi à garder sa dignité et ils ont été obligés de le relâcher.»

Ce héros de la famille Neville dit un jour à ses neveux qu’il voudrait bien enregistrer un disque comme celui des Wild Magnolias. Son idée est simple : il veut une musique qui puisse exprimer l’esprit et l’âme de son Uptown tribe. Comme il revendique le sang indien qui coule dans ses veines, ses neveux lui proposent «Indians Here We Come», un groove à la Dr John. Fantastique décontraction de groove - I’m sending my gang down two by two - Ils tapent ensuite dans un hit des Meters, «Hey Pocky A-Way». George Porter entre dans le lard du funk à la syncope. Zingaboo souligne ça finement. On est dans l’archétype du New Orleans Sound, joué à l’épisodique miraculeux. Les voix éclatent dans le blossom de la légende. L’«Indiand Red» qui ouvre le bal de la B est un hymne à la révolte - We are the Indians of the nation/ The wide wild creation/ We won’t kneel down/ Not on the ground - Fantastique déclaration d’indépendance, les Tchoupi gèrent ça au gospel batch. S’ensuit un fantastique «Big Chief Got A Golden Crown» avec de paroles mythiques - Mardi Gras morning when the sun comes up/ Big Chief gets a golden crown/ Drink fire water from a silver cup - Joli groove vermoulu, idéal pour danser dans la rue avec Martha. Encore un joli slab de funkitude avec ce «Hey Mama» joué aux congas de Congo Square - Hoon don day - C’est rythmé au don day ! Pour Cyril Neville, voir son oncle chanter, c’était comme de voir un roi : «It was royalty, funky royalty. The gooves were dance grooves, parade grooves, party grooves. It was a music of motion, a music that moved us to change our lives.» Aaron Neville pense que cet album enregistré avec Uncle Jolly est un disque saint. Uncle Jolly veut enregistrer un deuxième album, mais quand il voit si peu de blé arriver, il décide d’arrêter les frais : «Screw ‘em. I ain’t recording for those guys again.» Jolly propose de partir en tournée et ils déboulent en Californie avec Fess.

Wardell Quezergue est l’une des légendes du New Orleans Sound des années soixante et soixante-dix. Mais il est beaucoup moins connu qu’Allen Toussaint. Pourtant, dès qu’on met le grappin sur l’une de ses production, on tombe de la chaise et ça fait mal au cul. La preuve ? Cette compile inespérée qui s’appelle Sixteen Smokin’ Soul Senders Vol. 1 et qui sonne comme un Best of Stax, mais avec un petit quelque chose de particulier : les artistes qui s’y trouvent sont notoirement inconnus, à commencer par l’immense Lydia Marcelle et son «Everybody Dance». Une pure énormité sortie des Districts - C’mon baby do the jerk - Elle chante comme une sale petite carne des bas fonds, elle ramène tout le scum des streets, ça clap du hand et ça stomp du feet. Révélation suprême et timbre unique. Un peu comme Earl-Jean McCrea. L’autre grosse poissecaille de cette compile miraculeuse s’appelle Senator Jones. Il est là avec deux smokin’ monsters, «Let Yourself Go» et «Boston Feel». Il y est soutenu par des chœurs de filles complètement délurées. Vous n’aurez ça qu’à la Nouvelle Orleans. Senator Jones chante avec une vraie voix d’arrache. Il a ce petit quelque chose que n’ont pas les autres. Si vous aimez bien le raw r’n’b, c’est là que ça se passe - Do the Boston feel ! - Tiens, voilà encore une incroyable merveille d’Ali Baba : the Jades avec «Lucky Fellow», un fabuleux hit de groove de Soul. C’est même la part du rêve, le hit absolu des jours heureux. Idéal pour les petits cœurs serrés. Et ça repart de plus belle avec the Fabuletts et «Can’t Stay Away», encore une belle lampée de r’n’b. Tout y soigné, le son, les chœurs, les cuivres, c’est du hot raw de rêve. Et les Bates Sisters s’amusent à sonner comme les Ronettes. Yeah baby, on se croirait chez Phil. Elles y croient dur comme fer. Et puis voilà Guitar Ray qui radine sa fraise avec «Patty Cake Shake», un hit roulé dans la farine d’une basse bien ronde. C’est d’une classe indécente. Vous ne trouverez pas un seul déchet sur cette compile. Tout est nickel chez Wardell. Il visait de toute évidence le public Stax, mais comme les labels locaux n’avaient personne pour les distribuer, c’est resté lettre morte. On y entend aussi l’immensément immense Earl King avec «Feeling My Way Around». Quelle brochette de surdoués !

Autre légende du New Orleans Sound, Eddie Bo. Un conseil, chopez Baby I’m Wise. The Complete Ric Singles 1956-1962, une compile Ace plutôt récente. Ne serait-ce que pour entendre «Hey There Baby», un cut digne des Beatles mais avec un batteur dément. Un vrai dingue du beat et le petit solo de sax n’y changera rien. Bo the beat fait le show. Il faut aussi entendre ce coup de génie intitulé «Check Mr Popeye», ce funk bien vermoulu qu’il l’emmène au paradis - Oh do the papah - Eddie Bo est aussi le grand spécialiste du slowah super-frotteur. On en trouve une série sublime dans cette compile, à commencer par «I Need Someone». Eddie chante comme un crocodile, les mâchoires en cœur. On note son incroyable prestance et la qualité plastique du chant l’élève au plus haut rang du kitsch. Même chose avec «Nobody Without You», slowah effarant de présence décadente et de fleurs fanées - Please/ Please come back - Ou encore «Everybody Everything Needs Love», vieux slowah gluant qu’il chante au-delà de ses capacités. Eddie est un démon, il faut le savoir, un extraordinaire artiste, il pousse les choses aux max du mix. On le voit aussi taper dans le r’n’b rudimentaire avec «Every Dog Got His Day». Eddie est une génie du chachapoum de balloche louisianaise, et il se paye même le luxe d’un killer solo de sax. Alors il tombe et remonte, affolant de petite énergie. Il tape aussi dans le heavy blues avec «You Got Your Mojo Working». Ah comme c’est bon ! On est dans le Ric d’époque, c’est-à-dire dans l’underground louisianais de l’excellence. Avec «It Must Be Love», Bo se plonge dans le heavy groove romantico - I wonder - Il se demande pourquoi il est si stupide. Il passe au rock de petite bite avec «Ain’t It The Truth Now» et attention à «What A Fool I’ve Been», c’est à tomber. Il tape là dans l’excellence du kitsch, c’est battu aux congas et nappé de violons. Extraordinaire ! Voilà encore une raison de ne pas perdre Eddie Bo de vue. On le voit danser «Dinky Doo» au coin du juke, il y va à coups de ya ya ya. Il adore aussi le jump comme on le constate à l’écoute de «Ain’t You Ashamed», il chante ça à la fritaille, avec du guitar gimmick de luxe. Ah le veinard ! Eddie Bo ne se refuse rien. C’mon Bo ! Il termine avec le morceau titre, qui est un hit du grand Lee Dorsey - Baby you’d better be movin’ on !

Autre passage obligé pour tout amateur de New Orleans Sound : Clarence Frogman Henry. Grâce à Ace, on peut se goinfrer en écoutant Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Comme Eddie Bo, Forgman Henry est un artiste complet et assez fascinant, il faut le voir attaquer «Ain’t Got No Home», ce typical jive de juke monté au oh wooh wooh. Il chante ça d’une voix de gonzesse et ça bascule dans le hot kitsch et puis cet enfoiré redescend chercher son meilleur baryton pour créer de l’expressionnisme. On ne trouve pas ce genre d’artiste sous le sabot d’un cheval. Cette compile pullule de petits hits de juke, à commencer par «Cajun Honey», fantastique coup de mon cher ami, aw quel punch, encore une histoire de fille qui rend fou - You’re driving me wild - Tout aussi excitant, voilà «That’s When I Guessed». Il passe au groove de boogaloo avec «Shake Your Money Maker». Frogman sait jiver sa petite affaire. Il nous propose les meilleures conditions du groove. C’est là qu’on danse avec les loops. Avec «Saving My Love For You», il se montre tout simplement extraordinaire de prestance. Un patron blanc dirait de lui : «C’est un bon esclave !». Il tape dans Meaux avec «Think It Over». C’est noyé d’orgue et Frogman sort des grosses mains balladeuses pour tripoter le cul du cut. Effarant ! «Baby Ain’t That Love» semble gravé dans le marbre de l’underground louisianais. Il sait aussi faire du Fatsy. La preuve ? «Cheatin’ Traces». Il tape aussi une cover du «Sea Cruise» de Frankie Ford, mais il la prend trop reggae et ça ne marche pas. On note au fil des cuts l’extraordinaire santé de cette compile. On passe en effet de genre en genre et Frogman suit le mouvement. Quand il tape dans le heavy blues avec «I Can’t Take Another Heartache», ça devient passionnant, car il sait titiller son blues d’un doigt expert. Il traite «Hummin’ A Heartache» à la maturité de bon aloi. C’est un vieux pro. Il sait jiver un jive et chanter du nez. Lorsqu’arrive «It Went To Your Head», le son se modernise considérablement. Attention, c’est encore du Meaux. C’est ultra-joué à la guitare. Joli coup de Tex-mex avec cette reprise de Doug Sahm, «We’ll Take Our Last Walk Tonight». C’est bardé de coups d’harmo et Frogman en fait une merveille élégiaque. Et quand on écoute «You Can Have Her», on se dit qu’on est bien dans ce coup d’Ace. Eh oui, Ace sait tisonner les vieux braseros et créer les conditions de la légende. Une chose est bien certaine, Frogman Henry en est une. Encore du Meaux avec «Mathilda». Huey P. Meaux s’y connaît en rock motion, aucun doute là-dessus. Frogman tape dans la country avec «In The Jailhouse Now», il gère la chose au mieux des possibilités. Chez Meaux, on ne fait pas n’importe quoi. Quel son ! Voilà ce qui s’appelle une production ! Le heavy groove d’«A Certain Girl» se montre digne de Slim Harpo et cette compile se termine avec «Shock-A-Dilly Alabam» - I was born/ Just across the river/ In a little town - On se trouve une fois plus noyé dans le meilleur groove d’Amérique et il loue les musiciens qui l’accompagnent - Come on Jojo !

Puisqu’on dans les passages obligés, en voici un autre : The Dave Barholomew Songbook. The Big Beat. Toujours Ace. On n’imagine pas à quel point Dave Bartholomew fut sollicité en tant qu’auteur. Bien sûr, ça commence par Fatsy, mais tous les grands artistes américains ont tapé dans ses chansons, à commencer par Elvis avec «Witchcraft» (Il jive ça comme un king), Jerry Lee Lewis avec «Hello Josephine» - Hello Josephine/ How doo/ Youuu/ Doooo - Brenda Lee avec «Walking To New Orleans» (Fantastique et juvénile, c’est presque aussi beau que la version de Fatsy) et bien sûr Dave Edmunds avec «I Hear You Knocking» (pur génie, ce Gallois sorti de nulle part qui nous Slim Haponise Bartho). On profite aussi de l’occasion pour réécouter «The Fat Man», vieux coup de ramdam de piano drive. On peut même parler de beat des origines. Là mon gars, tu es aux sources du rock avec ce petit gros qui pianote comme un dingue. Il ventricule son beat à l’orée du bois. Laisse tomber les autres, c’est Fatsy qu’il te faut. Shirley & Lee, c’est du même acabeat. Avec «I’m Gone», on a le duo le plus sexy de toute l’histoire du rock. C’est elle, la reine du groove juvénile, elle dégouline de génie purulent. Dans cet enfer, le pauvre Lee tente de faire surface, mais c’est elle la coche qui ouuuh-ouuuhte le babïïï. Elle est perçante, elle chante du ventre, elle est la source du rock, la pure source de tout le sexe du rock. Prodigieux ! Tiens, encore une folle de la Nouvelle Orleans : Annie Laure, avec «3x7=21». Elle tape ça au gospel batch, elle jazze son dam doo leum dah bam bam et là tu as Ella, tu as aussi Miles qui vient schtroumpher du solo de wah dans l’ombilic des limbes. Ces gens sont sublimes. Tout aussi dévastateur, voilà Smiley Lewis avec «Down The Road». Ah t’as voulu voir Vesoul ? Alors voilà Smiley. Il joue comme une brute. Il chante au gras du yes I’m gone et le solo de sax sonne comme une pétaudière. On a là un extraordinaire drive de New Orleans Sound. Smiley chante comme un démon, yes I’m gone, il défonce la rondelle des annales. Tout aussi explosif, voilà «Ain’t Gonna Do It» des Pelicans. Ils jouent ça à l’énergie concomitante, c’est un délire de good time music. Mais qui ira écouter les Pelicans ? On ne connaît même pas leur existence. Par contre on connaît celle du Johnny Burnette Trio qui tape une belle cover d’«All By Myself». Évidemment, ils claquent ça au jive de rockab de fière allure. On trouve aussi l’un des tout premiers rockers d’Amérique sur cette compile : Roy Brown, qui explose «Let The Four Winds Blow» - Have you heard the news - Quelle énergie ! C’est battu à la diable. Ce shuffle énergétique n’existe nulle part ailleurs. Encore un autre roi du shuffle : Bobby Mitchell avec «I’m Gonna Be A Wheel Someday». C’est joué à l’extrême des possibilités. Rien d’aussi jivé de la ciboulette que ce truc-là. D’autres merveilles impitoyables guettent l’imprudent voyageur : «Everynight About This Time» par les Fabulous Upsetters, ou encore l’implacable «Blue Moday» repris par Georgie Fame. Et combien d’autres encore ? Il faudrait s’étendre sur Keith Powell, Tami Lynn ou encore Bobby Charles. C’est vrai qu’on n’en finirait plus.

Le mot de la fin revient à Dr. Ike Padnos, cité par John Broven dans sa bible : «New Orleans rhythm and blues, by mixing in the influence of the territory bands, Louis Jordan, and boogie-woogie piano, kicked off with Roy Brown’s ‘Good Rocking Tonight’ in 1948. Then a year later Fats Domino’s ‘The Fat Man’ helped usher in the birth of rock’n’roll with Earl Palmer laying down a subtle backbeat and Dave Bartholomew’s arrangements of the horns doubling up on top of the rhythm section.»

Signé : Cazengler, new orléon de Bruxelles

Wild Magnolias With The New Orleans Project. Polydor 1974

Wild Magnolias. They Call Us Wild. Barclay 1975

Bo Dollis & The Wild Magnolias. I’m Back At Carnaval Time. Zensor 1990

Bo Dollis & The Wild Magnolias. 1313 Hoodoo Street. Aim 1996

Wild Magnolias. Life Is A Carnival. Metro Blue 1999

Wild Tchoupitoulas. ST. Antilles 1976

Wardell Quezergue. Sixteen Smokin’ Soul Senders Vol. 1. Night Train International 2002

Eddie Bo. Baby I’m Wise. The Complete Ric Singles 1956-1962. Ace Records 2015

Clarence Frogman Henry. Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Ace Records 2015

The Dave Barholomew Songbook. The Big Beat. Ace Records 2011

John Broven. Rhythm And Blues In New Orleans. Pelican Publishing 2016

 

DISARRAY

ACROSS THE DIVIDE

( Digital Album - 02 / 12 / 2020 )

 

Les ai vus trois fois en concert. Ce n'est pas un mythe, il fut un temps où l'on pouvait voir des concerts, je vous assure que cela a existé, j'avais chroniqué leur album Encounters, j'ai souvent jeté un œil sur leur FB, ne se passait pas grand-chose, je me doutais que dans leur coin ils devaient trimer et tramer quelque plan secret, et au deuxième jour de décembre ils ont sorti un nouvel album, précédé de quelques clips sur You Tube, un acte de courage, mais ils ont raison c'est au petit matin du deux décembre que les canons ont brisé la glace d'Austerlitz, et fissurer la chape de plomb qui est tombé sur le rock est une louable initiative.

La pochette mérite d'être vue. Au début vous souriez, quel besoin d'écrire le nom du groupe en si gros sur la pochette, seraient-ils en pleine crise mégalomaniaque. A croire qu'il n'existe qu'eux dans ce bas-monde. Faut scruter l'ocre-orangé pour visualiser la vestale en ses voiles blancs qui va de l'avant les yeux bandés. Son pied-nu frôle la pierre usée d'un porche, serait-ce l'entrée d'un temple abandonné. Derrière elle l'orée d'une forêt embrumée, peut-être simplement un parc déserté, en tout cas, un sentiment de solitude, ambiance romantique, l'on songe aux somptueuses et mélancoliques proses de Chateaubriand et l'on se dit que si le nom du groupe voile la photo de la couverture, ce n'est pas du tout une naïve manifestation de fierté mal-placée mais une mise en situation de l'auditeur, ne sommes-nous pas des aveugles qui marchons dans la vie sans rien savoir de très précis de là où l'on va, même si l'on associe l'idée de mort à la plus néfaste et angoissante noirceur... D'ailleurs le premier titre n'est guère encourageant...

Black hole : étrange il y a de la musique mais la voix d'Alexandre est si prenante qu'il vous capte et que vous n'entendez qu'elle, s'il y a un trou noir c'est elle dans laquelle vous vous engloutissez, rassurez-vous nous ne sommes ni dans l'espace ni dans la guerre des étoiles, la cavité ombreuse qui vous emporte est à l'intérieur, maintenant vous pouvez entendre le ruissellement du métal, une pluie qui claque et qui lave, vous enferme dans un cocon, car si la désolation est au-dedans de vous, la lumière aussi, il suffit d'oser le voyage de ne pas se perdre dans les mers de noire solitude, juste un passage, un étroit et immense boyau, un tunnel sans fin dont vous finirez par joindre le bout. Superbe intro, une espèce de récitatif sauvage, un rugissement sans fin de lion. Burried memories : harmonieuses glissades, les guitares ont l'air de s'enfuir, comme un relent de fête, mais cela ne dure pas, l'épreuve ne fait que commencer, une espèce de jeu-vidéo, une partie que vous n'avez pas le droit de perdre, l'ennemi est le plus terrible qui soit, vous n'en rencontrerez jamais de pire, vous le connaissez bien, est-ce pour cette raison que cette piste est une épilepsie joyeuse, renforcée par le chœur des voix, hachée par Alexandre, l'alien est en vous, vous êtes l'alien de vous-même, une bête sombre qui vous hante et qui surgit la nuit pour vous attaquer. Une course-poursuite, une chute sans fin à l'intérieur de vous-même, le morceau s'arrête brusquement, avez-vous touché le fond, allez-vous être enseveli sous des morceaux de vous qui tombent sur vous... Invincible : tambourinades, bruits de forges titanesques, je suis un peu comme ces martiens de la guerre des mondes d'H. G. Wells qui se réparaient eux-mêmes après avoir été touchés par les obus et les torpilles, la plus grande violence est en moi, morceau tornade, morceau limite, de mes défaites je construirai mes victoires, ma vie sera une tour érigée pour détruire l'univers, ce qui m'a tué m'a rendu plus fort que la mort, plus fort que la trahison. Un vent de haine et d'allégresse souffle dans les voiles de la vengeance. Oblivion : tout va trop vite, kaos dans la tête, sont-ce des rêves ou des claquements de metal qui s'échappent, la voix d'Alexandre déchire les certitudes, des chœurs venus d'ailleurs creusent des espaces immenses comme des cathédrales stellaires, l'on ne sait plus si l'on est dans un film de science-fiction ou dans soi-même, la vitesse exponentielle du déluge musical ne vous aide pas à garder vos idées claires. Gold : Axel ouvre le vocal mais Alexandre l'éventre, l'or scintille et corrompt, ne reste qu'à le rejeter, qu'à le maudire, et à abandonner ceux qui l'utilisent comme monnaie d'échange, un cri de colère et de dégoût, le groupe devient fracas hurlant, une hystérie musicale, ne s'agit-il pas de détruire la société. (S)Hell : la musique ronronne, ce n'est pas un chat mais une bête hideuse qui s'éveille dans la gorge d'Alexandre, c'est le démon du bien, celui qui promet de tout recommencer, générique de film à gros budget et multitudes de figurants, grandiloquence des grands sentiments, les promesses n'engagent-elles que ceux qui les croient, l'œuf dans le nid que l'oiseau couve n'est-il pas celui d'un serpent. Brisez la coquille, vous entendrez l'enfer. To the bone : très rock, un cri de haine, l'envie de cracher sur sa gueule, les chœurs comme des oiseaux moqueurs et le vocal tel un procureur qui condamne et maudit, tu ne fais plus partie du clan, les mots claquent comme les lanières d'un fouet. Damnation, retranchement définitif de la communauté humaine. Lost : il existe sur YT une magnifique vidéo verticale oppressante à souhait. Pas d'attente, musique concassée un peu à la manière de Linkin Park . Sans appel. Sans rappel. Le constat froid et glacé de l'échec de la civilisation humaine. Quelques survivants qui errent sans but. Danny Louzon de Nakht est venu en renfort pour bazooker le vocal sans rémission. Des éclats de haine retournée envers soi-même. Un monde et une musique sans résilience. Même pas le no future, juste le no tout court. Un non-avenir qui fait froid dans le dos. Une explosion désatomisée. By any means : très belle vidéo verticale à regarder en vis-à-vis de la précédente, elles forment un véritable diptyque. Après la perdition, l'apaisement, la possibilité d'un recommencement, musique plus douce, un orage bienfaisant qui redonne vie. Serait-ce la fin du cauchemar. Etrange comme les éraillements d'Alexandre paraissent dans l'immense vacarme de l'album une berceuse douce et tendre. Addiction : encore un pas en soi-même, un chant de rouille pour avouer la vérité, un bien grand mot pour nommer un souvenir inoubliable, juste un chagrin de rencontre, qui vous a emmené dans les ténèbres intérieures, parfois l'on a l'impression que le metal se fait violon, l'a beau se reprendre tout casser et concasser, rien n'y fait l'addiction est un poison, en eaux troubles, l'addiction est un plaisir. Between You & Me : des cordes comme des perles de rosée. Tout dire, tout vomir, faire le point et le poing, ce que l'on garde et ce que l'on chasse, Alexandre dégueule le vocal, bile noire et bile sanglante, les guitares deviennent les clairons de la victoire, les voix s'éloignent dans le lointain. Fastueuse emphase finale de l'orchestration. Le rideau tombe.

Unité rythmique et sonore. Le vocal d'Alexandre est le fil noir qui traverse l'œuvre de part en part. La batterie de Maxime Weber gronde et galope telle une nuée menaçante et dévastatrice. Elle ne faiblit jamais. Il est important d'entrevoir la guitare d'Axel Biodore et la basse de Regan MacGonam en tant que chants lyriques de grande amplitude. Ecouter ce disque c'est entrer dans une immense symphonie vocale qui ne faiblit jamais. Un grand vent qui vous emporte et vous ravage.

Damie Chad.

 

LA FIN DU ROCK

MARC SASTRE

( Les fondeurs de briques / Janvier 2021 )

 

Rock is dead, titre posthume des Doors publié en 1997, mais enregistré en 1969. De l'eau a coulé sous les ponts depuis. Plus d'un demi-siècle... Et voici que Marc Sastre nous propose ces quatre mots qui tuent, la fin du rock, comme disent les bluesmen, il n'y va pas avec le dos de la spoonfull. Marc Sastre n'est pas un inconnu pour les kr'tntreaders, nous avions chroniqué son Jeffrey Lee Pierce. Aux sources du Gun Club in Kr'tnt 160 du 23 / 10 / 2013. L'on avait beaucoup aimé à tel point que l'on s'était intéressé à deux de ses recueils de poèmes, L'homme percé et Aux bâtards de la grande santé dans notre livraison Kr'tnt 190 du 22 / 05 / 2014.

Avis aux amateurs, ceci n'est pas une histoire du rock'n'roll qui se terminerait par de vagues considérations sur l'essoufflement du genre et conclurait sur sa prochaine et rapide extinction. Le livre serait plutôt à ranger parmi les essais éthiopathiques. La disparition du rock n'est pas une fin en soi. Si vous désirez savoir pourquoi le rock est mortel, il est d'abord nécessaire de savoir pourquoi le rock existe. Tout phénomène nécessite la cause qui l'a engendré dixit Aristote, le rock'n'roll n'est pas l'exception qui confirme la règle. Encore faut-il s'interroger sur la notion du pourquoi dont émane un parfum trop eschatologique, qui tendrait à faire accroire que le rock'n'roll est apparu pour sauver le monde. Très prudemment Marc Sastre se contente de réfléchir sur les circonstances qui ont permis au rock'n'roll de se déployer, restons terre à terre, remplaçons l'élucidation du pourquoi par l'interrogation du comment.

Question de méthode. Tout de suite l'on se heurte à un grave problème. Même si l'on part du pire, du principe que le rock est à deux pas de sa tombe, qu'il est moribond, qu'il n'en a plus pour très longtemps, il n'en empêche pas moins que le rock n'étant pas encore tout à fait mort, il est encore vivant, étudier un phénomène dont on fait partie, dont on est encore partie prenante, et en dresser son certificat de décès est chose impossible, celui qui dit en ses derniers instants je meurs sur son lit d'hôpital au milieu de multiples perfusions est encore en vie même si l'annonce s'avèrera très vite avoir été prophétique... Marc Sastre réussit à contourner – et c'est en cela que réside la force de son livre qui n'excède pas cent pages – cet obstacle épistémologique. Pour annoncer la mort du rock, vous pouvez garder un pied à l'intérieur du rock si cela vous chante – en fait parce que vous êtes incapable de faire autrement - mais il faut avant tout s'en extraire, s'en libérer.

Le rock n'est pas né de la Sainte Vierge, il est le fils utérin de la domination marchande du monde. Ce n'est pas un hasard si l'opuscule débute non pas dans un champ de coton mais à la Renaissance, à ce moment conceptuel précis où la technique permet à l'homme occidental de se rendre maître de sa planète, encore moins si ce premier chapitre a pour titre : à la croisée des chemins le diable conduisait une Ford T, laissez le Diable se dépatouiller avec Robert Johnson, concentrez-vous davantage sur la voiture, un instrument de libération clamera-t-on dans les années soixante, car l'on est toujours séduit par les riches couleurs du serpent dont vous êtes mordu. Heidegger vous énonce la même chose mais il ne parle pas de l'encombrant reptile, il laisse le dangereux ouroboros à Nietzsche, mais ceci est une autre histoire. Enfin si l'on veut car l'histoire de la fin de la philosophie ressemble étrangement à celle de la fin du rock'n'roll, celui qui l'annonce y est encore empêtré en plein dedans.

Chacun a son anecdote croustillante à raconter, pour Marc Sastre il met en scène The Clash, un groupe qui pour moi ne vaut pas tripette mais chacun de nous possède ses propres histoires d'amour-haine bien plus véridiques que celles de tous les autres... Arrachons-nous les paillettes exaltantes de nos yeux exaltés, le rock'n'roll a partie liée avec quelque chose qui nous dépasse tous, la domination économique du capitalisme productiviste – comme par hasard c'est en ces années-là que le rock'n'roll est le plus imaginatif, le plus créatif - et puis libéral, la finance coupe les vivres à la production – le rock s'étiole, s'éparpille, le serpent se mord la queue – c'est le moment idéal de sortir le couplet idéal que tout le monde attend.

Le rock est une musique de révoltés. De laissés pour compte. De ceux qui ont refusé de pactiser avec le Capital – à moins que ce ne soit cette hydre tentaculaire qui ait négligé de leur glisser le minimum vital – le pire c'est que c'est vrai et totalement faux. Certes, le blues, le rock, le rap sont à l'origine des musiques mises au point par des couches délaissées de la population. Ces premiers de corvées – et encore souvent ils se contentent de claquer du bec la bouche ouverte car il n'y a pas de travail pour tout le monde, car le travail est la seule richesse des pauvres et il n'est pas bon qu'elle soit partagée entre tous – sont les véritables héros du rock'n'roll.

Tu parles Charles. Tu n'as jamais entendu parler du grand retournement. Ah ! mes cocos vous aimez le rock, souriez vous êtes filmés ( soyez modernes faites des selfies ) vous voulez du rock, l'on va vous en vendre du rock, du beau, du bon, du gras, tous les styles, tout ce que vous voulez – cela s'appelle diviser pour mieux régner – nous aussi on a lu Marx, la marchandise on va vous la fétichiser à outrance, vous allez connaître non pas la malédiction mais l'addiction ( ce qui est beaucoup plus diabolique ). La porte des élus sera étroite, pour des milliardaires comme des Stones combien de crève-la-faim, non ne les plaignez pas, ils possèdent quelque chose de bien plus précieux que les grosses liasses de bank-notes, ils ont le rêve dans leur tête dont ils ne veulent pas se défaire, dont ils refuseront de se départir d'une seule miette. Etrangement cette musique de laissés-pour-compte aide à les maintenir dans leur dépendance, le rock'n'roll participe d'une démarche oppressive, réactionnaire, conservatrice, anti-révolutionnaire. Tout ce que vous inventez, tous vos crans d'arrêt, on vous les rend, on vous les vend, en plaqué-or, armes émoussées que vous brandissez fièrement et retournez contre vous.

O. K man Sastre, tu parles d'or et tu causes de toc, mais le rock dans tout ça ? Je vous rassure, le rock ce n'est pas qu'il ne connaît pas, il en jacte en mec qui en a fait la colonne vertébrale de son implantation dans le monde. Et le livre regorge de magnifiques évocations, ce mec sent le rock, il est son propre sang, il l'a fait sien, ou plutôt c'est le contraire c'est le rock'n'roll qui a donné un sens à son existence et permis d'accéder à une vie plus pleine, plus riche, plus enthousiaste. D'où cette inquiétude devant ce recul du rock dans la culture contemporaine. Sans doute un jour qualifierons-t-on le moment historique que nous vivons comme celui de la recul-ture, un truc encore pire que le no future des punks car il n'y a pas que le rock qui recule, de nouveaux âges d'obscurité se mettent doucement en place.

N'est pas vraiment optimiste le Sastre. Le sastrisme est encore plus décourageant que le sartrisme. S'en tire par la consolation du pauvre. Certes le rock est mort, certes nous n'y pouvons rien, certes c'est foutu, mais au moins nous avons eu la chance d'être une génération à qui le rock a permis de partager la table des Olympiens, le beggar's banquet nous y avons accédé et cela personne ne nous l'enlèvera. Il suffisait de tendre l'oreille et de se servir. Que ceux qui n'y ont pas pensé ne s'en prennent qu'à eux-mêmes. Quant à nous, nous ressemblons un peu à ces soldats d'Alexandre qui l'aventure finie rentrèrent chez eux la tête pleine d'un rêve qu'ils avaient eux-mêmes forgé mais qui maintenant leur échappait et qui était bel et bien terminé. Ils ont pu le raconter à leurs petits-enfants mais qui aujourd'hui se souvient de leurs récits à part les livres d'histoire... dont tout le monde se fout...

Et pourtant quelques pages avant ses derniers mots Marc Sastre nous parle du futur du rock. Ce n'est pas du tout ce qu'il dit. Il se contente d'en relater les derniers soubresauts, les derniers obsédés du rock qui montent des labels, forment des groupes, qui organisent des tournées qui ouvrent leurs bars pour les concerts, qui écrivent des livres et des blogues, bref tous ceux qui se démènent pour entretenir la flamme avant qu'elle ne s'éteigne... le dernier carré à Waterloo qui meurt et ne se rend pas.

Z'oui il y a des malchances que ça se termine ainsi, mais il y a une autre manière d'entrevoir le feu qui couve. La situation est-elle désespérée ? Oui mais pas plus et même moins qu'elle ne l'était lorsque les premiers bluesmen tendaient des cordes sur les planches de leur baraque pour produire la bourrasque des sons qui exprimeraient leur mal-être et leur révolte. Le monstre qu'ils ont produit leur a échappé, d'autres s'en sont gavés, l'ont retenu prisonnier à l'aide de chaînes d'or, et ont fini par l'abattre, mais ses bâtards et son esprit courent encore. La mauvaise herbe repousse toujours.

Un spectre hante le monde. Il se nomme rock'n'roll.

Un beau bouquin qui parle de la mort du rock pour l'aider à vivre et à revivre.

Damie Chad.

 

ANIMALS / 1964 ( I )

 

L'année 1964 sera faste pour les Animals, une rencontre déterminante, celle de Mickie Most, pour rester dans l'étroit périmètre de Kr'tnt relisez dans la kronic 495 ( du 28 / 01 / 2021 ) du Cat Zengler consacrée à Ron Wood tout le bien qu'il dit sur Truth et Beck Ola du Jeff Beck Group, apprenez-le par cœur pour plus tard le réciter à vos petits-enfants et concluez pour chaque album par la formule : produit par Mickie Most. Cela servira à leur élévation morale. Brjeff, suffit pas d'avoir des musiciens doués, si c'est un glandu qui s'agite derrière la console, il vous manquera le son, et sans son que ferait Delilah ! Pour ceux qui veulent tout savoir sur Mickie Most, le Cat Zengler vous a préparé exprès pour vous un topo au top à lire sur Kr'tnt ! 434 du 17 / 10 / 2018.

MARS 64

Baby let me you take home : ce n'est pas une vieille reprise de blues, je pense que Most a dû suggérer ce morceau écrit par Bert Russel Berns – lui aussi producteur qui forma Bang Record avec Jerry Wexler – et Wess Farrell qui travailla avec Russel. C'est quoi au juste : une chansonnette de rien du tout, fleur bleue et tout ce que l'on déteste, mais gravée dans le marbre. Rien à enlever et rien à ajouter. Les plans se succèdent à une vitesse diabolique, un clavier gentillet qui joue le rôle de l'orgue de barbarie dans les chansons sentimentales, Price a compris que point trop n'en faut, se faire voir et se faire désirer sont les deux mamelles du rock, ce qui signifie qu'il est urgent de se faire oublier de temps en temps, le morceau n'excédant pas les trois minutes notre organiste n'est pas tout à fait en cellule d'isolement, Burdon se charge de tous les rôles, du garçon qui presse, de la fille qui attend qu'il se taise enfin pour dire oui, et du mec romantique qui tire sa tirade ( parlée ) de ( fausse ) passion racinienne, et les trois autres que leur reste-t-il à faire, les jolis chœurs, moqueurs qui tiennent la chandelle pendant que le copain décharge. Une véritable comédie de mœurs juvéniles. Gonna send you to the Walker : un de ces vieux traditionnels arrangés et trafiqués par beaucoup de monde. Vous changez les titres et un peu les paroles et vous créditez de votre nom, ici elle est aussi signée des deux précédents. Ce qui est certain c'est qu'elle ne se retrouve pas tout à fait par hasard chez les Animals après que Dylan l'ait enregistré sur son premier disque. Influence Chuck Berry certaine dans le traitement du morceau. Même départ, mais deux fusées intergalactiques peuvent avoir été tirées du même pas de tir sans que les espaces qu'elles visiteront soient les mêmes. C'est sûr que vous avez deux petits soli de guitare de Valentine mais le premier s'amourache de l'orgue de Price et cela change la donne, Burdon vous dégobille le vocal à la torpille, si vous aimez les albums Où est Charlie ? je vous propose une nouvelle version Où est Chas ? pour ma part j'ai envie de répondre que je comprends pourquoi les Doors se sont passés de bassiste, doit quand même contribuer à la noirceur du son des Animals, je me demande si parfois sa piste n'est pas overdubée par l'orgue ce qui contribue à sa prééminence... Walker où le guy renvoie sa poupée qui ne s'habitue pas à la grande ville étant tout près de Newcastle l'on peut se demander si le morceau n'est pas une parodie des vieux south blues...

JUIN 64

The house of the rising sun : la première fois que je l'ai entendue c'était par Johnny Hallyday, paroles d'Huges Aufray, Alan Price à l'orgue, et les Animals quand et par qui l'ont-ils écouté la première fois... sur l'origine de la chanson jeu concours : cherchez la chronique dans Kr'tnt !, il est logique de penser que Burdon grand connaisseur de blues devait connaître certains des premiers enregistrements, toutefois il à remarquer que si Baby let me to take you at home est en piste 2 de la face B de l'Album Bob Dylan en tant que Baby let me follow down il est immédiatement suivi, en piste 3, sur ce même 33 T de The house of the rising sun, d'après moi c'est ce que l'on appelle un hasard significatif... C'est bien l'arrangement de Dylan et de Dave Van Ronk à qui le Bob l'avait '' emprunté'' que reprennent les Animals. Ce morceau hissa les Animals au pinacle du rock'n'roll, il fit leur gloire, il les expédia directly dans le heartbeat des fans de l'époque au même niveau que les Rolling Stones et les Beatles. Il fut aussi la première fêlure qui brisa l'unité du combo. J'étais jeune et pas trop bête, je me disais, l'est attribué à Price ce ne peut pas être Alan Price, l'est bien sympathique mais il n'a pas la carrure pour écrire cela ( le fameux flair du rocker ), j'ai cherché, me suis creusé la tête pour finir par l'attribuer à Lloyd Price, résultat j'ai cherché vainement durant des années The house of the rising sun par Lloyd Price sans jamais la trouver... mauvaise piste. Une erreur fatale que ne commit pas Alan Price, crédita le traditionnel à son nom. Il oublia bêtement de rajouter les quatre autres copains... qui ne le lui pardonnèrent jamais. Le ver était dans le fruit mais Price a dû penser que le fruit était autour du ver... on ne commente pas un tel morceau, c'est sur celui-ci que l'on entend Chas un max... la voix de Burdon est magnifique, quant à l'orgue de Price il puise dans les racines du gospel... D'ailleurs le premier morceau de la face B de Bob Dylan, s'intitule Gospel Plow ( voir la version de Chance McCoy And the Apallachian String Band )... Talkin' 'bout you : ne pas confondre avec le Talking about you de Chuck Berry, l'adaptation provient de Ray(on de soleil noir ) Charles quand on sait d'où procède Ray Charles l'on ne s'étonne pas que le morceau sonne méchamment gospel, sans surprise quand on a le début l'on sait comment cela se terminera sept minutes plus tard, l'orgue court comme l'aiguille des secondes au cadran de la montre pas du tout arrêtée, l'on pourrait s'ennuyer mais Burdon est si imaginatif qu'il vous entraîne dans un tourbillon sans fin, et les chœurs derrière miaulent comme des chats amoureux sur les toits les nuits de pleine lune.

SEPTEMBRE 64

I'm crying : enfin un original, Price et Burdon ont mouillé la chemise, résultat un must, Hilton hausse le ton de sa guitare et ça défile à la vitesse d'un troupeau de mustangs qui galopent pour échapper à un feu de prairie, un superbe morceau refermé sur lui-même comme une sphère parménidienne, Burdon s'impose comme l'un des plus grands vocalistes rock, mais le plus terrible ce sont ces chœurs masculins échappés d'une représentation de l'Agamemnon d'Eschyle qui ont la même force dramatique que les trois coups du destin dans la symphonie du destin brisé de Beethoven... Eddy Mitchell en a donné une version qui n'est pas à dédaigner, même les lyrics sont moins passe-partout que ceux de Burdon. Take it easy : encore écrit par le duo Price-Burdon, je n'appelle pas cela une création, plutôt une imitation de ce qui existait avant eux, une espèce de décalcomanie de leurs inspirations, vous avez le droit de penser que je cherche des poils sur les œufs pondus par les Animals surtout que c'est méchamment mis en boîte, le Mickie Most il devait être horloger suisse dans une autre vie. Nos deux compositeurs ne se sont pas oubliés, occupent toute la place, mais Mickie Most a su faire sonner l'heure à la batterie de Steel et vous a ménagé pour Hilton le quart de minute dont chaque soliste a besoin pour être célèbre. L'ensemble souffre de sa juxtaposition avec I'm cryin'

Nous les avons écoutés, regardons-les :

The house of the rising sun :

Décor de studio, des espèces d'éléments de croix blanches de pierres tombales appuyées sur une cloison que la lumière des projecteurs rend jaunâtre, la caméra se déplace de droite à gauche, voici Alan Price assis devant son orgue, mince comme une table à repasser, l'on se demande comment il peut tirer de cet étui à mitraillette un telle amplitude sonore, sous les manches des guitares l'on aperçoit au fond et au faux centre de l'image le haut de la batterie de John Steel légèrement positionné de guingois, impressionnante la carrure de Chas Chandler bouche le fond du décor, devant lui Hilton Valentine avec son air sage et sa Fender et devant Hilton Eric Burdon – pas vraiment beau, ne rallumons pas la Guerre de Cent Ans, disons une beauté anglaise – sont rangés tous les trois en escalier, portent tous un complet marron-gris qui ne laisse dépasser que le col jaune de leur chemise. Sont affublés d'une cravate noire. Le décorateur aurait-il compris que The house of the rising sun désignait la dernière demeure des cimetières ? C'était la vue d'ensemble. Attention une chorégraphie, les trois ostrogoths debout défilent devant nous, dévoilant pleine vue l'entier attirail de John Steet et Alan et son joujou. Voici à l'extrême droite la tête de Burdon, peau acnéique, qui d'un lugubre appel met en garde toutes les mothers du monde, il baisse la tête et ses beuglements vous filent le frisson filandreux, la caméra tourne et l'on se rend compte que les planches blanches symbolisent les barreaux d'une cage dans laquelle ils sont prisonniers, preuve que décorateur avait intuité juste, et que nos trois zigotos ne se livrent pas à une chorégraphie de centre aéré mais qu'ils tournent en rond dans leur cellule, Steel bat le beurre en mâchant un chewing gum de façon peu ragoûtante, Burdon vous ouvre la bouche avant que le dentiste ne lui arrache ses dents de sagesse, mains de Price avec la gourmette en argent au poignet droit, Hilton vous adresse son meilleur sourire hypocrite, l'est manifestement content que ça se termine ( on achève bien les Animals ), s'inclinent tous respectueusement.

I'm cryin'

Dans le temps traînait sur le net une espèce de réplique de la précédente. Nos Animals y interprétaient en playback I' m cryin, restaient sagement alignés comme des I jaunes ( Rimbaud affirma en un poème célèbre que le I était rouge mais les historiens ont prouvé qu'il n'avait jamais vu cette vidéo ). Etaient revêtus d'un magnifique costume bouton d'or éblouissant, pourquoi les Animals ne seraient-ils pas des canaris après tout, je ne l'ai pas retrouvée, hélas. Il existe tout un tas de versions plus ou moins live de ce morceau, question ethnologique privilégiez leur premier passage au

Sullivan Show, le 18 octobre 1964

Le décor est un peu chiche, un fond de baraque de loterie de fête foraine agrémentée d'un arc d'ampoules électriques colorées – rappelons que l'image est en noir et blanc, enfin en grisâtres inexpressifs – mais l'on entend la foule invisible qui crie et surtout l'on voit : John Steel surélevé sur son podium, Alan au niveau de la médaille d'argent sur sa gauche et devant plantés comme des piquets de tomates les trois autres. Le morceau n'est pas commencé que déjà ils ouvrent leurs râteliers aussi larges que des bouches d'égout et l'ouragan vocal vous surprend en pleine campagne, vous expédient le choral comme un tapis de bombes sur un village innocent, z'ont les yeux qui pétillent de joie, Steel est un peu inquiétant ne se préoccupe que de sa cymbale, un gosse autiste qui joue pendant des heures avec l'emballage du cadeau que sa grand-mère lui a offert, Chas est à la fête, il balance tout heureux sa stature de géant, l'est sûr que les filles ne peuvent pas ignorer sa présence virile, le plus rigolo c'est Eric, il a une façon d'allonger le cou comme une girafe chaque fois qu'il s'approche du micro, et puis sur la fin il roule les épaules avec ce regard en biais de boxeur qui va vous décrocher le knock out dans la seconde qui suit, tiens il se tient l'épigastre gauche d'une manière luxurieuse, l'Alan a l'air pour une fois plus préoccupé par sa participation à la chorale démoniaque que par sa machine à touches, n'y a que l'Hilton qui semble se souvenir qu'il est là pour jouer de la musique encore qu'il n'oublie pas d'ouvrir sa bouche aussi large que l'entonnoir d'un mégaphone. Normalement ils devraient être tristes puisque la chanson veut qu' ils pleurent, mais l'on devrait conseiller cette bobine à tous les dépressifs. Z'ont l'air tellement heureux que c'est plus que jouissif, réjouissif.

Damie Chad. A suivre.

 

XX

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

91

Sont tous à la poursuite de Molossa et de Molossito, Charline et Charlotte en leur maillot rose, l'adjudant qui les suit de près, soldat Pierre, soldat Marc qui comme tout soldat du rang qui se respecte sont prêts à suivre leur chef jusqu'à la mort, et une dizaine de fusiliers-marins qui gardaient le poste de garde de l'entrée qui ont suivi le mouvement par réflexe, commettant une première erreur, celle de laisser la grande porte d'entrée du palais ouverte, et une deuxième qui pourrait leur valoir le conseil de guerre, le portail de la cour d'honneur béant aux quatre vents, ceci est juste une expression parce que pas un souffle d'air ne trouble l'atmosphère du petit matin.

    • Droit dedans !

Je n'ai pas attendu l'ordre du Chef pour commencer la manœuvre, avec la sureté et l'élégance d'un pilote professionnel, je pose l'appareil et coupe les gaz.

    • Nous ne pouvions trouver circonstances plus favorables, déclare le Chef en retirant de sous son siège une mallette de fer-blanc, les filles et les chiens ont été formidables, j'avais escompté entrer en force, mais la voie est ouverte !

    • Attention hurle Vince, une grosse bagnole passe le portail, suivie d'une autre!

En six secondes c'est une dizaine de voitures qui entourent notre appareil, elles ne sont pas totalement arrêtées qu'en surgissent une quarantaine d'individus ( mâles et femelles )passablement excités qui se ruent sur nous en criant et en nous tendant un carton à bout de bras. Les logos sur les voitures, les caméras et les micros sont explicites, BFM TV, Europe 1, France Inter, Antenne 2, Match... des journalistes !

    • Mesdames, Messieurs – la voix onctueuse du Chef s'élève et comme par miracle le silence s'installe – service de Sécurité de L'Elysée, que puis-je pour vous, s'il vous plaît si un seul d'entre vous pouvait formuler votre requête, cela nous permettrait d'avancer plus vite !

    • C'est très simple, une jolie petite brunette a pris la parole, nous avons reçu une convocation de la Présidence de la République pour participer au point presse, qui suivra la réunion secrète sur la pandémie Coronado-virus que tient actuellement le Haut Conseil de Surveillance en présence du Président de la République. Il est vrai que nous sommes un peu en avance, mais le portail était ouvert et nous avons cru...

    • Vous avez eu raison. Je vous demande de patienter une petite vingtaine de minutes en compagnie de l'agent de sécurité Vince, je me précipite aux nouvelles avec l'agent Chad, à tout à l'heure.

Un soupir de satisfaction s'élève de la foule...

92

Molossa et Molossito galopent dans les couloirs, ils ont bien une minute d'avance sur leurs poursuivants, tous deux se cachent sous les tentures de doubles-rideaux qui encadrent une vaste fenêtre face à une large porte capitonnée. Charlotte, Charline, l'adjudant, soldat Pierre, soldat Marc et la douzaine de fusiliers-marins passent devant eux en trombe sans les voir.

    • Crois-en mon flair, Molossito, c'est là-dedans que ça se passe !

    • Oui Molossa, ce serait bien que l'agent Chad soit là, il trouverait le moyen d'entrer lui, il est si intelligent !

    • Tiens le voilà, avec le Chef en plus !

93

Ambiance studieuse. Le Président de la République parle. Tout le monde l'écoute, certains prennent des notes.

    • La situation est grave, des milliers de morts chaque jour, nous avons réussi à détourner la colère de la population en accusant à tort le Service Secret du Rock'n'roll d'avoir répandu le virus en distribuant gratuitement des Coronado sous la Tour Eiffel, le temps que nous arrêtions les deux responsables de cette organisation terroriste et nous...

    • Troudemerdededieu, ouvrez vite, nous les tenons !

La porte vient de s'ouvrir brutalement, l'Adjudant entre suivi du soldat Pierre qui tient fermement par le bras Charlotte qui porte Molossa, puis du soldat Marc qui tient fermement par le bras Charline qui porte Molossito, suivi du Chef solidement encadré par une dizaine de fusiliers-marins et qui porte précautionneusement sa mallette de fer blanc contre sa poitrine...

    • Clitotrouédelasaintevierge, mon Président, nous avons le Chef, les chiens et deux jeunes innocentes qui se font faites avoir par les paroles doucereuses de ces aigrefins, pour l'agent Chad, d'après moi, il ne doit pas être très loin !

    • Adjudant, vous méritez de la France, et vous le dénommé Chef, l'ignoble empoisonneur du pays, quelles piteuses excuses allez-vous imaginer pour votre défense !

94

Lorsque j'apparais sur le perron je m'attends à entendre des exclamations de soulagement et d'impatience, mais non tous les journalistes sont assis sur les marches et semblent porter une très grande attention aux paroles de Vince.

    • Excusez-moi, mesdames, messieurs le Président vous recevra dans une vingtaine de minutes !

    • Chut ! Taisez-vous ! Laissez-nous donc tranquilles ! Dites au Président que ce n'est pas pressé, qu'il prenne tout son temps ! Il y a tout de même des choses plus graves que les milliers de morts du Coronado-Virus sur cette terre ! Ecoutez plutôt ce que nous raconte l'agent Vince, c'est prodigieux, insensé, incroyable !

    • Oui Messieurs-dames, je vous ai pour le moment évoqué la vie de mon ami Eddie Crescendo, j'en viens maintenant à raconter les derniers jours de sa mystérieuse disparition...

Je m'éclipse discrètement...

95

Je suis revenu une demi-heure plus tard. L'assistance est atterrée. La petite brunette est en pleurs. Certains appellent nerveusement leur rédacteur en chef sur leur portable. Il y en a même deux qui retiennent une chambre d'hôtel à Nice...

    • Le Président de la République vous fait savoir qu'il a l'honneur de vous recevoir, je vous demanderais le plus grand calme et la plus grande dignité. Nous avons à traverser de longs couloirs, je compte sur vous pour ne pas crier et courir pour arriver les premiers.

Vince et moi marchons en tête. Tout le monde se déplace avec gravité et componction. L'adjudant nous attend devant la porte

    • Enculédetaracededieu, le Président a dit que les caméras et les appareils photos sont autorisés, en rang par deux, un dernier coup de peigne pour les dames, messieurs rajustez vos nœuds de cravates, et que personne ne moufte sans autorisation, facederatsdedieu !

Et d'un geste auguste il poussa les deux vantaux matelassés...

A suivre...

 

10/05/2017

KR'TNT ! ¤ 328 : JERRY RAGOVOY / HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE /HEADCHARGER / FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE / NAKHT / CLAUDE BOLLING

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 328

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

11 / 05 / 2017

 

JERRY RAGOVOY

HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE / HEACHARGER /

FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE / NAKHT

CLAUDE BOLLING

TEXTE + PHOTOS SUR :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Les ragots de Ragovoy


Les ragots de Jerry Ragovoy valent leur pesant d’or. Dans son numéro d’avril, Record Collector publie une interview inédite de ce géant du Brill qui eut la chance de travailler avec Bert Berns, en tant que co-auteur et co-producteur. Voilà bien ce qu’il faut appeler un duo de choc. Oui, car avec Jerry et Bert, nous nous trouvons au cœur du mythe de la grande pop américaine, ou pour être plus précis, aux racines du cœur de mythe. Comme le rappelle Al Kooper, Jerry and Bert were known as white kings of soul music. Oui, les rois blancs de la Soul music, ni plus ni moins.
Le premier hit qu’ils composent ensemble est le fameux «Cry Baby» popularisé par Garnet Mimms & the Enchanters, un quatuor black new-yorkais. Mais Garnet chante d’une voix trop puissante. On sent en lui le vétéran des gospels choirs, il explore les cimes et redescend avec un timbre terreux de boogaloo qui frise le Howlin’ Wolf. Malgré toute la puissance de ce hit obscur, ça ne pouvait pas marcher. Apparemment, Jerry misait lourd sur Garnet car il enregistra d’autres obscurités frénétiques, comme cet «As Long As I Love You» qu’on trouve sur la belle compile qu’Ace consacre à Jerry. Garnet chante à la poigne de fer, il sort du pur jus de r’n’b new-yorkais des early sixties, on sent une incroyable présence et on se pose la question habituelle : pourquoi diable est-il tombé dans l’oubli ? Son «Thinkin’» relève du pur jus de raw r’n’b, celui que nous affectionnons particulièrement.
Bert avait un sens «commercial» beaucoup plus développé que celui de Jerry. Il savait flairer les très gros coups. Il signa Erma, la grande sœur d’Aretha, sur son label Shout et co-écrivit le fameux «Piece Of My Heart» avec Jerry. Ce fut le smash que l’on sait, popularisé plus tard par Janis Joplin, comme chacun sait. Il est important de préciser ici que Janis raffolait des chansons de Jerry. Après «Piece Of My Heart» (qu’on trouve sur Cheap Thrills), elle tapa dans «Try (Just A Little Bit Harder)» pour Kosmic Blues. Jerry fut tellement touché par ces brûlants hommages qu’il composa «I’m Gonna Rock My Way To Heaven» pour elle, mais la pauvre Janis cassa sa pipe avant de pouvoir l’enregistrer. On trouve trois autres hits de Jerry sur Pearl, l’album posthume de Janis : «Cry Baby», «My Baby» et le Tatien «Get It While You Can». C’est dire si Janis avait bon goût !
Quand Dan Nooger qui mène l’interview demande à Jerry si Bert n’était pas un peu trop directif en studio, Jerry rigole. Bien sûr que si ! Phil Spector, Shadow Morton, Leiber & Stoller, c’est-à-dire tous le grands producteurs de l’époque, étaient des gens intraitables. Ils donnaient des indications très précises aux interprètes, ils voulaient que les chansons qu’ils avaient composées soient chantées d’une façon extrêmement précise. Ils répétaient énormément avant d’enregistrer. L’interprète n’avait qu’une seule marge de manœuvre, son feeling.
Howard Tate était aussi l’un des chouchous de Jerry. Ancien collègue de Garnet Mimms dans les Belairs, Howard adorait travailler avec Jerry - We were too good a team - C’est vrai, mais Jerry rappelle aussi qu’Howard était un homme perturbé - a troubled person - Et quand Howard refit surface en 2003 après vingt-sept ans d’absence, qui fut son producteur ? Mais Jerry, bien sûr. Il faut situer le team Ragovoy/Tate au même niveau que le team Bacharach/Warwick, ou encore Berns/Franklin. Voilà ce que les habitués du PMU de la rue Saint-Hilaire appellent des doublets gagnants. Jerry rappelle que l’album Get It While You Can est devenu culte. Il faut entendre l’archange Tate swinguer «You’re Looking Good» d’une voix délicate et partir en piqué vrillé. Tate tâte bien le terrain et des trompettes arrosent ses chutes grandioses. Par contre, il oublie toute forme de sophistication pour chanter «Get It While You Can». Jerry rappelle aussi que tous ces hits étaient enregistrés live, avec l’orchestre au grand complet - no overdubs.
Et puis il rend hommage à Lorraine Ellison, qui figure parmi les plus brillantes Soul Sisters d’Amérique. En Europe, on connaît «Stay With Me» grâce à Sharon Tandy, mais la version originale vaut son pesant d’or. Lorraine cœur d’acier percute son hit du petit doigt et l’envoie valdinguer au noooow d’exaction maximaliste. Elle grimpe son can’t believe si haut qu’on le perd de vue. Cette folle atteint les zones érogènes d’un feeling atrocement pur - Remember ! Remember ! - Elle ouh-ouhte sa spectaculaire percée stratosphérique. L’histoire de cette session est assez marrante : un jour, le patron de Warner appelle Jerry et lui demande s’il connaît quelqu’un qui saurait chanter avec un orchestre. Quel orchestre ? Le boss lui explique qu’il a sur les bras un orchestre de 46 personnes payé pour une session de trois jours que vient d’annuler Frank Sinatra. Jerry saute sur l’occasion et dit qu’il connaît quelqu’un. Ça se passe un lundi, et la session débute le mercredi soir. Il contacte Lorraine aussitôt, lui compose un hit vite fait, écrit les arrangements pour les 46 musiciens, deux nuits sans sommeil, et pouf ! C’est «Stay With Me» ! Lorraine chante en direct avec tout l’orchestre ! La version qu’on entend sur le disque est la version stéréo de l’époque, enregistrée en une seule prise, même pas mixée - I didn’t even have to mix - Jerry rend hommage à Phil Ramone, l’ingénieur du son qui enregistra ce monster hit sur un huit pistes. Magie pure de la Soul. Mais il y eut à la suite un léger problème, car de la même manière qu’Aretha, Lorraine refusait de monter dans un avion, pas question de quitter Philadelphie, ce qui coula sa carrière et fâcha Jerry qui voulait faire de la promo. À l’époque, c’était la règle. Pour promouvoir un hit, il fallait tourner.
L’un des hits les plus célèbres de Jerry est certainement «Time Is On My Side», popularisé par Irma Thomas, puis les Stones. Jerry l’enregistra en 1963 avec un tromboniste de jazz danois nommé Kai Winding, soutenu par un trio de backing girls de choc : Cissy Houston, Dionne Warwick et sa frangine Dee Dee. Il faut entendre cette énorme version jouée aux trompettes de la renommée et chauffée à blanc par les clameurs des filles devenues folles. Pure démence de la partance ! Irma reprit le hit à Hollywood en 1964 et les Stones un peu plus tard la même année. Tiens justement, puisqu’on parle d’Irma : après le succès de «Time Is On My Side», elle voulut absolument enregistrer une session avec Jerry et vint à New York pour enregistrer quatre titres dont «The Hurt’s All Gone» qu’on trouve sur la compile Ace et qui n’est pas si bon, car elle tente de passer en force. Dommage. Jerry tenta aussi de faire décoller Estelle Brown, l’un des choristes new-yorkaises les plus demandées avec les trois pré-citées et d’autres encore comme Doris Troy et Myrna Smith. Mais son «You Just Get What You Asked For» à la fois captivant, si maladroit et sur-produit refuse de décoller. Estelle voit une girl dans un looking glass who is crying - And this girl is me - On retrouvera Estelle dans les mighty Sweet Inspirations avec Cissy Houston, Sylvia Shemwell et Myrna Smith.
L’une des grandes révélations de la compile Ace, c’est Pat Thomas qui chante «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face». C’est emmené d’une voix mûre d’Africana à la revoyure, sur fond de groove magique. Jerry crée pour Pat les conditions de l’excellence. Le cut est si bon que Dionne Warwick le reprendra dix ans plus tard sur son album Then Came You, dont la pochette s’orne de son portrait peint. Jerry produisit cet album en 1975, mais il avoue pleurer chaque fois qu’il le réécoute, car il le dit over-orchestrated. Il dit même avoir voulu péter plus haut que son cul - je me prenais pour Burt Bacharach qui, ajoute-t-il, ne sur-produit jamais. Jerry pense que c’est son plus grave échec et confie dans la foulée qu’il aimerait bien pouvoir s’excuser auprès de Dionne. Et pourtant quand on écoute «Move Me No Mountain», on frémit, car Dionne explose ce groove digne de nos rêves les plus humides. C’est atrocement bon. Bizarrement, Then Came You compte parmi les meilleurs albums de Dionne. Jerry pêche sûrement par excès de modestie.
On retrouve aussi le fameux «Good Lovin’» des Olympics sur cette belle compile Ace, un hit sixties qui sera popularisé un peu plus tard par les Young Rascals. C’est un pur hit de juke, irréprochable et idéal pour jerker au coin du chrome. L’autre hit universaliste que composa Jerry fut bien sûr «Pata Pata» pour Miriam Makeba. Quand Jerry la reçoit dans son bureau, Miriam lui dit : «What I wanna do Jerry is American ballads !». Wow ! Jerry s’enthousiasme immédiatement. Facile, des American ballads, il en a plein ses tiroirs. Mais comme il est très pro et qu’il ne la connaît pas, il va la voir chanter dans un club et paf, il tombe carrément de sa chaise ! Eh oui, il découvre une reine africaine, un univers musical qui lui est inconnu et qui le fascine. Alors, il laisse tomber les American ballads et demande à Miriam de revenir dans son bureau et de lui chanter des chansons africaines. Miriam est ravie de ce revirement. Elle chante a capella et Jerry l’enregistre. Il écoute la cassette chez lui et Jerry flashe comme un dingue sur «Pata Pata». Il demande à Miriam de l’aider à transcrire le texte en Anglais. «Pata Pata» devient le hit que l’on sait. Miriam chante comme une géante et ne la ramène pas. C’est toute la différence avec Stong. On monte encore d’un cran avec Dusty chérie. Comme Irma, Dusty chérie voulait absolument travailler avec Jerry car il bénéficiait d’une aura de rêve - A r’n’b icon - Pour elle, Jerry co-écrit «What’s It Gonna Be» avec Morty Shuman. Dusty est une bonne, elle ramène là-dedans tout le foncier d’Angleterre et tout le chien de sa chienne - I can’t face it - Encore un pur hit de juke, Jack.
Carl Hall est l’autre grande révélation de cette compile. Jerry n’enregistra que quatre singles avec Carl dont l’effarant «What About You». C’est lui la véritable star du Jerry Sound System. Jerry lui fournit le background orchestral de la légende. Carl combine le meilleur groove du monde avec le scream impénitent - What about you mister - Il chante à l’énergétique pur et dur. Tiens, encore un fabuleux coup de Jarnac avec «You Don’t Know Nothing About Love», un softah sirupeux qu’il traite à l’égosillée purulente, il s’y monte impitoyable - One day my friend it’s gonna be your turn - et il développe une fascinante ambiance perfide. Selon, Jerry, Carl Hall est un géant - One of the most mind-blowing vocalists who ever lived - un artiste capable de chanter du gospel, de la Soul et du Broadway, et qu’on retrouve dans les chœurs derrière Bonnie Raitt sur l’album Streetlights.
Jerry monta son label Rags Records pour promouvoir les disques de Lou Courtney, un mec qu’il aimait bien - I think Lou Courney was a great talent - En effet, quand on écoute «What Do You Want Me To Do», on entend un séducteur croasser dans son micro. Cette fois, Jerry va sur un son plus funky, mais ça reste extrêmement produit. Il connaît bien ses artistes. Il les produit avec les mains d’un cordonnier, comme dirait Léo. Jerry veille aussi sur le destin de Major Harris, un vétéran de la Soul qui fit partie des Delfonics. Avec «Pretty Red Lips», ce bon Major nous croone un groove d’une classe infiniment supérieure, c’est indubitable, et la question de savoir si ce groover est humain ne se pose même pas, puisqu’il groove comme un dieu de l’Olympe. D’où cette réputation non usurpée de divin groover.

Signé : Cazengler, Jerry rat d’égout

Roll With The Punches. Interview Jerry Ragovoy par Dan Nooger. Record Collector #465/April 2017
The Jerry Ragovoy Story. Love Is On My Side 1953-2003. Ace Records 2008

 

PETIT-BAIN / PARIS / 04 – 05 – 2017


HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE
HEADCHARGER

Retour au Petit-Bain. Brrrr ! Le frisson dans le dos quand me revient le froid de loup qui sévissait fin janvier sur Paris, heureusement que Pogo Car Trash Control avait salement relevé la température. Ce soir c'est mieux, seulement la pluie – remarquez de l'eau au Petit-Bain ce n'est pas étonnant – sont sympas nous ouvrent les portes un peu avant l'heure. Pour le voyage pas de problème, la teuf-teuf a tenu la distance en un temps record. A croire qu'ils avaient vidé Champigny de sa population pour nous laisser passer. Bref nous voici au chaud, dans les flancs du navire, le temps de discuter avec un photographe en mission commandé fan de métal à mort.

HOWLIN' MACHINES


Sont trois tout jeunes. N'ont pas de beaucoup dépassé la vingtaine. Basse, guitare et batterie. Et un chanteur. Seulement besoin d'ouvrir la bouche pour que l'on se rende à l'évidence. Une voix. Une vraie. De celles qui s'imposent sans forcer. Noire à souhait. Du moins au début du set trop court. Car elle passera sans effort de la pulsion rhythm 'n' bluesy au phrasé rock'n'rollien avec de temps en temps ce léger décalage qui claque en écho non sans faire penser aux décrochements répétitifs de Robert Plant. Tient entre ses mains une basse Rickenbaker . De Lemmy à Metallica, cette bébête monstrueuse au sustain inimitable, suffit de la mettre au galop pour qu'elle vous garde sans faillir la même allure, pouvez jouer du cimeterre sans souci et éparpiller les têtes sur votre passage en toute tranquillité, genre d'engin de chantier idéal pour un chanteur occupé aux vocales manœuvres. C'est qu'à ses côtés ses deux acolytes ne chôment pas. Tambour battant pour l'un et riff hifi pour l'autre sur les cordes. Les machines hurlantes ne connaissent pas l'immobilité, une fois démarrées rien ne saurait les ralentir. Ne prennent même pas le temps de finir les morceaux. Leur tronçonnent la queue sans préavis d'un coup de hachoir définitif. Un peu comme quand vous terminez votre livre trente pages avant la fin, d'un claquement sec et rédhibitoire, afin de vous emparer au plus vite du tome 2. Sont des adeptes du stoner de Brest, une frégate de soixante canons qui vous court dessus à l'abordage toutes voiles dehors portée par un vent arrière de soixante nœuds. Nous sortent tout de même un blues au milieu de set, The Lies About, mais tellement surchargé d'impédance énergétique qu'il vous roborative les neurones davantage qu'il ne vous éreinte l'âme. Se livrent à une OPA sans défaut sur l'assistance qui se laisse subjuguer et maltraiter avec un plaisir évident.
Dernier morceau. Les cris de déception fusent. Cette fusée étincelante nous l'aurions bien gardée encore un bon moment. Ils emporteront nos regrets. Une trajectoire éblouissante. Courbe harmonieuse et élégante. Du bas vers le haut. Missile sol-air. Ces jeunes gens sont partis pour atteindre des régions situées dans les stratosphères interdites aux vaches molles du rock'n'roll. Down 'n' Higher proclament-ils, mais définitivement higher.

THE DISTANCE


Se touchent du poing, tous les quatre, tel un rituel vaudique, avant d'égorger le blue red rooster du rock'n'roll. Et tout de suite après c'est la montée en puissance de la fournaise. Le son est là, vous saisit de son ampleur, la lave de Pompéi débordant du cratère assassin et refermant sa gangue mortuaire sur les habitants englués dans un fleuve de feu. Avec un avantage, c'est que vous ne mourrez pas, au contraire c'est une force sonique qui s'insinue en vous, vous porte et vous transcende.
Trois devant et Hervé tout seul derrière. N'est pas abandonné. Duff lui rend souvent visite, un pied sur l'estrade où repose la batterie. C'est qu'Hervé est attelé à ce que Roger Gilbert Lecomte appelait un horrible travail révélatif. Du tramage forgique de poésie. L'enclume et le marteau. Casser la carapace des rêves pour en extraire l'élixir souverain de la réalité agissante. Œuvre alchimique par excellence. Une large cadence – en ses débuts comme le ressac incessant et millénaire de la mer qui s'écrase sur le rivage – qui peu à peu, insensiblement, s'accélère tout en montant en mouvance sonore. Tout à l'heure finira en fou épileptique, en possédé du démon rythmique, les cent bras de Shiva parcourant les toms sans une seconde d'interruption - un personnage de dessin animé passé à la chaise électrique, vous ne voyez plus, vous n'entendez plus que cette frappe qui passe et repasse, ces bras levés qui s'abattent sans fin, un tambour de machine à laver directement branchée sur une ligne à haute tension - qui tournent et retournent comme les ailes rouges de la guerre des poèmes de Verhaeren.
Et les trois devant qui insidieusement alimentent le foyer. Duff à la base, les cheveux qui coulent sur ses épaules dissimulent son visage, se plante au bord de la scène pour lâcher sur vous les chiens de chasse de ses lignes de basse. N'est plus qu'un émetteur phonique, un dispensateur de noirceur ondulante, qui induit les transes intérieures les plus meurtrières, doit parvenir à certains points d'acmé énergétique indépassables, des chakras d'intensité opératifs, car parfois il se redresse, regarde le public et un rapide sourire énigmatique éclaire ses lèvres.
Mike est au micro. Utilise sa voix comme un second instrument. Ne domine pas les autres mais la module comme un cinquième élément éthérique dont l'apport se révèle indispensable à la cohésion du groupe. Joue de la guitare. Non pas tout comme Sylvain mais avec Sylvain. Certes ils n'en ont pas une pour deux mais c'est tout comme. Pour sûr il y a des moments où chacun tricote de son côté, mais si j'ose dire cela ne compte pas. Sont comme des jumeaux. Des géants siamois. Plus le set avancera, plus on les verra se rapprocher, corps contre corps, et guitares face à face, emportées dans un tunnel infini d'égrenage grêle de notes fuyantes, l'impression de deux cavaliers galopant de conserve mais perdant leur sang jusqu'à l'évanouissement final, en ces moments la batterie n'en accélère pas moins le tempo, mais moteur coupé, une voiture dévalant un col de montagne sans frein, Duff qui met sa basse en brasse coulée, en apnée, et brutalement alors que l'on croit que le feu va s'éteindre et mourir d'asphyxie l'incendie embrase la forêt, ah ! Ces coups de reins brutaux et fastueux du quatuor qui repart comme un seul homme ! Répétitifs en plus. Car le rock'n'roll est avant tout un art de l'excès, il est strictement recommandé de dépasser la dose prescrite. Et d'en reprendre à foison tout en ayant soin de cambrioler la pharmacie. Pas question de demander poliment et de payer son dû.
Alors ils nous font la distribution gratuite. Vous en aurez plus que vous ne voulez. Sur les trois derniers morceaux, ils sont devenus fous. Mike et Sylvain ne sont plus que des marionnettes saccadées hantées par de mauvais génies vipérins. Sont cambrés, des automates en délire, opèrent une espèce de parade de paralytiques tétanisés qui marchent en tous sens, la bave du rock'n'roll aux lèvres et leurs guitares atteintes d'une fureur de berserker. Duff ne tarde pas à subir lui aussi les effets de cette transe hypnotique et tous trois se croisent comme des trains fantômes échappés de leur rail. Exultation dans la salle. Sylvain projette sa guitare sur le sol – la fureur de la destruction n'est que l'autre versant de la démesure des dieux - et sur une dernière razzia drumique le combat cessa faute de combattants. Pas de rappel. C'est la stricte application de la réglementation de la salle. Les lumières se rallument. Les meilleures choses ont une fin. Même les sets de The Distance.

HEACHARGER


Distribué à l'entrée du concert, Flyer-Zine Musikoeye N° 33, papier glacé, quatre pages, révélant interview sur l'enregistrement d'Hexagram, leur sixième album, et les voici maintenant sur scène. Sûrs d'eux, l'on sent les vieux routiers rompus – formés en 2004 – qui ne s'en laissent pas compter et qui escomptent bien satisfaire le public manifestement acquis à l'avance. Nous livrent un show impeccable, millimétré, j'aurais toutefois aimé que fût un tantinet plus forte la tonalité du micro sur lequel Sébastien Pierre bondit alors qu'un mur de guitares déferle sur nous. Ne s'économise pas, agite sa grande silhouette dans tous les sens, visière de casquette en avant et bras sémaphoriques qui moulinent l'espace.
Headcharger charge, un régiment de blindés qui écrase tout sur son passage, juste le temps de ré-accorder entre deux morceaux, l'offensive ne s'arrête jamais. David Rocka et Antony Josse sont aux guitares, ne laissent subsister aucun interstice sonique, aucun répit, aucun essoufflement, aucune fêlure, au taquet, toujours là au moment où il faut y être, les doigts qui filent et l'attitude attendue. Cheveux hirsutes, barbes et visages dégoulinent de sueur, ils donnent plus qu'ils ne prennent. Amassent et dispensent le son, mais c'est Sébastien qui établit la communication avec le public qui s'agite à sa demande, manifestement ravi de s'entrechoquer même si l'étroitesse du lieu canalise quelque peu son exubérance.
Les guitares filent loin devant, et à la batterie Rudy Lecocq pousse tout près derrière, ne nous dispense pas de simples rudiments, les coups pleuvent sur ses peaux comme giboulées de Mars et grésils de tempête, heavy-stoner-sound, tambours de sable et ronds de feu. Un son qui cherche le point de fuite mais ne s'y engouffre pas sans emmener tout l'orchestre avec lui. Pas question de batifoler en chemin pour compter les pétales des coquelicots, l'on attrape le loup par la queue et on ne le lâche pas d'une seconde. Romain Neveu à la basse doit avoir un sacré boulot, n'aimerais pas être à sa place, c'est à lui qu'échoit le sale boulot, de maintenir la cohérence du groupe et de l'empêcher d'éclater en mille directions et de se disjoindre dans une course éperdue.
Headcharger garde le contrôle, de Land of Sunshine qui ouvre le set à Wanna Dance qui le clôt, ils vous tondent la pelouse sans jamais oublier le moindre brin d'herbe, tout en préservant les fragiles corolles des pâquerettes, déboulent sans frémir au cœur de taillis de ronces à la All Night Long ou à la Dirty Like Your Memorie et vous en ressortent sans une égratignure. Vous déchiquettent bien de leurs lames acérées quelques grasses couleuvres alanguies qui dormaient dans les hautes herbes mais personne ne s'en inquiète. Surtout pas le public si j'en crois les regards extatiques de mes voisines qui ne quittent pas des yeux les garçons sauvages magnifiés en pose héroïques de guitar-héros, jambes écartés, corps penchés en avant, statures iconiques du rock'n'roll.
Une heure, pendule accrochée au mur faisant fois de l'exactitude de ce décompte temporel, l'on ne sait trop pourquoi, tout s'arrête, n'est même pas onze heures, faut pourtant boire le fameux bouillon, qui coupe court à toutes les effulgences de la vie. Headcharger quitte la scène sans rémission. De la belle ouvrage.

RETOUR


La teuf-teuf trottine, de vastes pensées s'amassent sous mon front, une découverte : Howlin'Machines, une tuerie : The Distance, et Headcharger de bons combattants mais perso leur trouve un petit côté un peu trop chevalier blanc sans peur ni reproche. Gimme Danger comme dit Iggy. L'auto-radio se bloque sur Ouï FM et diffuse les douces romances de Bring The Noise, arrivé à Provins – hertzienne zone maudite - les ondes décrochent. Tant pis, j'ai eu le temps d'entendre Paroles M'assomment de Pogo Car Crash Control. La boucle est bouclée.


Damie Chad.

06 / 05 / 2017 / LE MEE-SUR-SEINE
LE CHAUDRON

RELEASE PARTY NEW EP CHAKRA
NAKHT


FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE

Savigny-le-Temple. La teuf-teuf longe l'Empreinte. Etrange, parvis désert à quinze minutes de l'ouverture officielle des portes. Y aurait-il un lézard dans l'horloge ou un homard dans la cuvette WC ? Nécessité absolue d'improviser et d'appliquer un plan B. Inutile de me reprocher d'avoir mal lu le flyer. A vue de nez, Le Mée-sur-Seine n'est pas loin. Essayons Le Chaudron. Presto & bingo ! N'ont même pas commencé. Ça papote à loisir devant l'ustensile à popote.

FRCTRD


Noir. Lumière infranchissable pourriture disait Joë Bousquet. FRCTRD va s'adonner à son jeu favori de dissociation de nos photons mentaux. Sample d'entrée, et dès les primes notes ils vous présentent la fracture avec la TVA adjacente du Tout Voulu Atomisé. Musique brutale, happée par elle-même, qui à chaque pas en avant s'écroule dans la fosse commune des pseudo-illusions qu'elle n'arrête pas de creuser. Une tranchée rectiligne qui s'engouffre dans la brisure de sa propre rectitude.
Cinq guerriers du néant illuminatif. Anneaux de caraque aux oreilles, zigomatiques saillants, et une voix d'onagre en rut, Vincent Hanulak annule tout, cavale crache et cravache le carnage du grain moulu de sa voix. Remarquez que derrière sa guitare d'une sombreur luisante de lampadophobe, avec ses yeux de braise et sa barbe de prédicateur fou d'évangéliste atterré, Filip Stanic n'a rien à lui à envier... impossible d'apercevoir le visage interdit de Clément Treligieuse, le dissimule avec une obstination derrière le rideau d'une blonde touffeur, à croire qu'il s'agit d'une attentatoire terreur religieuse qui lui interdit de quitter l'absence de toute présence, Maxime Rodrigues penché sur sa basse, une patience d'insecte, de ceux qui savent que leur race immonde finira par supplanter l'espèce humaine, et Gregory Louzon concentré sur ses fûts à la recherche de l'impossible formule de la dilution finale.
Tout juste quelques titres. Une poignée de grenades entrouvertes jetées à la face de l'intermittence du monde. Mais assez pour signifier le clignotement du néant dévorateur que tout un chacun feint de ne pas apercevoir. Par sa musique, épurée jusqu'à l'os, qui se dévore elle-même, qui se phagocyte de sa propre viduité, FRCTRD vous plonge le nez dans la vacuité absolue de votre existence, ce filet entrecroisé de cordes emmêlées, ce réseau arachnéen de toutes vos fragilités qu'un coup de vent glacial projettera un jour ou l'autre au fond du gouffre.
L'on ne peut exprimer le silence que par des bruits implosifs nous rappelle FRCTRD, des pétarades mouillées, des eaux suintantes de la morbidité malfaisante de nos petitesses humaines. Des hachis de guitare et des purées parmentières de batterie qui crapaude en batracien que l'on fait fumer et qui explose en nuage artificiel de fumée létale. Le combo ne nous ménage pas, fait le ménage, passe le délabré plumeau poesque aux plumes de corbeau plutonien sur la toile de nos démissionnaires exigences.
Un set magnifique. D'amer constat des dégâts occasionnés par l'erreur de vivre. Musique métaphysique. Fractured but no captured.

ACROSS THE DIVIDE


Encore des partisans cumulatifs des fissions nucléatiques. Musique à trous taillés à pic dans l'intumescence lyrique des samples omniprésents. Across the Divide découpe au plus court. Sont les adeptes de la fragmentation fractale. Un riff ne saurait aller plus loin que lui-même. Même répété, compressé coup sur coup une dizaine de fois, asséné comme des fureurs de fouets, cinglé comme comme des salves de sangles sur les épaules d'un supplicié, très vite tout se déstructure. Effondrement final. La musique d'Acroos The Divide est une suite dramatique interrompue de points de suspension. Mais le silence ne s'intercale pas entre les abruptifs sonores. Sont remplis par les grandes orgues des samples de toute pompeuse noirceur, un peu comme ces musiques d'enterrement que l'on passe pour cacher en vain le gouffre vital enfermé dans le tabernacle du cercueil.
Axel Biodore est à la guitare. Un beau jeu mais pas du tout bio. Martyrise ses cordes à la manière de ces épandages d'insecticides meurtriers qui vous pulvérisent la végétation en quinze secondes et vous provoquent des mues géantes chez les coléoptères venimeux dispensateur de pustules purulentes. Alexandre Lhéritier n'en a guère besoin, sa voix d'écorcheur de chats faméliques se suffit elle-même, vous agonise de ces chuintements boueux de lamentin échoué, pourtant Axel ne peut résister à agrémenter les reptations gosierâles de son chanteur d'une espèce de beuglement caverneux qui diffracte encore plus cette sensation de vertigineux malaise qui s'exsude des découpes rampantes opérées par Maxime Weber sur ses cymbales atonisées. Parfois Jonathan Lefeuvre aussitôt imité par Axel, arrête de jouer de sa guitare, vous donnent l'impression de chuinter les interstices qui séparent les cordes, de glisser leurs doigts comme des chirurgiens qui hantent de leurs assassines phalanges les entrailles d'un patient opéré à vif sans anesthésie, et la basse de Régis Sainte Rose adopte alors la douceur funèbre d'une rapsodie maladive. Et tout cela vole aussitôt en éclats, en tôles de coques d'obus dispersées au moment le plus meurtrier de son impact.
Auront droit au set le plus long. Se livreront à un concassage sonique méthodiquement chaotique, l'on sent qu'ils cherchent la fissure ultime, leur musique achoppe la réalité du monde tel un trépan mû par un infatigable et monstrueux balancier qui cherche à s'immiscer dans la matière la plus noire de l'univers.

NAKHT


Les rois de la fête mortelle. Qui pousseront l'élégance jusqu'à se contenter d'un set à notre goût un peu trop court. Nous savons bien qu'indénombrables sont les anneaux d'Apophis, L'assistance aurait bien voulu que l'on en déroulât trois ou quatre de plus...
Lourdeurs sonores. Trois projecteurs tournoient leurs trois pinceaux de lumière blanche qui n'ont d'autre but que d'aviver la pénombre. Chacun des musiciens, encore invisibles, regagne sa place. L'on entend Danny Louzon qui depuis les coulisses poussent un hurlement rauque de bête traquée. Embrasement de lueurs d'hémoglobine, son sursaturé des guitares qui déchirent les tympans, les têtes des guerriers guitaristes tournent sans fin telles des ailes de libellules rilkéennes folles tandis qu'à la batterie Damien Homet broie le noir des espérances diluées, Danny, déjà si grand, se juche sur le piédestal de fer central, sa tête touche presque les tubulures centrales qui soutiennent les projecteurs, se courbe, s'incline vers nous, brasse l'air de ses bras comme s'il nous faisait signe de s'approcher pour mieux entendre les grognements caverneux qui émanent des profondeurs de ses poumons. Gestes impérieux et déluge sonore. Ronde des guitares qui changent de place, marche des ombres, le temps de recevoir la commotion en pleine figure que Danny nous prédit Our Destiny qui se s'annonce que sous les pires auspices du bruit et de la fureur, faut le voir saisir son micro à deux mains, ponctuer d'un bras impérieux les segments monstrueux de la prophétie, tandis qu'aux guitares, Alexis Marquet et Christopher Maigret sabotent les règles de la sainte harmonie de leur kaotiques giclées cordiques, Clément Bogaert reste perdu dans la transe enivrée d'une danse barbare inachevable. La musique gronde et emplit l'univers pour fêter le réveil d'Apophis le maudit. La musique de Nakht prolifère comme l'infinie reproduction protozoairique de brontosaures géants qui accoupleraient leurs fétides corpulences en des noces de tonnerre et de foudre, sans cesser de piétiner les géantes forêts ante-préhistoriales... La scène est déchirée d'éclairs de lumières blanches plus pâles que des aubes blafardes de fin du monde sur choral de requiems noirs engoncés dans une pachydermique rythmique, une espèce d'halètements syncopés dont on ne perçoit que les brisures mais pas le souffle nauséabond qui pourtant pulvérise les rochers. Béance mortifère, symbolisée par le falzar noir de Danny aux deux jambes soigneusement lacérées d'une large entaille dont on voit s'ouvrir et se refermer les lèvres mouvantes, jumelles bouches muettes d'une pythie delphique qui révèlerait par ce bâillement de batracien inaudible les ultimes malédictions de la future désintégration de la race humaine. Grouillements d'égosillements, martelages titanesques, points d'ogres en ouverture de précipitations nocturnes, Nakht bouscule les montagnes et patauge dans les failles océaniques. Les cités flambent sous les pas des conquérants et la musique brûle, Nakht est un dragon engendré par nos phantasmes les plus masochistes qui n'ayant plus rien à dire finit par s'incendier lui-même pour ne pas être victime de la froideur impie du silence qui corrompt et gangrène l'univers. Grondements antédiluviens pour conjurer nos faiblesses. Nakht dépose la rosée mortifère de sa musique comme un feu atomique, il est la nacre préservatrice qui se forme à la surface des roches et le chancre purpural de nos âmes. Cette ambroisie mortelle détient le secret de l'immortalité. C'est pour cela que nous l'écoutons. Epoustouflant.

RETOUR


Après une telle soirée il est difficile de rejoindre le monde vide de nos contemporains. Trois groupes réunis en une seule unité tonale. Toutefois distincts et dissemblables. Nakht a méchamment réussi sa Realease Party. Nakht a rouvert nos chakras encrassés. Evidemment si vous n'aimez pas, vous pouvez vous inscrire à un centre de méditation zen. Ce serait même préférable pour vos fragilités. Ce qui vous tue ne vous rend pas plus fort.


Damie Chad.

CHAKRA / NAKHT

INTRO / WALKING SHADES / THE MESSENGERS / HALL OF DESIRE / LXXVII / MIND'S JAIL /

DANNY LOUZON : vocal / DAMIEN HOMET : drums / Clément BOGAERT : bass / ALEXIS MARQUES : guitar / CHRISTOPHER MAIGRET : guitar.

On avait beaucoup aimé la brutalité d'Artefact le premier EP de Nakht, autant dire que l'on attendait le deuxième avec intérêt.

Intro : grondements annonciateurs de fureur, chants védiques venus d'ailleurs, des gouttes d'eau lourde clapotent, des serpents venimeux rampent dans les canalisations. Frottent leur ventres écailleux sur le plomb saturnien. Arrosages dulcimériques et cymbales qui s'affaissent. Walking Shades : sons sursaturés, instrumentaux phrasés cithariques, la voix de Danny qui s'amplifie et domine le tout, une radio mal réglée qui diffuse des guitares d'orage et la batterie qui compresse les tympans des temples détruits. The Messengers : générique musical, guitares grondantes presque sixties entremêlées de mélopées orientalisantes, oasis d'optimisme vite balayée par le vent froid et mordant des nappées nakhtiques, et le grondement rhinocérique de Danny qui bouscule les palmiers du désir, grandiloquences orchestratives et Danny qui hache le persil des illusions d'un timbre implacable. Les Messengers ne semblent pas apporter de bonnes nouvelles, malgré la danse des guitares à laquelle se mêlent les soubassements saccadés d'une batterie embrochée. Lyrisme concassé. Très fort. Parviennent à rendre le rut de l'inaudible audible. Apophys : poussée de batterie. Corruption de guitares et montée in abrupto de tout l'ensemble, des cordes qui sonnent comme les trompettes du jugement dernier, Danny semble en bégayer comme s'il avait trop de sons à déglutir, Nakht écrase tout. Le serpent Apophys gît désormais dans votre hypophyse. Hall of Desire : des notes de piano trop fortes pour être vraies, reviendront de temps en temps comme des ponctuations ensoleillées pour mieux approfondir le noir de la nuit définitive, les guitares barrissent, la batterie se trémousse en une indécente orgie sonore, et Danny rajoute du gros sel sur les blessures comme l'on passe un rouleau compresseur sur des cadavres putréfiés. Délirium trémens instrumental final. LXXVII : le vent se lève sur les sables du désert et balaie les bribes de votre entendement. Ritournelle du pire annoncé. Mind's Jail : trop tard, vous n'échapperez au courroux des Dieux qui s'offrent une fricassée de cervelles humaines pendant que Cléopâtre essaie de charmer les aspics de la mort afin que leur venin soit encore plus efficace. Elle y réussit parfaitement. Nakht vous assassine à coups de marteaux. Dites merci. Vous n'en avez jamais espéré autant.

Nakht a réussi l'impossible : se métamorphoser sans se trahir. Changer pour accentuer son idiosyncrasie primale. Continuer sur sa lancée sans se répéter. Se renouveler sans se trahir. Être encore plus violent. Plus insidieux. Le scorpion maléfique à deux dards. Le cobra à deux têtes qui rampe sur le dos. L'horreur cent noms.
Une démarche qui n'est pas sans rappeler celle du Zeppelin qui cherchait du nouveau dans les sonorités de l'Orient, mais ici il s'agit d'une autre filiation, d'une autre djentry, davantage métallique. Se tiennent du côté obscur de la force. Foudroyant.


Damie Chad.

 

MIND'S JAIL / NAKHT
( vidéoclip réalisé par : )

ALEK GARBOWSKI / YANN GUENOT


PICTURES & NOISED ABROAD PRODUCTION

Figure imposée, combo métal dans un studio, filmez et servez brûlant. Des vidéos de cet acabit l'en existe des milliers, la difficulté consiste à sortir du lot. Sûr qu'il vaut mieux partir avec un groupe et un morceau qui percutent les oreilles, mais une fois ce premier obstacle franchi, faut mettre en scène, intuiter la chorégraphie, et diriger la valse des séquences. En plus, il y a une petite clause, non écrite, en bas du cahier des charges que chaque réalisateur porte en sa tête, éviter à tout prix le piège de l'illustration musicale, fuir comme la peste les images redondantes, la paraphrase cinématographique qui ne sera qu'une redite sans intérêt. Construire un scénario graphique, qui apporte un sens, qui donne davantage de force et d'expressivité à la musique, tel est le but.
Plongée dans le sombre bleutée d'une nuit spectrale. D'incertaines silhouettes se dessinent dans le vide. Que votre oeil soit aussi rapide que la flèche qui court vers la cible dans les éclats d'un soleil noir. Travelling sur Danny, pose de taureau, corps courbé vers le sol, vous vomit littéralement le chant dessus, entrecoupé des images virevoltantes de la chevelure blonde que Clément agite en tous sens comme s'il exhibait à la terre entière son propre scalp. Des fragments de guitaristes tournoient dans les images. A chaque fois plan serré, corps à corps des représentations avec leurs propres négations, ne jamais montrer l'intégralité d'une attitude, seulement en exposer des nano-secondes de tronçons iconiques, apparition-disparition, la caméra ne se fixe pas, elle enregistre des pièces d'un puzzle qui vous sont présentés une à une mais en un tel écartèlement d'espaces temporels si brefs qu'il vous est impossible d'en reconstituer une image mentale satisfaisante, happé que vous êtes par ce morcellement incessant. La batterie fracassée, pourtant dominée par le grondement de la voix de Danny, un grognement de bête empêtrée dans un combat mortel. Nous conte en d'affreux borborygmes les images cachées dans les tanières de l'inconscient humain. Visions d'horreurs sans nom et de désirs sans frein libérés de leurs gouffres qui remontent comme du fond des mers intérieures, de grosses bulles de suint qui éclatent à la surface et nous éclaboussent de leurs viscosités gluantes. Avec cette apparition d'une silhouette féminine qui s'en vient au travers des champs d'angoisse de la folie. Crispation de flashs fugitifs. Rencontre finale. La parole se fait chair et se retrouve en face de son cauchemar. Rêve et ramdam reconstitués. Androgynie du son et de l'image.
Magnifique. Original. Figure imposée renouvelée. Réussite totale due à Alek Garbowski et Yann Guenot.


Damie Chad.


BOLLING  STORY


CLAUDE BOLLING 
+ JEAN-PIERRE DAUBRESSE

 

Ce n'est pas que j'apprécie Claude Bolling, et j'avoue même que je me suis pas mal ennuyé durant au moins les trois-quarts du bouquin que je ne vous conseille pas de lire. A moins que vous ne soyez comme moi, turlupiné par une insidieuse question. Et je dois avouer que je n'ai pas trouvé la réponse dans ces trois-cents vingt pages – réjouissons-nous, près de soixante sont dévolues à la discographie de notre impétrant – et que je n'en suis pas plus avancé... Mais peut-être vaut-il mieux commencer par les faits eux-mêmes. D'autant plus que ceux-ci sont nombreux. Bolling se raconte, dans un ordre à peu près chronologique, l'on sent que le rôle de Jean-Pierre Daubresse a dû se réduire à celui de poseur de questions et vraisemblablement de transcripteur d'entretiens oraux. Un genre d'exercice peu propice à la réflexion, qui privilégie les dates, les anecdotes et les circonstances et qui se refuse à toute introspection historiale.
Bolling est né en 1930, suis surpris par le fait que ce patronyme n'est en rien un pseudonyme, son père était un véritable américain dont sa mère divorça relativement vite. Pas un drame. Nous sommes en milieu aisé et Claude aura droit à une enfance choyée et protégée. Entre Paris et la Côte d'Azur. Dessin et aquarelle seront ses premiers hobbies mais il se met comme les jeunes filles de bonne famille au piano, dans lequel il se révèle très vite assez doué. Evoluera de piano en piano, de professeur en professeur, apprendra à déchiffrer, à lire et à écrire la musique. L'on est chez des gens sérieux, pas question de se contenter d'une éducation à l'oreille, travaillera ses partitions de Debussy comme tout élève bien élevé qui se respecte. N'empêche qu'il n'est pas sourd, et qu'il laisse entrer dans ses pavillons largement ouverts les bruits musicaux qui traînent aux terrasses des cafés et à la radio. Le jazz est là, s'insinue en lui en contre-bande et finira par être élu roi... Il a tout juste douze ans lorsque son oncle lui refile un disque de Fats Waller. Illumination ! Il existe donc une autre manière de jouer du piano que l'académique !
C'est ici que les questions me poussent dans le cerveau comme des bubons dans le pli de l'aine des pestiférés. Voici une génération favorisée des dieux. Ce n'est pas la première qui arrive dans le monde du jazz. Il existe déjà dans notre pays un milieu jazz non négligeable, l'a débarqué chez nous dans les fourgons de l'armée américaine en 1917, le Hot Club de France naît en 1932 et bientôt apparaît Django Reinhardt un musicien exceptionnel de classe internationale, un deuxième étage de la fusée américaine sera mis à feu avec la libération de Paris en 1944, le jazz est étiqueté musique de la liberté retrouvée...
Mais ce n'est pas tout. Se produit un miracle auquel le rock'n'roll national n'a pas eu droit. Les musiciens noirs débarquent à Paris. Des mythes vivants, l'occasion de les voir, de les entendre, de les écouter. Mieux, de les approcher, de discuter avec eux, de jouer avec eux... et beaucoup plus si affinités qui s'établissent rapidement. Faut lire le récit de la rencontre avec Earl Hines au cours de laquelle le pianiste lui apprend tous ses trucs et la manière d'étirer ses doigts sur l'empan du clavier alors que l'on possède de petites mains. Mais il y aura plus, Bolling entretiendra une véritable amitié avec Duke Ellington in person et même Louis Armstrong. Le Duke l'invite sur scène à ses côtés et se sert de son savoir musical pour la transcription de nouveaux arrangements. Dans le même ordre d'idée l'on pensera à Sidney Bechet s'adjoignant l'orchestre de Claude Luter...
Certes l'on me rétorquera que faute de grives l'on se contente de merles ( en l'occurrence ici blancs )... Ou alors on insistera sur le ravissement de ces musiciens noirs considérés et fêtés en France comme des génies, une attitude qui devait les changer des continuelles rebuffades subies en leur pays. Là n'est pas mon propos. Lorsque l'on regarde la suite de la carrière de Claude Bolling, l'on reste surpris. On s'imagine que boosté par une telle reconnaissance de figures mythiques du jazz, notre héros allait se propulser en une démarche musicale de haut niveau. Or il n'en fut rien. Ses activités se déployèrent selon deux directions, rémunératrice pour la première et fort honorifiquement agréable pour la deuxième. Bolling écrivit près de quatre-vingt musiques de film, de quoi faire bouillir la marmite, l'est particulièrement fier de Borsalino, cela se peut comprendre. Mais il possède aussi son grand orchestre. L'occasion de donner de multiples concerts en France et dans le monde entier. Et Bolling tout en portant l'accent sur ses talents de compositeur et d'arrangeur de haut-niveau, de son éclectisme qui court de la musique classique à la variétoche la plus franchouillarde, en passant par le jazz le plus pur, tire sur la grosse ficelle du respect que l'on se doit de porter à la musique populaire... Sa contribution jazzistique se réduit à des adaptations grand-public des grandes figures tutélaires du jazz, quand il les aura toutes passées en revue il s'attaquera aux sous-genres ragtime, boogie-woogie, blues...
Une clef peut-être pour comprendre un tel cheminement. Se livre davantage dans les quinze dernières pages, d'abord sa passion pour le modélisme ferroviaire, et nous sert enfin sa vision du jazz. N'est guère éloigné de la rétrograde position d'Hugues Panassié resté bloqué et crispé en une attitude des plus puristes sur le New Orleans, Bolling regrette que cette musique de danse se soit fourvoyée à partir de la naissance du Bebop dans l'intellectualisme... Le livre s'arrête brutalement sur l'évocation de sa prescience écologique... Très symptomatique de ces gens qui courent après l'histoire et qui restent enfermés dans le bon temps de leur jeunesse. Par contre son témoignage sur le recul de la musique vivante nous agrée, il évoque avec regret cette lointaine époque où la duplication sonore était interdite en tous lieux publics, sur les plateaux radio et à la télévision, cette loi que l'on pourrait juger de draconienne avait pour corollaire la multiplication des formations de tous genres...
Le livre est entrecoupé de témoignages de divers compagnons de route de Claude Bolling comme Jean-Christophe Averty ou Jacques Deray, la plupart d'entre eux sonnent un peu nostalgeo-ringards, difficile d'avoir été et de n'être plus, le temps dévore tout, l'oubli triomphe des gloires passées, l'acrimonie de la célébrité enfuie ronge les caractères...
Enfin les rockers seront heureux de savoir que Claude Bolling évite soigneusement de prononcer le mot rock'n'roll, ne le lâche que par trois fois du bout des lèvres, parce que les situations rapportées l'obligent, mais l'on sent le mépris sous-jacent sous l'ignorance affectée.


Damie Chad.