Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/11/2015

KR'TNT ! ¤ 257 : YO LA TENGO / JALLIES / MOTÖRHEAD / DAN GIRAUD / JOHNNY HALLYDAY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

A20000LETTRINE.gif

LIVRAISON 257

A ROCK LIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

26 / 11 / 2015

YO LA TENGO

JALLIES / MOTÖRHEAD

DAN GIRAUD /JOHNNY HALLIDAY

 

LA CIGALEPARIS 18° - 23 / 10 / 2015

YO LA TENGO

a8798affiche.jpg

La Leçon de Tengo

a8791iraphoto1.jpg

Ce qui frappe le plus dans un groupe comme Yo La Tengo, c’est la modestie des gens. Et leur intelligence. En trente ans, ce trio originaire d’Hoboken a veillé à n’enregistrer que des bons albums et à cultiver une passion pour le Velvet, les Kinks et Love. Ira Kaplan ne paye pas de mine, c’est vrai, mais il peut jouer comme le pire des garagistes et développer un fil mélodique avec autant de bravada qu’un J. Mascis à l’âge d’or de Dinosaur. Le parcours de ce groupe est remarquable. Comme les Cramps, le trio s’est construit autour d’un couple, Ira Kaplan et Georgia Hubley. James McNew semble être venu le compléter naturellement. Ce trio sent bon l’équilibre et la stabilité, deux conditions nécessaires à une bonne évolution artistique. Chez Yo La Tengo, pas de problèmes d’ego. Ira se pointe sur la scène de la Cigale en T-shirt rayé et en baskets, une ficelle en guise de bandoulière. Georgia joue debout comme Moe Tucker et elle bat le bon beurre new-yorkais. James McNew s’efface derrière sa stand-up et Dave Schramm est venu en renfort avec sa guitare et une pedal steel. Ce sont les anti-rock stars par excellence, ceux qui nous reposent les yeux du spectacle des Motley Crüe et autres marionnettes du Muppet Show californien.

a8792iraphoto2.jpg

Le trio vieillit admirablement bien. En fait, ils n’ont pas changé en trente ans. Ils continuent de travailler leurs ambiances intimistes et tirent des fils mélodiques à gogo, dans la tradition des balladifs enchantés du Velvet. Pur moment de magie que cette reprise de «The Ballad Of Red Buckets» joué à l’orientalisme psyché d’acou d’Ira - Here it comes again - Yo La Tengo fait partie des groupes dont ne peut guère se lasser. Autre pur moment de magie, la reprise d’«Over You» du Velvet. Ira chante ça sous l’empire d’une authentique fascination pour Lou Reed.

a8790dessinira.gif

Eh oui, ça fait trente ans que «Ride The Tiger» est paru. Le fameux college rock américain a pris un petit coup de vieux. À l’époque, Georgia s’occupait déjà du design des pochettes. Avait-elle choisi un squelette de dinosaure à cause de J. Mascis ? On trouvait deux énormités et deux belles reprises sur ce premier tir. Ils tapaient dans le «Big Sky» des Kinks avec toute l’harmonie nécessaire, mais c’était surtout la reprise d’«A House Is Not A Motel» de Love qui faisait dresser l’oreille et le poil.

a8799tiger.jpg

Comme Lorenzo Woodrose, Ira admirait Arthur Lee au plus haut point et il emmenait sa cover vers les hauteurs. Il passait même un solo de fuzz dément et son génie dévastateur commençait à pointer le bout du nez. Puis il y avait «The Evil That Men Do», du destroy-oh-boy à la Ira, l’un des premiers miracles du Tengo, gorgé de bourrasques et de violence. C’est là qu’Ira devenait IRA la bombe. L’autre énormité, c’est «Screaming Dead Balloons». Ira y cherchait des noises à la noise. Il disait à l’époque qu’il faisait du garage juste pour garder son bassiste, un mec qui avait joué dans DMZ. C’était balancé à la bonne palanquée de fuzz malade. Deux autres cuts flattaient l’oreille : «Alrock’s Bells», petite pop pernicieuse à base d’arpèges insistants, très florentine dans l’esprit, et avec «The River Of Water», on voyait émerger de pures rock stars underground.

a8800hotdogs.jpg

«New Wave Hot Dogs» paru l’année suivante confirmait les premières impressions. Il y avait dans «House Will Fall Down» une ambiance à la Mary Chain et ça prenait la tournure d’une énormité cavalante. On avait là du pur jus de garage d’Hoboken avec son killer solo transitoire d’exaction de dégoulinade impétueuse, une fantastique avancée à travers la purée de pois de larsen fatidique. S’ensuivait un «Lewis» chanté à la Velvet et le killer solo s’étranglait tout seul. On trouvait encore deux énormités sur ce disque, «A Shy Dog», fantastique de santé compositale. Ira allait passer sa vie à composer des petits hits bénéfiques et tenir éveillées nos oreilles de lapins blancs. Et puis ils sortaient de leur manche «The Story Of Jazz», une fantastique débauche d’extravaganza new-yorkaise, l’une des pires choses qui soient arrivées au disque depuis l’invention de la machine à découdre. Ira la bombe fait ce qu’il veut du monde. Il le fait sauter à coups de power chords pleins de son. On sentait là, dans cet album, poindre un immense devenir. Mais il fallait aussi écouter attentivement «Clunk», car on y retrouvait des virées de guitares dignes de celles des Byrds de l’âge d’or. Sous des faux airs de balladif up-tempo, Ira sortait le gros son. Tout ce qu’Ira touchait se transformait déjà en or.

a8801president.jpg

«President Yo La Tengo» paraît en 1989. On y trouve un beau clin d’œil à Dylan avec «Drug Test» et sa fantastique approche atmosphérique. Ira peut aussi chanter comme Dylan, avec les faux accents de «Like A Rolling Stone». «Orange Sky» est un joli coup de garage plein de rebondissements palpitants et d’influences délétères. Ira la bombe y rocke le rock ric et rac. Le son vient en direct des sixties, avec des temps de rémission et des gargouillis infâmes, des retours de manivelle et des redémarrages en côte, et puis Ira finit par s’énerver pour de bon et il se met à hurler comme une petite fiotte exacerbée. On retrouve sur cet album une version démente de «The Evil That Men Do», jouée au glou-glou impérial et dans la fusion des atomes de fuzz. Pour ceux qui recherchent le psyché du diable, c’est là que ça se passe. Ira s’y révèle l’expert du cauchemar conditionné sonique.

a8802fakebook.jpg

«Fakebook» est leur premier album de reprises. On en trouve deux déterminantes. À commencer par «Andalucia» de John Cale, cut magique tiré de «Paris 1919». Ils prennent d’ailleurs un risque énorme, car la version originale est parfaite. L’autre bel hommage est celui rendu aux Groovies avec «You Tore Me Down», même si Ira tire le son vers les Byrds. Mais il y a sur ce disques pas mal de covers dont on ne voit pas l’intérêt, comme «Emulsified» ou encore le «Speeding Motorcycle» de Daniel Johnston. Ils tapent aussi dans «Tried So Hard» des Flying Burrito Brothers et «Oklahoma USA» tiré du «Muswell Hillibillies» des Kinks. Ira fait bien son Ray, mais il est beaucoup trop humble pour jouer les dandies. Ils terminent avec un clin d’œil à l’un de leurs groupes favoris, NRBQ. Joli choix.

a8803singwithme.jpg

Avec «May I Sing With Me», on entre dans l’âge d’or de Yo La Tengo. Les trois premiers cuts de l’album relèvent du génie pur. «Detouring America With Horns» est un cut sacrément adroit et incisif. Ils partent aux harmonies vocales avec une élégance spectaculaire. S’ensuit l’un de leurs hits les plus connus, «Upside Down», une merveille d’allure sportive, élancée vers l’avenir. C’est vrai, Ira la bombe n’est pas beau, mais quelle beauté intrinsèque ! Avec «Mushroom Cloud Of Hiss», on a la preuve de l’existence d’un dieu Tengo. C’est tendu dès l’intro, monté sur un petit beat dévastateur, avec des descentes de paliers et des enfilades d’écrans bleus et verts. Ils vont vite dans les circonvolutions et Ira finit par entrer dans le cut, c’mon ! Il se met en colère - make up your mind c’mon ! - Il screame comme un démon, alors ils règne sur l’Amérique d’Hoboken des hobos de boo-boo - Oh c’mon ! On retrouve leur grande puissance mélodique dans «Some Kinda Fatigue». Ira vise l’infini des horizons, oh il n’en peut plus, il ne tient plus debout. S’ensuit un «Always Something» gorgé de pure énergie garage de coups de reins d’Hoboken. Georgia bat ça sec et Ira la bombe joue le drone des enfers.

a8804painfull.jpg

Deuxième album de l’âge d’or avec «Painful» et ses deux pures énormités cabalistiques : «Double Dare» et «Big Day Coming». Il est bien certain que l’attaque de «Double Dare» restera dans les annales. On sent le hit dès la première mesure. Voilà qu’arrivent les power-chords de franche atonalité, accompagnés d’un petit serpent de distorse vénéneuse, et un ange du paradis nommé Ira vient poser là-dessus une voix qui renvoie aux Beatles. Et on se retrouve avec un extraordinaire cocktail béatificateur sur les bras. Quant à Big Day, c’est saturé de son à l’excès. C’est bien le son dont rêvent tous les groupes. On tombe ensuite sur «I Heard You Looking» et voilà que s’ouvre un fantastique espace mélodique qui se développe au thème récurrent, alors ça prend très vite des ampleurs universalistes, et que fait Ira ? Il se donne les coudées franches et ça grandit dans le plus pur des naturalismes mélodiques, avec des petits torticolis de notes grasses qui n’en finissent plus d’élever le débat, car c’est là et nulle part ailleurs que se joue le destin d’Ira la bombe, dans l’ultime processus d’élévation de l’homo sapiens d’Hoboken visité par la muse du génie sonique, alors Ira s’en va se perdre dans ses bourrasques pachydermiques et graciles à la fois, dans un vent lumineux comme un diamant, dans un réel absolu de fuzz paranormale et ça vire à l’émeute de riot des villes de rues de rime de rage et c’est tellement tellurique que l’ingénierie de l’outrance s’en étrangle. Avec ses violentes montées de fièvre, Ira invente un genre nouveau : la rémona de la rémoulade de Gévaudan. Un petit conseil à tous les guitaristes de garage : écoutez Ira la bombe.

a8805electropura.jpg

Le troisième album de l’âge d’or s’appelle «Electr-O-Pura», certainement l’album le plus dense et le plus indispensable du trio. On a là le son de gens extrêmement intelligents. Ils attaquent avec la lancinance merveilleusement belle de «Decora» et un son reconnaissable entre tous, un son de rêve. «Flying Lesson» met un sacré bout de temps à démarrer, mais quand ça démarre, ça démarre. Ira joue ça comme un dératé proto-grunge. Il gratte ses sales notes purulentes qui entrent dans la mélodie comme un chien dans un jeu de quilles. Rien qu’avec ces deux titres, on se sent gavé comme une oie. Oh mais vous ne connaissez pas Ira ! Il va vous gaver jusqu’à l’overdose méningitique. En effet, «Tom Courteney» monte directement au cerveau. C’est éraillé au solo d’Ira, comme un coup de scie sur l’émail de bidet de Mrs Robinson et Ira titille sa note perlée à l’outrance d’un kid cramoisi par le désir. Ce cut est tout simplement gaulé comme un hymne, une sorte de hit panygérique taillé pour la route vers la gloire, cheveux au vent et peau hâlée, dents blanches et pap-palapalap aux lèvres. En face B, on tombe sur l’autre mamelle du génie tengo, «The Ballad Of Red Buckets», attaqué dans la torpeur de l’intimisme mélodique excessif. Alors voilà que s’ouvre un horizon crépusculaire et que s’élève une arche de cristal perlé de buée. Ira tire des notes qui redressent la tête comme des cygnes de Villiers, il chante au meilleur duveteux d’emblématique et si ce n’est pas du génie, alors qu’est-ce que c’est ? Il faut aussi l’entendre dans «Bitter End» doubler le chant d’ingénue libertine de Georgia d’un vieux solo immonde. Spectaculaire ! Pure électrocution d’électropura purgative de purgatoire. On croit que c’est fini, mais non, car le dernier morceau de l’album est la huitième merveille du monde. «Blue Line Swinger» tient à un fil, mais un fil mélodique qui se met en branle, cette bonne vieille branle inéluctable, celle qui mène droit au sonic orgasmatic. Ira la bombe joue le rock hédoniste, à la pure joie du cœur de veau. C’est véritablement effarant d’envolée préraphaélite, dans l’esprit des transparences d’un Gustave Moreau agenouillé devant l’astre du Babylone de Joséphin Péladan le pédalant et Ira rentre au chant doux sur le tard. Il crée tout simplement de la magie et la basse gronde derrière. C’est le pire décollage d’extase qui se puisse concevoir ici bas. Ira va gratter ses notes à la folie dans un chaos de court-circuits.

a8806genoious.jpg

Le double album «Genius + Love» propose des miettes, mais quelles miettes, my friend ! Ira commence par faire le con dans «Evanescent Psychic Pez Drop» en plaçant un killer solo d’une rare virulence. Ils font aussi une reprise du «Too Late» de Wire, prolongée d’une belle envolée à la Wedding Present. Ils retapent dans John Cale avec «Hanky Panky Nohow» et c’est du gâteau, car ils montrent une belle fidélité à l’esprit original du cut. «Up To You» est un outtake d’Elect-O-Pura, un groove horizontal bien profilé sous le vent. Avec «Somebody’s Baby», Ira la bombe passe à la power pop avec une classe indécente. Il fricote une marmite d’éclat majeur - She’s alrite - Si on aime se faire péter les ornières à coups de pop, alors c’est le cut qu’il faut écouter. Il faut entendre Ira monter par dessus toute sa mélasse incendiaire. Ils font une belle reprise d’«I’m Set Free» du Velvet. Sur le disc 2, on retrouve leur vieux «From A Motel 6» monté sur un riff violent et bien tapé par Georgia la bête. Elle le tatapoume admirablement. Elle fait au mieux, comme toutes les mères de famille, mais avec ce souci des autres que n’ont pas les bonhommes. Et Ira fait ce qu’il a toujours fait dans sa vie, il mène la sarabande de l’excellence. Ils droppent aussi une belle reprise du «Blitzkrieg Bop» des Ramones.

a8807heartbeat.jpg

«I Can Hear The Heart Beating As One» est le dernier album (double) de l’âge d’or, car Ira la bombe va finir par s’assagir. Deux cuts énormes attirent les papillons de nuit, à commencer par «Sugarcube», un cut truffé de distorse jusqu’au trognon, mélodique en diable, expert et profilé, né pour gagner, décidé comme un hymne et doté d’un élan vers le futur. Et puis en face B, on tombe sur «Deeper Into Movies», pop de lévitation perpétuelle. On y sent une dynamique de la grandeur unilatérale et on retrouve les brutales montées de fièvres inventées par Ira la bombe, la fameuse rémona de rémoulade de Gévaudan. Il a ce sens de la folie qu’on adore par dessus tout. Ira la bombe peut allumer un brasier comme Ron Asheton ou Dave Wyndorf. Il connaît tous les secrets de la frénésie sonique, et en plus, il en use et il en abuse.

a8808honda.jpg

Avec la reprise de «Little Honda», ils font le mix Beach Boys/Mary Chain de rêve. Même son, même chant têtu et buté et mêmes ouvertures de chant sur le faster it’s alrite. Quelle magnifique extrapolation du mythe pop de l’Amérique des sixties ! En face 3, on tombe sur «Center Of Gravity», un petit chef-d’œuvre de good time music à la Brazil. Et sur la dernière face se tapit «We’re An Amrican Band» travaillé au beau groove d’Hoboken.

a8809strange.jpg

En 1998, ils passent un après-midi en compagnie du copain Jad Fair pour enregistrer «Strange But True», une collection de 22 chansons courtes dans lesquelles Jad Fair raconte des histoires complètement incongrues, comme par exemple «Retired Grocer Conducts Tiny Mount Rushmore Entirely Of Cheese». Jad y raconte que l’épicier est en retraite depuis une semaine et il s’amuse à sculpter un Mont Rushmore dans du fromage. Puis il ajoute un décors fait de haricots. Dans «X-Ray Reveals Doctor Left Wristwatch Inside Patient», Jad raconte que le chirurgien a oublié sa montre inside of me. Il est content que ce ne soit qu’une montre et non un cuckoo clock. Dans «Retired Woman Starts New Career In Monkey Fashions», Jad raconte que la retraitée fait des fringues trop petites et qu’elle deviendra riche si elle trouve un singe qui a de l’argent. Dans «Ohio Town Saved From Killer Bees By Hungry Vampire Bats», on entend les killer bees et l’horreur des vampire bats. Dans «Nevada Man Invents Piano With 21 Extra Keys», Jad raconte l’histoire du mec qui rajoute des touches au piano : 109 touches au lieu de 88. L’ensemble est surprenant.

a8810nothing.jpg

Un nouveau coup de génie se niche sur «And Then Nothing Turned Itself Inside-Out». Il s’agit bien sûr de «Cherry Chapstick». Ira la bombe rallume la mèche. C’est terrifiant d’allure et de maîtrise, bardé de classe. Ira la bombe s’en va exploser au firmament de la magie pop avec des ti ti ti tup et un solo de trasher. Il est avec Ron Asheton le killer définitif. Il bouffe toute la magie du rock toute crue et lance ses mélodies à l’assaut de nos imaginaires. Le solo de fin est l’un des plus violents de l’histoire du rock. Encore une pièce bien énervée avec «You Can Have It All». Georgia chante par dessus les pah pah pah d’Ira qui finit par monter à l’assaut du Brill en embrayant sa distorse. Voilà encore un album magique qu’il faut écouter à tête reposée. Ils mettent aussi le cap sur le groove plus résolument, comme on peut le constater à l’écoute de «Our Way To Fall», doté d’une mélodie enchanteresse. Typical Tengo. Très beau aussi, le dernier morceau de l’album, «Night Falls On Hoboken». On l’écoute parce que c’est Tengo. Il s’y passe des choses !

a8811summer.jpg

On trouve pas mal de jolis grooves sur «Summer Sun». «How To Make A Baby Elephant Float» lévite à la note xylotique. Ce groove de rêve est chanté au mou de veau. Ils ressortent leur vieille science du groove ambiancier pour «Don’t Have To Be So Sad». Ira y révèle un charme irrésistible. C’est magnifique dans l’intention et joué au sableur dans la douceur du temps. On retrouve nos surdoués favoris dans «Winter A Go Go», doté du meilleur son de basse et de xylo. On se régale aussi de «Season Of The Shark», belle pièce de pop fine et charmante - Just look around - Ira sait chanter le charme discret de la pop de la bourgeoisie. Ils se tapent quand même un petit brin de délire avec «Let’s Be Still». Ira rejette dans la compote ses vieux thèmes mélodiques. Et Georgia boucle ce bel album tendre avec «Take Care» et un heavy claquage de balladif.

a8812notafraid.jpg

«I Am Not Afraid Of You And I Will Beat Your Ass» propose au moins deux classiques intemporels. Pour commencer, une belle pièce de rock hypnotique avec «Pass The Hatchet I Think I’m Goodkind». On note le jeu de batterie incroyablement riche de Georgia. Quant à James, il joue les imperturbables. C’est un sacré seigneur des anneaux. L’air de rien, Georgia n’en finit plus de relancer la machine. L’autre gros coup se niche en fin de face 4 : «The Story Of Yo La Tengo». Pur jus de Tengo. Il leur faut du temps, alors ils se donnent du temps, mas pas n’importe quel temps, ils veulent du temps immaculé pour créer ces ambiances chargées d’ambre et d’or qui vont éblouir le monde. Et en prime, Ira joue comme un diable. Parmi les autres gros cuts de l’album, on compte «The Race Is On Again», joué au son des early Byrds et au bon beat élancé de Californie. Autre belle pièce de pop : «Sometimes I Don’t Get You» chanté à la voix éponge et pianoté comme dans un rêve de gloire.

a8813popular.jpg

«Popular Songs» paru en 2009 est un double album - un de plus - proposant ce qu’on appelle des chutes. Dès «Here To Fall», on est en pris dans la nasse, car voilà un cut sous-tendu d’élégance de garage d’Hoboken. Ira peut gérer n’importe quelle effraction cosmopolite. Il place aussi un solo magique dans «Avalon Of Someone Very Similar». Quand Ira se met en colère, ça donne «Nothing To Hide». Et Georgia devient la mère tape-dur. On y retrouve leur effroyable qualité d’unisson et la fiévreuse distorse qui coule sur les doigts comme une crème tiède et délicieuse. On tombe de l’autre côté sur «If It’s Time», un groove effarant de prescience, car à cheval sur le Brill et Motown. On reste dans le charme discret de la bourgeoisie d’Hoboken pour «All Your Secrets» qui buñuellise en converse d’élégance duveteuse et de touches de finesse. C’est même cousu de fil blanc par une ligne de basse à l’aise et brodé d’un shuffle à l’Anglaise. Tout est beau chez les bons Samaritains d’Hoboken. Ils restent ces excellents conducteurs d’émotivité qu’ils furent à leurs débuts. «More Stars Than There Is In Heaven» est encore un balladif de rêve intense. On en n’attend pas moins d’un doux génie comme Ira la bombe. Et sur la quatrième face, on tombe sur «And The Glitter Is Gone», un puissant thème de grain à moudre. Voilà encore l’un de ces longs cuts qui n’en finissent plus et qui se révèlent hélas propices à toutes les dérives.

a8814fade.jpg

Encore un coup de maître avec «Fade» paru en 2013. Un arbre géant remplit la pochette et on les voit tous les trois, minuscules insectes au pied de l’arbre. En écoutant ce disque, on trouve bizarre qu’Ira la bombe ne soit toujours pas considéré comme l’un des artistes majeurs de son temps. Pour s’en convaincre, il suffit tout simplement d’entrer dans le groove hypno d’«Ohm». Au fil des secondes, on voit la petite magie blanche de Tengo se répandre sur la terre. Ira la bombe ramène son vieux jus de distorse et le cut vire à la transe soufiste. On tournoie dans les dimensions intermédiaires. C’est un bonheur. Arthur irait même plus loin en invoquant une sorte de bouleversement de tous les sens. Voilà encore un cut absolument somptueux. On y retrouve tout le bien-fondé du rock américain. La fête se poursuit avec «Is That Enough». Ira sort sa voix de laid-back pour l’occasion et chante à la ramasse sur le plus duveteux des airs. Il a le côté magique de Lou Reed, mais avec un côté plus softah. Ça va loin, car la chose est belle à pleurer et même violonnée. Ira chante au coin de l’éclat majeur d’une voix incroyablement chaude et juste. Ce mec a du génie, qu’on se le dise. Il faut s’habituer à cette idée. Plus loin, il revient aux vieilles ambiances noisy du Tengo avec «Poddle Forward». C’est leur pré carré, leur terre d’élection : le mid-tempo battu sec par Georgia avec un Ira qui se perd dans la noise dévoyée. C’est tout simplement admirable d’ingénierie du son. Avec «Stupid Things», on se rapproche encore du cœur de Tengo qui est la beauté harmonique à l’état le plus pur. Pure merveille aussi que ce «I’ll Be Around» qu’Ira gratte à coups d’acou exacerbés. Tout l’art d’Ira ira au ciel. Attention, «The Point Of It» vaut aussi le détour. Dès l’abord du couplet, ça sonne comme un hit. Ira va tout de suite chercher l’accent vainqueur et il roule la suite dans la farine du chat perché. Quelle aventure ! Ce mec ne s’arrête jamais. Il n’en finit plus d’enchaîner les instants d’instantanéité fatale où la beauté télescope l’esprit, où la mélodie se fond dans l’ouate. Rien d’aussi dépouillé dans la manière de travailler ce fil mélodique d’argent qu’on voit briller au soir d’une vie de tourment. Et Tengo finit avec une nouveau coup de Jarnac, un «Before We Run» embarqué aux violonnades. On les sent vraiment décidés à en découdre avec la postérité. Ils mènent le même genre de combat que Killing Joke, mais avec des sons très antipodiques.

a8815stuff.jpg

«Stuff Like That There», c’est très exactement le set de la Cigale. On y retrouve le fabuleux «Ballad Of Red Bucketts» échappé d’«Electr-O-Pura», joué au laid-back californien d’Hoboken. Ils reprennent aussi «Deeper In The Movies» échappé d’«I Can Hear The Heart Beating As One», mais sans le gros son d’antan. L’acou règne sans partage sur cet album. Si on aime bien Tengo, on se pourlèche les babines de «Rickety», un groove softy joué sous le boisseau, en douceur et en profondeur. C’est même peut-être un peu trop calme. Il tapent dans les Cure avec «Friday I’m In Love». Ils cuisinent Robert Smith à la sauce Velvet. Le hit de l’album se trouve en face B. Il s’agit bien sûr de l’excellent «Automatic Doom» chanté à l’harmonie d’unisson moelleux et duveteux. C’est une merveille d’équilibre spirituel, une beauté absolue, une huître qu’on voit briller dans l’écrin rouge d’un soir d’été. Ira chante «Awhile Away» à la pointe de l’extrême délicatesse de glotte. C’est un bonheur sangloté. Sur cet album, ils softisent tout, même Parliament avec «I Can Feel The Ice Melting».

a8816prisonners.jpg

Pour ceux qui ne veulent s’embarrasser avec ce gros tas d’albums, il existe une solution radicale : la compile «Prisoners Of Love» . Tout y est. C’est un vrai panoramique : «Sugarcube» (purée de mélasse, son de court-jus, magie filetée, le son de nos meilleurs amis), «Little Eyes» (édifiant de délicatesse), «Our Way To Fall» (merveilleusement spongieux, tellement laid-back que la voix n’ose se poser), «From A Motel 6» (guitare folle sur canapé softy, groove tellement ambivalent qu’on s’en inquiète), «Tom Courtenay» (le hit de la brigade légère, l’éclat des géants de cette terre, pur sun zoom spark beefheatien), «I Heard You Looking» (magie évanescente, sauvagerie à tous les étages), «Big Day Coming» (monté sur une saturation dégoulinante de jus de beat), «Drug Test» (Ira chante comme un héros), «Season Of The Shark» (balladif de rêve absolu, chaleureux, intime et d’une beauté suprême), «Upside Doswn» (violent et puissant, gorgé de ferveur adolescente et d’excitation), «Blue Line Swinger» (un hymne digne des grandes heures de Todd Rundgren), «The Story Of Jazz» (insondable profondeur du génie pop, merveilleuse dégelée, limpide et heavy en même temps) et «By The Time It Gets Dark» (chanté au plus doux du soft - Ira la bombe va plus loin que Nick Drake qui est malheureusement incapable de tendresse).

Signé : Cazengler, Yo la Twingo

Yo La Tengo. La Cigale. Paris XVIIIe. 23 octobre 2015

Yo La Tengo. Ride The Tiger. Coyote Records 1986

Yo La Tengo. New Wave Hot Dogs. Coyote Records 1987

Yo La Tengo. President Yo La Tengo. Coyote Records 1989

Yo La Tengo. Fakebook. Restless Records 1990

Yo La Tengo. May I Sing With Me. Alias 1992

Yo La Tengo. Painful. Matador 1993

Yo La Tengo. Electr-O-Pura. Matador 1995

Yo La Tengo. Genious + Love. Matador 1996

Yo La Tengo. I Can Hear The Heart Beating As One. Matador 1997

Yo La Tengo. Little Honda. Matador 1997

Jad Fair & Yo La Tengo. Strange But True. Matador 1998

Yo La Tengo. And Then Nothing Turned Itself Inside-Out. Matador 2000

Yo La Tengo. Summer Sun. Matador 2003

Yo La Tengo. I Am Not Afraid Of You And I Will Beat Your Ass. Matador 2006

Yo La Tengo. Popular Songs. Matador 2009

Yo La Tengo. Fade. Matador 2013

Yo La Tengo. Stuff Like That There. Matador 2015

Yo La Tengo. Prisoners Of Love. Matador 2005

Sur l’illustration, de gauche à droite : Georgia, Ira la bombe et James.

21 / 11 / 15

COUILLY PONT AUX DAMES

METALLIC MACHINES

JALLIES

a8820affichemetallic.jpg

Malade comme un chien toute la semaine. Dois m'en remettre aux bons soins du Grand Phil pour qu'il me tire des griffes de la mort. Possède le remède miracle. Voilà pourquoi nous fonçons à toute allure, dans la nuit noire et venteuse sous les assauts d'une pluie cinglante, vers la clinique locale de Couilly-Pont-aux Dames, réparations toutes marques. Troisième fois que je me rends à Couilly et tous les lecteurs attendent une fois de plus que je me livre à quelques spirituels jeux de mots bien gras sur le nom de cette charmante localité. C'est là bien mal me connaître, ce soir ce n'est pas le pont glissant, tournant et culbutant des Dames que nous empruntons, mais c'est avec trois vraies demoiselles que nous avons rendez-vous, aussi m'abstiendrai-je de toute plaisanterie habituelle un tant soit peu grivoise. Les rockers savent se tenir. De véritables gentlemen. Si vous ne me croyez pas lisez ci-dessous la vie du légendaire leader de Motörhead.

Le GPS a dû se tromper de chemin, mais nous arrivons avec une demi-heure d'avance sur l'horaire prévu. Les trois tourterelles, perchées sur de haut tabourets, entourées de l'équipe entière des Meccanos Machinistes, à leurs petits soins, pépient autour des assiettes de chips. En guise de gouttes d'eau, elles engloutissent de longs verres baignés d'un liquide écarlate que certains poivrots du dimanche matin s'obstinent à baptiser de la belle appellation incontrôlée de sang du seigneur.

En tout cas, les Machinistes ne sont pas sexistes. Nous invitent, le Grand Phil et itou, à partager le repas qu'ils ont préparé pour accueillir dignement les trois mésanges bleues. Une exquise succulence, une énorme marmite de macaronis crémeux accompagnée d'un chaudron magique de cuisses de pigeons de toute tendresse. N'avaient pas dû manger depuis trois jours, nos grivettes, se ruent sur ses mets royaux comme des vautours affamés, puisent sans relâche à pleines louches dans la fricassée et les assiettes de pâtes défilent à toute allure... Comme disait ma grand-mère, une sainte femme, celles-là, vaut mieux les avoir en photo qu'à table.

Ensuite nous partons pour le Louvre. Nos colombes repues sont de véritables artistes. S'adonnent à la peinture. Enfin je comprends le mystère du regard de la Joconde. Futé le Léonard de Vinci, a dû apercevoir, à travers une faille de l'espace temps, nos trois bergeronnettes peinturlurer le pourtour de leurs yeux à l'Eye Liner. Na plus eu qu'à recopier après.

Nos trois cigognes nous quittent pour aller se changer à l'étage... Les deux pièces se remplissent d'un joyeux brouhaha, le monde arrive, le concert peu commencer.

CONCERT

a8829tousbien.jpg

Sont là eux aussi. Tom et Kross. Ont bien aménagé leur coup. Démarrent sans prévenir. Vous n'avez pas voulu nous voir. L'on compte pour du beurre, eh bien, vous allez nous entendre. Tous deux penchés sur leurs instruments, ne regardent personne, l'on n'aperçoit que leurs chapeaux noirs, de véritables tueurs de la mafia occupés à une triste besogne. Devant dans la volière, c'est l'affolement, plus le temps de se lisser les plumes et de faire les belles. Mais elles n'ont aucune envie de se laisser distancer. Prennent leur envol en deux battements d'ailes, un triangle parfait d'oies sauvages en partance pour la grande migration, la traversée des océans dans les embruns des tempêtes et les souffles brûlants des déserts de feu.

a8828leslie.jpg

Pas mal, mais les gars sont devant et ne ralentissent en rien. Course poursuite. Jamais les Jallies n'ont descendu leurs sets à une vitesse aussi vertigineuse. Ça ronfle de tous bords. Tom ne joue pas de la guitare. Il pilote un hors-bord, l'on croirait entendre une Gitane Testi des années soixante, débridée cela va de soi, lancée en pleine course à deux heures du matin, avec les mégaphones interdits rajoutés, pour le seul plaisir de réveiller quarante mille habitants en dix minutes, attaque de spitfires en piqué, c'est Kross qui fait tournoyer sa contrebasse noire sur elle-même comme une hélice de moteur emballé, l'arrête d'un coup sec pour mieux lui taper sur les cordes, l'en sort des sons caverneux, puis il lui étripe les cordes à pleins doigts et on a l'impression qu'elle barrit comme un éléphant dont le cornac serait atteint d'une crise de démence.

a8831tousbien.jpg

Ne soyez pas inquiets pour nos oisillonnes. Avec la provision de vitamines qu'elles ont gobée tout à l'heure, elles ont de l'énergie à revendre. Entament la chasse à trois, se relaient dans les couplets, ne sont-elles pas le trio Jallies ? Et très vite c'est à chacune son tour de mener le train. Dans sa délicieuse jupe rose à fil mauve Leslie démarre en flèche, à la pink Thunderbird, vous descend les classiques à la kalachnirock, en force, droits d'équerre à la Esquerita, elle screame à fond these boots de Nevers pour une escrime primale. La Vaness n'est pas en reste, elle bat la charge sur la caisse claire, avec tant de violence que le pauvre tambour essaie de se défiler sur la droite, alors d'un geste rageur elle le retire violemment sur sur sa gauche comme un chariot de machine à écrire. Céline souffle dans son rumble kazoo comme si elle jouait du saxophone. S'est débarrassée de son écharpe pour mieux nous écharper. Nous vrille les oreilles et l'on en redemande. S'entraident, se soutiennent, n'en restent que deux pour les chœurs lorsque l'une chante, mais font autant de bruit que la maîtrise de Radio-France dans le Die Irae du requiem de Mozart.

a8827tom.jpg

Mais ce soir les boys ont décidé de montrer qui sont les hommes. Tom énervé par ses trois nanas ne se retient plus. Casse une corde de sa guitare, pas question de la changer, possède une deuxième Durandal tout près de lui, s'en saisit et pris d'une véhémence subite la porte à sa bouche et lui inflige un solo hendrixien du meilleur effet. Elle en frétille d'aise de toutes ses frettes. La salle est prise d'une frénésie orgasmatique. Vanessa relève le défi. D'abord une goulée de picrate qui gratte, une inhalation de clope ramonante, juste pour le plaisir de transformer son gosier en toile émeri, sur laquelle elle se râpe à dessein la voix. Rauque and râle, chaque note comme une balle traçante. Une torpille qui vient vous cueillir sous la ligne de flottaison avant de vous exploser le caisson. Heureusement que Céline est là, elle passe la caresse du swing sur vos écorchures, malédiction, elle vous tamponne avec du gros sel, et vous nettoie à l'acide chlorhydrique. Carpe diem, ces deux mots de l'antique sagesse épicurienne sont tatoués au bas de la nuque de Leslie. Je croyais qu'ils étaient une invitation au plaisir, mais ma traduction était une erreur, elle vous balance deux derniers rock avec une telle violence, que vous comprenez que vous n'êtes plus qu'une carpette bien aplatie sous ses pieds rageurs. Le genre de traitement qui n'a pas l'air d'intimider Kross qui aligne les soli rageurs avec une constance méritoire. Résultats du match mixte : une partie endiablée. Un petit rappel et c'est fini. Sous les acclamations. Un de leurs meilleurs concerts.

THE END

Des fous furieux. Des hystériques. Si elles continuent, sur ce rythme, va falloir retenir des places en maison de repos. Les rossignolettes sont allongées sur la scène. Sont assaillies de partout. Surtout par des filles, je remarque que les gars plus attentionnés leur laissent le temps de reprendre souffle. Pour la majorité des spectateurs, c'est la première fois qu'ils assistaient à une soirée Jallies, chacun voudrait en emporter un petit morceau chez soi. Les disques s'envolent et s'arrachent. Des stars qui paraphent sans interruption...

a8832signature.jpg

Plus tard je rejoins le Grand Phil dans sa voiture. Excellente médicamentation, lui dis-je. Oui, mais il ne faut pas en abuser, me répond-il. J'ai cherché, mais à l'heure où j'écris ces lignes je n'ai encore ressenti aucun effet indésirable. A part peut-être une légère sensation d'accoutumance.

Damie Chad.

 

31 – 10 - 2015

LAGNY – SUR – MARNE

local des loners

JALLIES

a8821aficheloners.jpg

En cette soirée de Samain, nous enfourchons notre balai pour voler jusqu’à Lagny-sur-Marne, au milieu de la zone industrielle. Les ténèbres nous enveloppent. Où nous sommes-nous donc fourvoyés ? Sauvés. Au loin, un feu sert de phare dans la nuit désolée, et nous atterrissons enfin au local des Loners. Quelques têtes connues. Et les Jallies. Plus besoin de se demander pourquoi on est là.

a8822loners.jpg

Le temps de discuter et à 10 heures, c’est parti. Un premier set. Elles commencent piano, puis telles le feu, elles prennent de plus en plus d’ampleur. Le feu couvait. Il devient feu de broussailles, puis feu de prairie, incendie de forêt, avant que l’éruption volcanique ne jaillisse des Jallies. Les puissances chtoniennes du rock-swing-abilly se sont toutes données rendez-vous dans cette ancienne usine pour jaillir de terre. Rien ne peut résister à ce flot chantant bouillonnant. Et surtout pas le public qui écoute, charmé par ces sirènes montées sur les dragons de la musique. Brasier, raz-de-marée qu’elles entretiennent à plaisir en allant chercher les spectateurs, en les interpellant, en les piquant au vif.

a8823loners.jpg

Deuxième set. D’emblée mené tambour battant. C’est tout de suite l’explosion. Elles ont décidé de ne pas nous laisser respirer. Et il ne faut pas compter sur Tom et Kross pour les ramener à la raison. C’est à qui frappera le plus violemment nos oreilles. Un solo de caisse claire, un riff de guitare. Personne ne veut lâcher le morceau. Ils cherchent à se conquérir une place que nos trois belles ne leur accordent qu’avec parcimonie Plus de trente morceaux de ce combat qui vient culminer en un Jumps, giggles and shouts qui transporte le public.

a8824kross.jpg

Un concert qui envoie. Et pourtant. Devant nos airs incrédules, elles persistent à nous dire qu’elles n’avaient pas dormi depuis 48 heures. L’envie irrépressible nous prend alors de les retenir, de les empêcher de dormir pour qu’elles gardent cette belle énergie qui roule, torrentielle, depuis les cimes de leur chant jusqu’à la mer de nos oreilles avides, pour le bonheur d’écouter toujours ces Queens of rock’n’roll.

a8825filles.jpg

Philippe Guérin

( Toutes Photos Jallies : Philippe Guérin )

 

MOTÖRHEAD

24 HISTOIREs POUR LEMMY

 

THOMAS FLETTOUR / KARINE MEDRANO / JEAN-PIERRE JAFFRAIN / PIERRE MIKAÏLOFF / PATRICK FOULHOUX / JEAN-LUC MANET / DAVID BOLDIN / GIUGLIETTA / MERLE LEONCE BONE / MAX WELL / MATHIAS MOREAU / STEPHANE GRANGIER / STANISLAS PETROVSKY / OLIVIER KERAVAL

ALAIN FEYDRI / JEAN-ERIC PERRIN / FREDERIC PAULIN / PIERRE DOMENGES / STEPHANE PAJOT / HUGUES FLECHARD / DENIS ROULLEAU / STEPHANE LE CARRE / JEAN-NOËL LEVAVASSEUR / PATRICK CAZENGLER

 

( Camion Blanc / Octobre 2015 )

a8833booklemmy.jpg

Lemmy. Pas Escudero, l'autre. Avec deux M comme Monstruoso Maximo. Le rocker dans toute sa splendeur. L'a pris l'image d'Epinal et a décidé de l'incarner. A fond. Toute la surface. Pas un centimètre carré de blancheur innocente. Que du noir, le plus sombre. Personne n'a réussi à faire mieux. A part Jerry Lou qui a fait pire. Que voulez-vous c'est la loi de dégénérescence de l'Humanité. Les fils ne dépassent jamais les pères. Le principe d'entropie de Carnot. Heidegger nous l'a explicité, n'y a rien de plus fort que l'origine pour estimer l'essence d'un phénomène. Mais ne nous éloignons pas de notre mauvais sujet. Revenons à notre mouton noir. L'animal est mal choisi, Lemmy c'est plutôt le monstre du labyrinthe, celui qu'aucun Thésée ne serait jamais parvenu à vaincre. Imaginez un antique dinosaure, un tyranosus vivant, un méchant gros lézard échappé de la préhistoire qui s'en viendrait vivre parmi nous, au cœur de nos cités, pour les détruire. Les quatre chevaliers de l'apocalypse réunis en une seule personne. Vous voulez du sang, du meurtre, de la violence, de la musique qui tue, alors écoutez un disque de Motörhead. Pour les plus courageux, risquez-vous dans un de leurs concerts. Si vous êtes du genre prudent qui tenez à vous documenter avant de tenter l'expérience, prenez ces Vingt-quatre Histoires pour Lemmy. Un diamant noir. Taillé dans le carbone.

S'agit pas de raconter sa vie. La bio, avec les dates, les lieux, les noms de comparses, la discographie au cordon vous la trouverez ailleurs. Ici l'on vous donne un aperçu. Une idée, au sens platonicien du mot. Une représentation de l'univers mental et existentiel de la Bête. Celle qui dépasse toutes les autres d'une tête. La six cent soixante septième. Celle dont la Bible n'avait même pas osé prophétiser l'existence. L'inenvisageable par mésexcellence. Le parfait rocker dans toute son horreur, dans toute sa laideur, dans toute sa bêtise crasse. Un peu comme cette boutique russe au slogan inimitable : vous ne trouverez pas plus cher ailleurs.

a8835lemmy.jpg

Pour beaucoup, en un premier temps, le rock and roll, c'est comme le teddy bear d'Elvis Presley, une grosse peluche soyeuse, douce au touché, qui dégage un agréable parfum. Vous en mangeriez. Vous en raffolez. Mais au bout de quelques mois, le super jouet duveteux s'est transformé en un horrible nanan, une loque infâme et informe, un chiffon gluant de bave et de transpiration, une harde innommable, dégoutante et puante. Un haillon répulsif. Votre entourage essaie de le passer à la machine à laver, de l'engloutir au fond de la poubelle, de l'éliminer dans la chaudière du chauffage central. Mais c'est trop tard, vous le défendez contre ceux qui voudraient vous l'arracher, vous vous y cramponnez, vous le plaquez contre votre corps, vous le cachez sous vos aisselles poilues, vous le collez contre votre sexe libidineux, vous l'aplatissez contre votre anus mordoré, vous êtes comme le bébé dépendant de sa charpie excrémentielle, la bouche collée, en liaison permanente, à son biberon bubonique infesté de cent mille microbes ( qui vous immunisent de vous-même ), bref vous êtes devenu un accro du rock and roll. Un irréductible accrock. Et comme vous vous laissez gouverner par vos plus mauvais instincts, de tous vos chouchous favoris, vous préférez le plus pourri. Pas Johnny le Rotten, qui a fini piteusement à faire le pitre dans une émission de télé-réalité, non vous choisissez guidé par cet instinct de malinois malin qui caractérise la perversion du fan de base, le pire de tous, Lemmy Kilmister. Vous mettez un poulpe vomitif dans votre moteur, un turbo Motörhead homologué kérosène destructif.

Kilmister, déjà rien que le nom, c'est grave. Deux étymologies possibles selon les philologues les plus respectables : viendrait en droite ligne de Mister Kill, un peu comme si en français vous vous appeliez Monsieur Meurtre, ou alors de Mister Kilt, le t serait tombé au seizième siècle, contraction des plus communes de la langue anglaise, ce qui expliquerait la propension de l'individu à aller farfouiller sous les jupettes des groupies qui ne portent jamais de culottes, comme vous l'explique la moindre édition du quotidien populaire Sun.

a8836acesofspade.jpg

Lemmy, le lémure, ces émanations ectoplasmatiques qui sortaient des tombes romaines, qui s'en venaient jouer avant l'heure aux zombies de la New Orleans et que l'on repoussait, en tapant comme un fou, toute la nuit, sur des vases d'airain. Douceurs musicales qui sont à la base de la musique de Mortörhead et des lignes de basse de Lemmy Kilmonster avec lesquelles il pêche le cachalot au filin d'acier torsadé et rocksado. Ce Lemmy, vous en conviendrez aisément, est un cadeau que la magnanimité du Ciel a offert aux écrivains. Un sujet en or. Vous décapuchonnez votre stylo et l'encre noire coule d'elle-même. Une inspiration divine. Il y a toujours une horreur ultime à révéler au sujet de notre héros. N'y a même pas à gratter. Les pustules dégorgent toutes seules d'horreurs, du pus qui pue, du sang qui sent, du suint de groin... Se sont regroupés à vingt-quatre, qu'y pouvons-nous, si ce n'est de remarquer qu'en notre vallée de larmes le dieu du Mal a deux fois plus d'apôtres que le Christ – ce qui est une indication des plus tristes quant aux propensions morales de cette lamentable humanité inhumaine dont nous faisons partie. Montrez du doigt, à la race humanoïde entière, le soleil lumineux, le Sol Invictus d'Aurélien, et elle ne verra que le revolver avec lequel vous vous apprêtez à lui tirer dessus...

Bref vingt-quatre histoires brèves. Très noires. Bien sûr vous avez le choix, l'innocence bafouée, le meurtre prémédité, l'assassinat passionnel, ne poussez pas il y en aura pour tout le monde, les hommes, les femmes et les enfants ( ces deux dernières catégories d'abord ) pas question d'oublier non plus le chat et le frigidaire. Je vous l'accorde ce sont des victimes innocentes mais attendues. Certes vous ne voudriez tout de même pas que les méchants soient punis et les gentils récompensés. Ridicules sensibleries ! De plus, totalement impossible, dans l'univers impitoyable de Lemmy, les gentils n'existent pas. Ne se risquent pas à glisser un pied dans cette horreur impitoyable. Donc disais-je du menu fretin. L'on trouve du plus costaud sur l'étal de la boucherie. Des ombres pas très nettes échappées des pyramides égyptiennes et les Grands Anciens de Lovecraft – l'aurait dû s'appeler Hatecraft – qui sortent des abîmes comme vous de votre salle de bain chaque matin. A part qu'ils n'ont aucune envie d'aller faire des courbettes et des risettes à leur patron. Vous faites la moue, vous êtes une forte tête. Vous ne croyez point aux dieux des chaos rampant et galopant. Des histoires de bonne femme. A dormir debout. Niveau Belle au Bois fainéantant au lit et Petit Chaperon Rose. Alors, avant de refermer cet océan de stupre ( sexes à éjaculations féroces ) et de mort, l'on vous a réservé le meilleur pour la fin, la vingt-quatrième horreur - de la main de notre Cat Zengler préféré et à nous – qui replace la saga lemmynienne selon des perspectives, historiales pour le siècle précédent, médiatiques pour notre époque de franche bêtise et de froide terreur. Un truc truculent. Vous riez. A en mourir. Esthétique du grotesque néronien.

a8834lemmynaze.jpg

Une dernière précision pour les lecteurs de bonne volonté qui se seraient égaré par mégarde sur notre blogue : la musique de Lemmy Kilmister et de son farouche Motörhead n'entretient aucune relation formelle avec les Concertos Brandebourgeois de Jean-Sébastien Bach. Excusez-nous, ce n'est que du rock and roll. Yes, but we like it.

Damie Chad

 

FEELING

DAN

Préface de BOBBY MICHOT

( Editions Révolution Intérieure / 2007 )

numérisation0001.jpg

Vous êtes peut-être comme moi. Tous les Acadiens, toutes les Acadiennes, vous ne connaissez pas. A part King Creole et la Jambalaya de Hank Williams... J'exagère un peu, Bobby Michot est un musicien de la Nouvelle-Orléans – genre de gars aussi à l'aise sur un accordéon que sur un violon – un nom pour les amateurs de cajun et de zydéco. L'est souvent venu en Europe et en France, notamment au Festival des Baroudeurs, c'est par là en Creuse que je subodore qu'il a dû rencontrer Daniel Giraud. Vous êtes ici en terrain de connaissance, le Giraud nous a donné un texte ( in KR'TNT ! N° 3 du 05 / 11 / 2009 ) sur son premier concert à Marseille, au tout début de la carrière de Johnny Hallyday, la première fois qu'il quittait sa famille à tout juste douze ans... Mauvaise influence, depuis cette soirée fatidique Dan Giraud a écrit une quarantaine de livres et enregistré deux CD de blues...

Ne confondez pas Dan et Dan. Se ressemblent beaucoup. Le premier, Giraud, a écrit le bouquin, le deuxième a donné son prénom pour le titre. Dan Evans pour ceux qui veulent vérifier ses papiers d'identité. N'existe pas en vrai. Un clone de l'auteur qui s'imagine une vie parallèle. Un héros de roman. Vécu, spécifiera-t-il sur la page de garde. N'imaginez ni une longue introspection, ni La Recherche du temps perdu. Quarante-deux pages, pas une de plus. Mais bien remplies. Z'attention dès les premières lignes, la sonnerie est inhabituelle. Ce n'est pas écrit en français. Nous l'avons toutefois échappé belle. Daniel Giraud est aussi célèbre chez les sinologues de gros calibre pour ses superbes traductions de poëtes de l'Empire du Milie. Ne connaît pas plus le chinois que vous et moi, mais il se débrouille comme il peut. Dictionnaires et une certaine appétence préférentielle pour les philosophies orientales du rien. Restez zen, ne nous a pas fait le coup du texte en idéogrammes. C'est presque du français, c'est du cajun. Les constructions de phrase de guingois, et le vocabulaire un peu à côté de nos acceptions nationales. N'ayez crainte, l'on s'y fait assez vite.

Ce n'est pas une lubie. Mais son héros – le fameux Dan Evans – est né là-bas, c'est donc un déraciné de partout. N'est pas à la recherche de son identité non plus. Pas le genre de gars qui mettrait un drapeau tricolore sur son profil de facebook. D'abord parce que la France a retiré ses billes de la Louisiane depuis plus de deux siècles, ensuite parce qu'il a plutôt l'impression de faire partie de la grande famille internationale des oubliés, des pourchassés, des laissés pour compte. Ces prolétaires de tous pays qui n'ont pas encore réussi à s'unir contre les forces astringentes du Capital et des prisons coercitives des Etats... Mais le prêche politique, ce n'est pas son genre. Vit sa vie, en toute simplicité, washboard dans les mains pour courir de bal en bal, alcools, rires et jolies filles... Ces dernières plus rares maintenant que le cap de la cinquantaine est dépassé. La tête bien faite, aussi à l'aise dans le tourbillon frénétique de ces corps juteux et de toutes les couleurs qu'un alligator local dans le bocal du marais.

La tête bien pleine aussi, les poètes de la Beat Generation et les écrivains cajuns inconnus dans nos campagnes sont ses références. Pas celle du journaliste de France-Culture qui l'interviewe, ce qui nous vaut une scène finale hilarante... Pas un roman comique, même si la Gaya Scienzia est à l'honneur en ces pages truculentes. Sont aussi pleins de hargne, les deux Dan. Pas tant contre Kaltrina. Que peut-on faire contre un ouragan ? Sinon rien. Mais pour les hommes beaucoup. Surtout pour les pauvres. Surtout pour les noirs pauvres. L'est par exemple inutile de les tirer à coups de fusil comme des poules d'eau pendant que l'autre moitié des escadrons de police est en train de piller les magasins. Quarante deux pages mais aussi débordantes de joies et de colère que les eaux du Mississippi qui emportent les digues.

Un livre, pour tous les amateurs de blues zingué au zydéco.

Damie Chad.

 

JOHNNY HALLYDAY

avec PHILIPPE MANOEUVRE

LA TERRE PROMISE

( Fayard / Novembre 2015 )

a8838bookjohnny.jpg

Un livre de Johnny Hallyday. Enfin presque. N'est pas un styliste reconnu de la belle prose françoise, le Johnny. En est le premier conscient. Les boss de la mafia ont leurs porte-flingues, Johnny a choisi son porte-plume. N'a pas pris un jeune fou aux images décapantes. L'a opté pour la sécurité, le rédac-chef de la grande revue rock française. Non, pas Disco-Revue. L'autre, Rock & Folk. Philippe Manoeuvre, in person, tout heureux de profiter de l'aubaine. Un voyage de quinze jours, tous frais payés, aux Amériques, qui se permettrait de refuser une telle aubaine ? L'est pas idiot Manoeuvre, sait bien que l'on achètera le livre qu'il aura écrit pour Hallyday, et point pour lui, alors il se fait tout petit, n'est plus le rédac-chef du magazine amiral de la revuistique rock nationale, se déguise sous un nom de code : sera le Scribe, le serviteur fidèle qui prenait note des désidérata du pharaon-maître.

Johnny. Possède ses milliers de fans. Qui représentent sa caution démocratique. Ce qui ne l'empêche pas d'être un des personnages les plus haïs de France. Dans les années soixante, l'était le jeune coq braillard triomphal, le chef de la bande de tous les coquelets admiratifs, et les mâles attitrés de la tribu se demandaient quel stupide plaisir prenaient les poulettes à se faire sauter par ce tendron à peine issus de l'œuf. Dans les années soixante-dix, ce fut un déluge de feu qui s'abattit sur lui. Les carrières se dessinaient, l'armée des forts en thème se fadaient le boulot quotidien, le patron qui tient les cordons de la bourse, les horaires de bureau, les petites payes, et pour les plus heureux les médiocres tirages de livres qui n'intéressaient personne. Et puis de l'autre côté il y avait Johnny qui s'acharnait à casser les voitures de luxe, qui claquait un argent fou, qui voyageait aux quatre coins du monde, qui tournait des films, qui faisaient tous les jours de sa vie ce que vous rêvez de perpétrer toutes vos nuits. Jalousie et ressentiment, les plus viles postulations de l'âme humaine, ainsi que Nietzsche l'a théorisé.

Dans les années quatre-vingt, la fausse indifférence que l'on accordait à ce jeune voyou se mua en rancœur détestable. L'était trop tard pour s'attaquer au chanteur alors on dénigra son quotient intellectuel. L'on se riait de lui, l'on se moquait de la construction de ses phrases – vraisemblablement parce que les membres de l'intelligentsia soit-disant si instruite n'avait jamais entendu parler d'anacoluthe – on l'interviewait en lui posant des questions sur des sujets qui n'étaient manifestement pas dans ses centres d'intérêt. L'état gentil Johnny, l'aurait pu leur demander à brûle-perfecto le nom du bassiste qui accompagnait Muddy Waters sur I got my mojo workin, mais non, préférait rester humble et ne pas étaler sa science.

 

a8839disc.jpg

Inébranlable comme un roc(k) ! Dans les années quatre-vingt-dix fallut se résoudre à l'accepter comme faisant partie des personnages indéboulonnables de l'imaginaire national. Au millénaire suivant, carpettes et hypocrites, peut s'essuyer les pieds sur les paillassons médiatiques. La vengeance est un plat de jubilation qui ne se partage pas.

Mais tous ceux-là ne comptent pas. Sont des quantités négligeables et méprisables. N'aiment pas le rock. Leur avis est nul et non advenu. C'est à la fin des années soixante que se produisit entre Hallyday et le public rock, un hiatus dont les effets se perpétuent de nos jours. Toute une génération nouvelle, post-soixante-huit découvre le rock se branchant directement sur le phénomène hippie et psychédélic. Oubli total de la première génération d'artistes rock. Relégation dans le dédain le plus total des pionniers, américains, anglais et encore plus français. Beaucoup périrent, Johnny s'en sortit tant bien que mal. Des hauts et des bas. Tantôt des flamboyances rock, tantôt l'accolade à la rock variétoche radiodiffusable. Le médiocre de sa production jetant le doute et l'opprobre sur le meilleur.

N'a pourtant pas renoncé à ses rêves de tout jeune rocker, Monsieur Hallyday. Maintenant qu'il court sur ses soixante-dix balais peut tout se permettre. Comme une tournée aux Etats-Unis. Treize dates sur le continent américain. Un pari audacieux. Un truc qui ne rapportera pas d'argent, sans en perdre non plus. Une aventure dont le souvenir devra être perpétuée dans les stèles de marbre de la mémoire humaine. En termes plus simples, un livre qui relatera l'ensemble de l'Odyssée. D'où la nécessaire présence de Philippe Manoeuvre et même d'un photographe officiel dont les clichés sont sensés immortaliser les moments les plus forts. Les photographies de Dimitri Coste ne sont malheureusement pas servies par la porosité du papier. Le blanc et noir se résorbe en un gris sombre tout terni, peu appétissant...

Donc Johnny en tournée. Deux poids, deux mesures. L'avion privé pour le Roi et le staff, la route et les poids-lourds pour les techniciens. Idem pour les étoiles des hôtels. Tout le monde n'est pas logé à la même enseigne... Maintenant c'est bien Johnny le patron, tout repose sur lui. Ne s'est pas embarqué sans biscuit. Possède un atout-maître : ses musiciens, forment un groupe, le groupe qui lui manque depuis des années. Et qui tiendra ses promesses. Le scribe s'émerveille sur l'organe de Johnny ( non, demoiselles ) vocal, trompettant, tonitruant, un baryton chargé de tendresse, de hargne, de colère, de volupté, empreint d'une intensité dramatique telle qu'il transforme le plus passable des lyrics en répartie mélodramatique shakespearienne, solitude et désespérance humaines pétries de chair et de sang, compréhensibles même pour des oreilles américaines.

Certes Johnny passe dans de petites salles d'une capacité moyenne de deux mille places, mais le public est là, une trentaine de fans venus de France, la communauté française expatriée, mais aussi beaucoup d'américains attirés par quelques articles louangeux de presse locale. Succès à chaque concert. Beaucoup de professionnels admiratifs du personnage de Johnny qui en impose par sa science innée de la scène et son punchy show, ce qui n'est pas toujours de l'avis de l'idole qui habituée aux grands plateaux des stades pense que parfois le spectacle tourne à l'amateurisme... Johnny est son critique le plus féroce. Le scribe est pourtant formel, il interroge tous les participants, se répandent en éloge, ceux qui le suivent depuis plusieurs années sont unanimes : ont beaucoup appris avec le boss même s'ils ont auparavant travaillé avec des étoiles confirmées du rock américain.

a8840affichebook.jpg

Johnny n'a pas écrit une ligne mais a beaucoup parlé. Manoeuvre rapporte ses paroles. Que vous aimiez ou non Johnny, vous reconnaîtrez qu'elles sont basées sur de longues et indéniables expériences. Valent leur pesant d'or apollinien, et de plomb saturnien aussi. Le plus étonnant c'est le jugement que Johnny porte sur sa carrière. L'est le dernier des brontosaures. N'y a que les Stones qui sont dans une situation identique. Sont les derniers rockers. D'ailleurs le rock est mort depuis longtemps. Avec Eddie Cochran et Gene Vincent, qu'il cite à plusieurs occasions. Avoue aussi son admiration pour Lonnie Donegan et Johnny Rivers...

Parle d'après lui-même, de sa situation, mais vit un peu trop dans l'empyrée mythique d'une carrière semi-centenaire, lorsqu'il demande à ce qu'on lui cite des noms d'autres rockers, Manoeuvre se tait, ne répond rien, pourtant rien qu'en France, Jake Calypso, Spunyboys et Howlin' Jaws, pour ne citer que ces trois-là, ne nous semblent pas frayer dans la chansonnette à trois sous... Sont moins célèbres que lui, mais question attitude rock and roll, pour l'instant il n'ont pas encore versé de l'eau dans leur vin...

Et puis, la tournée terminée, Hallyday file enregistrer ce qui est aujourd'hui son avant-dernier album, Rester Vivant, qui a beaucoup déçu... lui qui a sans arrêt le mot rockabilly à la bouche devrait parfois porter un regard plus aigu et une oreille plus attentive sur ses productions... L'est prisonnier de son entourage, de son mode de vie, ne donne plus des sets de rock and roll, mais de grands spectacles qui étouffent toute authenticité. La terre promise, faut savoir y arriver nu.

 

Sur ce, dans notre France contemporaine, j'ai davantage d'estime et de sympathie pour Johnny Hallyday que pour la plupart de nos hommes politique, médiatiques et culturels à la Bernard Henry-Lévy. L'est quand même beaucoup plus rock.

Damie Chad.

 

10/06/2015

KR'TNT ! ¤ 239. Mr AIRPLANE MAN / DRAIGH / JOE HILL / GUN CLUB / JALLIES / ONE DOLLAR QUARTET / ERVIN TRAVIS NEWS

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

A20000LETTRINE.gif

 

 

LIVRAISON 239

A ROCK LIT PR ODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

11 / 06 / 2015

Mr AIRPLANE MAN / DRAIGH / JOE HILL

GUN CLUB / JALLIES / ONE DOLLAR QUARTET

ERVIN TRAVIS NEWS

 

ERVIN TRAVIS NEWS

 

a8039ervin.JPG

 

Toujours beaucoup de repos et un peu de soleil pour Ervin afin

que dans un premier temps son moral remonte petit à petit.
Il continue sur sa lancée, nous savons que ce sera très long,

avec des bas et quelques petits "hauts", rares pour le moment,

mais encourageants malgré tout pour poursuivre ce long parcours.
Examens à faire et prise de sang tous les 15 jours.
Voilà pour les nouvelles actuelles
Merci pour tout ...

( voir FB :Lyme-Solidarité Ervin Travis )

 

LE SON DU COR - 30 / 05 / 2015

a8008lecor.jpg

ROUEN( 76 )

Mr AIRPLANE MAN

Hey Mr Airplane Man,

play a son for me

À la fin des années quatre-vingt dix, la grande mode des groupes à deux battait son plein. On récupérait une guitare et un copain batteur, et pouf, on montait un groupe. Les Black Keys, Winnebago Deal, les Kills et les White Stripes se bousculaient au portillon. Mais le duo le plus intéressant de la meute, ce fut Mr Airplane Man. Margaret Garrett et Tara McManus avaient tout bon en choisissant un titre d’Howlin’ Wolf comme nom de groupe. La classe.

 

a8001dessin.gif

Elles eurent aussi la chance de fréquenter Mark Sandman - leader de Morphine - et de rencontrer Don Howland - ex ‘68 Comeback et leader des Bassholes. Sandman leur donna un bon conseil : achetez une vieille Cadillac et partez en tournée avec. Ce qu’elles firent. Elles traversèrent les États-Unis depuis la côte Est jusqu’au Deep South. Elles se retrouvèrent un beau jour dans le salon de Monsieur Jeffrey Evans, à Memphis. On s’en doute, leur vie changea du tout au tout. C’est là que Don Howland leur conseilla d’écouter Jessie Mae Hemphill, Junior Kimbrough et RL Burnside, les cracks du North Mississippi Hill Country Blues.

a8005photo4.jpg

Avec ces bons conseils, Margaret et Tara étaient parées. Elles disposaient de tout le nécessaire pour cartonner : les influences et le son. Il ne leur manquait qu’une chose : le label. Long Gone John qui grenouillait déjà dans les parages de Monsieur Jeffrey Evans fit paraître leur premier album sur Sympathy For The Record Industry - un label aussi cher au cœur des amateurs éclairés que le sont Crypt, Estrus et In The Red.

a80010redlite.jpg

«Red Lite» parut à l’aube du siècle, en 2001. Margaret et Tara y dévoilaient leurs petites racines blues et Monsieur Jeffrey Evans qui les produisait veillait à ce qu’elles disposent du son le plus trash qui se put concevoir à l’époque. Nick Diablo donnait un petit coup de main aux filles en grattant sa guitare trash ici et là. Quand on écoutait «Johnny Johnny», on se régalait du son, avec ce dégueulis de distorse sur la moquette, mais le petit tatapoum idiot de Tara agaçait sérieusement. Elles lancinaient avec «Pretty Baby I’m In Love With You» et derrière, Tara tatapoumait toujours aussi bêtement. Heureusement, Margaret bavait dans son micro et le larsen oxydait les cordes. Elles passaient aux choses sérieuses avec une version hypnotique du «Wanna Be Your Dog» des Stooges. Margaret amenait ça comme un orgasme. Tripoter le caoutchouc des choses légendaires ? Pas de problème. Elles en sortaient une version linéaire battue très serrée, bien ravalée, incroyablement sexuée, imprégnée d’une féminité brûlante et hagarde. La face B était beaucoup plus solide, car plus ancrée dans le blues. «Hangin’ Round My Door» est typique d’une époque où on travaillait le son pour couler des bronzes de trash-blues. Elles trashaient le blues jusqu’à le faire dégorger comme un coquillage. Leur «House Of Bones» avait tout de la cabane qui menace de s’écrouler. Elles tapaient aussi dans le «Black Cat Bone» de Jessie Mae Hemphill, la reine des one-man bands d’antan, associée à la légende d’Otha Turner mais aussi à celle de Tav Falco. C’est dans le blues de l’hypnose que s’est joué le destin du rock. Margaret et Tara se retrouvaient à la croisée des chemins, celui du son grâce à Monsieur Jeffrey Evans et celui de l’hypnose, grâce à Jessie Mae. Elles sortaient une viande sonique unique au monde, un pur chef-d’œuvre de dévotion cabalistique. S’ensuivait «What A Number», une fantaisie digne des Seeds, un petit garage cool adossé contre un mur, typique de l’Amérique et de ce genre de précepte warholien consistant à dire que la puissance, c’est d’être au coin d’une rue et de n’attendre personne.

 

a8009moanin.jpg

«Moanin’» sortit un an plus tard, toujours sur le label de Long Gone John. C’est un très gros disque, un classique garage de l’époque, l’un de ceux qui vont résister à l’usure du temps, enregistré par Jim Diamond au Ghetto Recorders et supervisé par Greg Cartwright. Le résultat est là : deux filles douées bien entourées, ça ne peut que blaster dans les brancards. Ouverture avec «Like That», allez vas-y, du chord à la moutarde, avec cette voix de vierge effarouchée qui traîne comme une serpillère dans le jus du son, mais elle est sauvée par des marins et échappe à l’oubli atroce. «Like That» est le prototype du cut simple et bien tenu, petitement battu par Tara. Elles font leur fricot, pas de problème. Puis elles passent directement à Wolf avec une reprise de «Moanin’», reprise certifiée, Jim Diamond veille au grain des girls. La chose vire dirt-garage, elles sont dessus, elles en font une charpie inspirée, remontée du collet, sensuelle et Margaret coule des ouhhh dans l’ass du trash. On les sent parvenues au sommet de leur art. Avec Big Foot Chester, elles sont les seules à l’époque à saluer la mémoire de Wolf. Elles reviennent au beau boogie avec «Somebody’s Baby» qu’elles farcissent de belles montées en septième et d’éclats de tierces diminuées sur cordes claires. Elles campent dans le blues, pas de doute. Leur truc reste inspiré et tapé bien sec par Tara qui fait d’incroyables progrès, puisqu’elle commence à multiplier les figures de style. Ah Tara c’est une bonne ! Wow, et «Drive Me Out», baby ! Du pur stomp de Detroit. Elles y vont franco, voilà du garage tangible - just drive me out ! - elles font ça bien mieux que des tas d’autres groupes prétendument sauvages. Elles montent même en température - ouh-ouh - Margaret veut qu’on l’emmène et c’est magnifique de prestance trashy. On tombe ensuite sur «Uptight», une pure merveille, certainement le hit du disque. Elles savent cuisiner un cut. Elles envoient ça à la Hooker, c’est bien relayé et lourd de conséquences, et même monstrueux, parce que ça monte toujours. Avec rien, elles font tout ouh-ouh et ça menace de nous exploser à la figure. La fin du morceau est la huitième merveille du monde, elles ruissellent de génie, elles relancent deux fois, et on voit déferler deux vagues géantes de trash sublime. Difficile de survivre à un tel assaut. Les cinq morceaux suivants vont en baver. Elles reviennent à Wolf avec «Commit A Crime» et sortent le gros son, comme d’autres sortent l’artillerie. Elles le font bien et on entend une guitare entrer en putréfaction. Ça en impose. Elles nous font le coup du beau balladif avec «Very Bad Feeling» et on passe à une reprise du vieux Mississippi Fred McDowell à tête de crapaud, «Sun Sinkin’ Low» - qu’elles reprenaient déjà dans leur premier disque non officiel - et qu’elles traitent avec le plus grand respect.

A8012DEEJ.jpg

Évidemment, on attendait monts et merveilles de l’album suivant, «C’mon DJ», mais on dut se contenter d’un album légèrement moins bon, toujours sur Sympathy For The Record Industry et toujours produit par Greg Cartwright. Belle pochette : on les voit toutes les deux assises à côté d’un petit électrophone et de quelques 45 tours, dont un 45 tours des Oblivians. Elles démarrent l’album avec un gros garage d’apocalypse, «C’mon DJ», et on reste sur l’impression que tout va s’écrouler d’un instant à l’autre. On entend l’ami Greg slider. Elles retapent dans le garage avec «Wait For Your Love», une pièce censée émouvoir les foules, mais c’est trop plaintif et moins coriace que chez les Detroit Cobras, par exemple. Encore une belle touille de distorse dans «Fallen». On les sent toutes les deux déterminées à pulvériser les records du trash-blues, mais la voix de Margaret se perd dans le sable. On attend un sursaut. «Hang Up» ? Oui. Soutenu à l’orgue et furieusement tatapoumé, voilà un beau garage - why you be so mean - fuzzé à la Troggs avec des oh-oh-yeah. Margaret joue son riff bien pesant à la fuzzerie concomitante. Elles renouent enfin avec l’énormité en attaquant «Make You Mine», ce pulsatif monstrueux poundé par Tara la tarateuse. En plus elle est devant dans le mix de Greg, elle savate sa pédale de grosse caisse et ça part en vrille avec des ouh ouh ouh qui semblent hurlés par des Pawnees sur le sentier de la guerre. Le beat n’est rien d’autre qu’une pure violence sourde de pounding tribal. Elles génèrent une énormité de bas-étage avec les petits chœurs du Sympathy des Stones. Puis elles basculent dans la folie, et pour mettre un terme à cette histoire, le destin tire la chasse. Il reste encore à écouter le petit garage bien secoué de «Red Light». Elles nous stompent ça aux petits oignons. Elles ont réussi à construire un univers complet avec de la distorse, du Wolf, du tatapoum et des voix un peu traînantes. Elles finissent d’ailleurs avec un nouvel hommage cinglant à Wolf, «Asked For Water». Solide et rocky. Elles lui claquent le beignet et pètent les quintes à l’accord. Margaret laisse traîner sa voix comme il faut. Elle se veut imparable, sévère et dure. Alors, elle miaule à la lune.

a8015jeconnais.jpg

On vient de voir paraître sur vinyle le tout premier album de Mr Aiplane Man. En 1998, Margaret et Tara n’avaient pas de label, mais elles voulaient ab-so-lu-ment sortir un CD. Elles proposaient à l’époque une reprise de Wolf, «Moanin’ For My Baby». C’était vraiment gonflé de leur part. Mais si Wolf avait vu ça, il aurait été ravi et aurait encouragé les deux petites poules blanches à taper encore plus dans son répertoire. Le premier morceau de l’album s’appelle «Baby» et Margaret le prend au bottleneck. Elle ne cherche pas d’effets, elle se contente de clamer le blues. Elle reste enthousiaste et sait bien, à l’époque, qu’elle ne va pas réinventer le fil à couper le beurre. Elle tape aussi dans Mississippi Fred McDowell en reprenant «Sun Sinkin’ Low» - qu’on retrouvera plus tard sur «C’mon DJ». En plein milieu du morceau, Tara tente une relance sauvage au tambourin. Elles montraient déjà de très bonnes dispositions, mais on sentait qu’il leur manquait encore l’étincelle.

a8002photo1.jpg

Bonne surprise ! Les voilà à l’affiche d’un petit festival des rues organisé dans ce que les Rouennais appellent le vieux Rouen. Comme tout le monde, elles ont pris un petit coup de vieux et Tara ne se teint pas les cheveux. Les voilà toutes les deux grimpées sur une petite scène et lancées dans un répertoire d’hommages aux géants du blues qu’elles vénèrent depuis leur adolescence - beside the Stooges, comme le précise Tara. D’ailleurs, elles ont collé les photos des vieux nègres sur deux petits présentoirs posés au bord de la scène. Pendant une heure, elles recyclent leur vieux brouet. Margaret joue comme dix. On découvre à la voir jouer qu’elle est extrêmement brillante. On passe même par de purs moments d’envoûtement. Une chose est sûre, leur son claque bien. Toutes les appréhensions liées au fait qu’elles jouent en plein air s’envolent rapidement. Elles rendent hommage à Alan Lomax à deux reprises. Puis elles expliquent qu’elles viennent de reformer le groupe. Margaret est tellement hantée par le blues qu’elle en trépigne. On voit ses petites jambes frétiller dans ses bottes, alors qu’elle envoie d'extraordinaires passades d’accords gimmickés.

a8016losttapes.jpg

 

À la fin du set elles vendaient un nouvel album intitulé «The Lost Tapes». Sur l’insert, Tara raconte l’histoire de la cassette perdue et retrouvée par Margaret dans sa cave. Cette cassette fut enregistrée à leurs débuts. Elles attaquent avec le fameux «Sun Sinkin’ Low» de Fred McDowell. On tombe ensuite sur l’inévitable «Commit A Crime» de Wolf. Le texte de Tara fait tout le charme de ce disque, car elle raconte les circonstances de leur rencontre avec Matthew Johnson, le boss de Fat Possum qui, le soir de leur arrivée, nettoyait son flingue dans son bureau. Elle raconte aussi une nuit agitée à la Nouvelle Orleans et la rencontre d’un trafiquant d’alcool qui leur vendit une bouteille d’absinthe. Elles font aussi une très belle version de «Love Of Ivy» du Gun Club. On voit qu’à cette époque, elles n’écoutaient que des bons disques. Sur cette version, Margaret s’en sort avec tous les honneurs, car elle cherche en permanence l’effet de bottleneck le plus rageur. Alors elle gratte comme une folle et fait trembler ses petites guiboles. La reprise de Wolf vaut son pesant d’or, car Margaret cherche des noises à la noise. Elle fait montre d’une sacrée hargne ! Mais la bombe se trouve en fin de face B : «Hanging On A Thread», du pur garage avec Bruce Watson aux maracas. C’est enregistré dans son trailer, comme le précise Tara, et dans des conditions extrêmes, puisqu’ils viennent de siffler la fameuse bouteille d’absinthe - C’mon C’mon ! - C’est solide et bardé de viande, ça ferraille dans la déglingue. Elles shootent dans leur boogie du diable tout l’hypnotisme du North Mississippi Hill Country Blues. Elles ont ce son dans les veines. Elles l’ont chopé comme on chope une maladie incurable. Bruce Watson joue le thème à l’orgue, jusqu’à la mort. Rien d’aussi dément.

 

a8003photo2.jpg

Franchement, tous leurs disques valent le détour. Margaret et Tara nous emmènent au royaume du blues, exactement de la façon dont Garance nous entraînait dans la cohue des Enfants du Paradis.

 

a8004photo3.jpg

Signé : Cazengler, Mr Planplan Man

Mr Airplane Man. Le Son Du Cor. Rouen (76). 30 mai 2015

Mr Airplane Man. Red Lite. Sympathy For The Record Industry. 2001

Mr Airplane Man. Moanin’. Sympathy For The Record Industry. 2002

Mr Airplane Man. C’mon DJ. Sympathy For The Record Industry. 2004

Mr Airplane Man. Mr Airplane Man. Moi J’Connais records 2013

Mr Airplane Man. The Lost Tapes. Moaning Records 2015

De gauche à droite dur l’illustration : Tara McManus et Margaret Garrett, il y a vingt ans.

FONTAINEBLEAU

LE GLASGOW04 / 06 / 15

DRAIGH

Parfois, c'est la surprise totale. Tu viens me chercher, ce soir à Fontainebleau. A vos ordres, mademoiselle. La teuf-teuf vole déjà. Pas fou, je ne m'incruste pas dans la rencontre avec la copine. Le papotage entre filles est par trop soporifiquement insupportable à mon goût. Préfère œuvrer en solitaire pour la grande cause du rapprochement des peuples, surtout que les serveuses du bouiboui asiatique où j'ai atterri sont des plus ravissantes. C'est décidé, dès demain matin je deviens membre attitré des Amitiés Franco-Chinoises. En attendant, direction le Glasgow, jeudi soir, forcément un groupe en soirée. Aucune idée des oiseaux. Incapable de trouver la programmation sur le net. Ecrit blanc sur noir sur l'ardoise à l'entrée du pub : Draigh. Inconnu au bataillon. Des chevelus baraqués déchargent le matos d'une camionnette, à voir les mines des gladiateurs et les amplis, je présuppose du gros rock qui tâche.

a8017pabdisque.jpg

Me suis pas trompé dans mes hypothèses. De vieux briscards tombés de la dernière plaie d'Egypte. Ce soir ce sont les Draigh, souvent c'est le Peter Alexander Band. Faut tromper l'ennemi, vous enlevez un musico et vous en rajoutez un autre et vous obtenez une tambouille tout aussi savoureuse. Mais pas tout à fait de la même marmite. L'on sen fout, l'essentiel c'est que la soupe soit bonne. Et dans le Peter Alexander Band, la maison est ouverte depuis les années 80. Vous font tout ce que voulez : du hard, du rock, du country, du celtique, avec ou sans harmonica et même option violon, c'est un peu à la surprise du chef ; mais gosiers sensibles abstenez-vous, les marmitons ont la main lourde. Certains prétendent qu'ils détestent les légumes et qu'en fait ils ne cuisinent que les épices. Pour les boissons d'accompagnement, les alcools ne descendent jamais au-dessous de soixante degrés. Z'ont toujours du monde, car ils vous servent des portions à gaver une meute de glavials. Sont de Ponthierry, ont déjà sorti une flopée de disques, ont ouvert pour des grosses pointures à la Lynyrd Skynyrd, organisent même un festival, le genre de groupe qui aromatise les hamburgers au gaz moutarde. Je pense qu'il est temps de passer à table. Mais ce soir les Draigh.

PREMIER PLAT

Cinq sur scène. Un batteur, un basse, une guitare, un chanteur et un orgue. Me méfie beaucoup des orgues. Sont souvent comme des orques qui font régner la terreur autour de leurs congénères. N'y en a que pour eux, les autres peuvent faire de leur mieux, recouvrent tout de leurs nappes chantilly. C'est brillant pendant deux minutes mais très vite c'est assourdissant comme un manteau de neige. Au bout du deuxième morceau l'on a compris, ce soir on n'a pas à faire à un de ces ogres qui mangent le gâteau en entier et condescendent à laisser quelques miettes aux copains. N'intervient qu'à bon escient. Juste le filet de mayonnaise pour relever le goût du homard. Ne se contente pas de jouer les utilités non plus, l'apporte la puissance sonore, sur un plateau. Discrètement. Mais sans lui, la soirée serait ratée.

 

a8019orgue+guit.jpg

Le Roland a mangé le quart de l'espace, du coup l'on ne voit plus le batteur engoncé derrière sa batterie, on a juste aperçu son T-shirt Good Morning, Vietnam lorsqu'il s'est glissé derrière les fûts. Vu sa frappe, l'aurait plutôt dû choisir Full Metal Jacket, l'a la batterie qui aboie sans arrêt. Cerbère le chien à trois têtes qui vous entrouvre la fournaise des Enfers, les yeux injectés de sang et la bave qui coule de la gueule. Un petit arrêt sur image pour les âmes sensibles. Draigh joue du rock, alors faites comme mes voisins qui se fourrent des boules de silicone dans les oreilles. Les gens ont de ces drôles de manie ! Je me demande s'ils mettent des lunettes noires pour visiter une expo de peinture.

Guitare et basse nous le confirment. Draigh ne nous propose ni des cigarettes avec filtre, ni du verre sécurit. Pas de siège-auto pour les enfants non plus. Nous avertissent dès le début du set sont du côté des Noirs Corbeaux qui essaiment comme des nuages de folie sur les dernières toiles de Van Gogh, le rock entendu comme une opération alchimique qui nous mène de l'oeuvre au noir du désespoir aux illuminations incandescentes de l'oeuvre au rouge des serpents fous du désir exaltés.

Et puis ils ont un chanteur. Un vrai. Ne bénéficie pas d'un vaste espace. Au mieux une surface d'un demi-mètre carré à condition d'éviter de s'embrocher sur le manche du guitariste. Sinon, il peut aussi se coller sur le mur. Mais il transcende tout cela. Est ailleurs, dans son corps, dans sa voix, dans son chant. Habité par une force tellurique. C'est le rock and roll qui lui donne sa pêche et qui l'habite. L'est dans le rock comme d'autres pédalent dans la choucroute de la vie, mais lui refuse d'en sortir, s'y vautre dedans comme un alligator dans le marécage. Bien sûr les autres lui passent des barres d'acier brûlantes, mais c'est lui qui jongle avec et qui arrange le puzzle.

Ca rocke comme au bon vieux temps des Faces, pour la mise en place vous ne savez où donner de la tête, une éruption volcanique, un grabuge chaotique, une chatte n'y retrouverait pas ses petits mais tout retombe sur ses pattes avec une précision d'orfèvres. Ça fourmille de riffs et de claquements, de roulements et de fusées sonores qui explosent dans tous les sens, et tout rentre dans l'ordre dans les secondes qui suivent, une coulée de lave brûlante qui met tout le monde d'accord et c'est reparti pour une autre giclée de pierres. Les Faces ce ne fut qu'un petit – si j'ose dire - combo de rock, z'avaient la hargne et le délire, mais après eux sont venus des groupes qui ont apporté la puissance.

 

a8022affichefestival.jpg

Le blues survitaminé à la Bonamassa c'est bien, suffit de se laisser porter par la vague, certes ce n'est pas donné à tout le monde mais il est permis à chacun d'essayer, quelques harmoniques un peu rauques dans la voix et c'est parti. Et de cela Olivier – si j'ai bien saisi, c'est son prénom - en a à revendre. Et c'est à ce moment que l'on s'inquiète pour lui, ce rythme effréné c'est bien le chien noir de Led Zeppe qui s'en vient aboyer, un morceau royal, mais faut monter grave dans les aigus, s'agit pas de se planter en beauté. L'a dû se faire un nœud dans la trachée artère car notre chanteur assure. Doit s'éviscérer à l'intérieur avec la colonne d'air. Plus tard après un intermède australien avec Electry Mary et AC/ DC, il clôturera le set avec un Kashmir mirobolant. Assistance estabousiée, écrasée par tant d'énergie et de savoir faire.

DEUXIEME PLAT

L'on croyait qu'ils nous avaient d'abord servi le plat de résistance, c'étaient juste les hors- d'oeuvres. A première vue, c'est la même chose. Mais en mieux. Plus blues et davantage rock and roll. Un truc qui vous prend aux tripes et un autre qui vous emporte hors de vous même. Tout l'alphabet d'AC / DC de Beatin Around The Bush à Whole Lotta Rosie, Deep Purple avec Mistreated – avez-vous déjà entendu un blues maltraité de cette manière – et Highway Star – particulièrement dantesque – et le retour du dirigeable, Rock And Roll, un must, et l'apothéose finale, l'atterrissage en vent de folie avec Whole Lotta Love. Captain Plant aux commandes pour Tin Pan Valley.

 

a8021guitatr.jpg

Durant la courte pause, Olivier a dû affûter sa voix, elle ne crie plus, elle crisse, elle blatère, elle piaule, elle barrit, elle baraque, elle se ondule sur les lignes de basse ou jerke sur les riffs. Spectacle total, le larynx qui clame et brame et les doigts du guitar-hero qui triture et friture ses cordes. Et puis ces longues immobilisations comme pour obliger une note à résonner éternellement. Des curieux rentrent dans la salle, écoutent trois secondes et retournent sur la terrasse en se bouchant les oreilles. Quant à nous nous ne laisserions pas notre place pour un empire. Nous sommes dans la cage dorée du rock and roll, prisonniers à jamais.

DESSERT

Z'ont dit au revoir et félicité le Glasgow, quand on va les saluer pour les remercier d'un tel concert, ils nous demandent d'attendre cinq minutes, le temps d'une gorgée de bière les revoici sur scène pour un ultime rappel, un medley des Who, Behind Blues Eyes et Young Man Blues... Led Zeppelin pour terminer bien sûr.

L'on sort de là tout vacillant, tout estomaqué. Pour une surprise ce fut une surprise. Du classic rock en toute modestie. Jamais entendu des reprises aussi bien foutues. Les Draigh portent bien leur nom. Levons nos verres à leur santé, haut et sec !

Damie Chad.

( Les photos prises sur le FB du Peter Alexander Band ne correspondent pas au concert. )

Local CNT / 33 rue des Vignoles / PARIS 20°

TRIBUTE TO JOE HILL

ANGELA ( Julie Colère ) / CARO ( Coin Locker, ex-Folk you )

CYRIL, DEE, CRASH ( Destroy Putas ) / FRANCOIS ( Talune )

CYRIL, DAVID ( ex-Action Directe ) / FRED ALPI ( The Angry Cats )

GERALDINE ( Cartouche, La Twal ) / LES CHANTEURS LIVREURS

GILLES FEGEANT, Jo, Jules ( ex-Action Directe ) / RENAUD ( La Rabia )

KROQUETTE ( ex-Necrofilles, Better of Dead )



a8024affichecnt.jpg

Début des activités annoncées à 19 heures. Point de précipitation, rien ne commencera avant vingt heures trente, l'est vrai que le poulet au curry embaume et qu'il serait dommage que los companeros se laissent mourir de faim devant des marmites remplies à ras-bord. Même pour Joe Hill. Il n'est pas question d'exagérer. Z'en profitons pour assister à la fin de la balance de Fred Alpi qui est venu sans ses Chats Colériques. Plein d'humour, en un tour de main, il expédie un couplet d'Eddie Cochran, d'Edith Piaf, de Claude François, et de Johnny Cash, si vous n'en trouvez pas un à votre goût, c'est que vous êtes difficile. C'est qu'il a une belle voix sonore le Fred, vous la monte comme un Alpiniste jusqu'au haut de la montagne. En plus il y a Gilles Fegeant qui vous sort de son étui une magnifique guitare à résonateur sur laquelle, si vous écoutiez vos instincts basiques, vous perpétreriez votre droit personnel de réappropriation collective. Ben, non vaut mieux qu'il la garde, c'est qu'il la chatouille si bien avec son petit doigt slidé que vous ne feriez pas mieux. 

a8026affiche2.jpg

Tout le monde étant repu ( nous n'ajouterons pas blicain ) les festivités peuvent commencer. Le fameux général qui avait la double gaule dirait qu'avec ces gamins qui courent partout et qui se roulent par terre, nous sommes en pleine chienlit. Mais oui, tout se calme et la soirée débute par une présentation de la vie de Joe Hill. Pas un hasard si la CNT lui dédie une soirée. L'est mort en 1915, à la suite d'accusation mensongère de la police. Ne montez pas sur les grands chevaux de l'indignation. La police n'y est pour rien. Joe Hill l'avait bien cherché. S'était depuis cinq ans acoquiné avec les IWW ( Idustrial Workers of the World ) de très méchants militants ouvriers, de sombres empêcheurs d'exercer en toute impunité la démocratique liberté d'exploitation des prolétaires. De mauvaises têtes qui avaient la sale manie d'organiser les grèves de protestation contre les pitoyables salaires en vigueur en ces années vers lesquelles nous sommes en train de retourner... Des inconscients qui pratiquaient un syndicalisme offensif de combat dans lequel ils admettaient et regroupaient les plus démunis, les chômeurs, les femmes et ( jusqu'où ne sont-ils pas allés ! ) les afro-américains qu'en ces temps bienheureux l'on appelait les nègres.

 

a8028foulejoehill.jpg

Bref Joe Hill était un agitateur. Faisait pas de grands discours, préférait composer des chansons et les chanter avec sa guitare. Attirait trop de monde dans les meetings et les rassemblements, lors des grèves. Ses chants se transformaient très vite en hymnes révolutionnaires... Qu'auriez-vous fait à la place de la justice et de la police ? On ne pouvait pas décemment lui mettre un scotch sur la bouche, ces bandes adhésives ont le défaut de se décoller un peu trop vite. Alors on l'a traîné devant un peloton d'exécution. Vite fait, bien fait. On croyait s'en être débarrassé pour toujours. Hélas, la mauvaise graine repousse toujours. Dans les années soixante, Woody Guthrie, Bob Dylan, Joan Baez, Pete Seeger, et plein d'autres, inscrivirent nombre de morceaux de Joe Hill à leur répertoire, les tirant de l'oubli relatif dans lesquels ils étaient tombés auprès du grand public.

 

a8025book.jpg

Les IWW subirent de fortes attaques de la part des autorités étatiques. A leur vision d'une lutte classe contre classe, ouvriers contre patrons, la machine idéologique libérale parvint à substituer à l'occasion de la première guerre mondiale la nécessité d'une collaboration de classe sur fond de nationalisme... Si vous percevez en ces manœuvres des relents de fascisme doucereux, vous n'aurez point tort... ( Si vous désirez en savoir plus, lisez notre kronic sur Wobblies & Hobos de Joyce Kornbluh publié aux éditions de L'Insomniaque dans KR'TNT ! N° 114 du 18 / 10 / 2012 ). Puisque l'on parle bouquin, rappelons que cette soirée est organisée pour fêter la réédition augmentée du livre Joe Hill, Bread, Roses and Songs de Franklin Rosemont, aux Editions CNT-RP, dont nous reparlerons dans une prochaine livraison. Etait dans le lot que je m'étais procuré il y a deux semaines à La Parole Errante ( voire KR'TNT ! 236 ), faut toujours avoir de la suite dans les idées. Noires.

 

a8027affichealpifred.png

Fred Alpi et Gilles Fegeant sont déjà sur scène – petite et encombrée de matos, vont y défiler en une heure et demie une quinzaine d'artistes – mais il reste un cadeau à distribuer, un petit livret de vingt pages intitulé The Little Red And Black Song Book qui nous livre le texte en anglais des morceaux de Joe Hill qui seront interprétés ce soir, avec en prime la traduction française que les intervenants vont nous interpréter. A la demande générale Fred Alpi, explique qu'il connaît Joe Hill depuis toujours puisqu'il est né dans la même région... en Suède ! Pour notre édification morale, il rajoute qu'un tiers de la population de la Suède émigra à la fin du dix-neuvième siècle en Amérique pour fuir la misère. Et sur ce il enchaîne un ancien morceau personnel, Chanson pour Joe Hill, une ballade enlevée à la Johnny Cash, sur laquelle Gilles Fegean nous montre ce qu'il sait faire. Puis en langue américaine ( parce que les anarchistes aiment bien enfreindre leurs propres principes organisationnels ) les derniers vers de Joe Hill écrits dans la nuit qui précéda sa mort – l'aurait pu faire un effort le Joe, car c'est un peu court – et au grand regret de l'assistance il quitte la scène avec son compère pour laisser la place aux copains.

Beaucoup n'auront pas son aisance, mais là n'est pas l'essentiel, ce n'est pas un karaoké, chacun apporte ce qu'il peut, sa ferveur ou sa maladresse, l'essentiel est de rendre vie et hommage à Joe Hill, et dans l'ensemble tous s'en sont sortis haut la main, comme David et Joe qui nous offrent une version quasi slamée mais testostéronée à l'énergie punk de The Tramp ( remplie de gros mots leur reprochera une gamine de six ans ) qui soulève l'enthousiasme.

Caro chemise country et accordéon et Kroquette guitare électrique rouge et bourdonnante n'ont pas hésité à rapter un jeune collégien à qui elles ont confié une caisse claire. N'est pas intimidé par les grandes dames le Gus, à lui tout seul il leur a charpenté leurs deux titres, The Rebel Girl et The Preacher And The Slave, comme un requin de studio. Possède le sens du rythme et chose plus rare, l'idée de son orchestration.

L'on nous explique que beaucoup de textes de Joe Hill s'en prennent à la religion. L'avait l'habitude de bouffer du curé – de toutes les sauces, évangélistes, baptistes, pentecôtistes et toute la sainte famille des cul-bénis – pour combattre l'emprise du christianisme sur les consciences, les Eglises n'étant que les filles aînées du Capital... Chez les IWW, on ne donnait pas dans le consensus mou de la liberté de chacun à s'humilier devant des chimères incapacitantes...

Je terminerai par les Chanteurs Livreurs qui nous bissent le Testament et invitent tous les confrères – même ceux dont je n'ai pas parlé parce que ce soir ma mémoire imbibée de White Lightning est défaillante – à les rejoindre pour chanter en choeur, et de tout coeur Coffee An'. Et this is the end, comme disait Jim Morrison, de cette soirée festive et chaleureuse. Sur la scène désertée, chacun peut lire les derniers mots de la dernière lettre de Joe Hill :

DON'T MOURN, ORGANIZE !

a8030joehiiphoto.jpg

Ne vous lamentez pas, organisez-vous ! Je traduis pour ceux qui font semblant de ne pas comprendre. Que le temps nous est compté, et que bientôt il sera inutile de venir pleurnicher regrets et remords.

Damie Chad.

PS 1 : sur Fred Alpy and the Angry Cats voir KR'TNT ! N° 130 du 07 / 02 / 2013.

PS 2 : ne pas oublier que la Mairie de Paris insiste beaucoup ces derniers temps pour récupérer le 33 de la rue des Vignoles. L'on va finir par croire que cette municipalité de gauche fait tout ce qu'elle peut pour bâillonner systématiquement les lieux d'expression radicale.

GUN CLUB

HISTOIRES POUR

JEFFREY LEE PIERCE

Préface : CYPRESS Grove

( Camion Blanc / Mars 2015 )

JEAN-LUC MANET / OLIVIER MARTINELLI / HERVE SARD / ALAIN FREYDRI / THOMAS FLEITOUR / STANISLAS PETROSKY / DAVID BOIDIN / GIUGLETTA / FREDERIC PAULIN / STEPHANE LE CARRE / PATRICK FOULHOUX / KARINE MEDRANO / PATRICK CAZENGLER / JEAN-ERIC PERRIN / PIERRE DOMENGèS / STEPHANE PAJOT / HUGUES FLECHARD / OLIVIER KERAVAL / MERLE LEONCE BONE / MATHIAS MOREAU / PIERRE MIKAÏLOFF / MARION CHEMIN / JEAN-PIERRE JAFFRAIN / JEAN-NOËL LEVAVASSEUR.

Illustrations : OLIVIER BRUT / JEAN-CHRISTOPHE CHAUZY.

 

a8031book.jpg

Une série qui n'est pas prête de s'arrêter : le principe est simple, une figure iconique du rock and roll, groupe ou / et chanteur, une trentaine d'auteurs réunis qui écrivent de leur plus belle plume une courte nouvelle censée exprimer de près ou de loin l'univers de ce personnage symbolique. Nous avons déjà chroniqué les volumes dédiés à la story de Little Bob et aux chiens de Dominique Laboubée. Voici donc le dernier consacré au Gun Club de Jeffrey Lee Pierce. Les lecteurs de KR'TNT y retrouveront avec plaisir et fierté notre Cat Zengler national. Je l'affirme haut et fort : le jour où Patrick Cazengler deviendra amnésique – atroce cauchemar - le rock and roll perdra sa Bibliothèque d'Alexandrie.

 

a8032disc.jpg

Gun Club, c'est du pain bénit pour les plumitifs, les chieurs d'encre comme se plaisait à les nommer Jean Lorrain. Du blues trituré sous toutes ses formes, un condensé de l'Amérique électrique. Passe même par Las Vegas comme Elvis. Et ça se termine aussi mal. Pour l'ambiance, c'est du sérieux, du noir, du glauque, du sordide. En plus, le Jeffrey Lee Pierce il n'a rien inventé. A emprunté sa blondeur à Blondie et sa grosseur finale d'hippopotame mal léché à Jim Morrison. N'a rien fait d'autre. Entre temps il s'est contenté d'être. Rares sont ceux qui y arrivent. La plupart de nos contemporains ne dépassent pas le stade premier ( anal dirait Tonton Freud ) de l'existence nécrophilique des morts-vivants. Quelques uns parviennent l'on ne sait trop comment à jouer un rôle de troisième couteau dans le film parodique qui leur sert d'existence. Seul des sept milliards d'individus qui peuplent notre planète Jeffrey Lee Pierce a réussi à devenir Jeffrey Lee Pierce. Il y en a plein d'autres qui ont essayé, et qui même essaient encore, mais c'est une cause perdue, sans espoir. S'est tout de même fait un peu aider par le destin. Comme beaucoup d'adolescents en mal d'émotions fortes, dans sa jeunesse Jeffrey a longtemps hanté les cimetières la nuit. Par bravade. Par une étrange fascination qui ne saurait avoir été innocente. L'on finit toujours par trouver ce que l'on cherche.

 

a8033elvis.jpg

Il l'ignorait totalement. C'est une ancienne technique vaudou. Faut de la patience et de l'endurance. S'agit de faire sortir l'âme d'un mort du trou où elle gît et d'en grignoter un morceau lorsqu'elle passe près de vous. Attention à ne pas vous faire bouffer. C'est ainsi que ça se termine dans les meilleurs des cas. De véritables carnassiers affamés ces ectoplasmes vaporeux. Sinon, si vous en détachez un morceau c'est doux comme de l'amadou et aussi savoureux qu'un champignon hallucinogène. Méfiez-vous des imitations et encore plus des effets pervers.

 

a8035affiche.jpg

L'on a jamais su si ce fut un hasard ou un coup de génie. Une fois qu'il se promenait dans un grand cimetière sous la lune – ce n'était pourtant pas en Espagne puisque les témoins affirment qu'il y avait des palmiers – matez la circonstance, ce serait un film, vous n'y croiriez pas, vous trouveriez la ficelle trop grosse – à sa grande surprise, le Jeffrey aperçut virevoltante dans les rayons de l'astre Astarté, sortie de nulle part, une âme cotonneuse – mais noire – qui s'en vint s'emberlificoter autour de sa main droite. Secoue un peu les doigts pour s'en dépêtrer, c'est un brin visqueux et pas si agréable que cela au touché. Manque de chance, si la substance se détache sans résistance, l'en reste tout de même une poignée collée à sa paume. Voudrait s'en débarrasser au plus vite, mais voilà que son rendez-vous se pointe. Pour une fois qu'une gerce est pile à l'heure, il ne peut pas la renvoyer. Elle va le prendre pour un pleutre. La veille l'avait draguée en se vantant de l'honorer toute nue ( en anglais ça se dit : baby, I want to fuck You ) on the lawn of a grave. L'avait répondu OK, boy ! Et l'a tenu parole, elle commence déjà à se désaper. Le bonheur c'est comme le malheur, ça ne vient jamais seul. Jeffrey se tourne discréto vers une pierre tombale dans l'espoir qu'en grattant le granit il arrivera à se dépêtrer de ce truc spongieux qui lui colle aux phalanges. Victoire anticipée, la matière noire se détache toute seule de sa main et s'en va voleter au loin. La fille s'est déjà couchée sur l'herbe grasse ( qui pour une fois n'est ni bleue ni du Kentucky ), son corps blanc rehaussée d'un frisotis pubien attendrissant, nous met le Jeffrey en appétit, une faim subite, dévorante, le submerge, n'a même plus l'idée de baisser son froc, se rue sur elle, la langue en avant pour un cunnilingus démentiel. Sous la lueur blafarde de la lune son corps blanc s'arque et gémit comme un concerto de Ravel ( en si bémol pour violon ). L'en faut davantage pour satisfaire un rocker, lui tond littéralement la pelouse, le Mont de Vénus se transforme en Mont Chauve... les voici tous les deux haletants, Jeffrey n'est pas peu fier de son exploit : Regarde chéri, j'ai aspiré tous tes poils ! Arrête de te vanter gros bêta, I just shave my pussy avant de venir ! N'en croit pas un mot le Jeffrey, mais comme il a été bien élevé par sa maman, il ne la contredit pas et déboutonnant son pantalon, il s'apprête à lui jouer I got my mojo workin' dans l'entrecuisse. Nous ne nous attarderons point sur ce déplorable spectacle qui ne pourrait que choquer la jeunesse studieuse qui, à quinze jours de passer son bac, lit stupidement nos chroniques. La fille rassasiée s'en va. Et Jeffrey tout heureux s'en retourne s'occuper du courrier du fan-club de Blondie... Ne sait pas encore que dans la série aujourd'hui on rase gratis il vient d'acheter pour zéro dollar une âme au diable.

 

a8034affiche.JPG

 

Vous l'avez deviné, n'y avait pas un seul cheveu dans la soupe au foutre, le papillon noir voletant innocemment à la brise s'était posée sur l'intime partie de la demoiselle sans qu'aucun des deux ne s'en aperçussent. L'avait ingurgité un morceau de l'âme d'un mort, par mégarde le futur chantre du Gun Club. Le cas n'est pas unique. Pline l'Ancien relate une semblable méprise dans ses Histoires Naturelles. Plus près de nous Pierre Louÿs évoque une affaire similaire dans une lettre qu'il n'envoya pas à André Gide. Deux inadvertances érotiques qui ne bouleversèrent pas le monde. Pour Jeffrey Lee Pierce et le reste de l'humanité, les conséquences furent beaucoup plus dramatiques. Nous n'avons pas encore fini d'en recracher le morceau. 

a8036lyricslivre.gif

N'avait pas avalé par mégarde une bouchée de vulgaire macchabée en goguette. C'était un fragment de l'âme de Robert Johnson qu'une sourde mélancolie de sexe et de stupre avait guidé vers ce providentiel bas-ventre complaisamment offert sur la pelouse funèbre de sa tombe. Imaginez la colère du dieu du blues aspiré par ce lourdaud de Jeffrey. L'a mis du temps à ressortir. Mais à partir de cette nuit-là, les jours de Jeffrey Lee Pierce étaient comptés. Tout le monde s'accorde pour dire que le chanteur était habité par une âme trop grande pour lui. Du profond de ses entrailles s'exhalait un chant incompressible. Une douleur vivante. Un cri d'agonie perpétuel. Que rien jamais ne parvenait à apaiser. Ni l'alcool. Ni l'héroïne. Ni toute autre saleté. Jeffrey s'était empoisonné au blues. Pire qu'un sida mental. Ça vous détruit le corps, et votre esprit ne connaîtra plus jamais de repos. Une satanée mixture, le poison des produits, le feu du sexe, la violence du rock. Dieu est mort. Le Diable est mort. Mais la vieille malédiction de l'Homme survivra à sa propre disparition. Ne me demandez pas pourquoi. Ni comment. J'ai juste essayé de vous expliquer que si vous aimez Robert Johnson, vous adorerez Jeffrey Lee Pierce.

a8037discjeffrey.jpg

Damie Chad.

 

L'on termine en beauté avec les Jallies. Deux articles pour nous faire pardonner l'orthographe fantaisiste du prénom de Kross et le baptême de Céline en Nathalie ! Pour nous dédouanner de cette faute impardonnable, nous rappellerons que Marcel Proust use dans La Recherche du Temps Perdu d'un procédé subterfugique identique pour nous faire accroire à la mort d'Albertine. Deux kronics du Grand Phil qui a eu l'ignoble chance d'être témoin du triomphe de nos adorées jaillissantes au festival Confluences de Montereau.

LES JALLIES

FESTIVAL CONFLUENCE / MONTEREAU

06 / 06 / 2015

 

a8044touscène.jpg

Le soleil brille, les ombres de midi dansent tandis que la voiture piaffe, moderne mustang, lorsque des obstacles tentent de ralentir sa course. Montereau. Enfin ! Mais c’est déjà l’affluence des grands jours. On se fraye un chemin à grands coups de pare-chocs jusqu’à un petit recoin ombragé où nous pouvons laisser notre fidèle monture pour courir, voler vers l’entrée où les barrières peinent à contenir la foule.

 

a8051leslie.jpg

 

Un an après. Les organisateurs ont compris, compris qu’elles méritaient de descendre les marches et de se retrouver sur l’une des deux grandes scènes du festival, ce coup-ci la scène Lou Reed. Mais quelle idée folle leur est passée par la tête pour les programmer à midi et demi. Etait-ce pour que le disque solaire les auréole de mille éclats ? Impossible, elles rayonnent déjà de mille feux. 

a8052céline.jpg

Qu’à cela ne tienne, malgré cet horaire si peu propice, la pelouse se remplit petit à petit, puis grand à grand. Et c’est parti pour une demi-heure de bonheur swinging rock’n’roll.

 

a8053vaness.jpg

On leur laisse si peu de temps que les morceaux s’enchaînent sans prendre le temps de respirer. Le spectateur ébloui bat tous les records d’apnée. Le jeu de Kross et de Tom laisse transparaître cette tension. Guitare et contrebasse nous poussent et nous retiennent au bord du précipice. C’est à un véritable numéro d’équilibriste qu’elles nous invitent pour donner un aperçu de l’immensité de la gamme en un minimum de temps.

 

a8048cross.jpg

De Gene Vincent à Amy Winehouse en passant par Nancy Sinatra, elles n’oublient pas de rendre hommage à leurs aînés, mais la plus grande part de leur set réside dans leurs compositions, jusqu’à la toute dernière qui vient achever cette demi-heure en un feu d’artifice qui laisse un regret, un amer regret...

 

a8050trois.jpg

Quel dommage que ce fût aussi court ! Tout le monde, vieux aficionados ou nouveaux admirateurs, voudrait repartir pour un tour, désirerait que les Jallies les emportent dans le tourbillon magique de leur manège enchanté. La preuve en est le nombre de disques qu’elles ont vendu : il ne leur en est plus resté un seul.

Heureusement un espoir naît de ce succès : qu’elles reviennent encore et plus longtemps sur la scène des Confluences.

These girls are made for singing !

Philippe Guérin

 

ONE DOLLAR QUARTET / JALLIES

LE GLASGOW / FONTAINEBLEAU

JEUDI 07 MAI 2015

 

Des mois, des semaines, des jours, des heures, des minutes, des secondes que je n’avais pu voir les Jallies. A l’annonce de leur concert au Glasgow, mon sang ne fit qu’un tour. Et quel tour ! Je peux l’affirmer à tous les physiciens du monde, il existe une vitesse plus grande que celle de la lumière : celle du sang d’un adminrateur des Jallies à l’annonce de leur concert.

Aussitôt dit, plus vite fait. La voiture file vers l’étoile bellifontaine qui nous guide jusqu’à une rue ensevelie sous la foule. Nos belles font encore et toujours déplacer les foules. 

 

a8043dollar3.jpg

 

Tous les moyens sont bons à nos trois grâces pour se faire désirer. Elles ont choisi de laisser tout d’abord la scène à One Dollar Quartet. Mais notre vue se trouble, nos yeux nous jouent des tours : la moitié masculine des Jallies est déjà là. Ne leur ont-elles pas dit ? Mais non ! Tom et Kross font aussi partie de ce quatuor qui ne vaut pas qu’un qu’un sou, qu’un dollar. Et les morceaux de s’enchaîner. Poussés par la batterie d’Alex qui nous frappe aux tripes à coups redoublés. Soutenus par la contrebasse de Kross qui ne nous tient la tête hors de l’eau que pour mieux nous la replonger dans les déferlantes de la guitare de Tom. Le tout enrobé, emballé par la voix de Michael qui ne nous lâche pas d’une semelle, ne prend sa respiration que pour mieux nous la couper. Ces quatre garçons dans le coin du Glasgow nous embarquent tant et si bien qu’on en oublie presque celles pour qui l’on est venu. Mais bons et beaux joueurs, ils nous le rappellent avant de laisser la place.

 

a8041dollar1.jpg

They are the Jallies. Encore et toujours. Premiers accords, premiers coups de balais. Elles embarquent le public qui se presse, qui pousse les murs. L’espace se transforme, s’agrandit, gravite autour de cette scène, ou plutôt de ce petit recoin d’où elles irradient. Le monde n’est plus le même qu’avant les Jallies. Solaires. Astrales. Un nouvel univers dont elles sont le point nodal. D’un I want to be like you à Goin’ up to the country, ells font swinguer toute l’assistance. Mais ce n’est pas encore assez. Plus on est de fou, plus on rock’n’roll. Voilà qu’elles appellent Vincent et son harmonica dont les accents, comme ceux du kazoo de Céline, nous transportent vers les hautes plaines. Et comme si ça ne suffisait pas, belles joueuses, elles rappellent Alex et Michael. Deux groupes sur scène. Décidément elles nous gâtent ce soir. Et c’est reparti pour un tour. Un effet bœuf. Le public rentre en transe, veut rester toute la nuit, mais les règlements, qui n’ont vraiment rien compris à la magie musicale, annoncent la fin. Sans, cependant, nous empêcher d’entendre un Be bop a lula d’anthologie, où Leslie et Michael se rendent coup pour coup et mettent KO un public ravi, qui ne parviendra que difficilement à quitter la rue du Coq gris, grisé de swing, rock, roll.

 

a8042dollar2.jpg

 

They are The Jallies and One Dollar Quartet.

Philippe Guérin

 

 

13/05/2015

KR'TNT ! ¤ 235. DARRELL BATH + CRYBABYS / JALLIES / ONE DOLLAR QUARTET / LES ENNUIS COMMENCENT /ERVIN TRAVIS NEWS

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A20000LETTRINE.gif

 

LIVRAISON 235

 

A ROCK LIT PR ODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

14 / 05 / 2015

 

 

DARRELL BATH + CRYBABYS / JALLIES / ONE DOLLAR QUARTET

LES ENNUIS COMMENCENT / ERVIN TRAVIS NEWS

 

 

 

ERVIN TRAVIS NEWS

Cette belle journée d'hier ne fut pas du tout la même aujourd'hui.
Tremblements, nausées et douleurs intenses dans tout le corps, acouphènes encore plus forts dès le réveil qui ont bien entendu entraîné un moral désastreux. Chutes de tension, puis hausses. Idem avec le rythme cardiaque et çà pendant des heures durant. Et pour couronner le tout, une légère paralysie du bras gauche avec la main enflée après avoir tenté un tour de pâté de maison.
Une difficulté respiratoire s'en est suivie, donc une prise de calmant pour stabiliser tout çà !
Ervin a fait encore mille efforts pour supporter tout çà et a mangé puis rebelote ! Un moment d'accalmie avant de passer du canapé au lit, heureusement ! Bref une journée ensoleillée mais seulement à l'extérieur... No more comment... Evelyne
Merci à vous ...

( contact FB : Lyme – Solidarité Ervin Travis )

 

 

 

DARREL BATH14 / 02 / 2015

 

LES TROIS PIECES / ROUEN ( 76 )

 

CRYBABYS14 / 04 / 2015

 

RUE CAUCHOISE / ROUEN ( 76 )

 

A6793affichetrois pièces.jpg

 

 

LITTLE BIG BATH

 

a6791dessin.gif

 

Sous sa casquette de Gavroche, il affiche un faux air de Ronnie Lane. C’est un petit gabarit, comme Plonk, Mac ou Stevie. Et comme eux, Darrell Bath dégage quelque chose qui ressemble à la classe, celle des géants de la scène londonienne, une race qui après avoir régné sur la terre entière semble aujourd’hui s’être réfugiée dans les ténèbres de l’underground. C’est là qu’on croisait Nikki Sudden jusqu’en 2006 et qu’on croise aujourd’hui Dave Kusworth, Steve Ellis, les Vibrators, Honest John Plain ou les deux Tyla.

 

Darrell Bath trimballe avec lui tout un pan de l’histoire du rock anglais. Ce guitariste étonnamment doué a joué avec les UK Subs («Oh I was just a baby !»), les Crybabys (qu’il vient de reformer avec Honest John Plain des Boys, eux aussi reformés), les Dogs d’Amour, Ian Hunter («Oh yeah it was kickass !») et aujourd’hui les Vibrators (où il remplace Knox pour les tournées). Les gens comme Darrell Bath sont les derniers héritiers de la grande scène anglaise des Sixties et des Seventies. Ils réinventent en permanence l’art sacré du rock anglais incarné par les Stones et les Small Faces. Tant qu’il existera des soul-shakers du niveau de Darrell Bath, la vie vaudra d’être vécue. Et grâce à l’indifférence des médias, Darrell Bath joue dans des bars devant trente personnes. Mais il ne se plaint pas. Pour lui, jouer, c’est tout ce qui compte.

a6786casquette1.jpg

 

Alors le voilà seul sur la scène minuscule avec sa guitare acoustique. Il joue les morceaux de son album «Love And Hurt» plus quelques reprises dont un cut de Steve Ellis et l’un des grands classiques du rock anglais, «Debris» de Ronnie Lane - qu’on trouve sur «A Nod Is As Good As A Wink... To A Blind Horse», l’un des quatre albums des Faces - Il attaque ça tout seul, c’est un peu gonflé, car il n’a pas la bassline de Ronnie Lane qui soutient si bien la mélodie chant. Mais justement, il monte la mélodie au chat perché et soutient son chant avec un jeu de guitare complètement débridé qui semble l’embarquer dans le delta du Mekong et nous avec, car en trois minutes, il recrée une sorte d’infini de pureté mélodique. C’est un véritable tour de magie. Entre deux cuts il s’envoie de grandes lampées de Pastis. Il passe à la deuxième partie du set en branchant une Gibson SG. Il se perche sur un tabouret et tape dans Jimmy Reed. Il finit par un hommage à Nikki Sudden en reprenant «All The Good Times». Moment d’autant plus intense qu’il paraît complètement bouleversé. Il accompagnait Nikki sur ses trois derniers albums et on imagine aisément le vide qu’a dû laisser la disparition de son ami.

a6787casquette2.jpg

 

Un petit conseil, rapatriez «Love And Hurt» paru sur Angel Air en 2010. Facile à trouver sur le net. Angel Air est un petit label anglais qui continue de sortir les albums de Jackie Lomax, de Steve Ellis, de John Fiddler (Medicine Head puis Mott - Darrell accompagne Fiddler en concert à Londres). Angel Air a fait un travail remarquable du vivant de John Du Cann pour rééditer tout ce qui était rééditable d’Atomic Rooster et d’Andromeda.

a6794loveandhurt.jpg

 

Dès «Bit Of Your Pride», vous allez fondre, car Darrell monte sa mélodie chant à la slide et ça sonne comme du Nikki Sudden. Et tous les morceaux de l’album sont visités par la grâce de la slide. «Still Leaving» est une jolie pièce de Stonesy - greater affinity to Ronnie Lane than to Keith Richards - et pourtant le son est là, énorme de présence, riche, cooky, joué à la revoyure des vieux claqueurs d’accords de la scène londonienne. Toujours on the loose avec «Stop Talkin’ Bout Money», pur groove de gratte de cabane de Londres. Le son est tellement pur qu’il paraît primitif et évidemment, on pense à Ronnie Lane assis sur la marche de sa roulotte avec un dobro - Let’s get out of here - Et voilà qu’il se met à sonner comme les Faces avec «To Die For». Ça pue l’élégance à dix kilomètres à la ronde. Il enroule son cut au gimmick et ça devient infernal. Encore du mélodiquement imparable avec «Gimme A Choice», niveau Sudden, terrible et grandiose, car c’est gorgé de chant et de guitares - Just gimme a choice - L’album se termine avec deux reprises : le fameux «All The Good Times» de Nikki Sudden et là Darrell flirte avec le génie. Mais ce n’est rien du tout à côté de la version du fantastique «Flight 505» des Stones, vrillée par une descente caracolante de basse fuzz. Le son ! Darrell Bath est encore plus stonien que les Stones. Il envoie son 505 crever l’écran noir de nos nuits blanches, et la seule comparaison possible, c’est avec Ronnie Lane qui jouait son riff de basse fuzz dans «Rolling Over» avec un drôle de petit sourire en coin.

a6797zodiac.jpg

 

Cette année est sorti un EP 5 titres, «Madame Zodiac» sur le petit label espagnol Sunthunder (qui édite aujourd’hui les albums de Dave Kusworth). La pochette s’orne de photos de singes déguisés et les cinq titres restent dans la veine de l’album Angel Air. Darrell prend «Dirty Rocky Road» à l’arpège de non-retour et renoue avec l’élégance suprême dans «Clingin On». Et bien sûr, il rend un nouvel hommage aux Stones des seventies avec «Trying To Live My Life Without You».

a6799beurope.jpg

 

Darrell joue sur trois albums des UK Subs : «Japan Today», «Europe Calling» et «Mad Cow Fever». On l’entend exploser les vieux riffs punk. Darrell est un guitariste qui ne traîne pas en chemin. D’ailleurs, il n’a pas le temps de réfléchir. Il faut jouer les barrés à toute vitesse, comme le faisait Johnny Ramone. Pas le temps de regarder les filles au premier rang. Les cuts d’«Europe Calling» sont enregistrés à Paris. Sur «Endangered Species», le pauvre Darrell gratte de plus en plus vite et il joue les virtuoses dans les virages, au risque de s’encastrer dans un platane. Merveilleuse pièce de punk buzzcockien que ce «I Robot» tenu aux chœurs des enfers. On retrouve l’excellente dynamique de «Spiral Scratch». Mais en règle générale, les Subs vont beaucoup trop vite. Il faut attendre le mid-tempo «You Don’t Belong» pour entendre Darrell placer l’un de ses fabuleux phrasés décousus. Et quand les Subs passent à la pop musclée, alors ça devient très intéressant, comme sur «Strangehold». Plus loin, Darrell parvient à placer un killer solo dans «I Live In A Car». On trouve pas mal de bonnes reprises sur «Mad Cow Fever» : «I Walked With A Zombie» de Roky Erickson (bien zombique), «Roadhouse Blues» des Doors (idéal pour la flash guitar de Darrell - mais le pauvre Charlie Harper tente de faire son Jimbo et ce n’est pas gagné), «Talking ‘Bout You» de Chuck (pas de jus), «Roadrunner» de Bo (version marrante, car les Subs reviennent aux basics du British Beat, mais c’est quand même un peu moins sauvage que chez les Pretties), «Route 66» (beaucoup plus wild et Darrell fout le feu à la prairie, car il joue exactement comme Wayne Kramer, oui, il renoue avec le panache du MC5, et ça donne une version fantastique. Darrell joue comme un démon), «Pills» (bel hommage aux Dolls et là Darrell fait son Johnny alors ça tourne à l’énormité. Ils sont dessus et c’est complètement effarant de véracité cavalante) et «Baby Please Don’t Go» (les Subs tapent dans la vieille rythmique des Them, mais avec un son plus clair, et ça tourne au morceau de batteur). Ils finissent avec «Ecology Blues» où Charlie Harper s’amuse à chanter comme Dylan. L’autre gros cut de l’album, c’est «Welfare Mother». L’ami Darrell y éclate bien les limites du son subien en enroulant et en déroulant son tapis magique. Il est partout et joue à l’incisive, à la cocote, au volontaire, à la ramasse, à l’injonction et à l’avenant. Terrible guitariste !

a6798japantoday.jpg

 

«Japan Today» est un album Live. Knox des Vibrators fait aussi partie du voyage. On trouve sur cet album quelques belles pièces de rock classique comme «Another Cuba» ou «Comin’ Back», plus psycho. Darrell cocote sec sur «Sex Object», qui semble même un peu knoxé. Charlie Harper chante ça avec sa voix de gros dur et on a un bon beat. Inutile de courir, il faut partir à point. Les Subs font partie des bons groupes de rock anglais. Charlie Harper sort le grand jeu cockney des tavernes de l’East End pour «Hey Santa», ils se moquent des surfers avec «Surf Bastard» et Darrell fait son festival pyrotechnique dans «Street Legal».

a6806dogsd'amour.jpg

 

Curieusement, on retrouve l’amigo Bath sur le meilleur album des Dogs d’Amour, «More Unchartered Heights Of Disgrace» paru en 1993. Pourquoi meilleur ? Parce que les guitares, justement. Sur cet album, tout est résolument énorme et on mesure la présence de Darrell à la différence de son qui existe entre cet album et les autres, non pas que Jo ‘Dog’ Almeida soit un mauvais guitariste, loin de là, mais il n’a pas l’exubérance et la richesse stylistique d’un Darrell Bath. Cet album n’est qu’une fantastique broussaille de rock anglais emmenée à grand train. Tout est travaillé aux guitares, jusqu’à la folie. Dans «CDR Addiction», on note la violence du beat de Bam, c’est véritablement une explosion de bons sentiments. Avec cet album, les Dogs sont pleins de son, plein d’accords et de chœurs. L’étendard du rock anglais claque au vent. Encore une pure merveille avec «Johnny Silvers» (hommage à Johnny Thunders) et ses brassées d’accords à l’accolade. Tyla et Darrell jouent la carte du ramdam maximaliste et grattent comme des sauvages. Tous les morceaux de l’album sont inspirés jusqu’au trognon du croupion. La meilleure énergie y bouillonne. C’est noyé de slide et d’écho. Le pire c’est qu’à l’époque, cet album est passé à l’as. Encore plus spectaculaire : «Cath», une véritable énormité traversière. Quand on a un disque comme celui-là dans les pattes, on devient dingue. Une bassline démente entre en contradiction avec le thème musical du cut. Nous voilà plongés au cœur de la bienséance britannique. La bassline de Steve James broute la motte du cut. «Scared Of Dying» n’est rien d’autre qu’une jolie pièce de heavy push de clock-rock angloïde. On croyait que la power-pop était réservée aux groupes américains. Voilà l’éclatante preuve du contraire ! Encore plus allumé : «CDR Barfly», claqué au beignet de l’excellence, complètement ravagé par les démences d’une certaine latence. Avec Darrell dans le groupe, les Dogs d’Amour explosent. Steve James balance encore une fois une bassline de rêve et les intrusions de guitare sont dignes de celles qu’on entend dans «Parachute» des Pretties. Et ils bouclent cette infernale équipée avec «Put It In Her Arm», une nouvelle énormité qui explose les lieux communs et que vrille un solo d’antho à Toto.

A6811TYLA.jpg

 

L’année suivante, Darrell accompagne Tyla sur «The Life & Times Of A Ballad Monger», l’un de ses innombrables albums solo. On le voit enrichir les gros balladifs cousus de fil blanc du grand Tyla. On reste avec cet album dans l’ambiance romantico de rockers chevelus et bandanatés à la sauce londonienne. Derrière Tyla, Darrell tricote comme un beau diable. On se régale de balladifs ensorcelés comme «Bloody Mary» ou «Where Were You», précieux et comme ciselés dans le son, terribles car si présents. Tyla n’en finit plus de chanter tous ces balladifs, il en remplit des dizaines et des dizaines d’albums qui se font rares comme les cheveux sur la tête à Mathieu. On se doute bien que Tyla fonctionne comme un écrivain. Il remplit méthodiquement des albums d’histoires qu’il met en musique. C’est un productif et même un prolifique assez doué. En attendant, Darrell se montre très courageux, car il continue d’accompagner Tyla sur ces innombrables cuts qui se ressemblent tous comme des gouttes d’eau. Tyla chante «Daddie’s Dead» d’une voix de pirate qui a la gueule de bois, mais le problème c’est que Keith Richards est déjà passé par là avec «You Got The Silver». Et puis on se demande pourquoi dans son poème de fin, «King Of The Street», Tyla évoque Beverly Hills alors qu’il vit à Londres, une ville infiniment plus captivante.

a6807dirtylaundry.jpg

 

En 1995, Darrell, Casino Steel et Honest John Pain montent un coup fumant avec Glen Matlock : ils invitent Ian Hunter à venir chanter quelques morceaux à Abbey Road - «A right bunch of unsavory characters», comme le dit si bien Ian Hunter - On retrouve ces morceaux sur «Dirty Laundry», un album bom-bas-tic. Dès le premier cut, on sent le souffle, comme dirait le Nougaro le Nougaman. «Dancing On The Moon» est une barbarie à la Chuck Berry. On note au passage l’incroyable élégance de la bassline du grand Glen Matlock. Puis ça se met à chauffer pour de bon avec «Another Fine Mess», et on retrouve tout ce qu’on aime dans le rock anglais : l’énergie, la mise en place et le son qui tue les mouches. C’est une structure boogie, mais pas n’importe quel boogie, celui du diable. «Never Trust A Blonde» est une compo de Darrell qui nous plonge une fois de plus le museau dans une pavane de son, car le groupe sonne comme les Faces, rien de moins. Ian Hunter avoue dans le booklet qu’il a adoré cette session et ça s’entend dans «My Revolution» qu’il dit être un update de «Saturday Gigs». Il renoue avec la grande époque de Mott. Hunter chante avec une classe incomparable. Pour les Boys, derrière, c’est une bénédiction que d’accompagner un chanteur pareil. «Everyone’s A Fool» est une autre compo de Darrell et on sent une fois de plus la belle empreinte de la Stonesy. Franchement, cet album est une merveille, car on y retrouve le son des Faces, celui des Boys et celui de Mott The Hoople. Quoi de plus enviable ?

A6809JOHNPLAIN.jpg

 

Darrell retrouve son copain Honest John Plain en studio pour enregistrer le fantastique «Honest John Plain & Friends». On atteint là les sommets de la pop anglaise, notamment avec «That’s Not Love», un cut digne de la grande époque de Phil Spector. Matt Dangerfield - co-fondateur des Boys avec Honest John Plain - chante cette petite merveille. On sent revenir la grandeur des Boys. Darrell chante un «Vaya Con Dios» complètement déjanté. Ils sortent un son plein, comme au temps des Faces. Puis Honest John Plain revient à sa pop géniale avec «Messed Up». Quel délire ! Darrell et lui deviennent extraordinaires de connivence et de pis-aller. Ces gens-là y croient comme ce n’est pas permis d’y croire. En fait, Honest John Plain ne rassemble ses amis que pour rigoler et jouer des belles énormités. Encore de la sacrée pop anglaise avec «Thin Ice» - Don’t you ever leave me catch it with my girl - C’est d’un niveau nettement supérieur, stupéfiant de classe et de montée au créneau. Ginger vient jouer de la basse dans «Marlene» et Honest John Plain chante «Horrible Woman» en cockney. Plus loin, Darrell chante «Tune Up The Violins». Il est dessus. À sa façon. Fantastique ambiance à la Mungo Jerry et ça frise même le Slim Chance.

a6808artfuldogder.jpg

 

Ian Hunter refait appel à Darrell pour l’enregistrement de «The Artful Dodger» en 1997. Mais les copains de Dirty Laundry ne jouent que sur un ou deux cuts. Ian Hunter passe au balladif océanique à la Richard Hawley avec «Now is The Time». Et sur «Ressurrection Mary», il se prend carrément pour Dylan. En fait, il revient au deal que lui proposa Guy Stevens au moment de la formation de Mott The Hoople : Stevens voulait un groupe qui sonne à la fois comme les Stones et comme Dylan. Alors Hunter s’embarque dans une sombre histoire de rencontre avec Marie on a wild Chicago night with the wind howlin’ white, puis il dit adieu à Ressurrection Mary. Honest John Plain radine sa fraise sur «Walk On Water» et ça prend aussitôt des proportions considérables. Retour en force du grand rock anglais - The grace of God go ! - Pareil sur «23A Swan Hill», Honest et Darrell cocotent comme deux larrons en foire. Ils font des chœurs extraordinaires. Le pauvre Ian Hunter paraît bien fade en comparaison de ces deux géants du good time rock. Le morceau titre sonne comme le meilleur Mott. Une fois encore, Darrell et Honest s’amusent comme des petits fous. Ils allument littéralement le cut - I say yeah yeah yeah - Et ils font un véritable festival. Franchement, si on apprécie la veine Faces/Mott du rock anglais, il faut suivre ces deux-là à la trace.

a6804goodgirls.jpg

 

Et on passe tout naturellement aux Crybabys dont les trois albums sont chaudement recommandés. Leur premier album «Where Have All The Good Girls Gone» paraît en 1993. Marc Duncan des Boys y joue de la basse. Les Crybabys reprennent le flambeau de Mott et claquent leurs cuts aux accords rock’n’roll. «You Don’t Have To Wear Boots To Be A Cowboy» patauge dans le bon classicisme. Ça frise même le Exile on Main Street. Même chose pour «This Is What We Want». Ils ne quittent pas le pré carré Mott/Exile. Puis ça vire au Ronnie Lane avec «Remember To Forget». Même fil mélodique que «Debris». Retour au Mott sound avec «Lovin’ What’s Left». Honest John Plain chante exactement comme Ian Hunter. On sent la dévotion. Ils offrent une belle suite au mythe Mott. Puis Honest revient aux Boys avec «Money». C’est son truc. Comme Knox, il tape dans le rock classique avec une niaque réelle, dure comme de l’acier. Encore une grosse compo d’Honest avec «European Girls». Il fait dans le trépidant et Darrell balance un «Too Hot To Last» de rêve. Voilà un gaillard qui sait tournebouler ses accords.

a6802sessions.jpg

 

Quand on ouvre la pochette de «Rock On Sessions» paru en l’an 2000, on lit : «Probably the best rock’n’roll band in the world». Évidemment, car dès «All The Way To Hell And Back», on retrouve tout l’éclat et tout le panache du rock anglais bardé d’accords. Voilà un cut spectaculaire et jouissif. Ils prennent «Some Do» à la Marc Bolan. C’est à ne pas croire. Ils font jaillir dans le cœur du glam des brassées d’éclairs jaunes et d’éclats de platform boots. Ils enchaînent avec «The One That Got Away», un balladif paradisiaque sans équivalent sur le marché des équivalences. On tombe plus loin sur «Sha La La La Good Good Times», foutrement bon et juteux, bourré de dynamiques mystérieuses et de vieux relents de Stonesy, c’est fouillé et aristocratiquement produit. Retour au son des Faces avec «Rocking Myself To Sleep». Ces mecs sont atrocement doués et superbes d’élan. Leur album est bien meilleur que les albums des Faces, c’est dur à avaler, mais c’est pourtant vrai. Chez les Crybabys, tout est bien foutu, serré, farfouilleux, plein d’élan, avec des redémarrages en côte. S’il existe un supersonic rocketship en Angleterre, c’est bien les Crybabys. Avec «Baby Mystery», on a de la power pop éclatante d’entrée de bord. Du pur Darrell Bath.

a6803misery.jpg

 

«Daily Misery» paraît deux ans plus tard. Ils reviennent inlassablement au son des Boys. Tout est drivé aux guitares. Dans «Back Street Girl», ils lâchent des aw aw à la Bowie. C’est chanté avec une classe insondable. Quelle foison ! Ils tapent une reprise somptueuse d’«I Want You», l’immense classique de Bob Dylan. On les sent aussi fascinés par le Dylan électrique que le fut Mick Farren lors du mythique concert de l’Albert Hall. Darrell et Honest embarquent cette tranche de mythe à la folie. «Sad Sad Girl» ? On ne peut pas rêver plus belle pièce de pop sixties. Ils reviennent au boogah de Mott avec «Staggerin’ Lengths» et terminent avec un morceau titre cocoté à l’ancienne. On sent chez eux des envies d’évoluer vers des mondes meilleurs. Ils farcissent leur son de guitare acoustique, ça chante perché et ça vire cockney. Que demande le peuple ?

a6783photorue1.jpg

 

Et comme le Crybabys viennent tout juste de se reformer, les voilà en France pour une mini-tournée à cheval sur le Disquaire Day. Miracle, le soleil brille sur Rouen ce jour là et les Crybabys peuvent jouer dans la rue. Darrell et Honest John Plain s’installent sur des tabourets en plastique et se mettent à gratter leurs guitares sèches devant un minuscule attroupement composé de gens prévenus et de badauds.

a6784photorue2.jpg

Ils font leur petit festival, gratouillenent quelques brillants classiques dont un «Tell Me» des Stones et saluent la compagnie. Ils ne traînent pas, car le soir-même ils doivent jouer à la Méca en compagnie des Derellas. Impossible d’aller les voir, car la Twingo est toujours dans le coma et bien sûr ça n’intéresse personne de se taper le trajet jusqu’à Paris pour aller voir un groupe qui n’attire que quinze personnes dans un showcase gratuit.

a6795sabrejet.jpg

 

Revenons à 2000. Darrell lance un nouveau projet : Sabre Jet. L’album s’appelle «Same Old Brand New». Il est passé à l’as, évidemment. Là-dessus, Darrell sonne le plus souvent comme Ronnie Lane, avec un brin de décadence. Il revient à la Stonesy dans «Never Trust A Blonde» et s’offre une grosse intro à la Free dans «That’s Not Really What Love’s All About», puisqu’on se croirait dans «All Right Now». Awite ! Il chante «Just Be True» en cockney et cocote bien son riffage. On touche au but avec «Something I Can’t Give Away», un énorme slowy slowah visité par une guitare spatiale à la Nikki Sudden. Darrell fait claquer ses arpèges dans «Pawn Shop» et il passe au pur bomabastic avec «E26», doté de la plus coriace des rythmiques.

A6810VIBRATORS.jpg

 

On le retrouve aussi sur «Punk Mania», le dernier album des Vibrators. Plus ça va et meilleurs sont les albums des Vibrators. C’est simple : tout est bon sur ce disque. Knox prend «Retard» d’une voix de menton et le beat sautille, comme au bon vieux temps. Cette vitalité n’existe que chez les Vibrators. Inutile de la chercher ailleurs. Knox et Aretha ont un gros point commun : l’incapacité de faire un mauvais disque. Darrell prend «Love Like Diamonds» au chant et balance l’un de ces cuts denses et bien ficelés qu’on revient écouter en cachette. Puis Knox saute dans le railroad train pour «No Sweat». Fan-tas-tique ! Knox possède le don de bricoler les rocks les plus terribles. Encore pire : «Bleed To Death» que nous cocote Darrell le mercenaire. Les Vibrators enregistrent les meilleurs disques de rock de notre époque mais peu de gens sont au courant. Eh oui, il faut commencer à s’habituer à cette idée : Knox est un génie du rock anglais. Puis ils explosent «The Ohio» aux guitares. Pas de pitié pour les oreilles boiteuses. Knox retrouve sa veine glam avec «She’s A Girl». Il adore exploser la rondelle de la pop - aw ouh ouh - Il l’expédie ensuite en enfer. Puis Darrell revient au chant pour «Rats» et il s’en sort avec les honneurs. Le petit Darrell se retrouve en effet au cœur de la pire fournaise d’Angleterre, celle des Vibrators et ça tourne à l’extravagance. C’est violenté aux guitares - Pussy cat ! Just a big fat rat - On a là tout ce qu’on aime, le rock anglais bien gras et écœurant de classicisme. Tout le monde s’amuse avec pussy cat et les too many rats. Comme Knox ne s’arrête jamais, il repart aussi sec avec «Turn The Radio On» pour piquer sa petite crise de power-pop infectueuse. On a là un cut terrible secoué aux clap-hands et gorgé de classe. Darrell ressort ensuite son «Just Be True» et shoote un vieux coup de Faces dans le cul flappi du mythe Vibrators. Il chante en cockney et rien que pour ça, il mériterait de finir au Panthéon, juste à côté de Jean Jaurès. Darrell fait le lien entre deux vagues majeures du rock anglais, celle des Faces et celle des Vibrators, deux phares dans la nuit qui s’envoient des signaux. Non seulement c’est un véritable exploit, mais en plus ça dégouline d’inspiration. On revient ensuite au son sec des Vibrators des origines avec «The Other Foot». Knox y va de bon cœur. Il file tout droit, le visage balayé par des vents de guitares. Encore plus saqué : «I Wish I Had A Gun». On retrouve ce mélange de beat seco-serré et de grosses envolées de chorus paradisiaques. Ça tourne comme d’habitude à l’énormité cavaleuse. On croit qu’on va s’y habituer, mais non, c’est impossible. En fin de disque, ils tapent dans le «Slow Death» des Groovies. Le souffle de la basse emporte les arbustes desséchés - Call the doctor - Ils jouent ça épais - I call the preacher - Ils tapent à coups redoublés dans la gadouille de ce vieux mythe puis ils enchaînent avec une extraordinaire chanson à boire, «Get Me A Beer». Franchement, Knox exagère : il est complètement pété et il envoie sa copine chercher un verre ! A-t-on déjà vu chose pareille ? Et pour corser l’affaire, Darrell vérole le cut à la guitare pendant qu’une soif d’absolu s’introduit sournoisement dans le refrain.

a6785photorue3.jpg

 

Signé : Cazengler, Bathifoleur

 

Darrell Bath. Le Trois Pièces. Rouen (76). 14 février 2015

 

Crybabys. Rue Cauchoise. Rouen (76). 14 avril 2015

 

Darrell Bath. Love And Hurt. Angel Air 2010

 

Darrell Bath. Madame Zodiac EP. Sunthunder Records 2014

 

UK Subs. Japan Today. Fall Out 1987

 

UK Subs. Europe Calling. Released Emotions 1989

 

UK Subs. Mad Cow Fever. Fallout 1990

a6800cowfever.jpg

 

Crybabys. Where Have All The Good Girls Gone. Receiver 1991

 

Dogs d’Amour. More Unchartered Heights Of Disgrace. China 1993

 

Tyla. The Life & Times Of A Ballad Monger. Polydor 1994

 

Ian Hunter. Dirty Laundry. Cleveland International 1995

 

Honest John Plain & Friends. ST. Feedback 1996

 

Ian Hunter. The Artful Dodger. Citadel 1997

 

Crybabys. Rock On Sessions. Action Records 2000

 

Sabre Jet. Same Old Brand New. Delicious Records 2000

 

Crybabys. Daily Misery. Angel Air 2002

 

Vibrators. Punk Mania. Cleopatra Records 2014

 

LE GLASGOWFONTAINEBLEAU

 

07 / 05 / 2015

 

ONE DOLLAR QUARTET / JALLIES

 

L'on croyait être tranquilles, le Grand Phil et moi. Une soirée en douce, à Fontainebleau. Seuls en compagnie des divines Jallies. Total, l'a fallu prendre deux voitures. Parce que les copines jalouses comme des teignes ont rameuté tout un féminin escadron de sauvegarde. Nous vivons vraiment dans une société de surveillance accélérée. Pas de remords, c'était râpé d'avance. Apparemment l'on n'était pas les seuls à avoir eu la même idée. L'on a regretté de ne pas avoir pris nos machettes pour nous frayer un passage jusqu'à l'entrée du bar. A croire que la jeunesse bellifontaine habite en permanence dans la Rue du Coq Gris. Sans compter un détachement des Loners de Lagny et même Billy et Isabelle de Troyes. Les Jallies possèdent désormais un contingent de supporters fidèles et enthousiastes. Et plunk ! Dans la foule entassée l'on tombe sur un Ange – pas le genre de truc à nous effrayer – accompagné de la sémillante Lola. Vous ne connaissez pas Lola. Nous depuis qu'elle était toute petite, et maintenant qu'elle a grandi elle vient écouter pour la première fois les Jallies et est toute étonnée d'apprendre que depuis plusieurs années... ah ! Cette jeunesse qui croit découvrir l'Amérique après Christophe Colomb !

 

Oui mais en attendant, les trois colombelles ne sont pas sur la balancelle. N'y a que Cross et Tom sur la scène, et horreur horrible ils sont rejoints par deux individus de sexe tristement mâle. L'on attendait les trois Grâces et l'on a droit aux quatre mousquetaires. En plus ils sont fauchés comme les blés, et le proclament bien haut. Voici le One Dollar Quartet. Du rock non côté en bourse. Mais couillu.

 

ONE DOLLAR QUARTET

 

a6812girl.jpg

 

 

Démarrent au quart de tour pile à l'heure par Rock Around The Clock. Un titre qui annonce le programme. Des reprises de classiques du rock. Rip it Up et Blue Suede Shoes, vous avez une idée du profilage. Du tellement entendu qu'il vaut mieux ne pas se vautrer. Cross à la contrebasse, Tom à la guitare, Axel à la batterie - caisse claire améliorée, surtout une grosse bertha qui vous cogne à l'estomac, ce qui est idéal pour parfaire les abdominaux. C'est à Mykeul que revient la redoutable tâche de mettre le bébé au monde. Va très bien s'en tirer, belle voix qui une fois chauffée s'ornera par moments – notamment sur Shake Rattle And Rock - de reflets elvisiens du meilleur effet. Un chanteur qui ne fait pas semblant de s'encombrer d'une guitare sèche pour se donner une contenance. Son corps, sa voix et un micro. N'a besoin de rien d'autre.

a6813dollarbat.jpg

 

Sur le fil. Ce n'est pas facile, si vous êtes trop près des originaux l'on vous taxera de ringards sans personnalité, si vous vous en écartez trop l'on vous reprochera vos criminelles fantaisies attentatoires. C'est Tom qui sauve la situation, guitare hyper fluide qui envole le groupe sans jamais oublier le groove. Ils ont compris le piège. Y échappent en colorant de noir leur répertoire, nombreux morceaux de Little Richard et de Chuck Berry, le blues qui colle et le rythm and blues qui décolle, entre les deux un espace où se glisser et surfer pour déployer l'énergeia aristotélitienne des petits blancs en colère.

a6814tom.jpg

 

En cinq morceaux, l'unanimité se fait en leur faveur, la salle s'est remplie à ne pas y ajouter la moitié d'un pois cassé. Ça s'agglutine comme de la colle sur une rustine, et le One Dollar Quartet prenant conscience qu'ils ont créé une complicité avec le public repart à l'attaque à chaque morceau. Tom qui fusèle les riffs comme ces minces bandes d'aluminium que jadis les chasseurs rejetaient pour brouiller les radars ennemis en diffractant et dispersant en mille azimuts les échos mortels, Cross qui rôde autour de sa basse tel l'assassin à la recherche de son crime et ne pouvant s'empêcher de hurler à plein poumon afin de libérer le trop plein d'énergie qui le survolte et Axel qui pousse au rythme à croire qu'il désire vous précipiter sans rémission du haut d'une falaise.

a6815mykeul.jpg

 

Mykeul ne s'en laisse pas compter par les trois ostrogoths qui ne le lâchent pas d'une semelle. Sont derrière lui comme la meute aux trousses du cerf, mais il tient la course en tête, ne se laisse jamais dépasser. Si la guitare de Tom passe devant, c'est lorsqu'il a fini son couplet. Ne se laisse pas voler sa part, c'est après que Tom rapplique et alors il ne ménage pas sa peine. Plus la section rythmique qui baratte le beurre du rock and roll à la dynamite.

a6816tom.jpg

 

Un Long Tall Sally à décoiffer les baobabs et un Thirty Days que l'on aurait rallongé jusqu'à la fin du calendrier, et c'est la fin. Le One Dollar Quartet nous en a donné pour notre argent. Du bon son, bien mis en place, z'ont remporté la caisse et fait sauter la banque. Du coup tout le monde a une frite d'enfer, comme si l'on avait sucé des barres d'uranium enrichi toute la soirée.

 

JALLIES

 

a6820girls.jpg

 

 

Sont-là, à quinze centimètres toute souriantes. Devant elle un exemple frappant de surpopulation terrestre démentielle, et il en reste quatre fois plus dans la rue qui ne pourront pas rentrer. Logiquement vu la coagulation exponentielle du public personne ne devrait parvenir à agiter le moindre petit doigt. N'ont pas entamé We are The Jallies depuis trente secondes que la salle entière chaloupe sur elle-même atteinte par une soudaine épidémie de tremblante du mouton. Ensuite elles nous avertissent, These Boots are Made for Walkin', oui maîtresses, tout de suite et chacun reprend le refrain en choeur aussi fort que les esclaves de Nabucco.

a6819tom.jpg

 

Une pensée émue pour Tom et Cross qui repartent pour un tour. Pas vraiment fatigués, la guitare de Tom se faufile sous les soubassements embroussaillés de la Big Mama de Cross, tous deux s'amusent à un étrange jeu de go, la noirceur fureteuse de la up-right bass et les strates lumineuses de la Fender de Tom, jouent à la souris blanche qui poursuit le gros chat noir, et lorsqu'ils arrivent face au mur, ils repartent dans l'autre sens la proie devenant prédateur et vice-versa à l'autre bout de la cloison. Rien n'est laissé au hasard, l'on a affaire à des joueurs subtils, retournent à tour de rôle les cases du damier, un plan en perpétuelle évolution mais concertée, la rapidité rythmique de la partie touche à la tactique du retournement non-aléatoire de la pensée philosophique. Mais la vie est injuste. Ils sont les profondeurs mugissantes de l'océan et nous ne regardons que l'écume pétillante qui virevolte sur la crête du tsunami.

a6817kross.jpg

 

Jaillissent les Jallies, ronde entrelacée du swing et du charme. Ensorcelantes. Plus swing que d'habitude et moins rockabilly pour ce début de concert. Ce qui ne dérange personne. Envoûtantes. L'enthousiasme de Céline, le sourire malicieux de Vaness, la fausse candeur de Leslie, vous agitez et vous répartissez les attributs en un autre ordre, de toutes les manières quelle que soit la combinaison, c'est le tiercé gagnant à chaque coup. Explosives. Trois piles atomiques de joie souveraine. Vous emportent en un tourbillon de dessin animé. Trois coups de caisse claire et votre vie de citrouille se transforme en rutilant carrosse capitonné. Carpe Diem. Avant qu'il ne soit trop tard. Avant que la fête ne s'éteigne. Avant que les Jaillies ne disparaissent comme s'évanouissent les lutins des sables.

a6818vaness.jpg

 

L'on n'en est pas encore-là. Le set se termine, sur Goin' Up To The Country lorsque Vincent du public est prié de rejoindre la scène avec son harmonica. Mais ce n'est pas fini, Mykeul et Alex de One Dollar Quartet sont rappelés illico presto pour un boeuf géant des herbes bleues du Kentucky. C'est le grand huit sur scène, un Shakin' Goin' On à vous fendre les rotules, un Be Bop A Lula très sixty de Mister Gene Vincent, et un éblouissant Mojo qui va worker très dur durant un long moment. L'harmo du dénommé Vincent qui nous dégringole au fin fond du dernier des cercles des enfers de Dante et Mykeul qui mène et attise le bal des pompiers pyromanes.

a6822céline.jpg

 

Définitivement fini. Les vêtements trempés de sueur c'est la ruée dans la fraîcheur de la nuit. Autour de nous que des visages heureux. Miracle des Jallies. Notre escadron volant nous assaille de questions intéressées : quand est-ce qu'elles repassent ? Vous nous direz la prochaine date ? Quelles voix ! Quel allant ! Quel entrain ! Comment vous les avez connues ? D'où sortent-elles ? Avec le grand Phil nous échangeons des regards navrés, si les filles s'y mettent aussi, c'est foutu pour nous, elles vont monter un fan-club si on les laisse faire !

a6820leslie.jpg

 

Damie Chad.

 

( Les photos prises sur le FB des Jallies sont de leur dernière escapade au bord de la mer )

 

a6823mer.jpg

 

UNE ENNUYEUSE AFFAIRE

 

FAUX-DEPART

 

A6837CNT.png

 

 

Fidèle à sa promesse ( voir KR'TNT 234 de la semaine précédente ) en ce samedi neuf mai, baigné par un beau soleil noir, puisqu'il s'agissait du Festival de la C. N. T, la Teuf-Teuf m'a aimablement déposé près de La Parole Errante – beau lieu de culture populaire que la municipalité de Montreuil aimerait rayer de la carte afin de le remplacer par un projet locatif beaucoup plus lucratif. Des chiens qui courent, des enfants qui s'amusent, des conférences, des discussions, des militants exaltés, des militantes exaltantes, des tables de livres rebelles et même deux éventaires de disques bruyants , z'y avions retrouvé par exemple du Angry Cats et du Midnight Rovers déjà chroniqués dans votre rock blog préféré, et bien entendu j'ai fait main basse sur quelques ouvrages musicaux dont je vous reparlerai dans de prochaines livraisons. Bref, une journée passionnante et conviviale. J'aimerais...

 

Ma probité de chroniqueur m'interdit de continuer. De fait ma journée ne s'est pas du tout déroulée ainsi. Voici donc un descriptif beaucoup plus proche de la triste réalité.

a6830garagevert.jpg

 

DEPOSITION

 

Par les interstices des volets, il y avait comme des lumières qui clignotaient dans la rue. Mais il ne faut pas trop en demander à un rocker de très bon matin. C'est si près de l'heure où cette déplorable engeance a l'habitude de se coucher. C'est lorsque l'on a commencé à tambouriner très violemment à la porte que j'ai ouvert un œil. Paresseusement le gauche, pour ceux qui sont friands des petits détails qui accumulés forment la Grande Histoire, celle que l'on raconte à nos innocentes têtes blondes à l'école. Puis abruptement le droit, lorsque un aboiement rogue de doberman en colère a retenti : «  Ouvrez, Police ! ». Pas un plaisantin, n'ai même pas eu le temps de bouger l'auriculaire qu'une rafale de fusil-mitrailleur a eu raison de ma serrure. Non, je n'aurais pas dû... ai-je pensé mais c'était déjà trop tard, deux espèces de baraques en béton armé se sont ruées sur moi, m'ont en un tour de main passé les bracelets et trois minutes plus tard, dans mon pyjama à rayures bleues – celui que m'a offert ma maman pour mon anniversaire – j'étais trimballé à fond de train vers le comico ( rien de comique ) central pour interrogatoire poussé.

 

Les deux armoires à glace n'en pouvaient plus. Avant même d'entrer le bureau ils n'ont pas pu s'empêcher de hurler : «  Chef ! On le tient ! C'est signé, il y a même des traces de sang sur son pantalon, le labo est formel, correspond à celui de la victime ! ». Et splaff, ils m'ont assis sur une chaise en face du bureau vide. Le chef n'était pas là. D'ailleurs de loin on a entendu sa voix : «  C'est bien les gars, posez les clefs des menottes sur mon sous-main, laissez-le seul, j'arrive, ne vous inquiétez pas, je finis de faire pipi et je m'occupe de lui. Vous avez fait du beau boulot, rentrez chez vous, vous le méritez. »

 

Sont sortis, et le Chef est entré. M'a direct envoyé deux grands coups de pieds sur le dossier de la chaise et une grande claque amicale sur l'épaule. « Alors Damie, on ne reconnaît plus les copains ! ». Non de Zeus, bien sûr, j'étais sauvé !

 

( … cher lecteur si tu ne comprends pas la scène précédente c'est que tu as oublié de lire la fabuleuse aventure du Café de la Poste relatée dans notre 177 ° livraison du 20 / 02 / 14 … )

a6826laféline.jpg

 

«  Avoue que j'ai super ficelé la mise en scène – s'est exclamé le Commissaire – j'espère que tu n'as pas oublié, ce soir concert de Les Ennuis Commencent, je tiens mes promesses la voiture de fonction avec le gyrophare est prête. J'ai même deux motards pour nous ouvrir la route, c'est quand même beaucoup plus classe ! On passe d'abord à la maison pour l'apéro ! »

 

( à suivre )

 

 

LA FELINE / PARIS / 09 – 05 – 15

 

LES ENNUIS COMMENCENT

 

( LOST ROCKABILLY )

a6825eglantine.jpg

 

Vingt heures. Une dizaine de personnes zonent devant La Féline. Par la porte entrouverte je zieute à l'intérieur. La scène tout au fond avec le matos du groupe prêt à l'emploi, le bar à droite, une étagère à gauche, trois posters, des murs peints en noir, tout est parfait. Sauf ce gars collé contre la vitre de la porte. A peine le regardai-je que je le reconnus : KLX le guitar héros du grand Sud-Ouest, et l'autre là-bas contre la vitrine c'est Atomic Ben qui m'accueille dans ses bras. Tout va bien. Selon une stricte logique surréaliste. Je vous avertis Les Ennuis Commencent.

 

La nuit aussi. A tomber. Vingt et une heures trente. La Féline est pleine. Des jeunes en masse. Discute avec l'un d'eux qui arbore un T-shirt des Spunyboys. Comme l'année dernière au Café de la Poste, fidèles au poste voici Jezebel Rock, venus saluer les pirates surgis du Sud natal pour leur raid parisien annuel.

a6834tousconcert.jpg

 

Sont sur scène. Je vous les présente : contrairement aux légions romaines qui exposaient les jeunes recrues au premier rang dès le début des engagements, ils ont placé le dernier-né tout au fond et pour qu'il ne s'ennuie pas ils lui ont donné un kit de batterie. Mille fois mieux qu'un poste de télévision, le gamin ne quitte pas son joujou ( qui fait crac boum ) d'un quart de seconde, s'applique et se défonce, ne prend même pas le temps de lever les yeux pour nous regarder, totalement obnubilé, Hugo le Kid est son nom, et Pat Garret risque de perdre son duel avec ce rejeton à la frappe mortelle.

a6827groupe.jpg

 

Les trois aînés sont devant. Sur notre gauche, à la contrebasse, Gus Tattoo, porte bien son nom le gars, aussi tatoué qu'un guerrier maori dont Gauguin aurait colorié tout le corps. Le mec pas causant. N'en moufte pas une. Motus et bouche cousue, sous sa banane étrangement relevée en avant aussi tranchante qu'un aileron de requin. Pas un mot, pas un sourire. C'est simple comparé à lui, Keith Richards dans son plus mauvais jour est plus volubile que votre belle-mère. Le monde peut s'écrouler autour de lui, lui il joue de la contrebasse et ne s'en apercevra même pas. L'aggrave même son cas, car on le sent heureux d'être-là, à des milliers de kilomètres de nous dans un rêve intérieur qui ne s'achèvera qu'avec le set. Lui il arbore la rutilance de son plumage, pour le ramage l'a sous-traité à son instrument qui vrombit comme le vol d'hélicoptères qui ouvre Apocalypse Now !

a6831guitariste.jpg

 

Sur notre droite, légèrement en retrait, c'est Arno KLX. Encore un silencieux. Ne manquerait plus qu'il se mette à parler. Sa guitare le fait pour lui. Et de belle façon. Lui, l'a l'air d'être perdu, rongé par le doute métaphysique, un peu aux abonnés absents, l'angoisse du guitariste au moment du riff, et clang ! Il vous en lâche un qui vous démantibule le vestibule, et un autre qui vous ramone la cheminée et la kyrielle qui suit vous agenouille comme un plat de nouilles. C'est ce qu'on appelle un guitariste d'intervention rapide. J'arrive, je riffe, je repars. Et je reviens vous en planter un autre comme une banderille dans le dos du taureau. J'agis en traître, mais je vous ai avertis.

a6828bd.jpg

 

The last but not the least, Atomic Ben. Avec lui, ce n'est jamais peut-être ben oui, peut-être ben non, c'est franchement et sans détours cent pour cent rock and roll. Chant et guitare. Je n'ai pas dit chant et rythmique. Les Ennuis commencent ont deux solistes, Ben qui ouvre les portes à la grenade et KLX qui sulfate dans les embrasures. Donc il joue de la guitare et il chante. L'a plein d'autres défauts – comme moi, comme vous – mais en plus il parle. Entre les morceaux. Faut démêler le vrai du faux. Fait-il preuve d'innocence perverse ou de perversité innocente ? et Personne n'a jamais su répondre, mais tout le monde en redemande. Manie l'auto dérision et les déclarations à l'emporte-pièce multi-directionnel. Selon lui Elvis est encore vivant, et il n'envisage pas de sauver la dernière Vals pour Manuel. Humour noir en zone rouge. Vous êtes priés de regagner le vaisseau du rock and roll au plus vite, avant qu'il ne décolle.

a6824bencafé.jpg

 

Jouent du rock and roll. Uniquement du rock and roll. Du vrai, du gros qui tache et qui tue. Ca sonne comme les Stones à leur meilleure époque mais ils ont Hank Marvin à la guitare. Nous refont Come On et Apache. Pour le dernier morceau z'y mettent tellement de hargne que c'en en devient Fureur Apache. Sachez apprécier la différence. Ils envoient du Elvis comme on jette les nourrissons par la fenêtre du douzième étage, All Shook Up une version que les puristes trouveront choquantes, en plus ils attaquent le mythe fondateur – ah ! Les méchants iconoclastes – « le morceau qui prouve que nous ne sommes pas un groupe de rockabilly » proclame Ben urbi et orbi, et hop on s'enquille The Letter des Box Tops dans la boîte à lettres de notre cerveau. Peut-être pas un rockabilly man orthodoxe Alex Chilton, mais un parfait rocker, une Big Star méconnue. Sur ce une petite réglisse mentholée au cyanure, La Belle Saison des Dogs et pour faire exploser la planète ils nous lancent quelques Great Balls Of Fire de Jerry Lou à ne plus savoir dans quelle galaxie vous habitez.

a6833fillequitire.jpg

 

Ne font pas que des reprises, loin de là, nous jouent en avant première un morceau de leur prochain disque qu'ils sont en train d'enregistrer, me souviens plus du titre mais je peux certifier que c'est plus que prometteur. Et puis ils distribuent leurs petites merveilles à eux, - faites attention, n'y aventurez pas les doigts c'est brûlant et coupant – comme cet incroyable Soviet Secret Bomb ou cet In Space stratosphérique, et plein d'autres morceaux que vous trouverez sur Superfriends – leur presque précédent CD - que vous avez intérêt à vous procurer pour ne pas mourir idiots. Enfin c'est vous qui choisissez, mais essayez de ne pas décevoir vos amis. Ici à l'intérieur ça transpire méchant, les Ennuis Commencent sont aussi teigneux que Doctor Feelgood et aussi délire que les Cramps. En fait je n'aime guère ces comparaisons. Inspiration ne signifie pas copie. En plus ils poussent le vice jusqu'à ne ressembler à aucun autre groupe français, ni étranger. Un spécimen unique. Une couleur à eux, entre folie et explosion. Plus une note espagnole – mambo-fandango-mexicano-rocko and rollo au sang rubescent de taureau sauvage. Finissent sous un déluge d'acclamations et de cris de regrets. Dans la rue sont accaparés par deux centaines de spectateurs qui tiennent à les féliciter. Ben me présentent 3 Headed Dog  qu'il faudra se débrouiller pour aller voir en concert... Les Ennuis Commencent sont des passeurs... Ne transportent qu'une seule marchandise. Du rock and roll. Et du meilleur.

a6829cosmonaute.jpg

 

UNE ENNUYEUSE AFFAIRE ( suite )

 

Quand on est sortis de La Féline avec le commissaire on était un peu survoltés. Presque rien. Pas de notre faute. Juste un peu le sang monté en graine à cause de l'adrénaline du rock'n'roll. On a mis le feu à quelques poubelles, cassé les rétros de vingt-cinq bagnoles, crevé quelques dizaines de pneus au cran d'arrêt, provoqué des bagarres dans trois cafés, juste pour nous amuser, des broutilles. C'est la Bac qui nous a arrêtés alors que nous joui(ssi)ons à la voiture-bélier sur la vitrine d'une banque. «  Heureusement - m'a soufflé le commissaire - que tu as troqué ton pantalon de pyjama avec un de mes slips panthères ! Avec les collègues on va filer doux, ça finira bien par s'arranger. Ne sont pas eux non plus tout blancs comme la neige. Que veux-tu, dès que tu vis avec un minimum d'intensité les ennuis commencent ! ».

 

Damie Chad.

 

( Photos prises sur le fb des artistes ne correspondent pas au concert )

a6832threedods.jpg