Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/04/2017

KR'TNT ! ¤ 323 : CHUCK BERRY / JALLIES / POETES ROCK /

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 323

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

06 / 04 / 2017

CHUCK BERRY / JALLIES / POETES DU ROCK

 ATTENTION !

Nous donnons , cause départ vacances, cette livraison 323 avec trois jours d'avance.

La 324 aura deux jours de jours de retard

La version 323 avec illustrations est visible sur :

   : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/…/chronique-de-...

 

Chuck chose en son temps

Chuck Berry fait partie des gens qui meurent mais qui ne disparaîtront jamais. Sa musique est partout depuis soixante-cinq ans. Elle est à l’image d’une vie, à la fois trop longue et trop brève. Il fut un temps où on se plaignait de trop l’entendre, l’époque où les Stones jouaient «Carol» et «Little Queenie», mais depuis deux jours, c’est un peu comme s’il nous manquait. Comme si sa longue histoire n’avait duré que le temps d’une chanson.
Si tu veux te payer une petite overdose de Chuck, fais-toi offrir à Noël le coffret Bear paru en 2014, Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear qui ne fait pas les choses à moitié propose avec ce coffret tout Chuck gravé sur seize rondelles, c’est-à-dire TOUS les cuts enregistrés entre 1954 et 1979, et du live à la pelle, environ quatre-vingt titres regroupés sur les quatre dernières rondelles. Tout ça s’écoute avec autant de plaisir que les albums originaux sur Chess, mais attention, ce sont les deux livres emboîtés dans le coffret qui vont t’envoyer directement au tapis. À commencer par le Harry Davis Photos book. Un nommé Bill Greensmith est allé fouiner dans le grenier d’Harry Davis, un cousin photographe de Chuck. On a là quatre-vingt dix pages d’images fan-tas-tiques, celles du Chuck d’avant Chess, déjà prodigieusement photogénique. L’une des images les plus connues est celle d’un Chuck engoncé dans un costard blanc mal taillé et grattant une belle pelle noire. Il sourit comme un ange de miséricorde, la bouche surlignée d’une moustache taillée à la cordelette. On ne trouve pas moins de sept poses de cette image, dont une agenouillée. Ce qui frappe le plus sur ces images magiques, c’est la taille des mains de Chuck. C’est là qu’un parallèle avec Jimi Hendrix s’interpose : les deux hommes avaient énormément de choses en commun, hormis la taille des mains : ils avaient tous les deux du sang indien dans les veines, un appétit sexuel démesuré et l’équipement qui leur permettait de l’assouvir, et le génie qui leur permit à deux époques différentes de façonner le rock à leur image. On tombe aussi dans le Harry Davis Photos book sur des images romantiques de Chuck avec des belles poules noires. En 1948, Chuck n’a que 22 ans et il est aux noirs ce qu’Elvis fut aux blancs à la même époque : une perfection à deux pattes. On tombe à la page suivante sur sa photo de mariage avec Themetta, qui doit elle aussi avoir du sang indien dans les veines, tellement l’aspect sauvage de sa beauté fascine. Harry Davis shoota aussi pas mal d’images dans les clubs de Saint-Louis où se produisait son cousin Chuck. On le voit gratter une Les Paul noire au Cosmopolitan Club en 1954. Et devant lui dansent des couples de blacks. On se dit : Oh les veinards ! Le cousin Harry en profita aussi pour shooter Johnnie Johnson assis devant son piano et le batteur Ebby Hardy fouettant le beat avec ses balais. Ce book fatidique se termine avec quelques images en couleurs. Chuck pose avec sa Gibson crème et tortille un peu les pattes : image après image, il crée sa légende. Ses chansons lui serviront de bande son.
L’autre livre donne le vertige, car il résume en images toute l’histoire de Chuck Berry. On a beau se dire qu’on connaît tout ça par cœur, depuis Disco-Revue et tous ces canards qu’on a eu dans les pattes, cette imagerie frénétique impressionne de plus belle. Toutes ces images sont graphiquement parfaites. Quelle que fut l’époque, Chuck Berry s’est toujours débrouillé pour rester un pur rock’n’roll animal. Il a toujours su se donner les moyens de sa légende. Certains personnages ont cette faculté de pouvoir rester conformes à l’image qu’on se fait d’eux. Dylan et Lemmy illustrent eux aussi ce principe de longévité vampirique. D’ailleurs, quand on ouvre ce deuxième volume, on tombe dès la page 4 sur Chuck le vampire ! Il ne prend même pas la peine de dissimuler ses deux crocs. Et le phénomène tourbillonnaire se reproduit : année après année, Chuck pose guitare en main avec la même élégance, le même filiformisme congénital, le visage toujours expressif d’un showman vétéran de toutes les guerres, et puis il multiplie les figures de styles, le duck-walk en costume blanc et le grand écart en pantalon rouge. Photos extraordinaires que celles d’un Chuck en béret au Star Club de Hambourg en 1964, puis les images incroyables de la tournée américaine de 1964 avec les Animals, puis on passe en 1967 avec des images de plus en plus acrobatiques shootées à Manchester, et même quand il commence à se laisser pousser les cheveux en 1972, il incarne le rock’n’roll mieux que quiconque sur cette planète. Il a ce côté gyspsy qu’avait Jimi Hendrix en débarquant à Londres. Souvenez-vous : subjugués par son apparition, les journalistes anglais crurent que Jimi sortait des bois de Bornéo.
Tous les fans de Chuck Berry entassent des tonnes de souvenirs de concert. Celui qui fut sans doute le plus spectaculaire fut le fameux concert-émeute de la Fête de l’Huma en 1973. Chuck arriva sur scène en pantalon rouge avec sa Gibson ES355 rouge et quelques heures de retard. La section rythmique d’Osibisa l’accompagnait. Tout se passa bien pendant un cut, puis un barbu en Stetson et lunettes noires débarqua sur scène pour dégager le batteur black et prendre sa place. La rumeur courut aussitôt : c’est Jerry Lee ! Et au lieu d’accompagner son vieux rival nègre, Jerry Lee lança ses baguettes en l’air et ruina brutalement le set de Chuck qui posa sa guitare pour quitter la scène. C’est là que la fête bascula dans le chaos. On vit un ciel noir de projectiles et un gang de bikers chargea la foule en brandissant des armes blanches. Panique générale ! Sauve qui peut les rats ! Les gens se levèrent par vagues. Même pas le temps de ramasser les sacs ! On marchait sur ceux qui n’étaient plus en état de se lever. Quelle rigolade ! On ne remerciera jamais assez Jerry Lee d’avoir créé un si beau chaos.
D’autres rendez-vous encore, comme ce concert fantastique de Chuck aux Banlieues Bleues à Saint-Denis et ce poto qui n’en finissait plus de glousser : «Gad’ le saucisson !». Chuck portait un pantalon rouge très moulant et on voyait bien qu’il était monté comme un âne. Un Marseillais dirait que sa bite descendait jusqu’au genou. Mais ce qui frappait le plus, c’était sa carrure. On comprenait mieux comment il avait réussi à sortir indemne des taules des blancs : Chuck Berry est bâti comme un géant. C’est ce que Steve Jones appelle la «structure osseuse», et il insiste beaucoup là-dessus dans Lonely Boy, son recueil de souvenirs.
Alors justement, Steve Jones n’arrive pas là par hasard. Chuck et lui ont quelque chose en commun, un goût prononcé pour la délinquance et le sexe. Comment pourrait-on imaginer les Sex Pistols ou Chuck Berry sans sexe et sans une petite pointe de délinquance ? L’ado Chuck et l’ado Steve débutent leurs carrières d’obsédés sexuels très tôt. Ça titille d’autant plus Chuck que son cousin Harry Davis shoote déjà des pin-ups et arrondit ses fins de mois avec des photos porno. Quand Chuck commence à tripoter les petites gonzesses du voisinage, son père l’apprend et lui colle une belle rouste. L’erreur à ne pas faire ! Alors l’ado entre en rébellion et décide de fuguer avec ses copains Lawrence Hutchinson et James Williams. Ils se carapatent tous les trois à bord d’une vieille Oldsmobile. Direction la Californie. Ils font cinquante bornes et s’arrêtent pour casser une croûte dans un patelin nommé Wentzville (là où Chuck installera plus tard son fameux Berry Park). Comme ils sont noirs, le porc blanc du restau leur dit d’aller chercher leur bouffe derrière, à la fenêtre de la cuisine. En 1944, les noirs n’ont pas le droit d’entrer dans les gastos des blancs. C’est là que l’ado Chuck fait la connaissance de Jim Crow, le fantôme ségrégationniste qui plane sur tout le Deep South. Quand ils arrivent à Kansas City, ils n’ont plus un flèche en poche. Alors Chuck sort son calibre 22 et ils braquent des commerçants. Envoie l’oseille, whitey ! En l’espace de cinq jours, ils en braquent trois, dont un coiffeur. Ça tourne au sac d’embrouilles, aussi décident-ils de rentrer à Saint-Louis. Hélas, la vieille Oldsmobile tombe en carafe à mi-chemin, juste à la sortie de Columbia. Ils font signe aux bagnoles qui passent. Un mec s’arrête. Plutôt que de lui demander gentiment son aide, cette crapule de Chuck lui met son calibre 22 sous le nez et lui dit de calter vite fait. Ils repartent en poussant l’Oldsmobile jusqu’à ce qu’un flic suspicieux les voie passer et les poire. Ils se retrouvent tous les trois au Boone County jail et un juge leur en colle pour dix piges dans la barbe. On est dans le Missouri et à cette époque, on mène la vie dure aux nègres qui sortent du droit chemin, aux antisociaux comme Chuck qui chient sur la règle d’or, le fameux ferme-ta-gueule-et-travaille-pour-le-patron-blanc. Chuck va tirer trois piges à Algoa.
Quand on le vit arriver sur scène à l’Olympia en 2005, on n’en revenait pas ! Cet homme de quatre-vingt ans déboulait sur scène en rigolant, vêtu d’une chemise bleue pailletée d’or. Et pendant plus d’une heure, il allait aligner la plus belle série de golden hits de tous les temps. En fait, ce qui frappait le plus dans son style, c’était l’économie de moyens. Il jouait une sorte de stripped down rock’n’roll, il ramenait tout à l’essentiel qui était la mélodie chant - Roll over Beetho/ ven/ And tell Tchaikov/ ski/ the news - D’ailleurs, il nous fit ce soir-là le coup de la panne, plus de son dans la guitare, alors il prit la basse pour s’accompagner et continua de chanter son cut comme si de rien n’était. Pour éclairer la lanterne du public, il expliqua qu’il jouait avec un émetteur, et que la pile du relais d’antenne était morte. Puis il éclata de rire : «Avant, on avait des câbles, and it never failed !». Et là-dessus, il embraya directement sur «Carol». Tout ceci pour montrer qu’au fond il n’a jamais eu besoin d’orchestre. Son principal instrument est sa voix. Il n’empêche qu’on se régalait quand même de le voir jouer ses plans de swing sur la Gibson rouge. Personne ne jouait de la guitare avec autant d’élégance. Il pliait les genoux et plaquait tranquillement ses accords dissonants sur son manche. The birth of cool ! Et puis ses textes sont tellement bien écrits qu’ils swinguent naturellement. Ça fait trente ans qu’on entend tous les coqs de basse-cour répéter à qui mieux-mieux que Chuck est le plus grand poète américain. Quelle aberration ! Quand on voit ce vieux pépère hilare sur scène, on comprend qu’il a inventé son rock’n’roll sans le faire exprès. Chez Chuck, la moindre phrase est simplement prétexte à rock. Ce concert de l’Olympia en 2005 fut un exemple parmi tant d’autres. Chuck savait doser ses effets et créer de violentes montées en température. On le vit soudain passer aux choses sérieuses avec «Memphis Tennessee», le fameux Long distance information, l’un des cuts les plus mythiques de l’histoire du rock, et là, à cet instant précis, on sut que Chuck régnait sur la terre comme au ciel. Il jouait des accords si épais qu’ils semblaient charrier des grumeaux de distorse. Il envoyait sa purée avec une sorte de bonhomie du delta. Puis il raconta l’histoire du country boy, un nommé Johnny qui savait jouer de la guitare comme on sonne à la porte. Évidemment, ça a l’air con, dit comme ça, mais le truc est là : il suffit simplement de raconter l’histoire d’un mec qui gratte sa guitare pour créer du mythe.
On le vit pour la dernière fois à Paris en 2008 en tête d’affiche au Zénith, après Linda Gail et Jerry Lee. Pas mal pour une vieux pépère de 82 ans. Comme Bobby Bland, il portait une casquette blanche d’officier de marine et son fils beefait le son sur une deuxième guitare. Du coup, le groupe sortait un son fabuleusement heavy, qui déroutait un peu, mais des hits comme «Around & Around» filaient comme des torpilles jusqu’à nos cervelles. Baaam ! On sentit ce soir-là qu’une page d’histoire se tournait. La critique s’empressa de massacrer le concert, histoire de redorer le blason de son incurie. Comment peut-on reprocher à Chuck Berry de jouer quelques plans foireux ?
La meilleure approche de Chuck Berry se trouve sans doute dans le film de Taylor Hackford, l’excellent Hail Hail Rock’n’Roll financé par Universal en 1986 pour le soixantième anniversaire de notre héros. C’est un film à deux facettes, et si on veut voir les deux, il faut se procurer l’édition spéciale du film parue en 2006 : le disk 1 propose la version originale du film et le disk 2 les interviews des principaux protagonistes, dont la productrice Stephanie Bennett et Taylor Hackford. Pour eux, ce tournage fut un épouvantable cauchemar, ce que ne montre pas du tout le film. Stephanie Bennett explique que Chuck Berry profitait de la moindre occasion pour renégocier son contrat. Si on ne lui apportait pas le blé en cash dans une enveloppe, il restait chez lui. Chaque fois, Stephanie Bennett lui demandait : «Combien ?». Et il fixait la somme. Quand ça tombait sur un samedi ou un dimanche et que les banques étaient fermées, elle devait se débrouiller pour trouver du cash. En plein tournage, Chuck prenait aussi des engagements pour jouer ailleurs. Si Taylor lui disait que ce n’était pas prévu et qu’une journée de tournage coûtait une fortune, Chuck lui répondait qu’il ne pouvait pas cracher sur un cachet de 25 000 $. Stephanie Bennett affirme que Chuck Berry est obsédé par le blé. Elle explique qu’il y avait deux concerts prévus au Fox Theater pour la fin du film et Chuck refusait de jouer le deuxième qui n’était pas prévu dans le contrat si on ne lui versait pas un complément. «Combien ?». Elle trouva le cash et lui balança l’enveloppe en pleine gueule. Elle n’en pouvait plus. Alors combien au total ? Le premier jour, Chuck empocha 25 000 $ en cash, et au final, elle estime qu’il aurait empoché 800 000 $. Chuck Berry a eu bien raison d’étriller ces blancs qui de toute façon allaient encore se faire du blé sur son dos, comme ils l’ont fait au temps de Leonard Chess et de tous les autres qui ont suivi. Dans une séquence du film, on voit Chuck discuter avec Bo Diddley et Little Richard. Bo explique qu’au temps de Chess, on leur donnait un demi-cent par disque vendu. Chuck rappelle qu’un disque se vendait 49 cents et il demande : où sont passés les 48 autres cents ? Mais dans la poche de ces porcs blancs, bien sûr ! On tente de faire passer Chuck pour un sale mec dans ces interviews et dans la presse, mais les sales mecs, c’est ni Chuck, ni Bo, ni Little Richard. On se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Les sales mecs sont tous ces gros porcs blancs qui ont bâti des fortunes sur le dos des nègres, exactement comme à l’âge d’or de l’esclavage et des plantations. Oh les belles demeures de caractère ! Et tous ces pauvres nègres qui ont bossé toute leur vie là-dedans pour des nèfles ? Non mais vous rigolez ou quoi ? Chuck Berry un sale mec ? Chuck, c’est Zorro ! Il leur fait cracher tout leur blé, à ces fils de putes. Il a plus de courage que les autres qui n’osaient pas, ceux de Chicago élevés dans la terreur du patron blanc. Dans le film, on voit Chuck entrer au Fox Theater et raconter qu’il y était venu étant gosse pour y voir un film. Comment l’accueillit la gentille caissière ? Dégage, sale nègre ! Bien sûr, Chuck mettra un point d’honneur à revenir jouer en tête d’affiche dans cette salle où on l’a humilié quand il était petit, mais il profite surtout de cette séquence pour rappeler au monde entier qu’on a vendu ses ascendants à quelques blocs d’ici, sur les marches du tribunal. Sold ! répète-t-il d’une voix sourde. Et il ajoute, avec un drôle de sourire en coin : depuis, les choses ont bien changé, n’est-ce pas ? Autre anecdote croustillante : quand il enregistre «Maybelene», le hit qui va le rendre célèbre dans tout le pays, il voit trois noms crédités sur la rondelle du single : Chuck Berry, Russ Freto et Alan Freed. Chuck demande : «Qui est Russ Freto ?» Pas de réponse. Il découvre un peu plus tard que Russ Freto est un employé de Leonard Chess, ‘est-à-dire un homme de paille. Chuck a beau être délinquant, il découvre que les frères Chess sont bien plus balèzes que lui en matière de délinquance. Ils méritaient d’aller faire un stage dans la taule d’Algoa.
Alors bien sûr, si on regarde le film, on a l’autre pendant de cette histoire, avec toute la crème de la crème, Keith Richards, Clapton, Robert Cray, c’est à qui va frimer le plus, avec des solos à la mormoille. On voit aussi Jerry Lee rendre hommage à son vieux rival et ses rares apparitions dans le film remontent bien le moral. On revoit aussi avec un bonheur incommensurable la fameuse scène où Chuck fait rejouer trois fois l’intro de «Carol» au vieux Keef. Il dit à Keef : «Si tu veux le faire, il faut le faire bien !». C’est sa façon de régler ses comptes, car les Stones et les Beatles lui ont tout pompé. Chuck Berry n’est jamais devenu aussi énorme que les Beatles et les Stones. On peut comprendre qu’il puise en éprouver une certaine forme de ressentiment. Tiens, encore un coup de charme fatal : il rappelle qu’au temps de sa jeunesse, on n’entendait que des artistes blancs dans les quartiers blancs de Saint-Louis, des gens comme Sinatra ou Pat Booooooone, mais jamais Elmore James, ni Muddy Waters, ni Howlin’ Wolf. Alors il se dit : Pourquoi ne pas écrire de la sweeeeeet music pour entrer chez les white people ? «Alors j’ai écrit «School Days» et ça a marché !» Il faut voir le sourie de Chuck à ce moment-là.
L’autre gros avantage du disque de bonus, c’est qu’on y voit Etta James chanter une version démente d’«Hoochie Coochie Gal», le pendant féminin du fameux «Hoochie Coochie Man». Taylor Hackford rappelle que Chuck ne voulait pas d’Etta dans son film mais Keef réussit à l’imposer. À la fin de la chanson, visiblement ému, Chuck vient serrer Etta dans ses bras. Il dit ne pas la connaître, mais elle lui rappelle qu’au temps de ses débuts chez Chess, elle a fait les backings vocals pour lui sur quatre titres, en compagnie d’Harvey Fuqua des Moonglows et de Minnie Ripperton qui était alors réceptionniste chez Chess. L’autre sommet du bonus disk est l’épisode d’Algoa State County Jail, où Chuck séjourna de 18 à 21 ans. Taylor raconte qu’ils sont entrés dans la taule comme dans un moulin, car Chuck y est un héros. Pas besoin de papelards ! Un petit groupe accompagne Chuck et dans ce petit groupe se trouvent des femmes, dont la fameuse Stephanie Bennett. Ça flippe un peu dans le groupe de visiteurs, car ils doivent traverser la cour à pieds et des centaines de taulards arrivent pour les accompagner. Certains commencent même à mettre la main au panier de Stephanie Bennett pour la mettre à l’aise. My crutch ! Ça fait marrer Chuck ! Hilare, il rappelle que les taulards sont privés de pussy pendant looooongtemps. Puis il donne un concert gratuit pour ses copains taulards. GRATUIT ! Eh oui, tout arrive. Quelle rigolade ! Mais on ne voit hélas pas les images, car Chuck les a confisquées. À la suite de cette séquence pour le moins insolite, Taylor Hackford rappelle que Chuck fit trois séjours au ballon : pendant le premier, il apprit la poésie, pendant le second (suite au Mann Act, une vieille loi raciste qui interdit aux nègres de traverser des frontières d’états en compagnie d’une mineure blanche), il termina ses études, et pendant le troisième (poursuivi par le fisc pour non-déclaration de revenus), il obtint un diplôme de compta, histoire de dire : vous ne me baiserez plus. And he could play guitar like a-ringing a bell. Fabuleux personnage.

Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

Chuck Berry. Disparu le 18 mars 2017
Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear Family 2014
Taylor Hackford. Hail hail Rock’n’Roll. DVD 2006

 

REUNION AU SOMMET

Le monde se tait. Les papillons arrêtent de voler pour ne pas corrompre du silence de leur vol les vastes pensées que Zeus tonnant tourne infiniment dans son grandiose cerveau. Nul bruit ne se permettrait d'interrompre, les sombres méditations du Maître des Cieux. Il a par hasard jeté un regard sur le monde hagard des hommes. Le désolant spectacle de cette race chétive et débile vient de s'offrir à ses yeux. Heureusement, marmonne-t-il, qu'il existe les rockers pour relever le niveau de cette humanité contingente. Certes l'on trouve sur cette triste planète quelques êtres supérieurs tels le Cat Zengler et le Damie Chad, chaque semaine j'avoue prendre plaisir à la lecture de leurs chroniques, mais quand je les compare à Achille, à Hector, à Ajax, à Ulysse, je me dis que face à ses héros ce ne sont que des poids plume... peut-être devrais-je les soumettre à une terrible épreuve, oui l'idée me semble bonne, tiens je commencerai par ce Damie Chad qui ne se prend pas pour une semi-bouse de vache sacrée...

C'est à ce moment précis que les deux battants de la salle du trône s'ouvrent violemment et qu'un sinistre hurlement d'exaspération féminine retentit :
- AUHUIHUOIAÎ !!! Assez ! J'en ai assez – l'épouse du monarque de l'univers projette violemment sur le sol trois douzaines de poteries grecques dignes de figurer dans les collections du British Museum – Zeus, je t'ordonne de réagir !
- Ma douce Héra, ma tendre, mon bébé, ma pantoufle, mon nanan, que se passe-t-il ? Que puis-je pour apaiser la fulmination de tes tourments, parle sans crainte ma chérie !
- Toujours les mêmes, les trois cousines, Athéna, Artémis et Aphrodite qui n'arrêtent pas de se chamailler, et c'est moi la plus belle, mais non c'est moi, non tu mens c'est moi, si tu n'interviens pas, bientôt l'on sera bon pour une nouvelle guerre de Troie, et j'en ai plus qu'assez de leurs criailleries de gamines pourries jusqu'au trognon !
- Ne t'inquiète pas ma toute bonne, tu m'apportes sur un plateau l'idée à laquelle j'aspirais sans parvenir à la formuler. Calme-toi, prends un peu de repos, retire-toi dans ta chambre mais avant introduis nos trois insupportables péronnelles, que je leur inflige la plus terrible des punitions.

L'oeil de Zeus étincèle. Les trois donzelles baissent la tête et ne mouftent pas. Zeus décide et décrète :
- Huit jours que vous importunez Héra par vos stupides enfantillages. Cela suffit. Puisque vous ne savez pas qui est la plus belle, primo : je vous transforme en jeunes femmes, secundo : je vous expédie sur la terre, tertio : je nommerai un juge pour vous départager. Et vous n'avez pas intérêt à venir réclamer par la suite. Exécution immédiate. Ah, non j'oubliai, Hermès c'est bien toi qui as inventé la lyre ?
- Oui Père !
- Et toi Apollon, tu sais en jouer ?
- Oui Père !
- Vous partirez avec vos soeurs, veillez sur elles comme sur la prunelle de vos yeux, la lubricité humaine est infinie.

Je dors du sommeil du juste lorsque dans mon songe retentit une voix assourdissante et comminatoire :

- Réveille-toi Damie, c'est moi Zeus qui vient t'affronter à une cruelle épreuve qui te montrera en quelle estime je te tiens pour te l'avoir imposée.
- Zeus je suis prêt, commande et j'obéirai.
- Bien, je savais que tu serais digne de ma confiance. Ce samedi 01 AVRIL 2017, dirige tes pas vers BARBIZON, va jusqu'au BLACKSTONE, là tu trouveras, trois jeunes femmes, attention n'y porte pas la main, ce sont de véritables déesses, elles se présenteront sous le nom de JALLIES, tu les laisseras chanter, tu leur prêteras une grande attention, et à la fin tu éliras la plus laide !
- La plus laide Zeus, je demande de l'aide ! Ce jour est à marquer d'une pierre noire, comment oserais-je me montrer si malotru !
- Tais-toi sombre vermisseau ! C'est là ta mission, ainsi tu assèneras un coup mortel à leur orgueil, et ma digne épouse ne viendra plus hurler à mes oreilles pour que je punisse ces trois calamités bruitistes !

Je n'en menais pas large lorsque la teuf-teuf me déposa devant le BlackStone. Affirmer à une jeune fille qu'elle n'est qu'un laideron n'est guère élégant. Ce n'est pas dans ma nature, ma maman m'a appris à rester toujours poli avec les dames. En plus s'adresser de cette manière fort discourtoise à des déesses immortelles, comment réagiront-elles ! Imaginez leur colère, moi qui ne suis à leurs yeux qu'un simple mortel aussi insignifiant qu'un moustique sans ailes.

Je tremblais un peu lorsque j'ai coupé le moteur de la teuf-teuf devant le BlackStone. J'avais pris mes précautions, j'avais emmené le Grand Phil avec moi, me semblait être de toutes mes connaissances l'individu le plus apte à me seconder dans cette périlleuse mission, un gars diplômé en grec ancien, c'est tout de même idéal pour tailler le bout de gras avec des déesses grecques. Nous les avons trouvées, accompagnée de leurs deux chaperons devant un poulet frites, les pauvrettes habituées à l'ambroisie divine ! Mais les voici sur scène !
Quel ravissant spectacle ! Elles ressemblaient à s'y méprendre aux Jallies habituelles, mais il y a des détails qui ne trompent pas. Plus de rouge, plus de noir, s'étaient revêtues de la couleur de l'Empyrée, ce bleu-azur qui est la teinte des plafonds de l'Olympe. Difficile de savoir qui était au juste Artémis, Aphrodite, Athéna aussi me contenterai-je de les nommer par le prénom des simples mortelles qu'elles incarnaient si radieusement.
Par contre pour les boys, n'ai pas eu la moindre hésitation. Apollon se cachait sous l'aspect de Kross. L'a commencé par arriver en retard au début des trois sets. La lenteur est la marque de la grandeur des Dieux, nous a appris Aristote. Habillé tout de noir, une casquette de malfaiteur sur la tête. L'était évident que ce soir ce n'était pas l'Apollon lumineux qui nous regardait, mais l'autre aspect du dieu, le côté obscur de la force, le lycaon, le loup cruel et sans pitié, je puis vous en apporter la preuve, à ma connaissance le seul contrebassiste qui se soit permis de jouer de la contrebasse... en la mordant, et puis ses soli, vous aviez l'impression qu'à chaque fois qu'il touchait une corde il écrasait la tête d'un serpent. A peine a-t-il commencé à jouer que les photographes se sont précipités pour le prendre en photos.
Hermès se cachait sous le chapeau et la chemise blanche de Tom, nous a donné un festival de guitare rock, en verve et le sourire aux lèvres le jeune dieu, imaginez Hendrix avec une tronçonneuse, l'a fait ronfler son engin comme un moteur de spitfire en plein combat, l'a survolé les trois sets, vous a piqué de ces soli en rase-mottes à vous donner le tournis, un moulin d'enfer, c'était bien un dieu qui jouait, l'a malmené ses cordes comme les élastiques d'une fronde, et détail qui ne trompe, n'en a même pas cassé une, alors qu'il a les a tirées plus vite que son ombre, plus fort que jamais, à chaque solo l'arrachait des cris d'admiration à la salle...
S'étaient tous les deux rangés sur le côté droit de la scène afin que les déesses soient en face des spectateurs, n'étaient-elles pas l'enjeu crucial de cette soirée ! Si vous croyez que le train d'enfer mené par leurs chaperons les ait mis ne serait-ce qu'une demi-seconde en danger, vous vous trompez. Elles ont survolé sans effort cette tonitruance impulsée par les mâles, s'en sont amusé comme l'oiseau se laisse emporter par les courants ascendants des cyclones les plus violents.
Céline, les bras nus, aussi blancs et harmonieux que ceux de Nausicaa qui accueillit Ulysse au royaume d'Alkinoos, l'était le chant et la danse, trilles swing de sa voix, un ascenseur fou qui se perdait dans les ramures vertigineuses de la beauté pour redescendre vers la plasticité condescendante des racines impulsives, un escalator hors de tout contrôle qui vous trimballait des cieux à la terre d'une seconde à l'autre, et puis cette manière d'immobiliser soudain son corps la guitare sur son épaule comme si elle revenait de la fontaine de Castalie une amphore légère délicatement posée sur sa clavicule. Ô Zeus cruel, comment pourrais-je associer la notion de laideur à tant de grâce !
Leslie, la large échancrure de sa tunique qui dévoilait des épaules de reine, tantôt cachant la droite, tantôt voilant la gauche, comme si nul oeil humain n'aurait pu supporter l'éclat irradiant de ses deux rondeurs ivoirines en un même temps, et sa voix mutine qui enflammait les rocks les plus torrides, des cercles de feu qui vous brûlait l'âme comme les forges volcaniques d'Héphaïstos, cette voix de petite fille égarée et perverse sur Funnel of Love, auriez vous déjà entendu une telle délicatesse empoisonnée ! La souplesse étincelante du serpent alliée à sa morsure la plus dangereuse. Ô Zeus sans coeur, faut-il que tu sois soit pitié pour m'obliger à mêler à cette étincelle de bonheur l'idée de laideur !
Vanessa, et son clair regard de diamant, suffit que vous vous sentiez le dard pétillant des ses yeux se poser sur vous pour vous sentir meilleur, ses réparties railleuses qui cascadent sur vous comme l'aigle des nuées qui tombe sur vous et vous déchire de ses serres puissante, et sa voix une pluie de grêlons brûlants qui s'abat et vous fracasse la tête, tour à tour Koré printanière du blond soleil et Perséphone des ires infernales, malmène la caisse claire comme si vous étiez l'objet de sa plus cruelle vindicte et puis vous adresse un de ces sourires ensorceleurs qui vous embaume l'esprit. Ô Zeus méchant, en quoi le concept de laideur aurait-il quelque prise sur vision de vie énergisante !

Et les trois ensemble, ô dieux, quelle harmonie suprême, un entremêlement de tout ce qu'il y a de plus beau sur cette terre. Comment pourrais-je m'acquitter de cette mission. Mais les dieux aiment à faire durer la souffrance humaine. Ne voilà-t-il pas que la porte s'ouvre au milieu du troisième set et que José, Didier et Ludo, le redoutable trio des Eight Ball se précipite devant la scène. Se sont dépêchés de finir leur concert à Réau pour voir les Jallies à Barbizon, et sur l'invitation de Tom – l'Hermès sardonique – après s'être emparés tour à tour de la contrebasse de Kross avec l'agilité d'un chat – normal les Jallies sont en train de miauler un souverainiste Stray Cats - ils nous offriront un mini set de quatre morceaux qui se terminera par une reprise hommagiale de Johnny B. Goode, mais vous avez raté leurs vacances au pays des vampires, un truc frissonnant d'horreur désopilante.

Une bien belle soirée avec deux groupes pour le prix d'un, remarquez que comme l'entrée est gratuite... En tout cas, pour moi ce n'est pas fini, le plus dur reste à faire. Zeus m'a fourré - sans chocolat – dans une épineuse affaire. Comment pourrais-je m'en tirer sans offenser ni le maître des Dieux ni les trois plus belles déesses de l'Olympe. Je consulte en douce le Grand Phil qui m'assure qu'à ma place il s'inspirerait non pas de la philosophie de l'Hellade – car quel humain pourrait se vanter d'être plus sage qu'un dieu – mais de la grande sophistique, cette invention typiquement grecque – donc humaine - qui égale par ses perfides argumentations la duplicité des dieux.

Toutes les trois devant moi, les yeux baissés attendant que mes lèvres proférassent l'assassine sentence. Elles n'en menaient pas large, ce qui était normal vu l'adorable taille de guêpe de leur divine silhouette. Enfin Céline prit son courage de ses deux menottes si fines :
- Damie, ô Damie ! Dis-moi, suis-je la plus laide ?
- Oui Céline, la plus led de toutes, ta grâce est l'ampoule illuminescente qui éclaire le monde et éclipse les soleils de toutes les galaxies !
- Merci Damie, je ne sais comment te remercier, ah ! si ! Je te ferai une bise au premier de l'an !
- Quelle merveilleuse manière de commencer l'année, ô déesse !

C'était au tour de Leslie. Elle n'osait pas, son pied gauche tout mignon tambourina par trois fois le sol, et d'une voix étreinte par l'anxiété, elle demanda :
- Damie, ô Damie ! Dis-moi, suis-je la plus laide ?
- Oui Leslie, la plus la laid back de toutes, ta décontraction est cette douce musique qui meut les sphères et permet de maintenir l'équilibre de l'univers !
- Merci Damie, je ne sais comment te remercier, ah ! si ! Je te ferai une bise pour ton anniversaire !
- Ce sera l'a-pic vertigineux de mon existence, ô déesse !

Il ne restait plus que Vanessa. A sa place vous auriez tremblé de peur. Ses deux copines s'en étaient bien tiré, que lui réserverait le sort fatidique ? C'est d'une voix légèrement altérée mais aussi suave que le miel de l'Hymette qu'elle posa la question rituelle :
- Damie, ô Damie ! Dis-moi, suis-je la plus laide ?
- Oui Vanessa, la plus led Zeppelin de toutes, tu es l'acier brillant dont on forge les armes des Héros et le glaive de justice de Zeus qui commande l'ordonnancement des étoiles !
- Merci Damie, je ne sais comment te remercier, ah ! si ! Je te ferai une bise pour la Noël !
- Ce sera le plus inestimable présent que je ne recevrais jamais, ô déesse !

Et, hop, toute contentes, sans plus me jeter un regard, elles s'envolèrent vers le ciel.

N'étais pas trop fier de moi lorsque je me suis couché. Comment Zeus allait-il réagir ? Je n'avais pas fermé les yeux qu'il apparut.
- Damie, ne fais pas semblant de ne pas me voir !
- Oui Zeus ! J'écoute ta sentence !
Il y eut un lourd silence, j'eus l'impression qu'il dura au moins deux siècles. Enfin Zeus s'éclaircit la voix :
- Hum - hum ! Pas très courageux mon petit Damie, même pas l'audace de te payer la tête d'une fille, un conseil, ne te marie jamais, pauvre Damie, sinon tu essuieras la vaisselle matin, midi et soir ! Tu n'arriveras jamais à la cheville d'Achille.
- Oui Zeus, je l'admets, je suis timide, c'est ma faiblesse, sur le baromètre achilléen je ne ne monte pas plus haut que le talon !
- Dès que tu as ouvert la bouche j'ai saisi la perfidie de tes paroles à double sens, tu as une langue de reptile venimeux !
- Je te promets que je ne recommencerai pas, ô Zeus !
- Ne crains rien, j'ai reconnu en ton verbe ambigu l'ingéniosité trompeuse et les mille détours souverains du subtil Ulysse cher à mon coeur, aussi ne t'en veux-je point !
- Merci Zeus, mais puis-je te poser une question ?
- Fais-vite, je suis pressé, l'univers a besoin de moi.
- Tu viens de me dire que ma parole possède la grâce ondoyante des discours d'Ulysse, mais que penses-tu de ma plume, serait-elle l'égale de celle d'Homère ?
- Ta plume Damie ? tu peux te la mettre au cul !

Et le dieu des Dieux s'évanouit en moins d'une seconde. Lorsque je m'éveillai, résonnait encore dans mes oreilles son rire tonitruant.


Damie Chad

 

 

LES POETES DU ROCK
JEAN-MICHEL VARENNE
( Seghers / 1975 )

Attendait sur l'étagère depuis quelque temps, l'ai souvent pris en mains, mais la petitesse du caractère me rebutait. Plus de trois cents pages minuscules... Quatre décennies que je n'y avais jeté un coup d'oeil, n'étais pas pressé, une de plus ou une de moins... Mais enfin l'autre soir n'écoutant que mon devoir je m'y suis collé. N'en ai pas décollé jusqu'à la fin. M'attendais pas à si fort, avais tout oublié – merci cher alzheimer – vous cite quatre lignes de l'introduction :


«  … Être hanté des nuits entières par le cuir blanc de Gene Vincent, sa jambe droite scellée dans le fer, sa tête balancée le long des épaules glissant jusqu'au ras du sol, levant les yeux fous vers la clarté glauque d'un spot perdu dans la nuit... »


Du coup suis allé voir sur le net qui était ce Jean-Michel Varenne. N'ai pas trouvé grand-chose. A écrit une trentaine de bouquins – certains d'après moi alimentaires – mais des centres d'intérêt convergents, spiritualité, ésotérisme, alchimie, bref des voies d'accès directes à la poésie, bien plus signifiantes que les dissections sémiotiques universitaires, question rock son intro est le meilleur des passeports.


BOB DYLAN


L'a placé Bob Dylan à part, en tête de volume, L'Histoire lui a donné raison, le prix Nobel de Littérature est tombé dans son escarcelle sans qu'il ait intrigué pour le percevoir. Perso, j'aurais placé tout devant Jim Morrison. Me semble davantage correspondre à un voleur de foudre que Dylan. Tout sépare les deux hommes, Dylan c'est encore la vieille écriture européenne qui ne s'écarte guère de l'antique imagerie biblique, avec lui l'on n'est jamais très loin de l'Apocalypse christologique de saint Jean. Trimballe dans ses textes torrentueux toute l'arrière-fond du puritanisme américain, un oeil sur le péché et l'autre sur le feu de Sodome et Gomorrhe, le désir dans la tête et la peur au ventre. Morrison est un fils du paganisme, au travers de ses poèmes l'on sent la pulsation de l'animisme primordial, le culte du Serpent originel, son sang noir charrie les cultes orphiques de convocation des esprits et les rituels ophites du vaudou. Présente Dylan comme l'héritier du Harrar, appellation qui correspondrait me semble-t-il davantage à Morrison duquel les écrits entrent beaucoup plus en résonance avec la sauvagerie native et retrouvée des Illuminations de Rimbaud.
Ceci mis à part, il est temps de louer la méthode de Jean-Michel Varenne. Se livre à chaque fois à une explication de texte qui déborde dans les marges de la biographie sans jamais remettre en question la centralité de l'œuvre. Le texte est là, sans cesse, d'abord dans sa traduction française, immédiatement suivi de l'original – parfait pour améliorer votre anglais – mais enchâssé dans le décryptage entrepris par Jean-Michel Varenne qui resitue et restitue le contexte existentiel qui a généré son écriture. Lecture des plus éclairantes, des plus pertinentes, au milieu des années soixante-dix, ces textes n'étaient généralement accessibles qu'en songbooks pirates, les lire n'était guère facile, l'on se trouvait souvent confronté à une débauche d'images hétéroclites dont la logique qui avait présidé à leur entremêlement s'avérait inatteignable. Nous les jugions gratuites, filles d'un surréalisme éculé, et les plus sévères n'hésitaient pas à parler de facilité d'écriture relâchée, une espèce de sous-littérature largement surévaluée.
Donc Dylan dont Jean-Michel Varenne suit le parcours d'album en album. Le prophète de la Nouvelle Gauche américaine, contestation radicale du Système et donneur de leçons de morale. Ecoutez la parole du Grand Folkleux ! Lui faudra du temps pour percevoir l'aspect désagréable de cette bonne conscience. De tout repos et dispensatrice de beaux cadeaux. La célébrité, l'argent, le star system chérit ses bénéficiaires. Devient l'aboyeur appointé du Système, celui qui vous avertit à la porte d'entrée. Pousse des grognements terribles mais peu efficaces, l'est solidement arrimé au cou par une chaîne d'or. De surcroît beaucoup le flattent et lui glissent un sucre entre les dents. L'est enserré dans un anneau étrangleur de contradictions, s'en délivrera à coups d'électricités et de drogues. La liberté chèrement acquise le coupe du monde, s'enfonce en lui-même dans le carnaval qui tourne dans sa tête. L'a des visions. L'aurait pu finir comme un Saint, mais cette ascèse est trop difficile, endossera le rôle du repenti, désormais il portera sans fin la croix de la culpabilisation. Parfois il la dépose dans un coin et nous fait le coup du red neck born again, une vie simple et honnête, la femme aimée et les enfants qui jouent dans le jardin, mais il reprend vite son fardeau, car celui qui faute connaît d'abord les joies de la damnation... Nous avons un avantage sur le bouquin, nous connaissons une grande partie de la suite de l'histoire, se finit en queue de poisson, point christique, simplement cynique. Revenu de tout et de lui-même, Dylan cultive son jardin, n'aime guère que l'on vienne enquêter sur ses plate-bandes. Nous laisse en paix. Se contente de faire régulièrement la tournée des guichets.

JIMI HENDRIX


Entre Dylan et Morrison, Varenne intercale Jimi. Bien joué. Les deux autres ont beau s'agiter, restent avant tout des intellos. Hendrix est l'homme de la pratique. Issu d'un croisement de sang rouge et noir – les deux couleurs fondamentales de l'alchimie – le résultat en a été un bleu sombre, vient des bas-fonds, de ceux qui triment ou chôment dans l'anonymat. Pas question de la leur mettre. Les promesses savent qu'elles s'équivalent au zéro. Veulent du concret. Le rock n'est pas une musique. Certains écrivent de la poésie. D'autres la vivent. Le rock sera une expérience. Un voyage de l'autre côté. Apprendre à percevoir ce qui n'est pas directement accessible. En concomitance avec son époque. Les buvard bleus, les trips qui vous mènent hors de la triste réalité quotidienne. Une démarche cousine de celle des Doors. Au début, c'est magnifique. Aussi beau que le déchaînement des rubans multicolores de la fin d'Odyssée de l'Espace. Mais les chatoyances colorées se révèlent être un feu qui n'éclaire plus. Qui brûle. Dans Electric Ladyland Hendrix recherche le secours de l'eau, l'électricité déguisée en Dame du Lac, pour éteindre les irrémédiables brûlures des drogues qui vous embrument et du sexe qui s'attiédit. Maintenant qu'il a subi toutes les épreuves auto-rituelles qu'il s'est imposées les distances se sont abolies, il n'a jamais été aussi loin et aussi près du passage. Qui peut dire ce qu'il a trouvé. Jean-Michel Varenne nous apprend que les mots d'Hendrix sont aussi importants que ses notes. Une découverte. Ecoutez ce que le vent crie et pleure.

BEATLES


Trop gentillets à mon goût. Varenne s'intéresse avant tout au Sergent Poivre. Ce n'est pas chez moi qu'il recevra le grade de général cinq étoiles. Quant à leur poésie... les Déroulède du psychédélisme. Les trompettes de la renommée qu'ils ont embouchée, je les soupçonne de n'être que de vulgaires tubas asthmatiques. Ou alors d'un hélicon qui se prend pour un hélicoptère. Une fanfare hétéroclite. Beaucoup de bruit pour rien. Jean-Michel Varenne – qui les aime beaucoup – cueillent les fab four à la fin de Revolver. Le disque annonciateur des grands bazars hétéroclites de la modernité musicale. L'on rassemble tout ce qui existe, la musique classique, les gammes orientales, le poivre du rock, le travail stockhauseneriste du studio, l'on touille, et l'on sert chaud. Une fuite en avant. Les Beatles ne gèrent plus leur célébrité. Sont portés par la vague, mais ils ne contrôlent plus rien. Ce n'est pas leur canot de sauvetage pneumatique qui prend l'eau, c'est leur tête. Drogues douces et drogues dures. Au milieu du sandwich une tranche de mortadelle spirituelle. Pas excellent. Finiront par recracher les morceaux. L'équipage se révolte contre lui-même. Pourraient faire sauter la soute à munitions pour finir en beauté. Mais non, pas si fous. Trop sages. Sauve-qui-peut général mais pas de panique. Tout le monde descend au prochain port.

ROLLING STONES


Une autre dimension. Les dandies du mal. Les dignes héritiers d'Oscar Wilde, de Lord Byron, de Thomas de Quincey. Et des nègres. Que voulez-vous rien n'est plus explosif que la poudre noire. Car oui, non contents de se vautrer dans le stupre et la drogue, ils sont les adeptes de la musique noire, le blues. La musique honteuse. Font tout pour se faire mal voir : sales et habillés comme des clodos. La police les guette et le gouvernement les enverrait avec plaisir en prison. Ce n'est pas qu'ils aiment, c'est qu'ils vous haïssent. Se sentent supérieurs, et très vite ils vous méprisent. Et de là, ils se foutent de vous, vous utilisent, vous exploitent, vous rendent soupe de chèvre, vous manipulent sans regret. A chacun sa ration. Super-vitaminée dans les deux cas. Et pour les fans et pour les ennemis. Se foutent de votre gueule et pactisent avec vous. Crachent sur la gentry et rejoignent la Jet-set ! Un parcours diabolique ! Un œil sur Lucifer et l'autre sur le portefeuille. Après Altamont, à l'heure cruciale, ils choisiront le côté du cœur. Jean-Michel Varenne ne les porte pas aux nues. Mais quoiqu'ils fassent ils restent le soleil noir du rock'n'roll.

JIM MORRISON


Nous le présente comme un solitaire. Un ovni égaré échoué sur la planète du rock'n'roll. Qui repartira dégoûté de cette race humaine dégénérée vers d'autres cieux. Qui ne se révélèrent guère plus cléments. Le vaisseau s'écrasera lamentablement. Mais peut-être était-ce la seule manière non pas d'ouvrir la porte sur une autre dimension, mais de la refermer définitivement sur celle-ci. N'a pas eu le public qu'il méritait. Ou plus exactement le plus en âge de flairer la bête et le moins apte à le sentir. Des petites filles, des adolescentes pas du tout attardées, plutôt en avance, dégagées de l'enfance sans avoir encore atteint leur maturité intellectuelle. Morrison a fait avec. Saurien qui prêche dans le désert. Qui tue le père afin de les libérer du carcan de la déglingue civilisatrice. N'appelle pas au retour du bon sauvage rousseauiste, mais met en scène une dramaturgie de la cruauté innocente à la Antonin Artaud. Jim Morrison traverse le rock en passant considérable. Vient d'ailleurs mais ne sait pas exactement où il va. Expérience hendrixienne. Par excellence. Observation de la chute d'un corps équivalente à celle de la chute d'un astre. Parabole. Sinuosités étincelantes du serpent. Ondulations maléfiques des reptiles. Peut tout faire. Mais n'accomplira rien. Pas un exemple. Une trajectoire. Souvent je pense que son existence provient des atomes subtils d'un rêve de Nietzsche qui se serait condensé et coagulé dans la matière de notre monde. Certains nommeront cela un cauchemar ambulant. Gardez-vous d'y tirer dessus. Les balles ricochent sur sa carapace. Vous pourriez vous blesser. La bête morte tue encore. Normal, c'est un poëte.

LOU REED


Lou Reed sort de la dernière exit - est-ce excitant ! - from Brooklin, ne s'est pas sorti tout seul du chapeau du magicien, du chaudron maléfiques des pommes pourries du paradis, un bonimenteur l'en a tiré – vous tire aussi votre portrait et votre argent – s'appelle Andy Warhol le pape du pop art, une variation new yorkaise du Colonel Parker, mais le décor du cirque rentre dans le couvre-chef et touille Loulou, le gentil petit lapin en gibelotte fricassée aux fines herbes. Fausse recette. A la poudre qui n'est pas de perlimpinpin. C'est elle l'héroïne de la comédie inhumaine qui va suivre. Défilé des spectres, cherchent leur dose, maxidose dans les veines, et myxomatose généralisée des comportements. N'y a pas que les yeux qui sont rouges de sang sur les trottoirs de New York. Entrez dan le souterrain de velours et admirez les portraits de cire fondante et vivante. La collection des dépravés. Le sexe comme ultime alimentation. Il suffit de réaliser ses propres fantasmes pour ne pas être plus heureux. Ou plus malheureux. Ce qui peut-être considéré comme un mieux quand on y pense. Lou Reed, l'autre côté des décors du rock'n'roll. Circulez, il y a tout à voir. Prodigieusement ennuyant. Répétitif et traînant en longueur. Le vice monotone.

TROIS GROUPES ANGLAIS


Une introduction qui manifestement a lu le chapitre du Rock Anglais d'Alain Dister ( voir KR'TNT ! 321 du 23 / 03 / 2017 ) – la littérature rock use aussi de l'esthétique du recyclage chère à sa musique – la poésie tipically british. Par ordre d'entrée en scène : Les WHO. Assez bien vu, la ligne de partage des eaux, la furia et la finesse. Live at Leeds, le bruit et la fureur et Tommy, l'intellect rock en action qui demande davantage d'harmonie. D'un côté la révolte adolescence sous forme de tornade, et de l'autre une réflexion sur la société anglaise. Des voyous philosophes d'un genre nouveau. Tombent dans toutes les chausse-trappes de la pensée pompière mais avec un volontarisme et une fougue qui emporte l'adhésion. En deux les Kinks mais un degré en dessous. Du rock sauvage en leurs débuts mais très vite nostalgie et tendresse désabusée sur l'avenir sans futur qui s'annonce sur les petites gens, prolétaires du pays vous allez en prendre plein la gueule. Procol Harum, s'éloignent de la réalité, construisent un monde intérieur merveilleux de chevaliers et licornes hors du temps.

ACID-TEST


Si les anglais semblent s'enfermer dans les fastes d'un passé mythique, l'Amérique ouvre les portes d'un futur prometteur. Hélas, elles seront vite refermées. Un moment capital de l'histoire du rock. Pour faire une équivalence nous dirons que ce qui se passe durant quelques mois à San Francisco et puis à Londres, n'est pas s'en rappeler l'expérience de collectivisation des terres en Aragon durant la guerre d'Espagne. L'apparition des Diggers qui reprend les théories de Kropotkine sur l'économie du tas basée non plus sur l'offre et la demande mais sur le besoin individuel et l'apport au collectif nous montre que notre comparaison n'est pas sans fondement. Varenne ne remonte pas si loin. S'arrête au mouvement beat, cette espèce de coupure épistémologique poétique et littéraire, ce moment où la poésie sort des livres et des bibliothèques pour prendre la route. Une tradition américaine dont Walt Whitman et Jack London sont les promoteurs. En France, Albert Glatigny et Arthur Rimbaud en sont les précurseurs.
Les beatniks étaient des marginaux, des intellectuels coupés des masses. Des délinquants intellectuels d'un genre nouveau que la société regarde d'un mauvais oeil mais trop peu nombreux pour l'inquiéter sérieusement. Une deuxième génération instantanée, on l'appellera la génération hip, apparaît sur les campus universitaires. Ces nouvelles troupes n'ont pas été séduites par un quelconque éblouissement poétique au cours de leurs études. C'est l'Etat qui met le feu aux poudres en permettant en toute légalité l'expérimentation de l'acide lysergique. Remue-ménage dans les méninges. D'autres perspectives s'offrent à vous. Il existe d'autres urgences que le travail et la reproduction familiale des générations. Faut se tirer de ces carcans. Le mot d'ordre est simple, lâchez prise, drop out généralisé.
La Chine était en train de vivre sa révolution culturelle. La Californie aussi, mais très différente. Le rock en est l'étendard. Mais on ne vit pas que d'amour et d'eau fraîche. Toute société repose sur un couple économique de base. Production et distribution des richesses. Pour la répartition le mode de partage sera des plus simples : partage et entraide. Concerts gratuits et comme l'on ne partage que ce que l'on a, ce sera le partage – très christique – des corps et l'amour libre. Les modalités industrielles seront artistiques : dessins, musiques, affiches, light-shows, concerts, sagesses orientales et écologiques, créativité tous azimuts... L'on ne sait comment cela se serait terminé, le mythe des Communautés en était à ses prolégomènes expérimentaux... Lorsque les medias tuèrent la poule aux oeufs d'or avant qu'elle n'arrive en âge de pondre. De magnifiques articles décrivirent cet ordre nouveau en train de s'installer en Californie. Promettez la bouffe gratuite et la baise ouverte à une classe de troisième et vous allez voir comment vos élèves vont prendre des notes et faire leurs devoirs all the night long... des milliers d'adolescents se ruèrent sur la Californie. Déchantèrent vite, mais c'était trop tard.
Cette armée d'idéalistes emmena dans ses bagages des requins aux dents particulièrement longues armés d'une arme irrésistible : la loi du profit. Musicalement les effets de cette logique pécuniaire se firent vite sentir : fini les love-parade-musicales-gratuites, le festival pop de Monterey sera payant. Les groupes signeront des contrats et seront soumis à des impératifs commerciaux. Les hips cèdent la place aux hippies, un mouvement contrôlé par l'industrie du disque et de l'entertainment. Les deux groupes phares du son calfornien subiront de plein fouet ce remaniement structurel. Le Gratefull Dead résistera du mieux qu'il put, l'avait pour lui le soutien originel de cette communauté d'une centaine de personnes dont il était le noyau constructeur et l'émanation idéologique. Mais les jams interminables sous acide ne correspondaient guère au format des trente-trois tours, fallut s'adapter et arrondir les angles, en 1976 le Dead à bout de force arrêta les frais... Le Jefferson Airplane suivit un autre chemin, celui de la compromission acceptée. La musique plana de moins en moins haut. Les délires aux pays des merveilles d'Alice sous acide laissèrent la place à une idéologie gauchiste va-t-en guère, il ne s'agissait plus d'expérimenter une utopie sociale mais de suivre le goût des générations montantes déçues par les promesses hippies non-tenues qui recherchaient un affrontement beaucoup plus direct avec le système.
En ésotériste convaincu, Jean-Michel n'aime guère les soubresauts révolutionnaires. La révolution est avant tout intérieure. Partisan des évolutions lentes. Ce n'est pas un hasard s'il passe sous silence dans le reste de son livre MC 5, Stooges, Steppenwolf, Black Panthers et oppositions à la guerre du Vietnam.

RETOUR AUX POETES


Deux âmes torturées. Neil Young et Van Morrison. Cheminements bien analysés mais la bifurcation envisagée n'offre guère de grands espaces à dévorer. Les dépressions de nos deux troubadours électriques ne seraient-elles pas des impasses ? Tout le monde n'est pas Gérard de Nerval. Nos chevaliers de l'apocalypse intérieure ont tout de même une propension régulière à chausser les pantoufles du retrait sécuritaire lorsque les eaux de l'Achéron s'avère par trop tumultueuses...

RETOUR AU ROCK'N'ROLL


Entre deux extrêmes, le futur et le passé. The Band, l'ancien groupe de Ronnie Hawkins et le nouveau de Dylan. La dureté du rock et le regard socio-critique du folk. Un monde dur désespéré. Portraits d'individus qui vont jusqu'au bout d'eux-mêmes. Pas bien loin quand on y réfléchit. Cette partie a choisi de mettre l'optimisme novateur en tête de gondole. Les Byrds, la représentation mythiques des grands espaces, intérieurs, géographiques, interstellaires, le tout violemment éclairé à l'électricité. Lumière crue qui accentue surtout les défauts.
Mieux vaut en rire qu'en pleurer. Zappa ne respecte ni rien ni personne. Regard scrutateur et acerbe. Le rock'n'roll n'échappe pas à la découpe. Le constat est amer. Beaucoup de fric et peu d'imagination. Jeunesse manipulée sans vergogne. Le rock n'est qu'un produit parmi tant d'autres de la société de consommation. Peut-être un peu plus pernicieux car il s'habille encore dans les habits de la rébellion. Attention, c'est cette même toile qui sert à la confection standardisée des linceuls.
Quand la mort est si proche, il est urgent de s'en éloigner à toute vitesse et de sauter à pieds joints dans les terres d'origine. Chuck Berry, sa musique oui, mais surtout son amour des grosses voitures et des petites filles. Little queenies, les lieux originels de l'émergence du désir du rock'n'roll. Indépassables. Insurpassables. Eternelle jeunesse.

DERNIERES POIGNEES DE CENDRES


Les idoles oubliées sur le bord du chemin, les rescapés de l'aventure, Syd Barret, John Cale, Nico, qui n'ont même plus envie de raccrocher les wagons. Vivent en autarcie dans les chapelles écroulées, et les cryptes oubliées du tsunami rock'n'roll.
Et puis les nouveaux venus qui ne sont que les derniers arrivés. David Bowie le plus doué, Bryan Ferry davantage factice. Essaient de recoller les morceaux du joujou rock'n'roll brisé. Font ce qu'ils peuvent. Des faiseurs. Qui recyclent la marchandise périmée. Proviennent d'Europe, la seconde patrie du rock'n'roll, rongée par un insurmontable complexe d'infériorité. La bête n'est pas née chez eux. Ne se résignent pas à l'inscrire sur la liste des espèces disparues. Essaient de créer des clones.

THE END


Le livre se termine comme les Fleurs du Mal. Mais en plus désespéré. Le vieux monde n'a plus rien à offrir, n'espère plus à trouver du Nouveau. Marchandise définitivement avariée. Jean-Michel Varenne n'y croit plus. Le livre se termine avant la renaissance punk et sur la plus haute tour de la désillusion Soeur Anne ne voit rien venir à l'horizon. Alors comme cadeau, Varenne nous refile une courte anthologie de textes traduits en extenso. Mais étrangement, nous semblent sonner faux, nous les préférions lorsqu'il ne nous les dispensait fragmentés, sous forme de citations lacunaires, enchâssés dans ses présentations. Et ce sera notre dernier compliment, ils affectent alors un aspect mille fois plus rock'n'roll.


Damie Chad.

 

 

01/03/2017

KR'TNT ! ¤ 318 : BOSS HOG / JUL + LEA & FRIENDS / JAILLIES / IMAGES ROCK

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

A20000LETTRINE.gif

LIVRAISON 318

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

02 / 03 / 2017

BOSS HOG / LEA + JUL & FRIENDS / JALLIES

IMAGES ROCK

Touchez ma Boss Hog,
Monseigneur

z1370dessin.gif

Monsieur et madame Spencer sont de sortie, ce soir. Les amateurs accourent au rendez-vous. Les voici agglutinés au pied de la petite scène du club. Bienvenue au club ! Madame Spencer a pris un peu de volume. Pas du haut, mais du bas. Ce sont des choses qui arrivent. Christina n’est plus aussi filiforme qu’au temps de Whiteout. Elle semble s’être remplumée, au propre comme au figuré, car la voilà devenue aussi gothique que PJ Harvey. Elle porte en effet un haut emplumé de noir et des bas résille.

z1354lestrois.jpg

Quand à son mari Jon, il aurait tendance à aller dans l’autre sens, c’est-à-dire à fondre. Le géant elvissien d’antan semble se racornir et même se flétrir. Il porte un petit costume noir artistement fané et rehausse ce look avec des petites poches sous les yeux. Ceux qui le connaissent bien affirment que la longue tournée européenne qui s’achève l’a épuisé. C’est vrai qu’il n’a plus vingt ans. À partir d’un certain âge, on peut encore jouer les rockstars, mais il faut bien admettre que c’est réservé à une autre catégorie de gens.

z1353jonseul.jpg

Pour oser jouer les indestructibles, il faut s’appeler Lemmy ou Phil May. Par contre, s’il est bien un talent que Jon Spencer a su conserver, c’est son côté Zébulon. Ça reste un étonnant spectacle que de le voir passer un accord sur un petit bond en ciseaux. Pas facile à réussir. Si on est mal entraîné et qu’on essaie de l’imiter, on risque de se casser la gueule.

 

z1355ensemble.jpg


Tout le monde l’a bien compris, Boss Hog c’est lui. Personne n’irait voir jouer ce groupe si Jon n’accompagnait pas son épouse. Il ramène sur scène sa vieille Blues Explosion et ses tendances funky, et ça démarre sur «Winn Coma» tiré du deuxième album de Boss Hog, joué à la bonne syncope de garage spencerien. Tiré du même album, ils reprendront aussi «Beehive» en rappel, histoire de bien enfoncer les vieux clous. Par contre, aucune trace de «Ski Bunny» ni de ce hit infernal qu’était «Get It While You Wait», peut-être un peu trop pop pour la scène.

z1356jonbeau.jpg

En rappel, ils tapent aussi dans l’excellent «Monkey», mais ce sera le seul animal évoqué dans ce set un peu aride. Pas de Jaguar ni de Defender. Le couple se montre professionnel jusqu’au bout des ongles, aucune fausse note, aucun défaut ne vient assombrir ce brillant numéro de cirque new-yorkais. Ils sont tout simplement irréprochables et on se lasse beaucoup moins de Jon Spencer que des Fleshtones, des gens qu’on a vu tellement de fois sur scène qu’on finit pas ne plus savoir quoi en penser.

z1358jojgenoux.jpg

À travers ces propos qu’on pourrait trouver cyniques transparaît en fait une légère pointe d’amertume, oh rien de bien grave, mais ce genre de perfection finit par éteindre ce qui fait précisément la force d’un concert de rock : le côté excitant. Oh et puis le meilleur est à venir : la table des marchandises ! Aussitôt après leur set, monsieur et madame Spencer vendent le dernier maxi de Boss Hog, quatre titres rassemblés sous le titre Brood Star. Jon est tellement fatigué au sortir de scène qu’il est impossible de lui arracher un mot aimable. Tout ce qu’on peut tirer de lui, c’est «Fifteen !», c’est-à-dire le prix de ce maxi qui ne laissera pas un grand souvenir dans les annales du seigneur des anneaux.

z1360coldhands.jpg


Petit retour en arrière : avec un premier album paru en 1990, Boss Hog faillit rester bloqué au fond de l’underground. Cold Hands n’est évidemment pas l’album du siècle, loin s’en faut. On y trouve cependant deux belles réminiscences de l’immense Pussy Galore, «Gerard» et «Duchess». Jerry Teel ramone son manche de basse sur «Gerard» et ça sonne comme une sorte de trash-core d’underground de braille de la désaille new-yorkaise. Tout le jus à venir est déjà là. Jon Spencer pousse des soupirs de géant dans «Duchess», véritable modèle de heavy groove à la Gilles de Rais. Il s’en va chercher son groove très loin au fond d’une animalité répugnante. On sauvera encore deux cuts sur cet album : «Eddy», heavy comme pas deux, pesant et trébuchant comme un ducat d’or du duc de Dôle, et «Go Wrong», way back to the basics de Pussy warmer de Galore. Oh et puis tiens, le «Pete Shore» qui ouvre le bal de la B vaut bien le détour, à cause de cet épouvantable riff salement trituré.

Z1361STDGC.jpg


Leur second album s’appelle Boss Hog et paraît en 1995. Alors voilà ce qu’il faut bien appeler un album classique, ce qu’on appelle dans les grandes surfaces du 100% pur jus. Tout était déjà là : le raunch, le goût de l’aventure et les exactions foudroyantes. On compte au moins deux coups de génie sur ce disk, à commencer par «Beehive». Le mari Jon prend le lead avec des ahhhh graves et ça joue au JSBX apocalyptique. Jon sait mastiquer des grooves de génie. Il chante ça de l’intérieur du menton, personne ne l’entend, il foutrait presque la trouille, cet imbécile. C’est claqué à l’atmosphère inventive. Seul Jon Spencer peut se lancer dans ce type d’aventure sauvage. Pure démence de la partance ! Jon appuie là où ça fait du bien et ça jingle dans le jangle. L’autre coup de Jarnac s’appelle «Green Shirt», joué à la syncope fatale, avec de vraies coulées de lave. On assiste une fois encore à une fantastique explosion de son, et à un moment, on voit le son couler au milieu, pareil à une rivière de flammes. Le cut d’ouverture s’appelle «Winn Coma» et sonne comme du garage dévastateur, explosif, jouissif, gorgé de son, nothing to lose ! Puis Christina fait sa rampante dans «Sick», mais elle ne convaincra personne, en dépit du renfort inespéré du sixième de cavalerie, c’est-à-dire son mari. Disons que c’est rampant au sens du fumant, du parfaitement inconvenant, du gras qui se fout de tout. Ils veillent tous les deux à la parfaite intensification du conflit. Ce qui frappe le plus dans le «Ski Bunny» qui arrive un peu après, c’est l’énormité du son. Jon et Christina chantent ensemble, mais sous le boisseau. Les voilà extrêmement exacerbés - Ski Bunny ! Suicide ! - Ils sont enragés et ça joue sourdement. Arrivé à ce stade de l’album, on ne souhaite plus qu’une seule chose : que ça se calme. «What The Fuck» ! Christina prend la main pour ce cut visité par des vagues de son gigantesques - Get the fuck ! - Jon en ramène des caisses. La fête se poursuit en B avec «White Sand», chanté à la mystérieuse. Ils ramènent un peu de son, surtout le mari. Oh il adore ça. Une fois encore, ça chante sous le boisseau et le mari arrive au triple galop pour lui porter secours - Break dance ! - C’est claqué aux pires gimmicks new-yorkais. Puis Jon attaque «Strawberry» d’une voix de vieux crocodile. Affreux et génial ! Il groove son baryton et fait du JSBX au grand jour. Le «Walk In» qui suit rappelle «Memphis Soul Typecast», et ils finissent par faire exploser leur jouet. Ils bouclent avec «Sam» qu’ils pulvérisent à coups de killer solos et de nappes d’orgue.

z1362whiteout.jpg


Quatre ans plus tard paraît Whiteout. Christina pose en petite tenue sur la pochette. L’image attire l’œil et la musique fait dresser l’oreille du lapin blanc, seulement l’oreille. Surtout «Get It While You Wait», une pop atmosphérique absolument envoûtante. C’est bardé de dynamiques infernales et sucrées. On pourrait même appeler ça une pure merveille d’élévation spirituelle. Ils s’ébrouent dans le lagon de la pop magique, yeah yeah yeah, elle se jette dans la vague et s’abandonne à la clameur. L’autre gros cut s’appelle «Defender», gratté au gros riff sixties et Christina part à l’aventure. Elle gueule, mais elle n’est pas fiable à 100%. On voit bien qu’ils tentent de faire un vrai truc, mais ce n’est pas toujours facile. On fait avec ce qu’on a, comme dit le patron du PMU. Jon multiplie les effroyables départs en solo et les arrêts brusques sur la voie. Il électrise à outrance et passe de sacrés solos de gras double. Dans «Trouble», Christina explose son I can’t stand it. Non elle ne peut plus supporter ça, c’mon, et voilà les clap-hands. Elle se révèle excellente dans les redémarrages en côte. On trouve aussi sur cet album un «Chocolate» dur à croquer. Jon fait le show avec sa baby all down the machine. Puis avec «Nursery Rhyme», Christina sonne comme Hope Sandoval. Il reste deux animaux : «Jaguar» et «Monkey». Jon leur shake le shook à sa façon, c’mon let’s do it ! Voilà encore du grand Jon, violent et parfaitement incapable de se calmer.

Signé : Cazengler, bosselé


Boss Hog. Le 106. Rouen (76). 8 février 2017

z1359jon.jpg


Boss Hog. Cold Hands. Amphetamine Reptile Records 1990
Boss Hog. ST. DGC 1995
Boss Hog. Whiteout. City Slang 1999
Boss Hog. Brood Star. Bronze Rat Records 2016

z1363broodstar.jpg

 

SCENES OUVERTES BLACK BARBIZON
BLACKSTONES / 22 - 02 – 2017
LEA + JUL & FRIENDS

z1379léa.jpg

Huit scènes ouvertes au BlackStones pour le seul mois de février, cela dure depuis longtemps et toujours une bonne excuse pour ne pas aller y traîner mes guêtres. Mais ce soir, la jam est annoncée sous le patronage de Léa et Jul, j'ai trop prisé leur prestation la semaine dernière lors du concert de Lizard Queen dont ils sont deux membres émérites pour ne pas résister à l'invite.
Peu de monde à mon arrivée, à part Léa et Jul qui installent leur matériel. L'est vrai qu'en pleine semaine et le satané boulot du lendemain nous sommes loin de cette civilisation du loisir que l'on nous promettait dans les années soixante... mais non, le pub se remplit peu à peu, et de fait quatre-vingt dix pour cent des présents se révèlent être des musicos qui viennent taper le boeuf just for fun. Des guitaristes et des batteurs comme s'il en pleuvait, il n'y a que Jean-Michel et son saxophone qui sera de toutes les parties. Plus tard viendra un violoniste, sans compteur Linky mais électrifié, qui lui aussi s'adaptera à toutes les fêtes. Remarquez l'on aurait pu reformer le pupitre des cordes du Berliner Philharmoniker Orchestra de Fürtwangler, car chaque musicien profite de l'occasion pour s'essayer à son violon d'Ingre, de véritables VRP multicartes, je pose ma basse et je tape un break sur les drums, de ma guitare je saute sur le clavier, vous laisse imaginer toutes les possibilités offertes par ces aventureuses permutations. Sont doués dans l'ensemble, se débrouillent plutôt bien.
Une sniffée de Cocaïne pour débuter la séance. Le genre de préparation culinaire qui permet de se caler en douceur et sans douleur. Un petit Prince – pas le biscuit, ni celui qui quitte sa planète - pour fixer le tempo. A mon avis, c'est le gros défaut de la soirée – mais vous savez que je n'analyse les situations qu'au travers mes œillères de rocker – les musiciens prennent leur pied dans le groove. Un rythme de base et c'est parti pour la traversée du Pacifique de long en large, tout le monde rame avec ensemble et de temps en temps l'un se détache pour nous montrer comment il sait tenir le gouvernail. Sympathique, car l'on entend de belles interventions, mais à mon avis un peu lassant tout de même. Je ne suis pas superstitieux mais la pile Wonder s'use quand on en abuse un peu trop. Pour varier un peu, nous aurons droit à la ballade Neil Young, de toute beauté, mais à la romance emphatique nous préférons le roman d'action.
C'est comme dans les scènes d'amour dans les westerns, ne faut pas exagérer, l'on est là pour tirer des coups pas avec les demoiselles, sur les indiens. Si les féroces Séminoles ne sortent pas de leur marais l'on est déçu. Anne prend le micro et essaie d'ouvrir la porte du Paradis en frappant dessus. Pas assez fort car derrière l'on s'est mis d'accord pour un groove tranquillou, le bon dieu en pantoufles pas pressé d'ouvrir.
Il ne faut jamais désespérer. La charge des bisons se prépare. D'apparence, rien de plus paisible, Kross le swinguant contrebassiste des Jallies se saisit d'une sèche – guitare pas cigarette – et s'en ceint consciencieusement. Sommes-nous partis pour un set folk ou un intermède manouche ? Point du tout, nous déboule dessus à bras raccourcis le Kross, quatre uppercuts sans quartier à vous abattre un troupeau d'éléphants en trois coups de cuillère à pot. Termine sur un Hey ! Ho ! Let's go ! des Ramones à ramoner les cous de girafe et les clous de girofle, et de ces barrés décisifs qui vous font croire que c'est Eddie Cochran qui tient la guitare. Le moment le plus fort de la soirée.
Il suffit d'allumer la mèche pour que le bâton explose. Un grand blond propose un peu de blues, en mi, ultra-rapide et pas facile à jouer précise-t-il - et c'est parti pour un Mojo Workin TGV sans système de freinage qui fonce dans les décors, sera suivi d'un Honky Tonk Woman qui permet de retrouver un soupçon de groove mais empierré comme une voie romaine.
M'éclipserai peu après, serais bien resté jusqu'à la fin, mais je dois me lever très avant l'aurore aux doigts de rose. Dans la teuf-teuf et dans ma tête, je fais le bilan. Pas tout à fait ma musique mais sympathique soirée, cette entente entre les musiciens, aucun n'essayant de marcher sur les autres. Et puis surtout, ce jeune batteur aux cheveux frisés, capable non pas de s'adapter à toute proposition musicale mais d'entrer d'instinct en congruence avec. Subtilité et puissance de feu. A ne pas perdre d'oreille.


Damie Chad.

*


Cela se passe dans très longtemps. Nous avons le regret d'annoncer à l'ensemble des lecteurs de KR'TNT ! qu'à cette époque ils sont morts et enterrés depuis des dizaines et des dizaines d'années, seul survit le preux Damie Chad, car les rockers sont immortels. Nous voici donc en 2117, approchons-nous sur la pointe des pieds pour ne pas troubler cette paisible et idyllique scène familiale. Les enfants sont sagement regroupés autour du fauteuil de leur vénérable ancêtre, le plus âgé court sur ses dix ans, germine déjà en lui ce sens critique qui caractérise les tout jeunes esprits en formation qui s'éveillent à la complexité expérimentale des contradictions de l'existence humaine, mais ses cinq jeunes sœurs n'ont pas encore traversé l'âge de déraison et du songe nervalien qui caractérise la petite enfance :


- Papy Damie, raconte-nous une histoire !
- Celle du lézard géant !
- Je vous l'ai déjà racontée la semaine dernière !
- Non une autre ! Une nouvelle !
- Puisque vous le demandez si gentiment ce sera celle du Château Maudit, attention, ne venez pas vous plaindre si vous faites des cauchemars cette nuit !
- Youpiiiiiiie ! Même pas peur ! Commence vite !
- Tout de suite, mais toi Alfred, file me chercher sur la table de la cuisine ma fiole de Thé – Ki – La, ce médicament chinois miracle qui efface mon arthrose en douze lampées !

Bouche bée et les oreilles grand ouvertes les enfants écoutent leur aïeul remémorer la trame de sa vie aventureuse.

- Nous chevauchions alors, moi le Chevalier Indomptable et Grand Phil mon fidèle écuyer, dans la vaste et gaste forêt qui recouvrait alors la France sur notre blanche teuf-teuf haquenée...
- Il y avait des monstres ?
- Hélas, oui, sans vouloir me vanter j'en ai pétrifié pour l'éternité quelques uns de ma plume magique. Les Crashbirds par exemple, ces oiseaux de malheur qui s'écrasaient sur vous comme des kamikases japonais, ou les Howlin' Jaws, ces espèces de dentiers ambulants qui engloutissaient tout ce qui passait à leur portée, les Spuny Boys, ces étoiles ninja tourbillonnantes, de véritables brise-fer, un peu comme toi Alfredum, et la Lizard Queen cette femelle lézard qui dévastait la contrée, les...
- Papy Damie, tu nous fais peur !
- Tenez mes chéries prenez une gorgée de Thé-ki-là, cette infusion de plantes aromatiques vous calmera, holà, Alfredi je n'ai pas dit de finir la bouteille !
- Bref, nous errions, comme d'habitude, à la recherche du Graal du Rock'n'roll, lorsque nous remarquâmes une mystérieuse inscription gravée dans l'écorce d'un chêne centenaire : «  Passant détourne-toi de ce chemin, c'est ici que sont gardées prisonnières, les JALLIES, les trois plus belles princesses du monde dans le donjon du GLASGOW. » Ah ! Je m'en souviens comme si c'était hier, exactement, le 23 / 02 / 2017, voilà tout juste un siècle, dans le bourg de Fontaine Belle qu'aujourd'hui l'on appelle FONTAINEBLEAU !

 

z1380jallies.jpg


- Des princesses !!! Elles étaient belles ?
- Peuh, des filles, je parie qu'elles avaient peur des araignées noires !
- Tais-toi, Alfredo. Ah ! mes poussinettes. Les plus mignonnettes que vous n'ayez jamais imaginées. Des beautés comme ça, on n'en fait plus aujourd'hui ! Mais très tristes aussi, toutes de noir vêtues.
- Des veuves noires, laides comme mes stupides frangines prêtes à gober un oeuf d'autruche empaillé !
- Ne l'écoute pas, Papy Damie, continue !
- N'obéissant qu'à notre courage, nous avons foncé droit devant nous jusqu'au pied du Glasgow, le terrible château maudit !
- Tu les as vues ?
- Oui, comme je vous vois. Nous n'étions pas seuls, toute la population des environs s'était massée au pied de la plus haute tour. Grand Phil et moi, avons bien compris que cette piétaille désemparée de serfs ne pourrait jamais les délivrer, alors nous nous sommes avancés au premier rang, et avons levé les yeux. Jamais il ne m'avait été donné d'assister à un spectacle en même temps aussi ravissant que désolant.
- Oooooh ! Raconte, vite !
- Au créneau de gauche, Noiselle Vanessa, sa marinière à bandes noires rendaient ses cheveux encore plus bonds, parfois tel un projecteur un rayon du crépuscule nimbait ses bras d'un incarnat de rose, et elle était la reine des fleurs, à ses côtés Dame Céline avait glissé son corps odorant de chèvrefeuille dans le fourreau noir de sa robe qu'elle illuminait de sa grâce transcendante, et elle était la reine des coeurs, au créneau de droite Gente Leslie à la chevelure auréolée d'un soupçon de braise rougeoyante, rayonnait dans sa chasuble noire et elle était la reine des plus royales ardeurs, trois sœurs échappées des rêves pantelants des nuits les plus secrètes !
- De vraies princesses ! Mais, dis-nous papy Damie, pourquoi elles étaient toutes les trois vêtues de cette couleur la plus sombre !
- Parce qu'elles étaient retenues prisonnières par les deux plus méchants soudards que la terre ait jamais portés !
- Enfin, ça devient intéressant !
Tais-toi Alfredus. Tiens apporte-moi ma médecine, la dive bouteille de l'élixir de longue vie du docteur Jack sur ma table de nuit ! Et n'en bois pas la moitié en chemin comme l'autre fois !
- C'est pas moi, c'étaient les filles !
- Il ment Papy Damie, on a juste à peine goûté, mais continue ! C'est trop bien.
- Ah ! Oui ! Où en étais-je ?
- Les méchants soulards, dépêche-toi !
- Soudards, avec un d, les filles ça ne comprend rien !

IMG_0182.JPG


- Eux aussi vêtus d'habits aussi noirs que leurs âmes d'assassins. D'un côté, Kross le Cruel, cache ses mauvaises intentions sous sa casquette plate, l'est armé d'une contrebasse, une espèce d'énorme marteau qu'il fait tournoyer sur lui-même afin d'en assommer et fracasser le crâne des trois pauvres princesses, plus tard quand il enlèvera sa veste l'on s'apercevra que sa chemise était tâchée de sang, et là c'est Tom le Barbare, qui s'avance, l'a mis en marche sa guitare électrique pour les découper en tranches, l'a englouti son visage sous son chapeau afin que l'on ne devine point le noir dessein de ses turpitudes morales, se trahira lorsque apparaîtra sa chasuble blanche de boucher !
- Mais elles vont mourir, sauve-les Papy Damie !
- Non, les chats seront contents quand on leur donnera leur ration saignante de beefsteack de princesse !
- La suite, Papy Damie, dépêche-toi !

IMG_0183 (1).JPG


- Ce sont des courageuses, sous leurs frêles apparence, ce sont des guerrières, elles savent qu'elles vont mourir, mais elles ne pleurent pas, elles offrent au monde ce qu'elles ont de plus beau...
- Leurs corps tendres et délicats ?
- Non Alfredat, tu ne connais rien aux princesses, c'est leurs âmes immarcescibles qu'elles exhalent dans le cristal ondoyant et la raucité vindicative de leur voix emmêlées, elles chantent, elles sont le cygne aux derniers moments de l'agonie qui délivre son ultime message de beauté au monde éploré, elles sont l'alcyon qui infiniment tournoie dans la tempête et se joue des vagues, elles sont la chanson des syrènes qui rendit Ulysse fou, elles sont les Jallies, parce que de leur harmonie souveraine jaillit le chant d'espoir des Dieux qui fourbissent les armes du retour là-bas sur l'île des Bienheureux, sans se lasser elles entonnent les vieilles prédictions orphiques qui ravissent le cœur de la phalange sacrée des chevaliers du Rock'n'roll dépositaires de l'avenir de l'Humanité, les Be Bop A Lula légendaires, les That's All Right fastueux, les Train Kept-A-Rollin' vénéneux auxquels elles entremêlent leur propres compositions, tout un monde de joie de vivre, d'espièglerie mutines, de chats de gouttières qui batifolent sur les toits en toute impunité, oui elles chantent, et ne cessent de battre le sol de leurs pieds comme les Muses de l'inspiration poétique dans les poèmes de Ronsard, en un incessant ballet entre guitare, kazou, caisse claire et micros.

 

boss hog,lea & jull,jallies


- Eh les garçons, ils vont les tuer enfin !
- Alfredit ! Au lieu de proférer des insanités, passe-moi la boîte de cigares qui s'ennuie sur l'étagère, ça soulage les bronches, ces bâtons de feu. Les enfants prenez-en un pour prévenir le rhume, n'exagérez pas, ne trichez pas, j'ai bien dit un seul, attention c'est pas des Dragibus, et surtout ne le dites pas à vos parents ce soir.
- Oh ! Non ! Papy Damie, c'est trop marrant de faire de la fumée avec la bouche ! Et alors elles vont donc mourir ?
- Non leur chant forme une espèce de coupole invisible de cristal éthérique qui les protège. Derrière les deux malandrins ne ménagent pas leurs efforts, tapent de plus en plus fort et redoublent l'intensité de leurs coups ! Ils appellent même par deux fois des renforts, Mathieu et puis Vincent qui essaient de fendre la coque de protection invisible en la rayant avec les trilles de ces instruments de guerre que l'on appelle les ogres de bouche, ou plus communément harmonicas. Mais rien n'y fait, au bas de la tour, c'est la cohue, la folie, la valetaille sombre dans une espèce de crise épileptique collective, ils crient, ils hurlent et ondulent comme des pendules franc-comtoises atteinte du haut-mal, toute celle foule voudrait bien se porter au secours des trois princesses mais leur impuissante faiblesse ne pourra jamais s'élever jusqu'au sommet du donjon fatal !
- Papy Damie ! Arrête, tu nous fais pleurer !

14034917_10210516843822513_8565290875192397195_n.jpg


- C'est alors que le miracle se produit ! Au pont-levis du château Glasgow subitement apparaît Ady, la fée aux yeux clairs et à la casquette marron, par trois fois le Grand Phil et moi nous la propulserons de nos bras musclés vers le haut des murailles, grâce à notre aide valeureuse elle prend son essor et vient au secours de ses sœurs. C'est elle qui en des temps anciens a fondé l'alliance secrète des trois princesses. Elle n'a pas peur, elle est la Rock'n'roll Queen, et sa voix de tonnerre oblige les deux plus vilains tristes sbires que le monde ait jamais engendrés à renoncer à leur sinistre projet.
- Oh, Papy Damie, heureusement que tu étais là !
- Oui, je dois le reconnaître, je ne dis pas cela pour me vanter mais parce que c'est la vérité vraie. Bref, c'est la liesse générale, tout le monde s'embrasse, même que le Grand Phil et moi avons eu l'insigne honneur de recevoir sur nos deux joues une bise de chacune des trois princesses.
- Et alors Papy Damie, tu t'es marié avec elles et vous avez eu beaucoup d'enfants ?
- Tu te rends compte Papy Damie, comme les filles sont bêtes, elles croient, parce qu'elles sont belles, que l'on n'a que ça à faire.
- Non, pas du tout, nous étions des chevaliers, le devoir nous appelait, nous sommes repartis sur notre blanche teuf-teuf haquenée dans la vaste et gaste forêt de Fontainebleau, porter secours à la veuve et l'orphelin.
- Quelle belle histoire ! Merci Papy Damie !
- Allez-vite vous coucher, les pitchounes, il faut que j'emmène Alfredorum réviser ses mathématiques.
- Oh, oui Papy Damie, comme l'autre soir dans le bar, avec les serveuses qui...


Damie Chad

( Note 1 :Une malencontreuse manipulation d'ordinateur nous a privé des deux dernières lignes de ce conte du Château Maudit, dit aussi des Trois Princesses. Nous nous en excusons auprès de nos lecteurs. Toutefois, nous avons tenu, vu l'intérêt suscité par ces demoiselles auprès des foules en pâmoison à chacune de leur apparition publique, à dé-classifier des Archives du Futur ce document inédit des plus rares et des plus importants. )

( Images du Grand Phil )


LE STUPEFIANT IMAGE

L'on ne compte plus, ni les disques, ni les CD, de rock'n'roll. Pour cet article nous ne les sortirons ni de leur pochette, ni de leur boîtier. Qu'il soit cartonné, ou en plastoc. Nous ne les retournerons pas et encore moins nous n'ouvrirons point, pour ceux qui en possèdent, l'intérieur de leur pochette. Nous nous contenterons de leur première de couverture. Nous ne serons guère gourmands. Nous n'en examinerons que quatre. Un nombre ridicule si on le compare à l'infinité qui s'offre à nos regards. Toutefois assez significatif de nos prédilections personnelles et de leur réception dans le public. Rocker et non rocker.
Ne correspondent pas obligatoirement à mes goûts esthétiques ou musicaux. Beaucoup de mes amis jugent ces premiers déplorables. Je reconnais que j'aime, entre autres productions picturales, le kitch, le calendrier des postes emplis de chatons multicolores ou les chromos de biches aux abois dans les sous-bois. Une prédilection éhontée pour les coloris crus et les teintes vives. Je les ai choisis parce que pour moi elles expriment quelque chose de ce qu'Aristote nommerait s'il vivait encore parmi nous, l'entéléchie, l'essence du rock'n'roll.

 

1973

z1376holy.jpg
HOUSES OF THE HOLY
LED ZEPPELIN

 

Cinquième opus de Led Zeppelin. Pour les deux premiers s'étaient tirés des auto-portraits de beauf. Du style, moi debout à côté de la Ferrari garée sur le trottoir. Gardons les proportions, les seigneurs du hard ne pouvaient poser devant ce qui à leur yeux ressemble tant soit peu à une vulgaire planche de skate plus ou moins bien carrossée. Leur fallait un truc un peu plus énormément flashy. Un Dirigeable pour le moins. Pour le premier z'étaient tellement glandus qu'ils ont oublié de se dessiner dessus, pour le deuxième n'ont pas commis cette stupide erreur. Pour le trois et le quatre, se sont aperçus que leur notoriété les condamnait à être un zeste de plus finauds. Z'ont chiadé un tarot à la Sergent Pepper, vous devez l'étudier durant des heures pour en saisir toutes les virtualités, quant au quatre, sont passés à la dimension supérieure, le symbole ésotérique, devez tout relire, des Centuries de Nostradamus à l'oeuvre complète d'Aleister Crowley, pour espérer voir émerger quelque infime lueur de clarté en votre cerveau embrumé. Se la pétaient grave, mais en y réfléchissant c'était aussi laisser sous-entendre que les fans et les acheteurs étaient de sombres ignorants. La preuve c'est que des millions d'abrutis se sont précipités dessus sans s'apercevoir que la mystérieuse pochette était le révélateur de leur déréliction intellectuelle.
Sont donc revenus à quelque chose de plus tripal. Duplication – que l'on pressent infinie - d'une petite fille dénudée et d'un petit garçon nu escaladant la chaussée des géants. Un peu pompier dans l'esprit et s'adressant malgré tout à notre cerveau reptilien. Même s'il s'agit d'une réminiscence de l'envol icarien. Et peut-être même l'expression d'une montée fraternelle et sororale vers la pharaonique – nous rappelons que ce terme signifie grande maison - androgynie originelle et platonicienne. Mais c'était Led Zeppelin, et personne n'a moufté, ce n'est qu'après que le Dirigeable se soit scratché fin 1980 que l'on a entendu causer en d'obscures feuilles de choux féministes de pédophilisme fascisant. L'on ne prête qu'aux riches. Une ligne sulfureuse de plus à la légende ne pouvait pas faire de mal. Une perversion de plus à la collection. Broutilles à brouter.

1976

z1377scorpions.jpg
VIRGIN KILLER
SCORPIONS


Des spécialistes du genre. L'on ne compte plus les pochettes des Scorpions qui déchaînèrent l'ire de la bien-pensance. Une insistance qui nous rend le groupe plus sympathique que sa musique.. Cette bête qui symboliquement dans le zodiaque désigne les parties honteuses du corps. Expression mal con-venue vous en convenez. Mais là où le Zeppelin vous montrait l'objet litigieux de dos sur un fond orange hespéridien, qui n'est pas sans rapport avec le mythe de l'innocence de l'âge d'or, nos Teutons n'y sont pas allés avec le dos de la pince. Une demoiselle, pré-nubile, toute nue, sur un fond noir afin que la blancheur charnelle de la promesse de sa virginité n'échappât point à la sagacité de votre œil distrait. De surcroît, ils n'hésitèrent pas à mettre le doigt à l'emplacement adéquat, utilisant la théorie fractale des verres brisés pour vous inviter à méditer sur l'anfractuosité souveraine des jeunes femelles. A l'époque cela passa comme une lettre à la poste, ou pour employer une série de d'arabesques métaphoriques poétiques et proverbiales venues d'Orient, comme le passage du chameau dans le désert, de l'oiseau dans le ciel, de l'homme dans la femme... L'on était dans les seventies, les années de la double libération mentale et sexuelle. Nous étions dans des temps bénis de l'éloignement du religieux. Hélas, pas de son éradication. Dans les bacs des disquaires la pochette n'offusqua les yeux de personne et tout le monde l'oublia, sauf les fans des Scorpions qui la gardèrent précieusement dans leur collection personnelle.
C'est en 2008 – il n'est jamais trop tard pour mal faire - que les ligues de vertu de la pudibonde Angleterre se réveillèrent. Ces cliques chrétiennes de croisés coincés du cul n'en crurent pas leurs yeux. Et pourtant les mauvaises langues susurrèrent qu'ils y prirent à plusieurs fois pour y regarder. Cachez-nous ce sexe, que nous ne saurions voir. Où qu'ils tournassent leur regard pudibond, ils ne voyaient que lui. Déclenchèrent une campagne de presse particulièrement monstrueuse, devant cette chasse aux sorcières le groupe présenta ses excuses au monde entier et la maison de disques se hâta de changer le packaging.

1976

z1378hotrods.jpg
EDDIE AND THE HOT RODS
TEENAGE DEPRESSION


Bye bye l'éros. Voici thanatos. Image menaçante de la radicalité adolescente. Sur la crête de la vie. La formule, sex, drugs and rock'n'roll, n'est pas la bonne. Remplacez-la par Sex, Death and Rock'n'roll. Le rock and roll en tant que musique métaphysique. Rien à voir avec la culture populaire. Le rock and roll ou la mort. Ce n'est pas seulement du rock and roll, c'est pour ça que nous l'aimons, à en mourir. Le rock vous donne la force de tenter ce que le monde des vivants n'a pas encore eu le courage d'expérimenter. Personne ne sortira d'ici vivant, commentait Jim Morrison en entrouvrant la porte sur les coulisses du spectacle du monde. De toutes les façons les survivants et les vivants ont toujours tort. Commettre l'irréparable pour ne pas avoir à le regretter plus tard. L'on devrait l'écrire sur tous les disques, en grosses lettres noires, Le Rock'n'Roll Tue. Yes, but we like it, à l'amour, à la mort. La formule de l'absolu. Vivre, les serviteurs feront cela pour nous, proclamait, Villiers de L'Isle Adam. Point final.


2001

z1378strokes.png

THE STROKES
IS THIS IT

Je ne suis point un amoureux forcené des Strokes et pourtant j'avoue avoir flashé sur la pochette de leur premier album. Une image terriblement ambigüe exprimant subtilement toutes les contradictions de notre époque. Au premier abord, toute la goujaterie rock, hey ! Poupée je te mets la main au cul, et surtout laisse tomber ton hypocrite indignation, je n'ai pas de temps à perdre avec toi. La caricature machiste par excellence, une image à rendre folle de rage les mouvements féministes. Par pitié abstenez-vous de préciser que vous avez enfilé des gants pour ne pas vous salir les mains. Rassurons-nous, c'était une interprétation au premier degré. Autre vision : la main n'est pas la vôtre, mais celle de la demoiselle elle-même. Une invitation à Cythère en quelque sorte. Une manière élégante de vous indiquer par où vous devez passer. En plus le cuir noir et toute la panoplie des phantasmes sado-maso qui se lève dans votre imagination. Tel est pris qui croyait prendre. Incitation ? interdiction ? Provocation ? La femme vous mène par le bout de son cul. Honni soit qui mal y pense.
Cette revendication représentative de la liberté de la femme - et ce partant de l'égalité des sexes - un peu culottée nous vous l'accordons, par la perversion des signes, exprime l'idéologie du politiquement correct en utilisant un signifiant des plus troubles. Strokes, comment la bonne beigne qui préside aux tumultueux ébats des rencontres viriles peut se transformer en douce et néanmoins insidieuse caresse. Dans le sens du poil. Au cul, persifleront les esprits graveleux qui ne reculent devant rien pour la glabre beauté d'un amusement de haut de jambettes. Comment se fait-il que personne n'ait encore pensé à utiliser cette vignette en émoticon, voire en émoticul ?
Pas un simple jeu de mot, remarquons le chemin parcouru en un quart de siècle. Pour employer une expression pinkfloydienne nous sommes passés de la luminescence attractive du sexe au côté du dark side of the moon. Les messages se brouillent. L'expression dormir à l'hôtel du cul tourné en vient à signifier une chose et le contraire de cette même chose. En notre ère libérale, en aurions-nous fini avec le don des plus grandes libéralités, l'échange repose-t-il encore sur la plus parfaite adéquation entre l'offre et la demande ? Les Strokes ont frappé fort. Une véritable pochette surprise. Tournez-là comme vous voulez, au final vous en restez toujours de cul.

Le monde nous semble répétitif, mais l'éternel retour du même induit un mouvement incessant. La mutation de l'accueil de Virgin Killer et la parution de Is This It sont de magnifiques jalons analytiques, à l'image de ces perches que l'on plante pour surveiller la progression ou l'extinction des glaciers. Ceci serait à mettre en relation avec deux des principaux marqueurs de la modernité. Le premier est le principe de la propriété privée qui aujourd'hui se manifeste et s'accumule par la libre circulation des marchandises et des capitaux à la base de notre modernisme magnifiquement illustré par la pochette des Strokes, dualité de l'échange, achat / vente, proposition / acceptation, qui est au fondement démocratique de l'accord entre deux entités librement consenti. Mais le système se doit de se protéger de toute surchauffe, un échange infini et totalement libre s'apparenterait à la globalisation d'un troc généralisé qui ne permettrait pas l'accumulation d'un capital, garant du droit de propriété. Quand on y réfléchit cette systémie de base n'est pas ontologiquement différente de la prostitution. Tope-là. Mon cul, c'est pas du poulet. Tu en auras pour ton argent. La main inconnue de la pochette ne nous semble pas très différente de celle anonyme d'Adam Smith censée réguler les marchés. Reste que dans la transaction prostitutionnelle rôde l'impression d'un rapport quelque peu inégalitaire et différenciant les rôles de chacun, le couple dominé / dominant s'insinue dans la pratique transactionnelle. Ceux qui ont lu Le Manifeste du Parti Communiste de Marx et Engels, sont souvent surpris des nombreuses pages consacrées à la prostitution. Les commentateurs ont fourni plusieurs explications sociologiques et historiales, peut-être pour ne pas insister sur l'extrême parenté entre l'échange prostitutionnel et l'échange salarial. Ce genre de parallélisme n'est guère à l'avantage de l'économie libérale. Nous nous plaçons ici sur un plan purement moral, cette morale dont Nietzsche a parfaitement déroulé l'écheveau généalogique.
D'où la nécessité de préserver un espace symbolique qui interdise tout échange de rapport de domination par trop marqué. Ce rôle a été dévolu à l'interdiction des pratiques pédophiliques. Cette stigmatisation est le deuxième marqueur de l'exploitation libérale. La caution morale du Capitalisme. Certes tout n'est pas parfait, mais l'on ne peut pas faire tout ce que l'on voudrait. La nécessité de la fluidité des jeux de balle ou de capitalisation oblige aussi bien à tracer la bande blanche du terrain de foot qui délimite la sortie en touche sifflée par l'arbitre que d'édicter les lois censées régenter la pratique de la libre-concurrence. Toute société, tout système se doit d'avoir ses limites. Notons que l'on a exhumé la pochette de Virgin Killer, au moment le plus aigu de la crise des subprimes particulièrement mal acceptée par l'ensemble des populations...
Bien sûr nous ne disons pas que le scandale de Virgin Killer est un coup monté par la haute-finance internationale pour masquer ses pratiques fiduciaires si honteusement dévoilées ! La réalité est beaucoup plus complexe et davantage subtile. Les réactions individuelles et collectives dont nous nous vantons d'être les promoteurs sont souvent arquées sur des mouvements sociétaux de fond que nous n'appréhendons point en leur entièreté. Nous réagissons comme les rats de Pavlov qui jugent à raison et puis à tort que tel couloir tour à tour électrifié puis neutralisé leur interdit de chercher leur nourriture, et nous nous comportons comme eux totalement inconscients et incapables de nous apercevoir que nous sommes les victimes et les cobayes d'un phénomène, dont nous n'appréhendons que les abords immédiats, qui nous englobe et nous meut. Nous croyons en être les acteurs alors que nous n'en sommes que des marionnettes. Les moins vigilants ne se rendent même pas compte qu'ils sont adossés à un castelet. Le parallèle avec les ombres de la caverne platonicienne s'avèrera des plus pertinents...
Ces pochettes ne sont ni des images justes, ni juste des images. S'esbaudir ou se lamenter devant elles et se contenter d'exprimer cette émotion relève d'un comportement infantile. Elles font signe, comme un homme sur le bord de la route qui agite moultement ses bras. Le premier réflexe est de n'y point faire attention, peut-être serait-il plus judicieux de s'arrêter. Voire de l'écraser. Ce ne sont ni des icônes pieuses pour communiants ni des bons points pour les élèves sages que l'on distribue dans les écoles.
Le rock'n'roll est le dernier grand mouvement artistique secrété par notre société. Pour ceux qui se refusent de l'entendre comme un simple et merveilleux objet d'entertainment funesque, il permet une lecture de décryptation du réel irremplaçable. A bon entendeur, salut.


Damie Chad.

 

 

 

07/09/2016

KR'TNT ! ¤ 293 : JAMES LEG / VICIOUS STEEL / MATHIEU PESQUE QUARTET / FRED CRUVEILLER BLUES BAND / MIKE GREENE + YOUSSEF REMADNA / A CONTRA BLUES / LIGHTNIN' HOPKINS / JALLIES / LIEUX ROCK

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

James Leg, Vicious Steel, Mathieu Pesqué Quartet, Fred Cruveiller Blues Band, Mike Greene + Youssef Remadna, A Contra Blues, Lightnin' Hopkins + Fred Medrano, Jallies, Notown Festival, Lieux Rock + Matthieu Rémy + Charles berberian,

LIVRAISON 293

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

08 / 09 / 2016

 

JAMES LEG / VICIOUS STEEL

MATHIEU PESQUE QUARTET

FRED CRUVEILLER BLUES BAND

MIKE GREENE + YOUSSEF REMADNA

A CONTRA BLUES / LIGHTNIN' HOPKINS

JALLIES / LIEUX ROCK

POINT EPHEMERE / PARIS X°
19 – 07 – 2016
JAMES LEG

La patte de Leg


Oh oui, ça faisait un moment qu’on le voyait planer au dessus de la plaine, l’immense James Leg. Il pourrait passer pour le fantôme de Vincent Crane. Lorsqu’il jouait encore en duo avec Van Campbell dans les Black Diamond Heavies, ce fils de pasteur a dû se contenter de premières parties, et ses disques ont moisi dans le recoin maudit des imports garage chez les disquaires, enfin ce qu’il en reste.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Oh oui, on s’en souvient très bien. Dans les années 2000, le marché était submergé de duos de garage blues. Ils essayaient tous de se distinguer d’une façon ou d’une autre, certains avec du panache trash (The King Khan & BBQ Show) d’autres avec ce panache technico-commercial qui conduit à la gloire éternelle (Black Keys). Les Black Diamond Heavies, comme les Immortal Lee County Killers ou les Henry’s Funeral Shoes restaient quant à eux noyés dans les ténèbres d’un underground foisonnant de vie, à l’image des racines d’un gros arbre tropical grouillantes de cette vermine humide dont se régalent les autochtones.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Il est certain qu’on n’apprend pas grand-chose lorsqu’on écoute l’album live du duo Leg/Campbell paru en 2009, «Alive As Fuck». Patrick Boissel a pourtant mis le paquet sur l’emballage, avec un design catchy bleu et un vinyle de la même couleur. On note toutefois un gros particularisme chez nos amis candidats au trône : le guttural exacerbatoire de l’ami Leg. Il sonne tout simplement comme un Louis Armstrong psychotique qui refuserait de se calmer, même sous une dose massive de sédatif. Il y a quelque chose de graveleux dans la voix de l’ami Leg, au sens où il aurait avalé tout le gravier du Kentucky ou d’ailleurs. Il y a du Joe Cocker dans sa voix, mais en plus charbonneux, en plus cancéreux. C’est même parfois trop gras, au sens du raclement de glaviot. On pourrait dire qu’il chante au guttural de cromagnon, mais vu qu’on n’était pas là pour vérifier, ça ne veut pas dire grand-chose. Comme d’ailleurs tout ce qu’on peut raconter sur le rock dès lors qu’on cherche à imager. Ah pour ça, les Anglais sont les champions du monde avec des trucs du genre beat-less mass of synthetized explosions and computer game abuse laced with Sun Ra-like organ noodling. C’est presque de l’art moderne au sens où l’entendait notre héros Des Esseintes.
Dans cet album live, nos deux cocos visent parfois l’hypnotisme du North Mississippi Hill Country Blues, notamment dans «Might Be Right», un cut qui file à fière allure. On se dit même que ça ne doit pas être compliqué à jouer, mais attention, il arrive que les morceaux les plus évidents soient les plus difficiles à jouer. Tiens prends ta guitare et joue «Get Back». Ou encore plus simple, «The Jean Genie». Tu va voir comme c’est facile. De l’autre côté gigotent deux ou trois petites merveilles de garage blues. «White Bitch» est une ode à la coke - Fucked all day/ Fucked all day - Et il chante ça d’une voix tellement huilée au mollard qu’on le croit sur parole. Il reste sur le pire guttural qui soit pour «Loose Yourself». On ne peut pas s’empêcher de penser à la voix qu’aurait eu un chef barbare arrivant en vue de Rome et qui lancerait ses troupes ivres de violence et de mauvais vin à l’assaut d’une ville déjà abandonnée par sa garnison. Parfois, on se félicite d’être né au XXe siècle.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


«Every Damn Time» fait partie des disques indispensables. Pour au moins six raisons. Un, «Fever In My Blood» qui sonne comme un heavy shuffle d’Atomic Rooster monté sur le beat tribal du sentier de la guerre, ni plus ni moins. C’est ce qu’on appelle du punk-ass blues du Tennessee, avec une structure dévoyée et livrée aux affres du démonisme. Ces deux mecs cherchent des noises à la noise et se conduisent comme les Féroces de la Forêt d’Émeraude. On se croirait même dans la cabane de T-Model Ford. Ils ne respectent rien ! Le truc sonne comme un brouet de sorcier africain. Ils tapent dans la même fournaise que Left Lane Cruiser. Ils adorent rôtir en enfer. Deux, «Leave It On The Road», épais battage de big bass drum saturé de violence, matraqué sans vergogne avec un appétit que la décence nous interdit de décrire. Ce beat voodoo se révèle écrasant de primitivisme. Pas de distorse, on a juste la basse de l’orgue. C’est à la fois dégoûtant, salutaire, menaçant et bien plus efficace que toutes les attaques d’alligators du bayou. On a là du pur génie swampy. L’ami Leg passe un solo d’orgue au cœur de la pétaudière. C’est monstrueux, il faut bien l’avouer. Trois, «Poor Brown Sugar», un stomp du Tennessee, épouvantablement solide, chanté à la vie à la mort, bardé de peau de vache du blues, terrifiant d’à-propos et lourd de conséquences. Quatre, «White Bitch», encore une horreur, tabassée au Tobacco Road de beat de bass-drum ultimate, ça bingote à coups de boutoir dans bingoland, ça bombarde d’uppercuts de cut de brute dans la panse de bitch au bas du belt. Et ça dit la dope ! Cinq, «Might Be Right», groove du Tennessee bien rebondi, un modèle du genre, dans l’esprit de John Lee Hooker. Six, «Guess You Gone And Fucked It All Up», monté au meilleur beat hypno, binaire de base, puissant et martelé par Odin en personne.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Le deuxième album studio des Black Diamond s’appelle «A Touch Of Someone’s Else Class». Il vaut aussi le détour, je vous le garantis, ne serait-ce que pour cette reprise musclée de «Nutbush City Mimit» d’Ike & Tina. L’ami Leg la prend au guttural cromagnon, le même que tout à l’heure, celui qu’on ne peut pas vérifier. Il est très fort pour créer les conditions de la démesure. Avec lui, ce genre de standard est en lieu sûr. Au rayon des horreurs, on trouve «Make Some Time», qui sonne comme une cavalcade de bulldozer. Ils jouent ça au boogie dévastateur. C’est un peu leur spécialité. Ils nous battent ça au pilon des forges, c’est noyé de son et quasiment incommensurable. Pour «Loose Yourself», ils sortent un heavy groove à la Vanilla Fudge. L’ami Leg lave les péchés du genre humain à coups d’orgue de barbarie. Il mélange la heavyness du Vanilla Fudge avec celle d’Atomic Rooster. C’est une abomination dont les oreilles ne ressortent pas intactes. Il peut aussi nous surprendre avec des choses comme «Oh Sinnerman», une chanson de Nina Simone. Il nous plonge dans le mystère de cette femme extraordinaire. Il joue ça au pianotis et à la petite locomotive de train électrique, celle qui fait du bruit sur ses petits rails. Pur moment de magie interprétative. Dans le même registre, on a «Bidin’ My Time», un jazz blues de charme admirablement bien ficelé. James jazze le jive comme un géant du Village Gate. C’est saxé comme dans un rêve et tellement inspiré. Il peut swinguer jusqu’au bout de la nuit et monter au paradis. Il fait aussi une belle reprise du «Take A Ride» de T Model Ford - C’mon baby tek é raïd wizzz mi ! - Fantastique album.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Curieusement, son premier album solo, «Solitary Pleasure», se révèle beaucoup moins dense que ses trois disques précédents. On retrouve le guttural, mais pas la démesure, même si «Do How You Wanna» sonne comme un heavy sludge de heavy blues. Un nommé Dillon Watson joue de la dégoulinade de guitare à l’Anglaise. Bizarrement, les autres morceaux de l’A n’accrochent pas. De l’autre côté, il tape dans «Fire And Brimstone» avec un vieux coup de guttural. Il fait sa brute, mais il n’emporte pas de victoire. Et avec «Drinking Too Much», on pourrait lui reprocher de vouloir faire du Tom Waits, ce qui est très embarrassant. James Leg est avant toute chose une bête de scène.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Avec son deuxième album solo, il affine son art et crée les conditions de la passion, au sens où l’entendait Saint-Mathieu. «Below The Belt» présente toutes les caractéristiques du disque énorme, contenu comme contenant. Quand on a passé toute sa vie à brasser du vinyle, on est content de voir arriver ce genre d’album avec sa pochette annonciatrice d’hallali. Un photographe a surpris un James Leg torse nu, convulsionné devant son clavier, avec le buste jeté en arrière, comme possédé par le diable. Avec ses tatouages, sa moustache en croc à la Lemmy et sa tignasse grasse rejetée à l’arrière du crâne, James Leg fait figure de pouilleux parfait. Ses mauvais tatouages le distinguent des tendances nouvelles très m’as-tu-vu qui font tellement de ravages. Et dès l’ouverture du bal avec «Dirty South», on sait que l’album va tenir ses promesses, car c’est une véritable dégelée de Stonesy à la sauce Deep South qui nous tombe sur le râble. L’ami Leg chante avec la voix d’un vieux routier de l’armée confédérée, l’un des vieux sergents borgnes qui refusaient toujours de se rendre vingt ans après la capitulation et qui se planquaient dans les sous-bois de l’Arkansas ou dans le bayou, en Louisiane. C’est tellement bien foutu qu’on y croit dur comme fer. Johnny Walker des Soledad y fait même des ouh-ouh en hommage aux Stones de l’âge d’or. Voilà ce qu’on appelle une stupéfiante entrée en matière. Et c’est loin d’être fini, car voilà qu’avec «Up Above My Head», l’ami Leg tape dans Sister Rosetta Tharpe ! Il va au gospel comme d’autres vont aux putes, la voix grasse à la main. Comble de bienséance, c’est arrosé à coups d’harmo et tenu au beat bien sec. Quand il chante «Drink It Away», franchement on croirait entendre un gros nègre qui a tout vécu, qui a neuf gosses reconnus comme Willie Dixon et qui pourrait briser une traverse de chemin de fer sur son genou. Avec «October 3RD», l’ami Leg passe au swing avec armes et bagages, et nous entraîne dans une belle ambiance de dévolu musical qu’il swingue avec cette inéluctable distinction qu’on ne trouve que chez les géants de l’orgue, à commencer par Jimmy Smith et Graham Bond. Le festival se poursuit de l’autre côté avec «Glass Jaw». L’ami Leg sait secouer un cocotier. Plus personne n’en doute, arrivé à ce stade. On le voit napper son cut d’orgue et fuir le long d’un horizon, comme Can. Il a étudié lui aussi les arcanes de l’hypnose. Il tape ensuite dans les Dirtbombs avec «Can’t Stop Thinkin’ About It». Jim Diamond joue de la basse et on imagine aisément l’épaisseur garage que ça génère. S’ensuit une petite faute de goût avec une reprise de Cure et il finit son album avec deux pures merveilles, «Disappearing», un balladif en mid-tempo d’une classe insolente et «What More», un exercice de piano jazz qui le consacre empereur du blues-rock à la cathédrale de Reims.

 

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian

James Leg était à Paris par un beau soir de canicule, pour jouer en première partie d’Endless Boogie, quatuor new-yorkais dont on ne dira jamais assez de bien. À Jaurès, sous le métro, campaient des centaines de réfugiés pour la plupart africains. Les gueux de la terre étaient donc de retour en Occident et ils campaient face au siège du numéro 1 de la protection sociale en France, l’AG2R. Quelle ironie !

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


À l’intérieur du Point Éphémère régnait une chaleur d’étuve. Pas moins de 35 ou 40°, pas le moindre courant d’air, à la limite de l’irrespirable. Oui, cette atmosphère relativement diabolique semblait convenir à notre éminence le Reverend James Leg. Installé face à un jeune batteur torse nu, il profita donc de cette étuve pour donner un petit avant-goût de l’enfer sur la terre. Si vous appréciez le boogie krakatoesque, le guttural barbare, l’explosivité latérale, la surenchère d’énergie, les cheveux trempés de sueur au deuxième morceau, les mauvais tatouages, le son du rock américain hanté par le gospel batch, les postures d’organiste qui rivalisent avec celles de Keith Emerson ou de Graham Bond, l’intensité de toutes les secondes, la tripe fumante, le shuffle d’orgue qui sonne comme une guitare, les crises d’épilepsie scénarisées, les regards fous dans la meilleure veine de l’expressionnisme allemand et, petite cerise sur le gâteau, une vraie animalité de performer/transformer, alors hâtez-vous d’aller voir ce mec en concert.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Signé : Cazengler, James Lego (démonté, bien sûr)


James Leg. Point Éphémère. Paris Xe. 19 juillet 2016
Black Diamond Heavies. Every Damn Time. Alive Natural Sound Records 2007
Black Diamond Heavies. A Touch Of Someone’s Else Class. Alive Natural Sound Records 2008
Black Diamond Heavies. Alive As Fuck. Alive Natural Sound Records 2009
James Leg. Solitary Pleasure. Alive Natural Sound Records 2011
James Leg. Below The Belt. Alive Natural Sound Records 2015

 

 

VICDESSOS / 06 - 08 - 2016
BLUES IN SEM

VICIOUS STEEL / MATHIEU PESQUE QUARTET
FRED CRUVEILLER BLUES BAND
MIKE GREENE + YOUSSEF REMADNA
A CONTRA BLUES

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian

L’Ariège, terre courage. Ses loups assoiffés de sang qui déciment les troupeaux de brebis innocentes, ses ours bruns qui dépiautent les touristes, son goulot d’étranglement de Tarascon. Con ! Fin brutale d’autoroute. Samedi noir. Teuf-teuf immobile. Faut avoir une patience d’ange et le cœur bien accroché pour foncer vers Sem. Mais qui saurait résister à l’appel du blues ?
De toutes les manières si tu ne vas pas à la montagne, c’est le blues qui vient à toi. Cette année Sem n’est plus à Sem. Bye-bye les quinze derniers kilomètres en montée continue vers l’ultime village perdu. Pour sa quinzième édition le festival est descendu à Vicdessos. Facile à trouver : vous délaissez la grotte de la Vache sur votre droite et celle de Niaux sur votre gauche. Cette dernière est connue pour ses graffitis préhistoriques, et la première pour ces ossements de mammouth. A ma grande fierté, lors de ma visite, mon chien Zeus s'était emparé d'une de ces reliques préhistoriques et avait filé sans demander son reste, devenant ainsi l'unique canidé européen à se nourrir de la substantifique moelle pachydermique. Ensuite, c’est tout droit jusqu’à la Halle du Marché de la bourgade. Architecturalement, le bâtiment n’est qu’un vulgaire et spacieux hangar de taules même pas rouillées. La poésie se perd. Finies les étroites et pittoresques ruelles de Sem, ses parkings inexistants, son préau d’école exigu, ses toilettes lointaines, ses froidures humides, ses nuits pluvieuses. Moins de charme ou davantage de confort ? Le choix n’est pas cornélien, le blues a décidé pour nous.
Grand espace, des centaines de chaises plastiques alignées comme de petits soldats, pompe à bière, sandwichs à la saucisse, le bonheur est là, à portée de la main, suffit de se tourner vers la vaste scène sur laquelle A Contra Blues peaufine son sound check, deux guitaristes solos qui entrecroisent des notes sauvages, un duo qui vous met le Jack Daniel's à la bouche. Mais commençons par le commencement.

VICIOUS STEEL

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Formule minimale. Antoine à la batterie, Antoine à la basse, Cyril à la lead et au chant. N’ont pas terminé leur troisième titre que mes interrogations métaphysiques me reprennent. Docteur Chad, est-ce vraiment du blues ? Evidemment petit Damie, vous avez ici l’exemple parfait du Gini-blues, la rythmique du blues, les gimmicks du blues, le répertoire du blues, mais vous pouvez consommer sans modération, c’est du rock and roll. Z’ont tout pour eux, sont jeunes, sont beaux, viennent de Toulouse la ville où tu born to loose. Le genre d’argousins qui ne vous laissent pas les oreilles au repos. Vous stompent les trompes d’Eustache en moins de deux mesures. Son parfait et prégnant. Big blues Brother vous regarde. Les deux Antoine sont les idoines pétales de l’hortensia bleu et Cyril le pistil. Belle voix claire et bien appuyée, guitare sans défaut, un super groupe de première partie qui met tout le monde d’accord et vous chauffe la salle aux petits oignons. Vous envoient des nouvelles d’Orléans, batifolent dans le Delta, descendent à l’hôtel Great Chicago, ont leurs compos à eux, et le compteur linki tout électrique qui vous facture toutes les dépenses au centime près. Le blues dans la tête et la salle dans la poche. Vicious Steel, rythmique d’acier trempé mais pas vicieux pour deux sous réalise le consensus blues. Du vrai blues de petits blancs admiratifs estampillé bleu culturel de Klein quand sonne l’heure des remises à l’heure de la pendule du diable des carrefours. Grand moment d’émotion lorsque Antoine ( non pas lui, l’autre ) scande le blues sur son tambour à coups de chaîne. Pas celle de la mythique pochette de Vince Taylor mais celle que l’on vous refilait en cadeau de bienvenue à Perchman. Pour les amateurs de rock, Cyril exhibe sa collection de guitares carrées à la Bo Diddley. Merci Mona.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Vicious Steel connaît sa mythologie blues sur le bout des doigts. Vous la racontent avec doigté. Mais devraient nous en faire un de temps en temps. Manque les salissures, l’usure du temps et des hommes. La sueur, les larmes et le sang churchillien. Détiennent la technique mais ignorent l’outrage. Blues lisse avec balise de secours. En 1963, les Stones chantaient et jouaient moins bien que Willie Dixon et Muddy Waters, mais ils avaient la morgue et l’arrogance en plus. Toute la différence est là. Faut chercher la rupture, le rapt et la rage. Pour chasser l’alligator, vaut mieux qu’il vous ait précédemment dévoré une jambe. Au moins vous savez pourquoi. Vicious Steel a emballé un public assis après la cinquantième borne de leur existence. Attention aux vieillesses auto-satisfaites et par trop sereines. Ont fait un tabac. Un peu trop blond, qui ne pique pas aux yeux et qui ne vous arrache pas la gorge. Mais ils ont de l’audace. Composent aussi en français, un effort pour coller à la langue anglaise du style “Je suis Tombé en Amour”, et moins romantique, sans la ballade lamartinienne autour du lac, vous avez " un tatoo au creux de tes reins pour me souvenirs de tes fesses". L’on préfèrerait descendre dans les bas-fonds du cul, mais l’on n’ira pas plus bas dans l’ignominie. Le regard vicieux du jouisseur des bas-fonds. Mais non, l’on s’arrêtera là. Dommage, mais ils sont en bon chemin. Ne reste plus à Vicious Steel qu’à franchir la frontière de la déférence bleue.

 

MATHIEU PESQUE QUARTET


L’est au centre. Avec sa fausse coupe Beatles embroussaillée, il ressemble à un étudiant américain de Berkeley de 1965. Acoustique en bandoulière, le profil type de l’admirateur country blues qui connaît son Lomax par cœur. Un petit blues des familles juste pour montrer qu’il n’est pas un manchot sur la banquise du manche. Derrière Olivier à la basse, Ludovic et Hansel à l’électrique lui concoctent un accompagnement de velours. Et tout de suite après l’on saute une génération. Précisent qu’ils vont interpréter leurs propres morceaux. Nous voici au début des années soixante dix. Canned Heat ? Johnny Winter ? Mike Bloomfield ? Quittez les amerloques et changez de continent. Direction la perfide Albion, prenez les meilleurs. Au début je n’en crois pas mes oreilles. Mais oui, ça sonne bien comme Led Zeppelin. Un petit dirigeable car il leur manque l’amplitude sonore. Faudrait multiplier par dix le puissance des enceintes pour que le cheval sauvage et neptunien puisse s’extirper des vagues, mais l’intelligence service du blues est bien là. Ont pigé la stratégie des brisures, les recouvrements de riffs, l’avancée dédalique vers la confrontation du Minotaurock, qu’ils évitent soigneusement car ils sont avant tout des joueurs de blues.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Ne sont pas de petits branleurs qui s’embarquent sans biscuit pour une croisière sans retour. L’on a compris que question acoustique Pesqué tient le coup, mais celui qui tient la barre c’est Hansel Gonzalez. Le gonze à l’aise. Un guitariste comme je les aime. N’a pas fait poser des enjoliveurs sur sa gratte pour impressionner les minettes. S’accroche au bigsby et ne le lâche plus. Ne joue pas de la guitare. Joue du vibrato. Froissements et feulements de tigres, plus inquiétants que les rugissements. Vous êtes le beurre et il est le couteau qui s’enfonce dans la motte. Bordel ! Z’auraient quand même pu à la technique pousser les boutons et le mettre tout devant. Déplace les cordes comme un pendu pris au collet qui essaie d’échapper à son étranglement en se débattant au bout de son chanvre funéraire. Une demi-heure de pur bonheur. Applaudissements nourris à la fin de la séquence.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Pesqué repasse en tête. Retour au répertoire. Guitare à plat, bottleneck au travail et glissandi à gogo. De la steel guitar comme s’il en pleuvait. Mais Pesqué va plus loin, des tapotements, des chuintements, des éreintements qui lorgnent vers la musique moderne et concrète. Ne vous dis pas comment l'Hansel il vous recueille ses pierres précieuses du bout de sa guitare, des pesées célestielles d’archange, magicien qui transforme la citrouille des concrétudes en carrosse électrique. Le secret du blues et du rock. Une bataille anti-entropique : rien ne se perd. Pas question de laisser une seule demi-croche accrochée aux petites branches.
Quelques retours à des morceaux de facture plus classique, faut savoir emballer la marchandise dans de solides écrins qui supportent les chocs, et le quartet et ses deux guitaristes nous quittent sous une ovation d’approbations. Suis injuste, vous ai laissé Ludovic et Olivier dans l’ombre. Vous en reparlerai quand je reverrai le groupe, car ce combo est à mettre dans la collimateur.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian

FRED CRUVEILLER BLUES BAND

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


L’on ne pouvait pas rêver de meilleure transitions. Après les affleurements reptatifs du précédent quartet, la chevauchée des walkyries du trio de Fred Cruveiller. Un adepte des philosophies simples. Aucune hésitation. Vite et fort au début. Vite et fort au milieu. Vite et fort à la fin. Pas de faux-semblants. Ni de faux-fuyant. D’attaque et d’équerre. Point de bavardage inutile. Juste quelques mots pour signaler qu’il change de guitare. Fred Cruveiller tient ses promesses. Quand il annonce que ça va y aller. Ca y va dur et rude. Dégoise le blues électrique des pores de sa peau. Campé sur ses deux jambes il n’envoie que du bon. Du texan pure long horn, cueilli au lasso et rôti à la broche à la graisse de crotale. Electrique ou résonateur vous ne sentez pas la différence. Droit devant dans ses bottes. Laurent Basso est à la basse. A peine s’il bouge de temps en temps une phalange, placide et le museau tourné vers tout ce qui n’est pas son instrument. Mais il vous tresse, l’air de rien, un swing phénoménal, ce n’est pas une basse mais un oscilloscope qui émet des ondulations sans fin.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Eric Petznick déclare qu’il est essoufflé dès la fin du premier morceau et prend quinze secondes pour boire un gorgée d’eau. Ne serait-ce plus de son âge et de sa barbe grisonnante ? Ruse de comanche. Faut entendre la suite. Tape et cogne avec un zèle outrecuidant. Mes angoisses shakespearienne me reprennent. To blues or not to rock ? La question se pose pour les caisses, plus haut à l’étage des cymbales il nous donne la réponse, une souterraine rythmique jazzistique qui rampe sous le son sans demander son reste. Les peaux pour Fred, le laiton pour Laurent. Vous estomatoque d’un côté et vous ruisselle sur les tympans de l’autre. Pas de trou, pas d’interstice, pas de blanc. Sur ce lamé sonore Cruveiller laboure à l’aise. Aucun souci à se faire. Les deux compères assurent tous risques. Pénardos, car avec Fred, pas d’inquiétude à avoir. Quand il attaque un morceau, gagne le combat par KO technique. Les applaudissement fusent de tous les côtés. L’a ses fans qui se remuent le popotin sur l’allée latérale et ses aficionados qui crient leur contentement.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


S’en ira comme il est venu. Sans chichi après le rappel. Un boogie brut de décoffrage, une tambourinade de cordes éhontée, une dégelée d’horions qui vous percutent la figure sans que vous y perdiez la face. L’a remis les pendules à l’heure. On ne sait pas trop laquelle mais l’a tout balayé sur son passage. Un blues carré avec quatre étoiles ninja. Un combattant du blues. Troupe d’assaut.

MIKE GREENE & YOUSSEF REMADNA

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Après le commando de choc, honneur aux vétérans. Vont nous raconter toutes leurs guerres. Enjolivent sans fin l’histoire, mais tout le monde adore car c’est encore mieux comme cela. Sont sur leurs chaises hautes, comme deux copains au comptoir. Règleront leur compte à la Cristalline plastifiée qui leur sert de rafraîchissement. Comme de vrais bluesmen ils crient bien fort qu’ils préfèrent l’alcool. Le genre de déclaration politique qui crée le consensus parmi le public. Chantent à tour de rôle. A chaque morceau Mike Greene change de guitare. Ou alors Youssef Remadna troque la sienne contre un harmonica. Font semblant de donner dans le dépouillé et le rustique. Vous les croyez sortis tout droit du Delta et Mike entonne un air des Shirelles. Z’aiment bien casser les légendes. Ne se prennent pas au sérieux. Deux vieux complices ravis de vous jouer un tour de cochon bleu. Assurent comme des bêtes. Youssef engoule son harmo et vous tient la note sans faiblir durant cinq minutes. Continue même lorsqu’il a reposé son appareil sur le tabouret à côté de lui.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian

Vous ne savez jamais dans quel répertoire ils s’apprêtent à puiser. Celui du blues ou la salade des blagues salaces. Engagent la conversation avec le public aux anges, attention ont la répartie facile et pratiquent l’auto-dérision à merveille. L’accent américain de Mike - réside en France depuis des années - fleure l’authenticité à plein tube. Z’en profitent pour balancer deux petits airs qui respirent trop le boute-en-train country pour être honnêtes. Mais ils professent une définition élastique du blues. Ces deux-là vous mènent par le bout du nez, en bateau sur les eaux boueuses du Mississippi, et partout ailleurs où le décide leur fantaisie. Du juke joint au feu de bois dans la grande prairie en passant par les stations adolescentes devant le poste à radio, vous ne savez plus trop où vous êtes. Ce qui est sûr, c’est que vous êtes bien. Un sacré numéro. Une impro parfaitement au point. Mais qui repose sur un savoir-faire évident. Le blues de deux vieux compères qui se la jouent pépères. Sous leur bonhomie, ils cachent des calibres dignes de la mafia. Respect et emballement du public qui exulte.

A CONTRA BLUES

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Je suis sorti entre deux sets pour respirer l’air frais ( ceci est un euphémisme ) de nos montagnes. C’est alors que je l’ai aperçue, toute menue, toute frêle, les yeux fermés, sur la banquette de la camionnette du groupe. Essayait de dormir, de retrouver un peu d’énergie après six heures d’attente, toute blanche, toute lasse, écrasée de fatigue, la route depuis l’Espagne, la chaleur cuisante de la journée. La pauvrette, mon cœur de rocker s’est ému, déjà je lui avais pardonné sa future contre-performance. Que voulez-vous les rockers sont de grands sentimentaux. Et la voilà maintenant derrière sa batterie, tous les cinq en place, les quatre autres se tournent vers elle, manifestement, ils attendent le coup d’envoi.
Bim, bam, boum ! La centrale nucléaire vient d’exploser. Raffut et fureur sur les futs. Les trois combats de Bruce Lee dans Le Jeu de la Mort synthétisés en trois demi-secondes. Nuria Perick vous avertit, avec elle la frappe blues change de dimension. Et les autres, demanderez-vous, parviennent-ils à survivre après ce cataclysme ? De tout le concert derrière sa contrebasse Jean Vigo ne détournera jamais les yeux de Nuria. Extase mystique, ou inquiétude de bassiste qui cherche désespérément l’instant propice où glisser une corde entre les coups de tonnerre jupitériens de Nuria, je n’en sais rien.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


A bâbord et à tribord les deux guitaristes, Alberto Noel Calvillo et Hector Martin, ont compris que devant une telle avalanche du marteau de Thor, le salut réside dans la fuite. En avant toute et chacun pour soi. Terminée la solidarité émulatoire entre les deux compagnons du sound check, désormais s’ignorent totalement, ont du boulot, les guitares doivent percer le mur du son, et ma foi, ils y arrivent sans encombre. Pas de tergiversation, nous avons affaire à de superbes musiciens, un peu fous : Alberto - un infirmier psychiatrique dans la salle et l’est bon pour trois mois minimum d’asile - sa façon rythmique d’agresser spasmodiquement sa guitare comme s’il voulait en trancher les cordes de ses ongles est un symptôme de délire schizophrénique qui ne trompe guère, quant à Hector, c’est peut-être pire, un introverti total, un autiste souverain, pour lui le monde se réduit à lui et à sa guitare. Le reste n’existe plus. Sont les deux seuls survivants de la planète, feront peut-être un enfant, mais rien n’est moins sûr, l’on dit que les couples d’amants torrides restent stériles.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Bref un boucan d’enfer. Vous allumez une bougie pour le chanteur. Est-il vraiment possible de tracer sa voix dans un tel tintamarre pandémonique ? A la surprise générale, Jonathan Herrero n’est pas en train d’écrire sa lettre de démission. Pour le moment il écrase les cordes de son acoustique, violemment et méthodiquement, tel un éléphant qui chasse les mouches avec sa patte. Un pachyderme, vous voulez rire. Vous le regardez par le petit bout rétrécissant de la lorgnette. L’en faudrait six comme vous pour atteindre sa taille, un colosse aux pieds de béton armés. Vous êtes Gulliver et lui le pays des Géants à lui tout seul. L’ouvre la bouche et vous colle contre le mur. Derrière lui c’est Wagner, Stravinsky, Stockahausen, Malher, un ouragan infernal, pas grave pour notre cantaor. Obra la boca et l’on comprend tout. Quel avenir pour le blues et le rock and roll ? Vous ne savez pas ? Bande d’ignorants ! La réponse est limpide. L’expressivité de la souffrance bleue, les flammes rouges de l’électricité, et la splendeur du chant liturgique de l’opéra. Le tout mêlé en tant que musique opérative. Vous n’y croyez pas ? Ecoutez leur version avanlanchique de Rock and Roll Man d’Elvis et leur fabuleuse reprise de Georgia in my Mind du Genius et vos oreilles s’ouvriront. Jonathan le Titan arpente la scène, se pose en retrait pour que l’on puisse admirer les musiciens, et puis se plante derrière le micro. Chante même à côté sans que l’on ressente la différence. L’on pressent l’humilité triomphante de l’Artiste, la voix limpide de l’univers qui terrasse les dragons. Vous pulvérise d’un coup de mâchoire, vous statufie en entrouvrant les lèvres, vous terrifie d’effroi et vous torréfie l’âme en moins de deux. Un set d’une beauté époustouflante. Interminable ovation debout du public. A Contra Blues. Sont-ils contre le blues ou tout contre ? A revers ou à rebours ? On s’en fout. Sont supérieurs. Majestuoso. Giganfantasticorock. Estupantuoso. Terremotoso. Sang de taureau. L’orphée bleu vient de rentrer dans le labyrinthe.

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Damie Chad.

( Photos : FB : Love Blues in Sem )


LIGHTNIN’ HOPKINS BLUES

FRED MEDRANO


( La Fabrique Modulaire / 2015 )

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


N’y avait pas que des chanteurs de blues à Vicdessos. Y avait aussi un dessinateur de blues. C’est plus rare, je vous l’accorde. Mais c’est un peu pareil, suffit de manier le crayon ou le pinceau avec autant d’aisance que le médiator. Et Fred Médrano, se débrouille comme un as ( de spide aurait dit Motörhead ), n’auriez eu qu’à jeter un regard sur les illustrations en couleur qu'il pondait au fur et à mesure et à une vitesse confondante, les a croqués sur le vif, durant les concerts. L’avait aussi son superbe album sur le Golden Gate Quartet et sa bio de Lightnin' Hopkins à dédicacer.
Quarante-huit pages. Si vous ne savez pas lire, ce n’est pas un handicap, les images se comprennent d’elles-mêmes. Le récit est d’une simplicité absolue. Ligthnin' se raconte lui-même à la première personne, dans l’ordre chronologique. L’enfance à trimer dans les champs de coton. La prison. Le pénitencier. L’alcool, les femmes, la belle vie. Celle qui vous refile une dose de blues à chaque tournant. Si vous avez mieux à proposer, tant mieux pour vous. Voici la suite. La route pour la gloire. Les enregistrements. La renaissance du country blues. La reconnaissance internationale. Tout cela pour retourner à la case départ : Houston in Texas. En bonus le cousin Texas Alexander et le symbole du poisson chat. Qui se mord la queue. Pour comprendre que le petit Sam Hopkins aura tout de même réalisé une bonne pêche tout au long de sa vie. Malgré les arêtes plantées dans son gosier. Ou grâce à elles.
Noir et blanc. Etrangement davantage de blanc que de noir. Les vignettes sans pourtour et leur disposition qui pourrait s‘apparenter à un incessant ballet de figuration libre, les larges phylactères telles des banderoles informatives minimales, et cette étrange impression que dans le dessin le blanc occupe la place des couleurs vives du réel, non parce qu’elles seraient plus claires mais pour concentrer le regard sur les interstices de la représentation objectale et figurative. Tout oscille entre le décor et le détail. L’horizon et l’horizoom. La signifiance est dans l’image. Chacune exige une longue station. Dit beaucoup plus que le texte ne suggère. Ségrégation de face et de profil, mais toujours dans les plans annexes. A vous de reconstituer l’englobant historial du récit. Médrano n’appuie jamais sur le trait. Le laisse filer. Ligne claire en le sens où l’encre noire est un hachis de zébrures dont la principale fonction semble être de laisser passer la lumière pour que le noir paraisse encore plus sombre. Les nègres sont noirs mais leurs visages sont tachés de blanc. Le plus noir de tous est celui de Lighnin' Hopkins comme si le héros se devait d’incarner l’obscurité sociale de son peuple, et ses camarades l’espoir d’un combat de vie dont il est la représentation exemplaire. N’a pas de grandes exigences. Veut vivre sa vie, selon ses désirs. Un homme solitaire. Qui évite les écueils plus qu’il n’affronte les étocs. Il est et le chat et le poisson. Stratégie du velours subtil de l’obstination boueuse. Son ombre glisse de page en page, au travers d’un brouillard blanc peuplé d’étincelles noires. Une série d’instantanés sur le chemin d’une vie qui n’appartint qu’à Hopskins qui a emporté le secret de sa manifestation dans sa tombe, qui nous est définitivement perdu, mais dont Fred Médrano a su saisir l’essentiel d’une représentation mythique. Son art propose une idée, mot d’origine grecque qui se traduit par forme. Une forme du possible en actes. L’eidos parfaite d’une idole bleue. Une œuvre éclairante.


Damie Chad.

03 / 09 / 2016 - NEMOURS ( 77 )
FESTIVAL NOTOWN

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


JALLIES

Nemours un jour, Nemours toujours. N'exagérons rien. Deux ans que je n'ai pas remis les pieds dans le bourg. C'était pour Scores et Pulse Lag. Oui, mais ce soir, j'ai mes préférences, je viens exclusivement pour les Jallies. Plusieurs mois que je ne les ai vues, elles me manquent. Petit festival, un léger demi-millier de personnes. Passage obligatoire par le bus rouge. Pas les pompiers, mais presque. Je crois être à la caisse, erreur c'est la prévention contre les conduites à risques. Question frontale : Vous comptez boire de l'alcool ce soir ? Non, non, je suis déjà ivre. Eclatent de rire, ils ont le sens de l'humour. Plus loin vous avez le stand contre la drogue. Vous distribue des fiches techniques – drôlement bien faites, tout juste s'il n'y a pas l'adresse des dealers - mauve pour le crack, bleue pour l'héroïne... Rien n'est laissé au hasard.
Beaucoup de têtes connues, la reptilienne Cyd des Lizards Queens, je n'ai d'yeux que pour son tatouage qui grimpe comme une vigne vierge sur son épaule, lorsqu'une voix féminine me hèle. Me retourne, c'est la Vaness, l'est aux prises avec deux individus qui, avec la dextérité d'aquarellistes japonais sérieux comme des prêtres bouddhistes, calligraphient, à l'aide de caches plastiques rudimentaires, sur la chair grâcieuse de ses avant-bras et de ses mollets, trois gros ronds au feutre noir. C'est un concept, m'explique-t-elle. Je n'en saurai pas plus. Vous non plus. Me confie quelques secrets, le prochain CD en préparation, le nouveau répertoire en cours d'élaboration...
L'était mentionné deux scènes sur le flyer, à l'extérieur – idéal pour cette chaleur – mais faute d'ennuis techniques ce sera une scène à l'intérieur, ce qui raccourcira le set des artistes et donnera à la programmation un air des plus composites. Je résume.
Casse-Tête. Violon, cajon et guitare. Chanson engagée. Démago un peu facile. Finissent par Hexagone de Renaud. Suis obligé d'expliquer à une jeune fille que je ne danse pas parce que ce n'est pas exactement ma tasse de thé. M'annonce alors la terrible nouvelle. C'était leur dernier concert. Se séparent pour incompatibilité d'humeur. Comme quoi le no future punk a parfois du bon. Bye bye les casse-pieds.
Sexapet. Un nom qui vous laisse de cul. Du funk. Ni vraiment grand, ni vraiment Railroad. Version dance. Mais ils y croient et se démènent comme de beaux diables. Et une belle démone. Dommage que les voix et la guitare soient légèrement occultées. N'y a que la batterie, la basse et les percussions qui bénéficient d'une qualité sonore digne de ce nom. Se débrouillent comme des chefs, beau timbre de voix du chanteur, et les trois derniers morceaux méritent considération.
Walker family. Original. Portent des chapeaux de cow-boys et des chemises à carreaux. Le guitariste est affublé d'un poncho – une couverture de banquette arrière de voiture et vous vous emparez du look Clint Eastwood pour même pas une poignée de dollars. Débutent par un Monsieur Loyal à rouflaquettes qui vous dresse le décor – saloon, hors-la-loi, indiens – sur un mode burlesque, jusqu'à ce que sautent sur scène deux rappeurs qui vous racontent notre monde transposé dans le far-west. Ni swinging western, ni western jump, mais une nouveauté le hip-hop Bufalo Bill... Inventif mais pour moi le hip-hop c'est un peu trop flip-flop... De toutes las manières, je ne suis venu que pour les Jallies.

JALLIES

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian


Profitez-en bien, elles ne resteront que quarante-cinq minutes. Toutes les trois devant. Toutes les trois ravissantes. Z'ont rajeuni pendant les vacances. En pleine forme et tout sourire. Des gamines. Espiègles et mutines. Céline dans sa nouvelle robe d'écolière arbore une de ces moues de fausses d'innocence à damner un saint, Leslie, air alangui de princesse au petit pois à rendre fou les jardiniers du Paradis, et Vanessa, toute mince dans sa blondeur rieuse, toute dorée de soleil, apte à inspirer à tous les tatoueurs du pays les plus extravagantes volutes. Sont en forme. Se présentent, We are the Jallies et les voix tournoyantes s'entremêlent et virevoltent encore plus swinguantes que d'habitude.
Vous êtes comme tous les autres. L'on vous montre la beauté en images vivantes et vous vous perdez en contemplation. Vous ouvrez les yeux mais vous n'entendez plus rien. Pourtant dès le début, il y a eu cette fusée de guitare de Thomas qui aurait dû vous éblouir. Que seraient les Jallies ( que cette heures au cadran de la montre arrêtée ) sans les garçons ? Ont dû former un syndicat pendant les vacances. Ne s'en laissent plus conter. Se sont rapprochés, tout près l'un de l'autre, c'est ainsi que l'on est plus fort. Kross cherche des crosses à sa big mama. Pas question que la grand-mère passe son temps à se tricoter un cache-nez pour l'hiver. L'a intérêt à mettre un turbo quand elle est au turbin. Chaque fois qu'il tire sur une corde, vous avez l'impression que l'on vous arrache une dent. Une vibration explosive, une radiation nucléaire. Une seule note et vous sautez au plafond. Le swing qui dégringole et l'assistance qui se trémousse comme des pois sauteurs.
Tom, son chapeau, sa guitare. N'en faut pas plus pour notre bonheur. L'a dépassé le stade du riff, il trille et vous étrille. Une sonorité qui semble couler de source. Une ligne de pêche ininterrompue mais peuplée d'hameçons qui vous déchirent les nerfs. Ah, les fillettes jouent les cadorettes devant, il accélère le rythme, la guitare est la quatrième voix du trio, glisse sa lame dans le chant, flexible et aigüe, une piqure d'abeilles ininterrompue, et du coup Kross l'imite, prend la tessiture du baryton-basse, qui pousse et bouscule. N'ont jamais été aussi bien ensemble nos Jallies.
Si vous croyez que cette intrusion des garçons dans leur quant à soi gêne les petites pestes, c'est que vous méritez un zéro absolu en psychologie féminine. Au contraire, cela les émoustille, en deviennent plus électriques et puisque l'on rit davantage selon le nombre de fous, elles appellent le dénommé Vincent à les rejoindre sur scène. Un grand gaillard qui cache dans son énorme poing un harmonica minuscule et c'est parti pour un Down in the Country à éradiquer les neurasthéniques. En sandwich à l'interieur le célèbre Johnny B. Goode s'en vient faire un tour, juste pour que le train du rock and roll fasse la course avec le blues déjanté.
Ce sont des filles. Elles n'ont pas oublié de nous faire le coup du charme. Leslie nous offre sa célèbre version de Funnel of Love, la chante avec tant de perversité que toute la salle, filles et gars, tombe en pâmoison, Thomas en profite pour rajouter de fines liquettes de guitare sucrée, énervantes au possible, à faire fondre les coeurs et les sexes. Mais l'heure a tourné trop vite. Nous serons privés du rappel, z'avaient prévu un démonique Train Kept-A-Rollin, ce sera pour la prochaine fois.
Elles ont été éblouissantes, nos petites reines. Après elles, la salle se vide. The thrill is gone.


Damie Chad.

LES LIEUX DU ROCK
MATTHIEU REMY
CHARLES BERBERIAN

( Tana Editions / 2010 )

james leg,vicious steel,mathieu pesqué quartet,fred cruveiller blues band,mike greene + youssef remadna,a contra blues,lightnin' hopkins + fred medrano,jallies,notown festival,lieux rock + matthieu rémy + charles berberian

 

Croyais qu'il s'agissait d'un répertoire alphabétique avec adresses, numéros de téléphone et courriels. A la maigreur du volume me disais que l'on avait omis à dessein tous les petits lieux quasi-anonymes qui accueillent – souvent en les payant au lance-pierre – les groupes de rock qui ne se partagent pas les faveurs du grand public. Ne l'ai pas ouvert. Gravissime erreur. Cet opuscule aussi mince qu'une tablette ( de chocolat ) présente en 72 pages, et une histoire du rock, et le parcours initiatique du groupe lambda de sa formation à sa ( peu probable )starification. Mais ce n'est pas tout, apporte aussi quelques réflexions acidulées au vitriol. Sortez votre calculette et divisez par deux. Parce que systématiquement la page de gauche offre un dessin de Charles Berberian, scénariste et dessinateur, scrupuleux observateur des conduites erratiques d'individus qui nous ressemblent trop. Croque ici une galerie de portraits, fans de base ou musicos représentatifs de l'époque qu'ils sont censés incarnés. Toute ressemblance avec un personnage célèbre ou anonyme, existant ou ayant existé, ne saurait être fortuite. A croire que nous sommes les archétypes primordiaux de nos clones.
Le rock n'échappe pas à la merchandisation. C'est souvent le but ultime de ses promoteurs, voire de ses créateurs. De toutes les manières l'est toujours en instance de récupération. Rien de mieux que les phénix empaillés pour fidéliser la clientèle. Un nom, une oeuvre d'artiste se gère à l'instar d'une marque de vêtement. Le rock est un produit comme une autre. Un artefact commercial qui s'apprivoise très facilement. Mais l'oiseau renaît de ses cendres pourtant balayées par le vent de la récupération. Mettez le rock en cage, et le volatile de feu, renaît là où on ne l'attendait pas. Matthieu Rémy, analyste patenté des contre-cultures contemporaines, s'amuse à repérér ses résurrections inattendues, exemple le plus connu : honni aux USA à la fin des années cinquante, le rock and roll réapparaît en Grande Bretagne au début des années soixante. Autre métamorphose le clubbing londonien aseptisé à outrance retrouve du peps dans les raves parties sauvages... Est-ce encore du rock ? L'esprit de révolte qui survit sous d'autres oripeaux ?
Le rock s'étiole lentement mais sûrement. Partira au tombeau avec les générations qui l'ont engendrée. La fin est proche et la vision du futur peu optimiste. Mais au diable le pessimisme, le rock donne l'impression de se désagréger. Se reconstitue aussi, en secret, et heureusement qu'il existe des lieux d'écriture pour repérer et signaler le réveil des braises. D'où le rôle irremplaçable des passionnés de la première et de la dernière heure qui s'obstinent à alimenter la flamme au travers de leurs fanzines, flyers et blogues... Comme KR'TNT !


Damie Chad.