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27/03/2019

KR'TNT ! 412 : THE JONES / ZEROS / UPROARS / ROCKABILLY GENERATION / FICTIONABOUTFICTION / ROMANCE AMERICAINE / LES FLAGORNEURS / HEAR ME NOW

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 412

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

28 / 03 / 2019

 

THE JONES / ZEROS

UPROARS / ROCKABILLY GENERATION

FICTIONABOUTFICTION / ROMANCE AMERICAINE

LES FLAGORNEURS / HEAR ME NOW

TEXTE + PHOTOS SUR  :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Brillants Jones

 

Mine de rien, les Jones cookent bien leur cake. Ils proposent un set à base de rock classique et de belles reprises. Ils veillent à rester dans un registre traditionnel, celui qui marche à tous les coups. C’est un groupe à deux guitares, et pas des moindres. À droite se tient Grégoire Cat qui fut pendant 17 ans le lead guitar de Tav Falco. Pour l’avoir vu à l’œuvre plusieurs fois, la partie est comme qui dirait gagnée d’avance. Présence, style et son, il a tout ce qu’il faut en magasin. On le sait, Tav Falco ne s’entoure pas de n’importe qui. Les Jones s’appuient sur une section rythmique qu’on qualifierait de powerhouse en Angleterre. Les drives de basse qui traversent les fins de morceaux donnent systématiquement le frisson et le mec qui bat le beurre n’est pas né de la dernière pluie, oh no no. Il s’apparente même à la caste seigneuriale des batteurs chanteurs, car on le voit prendre le lead au chant à plusieurs reprises. Avec lui, c’est shoot et beat à tous les étages en montant chez Kate. Les mighty Jones proposent un rock extrêmement bien foutu, jamais m’as-tu-vu, joué avec un souci constant de l’impact. Les reprises sonnent comme les plus révérencieux des hommages, il faut voir avec quelle niaque ils tapent dans le «Betty Jean» de Chickah Chuck. Rien n’est plus difficile que de proposer un classique de Chickah Chuck aujourd’hui, car on les a sans doute trop entendus au temps des Stones. Eh bien figurez-vous que les Jones redorent le blason du vieux Chuck avec une élégance sonique qui en bouche un coin. Ils revitalisent le son et donnent des ailes aux vieux accords rock’n’roll. Vu qu’énergie et swing sont au rendez-vous, ils tapent en plein dans le mille, car l’énergie et le swing étaient comme chacun sait les deux mamelles du Handsome Brown-Eyed Crazy Legs. Autre belle cover de choc, le «Looking For A Fox» de Clarence Carter, qui fait partie des intouchables. Aucun rocker normalement constitué n’oserait toucher à Clarence Carter. Eux, ils osent. C’est extrêmement gonflé. Live, la cover passe beaucoup plus facilement le Cap de Bonne Espérance que la version entendue sur le Dig It Radio Slow, qui paraissait un peu maigrichonne. Ils réussissent même à la percuter de plein fouet et bien sûr, le bassman se régale car c’est autant un cut de basse que de chant. Dommage qu’on ait pas le ha ha ha ha du vieux Clarence, mais bon, on ne peut pas tout avoir. Rien n’est plus beau ici bas qu’un hommage bien tempéré. Ce clin d’œil à Clarence Carter vaut par son éclat celui qu’adressa il y a de cela quelques années Darrell Bath à Ronnie Lane, avec «Debris», en cette même cave. Les Jones font aussi sauter la sainte-barbe avec le «Dirty Water» des Standells. Facile diront les mal baisées, mais il faut savoir le jouer. On n’avait pas entendu une version aussi délicieusement explosive depuis celle des Playboys, qui date de l’époque de leur album Bootleg. Les Jones aiment tellement les bons disques qu’ils parviennent à enfiler les covers comme des perles, et pour un peu ils s’en iraient briller au firmament. Leur Dirty Water sonne singulièrement les cloches, ding gong à la volée, c’est gratté, battu, bassmastiqué à la régalade. Les Jones sont le groupe idéal pour l’amateur de belles covers. Mais attention, ce n’est pas fini. Ils tapent dans un autre genre d’intapable, avec le «Slow Death» (écrit Slow Deapth sur la setlist) des Groovies. Encore une fois, c’est servi sur un plateau d’argent, ils bourrent leur dinde de son, c’est salement inspiré, bien amené aux deux guitares, Grégoire Cat et Thierry Jones shakent leur shook comme des vétérans de toutes les guerres, on voit bien qu’ils vénèrent les Groovies, car ils s’installent très exactement dans le cœur vivant du mythe, avec toute la powerhouse qu’on peut imaginer. Les Jones sont le groupe qu’il faut souhaiter à tous de voir jouer. Ils passaient ce soir-là en première partie d’un groupe australien qui allait avoir toutes les peines du monde à s’imposer. Pour l’occasion, on va inventer un vieux proverbe : Si tu veux monter sur scène après les Jones, c’est à tes risques et périls.

Pour les malchanceux qui n’ont pas encore pu voir les Jones sur scène, il reste les albums. Il en existe deux qui sont très différents l’un de l’autre. Le premier paru en 2015 s’appelle First Shot et semble dominé par la présence de Laurent Ciron. Il compose un gros tas de cuts et les chante. On sent le métier et le son paraît parfois très américain, comme par exemple le heavy rock du «Carry On» d’ouverture de bal. Mais au fil de l’eau, on voit Gérald, le batteur, voler le show, et de quelle manière ! Il chante «Wait» à la harangue et ça sonne comme du Chikah Chuck. C’est d’autant plus excellent qu’on entend des basslines rampantes traverser le cut ici et là. Ce prince du heavy beat chante à l’exaltée et il ne fait pas semblant. C’est aussi lui qui chante «Blue Jean Talk». Il fait la différence, car il chante avec une niaque de batteur. Il suffit de prendre l’exemple de Dick Dodd pour comprendre ce que signifie la notion de batteur/chanteur. C’est une énergie du rythme et de la frappe, quelque chose d’exhilarating, comme dirait un Anglais. Timbre de star. Fantastique shouter. Il ose même taper dans le «Sea Cruise» de Frankie Ford, encore un hit qui relève de l’intapable, mais Gérald le prend à sa main, il est dessus dans l’esprit, rule it baby ! Il roule ses r admirablement. Il est vraiment gonflé d’aller taper là-dedans ! Et il faut le voir écorner ses syllabes. On croise d’autres bons cuts sur l’album, mais l’exaltation y brille par son absence. «There’s A Crisis» vaut pour un joli coup de sawmpy booty d’accent forcé, et «Bee String And Bankruptcy» vaut pour un joli coup de Stonesy. Dommage que Gérald ne chante pas tout. Et quand on écoute «I Want Your Lips» (que chante le bassman), on croit entendre Wilko Johnson jouer de la guitare.

Changement de personnel pour Silver Faces, le deuxième album. Grégoire Cat remplace Laurent Ciron et Fred Moulin prend le chant (mais ce n’est pas lui qu’on a vu à Rouen). L’album est excellent. Dans Dig It, Jacques en a déjà fait une belle chronique. Mais il faut en rajouter une couche et le crier sur tous les toits : these guys just do it right ! C’est sur Silver Faces qu’on trouve la reprise du vieux hit de Clarence Carter. Dans l’étrange attaque, on entend la basse mordre la viande, crunch, et ça part aussitôt. Ils jouent ça sec et sans couverture. Ils se contentent des accords parapluie. Fred Moulin shake son Fox avec abnégation, pas facile d’aller rôder sur les terres d’une géant comme Clarence Carter, mais ils cherchent l’âme de la Soul ou la Soul de l’âme c’est comme tu préfères, et le gimmick sonne merveilleusement juste à l’oreille. Ils se mettent dessus au very maximum de leurs possibilités et ça les honore. Les accords de Gloria flottent dans la Soul aux vermicelles, ils ne lâcheraient la rampe pour rien au monde. Petit conseil, écoute ça au casque, tu verras le gimmick venir se nicher dans l’oreille. C’est éminent et bon. On retrouve aussi sur l’album le «Betty Jean» avec lequel ils font des miracles sur scène. Si on aime bien le vieux boogie, alors on se régale de «Look The Part» : c’est ultra joué, avec une bassline qui danse le bal des vampires, poussée dans le dos par un drumbeat des enfers. Voilà ce qu’on appelle une section rythmique de choc. Ils tapent «Sid Vicious» sur les accords de T. Rex - C’mon baby it’s a drag - Assez heavy et belle ambiance. Ces mecs ont beaucoup de chance, car ils s’appuient sur un batteur demented are go à gogo, c’est du moins ce qu’on entend dans «No One To Blame» ou «Morning Ghost». On retrouve encore des accents de Feelgood dans «Come Back To Me Baby» et dans «True Love». Ils jouent ça au big beat de Wilko chords. Ça dégouline d’énergie. Les deux zouaves télescopent leurs solos sous le pont de l’Alma et roulent leur fabuleux swagger dans la farine. Et côté beat, rien de plus sévère, Gérald claque son beurre à la claquemure, c’est le roi des relances à la Feelgood. Il porte littéralement le son. Et puis voilà la cerise sur le gâteau : l’excellent «Shake». On croit qu’il s’agit d’une reprise, mais non, c’est un de leurs cuts. Le beat enfonce les clous à coups redoublés, on peut même parler de beau beat de cour martiale lubrifié aux huiles de power Soul. La huitième merveille du monde. Un cut pareil devrait exploser au nez et à la barbe du monde. C’est battu à la vie à la mort. Ce fantastique drummer porte le Shake à la force du poignet, comme s’il voulait sauver l’humanité. Ça n’a l’air de rien, mais ce genre de pilonnage fait toute la différence. On n’imaginerait pas un Vanilla Fudge sans Carmine Appice, ou l’Electric Flag sans Buddy Miles.

Signé : Cazengler, the jaune

Jones. Le Trois Pièces. Rouen (76). 14 mars 2019

Jones. First Shot. Mortel Records 2015

Jones. Silver Faces. Mortel Records 2018

 

Love Minus Zeros

 

Mais non, ces Zeros ne sortent pas d’un hit de Bob Dylan mais plus prosaïquement de Californie. Au crépuscule des années 70, Javier Escovedo et ses copains Robert, Hector et Baba ne songeaient qu’à une seule chose : ruer dans les brancards. Ces fringants chicanos de San Diego rongèrent leur frein jusqu’au moment où leur vint l’idée de monter les Zeros pour devenir l’un des groupes de rock les plus passionnants et les plus flamboyants de la scène californienne. Les Zeros ont avec les Nomads un fort joli point commun : le goût des belles reprises. Leurs clins d’yeux aux Dolls et aux Ramones comptent parmi les plus fameux.

Côté discographie, on ne va pas se ruiner. Il n’existe pas d’album à proprement parler, uniquement trois ou quatre compilations de singles, à commencer par l’explosif Knockin’ Me Dead paru en 1994. Rien qu’à les voir tous les quatre sur la pochette, on comprend qu’ils admirent les Standells. Ils font effectivement une somptueuse reprise du «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» des mighty Standells. Tout le son est là, sauf la morgue de Dick Dodd. Javier et ses amis jouent ce classique avec une belle flavor mexicana insistante et bourrent la dinde de coups d’harmo. Ils font aussi trois cuts vraiment dignes des Dolls : «Wanna Go», «Looking For Some Fun» et «Don’t Wanna». Le premier tire plus vers les Ramones, avec sa belle énergie dévergondée, disons que le boogie oscille entre les Dolls et les Ramones, mais le solo va droit sur Johnny Thunders. Par contre, «Looking For Some Fun» sonne comme un hit des Dolls, c’est exactement la même énergie, ainsi que «Don’t Wanna», véritable boogie plein de vie aux veines gonflées et rehaussé de deux superbes descentes de solo. Avec «I Don’t Know», ils sont encore plus royalistes que les Dolls. Quel fabuleux swagger ! Les Zeros savent ravager une contrée, no problemo. Ils ouvrent le bal avec un «Baby’s Gotta Have Her Way» enroulé au riff séditieux et tapé sec. On ne peut pas dire que Javier ait une voix convaincue d’avance, mais il s’impose à la force du poignet. Ils passent à la power pop avec le morceau titre et Robert Lopez prend le chant sur «Beat Your Heart Out», une espèce de cavalcade ramonesque. C’est gorgé de son et même imbattable. Que de son, my son ! Ils sont vifs comme l’éclair au chocolat. Ils amènent «She’s So Wild» à la bravado des Ramones. On entend même des clameurs dignes du CBGB. Ils adorent pulser leur Ramonic. C’est franchement dedicated. Hector prend le chant sur «Left To Right», il est encore plus Ramonic que le roi, il chante à la petite morgue de punkster anglais. Quand Robert prend le lead pour chanter «Shannon Said», il le fait avec une violence insupportable, comme s’il plantait ses crocs dans la gorge de la jouvence. C’est battu sec et monté comme un chef-d’œuvre d’explosivité, comme d’ailleurs l’ensemble de cet album.

Après une longue absence, ils refont surface sur scène à Paris, dans la cave du Klub. Les Zeros ont si bonne réputation que le concert affiche complet. Malheur aux imprévoyants ! Volume idéal pour un groupe dense comme les Zeros. Rien sur Robert, comme dirait Fabrice Luchini, alors les voilà en trio, Hector et Javier jouent à un mètre du public, soutenus par l’explosif Baba Chenelle. Et quand on dit explosif, on est encore loin du compte. Baba volerait presque le show. C’est d’autant plus flagrant que Javier Escovedo joue à l’économie sur sa Gibson jaune. C’est un guitariste de l’école thunderienne, il n’en fait pas trop mais quand il intervient, il entre en osmose avec son vieux cosmos et les dévots des Dolls s’enivrent, car il sort un son qui dégouline de cette véracité qu’on dit verte. Javier et Hector se partagent les cuts au chant. Pas chacun son tour, mais presque. En tant que bassiste chanteur, Hector Penalosa tient admirablement son rang, il est très physique, plein de cette bonne niaque chicano et chante comme Lemmy, avec un micro très haut penché vers le bas. Ah il faut voir ces trois mecs tenir leur set et faire trembler les colonnes du temple. Ils dépotent mécaniquement tous leurs vieux coucous, ils prennent au débotté un «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» qui fait palpiter les murailles de la cave et tapent dans du «Don’t Wanna» et du «Handgrenade Heart» avec édifiant mélange d’aisance et de mal dégrossi. Pas de meilleure façon de rendre hommage à Johnny Thunders qui maniait à la perfection ce mélange d’élégance et de foutraque. Ce qui frappe le plus chez les Zeros, c’est l’absence totale de prétention. Pas la moindre trace de frime, on dirait presque qu’ils jouent pour des copains. Ils créent en tous les cas une ambiance cordiale et électrique à la fois, ils n’en finissent pas de rajouter des cuts tirés de singles qu’on ne connaît même pas, mais on finit par s’en foutre, vous en voulez encore, alors en voilà, et ils vont même remonter sur scène pour balancer en rappel un big old «Chatterbox», histoire d’aller couler un porte-avion à Pearl Harbour.

Si on a raté leur set, on peut se consoler en réécoutant l’excellent Right Now paru sur Bomp en 1999. Toutes les grosses reprises des Sonics, des Dolls et des Seeds s’y trouvent. Version musclée de «Strychnine». Javier y va va va voom ! Cette belle cavalcade coule de la source des dieux, c’est sûr. Tiens, voilà «Chatterbox», qui n’est pas loin de sonner comme l’hommage définitif. Ils sont dans le cœur de l’essence des Dolls, ils nappent le son comme le fait si bien Johnny Thunders, c’est édifiant. Mais ils battent tous les records avec une version rentre-dedans de «Pushing Too Hard». C’est le cut de l’uppercut, la violence de la mouvance, c’est l’œuf du serpent qui explose à la barbe de Dieu. Terrific ! Si terrific que ça pulse dans les artères, ça fibrille l’orthodoxie du son, ça bat la chamade à plate couture. Oh, ils n’ont pas que ça à proposer, le morceau titre d’ouverture vaut pour un solide slab de big garage punk zeroïde emmené au combat rock, pas celui des Clash, rassurez-vous. Ils enchaînent avec un «Sneakin’ Out» qui assoit bien la viabilité des choses, ils s’y montrent plus pernicieux dans l’exercice du power, mais quand parlent les rasades alors les coyotes hurlent dans les collines. Pire encore, voilà «Do The Swim» ! C’est à tomber de sa chaise tellement ça swimme la carcasse de la rascasse, baby do the swim ! On a même un solo lance-flamme qui nous crame le buisson ardent, les fantômes dansent dans la fumée, c’est une fabuleuse interjection de la médication méthodique. À partir de là, les Zeros s’installent dans l’inflammatoire, «Handgrenade Heart» n’échappe pas au chaos, leur truc vaut bien un Damned joué au riffing rampant, celui des ténèbres, maléfique et humide, âcre et peu avenant, l’un des pires. Que de son dans leur romp ! Ils passent au boogie down zeroïde avec «Hurry Hurry Hurry» et le chaloupent à coups de yeah c’mon. Javier entre dans le gras du lard avec une classe imprescriptible. Oh c’est off ! Ces mecs sont complets : son, attitude, ambition, chicanerie, conduite, ils sont tout simplement spectaculaires. Ils noient leur «Talkin’» de nappes si bénéfiques qu’on s’en repaît comme de soudards, le son est plein à craquer de guitares intégrales et de nappes saturnales. Leur power pop reste un modèle du genre et «You Me Us» est là pour le prouver. Ils la jouent à l’énergie conflictuelle avec des renvois de power dignes des dieux de la Californie, c’est-à-dire les Byrds, mais avec la petite niaque chicano des Zeros, une niaque très spéciale qui fait leur grandeur.

On retrouve pas mal d’oiseaux bien connus sur une autre compile Bomp, Don’t Push Me Around (Rare And Unreleased Classics From 77). Le petit beat de Baba emmène bien le morceau titre et le cut qui sort vraiment du lot est encore ce «Beat Your Heart Out» produit par Greg Shaw, un admirable hit de power pop joué avec toute l’énergie du désespoir de l’infortune. Un départ en solo enflamme littéralement cette merveille vrombissante. Les Zeros sont dessus, no doubt. Encore de la power pop de rêve avec «Rico Amour». Les chicanos cherchaient leur voie et la trouvaient autant que les Nerves. «Main Street Brat» reste très Dollsy dans l’essence, bien soutenu aux tic-tac de Baba. «Wild Weekend» vaut pour du punk angelino, brouillon et embarqué vite fait. Ces mecs vont vite en besogne, ça fait plaisir à voir. Il faut aussi les entendre se battre au finish sur «Cosmetic Couple», à coups de rasades de brouet, et c’est vraiment chargé de dégoulinade maximaliste. La compile s’achève avec une séquence live, ce qui permet de mesurer leur niveau énergétique. Le pauvre Javier peine à s’imposer dans la tempête sonique de «Shannon Said». Par contre «Talkin’» sonne le glas du groupe, car c’est du grand n’importe quoi. Voit-on l’intérêt d’un tel mayhem ? Non évidemment. Ils sonnent comme une grosse éponge punk mal fichue et gorgée de jus qui pue. Ils font par contre une version très stoogienne d’«Out Of Place» avec un brio incendiaire qui les honore.

Tant qu’on y est, on peut aussi rejeter un œil sur le Live In Madrid édité sur DVD par Munster en 2009. Non seulement on voit les Zeros dans le feu de l’action avec sensiblement la même set-list qu’à Paris, mais on trouve aussi dans les bonus une interview passionnante de Phast Phreddie qui fut un temps leur manager et qui regrette d’avoir surnommé le groupe the Mexican Ramones, ce qui est effectivement très réducteur. Il aurait plutôt dû les surnommer the Mexican Heartbreakers. Phast Phreddie rappelle qu’en 1977, les Zeros était un groupe admirable, qui savait jouer et qui avait des chansons, ce qui était loin d’être le cas des Germs, par exemple. Mais il plaide coupable de ne pas leur avoir consacré assez de temps, no proper album, no proper tour. Dans les bonus, on voit aussi les Zeros sur scène en 1977, il jouent dans une grande salle de Los Angeles à la même affiche que Kim Fowley. On les voit aussi dans une émission de télé en noir en blanc jouer «Don’t Push Me Around» et «Wimp». C’est vrai qu’à l’époque ils avaient déjà une sacrée classe. L’autre force du DVD, c’est le texte de présentation signé Lindsay Hutton. Il rend un fier hommage aux Zeros - Here’s hoping these guys never lose their ability to beat, beat, beat their hearts out ! - Et il ajoute, exalté : «Power on to Zero hour. Over and out.» Et quand on les voit sur scène trente ans après leurs débuts, force est de constater qu’ils n’ont pas trop changé. Javier fait son «Pipeline» et le futur El Vez Robert Lopez s’applique sur sa Gretsch. Ils enfilent ensuite tous leurs hits comme des perles. Ils n’ont que ça, tous ces vieux coucous des années soixante-dix. Robert Lopez prend le chant sur «Jenny Says» et c’est vrai que «Cosmetic People» va plus sur les Heartbreakers. Comme Hector n’est pas là, Steve Rodriguez des Dragons le remplace à la basse. Phast Phreddie nous rappelle que Mario Escovedo, le petit frère de Javier et d’Alejandro, jouait dans les Dragons, un groupe qui eut un moment le vent en poupe. C’est vrai qu’un hit comme «Beat Your Heart Out» ne fait pas de cadeaux. Ils tapent aussi dans l’excellent «Little Latin Lupe Lu» repris par les Righteous Brothers et adressent les clins d’yeux rituels aux Standells et aux Dolls.

Signé : Cazengler, un vrai zéro

Zeros. Le Klub. Paris 1er. 28 février 2010

Zeros. Knockin’ Me Dead. Rockville 1994

Zeros. Right Now. Bomp 1999

Zeros. Don’t Push Me Around (Rare And Unreleased Classics From 77). Bomp 1991

Zeros. Live In Madrid. DVD Munster Records 2009

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En route pour les quarantièmes rugissants. Non, chers kr'tntreaders n'ayez pas peur, piqué par le démon de l'aventure je n'ai pas loué un pédalo pour affronter en solitaire les hautes vagues du Pacifique. J'ai mieux à faire. Suis à mon habitude assis au volant de la teuf-teuf mobile, je brûle férocement les feux rouges, je renverse fébrilement sans remord les passants sur les passages cloutés, j'arrache rageusement les radars au passage d'un coup d'aile meurtrier, non ce n'est pas que je sois en colère, point du tout, mon esprit est empreint d'une paisible sérénité, je suis pressé, c'est que le bonheur se profile au bout de l'horizon, sur la bonne ville de TROYES, en ce soir du 22 / 03 / 2019 , Béatrice Berlot, la patronne, ouvre la nouvelle saison de ses démentielles soirées rockabilly au 3 B, avec un groupe venu spécialement de Birmingham, en Angleterre comme chacun sait, THE UPROARS.

Pour une fois les autorités n'ont pas lésiné, ont compris que l'on ne plaisante pas avec les rockers, z'ont bossé tout l'hiver pour remettre à neuf la rue Turenne, le 3 B bénéficie désormais d'une vaste terrasse de pavés rose, la superclasse. Pas fous les Uproars s'y sont prélassés toute l'après-midi au soleil. Mais le soir tombe, le bar s'est rempli d'un seul coup, toute la vieille garde des habitués à laquelle se mêlent de nouvelles têtes attirées par la réputation de ces célèbres soirées sauvagement reptiliennes. Nous n'attendons plus que les Uproars.

THE UPROARS

J'ai failli en pleurer d'émotion. Trop longtemps que je n'avais entendu la sonorité d'une Gretsch effleurée par la main experte d'un rockabillyman. Celle de Billy Jenkinson est blanche comme une robe de mariée, la big mama d'Alex Richardson noire comme un costume de croque-mort, au fond les fûts argentés de Tom Mayo forment un parfait trait-d'union, une synthèse dialectique miraculeuse. Faudrait commencer par parler d'eux, mais non, à peine la palpitation musicale du combo s'est-elle propulsée que Nick Richardson s'introduit dans ce triangle équilatéral, tape des mains, fonce sur les spectateurs, stoppe son élan les bras levés à la manière des bandilleros qui s'apprêtent à mordre de leurs fers acérés le dos du taureau, se précipite sur le micro le brandit telle une hampe de lance, puis le dirige vers vous à la manière des sarisses des phalanges macédoniennes, c'est parti pour Baby Please Don't Go, plante son vocal dans le morceau tel le cobra dans sa proie, et la fête commence.

Alex slappe et pulse. Pas pour rien que ses phalanges et la revers de sa main soient bandés, frappe méthodique, un cœur indompté de cachalot échoué sur la plage qui ne veut pas mourir, inébranlable, quel que soit le rythme il vous le saisit et ne le lâche plus, l'obstination du gars qui a décidé de vider la mer avec une petite cuillère et qui s'attelle à sa tâche sans envisager un seul instant que celle-ci relève de l'impossible, puisqu'il est en train de l'accomplir. Infatigable et méthodique. Une tape sèche mais parfaitement élastique. La balle qui rebondit et l'on ne voit pas pourquoi elle faiblirait et s'arrêterait un jour. Alex vous donne une idée – et une pratique – du frappement éternel. Tout le contraire de Billy.

Un guitariste dangereux. Parce qu'il ne joue pas comme les autres. Se sert de ses six cordes, mais aussi d'autre chose. Le silence. Impalpable, vous passe un riff, vous refile une séquence, et vos tympans résonnent de mille fragrances, et alors que vous attendez la suite, que vous la supputez riche et onctueuse, plus rien. Pas pour très longtemps, deux dixièmes de secondes, pas plus, mais absolues, au début vous êtes surpris, vous pensez que c'est une erreur, mais son visage n'est agité d'aucune émotion, et vous comprenez que c'est ainsi, qu'il a construit son jeu sur ces nano-temporalités silencieuses, et l'évidence vous saute aux oreilles, c'est que si les résonances gretschiennes sont si belles c'est qu'elles se détachent d'autant plus voluptueusement que sur ces contours de vide sonore elles prennent un relief inusité. Le plus terrible c'est qu'il arrive à produire les mêmes effets sur les brisures d'un Something Else ou l'accélération folle d'un Lonesome Train.

Idem pour Tom sur ses toms. Encore un qui ne fait pas les choses comme les autres. Son temps fort à lui, c'est là où les autres s'arrêtent. Je parle de ses trois camarades et de tous les autres batteurs. Sa spécialité, c'est la fin des morceaux. Un moment de choix pour les drummers, en profitent pour déployer le grand orchestre, les effets kitch et carton-pâte. Plus ils en rajoutent, mieux cela produira de l'effet, pensent-ils. Tom, non. Ce n'est pas qu'il donne dans la simplicité. Poum, j'arrête et je vais me coucher. Lui, l'est pour l'arrêt brutal et définitif. Ce qui ne veut pas dire qu'il bâcle le travail. Oh que non ! Vous croyez que c'est fini, terminé, mort et enterré. Qu'il a tout dit et que personne ne pourrait imaginer une suite à la fin de l'histoire. C'est à ce moment, alors que vous pensez que l'affaire est close, qu'il ponctue. Le mec qui vous refroidit un macchabée mort depuis huit jours. Se prend quinze secondes, rien que pour lui, pour vous montrer comment on termine un travail. Le coup de buvard qui sèche l'encre et puis le paraphe terminal, la marque indélébile du génie. Une frappe d'une dureté incroyable. L'en cassera même une baguette en deux, d'un seul coup. Ne frappe pas fort, il tape dense. Arrêt brutal et total. Monde aboli.

Ce n'est pas tout. L'a encore une autre spécialité. Outre le fait qu'il joue en chaussettes ! En règle générale les batteurs rockabilly ne se servent point trop des cymbales. Lui il les adore. Peut-être même qu'il envisagera un jour de liquider ses caisses chez le broc du coin - d'ailleurs pour la grosse caisse l'a déjà détaché la membrane extérieure - pour ne plus s'occuper que de ses opercules métalliques. L'en raffole, vous change l'aspect du moindre classique par les sonorités avec lesquelles il vous le dézingue, vous le bronze, vous le trempe d'acier, vous l'airainise et le pérennise. Un parfait duo avec Billy, des spécialistes de la clinquance, que je vous défends de confondre avec le clinquant, sont des ciseleurs, des joaillers qui n'utilisent que des métaux rares, des orfèvres qui inventent des alliages inédits. N'allez pas chercher plus loin les raisons du Rock'n'Roll de Led Zeppelin dans le troisième set.

Avec de tels musicos derrière lui, Nick peut être tranquille, ne risque rien, n'a plus rien à faire. Alors comme il est là pour pousser la goualante et entonner la canzione, il ne s'en prive point, vous pond une ogive nucléaire à chaque titre. Rester derrière un micro, l'en est incapable, faut qu'il en maltraite le pied - rien que pour prendre son pied – d'ailleurs pour les deux derniers sets, se contentera de la tête du cromi toute seule ce qui lui permet de bouger. Une voix très très légèrement grasseyante ce qui lui confère une étonnante flexibilité, la dote d'une plasticité étonnante et la met hors d'atteinte de toute fatigue. Au trente-sixième titre, elle sera aussi fraîche qu'au premier. Un répertoire en même temps très pionnier du rock et très moderniste, de Carl Perkins à Chuck Berry, s'en débrouille avec une fraîcheur stupéfiante. Interprétations personnelles mais pas iconoclaste. Un véritable showman, capable de rebondir sur les interjections d'un public – beaucoup de danseuses inusables - dont il ne comprend pas la langue, l'on se dit que sur une scène un peu plus étendue il doit être encore plus survolté. Cette remarque vaut aussi pour Alex qui au peu qu'il nous a montré doit assurer grave question exercices à la barre fixe sur Big Mama.

Trois sets, trois flingueries, le dernier exigeant une très grande technicité instrumentale et rebattant quelque peu la donne du rockabilly classique, un jeu qui ne s'interdit aucune complexité sans s'autoriser la moindre défaillance au niveau de l'impact de sauvagerie originelle qui reste l'alpha et l'oméga de cette musique.

Rappel et ovation finale, les Uproars ont marqué les esprits, Béatrice Berlot a encore marqué un point !

Damie Chad.

 

Z'avaient pas posé leurs instruments à la fin du premier set que Duduche réclamait déjà leurs disques, n'en avaient qu'un qui vient tout juste de sortir, on s'y est jeté dessus à la manière d'une fourmilière qui s'attaque à un scorpion, un bel objet, sobre and choc, un CD à pochette noire cartonnée, qui arbore l'apparence d'un vieux vinyl dans sa chemise de papier, attention pour les collectionneurs, tirage limité.

 

LIVE / UPROARS

Baby Please Don't Go : d'intro une guitare à texture de saxophone et la trombe éclate, la contrebasse à corps perdu et des persillades greschiques, drummin' écarlate, cris de guitare, Nick fait la grosse voix, a une sale embrouille avec sa copine, tout s'arrête, z'ont au moins cassé la vaisselle et les meubles, castagnettes de cymbales tout s'écroule sur un fond de cordes grinçantes et tout repart à cent kilomètres à l'heure. Rassurons-nous s'attaquent maintenant aux murs. La guitare barrit à la manière des éléphants en colère, un beau ravage, bye-bye Big Joe Williams et Muddy Waters renvoyés à leurs blues de pleurnichards, quand les Uproars sont sur scène, ouragan sur le Caine, tumulte sur vos oreille, ces gars-là ont le rockabilly épileptique. Rock'n'Roll : à l'impossible nul n'est tenu, le spitfire s'attaque à la forteresse volante zepplinesque, le moustique s'en prend au cuir du rhinocéros, Nick en force, bille en tête, avec le reste de la formation qui pique droit devant, z'ont les ailes cordiques qui vrillent et la batterie pulvérise la rythmique, la grosse bébête n'est pas morte, mais l'insecte s'en sort avec les honneurs de la guerre. Une chose est sûre : les Uproars n'ont peur de rien, ont décidé de filer un sacré coup de balai sur l'armoire aux confitures du vieux rockabilly. Get Wild : en rockabilly la programmatique est très simple, un seul mot d'ordre, soyons sauvage ou ne soyons rien, faudra tout de même que l'on me refile la recette, comment cette guitare vous klaxonne-t-elle des éclats de trompettes à volonté, et cette basse qui court devant telle une sorcière sur son balai à réaction. Blizkrieg Bop : crime de lèse-majesté, z'ont décidé de ramoner la cheminée, mésalliance dans la nomenclature rockabilly, les Uproars osent tout, même une accointance punk, rock'n'roll avant tout, rock'n'roll partout, vous bousculent les tabous et gagnent la guerre éclair. Hooker : une astuce qui marche toujours, une guitare en soutien et la voix qui mène le tout tambour battant, genre piranha affamé qui n'a pas bouffé depuis quinze jours et qui plante ses dents dans le premier truc qui passe à sa portée, pas de chance, c'était votre cervelle. Certes ce n'est pas une grande perte pour l'humanité mais un hit de plus dans l'histoire du rock'n'roll. Psycho For Your Love : ah ! ah! Les criminels ont signé leur forfaits, se revendiquent des Meteors, n'auraient pas dû parce que là ils vont finir en asile psychotrique. Plus vite que prévu, le batteur en premier car il a décidé de gagner la course, mais Nick lui fait méchamment la nique, et la guitare prend le relais, la big mama explose. Enfermez-moi ce ramassis de dératés, au plus vite. Rock this Town : vous la roquent à mort cette ville, les roquets sont lâchés et ont décidé de ramener davantage de souris que les chats tigrés. Vous rapportent un lot de ratas gros comme des hippopotames. Si j'étais les chats je ferais la gueule. Je dirais qu'ils ont triché, qu'ils ont pris des pilules survitaminées. Mais qui me croirait ? Devil In You : pourquoi s'arrêter en si bon chemin, s'attaquent maintenant au diable, une petite ballade dans les fournaises de l'Enfer ne saurait effrayer les rockers. Comptez sur vos doigts, quatre tires que ça déchire méchant, et là vous avez en prime des effondrements de batterie à damner tous les saints de la terre. Please Give Me Something : un petit classique de Bill Allen and the Black-Beats sorti sur Imperial en 1957 ne saurait faire de mal, surtout qu'ils ont décidé de lui refaire la façade, z'ont respecté l'esprit mais l'ont un tantinet dynamisé, elle a intérêt la gamine à leur donner ce qu'ils demandent parce qu'ils sont méchamment pressés, même que sur la fin ils s'énervent grave, la sexualité de groupe avec les Uproars ça frise la moustache que vous n'avez pas et la démence. Extraordinaire. Cocktails Or Shots : bordel, cette guitare en sous-main qui vous broute le mazout à Knokke-le-Zoute, c'est un scandale, une catastrophe nucléaire à elle toute seule, et là-dessus les trois autres vous déroulent un tapis d'horions sur l'horizon au-dessous de la ceinture. C'est trop bon. Ça glisse et ça phosate votre âme d'une si belle manière. Sex Appeal : je comprends enfin pourquoi les prédicateurs nous demandent de nous méfier du sexe. Les Uproars n'ont pas de mal à vous persuader que les douces folâtreries ronsardiennes sont des pièges mortels. N'écoutez jamais ce titre, sans quoi le tableau apocalyptique qu'ils en donnent, cette furie sauvage qu'ils vous en proposent, vous conduiront à rentrer dans les ordres pour le restant de votre vie. Mais qui saurait résister à cette vigueur priappique ! Swords Of A Thousand Men : stiffent dur dans le temple, trichent un peu, s'y mettent à mille contre vos deux oreilles pour vous percer les tympans. Vous envoient la marmelade en bocaux, tant pis vous avalez le tout tout cru, c'est encore meilleur avec le verre. Whole Lot Of Rosie : après le Zeppelin s'attaquent aux trois premières lettres de l'alphabet rock, n'ont peur de rien, d'après moi ils doivent tester une nouvelle guitare, un prototype qui va révolutionner le rock, elle riffe et gronde toute seule, ou alors autre hypothèse, ont récupéré sur une brocante un engin inter-sonique que des extra-terrestres avaient laissé lors d'une visite de vérification de notre évolution. Z'ont dû vouloir hâter notre processus musical. Par contre nous sommes parfaitement convaincus que le chiffre 13 porte malheur, cette tuerie ne dépasse pas les deux minutes. Va falloir une pétition pour qu'ils nous rallongent ce nectar.

 

Quand je pense qu'il existe une flopée de malheureux sur cette terre qui ne possèdent pas cette allumette prométhéenne que les Uproars s'en sont allés voler au char du soleil du rock'n'roll, tant pis pour eux, on s'en fout, on fait partie des happy few !

Damie Chad.

DO NOT LOOK BACK

FICTIONABOUTFICTION

( Clip / Février 2019 )

Paon ! En plein dans le mille. En plein dans le maelström. Précédé du bourdonnement des moustiques tigres écrasés d'une tapette vengeresse. Mais qu'y a-t-il derrière les plumes multicolores du paon, car c'est ainsi que le monde s'offre à vous sous la forme d'une roue aux ombelles bleutées comme autant d'yeux qui vous fixent de leurs prunelles obstinées. Ne regardez pas en arrière. Scrutez au plus profond. Sachez soulever le voile versicolore d'Isis, peut-être entreverrez-vous les visages de la réalité la plus sombre. Vous-même, mais vos cheveux se métamorphoseront en rideau de noirceur déstructurant. Vous voici figure du mal affublé du masque de la Gorgone, hurlements de vipères s'échappent de votre bouche, dix fois, vingt fois vous pouvez tenter de recommencer les traits de votre portrait, le brouiller de couleurs étendards de guerre, la musique palpite telle un cerveau en émoi, un cœur trémulant ou un bulbe sexuel en éveil, l'insoutenable désir de la pensée vous arrache l'œil, encore la bouche d'ombre de Méduse pousse des glapissements d'horreur, elle n'est que le masque de la mort qui s'avance vers vous, dents cruelles, ossements blancs sécrétant sang et feu cauchemardesques, les entrelacs de ces rhizomes fondateurs ont la forme du vautour qui rongea le foie de Prométhée, et le faucon arbore subitement la chatoyance du phénix immortel, l'homme est là, l'a ravi la flamme primordiale pour s'allumer une cigarette qui le brûle de l'intérieur le réduit à ses pulsions animales, s'empare de lui, de son cœur de son corps, le monde se décolore, vous retournez à la première mutation, à l'homme animal, le singe. Le clone de vous même, l'image du fachisme qui est collée à votre psyché.

Attention les images se bousculent et les séquences s'entremêlent. Ceci n'est qu'une lecture. Do Not Look Back est à l'origine un titre de l'Ep Storm ( 2018 ) en écoute sur Deezer et Spotify et dont nous avions chroniqué dans notre livraison 389 du 18 / 10 / 2018 trois morceaux. FictionAboutFiction est un des groupes les plus décisifs d'un rock'n'roll qui n'hésite pas à s'avancer dans les contrées les plus obscures de notre modernité. Diane Aberdam en est la cellule créatrice. Qui ne regarde pas en arrière.

Damie Chad.

 

TENDRESSE DECHIRANTE

ROMANCE AMERICAINE

( Clip )

Première création d'un nouveau duo Romance Américaine dans lequel on retrouve Diane Aberdam et Emilien Prost de FictionAboutFiction. Les mêmes que dans le clip précédent mais dans un style totalement différent. Un projet, comme l'on dit maintenant.

 

Une simple chose, trois notes répétitives sur un synthé et puis le vide. Le vide est plein, mais il faut entendre que cette plénitude n'est qu'absence : la tarte à la crème de l'amour enfui certes, mais ce background sentimental est relégué au second plan de l'infinitude de la transparence humaine car nous n'avons pas plus d'épaisseur que l'image d'un film projeté sur un mur blanc. Silence et guitare posée sur un divan, appartement en un savant désordre bohème, la porte blanche au fond s'ouvre et le Maître du logis entre, drapé d'un peignoir noir, s'installe au clavier alors que le fantôme de l'Absente derrière lui bouffe l'écran et puis se recule jusqu'au divan sur lequel elle se saisit de la guitare.

Tout est en place. La tragédie peut commencer. Elle n'aura pas lieu. Nous n'aurons droit qu'au rituel mille fois ressassée de l'absence obsédante. Gros plan sur l'Artiste en souffrance. Lance la lente ritournelle des trois notes et la voix caverneuse s'empare de l'écran, le poëte maudit pleure la muse disparue, parfois la caméra dévoile ses blanches jambes, la noirceur de son ample t-shirt presque clair si on la compare à la nuit de sa chevelure plus sombre que le désespoir, plus fatidique que le corbeau d'Edgar Poe dans son cercle de lumière. Elle l'accompagne doucement mais sa bouche s'ouvre en grand et s'adonne à d'amères litanies qui résonnent comme des tentures d'amertume.

Une voix funèbre et une guitare qui échelonne des notes à résonances peut-être narquoises, le monde et la femme seraient-ils plus cruels qu'on ne l'imagine ! Trois fois rien donc, mais une réussite époustouflante. Toute une imagerie phantasmatique revisitée en moins de quatre minutes. Miracle de la voix qui vous enferme dans la prison d'une agonie sans fin. De laquelle vous refusez de sortir, en lion blessé qui préfère lécher ses plaies plutôt que recevoir le remède miracle du dernier psy de service. Romantisme de naguère ou masochisme moderne ? Eblouissant.

Damie Chad.

 

ROCKABILLY GENERATION N° 8

( JANVIER / FEVRIER / MARS / 2018 )

 

Un peu de retard mais l'on s'en moque, l'important reste que la revue suive son cours et ce n'est pas quelques trous d'air dus à une surcharge de travail et à la mise au point d'une maquette plus claire ( l'ancienne était loin d'être une horreur ) qui découragera les lecteurs dont le nombre croît sans cesse.

Le numéro est habilement composé, deux vétérans, l'un qui ouvre et l'autre qui ferme la longue séquence réservée aux jeunes pousses, condition sine qua non d'un renouvellement des formations rockabilly. Un hommage à Hallyday de sept pages, de Greg Cattez, drôlement bien fait et émouvant, n'a jamais été fan de Johnny mais son père l'écoutait en boucle toute la journée à la maison. Des mots simples mais qui portent. Tony Marlow en deuxième grand sachem rock, encore vivant, et si j'en juge par la liste des concerts qui s'allongent sur son FB, en pleine forme il nous raconte la deuxième partie de sa carrière ( voir N° 7, pour le début ), un infatigable combattant qui fait le trait d'union avec la première génération, et à qui le rockabilly français doit une fière chandelle.

Place aux jeunes, Dylan Kirk – il est anglais et pianiste – et les Starlights – ils sont français, z'ont azimuthé la foule lors de leur premier concert, et n'en sont qu'au tout début, Danny da Silva le frère de Barny, Brayan Kahz traumatisé par le premier concert des SpunyBoys – parents faites gaffe aux mauvaises fréquentations de vos enfants – au retour s'est tout de suite rué sur une contrebasse, et Nico qui a déjà participé à bien des échauffourées Jamy and The Rockin' Trio ( avec un certain Tony Marlow à la batterie ), Be Bop Creeck et Miss Victoria, de quoi remplir un CV de guitariste.

Bon, les filles vous me rendez illico mon Rockabilly Generation, il est hors de question que vous déchiriez la couve pour afficher Barny da Silva en poster dans votre chambre, oui je le concède l'est beau comme un prince charmant, mais c'est avant tout un superbe showman – le Cat Zengler aime, c'est tout dire – frère de Danny, et tous deux fils de Carl, bon sang ne saurait mentir. En plus les filles n'y a pas que Barny, dans le poster central, vous remarquerez que les Rhythm All Stars eux aussi ont du style. La séquence finale me rappelle un très vieux numéro de Salut Les Copains dans laquelle Elvis Presley et Johnny Hallyday répondaient au même questionnaire, cette fois c'est Barny ( le starique ) et Rémi ( le spunique ) qui s'y collent. Un peu moins connu, Alexandre Lucet ( 26 années au compteur ) rappelle comment il a intégré Les Vinyls, vieux groupe de reprises french sixties, dans lequel il a amené du sang neuf et imposé des morceaux en anglais.

Suivent les compte-rendus des derniers festivals de l'année : Trouy ( qui nous est Cher ) dans lequel Jake Calypso et ses poulets brûlants ont cassé la baraque et le poulailler. Rock'n'toll Bigoud avec Darrel Higham & The Enforcers. Rock'n'roll In Pleugueneuc, exactement l'endroit où Dylan Kirk and fis Starligth ont allumé le feu...

Une page de news ( Rockabilly Generation News oblige ), six disques présentés, seul bémol, pas de chronique sous les pochettes, et pour emballer le tout, d'un bout à l'autre, vous bénéficiez des photos de Sergio Kazh.

A mon avis de tous les numéros, le mieux réussi.

Ne regrettez rien les filles, vous n'avez pas eu les photos de Barny, mais en chair et en os, pour la fin de la soirée vous aurez :

Damie Chad.

Ah ! Vous préférez lire la revue ! Qu'attendez-vous pour vous abonner, bande de nigaudes !

 

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Attention N° 1 et N° 2 et N° 3 épuisés.

 

20 / 03 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

TON SUR TON

LES FLAGORNEURS / HEAR ME NOW

 

Ton sur Ton organise des événements qui allient musique et arts graphiques, notamment dans le cadre de la Semaine du Dessin à Paris, avais-je lu. J'avais pensé, oui mais dans la vie il faut de temps en temps savoir, bref m'étais fait un beau dessin dans ma caboche genre synesthésies à la Comedia. Dessin et musique. Des qui jouent et des qui graphitent en le même temps, les uns s'inspirant des couleurs de la muzac et les autres de la palette des pinctores. Une expérience intéressante. Y avait bien des artistes. Des modestes bien cachés, des discrets qui n'aiment pas se faire remarquer, une table avec quelques feuilles et quelques guirlandes multicolores accrochées au plafond. Des timides, qui ne se savent pas se vendre – ce qui dénote une éthique respectable – mais pas non plus se faire connaître... dommage, je vous refile les noms Radis ( illustration 1 ), Geoffrey Le Saout ( illustration 2 ), Clara Simard ( illustration 3 ), pouvez faire un tour sur leur instagram. Par contre, côté sonorités, certains ont commencé à se faire remarquer dès la balance.

Joyeux drilles. Le fait que le guitariste soit aussi un des animateurs de Ton sur Ton explique la présence des Flagorneurs. Mais nous en étions au sound check. Une bière ! Un truc à rendre une armée de garçons de café totalement dingue, l'ont djenté et growlé au moins trois cents fois, micro ou pas, le même hurlement clamé d'une voix à rendre tous les groupes de metal fous de jalousie. Ce n'est pas qu'ils avaient soif, c'est qu'ils tenaient à nous accoutumer aux douceurs tintinnabulantes de la poésie punk !

LES FLAGORNEURS

L'on s'attendait au pire. Nous fûmes presque déçus. Certes Les Flagorneurs ne se prennent pas aux sérieux. Ne tapent pas dans l'horrible. Donnent dans le dérisoire. Les histrions du punk en goguette. Entre chahut d'étudiants et private jokes. Z'ont un public qui connaît les paroles par cœur et qui se permet des réparties désopilantes à leur encontre. La plus grande des impartialités m'oblige à reconnaître qu'ils savent renvoyer la balle avec une adresse retorse. Trois jeunes barbus rigolards, vous refilent des histoires incertaines, comment faire du skate en étant bourré, ou vous tracent des portraits sociologiques dignes d'entomologistes colériques comme Les Célibataires ou Mr Le Contrôleur. Vous débitent le répertoire tout à trac et à coups de triques, vous expédient les morceaux en lanceurs de couteaux qui se font un plaisir sadique de toucher leur partenaire en plein cœur. Vous recrachent les morceaux à la vitesse d'un duplicateur, et les machines humaines étant moins fiables que les produits de haute technologie, ils omettent de temps en temps de reproduire une portion du modèle original, tant pis, là où la batterie passe à tout berzingue la guitare et la basse ne trépassent pas. A la moitié du set se hissent même à l'étage supérieur, y a des moments où ça filoche dur et ça tricote sec. Z'aiment les coups foireux, entrecoupés de vannes vaseuses, mais quand la partie devient difficile ils raccrochent les wagons de bien belle façon. Finissent torse nu, rient d'eux-mêmes, Alexandre à la batterie le plus enveloppé, Maxime à la basse le plus maigre, et Paul le plus beau. Devant l'enthousiasme des copains ils finiront en rappel sur les déboires de la jeune Gwendoline.

L'est vrai qu'il existe une tradition de rock satirique en France, Albert et sa Fanfare Poliorcétique ( sans oublier Les chacals de Béthune ), puis Au Bonheur des Dames et ensuite Odeurs en sont les fleurons de la couronne. Je ne crois point que Les Flagorneurs soient les fils fin-de-race de cette généalogie. Si l'essence du punk puise ( entre autres ) au nihilisme et au tonneau ( de bière ) de Diogène, Les Flagorneurs la raccordent au chahut-bahut des monômes estudiantins, sont peut-être la dernière réincarnation pallide, fantomatique, et inconsciente de l'esprit zutique des zazous.

HEAR ME NOW

Un autre monde. Celui de la pop. Plus près de Cure et de Muse ( ce qui ne m'amuse ) que des Poupées de New York et de MC 5. Groupe bifide, deux filles, deux garçons. Aubin à la basse et Mathieu à la lead. Trop galants à notre gré. S'effacent devant les nénettes, donnent l'impression de les accompagner. Marie est aux drums, elle bat pour nous. Méfiez-vous de sa droite, elle peut-être mortelle, mais elle sait aussi servir à main gauche. L'a une frappe virevoltante, joue davantage sur l'imaginatif que sur la lourdeur. L'est la cheville ouvrière et même patronale du groupe, c'est elle qui impulse l'énergie et l'allant nécessaire à la marche en avant. Ses cheveux longs volent et découpent un visage décidé et volontaire. Les gars devraient en prendre de la graine.

Juliette – look de belle jeune fille appliquée – attire les regards. Lourde charge sur ses épaules, le combo-pop repose sur elle. Double rôle, chant et guitare. Celle-ci est de trop, la retranche d'elle-même, l'est comme une cloison contre son son corps qui l'empêche de donner toute sa voix. Ce qui est dommage, un petit trésor sonore qui ne demande qu'à briller au soleil. Faudrait que les guys comprennent qu'ils sont là pour lui fignoler un écrin digne de ce nom. Se contentent de la boite standard. Faudrait qu'ils ne conçoivent pas leur job en tant qu'accompagnateurs mais en tant qu'arrangeurs. Devraient avoir une palette de nuances et de couleurs variées, s'interdire de jouer si monotonement, brisures franches, ruptures clivantes et décollages lyriques seraient les bienvenus. Cela permettrait à Marie de développer des breaks conçus en tant qu'orchestration. Suffit parfois de peu pour améliorer la donne, le morceau pour lequel Juliette a troqué son électrique pour son acoustique a apporté une sonorité rafraîchissante.

Mais le mieux réside en ces moments où Juliette débarrassée de ses appareils cordiques combat à mains nues avec le cromi. Sort son souffle, vous le dépose à vos pieds telle une gerbe de fleurs printanières, cela lui donne aisance et confiance. Maintenant vous pouvez écouter le chant de l'édelweiss sur le sommet de la montagne, l'en devient très à l'aise sur les passages les plus rythmés, insensiblement elle prend la tête du quatuor, mène le bal, et du coup les lads se mettent enfin à l'unisson, envoient du vent dans les voiles et l'ensemble tangue désormais très joliment.

Set agréable. Trop de dissonance programmative avec le groupe précédent. Des titres comme Self-Confidence et The Thoughts We Hide exigeaient sans doute une ambiance préparatoire plus intérieure. Hear Me Now passera ce dimanche 24 Mars en demi-finale du tremplin Emergerza au New Morning. Nous leur souhaitons bonne chance.

Damie Chad.

P.S. : sont en finale au Bataclan !

 

20/03/2019

KR'TNT ! 411 : ANDRE WILLIAMS / ARCHIE LEE HOOKER / HANDSOME JACK / SOVOX / BEACH BUGS / MOZES AND THE FIRSTBORN / FATIMA / TIGERLEECH / NECESIDAD DE LUCHAR

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 411

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

21 / 03 / 2019

 

ANDRE WILLIAMS / ARCHIE LEE HOOKER

HANDSOME JACK / SOVOX / BEACH BUGS

MOZES AND THE FIRSTBORN / FATIMA

TIGERLEECH / NECESIDAD DE LUCHAR

TEXTE + PHOTOS SUR :  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/…/2…/03/index.h...

 

Dédé la praline - Part One

 

Petit flash-back : février 2008, les Flash Express assurent la première partie du show d’Andre Williams à la Maroquiqui. Brian Waters annonce la couleur :

— On joue très fort, escousez-nous !

Waters est un peu potelé, mais il peut sauter en l’air ! Sur sa vieille Télé à ouies, il joue un jeu dangereux : il combine les accords ouverts avec les départs en solos incendiaires. Ce power-trio californien sonne un peu comme le JSBX. Au fil des morceaux, Waters s’agite de plus en plus. Il rebondit comme Pete Townshend, ce qui constitue un exploit, vu son poids.

Après un petit entracte, les Flash Express reviennent s’installer sur scène. Ils ramènent avec eux un quatrième larron équipé d’une belle guitare blanche. Comme sur l’album The Black Godfather, Brian Waters se lance dans un speech incantatoire pour annoncer l’arrivée d’Andre Williams. C’est un moment historique. Andre arrive coiffé du chapeau noir d’Al Capone. Il porte la veste d’uniforme de Jimi Hendrix, le pantalon rouge de Chuck Berry, et les chaussures deux tons de Nicholas Cage. Andre Williams a soixante-douze ans. Aux yeux de tous les gens rassemblés dans la petite salle, il cumule autant de prestige que James Brown, Chuck Berry, Ronnie Spector et Sam Moore réunis. Il s’approche du micro et pointe ses pouces en rythme sur le beat qui est infernal. «Jail Bait» et «Bacon Fat» qui sont ses vieux hits font toujours autant de ravages. Une profonde impression de douceur comateuse se dégage de son visage. Derrière son micro, il sourit et attend sagement la fin des transitions instrumentales pour reprendre le chant. On a sous les yeux la combinaison la plus explosive qui se puisse concevoir, celle d’un vétéran de la scène r’n’b de Detroit et d’un groupe de garage-blues de très haut niveau. Dédé fascine. Impossible de le quitter des yeux. Il est à la fois le crocodile et le dromadaire, l’archange Gabriel et le démon priapique, le soul-shaker moderne et l’icône séculaire, le rouge et le noir, le croon et le shout, la rugosité et la chaleur humaine, le vétéran et l’ingénu, le géant et le mortel, le papy et l’éternel adolescent, le doux et le dur, la bite et l’esprit, le futur et le passé, le flux et le reflux. Et puis, au fil des morceaux, on s’aperçoit qu’il ne tient pas debout. Il est complètement défoncé. Il s’assoit, défait sa veste d’uniforme, la remet, s’en va, puis revient. Visiblement, il n’est pas bien. Il remercie le public :

— Tank you Paris, tank you for coming up to see the old man...

Pour boucler le show, les Flash Express envoie la purée de The Dealer, l’énorme hit niché sur The Black Godfather. Inespéré. Brian Waters joue le riff en boucle hypnotique. Andre Williams semble revenir à la vie. À la fin de ce morceau interminable, il sort de scène et refuse la main que lui tend un assistant pour l’aider à monter les marches qui conduisent aux loges. Andre Williams a sa fierté d’homme noir de l’Alabama. Il sort discrètement de la Maroquiqui, remonte la rue Boyer jusqu’à la rue de Ménilmontant et entre dans le premier rade venu. Il s’installe au comptoir et au moment où il commande une bouteille de French wine, il reçoit une bourrade dans l’épaule.

— Alors Dédé, vieux crocodile ! Qu’est-ce que tu fous là ?

Andre se tourne et sursaute :

— Berry, ah ça par exemple !

Ils s’observent longuement. Leur amitié ne date pas d’hier.

— Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vus, mon vieux Dédé ?

— Berry, tu sais compter mieux que moi...

— Allez, on va dire trente ans ! Incroyable, tu as toujours la même tête de cabochard ! Qu’est-ce que t’as pu m’en faire baver, sale nègre !

— Certainement pas autant que ton protégé de l’époque, cette petite ordure de Little Stevie Wonder...

— Tu te souviens de lui ?

— Ce petit con d’aveugle tapait comme un dingue sur les claviers pour désaccorder les pianos. J’ai dû le virer plusieurs fois du studio. En plus, il imitait bien nos voix.

— J’ai failli l’étrangler quand il a appelé la comptable en imitant ma voix pour lui demander de préparer un chèque de 25 000 dollars. Un vrai gamin. Mais Dédé, tu ne m’as toujours pas dit ce que tu fabriquais ici, à Paris...

— Je sors d’un concert.

— Un concert de qui ?

— De moi, pauvre con.

— Tu chantes encore, vieux bouc ?

— Ouais. J’ai pris un nouveau départ, hee hee hee hee...

— Mais Dédé, t’as plus de soixante-dix balais !

— Que veux-tu, Berry, les gens m’adorent. Ce qui ne doit pas être ton cas. T’as fait de sacrés ravages quand t’as quitté Detroit pour installer Tamla Motown à Los Angeles. Je fréquentais les musiciens qui jouaient pour toi, à l’époque, tu sais, les Funk Brothers. Uriel Jones et Pistol Allen, ces noms-là te rappellent quelque chose ? Tu les as laissés tomber comme des merdes. Je peux te dire une chose : aujourd’hui encore, ils te détestent. On ne se conduit pas comme ça avec des musiciens qui t’ont rendu autant de services. Ils étaient sur tous les hits Tamla. Sans eux, tu n’étais rien...

— J’avais des impératifs, Dédé. Tu ne peux pas comprendre. Tu n’as jamais rien compris au business. Chaque fois que tu as eu l’occasion de faire quelque chose de bien, tu t’es arrangé pour que ça te claque dans les pattes. Combien de fois je t’ai rappelé pour te proposer un poste stable ? Tu savais écrire des tubes, tu savais produire, tu savais même chanter, tu aurais pu te faire des couilles en or à Tamla !

— Smokey Robinson était bien meilleur que moi, Berry, tu le sais bien. Et puis, je vais te dire une bonne chose. Je n’ai jamais aimé tes méthodes. Je ne t’aimais pas, mais je te respectais parce que tu avais du génie. C’est toute la différence avec Ike Turner que j’ai fréquenté un peu plus tard. Il avait du génie, lui aussi, je l’aimais bien, mais je ne le respectais pas.

— Tu coupes toujours les cheveux en quatre, Dédé. Tu en as toujours fait qu’à ta tête. Des mecs comme toi, c’est ingérable, quand on fait du business.

— Je te rappelle que tu me dois une fière chandelle, sale nègre ! Qui est-ce qui t’a trouvé chez le coiffeur et qui t’a donné la carte de ce ponte de United Artist ? Le pape ? Sans moi, Berry, tu écrirais toujours des chansons pour ta voisine de palier. Et puis, je ne peux pas accepter de leçons venant de toi. Je t’ai refilé au moins quatre-vingt chansons. Marvin Gaye, Mary Wells et les Contours en ont enregistré. J’ai traîné ma bosse partout. Tu as dû rater des épisodes, Berry ! À Chicago, j’ai travaillé pour les frères Chess. À Houston, j’ai travaillé pour Duke Records, et crois-moi, c’était pas de la rigolade de bosser pour ces mecs-là. À Los Angeles, j’ai travaillé pour Ike Turner et pris plus de coke que lui et baisé en un an plus de chattes que t’en as baisé dans toute ta vie, Berry... Tu vois, je vais te dire encore un truc : Devora Brown et Leonard Chess étaient des Juifs, mais ils étaient bien meilleurs que toi, et à tous les niveaux. En m’empêchant d’aller chez Epic, Devora Brown a brisé ma carrière mais elle m’a sauvé la vie. Con comme j’étais à l’époque, je n’aurais pas fait de vieux os. Les drogues, les armes, tu vois ce que je veux dire... Leonard Chess respectait les musiciens. S’il n’avait pas cassé sa pipe, je travaillerais encore probablement avec lui.

— Sacré Dédé, tu veux toujours avoir le dernier mot. Puisqu’il n’y a que ça qui t’intéresse, je te le laisse. Buvons un coup. Très franchement, je suis content de te revoir. On m’avait raconté que tu étais à la rue, à une époque...

— Exact, gros lard. Tu vois ma ligne ? Pas un poil de graisse, hee hee hee hee !

— Ouais, et toujours sapé comme Cab Calloway... Et comment tu t’es sorti de là ?

— Certainement pas grâce à toi, Berry. Mais, c’est vrai, tu ne pouvais pas savoir. À l’époque, tu ne pensais certainement qu’à t’allonger au bord de ta piscine pour t’occuper de ton bronzage, hee hee hee hee !

— Dédé, j’apprécie toujours autant ton humour, franchement. T’es le boute-en train number one. Mais tu devrais te surveiller un peu. Il me semble que parfois t’es un peu lourd.

— Autant pour moi, Berry. Excuse-moi, mais ça doit être toi qui m’inspires ce genre de conneries. Alors, revenons à la rue, puisque ça t’intéresse. Tu vois, c’est pas comme une piscine au soleil. En hiver, on se les caille et on ramasse les mégots pour les fumer. Dès qu’on a des ronds, on trouve un dealer de quartier pour lui acheter le petit bout de crack qui permettra de tenir jusqu’au lendemain. Et puis un jour, Perk, le mec des El Dorados, passe en bagnole et me klaxonne. Il me dit qu’un mec me cherche partout.

— Pour te descendre ?

— Mais non, pomme de terre, pour chanter. Perk me refile le numéro de téléphone du mec. Il s’appelle Paulus, un collectionneur. Il possédait tout ce que j’avais fait sur Fortune Records et me considérait comme un génie.

— Un de plus...

— J’ai pas dit que j’étais un génie, Berry, c’est Paulus qui dit ça. J’ai toujours fait mon boulot, sans rien demander de spécial. Bon, le mec me demande si j’ai des chansons. J’ai toujours eu des chansons, depuis le début, tu sais, la danse et puis le gimmick. Ou si tu préfères, le vieux beat africain et une bonne histoire. Paulus me met en cheville avec un mec de New York, un blanc-bec nommé Billy Miller, un amateur d’Esquerita et de Bobby Fuller, je ne sais pas si tu vois le genre ! On fait un album qui s’appelle Greasy. Billy Miller fait venir un vieux guitariste anglais, un nommé Dick Taylor, une sacrée pointure, un mec assez connu en Angleterre. Tout est parti de là. J’avais tous les petits rockers de Detroit à mes pieds. Ils se bousculaient au portillon. Tous des mecs bien, qui me respectaient et qui me considéraient comme un dieu, je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire, Berry, heee hee hee hee. J’ai fait des albums terribles avec Larry Hardy, le boss d’un petit label californien qui me demandait d’écrire des chansons salaces, comme celles de 57. C’est le genre de choses qu’il ne faut pas me demander deux fois. Et puis je vais te dire encore un truc. Ces blancs avaient tout pigé, au niveau du son. Ils voulaient le son brut qu’on avait avant que tu ne te ramènes avec tes violons et tes arrangements sophistiqués. Tu as voulu plaire aux blancs et tu as avachi la musique noire. Vers la fin, les disques Tamla que j’entendais à la radio n’avaient plus de sens. Comme si les Velvelettes, Gladys Knight et Martha Reeves n’avaient jamais existé. Par contre, Larry et Billy reviennent aux sources et tapent en plein dans le mille. C’est une chose qui ne t’a jamais traversé l’esprit.

— Dédé, tu ne comprends pas bien. Quand tu diriges une maison de disques, tu ne dois te préoccuper que d’une seule chose : toucher le public le plus large. C’est une condition de survie. Je suis sûr que les mecs dont tu parles rament comme des galériens pour survivre, parce que je n’ai jamais entendu parler ni d’eux ni de tes disques.

— De toute manière, ils ne t’intéresseraient pas, parce que tu ne comprends rien à ce que je t’explique. Je ne te parle pas de chiffre d’affaires, je te parle de gens qui croient en ce qu’ils font. C’est toute la différence. Tu ne te rends même pas compte qu’on discutait déjà de tout ça à l’époque où je travaillais pour toi. Je ne sais pas si c’est ta vision des choses ou la mienne qui est étriquée, mais j’ai ma petite idée là-dessus, Berry, hee hee hee hee. Tu me fais penser à une grosse saucisse qui aurait un billet de cent dollars à la place du cerveau.

— Et toi à un crocodile qui se fait enculer par un zébu. Tu es plus têtu qu’une mule de l’Alabama.

— Justement, j’ai fait un disque de country avec des Canadiens qui s’appellent les Sadies. Tu n’as probablement jamais entendu parler de ces mecs-là. Dommage pour toi. Le disque s’appelle Red Dirt. J’y parle de mes vieux souvenirs, quand je travaillais dans les champs et que j’entendais Hank Williams, Waylon Jennings, Patsy Cline et Hank Snow dans la radio du camion qui nous ramenait à la maison. J’étais gosse et depuis, j’ai toujours gardé ces gens-là dans mon cœur. Sur ce disque, les frères Good ont fait un bon boulot. J’y chante une vieille chanson de Ray Charles, «Busted» et ils m’accompagnent à la mandoline. J’y reprends aussi des trucs que tu ne connais pas, des merveilles country des Bottle Rockets, de Harlan Howard, d’Eddy Arnold, de Lefty Frizzell, et une chanson de Johnny Paycheck que j’adore, «Pardon Me, I’ve Got Someone To Kill», hee hee hee hee.

— Tu me parles en chinois, Dédé.

— Oh je sais bien. J’en profite pour t’embêter un peu et te plonger le museau dans ton ignorance. C’est pas en comptant et en recomptant tes dollars que tu vas évoluer.

— T’as besoin d’argent ?

— Non, j’ai tout ce qu’il me faut. J’ai même une poule... Une poule superbe, une Jamaïcaine de la tribu Naftali. Tiens regarde... Andre ouvre sa braguette et sort sa queue. Berry s’écrie :

— Tu t’es fait circoncir ?

— Pas mal, hein ? Je t’en mettrais bien un coup, j’ai encore jamais baisé un cochon...

Berry sort une lame à cran d’arrêt.

— Je vais te la couper et te la fourrer dans la bouche, comme ça tu ressembleras à un éléphant !

Le patron du bar intervient. Il fait signe à Berry de ranger sa lame et à Andre de ranger sa queue. Il en profite pour annoncer la fermeture :

— Finish ! Close ! Understandingue ?

Berry et Andre se retrouvent sur le trottoir. Ils se donnent un longue accolade. Puis ils se séparent. Ils partent dans deux directions opposées, comme ils l’ont fait toute leur vie. Andre Williams descend la rue en titubant. Il ne se souvient plus à quel carrefour il doit tourner pour retrouver son hôtel. Il croise des Johnny casquettes qui se moquent de lui et qui le traitent de vieille tapette. Andre ne comprend pas le Français. Il lève son chapeau d’Al Capone pour les saluer et poursuit sa route dans les ténèbres.

Signé : Cazengler, André vile âme

Andre Williams. Disparu le 16 mars 2019

 

L’archi raw d’Archie Lee

 

Ce n’est pas la première fois qu’une légende vivante se retrouve prise en sandwich entre deux attractions : on se souvient d’un Jerry Lee coincé entre Linda Gail et Chickah Chuck à la Villette. C’est au tour d’Archie Lee Hooker de se retrouver pris entre deux belles tranches, Bâton Bleu, trio tripoteur de trips trigonométriques, et Bernard Allison, vaillant perpétuateur d’un big old Chicago blues qui n’en finit plus de ne pas vouloir mourir. Si nous avons traversé une petite partie de la Normandie, ce n’est pas pour entendre le blah blah blues du grand Bernard Allison, mais pour entendre le raw blues du petit Archie Lee Hooker, tel qu’on peut le retrouver sur l’excellent Vance Mississippi enregistré en duo avec Jake Calypso, un album dont il faudrait pouvoir chanter les louages par dessus les toits, tellement il est réussi.

Dès le morceau titre, Jake et Archie Lee atomisent le boogie blues. Archie Lee prend le relais de Jake d’une voix d’outre tombe. Ils mènent ça au dialogue à l’ancienne. Infernal ! Fabuleuse ambiance ! On croit même entendre des canards dans le studio. Ils tapent le boogie à l’hypno. C’est l’endroit exact où le blues et le rockab se rejoignent, un endroit que connaît bien Charlie Feathers, puisqu’il vient de là, de Obie Patterson. Même chose avec «Juke House Man». Grosse présence du vieux, comme sur scène, puissance de l’immédiateté. Ça explose dans la seconde. Jake tape ensuite «Louise Blues» à la trade. Il ne réinvente pas le fil à couper le beurre, mais il impose sacrément bien le respect. Aussitôt après le vieux refout le feu à la cabane avec «Blues Inside Me», tapé au vieux beat sauvage. C’est même très sauvage et doté du vrai son, et battu derrière avec toute la rage du raw. Le vieux n’en finit plus de hanter «Blues Inside Me» et ramène toute la tension qu’on peut attendre d’un blues à vocation primitiviste. Ils jouent ça sous le boisseau, le cut se veut bien vénéneux, entêtant et comme fatal. C’est une pure énormité de fin de face, l’apanage du big raw, le garant d’une qualité de bone. Tiens puisqu’on parle de bone, on en trouve en B dans «Blues In My Bones», un heavy blues machiavélique, bien situé dans l’esprit de tonton Hooky - I was born with the blues in my bones - Il fait résonner tous ses B de manière sidérante. Jake se tape la part du lion avec «Hey Barber Barber», qu’il chante au yodell sur un rythme effréné. Voilà un boogie cajun obstiné et soûlé d’harmo. Grosse, très grosse ambiance ! Jake revient faire sensation avec «Rain Rain Rain», heavy sludge joué à la syncope de fife & drums d’Otha Turner. Décidément, l’ami Jake ne connaît que les coups de Jarnac du Mississippi. Il chante en plus au guttural des sous-bois. Ils finissent dans la pétaudière avec «My Shoes», gros shoot de boogie diabolo, extraordinaire débauche de raw. Avec ceux de Cedric Burnside et de Gary Clark J., cet album représente en gros tout ce qu’il faut attendre du blues moderne.

On pourrait croire que c’est du tout cuit pour Archie Lee, puisqu’il est le neveu d’Hooky. Un nom pareil, ça ouvre évidemment des portes. Mais ensuite, il faut assurer. Et quand on voit arriver ce petit bonhomme sur scène, l’évidence frappe tout de suite : ce pépère black de soixante-dix balais est une super star ! Il bouge, danse, chante, rigole et travaille son set avec une classe effarante, il donne des ailes au Hook, swingue des hanches comme Sammy Davis Jr, il marche comme à la parade de la Nouvelle Orleans, il donne de l’air à ses solistes blancs et s’amuse de les voir jouer comme des cracks pour lui faire plaisir. Il flotte dans son immense costume rayé et shoote son r’n’b les bras en croix, il recrée l’atmosphère d’un bastringue des bas-fonds, il ne connaît ni la fatigue ni les lois de la physique, il semble se régénérer au fil des cuts, il puise dans son insondable réserve d’Africanité et nous donne du spectacle, c’est complètement hors du commun. Si John Lee Hooker savait hanter une scène en restant assis avec sa guitare et en tapant le beat du pied, Archie Lee Hooker la hante différemment, mais le résultat est le même. C’est un spectacle très haut de gamme, construit sur un savant mélange de r’n’b et de blues, mais qui échappe en même temps à tous les formats. La grande force d’un tel artiste est de savoir se singulariser. On pense bien sûr à des géants comme Taj Mahal, Bobby Bland ou encore Terry Callier qui ont su exister par eux-mêmes et créer un style qui leur soit propre et qui reste inimitable. Archie Lee Hooker entre dans le cercle des géants de cette terre. Curieusement, il ne joue aucun des cuts de Vance Mississippi. Tous les cuts du set proviennent du deuxième album, enregistré avec The Coast To Coast Blues Band, un fier quarteron de blancs becs du Luxembourg. On regrette que le backing band ne soit pas black comme celui de Bernard Allison, mais les Coast To Coast s’en sortent avec les honneurs, il est important de le préciser. Le guitariste Fred Barreto est particulièrement brillant. Il affiche le look d’un mec qui sort des bois de l’Arkansas, tignasse, barbe, poux et denim. On le sent pétri de culture blues, en tous les cas son style ne laisse pas indifférent. S’il fallait le situer stylistiquement, on pourrait citer le nom de Jimmy Page, celui de l’early Led Zep.

Après un instro d’intro déroutant (on se demande qui est ce groupe de blancs qui ne se présente pas), Fred Barreto annonce Archie Lee Hooker qui rentre de plein fouet dans la rondelle des annales avec «Big Ass Fun», et là, on peut dire que les colonnes du temple dansent le twist. Il n’y a qu’un blakos qui puisse casser la baraque comme ça, dans l’immédiateté d’un début de set. Ça se transforme tout de suite en pétaudière, comme chez Elmo Williams & Hezekiah Early, ça sent bon la cabane branlante et les planches qui grincent. Juste avant que la Traverse ne bascule dans l’orgie d’un sabbat, ce petit diable noir calme le jeu en s’asseyant avec une guitare pour rendre hommage à son cher Tennessee et gratter un blues bien rootsy. Mais dès qu’il se redresse, c’est pour relancer sa machine infernale. Avec «I’ve Got Reason», il fout la Traverse par terre. Il fait partie de la race des inextinguibles. S’il revient en rappel, c’est en vainqueur, tel un roi africain chaussé de santiags ferrées, avec un «Boom Boom» à tomber, il nous shoote tous right down, right off our feet ! Ah si son oncle pouvait voir ça ! Quel carnage de beat ! C’est la version la plus explosive qu’on ait entendue ici bas. Avec un shoot de Boom Boom pareil, il n’a plus besoin d’en rajouter.

L’album dont le vieux fait la promo avec sa tournée s’appelle Chilling. C’est un album luxembourgeois. Au dos de la pochette, on lit les soutiens et on voit les logos. Le son est très différent de Vance Mississippi. Le producteur a opté pour un son plus lisse et plus technique, alors forcément on perd tout le charme du raw de Vance. Le cut qui sort du lot s’appelle «90 Days» car le vieux le chante d’une voix sourde sur fond de slap. Mais c’est du slap luxembourgeois. Rien de sauvage là-dedans. Les Coast To Coast travaillent la touffeur du son et le vieux renoue avec les vieilles recettes de Tonton Hooky, dans sa façon de tartiner une syllabe en l’écrasant légèrement. Fred Barreto en profite pour prendre un solo claironnant, le mec est un bon, il sait gratter à la revoyure. On est dans une forme de sécurité affective du blues. Les deux solos d’acou sont des merveilles de limpidité crue. Archie Lee tape son «Big Ass Fun» dans la grande tradition du bloogie blast à la Hooky. Il observe les règles de l’art suprême, le vieux sait mener une troupe. C’est d’ailleurs avec ce «Big Ass Fun» qu’il démarre son set. On est dans l’excellence d’un son bien soutenu à l’orgue. Backing irréprochable, mais tout de même moins spectaculaire que sur Vance. Dommage que la prod soit si lisse. Le morceau titre sonnerait presque comme le hit d’un mec à la mode, tellement ça frôle la petite pop FM. Il faut attendre «Blue Shoes» pour trouver du rampant. Le vieux tente de battre son oncle sur le terrain fantômal, mais il est trahi par cette orchestration trop lisse. Fred Barreto en profite pour faire son plantureux en jouant le plus jouissif des solos. C’est encore avec le r’n’b d’«I’ve Got Reasons» que le vieux s’en sort le mieux. Il shake son raw avec conscience et pénétration. Il devient une sorte d’alambic à deux pattes. Mais c’est avec la Soul qu’il est le meilleur. Quand il chante «Your Eyes», il envoûte. Il chante d’une voix de mineur cancéreux, avec une grande retenue. C’est très chaleureux. On tient là le hit du disk, un balladif Soul incomparable. Puis il profite de «Bright Lights Big City» pour rendre un bel hommage à Memphis Tennessee. Il nous swingue ça sous un boisseau en caoutchouc.

Signé : Cazengler, Hookar (de côte du Rhône)

Archie Lee Hooker. La Traverse (76). 7 mars 2019

Jake Calypso & Archie Lee Hooker. Vance Mississippi. Chicken Records 2016

Archie Lee Hooker & The Coast To Coast Blues Band. Chilling. Dixie Frog 2018

 

Handsome Jack of all trades

 

Lorsque les trois hippies américains de Handsome Jack arrivent sur scène, personne ne les ovationne. Qui irait miser sur un trio qui semble sortir d’un collège de banlieue des années soixante-dix ? Pas de look, pas de rien, on sent même chez eux une modestie qui complique encore l’ambiance. Ou plutôt une sorte de réserve finement teintée de timidité. Ils font autant d’effet qu’un pétard mouillé. Le chanteur guitariste au fond à droite ressemble à s’y méprendre au grand Duduche. Il installe sa haute silhouette décharnée derrière un pied de micro et met le volume sur une vieille guitare de Mathusalem, celle qu’on voit sur la pochette de Hound Dog Taylor & The House Rockers, cette espèce de Jaguar ornée d’une rangée de touches de réglage qui ressemblent à celles d’un accordéon. Il porte des fringues circonstanciées, c’est-à-dire une chemise et un pantalon de couleurs indéfinissable. Il semble se foutre du look comme de l’an quarante. Le bassiste soigne lui aussi un non-look parfait. Avec sa crinière noire et sa chemise ouverte sur un poitrail avantageux, il correspondrait plus à l’idée qu’on se fait du dragueur de surboum. Il joue lui aussi sur une basse échappant à toutes les normes, un peu pailletée et certainement vintage, comme on dit dans les milieux bien informés. Quant au batteur, c’est encore autre chose ; avec sa moustache en crocs et son bandana noué sur le front, il semble sortir d’une mauvaise plaisanterie métal. Tout bien pesé, ce trio pourrait ressembler à un gag de type Spinal Tap, sauf que ça prend une tournure intéressante dès qu’ils se mettent à jouer. Eh oui, l’habit ne fait pas le moine, et dans le cas d’Handsome Jack, c’est assez flagrant. Ils réveillent la salle en fanfare, avec un son extrêmement dense et très seventies qu’on pourrait situer du côté de Creedence, avec peut-être encore plus de Soul dans le groove. Ce qui pouvait passer pour de la réserve ou de la maladresse n’est qu’en fait une immense désinvolture. Ces trois Américains jouent leur rock de Soul avec une évidente délectation et installent dans la salle une fantastique ambiance de good time music. Le grand Duduche s’appelle Jamison Passuite, il oscille d’un pied sur l’autre quand il part en solo, il chante avec une merveilleuse aisance et ne regarde jamais son manche. De cut en cut, ce mec se révèle même extrêmement doué, complètement immergé dans un son qui ne fait pas de vague, mais qui ne peut que flatter l’intellect des connaisseurs, on est à Muscle Shoals, du temps où Duane Allman jammait avec les Swampers, voilà le son qu’il ressuscite, c’est une merveille, et sa section rythmique amène tout le groove nécessaire à l’élévation combinatoire. Ces mecs réussissent l’exploit d’actualiser un son qu’on pensait figé dans le temps, comme s’ils redonnaient vie à une momie égyptienne et diable comme ils sonnent bien et comme ils sonnent juste !

Le fait que leurs deux albums soient sortis sur Alive n’est pas un hasard, Balthazar. On sait Patrick Boissel friand de ce son et grand protecteur des gardiens du temple. C’est sur Alive qu’on trouve les Buffalo Killers, les Dirty Streets, John The Conqueror, Lee Brain III, Radio Moscow, tous ces groupes affiliés au son des Seventies et quasiment interchangeables, tant par le talent que par la niaque. Le premier album de Handsome Jack date de 2014 et sa pochette est un vrai tue l’amour. On dirait qu’ils font tout pour que Do What Comes Naturally ressemble à ces vieux disques des seventies que plus personne n’écoute. Les couleurs lavasse renvoient automatiquement au premier album de ZZ Top. On est dans ce type d’esthétique un peu désuète. On les voit tous les quatre photographiés devant une vieille grange branlante et Jamison Passuite pose au premier plan, le regard rivé sur l’horizon. On ne trouvera pas de hits sur cet album, rien que chansons admirablement ficelées. Dès «Echoes», Jamison Passuite joue son groove de swamp à la perfection - Don’t shake my arm ! - Puis on assiste dans «Creepin’» à un fabuleux déhanchement du beat. Ces mecs serrent l’encolure du rock et ne jurent que par le festin de son. L’ambiance pourrait rappeler celle d’Exile On Main Street, tellement c’est riche de son. Mais pas riche comme un riche au sens où on l’entend aujourd’hui, riche comme Crésus, ce qui n’est pas la même chose. Ils visent clairement le rock d’influence black, le rock de Soul tel qu’on le trouve chez Arthur Alexander, ils ont une passion pour le feeling qui les honore et chaque fois Jamison Passuite vient fondre son solo dans l’espace du cut avec un brio qui en dit long sur ses convictions politiques. Ce mec ramène dans son disk toute la fastueuse musicalité du Southern rock, il domine bien son rayon et dégage beaucoup de chaleur humaine. On sent le dépenaillé du grand Duduche et le faste de Milord l’Arsouille dans chacun des cut. L’A s’écoule comme dans un rêve. Cet album vaut pour un classique, mais aucun titre ne va prévaloir. Il faut l’accepter dans sa globalité. C’est un album de globo. En B, Jamison Passuite tire son «Right On» au cordeau du meilleur ride on et tape dans le slow boogie blues pour un éminent «Dry Spell». C’est encore une fois admirablement ficelé, bien vivace et foutrement inspiré. Ça correspond exactement à ce qu’on a vu sur scène. Avec «Ropes & Chains», ils passent au heavy gloom de globo. Jamison sort ses vieux riffs de juke et chante comme un délinquant du Minnesota - Hey hey that’s alright - Et il n’en finit plus de nous sonner merveilleusement les cloches - Ain’t nothing wrong/ Hey that’s alright - S’ensuit un «You & Me» ultra joué au touillé de junk blues de rock. Ça reste du big Handsome rock, vaillamment chanté et enfariné au meilleur son de Southern swagger.

Par contre, leur deuxième album Everything’s Gonna Be Alright grouille de hits. Ça frétille sous la futaie. On note dès «Keep On» une nette influence de Creedence, celui de «Keep On Chooglin’», avec ses arpèges cristallins dans le background, juste derrière les fagots. C’est du pur jus d’American Sound, chargé d’urbi et d’orba. Jamison Passuite n’en finit pas de jouer avec une déconcertante nonchalance, se balançant d’un pied sur l’autre comme une grande godiche pas bien à l’aise dans son corps. À la fin du cut, le seul commentaire un peu didactique qu’on puisse formuler, c’est : Wow ! Et ça ne fait que commencer. Comme lors du set sur scène : ils allumaient la gueule des annales dès le premier cut. Avec «Getting Stronger», ils sonnent véritablement comme ZZ Top, et il faut entendre ça comme un compliment. Ils excellent dans le funk de boogie - I’ll drive my evil spirits all away/ Each and every day - C’est excellent ! On se repaît aussi de «Bad Blood» et de la diction superbe de Jamison Passuite - We got bad blood/ It’s burning us/ Down/ We’re stuck/ In the mud/ Living in/ This/ Town - Il faut voir comme il martèle sa matière. Il descend dans l’essence d’un son qui palpite aux effluves d’ersatz. Et puis il y a ce «Baby Be Cool» véritable slab de good time music - Bring it home baby now/ But baby be cool - qu’il enchaîne avec le heavy riffing de «Holding Out». Quoiqu’il fasse, ce mec est bon. Il dispose de toute la stature inspiratoire et de toute l’inclusion glottinale dont on puisse rêver, il colle à tous les terrains du groove - There’s a shadow in the place/ In the back of my mind - C’est lui qui compose tout. On retrouve cette densité compositale extraordinaire de bout en bout. Encore une chef-d’œuvre de good time music en B avec «Why Do I Love You The Way I Do». Il nous sort là une petite merveille, on pense immédiatement à Arthur Alexander et à son album sur Elektra avec Ben Vaungh, c’est la même ambiance, cuivrée au passage du pont, une vraie bénédiction. Avec le morceau titre, Jamison Passuite adresse un beau clin d’œil au vieux Everything - I don’t owe nobody nothing babe/ It’s got me feeling brand new - En plus, les textes sont exemplaires. Retour à Creedence avec «Hey Mama»», Jamison Passuite y ramène tout le shout de Fogerty. Puis on se retrouve à Muscle Shoals avec un «Do You Dig It» qui se situe très exactement à la croisée d’Eddie Hinton et des Dixie Flyers, en plein Deep Southern rock. Jamison Passuite va chercher le meilleur rauch du coin, le fumet du buisson ardent, c’est convaincu d’avance, ce mec chante comme un dieu, il n’a pas fini de nous sonner les cloches à la volée. Ce mec devrait s’appeler Johnny Trente-six chandelles.

Signé : Cazengler, Handsome jaquette

Handsome Jack. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 20 février 2019

Handsome Jack. Do What Comes Naturally. Alive Records 2014

Handsome Jack. Everything’s Gonna Be Alright. Alive Records 2018

11 / 03 / 2019PARIS

SUPERSONIC

SOVOX / BEACH BUGS

MOZES AND THE FIRSTBORN

 

Z'avons le ventre vide, mais nous ne nous inquiétons pas, tout à l'heure nous aurons les oreilles pleines. Z'allons au Supersonic, l'on aime son mur de fond de scène, en briques roses qui me rappellent les murailles de soutènement des jardins suspendus de Babylone. Que j'ai bien connus. En une vie antérieure. Mais je vous raconterai une autre fois, ce soir c'est rock'n'roll.

SOVOX

Sont deux. Sont jeunes. Viennent de Marseille, cité frondeuse. L'un joue des rythmes et l'autre de la sonorité de guitare. L'ensemble est explosif. Vicenzo petit chapeau et gros kit. Debout devant ses machines à boum-boum. Chante aussi. Au début l'on pense que cet attache-micro ombilical va l'handicaper dans ses mouvements. Il n'en est rien. Quand il frappe, il se retranche en son action. Si au début il s'est contenté pour les trois premiers morceaux de rythmes relativement binaires, adoptant pour le premier le mouvement chaloupé des adeptes de la marche nordique, il s'adonnera par la suite à des jeux beaucoup plus complexes. Un peu comme ces profs de math qui vous servent tout le long de leur cours des formules de plus en plus incompréhensibles à part qu'avec Vicenzo la cavalcade vous rentre par la tête avec une facilité déconcertante. Charles est à ses côtés. Fait semblant de jouer de la guitare. En salle de classe il endosserait le rôle du grand dadais à lunettes, le lunatique par excellence perdu dans ses rêveries, vous pourriez croire que les tonitruances de son camarade ne le concernent pas. Le gars qui s'est retrouvé sur scène par hasard, alors pour se donner une contenance il a saisi une guitare qui traînait par là et il fait semblant de s'en servir. Oui mais un consciencieux, un obstiné, cherche la marche à suivre, il suppute, il essaie, il tente, et il trouve. Des trucs extraordinaires. Des cisaillements et des clinquances peu communes. Genre crash de deux voitures lancées à deux cents kilomètres heures qui se rentrent dedans rien que pour le plaisir d'émettre un beau bruit, une catastrophe qui vous arrache les oreilles plus sûrement qu'un sabre de cosaque, après quoi il fait le mec innocent, hien, quoi, comment, que se passe-t-il, je n'ai rien vu, je ne sais pas de quoi vous parlez, l'innocence persécutée par l'injustice, tout juste si vous ne demanderiez pas au tribunal international de l'ONU de se pencher sur son cas, à peine avez-vous tourné le dos que vlang ! Ce coup-ci ce sont deux gros porteurs qui se télescopent en plein ciel et vous assistez en direct à l'écrasement des deux appareils sur le flanc rocailleux d'un massif montagneux. Ce mec-là question guitare il s'est spécialisé en réalisateur de films catastrophes, ne tourne que les scènes choc, pas chics du tout. Une espèce de ferrailleur de génie. Le plus terrible c'est qu'il se prend à son propre jeu, pour les trois premiers morceaux l'a assuré l'a fait le job sans chichi. Sérieusement. Pas les doigts sur la couture du pantalon mais presque. Mais après s'est laissé gagné par la fièvre daimônique, l'artiste emporté par l'éruption créatrice. Le son c'est bien, avec l'image c'est mieux. Alors pour chaque déglingue l'a une espèce de danse sacrée, celle de l'ibis rose qui tournoie brutalement sur lui-même sur une patte juste pour que vous en voyez de toutes les couleurs, ou alors celle du piétinement hargneux du taureau juste avant la charge, ou celle de l'araignée noire qui bondit sur le moucheron égaré dans sa toile. Un zoo sauvage a lui tout seul. Mais pourquoi le filles de l'assistance publique se désintéressent-elles subitement de ce bestiaire apollinarien, c'est que Charles s'est débarrassé de son T-shirt, petit mais musclé, et elles suivent des yeux cette ligne pileuse, pointillés noirs calligraphiés sur la blancheur du torse, comme esquissés par un maître de l'estampe japonaise, qui descend sous le nombril vers des profondeurs suggestivement cachées, nous n'osons écrire hautement convoitées. Et là, Charles emballe sec. Se lance dans la résolution d'équations rythmiques du dix-septième degré. Des répartitions algébriques qu'aujourd'hui dans leurs laboratoires les mathématiciens laissent aux ordinateurs le soin de résoudre, pas Charles, vous déroule les entrailles de l'inconnu sur le tableau blanc de ses peaux de tambours avec la méticulosité de Tante Agathe surveillant ses pots de géraniums sur son balcon. En plus il ne calcule rien, agit d'instinct, trouve dans l'instant même qu'il cherche, donne la réponse en posant la question, et vous suivez ses démonstrations fascinés, ses bras sont comme les cent têtes de l'hydre qui tournoient sans fin pour mieux choisir l'instant crucial où toute ensemble elles vont se jeter d'un même mouvement sur votre pauvre personne. Un malheur ne vient jamais seul. Vicenzo vient, il accourt illico, vous catapulte une giclée métaliffère de tôles ondulantes qui vous découpent en tranches de gigots saignantes. On ne les retient plus, ont décidé de vous azimuter, de vous mater le matin, de vous muter le soir, de vous miter l'existence jusqu'à plus soif. Et l'on aime ce traitement inhumain. A chaque morceau sont applaudis comme un couple de gladiateurs qui vient d'occire ses rivaux et du coup, ils se surpassent sur le titre suivant. Sont portés par le public enthousiaste qui leur offre une ovation digne de leur prestation.

BEACH BUGS

Sont trois. Sont jeunes. Viennent de Limoge pays de paisibles pâturages. Feront moins de bruit que les précédents. Et que les suivants aussi, mais n'anticipons point. Sont le calme dans la tempête. Le répit dans la fureur. Thibaud, Ben et Lucas ne sont pas des foudres du ciel tempétueux. Sont des amateurs de pastorales. Une batterie pénarde qui musarde lentement, de temps en temps l'on appuie sur le temps fort, mais point trop, l'on n'est pas ici pour déclencher l'ire des Dieux. Ici l'on aime les situations idylliques. La petite maison dans la prairie, plus près des campanules et des angéliques que des tracas explosifs du quotidien. Qui dit beach, dit boys, et tout de suite tout s'éclaire. Retour en arrière. Deux guitaristes au look d'étudiant sage qui filent des notes tranquilles et vous harmoniseraient jusqu'aux grilles des prisons. Le rock du temps de l'innocence. Des vocaux à la Pet Sounds, à la Beatles – surtout pas du temps où ils jetaient l'âcreté de leur gourme sur les planches du Star Club à Hambourg – des chansons douces pour les soirées sur la plage autour du feu du bois. C'est mignon tout plein, c'est joli, un peu repos du guerrier qui n'a jamais fait la guerre. Ne se lancent pas dans de longues symphonies, sont adeptes des morceaux courts qui se suivent et se ressemblent. L'on guette le mouton noir du troupeau, mais non il n'y a pas d'erreurs génétiques de la nature, pas de monstre, que de blanches brebis innocentes. Et pas de loup cruel qui sort du bois au dernier instant pour nous faire le plaisir d'en égorger une soixantaine, pour rien, pour la joie de mal faire. Font du surf, mais par temps calme et sur petites vagues. Pas le genre à couler le Titanic ou le BismarCk. Les abordages sans quartier ni prisonniers à la Jolly Roger , ils ne connaissent pas, les mâts de leur navire ne sont pas de ceux qu'un vent penche sur les naufrages Perdus, sans mâts, sans mâts ni fertiles îlots des poèmes de Mallarmé.

Z'ont leur public et   ne se débrouillent pas trop mal. Quoique en vieux rocker je réflexionne en moi-même que ce qui les distingue de leurs aînés quels que soient les savants errements symphoniques auxquels ils se soient adonnés dans leur carrière, c'est que leurs illustres devanciers avaient quelque part au fond du creux de leurs oreilles le ressac lointain et houleux de ce damned old rock'n'roll qui avait enchanté leur adolescence. Un allant, une attaque, qui subsistait en arrière-fond de leur musique.

A chacun ses nostalgies fondatrices. Perso j'attends autre chose du rock'n'roll même si tout le monde a le droit de s'exprimer, quoique je préfère la fougue sanglante des conquêtes d'Alexandre au mortifère démocratisme marchandifère athénien. Quittent la scène sous les applaudissements, n'ont pas à rougir, ont consciencieusement joué la musique qu'ils aiment, ce qui est déjà en notre époque d'immense couardise généralisée, un signe de grand courage.

MOZES AND THE FIRSTBORN

Sont quatre. Sont jeunes. Viennent d'Eindhoven, pays de Spinoza. Vont mettre le feu et comme personne ne prendra la peine d'appeler les pompiers, je vous laisse supputer le ravage final. Rien qu'à la manière dont ils se sont installés – mi décontractée, mi-tatillonne – il ne faisait pas de doute que ces gaziers souriants prenaient garde à ce qu'aucun hasard inopportun et maléfique ne s'aventurerait à taper à la porte du set. Premier né mais pas nés de la dernière pluie. Commencent fort, ont réparti la distribution, le public sera l'armée des pharaons et eux tiendront le rôle des flots tsunamiques qui nous engloutiront lors du passage de la Mer Rouge. En un instant ces quatre garçons aux sourires sympathiques se métamorphosent, la batterie de Raven s'effondre sur vous, vous engloutit dans un ravin tumultueux en une dégringolade de tamponnades hallucinantes, Corto doit être gravement malade, vous lâche douze riffs apocalyptiques et subitement pris de démence frotte sa guitare sur l'ampli, à croire qu'il s'est inscrit au plus insupportable larsen du monde, apparemment Ernst est plus sage, joue de la basse sans chichi, mais si vous le suivez des yeux, nul doute qu'il pousse de ses lignes de basse déstabilisantes le Corto au-delà de ses limites, lui fait la Corto-échelle jusqu'aux portes de l'insanité riffique. Avec ses cheveux blonds et son sourire d'ange, Melle attend patiemment, le gars au visage de chérubin qui ne se mêle pas des vilains jeux des garnements, l'attend son heure, qui survient très vite, s'empare du micro, s'approche du bord de la scène, et sa voix creuse qui tombe creuse votre tombe. Entre deux lyrics il danse avec la mine réjouie du guy qui vient d'attacher le bâton de dynamite à la queue du chat, rien que pour le plaisir d'attirer l'attention des filles.

Voilà, ce n'était que le début. A la fin du troisième morceau Melle prend sa guitare – l'avait laissé négligemment traîné à terre durant l'intro - les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Z'ont adopté la technique des écrivains de thriller qui terminent systématiquement chacun de leurs chapitres par un rebondissement inouï qui vous pousse, même à quatre heures du matin, à poursuivre votre lecture pour savoir ce qui va se passer. Z'ont adapté la méthode, Mozes and The Firstborn vous en donne plus, eux c'est à chaque fin de ligne qu'ils vous balancent une bombe nucléaire, sur le coin du museau, vous êtes en apnée sonore, ce n'est pas grave, ce n'est pas une raison pour lâcher le morceau et ne pas les suivre jusqu'au fond de l'enfer. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'ils ne sont pas rock à cent pour cent, mettent pas mal de pop dans leur citronnelle à l'arsenic. Mais même avec les rasades de sucre qu'ils ajoutent l'effet reste foudroyant. Je vous désigne le coupable, Corto, l'a le riff composite, au début c'est suavement beau comme la courbe de la gorge dénudée d'une olympienne sculptée par Praxitèle, mais il le termine à la César en compactant une voiture en un terrifiant lingot de ferraille, love tatoué sur une main et hate sur l'autre, à la manière du pasteur psychopathe de La Nuit du Chasseur, une chimère musicale avec queue Beatles et gueule Rolling Stones, la beauté et la hideur, et au milieu du corps un mélange indescriptible, un alliage incertain mais terriblement efficace, de power-chords harmonieux et de hargne punk, pulvérisé en poudre à canon.

Dans la salle, c'est la chienlit et le lit du chien recouvert de puces tressautantes et pogotantes, un entremêlement de morpions parkinsonniens et de morpionnes surexitées, une couche royale pour Melle qui s'y jette et s'y vautre porté à bout de bras, mais rehaussé sans problème sur la scène comme un chef barbare batave hissé sur le grand pavois de son élection royale. Supersonic en mode supersonique. N'en ont pas fini pour autant. Continuent sur leur lancée victorieuse, les fûts de Raven, torse poil tribal, croassent comme jamais nulle autre batterie n'est parvenue à le faire, Ernst le gaucher au jeu de basse ultra-gauchiste, provocateur en chemise blanche impeccable, Corto instantanément inflammable, et Melle qui squashe son énergie en flammèches ardentes, soulèvent une tempête de protestation lorsqu'ils annoncent le dernier morceau. Sont un peu vidés, mais le public en effervescence réclame un rappel qu'ils termineront à bout de souffle, dans la Rome antique l'on aurait déversé une apothéose de pétales de roses pourpres pour leur sortie de scène, mais nous nous contenterons de leurs '' Merci Paris''. Preuve éclatante et indiscutable que, hormis le rock'n'roll, notre monde est mal fait.

Damie Chad.

 

16 / 03 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

FATIMA / TIGERLEECH

 

Gilets jaunes, Black Blocs, Paris en a vu de toutes les couleurs cette journée, n'y a que les amoureux de la Nature, sages comme des images de premières communions, qui ont oublié que la Grande Mère fonctionne selon une alternance de cycles germinatifs et destructifs. Bref après cette journée agitée une soirée réparatrice à la Comedia s'impose, parce que là tout n'est que calme, luxe et volupté, cette dernière absolument punktéozidale. Ce qui change la donne.

FATIMA

Bien plus intéressant qu'une hypothétique apparition de la Vierge. Eux sont-là, en chair et en os. A portée de main. Sont trois, mais offrent une musique monolithique. Du doom plus noir que la noirceur des temps. Du jais de corbeau, du jus de corbac, aussi noir que le gouffre des nuits originelles et terminales. Une ambiance, une mer de sargasses sonores qui vous englue les oreilles et vous retient prisonniers jusqu'à la fin du monde. Un raz-de-marée qui monte doucement tout en s'amplifiant violemment et l'on se demande comment ils peuvent parvenir sans faillir à cette apocalypse sonique. Batteur, basse, guitare. Leur secret est des plus simples, jouent ensemble tout en restant parfaitement identifiables en leurs menées individuelles. Une batterie infatigable, les baguettes ne s'attardant jamais, à la recherche perpétuelle de la quadrature des cercles des fûts et des cymbales, l'on ne voit que deux bras levés, telles des ailes de cormorans qui battent sans fin pour échapper à leur gangue mazoutée, l'est au four des roulements et au moulin du concassage. Des gestes de sorcier fou qui prophétise la grande menace à venir. Quant à lui, le bassiste s'est muré dans la tour d'ivoire noire de son immobilité. Transforme sa forme vitale en longues vibrations profondes comme des orgues, la basse est l'élément essentiel du doom, c'est elle qui édifie les bases de la langueur doomique infinie. De vastes vagues d'eau nigrées, toujours recommencées, qui s'en viennent agoniser selon de fracassantes douceurs mystérieuses sur les récifs de basalte des rivages inabordables. Un oiseau de proie qui referme ses serres sur votre âme qui voletait autour de vous et l'emporte vers des confins ignorés.

La guitare - étonnante à chaque début de morceau, des clapotements inédits, des ressacs à émietter les rochers, parfois agrémentés d'un vocal, qui très vite est comme oublié, et alors un long solo se fond tel un pont, jeté en travers la distance qui sépare la transe rythmique de la batterie et la pesanteur de la basse plus lourde que vos regrets à ne vivre qu'un semblant de vos rêves évanouis - agit à la manière de ces sels mystérieux dont le secret s'est perdu et qui dans les opérations alchimiques transformaient le vil plomb en or pur, mais ici aussi noir que l'immensité des voûtes nocturnes dont les étoiles qui brillent n'abolissent point la nuit abyssale.

Fatima suscite attention, admiration, et engouement. Le plus terrible c'est la vélocité orchestrale de cette lourdeur aussi pesante que les premiers accords de L'Or du Rhin de Wagner ( écoutez la version de Furtwangler qui vous fait durer plus que tout autre la sourde malédiction ), Fatima c'est la montre de votre vie devenue folle, les aiguilles tournent à toute vitesse et le décompte de vos heures claires et sombres défile si vite que vous pressentez qu'il ne vous restera plus grand chose, et vous restez fasciné, yeux et oreilles fixés sur cette horloge prophétique de votre néant. L'est une pierre lancée dans un puits sans fond qui accroîtrait sa densité minérale tout en accélérant la vélocité de sa chute.

Vous ont scotché l'assistance, forcé la contemplation, immobilisé les existences, du début à la fin du set. Et lorsqu'ils eurent fini, les remerciements émus et admiratifs fusèrent de tous côtés. Grosse impression.

TIGERLEECH

La sangsue du tigre, un peu la mousse verte qui s'attache sur les cadavres. Une espèce de stoner-doom aux multiples ingrédients – chacun recomposera sa formule - qui n'appartient qu'à eux. Ce qui est sûr, c'est que Tigerleech, dégage une énergie peu commune. Musique compacte, sans fioriture, qui allie l'obstination de la sangsue et la férocité du tigre. Sheby surgit d'on ne sait où, s'empare du pied du micro, le tient comme le galérien est accroché à sa rame, entame une étrange danse de saint-guy, toute voûtée, toute cassée, toute désarticulée, et commence à éructer. N'est pas seul, le reste du combo sauvage le suit comme son ombre. Désormais, ils ne formeront plus qu'un. Une entité. Maléfique, est-il besoin de le préciser. D'abord Gabor, grand gaillard en marcel noir à la basse, pas de tatoos pour renforcer la musculature de ses bras, un travailleur de force, l'est accroché à son instrument comme le matelot de quart à la barre. Choisit les routes au plus près des étocs par grands vents sauvages. L'est le responsable de ses volutes noires qui s'échappent du cône explosé des volcans, l'est la queue du tigre qui bat ses flancs en signe d'énergie accumulée juste avant l'attaque foudroyante, à la différence près que Gabor il attaque sans arrêt. Sans réfléchir, mais avec une science consommée des fulgurances infinies. Olivier est aux drums. La pièce essentielle de cette mécanique huilée à la fureur d'ours polaire. Grosse responsabilité, Tigerleech ignore la ligne droite, préfère l'avance par triangulations saccadées. Vous ne savez jamais où ils vont mais vous comprenez qu'il ont décidé d'y aller par le chemin le plus escarpé. Zadorent les z'angles z'aigües. En sont presque déconcertants, vous les imaginez par ici, pas de chance sont passés par là-bas. Mais progressent si rapidement qu'ils vous emportent avec eux, vous prennent sous le bras et vous vous laissez emmener les yeux bandés. Bien sûr qu'ils on un guitariste. Un chapeau sur la tête et pas manchot frigorifié sur la banquise. Au début s'est pas mal remué – ces gens-là n'ont manifestement pas eu la malchance d'avoir des mamans qui tout-petits leur intimaient l'ordre de se tenir tranquilles – mais bientôt s'est concentré sur ses doigts, et vu ce qu'il leur faisait faire, l'on en a déduit que dans sa tête devait y avoir un sacré remue-ménage de méninges survoltées – le genre de gars qui n'a pas de problèmes pour faire coïncider ses deux hémisphères, l'a épousé tous les soubresauts de la section rythmique, nous a donné des soli en forme d'épines de hérissons, sommets et dépressions scrupuleusement suivis du bout du médiator, le seul médicament qui vous fasse du bien.

Faut tout de même revenir à Sheby. Parce que voyez-vous dans la nuit tous les tigres sont ( avec ou sans supplément de sangsues ) gris. Alors ils ouvrent les yeux, pour vous avertir que vous êtes en danger. Rien de plus désagréable que d'être surpris par un ennemi invisible. C'est pour cela que Tigerleech a adopté la tactique Sheby. Frontman devant, pendant ce temps, derrière, à l'aise, peuvent casser tout ce qu'ils veulent – et ils ne s'en privent pas, de préférence les coffre-forts à la dynamite plutôt que les assiettes à soupe en scènes de ménage - Shegy le charismatique ne reste pas une seconde immobile, l'en arrive à entortiller le fil du micro autour du rappel comme s'il ligotait un malheureux explorateur au poteau de torture, l'on se demande comment et pourquoi en maternelle son institutrice a omis de le calmer définitivement avec le fusil de chasse de son mari chargé à chevrotines – quoi qu'il en soit nous devons désormais faire avec, et le diable me pardonne, il sait y faire. D'abord il ne chante pas. L'est plus malin que cela, l'a transformé sa voix puissante en quatrième instrument qui s'amalgame totalement à la lave brûlante servie par ses trois camarades, n'est pas le torero en habit de lumière qui joue des castagnettes devant les filles qui mouillent la culotte pendant que les picadors se chargent d'assommer la bête furieuse, l'est un warrior au même titre que les autres, tous ensemble, tous ensemble ils plongent leurs glaive dans le ventre du monstre, lui se permet la fantaisie de lécher la lame sanglante d'une langue experte et de nous communiquer oralement le résultat de son analyse viscérale.

Le gore-rock de Tigerleech a toutefois des effets indésirables que la vérité historique nous interdit de taire, au bout d'un certain temps d'exposition les filles se transforment en groupies hystériques et l'agitation gagne même les garçons qui se lancent dans une espèce de twist-punk d'un genre nouveau dont le bacille n'a pas été encore identifié. Les sangsues du tigre sont merveilleusement au point. Tous exacts au rende-vous de la prochaine dissociation rythmique, et tous unis pour aborder les ponts de lianes aux planches vermoulues avec en bas les crocodiles qui attendent la gueule ouverte. Une merveilleuse chasse-à-coure, qui ravira les amis des bêtes puisque c'est le tigre qui poursuit les chasseurs. Super film d'actions aux multiples rebondissements, mais dont vous préférez la bande-son. Un set classieux et brutal. Certains prétendent que c'est juste du rock'n'roll. Ca tombe bien, on aime ça.

Damie Chad.

 

J'ai fait un peu de rangement et je suis tombé sur, en fait c'est la pile de CD qui est tombée toute seule, l'a dégringolé sans rien me demander, cela m'a semblé bizarre, je n'ai pas mis longtemps à identifier les coupables, un groupe de rondelles espagnoles à pochettes noires. Je l'aurais parié, rien de pire que les anarchistes pour mettre le désordre. Employons les mots qui fâchent, pour foutre le bordel. Des bibelots-molotov que j'avais rapportés d'un séjour dans les quartiers chauds de Barcelone.

Nécessité de Lutter, rien que le nom du groupe est déjà un programme à lui tout seul. C'est aussi le titre de leur premier album, le deuxième emprunte à la même poésie La Guerra Social es Inevitable, le troisième est du même tonneau : Adictos a la Revuelta, nos jeunes gens ont décidément de la suite dans les idées ( noires ). Le dernier publié en 2010 a été précédé de huit titres sur un album nommé Split sur lequel le groupe Inugami en a déposé quinze. L'existe aussi deux compilations. D'après leur FB en déshérence on peut en déduire que la combo a cessé ses activités en 2017... Raison de plus pour les écouter. D'autant plus qu'ils nous préviennent au dos de la pochette : La Anarquia Es Inevitable. Autant savoir à quelle sauce nous allons être mangés.

 

EL COLAPSO ES INMINENTE

NECESIDAD DE LUCHAR

( Auto-production / 2010 )

Fanny : basse / Nacho : vocal: / Richy : guitare / Jorge : batterie.

Intro : l'on s'attendrait à une tempête, mais non juste une vaguelette qui se déploie doucettement, survient bientôt une belle musique qui prend de l'ampleur sans être alarmante, un lever de rideau qui s'éparpille en gouttelettes et qui finit par s'éteindre brusquement, comme si le souvenir des jours paisibles n'était plus d'actualité. El colapso es inminente : alors que je m'apprêtais à chroniquer le disque, une émission radio en direct du Salon du Livre évoque le collapsus que tout le monde redoute. L'est plus souvent défini en tant qu'effondrement de la civilisation planétaire. Entrée de guitares grondantes et batterie catasplasmée, mais tout de suite le texte prend le dessus, l'est crié à la manière de slogans avec entonnements répétitifs en guise de refrains et appuis de voix en chœur. Le rythme s'accélère mais les paroles restent distinctes, s'agit d'un punk propagandiste qui se termine sur un hurlement de douleur. Autos de fe : sur un rythme beaucoup plus rapide, vocal toujours prépondérant. L'on change quelque peu de sujet. Le juron final Me Cago En Dios vous en indique la teneur. L'Espagne porte une lourde hérédité inquisitoriale question religion. Maintenant comme avant, vous finirez en croix sur la place publique. Méfiez-vous, les murs ont des oreilles, ne vous découvrez pas, vous ferez partie des victimes. Chiez sur tous les Dieux qui se présentent. Ils vous abandonneront à la première escarmouche. Mis suenos : des rêves qui ne sont pas innocents, ceux d'une révolution nécessaire, sans rage et confrontation vos doux désirs d'espoir et d'amour resteront lettres mortes. Transformez votre apathie et votre découragement en lutte révolutionnaire. Le rythme est un tantinet plus lent mais le vocal s'attarde sur les mots, ceci en début de morceau car bientôt la batterie impose un rythme soutenu, la guitare brûle ( comme une banque sur les Champs-Elysées ), intonation vocale et background se font lyriques. Al encuentro : longue intro de guitare bourdonnante – la musique reprend ses droits – la batterie danse le scalp et la voix vocifère. Malgré tous les obstacles, il est nécessaire de forcer le passage – rythme quasi militaire – et la décision de poursuivre jusqu'au bout, l'action sera au début du monde nouveau. Mas alla del horizonte : vent violent, guitare fuzzante, batterie hachante, critique des masses – les anarchistes sont aux antipodes des théories maoïstes – plus loin que l'horizon, s'agit de dépasser l'inertie des multitudes d'esclaves qui aspirent aux poignes des chefs et des maîtres. Bréviaire de l'anarchisme individualiste. Hoy es el dia : l'autre face de l'anarchisme stirnérien, la libre association des groupes de combat affinitaires. Sur le livret le texte du morceau est illustré par le logo du groupe, l'A cerclé – l'arobase anarchiste – entrecroisé avec deux poignards. Mots et sigle sans équivoque. Accompagnement musical violent de la même teneur que les lyrics. Rios contaminados : apocalypse pollutive, l'écologie de NDL est aussi noire et désespérée que leur drapeau. Ne sont pas de doux rêveurs, guitares et musiques vous racontent votre prochain futur. Votre mort est certaine. Mers de plastiques, rivières empoisonnées, et pluies acides auront raison de vous définitivement. La guitare fonce vers cet avenir comme un bolide qui a envie de s'écraser contre un mur de granit. Vous êtes sûrs qu'il n'y aura pas de survivants. Apparencia : ne croyez en rien, votre univers n'est que du toc, suivez votre propre chemin, soumettez toute production intellectuelle à la critique, même la vôtre, car le collectif dépasse l'individuel. Il n'y a qu'une règle qui doit dicter votre conduite : la mesure de l'écart qui existe entre votre idée et vos actes. Que ceux-ci soient en conformité. Derrière la voix le combo s'enflamme, les rythmes perdent leur simplicité comminatoire, l'on ne verse pas non plus dans les subtilités du prog, mais les instrus explorent leurs possibilités. El aullido del lobo : l'homme est un loup pour l'homme, alors hurle à la lune comme le loup esseulé, les tiens se sont emparés de la tanière familiale et mondiale, la défendent en se prévalant du droit de propriété. Alors cours à l'attaque. Laisse la propriété, reprends ton droit. La voix prend des accentuations de mégaphone, une guitare flambe dans le soleil rouge du matin, Fanny hurle dans le lointain comme une louve qui aguerrit ses petits pour la lutte finale, la batterie sonne la charge insurrectionnelle. Junto a la manada : un petit d'homme sort du ventre de sa mère. Le monde semble être en suspend. Reste à lui apprendre à vivre, à se défendre et à attaquer. La guitare fuse comme un engin spatial lancé dans les confins inconnus. Urgence vocale, l'éducation est un passage du témoin de la lutte intergénérationnelle. Les chats noirs n'accouchent pas de chiens policiers. Outro : reprise de l'intro à croire que le cauchemar s'est arrêté que les jours nouveaux sont arrivés. Que l'abominable parenthèse des temps morts est achevée.

 

Ce punk militant, peut gêner ou déplaire. En tout cas on ne peut lui reprocher de se cacher derrière des vocaux en anglais mâchonnés du fond d'une gorge embrumée de glaviots. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, dixit Boileau poète-courtisan qui vivait de faveurs royales... Et ce sont des anarchistes espagnols qui suivent cet enseignement de l'idéal classique français ! Certains objecteront que de telles directives ânonnées trop distinctement induisent une régulation de la musique obligée de coller à la simplicité sloganique. Les deux premiers morceaux cèdent à ce défaut mais l'instrumentation acquiert par la suite une liberté et une indépendance non négligeables.

Damie Chad.

13/03/2019

KR'TNT ! 410 : JOHN DWYER / LAUGHING HYENAS / SOLITARIS / NAKHT / GRAVITY / CAB CALLOWAY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 410

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

14 / 03 / 2019

 

JOHN DWYER / LAUGHING HYENAS

SOLITARIS / NAKHT / GRAVITY

CAB CALLOWAY

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

I can see Oh Sees (for miles and miles)

- Part Two

 

C’est Stevie Chick qui s’y colle dans Mojo : six belles pages sur John Dwyer et ses mighty Oh Sees, héritiers du grand Frisco Sound, et certainement l’un des groupes les plus passionnants des temps modernes. Il est indispensable de les voir sur scène. See thee Oh Sees and die, c’est-à-dire voir les Oh Sees et mourir. Ils valent largement Rome. Stevie Chick les traite de most blazing live rock’n’roll band. C’est criant de vérité. On ne ressort pas indemne d’un show des Oh Sees.

Pas plus qu’on ne sort indemne de leurs dix-neuf albums enregistrés en vingt ans. Chick rappelle que ça a commencé avec des lo-fi experiments et que ça a muté en overdriven Nuggets-esque garage rock mayhem, pour finir en proggish punk-psych avec Orc, paru l’an passé. On pourrait même parler de far out so far out schtroumphé à sec. John Dwyer s’amuse avec les idées de son, il joue «The Static God» en flux tendu, il fabrique du cumulus d’exaction somatique, un authentique tagada teutonique. Ce mec ne tient pas en place. Il joue le rock avec son cerveau. On le voit passer au heavy groove de sludge avec «Animated Violence». Il y raconte l’histoire du warrior à la Corben qu’on voit sur la pochette. Quand on passe sur l’autre versant du disk 1, on part aussitôt en voyage avec «Keys To The Castle». C’est une belle virée à travers des paysages variés et richement colorés, selon le vieux principe du prog éculé par tant d’abus. Ça passe, car il s’agit de John Dwyer, mais il est bien évident qu’on n’accepterait pas ça d’un autre zigoto. S’ensuit «Jettisoned», admirable groove d’élégance intrinsèque. La basse gronde bien sous la peau du groove. John Dwyer chante ça du doux de la glotte - Who likes sugar in their coffin/ The underground is twice as nice - et il explose le concept guitaristique de la guitare senventies. C’est là où ce mec est très fort. Il joue avec les concepts soniques comme le chat avec la souris. D’autres jolies choses guettent le musardeur impénitent en C, comme par exemple «Cavader Dog», où il se prend pour Monster Magnet - I hear a whistle/ It comes from the sky/ So run & hide your family - Il joue le heavy sludge d’apothicaire. Comme il veut jouer le jeu du prog jusqu’au bout, il nous colle un solo de batterie en D. Ce n’est pas l’envie qui manque de le traiter de pauvre con.

Les Oh Sees sont si bons qu’ils sont devenus un phénomène. Ils ont tout bêtement réussi à ressusciter la scène de Frisco, une scène qui fut jadis si révolutionnaire. Ty Segall sort directement de ce vivier. Kelley Stoltz aussi. Sur Castle Face, le label de John Dwyer, on trouve d’autres luminaries underground comme Male Gaze, Feral Ohms ou les Flatworms. D’ailleurs, Chick a beaucoup de chance de rencontrer un John Dwyer qui ne donne généralement pas d’interviews. Il préfère se concentrer sur les concerts, lorsqu’il est en tournée et sur Castle Face, lorsqu’il ne l’est pas. John Dwyer est réputé pour son enthousiasme élégiaque, comme d’ailleurs Henry Rollins. John explique qu’il ne poursuit qu’un seul but dans la vie : ne pas avoir à se lever tôt le matin pour aller bosser. Il raconte que son beau-père le réveillait à quatre heures du matin pour l’emmener faire le ménage dans des banques. Ce n’était pas dû à la pauvreté, mais le beau-père avait deux boulots pour se faire plus de blé. Maintenant, John se lève quand il veut - I wake up whenever the fuck I want.

Comme HP Lovecraft, John Dwyer a grandi à Providence, Rhode Island. C’est pour ça qu’il est un peu chtulhuté du bobinard. Ado, il était assez mal barré car il écoutait Slayer et Anthrax, mais le Monster Movie de Can l’a remis sur le droit chemin. C’est Can qui lui donne envie de jouer. Et comme on l’a vu dans le Part One, les clins d’œil à Can pullulent sur les albums des Oh Sees. Quand il s’installe à Frisco, il joue dans une multitude de groupes, dont Sword And Sandals, Pink And Brown et les avant-pranksters Hospitals. Et bien sûr les Coachwhips, qui finissent par entrer dans le rond du projecteur garage. John Dwyer précise que le groupe était driven by amphetamines and drink, but in a weirdly wholesome way, oui d’une façon étrangement créative, une formule qui pourrait aussi définir le style des Oh Sees. Les Coachwhips allaient trop loin et il arrivait à John Dwyer de tomber dans les pommes sur scène - I just got burned out on being too loud - Il jouait beaucoup trop fort. Ah cette façon qu’ont les Californiens de toujours vouloir en faire trop ! John Dwyer jouait alors la carte extrémiste, comme le faisait Lemmy en Angleterre. Il suffit d’écouter les cinq albums des Coachwhips pour comprendre ce que Dwyer entend par extrême. Get Yer Body Next Ta Mine paraît en 2002 sur un petit label local et n’a donc aucune chance. Ni au plan distributif, ni au plan artistique. John Dwyer fait tout ce qu’il faut pour se faire haïr par les oreilles. C’est un parti-pris. Il se montre en plus d’une grande indigence compositale. Il annonce vite fait ses titres, one two three four et ça trashe dans la cuvette. Il nous coule un de ces bronzes ! C’est hot ! Il joue même des atonalités sur sa SG. Surchauffe garantie. Question trash, on est servi. Il bat tous les records. Son «Tonight The Night» ne doit rien à Patti Smith. Il s’amuse tout seul. Et il s’amuse bien. C’est le principal. On le voit partir dans ses petites combines. Il ne reste plus grand monde dans la salle. Ah pour bombarder, il bombarde. Il trashe systématiquement tous ses cuts jusqu’à l’os de la mortadelle. Et soudain, voilà «UFO Please Take Her Home», avec des appels d’accords superbes. Il frappe son beat à coups de bâton de pèlerin. Il s’amuse avec les dynamiques et rappelle son couplet à l’ordre. Il ne baisse jamais les bras. On le sent dévoué à son art. Avec «Couldn’t Find Love», il nous propose sa version du garage moderne. Il sort tout le tremblement : l’orgasme, les accords, les solos flash, la carte de France, tout ! Et il enchaîne avec un «Nite Fight» terrible, embarqué au beat surexcité. C’est vrai hit de fight, John Dwyer donne toute la mesure de sa violence. Il fait de l’art sur mesure, au millimètre près. On lui dit : tu pars à l’envers (sur «My Baby I Killed Her»), il repart à l’endroit. Yeah ! Il atteint le summum du trash, ce summum réservé à quelques élus. En fait, tout est parfaitement cadré, même si les cuts semblent dévolus au trashbin. John Dwyer tire tout son trash au cordeau, il est exceptionnel de ponctualité et de célérité. Il noie même tout dans des nappes. Il termine cet étrange album avec le morceau titre et le tape au heavy sludge dwyerien. Il se prend pour Albert King. C’est bien vu. Ce qu’il joue à la guitare n’est jamais gratuit. Dwyer just do it. Il sait allumer la gueule d’un cut, en jouant les petits blacks en culottes courtes.

La même année paraît Hands On The Controls. Pour illustrer le concept, il met les pieds dans la pizza. Enfin ça ressemble à une pizza. Ou une paella. On ne sait pas trop ce que c’est. En tous les cas, il joue avec une énergie du diable. Il sur-blaste. Il fait de l’Action Art, et pas du rock. On le voit passer un killer solo flash d’ultra trash boom uh-uh dans «Ok Next Day» et puis il enchaîne deux monuments dignes du marteau-pilon des forges du Creusot : «Look Into My Eyes When I Come» et «Wheelchair». John Dwyer se livre à un badaboum d’exaction paramilitaire. Il n’existe rien d’aussi destructeur ici bas. Plus loin, il passe le rock sixties de «Cary» à la moulinette. Et avec «Yeah yeah yeah», il scie bien la branche sur laquelle il est assis. John Dwyer est un jusqu’au-boutiste, et il ne faut pas le perdre de vue. Il gave ses cuts d’énergie, il dwyerise tout, on le voit même faire de la powerhouse sixties dans «By The Way».

Un loup blanc des steppes et un mouton noir s’embrassent sur la pochette de Bangers Vs Fuckers paru l’année suivante. C’est encore un album de blast, comme l’étaient ceux de Motörhead à l’âge d’or. On est tout de suite subjugué par la violence du son. Quelle fabuleuse tartine de crève-cœur ! On a même l’impression que John Dwyer surpasse Motörhead. «Extinguish Me» bat tous les records, c’est un shoot de non-retour, tout est poussé à l’extrême. Il monte la violence de son delta punk en épingle. Defeaning, comme dirait Liza Minnelli. Personne ne peut tenir dans la fournaise de «Dancefloor Bathroom» et encore moins dans celle d’«I Drank What». Shoot de shit délibéré. Il n’existe rien de plus blasté sur cette terre qu’«Evil Son». John Dwyer est perdu pour la cause. «(Harlow’s) Muscle Of Love» sonne comme du mauvais punk mais Dwyer pulse sa purée à jets continus. Tout est dans le rouge, comme dirait Larry Hardy.

Avec Peanut Butter And Jelly Live At The Ginger Minge, John Dwyer semble encore monter d’un cran dans l’excès. Ce quatrième album est une belle collection de blasters impénitents, à commencer par «I Made A Bomb», une espèce de blast définitif qui paraît insurpassable. C’est à la fois puissant et violent. John Dwyer semble dominer le monde. À ce niveau d’exaction, le langage n’est plus d’aucun secours. On sent que le son californien a évolué depuis l’Airplane et les Beach Boys. Avec «Ya No Ya Wanna», John Dwyer propose un rock hirsute, mais extrême, il blaste jusqu’à plus soif et il passe au heavy blues avec «What Do They Eat». Mais devant une telle horreur, le heavy blues se carapate. Ce mec est atrocement bon, il blaste tout sur son passage, il écrase les cars de CRS comme des mégots et renverse les pouvoirs. Quelle fantastique liberté de ton ! Il joue au pur blast d’excellence dévastatoire. Il crée son monde. Il termine cet album inqualifiable avec «Your Party Will Be A Great Success», un cut assez heavy et bien accueilli. Du grand Dwyer. Cette belle démesure de heavyness est bienvenue dans le sein de l’église du Seigneur père des hommes. Alors John Dwyer fait couiner sa vieille SG, il connaît bien les secrets de la bête à cornes, inutile de lui raconter des histoires, il n’est pas né de la dernière pluie, il connaît l’envers du paradis comme sa poche et adore rissoler à la broche dans le brasier crépitant des décibels. Chaque fois qu’on l’écoute, on a les oreilles qui sifflent. Ce mec-là fait tout ce qu’il faut pour nous importuner.

Il semble que le Double Death paru en 2006 soit l’album ultime. John Dwyer monte encore d’un cran dans la violence du son. Cet album est sans doute le plus violent de l’histoire du rock, et ça reste du rock parce qu’il s’agit de John Dwyer. Il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. Cet homme se donne les moyens de sa vision et pour lui, «Mr Hyde» doit sonner ainsi, cisaillé à l’extrême brutalité sonique. Ils jouent tous les trois tellement fort qu’ils couvrent parfois la voix de John Dwyer. «Prisoner 119» bat tous les records de blast et après un faut départ, Dwyer remet «I Don’t Need You» sur les rails : Go ! Avec lui, il faut que tout s’écroule et ça s’écroule. On le sent complètement barré dans «ATM», il va bien au-delà du cap de Bonne Espérance. Il explose «We Are In Love» et atteint à une sorte de génie atomique. Il échappe à tout, et même à la gravité. Il donne chaque fois le top départ de ses petites apocalypses, et il n’existe rien de plus trash ici bas que «Hands On». Il y extermine le garage punk. Il nous ramone «Hey Fanny» d’entrée de jeu, il claque du riff à la folie, il crée son monde en permanence, tout est très moderne et très brut de fonderie. On aurait tendance à croire qu’il fait n’importe quoi. Mais non, c’est tout le contraire ! Encore une fois, John Dwyer joue avec son cerveau : «Brains Out», justement, one two three four, ultime blast furnace, non, il n’y a plus rien au dessus, c’est hurlé dans le rouge, on a là le génie blast à l’état le plus pur. Avec «Ringing The Cowbell», on assiste à une vraie dégringolade d’absolue dévastation, ce mec joue sa santé mentale à chaque cut, sa voix se fond dans la matière sonique en fusion, c’est d’une brutalité artistique hors du temps et des modes, il semble sculpter dans la masse vibrante cette violence extrême. En donnant libre cours à sa folie, John Dwyer montre l’ampleur de son génie. Il n’existe rien de plus dépavé au plan sonique que «Fight With My Heart». John Dwyer y dépasse toutes les limites, même celles dont on ignorait jusque-là l’existence. On se perd avec lui dans les Sargasses du blast et cet album n’en finit plus de cracher de nouvelles œuvres d’art extrême, comme cet «I Don’t Know», il y passe carrément les Them à la moulinette. Voilà bien le pire garage de l’univers, la purée est là, comme claquée dans le mur avec la pire des violences intentionnelles. Tout ici n’est plus que collision d’exaction monothéiste.

Le yin du ear-aching yang des Coachwhips s’appelle Orinoka Crash Suite, plus connu sous le nom d’OCS, un duo que monte John Dwyer en 2005 avec Patrick Mullins. Après la l’ultra-pétaudière des Coachwhips, Dwyer passe à un subtil mélange de broken folk et de subterranean drones. C’est là que Brigid Dawson fait son entrée. Elle adore le quiet band et le beautiful guitar sound de John. OCS est toujours en activité, comme le montre Memory Of A Cut off Head paru en 2017. Alors si on aime le soft rock chanté à deux voix, on se régale. Dans le cas contraire, on s’emmerde comme un rat mort, pour reprendre l’élégante formule du Professeur Choron. On voit Brigid et John se lancer dans l’exercice d’un folk-rock confidentiel qu’on dirait chuchoté au coin de Castle Face. C’est tout de même étonnant de la part d’un vieux Coachwhip qui worshippait tant l’hyper-blast. En plus il faut s’armer de patience, car c’est un double album. On croise en B un groove qui se laisse écouter, mais qui ne provoque aucune réaction. John nous la joue douce, au c’mon c’mon. Il tape même dans l’extrême délicatesse avec «Neighbor To None» et Brigid ramène son suave filet de voix ici et là. Et puis soudain, c’est la surprise : John joue «The Chopping Block» sur les accords de «Space Oddity». Curieuse osmose. Il gratte les vieux accords de Ziggy et soliloque - I thought I heard a distant brash - Oui, il a entendu aboyer dans l’espace. Serait-ce Major Tom devenu fou ? Il cultive à son tour l’intense mélancolie de la perdition. Et comme si tout cela ne suffisait pas, Brigid se prend ensuite pour Nico dans «Time Turner». C’est comme on dit la face des pastiches, et non le gang des postiches.

Mais OCS ne sera qu’un très court répit. L’appel du mayhem est le plus fort. En 2006, OCS se métamorphose en Thee Oh Sees. John Dwyer revient alors à ses premières amours, le drum-heavy psych-punk et les éboulis de wild guitar. Après avoir essayé de bosser avec un label indé, il décide de monter Castle Face pour avoir la paix. Il bosse avec des gens qu’il aime bien comme White Fence, The Fresh & Onlys et produit le premier album de Ty Segall. Un Segall qui lui reste infiniment reconnaissant de lui avoir épargné le music-industry bullshit. Avec le temps, les concerts des Oh Sees sont devenus violents et incontrôlables. Et comme John Dwyer semble avoir déjà tout essayé, il improvise de plus en plus. Sans doute est-ce aussi l’âge, pense-t-il à voix haute. Chick qui l’adore le qualifie de punk rock Popeye, sous son mop of hair. Tous ses amis pensent qu’il va commencer à ralentir avec l’âge - 43 balais - mais on, il annonce au contraire qu’il va écraser le champignon. Il indique aussi qu’il réduit sa conso d’alcool car la gueule de bois du matin ne l’amuse plus, mais il fume encore des tonnes d’herbe en studio - Because it keeps me from being a total asshole probably - Sacré John Dwyer !

Retour aux affaires sérieuses avec Smote Reverser et une pochette qu’on dirait taillée sur mesure pour Monster Magnet. Dans la presse, les critiques s’empressent de qualifier le son de wild psychedelia, mais la dominante reste bien Can, notamment dans «Beat Quest» qu’on trouve au bout de la D. Les Oh Sees renouent avec le long groove processionnaire dont ils se sont fait une spécialité. Ils se trouvent très exactement au dessus de Babaluma. Quels merveilleux acteurs de la longévité underground ! Ils vont aussi chercher le groove de Can dans le «Sentient Oona» d’ouverture de bal d’A. Avec «Anthemic Aggressor», ils mettent la pression du jazz-rock. John Dwyer y passe des solos excédés, comme le veut la loi du genre. Il s’amuse comme un gosse dans cette grosse mélasse bien secouée de la paillasse. Tout aussi ambiancier, voici «Nail House Needle Boys». Les vertus du Dwyer system s’imposent : créativité à tout crin et énergie virulente. Lui et Ty Segall ont tout simplement décidé de vivre libres dans le monde du rock. Alors tout est permis, comme de passer au shuffle d’orgue dans «Enrique El Cobrador». Le cut bascule littéralement dans la musicalité à outrance. Il semble que la seule chose qui puisse intéresser ces mecs, c’est de jouer. Alors ils montent des plans pour jouer, et ils jouent vite, très vite, car la vie est courte. Ils se hâtent de jouer et filent ventre à terre. John Dwyer n’a plus alors qu’à glisser des petits solos instinctifs dans le fracas de la cavalcade. Et puis soudain, voilà qu’arrive un cut nommé «C». On sent chez ces mecs une sorte de facilité à se jouer des lenteurs administratives. Ce «C» ne peut que plaire au petit peuple. John Dwyer le glisse entre les cuisses d’Hermaphrodite, la bonne du Péloponnèse qui travaille chez Monsieur Stéphane Coup-de-Dés, domicilié aux mardis de la rue de Rome. On voit aussi les mighty Oh Sees se fourvoyer dans ce heavy psyché qu’illustre la pochette avec un morceau qui s’appelle «The Last Peace». Le cut met un temps fou à se réveiller et soudain le son jaillit comme un geyser. John Dwyer ne se refuse aucune giclée, aucune démesure, il ne vit que pour l’ampleur de sa volonté de procréation, il ne pense qu’à se jeter dans la mêlée et dans les bras de la vie, toute son énergie rejaillit dans le cœur vivant de cette Last Peace. Ce mec joue au petit jeu de l’extravagance comme d’autres jouent contre joue. On le voit ensuite délier un nouveau shoot de psyché avec «Moon Bog». Nouvel exercice de style hors du temps, d’une beauté sculpturale, il laisse la vie s’écouler à travers son corps. C’est une démarche très personnelle, bien sentie, une décision bien pesée. Il pourrait jouer sans jamais créer d’ennui. D’ailleurs, c’est ce qu’il fait.

Signé : Cazengler, Oh sick

Coachwhips. Get Yer Body Next Ta Mine. Show And Tell Recordings 2002

Coachwhips. Hands On The Controls. Black Apple Records 2002

Coachwhips. Bangers Vs Fuckers. Namak Records 2003

Coachwhips. Peanut Butter And Jelly Live At The Ginger Minge. Namak Records 2005

Coachwhips. Double Death. Namak Records 2006

Oh Sees. Orc. Castle Face 2017

Oh Sees. Smote Reverser. Castle Face 2018

OCS. Memory Of A Cut Off Head. Castle Face 2017

Stevie Chick. Psych Ops. Mojo # 297 - August 2018

 

La rigolade des Laughing Hyenas

 

Avec le nom qu’ils portent, on pourrait croire les Laughing Hyenas installés dans le désert. Mais non, ces quatre candidats au chaos demeurent à Ann Arbor, Michigan, charmante localité connue pour avoir abrité au temps jadis le MC5 et les Stooges. Deuxième point fondamental concernant les Laughing Hyenas : ces gens-là ne rigolent pas, contrairement à ce que voudrait nous faire croire leur nom de groupe. Ils penchent plus pour le côté sombre, voire désespéré des choses de la vie. Leur musique coupe la chique à l’espoir et s’interdit d’aller bien. Par la qualité de leur malaise, on pourrait les comparer aux Chrome Cranks, car ils aspirent aux mêmes torpeurs. Ils dégagent la même ambiance de catacombes.

Dès Come Down To The Merry Go Round paru en 1987, on constate que ça va mal. Mais vraiment mal. Le «Stain» d’ouverture de bal d’A bat tous les records d’insanité - Come and be my one and only - John Brannon hurle comme un emmuré vivant, il rugit comme un lion qui fait yeah - Stain the walls with love - Quel numéro de cirque ! On peut même dire qu’il hurle comme un démon qui serait devenu fou, comme si c’était possible. On ne peut qu’admirer la superbe dynamique de leur enfer gothique. L’insanité continue de sévir avec «Hell’s Kitchen». Au moins, avec ce genre de titre, on sait où on va - You better check the menu/ Wouahhhhhhh/ Something’s burning/ And I think it’s love - John Brannon est déchaîné, il délire complètement - Popeye the sailor man/ Goodbye - Et ça continue comme ça avec «That Girl», chanté à la pire désespérance qui soit ici bas. Brannon sonne parfois comme Jim Morrison - Now there’s too many people/ Telling me I’ve gone wrong - Mais tout ça va connaître une apogée en B avec «Gabriel», un véritable sommet du trash, dans la forme comme dans le fond - I woke up this morning/ And I had a vision/ I was a junkie gunslinger/ Shooting on the range/ And a one way ticket/ Straight to hell - Tout est dit, ils tapent là dans l’ultra-trash, John Brannon hurle tout ce qu’il peut hurler - Gabriel/ Help me understand/ Release my mind from this/ Gabriel/ Won’t you blow that horn - Rarement on entendit à l’époque homme hurler de la sorte. John Brannon atteignait les cimes du scream.

S’ensuit You Can’t Pray A Lie, deux ans plus tard. Dès «Love’s My Only Crime», on comprend que ça ne va pas s’arranger, oh no no no no. On voit Larissa Kirkland jouer avec la guitare sur les genoux. Si on chope des vidéos du groupe sur YouTube, on la verra même faire la danse du scalp avec une clope au bec. Cette fabuleuse poulette va mourir un peu plus tard d’une overdose en Floride. Mais en attendant, elle joue et John Brannon screame comme s’il brûlait vif sur un bûcher de l’Inquisition. Quelle équipe ! Ils font tous leur truc à la vie à la mort. Chez les Hyenas, il n’existe pas de demi-mesure, oh no no no no. Le «Sister» qui ouvre le bal de la B s’ancre lui aussi dans le chaos sonique absolu. Ils ne voudront jamais revenir au calme. Jamais. John Brannon ne plaisante pas. «Black Eyed Susan» se veut sur-puissant, harassé par le beat et harcelé par le jeu stressant de Larissa Kirkland. On voit aussi John Brannon screamer son ass off dans «Lullaby And Goodnight». Il est complètement out of it, out of his mind - Very Heyna - Mais si on réfléchit bien, on constate que tous les cuts de l’album sont construits sur le même modèle. On comprend alors que ce groupe ne pouvait pas durer éternellement. Ça reste intéressant au niveau des intensités caractérielles, mais ça tourne un peu en rond au niveau structurel.

Pas de changement avec Life Of Crime, paru l’année suivante. Les Laughing Hyenas renouent avec l’exaspération pathologique dès l’«Everything I Want» d’ouverture de bal. Ils s’ancrent dans le heavy sludge d’Ann Arbor. John Brannon hurle comme un chef de guerre ivre de rage et de mauvais vin. Cocktail d’autant plus capiteux que Larissa Kirkland vitriole le son à coups d’arpèges et que la basse buzze dans la fumée. «Let It Burn» porte bien son nom, c’est enragé jusqu’au bout des ongles. John Brannon chante avec une niaque inégalée. On continue de tourner en rond en B avec «Here We Go Again». Ce diable de John Brannon se jette dans la balance - Here we go again/ I said goooo - Chaque cut ressemble à un saut de carpe. «Wild Heart» est une sorte de carpe encore vivante qui voudrait échapper à la bassine d’huile bouillante. Cette façon qu’il a de screamer wild heart n’appartient qu’à lui.

Leur dernier album Hard Times sera donc la cerise sur le gâteau. Pochette et disk denses et ce dès «Just Can’t Win», fantastique dégelée de big heavy sound. John Brannon chevauche la chimère du rock comme un seigneur de l’An Mil, bardé d’acier et de bravado. Il wooahhtte comme un beau diable, pendant que Larissa Kirkland balaye la surface de la terre à coups de rafales soniques. On a tout dans ce cut : le pain, le vin et le boursin. C’est l’archétype du prototype de l’artefact de l’état de fait. Ce fantastique John Brannon chante ensuite son morceau titre à la force du poignet et plonge le rock dans un abîme de désespérance. Il rugit plus qu’il ne chante. Il roame son moan. Ici, tout n’est que deep atmospherix. Oh on peut aussi aller jeter un coup d’œil en B, mais on n’y trouvera rien de nouveau. Sans doute est-ce la raison pour laquelle ça n’a pas marché. Tous les cuts sont traités sur le modèle heavy dark atmosphérix et plongés dans un bain de noirceur tempéramentale, même si ça reste très rock dans l’esprit. Du son, rien que du son. Normal, c’est enregistré chez Doug Easley à Memphis (alors que Butch Vig produisait les albums précédents). Attention, le hit du disk se niche en fin de B. «Each Time I Die» est le heavy slowah de la mort lente. John Brannon y aménage des passages vers un au-delà du pathos. C’est d’une rare puissance, avec un final en bouquet d’énergie vocale. Brannon style.

Singé : Cazengler, loathing hyena

Laughing Hyenas. Come Down To The Merry Go Round. Touch And Go 1987

Laughing Hyenas. You Can’t Pray A Lie. Touch And Go 1989

Laughing Hyenas. Life Of Crime. Touch And Go 1990

Laughing Hyenas. Hard Times. Touch And Go 1995

 

07 / 02 / 2019PARIS

LE KLUB

SOLITARIS / NAKHT / GRAVITY

 

Escalier plongeant, n'avez pas trop intérêt à glisser, tournez à droite, direction deuxième sous-sol, passage beaucoup plus étroit, nouvelles marches entrecoupées d'un faux palier, vous débouchez sur une espèce de corridor idéal pour le merchandising – diabolique tentation - passez la porte étroite et vous débouchez enfin dans le Saint des Saints. Plutôt étroit, diable si cela est une salle de concert, de retour à la maison je propose à la Marine Nationale de louer mon garage, de quoi mouiller deux sous-marins nucléaires et un porte-avions. Soyons juste, chez moi pas de belles voûtes de pierre qui surmontent deux travées parallèles à la manière des nefs d'église mais malgré le plafond plat un peu plus d'espace. Ce n'est plus le rock garage c'est le rock des caves ! Rock with a Caveman prophétisait Tommy Steele !

SOLITARIS

Brrr ! Tous quatre sanglés de k-ways noirs et le visage plus ou moins voilé de masques à la Dark Vador. Soldats de la galaxie des étoiles mortes. Immobiles, tandis que démarrent les samples, heureusement qu'ils sont soutenus par une cohorte de fans aux visages épanouis et de filles aux cheveux multicolores, sans quoi l'on se serait cru à l'enterrement du Comte d'Orgaz del Greco. Vos créanciers vous accablent de factures, Solitaris préfère vous soumettre au recouvrement des fractures. Emettent un bruit protéiforme destiné à vous saper d'emblée le moral. Au fond, Jarvis a décidé que rien ne sera comme avant, que désormais le monde sera réduit à un champ de ruines, casse systématiquement toute velléité de rythme, décapite toutes les têtes de serpents rythmiques qui se haussent et qui dépassent. Z'avez l'impression qu'il jette hors des plateaux de ses tambours tout ce qui aurait l'intention de manifester un signe quelconque d'existence. Vous comprenez le nom du groupe, vaut mieux être Solitaris que mal accompagné. A la basse un véritable fléau, ses amis ne l'ont pas surnommé Fléo pour rien, là où passe sa basse le son ne repousse pas. Vous le projette à terre sous forme de longues lignes sonores interminables comme des agonies. Le genre de mec qui vous gâche la soirée et l'envie de vivre rien qu'en appuyant un peu fort sur une corde. Normalement l'on devrait le renvoyer chez lui, mais à l'écouter vous entrez en communion avec l'étrange concept d'instinct de mort. Robin, au début vous faites semblant de ne pas l'entendre. Apparemment il ne fait rien pour attirer l'attention. Se contente de se fondre dans la noirceur ambiante. L'a la guitare commando. Au moment inadéquat il surgit comme la foudre et balance de ces dégelées de grésil à vous transpercer l'âme et l'anus. Et brutalement vous apercevez que Solitaris doit être une marque de bulldozer tout terrain dont vous ignoriez jusqu'à lors le nom. Le combo décape sec. Navigue vent arrière droit sur vous. A l'avant sur la proue vous avez une drôle de sirène. Pas Barbie, barbu costaud l'air méchant, chante par accoups, à chaque fois il vous donne l'impression de vous trancher la gorge. Chez lui, ça vient de loin, des tripes, exhale la colère et la rage de la bête entravée qui n'a aucune envie de se laisser mener l'abattoir. L'a décidé que ce sera plutôt votre tour d'y passer. Un mufle de taureau obstiné vous pousse sans pitié vers l'arène sanglante. L'a adopté la technique du dragon, actionne un lance-flammes dès qu'il ouvre l'orifice buccal. L'haleine du diable. Derrière Alex, leur frontman, les trois autres men in black de Solitaris carburent un carbone noir profond comme la nuit finale qui engloutira le monde. Quand ils terminent malgré la cohue des fans hurlante, vous vous sentez subitement seul. Coupé du cordon ombilical de la souffrance et de la mort. Vous êtes un survivant. Les tueurs solitaires vous ont trouvé indigne de mourir. Sans doute ont-ils eu raison.

NAKHT

Furent grandioses et sublimes. Au début vous craignez pour Danny. Lui si grand, qui a l'habitude de chanter juché sur un piédestal, comment va-t-il faire sous cette voûte si basse, le seul espace où il pourrait se redresser entièrement est encombré de projecteurs divers. Il est deux sortes d'êtres, ceux qui essaient en victimes résignées de s'adapter tant bien que mal aux avanies du destin et ceux qui transforment les obstacles en objets de force. Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort a dit Nietzsche. Alors Danny nous a montré quel grand growler il était. Il ne peut se relever, il chantera courbé, il ne peut faire tournoyer ses bras à la manière de boomerangs mortels qui ramènent leur proie pantelantes, alors il tendra le visage vers le public. Toutes les émotions contenues de ses muscles affluent sur sa figure. Ses yeux clairs restent imperturbables mais les méplats de sa face s'animent et tout le peuple hiératique peint sur les couloirs des tombes pharaoniques se met en marche pour rendre un dernier hommage à celui qui va se confronter avec le grand serpent Apophys. Sa voix, venue d'un autre âge nous conte les péripéties du grand tourment. Sa bouche n'est plus qu'une excavation horrifiante par où les Dieux prennent la parole. Jettent leurs colères et diffusent les messages ultimes dont il vaudrait mieux ne jamais dévoiler le sens. Danny entonne le choral des Abyss et la musique cataclysmique de Nakht fond sur notre Destiny tel le vautour sur vos os abandonnés à la surface stérile des sables du désert infini.

Damien est invisible, l'est entouré du cercle d'or de ses cymbales, dispense et disperse un cliquètement infini de crotales en furie, la musique de Nakht s'élève de cet anneau maléfique, elle gronde et s'érige en tonnerres, en orages secs, en foudres irréductibles. Et toujours dans ces interstices miraculeux de ce qui pourrait être un moment infinitésimal de silence surgit, hoquet morbide, le raquèlement de la caisse claire, qui sonne comme un appel dans le hall du désir à la béance du monde. Et dès lors une pyramide sonore s'abat sur vous, un déluge de pierre tombales, un éboulement de rocs funéraires, qui cherchent à vous ensevelir vivant afin que le symbole de l'éternité s'inscrive en hiéroglyphes de feu sur votre chair.

Clément n'est guère clément. Sa basse gronde. Creuse des fondations. Charrie des blocs cyclopéens sous lesquels elle vous emprisonne. Elle agit comme un immense tournoiement infranchissable, elle fixe les limites, Nakht n'ira jamais plus loin que son amplitude géographique. Elle marque la frontière intangible qui sépare le profane du sacré. La fourmi humaine de l'ibis royal. Deux guitares, Pierre et Christopher, l'en faut deux pour entretenir la fournaise. Fournissent à eux deux le feu de salpêtre qui nourrit le mal des ardents et les assises du phénix qui renaît de ses cendres. Deux guitares, tour à tour mort et vie, extinction et renaissance. L'une serpent, et l'autre reptile. Nakht fournit une musique d'une force implacable et d'une richesse inouïe, lorsque je cherche dans ma mémoire je ne vois que l'agressivité tourbillonnaire de Magma, au début des années soixante-dix, à laquelle je pourrais la comparer, tout en étant conscient qu'ils ne doivent pas se revendiquer d'une telle généalogie, trop lointaine pour eux.

L'assistance comme envoûtée obéit en toute allégresse au doigt et à l'œil aux désidérata de Danny, commande les entremêlements des spirales prophétiques des ronds de feu walkyriens et des entrechocs armuriers. L'est à la fois, sous son capuchon noir et sa courte houppelande, sorcier maudit et imprécateur terminal. Nakht, Gollum maléfique et Golem élémental, nous a livré un set splendide.

GRAVITY

Le tout dans la vie est de ne point faillir de son centre de gravité, et le moins que l'on puisse dire c'est que Gravity s'est constamment tenu au cœur de son point G. Facile à définir. Plus près du Metal, mais pas très loin non plus du rock'n'roll. C'est l'imposante silhouette d'Alex qui nous a révélé la formule magique, en trois fois quelques secondes, juste avant que le set ne démarre, lui a suffi de gratouiller les cordes pour se délier les doigts, ou pour savoir s'il s'entendait bien, mais ces bribes de fureur lui ont permis de lever un ouragan, auquel il a à chaque fois coupé les ailes mais cela a suffi pour nous avertir. Donc nous ne fûmes pas surpris lorsque Ricky a lancé le galop tonitruant de son drumin' sauvage et lorsque Tim l'a suivi comme son ombre chevauchant sa basse comme un vol de sorcières se rendant au sabbath ( black de préférence ). Pendant ce temps Alex vous placarde ses riffs comme des listes de proscription sur la tribune des rostres de l'antique Rome. Jusque là tout était normal. L'on sentit que la situation était critique, mais l'on ne savait pas à quel point cela allait s'aggraver.

Inutile de nous prendre pour des enfants de chœur hypocrites, l'on n'attendait qu'elle. On la guettait. Du coin de nos deux yeux. Trop charismatique pour qu'on ne l'ait pas remarquée. De noir vêtue, nous tournant le dos, la tête enveloppée de son auburne chevelure, certes Emilie avait du chien, mais le problème était d'ordre théorique, comment et où allait-elle poser sa voix dans le capharnaüm sonique dégagé par le triangle maudit tapi derrière elle. N'a pas tardé à nous apporter la réponse. S'est retournée, a fait trois pas en avant, a porté le micro à ses lèvres et tout de suite l'on a compris ce qu'ont dû ressentir les mammouths de l'ère préhistorique lors de la grande glaciation subite qui les a congelés sur place. Les trois mameluks derrière ils ont disparu, rayés de la carte des vivants, n'y avait plus que ce hurlement de prophétesse en furie. D'ailleurs nous-mêmes l'on s'est demandé si l'on existait encore, si nous n'étions plus qu'une illusion perdue et évanescente. Trois fois elle a recommencé, et trois fois nous avons ressenti le froid de la mort s'installer dans nos veines. Mais sachez qu'Emilie n'est pas cruelle, une fois qu'elle vous a montré ce dont elle est capable, elle éloigne le micro de sa bouche, laisse tomber son bras le long de son corps et se recule en toute simplicité, sans la moindre cérémonie. Et comme par miracle vous intuitez que derrière les trois ostrogoths n'ont pas arrêté une demi-seconde leur cavalcade sauvage. Foncent sur vous avec la force d'un troupeau de cent mille bisons en fureur. Votre dernière heure est arrivée, mais ce funeste avenir proximal doit sembler trop lointain à Emilie, car l'infatigable   chasseresse reprend la tête du troupeau et de nouveau elle rugit dans le micro. Cette fois c'est fini. La catastrophe s'abat sur vous, le hibou noir de la nuit du monde vous recouvre de ses ailes. Au cas où, les lyrics sont en français, vous ne saisissez pas toujours les paroles en leur intégralité mais les titres suffisent, Noir, Le Porteur de Nuit, De l'Homme au Loup, La Dernière Empreinte...

Devant elle son fan-club est agitée d'une transe chamanique, l'âme des bêtes s'empare  de leurs esprits, perdent un peu la notion des normes, ricanent comme des corbeaux ironiques, se jettent les uns sur les autres tels des lions en cage rendus fous par leur captivité. Alex s'avance et les titille du doigt et du riff. Le corps de Ricky torse nu derrière sa batterie se couvre d'une sueur blanche de lune blafarde, et dix fois, cent fois, mille fois, Emilie s'en vient semer l'épouvante dans son micro. Tim dégringole des giclées de notes spermatiques qui vous rabotent le cerveau, Alex tonitrue sa guitare, et Gravity s'enflamme. Une pluie de météorites en feu s'abattent sur les toitures de votre imagination. Du fond de l'horizon cosmique un astre mort a surgi, son attirance est mortelle, il vous happe d'un seul coup, votre centre de gravité ne répond plus. Le chaos s'arrête, Emilie remercie l'assistance d'une voix fluette qui vous fait du bien. Vous avez rejoint le monde de la réalité. Toutefois, maintenant vous savez que vos cauchemars sont parfois plus beaux que vos rêves.

Damie Chad.

 

CAB CALLOWAY

( Long Box / Classic-Jazz Archive )

 

Sa maman reçut un beau cadeau de Noël puisqu'il naquit le même jour que le petit Jésus. En 1907. Fut-il un bébé vagissant, nous n'en savons rien. N'était pas le seul enfant de la famille. Blanche de cinq ans son aînée l'avait précédé. La sœurette lui montra-t-elle le chemin, toujours est-il que Cab n'était pas encore célèbre qu'elle chantait et jouait dans plusieurs revues à succès et avait même enregistré avec Louis Armstrong. C'est avec elle que tout gamin il débuta sur les planches à Baltimore et c'est encore elle qui lui procura une place dans la revue Plantation Days dans laquelle il se produisit à Chicago et avec qui il partit en tournée dans le Midwest. De retour à Chicago, on le retrouve à la batterie de l'orchestre du Sunset Cafe, n'hésitant pas non plus à endosser le rôle de maître de cérémonie – en français l'on userait plutôt de l'expression Monsieur Loyal – du spectacle présenté. Nous sommes en 1928, les années de formation sont terminées.

Cab Calloway occupe dans l'imaginaire populaire la place d'un amuseur public, l'on oublie trop facilement qu'il fut accompagné par toute une pléiade de musiciens, et non des moindres, qui durant les années vingt participèrent au surgissement du jazz. La fermeture du quartier chaud ( very hot ) de Storyville de New-Orleans, en 1917, contraignit les musiciens de jazz à l'émigration. Remontèrent en suivant le cours du Mississippi. Essaimèrent jusqu'à Chicago qui devint le point terminal de fixation, toutefois une partie d'entre eux se fixèrent à Saint-Louis et à Kansas City. Ces destinations ne furent pas sans influence sur l'histoire du blues et du rhythm'n'blues. Et du rock'n'roll. Lorsque le rhythm'n'blues prit son essor après la deuxième guerre mondiale, les blues shouters de Kansa City s'inspirèrent du travail orchestral et vocal de Cab Calloway. Si dans le creuset de Chicago le blues du Delta subit une profonde mutation s'intensifiant et s'électrifiant, à Kansas City une des rares villes aux mœurs légères des USA le jazz s'adonna à une certaine insouciance festive, les grands orchestres dont la volition première n'était pas de produire une musique savante voire '' symphonique'' mais de permettre au public de danser transformèrent et retrouvèrent quelque peu la tradition de ces spectacles itinérants qui sillonnaient les Etats-Unis. Si ces tournées avaient permis à de nombreux artistes noirs d'acquérir une grande popularité en leur milieu elles procédaient aussi d'une vision purement commerciale qui visaient à la satisfaction des instincts primaires du public. La musique n'y était pas considérée comme un art mais avant tout comme un moyen de délassement et d'amusement. La pratique de l'entertainment gommait la figure de l'artiste et le réifiait en bateleur du peuple. Dans l'inconscient ( pas si profond que cela ) du public blanc, le noir qui chantait devant un parterre de blancs était ravalé au niveau de la bête de foire. Particulièrement doué peut-être, mais pas vraiment un homme, tout au plus un singe très savant, et pourquoi pas, au mieux, un pitre. L'on retrouve cela dans le sourire et la bonne humeur débordante qu'arbore Cab Calloway dans les extraits des films qui nous le montrent en pleine action. Mais ce qui peut apparaître comme une bouffonnerie truculente renouait aussi avec l'art immémorial du cirque, le clown entrevu comme une pratique sonore ( parlée, chantée, musicale ) du mime. Très significatif nous paraît le fait que plus tard dans les années quarante c'est à Kansas City, la ville de l'amusement, que Charlie Parker débuta un parcours musical qui redonna au musicien noir sa dignité d'artiste souverain. Dialectiquement toute chose par le fait même de sa permanence engendre son contraire.

En 1928 Cab Calloway est le frontman occasionnel des Missourians et ses prestations à New York attirent l'attention. Dès 1929, Cab Calloway tourne avec les Marion Hardy's Alabamians, la formation la mieux payée de toute la région de Chicago, La crise de 29 eut raison des espoirs de l'orchestre. En manque de monnaie le jeune Calloway participe à la revue ( merci sœurette ) Hot Chocolate, le job terminé il rejoint les Missourians qui devant le succès remporté change de nom : s'appelleront désormais Cab Calloway & His Orchestra. Les Missourians ne sont pas des pieds tendres. La formation a été baptisée ainsi alors qu'il était en résidence au légendaire Cotton Club de New York, en alternance avec l'orchestre de Duke Ellington. En février 1930, Lockwood Lewis cède sa place de chanteur à Calloway, quatre mois plus tard le Cab Calloway & His Orchestra enregistre leur première cire.

 

Premier CD : Gotta Darn Reason Now ( For Bein' Good ) : 24 juillet 1930 : velouté de trombone et beurre de trompettes, pas d'erreur c'est bien le band qui se charge de l'essentiel du boulot, Calloway ne tire pas la couverture, l'est comme un invité qui préfère laisser parler ses hôtes, au début l'a une voix de fille mélodieuse, articule davantage par la suite, mais l'on admire avant tout la trompette de Roger Quincy Dickersonet et le trombone de Priest Wheeler qui cosigna les lyrics. En face B, un classique des classiques, de W.C. Handy, l'inventeur officiel du blues, St. Louis Blues : 24 juillet 1930 : n'a pas intérêt à être au-dessous de la moyenne le Cab, surtout que Satchmo a déjà enregistré le morceau l'année précédente, alors l'orchestre se la donne à donf, au début vous n'avez pas un trombone mais une souris qui grignote une croûte de pain dans votre dos, question blues, inutile de sortir votre mouchoir, imaginez un éléphant qui swingue à mort et là-dessus le Cab vous donne une leçon de chant, tout ce que vous ne pourrez jamais faire avec votre gosier, commence par appuyer sur une syllabe pendant trente secondes et ensuite il vous casse du bois de mille manières. Lorsqu'il arrête, la mission est accomplie. Les musicos autour de lui ne s'attardent pas. Pas la peine, Cab is the boss. Sweet Jenny Lee : 14 octobre 1930 : fox-trot, l'orchestre trotte, et Calloway musarde et renarde. L'est toute mignonne la Jenny Lee, le band en tressaute et sautille de joie, z'avez l'impression qu'ils jouent en serrant les fesses, Le Cab, il vous dessine la fine silhouette de la zamzelle du bout des lèvre avec un arrière fond nostalgie qui n'est pas sans rappeler la tristesse qui gît au fond de tout country qui se respecte. Sait parler aux damzelles, suis sûr qu'elle a succombé à son charme, l'orchestre confirme en se lançant dans un tutti d'enfer. Pour le deuxième couplet l'est trop occupé, les copains assurent à sa place. The Viper's Drag : 12 novembre 1930 : l'on en a fait un dessin animé, faut dire que Calloway vous sort le grand jeu, pas longtemps, mais il chante comme un sifflet de locomotive désespérée répercuté dans le grand canyon, et l'orchestre roule à toute pompe, se refile le bébé des soli à tour de rôle, pour mieux presser la machine, n'oublions jamais que la danse est l'autre mamelle du grand Cab. Qui d'autre que lui pouvait s'amuser à couiner sur le classique de Fats Waller ? Is That Religion ? : 23 décembre 1930 : devaient être en retard, jamais entendu un ragtime joué aussi vite, une machine à coudre en folie, non ce n'est pas Dieu qui les appelle, sans doute les jolies filles qui agitent leurs gambettes impatientes, le Cab ça doit le démanger encore plus vite que les autres car il vous tip-tope le vocal à la mitrailleuse. L'avait dû avaler un cheval de course le matin au petit déjeuner, vous expédie la choucroute en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, une fois qu'il a terminé l'orchestre a beau mettre les bouchées triples ils ne le rattraperont jamais. Some of These Days : 23 décembre 1930 : Monsieur dix pour cent. Sur trois minutes, chronomètre en main il chante trente seconde. Vous expédie le paquet d'une traite dans la cuvette WC, par avion. Après l'on imagine que puisque question rapidité il ne s'est pas économisé il s'en va danser comme la fameuse cigale. L'orchestre fait tout ce qu'il faut pour boucher le gros trou. Vous maçonne le mur comme des pros. Vous ne vous apercevez même pas qu'il n'y a pas plus de chanteur dans la chanson que de pilote dans l'avion. Nobody's Sweetheart : 23 décembre 1930 : plus tranquillou l'orchestre adopte la vitesse de croisière, le Cab prend sa voix de mijaurée pour commencer, ressemble à un matou qui s'étire, l'énergie lui revient, vous achève la marchandise en trois coups de cuillère à pot, les musicos prennent la suite, gentillous. Sans plus. St James Infirmary : 23 décembre 1930 : Armstrong en avait accouché d'un mélodrame, alors ils vous le commencent à l'espagnole, ensuite ils gardent le tempo, z'avez envie de leur souffler qu'il faut être triste, mais le Cab il brame comme un hippopotame et les musicos en profitent pour faire leurs petits numéros. Pour le final, la mise en terre au cimetière est rapide, poussent le corps dans la fosse à coups de pieds. Dixie Vagabond : 3 mars 1931 : c'est joli comme un générique de film. D'ailleurs Cab chante du nez pour que vous me croyiez, l'est le chanteur du charme qui cherche à embobiner, et les copains derrière essaient de ne pas lui foirer le plan en la mettant en sourdine, le temps que ses roucoulades conquièrent la position. So Sweet : 3 mars 1931 : encore de la douceur, ça larmoie , et le Cab module de toutes ses dents, l'a l'air d'un gigolo qui fait tout ce qu'il peut pour enchanter une rombière, idéal pour les frotti-frotta des slow langoureux, pour la proposition finale Calloway vous file un coup de main, reprend un deuxième couplet en coda. Remerciez-le, c'est emballé. Minnie The Moocher : 3 mars 1931 : le titre qui fit la gloire de Calloway, les musicos vous font une ouverture grandiloquente, mais le Cab a misé sur les valeurs sûres, reprise d'un vieux morceau folk et ligne mélodique pompée sur St James Infirmary. Plus tard le Cab vous en donnera des versions échevelées mais là vous conte la lamentable histoire de Minnie d'une voix éteinte qui contraste avec l'énormité des agissements de cette profiteuse de haut-vol. Rien de bien extraordinaire à première oreille, et pourtant vous vous surprenez à réécouter dix fois de suite. C'est en ce titre que vous rencontrez son célèbre hi-dee-ho. Doin' The Rhumba : 3 mars 1931 : étrange, l'entrée en matière ressemble comme une goutte d'eau à Ring of Fire de Johnny Cash, l'est vrai qu'entre mariachi et rhumba... La trompette se livre a un beau solo de klaxon, suivi de ce que l'on appelait un galop dans les salons du temps honni de la Restauration, et le Cab vous tricote le vocal avec une voix aussi aigüe qu'une pointe de punaise. Le combo conclut sans imagination. Farewell Blues : 9 mars 1931 : encore une fois un blues à grande vitesse, un rythme de train qui passe en trombe et le Cab qui vous imite le sifflet rageur des locomotives, derrière l'orchestre vous mime le couinement des wagons rouillés sans oublier le traditionnel shuffle de rigueur. Le convoi s'éloigne dans le lointain. I'm Crazy' Bout My Baby : 9 mars 1931 : les a rendus tous marteaux, les musiciens se lancent dans une introduction infinie, à croire qu'ils ne laisseront jamais au Cab le temps de s'exprimer. Le fait d'ailleurs à toute vitesse, les guys derrière ont encore bien de fooltitudes à exprimer. Creole Love Song : 6 mai 1931 : empruntée à Duke Ellington, musique de genre aussi câline qu'une nuit de chine, le Cab vous sort sa grosse voix la plus romantique à croire qu'il a attrapé la rougeole. D'ailleurs l'arrête les frais tout de suite. L'amour se chante plus vite qu'il ne s'expédie. The Levee Low-Down : 6 mai 1931 : tous en verve, une fanfare joyeuse qui dévale la rue, et le Cab qui accentue la joie de vivre, sur ce le band s'engouffre dans une espèce de charleston piqué des hannetons, y a un bugle qui vous épingle les insectes vivants sur le mur, une clarinette qui rigole et allegretto non moderato pour le tutti final. Blues in My Heart : 6 mai 1931 : pour être heureux soyons langoureux, cela pourrait s'appeler le blues des amoureux, petits pianotements sur les hanches, le Cab vous susurre à l'oreille des insanités avec sa bouche de crocodile grand-ouverte, l'insiste longtemps ( une fois n'est pas coutume ) l'orchestre tamise la lumière de l'abat-jour. Black Rhythm : 11 juin 1931 : aussi trompeur qu'une trompette qui ne se la pète pas. Tout doux malgré l'intitulé. Un hommage au blues. Conte l'histoire d'un pianiste au fond d'un bouge qui distille le rêve des notes bleues. Plus rien ne bouge. Les paroles sont de Irving Mills et de Donald Heywood, à mettre en relation avec The Weary Blues de Langston Hughes. Six or Seven Times : 11 juin 1931 : Irving Mills encore aux paroles, une mélodie de Fats Wallers, l'orchestre vous déploie la nappe en prenant son temps, le Cab déroule son innocence coquine, parlotte, scate un peu, sifflote avec désinvolture et les musicos reprennent leur broderie avec un soin maniaque. De la belle ouvrage. My Honey 's Lovin' Arms : 17 juin 1931 : encore une chanson d'amour à caresser les pubis dans le sens du poil. Peut-être la plus faible du CD. Peu d'imagination, beaucoup d'attendu. Aucune surprise. S'étire comme un élastique ou un fil d'haricot vert entre les dents. The Nightmare : 17 juin 1931 : dans la suite logique de la session, ce cauchemar vous endort plus qu'il ne vous réveille. Pour la sueur froide de la mort dans les draps moites, c'est raté.

 

Deuxième CD : It Looks Like Suzie : 9 juillet 1931 : fut enregistré par Blanche Calloway and His Boys Joy en juin 1931. Vous voulez du swing, en voili, en voiça, vous trouverez mieux ailleurs, mais le Cab vous sauve la mise, l'orchestre est au top mais pas assez débridé. Alors le Cab vous miaule la chute d'une voix bizarre. Sweet Georgia Brown : 9 juillet 1931 : le classique des classiques, même les Beatles l'ont enregistré, de Maceo Pinkard et Ken Casey, chanté pour la première fois en 1925 par Ben Bernie. Georgia a deux pieds gauches, cela a dû plaire au Cab car il vous sort spécialement un espèce d'étranglement dans le larynx, les boys derrière comprennent qu'ils ont intérêt à s'activer, ça se termine en style jungle de bon aloi. Basin Street Blues : 9 juillet 1931 : un classique du jazz, rappelons que Basin' Street était le nom d'une artère de Storyville. Peut-être que je me trompe mais il me semble que l'intro ressemble à l'entrée de La Mer de Debussy. Quoi qu'il en soit le combo se doit d'être au top, et ils vous l'interprète à la manière d'une symphonie jazz du pauvre, le Cab n'ose pas marcher sur ses boys, se contente de marmonner pour ne pas les gêner. L'arrive à être génial dans sa discrétion. Bugle Call Rag : 23 septembre 1931 : se rattrape sur ce morceau, Normalement sur ce ragtime devrait y avoir un piano fou, c'est Cab qui s'y donne de la première à la dernière note, l'a les dents qui ricanent comme les touches d'un clavier. Imaginez que le piano de Fats Wallers ait la voix de Calloway et vous comprenez la performance. Un des tout premiers morceaux de jazz enregistrés, un classique. Vocalement Calloway enfonce tout le monde. You Rascal You : 23 septembre 1931 : en France on connaît surtout la version des vieilles canailles Mitchell / Gainsbourg que j'ai toujours trouvée foireuse, Calloway en offre une interprétation fifreline, en avance sur son temps puisqu'elle évoque tant au niveau du traitement des cuivres et de l'inflexion vocale ce qu'en fit Louis Jordan, même si la clarinette l'inscrit tout de même dans le old style jazz. Stardust : 12 octobre 1931 : la chanson d'amour sentimentale, le genre de pacotille dont Sinatra aurait fait un trésor, pour Calloway ça manque de punch. L'on sent les impératifs commerciaux. Miaule avec une langueur monotone. You can't Stop Me From Lovin' You : 12 octobre 1931 : l'orchestre sourit doucement, rigole même franchement après le premier couplet, heureusement le Cab comprend que rien ne sert de larmoyer comme un dépressif, reprend du tonus et malgré les paroles navrantes il vous envoie valser le grand amour perdu au profit des dix occasions roboratives qui se profilent à l'horizon. You Dog : 12 octobre 1931 : jamais entendu un chien miauler de cette manière, le Cab vous sort le grand jeu, le combo se moque de lui, se fout carrément de sa gueule, le Cab a la voix qui fait patte de velours et promesse de griffes sanglantes. Cette histoire se terminera mal. Soyez-en sûr, humour noir se teintera de rouge sang. Somebody Stole My Gal : 12 octobre 1931 : interprétation dans la même veine, voix pleurnicharde au début, gymnastique vocale en fin de parcours. Ain't No Gal in This Town : 21 octobre 1931 : à ce qu'il paraît que le Cab chante sur ce morceau, c'est l'exacte vérité, et plutôt bien d'ailleurs, même que ces musiciens lui répondent en chœur lorsqu'il mugit comme une vache, mais tout cela vous ne l'entendrez pas, car en sourdine vous avez le piano qui égrène quelques notes et vous oubliez le reste du monde. Between The Devil And The Deep Blue Sea : 21 octobre 1931 : une création de Calloway devenu un classique. Faut dire que les paroles sont diaboliques, chacun peut interpréter à sa manière cette invitation au suicide baudelairienne. Calloway a choisi la plainte douloureuse. Scoubidouse sur la fin, un peu d'insouciance dans les situations extrêmes n'a jamais fait de mal. Trickeration : 21 octobre 1931 : cette session a dû être bénie des Dieux. Nous étions aux portes de l'enfer, ce coup-ci on y est carrément dedans. Bouquets de hanches en swing déhanché, l'orchestre joue au chat échaudé qui saute dans le feu, une fournaise pour les danseurs. Et mister Cab, l'est aussi à l'aise qu'une salamandre dans une cheminée sous François 1er . Sa voix n'a jamais autant épousé la subtilité des orchestrations. Kickin' The Gong Around : 21 octobre 1931 : une chinoiserie, avec la pince à linge sur le nez qui n'empêche aucune acrobatie. Se sont décidément amusés comme des jeunes chiots dans cette faste journée. Le Cab est bien le prince de l'Empire du Milieu. Down-Hearted Blues : 18 novembre 1931 : retour au blues, pas celui des douze mesures mortuaires, le blues à la pêche-melba, telle que l'on ne l'a jamais osé dans le Delta. L'oxymore musical du blues véhiculé par le premier jazz : le blues joyeux. Corine Corina : 18 novembre 1931 : z'ont couplé le précédent avec un vieux traditionnel de derrière les fagots. En profitent pour allumer un feu d'artifice de tous les diables. Encore une fois le piano de Bennie Payne se singularise. Je regrette de l'avouer dans ce morceau l'impact créatif est si fort qu'il pulvérise toutes les belles versions auxquelles les countrymen nous ont nourris au petit lait. The Scat Song : 29 février 1932 : le titre n'est pas une imposture. Méfiez-vous des premières mesures mélancoliques, les musiciens s'amusent très vite à dérouler le tapis de leurs chatoyances instrumentales et lorsque le Cab scate, l'est au sommet de son art, le monde vous paraît si facile que même les grattements du banjo deviennent agréables. Feast of friends. Cabin In The Cotton : 29 février 1932 : un slow pour reposer les danseurs, la danse est avant tout a sexual intercourse comme disent les ricains, alors là ce sera cheek to cheek, du coup le Cab en roule les R. S'y mettent à deux pour séduire la demoiselle. Ce titre n'est pas indispensable. Le Cat Zengler ne l'emportera jamais sur son île déserte. Je vous l'assure. Vous non plus. Strictly Cullud Affair : 14 mars 1932 : du Cab classique, mais de lui on attend toujours mieux, beaux passages de soli, d'ailleurs le Cab laisse his band s'amuser, mais nous devenons difficiles. Aw You Dawg : 14 mars 1932 : le truc sans défaut, mais parfois c'est comme les tapis persans faut ménager une erreur, l'entourloupe c'est le sel de la vie. Minnie The Moocher's Wedding Day : 20 avril 1932 : Buddy Holly nous a refait le coup avec Peggy Sue Got Married. Et Calloway ne fait pas mieux que le kid de Lubbock, ce mariage ne vaut pas les fiançailles premières. Certes tout le monde s'est bien tenu, mais l'on aurait préféré une sarabande infernale avec du dégueulis sur la nappe blanche, voire sur la robe de mariée. Dinah : 02 juin 1932 : un trombone épais comme une tranche de jambon, l'orchestre est vraiment le roi de ce morceau. Dancin'music. Cab vous fait les exercices à la barre fixe. L'on aurait préféré qu'il pratique le saut à l'élastique. Que voulez-vous dans la vie on ne peut pas tout avoir, le beurre et le prix du beurre. Même si Dinah la crémière est des plus appétissantes.

 

Les deux cd ne couvrent que le tout début de Cab Calloway. Les premiers morceaux sont les meilleurs, même si Cab ne s'y affirme pas encore vraiment. Mais l'osmose entre les musiciens et le chanteur est beaucoup plus authentique. L'on sent combien Calloway gagne à chaque session en maîtrise. Devient professionnel avec tout ce que cette assertion peut contenir de péjoratif. Mais il y en beaucoup qui vendraient père et mère et ( beaucoup plus grave ) leur chat et leur chien pour atteindre au dixième de sa virtuosité. Nous reviendrons une autre fois sur d'autres aspects de la carrière du grand Cab.

Regrettons toutefois l'absence de Zah Zuh Zaz de 1933 le titre qui donna son nom, en notre douce France occupée, à la mouvance zazou au début des années quarante. Z'adoraient le swing comme les premiers Teddy-Boys qui s'inspirèrent de leur accoutrement pour leur drape-jacket et qui abandonnèrent le swing pour le rock'n'roll.

Motherfuckers, tous les chemins mènent au rock'n'roll !

Damie Chad.