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27/02/2019

KR'TNT ! 408 : SCHIZOPHONICS / MONKEES / BILL CRANE / CRASHBIRDS / ISLATION / MELISA BERNARDOT / SPEEDBALL /KRONIK

KR'TNT

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 408

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

28 / 02 / 2019

 

SCHIZOPHONICS / MONKEES

BILL CRANE / CRASHBIRDS / ISLATION

MELISA BERNARDOT / SPEEDBALL

KOMIKS KRONIK

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Pas de remède pour la schizophonie

 

Pas de surprise : le show des Schizophonics est un blast. The big blast. Pire encore : the real deal. Difficile d’imaginer un set plus explosif, au sens où le furent en leur temps Jimi Hendrix et le MC5. Difficile d’imaginer plus juste dans l’exaltation, plus pointu dans la fournaise, plus débridé dans le shaking all over, Pat le crac bim-bam-boome au delà de tout ce qu’on peut raisonnablement espérer. Tu veux du rock, c’est lui ! Tu veux du power-chord, c’est lui, tu veux du ramalama et de l’incendiaire, c’est lui, tu veux le revival des riches heures du Duc de Berry, c’est lui, tu veux du Black To Comm comme si c’était hier, c’est lui, d’ailleurs il démarre son set avec ce vieux stormer du MC5, histoire de bien marquer son territoire. Au moins comme ça les choses sont claires, tu peux dormir sur tes deux oreilles et laisser les décibels bercer ton âme de langueurs monochromes. En fait, ce mec est tellement spectaculaire qu’il finit par évoquer le souvenir de Nijinski et de ses bonds de huit mètres qui fascinèrent tant le public des Ballets Russes durant années vingt. Pat ne danse pas le jerk mais un ballet de jerk. Ses cabrioles sont extrêmement précises, il ne laisse rien au hasard de l’explosivité sinon il passerait son temps à se cogner dans son pied de micro. Et c’est là où il devient très fort, car il ajoute l’énergie du corps en mouvement à l’énergie du son, comme si les deux énergies se stimulaient réciproquement. Il ne fait que réactualiser un vieil adage : un concert de rock est plus marrant quand les gens se roulent par terre. Mais pour faire ce qu’il fait, il vaut mieux être en caoutchouc, oui car il rebondit, il se plie en deux ou en trois, ça dépend de l’angle d’attaque, il saute en l’air et retombe en grand écart sans s’éclater le cul, c’est très impressionnant. Seuls les athlètes sont capables de tels prodiges, alors saurait-on imaginer un athlète rock ? À part James Brown et Jesse Hector, on n’en voit pas des masses. Des gens du niveau de Jesse Hector qui passent quasiment la moitié du set au sol en combinant le chant, la rythmique et les solos, ça ne court pas les rues. Et puis quand «In Mono» arrive, il se produit exactement la même chose que s’il attaquait «Kick Out The Jams», on flaire le hit immédiatement, et par les temps qui courent, les hits de cet acabit valent tout l’or du monde.

Dans sa course folle, Pat le crac parvient toujours à caler un yeah dans son micro, ça n’a l’air de rien, comme ça, mais en une heure, il couvre pas mal de kilomètres et il semble logique de le voir perdre son souffle en fin de set. Il termine d’ailleurs avec une espèce de fin de non-recevoir, un petit medley en hommage à Little Richard, «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On» couplé avec «Jenny Jenny».

Alors bien sûr, il faut écouter leur album. Le buzz est arrivé en 2017 via The Next Big Thing, le zine de Lindsay Hutton. On y trouvait un texte de Long Gone John qui annonçait après dix années de silence le redémarrage de son label Sympathy For The Record Industry à cause des Schizos qu’il venait de découvrir. Il en faisait une apologie long-gone-johnienne, et comme il fait partie des gens dont on boit les paroles, alors on buvait. Glou glou glou. Long Gone John racontait que la scène actuelle ne le faisait plus trop bander, mais en découvrant ce groupe, son vieil instinct s’était réveillé - And that was so great I simply could not refuse - Refuse what ? Redémarrer Sympathy, bien sûr ! Long Gone John racontait que Pat et Lety Beers s’étaient un jour installés à San Diego et avaient commencé à écouter le John Reis Swami Sound System weekly radio slow. Comme ils se goinfraient déjà de MC5, de Stooges, d’Hendrix et de James Brown, ils se sentaient en terrain de connaissance. Ils montèrent ensuite les Schizos et devinrent les chouchous de Mike Stax qui a d’ailleurs sorti un single sur Ugly Things - I think the Schizophonics are an amazing force, deserving attention (Je pense que les Schizos sont un groupe très puissant qui mérite votre attention) - Et ce fier poète qu’est Long Gone John ajoutait que trop de bons groupes disparaissent dans l’indifférence générale, while stylish derivative piles of useless wet shit continue to flourish and thrive (tirade scatologique qu’il n’est pas nécessaire de traduire, car tout le monde sait bien ce qu’est la wet shit - berk). Long Gone John terminait en conseillant vivement d’aller voir les Schizophonics sur YouTube, mais surtout d’aller les voir jouer en concert. You will love them and you can thank me later. (Vous allez les adorer et vous me remercierez plus tard).

L’album s’appelle Land Of The Living, et sa place se trouve à côté des albums du MC5 et de Little Richard que vous conservez précieusement dans vos étagères. Dès «Streets Of Heaven & Hell», Pat la bête gratte à la Sonic Smith et chante à la Rob Tyner. Il y va de bon cœur. Il fait même son Wayne Kramer pendant que sa poule Lety fait son Machine Gun Thompson. On assiste à une terrible débauche des forces vives de la nation. C’est d’un très haut niveau de blast furnace. On trouve au moins quatre autres cuts dignes du MC5 sur cet album, à commencer par un «Make It Last» noyé de son, pur jus purulent de Detroit Sound, fabuleux éclair de génie rockalama Fa Fa Fa. Même chose pour le «Welcome» qui ouvre le bal de la B, c’est pilonné du pilon, martelé au tatapoum de badaboum, giclé au crack-boum uh-uh et chanté à l’efflanquée, avec un son kramérisé à outrance. Ça coule sur les doigts. Ah comme c’est bon ! «World Of Your Gun» sonne comme «Kick Out The Jams». Pat joue ça au riff Pinder, il ne se refuse aucune exaction. Il halète comme Rob Tyner. Le hit du disk s’appelle «In Mono». Son riff glorieux entre dans Rome comme un général couvert de butin et d’esclaves, brillant, têtu, ardu, poilu et ventru. Pat joue son solo dans l’œil du typhon. Quelle bardée de bordée ! Tout aussi infernal, voilà «This Train» monté au Diddley beat trépidant et joué à la cisaille infernale. Encore un pur chef-d’œuvre avec «Move». Ses départs en solo sont des modèles du genre. Pat joue ses cuts à l’emporte-pièce de garage ardent. Pas de fioritures. Rien que du brûlot expansif à l’état le plus pur. Il termine cet album faramineux avec un «Put Your Weight On It» joué sous le boisseau en flammes. Motor City is burning baby, on y est, c’est le grand embrasement catégoriel, pas de demi-mesure, c’est d’une infamie démesurée arrosée à l’excès par des tas de solos éclatés du bas-ventre.

Signé : Cazengler, schizophrène

Schizophonics. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 19 février 2019

Schizophonics. Land Of The Living. Sympathy For The Record Industry 2017

 

C’est parti Monkee Kee - Part One

 

Souvenez-vous, dans les années soixante, les Monkees rivalisaient avec les Beatles en tête des hit-parades. On aurait tendance à les oublier de nos jours, mais en 1966, ils comptaient parmi les légendes de la pop américaine.

Trois Américains (Micky Dolenz, Mike Nesmith, Peter Tork) et un petit mec originaire de Manchester (Davy Jones) jouaient dans ce groupe formaté pour les télés américaines. On s’apercevra au fil du temps que Davy Jones était l’âme du groupe, comme le fut Brian Wilson dans les Beach Boys. Il faut dire qu’on ne prenait pas vraiment les Monkees au sérieux, quand on voyait leurs photos dans SLC, mais quand «Last Train To Clarksville» passait à la radio, là, on ne rigolait plus.

Des quatre, il n’en reste plus que deux, Nesmith et Dolenz. Davy Jones fut le premier à casser sa pipe en bois en 2012, suivi de Peter Tork, tout récemment.

Visuellement, celui sur lequel on flashait le plus était Mike Nesmith car il semblait un peu moins puéril que les autres. Il jouait le plus souvent sur une grosse Gibson demi-caisse et portait un bonnet de docker qui lui donnait un petit côté aventurier à la Jack London. Et celui qui nous agaçait le plus était le batteur/chanteur Micky Dolenz qui n’en finissait plus de sourire comme une gravure de mode. Il fut aussi pendant longtemps le chanteur principal du groupe, ce qui était un vrai gâchis, car Davy Jones paraissait beaucoup plus intéressant.

Pour ce Part One, on se contentera d’un petit panorama discographique, histoire de vérifier qu’on n’avait pas rêvé. Oui, les Monkees méritent leur place au panthéon, parmi les géants des sixties.

Si on ne possède pas l’EP, on retrouve l’excellent «Last Train To Clarksville» sur le premier album des Monkees paru en 1966. C’est le premier cut de la B, le prototype du hit sixties, l’emblème psyché joué à l’attaque frontale, doté de la meilleure énergie continentale - Oh no no no ! Caus’ I’m leaving in the morning - Et il ajoute qu’il must go. C’est saturé d’effluves sixties et joué entièrement au riff. Et là, on entre sur le territoire de Tommy Boyce & Bobby Hart, le brillant duo de compositeurs qui vont travailler pendant quelques années pour les Monkees. S’il faut retenir un hit des Monkees, c’est sans doute celui-ci. L’autre gros hit de l’album s’appelle «(Theme From) The Monkees» - Hey hey hey we’re the Monkees - repris plus tard par les Gories qui en feront Hey hey hey we’re the Gories ! On a là toute l’énergie de l’Amérique teenage. C’est absolument renversant. Back to the Monkees’ Sound avec «Tomorow’s Gonna Be Another Day» que chante Micky le batteur avec du hey hey hey plein la bouche. Il est bon, dans ces coups-là. Il chante comme s’il chevauchait un étalon. Quel fabuleux popster ! Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. C’est Davy Jones qu’on entend chanter «Saturday’s Child», un cut éclaté aux guitares claires des sixties, sacrément psych-out et oh, so far-out, so faaar-out, baby. Et puis voilà qu’avec «I’ll Be True To You», notre petit Davy nous fait son Robin Gibb.

Ils reviennent l’année suivante avec More Of The Monkees sur lequel se niche l’autre grand hit du groupe, «(I’m Not Your) Stepping Stone», un hit exceptionnel et râblé. Figurez-vous que c’est la basse ronde qui mène le bal du garage, ici. Pas étonnant que tous les kids d’Angleterre et principalement les Pistols aient flashé là-dessus comme des ronds de flanc. On voit que les Monkees sont capables de jouer le meilleur garage de leur époque, surtout lorsqu’il est signé Boyce & Hart. Attention au dernier cut de la B : il s’agit bien sûr du troisième grand hit des Monkees, «I’m A Believer», composé par Neil Diamond. Rien qu’avec Stepping Stone et celui-là, les Monkees sauvent leur album. Ils amènent Believer au riff d’orgue et ça démarre dans l’intimité du génie des sixties. Tout s’articule admirablement, avec de l’énergie - I couldn’t believe it if I tried - Nous non plus, Micky ! Le When I saw her face est rentré dans l’histoire et on se goinfre de coups d’If I try et on se shoote de aaaaaah et des relances intempestives, il semble que l’énergie se démultiplie à l’infini, apanage des grands hits - I’m in love ! - C’est l’âge, ils sont dedans and then I saw her face ! Davy se tape plus loin un beau «Hold On Girl» et il semble dégager l’horizon, avec son extraordinaire dynamique de sucre d’orge. Il chante d’une voix de rêve. Davy le popster colle au bonheur. Il tape lui aussi dans Neil Diamond avec «Look Out (Here Comes Tomorrow)». Il sait tenir son rang de popster intercontinental. Disons que c’est le troisième hit de cet album qui semble quand même un peu mou du genou.

La même année paraît Headquarters, avec la belle photo du groupe sur un fond blanc, le genre de pochette qui vous fait de l’œil lorsqu’elle est accrochée dans la vitrine du disquaire. Alors on entre. C’est encore l’époque où le disquaire vous fait écouter le disque et vous en parle. Mais bizarrement le disque n’accroche pas. Il manque un truc important : les hits.

— On ne peut pas dire que ce soit un grand disque, hein ?

— Tiens écoute ça !

Le cut s’appelle «Forget That Girl». Davy chante et c’est magnifique d’innocence poppy. On a l’impression de sucer une pop sucrée et chocolatée. Le disquaire tourne le disque et passe un autre cut, «Sunny Girlfriend». Ah voilà le hit de l’album, joué par Mike Nesmith qui gratte des arpèges à la volée, on a là un truc tonique et sur-vitaminé ! Wow ! Il faut voir à quelle vitesse il tricote ses mailles, c’est même effrayant et excessif. Mais ce n’est pas suffisant. Il y a trop de trous dans cet album. Mais on le prend quand même pour l’écouter tranquillement à la maison. On ne sait jamais.

En 1967 paraît un troisième album des Monkees, Pisces Aquarius Capricorn & Jones Ltd. On frise un peu l’overdose, d’autant que cette année-là paraissant des tonnes d’albums fantastiques. Impossible de suivre financièrement. Par chance, Pisces n’est pas bon. On l’écoute chez le même disquaire qui en convient lui-même. Bon ben bof... Le seul hit qu’on trouve là-dessus est le fameux «Pleasant Valley Sunday» repris par Gedge avec son Wedding Present. C’est logique que ce soit un hit puisque Carole King et Jerry Goffin l’ont composé. On retrouve avec ça tout l’éclat de la grande sunshine pop américaine. Davy Jones se tape la part du lion avec «Hard To Believe» qui ouvre le bal de la B, Il ramène sa pointe d’English class dans ce fatras de pop américaine et sauve un peu l’album en claquant des doigts. Il swingue son charme à la bonne mesure. Ce mec sait aller chercher du rêve dans l’exercice de la démesure. Et quand on écoute «Words», on a l’impression d’entendre une resucée de «Murder Mystery» du Velvet. Et puis on voit nettement se cristalliser les tendances bluegrass de Mike Nesmith à travers des cuts comme «What Am I Doing Hanging Around», une sorte de country-rock des collines qu’il joue au picking rapide, l’œil rivé sur l’horizon.

On approche de la fin de l’âge d’or avec The Birds The Bees & the Monkees, paru l’année suivante. Un hit s’y niche, le fameux «Daydream Believer», chanté par Davy, hit de pop suprême, orchestré aux trompettes. Davy joue la carte de la consistance de la consonance et il s’affirme en tant que héros du groupe. Il faut voir comme il remplit bien l’espace. Il chante aussi «Dream World», et on pense aux early Bee Gees, car c’est le même genre de magie, avec le même timbre de canard sucré que celui de Robin Gibb. Sa pop se veut enjouée, solide, envolée, voluptueuse, toute en bulbes et en coupoles dorées dans l’azur immaculé de ces sixties hélas disparues pour toujours. Davy refait son Robin dans «We Were Made For Each Other», balladif de charme intense et notre petit génie de Manchester chante au micro étoilé. Il est un peu le Gerald Love des Monkees. On reste dans le haut de gamme avec «Tapioka Tundra», sunshine pop over the rainbow, bien soutenue, bien fourbie, nerveuse à souhait et relativement élancée. Quand il chante «The Poster», en B, on détecte dans son timbre des accents de Robin, mais aussi de Bowie.

Oh et puis la même année paraît Head, un album qui s’arrache aujourd’hui à prix d’or et on se demande bien pourquoi. Les hits y brillent par leur absence. «Porpoise Song» sonne exactement comme un cut des Beatles. Niveau ambiance, c’est assez proche d’«A Day In The Life», mais il vaut mieux écouter les Beatles. On frémit un peu à l’écoute de «Circle Sky», amené avec une belle densité de son et monté sur un beat d’acou. L’autre cut solide de l’A s’appelle «Can You Dig It», un drive pour le moins fantastique joué à la guitare psyché. Et puis en B, eh bien, on bâille aux corneilles. Davy tente de sauver l’album avec «Daddy’s Song», mais l’étincelle lui fait cruellement défaut.

En 1969, ils sortent deux albums : The Monkees Present et Instant Replay. Present subit à peu près le même sort que son prédécesseur : il est privé de hit. On y entend Mike Nesmith jouer les virtuoses sur «Little Girl» et «Good Clean Fun» et Davy revient charmer les ménagères avec «If I Knew», une pop très anglaise dans l’essence de la gazoline. Mike revient à sa chère country avec «Never Tell A Woman Yes». C’est dingue comme ces mecs ont des goûts différents. Davy revient avec une compo signée Boyce & Hart, «Looking For The Good Times» et tente de faire décoller cet album. Il fait émerger ses tendances bubblegum. En B, on s’ennuie une fois encore comme un rat mort et Micky referme la marche avec un «Pillow Time» chanté au doux de la voix avec un petit côté duveteux de loutre pop, coquin de creux du cou. Replay n’est pas beaucoup plus convainquant. Boyce & Hart continuent de travailler pour nos amis, mais on sent beaucoup trop les influences de Sergent Pepper’s. Dès que Davy chante, comme c’est le cas avec «Don’t Listen To Linda», l’atmosphère se réchauffe. Mais on sent bien que l’inspiration fait défaut. Les pop-songs comme «Me Without You» ou «I Won’t Be The Same Without Her» refusent obstinément de décoller. Le «Tear Drop City» qu’on trouve en B est un belle resucée de «Last Train To Clarksville» : on a exactement le même gratté de guitares. C’est Neil Sedaka qui signe «The Girl I Left Behind Me», une pop éminemment bien foutue, sucrée et raffinée à souhait. Et puis voilà. T’as encore dépensé des sous pour rien.

L’année suivante, ils ne sont plus que deux dans le groupe : Micky et Davy. Ils ne se formalisent pas pour autant et enregistrent l’album Changes. Avec «It’s Got To Be Love», il tapent dans la petite pop délicate, mais il leur manque l’envergure. L’intimisme qu’ils pratiquent ne fonctionne pas du tout. Par contre, ils défraient bien la chronique avec «99 Pounds». Ils reviennent à leurs racines pop-rock, avec du vrai son vitaminé, plein de tambourins et là, ça marche. En B, Davy ramène toute la chaleur poppy dont il est capable dans «Do You Feel It Too». Il chante de son meilleur timbre d’ambre jaune et un joli solo joué au velouté rehausse cet épisode joliment inspiré. Mais pour le reste, on pourra se serrer la ceinture.

Dix-sept ans passent sous le Pont Mirabeau et on les retrouve tous les trois dans une piscine : Davy, Peter et Micky. L’album s’appelle Pool It et ça démarre sur «Heart And Soul», une grosse pop à la Cheap Trick. On reconnaît bien là les penchants touche-à-tout de Micky. Avec «Secret Heart», ils font même de la diskö. Incroyable mais vrai ! Alors là, on peut dire qu’ils se grillent. En B, ils passent carrément au rock FM et histoire de bien finir de scier la branche sur laquelle ils sont assis, ils font aussi un brin de reggae. Cet album est un véritable catalogue des horreurs.

Paru en 1996, Justus pourrait bien être le meilleur album des Monkees. On y trouve en effet deux véritables coups de génie, à commencer par «You And I», fabuleuse pop de caractère. Davy Jones chante et il se montre extraordinaire de répondant. Il sait monter sa pop en neige. Avec «Admiral Mike», on passe au heavy groove. On se croirait sur l’Album Blanc tellement c’est bon, argenté et plein de son - Your copy kills/ Your copy smells - C’est joué aux énormes accords du ponant. Les Monkees ont du génie. Il faut voir avec quelle classe ils partent en sucette sur des accords rock’n’roll. Attention, ce cut est d’un niveau peu commun. En réalité, on s’embarque pour Cythère dès le premier cut, «Circle Sky». Ils lâchent une véritable cavalcade de pop portée à l’incandescence, sauvagement grattée et propulsée. On retrouve sur ce disque la formation originale du groupe et diable, comme ils sonnent bien ! Attention, avec les Monkees, les choses peuvent devenir très sérieuses ! Avec «Oh What A Night», le grand Davy Jones tape la carte de la good time music. On fond comme beurre en broche - Your kisses were so tender/ Oh what a day - Les Monkees poussent le bouchon très loin. Par contre, les compos de Micky Dolenz ne décollent pas. Il nous embête. Celles de Peter Tork accrochent un peu mieux, comme par exemple «I Believe You», pièce atonale à cheval sur trois pattes et qui tire un peu vers la gauche. Ah Tork sait avancer de travers. On perd l’habitude d’entendre des cuts aussi étrangement bons. Micky Dolenz finit par s’imposer avec «It’s My Life», un joli balladif. Chez les Monkees, le moindre balladif sonne pour de vrai. Celui-ci se révèle exceptionnel. On est aux antipodes des mauvais balladifs d’Aerosmith et de tous ces groupes de rock FM. Davy Jones boucle ce fantastique album avec «It’s Not Too Late». On sent l’Anglais dès l’intro. En fait, dans le groupe, c’est lui qui passe le mieux. Il sait modeler une mélodie pour la réchauffer et l’humaniser. Davy Jones est mort, désormais, mais il fut un petit roi de la pop. Il rayonnait et dardait de mille feux - It’s not too late/ To turn this ship around/ To sail into the world my love/ Before we run aground - Il est assez précis dans l’évaluation des conséquences. Davy Jones crée l’envoûtement. C’est un enchanteur pourrissant, comme dirait Apollinaire.

Nos amis sont de retour en 2016 avec un nouvel album intitulé Good Times. Même si Davy Jones n’est plus là, c’est bardé d’énormités, comme «Gotta Give It Time», une puissante compo de Jeff Barry. Ah on danse autour du juke et on note l’excellence de la corpulence d’Hortense, la grosse qui danse en mini-jupe. Effarante pop. On sent bien la force des vétérans. Dans le morceau titre qui fait l’ouverture du bal, on note la présence d’Harry Nilsson. Ils font une cover de Weezer, «She Makes Me Laugh». Micky, Peter et Michael jouent ça avec une énergie considérable. Ils retapent dans Tommy Boyce & Bobby Hart avec «Whatever’s Right». Back to the basics, les Monkees reviennent aux sources de leur légende. Avec «Love To Love», ils tapent dans Neil Diamond et la voix qu’on entend est celle d’un Davy Jones ressuscité. Encore une pure merveille avec une reprise de «Birth Of An Accidental Hipster», joli cut signé Noel Gallagher. C’est traversé par un solo extravagant et on se retrouve une fois de plus avec une pure merveille sur les bras. Ils reprennent ensuite «Wasn’t Born To Follow» de Goffin & King et jouent ça au bongo du bingo. Et ça se termine avec une autre énormité cavalante, «I Was There», jouée au boogie rampant.

Peut-être qu’au fond le mieux serait de se limiter à un bon Greatest Hits, comme par exemple celui sorti sur Arista en 1976. On y retrouve tous les hits qui firent la grandeur de ce groupe : «Last Train To Clarksville», «Daydream Believer», «I’m A Believer», «Pleasant Valley Sunday» et «Stepping Stone», bien sûr. On y trouve aussi un hit qui ne figure pas sur les albums, «A Litlle Bit You A Little Bit Me», mais qui se trouve sur un single. C’est l’un de leurs hits les plus resplendissants. On réécoute aussi avec un plaisir non feint «She», ce beau cut signé Boyce & Hart. Au plan mélodique, il se pourrait fort bien que ce soit la meilleure chanson des Monkees. C’est pur et toxique, comme peut parfois l’être le plaisir charnel.

Signé : Cazengler, et monkee, c’est du poulet ?

Peter Tork. Disparu le 21 février 2019

Monkees. The Monkees. Colgems 1966

Monkees. More Of The Monkees. Colgems 1967

Monkees. Headquarters. Colgems 1967

Monkees. Pisces Aquarius Capricorn & Jones Ltd. Colgems 1967

Monkees. The Birds The Bees & the Monkees. Colgems 1968

Monkees. Head. Colgems 1968

Monkees. The Monkees Present. Colgems 1969

Monkees. Instant Replay. Colgems 1969

Monkees. Changes. Colgems 1970

Monkees. Pool It. Rhino Records 1987

Monkees. Justus. Rhino Records 1996

Monkees. Good Times. Rhino Records 2016

Monkees. Greatest Hits. Arista 1976

Ah au fait, sur l’illusse, Peter Tork est celui qui est devant, avec les cheveux plus clairs. Derrière lui, de gauche à droite : Mike Nesmith, Davy Jones et Micky Dolenz.

 

22 / 02 / 2019MONTREUIL

L'ARMONY

BILL CRANE / CRASHBIRDS

 

Armony du soir. Un peu dissonante, je l'admets, mais le rock'n'roll est rempli d'aspérités, c'est ainsi, l'on n'y peut rien. En plus ce soir ce sont les oreilles qui vont saigner mais aussi les yeux. Disposés sur une table Speedball et Kronik vous arrachent la vue, pas de panique, les numéros sont présentés plus bas, plus un supplément la semaine prochaine, ne me remerciez pas, je sais que vous ne le méritez pas, mais c'est mon jour de bonté, profitez-en, en attendant, allons voir ce qui se trame du côté – pour le situer d'une manière proustienne - de la scène.

BILL CRANE

Z'étaient l'objet d'une précédente chronique voici quinze jours, mais c'est comme les attaques de banque à mains armées, quand vous y aviez goûté vous ne pouvez plus vous en passer. Quand on y pense le rock'n'roll quand il est bien fait, ça vous prend très vite un petit air à la Jesse James. Mais ce soir les héros ce ne sont pas les frères de l'Ouest sauvage du bon vieux temps qui s'activent mais Bill Crane, une espèce de combo d'outlaws qui se complaît à fracturer non pas les coffre-forts, mais le rock'n'roll. Un art pas facile. Qui équivaut à se déplacer sur un fil de fer barbelé qui vacille en s'interdisant d'éviter toute blessure, une esthétique de la rupture.

Ce soir Gwen nous offre une basse de velours, la compresse d'ouate douce pour les ecchymoses que vous n'avez pas encore reçues mais qui vont très bientôt tuméfier votre visage. L'a adopté la démarche du chat en chasse, souplesse et indolente, qui arpente négligemment la faitière du toit le plus haut de la ville, griffes rentrées et coussinets feutrés. Semble marcher en somnambule, méfiez-vous la bulle de sa pupille est aux aguets, arrêtez de sourire et priez pour vos souris, ce soir Gwen a la basse carnassière, s'insinue partout, l'est maintenant le boa réticulé qui se glisse sous les toits et vous ne voyez plus qu'une traînée de tuiles qui se soulèvent et trahissent sa marche en avant, insidieuse et prédatrice. La vieille technique de la tortue chère aux légions romaines qui permet d'avancer sus à l'ennemi sans désemparer. Ce soir Gwen est métamorphose, l'est la ligne intangible, le filon d'or qui court sous la montagne, les trois autres ont compris qu'il était la fréquence de base ( et de basse ), le rayon de lumière noire qui indique la direction, et permet de foncer sans fin vers les confins du rock'n'roll, qui se dérobent toujours.

Le serpent qui rampe et l'aigle qui vole. Patrice suit l'avancée reptilienne, mais de haut, l'a le sax flamboyant, Gwen est l'ombre tutélaire et Patrice la lumière victorieuse. L'un qui fore fort et l'autre qui force l'or du feu à étinceler en gerbes flamboyantes qui n'en finissent pas de passer telles des queues de comètes interminables. Patrice a définitivement opté pour l'art de la surabondance, l'en rajoute toujours un max, toujours un sax, l'a décidé de saturer le palimpseste, de raturer les runes secrètes, l'institue ainsi un déséquilibre tangentiel dans le rock'n'roll de Bill Crane, une rupture sonique, une faille infaillible, une dévastation plénière. Une dénivellation ascendante, un escarpement différentiel. Faut le voir souffler sans interruption, comme s'il jetait sa force vitale dans le vide, comme s'il désirait se vider de lui-même, et remplir le monde de son influx nerveux.

Bobo n'est pas à la fête. Doit répondre aux deux postulations contradictoires, l'a les bras qui n'arrêtent pas de taper, mais le plus spectaculaire c'est de suivre son travail de frappe sur son visage. Ses baguettes donnent l'air de s'activer toute seules, un ballet d'essuie glaces automatiques qui se régule sans besoin d'aide et s'adapte au moindre changement de rythme avec une facilité déconcertante. Une machine. Mais c'est dans sa tête que ça turbine le plus. Un ordinateur qui pense, qui calcule, qui prévoit. Suit des yeux les moindres mouvements des trois autres, qu'est-ce qu'ils vont encore inventer, mais non, peuvent imaginer tout ce qu'ils veulent, lui il possède la parade et la solution, l'a cet air entendu du mec à qui on ne la fait pas, ah, bon ce n'était que ça, vous voulez la révolution, voici la résolution.

Et pourtant l'a du souci à se faire avec le Calassou, l'a sans arrêt, mais avec avec arête de poisson coincée dans le gosier, un truc de travers à sortir de sa guitare calebasse. L'a le riff qui ripe et qui râpe. Ne peut pas ne pas vous surprendre. Vous savez bien qu'il est le spécialiste de la déglingue, le skieur maudit qui déclenche l'avalanche, le chauffeur de bus qui casse le moteur, le capitaine qui coule, l'aviateur en panne de kérosène, vous attendez, et à chaque fois il invente un incroyable bidule de sauvetage, la neige qui fond, l'autobus sans abus, le sous-marin, le moteur à air, et il retombe sur les pieds du riff avec l'élégance d'une panthère qui saute par terre avec cette souplesse féline qui n'appartient qu'à elle. Sachez-le, un riff de guitare chez Bill Crane, c'est une catastrophe annoncée qui s'achève en splendeur éphémère, car il ne faut pas trop exagérer, le rock'n'roll sans danger qui reste sur ses acquis c'est comme le couteau sans lame auquel il manque le manche.

En plus possède une arme pas secrète du tout. L'agite à la manière d'un drapeau sur le champ de bataille, l'a la voix oriflamme qui claque au vent, aux quatre vents de l'esprit dirait Victor Hugo. Vous la jette dans la tambouille sonique à croire qu'il voudrait s'en débarrasser. Un grand pavois qui cloque et qui prend ses cliques, car elle file à folle rapidité, l'écrase les crevasses et décime les cimes. Et tout le monde suit sans demander son reste. Un set de Bill Crane, c'est comme quand vous avez enlevez la clef de voûte de la pyramide, tout s'écroule autour de vous, l'on ne compte plus les morts en marmelade sous les pierres, les femmes hurlent, les enfants pleurent, mais vous vous en foutez, royalement, sous vos yeux éblouis la chambre secrète est enfin ouverte et vous pouvez contempler le visage du pharaon inconnu, et vous vous apercevez qu'il vous ressemble.

On s'en doutait, mais Bill Crane confirme.

 

CRASHBIRDS

C'est le printemps, les cui-cui sont de retour. Z'ont quitté leur chaumière du Finistère rien que pour nous. C'est que nous sommes très importants, si beaux, si bons, si bien que nous sommes ( en filigrane ) sur leur prochain disque, un double CD enregistré en public à l'Armony, qui sera présenté le dimanche 7 avril de 18 heures à 23 heures à ( quel hasard ) l'Armony. Risque d'y avoir du monde vu que ce soir l'assemblée compressée ressemble à ces fagots d'haricots verts extra-fins retenus tout droit par un fil dans les restaurants qui se la jouent classe. En attendant ce jour faste Pierre est déjà au boulot, talque sa guitare avec le soin maniaque d'un pâtissier qui saupoudre ses millefeuilles, Delphine se pavane parmi un groupe d'admirateurs et d'admiratrices revêtue de son insolente beauté et d'un béret noir qu'elle porte comme une couronne de reine. Mais il est temps que les choses sérieuses commencent.

Crashbirds, this old dirty hot blues, l'effet d'une incantation voodoo dès les premières notes, la cérémonie bleue pétrole marée noire vient de commencer. Vous avez deux sortes de blues originel, celui de Charley Patton qui mugit de l'intérieur, faisandé sur lui-même, une explosion atomique souterraine dans l'auto-cuiseur de votre cervelle, et celui de John Lee Hooker, un balancement hypnotique, un cheminement incoercible, une marche en avant infatigable, qui vous mène tout droit dans le cœur putride de votre chair, deux sentiers différents qui se dirigent vers l'identique lieu, la forteresse désarmée de votre âme lézardée. Deux manières d'être au monde qui correspondent aux voies humide et sèche de l'alchimie intime, Crashbirds ose celle de feu, sans concession ni rémission. Une ligne de crêtes solitaires aiguisées comme autant de poignards impitoyables levés vers le ciel des aurores sanglantes. Le vieil when I awoke this morning, et toute la misère du monde qui s'affale sur vous et que vous allez lacérer en un corps-à-corps mortel, tout cela, c'est l'arrière-fond immémorique de la musique de Crahbirds, ne vous étonnez pas s'ils commencent par faire un sort à votre personnel grigri christique. Le blues est sans pitié, on y sacrifie aussi bien le dieu oublié qui vous appelle au téléphone que les alligators carnassiers qui nagent dans les boyaux de vos désirs et les bayous mortels de vos affects.

Rollin' To The South. Pierre regarde vers les Enfers et Delphine vers Dionysos. Il est le démon, elle est la ménade païenne échevelée. Pierre souque ferme sur ses boîtes soniques. Du pied il donne le rythme, s'obtient par le geste du talon répétitif qui écrase les têtes de serpents qui s'entrelacent à même le sol. Un peu voûté par ce piétinement primordial qu'il faut alimenter sans arrêt, mais les doigts courent sur les cordes de sa guitare, l'arakné obstinée du blues tisse le défi de sa toile, un tricotage riffique infini dont il semble impossible de s'arracher, la psalmodie orphique des cordes produit ses effets serpentiques et fascinatoires sur le public qui ne peut plus détacher les yeux de cette combustion venimeuse enchanteresse qui se communique lentement mais sûrement au monde entier. Nous descendons les sinistres escaliers avec lui et maintenant nous les remontons derrière Eurydice, Delphine est renaissance, la germination primitive, c'est elle qui chante, crie, rit, et gesticule. Ses cheveux roux sont la flamme de la torche nuptiale du jour et de la nuit, l'ivoire de son teint est la blancheur matutinale des premiers rayons du soleil qui irise le monde. De sa gorge s'échappent les clameurs péremptoires de la joie de vivre, elle dit, elle ordonne, elle façonne, sa voix est un fouet délicieux qui coupe et cisaille. Prêtresse et comédienne, elle demande à boire et l'on se précipite pour lui apporter une bière bienfaisante dans un verre aussi long qu'un cou de girafe, elle s'amuse vocalise, escalade les aigus et les cimes cristallines avec une facilité et une gracilité vocales de petite fille et de grande diva.

Le message n'en est que plus noir. Elle dénonce et elle prophétise, We Lobotomy, No Mercy, European Slaves, Someone to Hate, les titres assénés comme des coups de couteaux dans le dos de vos illusions ne laissent planer aucun doute quant au constat de la réalité professé par nos ornithos qui vous déchirent le réel à cruels coups de bec, lui sortent les tripes du ventre pour que vous n'ignoriez rien de la puanteur sociale qui nous entoure. Et Pierre imperturbable en rajoute, entre deux morceaux, le temps d'agrémenter sa tambourinade de de quelques réparties vaseuses et scrofuleuses, élégance dénonciatrice selon un mode auto-dérisoire de l'inanité des choses. Puis comme le forçat attaché à son boulet, reprend son boulot de Sisyphe à pousser le rock du riff sur les plus hauts sommets incantatoires. Delphine le suit de près sur sa rythmique, mais ce soir elle a tellement incarné sa présence dans sa voix que ne me restent que quelques flashs de ses mains sur les cordes. Pétulante et pétillante, le cordon qui étincelle avant de détonner le bâton de dynamite. Les guys ne pensent qu'à la regarder mais devant la scène une cohorte de filles de feu s'adonnent à une étrange ronde nervalienne en son honneur.

Hélas sur cette terre les édiles ont décidé qu'il y avait une heure pour le bonheur dionysiaque à laquelle il convient de ne pas contrevenir. Le concert s'arrête, no fun for punks, telle est la terrible loi de nos existences grillagées. Qu'importe, même si le monde est une saleté, quelle soirée de rêve bleu et rock.

Damie Chad.

 

ISLATION N° 31

( Hiver 2018 )

 

Je ne le savais pas mais c'était chez moi, bien au chaud sur le bureau, sous des tonnes de bouquins, de CD et de factures. Un véritable petit trésor, à peine plus épais qu'un feuillet à cigarettes, vingt-huit pages, j'ai dû réfléchir pour savoir d'où ça provenait, ah, oui la poignée de fanzines récupérée chez Vicious Circle à Toulouse l'été dernier, un coup de chance en farfouillant sur le net me suis aperçu qu'il avait seulement été distribué que sur la ville rose et à Paris in Le Silence et la Rue, boutique spécialisée en vinyles. Vous livre même le nom de l'individu qui est derrière cette publication, Bertrand Redon, un passionné de bonnes musiques. Allez faire un tour sur son bertrandmusicblogspot.

Fanzine certes, mais pas un truc esthétique du pauvre les tripes à l'arrache, une maquette parfaite, en trois couleurs, noir, blanc, gris, bien écrit, plutôt porté vers le folk, mais l'on devine une ouverture d'esprit sans œillère. Ai été attiré par le long article sur Tamara Lindeman. Actrice ( film et télé ) canadienne sous le nom de Tamara Hope, mais aussi compositrice et chanteuse. Elle raconte une histoire invraisemblable. Tombe amoureuse d'un garçon, passent leur temps à se promener dans les bois désertiques du Canada. André a une habitude bizarre, ramasse toutes sortes de plantes et les grignote toute crues. Elle comprend et admet cela, les gens qui habitent des contrées solitaires développent des comportements qui peuvent sembler étranges aux habitants des villes, mais qui renouent peut-être avec de très anciennes habitudes de préhension du monde, survie et connaissance, qui remontent pourquoi pas d'avant le néolithique. Le guy retourne chez ses parents sur une île lointaine, un coup de téléphone lui apprend qu'il est mort, il a mâché de l'aconit. Poison violent qui aura raison de lui en trois heures. André était passionné de musique, ayant récupéré les cassettes qu'il avait enregistrées sur son dictaphone, elle comprend qu'elle se doit de devenir chanteuse. A ce jour elle a produit quatre albums sous le nom de The Weather Station. L'on sent Bertrand Redon subjugué par le personnage de Tamara, comme si l'acte même de chanter était relié chez elle, d'une manière des plus intimes, à la manducation du premier garçon avec qui elle avait partagé une charnelle et spirituelle communication poétique.

L'article suivant est une présentation du treizième album de Chuck Prophet, Bobby Fuller Died For Your Sins. Un titre magique pour les rockers, même si question originalité il est un peu trop connoté avec le Horses de Patti Smith, d'autant plus qu'une autre plage du disque s'intitule Jesus Wass a Social Drinker. Ah, ce sentiment de culpabilité post-puritaniste du citoyen américain, moyen ou borderline, qui n'en finit pas d'éclabousser sa conscience ! Rien que le fait de se surnommer prophète est très symbolique d'une lourde hérédité. Reste que le titre éponyme de l'album est teinté d'une ironie de bon aloi. Quant aux paroles du petit Jésus et sa rythmique subtilement titubante elles valent le détour.

Lee Bains King Krule, Cancer, Fleet Foxes, Hiss Golden Messenger, Big Blood, Susanne Sundfor, Real Estate, Gzauson Capps, John Moreland, Scott Miller, Widow-speak, Macolm Holocombe, Charlie Parr, David Rawlings, Cindy Lee Berryhill, Watermelon Slim, je cite tous ces noms pour que vous ayez honte de votre inculture ( de la mienne aussi ), autant d'albums chroniqués, peu de mots mais des évocations qui décrivent à chaque fois un univers particulier, Bertrand Redon est doué et en connaît un rayon. Par contre son article de tête sur Smoky Tiger est la preuve absolue que chacun de nous aime des horreurs abominables. Si vous êtes de ceux qui pensent que les goûts et les couleurs sont très symboliques de vos états d'être vous risquez d'être plongés dans des gouffres d'interrogation sans fin.

Diantre, ce modeste fanzine vous en apprend davantage que deux numéros de Rock & Folk ! Pastèque sur le gâteau, il est gratuit. Il existe donc encore quelques bienfaiteurs de l'humanité.

Damie Chad.

 

MELISA BERNARDOT

SHOOTS AND DRAFTS

 

Support parisian rock scene, c'est ainsi qu'elle se définit lapidairement sur son FB, c'est elle qui nous a fourni les photos de la livraison 407 du 21 / 02 / 2019 du concert Amain Armé / Britches de la Comedia. Je ne parlerai point en cette chronique de ces photographies si ce n'est pour signaler cette manière de présenter souvent le même cliché en couleur puis en noir & blanc, ce dernier se conférant, selon cette double présentation, pour emprunter un terme au philosophe allemand Friedrich Wilhelm Schelling, une dimension réale fort prononcée tout en se donnant à voir comme la vision idéelle de ce dont il procède. Rappelons que le mot réal signifie effectif, ce qui est étrange puisque c'est la juxtaposition des deux clichés qui produit l'effet, et non l'effectivité du seul cliché shirokurique. Comme quoi la répétition du même ne reproduit pas obligatoirement le même. Nous vous laissons tirer de par vous-mêmes les conséquences métaphysiques de la précédente affirmation...

Donc en cette kronic nous nous intéresserons uniquement aux dimensions draftiennes de la jeune artiste. En d'autres termes à l'album ( visible sur le FB : shoots and drafts ) 90377 : my drawings / visuals. Un dossier de cinquante trois vues qui forme un ensemble assez disparate de ces dessins et de ces esquisses que peintres et dessinateurs ont souvent l'habitude de jeter sur un carnet ou le premier bout de feuille qui leur tombe sous la main. Boîte à idées précieuses ou corbeille de bureau dans lesquelles on se débarrasse des mouchoirs en papier des rhumes de cerveau créatifs. La majeure partie de l'ensemble est d'ailleurs réservée à l'Inktober 2018. L'Inktober est une pratique relativement nouvelle lancée en 2009 par le dessinateur de comics Jake Parker, s'agit durant chaque jour du mois d'octobre de jeter l'encre de son imagination aiguillonnée par la proposition d'un seul mot fourni par le calendrier inktobrique. Autant dire que votre liberté est fortement bridée et que c'est à vous de vous débrouiller pour que votre propre vision du monde et votre style transparaissent dans cet exercice imposé. Une espèce de gymnastique intellectuelle qui n'est pas sans rappeler la pratique du Questionnaire Proust en littérature à la charnière des dix-neuvième et vingtième siècles.

Nous nous arrêterons au deux octobre. Un dessin plus travaillé que les autres. Qui sert à Mélisa Bernardot de vignette à son FB, une espèce de masque symbolique, une figure en quelque sorte héraldisée de soi-même, le trait anguleux du visage rappelle Bernard Buffet, et l'attitude les poses hiératiques des héroïnes de Klimt. Olympe de goule si je peux me permettre ce calembour qui allie la beauté à l'envers du décor. Le mystère de la féminité pour se replacer dans l'esthétique symboliste fin de siècle ! Pauvre poulette, l'a été condamnée, le trois de ce mois funeste, à passer quelques minutes dans le grille-pain, la donzelle en est ressortie quelque peu cuite aux entournures, l'a perdu ses airs de déesse et peut-être pire les ailes du désir. Ces deux dessins sont symboliques du travail de l'artiste quant à l' auto-représentation de la femme, tour à tour sorcière, fée, criminelle, attirante et puis brutalement l'envers du décor dézinguée, vieille, perdue, morcelée, découpée... Victorieuse ou défaite. Les deux versants de la vie, celui qui monte vers le point acméique pour aussitôt décliner vers la dissolution finale. Le deuxième dessin de ce codex 90377, visage auréolé d'une chevelure transformée en soleil noir qui surmonte un corps qui semble déjà soumis à l'informe dégradation des pourrissements terminaux, symbolise à mortveille cette dégradation horrifiante. Immédiatement après deux représentations féminines, camelote bijoutière à motif cabalistique de pacotille ou marque sur le front d'une croix inversée sont à mettre en relation avec l'œil rehaussé de travers de l'une, et totalement blanc de l'autre, ces yeux glauques trahissent la perception d'un réel et d'un outre-réel menaçant et inquiétant. Les longs cheveux de la deuxième s'entrecroisent avec les larges rayures de son pull-over écarlate et forment comme une grille derrière laquelle rougeoie comme une fournaise annonciatrice, de sa simple présence au monde. Nous apparaît comme le joker de la mort.

Nous sauterons les espèces de collages qui séparent les deux images qui répondent d'une esthétique mangaïque, force et beauté sont au programme. Pas très loin, beau portrait d'un jeune mec le visage habillé d'une insolence paresseuse. Aux claires couleurs des deux précédents succèdent trois noirceurs de fille, de face, de dos et ce visage pratiquement dédoublé par la coupure d'une mèche ombreuse de cheveu anarchique, vu de si près qu'il excède la pleine page. Ensuite nous picorerons, ce réveil englobé dans un semblant de gangue de main qui serre son étreinte sans pouvoir arrêter le temps. Une autre mouture de cette image se retrouve plus loin dans l'Inktober sous forme d'une gamine tenant dans sa main une tasse de café mais le corps engoncée dans le cadran de la montre du temps fatidique. Vous la retrouverez à la page suivante recroquevillée en position d'œuf fœtal que l'on espèrerait retour originel, mais sur un dessin suivant, accrochée aux ballons de son rêve que l'on pressent d'une tristesse infinie. Ne reste plus sur une image postérieure qu'une poupée jetable abandonnée sur un trottoir déserté d'humanité. Admirons cette tête d'E. T. aux cinq yeux qui pétillent d'intelligence d'autant plus forte que débarrassée du reste de la chair de son corps absent. Tout comme cet homme le corps englouti dans la boue d'un marécage qui atteint déjà les narines, derrière lui des arbres morts tendent leur branches désespérées vers le rien, à mettre en relation avec la coiffure de cette petite fille à la chevelure de palmes vivantes qui court à son shopping, à l'assaut du monde, les billets verts entre les dents.

Ce n'est qu'un carnet. Certains lui reprocheront de ne pas être spécialement rock, pour ceux qui ont nécessairement besoin d'une guitare pour qu'une image soit obligatoirement rock, ou une pancarte '' Eléphant'' accrochée à la trompe de l'animal idoine, un de ces jours je chroniquerai les photos de concert de Mélisa. Le rock c'est aussi un esprit diffus. Ça flotte dans l'air sous forme d'atomes subtils, certains sont de véritables passoires, sont traversés par ces nuages microscopiques mais ils n'en retiennent aucun. A moins que ce ne soient les corpuscules qui ne veulent pas d'eux. Ce n'est pas donné à tout le monde d'en abriter quelques uns. Regardez la planche entière qui regroupe l'ensemble des dessins. Sont empreints d'une terrible solitude. Les personnages sont figés dans l'apparence spectrale de leur image. Que ce soit la vieille grand-mère qui tient précieusement son sac-à-main, ou l'homme à deux têtes pour mieux insulter le monde, chacun s'entête à représenter sa propre idée, la mémé qui s'accroche à son goutte-à-goutte comme à son cancer, ou l'hoplite qui a traversé des siècles d'histoire en sentinelle avisée. Mélisa Bernardot a soigné le look de chacun, jusqu'à ce qu'ils deviennent les archétypes de notre société dont nous ne sommes plus que des pièces disjointes, des figurines d'œuf Kinder sur l'étagère du désespoir.

De fait ces croquis sont plus proches du blues que du rock. Ce qui n'exclut pas l'humour noir, la plus terrible des armes blanches. Mélisa nous offre cinquante-trois lamelles pour étude spectographique de la faune contemporaine, cinquante-trois arcanes du tarot spectral de la féminité moderne que vous ne saurez regarder sans être traversé d'un fort courant d'électricité. Lumière noire.

Damie Chad.

( Dessins visibles sur FB : Shoots and drafts )

 

SPEEDBALL

MALEDIXION

N° 13 / Février 2019

 

Arnaud & Maniak / Romuald Martin / Manolo Prolo / Pierre Bunk / Lenté Chris / Chester / Carlota / Jokoko / Gomé / Kyja / Mlce / Madd / Slo / Méli / Louna / Jess X / Dr Silk / Krokaga / Gromain / Max Clem / Pat Pujol / Dav Guedin / Denis Grr / Tôma Sickart / Pierre Berger / Marc Brouillon / Gwen Tomahawk / Laurent Z. Rondet.

 

Sont comme ça les Bédéistes, vous achetez une revue, vous ouvrez et c'est aussi plein qu'un zodiac chargé de migrants au milieu de la Méditerranée, se déplacent en groupes d'entourloupe, en tribus de zébus assoiffés d'abus, en peuplades de camarades en rade, arborent leurs noms de guerre comme des étamines de pirates, se jettent sur vous à trente contre un, quand vous apercevez cette cohue tohu-bohu, vous vous dites que rien de sérieux ne pourra jamais sortir de ce pandémonium. Et plock ! ils vous glissent la lame 13 du tarot, sous les naseaux, un objet de luxe, rutilant, grand comme un département, avec papier glacé et teintes flaschy, malédixion ! et manque de bol, ils vous collent une balle de speedball en plein cœur.

Vous n'y échapperez pas. Alors prenez votre temps. Sachez qu'il existe des malheureux qui se précipitent pour lire Speedball. Ce n'est pas de leur faute, ont dû être torturés par leurs parents dès le berceau, leur manque une case ou un igloo, je ne sais pas trop quoi, mais sûrement quelque chose... Non, Speedbal ne se lit pas. Speedball se regarde, Speedball s'écoute. Non, bandes de Béotiens, vous ne trouverez pas un CD enchâssé dans la couverture, soyez un peu esthètes par pitié, n'imitez pas ces ignorants qui ont besoin de poser un disque de Beethoven sur la platine pour entendre la Neuvième, un véritable bédéimane est comme le mélomane qui se contente d'étudier avec soin et rigueur la partition pour apprécier le génie du musicien, idem pour Speedball, prenez la brochure dans votre menotte gauche ( non, pas celle-là, l'autre ) et de la droite laissez perler sous votre pouce les pages, doucement, une par une, et la symphonie vous éclate au visage. Un festival de couleurs se déploie lentement sous vos yeux, z'avez l'impression de voir le monde se refléter sur les écailles d'un naja de quinze mètres de long, un rêve coloré passe devant vous, n'essayez point de grappiller quelques mots, the beautifull dream tournerait vite au cauchemar, que votre attention se porte exclusivement sur le travail de composition, pensez qu'avec une trentaine de participations de bric et de broc, ils ont réussi à donner une unité formelle à leur bouquin, et tirez-leur votre chapeau.

Voilà normalement cela devrait vous suffire, maintenant vous savez que c'est beau, vous devriez reposer votre intelligence en cette béatitude et laisser votre âme s'abreuver de ce seul sentiment idéal, mais vous êtes de ces mal-appris qui trempez vos doigts dans les plaies du Christ et puis dans l'anus de votre partenaire sexuel, alors pour satisfaire vos instincts touristiques les plus bas, vous aurez droit à une visite guidée. Nous ne verrons pas tout, nous effleurerons à peine, mais nous comptons sur votre perversité naturelle pour tout mirer par vous-mêmes.

D'abord le truc bluffant, cette page blanche au début, vous venez d'être maudits et hop on vous refile la blancheur de l'agneau innocent. Un peu comme le bourreau sadique qui vous passe la corde au cou et qui vous demande des nouvelles de votre santé avant de remplir son office. Ensuite dorures titulaires sur fond noir, planche ( de salut ) couleur avec rectangles d'architecture HLM, et splash, Gomé s'y met. Esthétique minimaliste. Case absente ou ondulatoire. Joue avec le blanc. Deux couleurs, le noir de l'humour et le rouge cible. C'est pour rire. Plus loin, rouge sang, noir anarchie et gris existentiel, l'on ne rit plus, rien ne va plus, rien n'a changé, de Louise Michel d'hier aux manifestations d'aujourd'hui, la révolution communiste est en marche. Tremblez bourgeois. J'ai le regret d'attirer votre attention sur cet étrange fait : Speedball n'est pas une revue macroniste. Si vous ne me croyez pas, suivez les vikings de Pierre Bunk dans leur recherche du trésor oublié. Une œuvre archéo-actualitoire. Désopilante. Plus inquiétante le Psych X man de Jess K qui nous plonge dans les circonvolutions de l'auto-surveillance psychique, notre futur proche.

Je vous laisse découvrir le reste. Ceux qui détestent l'humour punk s'abstiendront. En quatre-vingt dix pages, les histoires se suivent sans se ressembler tout en décrivant la même réalité. Mais surtout méditez ces pleines pages – dessins de styles divers ou photos trafiquées – elles rythment la revue, sont à regarder comme si dans notre quotidien des scénaristes pervers avaient remplacé les pubs de nos panneaux publicitaires, par des espèces d'engrammes symboliques, une efflorescence de représentation kaléidoscopiques des images les plus triviales de notre quotidien mêlées aux icônes les plus spasmodiquement mythiques de la culture populaire. Speedball ne recule devant rien, mais ceux qui en ressortiront choqués n'auront pas compris que la revue est à lire selon un autre plan. Ses dessins n'ont d'autres but que de mettre en mouvement la roue grippée des concepts dans la tête de nos concitoyens. Speedball, accélérateur de conscience.

Damie Chad.

 

KOMIKS KRONIK

N° 15 / Novembre 2018

 

Aurelio / Jokoko / El Primate / Toma Sickart / Chester / Syl / C. Sénegas / Camille Pull / Nemo / Pierre Lehoulier / Tusghin & Pierre Bunk / Tim64 / Mimi Traillette / Méli & Afeu / Pat Pujol / Toki / Gromain / Gwen Tomahawk / Madame Cruiii / Benoît Bedrossian / Gomé / Virginie.B / Jurg

 

L'on ne prend pas les mêmes – quoique en y regardant de près l'on s'aperçoit que certains participent aux deux aventures – et l'on recommence. Chez Kronik l'on n'hésite pas à renverser les axiomes du punk. No Future ? Eh bien si, et de beaucoup. Numéro spécial '' Space Robot''. Ne sont pas optimistes chez Kronik. Les robots ont gagné la bataille. Ne sont pas plus intelligents pour cela. Aussi médiocres que les humains. Les deux races coexistent aussi paisiblement que les ethnies humaines au cours de l'Histoire. Nous les avons créés à notre image. C'est sans doute pour cela qu'ils adoptent nos conduites et sont incapables de construire un univers mental différent du nôtre.

Un format légèrement moins grand que Speeball, mais quarante pages de plus. Mais est-ce une illusion, les encrages semblent différents, teintes plus claires et en même temps plus vives chez Kronik. Mine de rien il y a un sacré travail de mise en page dans ce numéro. Jokoko en est le maître d'œuvre, tout est dans l'alternance, ne s'agit pas de marier les styles mais faire en sorte que les mises en page se succèdent sans que l'une ne mange la suivante ou la précédente. Orchestration visuelle. Tact graphique obligatoire. Le bistre de fond de page d'Outer Space d'Aurelio, les bordures noires pour les vignettes faussement naïves et réellement scatophiles de A Plus Uranus de Jokoko, les incipits à dominante bleu de nombreux épisodes, les images de Goldoraque de C Sénégas découpées et recollées, et puis Zizi et Pantoufle qui semble un texte illustré par des images, les vignettes panoramiques de Super Gros Con de Pierre Lehoulier ( le même qui guitare dans Crashbirds ) avec son en-tête très années cinquante, la poésie de Boracho Le Clodo de Riri qui n'est pas sans évoquer la maladresse des dessins d'enfants, les dessinS au fil de Framax qui rappellent l'esthétique de Tron, tout cela ( et bien d'autres ) il a fallu l'inscrire dans une continuité pour ainsi dire narrative. Car dans ce Kronik vous pouvez simplement vous éclater à lire les histoires une par une, mais ce serait passer à côté de l'intérêt du volume si l'on ne s'aperçoit pas que ce numéro 15 est aussi un déploiement du traitement de l'image, de sa mise en scène, de sa mise en réflexivité avec le texte, c'est peut-être avant tout l'histoire du rapport entre l'image dessinée et l'image cinématographique qui est ici parfaitement illustrée et évoquée. Que cela n'effraie pas le lecteur, ce numéro n'est pas théorique, se présente plutôt comme un condensé expériençal des différentes manières de concevoir la mise en forme du récit graphique.

Qui dit robot dit science-fiction, l'imaginaire de nos auteurs ( pas tous ) est plus près de la science-friction. Frictions érotiques de la chair et du métal, comme si l'important du futur résidait dans cette approche mutuellement fascinatoire de l'Homme et de la Machine. Aussi tourmentée que celle de l'Un avec l'Autre. A croire que si les formes changent les problématiques ne varient pas d'un iota. Ce Kronik est beaucoup plus philosophique qu'il n'y paraît. Le rire n'est-il pas la force suprême de la sagesse ?

Damie Chad.

20/02/2019

KR'TNT ! 407 : MUDDY GURDY / JETHRO TULL / BRITCHES / AMAIN ARMé / THETRUEFAITH / LESTER YOUNG

KR'TNT

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 407

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

21 / 02 / 2019

 

MUDDY GURDY / JETHRO TULL

BRITCHES / AMAIN ARMé

THETRUEFAITH / LESTER YOUNG

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Muddy Gurdy manne

 

Quand on entre dans la salle, on ne se méfie pas. Une brune en robe longue coiffée d’un chapeau chante le hoodoo blues avec une gravité de ton qui ne court pas les rues. Aussi douée et aussi belle, elle ne peut être qu’Américaine. Elle pue la véracité du hoodoo blues à dix kilomètres à la ronde. On n’avait pas vu une blanche chanter le blues aussi bien depuis une éternité. En plus, elle bouge juste ce qu’il faut pour compléter le sortilège. C’est tout simplement une révélation. Le cut dure une éternité, mais tant mieux, car ça groove jusqu’à l’os. Raw to the bone. Elle a autant de classe que Chrissie Hynde, c’est le même genre de brune fatale, celle qu’on ne croise qu’une fois dans sa vie et qui nous fait préférer les brunes aux blondes. Définitivement. Elle détient le power. Étonnant de voir jouer une femme aussi brillante dans une première partie.

Alors quand le batteur prend la parole et qu’il s’exprime en français, le charme retombe, mais pas trop, en fin de compte. On surmonte vite la micro-déception car elle se met à jouer un riff de blues en picking sur sa Gibson grise. Elle utilise une technique assez rare, conjuguant le jeu du pouce à l’onglet et les quatre doigts dessous en support de contrefort de gling-gling, ça fait des tas de notes et un blues qui rocke la panse du beat. Elle s’appelle Tia Gouttebel et elle sonne tout simplement comme une star du blues. Elle a tout : la silhouette, la technique de picking et la voix. Le groupe s’appelait à l’origine Hypnotics Wheels, mais il s’annonce en tant que Muddy Gurdy, qui est aussi le titre de leur album tout frais sorti des presses. L’autre grande particularité du trio est le joueur de vielle, cet instrument ancien qu’on appelle Hurdy Gurdy en anglais, oui le fameux Hurdy Gurdy man de Donovan, c’est le joueur de vielle, un instrument moyenâgeux qu’on joue en tournant une manivelle et qui couine. Quand le batteur présente le groupe au public, il explique qu’ils sont tous les trois auvergnats et qu’ils sont allés faire un tour dans le nord du Mississippi pour enregistrer avec la crème de la crème du gratin dauphinois local, les héritiers du North Mississippi Hill Country Blues, c’est-à-dire Cedric Burnside, le petit-fils de RL, Shardé Thomas, la petite fille d’Otha Turner et Cameron Kimbrough, le petit-fils de Junior Kimbrough. On retrouve d’ailleurs tous ces gens sur l’extraordinaire Muddy Gurdy. Autant parler d’un monde de rêve. La renaissance d’un art vivant qui ne voulait pas disparaître.

Alors évidemment, pour Tia c’est du gâteau : elle tape dans R.L. Burnside, dans J.B. Lenoir, dans Fred McDowell, oui elle ose aller sur l’intouchable «Shake Em On Down», elle tape bien sûr dans Jessie Mae Hemphill, elle tape dans toute cette magie qui jadis fascina tant Jim Dickinson et Tav Falco. Par chance, le batteur est bon, d’une régularité infaillible. On les sent tous les trois passionnés par ce son terriblement primitif. Quoi de plus africain que le blues de Junior Kimbrough ? Ils se situent très exactement au cœur de la véracité du son et l’Auvergnat qui bat le beurre pousse le bouchon encore plus loin en expliquant qu’il existe un lien entre la bourrée auvergnate et le blues, entre le Hurdy Gurdy et le North Mississippi Hill Country Blues. Bon, ça n’engage que lui. On peut s’amuser à trouver des liens partout, ce qui compte, c’est le son, et Tia peut le sortir. Sur scène, elle rayonne de classe et de talent, cette classe du blues si particulière qui fascina tant les guitaristes anglais des sixties, cette lancinance du son qui s’adresse plus à l’épiderme qu’à l’intellect. Il y a un peu de Mr Airplane Man en elle, Tia et Margaret Garrett cultivent forcément les mêmes passions, même si Tia va plus sur Como où sont installés tous les descendants alors que Margaret va plus sur Wolf. Tia sait recréer l’ambiance de «Goin’ Down South» sur scène, avec une aisance qui effare, et la vielle apporte un étrange contrepoint, on croit même à un moment entendre un autre instrument, mais non, c’est la combinaison des deux instruments qui génère cette incroyable musicalité. Il faut la voir multiplier les riffs incendiaires dans «Rollin’ And Trumblin’», elle sort toute la collection et s’amuse à cumuler les fonctions, elle solote dans sa rythmique comme peu de gens savent le faire. Quand on la voit jouer en picking, on songe évidemment à John Cipollina, à James Gurley et à Roger McGuinn qu’on voit jouer tour à tour en picking dans le film de Pennebacker sur Monterey, ce qui à l’époque fut pour la plupart des guitaristes une révélation. On comprenait enfin d’où provenait cette richesse du son. Tia a bien compris ça et elle se balade dans le son.

Pour les fans de North Mississippi Hill Country Blues, l’album Muddy Gurdy est une aubaine et même une considérable aubaine. Il n’y manque que les fils Dickinson. Cedric Burnside ouvre le bal avec quatre classiques, à commencer par le «Goin’ Down South» de son grand-père. C’mon ! Tia intervient sur le tard du cut et ramène sa sourde sensualité. On entend le Hurdy Gurdy de Gilles Chabenat. Quel fantastique shoot de musicalité ! C’est enregistré à Como, man ! Ils tape ensuite un «That Girl Is Bad» à la transe de vielle et enchaîne avec l’effarant «See My Jumper Hanging On The Line». Cedric se paye une belle élancée, il joue au têtu de note, il va chercher la note bourrique et c’est battu si sec, oh boy ! La vielle vient lécher le beat turgescent, Cedric relance son see my jumper, Lawd, hanging on the line. Sur scène, Tia expliquait aux gens que lorsqu’une femme mettait son jumper à sécher sur la corde à linge, c’était pour indiquer à son amant qu’il pouvait venir la sauter car le mari était sorti. Cette version est encore plus hypno que celle des vieux blackos à cause de la vielle. Tia envoie ses fantastiques shoots de gimmicks along the way. Cedric rend ensuite hommage à Muddy Waters avec une version bringuebalante de «Rollin’ And Tumblin’» jouée à la pointe du meilleur picking down here in the South. C’est joué à la transe manifeste, avec une énergie considérable. L’art de Muddy n’a aucun secret pour Cedric. S’ensuivent trois cuts chantés par Shardé Thomas, la petite fille d’Otha le Grand, personnage dionysiaque jadis louangé par Dickinson. Elle attaque avec le «Station Blues» d’Otha, monté sur le beat du fife and drums, ce beat syncopé et si africain qu’on retrouve dans le «Fast Line Rider» de Johnny Winter. Cette fabuleuse poulette rallume les vieux brasiers et passe un solo de fifre. Elle souffle encore dedans pour un coup de «Glory Glory Hallelujah» et ça se met rudement en route, comme au temps d’Otha, sur fond de bass drum tribal, auquel vient se mêler la transe moyenageuse de la vielle. Cameron Kimbrough prend ensuite deux cuts à l’uppercut, «Leave Her Alone» et «Gonna Love You». Il ressort le son de Junior, à la Moon Hollow farm de Como. Absolument superbe, ils sont dans le pur jus de racine de blues. C’est même convaincu d’avance, car monté sur le plus hypno des beats. La surprise vient de Pat Thomas et de son «Dream». La vielle se marie à l’édentée du vieux Pat. On note l’extraordinaire qualité de la mélancolie. Le vieux Pat chante avec une infinie tristesse. Il faut attendre la fin de l’album pour retrouver Tia Gouttebel au chant, accompagnée par ses deux Auvergnats. Le «She Wolf» de Jessie Mae Hemphill qu’on entend là est aussi beau que celui qu’elle chante sur scène. Elle développe une sorte de génie interprétatif, elle chante à l’accent ferme et chaloupe si doucement, ooooh-oooh, qu’elle frise le Wolf. Elle parvient même à le transcender et chante au plus bas de l’instinct du blues. Puis elle tape dans «Shake ‘Em On Down» du grand Mississippi Fred McDowell, elle joue les riffs comme une vétérante de toutes les guerres, elle chante à la vieille malveillance de juke-joint, elle claque ses clics à la volée, et shake les ‘Em on down comme une reine. Elle aime ça, on le voit bien, elle envoie ses coups de bottleneck comme si elle avait fait ça toute sa vie. Quelle chance elle a d’avoir le vieil Auvergnat qui tape sec et net derrière. Il s’appelle Marco Glomeau. Elle termine avec un «Help The Poor» qu’elle prend du bas du menton, c’est une meneuse d’hommes, on sent chez elle de sacrées dispositions à lancer des assauts.

Tia n’en est pas à son coup d’essai. Avec un peu de chance, on trouvera dans le commerce un bel album de Tia and the Patient Wolves intitulé Travellin’ With My Guitar. La pochette est un beau clin d’œil à Bo Diddley et à cette pochette où on le voit chevaucher son scooter rouge rectangulaire. Tia pose dans la rue, appuyé contre un mur de briques, elle tient sa Gibson ES-335 dans les mains et devant elle se trouve garé un scooter rouge, mais pas rectangulaire. L’hommage à Bo ne s’arrête pas là car elle tape une version spectaculaire de ce «Pretty Thing» écrit par Big Dix pour Bo. Tia nous ramène au cœur de la mythologie Chess et dans l’écho du temps. Elle est dessus elle ressuscite tout le trémolo de Bo et même tout l’harmo. Elle revient aux couplets avec une ferveur qui en dit long sur ses dispositions. Sans doute est-ce là la meilleure version qu’on ait entendue depuis celle des Pretties. Phil May en tomberait de sa chaise. Autre coup de génie avec «I Came On The Moon» lancé à l’Africaine. Elle a tout compris. Le son est là, elle shake son blues comme une reine du delta. Tout est là, dans cette façon de lancer le beat du blues, à la Junior Kimbrough, avec ce sentiment de retard imperceptible dans le tempo. Elle passe au heavy blues avec «It’s Your Own Fault» ultra saturé de trémolo. Elle fait son numéro de blues girl, elle sait gueuler son blues, elle le vit bien et peut le surjouer à gogo. Elle tape ensuite dans Otis Rush avec «Keep On Loving Me Baby», en mode vieille attaque. Elle se jette à corps perdu dans le boogie d’Otis - I need you to kiss me - Elle veut qu’il lui roule une pelle, elle sait s’y prendre. Elle reste dans le boogie endiablé pour «Livin’ Together». Cette babe de blues est dessus, une fois encore, elle joue au pur jus de véracité, on sent qu’elle ne vit que pour ça, you should understand, c’est à la fois enfariné par l’harmo et visité par l’esprit. On la voit faire des siennes dans «Eight Men Four Women». Elle chante son ass off, dirait un cocher anglais. Elle tape aussi dans la Soul de blues avec une aisance déconcertante, comme on le voit avec «Volcano Girl», l’une de ses compos. On se croirait à Muscle Shoals ! Il faut attendre ses départs en solo, et là on est bien servi. Elle funke son blues comme Eddie Hinton. Elle se fond aussi dans le groove de Soul de «Something You Got» avec une classe impressionnante. Peu de blanches savent swinguer comme ça et elle termine avec une cover courageuse du «I’ll Go Crazy» de James Brown. Eh oui, elle ose ! S’il la quitte, elle va devenir crazy, mais elle n’atteint pas la fournaise de James Brown ni même celle des early Moody Blues. Cependant elle s’accroche et finit par imposer sa féminité de petite reine du blues auvergnat. Elle passe un solo plutôt acerbe et bienvenu.

Quelques jours plus tard, les Rival Sons montaient sur scène au même endroit, mais dans la grande salle. Une grande salle tellement pleine qu’il était difficile d’y entrer. Bon, les Rival Sons sont maintenant bien rodés, ils dépotent du Led Zep Sound et font le show, pas de problème, mais c’est beaucoup trop parfait et d’une pénible prévisibilité. On décroche assez rapidement, car ils font un rock qu’on qualifie aujourd’hui d’arena-rock, du rock de masse fait pour conquérir le monde. Du radio-friendly, comme les Living End ou encore les Struts dont la cote grimpe rapidement en Angleterre. Alors c’est autre chose. Pas de place dans ce rock pourtant bien foutu pour l’émotion et encore moins la fantaisie. C’est là où des artistes comme Tia Gouttebel et le Reverend Beat-Man jouent un rôle essentiel.

Signé : Cazengler, maudit gourbi

Muddy Gurdy. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 2 février 2019

Muddy Gurdy. Vizztone Label Group 2018

Tia And The Patient Wolves. Travellin’ With My Guitar. Tiablues 2011

 

Never a Tull moment

 

Alors qu’en 1968 tous les rockers britanniques rivalisaient de jeunisme et affichaient des looks qui faisaient baver d’envie les ados français, Jethro Tull fit sensation en prenant le parti inverse : avec leurs allures de centenaires irascibles, ils semblaient sortir d’un conte macabre de Petrus Borel. Mais attention, leur entrée en lice ne se limitait pas au choix d’un look pour le moins incongru. Ils s’accordaient en plus le privilège de sonner comme un Magic Band magique. En tous les cas, leur première apparition dans une émission de télé en noir et blanc provoqua un choc réel, d’autant plus réel que les chocs n’en finissaient plus de se succéder cette année-là : on passait du White Album à Electric Ladyland, en passant par The Village Green Preservation Society et Ogden’s Nut Gone Flake, il en pleuvait de partout, mais «A Song For Jeffrey» suscita au moins autant d’excitation vénéneuse que le Safe As Milk de Captain Beefheart paru l’année précédente : on avait dans «A Song For Jeffrey» le même shuffle d’explosivité carabinée que dans l’infernal «Sure ‘Nuff ‘N Yes I Do». Tull et Beefheart même combat ! Eh oui, même singularité de son, et puis il y a cette belle intro de flûte cacochyme, et soudain le beat faramineux du Magic Band magique d’Angleterre déchire le voile de mystère : Clive Bunker et Glenn Cornick s’agitent aux cuisines, fantastique section rythmique et l’Anderson d’Aqualung envoie son chant perçant percer les limbes - Oh see see see where I’m going to/ I don’t want tooo - Même sens du puissant dépenaillement. Si on voit à l’intérieur du gatefold l’Anderson porter une redingote verte, ce n’est pas un hasard, Balthazard.

Dans un article assez rigolo de Shindig, Ian Anderson raconte dans quelles conditions ses amis et lui enregistrèrent leur premier album, the mighty This Was.

En 1967, Ian Anderson et ses copains de Manchester s’appellent the John Evans Band et Derek Lawrence qui enregistre leur album à Londres trouve leur son tellement arty-farty qu’il les rebaptise Candy Coloured Rain. En 1967, le tandem Chris Wright/Terry Ellis cherche à monter une écurie de blues bands en Angleterre et ils proposent un rendez-vous à Ian Anderson. Celui-ci arrive au rendez-vous dans la tenue qui va le rendre célèbre : celle d’un SDF. Dans un sac de super-marché, il trimballe tout ce qu’il possède. Wright lui explique que pour percer, le groupe doit s’installer à Londres et jouer du blues. Oh, et puis encore une chose : trouver un guitariste qui va créer la sensation. Wright : «Voulez-vous rencontrer un fellow nommé Mick Abrahams ?»

Le groupe se réinstalle donc à Luton, près de Londres, où vit Mick Abrahams. Ils n’ont pas un rond, car bien sûr l’ancien manager du John Evans Group a gardé tout le blé. Ian et ses amis crèvent la dalle. Ils piquent des boîtes de haricots blancs pour survivre. Ce mode de vie ne plaît pas à l’organiste John Evans. Il quitte le groupe qui doit alors trouver un autre nom. Ils hésitent entre Bag O’ Blues et revenir à Candy Coloured Rain. Comme ils jouent du blues, Mick Abrahams devient la vedette du groupe. Bag O’ Blues décroche une residency au Marquee qui est à l’époque l’endroit où tous les groupes débutants viennent tenter leur chance. Le groupe devient Jethro Tull et Ian Anderson joue de la flûte, ce qui lui attire pas mal d’ennuis : un mec du management veut le virer, car la flûte na plait pas. L’un des Ten Years After rajoute même son grain de sel : «The flute is no part of the blues scene !» On suggère à Ian de passer au piano, de jouer au fond de la scène et de laisser Mick Abrahams chanter et jouer devant. Quoi ? Pas question ! Ian se dépêche de composer des chansons pour garder le lead.

Mais au fait qui est Jethro Tull ? C’est l’inventeur du semoir. Plus drôle encore : sur la rondelle du premier single «Sunshine Day», le groupe est orthographié Jethro Toe, car la transmission d’info s’est faite par téléphone et comme Derek Lawrence ne savait pas ce qu’était un semoir et encore moins le nom de son inventeur, Jethro Tull s’est transformé en Jethro Toe. Attention, ce genre de délire burlesque est très anglais.

Il faut vite passer à l’étape suivante, l’album. Chris Wright et Terry Ellis viennent de vivre un épisode compliqué avec le premier album de Ten Years After, qui malgré d’indéniables qualités, n’a pas marché : ils ont en effet découvert la dramatique incompétence de Decca, qui est pourtant le label de Rolling Stones. Mais, expliquent-ils, Decca a signé les Stones uniquement parce qu’ils ont raté les Beatles que leur proposait Brian Epstein ! Et si les Stones marchent bien commercialement, ce n’est pas grâce à Decca, mais grâce à Andrew Loog Oldham qui leur mâche tout le boulot. Alors Wright et Ellis ne veulent pas reprendre le risque de planter le groupe, aussi décident-ils de financer eux-mêmes l’enregistrement du premier album de l’inventeur du semoir. Ils commencent par louer quatre heures de studio et parviennent à mettre en boîte quatre cuts. Ils sont ravis du résultat et décident de continuer. Mais the Ellis-Wright Agency n’a plus un rond. Alors Terry Ellis fait comme Damie et prend sa petite teuf-teuf pour aller trouver son banquier chez lui, un soir, avec une bouteille de son scotch favori. Après avoir éclusé quelques verres, le banquier accepte de prêter l’argent. Avec 1 000 livres, l’inventeur du semoir enregistre son premier album au Sound Technique Studio à Chelsea. Sans producteur. Ian Anderson et Terry Ellis se débrouillent avec les moyens du bord. Le process est très primitif. Ils enregistrent sur un quatre pistes et c’est mixé en mono. Chris Wright et Terry Ellis n’ont plus qu’à proposer l’album à un label. Ce sera Island Records.

On en finirait plus de chanter les louages de cet album grouillant de merveilles, à commencer par «My Sunday Feeling» qui dégage un fort parfum de British Blues, mais avec deux particularité présentielles : la voix perçante de Ian Anderson et les rumeurs de flûte au coin du bois. On voit tout de suite que ces mecs savent swinguer la paillasse d’un cut, comme savaient aussi le faire Ten Years After, Savoy Brown et beaucoup d’autres prétendants au trône. Le Tull dégageait un son magnifique et Mick Abrahams ramenait sa fraise avec un solo d’une décontraction magistrale. Ces mecs jouaient joliment leur va-tout et les deux particularités présentielles faisaient vraiment la différence. L’autre point fort de l’album est l’instro de fin d’A: «Serenade To A Cuckoo». Ils nous le jazzent sur un air de flûte. On sent l’aisance du quartette, ils développent de superbes compétences internes et initient des interférences modernistes d’avant-rock londonien. C’est là que Mick Abrahams s’en vient jazzer brillamment le groove du team Clive Bunker/Glenn Cornick. Pour «Some Day This Sun Won’t Shine For You», ils tapent dans le Delta de la Tamise. Ils pompent goulûment le blues des vieux pépères de l’autre Delta, celui du Mississippi. Ian Anderson troque sa flûte pour l’harp qui va si bien avec ses hardes. Il chante «Move On Alone» à l’américaine. Quelle présence ! Et derrière lui, ça swingue férocement. Le festin de son se poursuit en B avec l’étrange «Dharma For One», un nouveau coup de shuffle. Ces mecs sonnent comme les quatre doigts d’une même main, la cohésion du son est spectaculaire. La flûte amène un bel aspect tribal, quelque chose qui relève à la fois des mystères de l’antiquité et de la genèse du potlatch. Mais un gros solo de batterie l’abîme. Ils passent au heavy blues d’époque avec «It’s Breaking Me Up». Ils sonnent divinement bien et se prêtent voluptueusement à l’orthodoxie. Ils font aussi une version de «Cat’s Squirrel» un peu plus riche que celle de Cream. L’énergie du Tull dévore l’écran tout cru. Mais Mick Abrahams passe un solo à rallonges qui détruit un peu la céramique de la dynamique. Et puis on retrouve évidemment «A Song For Jeffrey», l’une des perles noires de la couronne d’Angleterre.

Signé : Cazengler, Jethrou de balle

Jethro Tull. This Was. Island Records 1968

Gary Parker. Bring Back My Sunshine Day. Shindig #85 - November 2018

 

 

15 / 02 / 2019 – MONTREUIL

LA COMEDIA

BRITCHES / AMAIN ARMé

 

  • Tu as vu, Damie, la semaine dernière, Whisky, eh bien maintenant il y en a deux !

    • Tu as encore trop bu, tu vois double, je te jure jeune Jacquou le Croquant, qu'il n'y a en qu'un !

    • Damie, pas d'embrouille, on vient juste de s'accouder au bar et l'on n'a même pas commandé. J'ai vu deux Whisky, je n'ai pas bu deux Whisky, même pas un !

    • Alors mon Jacquou c'est que ton cas est grave, tu es atteint par le fameux syndrome artémisien, tu devrais consulter dès demain matin et peut-être même laisser le concert et filer aux urgences, il faut te soigner au plus vite, my guy !

    • C'est quoi ton truc, tu insinues que je suis tombé dans un puits artésien !

    • Artémisien, pas artésien, c'est expliqué dans tous les dictionnaires de médecine et psychiatrique. Me voici obligé de parfaire ton éducation médicale ! La semaine dernière tu as vu Whisky, ce vendredi deux, prochain concert quatre, la fois suivante seize, jusque-là tu arriveras à donner le change, mais c'est mathématiquement exponentiel, après ça passe à deux-cinquante-six Whisky et...

    • Arrête de délirer Damie, tu imagines deux cent cinquante-six clébards dans le local de la Comedia, on ne pourrait même plus entrer !

    • C'est pour cela qu'ils te chasseront et te poursuivront dans toute la ville ! Une fois que que tu nous auras quitté, tranquillous comme Baptistou, on regardera les groupes, mais toi tu cavaleras au travers du bas et du haut Montreuil, en pure perte, car ils finiront par te rattraper et te dévorer ! En fait des passants stupéfaits te retrouveront nu et tout tremblant, souvent en proie à une crise d'épilepsie ( 72, 4 % des cas ), le corps couvert d'innombrables morsures, auréolé de bave de canidés, avec profondes marques de crocs évidentes, par contre les chiens, disparus, personne ne les auras vus passer, même pas une marque de pipi sur un lampadaire. Généralement, les victimes finissent par mourir en deux jours, maximum...

    • Damie, espèce de fou, tu as lu ces billevesées dans la Psychanalyse pour les Nuls !

    • Pas du tout, c'est expliqué aux pages 335-443 de La Psychologie de l'Inconscient de Carl Jung ! Je résume puisque tu ne sais rien. Le symptôme Artemisien, remonte à plus haute antiquité, c'est Actéon qui avait voulu voir Diane, Artémis en grec, en train de prendre son bain, la déesse n'a pas été contente de cet attentat à la pudeur, devait être un peu féministe sur les bords, de colère elle a lancé la meute des ses hound dogs sur le pauvre Actéon, l'ont bouffé tout cru, n'ont même pas laissé un os !

    • Franchement Damie, je ne vois pas le rapport, je n'ai jamais rencontré Artémis !

    • Bien sûr, triple buse, mais hier soir dans tes draps moites tu as dû rêver de la nudité d'une jeune fille de ton entourage, au réveil ton désir s'est métamorphosé en sentiment de culpabilité, un coup de l'inconscient collectif de l'arrière-fond christologique de la société européenne, et maintenant tu aperçois un chien qui n'existe pas, ce n'est que le début du processus, dans un mois et demi tu ne seras plus de ce monde, la déesse est sans pitié !

    • Oh Damie retourne-toi, ce soir ce sont les filles qui se sont multipliées, pas les chiens, regarde un peu ! Tu vois Artémis n'est pas si cruelle que tu le prétends !

BRITCHES

Ce n'est pas une invasion, une véritable colonie en villégiature qui squatte sur plusieurs rangs le pourtour de la scène, quelques garçons, beaucoup de filles, un ensemble bariolé et hétéroclite, au moins trois continents de la planète représenté – comme quoi le monde sait aussi être beau – cela ressemble à une cohorte d'étudiants Erasmus en goguette, pas besoin de chercher les coupables à l'exercice de cette implantation étrangère en terre comediane : les quatre membres de Britches, groupe sans frontière qui regroupe un guitariste irlandais, un bassiste russe, un chanteur canadien. Certes le batteur vient de Normandie, mais c'est son dernier concert. Est-ce pour cela qu'il reste les bras croisés, les baguettes sur sa poitrine pendant le début du premier morceau ?

C'est notre trappeur venu du pays des Hurons qui se colle au turbin, gratte un peu sa guitare, se penche sur le micro et vous sort une étrange mélopée du dix-neuvième sous-sol, un truc bizarre difficilement identifiable entre requiem de messe pour les morts et chant bruitiste, qui vous capte l'attention comme la flamme de la bougie attire le moustique pour le brûler, c'est lorsqu'il a fini que derrière Lucas, l'a un sacré abattis sur ses fûts, vous impulse la capsule auditive fortement, l'est tout de suite rejoint dans sa mauvaise action par la guitare de l'Irlandais – vous êtes sûrs qu'avec les habitants de l'île verte ça ira toujours – et la basse russe se fait brutalement goudouvienne et vous engloutit illico. Ils assurent, mais de tout le set, ils n'ouvriront pas la bouche, à peine un sourire, le second laisse agir le charme slave et le premier se fie au halo impénétrable de la poésie hermétique de Yeats. Rien n'est plus excitant que le mystère. De jeunes demoiselles crient leurs prénoms.

Par contre le natif d'outre-atlantique, il ne tient pas en place, toutes les trois secondes il descend de scène pour visiter les fans comblés, heureusement qu'il est retenu par le cordon de sa guitare sans quoi on ne le reverrait plus, et qu'en plus il doit assurer au micro, alors il revient en courant, l'est beau gosse, doué d'un entrain survolté, et d'un organe à damner les sirènes. C'est un grand communiquant. Mais oui, nous sommes tous contents de notre sort et d'être là ce soir, et puis tous ces gens remerciés, c'est un peu long, pas la peine de réécrire les douze chants de l'Enéide à chaque fois, surtout que nous ce qui nous intéresse c'est l'envol des oies cendrées. Les morceaux possèdent tous leurs moments de calme, le lac miroitant et immobile dans la pénombre, alors on guette et on attend le cœur palpitant plein d'angoisse, le premier coup de cymbale du soleil de l'aube, l'épanouissement du sol invictus sur les eaux glacées, l'on ne tarde pas à être solidement récompensés, c'est le sang viking de Lucas qui ressort, du temps où ses ancêtres naviguaient sur la mer sauvage et ne s'arrêtaient que pour détruire et mettre le feu à un paisible village qui ne demandait pas tant d'honneur, pas tant d'horreur. Ce n'est pas une surprise mais quand il cogne, vous ressentez une grande commotion, vous avez l'impression que l'on vous ébranche la colonne vertébrale, avec les trois acolytes qui s'y connaissent aussi pour mettre le feu vous êtes servis. Les titres se suivent, Right Things Coming – à le déguster tel qu'il nous le fouette au visage pour un peu on y croirait à cette promesse des jours heureux et futurs – une poudrière qui répond au nom explosif de Belfast ( beau et rapide ), Friday Nights, Supergirls – non on a rien contre les jolies filles, mais nous le répétons, dans un western ce l'on aime ce sont les coups de feu, les hold up, les meurtres, les attaques de diligence, les massacres, alors par pitié ne pas les interrompre par trop de discours.

Un set agréable, dynamique, le public bruit d'émotion, The Britches nous ont servi un plateau petit déjeuner de qualité. Quoique seulement de huit morceaux. Z'auraient dû en rajouter, les morphalous comme nous ne sont jamais rassasiés. Même s'il n'est jamais aussi beau que quand il dresse des barricades, Marie-Antoinette avait raison, le peuple doit avoir aussi le droit de temps en temps de se goinfrer de brioches. Les rockers aussi.

AMAIN ARMé

Avant qu'ils ne commencent des murmures flatteurs s'élèvent quant à leur T-shirt, un double A anarchiste mis en perspective pointue sur un cercle en viseur de cible, l'impression d'une flèche qui file dans le lointain. Ce n'est pas à main armée mais ce n'est pas amen armé non plus. L'art d'en dire plus en brouillant les pistes ? Quoi qu'il en soit, nos malfrats ne sont que deux. Vaut mieux savoir compter sur son complice que sur une armée de ventres mous. Se sont faits la belle de Moslyve, un groupe pop rock à double voix féminine, c'est bien sympa, mais pour les mauvais coups en douce, les deux mecs se sont échappés pour jouer du rock dur. Hercule au rouet d'Omphale, c'est mignon tout plein, mais parfois les plaies d'Egypte et les bosses des méharis de combat de Lawrence d'Arabie, c'est plus romantique.

Bref ils sont deux, guitares et batterie. Sans concession. Ne sont pas là pour sourire au public. Sylvain est à la guitare. Reliée à une impressionnante collection de boîtes soniques. Le son n'a qu'à bien se tenir. N'est pas là pour se la couler douce, l'est salement trituré et torturé, l'important c'est qu'il arrive sous forme de gros paquets d'influx nerveux, un peu comme ces jets de sang qui jaillissent des cous guillotinés. Sylvain vous arrose de riffs qui ressemblent à des rafales de lames du bon vieil engin du docteur Guillotin. Inutile de reculer, ce n'est pas vous qu'il vise, l'a juste un compte à régler avec Amaury, lui assène ses riffs dans le style, écrase-toi moucheron ou essaie de faire mieux, plus fort et plus méchant. Et l'Amaury il vous relève le défi de deux manières. Celle de monsieur-tout-le-monde, je frappe comme une brute et je t'enfouis sous les décombres. Un peu facile. Suffit d'appuyer sur le champignon de la grosse caisse. Ne s'en prive guère, parce qu'à la guerre comme à la guerre. Vous dites, à sa place j'en ferais autant. Oui mais il n'est pas à votre place. L'a aussi une deuxième manière. Attention, là il faut tendre l'oreille. Ce n'est pas qu'il vous fait ses coups en douce, non c'est qu'il faut suivre. C'est un peu plus vicieux, le riff qui cingle il s'y assoit dessus, et une fois qu'il l'a abasourdi, il vous le découpe en tranches. Pas comme le rôti méthodique des ennuyeux dimanches de tante Adèle, vous pond des découpes artistiques, des friselis, des arabesques, vous perd, vous retrouve, vous sème des gros cailloux et puis s'enfuit dans des ribambelles de croisements labyrinthiques à vous priver de vos perspectives auditives, vous dérègle l'oreille interne, vous ne savez plus où vous êtes, alors bon prince Sylvain vous salve une nouvelle pluie diluvienne des plus crissantes, un hachis performatif qui réveille les serpents endormis sur la terre chaude qui de colère se mettent à siffler et à gicler leur venin. Et l'Amaury, maintenant en sous-main il tisse de la dentelle, il vous écrase les gouttes d'eau, une par une, s'amuse à tracer des figures géométriques bizarroïdes, cherche la petite bête, ferme la porte des cloportes, tripote des rythmes de gavottes, puis badaboum-boum-poum, vous troue l'ouïe pour vous réjouir.

A tous deux, sont des adeptes du raffut intellectuel. Vous assomment pour mieux vous faire réfléchir, vous noient sous un imbroglio phonique pour mieux vous apprendre à nager. Vous trucident pour que vous preniez goût à la vie. Amain Armé n'est pas adepte des médecines douces. Soigne le mal par le mal. Vous cherchent le noise en grand jusqu'à Noisy-le-Grand, me faudra trois morceaux pour saisir que Sylvain chante en français, Crêpe Humaine, Liberté, Singularité, Etoile Noire, doit y avoir du sens dans ces textes, mais le langage est englobé dans la masse sonore et il est difficile de percevoir le message. Quand le patapouf s'arrête on pousse un ouf de soulagement, mais tout de suite après l'on se rend compte qu'il manque peu de chose, un soupçon de complicité envers l'assistance et une once d'auto-ironie envers la main qui tient l'arme, pour que l'on en soit totalement ouf.

Damie Chad.

 

THETRUEFAITH

CHRIST WAS HERE

Sergio Trooff : guitars & back vocals / Arno Trooff : bass & back vocals/ Phil Trooff : lead vocals / Bernardo Trooff : guitars & back vocals / Jeff Trooff : drums / Yan Quellien : drums / Jérome Pons : keyboards / Iza Voice : backing vocals / C@t : backing vocals / Franck Adrian : harp.

Belle pochette qui n'est pas sans rappeler celle que les Stones avaient prévu pour The Beggars Banquet mais au genre crade TheTrueFaitf rajoute le blasphème sous-entendant que le Christ des pissotières est passé par là, encore pire que l'urinoir de Duchamp. A moins que le doux Jésus ne soit assimilé à une araignée qui tisse sa toile dans votre cerveau dont la cuvette de WC ne serait que le moule idéal...

Et nous qui n'avions pas encore trouvé le temps de chroniquer ce CD acheté lors de leur concert au Supersonic ( voir KR'TNT 401 du 10 / 01 / 2019 ).

Spider in the loo : trois coups d'acoustique pour chasser les moustiques et ensuite la famille Trooff au grand complet ( z'ont même rameuté quelques friends ) vous ramonent le râble sérieusement. Pas du genre à vous prendre la tête, vous branchent directement les doigts de pieds – ou autre chose si vous préférez - dans la prise, et vous n'avez plus qu'à suivre le mouvement, c'est parti pour une heure de bonheur. Burn out : z'avez intérêt à balancer du troufignon, car les rockers, c'est comme ça, vous leur filez deux amplis et ils vous les emplissent d'une marmelade délectable, z'ont construit le morceau comme vous empilez les couches de beurre sur la tartine, les riffs se superposent jusqu'à ce qu'ils s'y jettent tous dessus la bouche ouverte. Un régal ! Tout y passe, cela finit en bagarre générale avec les bols brisés sur les murs; Outta control : ça devait arriver lorsque les gosses commencent par déconner au petit déjeuner personne ne s'étonne qu'ils soient hors contrôle tout le reste de la journée. Les guitares grondent une ronde infernale, et Phil Trooth mène la guerre de son vocal de lion rugissant en même temps qu'il mord dans le corps pantelant du rock'n'roll. Petite remarque subsidiaire : TheTrueFaith ne mégotent pas sur la longueur des morceaux. Vous laissent le temps de tomber du cent dixième étage. Heanven 'n hell : sont comme cela, avec eux, c'est fromage et dessert, paradis et enfer. Sont pas le dieu jaloux qui vous impose un choix cornélien, eux ils distribuent tout et tout de suite. Pas des pingres, partagent, font une journée portes ouvertes, rien que pour vous, un conseil visez en premier l'amoncellement des chœurs d'anges déchus et en même temps ces poinçons de guitare qui ressemblent à un concert de pics à glace s'enfonçant dans le crâne de Léon Trotsky. Oui ça ne fait pas du bien, mais un peu de masochisme ça ne peut pas faire de mal. Cross the universe : carrément sur la voie lactée du désir, avec les TheTrueFaith, vous n'êtes jamais déçus, descente de guitares-canoë, miaulement insidieux d'harmonica grizzli sur les berges et batterie qui s'actionne comme une battée d'or aux mille pépites. Le genre de morceau dont vous ressortez plus riches que vous n'y êtes entrés. International business motherfuckers : attention les grandes orgues, l'on déroule la tapis rouge pour la grande parade des enculeurs de première. N'ayez crainte, ce déploiement d'honneur était un piège, maintenant qu'ils sont tous réunis sur la moquette sanglante le band leur tire dessus comme vous cassiez les pipes en terre à la fête foraine. Now it's time : le petit ball-trap précédent les a mis en forme, ce titre est encore plus rock'n'roll que les six pépites antérieures Pulse comme les Stones au temps de leurs meilleurs jours. Connaissent tous les plans, on est gentil, oui vous avez le droit de le remettre dix-sept fois de suite. C'est vrai que la fin est encore meilleure que le début. Krawill el Carmen : ne suis pas en mesure de ne vous donner une fiche d'identification de ce Krawill, mais quelle batterie, le gars doit avoir sniffé six kilos de cocaïne pour tenir la rythmique, et puis cette voix dans les reprises, c'est ainsi que Dieu a dû s'adresser à Abraham pour lui demander de sacrifier son fils, et cet imbécile n'a pas obéi ! Methadone : s'y mettent tous en chœur festif pour vanter les mérites du produit. A déconseiller fortement à notre saine jeunesse. Vaudrait mieux qu'ils lisent un livre qui mette en scène une belle héroïne. Mais une fois méthadoné c'est méthadonné et personne ne cherchera à se défiler. Enjoy it's coke : le monde n'est pas si méchant qu'on le pense, d'abord les TheTrueFaith vous offrent une binarité exemplaire et lancinante, un truc qui vous ébouriffe la bourriche en bourrique, et en plus notre société de surconsommation a toujours le produit miracle à vous vendre. Il suffit de ne pas se tromper. Norton commando : une randonnée sur le bitume d'une highway à la poursuite du loup des steppes. File méchamment vite, mais nos rockers cartonnent un max sur leur Norton, c'est ainsi que l'on apprend à naître pour devenir sauvage. Last chance goodbye : si vous aviez parié qu'ils allaient ralentir vous avez perdu. Z'ont les potentiomètres à treize, le chiffre qui porte malheur, normal c'est une chanson d'amour, cela ne peut que finir mal, et ces voyous qui ne respectent rien préfèrent en rire qu'en pleurer. Des chœurs dignes d'un site de rencontres frappé de folie sexuelle. You'll never die : faut toujours mettre les choses au point au moment de se séparer. Très simple, si vous écoutez les TheTrueFaith sans interruption, en boucle, en anneau de Möbius, une chose est sûre vous transfuseront tant d'énergie que la faux tranchante de la Grande Faucheuse glissera sur vous comme l'eau de pluie sur les plumes d'un canard. Ne criez pas au miracle, que vous venez de découvrir le remède universel, c'est tout simplement du rock'n'roll. Et les TheTrueFaith ils aiment ça.

Damie Chad.

LE PRESIDENT ETAIT-IL FOU ?

ALAIN GERBER

Il y a déjà la moitié des kr'tntreaders qui a répondu '' Oui ! Bien sûr'' et les cinquante pour cent restants qui se rengorgent en s'exclamant '' Evidemment, je l'ai toujours dit''. Désolé, jeunes LGBT et autres turpitudeurs patentés, hélas, nous ne parlons pas du même président. Perso, pendant des années j'ai écouté Lester Young – oui c'est de lui dont il s'agit, le Prez comme le surnommait son entourage - sans me poser de questions. Son saxophone me suffisait. Une mélancolique douceur cuivrée qui vous retourne l'âme en deux notes. Mais voici qu'un jour lisant une biographie de Billie Holiday, qui fut son amie et qu'il accompagna souvent, je m'étonnais de la description du bizarre comportement du saxophoniste embourbé et figé en un étrange silence. De quoi s'agissait-il au juste ? De quoi souffrait cet homme ? Quelles étaient les causes de cet emmurement en lui-même ? La question me trotta dans la tête jusqu'à ce que je découvris cet étrange titre sur la couverture du numéro 15 de la revue Les Cahiers du Jazz paru au début de l'année 1967.

Le lecteur curieux se rapportera à notre présentation du numéro 16-17 chroniqué dans notre livraison 400 du 03 / 01 / 2019. La revue fondée en 1959 mourut en cette années 1967. On retrouve dans son sommaire tous les grands noms de la critique jazz française. Elle permit à un public un peu déboussolé par la dernière grande métamorphose du jazz de comprendre l'évolution logique du passage du Be Bop à l'explosion Free. La revue réapparut en 1994 pour s'achever au bout de onze numéro en 1997. Dure à cuire, elle renaquit une nouvelle fois en 2004, il ne me semble pas qu'elle se continue encore aujourd'hui, je n'ai retrouvé que la trace d'un dixième numéro en 2012.

Quoi qu'il en soit la première série ne visait pas le grand public. Ecrite par des intellectuels pour des intellectuels. La preuve nous en est apportée par les vingt-trois pages pleines – sans aucun document iconographiques – sur la folie de Lester Young. Le titre est des plus aguicheurs, mais celui qui s'y précipitera pour y cueillir des informations croustillantes en ressortira effaré.

Pour vous permettre de comprendre ce que j'insinue je n'hésite pas à recopier quelques lignes prises au hasard : '' Certes, les psychiatres savent qu'une hystérie peut déterminer une pseudo-cataconie ( dont l'hypotonie du saxophoniste serait un rejet ) et que maniérisme et absurdité peuvent en être symptomatiques mais la prolongation de ces troubles dénonce plus sûrement le syndrome de Ganser. Certes ils savent que la simulation peut déboucher sur l'hystérie mais le fait de l'auto-destruction fait obstacle au verdict de pithiatisme, le métasimulateur se nourrit et dort normalement de même que l'hystérique sort toujours indemne des crises comitiales... '' . Pas de conseil à vous donner mais si vous vous reconnaissez dans cette description, passez tout de même un coup de fil à votre médecin de famille. Si vous tenez à poursuivre la lecture munissez-vous d'un dictionnaire de psychiatrie et d'un second de psychanalyse, auquel vous ajouterez deux volumes sur l'histoire de ces deux disciplines. L'article est bourré de termes médicaux et renvoie sans arrêt à d'éminents professeurs dont nous nous garderons bien de mettre en doute la justesse de leurs analyses. Vous ne pourrez pas reprocher à Alain Gerber de ne pas avoir fait des recherches avant d'écrire son article. S'est documenté. J'ai même été vérifier sur wikipédia s'il n'aurait pas par hasard été poursuivi par ses études de médecine avant de gagner la course et de devenir, pour le bien du jazz et le plus grand plaisir de ses lecteurs, chroniqueur, essayiste, et romancier.

L'a bâti son article comme une enquête, remonte la piste, prend toutes les maladies mentales possibles et essaie de voir si elles cadrent avec le comportement du Prez. Etait-il névrosé, psychosé, autiste, psychotique, psychasthénique, hystérique, schizoïde ? L'embêtant avec le Prez c'est qu'il participe de toutes ces affections, souffre au minimum d'un, de deux, ou de trois des symptômes qui serviraient à le cataloguer dans une de ces catégories, mais il lui en manque toujours un ou deux indispensables. Une seule chose sûre, son mal ne semble pas héréditaire. Ouf nous sommes rassurés !

Lester Young avait une personnalité bivalente. Pour certain il était l'homme le plus gentil et ouvert qui existât sur cette planète. Le gars tout sourire qui vous pardonnait tous. Pour d'autres un jean-foutre agressif, à la convivialité difficilement supportable. Mais ces différentes manières de se donner aux autres, qu'elles soient débonnaires ou anguleuses n'étaient que des stratégies équivalentes d'évitement. L'avait même développé une langue personnelle, inventant des mots, ou donnant à un vocable le sens d'un autre, un langage de non-communication, de tour d'ivoire. L'était surtout un solitaire, un homme de l'intérieur, enfermé en lui-même, incapable de se plier à des injonctions qui ne soient pas venues de sa propre personne. Se suffisait à lui-même, l'était comme un ver dans son cocon de soie qui refuserait d'en sortir. Toute contrainte sociale lui pesait. N'avait envie de rien d'autre que de rester en lui-même. Préférence difficilement tenable pour un artiste qui doit sourire, se plier aux règles imparties par les patrons des clubs, honorer les contrats signés par son impresario... Et même donner des concerts, ce qui est un peu le comble quand on est musicien de jazz professionnel. C'est peut-être cet individualisme outrancier qui lui a permis de développer son style. Ses collègues installaient une atmosphère, marquaient un rythme, donnaient le tempo, et lui s'en foutait royalement, marchait à sa propre mesure, totalement indifférent à ce qui précédait, le gars qui arpente avec des pataugas boueux le plancher que sa femme vient de cirer avec soin et amour, mais les musicos ne disaient rien, ce n'était pas de la saleté puante qui giclait de son sax, mais de la poussière d'or pur et d'étoile lointaine... Le pire c'est qu'il était le seul à ne pas être content du son qu'il avait, le trouvait trop moelleux, trop ample, s'efforçait de l'affiner, de le rendre plus maigrelet, passait son temps à tailler et retailler ses hanches pour atteindre à la pâleur sonore dont il rêvait... L'en était profondément insatisfait. L'en avait honte. S'enfermait dans ses chambres d'hôtel, refusait d'en sortir, buvait comme un trou, l'alcool lui permettant d'oublier son incomplétude artistique. Tout cela ne valait pas la peine. Remettait toujours au lendemain ce qu'il devait faire le jour même que ce soit concert ou enregistrement... On le disait paresseux, l'était à sa manière, d'une paresse métaphysique, à quoi bon faire ce que l'on ne réalisera qu'à une hauteur bien moins moindre que celle rêvée... Tout le reste n'avait pas d'importance pour lui. Dans son autobiographie Billie Holiday essaiera de faire comprendre que le retranchement en lui-même de son ami, son grand ami, n'était que la fêlure intériorisée de l'âme noire irrémédiablement infériorisée par les blancs. Nul doute qu'elle savait de quoi elle parlait. Mais Gérard de Nerval aussi :

'' Je suis le Ténébreux, le Veuf, l'Inconsolé, ''

car la folie n'est-elle pas une porte de corne et d'ivoire qui donne accès à un rêve trop grand...

Damie Chad.

 

13/02/2019

KR'TNT ! 406 : EDDIE C. CAMPBELL / REVEREND BEAT-MAN / RÂOULEX KING TRIO / BILL CRANE / MOTOR KIDS / FOLSOM / WEALTHY HOBOS / PARIS IS BURNING

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 406

A ROCKLIT PRODUCTIOn

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

14 / 02 / 2019

 

EDDIE C. CAMPBELL  

REVEREND BEAT-MAN

RÂOULEX KING TRIO / BILL CRANE 

MOTOR KIDS / FOLSOM 

WEALTHY HOBOS 

PARIS IS BURNING

TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Campbell s’est fait la belle

 

Eddie C. Campbell est littéralement sorti du bois en 1977 avec l’extraordinaire album King Of The Jungle. Quel disque ! Pour la pochette, Eddie se fit photographier à Brooklfield Zoo. Les mecs qui l’accompagnent sont ceux de l’orchestre de Muddy Waters. On est embarqué sans ménagement dès «Santa’s Messing With The Kid». C’est du blues de punk. Eddie ne rigole pas. Il va au boogie comme d’autres vont au combat. Il fait du boogie solide et râblé qui ne s’embarrasse pas des canards boiteux. Eddie joue comme un gros dur des Batignolles. Quel son ! On se croirait presque chez Lazy Lester ! Attention à «Still A Fool» - Well I wash/ I wash a cat fish - Il plonge dans le deep blue sea avec les woman fishing after me. Il a tous les automatismes du heavy blues - Well sure nuff I - alors ça repasse à l’harmo du crépuscule et ça joue aux notes de la menace. Il passe ensuite au boogie jazz de haut rang avec «Cheaper To Keep Her». C’est du pur killer blues de cannibale. Il joue ça dans l’épaisseur d’un groove carnassier. C’est tout simplement effarant de mauvaiseté. Tiens, encore une magnifique cavalcade avec «Poison Ivy». Il sort aussi un «Red Rooster» heavy et dépenaillé et revient au beat de boogie infernal avec «Smokin’ Potatoes». On voit rarement passer de tels trains d’enfer. Il nous swingue «King Of The Jungle» au meilleur jive de boogie et revient au heavy blues de cro-magnon avec «She’s Nineteen Years Old». Il joue un vieux solo au ricochet de notes bardé de reviens-y. S’ensuit «Look Watcha Done», un boogie rock énorme et même monstrueux. On tombe rarement sur des sons aussi caverneux. Ça goutte de jus. On l’entend l’harmo des cavernes, là-dedans. Quel son dément. Pur génie ! Il revient au boogie blues avec «Weary Blues» - I’ve been searchin but I can’t find - avec le retour de guitare - I don’t care about my pride/ Oooh babe you know I try - Franchement énorme.

Eddie n’est pas n’importe qui. Comme les autres grands nègres de sa génération, il s’est initié au diddley bow et il est arrivé à Chicago pour jouer dans des orchestres de blues. Il a douze ans quand Muddy Waters le fait jouer dans son orchestre au 1125 Club. Il imite Magic Sam qui habite au-dessus de chez lui et pendant quatre ans, il accompagne Jimmy Reed. Il aurait bien voulu accompagner Wolf, mais son jeu ne lui plaisait pas - he was a rough man to play with !

Sur Let’s Pick It, Eddie tape une superbe reprise du «Red Light» de Jimmy Reed. Il la joue à la sourde et sort un son fabuleux. Ça sent la cave, avec un joli fumet de sauvagerie. Il tape aussi dans Big Albert avec «Don’t Throw Your Love On Me So Strong», mais c’est difficile, car tout ce que fait Big Albert est intouchable. Alors il se rattrape avec «All My Whole Life», un boogie blues racé et bien sanglé qu’Eddie emmène au galop. Sacré Eddie, il adore ça. Il peut être rapide comme l’éclair !

Un an plus tard, il revient ruer dans les brancards avec The Baddest Cat On The Block. Belle pochette en noir et blanc avec un Eddie qui semble screamer comme Buddy Guy. Il revient sur Albert King avec le même résultat et toute l’A passe un peu à l’As. Par contre, en B ça chauffe dès «Early In The Morning», salement trépidé, monté sur un joli beat. Ça pianote à la surface. Il amène ensuite «Same Thing» aux vrais accords de heavy blues, ceux de Stan Webb, dans Chicken Shack. Joli coup aussi ce «Cheaper To Keep Her» à fort parfum de jazz. Eddie a vraiment de la chance d’avoir derrière lui des mecs comme Wayne Elliott à la basse et John Drummer aux drums. On sent le beat in progress.

Si on de la chance, on peut encore trouver une copie de Mind Trouble, un double album paru en 1986 et enregistré à Amsterdam, avec pas mal de musiciens blancs. Pour Eddie, c’est cool as fuck, Amsterdam est une ville où on se sent bien. Il n’a rien perdu de sa belle aisance guitaristique et le seul reproche qu’on pourrait faire à ce disque serait son manque d’originalité. Eddie C. Campbell n’est plus cet homme des bois qui nous fit tant baver. Ça se réveille un peu en B avec «Life Is Like A Game», un heavy blues bien gluant d’harmonica - Life is like a game/ And is sharp like a razor - C’est digne des grandes heures d’Elmore James - You got dangles in your eyes/ And I’m sorry I ain’t the same - Il revient plus loin avec un autre heavy blues à la Elmore James, «Vibrations In The Air». C’est sa came. Attention, la C et la D se jouent en 45 tours. C’est là qu’on tombe sur une sacrée merveille, «Devil’s Walk», un groove jazzé par Tom Mad Jones. C’est de très haut niveau, assez anglais dans l’approche du son, my son. Cuivré de frais et ambiancier au possible. Puis avec «Loneliness And Me», il passe, grâce à l’approche délibérée des intrications, au slow blues hendrixien.

On trouve encore un joli coup de génie sur That’s When I Know paru en 1994 : «Been Thinkin’», un boogie primitif. C’est tout l’art d’Eddie. Il peut swinguer comme un bad black punk. Il invente l’empire du punk black avec le background de la pire sourdine de l’univers. C’est complètement démento à gogo. Voilà les bases du rock, baby, la souche du punk des blancs. Il faut l’entendre jouer de la guitare sur le cut d’ouverture, «Sister Taught Me Guitar». Il travaille à l’ongle sec. Eddie sait nous mettre l’oreille en éveil. Il crée un climat direct au blues d’attaque, le meilleur des blues, sur un beat remonté comme un ressort, ah quelle claque de classe épouvantable, c’est joué aux accords coincés et forcés, ces accords de mi-manche en mi-fonction. Ah la vache, il pince ses notes comme un sadique et ça dégouline de classe. Il tape plus loin dans le vieux boogie pour le morceau titre. Il revient aux notes claires entre deux couplets. Il est même un peu pop sur ce coup-là. Il réussit toutefois à virer voodoo. Il est dessus, toujours aussi inspiré. Ce mec a vraiment quelque chose de spécial. Il tape «You Make Me Feel All Right» au petit riff retardataire. Il fait son John Lee Hooker - I like the way you talk - Joli clin d’œil à Hooky. Il refait même son bad black punk. Il boucle cet album fatidique avec «Devil’s Talk», bien fouetté du beat. On retrouve sa puissance rythmique. C’est sa contribution au monde moderne. Il passe un solo impeccable. What a bluesman !

Sacré disque que cet Hopes And Dreams paru en l’an 2000. Il s’y niche des chefs-d’œuvre absolus. L’un est hypnotique, l’autre mélodique. «Geese In The Ninny Bow» relève du coup de génie, avec son stomp brisé au riff sec à la Jeff Beck. Incroyable ! - Geese is alrite hey hey - C’est bardé de coups de trompettes, explosé au funk. Quant à «You Worry Me», c’est un heavy blues de rêve, monté sur une bassline descendante qui tourne comme un requin autour du naufragé blessé à la jambe. On entend des coups de guitare inopinés et un piano en perdition. Eddie est un diable. On trouvera d’autres énormités sur cet album comme par exemple «Did I Hurt You» qui ouvre. C’est aussitôt un très gros son. On est habitué, oui mais quand même. Il exagère. Quelle brute ! Son boogie dégage les dents de devant. Eddie a un son de guitare lumineux et vif argent. Le morceau titre de l’album est un vieux coup de boogie down. Il tape dans le meilleur jus et fait ça au feeling pur. Quelle présence ! C’est bien gratté, sérieux, quasiment portugais, mais Eddie gratte ses notes avec la rage d’un punk. C’est atrocement bon, plein de son, secoué du cocotier. Plus loin, il passe au canard de beat avec «Cool Cool Mama», encore un boogie impitoyablement pulsé. Il faut voir avec quel courage Eddie entre dans le groove. Il attaque un solo comme on déclare une guerre, sans préavis. Et derrière, l’insolente rythmique pouette comme ce n’est pas permis. Et ça continue ainsi jusqu’au bout du bout. On voit rarement des attaques de boogie comme celle de «Spend». Eddie y éclate encore un solo à la réverb de clarté suprême. Il finit l’album avec «Cougar» et une intro énervé. C’est d’un chien qui dépasse toute la chienne de l’univers.

En 2009, Eddie débarque sur Delmark pour enregistrer un premier album, Tear This World Up. Il nous refait le plan habituel du premier cut en forme de boogie explosif. «Makin’ Popcorn» sonne comme le boogie ultime. Eddie démarre toujours en force, mais là il bat tous les records. Il sort là l’un des boogies les plus énergiques de l’histoire du boogie. Il rivalise de grandeur avec Jerry Boogie McCain et Lazy Lester. Eddie part en vrille, il gratte à la raclette avec un son de casserole et il se met à beugler comme une bête des bois. Autre merveille : «Easy Baby». On dirait qu’il joue son heavy blues au fond de la cave - Magic Sam was my best friend - Et il annonce qu’il aime bien jouer à son idée, it goes like this, easy babe ! Avec «Tie Your Love», il revient au boogie monstrueux et c’est avec «It’s So Easy» que tout explose. C’est claqué aux mains et joué au meilleur beat fantasmatique. Il y dans ce cut tout le ruckus du boogie. Eddie crée une vraie atmosphère sur un beat d’enfer. Il faut aussi écouter «Bluesman» qui est l’histoire de sa vie - I played with everyone from A to zzzzzzzzzzzzz, Muddy, Wolf, Percy Mayfield, Litlle Walter, Magic Sam, James Brown, Lowell Fulson, Memphis Slim, Paul Butterfield, Otis Rush, I mean everyone - From A to Zzzzzzzzzzzzzzzz !

Eddie a 72 ans quand il enregistre Spider Eating Preacher. Sa femme Barbara qui est aveugle joue de la basse et leur fils David joue un peu de violon. Il pose avec sa fameuse Jazzmaster pourpre. Attention, c’est un album FANTASTIQUE qui démarre (comme les autres) avec l’infernal boogie «I Do». Dès l’intro, Eddie et son orchestre déploient des trésors de vélocité. Quelle énergie ! Le bassman, le sax, tout frise la folie, le sur-dimensionnement de la démesure apoplectique, mais avec Eddie, on le sait depuis le départ, il faut s’attendre à tout, surtout à ça, au sur-dimensionnement de la démesure apoplectique. Il balance un solo d’entre-deux mers qui défonce la rondelle des annales. La fête continue avec le morceau titre de l’album - The devil in disguise ! - Eddie part en solo de réverb démento à gogo de dingoïde mongoloïde ! Plus personne n’ose joue comme ça aujourd’hui. C’est un fou ! T’as déjà vu un mec jouer comme ça ? Non ? Ben non ! Eddie cuit le boogie dans un jus de mélodie - Under my rocking chair - Il joue avec un entrain inconsidéré et revient à son fantôme de solo. Dans «Call Me Mama» Eddie fait son Wolf. Il puise dans le secret des dieux et pique des notes à la pétaudière. C’est épais et travaillé à la note éparse. Quelle ambiance infernale ! On tombe plus loin sur «Soup Bone», une pure exaction de heavy blues - I got a soup bone and I’m hungry - On peut lui faire confiance. S’ensuit «I Don’t Understand This Woman», il y fait le con, wow wow wow et il taille dans le marbre. Eddie est le roi du boogie, il partage sa couronne avec Hooky. Il fait le clown à la démesure du wow wow wow et s’appuie sur un effarant pounding. Il n’en finit plus de nous en boucher des coins car voilà «Boogmerang», toujours dans le haut vol et traversé par un solo d’orgue. Retour au r’n’b infernal avec «Skin Tight». Eddie est un bon, il peut rauncher comme Clarence Carter. Il revient au beat des enfers avec «My Friend (For Jim O’Neal)» et il fait du Bo, avec un son énorme et l’énergie maximale. Il se paye aussi le luxe d’un «Brownout» à la James Brown. En fait, cet album n’est que l’incessante démonstration de force d’Eddie le vainqueur, mais pas tant vainqueur que ça, car la grande faucheuse vient de lui charcler les deux pattes. Adieu Eddie et merci pour tous ces blasters de bad black punk.

Signé : Cazengler, l’Eddie qui bêle

Eddie C. Campbell. Disparu le 20 novembre 2018

Eddie C Campbell. King Of The Jungle. Mr. Blues 1977

Eddie C Campbell. Let’s Pick It. Black Magick Records 1984

Eddie C Campbell. The Baddest Cat On The Block. JSP Records 1985

Eddie C Campbell. Mind Trouble. Double Trouble Records 1986

Eddie C Campbell. That’s When I Know. Blind Pig Recordings 1994

Eddie C Campbell. Hopes And Dreams. Rooster Blues Records 2000

Eddie C Campbell. Tear This World Up. Delmark Records 2009

Eddie C Campbell. Spider Eating Preacher. Delmark Records 2012

 

Monsters Class - Part Two -

The Beat-Man Way

Tout l’art du Reverend Beat-Man consiste à mettre en scène sa fantaisie. Il joue du Trash Blues à 185%, mais il pourrait aussi danser le Gambuh balinais selon Eugenio Barba ou mimer ses rêves sur scène comme le fit Rufus à une époque au petit théâtre La Bruyère. Et comme tous les grands artistes de l’avant-garde théâtrale, le Révérend Beat-Man offre un spectacle complet en donnant tout simplement de sa personne. Il est LE spectacle, il est le cerveau du temps, le spectacle n’est qu’une simple représentation de sa vision. Il ne s’agit pas que de musique comme on serait tenté de le croire, l’art de Beat-Man va beaucoup plus loin. Sa passion des vieux objets de type Emmaüs renvoie forcément à Kantor. La scène devient un décor, une grosse valise noire datant de l’exode porte la mention 185% Trash Blues peinte en grosses lettres blanches. Il installe des petites lampes de chevet de bric et de broc au pied de son vieux bass-drum. Tout date, chez lui, comme s’il s’agissait d’ancrer véritablement les choses. Cette démarche n’a rien de prétentieux. Au contraire, elle renforce le sentiment du sacré, dès lors qu’on considère le spectacle de rock comme un rituel. Les exemples abondent : la fête païenne des Stooges au Zénith, ou encore ce parallèle qu’établit Tav Falco entre les Cramps et le Théâtre de la Cruauté selon Artaud - As envisioned by Antonin Artaud, the French dramaturgist, The Cramps were the apotheosis of a post-modern rockabilly band that embodied the Theather of Cruelty - Le bon Reverend Beat-Man se situe très exactement dans cette optique : redonner au rock son caractère sacré.

Avant de commencer à jouer, Beat-Man passe un colleret blanc sous son col de chemise. Et puis une Carmélite assez jeune vient poser son cul sur un tabouret à côté de lui. Elle sort tout droit de chez Clovis Trouille. Elle se cale derrière une caisse claire. Elle dispose aussi d’un petit clavier. Elle ne sourit pas. Elle pose sur la salle un regard d’une intense gravité. Ses lèvres peintes en noir accentuent considérablement l’austérité de son expression. Une sorte de religiosité de bas étage s’installe. Et lorsque le cantique baroque d’introduction s’achève, nos deux serviteurs de Dieu se mettent lourdement en branle. Ils singent la bible et créent l’enfer sur la terre ! La carmélite saute littéralement sur son tabouret et frappe comme une dingue, alors que Beat-Man gratte sa gratte comme un dératé. Il s’ébroue comme un poney apache, la bouche en cul de poule. En comparaison, l’Apocalypse selon Saint-Jean n’est plus que de la roupie de sansonnet.

Voilà en quoi consiste l’art théâtral de Beat-Man : il entre dans le sujet comme dans du beurre. Lui et Sœur Tape-Dur défoncent la rondelle des annales pour que passe la caravane du ramalama. Ils transforment le beat en montagne pelée pour que toussent les îles, ils knockent down the heaven’s door, ils serrent la vis de Clovis et lui Trouillent la bouille, ils battent tous les records d’excellence combinatoire. L’ignoble morve trash de Beat-Man qu’on connaît par cœur se mélange aux fièvres de Sœur Tape-Dur, ils montent ça en neige du Kilimandjaro, avec une sorte de perversité casuistique. Du coup, ils dématérialisent le concept du duo pour le recréer selon the Beat-Man Way. C’est un tour de passe-passe hallucinant. Beat-Man crée son monde à partir de rien, il part de triple zéro, comme lorsqu’il racontait l’histoire de son enfance au temps du Beat-Man Way. Voilà qu’il nous narre à présent sa saga. Il remonte loin dans le temps, très loin, plusieurs millions d’années en arrière, lorsqu’il arriva sur terre et qu’il vit se former les océans et qu’il vit pousser les arbres et qu’il vit des poissons sortir de l’eau pour devenir des bestioles qui allaient se redresser pour commencer à marcher, oui à marcher ! Mais tout cela n’était rien en comparaison de ce qui allait suivre, car il vit les bêtes commencer à s’entre-dévorer, et les choses allaient encore se détériorer avec l’apparition des hommes qui allaient rapidement se multiplier et qui allaient commencer à construire des maisons, yes build houses, de plus en plus de maisons, et qui allaient construire des villes, yes big towns ! Puis il vit des gens se foutre sur la gueule, killing each other ! Raping each other ! Stealing from each other, il n’en revenait pas de voir tout ce bordel, toute cette mauvaiseté, toute cette violence, il vit même des hommes en détrousser d’autres qui n’avaient presque rien, et comme si cela ne suffisait pas, il les vit détruire tout ce que possédaient les autres, yes they destroy everything the other has ! Il les vit violer des femmes dans les villages et les même les animaux ! Tout cela n’était plus qu’un endless hell fire, un enfer sur la terre, alors il craqua et décida de fuir cette planète de malheur et toute la décrépitude du genre humain ! I decided to fly away from this planet of hate ! Puis il est revenu en 2018 pour tenter de sauver le genre humain en implantant des puces dans tous les cerveaux, des milliards de puces - I’m in your brain ! - Et c’est tant mieux. Il vaut mieux être contrôlé par Beat-Man que par les mecs de Google.

Tout est là. The Beat-Man Way ! Il prêche sur scène pour enfoncer ses clous. Sœur Tape-Dur et Beat-Man réinventent complètement le concept du duo éculé par tant d’essais, des White Stipes aux Black Keys en passant par les Kills et les Kulls. En fait, ce n’est pas qu’ils le réinventent, ils le beat-manisent, c’est complètement autre chose. On imagine pas à quel point un duo peut devenir explosif, en tous les cas on ne l’aurait jamais imaginé sans Beat-Man et Sœur Tape-Dur. Pour éviter la surchauffe, ils sont même souvent contraints de revenir à des choses plus calmes. Dans la vie, il faut parfois essayer de calmer le jeu. Et chaque fois qu’ils relancent leur pilon des forges, Sœur Izobel saute sur son tabouret. Elle frappe à bras raccourcis, mais avec un objectif : suivre the Beat-Man Way. Bien sûr, on sait Beat-Man doué, mais on ne l’imaginait pas doué à ce point-là. But Beat-Man doesn’t give a FUCK !

On retrouve toute cette folie dans l’album qui vient ENFIN de paraître. Ça fait six mois qu’on est là comme des cons à l’attendre, depuis les concerts au Petit Bain en première partie des Oblivians et au Rush sur la presqu’île. Six mois, non seulement c’est inhumain, mais ce n’est pas sympa. Le prêche évangélique dans lequel Beat-Man couvre la terre de honte se trouve en fin de B et s’appelle «My Name Reverend Beat-Man». C’est un document hystérique capable de galvaniser des foules en manque d’insurrection. Ah si seulement Beat-Man pouvait passer dans les émissions de télé aux heures de grande écoute ! Il battrait tous les records d’audience, c’est évident. L’autre gros coup de Jarnac de cet album qui s’appelle Baile Bruja Muerto, c’est bien sûr l’effarant «Pero Te Amo» qui démarre dans l’exotica de basse extraction pour se transformer en stormer du désert. On y voit ce filou de Beat-Man entrer au but I love you et ça bascule dans le chaos éruptif, c’est même l’une des pires exactions dingoïdes qu’on ait vu ici bas depuis le temps de Peter Aaron et des Chrome Cranks. On voit Sœur Tape-Dur sauter sur son tabouret dans «Come Back Lord», just keep on walking/ Walking in the streets, pur jus de beatmania, stompé au one-banditisme - Just keep on walking/ keep on talking - Ils nous plongent dans les basses œuvres d’une fosse de vidange de rêve. Ces démons enchaînent avec un «I Never Told You» drivé à la purée de fuzz. Sœur Tape-Dur pose ses conditions - I can’t satisfy you baby - Et elle ajoute avec une moue extrêmement désagréable : «I won’t be thinking about you/ When I hit the road !» Oh la la, Beat-Man joue son solo sur une seule note. On a l’impression que l’immeuble va s’écrouler, tellement la terre tremble. Par contre, il se vautre un peu avec sa version du «Love Me Two Times» des Doors. Il tente le coup du heavy doom des catacombes, il tente de transcender la lizarderie et d’enfiler le mythe à la hussarde. Il ne fait que couler un bronze gras et tiède. Ce démon ne respecte rien. Il est vrai que Jimbo aurait adoré ça.

Signé : Cazengler, con comme une bite, man !

Reverend Beat-Man & Nicole Izobel Garcia. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 28 mai 2018

Reverend Beat-Man & Nicole Izobel Garcia. Baile Bruja Muerto. Voodoo Rhythm 2018

07 / 02 / 2019 – PARIS

BLACK STAR

RÂOULEX KING TRIO 

BILL CRANE

L'on avait choisi les filles de Shewolf pour ce soir, mais les louves ne sont pas entrées dans Paris, pas de panique - porte close comme bouton de rose sous la bise n'est pas mortelle tuberculose sur la banquise - ne pas confondre un rocker privé de concert avec le pacha du Titanic qui partit jouer aux saute-glaçons sans prévoir les canots de sauvetage pour les soirs de naufrage. Les regards se tournent vers moi, mais c'est dans la tourmente que l'on reconnaît les grands capitaines. Bien sûr que j'ai un plan B, j'en ai même deux, le premier ce sont les Boys Spunyques à Fontainebleau, mais vu l'heure et la distance voici un pari hors de Paris dont la victoire reste aléatoire, la deuxième solution B prime : Bill Crane à l'Etoile Noire du côté de la Bastille. C'est celle-ci qu'il faut prendre !

RÂOULEX KING TRIO

On arrive juste à temps pour le début de Râoulex King Trio, sûr qu'il y a une guitare qui sonne joliment country, l'est dans les mains d'Alexis Dupont, casquette et lunettes lui confèrent l'air de monsieur tout le monde, mais attention un personnage, le français au-dessus de la moyenne qui roule en solex et qui râle comme pas un. Une voix, un ton, qui attisent la sympathie. A sa gauche au fond de Lo, Azelo à la basse, et si j'osais José à la batterie. Formation réduite, mais tout terrain. A la manière de ces usines chinoises qui s'adaptent à la demande, le lundi vous fabriquent des casseroles, le mardi vous sortent des bicyclettes et le mercredi des feux d'artifice. Le King Trio c'est le couscous royal, mille épices différentes du curry ska au piment rock, et salmigondis de viandes doctement faisandées, fricassées de textes d'esprit apache et d'ironie faubourienne, hachis de hits tangentiels qui frisent le délire poétique, empruntés à Bashung, Thiéfaine, et Dutronc... Le Râoulex King Trio brinqueballe mais parvient toujours à bon port. Vous refilent de la bonne came en poudre d'or et de perlimpinpin, un subtil alliage qui mêle auto-dérision et rentre-dedans. Les titres défilent à la manière d'une manifestation festive aux banderoles colorées de paroles vertes et noires. Un peu de rouge saignant avec Sitting Bull. De temps en temps Alexis nous donne une régalade d'harmonica qui lui donne un faux air de Dylan, puisque en authentique adéquation avec lui-même. José nous offre un de ces petits soli de batterie comme l'en faisait dans les années soixante, pas trop long mais grondant à souhait. A Lo de le seconder pour ces rythmiques skaïques sautillantes, sur lesquelles la voix d'Alexis s'entremêle avec la vigueur d'une liane rampante qui passe d'arbre en arbre en se jouant des intervalles. Sur les deux morceaux, au débotté Patrice s'en vient adjoindre son saxophone, s'insère adroitement dans le tempo, comme chez lui, aussi à l'aise qu'un poisson rouge dans la Mer Rouge. Pas la foule des grands soirs pour cette soirée, mais un vif succès pour le Trio fortement encouragé par un quarteron d'admirateurs enthousiastes.

BILL CRANE

Changement de programme. Bill Crane n'a jamais résonné aussi fort. Jamais aussi new-yorkais, une espèce de garage avant-gardiste sans concession. Un ordre de bataille d'une efficacité extrême. Sur les côtés, deux ailes de cavalerie lourde. Pour les premiers morceaux Bobo aura un jeu de cymbales particulièrement bruitiste, clinque et clanque de partout, produit une espèce de métallifération sonore diffuse qui s'insinue et tintinnabulise l'atmosphère, un ensorcèlement incantatoire vaudouïque destiné à dézinguer votre stabilité mentale, vous coupe de vos repères sensoriels, vous désarçonne, loa de boa cataphractaire. Si Bobo a choisi de vous ensevelir dans un ouragan de sable désertifiant, Patrice adopte une tactique différente. Celle du sax oriflamme, du buccin de la victoire, s'est planté au milieu de la mêlée et n'en démordra pas, saxophone et sax assomme, incessantes cuivrées assénées et assassines. Patrice souffle sans interruption et sans fin, il faut espérer que le jour où l'engeance humaine disparaîtra il restera un ultime souffleur de cette espèce pour perpétuer au-travers l'espace intersidéral infini l'écho exacerbé de notre extinction dinosaurienne. Mais tout cela ne serait rien, s'il n'y avait entre les deux cadors les phalanges cordiques.

Eric et sa guitare, elle porte d'étranges tatouages, elle ressemble à une feuille de journal trop longtemps abandonnée dans une flaque d'eau sale. Les colonnes détrempées se sont déplacées et entremêlées, la lecture en est devenue floue. Alors Eric se charge d'énoncer le dernier message, ces mauvaises nouvelles d'un monde en perdition. Il brise les riffs, les triture, les désarticule, les rature, les torture, les transforme en d'innommables raclures censées envenimer les gerçures de vos âmes perdues. Mais c'est le rock qu'il est en train de tuer, arrêtez-le dans son geste impie et impitoyable ! N'en faites rien, laissez-faire, car s'il ne meurt, il sera incapable de renaître. Ne chante pas, il proclame et vaticine, sa voix est menace, à peine montée qu'elle sombre, à peine au fond qu'elle fond sur vous à la vitesse de l'exocet. Suit une ligne amélodique qui oscille entre imprécation et distanciation. Comprenne qui ne pourra pas. Entend qui ne pourrit pas. A ses côtés Gwen le silencieux. Souvent en attente, en alerte. Lorsque le bateau penche trop, c'est alors qu'il le soutient et le tire avec le filin de ces lignes de basse, remet à flots la barcasse à moitié échouée sur les récifs, déporte le courant pour qu'elle ne s'enquille pas définitivement sur les brisants acérés, contre les dents cariées de la mer. Gwen est le phare dans la tempête. Les trois autres crapahutent et tarabustent. Gwen construit la hutte de survie sur la bute de basalte noir que la montée des colères océaniennes n'engloutira pas.

Quelques titres, l'initial She's My Baby, la revendication primale et primaire du rock'n'roll, l'urgence sexique que rien ne comble, ni sa plénitude, ni sa finitude, Eric en éjacule les lyrics comme jus empoisonné de mangue entrouverte, Travelin' Man, l'errance de la solitude à la poursuite de sa propre fierté, Darkness un orage noir de gouffre aux senteurs de soufre, faut entendre Bobo, quitte les hauteurs stratégiques des cymbales pour le galop des toms, se prend au jeu, sa frappe devient puissance, orchestre fou, cataclysme qui ne sait s'arrêter, et de l'autre côté Patrice fait chorus avec lui, nous offrent un duel sax-tambour, deux taureaux furieux qui s'affrontent de toute la force de leur musculature, l'un qui souffle du feu par les naseaux et l'autre qui donne des coups de front à vous casser les bucranes. Danse sacrée des joutes néolithiques. A laquelle succèdera l'étrange ballet saxofaunique d'Eric et de Patrice, la guitare qui morsure tout azimut et le sax qui ouvre sa gueule maintenant de crocodile, et le caïman dément se métamorphose en félin géant à la crinière impérieuse. Parfois le rock électrique parvient à évoquer la brutalité innocente de ces outre-temps antédiluviens. Retourne à une sauvagerie enfouie et endormie depuis si longtemps dans nos zones d'ombres charnelles et nos abîmes mentaux que nous les avons oubliés, que nous nous croyons supérieurement civilisés alors que nous ne sommes que l'ombre squelettique de nos désirs émoussés. Alors il est bon qu'un groupe tel que Bill Crane vienne nous tirer des marécages de nos léthargies, nous réveiller de nous-mêmes, nous rappeler que nous sommes des mines d'or que nous avons laissées en déshérence... il se fait tard, un dernier rappel que Bobo culmine en un requiem fracassant, une onde de choc pyramidale. Cris et applaudissements fusent, des mains émues se tendent pour remercier. Passage et échange de l'énergie du rock'n'roll !

Damie Chad.

08 / 02 / 2019 – MONTREUIL

LA COMEDIA

MOTOR KIDS / FOLSOM

THE WEALTHY HOBOS

A peine pénétré dans la Comédia la truffe chaude de Whisky se pose sur ma jambe. C'est sa manière à lui de dire bonjour pendant que Personne, son maître, s'affaire à la sono. De toute la faune réunie ici, Whisky est vraisemblablement celui qui possède la meilleure ouïe, et peut-être entend-il des fréquences rock'n'roll inaudibles à nos misérables esgourdes. N'a que quatre pattes, mais peut-être est-il plus savant que nous tous réunis. Anubis stellaire.

MOTOR KIDS

Pas vraiment des kids mais très loin du troisième âge. Coupe afro à la Hendrix ou à la Clapton version Cream pour Kejji à la basse et Alim Elbouki à la lead. Un premier morceau qui me fige la raison et me laisse mi-figue mi raisin, pas de direction évidente, impossible de dire à quoi ils veulent en venir. Hurlement de Léo Flank à la batterie, à vous fouetter les sangs de tout rocker jusqu'à lors indécis - disons-le à la manière des sceptiques grecs qui suspendaient prudemment leur jugement avant de porter un jugement définitif – nom de Zeus, voilà que ça se met à trotter allègrement, se sont apparemment réchauffés les doigts et décidé à mettre le turbo à la turbine. Toutefois faudra attendre le troisième morceau pour piger vers quel objectif lune ils ont jeté leur dévolu. Jusque là, Alim Elbouki avait caché son jeu de guitare. S'était contenté de ronronner collé à la rythmique comme le chaton au ventre de sa mère. Premier envol, et ils ne sont pas prêts à tourner rond, misérablement en orbite stationnaire autour du plancher des vaches sages. Un seul mot d'ordre, vers le plus haut du haut. Autant de morceaux, autant de montées souveraines, en de longs soli en partance pour les étoiles. L'est suivi comme une ombre par Kejji, fidèle écuyer qui suit son chevalier du zodiaque dans les altitudes les plus vertigineuses, les espaces les plus raréfiés. Sûr qu'Alim a écouté Hendrix, pas expressément celui de l'Expérience, celui de la dernière période, ne compresse pas les notes, les étire, les épure, rappelle un peu la fluidité des Allman, en davantage détaché de la terre du blues, plus près des poussières cosmiques. Le berger du ciel rassemble la foule autour de la scène, tout le monde est d'accord pour suivre ce vaisseau qui fonce dans la viduité intergalactique.

Nos trois gaminos motorisés au properpol se partagent le chant, plus rauque pour Léo, plus souple pour Kejji, plus éthéré pour Alim. Parfois l'on passe des zones de turbulence, d'énormes forces invisibles rejettent l'engin spatial vers le bas, il a touché à quelques plafonds de verre, quelques champs de gravitation infranchissables, mais non malgré ces agrégations d'orages de particules néfastes, il en ressort vainqueur, la guitare monte en vrille et transperce ces cuirasses de boucliers atomiques, alors Alim Elbouki nous allume et nous lime un bouquet de soli incandescents qui vous arrachent des gutturalités extatiques de satisfaction. On les aurait suivis encore durant quelques années-lumières, mais ils n'ont pas eu le temps de percer la coque de la temporalité universelle. L'heure c'est l'heure... la descente est rapide, juste au moment où se profilait la courbe d'un astre mystérieux sur lequel nous ne poserons pas le pied ce soir...

FOLSOM

Z'ont pris un nom pour dérouter les fans de rockabilly. Folsom, l'on se voyait déjà s'évader du pénitencier et rattraper le temps perdu en pillant une quinzaine de banques ou en attaquant le train qui transportait la paye des terrassiers de la mine de l'allemand perdu... Même en rock, il ne faut pas se fier aux étiquettes, nous nous sommes trompés de film, de bout en bout. Changement de décor et d'ambiance.

Léo Flank est resté aux drums. L'a le boulot le plus difficile. Ne le plaignez pas. Il aime ça. N'arrête pas une seconde. L'est la cheville ouvrière essentielle et articulatoire de la formation. Flank vous flanque le funk comme volées assourdissantes de tôles méthodiquement agitées. L'est incapable d'émettre un rythme quelconque sans avoir envie – en enfant surdoué et sardonique – de casser illico la loco de son beat. Frappe sèche et a-rythmique. Le gars qui vous abat un arbre à chaque coup mais en biseau picassien. Professe une aversion pathologique pour tout ce qui est droit et régulier. Déteste les chemins les plus courts, n'aime que les lignes brisées, réussit à vous tracer des zig-zags sonores de traviole qui vous entrent dans l'oreille droite et ressortent par le pied gauche. Vous prend le cerveau à contre-sens.

N'est pas le seul de la bande, l'a réuni des garnements de sa trempe. Florian ne joue pas de la guitare. Il pointille, il abrutille, il contrapuncte, il contrafunke, il enfonce des pitons dans le dos des antilopes riffiques, les pauvres bêtes ne peuvent plus courir, agitent leurs membres brisés spasmodiquement, s'affalent et tombent lourdement, l'est férocement secondé par Théo Defranaix, s'est spécialisé dans les défenestrations mutilantes, l'a la basse qui klaxonne pour vous conseiller sagement de rester sur le bord de la route et poum, un trucker balourd s'en vient vous écraser, juste pour vous apprendre à mourir.

J'ai toujours pensé que malgré l'amour que je porte à James Brown que le funk n'est pas franc, que le groove peut devenir grave énervant au possible. En cela il n'est pas si éloigné qu'il y paraît du jazz. En moins intello, en plus prolo. Là où le jazz suggère, le funk fonce. En plus l'Histoire nous a appris que c'est un art qui dégénère facilement en musique de boite discoïdale.

Dès qu'ils ont commencé à jouer, j'ai pensé, attention danger, chaussée glissante. Oui mais Folsom dans leur genre ils sont gâtés. Et pas petitement. Z'ont un as qui pique dur et fort, pas du tout caché dans leur manche. Peter Gattet, n'est pas comme ses collègues. L'a résisté à la tentation de prendre un instrument et de le transformer en percussion. Rien entre les mains. Des cordes d'airain dans le gosier. L'a la voix qui envoie. Grasse et collante, un corps de boa brûlant qui s'enroule autour de vous et vous enlace dans ces anneaux écailleux. Vous porte à ébullition au creux d'une cocotte minute explosive. Qui n'explose pas, c'est là le secret du funk, mais qui vous secoue salement, vous remue-ménage dans tous les sens, vous transporte dans ces manèges forains qui simulent le décollage d'une navette spatiale, sans que jamais vous n'atteigniez les étoiles, mais quel plaisir de sentir ses os s'entrechoquer. Le public s'envole dans un ersatz de pogo punk, une pantomime grotesque qui n'est pas sans esthétique d'ailleurs, une danse de pantins maladroits et énamourés qui s'approchent sans se se toucher, qui s'invitent en s'évitant, qui dessinent de leurs bras hécatonchiriens les silhouettes des partenaires de cette ronde mimétique.

Folsom n'a aucune honte – et ils ont raison – Peter se lance dès le deuxième titre dans un hachis rappique destructeur dans lequel il excelle. Vers la fin il nous assènera un disc(o)-funk, en ses débuts martelé comme un lancer de marteau, mais en sa deuxième moitié, filant droit devant, tel une éjaculation de javelot. Le set s'est déroulé entre les deux extrémités de ce spectre fatal, abordera toutes les couleurs d'un heavy groove funky, calotté à fond de caisses embarquées sur un porte-containers salement engoncé dans une tempête de force 9.

THE WEALTHY HOBOS

The last, but not the least. Enfin du rock. Qui brûle et renaît de ses cendres automatiquement à la manière du fabuleux phénix. Slim Terrorizer a ceint ses longs cheveux noirs d'un turban apache. L'est assis devant son kit drumique tel un guerrier de Geronimo qui prépare sa monture pour un raid meurtrier sur un village mexicain. N'a pas un vocabulaire limité mais il ne connaît pas le mot pitié. L'est né pour terroriser le monde et ce dernier ne moufte pas, n'a aucune envie d'attirer l'attention sur lui. C'est que Slim possède une frappe à deux coups. Un premier à la manière des batteurs chevronnés, galonnés et médaillés, le coup indubitable qui fait poum, qui tombe comme l'œuf de l'autruche, et au revoir les amis, je passe au suivant. Non ce genre de simplicité ne lui suffit pas. Vous file un surplus, un deuxième qui suit le premier comme l'ombre le soleil, de si près qu'il semble un écho renvoyé par les murs d'un canyon, au début, ce coup fantôme, ce coup zombie, vous surprend, lorsque vous recevez une balle dans le corps qui vous traverse le poumon, d'abord vous entendez le cri de souffrance que vous ne manquez pas de pousser et tout de suite après la détonation vous parvient – si vous êtes encore en vie – aux oreilles – un coup, deux bruits – est-ce un contre-coup envoyé en douce par la grosse caisse, je ne sais pas, ce qui est certain c'est que très vite vous croyez être au centre d'une chambre d'échos, et – j'ai oublié de le préciser, les Wealthy Hobos ignorent totalement le mot lenteur. Sont pressés de vivre.

Cette double percussion propulsive, ce n'est pas rien, mais ce n'est pas tout. Les Wealthy, jamais quitte, toujours double. Sacha B adopte la même tactique de la terre brûlée deux fois. Mais au chant. Un peu plus difficile peut-être. Un lointain souvenir de la réverbération Sun, je ne sais. Ce qui est sûr c'est qu'il possède une étrange technique, une corde vocale tendue comme d'un arc qui vous envoie la flèche mortelle, et une deuxième résonnante comme celle d'une lyre qui raquelle le requiem funèbre de votre entrée au paradis des braves. Cette seconde onde sonore semble plus amortie, le claquement bref d'une torpille-ventouse qui s'en vient se fixer sous la ligne de flottaison de la coque d'un tanker empli de pétrole. Pour la mise à feu, vous n'attendez pas des heures, quasi illico presto. Un titre comme Bloom, ça fait boum à la puissance mille, ça vous déplume la superstructure en moins de deux secondes, et Clutch enclenche et réveille en vous le réflexe pavlovien, fatal et passionnel, de votre appétence pour le goût immodéré de la destruction-rock.

Les premières rafales de ce quatuor sont tellement ouraganiennes qu'au début l'assistance reste un peu en retrait. Le rock serait-il une musique dangereuse ? Oui bien sûr, c'est-là sa vocation, et bientôt le public de la Comedia en proie à une brutale remémoration platonicienne se souvient que c'est pour cet appel de la forêt sauvage, ce call of the wild, qu'il est friand de ces esclandres soniques, il se livre alors à un tohu-bohu barbare et pogoïque du meilleur effet.

Leo B joue le lion solitaire. Non, il ne boude pas son plaisir. Vous griffe les oreilles, vous arrache la gueule de ces soli déjantés. S'échappent de sa guitare comme horde de vikings en rut. Toutefois rien de désordonné dans ces assauts redoutables. Agit en vrai stratège. Trouve le passage de la dérive entrevue au nord, entre la double flotte d'icebergs s'entrechoquant que sont les émissions échoïfiés de Sacha et de Slim, sa guitare serpente et se glisse en traits de feu entre ces castagnettes diaboliques, se joue de la difficulté, mais finit par sortir de ces pièges redoutables, et alors elle éclate en clameur d'épouvante.

Que serait le rock sans blues ? Inutile de barjoter à chercher la réponse. Sacha vous l'apporte, quand il ne chante pas, quand il ne soutient pas sa voix de ses riffs, il se saisit de son harmonica, prend soin de ne pas retomber dans les pesanteurs embourbées de la lancinante rythmique deltaïque, bye-bye les bayous et les alligators qui s'accrochent à vos jambes, en use et en carbure pour accélérer le mouvement, car à quoi bon ajouter un moteur d'appoint si ce n'est pour brûler les étapes et faire en sorte que l'ascenseur troue le toit de l'immeuble et vous propulse au septième ciel infernal.

Nash Goldfinger – he loves bass, only bass – n'est pas en reste. N'est pas venu pour regarder pousser la bruyère sur sa tombe. L'a fort à faire. The Wealthy Hobos est bâti comme ces cuirassés à double tourelles de tir. Bosse selon deux angles d'attaque. Soutient dans le même temps la batterie de Slim et la guitare de Sacha, triangulation acrobatique, dédoublement à engendrer un vacillement d'identité, à vous perdre hors de vous-même, à vous engouffrer dans un voyage en astral sans retour, mais garde son sang-froid, l'est comme l'aiguille de la boussole folle qui retrouve toujours l'étoile polaire dans sa ligne de mire. Nash bass cash. Si Sacha porte si haut le flamboiement de sa voix c'est que Nash vous tisse, au plus près de ces altitudes, l'exhaustif filet de ces lignes de basse coulées d'or.

Nos hobos sont riches. Répandent le rock'n'roll dispendieusement, à la manière de Zeus se métamorphosant en cette pluie d'or qui s'engouffra dans le sexe de Danaé afin d'engendrer les épopées pré-homériques et l'émerveillement des simples mortels. Mais le plus beau de la soirée, ce fut sans doute cette expression de contentement sur leur visage lorsqu'ils ont quitté la scène. Nous étions certains qu'il savaient qu'ils avaient rallumé le flambeau du rock'n'roll dans nos âmes inassouvies.

Damie Chad.

PARIS IS BURNING

( 2018 / Paris is burning )

La photo de couve ne laisse planer aucun doute sur le message molotov de ces groupes. Motor City Is Burning du MC 5 n'en finit pas d'irradier les révoltes populaires. Comme quoi une étincelle rock peut mettre le feu à toute la plaine. C'est que quand la coupe est pleine, elle se transforme en cratère volcanique. Les manifestations contre la loi Travail en 2017, et les rassemblements des Gilets Jaunes en 2018, s'inscrivent dans ces feux d'artifice dont la France, qui peut s'en enorgueillir à juste titre, est coutumière. Dans un souci constant d'amélioration de notre balance des paiements nous souhaitons qu'elles deviennent notre marchandise d'exportation la plus prisée dans notre monde mis en coupe réglée par les banques, les entreprises, les élites libérales et les Etats de moins en moins protecteurs, de plus en plus policiers. Tous unis et tous coupables dans cet accaparement des richesses et dans cette spoliation sans fin dont les dépossédés sont les principales victimes. En attendant leur anéantissements, voici quelques vingt cris de haine, de révolte et d'accusation proférés par dix groupes de rock en surchauffe. Ce Paris Is Burning est l'expression de ce feu qui couve.

Les numéros correspondent à l'ordre de succession sur le CD.

BREAKOUT : from Paris : punk as fuck, since 2013 ( ? ).

1 : No master race : giclée de sons, dégoulinades de guitares, la batterie embraye, et c'est parti pour un cri de haine contre la haine bête. Un titre qui gronde comme une bête blessée et d'autant plus dangereuse. Ne plus se laisser faire. Riposter. 18 : Spitting : montée en puissance, un vocal dévastateur et un background rouleau-compresseur à qui rien ne résiste. Parfois le morceau ralentit comme un fleuve qui se calme pour mieux accumuler la force du courant. Finit par briser toutes les digues.

ROCK'N'BONES : from Ile de France, riot punk, since 2005.

2 : Marching dead : les morts marchent sans fin, un torrent de putréfaction hante les rues, les guitares dévalent le pavé et grondent de colère. Machine mortelle. Ne s'arrête jamais. 15 : Antifa rockers : marche militante au pas de course. Invincible et fiers d'être ce qu'ils sont. Z'auraient pu l'agrémenter de whahou ! féroces et menaçant, juste pour la couleur locale et la douleur policière.

LOUIS LINGG & THE BOMBS : from Paris, punk rock, anarchism, revolution, annoying people, since 2006.

3 : Grindstone : capharnaüm de bruits flottants, une voix féminine surnage et mène le train. Maintenant sont une chiée plus une à épandre le bordel dans le monde entier. La bonde excrémentielle est lâchée. Rien ne sera plus comme avant. Optimisme forcené. 13 : Rave and steal : une espèce de dessin animé musical dévoyé. La dépouille et la débrouille, l'on peut toujours s'en sortir, suffit de courir plus vite que le vieux monde. Une musique qui sortait autrefois des transistors. Méfiez-vous les temps changent plus vite que vous.

KIDZ CET DOWN : from Paris, punk parifornien, since 2015.

4 : Sweat, farn, buy and die : un flot de colère condamnifère qui emporte tout. Nul trou de souris où se cacher. Les guitares dévalent la chaussée du destin. Le band a décidé d'écraser tous vos espoirs. Une voix d'outre-tombe et un salmigondis de guitares sans pitié. Le pire est à venir. Un des meilleurs titres de la compil. 17 : Enjoy it all : porte bien son titre, une voix sympathique qui s'adresse à vous, une invitation festive, très différent du morceau précédent. Surprenant.

THE MERCENARIES : from Paris, punk, since 2014.

5 : Night Call : presque joyeux, rythme entraînant qui s'amuse à casser les trois pattes d'un canard. La cruauté de l'ironie ne connaît pas de limites. Intermèdes sautillants mais les voix vous rappellent que votre devoir de révolte vous appelle. Sortez de vous-mêmes ! Dansez jusqu'au bout de la nuit. Lumineux et ingénieux. 16 : Rocky Road : des voix qui claquent et l'on est embarqué dans une espèce de comptine punk, un orgue s'amuse à bousculer les ellipses temporelles, tout le monde reprend en chœur brisé.

UNION JACK : from Paris, punk rock, since 1997.

6 : Blackout : Une voix qui festonne par-dessus une purée de sons indescriptibles. A toute vitesse. L'on dirait que la batterie vous tire la langue très fort. L'impertinence du désespoir. Et puis chacun s'exprime bien loud and lourd et toutes ces vitupérations sont nids de vipères heureuses de posséder leur venin mortel. 20 : The Glore : un dernier pour la route et la gloire des causes perdues qui triompheront toujours. Voix goguenardes, musiques sautillantes. Attention sous la plage les pavés ne demandent qu'à voler comme merles moqueurs au temps des cerises mûres.

HUMAN DOG FOOD : from Mantes-la-Jolie, punk, since 2005.

7 : Nothing has changed : urgence, il serait temps de perdre ses illusions et d'envoyer tout balader, la comédie a trop duré, l'on aimerait tant qu'elle tourne enfin au drame sanglant. Briser le cercueil des jours immobiles, tel est le mot d'ordre. 11 : Sometimes : encore plus fort, encore plus violent, encore plus rapide, plus de temps à perdre, la batterie reprend souffle et les guitares vous tombent dessus comme pluie de pavés sur les CRS. Il est temps de mettre le feu. Sirènes clignotantes dans le lointain arriveront trop tard.

HARASSMENT : From Paris, weirdo punk for hipsters making business, since 2015.

8 : Just don't : Une corde de pendu qui se balance dans un cliquètement de cymbales, des guitares musicales par dessous et une voix comminatoire qui précipite le hachis final. Malgré les éructations vocales, le morceau possède un fort avant et arrière-goût instrumental. Superbe orchestration. 14 : Concrete walk : voix caverneuse qui s'enfonce au milieu de la terre. Des éclats métalliques de guitares éparpillées et un galop de batterie qui fonce la tête la première contre les murs. Une immense cavalcade défile sous vos yeux ébahis.

ALL THIS MESS : from Paris, playing a loud blaring punk rock, since 2015.

9 : Screen head : brouillard dans votre tête, l'est occupée par des ondes étrangères qui la colonisent, une voix féminine bat le rappel de vos neurones, la batterie claque comme une marche guerrière, délivrez-vous, Suivez la grande prêtresse, elle vous emmènera où elle veut. Et vous serez heureux. Un must. Au-dessus du lot. 19 : The way they go : Alicia bien sûr, qui chevauche une rythmique de fous furieux. Chevauchez le tigre, le serpent et l'éléphant, c'est ainsi que vous vous accomplirez. Les autres laissez-les, vous n'en avez plus besoin. Démentiel.

STATELESS : from Mantes-la-Jolie, street punk, hard punk, since 2015.

10 : 1986 : Une voix de rage qui déferle , des tumulus de stimuli de guitares s'effondrent sous les butées rageuse d'une batterie infatigable. Rien à perdre. L'on pense à certaines pages de Moravagine de Cendrars. 12 : Pollution : un flot d'ordures vous submerge. La voix surnage parmi les débris. Vous avertit que bientôt il sera trop tard. Elle s'étrangle de haine. Ce qui vous attend est déjà là. Tant pis pour vous.

 

Un CD qui n'a pas été primé aux Césars de la Musique. L'on se demande pourquoi. A croire que le monde est injuste. Mériterait tout de même le sticker Parental Advisory Explicits Content. Mais que fait la police ?

Damie Chad.