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21/04/2019

KR'TNT ! 416 : ERIC BELL / REGGIE YOUNG / CIRCUIT COURT / LE CORE ET L'ESPRIT / ASHEN / WAKING THE MISERY / ABSTRACT MINDED / WILD MIGHTY FREAKS / WISE GUYZ

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 416

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

25 / 04 / 2019

 

ERIC BELL / REGGIE YOUNG

CIRCUIT COURT / LE CORE & L'ESPRIT 

ASHEN /WAKING THE MISERY

ABSTRACT MINDED / WILD MIGHTY FREAKS

WISEGUYZ

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Bell Bell Bell comme le jour

 

Vous savez que les disquaires français ont une sale manie, celle qui consiste à cataloguer les groupes. Quelle est selon vous la plus belle aberration engendrée par cette sale manie ? Celle qui consiste à ranger Thin Lizzy dans le bac ‘Hard Rock’ ! Or, ce mélodiste exemplaire que fut Phil Lynott ne devait absolument rien au Hard Rock, et cela tout le monde le sait en Angleterre. L’Irlando-brésilien naviguait au même niveau de John Lennon, George Harrison ou Ray Davies, au niveau supérieur d’excellence compositale. Et le diable sait si Eric Bell eut du pot de pouvoir jouer avec un mec aussi brillant que Phil Lynott sur les trois premiers albums de Thin Lizzy.

Bell Bell Bell ne sort pas d’une chanson de Cloclo, mais du chaudron bouillonnant des early seventies. Dans un bel article doublé d’une interview, Rich Davenport dessine un parallèle entre les Bluesbreakers et Lizzy, deux groupes qui virent passer dans leurs rangs respectifs une ribambelle de grands guitaristes : Clapton, Mick Taylor, Peter Green chez les Bluesbreakers, Gary Moore, Brian Robertson, Scott Gorham, John Sykes et Bell Bell Bell chez Lizzy.

Dans l’interview, Bell Bell Bell indique qu’il fit partie du troisième line-up des Them. Il avait rencontré Van Morrison chez Crymbles, un disquaire de Belfast. Il joua en tout et pour tout dix fois avec les Them, avant que Van Morrison ne quitte l’Irlande pour les États-Unis. Bell Bell Bell dit que Van ne supportait plus qu’on l’ignore - I mean the guy was a legend and nobody gave a shit - Bell Bell Bell débarque ensuite à Dublin et rencontre Phil qui lui propose deux choses : monter un groupe et un plan maison à trois avec Brian Downey. Objectif : travailler tous les jours et écouter des disques pour composer. Ils s’immergent alors tous les trois dans Lizzy. À la différence de la grande majorité des guitaristes anglais de l’époque, Bell Bell Bell ne se réclame pas uniquement du blues. Il cite des influences comme Hank Mavin, Wes Montgomery, Django Reinhardt, ce qui ne l’empêche pas d’admirer Hubert Sumlin et Buddy Guy. Il explique que quand le Beano album de John Mayall & the Bluesbreakers parut, tous les guitaristes de Belfast se mirent à vouloir imiter Clapton. Pas Bell Bell Bell - I think I was the only one that didn’t - Bell Bell Bell ne voyait pas l’intérêt de jouer ce que tout le monde jouait. Mais là où Bell Bell Bell est très fort, c’est lorsqu’il invente le fameux twin guitar attack qu’allaient par la suite reprendre à leur compte Scott Gorham et Brian Robertson. Comment ? Grâce aux overdubs. Bell Bell Bell rejouait sur lui-même. Ce son, ajouté aux qualités mélodiques des compos de Phil, allait devenir la Marque Jaune de Lizzy. En fait, le procédé existait déjà. Bell Bell Bell indique que l’idée du twin guitar attack lui vint en écoutant Randy California qui jouait ce qu’il appelle de l’harmony-style guitar. Même chose avec Harvey Mandel qui lui aussi overdubbait pour produire ce genre d’effet.

Le premier album de Lizzy fourmille d’idées de son et de libre cours. Pour l’époque, c’est un disque incroyablement novateur. Non seulement Phil compose des choses admirables, mais il sort des basslines exceptionnelles, comme on le constate à l’écoute de «Ray Gun». Le mix monte son bassmatic au premier rang et franchement, c’est un modèle pour tous les bassistes du monde. Cette extraordinaire progression de bassmatic renvoie à celles de Billy Cox. Et Bell Bell Bell dans tout ça ? On l’entend wha-whater dans les sous-bois pseudo-proggy du cut d’ouverture, «The Friendly Ranger At Clontarf Castle». Il fait même le twin guitar attack tout seul. On sent chez lui l’âme du spadassin rompu à toutes les ficelles de caleçon. S’ensuit un «Honesty Is An Excuse» annonciateur des splendeurs lizziques à venir. Fantastique qualité mélodique ! Solide et passionnant, comme tout ce que fera Phil par la suite. Il faut l’entendre chanter «Look What The Wind Blew In» à l’éclat de la revoyure. Dire que ce mec est passionnant serait un euphémisme. À cette époque (1971), il se situe déjà à la pointe du progrès. On le sent parfaitement déterminé à vaincre. Il Dubline tout sur son passage. Il ramène déjà la notion de Dublin Cowboys, l’Americana irlandaise selon Phil Lynott. Bell Bell Bell se taille la part du lion en B dans «Return Of The Farmer’s Son». Brian Downey bat ça si sec. Il tape à tours de bras et jazze le groove à la manière de Mitch Mitchell. Alors on voit Bell Bell Bell entrer en suspensif et jouer la carte de la fusion expansive. À force de tension, ça devient beau comme un jour nouveau. Phil et Brian Downey constituent l’une des plus belles sections rythmiques de l’histoire du rock anglais, ne l’oublions jamais. Encore un balladif spectaculairement bon avec «Clifton Grande Hotel», tellement précurseur des grandes heures à venir. Phil Lynott s’y positionne comme prétendant au trône. Ils terminent ce fantastique coup d’essai avec «Remembering», que Phil tance à sa manière, c’est-à-dire dans un élan d’éclat suprême. Ces trois mecs jouent en vol plané, à la croisée des chemins et wha-whatent leurs rêves de gloire.

Le plus drôle de toute cette histoire, nous dit Bell Bell Bell, c’est que ce premier album de Lizzy n’intéressait personne, à l’époque. Ils ne sortiront de l’underground irlandais que grâce à Kid Jensen, un DJ de Radio Luxembourg.

L’année suivante paraît Shades Of A Blue Orphanage. L’association Lynott/Bell Bell Bell y fait encore pas mal de ravages, notamment avec «Buffalo Gal», balladif lynottien d’une finesse extrême. On voit bien qu’avec ce hit, Phil Lynott ouvre un ère de très grandes chansons. On pourrait en dire autant de ce «Brought Down» qui semble annoncer la suite. Et comme on le voit avec «The Rise And Dear Demise Of The Funky Nomadic Tribes», ces trois-là savent tout jouer. Il faut voir Bell Bell Bell partir en solo et croiser le chemin d’un Phil lui aussi parti en voyage, ils jazzent le funk comme des démons opiniâtres. C’est en B que se joue le destin de Lizzy avec «Chatting Today», un balladif extrêmement mélodique que Bell Bell Bell gratte à l’acou, mais en espagnolades. C’est excellent car ultra-joué à la classe supérieure. Bell Bell Bell est une sorte de virtuose vertigineux. Et puis les choses montent directement au pinacle avec le morceau titre, d’un poids mélodique extraordinaire - And he might have been/ The Magic Politician/ In some kind of tricky position - Véritable coup de génie, à la fois écrit et mélodique - Like an old old pioneer/ From Afghanistan - On retrouve ici le poids du «Blues» D’Aragon orchestré par Leo Ferré - And he might have been/ The Laughing Cavaliero/ The Wise Old Commanchero/ The Desperate Desperado/ The Gigolo from Glasgow - Soudain, le génie de Phil Lynott se met à luire dans le fog.

Encore du Lizzy magistral avec l’effarant Vagabonds Of The Western World. C’est là qu’on trouve «Whisky In The Jar», une folk-song traditionnelle irlandaise devenue un classique du groupe, chanté à la pointe du registre. C’est un mid-tempo d’une classe écœurante. Bell Bell Bell joue le thème sur sa petite Strato dublinoise. On l’entend croiser le fer avec Phil dans «Little Girl In Bloom». Ils génèrent une richesse infinie, un peu comme dans Cream, où tout le monde joue la surenchère qualitative, avec bien sûr un Brian Downey hyper actif dans le background. S’ensuit un «Hero & The Madman» travaillé au très beau groove de down below. Voilà un prog aigu et bien déterminant. Ce groupe sait tenir le lapin blanc en haleine. Bell Bell Bell adore partir en solo. Il n’est pas avare de virulences, c’est un maître queue de l’exaction parabolique, il fouille dans l’avenir et Phil l’observe, un sourire au coin des lèvres. Ils savent aussi très bien montrer les dents, comme le montre «The Rocker». C’est même une démonstration de force idyllique. Phil y sort son plus bel accent de Dubliner délinquant, rawk & rawl, et ça fulgure jusqu’au bout du bout. La B réserve son petit lot de bonnes surprises, comme ce «Gonna Creep Up On You», magnifique slab de seventies rock. Bell Bell Bell y whawhate sous le boisseau celtique. Il passe même en mode funk et on assiste à un admirable déploiement d’élégance basse/guitare. Ça joue vraiment comme dans Cream. Phil rivalise d’aisance avec Jack Bruce. Ils tapent dans le boogie avec «Mama Nature Said». Ils sont tellement à l’aise qu’ils développent des poches d’air dans les cervelles des auditeurs. Bell Bell Bell nous joue ça à la slide judicieuse, ça groove en profondeur et on assiste à des envolées surnaturelles. Pure beauté factuelle. On se régalera autant du morceau titre, chargé de son jusqu’à la gueule et orfévré à outrance.

La belle union prit fin lors d’une soirée du nouvel an 1973 trop alcoolisée - an alcohol-fuelled debacle during a Belfast show - Bell Bell Bell jeta sa guitare en l’air, renversa sa colonne d’amplis et quitta le groupe. Il reconnaît que Lizzy subissait une pression énorme, suite au succès de Whisky. Phil et Brian lui ont-ils pardonné ? Non. Phil et lui ne se reparleront que quelques années plus tard, lors de l’enregistrement d’un hommage à Jimi Hendrix.

Bell Bell Bell garde le souvenir d’un Phil soft-spoken, romantique et poétique. C’est le plus important. Après Lizzy, Bell Bell Bell enregistre quelques albums, et comme il joue bien de la guitare, on ne résiste guère longtemps à l’envie de les écouter.

Album très intéressant que ce Live Tonite paru en 1996. Pour quatre raisons principales : un, Eric Bell joue sur une Strato aussi lessivée que celle de Rory Gallagher : le bois est à nu. Phénomène transpiratoire irlandais ? Allez savoir. Deux, il tape dans les vieux coucous de Freddie King, comme «The Stumble» qui fit les grands jours des Bluesbreakers sur A Hard Road. Il tape d’ailleurs à la suite dans «Oh Pretty Woman» qu’on trouve sur l’autre bel album des Bluesbreakers, Crusade. Trois, Eric Bell a le bec fin car il tape aussi dans le beau hit de Guitar Slim, «Things I Used To Do» - I used to search at night for you darling/ And I search always anything - Eric Bell se prête au jeu du fabuleux shoot de heavy blues. Et quatre, il tape dans les Them avec une version superbe de «Baby Please Don’t Go». Ce diable de Bell Bell Bell n’en finit plus de sonner les cloches. En plus, c’est battu sec à la vie à la mort. Eric Bell joue bien la carte de menace Morganfield et par sa sauvagerie, sa version surpasse celle des Amboy Dukes. On voit bien que Van Morrison exerce une sacrée fascination sur Bell Bell Bell, car s’ensuit une reprise de «Madame George» et il va même terminer l’album avec «Gloria». Version Strato, mais il chante ça de l’intérieur du menton et se fend d’une belle descente de yeah-yeah-yeah-yeah. Rien de plus Irish que l’angst de Gloria. Il tape aussi dans the reverend Buddy Guy avec «Hold That Plane» et salue la mémoire de son vieux complice Phil Lynott avec une belle version de «Whiskey In The Jar» - Way wy way back, that’s an Irish number - Il joue ça au gras mythique, mais sans la voix de Phil. Encore du Lizzy sans Phil avec «The Rocker». Bell Bell Bell le rocke à la vie à la mort, comme un heavy dude. Il tente de récréer la magie de Lizzy, mais sans Phil, c’est impossible. Alors il passe au groove de jazz avec «Just To Get By» et s’y sent plus à l’aise.

Paru en 2008, Irish Boy vaut aussi le détour, ne serait-ce que pour le «Days Of Innocence» d’ouverture de bal. Bell Bell Bell cultive une tradition d’Irish high quality. C’est un maître de cérémonie, il n’a plus rien à prouver. Il tape son balladif à la meilleure avancée, il navigue en suspension. L’autre très beau cut de l’album est le «Newcastle Boy» de fermeture. Il joue ça au clairvoyant de Strato. Ce diable de Bell Bell Bell ne lâche jamais la rampe, il joue à l’inspiration des profondeurs, son groove pénètre la peau. Bell Bell Bell est un bon. On a là l’archétype du blues soigné au bassmatic - And the wind blows/ Across Newcastle bay - Il joue au sludge de Strato et s’érige comme un géant de l’underground irlandais. Sur le heavy groove de «Just To Get By», il devient le gaillard avant de l’Irish rock. Il plaque de beaux accords en étain, il sort une sonorité rêveuse de round midnight. Il revient au romp d’excellence avec ce vieux boogie qu’est «Sweet Mystery». On pourrait même qualifier ça de boogie attentiste, car solid as hell, gratté avec les meilleures intentions. Bell Bell Bell est un mec authentique, il ne force jamais l’admiration. Avec le morceau titre, il raconte son histoire et recrée sa petite magie irlandaise infiniment respectable. Il nous coud ça au fil d’or mélodique. Quel soin et quelle présence ! On le voit aussi jazzer son boniment dans «Standing In The Middle», puis il s’en va rocker son jive de swing. C’est un pro. Un mec infiniment recommandable. Pas étonnant qu’on trouve ses disks sur Angel Air.

Exile sort du bois en 2015. On a du son, rien que du son dès «Deep In Your Heart». Il joue à la bravado et quand il rentre au chant, on l’accueille à bras ouverts. You’re welcome Eric ! Voilà un candidat au culte qui ne mène nulle part. En tous les cas, il maintient une éthique underground assez magnifique. Il fait son truc dans son coin. Bell Bell Bell sonne bien, très Doug Sahm. Guitaristiquement parlant, il est parfait. Il sait relancer avec du son. On est convaincu d’avance, c’est évident. Chez lui, tout se situe dans la musicalité exhaustive. Bell Bell Bell joue pour le plaisir de jouer, ça se sent. Extraordinaire personnage ! Il excelle dans l’art des renvois de son. On voit bien qu’il joue avec les moyens du bord sur «Don’t Love Me No More», mais il sonne juste. On lui accorde toute notre confiance. Il fait son cirque. Bell Bell Bell est un Pinder à deux pattes. Il joue tout au harsh. C’est un âpre. Et voilà le coup de génie : «Gotta Say Goodbye». Quasi jazz, baby, véritable coup de Jarnac. Il crée tout simplement la sensation. Il part en solo, et quel solo, il joue à l’instantanéité parabolique, il s’élève au dessus de la normalité, Bell Bell Bell sonne bien les cloches, il joue son solo en mode heavy clean et crée une féerie de tramway aérien. Il sonne comme l’Oracle de Delphes. Il zèbre le ciel du rock comme un éclair. On le verra dans les cuts suivants, il se montre imparable lors de ses départs en solo. Il se montre même assez incendiaire dans «Vote For Me». Son «Little Boy Running» est une nouvelle merveille, il claque un solo sharp de clairvoyance, pur son de Strato dévitalisée. Ah l’excellent Bellman ! - See my little boy running/ Running with a ball - Visiblement, il ne s’intéresse qu’à l’excellence. Avec «Song For Gary», Bell Bell Bell raconte qu’il vit un soir Gary Moore arriver sur scène à Hollywood, Northern Ireland. Eric jouait alors dans les Deltones. Gary n’avait que 11 ans et voulait déjà jouer de la guitare avec des musiciens de rock. Puis Bell Bell Bell raconte dans la chanson que Gary est mort à l’âge de 58 ans, et qu’il espère le revoir un jour, dans l’autre monde - I hope someday we’ll meet again - Fabuleux hommage. C’est un passage obligé pour tout amateur de rock anglais. Et bine sûr, Bell Bell Bell passe dans «Song For Gary» un solo incroyablement Moory. On ne fait pas d’hommage sans casser des œufs, n’est-il pas vrai ?

Standing At A Bus Stop paraît en 2017. Sur la pochette, le pauvre Bell Bell Bell attend tristement à l’arrêt de bus avec un étui de guitare à la main. Comme la scène se déroule dans les nuages, on en déduit qu’il est déjà arrivé au paradis. Mais si on jette un coup d’œil à l’insert, alors on tombe sur le portrait d’un mec assez beau, un mec d’un certain âge, c’est vrai, mais quelle classe ! Il attaque l’album avec un bel hommage à Wolf : «Back Door Man». Il le prend à pleine voix - Well men don’t know/ But little girls understand - C’est une version qu’il faut bien qualifier d’historique - Cop’s wife cried/ Don’t take him down/ Rather be dead/ Six feet in the ground - Il se frotte plus loin à Django avec «In Memory Of Django». Il en a les moyens, rassurez-vous. Il retrouve le chemin des assonances magiques de ce son qui défie les dieux plutôt que les hommes. Il fait aussi une version balloche de «Mystery Train» - Sixteen coaches long - Son train train n’en finit plus de coming round the bend. Mais la B est un peu faiblarde. Il faut attendre le morceau titre pour renouer avec le frisson, tout au moins au niveau littéraire - Mmmm time has swept it all away/ I just can’t believe I’m standing here today/ Trying to swallow my pride/ Before the fall - Il sur-joue au jazz guitar et c’est tout simplement fabuleux. Il termine avec un «Walking In The Park» qui n’est pas celui qu’on croit, c’est-à-dire celui de Colosseum. Il revire jazz - Time has changed/ And still I find/ I’m flying blind/ But no so often - et ça vire au mood de diabolo jive - And it feels like it’s the end of the world - On est content d’avoir croisé le chemin d’un mec comme Bell Bell Bell.

Signé : Cazengler, Eric Bêle

Thin Lizzy. Thin Lizzy. Decca 1971

Thin Lizzy. Shades Of A Blue Orphanage. Decca 1972

Thin Lizzy. Vagabonds Of The Western World. Decca 1973

Eric Bell. Live Tonite. BMA Records 1996

Eric Bell. Irish Boy. Isol Discus Organization 2008

Eric Bell. Exile. Cargo Records 2015

Eric Bell. Standing At A Bus Stop. Of The Edge Productions 2017

Rich Davenport : Bell Rings Out. Record Collector #478 - April 2018

Ci gît Reggie - Part Two

 

Avant de casser sa pipe en bois, Reggie Young eut heureusement le temps d’enregistrer un album, son seul album solo d’ailleurs, le bien nommé Forever Young. C’est dire la modestie du bonhomme. Il aura passé soixante ans de sa vie en studio à gratter sa gratte pour les autres et jamais pour sa pomme, alors bravo. C’est la première des raisons pour laquelle il est indispensable d’écouter cet album. La deuxième raison est la suivante : comme chez Ace on fait toujours bien les choses, on a demandé à Colin Escott de pondre une petite présentation. Colin Escott ? Mais oui, vous le connaissez : le spécialiste de Sun Records, le sunologue numéro un.

L’Escott n’y va pas par quatre chemins : il commence par situer le style du Young à la croisée de Coleman Hawkins (pour les structures harmoniques), de Lester Young (pour les melodic lines), d’Hendrix (pour les clusters, c’est-à-dire les grappes de notes), et de B.B. King (pour l’économie). Quand il joue un solo, il le joue tellement à l’extrême qu’il ne peut jamais l’améliorer. Reggie Young ne joue qu’à l’économie, au Soulful et au lyrical. Et s’il est un musicien qui se fout d’être crédité ou pas sur la pochette, c’est bien lui. Pas de problème de m’as-tu-vu chez Reggie Young. La liste des hits sur lesquels on l’entend jouer va loin puisqu’elle s’étend jusqu’à l’horizon, on la trouve sur wiki, d’ailleurs, mais pour les ceusses qui n’ont pas d’ordi, on peut citer les solos de «The Letter» et «Cry Like A Baby» des Box Tops, ou encore «Son Of A Preacher Man» de Dusty chérie, et tiens, tu as aussi le «Midnight Mover» de Wilson Pickett. Et bien sûr «Suspicious Minds» et «In The Ghetto» d’Elvis. L’Escott révèle que Reggie tenait un journal, non pour raconter son histoire, mais pour tenir sa compta et être sûr d’être payé. Et du coup, ce journal intime raconte, comme le dit si bien l’Escott, l’histoire de notre musique favorite.

Alors attention, car ça grouille de détails marrants. En 1955, Reggie accompagne Eddie Bond sur «Rockin’ Daddy» et pouf, les voilà partis en tournée avec Johnny Horton, Warren Smith, Carl Perkins et Johnny Cash qui empuentait la voiture avec ses Picayune cigarettes (un équivalent des Boyard) mais aussi Roy Orbison qui n’arrêtait pas de dire qu’il voulait une Cadillac. Quand Reggie enregistre le deuxième disk d’Eddie Bond pour Mercury, il gagne 41 dollars et 25 cents. Mais c’est avec Johnny Horton que Reggie passe le plus de temps. Johnny l’emmène un jour voir une voyante. Dans la boule de cristal, elle voit tout, évidemment, et surtout un accident d’avion pour Reggie qui du coup développe une intense phobie de la mort. Il dort avec la lumière allumée. Johnny Horton organise des séances de spiritisme chez lui, dans la fameuse spook room. L’esprit qu’il invoque lui apprend qu’il va mourir dans un accident de bagnole. On est en 1959, Reggie est appelé sous les drapeaux. On l’envoie en Éthiopie. Un matin il apprend que Johnny Horton est mort. Comment ? Dans un accident de bagnole. Reggie comprend que s’il n’était pas parti à l’armée, il serait mort avec son poto Johnny Horton.

Pendant son service, Reggie est devenu spécialiste du décryptage. La CIA lui propose un job au terme de ses 18 mois de service, mais Reggie préfère aller retrouver son ami Bill Black à Memphis. Reggie fait donc partie du Bill Black’s Combo qui joue en ouverture des Beatles, lors de leur première tournée américaine, en 1964. Le Combo accompagne aussi les autres artistes de la tournée : Clarence Frogman Henry, the Exiters et Jackie DeShannon. C’est là que Reggie et Jackie ont une aventure. La tournée ne se passe pas très bien, car quand le présentateur demande à la foule : «You wanna see Ringo ?», la foule hurle, woooooooah, même chose pour George, woooooah, Paul, wooooooah et John, whoooooah ! Mais quand il demande : «You wanna see Bill Black Combo ?», la foule hue. Booooooo !

En 1964, Reggie a déjà dix ans de métier et selon l’Escott, il a vécu deux moments clés de l’histoire du rock : la naissance du rock’n’roll et sa transformation en rock. Reggie évoque aussi l’époque où il travaille pour Goldwax, un petit label de Memphis devenu culte. Il accompagne James Carr qui devient célèbre et qui entre dans les charts. Voyant ça, Reggie demande à Doc Russell de le payer et Doc lui répond : «Would 15 bucks be cool with ya man ?» (Ça te va 15 dollars mon pote ?), mais l’associé de Doc Ray Harris casse le prix et dit que dix dollars suffiront largement. Reggie comprend qu’il se fait enculer en beauté et décide de se tirer de là vite fait. Par miracle, il rencontre Chips Moman qui vient tout juste de monter American Sound et qui cherche un guitariste.

Alors, place à la rigolade. À côté d’American se trouve un resto. Qui dit resto dit rats. On les entend cavaler dans le grenier pendant les séances d’enregistrement. Reggie raconte qu’un joue les Blossoms de Darlene Love sont en studio et un rat se pointe. Les filles hurlent et grimpent toutes les trois sur une chaise. C’est Bobby Emmons qui extermine le rat à coups de pied de micro. La première session de Reggie pour Chips, c’est l’album des Gentrys, Keep On Dancing. C’est aussi l’époque où Chips, Reggie et Tommy Cogbill vont encore régulièrement à New York faire des sessions pour Jerry Wexler. Puis Chips a l’idée d’inverser la tendance et de monter un house-band à Memphis pour faire venir le business. Reggie : «Sounded good to me». Alors Chips embauche son house-band, les Memphis Boys. Entre 1967 et 1972, il sort pas moins de 120 hits des forges célestes d’American. Le clou du spectacle, c’est Elvis qui arrive sapé comme un lord, en cuir bleu - Elvis looked like a brother from another planet - Reggie dit qu’on sentait sa présence avant même qu’il n’entre dans le studio par la porte de derrière et il ajoute : «We just hoped that the rats weren’t running around !» Eh oui, pourvu que les rats ne se pointent pas ! Quand Elvis demande à Reggie ce qu’il pense d’une chanson sélectionnée par son entourage, il répond que bof, c’est pas terrible. Bobby Emmons lui répond la même chose : bof, pas terrible. Alors Jarvis Felton, le producteur d’Elvis, les prend tous les deux à part dans le hall d’entrée et leur demande de fermer leur grande gueule. Chips vole au secours de ses amis et annonce au micro qu’il peut proposer des chansons bien meilleures. L’entourage d’Elvis dit que c’est possible, mais à condition de récupérer les droits. C’est la règle imposée par le Colonel. Tu cèdes tes droits et tu fermes ta gueule. Elvis ne chante que des chansons dont lui et le Colonel possèdent les droits. Quoi ? Céder mes droits ? T’as vu ça où ? Chips se marre. Pas question de céder mes droits. Chips sait qu’il va gagner le cœur d’Elvis car il propose une compo de Mark James intitulée «Suspicious Minds». Il prend le micro et prévient l’assemblée : «Ici, on n’enregistre que des hits, d’accord ? Si Elvis ne veut pas de hits, vous pouvez tous aller vous faire mettre - Y’all can get out !» Elvis dresse l’oreille quand il entend la démo de «Suspicious Minds». Ça le fait bander, évidemment. Il demande à son entourage de sortir du studio. En fait il adore tellement l’équipe de Chips qu’il leur propose de l’accompagner en tournée, mais Chips et Reggie sont devenus très casaniers et ça ne les intéresse pas. L’album qu’Elvis enregistre chez Chips s’appelle From Elvis In Memphis et selon bon nombre de spécialistes, c’est son meilleur album.

Pour revenir à nos moutons, la troisième raison d’écouter Forever Young est que c’est tout bonnement excellent. Attention, Reggie Young ne joue que des instros, mais chacun des sept instros proposés ici valent pour des coups de génie, à commencer par «Coming Home To Leipers Fork», un vieux groove swampy de Memphis. Si on aime le Memphis Sound, alors on ne peut qu’adorer cet album. Reggie Young entre dans le son avec du petit diguili de vieux crabe, this the Memphis Soul typecast, baby. Reggie groove derrière les fagots du boisseau, il groove dans la note, il entre dans la matière du raw, Reggie régit le jive. On entend rarement des mecs jouer avec un tel souci de l’intrinsèquement beau. Il installe un groove de charme au long cours et claque les contreforts du jazz dans l’essence même du son. Il shoote du Wes Montgomery dans le Memphis Sound. Il enchaîne avec un «Memphis Grease» de tous les diables cornus réunis. Il claque sa chique dans l’épaisseur du Grease. Il transforme son instro en caverne d’Ali-Baba, il roule le groove dans sa farine, il atteint à l’essence même de l’insurpassable naissance du cool. Il joue à la note perdue, celle qu’on voit suspendue dans le cours de l’éternité. Cet homme semble s’élever avec sa musique, il élève l’âme du groove de manière shamanique. Parler de shamanisme est l’une des manières de le situer. Il te fait entrer dans son monde, comme le ferait un shaman. Encore plus terrifiant de présence, voilà «Soul Love», plus lumineux, et même plus pop. Les nappes de cuivres en disent long sur son bonheur de vivre. Il passe au jazzy cosy avec «Seagrove Place». Reggie va là où il veut, il claque ses accords en accord avec lui-même, il part en groove de jazz comme s’il partait butiner un champ de coquelicots, il joue des gouttes de jazz lumineuses, mais il n’est pas homme à se mettre en avant et s’installe à la lisière de l’ombre. Reggie reste un modèle de discrétion, même dans son jeu. Il devient miraculeux de détermination constitutive, il fait ruisseler quelques diamants, rattrape la queue d’une mélodie au vol, il nous promène dans l’élégance d’un son à petits coups de délassement substantifique et d’écartèlement de gammes débonnaires, qui vont ici et là se perdre dans la torpeur du Tennessee. Il atteint à l’omniscience des figures harmoniques. Tous ses cuts sont des grooves à thèmes bien ficelés. Il fait chauffer «It’s About Time» à la flûte. Dickinson a raison de dire qu’on groove à Memphis comme nulle part ailleurs. Et c’est à cause de mecs comme Reggie Young qu’on finit par tomber en panne d’adjectifs. Sur le tard, il s’efforce de pacifier ses thèmes musicaux. «Exit 209» s’en va paisiblement se fondre dans le poudroiement du crépuscule. On a une idée du monde moderne si dégradée qu’on s’étonne vraiment de croiser le chemin d’un homme si paisible. N’ont-ils pas tous disparu ? Lorsque l’album se termine, on se pose la question : l’apprécie-t-on uniquement parce que Reggie Young est auréolé de légende ? La réponse est dans la question.

Et puis comme Ace ne fait jamais les choses à moitié, voici que sort en catastrophe une compile de compétition intitulée Session Guitar Star. Elle propose un choix de 24 hits dans lesquels s’illustre Reggie Young. Bob Dunham nous explique dans une plantureuse intro que cette compile était en germe depuis un bon moment et devait paraître pour le 82e anniversaire de Reggie. Au moment ou Dunham écrit, Reggie vit encore. Dunham apporte quelques petits éclairages complémentaires à ceux de l’Escott. Comme Billy Gibbons, Reggie a la chance d’avoir un père qui lui offre une guitare au bon moment, à l’adolescence. Un an plus tard, il joue dans des groupes locaux de hillbilly. Dunham passe rapidement sur le service militaire en Éthiopie, sur la période Bill Black’s Combo. Joli coup de projecteur aussi sur le fameux Hi’s Royal Studio qui travaille pour des clients extérieurs, notamment Duke Records, basé au Texas. Don Robey leur envoie O.V. Wright, puis Bobby Bland qui enregistre «A Touch Of The Blues», l’un des plus beaux albums de tous les temps. Goldwax envoie aussi James Carr et c’est là qu’il enregistre le fameux «Dark End Of The Street». C’est la période Reggie at Royal, celle où il se fait rouler la gueule. Chips Moman arrive au bon moment et lui propose d’entrer dans son house-band. Bobby Emmons qui travaillait aussi pour Hi le suit. Chips embauche aussi Gene Chrisman, ce vétéran qui battait pour Jerry Lee en tournée. Young/Emmons/Chrisman/Cogbill, ce sont les quatre Mousquetaires d’American. Retenez bien leurs noms. Tommy Cogbill est le veux compagnon de route de Chips : ensemble ils sont allés jouer en session à New York pour Atlantic puis chez FAME à Muscle Shoals. Dickinson dit de Tommy Cogbill qu’il est le meilleur bassman de tous les temps. Viendront s’ajouter aux quatre Mousquetaires le bassman Mike Leech et le clavier Bobby Wood. Ce sont les Memphis Boys. On les entend sur 120 hits et pendant l’âge d’or d’American, ils accompagnent la crème de la crème du gratin dauphinois, Dusty chérie, Wilson Pickett, Elvis, Jackie DeShannon, B.J. Thomas, Joe Tex, Bobby Womack, King Curtis, les Box Tops et des tas d’autres. Ils devaient accompagner Aretha en 1968, mais on venait de buter Martin Luther King et la session fut annulée. Puis c’est la période Nashville, où Reggie croule sous la demande. Il double ses tarifs, mais ça ne sert à rien, on le considère comme le meilleur. Il accompagne les Highwaymen et plus tard Waylon Jennings.

Si on aime les coups de génie, cette compile en regorge, à commencer par le «Don’t Forget About Me» de Dusty chérie et signé Goffin & King. On y assiste à une fabuleuse progression orchestrale. Ces mecs jouent comme des diables. Reggie nage dans le fond avec un son bien rond qu’il tire d’une overdriven Gibson ES 345. Quelle panade ! Même si Dusty chérie rajoute sa voix plus tard en studio à New York, le résultat est stupéfiant. Tout aussi marquant, voilà le «Morning Glory» de James & Bobby Purify. Les Purify swinguent la Soul de Memphis avec une grandeur d’âme incomparable. Mais attention le Bobby Purify n’est plus celui de la première époque : un certain Ben Moore remplace le Robert Dickey qui se faisait appeler Bobby. Reggie nous entraîne là dans un véritable labyrinthe qualitatif. Il accompagnera de nouveau Bobby trente ans plus tard sur Better To Have It, un album produit par Dan Penn. Encore une belle énormité avec le «Stranger In My Own Home Town» d’Elvis. On sent immédiatement l’immense présence tutélaire. L’ombre d’Elvis plane sur le monde du rock comme nulle autre. Derrière, Reggie joue comme un fou, il dégomme ses gammes comme un virtuose du génie ou si tu préfères, comme un génie de la virtuosité. Au fond c’est la même chose. Il faut entendre ce ramalama mêlé à la voix d’Elvis. C’est le maximum de ce qu’on peut attendre d’un cut de rock. Avec ça et «Suspicious Minds», Chips fut le seul à pouvoir rétablir la crédibilité de rocker d’Elvis - The empathy and music created at American would never be recaptured - Autre grosse surprise avec le «Victim Of Life’s Circumstances» de Delbert McClinton. Reggie joue à la folie du bluegrass. Ah il faut entendre ces digonnades, il joue par derrière, c’est un déconstructeur d’initiatives locales, un taraudeur d’alertes rouges, il va loin car le vent le porte. Il faut aussi le voir illuminer l’«I Wanna Boo You» de Jackie DeShannon. Oui, Reggie illumine le cut (pas le cul) de Jackie (qu’il connaît pourtant bien, le cul, pas le cut). Il joue des tiguiliguili paradisiaques et derrière, les Memphis Boys pulsent le Memphis Sound. Puissant et gorgé de son ! Dunham précise aussi que ces sessions Atlantic avec Jackie (supervisées par Tom Dowd) comptent parmi les dernière d’American in Memphis. Oh il faut aussi entendre Reggie jouer sur le «Rock’n’Roll (I Gave You The Best Years Of My Life)» de Sonny Curtis. Il y sort ses meilleurs arpèges pour l’occasion. Ce dingue de Reggie part en fusée bluegrass et explose en de pulvérulentes merveilles soniques. On l’entend ensuite accompagner des tas de gens dans sa période nashvillaise, Billy Sawn, JJ Cale, Nathalie Merchant, the Highwaymen, Merle Haggard, mais attention, c’est un autre monde, the Nashville sound. Il claque même pour Little Milton un solo éthéré qui n’intéressera jamais personne et c’est avec le «Where Do We Go From Here» de Waylon Jennings qu’on se réveille, car quel raout ! Waylon laisse Reggie aller au fleuve et ça donne un guitar rush exceptionnel sur tapis de cuivres. Si on remonte aux sources, on tombe sur le «Slip Slip Slippin’ In» d’Eddie Bond & His Stompers, un fantastique slab de rockab. C’est l’âge d’or, 1956 et Reggie claque un solo en arpèges de diatoniques adossé au mur, la bouche ouverte. On comprend ici que le rockab était essentiellement l’affaire de mecs déterminés à vaincre. Reggie joue à l’économie sur le «Touch Of The Blues» de Bobby Bland et en mode Tahiti/bluegrass évolutif sur l’«I’m Moving On» des Box Tops. Quel démon ! Avec «The Champion Part 1» de Willie Mitchell, on passe au beat de stomp avec un Reggie qui rentre dans le lard du cut. On l’aura bien compris, cette compile ne craint ni l’ennui ni la mort.

Comme l’occasion fait le larron, profitons-en pour ressortir une autre compile Ace parue en 2012, en même temps que le big book de Roben Jones, Memphis Boys. The Story Of American Studio. Eh oui, voilà encore une compile du diable. Ça grouille littéralement de merveilles imprescriptibles. Reggie Young n’est pas toujours mis en avant, mais par contre, on profite pleinement du son des Memphis Boys, et ce dès le «Memphis Soul Stew» de King Curis qui commence par réclamer a little bit of beiss, a big fat drum and some Memphis guitar, et voilà Reggie. Arrivent ensuite l’organ and the horns. Tout le monde est là. Now a big wail ! C’est King Curtis qui se prend pour Junior Walker ! Et ça embraye aussi sec sur «Son Of A Preacher Man» de Dusty chérie. Ah il faut entendre Tommy Cogbill rouler sa bassline derrière Dusty ! Il vole carrément le show avec ses déglutis de bas du manche. On entend aussi James & Bobby Purify faire leur Wicked Pickett dans «Shake A Tail Feather». Hey boy, on n’est pas chez Stax mais chez Chips ! Tommy Cogbill ressort pour l’occasion une bassline gros popotin. Reggie se tape l’intro légendaire de «The Letter», encore un hit increvable. Côté coups de génie, on trouve en rayon l’immense «I’m In Love» de Wicked Pickett. Reggie devait être fier de claquer ses bricolos derrière un tel géant. Son solo remonte le courant comme un saumon togolais. On se régale aussi du «Suspicious Minds» de Mark James : c’est la démo du hit d’Elvis embarquée au bassmatic et soutenue par une fantastique exaltation des cuivres. Chips en fait un chef d’œuvre. Plus loin, on voit Joe Tex twister la Soul avec «Skinny Legs And All». Joe est un chouchou de Chips. Reggie envoie un gimmick ici et là, mais c’est encore Tommy Cogbill qui vole le show avec son bassmatic. On monte encore d’un cran avec le «More Than I Can Stand» de Bobby Womack, qui est le fils adoptif d’American. C’est de la Soul de guitar slingers, une vraie merveille. Il faut voir Chips envoyer les violons dans la Soul aux vermicelles. Quel sublime carnage ! En queue de compile, on croise les Soul Brothers que Chips produisait pour Goldwax et notamment l’excellent Spencer Wiggins avec «Power Of A Woman». C’est à Elvis que revient l’honneur de conclure avec cet «I’m Movin’ On» tapé au Memphis beat. Dommage qu’il n’ait pas continué à bosser avec Chips. Ils étaient faits pour s’entendre. Sinon, la compile propose aussi l’excellent «Born A Woman» de Sandy Posey et on entend Reggie jouer des petits coups du coin de la rue derrière James Carr. Il brode en douceur et en profondeur, comme Steve Cropper. On entend aussi Joe Simon, Merrilee Rush et B.J. Thomas, un autre chouchou de Chips. On croise aussi le fringant «Funky Street» d’Arthur Conley tapé aux clap-hands bien secs de Memphis. Chips savait produire des hits, no problemo. N’oublions pas Solomon Burke et les Soul Bothers plus obscurs comme L.C. Cooke ou Clay Hammond. Mais pas des moindres.

Signé : Cazengler, Reggie Old

Reggie Young. Disparu le 17 janvier 2019

Reggie Young. Forever Young. Ace Records 2017

Memphis Boys. The Story Of American Studio. Ace Records 2012

 

MONTREUIL / 15 – 04 – 2019

LA COMEDIA

CIRCUIT COURT / LE CORE ET L'ESPRIT

Lundi soir, pas vraiment le monde fou, les rockers auraient-ils fait un peu trop la fête ce week end ou alors les yeux rivés sur la télévision et Notre-Dame qui flambe ont-ils oublié que la seule chose qui brûle en ce bas-monde c'est uniquement le rock'n'roll, en ce cas ils ont eu tort car la soirée fut chaud de braise. Pendant que l'on gobe des crocodiles colorés, Whisky beaucoup plus malin s'allonge sur le carrelage, sûr de lui, immanquablement les filles se précipitent pour se partager l'insigne l'honneur et l'exorbitant privilège de lui caresser amoureusement le ventre. Plus j'observe ce chien philosophe, plus je l'admire, pas cynique pour un poil, pas stoïcien pour un sou, même pas un épicurien, sûrement un hédoniste, et peut-être même un sybarite. Au comptoir Martin Peronard armé d'un stylo bille vous gribouille une de ces affiches qui annoncent les concerts de la Comedia. Faudra un de ces jours consacrer une kronic à cet énergumène qui ne peut voir une surface quelconque sans l'étoiler de son monde intérieur.

CIRCUIT COURT

Viennent d'Epinal. Mais méfiez-vous des clichés, ne sont pas sages comme des images. Nous ont déjà abasourdis à la balance. Ne sont que deux, un gars, une fille. Archimède se vantait de pouvoir soulever le monde si on lui refilait un levier et un point d'appui. Oui mais voilà, tout le monde ne partage pas les mêmes idées. Ottavia Simonin, semble vouloir l'écrabouiller notre planète bien aimée. Tant qu'elle ne s'est pas assise devant ses fûts, l'était une fille comme les autres, fine silhouette et longs cheveux. Qui sur la scène lui cacheront le visage. Elle a levé les bras bien haut, jusque-là on pouvait encore se bercer d'illusions sur le mythe de la douceur romantique des êtres féminins, mais à la première frappe l'on a compris qu'il fallait réviser d'urgence notre welttanschauung comme disent les Allemands. Avec Ottavia ce qu'il y a de bien c'est que vous avez tout en un seul coup : la prise de Ninive, la chute de l'Empire assyrien, l'effondrement de la Tour de Babel, la... j'arrête là car il me faudrait au moins douze pages pour vous faire comprendre, vous croyez stupidement que c'est juste pour marquer le coup, qu'elle va continuer sur un joli drumin', un petit galop soutenu de bon augure. Erreur sur toutes les lignes de bus. Elle vous en remet tout de suite une quinzaine, aussi violents, aussi brutaux, des tamponnades à vous déstabiliser un gouvernement en quinze secondes, en fait, elle ne sait pas faire doucement, personne ne lui a jamais appris, bazooker et exploser des trente-huit tonnes chargé à bloc de dynamite, c'est son péché mignon, elle en a un autre plus grave. Elle en a aussi dans le cerveau. Sait parfaitement coordonner l'hémisphère droit avec le gauche, une science innée du rythme, c'est comme les boxeurs, tous vous écrabouillent la bouille dans la tambouille, de plus rares ont le truc en plus : le swing, la danse, la fulgurance et la grâce. Ne tape pas uniquement pour le plaisir de détruire, la rage de l'orage certes, mais surtout la beauté de l'éclair. La foudre choisit les chênes centenaires et dédaigne les arbrisseaux vermoulus. Car à ses côtés vous avez Laurent Chartier. Chante et joue de la guitare. Les deux très bien. Une voix qui sonne le tocsin de l'urgence et les accords qui comme les étincelles de Mao Tse Toung vous foutent le feu à toute la plaine. Rapide et violent. Pas le gars qui se laisserait intimider par une gamine championne de kick-boxin, lui aussi l'a de l'allonge et de la reprise, l'a la guitare effractive, l'y va carrément au pied de biche, dans le rock garage, on n'a pas le temps de finasser sur la courroie de transmission, on vous la remplace par des boas constrictors, pour le reste du moteur on vous y case dromadaire et en moins de rien vous avez une tout-terrain, avec un tel attelage vous pouvez tenir tête à votre façonneuse de menhirs granités. Pour être franc, je ne sais pas qui enlace l'autre, est-ce Ottavia qui ménage des espaces pour que Laurent puisse laisser choir son épée de Damoclès à l'instant idoine, ou est-ce Laurent qui repousse d'une forte secousse cordique les rochers drumique, je l'ignore, mais le résultat est là, imparable. Une mécanique de précision. C'est sur une forge identique que Nothung fut forgée par Siegfried le tueur de dragons, tapis de braise pour une ordalie rock.

Mais ce n'est pas tout. Une calamité ne vient jamais seule. Laurent aboie dans le micro, et subitement Ottavia crie. Elle hurle sans fin, vraisemblablement est-elle soudainement habitée, telle la pythonisse de Delphes, d'une présence divine, car sa clameur stridente embaume le monde, des runes incompréhensibles s'écoulent de sa bouche comme la lave de la gueule de l'Etna, là vous franchissez un cap sensoriel, vous entendez ce que vous n'avez jamais perçu jusqu'à maintenant, c'est la materia prima de l'univers dont vous oyez le ramage strictement interdit aux oreilles humaines. L'image de la pochette et le son du premier disque de Black Sabbath s'est imposée à moi.

Onze morceaux de mica noir, comme autant d'yeux arrachés par Héra à la face d'Argus pour en consteller la roue cosmique du monde. A croire qu'en rock'n'roll c'est comme en économie, faut privilégier le circuit court. Fascinant.

LE CORE ET L'ESPRIT

Cinq gaillards. Des philosophes à leurs manières eux aussi puisqu'ils qu'ils explorent les méandres du core et de l'esprit – la chair et l'épris ce n'est pas mal non plus - pour bien se faire comprendre, LéO chante en français. Erreur, il fracasse en notre doux parler. Vous crache les vocables en pleine face. Vous met la tête dans le caca de nos existences, avec insistance. Y met du cœur et du corps à l'ouvrage aussi, la scène est trop petite pour lui. Part souvent en exploration, mais ne doit pas trouver mieux, l'herbe n'est pas plus verte ailleurs, car il revient toujours. Gesticule fortement, tend les bras comme des coups de poing, vous cogne avec les mots. N'a pas intérêt à la mettre ne serait-ce qu'une demi-seconde en sourdine, car derrière ça ne chôme pas. Sur les côtés non plus, car Fred à la basse et Cédric à la guitare eux aussi poussés par le démon pervers de la curiosité s'en vont de temps en temps explorer le vaste monde échantillonné dans la Comedia humaine.

Ô kr'tntreader sois sans crainte, ils n'oublient pas de jouer, peut-être même ont-ils été mis au monde pour cette noble fonction de musicien si louée par Platon. Ne vous ménagent pas les tympans, vous font un super boucan d'enfer. Faites du bruit, et les brontosaures seront bien gardés. Qui dit core dit metal, mais qui verra de quel metal je me forge ! Une drôle de fusion. Réalisent un alliage spécial, la lourdeur du metal, l'énergie du punk et une proportion secrète de funk, cette manière de couper court à tout lyrisme, de briser à tout moment la pâte sonore, de l'empêcher de ronronner béatement sur son auto-satisfaction productiviste, la vie n'est pas un long fleuve paisible, ils ont décidé de ne pas laisser l'auditeur roupiller tranquillement, à tous les instants, du changement, à tout les moments de l'imprévu, faut suivre, pas le temps de rêvasser le long du chemin. Vous happent au passage et vous sentez que votre survie auditive dépend désormais de votre célérité. Ces reitres vous abandonneront agonisant au bord d'un fossé, n'ont pas de temps à perdre avec les demi-soldes, que voulez-vous l'esprit est exigeant. En plus ce n'est pas ennuyant, au contraire, vous voyez du paysage, vous grimpez des montagnes pour les dévaler aussitôt, par contre au sommet l'on ne s'arrête pas pour admirer le point de vue ou le coucher du soleil.

Niko n'est pas à la fête. L'a du boulot à abattre. Sa batterie c'est le pont d'un porte-avions dans la bataille du Pacifique, entre catapulter les séquences rythmiques et repousser les kamikazes soniques qui aimeraient vous engluer au fond de la mer des sargasses, pas un instant à perdre. A la manœuvre sempiternelle, doit dépenser en un set autant d'énergie qu'un travailleur de force en huit jours. S'agite comme un dératé, une araignée à vingt-quatre pattes qui tisse la toile des grands désastres.

David c'est tout le contraire. Avec ces quatre frénétiques autour de lui, il pourrait perdre la tête, être lui aussi contaminé par cette agitation débordante. Un faux sage, semble immobile dans son coin, mais je le soupçonne ( fortement ) de manipuler le comportement du reste de la bande. Les yeux rivés sur sa guitare, le capitaine du vaisseau anglais qui demande un sucre de plus dans son thé quand on lui annonce que le bateau coule, mais les torpilles c'est lui qui les envoie. Les copains cassent les vitrines de la banque, lui il ajuste les balles entre les deux yeux du banquier, l'a une mine de docteur qui écoute soigneusement le cœur du malade, mais il vous sort la combinaison gagnante du coffre-fort sous forme de fracturalités riffiques explosives. L'a l'air de méditer dans son coin mais vous êtes déjà échec et mat. Guitar King.

Le Core et l'Esprit nous ont donné un de ces sets qui vous essorent le corps. Pour l'esprit, pas de panique, il y a longtemps que nous l'avons perdu.

Damie Chad.

CRUMBLING

CIRCUIT COURT

( Live / Lafalaise / LAF 003 )

Ottavia Simonin : drums + vocal / Laurent Chartier : guitar + vocal.

Z'ont vraisemblablement mis des cadavres de bicyclettes sur la pochette parce que les vôtres sont déjà en état de décomposition avancée.

Wallet : envoyé rapide. Pas le temps de bayer aux corneilles. Vaut mieux les descendre au tir à pigeons en plein vol. Peu appréciable si vous êtes partisan de la préservation des espèces. Mais c'est un roulé-boulet de canon splendide, guitare grondeuse, voix incisive et batterie qui cogne comme un cadet de Gascogne. Un prototype de garage punk dont vous vous souviendrez. Crumbling : les départs de guitare sont toujours inquiétants, vous ne savez pas ce qui va survenir, mais dix chances sur dix pour que ce ne soit pas agréable. La voix devant est rassurante mais Ottavia en arrière-plan dératise sec et net. C'est elle qui termine au plus vite car il faut une fin à tout. Little sorrow : petit chagrin grand morceau, instant nostalgie, la voix d'Ottavia qui glisse derrière comme des icebergs qui se rapprochent dangereusement pour écraser le navire. Ils le font exprès car il est difficile de croire que le monde est beau. Les lyrics de Laurent ne sont guère rassurants pour la suite de toute existence. M'évoque le premier titre lent du premier Stooges. Cats eyes : ton comminatoire Laurent énonce des condamnations définitives et puis tout s'emballe comme un treuil qui ne maîtrise plus l'enroulement du filin, ça se calme et ça repart, deuxième tentative aussi peu probante que la première, depuis le début la batterie remblaie derrière avec le cadavre de vos illusions. Slaves : une dernière bouffée d'hydrogène pour vous faire exploser la cage thoracique. Sanglots et caillots de voix tragique, la guitare broute de l'arsenic et la batterie se révèle implacable, que voulez-vous nous sommes tous des esclaves.

Ce petit EP a toutes les chances de devenir culte dans les années qui viennent.

Damie Chad.

LE-MEE-SUR-SEINE19 / 04 / 2019

LE CHAUDRON

ASHEN / WAKING THE MISERY

ABSTRACT MINDED

WILD MIGHTY FREAKS

Retour à la marmite du Diable. L'on dit que les forgerons sont les descendants de Tubal-Caïn, la race maudite qui engendra celle que l'on appelle – c'est par humour noir antinomique – homo sapiens sapiens. D'habitude, trois groupes au programme, mais ce soir puisque pour ne pas dérober à sa fâcheuse réputation, l'espèce humaine s'est très mal conduite en son ensemble, nous en avons quatre. Pour la guerre, je vous enjoins de réciter douze fois Les Litanies de Satan, de Baudelaire, vous trouverez le texte dans Les Fleurs du Mal.

ASHEN

Inconnu au bataillon. Pas pour longtemps. Quatre sur scène et dès qu'ils touchent leurs instruments l'on dresse l'oreille. La suite de la prestation le confirmera. Ce combo de quatre guys - n'ayez crainte ils possèdent leur cinquième élément éthérique – nous plongent d'entrée dans un son qui vous tilte les neurones. Basse, deux guitares, une batterie. Resteront de tout le set très concentrés. Diffusent une musique qui exige technicité et énergie. Tout motif à peine traité est délaissé au profit du suivant construit un peu en antithèse. Ruptures incessantes de rythmes qui se déboitent les uns des autres comme des omoplates arrachées de leur cavités scapulaires, mais ils ne nous donnent pas qu'un os à ronger de temps en temps, l'enrobent tout de suite de chair grasse et saignante et n'arrêtent pas de nous en fournir. Comblent les vides qui trouent les brisures désarticulatoires d'un Linkin Park par exemple. Ont compris que les amateurs sont comme des fauves affamés, faut leur apporter une nourriture copieuse et roborative. Passent en première partie et du coup ils maléficient d'un court temps scénique. N'auront droit qu'à quatre ou cinq morceaux. Je n'ai pas compté. Trop occupé à écouter.

Et le chanteur bondit sur scène micro en main. Pas évident avec ses cheveux courts et sa chemise colorée de reconnaître Clem Richard de feu Fallen Eight, mais il lui est difficile de cacher sa voix. Pourrait se contenter de se reposer sur sa facilité, mais non, il la pousse sans ménagement, pas comme une brute avinée qui tape à grands coups de pied sur son chien pour le faire avancer, la manie comme une arme aiguisée en épéiste convaincu de son savoir faire. Vise le ciel tandis que de ses quatre acolytes s'échappe une sombre et lente avalanche de rocs noirs qui désertifient l'espoir de vivre sur notre planète arasée, mais Clem est au plus haut, au-dessus des décombres et des menaces, parvient à la faire resplendir au-dessus du magma sonore, ne cherche pas à répondre aux canons du genre, préfère être lui, ne force pas, tranche, ne pousse pas, éclate. Vous cloue sur place, vous ne savez pas si c'est la lueur du phare dans la tempête qui indique le port salvateur ou le rayon de la mort qui se fixe sur vous pour ne plus vous lâcher.

Bref en vingt minutes Ashen a suscité la surprise et l'intérêt, ont esquissé une épure sonore parfaite. Une prestation rapide mais irréprochable, chaleureusement accueillie, l'on aurait aimé davantage, l'on est curieux de savoir la suite, l'est évident qu'Ashen nous réserve des surprises en le sens où nous ne savons pas encore vers quoi au juste se dirige le groupe, où iront-ils, et jusqu'où iront-ils car c'est ainsi que se pose la question du futur du metal, en tout cas ils sont capables de repousser bien des limites. Nous attendons la prochaine étape, prochains concerts certes, mais surtout le futur premier CD qui se doit d'être le témoignage d'une volonté d'affirmation émergeante mais surtout la preuve de l'exploration d'un monde encore inouï.

WAKING THE MISERY

Diantre, serait-ce une mode chez les forgerons, un deuxième chanteur – se prénomme Gubs - revêtu d'une chemise colorée quasi-hawaïenne. Par contre il possède une particularité bien à lui, une voix que l'on qualifiera de blanche si on la compare à celle des congénères de son type qui offrent un timbre oblitéré d'un tampeur-growleur typiquement grasseyant ou du moins enrouée. L'a une voix creuse ce qui ne l'incommode pas à voir à la vitesse avec laquelle micro en main il se rue sur le devant de la scène, le guy, tout sourire, est sûr de lui. Et il n'a pas tort. Il pénètre la masse sonore avec facilité, l'on peut discerner en arrière-plan un découpage hip-hopien, mais surtout pas hip-popien, de son phrasé mais qui ne défigure en rien le travail accompli par ses camarades. Agissent par enrobements, successifs, si les deux premiers morceaux, Blutcher et The Last Time, qui établissent un premier palier de chauffe sont des plus conventionnels l'on ne tarde pas à comprendre leur jeu d'interprétation subtile. Sont comme le reptile qui devient de plus en plus impressionnant au fur et à mesure qu'il déplie ses anneaux. L'on dirait que chaque nouveau titre se nourrit de la puissance du précédent. S'étoffe sans arrêt pour mieux vous étouffer. Une stratégie des plus convaincantes. Fascinante est le mot. Au bout d'un moment l'on ne regarde plus que le triangle mystique de la tête du serpent. Toast my Fist, Always Watches sont des joyaux de couronnes mortuaires de lente strangulation qu'il vous passe autour du cou, afin de vous réveiller de la misère crade qui vous emprisonne. Je vous conseille de les imiter, de donner comme eux de l'ampleur à votre existence, le set est identique à une montée inexorable de lave. Cela vient du plus profond et vous soulève. Au-dessus de vous mêms. Un étrange silence s'est emparé du public subjugué, l'on aclame et l'on tape très fort des mains à la fin des titres, mais ce n'est pas le plus important, l'essentiel est cette ferveur d'écoute que suscite le groupe qui paraît d'autant plus étonnante que l'évidence de l'heureuse décontraction de Gubs s'affirme de plus en plus. Musique sombre et voix claire. Et plus le set s'assombrit – il faut dire que l'éclairage qui alterne des éclairs d'un blanc néontique à des séquences de noir total ultra-rapides aide à répandre cette sensation – plus la voix de Gubs devient illuminative, rayon de soleil germinal sur les parois des grottes préhistoriales les plus profondes. Waking the Misery éveille la face hideuse de nos misères intérieures, fonctionne comme une machine d'analyse spectographique de vos protubérances crâniennes. Vous fracasse l'occiput, puis charitable vous trépane. Il n'est de meilleur sauveur que celui qui vous tend la main pour vous sauver de la mouise dans laquelle il vous a précipité. Sont violemment applaudis.

Je vous chroniquerai leur premier CD dans la prochaine livraison. Soyez patients.

ABSTRACT MINDED

A entendre, lors de l'installation du groupe, tousser Zivan aussi fort qu'une classe de maternelle atteinte du virus de la coqueluche, je vous file une comparaison sympathique parce que cette raucité caverneuse évoque en vérité une cohorte de tuberculeux grabataires grelottant sous leur maigres couvertures dans le sanatorium de La Montagne Magique de Thomas Mann, à la manière dont il s'assied lourdement sur l'estrade de la batterie, à ses yeux luisants et fiévreux vous vous dites que le set d'Abstract Minded a du plomb dans l'aile. C'est exactement ce qui s'est passé, mais pas dans le sens attendu, plutôt dans le genre full metal jacket. En sortant du concert j'en étais à me maudire jusqu'à la soixante-dix-septième génération d'être resté dans l'ignorance de leur passage précédent aux Dix-Huit Marches de Moissy Cramayel, je me fais l'effet du gars qui passe à côté des portes de l'Enfer et qui oublie stupidement de rentrer. La lumière s'est-elle éteinte que Zivan déploie la torche de sa chevelure se saisit de sa guitare et se cambre devant la scène. Et tout de suite c'est l'explosion atomique.

Abstract Minded est un groupe prodigieux. Réalisent à eux tout seuls, le rêve wagnérien d'art total, mais uniquement avec leur seule musique. Quatre musiciens et un chanteur. Joey vous a la carrure d'un ours polaire, d'apparence policée, chemise blanche, pantalon à bretelles, le malheur c'est que cela ne dure pas longtemps, quelques secondes, après c'est un cauchemar sans fin, la bête affamée se jette sur un village de malheureux esquimaux et en dévore la population jusqu'au petit dernier nourrisson innocent. L'a inventé à lui tout seul le growl-opéra avec scène de screams perpétuelle. Ne s'arrête pas une seconde, ne reprend jamais son souffle, de bout en bout porte sa voix sur une colonne d'air herculéenne, peut-être qu'il aimerait, que si ça ne tenait qu'à lui, mais non ses camarades ne lui en laissent pas l'occasion. Partagent tous la même éthique, tout et tout de suite. Le passé et le futur ne sont que de vains fantômes, seule la puissance de la présence de l'instant fugace du monde, que l'energeia aristotélicienne empêche de sombrer en sa terrible vacuité, est impérative. Jimmy est le partisan de la frappe sans retour, pousse en avant sans interruption, une forge incandescente, une déforestation infinie, chaque claquement de tom est un brandon de haine pure apposé au cul métaphysique de l'ours septentrionique dont la figure magnifiée par Joey resplendit de fureur infinie.

Si vous croyez qu'Abstract Minded enfile les morceaux les uns après les autres comme des perles de faux corail sur des colliers de pacotille, c'est que vous n'avez rien compris au drame représenté. Les Abstract-boys s'engouffrent dans de longs mouvements symphoniques tempétueux, vous emportent en un tumulte barbare sans fin, faites abstraction de votre raison, laissez-vous guider par votre démence ( votre de-mens ) intérieure, c'est ainsi que vous percevrez cet ouragan démentiel, cette pluie de feu torrentielle qui s'abat sur vous et vous englobe en ses remous de boue divine. La basse d'Alexis est une fronde, l'envoie à répétition ses projectiles, l'est comme le moteur immobile qui déclenche l'engrenage des rouages incoercibles. Aucun grain de sable n'entravera la machine fatidique qu'il engendre. Car la musique d'Abstract Mind qui se construit sur une logique lyrique qui n'appartient qu'à la folie de son projet se déploie selon sa propre nécessité. Se suffit inébranlablement à elle-même.

Ce sont les guitares qui fournissent la respiration nécessaire au monstre mis au monde. Se partagent le travail, Louis se charge de l'inspiration, ses riffs aspirent et assimilent le monde, agissent à la manière d'une corne d'abondance qui retire la substantifique moelle de la réalité pour la réingurgiter à l'intérieur d'Abstract, il puise et apporte la lymphe vivifiante, sans lui la bête s'étiolerait très vite. Zivan agit tel l'évent de la baleine qui renvoie à l'océan l'eau, l'écume et le sel expurgés de tout plancton, assure le mouvement rotatif d'échange entre l'intérieur et l'extérieur, le microcosme et le macrocosme. S'approche du public et vous lacère la figure d'un jet de riffs coupants comme des dents d'un cachalot harponné qui emporte le navire assassin au fond des abysses, entendez-vous les plaintes des marins, que vous êtes, que rien ne sauvera !

Le rêve s'achève. Abstract Minded fut grandiose. Le meilleur concert de l'année.

WILD MIGHTY FREAKS

Perso je ne serai jamais passé après les Abstracts. Mais les Wild Mighty Freaks s'en moquent. Z'ont leur public, beaucoup de filles enthousiastes, et sont sûrs d'eux-mêmes. Sont au carrefour incertain d'un étrange et précieux mélange metallifère de hip-hop, d'électro et capable de flirter sans danger avec la dance-music, ont le don charismatique de rassembler autour d'eux bien d'obédiences différentes.

Un éboulement de batterie, une déjante de clavier, un hululement sourd et continu de basse et Crazy Joe entre en scène, canne à pommeau à tête de mort à la main, chapeau, pas tout à fait haut de forme, sur la tête, l'a l'air d'un monsieur loyal de Médrano issu d'une comédie musicale, sa prestance n'est pas sans évoquer celle d'Al Jolson, et puis il a cette voix, ou plutôt ce grain de voix qui irradie, qui ferait fondre les icebergs, presque un organe tactile qui vient vous caresser en vos zones érogènes préférées. Se meut avec classe, l'aisance d'un showman avisé, heureux d'être-là exprès pour vous. L'est trop heureux d'être en face de vous, et même s'il ne se ménage pas, même s'il reste le point focal d'attention mirifique, il semble avant tout s'amuser.

En plus il possède son clone. Yaboy, le seul musicien qui sur scène ne se sépare jamais de son sac à dos. Genre héros farfelu de Jules Verne, un explorateur foutraque prêt à partir aux multiples azimuts latitudinesques et longitudinaux de la sphère terrestre, à la première occasion qui ne présente pas. Normalement il est préposé aux claviers. Le mec pas sérieux, s'en fout et contrefout, de toutes les manières ces bidules de nos jours ça marche tout seul, de temps en temps quand il y pense un court bidouillage et en avant la musique. Le mec n'a rien à faire, donc il ne fait rien. Fait semblant de marcher sur scène avec un but précis, mais tout le monde devine qu'il se donne une contenance comme le cancre de la classe apparemment préoccupé par le cours du professeur qui prépare un lâchage d'araignées. Alors il s'amuse. De temps en temps, pas toujours, car le travail est une véritable malédiction. L'a son truc. Se met sur le côté, imite tous les mouvements de Crazy Joe, et répète un ton au-dessous tout ce qu'il chante. Au passage, l'on s'aperçoit qu'il a une belle voix, qu'il est extrêmement doué pour le contrechant, que le jour où Crazy Joe aura une extinction de voix, il pourra assurer à sa place, mais l'est trop relax, ne prend pas son rôle au sérieux, ses mimiques font penser à cette ombre facétieuse qui se glisse derrière vous au restaurant, qui pendant que vous essayez de séduire une jeune fille innocente vous fait à votre insu des oreilles d'âne, prend des airs étonnés ou offusqués lorsque vous débitez votre baratin, et qui comble de tous les irrespects se permet de boire puis de cracher dans votre verre.

Flex s'occupe de la basse. Doit être un partisan des horaires flexibles. Travaille quand il veut. Laisse bourdonner son engin pratiquement tout seul, et puis ça le prend par secousses, avance d'un pas sur la scène et là vous recevez le son sur tout votre corps, une rude et rêche couverture qui s'abat sur vos épaules et ne tarde pas à produire son effet bienfaisant, doit avoir bossé durement sur les théories sensorielles d'interactions musicales sur le comportement animal et humain, l'a dû trouver l'emplacement exact d'intersection de l'instant T avec le point G de votre organisme, car vous ressentez une douce volupté. Vous fournit l'excitationde la transe à volonté, ne s'en privera pas sur les trois derniers morceaux.

Bon, il y en a un tout de même qui marne à cent à l'heure. Tonton n'arrête pas, une batterie éruptive et fusionnelle, un étincellement ininterrompu, et l'a intérêt car le Yaboy sur ses pianos mécaniques il vous dégote des sarabandes de trucs pointus comme des langues de vipères, des entrelacements de feux follets à désorganiser une rythmique et puis Crazy Joe ne donne pas dans l'approximation, faut être au rancart de ces breaks et au lancement de ces reprises fulgurantes.

Wild Mighty Freaks se taille un beau succès. Soulève l'enthousiasme du public qui obtient un dernier rappel. Mais il se fait tard et il faut que nous rentrions chez nous.

Damie Chad.

MIDNIGHT CRUISE

WISE GUYZ

Pochette fignolée, artwork des plus classiques dû à Skypala et Youry. Un disque qui ravira les fans obsédés de pureté rockabillyenne même si les Wise Guyz se permettent trois swingantes fantaisies. Que voulez-vous quand les ukrainiens font jeu égal avec les ricains, n'y a plus qu'à se taire et à écouter.

Do it bop : vous le font bop, mais d'enfer, la voix de Chris papillonne et sa guitare va chercher le son le plus grave au plus profond des tombes, oui mais derrière ils aimeraient faire sauter la cambuse au bromure alors ils s'en vont par deux fois sur des ponts branlants aussi vertigineux que les passerelles de l'Himalaya, et Chris vous escalade cela comme s'il remuait la salade à la maison. ( Alternative version ) Rude bad boy : Quatrième version, c'est cela le rockabilly l'on recherche la solution, car il n'y en a qu'une qui se rapproche de l'Eidos platonicienne du beau, du bon et du juste. Ce coup-ci, une voix légèrement plus traînante que les instruments qui ont l'air pressé. Une légère distorsion aussi subtile que la réverbe de Sun. Et quand l'une prend de la vitesse les autres accélèrent. Un ballet infernal. Franchissent la ligne d'arrivée en se marquant à la roue. Midnigth cruise : ah, ces slaps de big mama, ça vous soulève le cœur comme une crêpe dans la poêle à frire, Chris vous prend l'accent traînant du sud pendant que les autres vous tartinent en rythme la confiture d'airelle. On subodore même une bataille entre les gamins pour avoir le droit de manger le premier beignet. Z'auront une beigne. Johnny boy : changement d'ambiance, fausse ballade cow-boy car le rythme est enlevé, à mi chemin entre nostalgie ironique et noirceur caschienne. Un bijou de plus à la couronne rockabilly. Nobody's Business : Rebel passe le rateau de sa big mama, la guitare de Chris pianote au translucide, et hop tout de suite l'on saute dans le swing le plus pur, les guyz font de courts chœurs les mêmes que l'on entend sur Bill Haley, Ozzy jazifie en secret, puis nous vibraphonise à la Hampton. Dans les années trente, après la crise. Is it love : retour au grand galop au rockabilly, Chris vous prend les intonations adéquates et le combo gronde à la manière d'une locomotive de la Western Union. Une giclée de guitare, une big mama qui résonne, chacun fait son petit numéro, mais en voiture Simone l'on n'a pas le temps de s'arrêter, le rock d'abord. Enough : encore une intro qui résonne dans votre tête creuse, le Chris il en mange les vocaux, vous les recrache aux alentours et tout autour les gars ne se gênent pas pour l'imiter sans limite, un train d'enfer, vous donnent l'impression que c'est parti pour l'éternité et quand ça s'arrête vous vous apercevez que vous y aviez vraiment cru. Sweet loving : calmons-nous, rythmique électrique, il fut un temps où le swing promettait de se métamorphoser en rockabilly, s'en approchait mais n'y réussissait pas encore. Chris scate à la perfection, et les boys donnent dans le rétro, avec cet avantage supplémentaire qu'ils connaissent la suite de l'évolution musicale. Comme quoi tricher c'est aussi jouer. Hi-class mama : stroll coupe au bol, la voix qui drague, la musique qui fait la belle, la fille se pavane et les boys klaxonnent, se déchaînent un peu, elle les a vus mais fine belette fait semblant de rien, pas de souci les souris adorent que les chats leur sautent dessus. Jouent tous leur rôle à la perfection. Beware : guitare pointue et vocal un tout peu plus rauque, la big mama se trimballe, Ozzy charlestonne de la baguette, la guitare s'ouvre comme une devanture de bijouterie, les guiz vous la font tout en douceur. Mais remuante. Juanita :un petit coup d'espagnolade n'a jamais fait de mal à personne, z'ont foufu une robe de gitane à All I Can Do Is Cry, pas mal, mais franchement l'on sent un peu trop le déguisement. Jukebox rock : rock endiablé comme on les aime, aucune hésitation, le combo fonce droit devant et les danseurs sont aux anges, vous le font plus vrai que vrai, Chris se survolte à la guitare, Ozzy cartonne, la big mama doit en perdre ses jupons, Gluck vous donne la mesure démesurée. Finissent tous les doigts sur la couture du pantalon. Swing by C : du swing certes, mais un véritable hommage à Django, Chris se délie les doigts et les gars montrent qu'ils ne sont pas manchots. Rebel décoiffe en douceur sur sa contre-basse, Gluck entremêle ses trilles avec Chris, et Ozzy vous passe le rythme comme les serveurs dans les restos vous lancent de loin les assiettes pile sur votre table. Pour les éclaboussures pas de problème vous lécherez le plancher.

Ceci n'est pas un CD, ceci est le sang de votre chair de rocker.

Damie Chad.

 

17/04/2019

KR'TNT ! 415 : PAUL WHALEY ( + BLUE CHEER ) / HAL BLAINE ( + WRECKING CREW ) / CRASHBIRDS / HITCH & GO / CHUMP / WISEGUYZ

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 415

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

18 / 04 / 2019

 

PAUL WHALEY ( + BLUE CHEER )

HAL BLAINE ( + WRECKING CREW )

CRASHBIRDS / HITCH & GO / CHUMP

WISEGUIZ

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Whaley s’en est allé

Bon, on savait que Blue Cheer était off depuis la disparition de Dickie Peterson en 2009, mais la disparition récente de Paul Whaley semble enfoncer encore un clou dans le cercueil de Blue Cheer. Comme tant d’autres groupes décimés par les rigueurs de la fatalité, Blue Cheer appartient désormais à l’histoire. Pourtant, leurs albums restent terriblement vivants. Rappelons que Blue Cheer est à l’origine de ce qu’il est convenu d’appeler le heavy rock. Avec Motörhead et les Who, ils furent the loudest band on earth. Derrière Dickie Peterson et Leigh Stephens, Paul Whaley martelait le beat comme une machine à vapeur. Dickie Peterson ne voulait pas d’autre batteur derrière lui.

Paru en 1968, Vincebus Eruptum reste pour beaucoup d’oreilles l’épitome de chèvre du heavy sound. «Summertime Blues» donne bien le ton, joué à la saturatus maximalus. Paul Whaley est complètement noyé dans le mix que dévore l’ancien roi du feedback, Leigh Stephens. Ils enchaînent avec une version encore plus heavy de «Rock Me Babe». La voix de Dickie Peterson est encore un peu verte et ce diable de Leigh Stephens joue comme une brute. Il devint à l’époque une sorte de héros et cet album reste le modèle absolu du trash-boom. «Doctor Please» sonne comme une longue tartine de heavy rock exacerbé, avec un Leigh Stephens qui tente l’échappée belle, mais il tourne en rond dans ses gammes. Ils étaient alors très courageux de tenter le diable à trois. Paul Whaley tape tout seul dans son coin et martyrise ses cymbales. Ils sont marrants, car ils essaient de faire un cut avec rien. C’est l’apanage des big jammers californiens. Sur cet album infernal, tout est dédié aux dieux de la saturation. Ils repartent de plus belle en B avec le bien nommé «Out Of Focus». Leigh Stephens ne joue qu’en ultra-saturation et loin là-bas, au fond, Paul Whaley bat lourd. Et même très lourd. Ils font une version déchirante de «Parchman Farm», mais à leurs conditions, en roue libre saturnale et au doom de heavy beat. Voilà le vrai hit de l’album : «Second Time Around», véritable coup de génie riffique. La plongée dans le couplet est un modèle du genre, c’est riffé à la vie à la mort, listen here babe ! Ils redémarrent leur bash-boom par trois fois avec une violence égale. C’est là que se niche de génie sonique de Blue Cheer. Mais cet abruti de Paul Whaley vient ruiner le cut avec un solo de batterie.

Sur leur deuxième album Outsideinside paru la même année se nichent deux nouvelles énormités : «Gypsy Ball» et «Babylon». Ils appliquent leur empreinte sur le museau du rock. On voit Leigh Stephens prendre son élan dans le gras double. Ils jouent leur Babylon au pire doom du heavy blues. Ils tapent aussi un instro épouvantablement sauvage, «Magnolia Caboose Babyfinger», qui pourrait rappeler le son de Bloomy dans le Paul Butterfield Blues Band. C’est la même niaque de swing. Ils jouent leur «Sun Cycle» avec des semelles de plomb et reviennent au beat dévastateur avec «Just A Little Beat». Paul Whaley s’y démultiplie à l’infini. C’est là que Blue Cheer crée sa légende. Avec «Come And Get It», on les voit bourrer leur dinde de son et c’est la raison pour laquelle on les admire. C’est bourré à craquer de son, ils réinventent Gargantua avec du sonic blast. Cheer-moi ça, baby ! Alors évidemment, un cut comme «The Hunter» leur va comme un gant. D’autant que Paul Whaley le sur-joue - Ain’t no use to hide.

Et puis les choses vont commencer à se détériorer avec New Improved Blue Cheer paru l’année suivante. Leigh Stephens quitte le groupe et Dickie Perterson engage des remplaçants, notamment Bruce Stephens qui joue un peu de guitare jazzy dans l’esprit de Love. On l’entend faire des siennes dans «When It All Gets Old», mais il faut imaginer la gueule des fans de Blue Cheer à l’époque. Arrrgh ! Quelle horrible déception ! L’A est un conglomérat de petits cuts allègres et adroitement bricolés et ça se termine par un heavy clin d’œil à Dylan avec «It Takes A Lot To Laugh» : du grand Dickie Peterson. C’est le seul lien avec le Blue Cheer d’avant. L’album est même coupé en deux, car Blue Cheer redevient un trio avec Randy Holden qui joue sur la B, mais il a du mal à décoller : trop d’arpèges. Si la face Randy Holden était bonne, ça se saurait. Il tente de sauver l’album avec «Fruit & Iceburgs» en passant un gros solo âpre et dentu. Il joue des descentes de gammes avantageuses et bénéficie du beau beat de Paul Whaley. Mais bon, quelle blague.

Blue Cheer va encore enregistrer trois albums sur Philips, mais sans Paul Whaley. Dickie Peterson tente de sauver la légende, mais c’est très difficile, car les albums ne sont pas renversants. Ils font partie de ceux dont on se séparait dans les années soixante-dix, et qu’on rachetait vingt ans plus tard sur la seule foi du nom, en se disant ‘peut-être les avait-on mal écoutés à l’époque’, alors on les réécoute en espérant y trouver du Blue Cheer, mais non, c’est autre chose. L’album Blue Cheer paru en 1970 est un album de rock américain assez banal, comme si Blue Cheer était devenu un groupe gentil et bien élevé. On y retrouve Bruce Stephens au chant. Les grooves sont extrêmement bien sonorisés. On pourrait même parler d’un album classique mais dense. «Ain’t That The Way» sort du lot par sa puissance. On a là le son des seventies qui fait tellement baver les gens aujourd’hui. On sent que cette nouvelle mouture de Blue Cheer ne veut pas se risquer à réinventer le fil à couper le beurre. Quand ils poppisent à l’anglaise avec «Lovin’ You’s Easy», ils savent rester élégants. Ils terminent cet album mi-figue mi-raisin avec un vieux coup de Stonesy intitulé «The Same Old Story». Ils sont dessus, avec tout le swagger de rigueur.

La même année paraît The Original Human Being. Paul Whaley ne joue pas non plus sur celui-ci, et il a raison, car ce n’est pas fameux. Ça démarre avec un «Good Times Are So Hard To Find» monté sur le riff d’I’m A Man, avec le petit shuffle d’orgue par derrière. Le pauvre Dickie se retrouve tout seul avec Ralph Kellog et Norman Mayell, rescapés de l’album précédent, plus Gary Yoder. On sent nettement au fil de cuts une grande faiblesse compositale. Ils n’ont plus de Blue Cheer que le nom. Plus aucune trace de la rémona. Ils font même du folk radio-friendly de coin du feu avec «Tears In My Bed». On les voit tenter de remonter la pente avec «Man On The Run», mais ça peine dans la côte, mâchin, comme dirait un Suisse. Ils moulent le grain avec une grande pénibilité. On sent qu’ils dilapident leur identité et qu’ils ne savent plus à quel saint se vouer. Ils jouent le rock par hasard et sans conviction. C’est presque un album grec tellement il est tragique.

Dernier épisode Philips avec Oh Pleasant Hope en 1971. On retrouve la même équipe et un beau cut de bassmatic, «Money Troubles». Ils jouent ça en mode groovy softy élastique assez inspiré. On est ici dans le haut de gamme d’un son de studio avec un bassmatic de rêve. L’album se veut résolument pop-rock. On sent que Dickie Peterson subit des pressions pour devenir plus commercial. «Believer» se veut assez ambitieux. Ils sonnent comme tous les grands groupes américains des early seventies, avec ce côté Spirit dans le son. Avec le morceau titre qui ouvre le bal funeste de la B, ils sonnent carrément comme les Eagles, c’est dire le côté dramatique de cette aventure. Ils jouent «I’m the Light» le cul entre deux chaises, entre Spirit et un son plus anglais. Dickie chante comme Jay Ferguson et le cut sonne comme de l’élégiaque britannique. Mais ils sont tellement déterminés à vaincre qu’ils forcent l’admiration. Avec «Ecological Blues», ils repompent le «Going Up To The Country» de Canned Heat. La pop-rock bien fouettée et admirablement bien enlevée de «Lester The Molester» passe comme une lettre à la poste. C’est gorgé de musicalité et le beau bassmatic vole par dessus les toits. Ils terminent avec un «Heart Full Of Soul» plus musclé, et monté sur un bassmatic plus r’n’b. Dickie Peterson semble vouloir enfin se fâcher. Bon ce n’est pas le Heart Full Of Soul des Yardbirds, on a là une compo de Dickie et sans doute le cut le plus rocky de cet album relativement sympathique.

Après quinze ans de silence, Blue Cheer refait surface avec The Beast Is Back. Dickie Peterson et Paul Whaley s’acoquinent avec Tony Rainier, le mec qu’on retrouve aussi dans l’album 7, c’est-à-dire le septième album prévu sur Philips mais qui n’est pas sorti à l’époque, pour cause de fin de contrat. Avec The Beast Is Back, Blue Cheer remet enfin les pendules à l’heure. Ça commence d’ailleurs par la pochette, bien rouge, avec la main du diable qui caresse les fesses d’une belle gonzesse. Et au dos, le groupe remercie tous ceux qui ont gardé les roots alive, à commencer par Led Zep et Sabbath. Pour bien enfoncer le clou du retour, ils tapent bien sûr dans les vieux coucous comme «Summertime Blues». Le vieux Dickie n’en démord pas. Tony Rainier a un son un plus hard que celui de Leigh Stephens et ça gêne un peu. En B, ils vont aussi retaper dans «Babylon» et dans «Parchman Farm», mais leur version n’est pas aussi explosive que celle de Cactus. Elle est plus grasse, avec du mal à se déplacer. Ils jouent bien la carte de la désespérance, car c’est le thème du cut. Ils en font une version à rallonges, mais bon, ça passe, parce qu’on est tous contents de les revoir. Ils tapent aussi dans le vieux «Out Of Focus». Ils excellent dans la heavyness et c’est là qu’on les attend. Régal assuré, car ce diable de Tony Rainier joue son blasting à la mélasse suprême. Joli slab de heavyness aussi que ce «Ride With Me» que Paul Whaley bat comme plâtre. Et sur «Girl Next Door» qui sonne comme Parchman Farm, Tony Rainier joue sa cocotte perfide à l’excellence. Ils embarquent «Heart Of The City» au walking riff. Dickie Peterson n’en finit plus de rameuter ses vieux pouvoirs des ténèbres, il chante au guttural enflammé et derrière, ça power-triorise comme pas deux. Le heavy sound reste bel et bien l’apanage de ce cher Blue Cheer. Red hot !

Cinq ans plus tard, Dickie et Paul Whaley engagent le guitariste Andrew Duck MacDonald pour enregistrer Highlights And Lowlives. Mais Duck sort un son trop hardos, comme on dit dans les salons. Avec «Hunter Of Love», ils virent carrément arena rock. Ils s’enfoncent dans du heavy sound à la Endino et ça ne marche pas. Il faut entendre Dickie chanter «Big Trouble In Paradise» à la grande gueule en B. Il veut en découdre, mais c’est sans espoir. Il faut attendre «Hoochie Coochie Man» pour retrouver un peu de Cheery blast. Ça part bien heavy avec un Dickie qui lance un Oh yeah d’approbation sur les premières mesures. Cette version sauve l’album. Duck MacDonald sonne comme Jimmy Page dans son solo.

Oh il existe un autre album de Blue Cheer avec Duck MacDonald, mais sans Paul Whaley : Blitzkrieg Over Nuremberg. C’est un live bien dense, avec un nommé Dave Salce qui remplace Paul Whaley. On retrouve l’excellent «Ride With Me» - This is a song about motorcycles - Dickie va chercher la même fournaise que celle de Lemmy. Blue Cheer et Motörhead, même combat, même sens de l’inflammatoire, même science du power trio. Duck MacDonald joue bien son solo à l’horizontale traversière, c’est excellent et ça se situe dans l’esprit de destruction massive de Fast Eddie. Ils tapent aussi une version explosive de «Summertime Blues». Ils jouent à l’extrême cavalcade incendiée à tous les coins de rue. Ils outrepassent Leigh Stephens et Paul Whaley, ils jouent au pouvoir supérieur. On peut aussi se prosterner devant «Just A Little Bit». Dickie Peterson semble détenir tous les pouvoirs. Blue Cheer redevient l’exacte incarnation du power suprême. Ils démarrent l’A avec un medley «Babylon/Girl Next Door». Dickie peut beugler ses babeh ! Ils replongent dans le rock en fusion et leur Girl Next Door sent bon la patate chaude de Parchman Farm - I’m here for the rest of my life - La B est complètement apocalyptique. Ils plongent «Out Of Focus» dans les abîmes, Dickie rallume tous les brasiers séculaires et ce démon de Duck MacDonald s’en donne à cœur joie. Ils replongent de plus belle dans l’apanage du heavy blues avec «Doctor Please» - Another drug song - MacDonald passe par des phases classiques grandioses, il sonne comme le Bela Bartok du heavy blues, il joue des ponts prodigieux et rétablit la grandeur du genre, il étend l’empire de Blue Cheer jusqu’aux confins du monde libre. Avec «The Hunter», Blue Cheer fait un retour spectaculaire aux apanages fondamentaux du rock moderne. C’est le heavy tempo du Hunter, tel que défini en son temps par Big Albert, puis par Paul Kossof dans Free et ce diable de MacDonald n’en finit plus d’élever considérablement le niveau du débat. Cet album inespéré s’achève avec une version un peu molle de «Red House». Dommage. Ils perdent la dynamique de la version originale. Ça reste du big heavy blues ultra-joué, bien sûr et sur le final, le vieux Dickie s’explose bien le gosier. Ah l’animal !

Changement de guitariste pour Dining With The Sharks. Il s’appelle Dieter Saller et sonne un brin heavy. On sent qu’on atteint les limites du genre avec «Big Noise». Derrière on entend le pilon de Paul Whaley. Il ne mégote pas sur le heavy pounding. On les sent tous les trois dans la fleur de l’âge. Avec «Outrider», Dieter Saller amène un son très anglais et Blue Cheer perd de son ostracisme heavily californien. Dickie chante son ass off, il hurle comme un désespéré, il hurle d’autant plus que Paul Whaley se met à frapper comme Mikkey Dee, le dernier batteur de Motörhead. On voit Dickie revenir au stuff coercitif avec «Sweet Child Of The Reeperbahn». Il chante à la glotte vive et montre bien qu’il adore le heavy groove. Et quand on entend «Audio Whore» en B, on comprend bien que ces trois mecs ne s’embarrassent pas de petits détails. On les sent encore plus déterminés à vaincre avec «Cut The Costs». Le son est âpre, très type hard-rock anglais des années 80, le fameux NWOBHM machin, une calamité. Et comme on le voit avec «Sex Soldier», Blue Cheer est un groupe qui meurt mais ne se rend pas. On a là du beau Blue Cheer vaillant sur la brèche, avec un Saller bavard comme une pie. Ils bouclent avec «Pull The Trigger» et réveillent du même coup les démons de Summertime Blues. La grosse attaque est calquées sur le riff d’Eddie, avec derrière le pilon de Paul Whaley. Ah on peut dire qu’il en aura pilonné des albums dans sa vie, le vieux Paul. Saller fait une belle descente aux enfers sur son manche. Dommage qu’il ait ces réflexes de hardos anglais. Berk.

Paru sur un label japonais en 1999, Hello Tokyo Bye Bye Osaka annonce la résurrection de la Bête. Si on ne sait pas ce que heavy signifie, alors il faut écouter le «Babylon» qui ouvre le bal. Sur cet album singulièrement ravageur, on a des morceaux de quatre minutes qui prennent leur envol comme des prédateurs d’acier noir dans un ciel embrasé. Blue Cheer inspire une sorte de terreur sacrée. Ce n’est pas un groupe qu’on admire, oh que non ! C’est un groupe devant lequel on s’agenouille et qu’on vénère en tremblant. Hormis Monster Magnet, aujourd’hui aucun groupe ne sonne comme Blue Cheer. Sur «The Hunter», la guitare d’Andrew Duck MacDonald et la basse de Dickie Peterson sont en saturation maximale, bien au-delà des normes autorisées. Dickie Peterson mitraille à coups de basse comme s’il était un fantassin de la Wermarcht acculé aux murailles de Stalingrad par une division de mongols cannibales. Ça devient hallucinant de violence carnassière. On pourrait même pousser des aaahhhh ! et des uuuhhhh ! face à une telle démesure frénétique. Il faut avoir entendu un morceau comme «Girl Next Door» une fois dans sa vie pour comprendre ce que peut vouloir dire Richard Burton quand il évoque le musc nacré de l’Islam. C’est vrai que Peterson chante souvent en hurlant, comme si ses nerfs lâchaient, mais comment peut-il faire autrement ? Franchement, c’est impossible. S’il hurle, c’est qu’il en a besoin. Blue Cheer déverse ses tonnes de décibels sur la gueule des Japonais. C’en est presque comique ! Le solo de MacDonald se répand comme de l’or liquide dans un vacarme assourdissant. Blue Cheer se situe au-dessus des lois. La guitare traîne en larsen sur les tap-tap de Paul Whaley et le gros riff de «Summertime Blues» vient tout écrabouiller. Aucun groupe n’a un son aussi atomique, au sens du bombing. C’est tellement ravageur que ça en devient ubuesque. «Ankya very much !» Bon prince noir des galaxies acides, Dickie Peterson salue une audience japonaise complètement tétanisée. «Out Of Focus» ! C’est encore plus épais, plus pesant que tout ce qu’on pourra imaginer. Plus sauvagement sombre, plus dramatiquement abyssal, plus génialement plombé que toutes les énormités du Vanilla Fudge.

Paru en 2007, What Doesn’t Kill You est un double album live sur lequel joue encore Andrew Duck MacDonald. Les power dudes sont alive and well, même si on les voit sous forme de squelettes sur la pochette. Dans «Piece O’ The Pie», Duck MacDonald sonne quasi-hendrixien, au sens de «Cry Of Love». Ce joli son de Strato perce l’air liquide. Ils enchaînent avec une version torride de «Born Under A Bad Sign». Bel hommage à Big Albert. C’est un rêve de son come true. Ah comme on se régale de leur conjonction. Duck reste très Cry Of Love, il fait son beautiful freak, très lyrique et ramène du charme dans ce monde de brutes qu’est Blue Cheer. On retrouve cette belle hendrixité en B sur «I Don’t Know About You». Magnifique élongation du domaine de la lutte Cheery. Mais c’est avec «I’m Gonna Get To You» qu’ils font le mieux leur boulot. On les sent résolus. Duck MacDonald voyage en vol plané, il semble même parfois se forer un tunnel sous le Mont Blanc, mais il le fait avec tout le velouté hendrixien. Son de rêve. En C, ils retapissent un «Just A Little Bit» hendrixifié dans l’essence de la pertinence. Dickie chante avec une fermeté qui pourrait passer pour de la mauvaiseté intentionnelle. Ses waouhh valent le détour. Ils terminent avec un «No Relief» qui honore la tradition du heavy blues de type call me a doctor. Et pour la D, on devra se sucer l’os du genou, car elle n’existe pas.

Et puis voilà que le fameux Blue Cheer 7 refait surface en 2012. Pour le choper, pas d’autre solution que de le commander chez Bomp, comme au bon vieux temps. C’est un petit label texan nommé ShroomAngel qui s’est chargé de la réédition, et les liner notes sont signées Eric Albronda, premier batteur du groupe devenu par la suite leur producteur. En 1978, Blue Cheer n’existait plus. Après six albums, Mercury-Philips avait lâché le groupe. Mais rien ne pouvait arrêter Dickie. Il voulait redémarrer Blue Cheer coûte que coûte. Il le fit avec le guitariste Tony Rainier et un batteur nommé Michael Fleck. Dickie décida de repartir sur la voie du premier album et de revenir aux sources : le heavy blues. Ils ouvrent le bal des vampires avec une nouvelle version ultra-dynamique de «Summertime Blues». C’est même une version admirable d’exaltation jouissive, une réactualisation du Blue blast. On entend ensuite de diable de Tony Rainier sur-jouer «Route 66». S’ensuit un joli shoot de heavy blues avec «Take Me Away» : cuissot de heavy bien gras, comme on les aime. Dans «I Want You Once Again», Tony Rainier coule de source sur sa guitare. Les gammes élancées ruissellent et Dickie joue comme Noel Redding. Il n’a pas le choix. C’est tout de même incroyable que cet album ne soit pas sorti à l’époque. Il saluait le grand retour de Blue Cheer. La B réserve son lot de belles surprises. Après une version outrancièrement psychédélique de «Out Of Focus», on tombe sur «Starlight», une petite pop-song montée sur un gros drive de basse. Joli coup. Fantastique énergie. Tony Rainier fait du Leigh Stephens en plus acerbe. Une autre surprise arrive à la suite avec «Child Of Darkness», une superbe pièce de pop psyché jouée en cocotte et agrémentée de ponts superbes, comme le jardin de Claude Monet à Giverny. La surprise est de taille car on ne s’attend pas du tout à trouver des morceaux de cette qualité sur un album de Blue Cheer. Non pas qu’il faille les considérer comme des bas du front, mais leur fonds de commerce, ce serait plutôt l’assommoir. Qu’on se rassure : ils ramènent la grosse Bertha pour «Blues Cadillac». Tout le son est là. Dickie n’en démordra jamais, même enterré six pieds sous terre.

Signé : Cazengler, Blue Chiure

Paul Whaley. Disparu le 28 janvier 2019

Blue Cheer. Vincebus Eruptum. Philips 1968

Blue Cheer. Outsideinside. Philips 1968

Blue Cheer. New Improved Blue Cheer. Philips 1969

Blue Cheer. Blue Cheer. Philips 1970

Blue Cheer. The Original Human Being. Philips 1970

Blue Cheer. Oh Pleasant Hope. Philips 1971

Blue Cheer. The Beast Is Back. Megaforce Records 1985

Blue Cheer. Blitzkrieg Over Nuremberg. Thunderbolt 1989

Blue Cheer. Highlights And Lowlives. Thunderbolt 1990

Blue Cheer. Dining With The Sharks. Nimbelung Records 1991

Blue Cheer. Hello Tokyo Bye Bye Osaka. Captain Trip Records 1999

Blue Cheer. What Doesn’t Kill You. Rainman 2007

Blue Cheer. 7. ShroomAngle Records 2012

Waterloo ! Morne Blaine

Hal Blaine devait bien se douter que ça finirait mal. On ne peut pas rester indéfiniment vivant et couvert de gloire, ovationné par tous les batteurs de la terre. Comme Napoléon avant lui, Hal Blaine vient de voir son empire s’écrouler. Hop, à dégager, avec la pipe en bois et les baguettes fétiches. Mais bon, il aura bien vécu. C’est même assez miraculeux, vu le contexte de ses origines. Il en parle très bien sans son autobio, Hal Blaine & The Wrecking Crew. The Story Of The World’s Most Recorded Musicians. Ses parents juifs polonais avaient en effet échappé de peu aux sabres des Cosaques. Ça date du temps des pogroms. Le jeu favori des Russes consistait alors à entrer dans les villages juifs pour y détruire la population. Ça ne suffisait pas d’échapper à la mort, il fallut aussi échapper à la misère. Les juifs rescapés qui débarquaient en Amérique n’étaient pas tous des banquiers, loin de là. Les immigrants s’appuyaient sur des réseaux qui leur trouvaient du travail, mais c’était donnant donnant : «Je t’aide en te trouvant un taudis pour y caser ta famille, mais tu travailles pour moi.» Ça commence généralement par un stage interminable dans l’une des cités ouvrières du Nord des États-Unis, où les conditions de vie sont aussi terribles qu’en Europe, froid, gla-gla, caca dans la cour, pas d’argent, une patate au repas et à huit dans une pièce unique. Mais sans les Cosaques. Les misérables parents d’Hal finiront par venir s’installer en Californie, et c’est là qu’ils commenceront à profiter un tout petit peu de la vie. Comme disait le grand Charles, la misère est moins pénible sous le soleil exactement.

Pour situer les choses, Hal Blaine commence à écumer la scène californienne dans les années cinquante. La première grande rencontre qu’il évoque est celle d’Earl Palmer. Après avoir battu le beurre pour Fatsy à la Nouvelle Orleans, l’Earl vient s’installer en Californie. Il est alors le batteur le plus demandé et Hal apprend énormément de lui - Earl was the King of the Mountain - Puis Hal se retrouve embringué dans le fameux Wrecking Crew et entame son chapitre Phil Spector. On est aux premières loges. Hal explique que Phil adore le chaos - Phil’s sessions maintained a state of barely controlled chaos - Hal compare même Phil à Leonard Bernstein dirigeant le New York Philharmonic. C’est là qu’Hal invente les quarter-note triplets played against the band, c’est-à-dire les triolets de quart de note. Pour fabriquer son légendaire Wall of Sound, Spector rassemblait une grosse équipe : Carol Kaye et Ray Pohlman aux Fender basses, Jimmy Bond et Lyle Ritz aux stand-up, cinq guitaristes (Tommy Tedesco, Barney Kessel, Howard Roberts, Glen Campbell et Bill Pittman), cinq pianistes (Don Randi, Leon Russell, Larry Knechtel, Michael Molvoin et Al Delory), des percussionnistes et de cuivres. Jack Nitzsche écrivait les arrangements et Hal battait le beurre sur tous les hits de Phil, sauf «You’ve Lost That Loving Feeling», que bat Earl Palmer.

Et si cet orchestre hétéroclite s’appelle the Wrecking Crew c’est parce qu’à la différence des autres musiciens de studio costumés et cravaté, ceux qui travaillent pour Phil portent des T-shirts et des Levis. D’où le côté zone - Informal and spontaneous - Hal fait un bel éloge de Glen Campbell, un hillbilly originaire de l’Arkansas who took Hollywood by storm. Selon Hal, Campbell shootait du country-style electric guitar in the rock music. Bel hommage aussi à Leon Russell, another hillbilly-type from Tulsa, Oklahoma. Au début, Tonton Leon était tout maigre, avec des cheveux courts. Mais quand il s’asseyait au piano, he turned the record business upside down. Tous les producteurs le réclamaient. Pour Hal, ce sont des mecs comme Glen Campbell et Tonton Leon qui amenaient un key element to our hit record formula.

Avec le chapitre suivant, Hal évoque les Sinatra, le père et la fille pour lesquels il bat aussi le beurre. Puis ce sont les Beach Boys, et là, c’est plus délicat, car il doit battre à la place de Dennis Wilson qui ne lui en veut même pas. C’est Hal qu’on entend sur «Good Vibrations» - Which took many, many sessions with many segments recorded and rerecorded - Hal traite Brian de perfectionniste : il voulait à la fois la spontanéité et la perfection. Difficile ! Pour Hal, c’est un rude apprentissage. Mais en entendant le résultat à la radio, il comprend que la combinaison du génie visionnaire de Brian et des interminables sessions d’enregistrement - the painstaking work on the songs - hisse le rock à un autre niveau. Heureusement, Hal et Dennis Wilson sont très potes. Dennis préfère aller faire le con sur la plage avec les filles plutôt que de rester enfermé en studio. Il s’en fout, du moment que l’argent coule à flots et qu’il peut s’acheter des bagnoles, des bateaux et des motos. Mais avec le temps, Dennis va s’investir beaucoup plus dans le son des Beach Boys, notamment à l’époque du Brother Studio. Il demandera même à Hal de venir battre le beurre sur son fameux album solo, le mirifique Pacific Ocean Blue. Hal ajoute que Dennis était encore meilleur au piano qu’à la batterie. Ça on le savait. Il suffisait d’écouter l’album.

Ce veinard d’Hal bosse aussi avec Jan &Dean, le duo tragique de l’El Dorado californien. À l’époque, Jan Berry étudie encore la médecine et Dean Torrence l’architecture. Pour Hal, ces deux-là incarnaient the California Dream : sports cars, blond hair, tall and muscular builds, the epitome of the young surfer image. Les deux caractères sont très différents, voire opposés : Jan Berry est une cale carne et Dean Torrence un mec gentil. Hal voit même un halo flotter au dessus de la tête de Dean. Hal parle de Jan en termes de devilish manner. Pour la première fois, Hal accepte de partir en tournée pour les accompagner. C’est l’âge d’or de Jan & Dean. Aux États-Unis, ce sont des mégastars. Quand ils doivent aller en studio pour enregistrer un nouvel album, c’est Jan qui passe un coup de fil à Hal pour lui demander de rassembler le Wrecking Crew. Et c’est là pour la première fois qu’Hal joue en double avec Earl Palmer. The double drums est une idée de Jan. Et puis patatrac, c’est l’épisode fatidique du Dead Man Curve : à la suite d’un accident de voiture, Jan survit miraculeusement. Il est allé s’encastrer sous un camion, au volant de sa Corvette Stingray. Même genre d’accident que celui de Duane Allman à Macon, qui alla lui aussi s’encastrer avec sa Harley sous un camion. Jan a le crâne ouvert et la cervelle qui coule quand les flics le trouvent. Ils le considèrent comme mort. Jan doit subir une opération au cerveau. Il va mettre deux ans à se rétablir et reviendra en studio en 1968 finir d’enregistrer le mythique Carnival Of Sounds - But the days of superstardom were gone - L’album ne paraîtra qu’en 2010. Avec celle de Badfinger, c’est l’une des histoires les plus tragiques du rock’n’roll circus.

Et pouf, Hal passe directement aux Monkees, qu’il qualifie de typical products of the times : young, vibrant, long-haired, cute and funny as hell. Évidemment, c’est le Wreking Crew qui joue sur les deux premiers albums et sur tous les hits des Monkees, mais ça on le savait depuis la conférence de presse qu’organisa Michael Nesmith pour dénoncer cette arnaque. Hal monte encore d’un cran dans le super-system hollywoodien avec Jimmy Webb. Ça va loin car Hal compare Jimmy Webb à Cole Porter et aux Gershwins, alors qu’il n’a encore que 17 ans. Mais il devient vite la poule aux œufs d’or d’Hollywood. Jimmy Webb gagne tellement de blé qu’il s’offre l’ancienne résidence du consul des Philippines, sur les hauteurs d’Hollywood, pas très loin de chez Hal, qui n’en revient pas de voir un morpion aussi jeune réussir. Chez Jimmy Webb, le téléphone sonne sans arrêt : ils veulent tous leur œuf en or, Frank Sinatra, Barbra Streisand, tous. Jimmy Webb envoie Hal à Londres pour travailler avec Richard Harris, mais ils ne foutent rien. Ils font la fête pendant dix jours. Ils reviennent enregistrer «MacArthur Park» à Hollywood, au Sound Recorders. On confie à Hal le soin de diriger les violons pendant les sessions d’overdubs - One of the most exciting times in my career - Ben voyons. Mine de rien, Hal Blaine n’a fait que bosser avec tous les géants de la terre. Et ce n’est pas fini car voilà the Mamas & The Papas, encore un gros épisode bourré de gens ultra-doués. Quand il les voit débarquer pour la première fois en studio, Hal les prend pour des clochards. Ils viennent en effet de passer un long moment en Jamaïque, en vivant aux frais de la princesse. Mais quand ils se mettent à chanter, attention, ça ne rigole plus. Lou Adler qui les prend en charge demande à Hal, Joe Osborn et Larry Knechtel de les accompagner. Hal se dit très impressionné par Mama Cass - I’ve never met a sharper lady, with the possible exception of Barbra Streisand - Il la trouve très intelligente et dotée d’un goût marrant pour les fringues. Mais le crack, c’est bien sûr John Phillips. Hal boucle sa plantureuse autobio avec des chapitres consacrés aux Carpenters et à John Denver.

C’est le fils de Tommy Tedesco qui tourne le docu consacré au Wrecking Crew, dans lequel jouait son père Tommy. L’occasion est si belle de revoir tous ces dieux du stade qu’on ne peut pas la rater. C’est Jimmy Webb qui clame que les session-men du Wrecking Crew sont les meilleurs musiciens du monde - They were stone cold rock’n’roll professionals - On les voit tous, Hal Blaine, la bassiste Carol Kaye, l’incroyable virtuose Tommy Tedesco, Glen Campbell, Joe Osborn (l’autre bassman), Tonton Léon et Earl Palmer, plus d’autres moins connus comme Al Casey. Ils ont pris un sacré coup de vieux, mais Teddy Tedesco a réussi à les filmer avant qu’ils ne cassent leur pipe en bois. Hal Blaine le redit : «Quand on est arrivés avec nos clopes, nos T-shirts et nos jeans, les vieux musiciens de studio qui étaient en costards bleus disaient ‘They’re gonna wreck the business’», d’où the Wrecking Crew. Et puis on voit Carol Kaye nous jouer la bassline de «The Beat Goes On». Wow ! Ça vaut tout l’or du monde. Tous les bassistes devraient voir jouer Carol Kaye. On tombe ensuite nez à nez avec Brian Wilson qui voulait absolument le Wrecking Crew sur les albums des Beach Boys. Jimmy Webb : «Pet Sounds ? Okay ! Top this !» Carol Kaye joue sur «Good Vibrations» et «California Girls». Brian va loin car il dit d’elle qu’elle est the best bass player in the world. Et c’est Hal Blaine qui fait le chef d’orchestre pendant les sessions historiques de Pet Sounds. Soudain, le docu bascule dans Phil Spector, c’est-à-dire l’une des époques les plus géniales de l’histoire du rock. On est au Gold Star, avec six guitaristes, quatre pianistes, une vingtaine de percus, deux basses, l’upright et l’électrique et un batteur, Hal Blaine. On ne parle ni des cordes ni des cuivres. Beaucoup de monde dans un petit studio et une grosse chambre d’écho. The wall of sound, baby, «You’ve Lost That Loving Feelin», «Be My Baby» et «River Deep Mountain High». Spector fait travailler ses musiciens pendant des heures avant de commencer à enregistrer. Oui, des heures. Et ils jouent. Carol Kaye raconte qu’elle a commencé sa carrière de session-woman en 1957 en accompagnant Sam Cooke. À l’origine, c’est HB Barnum qui la recrute en même temps qu’Hal Blaine et Glen Campbell pour jouer sur des démos. Ils deviendront ensuite très riches, tant que va durer l’âge des sessions. Roger McGuinn radine sa fraise pour expliquer qu’il fut le seul Byrd autorisé à jouer sur «Mr Tambourine Man». One take. Par contre, il en a fallu 77 pour mettre «Turn Turn Turn» en boîte. Pourquoi ? Parce que ce sont les vrais Byrds qui jouent dessus et non le Wrecking Crew. On en arrive fatalement aux Monkees. Peter Tork surgit pour dire sa colère : il voulait jouer sur le premier album, «mais ils l’ont enregistré sans moi - I was upset !» Micky Dolenz qui s’est pas mal empâté prend la chose avec plus de philosophie. Il trouve ça plutôt bien d’être accompagné par le Wrecking Crew. Le docu nous rappelle qu’Hal Blaine et Joe Osborn accompagnaient The Mamas & The Papas à leurs débuts et tout cet âge d’or s’achève avec l’arrivée des groupes qui savent jouer. Depuis le scandale des Monkees et la conférence de presse de Michael Nesmith, le public voulait des vrais musiciens, et surtout des jeunes vibrants et souriants. On n’avait donc plus besoin des vieux. Hal Blaine raconte qu’il a perdu son yatch, sa Rolls et sa belle demeure hollywoodienne. Pas facile la vie, surtout quand on est matérialiste.

Signé : Cazengler, Blaine ô ragie

Hal Blaine. Disparu le 11 mars 2019

Hal Blaine & The Wrecking Crew. The Story Of The World’s Most Recorded Musicians. Rebeats 2010

Denny Tedesco. The Wrecking Crew. DVD 2014

LIVE IN MONTREUIL

20 / 04 / 2018

CRASHBIRDS

Delphine Viane : vocals , rhythm guitar / Pierre Lehoulier : lead guitar and Crashbox.

Vous les retrouvez tous les deux, sur les belles photos de Raphael Rinaldi. En des endroits douteux. Par exemple, photo de couve, Pierre s'est niché sur un entassement de fûts de bière, derrière ses lunettes noires l'a l'air d'un agent du FBI qui veille sur la réserve d'or de Fort Knox, mais méfiez-vous avec son profil longiligne d'oiseau de proie Delphine paraît encore plus dangereuse. Ne lui marchez pas sur les escarpins, c'est une tueuse.

Une célèbre photo blanc et noir à l'intérieur, les cui-cui en amoureux. Style Bonnie and Clyde. Pierre vous regarde winchester en main, votre mort inscrite dans ses yeux, et Delphine s'accroche à lui telle la louve sauvage et protectrice dans Les Destinées d'Alfred de Vigny. Ny touchez pas, ceci est à moi, contentez-vous du reste du monde, j'ai pris ce qu'il y avait de meilleur.

Doctor no : la crashbox de Pierre Lehoulier vous corrompt le cerveau à la manière d'une colonie de termites métaphysiques qui durant votre sommeil imprudent ronge à pleines dents les poutres de votre toiture mentale. C'est avant tout cela les Crashbirds cette menace sourde, implacable, vous en avez l'équivalent dans Le Terrier le dernier texte, inachevé, de Kafka, un malheur n'arrivant jamais seul, l'est même précédée de deux froissements électriques de guitare carbonisée qui commence son impérieuse combustion en ouverture, et là-dessus la voix de Delphine Viane surgit telle une flamme ravageuse qui a décidé de s'en prendre à l'univers entier. Quand elle se tait Lehoulier en profite pour vous larder le dos de mille coups de couteaux pointus comme la mort. Voters strike : vous avaient pourtant avertis, et vous avez continué l'écoute, tant pis pour vous, le bureau des dernières extrémités ne prend plus les réclamations, z'ont mis le bulldozer en marche et plus rien ne les arrêtera, la guitare ravageuse de Lehoulier se lance dans une espèce de solo épileptique, vous plie les peupliers et boulotte les bouleaux, un truc à vous rendre fou, d'ailleurs Delphine ne se retient plus, elle a voix qui flambe à la manière d'un feu de forêt, se repassent l'anaconda géant à tour de rôle, il vient vous arracher les parties génitales sans préavis. Boogie night : Le mec qui tient la Fender est décidément un malfaiteur de l'Humanité, soit il vous écrabouille la tête d'un pied rageur soit il vous bombarde de plomb fondu, quant à la fille, au coin du bois tombez en arrêt devant un chat haret, et tentez de le caresser, elle a la voix qui griffe méchant, vous verrez ce que vous en dira le chirurgien à qui vous montrerez votre moignon, ensuite Pierre vous donne un aperçu sonore de ce qui à dû se passer lorsque le Seigneur a déclenché son nuage de soufre sur Sodome et Gomorrhe. Someone to hate : y a des gens qui sont comme cela, prennent du plaisir à faire du mal, vous pressent l'orange mécanique jusqu'au citron. Pierre à fond et la voix de Delphine à feu et à sang. En plus la Delphinette n'arrête pas une seconde de tout le set de claquer sa rythmique, et pendant qu'elle construit des murs de parpaings explosifs Pierre vous passe les riffs comme le fil à couper le beurre autour de votre cou et Delphine l'excite à mort, une furie, une Erynnie sortie tout droit d'un drame antique, qui éclatait de rire lorsque les achéens éclataient la tête des bébés troyens sur les murs du palais de Priam. Nowhere else : méfiez-vous des intros de guitare de Pierre Lehoulier souvent elles débutent selon les règles de l'art, mais l'arrive toujours un moment où elles partent en vrille, alors il ne se retient plus martèle sa crashbox en forcené, et la Fender klaxonne sans arrêt à la manière de ses alarmes de voiture qui se déclenchent toutes seules juste pour vous empêcher de dormir. Quand il est dans ces moments de crise même Delphine n'ose l'arrêter, oui mais de temps en temps elle ne peut pas s'en empêcher, alors elle vous jette quelques bidons d'essence de sa voix incendiaire, vestale dévastée qui veille à ce que le feu sacré ne s'éteigne jamais. Stupidity : l'a on n'entend plus qu'elle, le Pierre a beau vous faire un vacarme de tous les diables, la Delphine peu calme clame ses désirs de folie stupide au monde entier, femelle furax et mâle bruyant, le couple de l'année se fait encore une fois de plus remarquer, z'ont cassé le hublot de l'avion sous prétexte qu'il y avait trop de sel dans leur plateau repas, et maintenant vous vivez le crash en direct. Essayez de survivre. Je sais, ce ne sera pas facile. Weekend lobotomy : un couple se déchire dans un deux-pièces-cuisine, abattez-les tous les deux, le Diable reconnaît toujours les siens, vous n'avez pas suivi nos judicieux conseils, le Pierre vous passe les riffs dans le grille-pain et Delphine ouvre les fenêtres pour que l'on entende ses hurlements jusque sur Mars, la situation a dégénéré, le gouvernement a dû s'emparer de l'affaire, l'Onu n'a pu empêcher le déclenchement d'une guerre nucléaire internationale. Tant mieuxpour nous, cette guitare qui détruit le monde est trop belle, et ce chant de guerre entonnée sauvagement par Delphine sonne à nos oreilles comme un shoot d'endomorphine délicieux. Que voulez-vous le malheur des uns fait le bonheur des autres. The lions : on l'avait oublié mais ce sont des amateurs de blues, Pierre vous pousse l'anatole jusqu'à ce qu'elle tombe dans le rock'n'roll et Delphine vocalise telle une diva qui passe le contre-ut en rut. Pierre se sert de sa guitare comme d'une torche et Delphine de sa voix comme les soldats d'Alexandre piquaient de leurs lances le sexe des éléphants afin qu'ils se retournent contre leur propre camp. Total ravage. Sinistre absolu. Non remboursable par la sécurité sociale. No mercy : Pierre tricote, à la manière des faiseuses d'ange, l'a le pied qui batifole sur la crashbox, jusque-là tout va à peu près bien, ce n'est pas l'avis de Delphine, elle intervient à la hussarde, lance la charge du cobra sur sa proie, vous pousse une clameur à vous vider de votre sang et c'est parti pour trois minutes de frénésie animale, elle en miaule de plaisir, elle en glapit de jouissance, Pierre tabasse sa guitare qui ne lui a rien fait, et je préfère ne pas vous raconter la fin, sinon le blogue va écoper d'un sticker parental advisory. Money : la crotte de dieu disent les hindous, les cui-cui vous la servent brûlante et fumante, vous en barbouillent l'âme et le corps rien que pour voir l'effet que ça vous fait. Ce coup-ci, s'y mettent tous les deux ensemble, superposent leurs efforts, Pierre tronçonne les solives du riff et Delphine l'excite des rauques aigus de sa voix ricaneuse de hyène maraudeuse. Maintenant Pierre amasse la mousse des riffs et Calamity Viane se sert de son larynx comme d'une winchester. Hard job : dur je ne sais pas, mais vite, oui. Delphine secoue la cloche de vache à la fadurle, Pierre vous brode des entretigres à la dynamite, Delphine pousse au rythme comme d'autres au crime, z'ont dû oublier d'éteindre l'incendie ( just for fun ) chez le voisin, sont méchamment pressés, roulent en contresens sur l'autoroute et Delphine vitupère contre les imbéciles qui ne leur laissent pas la place. Boring to death : l'heure de gloire de Pierre, vous fait sonner sa guitare comme le cor de chasse au fond des bois, un truc qui a l'air d'énerver Delphine, l'enchaîne sec, exige le tumulte, entre en trombe souveraine, pas du genre à laisser pousser les coquelicots dans les champs de blé, l'est pour les déforestations sauvages, elle a la voix qui glyphosate, là où elle passe rien ne repousse, Pierre n'est pas le gars à qui il faut en promettre, vous la suit comme un seul homme, la Fender arase le monde. Fin brutale, il n'y a plus rien à détruire. The midnight prowler : aux sources mississippiennes du blues, oui mais les cui-cui ce qu'ils préfèrent c'est quand l'électricité brise les barrages, Delphine vaticine, le blues est cette ombre bleue qui se faufile dans les nuits de désespoir, alors autant que la catastrophe arrive au plus vite, le rythme se précipite, la mort vaut mieux que la promesse de la mort. Danse finale sur les décombres. La guitare de Pierre compte les abattis. Silence : titre oxymorique, pas une once de silence dans cette cavalcade endiablée, rivalisent, la guitare bourdonne rageusement et Delphine hurle ses ordres à la cantonade, pour finir elle égorge le coq sur un rond de sorcière. Rollin' to the south : retour aux origines, terminent en beauté, festival de guitare et sarabande vocale. L'on remet le disque au début. L'on porte plainte car il faudrait un deuxième CD.

 

Quinze morceaux, quinze fournaises. Dans la série les cui-cui tapent toujours plus fort et volent toujours plus haut, les Crashbirds nous offrent le live de l'année. Quinze bluezy rootsies électriques, un trip qui vous étripe, un verre de moonshine qui vous éviscère, une guitare fulminante, une voix tumultueuse, une rythmique obsédante, un vrai disque de rock. Diamant noir.

Recorded Live à L'Armony de Farid par Roland Piqueras / Mixé par Eric Cervera / Masterisé ( surtout pas pasteurisé ) par Sébastien Lorho.

Damie Chad.

 

11 / 04 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

CHUMP / HITCH & GO

 

Profitons de la balance établie en un tour de main par Monsieur Personne in person pendant que son chien Whisky indifférent au tumulte humain dort profondément et néanmoins philosophiquement sous une table, pour visionner le logo de Chump reporté en grand et en couleur sur une bâche noire en fond de scène, indéfinissable, une tête pour trois interprétations, lion, fillette, grand-mère, une seule chose de sûre, cet énergumène à crinières à bandeaux se trouve en équilibre instable sur une planche de skate, un cri que l'on n'entend pas sort de sa bouche grand-ouverte. Resterons-nous sourd à un tel appel !

CHUMP

Chump, un synonyme de punk, mais nous lui préfèrerons une autre étymologie que les philologues professionnels n'accepteront jamais. Au vu de leur prestation, nous paraît davantage significative l'image de la mousse d'un champagne ou de Mort Subite qui fusent de leurs bouteilles et se répand partout sur vos effets personnels les plus précieux, convocations au commissariat, relances d'impôts et lettres d'huissier comminatoires. Mais attention une mort subite joyeuse. Généreuse et pleine d'entrain. De quoi transformer vos ennuis en papillotes. Z'ont mis le plus grand derrière, une espèce de colosse, à eux trois devant on ne voit que lui, et surtout l'on n'entend que lui. Non, ils n'ont pas de batteur. Ils ont un cogneur. Une espèce de Sugar Ray Robinson du boxing drumin. OK pour le KO à chaque coup. Si vous vos voisins vous obligent à ériger une solide clôture pour empêcher votre féroce rhinocéros en rut de se ruer dans leur villa, passez-lui un coup de fil, vous enfoncera des pilonnes de béton armé à deux mètres de profondeur dans le soubassement rocheux de votre jardin, en trois coups de cuillère à pot de yaourt périmé. Gilles à la baguette brontosaure. En plus il en a deux. Des galopantes qui se jettent sur les toms – imaginez le tomtamarre - tels des piranhas affamés sur une vache imprudente. Voilà, j'espère avoir suscité en l'esprit estomaqué du kr'tntreader de base une vague idée de ce bruit de fond qui pour une fois n'est pas coutume s'impose au premier plan.

Avec un tel stradivarius derrière moi, je vous l'avoue sans chichi, si j'étais Bruno ou Kiki aux guitares et Romz à la basse je ferais semblant de jouer, du pur playback de télévision française, je ne me fatiguerais pas, laisserais le copain se charger du boulot. Ben, non, nous n'avons pas affaire à une bande de fainéants. Eux, ça les excite. Sont comme les mecs qui trouvent bath de skier sur l'avalanche ou de surfer sur le tsunami. Commencent par se mettre en forme en sautillant sur place à la manière des petits pois conservés dans une boîte métallique obnubilés par l'idée de sortir pour apporter leur modeste contribution au vaste monde. En plus ce sont des futés, le Gilles l'a beau tordre le tonnerre de Thor au-dessus de leurs têtes, ils se faufilent dans ce maelström sonore comme la souris dans la trompe de l'éléphant, non pas pour lui ronger le cerveau mais pour lui apporter quelques substances psychédéliques, afin de transformer sa charge pachydermique en entrechats de danseuse étoile du Bolchoï de Moscou.

J'ai le regret de vous informer, question grâce de ballerine en tutu rose, c'est un peu raté, par contre efficacité manœuvrière de Légion Romaine à l'assaut de désordres barbares, nous frisons la perfection. Le rouleau compresseur qui fonce sur vous n'est pas un problème, la solution toute simple est de s'installer dans la cabine de pilotage et de profiter de la force de l'engin pour exercer votre puissance. Et nos trois surfers d'argent réussissent ce miracle de communier avec la brute torrentueuse, z'en font ce qu'ils en veulent, et lui vraisemblablement par un mystérieux courant d'effluves sympathiques peut-être chamaniques, se mêle au jeu de ces bambins turbulents qui ont décidé de ne pas jouer les inutilités et qui vous le cinglent de leurs fouets cordiques. Un menuet cataclysmique, une horloge punk ( rock around the punk ou punk around the clock ) d'une précision infernale, vous dévient le bloc de dix mille tonnes qui fonce sur vous, vous le métamorphosent de leurs bouts de cordes ( de pendus vraisemblablement ) en papillon apprivoisé – attention ne butine que les fleurs empoisonnées ou carnivores – aux ailes de fer. La preuve, ils nous dédieront un morceau hyper-speed-loud de metal, qui ne dépare en rien leur punk-chump énergétique et dévastateur.

Quittent la scène sans tralala apparemment heureux de leurs méfaits. Tellement obnubilé par le déluge sonore que je n'ai point évoqué les vocaux, qui se fondent à l'ensemble comme le tungstène à l'acier pour lui apporter plus de résistance. Viennent de Belgique. S'ils étaient un recueil de poèmes ce serait Les Ailes Rouges de la Guerre de Verhaeren. Une tuerie. Les rescapés ont adoré.

HITCH & GO

Je déteste être floué. Surtout dans un concert de rock. J'aurais dû prévoir. Avec un tel nom, attelle et file, j'aurais dû m'en douter. Si je devais me fier à mon ressenti, ma chronique serait terminée. Ces mecs sont des sorciers. Montent sur scène et en descendent. Entre temps vous n'avez pas vu le temps filer. Certes aux premières notes vous vous dites, du punk pur et dur, puis dix secondes plus tard vous rectifiez, incluent des éléments mélodiques dans leurs compos, Du punk au parfum pop. Et puis plus rien, c'est la fin. L'on va donc reprendre au début, les scientifiques agissent ainsi pour les apparitions des extraterrestres, analysent la séquence de bout en bout.

Viennent du Canada. Sont en tournée européenne. La veille z'étaient à Limoges. Sont affublés de casquettes. N'ai jamais trouvé cet ustensile très attrayant, mais cette affirmation n'engage que moi-même et je la partage pleinement. Quatre sur scène, avec JP Lessard, pas de lézard l'est au micro et au chant, Will Dural en apparence le plus jeune, une sacrée dégaine, belle allure de rocker et une voix aux intonations intéressantes, jappe trop rarement mais toujours pour signaler un fait hors du commun, Max Brocher est le second préposé au maltraitage de guitare. Dave Hamel, plus difficile à cerner. Cache bien son jeu. Une frappe rapide, qui ne s'attarde guère, mais il a son secret que je vais vous révéler, qui explique pourquoi le set semble s'être déroulé si vite j'ai mis un peu de temps pour comprendre, au début je n'y ai pas cru, car je n'y aurais jamais pensé. C'est lors des passages mélodiques, ils surviennent sans crier gare, bien intégrés dans la structure rythmique, devant les guitares font les belles, elles roucoulent et vos oreilles n'ouïssent plus que les voix harmonieuses de ces sirènes, c'est alors que Dave nous fait son coup de Trafalgar, alors que tout baigne dans l'huile, que souffle une brise printanière, clac, clac, clac, sans prévenir, il appuie à fond sur l'accélérateur, à coups redoublés, comme quand vous réduisez en bouillie à coups de sandale rageuse l'araignée velue qui s'était aventurée sur votre mur, agit un peu à l'incognito, juste ce qu'il faut pour que les trois complices devant entendent le signal, aussitôt ils accélèrent eux-aussi et en parfaits escrocs s'amusent à vous tricoter illico de superbes motifs à l'architecture complexe. Vous avez commis la gaffe de ne pas y faire gaffe, et ils ont démarré si prestement que la roue de la charrette vous a roulé sur le pied sans que vous l'ayez ressenti. D'autant moins, que comme par hasard ils donnent maintenant dans une fricassée sonore plus punk que moi tu meurs et je t'enterre, pour trente secondes plus tard vous enfoncer dans une chatoyance poppy des plus rapides.

S'amusent à ce jeu tout le long du set. Se livrent à une espèce de manipulation sonologique, sont les adeptes de l'emploi des âmes furtives, vous emmènent avec eux, alors que vous croyez rester à la même place, se livrent à la télé-déportation musicale. Le combo ronronne comme un chat sur un coussin, pendant que vous vous confondez de plaisir à suivre les rayures de sa robe bigarrée, vous êtes emporté à une vitesse extraordinaire sur un tapis volant d'un nouveau genre. Hitch & Go, use d'un punk non conventionnel, vous tendent une image qui voyage plus vite que la lumière qui agite les neurones de votre cerveau. Tour de passe-passe. Sidérant.

Damie Chad.

P. S. : Merci à Lalla Lenda, délicieusement savante, à qui j'ai volé l'idée des flux sympathiques.

 

12 / 04 / 2019TROYES

3 B

WISEGUYZ

La teuf-teuf frétille. Je repense au dernier retour de Troyes, nous a ramenés fièrement à la maison après le concert. C'est le lendemain matin qu'elle a agonisé, l'était comme une bête pantelante, agitée des derniers soubresauts nerveux de la vie. N'était qu'à un pas du trépas, l'ai remmené dare-dare à petite vitesse au garage. Se sont penchés dessus avec sollicitude, ça m'a coûté un bras et demi, mais ce soir elle galope du feu strombolique des Dieux vers un nouveau concert, c'est sa drogue à elle. La mienne aussi.

Soirée ukrainienne ce soir, non je ne voudrais pas vous décevoir, ce n'est pas un groupe folklorique de balalaïkas, mais un des meilleurs combos de rockabilly européen, encore que je m'attende à recevoir un tombereau de lettres d'insultes parce que beaucoup de connaisseurs le placent tout en haut du podium. Mais qui se peut vanter de les avoir tous écoutés. Et tous vus en live.

Le 3B n'a jamais paru aussi exigu, une tire-lire, vous y glissez un centime de plus et elle explose, inutile de tenter de louvoyer entre les corps pour aborder le bar, faut forcer le passage, marcher sur les pieds, couper sa respiration, rentrer dans cette matière vivante coagulée, la situation s'avèrera encore pire dans les inter-sets, les WiseGuyz n'ont pas attiré du monde mais le monde entier semble s'être donné rendez-vous dans ce point névralgique de la planète qu'est le 3B pour les écouter.

WiseGuyz

Sont-là, tranquilles, tous les quatre, en toute simplicité, jetant sans inquiétude un dernier coup d'œil à leurs instruments, c'est à se demander comment de ces quatre guys si débonnaires va jaillir dans quelques secondes ce flux inextinguible de haute musique so hot. One, two, one, two, three, four, c'est parti, le temps n'est plus aux questions métaphysiques. La réponse est apportée aussitôt sur un plateau. Un seul mot : la pulsation, la palpitation primaire. L'a une allure de marlou, pas pour rien qu'il se surnomme Rebel, le gars qui cherche l'entourloupe avec le système et qui jamais ne la loupe, avec sa grande silhouette dégingandée, sa salopette de travail en jeans et sa chemise dont les carreaux traversés d'une lumière bleue, l'a l'allure flegmatique d'une blue panther de dessin animé, l'est accoudé sur sa doublebass, mal nommée car dès que l'heure du boulot sonne l'abat du taf à lui tout seul pour huit personnes. Donc une octuple-bass, vous la soigne aux petits oignons, mais quand il lui presse le tubercule cordique c'est pour en extraire l'huile essentielle du trognon, s'applique à une rythmique élastique, l'a les doigts qui courent devant ses mains, un j'étire latéral la corde au max, deux elle renâcle quand je la relâche, et tout de suite je slappe comme un damné poursuivi par la fourche de Satan en personne.

On the other side, the man behind the lead-guitar, l'a mis des grosses lunettes pour qu'on le voie mieux, ce n'était pas la peine, on l'entend. Normalement la rhythm guitar a le mauvais rôle, le mec qui se dévoue, vous réanime le macchabée après trois heures de bouche-à-bouche, l'a tout donné et quand il a réussi, tous les regards se portent sur le rescapé, on entoure le héros revenu de l'outre-monde, on l'embrasse, on le félicite, plus personne ne pense au gars qui s'est tapé le turbin, on l'évacue de sa mémoire, on le raye de la liste des vivants, on l'oublie, on fait l'impasse totale sur son existence. Oui mais avec Alex l'expression de cette ingratitude humaine n'a pas lieu d'être, s'il était dans un philharmonique tiendrait le rôle du premier violon, l'agite son crin-crin magique et la musique prend sens. L'a la même houle faussement de guingois sur sa rythmique que Buddy Holly sur sa strato. L'a le balancement stratosphérique, vous fout le vent dans les voiles du combo, on les sent prêts à traverser les océans sublunaires. Je n'aime pas me vanter, mais là je suis si proche de lui que j'ai double ration, la part commune dispensée par la sono, mais si je penche la tête de quinze degrés sur la droite c'est le son direct, pré-micro, le grémissement infernal des cordes méchamment cinglées, un régal, divin.

Avec ces deux cadors à ses côtés Chris Bird joue gagnant à tous les coups. Deux trompe-la-mort prêts à le suivre dans les situations les plus difficiles. Heureusement car le Bird, les trucs faciles il les ignore, il les méprise, ne s'en préoccupe pas, peut-être même ignore-t-il que ces misérabilités puissent exister. L'a les doigts sur les cordes qui doivent se prendre pour des gymnastes olympiques sur les barres asymétriques. Jamais assez, un kamasutra positionnel inimaginable. Le grand écart à chaque instant, d'une précision absolue. Mais nous y reviendrons tout à l'heure.

Car il manque quelqu'un à l'appel. Ce n'est pas de sa faute, malgré sa stature imposante, l'est relégué tout au fond caché par le rideau de ses trois camarades devant lui. Trop de monde pour qu'il puisse bénéficier d'une profondeur de champ. En plus on ne l'entend pas. Enfin manière de parler. L'a la frappe ventouse, se colle sur le boulot des copains de si près qu'on ne le sait pas. Vous n'y prêtez aucune attention. Un peu comme ces reptiles qui imitent si parfaitement une branche morte que quand vous la ramassez pour la lancer à votre chien, vous êtes déjà mort. Faut que les trois autres fassent trois secondes de silence, pour que vous réalisiez sa présence, car c'est quand vous récupérez la mue du serpent que vous comprenez la complexité du dessin de sa peau. Ozzy, l'air de ne pas y toucher, les rares fois où je l'ai entrevu, l'a l'air de s'ennuyer, tiens je vais poser la baguette au pif ici, sont tellement bêtes qu'ils n'y verront que du feu. L'oublie que la feu ça brûle et quand il fait feu, vous réalisez que c'est un tireur d'élite, une frappe subtile, une toile d'araignée qui suit le mouvement du vent, les plus doux zéphyrs et les plus plus fortes tempêtes, le secret de la palpitation, de la pulsation, elle est là, elle pousse et elle impulse, avec Ozzy qui vous colle aux fesses vous intuitez rapide que reculer serait une erreur, vous arrêter une catastrophe.

Vous les avez eus un par un, sans doute aimeriez-vous savoir quel genre d'histoire ils vous racontent tous ensemble. Pas n'importe laquelle, elle porte un titre, the rise of the rockabilly. Une légende mythique, tronçonnée en plus de trente morceaux, ne vous les content pas dans l'ordre chronologique, mais je vous remets le canevas dans l'ordre. C'est un peu l'histoire de Prométhée qui s'en va voler une flammèche du feu divin et qui la refile aux hommes pour qu'ils puissent se chauffer et être heureux. Un remake made in the USA, parce là-bas tout est plus beau et plus grand, des petits salopiauds de blanc-becs qui fauchent sans vergogne une étincelle de l'étincelle initiale apportée d'Afrique par des esclaves noirs. La gardaient pour eux, et l'avaient enfermée jalousement dans la pulsation jazz, mais nos gredins s'en sont saisis et l'utilisent d'une autre façon, ils la boppent, à mort, marquent le rythme sur une caisse claire et la guitare suit le mouvement, l'électricité permet à cette mandoline de malheur de s'émanciper, devient la reine, la rythmique pique un sprint infini, la basse s'essouffle mais son cœur ardent bat la chamade et ne s'effondre pas, le rockab naît de ces disharmonies rythmiques, quatre rythmes différents qui finissent par s'entendre un peu à la manière des meutes de chiens de chasse – redoutables hound dogs - qui jappent à l'infini, mais il y en a toujours une, par on ne sait quel miracle, dans ce torrent impétueux d'aboiements, une voix se détache et domine, pas très longtemps, trois secondes mais a peine s'est-elle fondue dans le brouhaha absolu, qu'une autre s'élève, avec une vigueur et une clarté indiscutables, et les appels solitaires ne cessent d'émerger tour à tour jusqu'au grand hallali final.

Le quatuor diabolique ne se contente pas de ces quatre partenaires, dans la série plus on est de fous plus on rit, ils en invitent un cinquième, la voix humaine, car l'homme est tout de même, si on y réfléchit un peu, le summum de la bestialité animale, Chris Bird en sus de la lead se charge de cette cinquième colonne du temple rockab. Gretsch and voice. A l'impulsion de la musique correspond l'inflexion vocale, le grand secret est là, combien maladroit serait le flamant rose qui s'emmêlerait les deux pattes dans ce torrent qui coule par intermittence en deux lits parallèles qui s'entrecroisent sans cesse. Chris Bird excelle en cet art difficile. La voix joue à saute-moutons avec le flux et l'influx musical, l'en rajoute même, esquisse quelques pas de danse, trépigne sur place, et les trois autres instrumentistes le suivent comme s'il était l'homme qui non content d'avoir perdu son ombre en aurait trois derrière lui. Des fidèles qui l'imitent à la perfection lorsqu'il descend les escaliers infernaux et remontent derrière lui des enfers comme s'ils se livraient à la plus enivrante croisière d'après-minuit.

Nous feront trois sets, d'une beauté intense, imaginez-vous un voyage au plus près des racines, celles du début des rockab, les tout premiers titres de Bill, d'Elvis, de Gene, de Buddy, d'Eddie, ce moment pharamineux où les pionniers inventent la recette du rockabilly, un bouquet swing-bop-rock éblouissant, la fougue juvénile marquée du sceau d'une créativité indépassée, et puis pour remercier le public qui ne décolle pas et Béatrice la patronne qui les accueille pour la quatrième fois, un quatrième set, trois morceaux, pas les plus tape-à-l'œil-je te-rentre-dans-le-lard, non des subtilités, des permutations inextricables, des folies inoubliables.

Duduche résumera la soirée, avec les WiseGuyz ça gaze !

Damie Chad.

 

KILLER COUPLE

WIZEGUYZ

( Toro Records / 2018 )

Les morceaux sont sur leur premier CD, promis, je vous le chronique la semaine prochaine. Je n'ai pas pu résister. La pochette est trop belle. Artwork : d'Henrique San. Le genre de disques que vous écoutez au grand maximum une fois dans votre vie, mais pour laquelle vous abattez sans vergogne au fusil à pompe tout individu qui semblerait donner l'illusion de désirer inconsciemment s'en approcher à moins de quinze mètres. Avant de vous livrer à de telles extrémités, batifolez un peu sur le site d'Henrique San, artiste portugais à l'esthétique 50'. Tenez je vous refile une de ses œuvres, preuve que tous les alligators finiront au paradis.

En plus c'est le premier single que je possède qui respecte la loi de la mixité absolue. Possède une face She et une autre He. Désolé pour les trans-genres et les hermaphrodites, peut-être qu'un jour aura-ton inventé le microsillon multifaces.

Rude bad boy : jivin'boy. Entrée surprise, vous vous attendiez bien à ce que le morceau commence mais il file à la vitesse d'un hot-rod, boosté à l'éther, d'un seul jet, pas de repos, pas de reprise, tout est dans la fulgurance, un exercice de style accompli. Le genre de brimborion qui a l'air tout simple mais qui exige un maximum de maîtrise. Une facilité déconcertante.Hi-class mama : strollin mama. Merveilleusement mis en place. Un petit bijou de précision. Une grosse guitare devant, la basse et tout le reste à la suite qui s'intéressent aux ciselures, la voix vous réunit le tout avec cette indolence de matou qui s'étire après trois longues heures de sieste. La chasse féline à la souris câline peut commencer. Déconcertant de facilité et d'aisance.

Connaissent tous les codes. Sonne davantage sixties que fifties par cet arrière-fond d'insouciance qui baigne l'atmosphère de l'enregistrement.

Damie Chad.

 

 

10/04/2019

KR'TNT ! 414 : JOHN PAUL KEITH / REVEREND JOHN WILKINS / CHUCK BERRY / HAPPY ACCIDENTS / RADIOACTIVE / CHAMBLAS RÊVEIL

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 414

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

11 / 04 / 2019

 

JOHN PAUL KEITH / REVEREND JOHN WILKINS

CHUCK BERRY / HAPPY ACCIDENTS / RADIOACTIVE

CHAMBLAS RÊVEIL

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

John Paul Keith et les autres

 

On ne se bouscule pas au portillon pour venir voir jouer John Paul Keith qui est pourtant l’une des figures de proue de l’actuelle underground Memphis scene. Bon, c’est vrai, il faut bien reconnaître que l’underground n’intéresse plus grand monde. Quant à Memphis, c’est encore pire. Dans l’inconscient collectif, ça renvoie à des vieux trucs un peu kitsch et un peu jaunis qui remontent au temps d’Elvis. Autant parler d’objets de musée. Et pourtant, le Memphis beat n’a jamais été aussi vivant ni aussi bien représenté. À lui tout seul, ce petit binoclard nommé John Paul Keith réussit à redonner vie au Memphis beat, le temps d’un concert. Il le fait avec un mélange de brio et d’abnégation qui en bouche un coin. Il joue son rock en formation légère, accompagné d’une section rythmique basse/batterie extrêmement jeune, mais on sent le métier. JPK propose un mélange idéal de country et de rock, avec cette énergie particulière qu’on retrouve chez tous les musiciens basés à Memphis. Il faut se souvenir de ce que disait Dan Penn à propos du décalage qui existe entre Memphis et Nashville : «They (in Nashville) cut in all that ol’ stupid thin country music. No funk, I always liked a little funk.» (À Nashville, ils enregistrent cette country inepte et vieillotte. Pas de funk. J’aime bien qu’il y ait un peu de funk). Oui, JPK ramène dans son son ce que Dan Penn appelle le funk, cette manière tellement subtile de swinguer le rock’n’roll. Il joue clair et net sur Telecaster et parvient à faire danser la maigre assistance. Plus tard, JPK dira qu’il vit bien de sa musique, à Memphis - I make a living out of it - Il fait bien sûr la promo de son dernier album, Heart Shaped Shadow, mais propose aussi des cuts tirés de son nouvel EP avec les Motel Mirrors. John Paul Keith est un petit homme d’âge indéfinissable au visage dévoré par cette grosse paire de lunettes qui renvoie immédiatement à Buddy Holly. On est confronté au même problème qu’avec Buddy à l’époque où paraissaient ses disques : un mal fou à s’habituer à cette esthétique du binoclard, mais un curieux mélange d’ingénuité et de talent finissait par le rendre indispensable. Il devenait aussi précieux qu’Elvis ou Jerry Lee, alors qu’il n’avait absolument aucune chance de plaire aux filles, ce qui en matière de pionneering, était quand même le truc de base. John Paul Keith passe par les mêmes fourches caudines. Si on le juge sur son physique, c’est cuit aux patates. Mais si on l’écoute et, mieux encore, si on le voit jouer, il balaye tous les a-priori. JPK rocks it up ! Il joue son rôle d’ambassadeur du Memphis Sound à merveille. C’est exactement du même niveau que le fabuleux set du grand Harlan T. Bobo qui eut lieu au même endroit voici quelques années. Eh oui, ces Memphis guys ont le petit quelque chose en plus. Robert Gordon dit que le Memphis beat est dans l’air de la ville. Dickinson dira que c’est dans les gens - We’re a bunch of rednecks and field hands playing unpopular music - Ce n’est quand même pas un hasard si deux des plus grands écrivains rock d’Amérique (Dickinson & Gordon) sont de vieux Memphis guys. D’ailleurs JPK dit avoir failli travailler avec Dickinson : le projet s’appelait Snakes Eyes et comprenait des gens de Regning Sound - But nothing came out of it.

John Paul Keith fait donc partie de la brillante scène underground de Memphis. En 2009, il est lead guitar sur The Disco Outlaw de Jack-O & the Tennessee Tearjerkers. On ne saurait concevoir une formation plus légendaire que ces Tearjerkers rassemblés par Jack Yarber. Il attaque son Disco Outlaw avec «Ditch Road», un fantastique cut de pop rock du Tennessee. Jack Yarber est un auteur classique qui sait monter des coups fumants. Voilà un cut imparable, éclairé par le jeu de John Paul Keith et soutenu par la belle bassline d’Harlan T. Bobo. Tous les morceaux de cet album sont fouillés, chargés de son, bien construits. On savoure la succulence de l’effarance à l’écoute d’un «Against The Wall» qui sonne comme un classique hanté par des vieux relents de «Drop Out Boogie». «Make Your Mind Up» sonne comme un hit pop planétaire. Voilà de quoi Jack Yarber se montre capable. C’est digne des meilleurs jukes et troussé à la rude. Il prend ensuite «Sweet Thang» à l’hypno de Memphis, et ça trépide, avec une grâce infernale. Quelle énergie et quelle puissance dévastatrice ! En B, John Paul Keith embarque «Scratchy» dans la clameur d’un solo incendiaire. Ils nous explosent ce vieux classique des sixties. Et ça va se terminer avec «Stop Stalling» bien soutenu à l’orgue, suivi d’un nouvel hymne pop, «Walk Of Shame». Jack Yarber n’enregistre que des disques condamnés à l’île déserte.

On retrouve John Paul Keith sur un autre album de Jack Yarber, l’excellent Rat City paru en 2011 sur Fat Possum. C’est pas compliqué, on y trouve deux hits, à commencer par celui qui donne son titre à l’album, qui est lancé comme une locomotive et Jack-O se montre une fois de plus imparable et lumineux. Quand on voyait ce mec traîner à l’espace B le jour du concert des Cool Jerks, on n’était pas loin de penser qu’il avait au pire une allure de rock star et au mieux le charisme d’un messie. John Paul Keith joue lead dans «Mass Confusion», monté sur un beau beat funky. Ça pulse comme au temps de l’âge d’or du swamp funk. L’autre hit du disque c’est bien sûr «Kidnapper», sur lequel JPK joue aussi : cut doté d’un fort parfum de country rock et finement nappé d’orgue. On y retrouve tout l’allant du rock du Tennessee.

John Paul Keith apporte régulièrement sa modeste contribution au Memphis Sound en ficelant de bons albums. Paru en 2008, Spills And Thrills s’impose par un son sec. On sent le rocker accompli, rompu à toutes les tâches. Il joue tout son fourbi à l’emporte-pièce, avec une authentique intensité. Tout est ultra joué, très américain. Memphis Soul typecast. Avec «Cookie Bones», il propose un violent instro d’interaction chauffé au shuffle d’orgue. Ça ne vous rappelle rien ? Mais les MGs, bien sûr ! Nous voilà dans les rues de la ville, à l’âge d’or. Bel hommage aux racines du Memphis Sound. S’ensuit un «Let’s Get Gone» tapé à la folie rockab, Memphis style, here we go ! Affolant ! JPK peut se montrer affoling. Le buisson Ardent n’a aucun secret pour lui. On voit bien qu’il tente de recréer la folie du rumble de 56. Il sort le Telecaster Sound le plus âpre qui soit. Il joue au surplus de guitares. Et voilà qu’avec «If I Were You», il tape un coup de Jarnac à la Tearjerkers. C’est le hit du disk. Absolute beginner ! Il trousse ça serré au beat avec des chœurs de rêve et une énergie power pop. Ça sent bon le Yarber. JPK termine son humble album de rumble avec une petite montée de fièvre qui s’intitule «Doin’ The Devil’s Work», typique des clubs de Memphis avec tout le bazar de la Samaritaine.

L’impétueux JPK récidive avec un Memphis Circa 3 AM auréolé de légende, puisqu’enregistré par Roland Jane. On a donc du pur electrifying Memphis Sound, classique et tendu, sec et net et sans bavure. On va mettre un peu de temps à rentrer dans l’album, car JPK multiplie les incartades en allant vers la country ou le balladif romantico. On a même parfois l’impression qu’il s’enterre dans la tradition. C’est un cœur tendre, mais comme dirait Blueberry, il vaut mieux avoir le cœur tendre que le pied tendre, surtout lorsqu’on est poursuivi par une horde de Mescaleros. Et soudain, on se réveille avec «New Years Eve», un cut qui sonne tout bêtement comme un hit. JPK est capable de petits miracles. Ce genre de révélation efface pendant quelques minutes le spectre des soucis quotidiens. Oui, elle surprend d’autant qu’elle est totalement imprévisible. Notre fringant binoclard repasse en mode hit galatic avec «If You Catch Me Staring». Cette nouvelle ouverture de pop a de quoi édifier les édifices. Il joue bien son rock à l’enfilade et maintient l’éclat d’un son Télé très convaincu d’avance.

On sent encore une très nette évolution avec son dernier album, Heart Shaped Shadow, paru l’an passé sur un label de Little Rock, Arkansas, nommé Last Chance Records. On y trouve pas moins de quatre hits, à commencer par l’excellent «Something So Wrong» d’ouverture de bal d’A. Pur joyau de Southern Soul, généreusement cuivré et monté sur un beat rondement mené. Good time music à tous les étages en montant chez Kate. L’incroyable tonus du cut vaut pour modèle. Avec «Ain’t No Denyin’», il nous plonge dans un groove de jazz. C’est monté sur un shuffle d’orgue superbe et JPK vient croiser son solo avec le shuffle. Musicalité superbe, fantastique allure. En B, il revient au slow groove avec «All I Want Is All Of You», il chante ça à l’étonnée, avec une voix chargée d’un certain mystère. Ce mec dispose d’un charme vocal indéniable et un solo de sax couvre ses arrières. Il tape «Throw It On Me Baby» au beat de rockab. Joli clin d’œil à la tradition. Il sait swinguer ce type de beat, pas de problème. JPK est un rocker polyvalent, il peut aller partout et taper dans tous les styles avec un égal bonheur. Jamais passe-partout ni m’as-tu-vu. Il termine l’album avec «Pink Sunsets», un nouveau groove de jazz, délicat et colorié. Oh, il faut l’entendre passer un solo de bluegrass en escalier dans «Leave Them Girls Alone». JPK devait être un guerrier apache dans une vie antérieure, car il a plusieurs cordes à son arc.

D’ailleurs, ça n’étonnera personne, JPK est homme à brasser les side projects. En voici un bel exemplaire, the Motel Mirrors, dans lequel on retrouve une certaine Amy LaVere. Comme par hasard, JPK proposait l’album In The Meantime au mersh, après le concert. Sachez bien que cet enfoiré vend un disk sans dire que c’est de la dynamite. Résultat, on rentre à la maison, on écoute ça et paf, on tombe de sa chaise. Un cut comme «I Wouldn’t Dream Of It» saute littéralement à la gueule. Le power du beat se révèle dévastateur. C’est un étonnant mélange de country flavor et de power rock. JPK chante au suave sur le pire beat rockab qu’on ait vu à Memphis depuis le temps des cerises. Par contre, attention aux cuts que chante Amy LaVere : elle sort une voix nubile qui peut vite agacer. «Things I Learned» flirte avec la délinquance juvénile, c’est un hit, de toute évidence, et même un hit effarant, mais quand elle revient plus loin avec «Dead Of Winter Blues», elle fait du Vanessa Paradis à la mormoille et ça donne un mélange extrêmement dérangeant de country et de délinquance juvénile larvaire. Par contre JPK rend deux fabuleux hommages à Buddy Holly, avec «Paper Doll» - Ain’t gonna be your paper doll at all - et «Remember When You Gave A Damn», pur Fort Worth Sound, merveilleuse cavalcade en hommage au génie de Buddy Holly. C’est criant de véracité instinctive. JPK prend «Do With Me What You Want» de très haut, avec des accords de Chickah Chuck. Il déroule au Memphis Beat, on sent le poids de la légende dans le son - Please please don’t be so cool - What a maîtrise !

The V-Roys ? Oh yeah, JPK est à l’origine du projet, mais il n’apparaît sur aucun de ces trois albums qui valent le détour. Oui et même largement le détour. Ces quatre Memphis rockers sont affreusement doués. Avec Just Add Ice, ils proposent une belle éclate de power-rock de Knoxville, très proche dans l’esprit de ce que font les mighty Drive-By Truckers. Notez que Steve Earle produit ce premier album des V-Roys. On vendrait son père et sa mère pour un cut comme «Sooner Or Later», solide slab de pop-rock soutenu aux éclats de guitares et chanté à deux voix. Leur «Wind Down» est fusillé dans l’élan, c’est admirablement racé. Avec «Cry», ils deviennent les rois de la cavalcade. On les sent gonflés d’énergie, comme des bites printanières. C’est très beau à voir. Ils passent au balladif classique avec «Kick Me Around», et un killer solo vient chasser les nuages. Ces mecs savent trancher un nœud gordien.

Un deuxième album intitulé All About Town paraît en 1998. Il s’y niche deux Beautiful Songs, «Arianne» et «Sorry Sue». Excellent «Arianne», chanté aux sous-voix dans les renvois et Scott Miller laisse sa voix fuiter sur les retours. Ils recréent l’événement plus loin avec «Sorry Sue». Scott Miller entre dans le lard du cut avec tout l’impact de la cruauté - Sorry Sue/ I’m not in love with you - Il sait gérer son charme et créer les conditions du pouvoir. Et voilà une autre merveille : «Strange». Ces mecs balancent du son et des idées de son et ça continue avec «Hold On To Me». Scott Miller prend les choses en main et c’est bête à dire, mais il a plus de présence que JPK. Comme ce mec est brillant, du coup l’album prend du relief. En fait, les V-Roys se situent à la croisée des chemins, entre rock et country. Parfois la country prévaut et les cuts nous échappent.

Leur troisième album est un album live, le bien nommé Are You Through Yet ? On y retrouve l’excellent «Wind Down» du premier album. C’est explosif, joué à la bassline inversée. On entend cette bassline remonter le courant du son comme un saumon d’Écosse. Autre merveille : «Out Of This World», heavy balladif de Loundon Wainwright chanté à pleine gueule, pur jus d’Americana. Les deux guitares semblent littéralement resplendir dans ce bouquet démentoïde d’Americana parsonnienne. Ils jouent dans l’œil du typhon. Ils font aussi une reprise du fameux «There She Goes» des La’s. Quel courage ! Ils y tapent un magnifique brouet d’arpèges. Du coup l’album prend un sacré relief. En fait on se sait jamais qui de Mic Harrison ou de Scott Miller chante, mais ce n’est pas grave, car comme chez les Drive-By Truckers, les deux sont également doués. Avec «I Want My Money», ils proposent un vieux boogie infesté de requins. On les sent très motivés à nager vite. Et voilà «Window Song», heavy rock co-écrit avec Steve Earle. Encore une énormité lumineuse jouée aux splendeurs guitaristiques. Quelle ampleur ! La version live est mille fois supérieure à la version studio, car les guitares scintillent dans l’incendie du crépuscule. Ils repartent de plus belle avec «Guess I Know I’m Right», un folk-rock solide. On suivrait ces mecs jusqu’en enfer, ils développent les meilleures dynamiques de folk-rock qu’on ait vu ici bas. On assiste à de fabuleux duels de guitares acérées. Ils sur-jouent à la vie à la mort. On retrouve aussi «Sooner Or Later» bien cogné du Cognac-Jay et allumé par des incursions à la Johnny Thunders. Ces mecs ont le diable au corps, voilà pourquoi cet album est bon. Et même excellent, bien rocké du Rocamadour. Ils jouent comme des dieux et ourdissent des complots finaux flamboyants. Ils reprennent aussi le «IOU» de Paul Westerberg. Admirable choix, les accords rock’n’roll roulent dans les collines et on voit la bassline cavaler dans la nature, comme une folle échappée d’un couvent.

Signé : Cazengler, Jean Pauv Kon

John Paul Keith. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 mars 2019

Jack-O & the Tennessee Tearjerkers. The Disco Outlaw. Goner Records 2009

Jack Oblivian. Rat City. Big Legal Mess Records 2011

John Paul Keith & The One Four Fives. Spills And Thrills. Big Legal Mess Records 2008

John Paul Keith. Memphis Circa 3 AM. Big Legal Mess Records 2013

John Paul Keith. Heart Shaped Shadow. Last Chance Records 2018

Motel Mirrors. In The Meantime. Last Chance Records 2017

V-Roys. Just Add Ice. E-Squared 1996

V-Roys. All About Town. E-Squared 1998

V-Roys. Are You Through Yet ? Live. E-Squared 1998

 

 

 

Walking with Wilkins

 

L’arme secrète du bon Révérend John Wilkins n’est pas celle qu’on croit : sa foi en Dieu tout puissant ? Sa technique de picking ? Son physique de vieux black bien conservé ? Son autorité eucharistique ? Non, même s’il est un mélange de tout ça. Son arme secrète, ce sont ses trois filles qui chantent le gospel sur scène avec lui, alignées en rang d’oignon. Et elles shootent le gospel batch plus qu’elles ne le chantent. Encore une fois, il y plus d’énergie primitive dans le gospel batch que n’en peut rêver ta philosophie, Horatio.

Bon, quand il arrive sur scène avec son stetson et son sourire de beau black bien conservé, on ne se méfie pas. Il attaque avec un «Trouble» bien rythmé et les filles commencent à foutre le souk dans la médina. La plus petite est aussi la plus grosse. Disons qu’elle gère mal un problème de poids, mais c’est elle la shouteuse du groupe. Le Révérend et ses trois filles sont accompagnés par trois blancs qui trimbalent des allures de vétérans de toutes les guerres et qui restent en retrait. Et quand le bon Révérend attrape sa guitare pour jouer «You Got To Move», alors on réalise qu’il n’est pas né de la dernière pluie. Il joue avec une technique de battement en picking qui en dit long sur ses antécédents. Eh oui, Big Legal Mess nous rappelle qu’il a accompagné O.V. Wright et qu’il recevait dans son église, Hunter’s Chapel Church, des éminences comme Mississippi Fred McDowell, Otha Turner et Napoleon Strickland. Nous sommes dans le North Mississippi Hill Country, parmi les gens du Tate county. Jim Dickinson : «Le comté de Tate commence aux abords de Senatobia. Vous allez rouler sur des routes à moitié goudronnées et vous allez entrer dans le territoire d’Otha Turner, père spirituel du hill country blues. Quand Lomax est venu dans le Sud pour archiver la musique les vieux bluesmen, Otha et Fred McDowell étaient voisins. Ces artistes sont restés trop longtemps confinés dans les archives du folklore officiel universitaire.»

Sur scène, ça shake de plus belle avec «God Is Able» puis «Jesus Will Fix It». Tout l’art du gospel consiste à faire tanguer une église avec un minimum de moyens et un maximum de feu sacré. Le set du bon Révérend John Wilkins et de ses trois filles rocke plus la kasbah que dix groupes de garage réunis. On le dit à chaque fois, mais c’est vrai. Ces gens-là font appel à ce qui constitue la racine même du rock, le rythme et ce que certains appelaient autrefois le feu de Dieu, c’est-à-dire une énergie primitive qui n’appartient qu’aux Africains. Un James Brown blanc ? C’est inconcevable. Un Révérend John Wilkins blanc est encore plus inconcevable. Le beat appartient définitivement aux blacks. Ces trois filles qui dansent sur un beat du Gospel batch, c’est sans doute le plus beau spectacle qu’on ait pu voir depuis le temps de Vandellas, ou plus récemment, les Como Mamas. Elles dansent en rythme d’un pied sur l’autre, font des petits gestes avec les bras, et shootent le bamalama du Seigneur tout puissant qui du coup devient un héros rock’n’roll bien plus infernal que ce pauvre diable cornu qu’on laisse aux Stones. Mieux vaut aller rocker aux pieds de l’autel de God almighty dans une église en bois que d’aller à Longchamp voir des Stones fanés jouer «Sympathy For The Devil» et finir de perdre toute leur crédibilité. On ne joue pas avec le diable, par contre on peut jouer avec God. God adore ça, il est même le premier à danser. On comprend ça dans l’instant, dans l’éclair d’un instant, lorsque la petite grosse perd le contrôle d’elle-même et jette une serviette dans la foule, alors qu’elle shoote ses chœurs à s’en faire péter les ovaires. Wow, elle ramène tout Aretha, tout le jus sacré du raw gospel, toute la magie explosive d’un monde qu’on connaît très mal.

Dans sa deuxième bio d’Aretha, David Ritz rappelle que l’univers du gospel, au temps où officiait le pasteur Franklin, était un fabuleux baisodrome. La foi et le sexe ont toujours fait bon ménage. Les femmes tombaient comme des mouches sous le charme du pasteur Franklin, père d’Aretha. Pasteur et homme à femmes. Fantastique dragueur. Il faut situer ça dans les années quarante et cinquante. Il existait un véritable circuit du gospel et un business florissant. Les prêcheurs de gospel les plus célèbres tournaient dans toute l’Amérique et rassemblaient dans les églises des milliers et des milliers de fidèles. On sait pour l’avoir vu dans certains docus que la messe pouvait tourner à l’hystérie collective. Certains pasteurs jouent sur des guitares électriques. Tout le monde danse, sans exception. Mais Ritz ajoute qu’après le prêche tout le monde baisait sous le tabernacle. Tout le monde, les jeunes comme les vieux ! C’est là qu’Aretha s’est mise à aimer les hommes. Johnny Guitar Watson dit d’elle qu’elle rôdait dans les fêtes, affamée de queue. Elle a douze ans quand elle est enceinte de Clarence. Deux ans après, elle met au monde Edward. Puis elle épouse Ted White, qui est un mac. Aretha est du cul, mais elle ne veut pas qu’on le dise. Comme toutes les bigotes qui ont le feu au cul, elle tente de protéger sa réputation. C’est la raison pour laquelle il existe deux bio d’Aretha avec David Ritz, celle d’Aretha et celle de Ritz, où tout est dit, surtout ce qui ne doit pas être dit. Et ça renforce le prestige sulfureux de cette femme qui sur scène devient une reine. Une vraie reine de droit divin. Un volcan à deux pattes. Et Aretha n’en finit pas de rappeler que toute la Soul vient directement du gospel.

Le bon Révérend fait un petit break, le temps de rappeler que son père Robert Wilkins a composé «Prodigal Son» et il profite de l’occasion pour rappeler aussi que les Rolling Stones ont rendu cette chanson célèbre. Il joue son Son seul, assis sur un tabouret, accompagné par le tap tap du batteur. Fantastique guitariste, il descend son thème à deux doigts glissants et pince des cordes du pouce et de l’intérieur des doigts ramenés en crochet. Il joue en accord ouvert, ce que les Anglais appellent l’open D et sort un son de rêve sur sa guitare, un son très pur de country-blues. Il enchaîne avec un «Walk With Me» joué seul. L’interlude mirobolant s’achève avec le retour des filles qui viennent donner l’assaut final. Ah tu voulais voir Venise et tu vois «Wade In The Water», classique indestructible porté par toute la foi du pâté de foie. Ah tu voulais voir Vesoul et t’as pas vu Vierzon parce que t’as vu «Storm And Rain», eh oui, le bon Révérend demande à un public qui ne comprend pas l’Anglais s’il connaît les storms, et c’est sa femme, installée dans le coin sous l’enceinte qui fait Yeahhhh, d’ailleurs elle n’en finit pas de faire yeahhhh tout au long du set, comme à la Chapel Church, oui car le gospel est avant toute chose un art inter-actif, le pasteur dit un truc, et les gens font yeahhhh, mais on nous demandait fermer nos gueules à la messe, alors les petits blancs dégénérés ne savent pas faire yeahhhh. Bon c’est pas grave, le Révérend et ses trois filles continuent de rocker la salle qui se met à tanguer comme le baleinier du capitaine Achab sous les coup de boutoir de Moby Dick, et bim et bam, prend ça dans le foie, le gut d’undergut d’un «Get Right Chuch» à faire tomber la flèche en bronze d’une cathédrale, celle de ton choix.

L’album du bon Révérend est sorti en 2010 sur le big label Big Legal Mess, filiale honorifique de Fat Possum qui vénèrent les amateurs de blues primitif. You Can’t Hurry God vaut le détour pour au moins deux raisons : Jésus et «You Got To Move». On retrouve Jésus dans «Jesus Will Fix It». Le bon Révérend envoie son gospel rocker le Memphis Sound. Admirable. Il tape dans le brother de Yes sir et ça vire au all nite long. On n’avait encore jamais entendu gospel batch aussi insistant. Avec «You Got To Move», il tape dans le heavy blues rock. Le bon révérend est un caméléon, il tape ici dans la fantastique exaction parabolique, il drive le blues rock à coups de She got to move. Il tape plus loin son «Thank You Sir» au deep rootsy blues. Il sait aussi le jouer, il bouffe à tous les râteliers et c’est bien, de la part d’un mec comme lui. «On The Battlefield» est presque joyeux. C’est du gros gospel d’orgue et d’église en fête, alors on en profite. On l’admire tant et plus, oh my lord. C’est la fête à l’église du village. Dommage qu’on n’ait pas ça en France. Il faut aussi écouter attentivement le morceau titre d’ouverture de bal, car on y note une fabuleuse présence de can’t hurry. Il raconte son histoire, avec sa mama who told me when I was young. C’est de l’excellent gospel blues. On retrouve cette présence dans «Sinner’s Prayer». On n’a pas idée, tant qu’on a pas écouté ça. C’est extrêmement joué. On a là une sorte de Soul rock qui colle bien au temps présent. On retrouve aussi le fameux «Prodigal Son» : il passe au country shuffle d’église, c’est tellement rootsy qu’on s’en émeut profondément. Le bon Révérend remonte le courant comme un saumon du Mississippi. Quel fabuleux take de country blues ! Trop expert pour être honnête. C’est d’un niveau beaucoup trop élevé. Dans «I Want You To Help Me», des femmes lui viennent en aide. Ce qui frappe le plus dans ce genre de cut, c’est bien sûr l’incroyable énergie du son prodigue, my Prodigal Son.

Signé : Cazengler, Irrévérend

Reverend John Wilkins. Le 106. Rouen (76). 5 avril 2019

Reverend John Wilkins. You Can’t Hurry God. Big Legal Mess Records 2010

 

 

CHUCK BERRY

JON BREWER

( 2019 )

 

Diffusé sur Arte, mais ceux qui comme moi ne possèdent pas cette boîte à décérébration populaire chez eux peuvent le visionner en replay du 04 / 04 / 2019 au 03 / 07 / 2019. A voir, certes ce n'est pas fantastique, depuis A Film About Jimi Hendrix en 1973, c'est toujours la même formule, un montage d'interviews de proches et d'artistes mêlés à des documents d'époque et d'extraits de films. J'ai l'air de critiquer mais je serais dans l'incapacité d'imaginer plus original. Laura Brewer la scénariste a toutefois eu l'idée de mettre en scène quelques épisodes de la vie de la vie de Chuck sous forme de clips phanstasmatiques qui clignent de l'œil vers l'esthétique de la BD, à mon avis pas vraiment convaincant.

Oui, mais c'est Chuck Berry, alors on s'en fout, on en prend plein les mirettes pour pas un sou, on regarde, on écoute, et on se tait. Chuck, c'est sacré, Chuck Berry in London mon premier album rock fut mon cadeau de Noël en 1965, c'était arriver dix ans après la sortie de Maybelline, mais à l'époque en France on n'était pas des milliers à suivre... Deux ans plus tard il y avait eu le Greatest Hits avec sa pochette désastreuse mais au dos ces notes qui nous ouvraient tant de perspectives passionnantes avec ces références de matos et d'amplis qui vous tournaient la tête. L'on découvrait que le rock reposait sur toute une science sonologique qui nous laissait rêveurs. Mais je m'égare.

Jon Brewer retrace la carrière de Chuck, dans l'ordre chronologique mais il évite une dispersion fragmentaire en s'attachant à quelques idées forces, à trois thèmes centraux qui reviennent régulièrement.

Chuck Berry, l'inventeur du rock'n'roll. Certes il vient du blues mais il fut le premier à jouer plus fort et plus rapide que tous les autres. Possédait de longs doigts qui lui permettaient de courir le long du manche avec une facilité déconcertante. L'avait aussi une autre particularité, celle d'inclure dans le ploum-ploum-blues habituel des plans country. Métaphoriquement l'on peut dire qu'il a eu cette intuition géniale de remplacer les trémolos déclinants de la blue-note par l'attaque incisive de ce ces white-notes stridentes, ces espèces de jappements de chien, par lesquels les petits blancs arrachaient leur morceaux. Lui Chuck, l'attendait un peu pour les faire apparaître, ne vous les sortait que lorsque l'anatole bluesy se cassait la gueule, au moment où le cercueil bascule dans la fosse, vous fichait dans la moelle épinière trois cris de coq d'une stridence ravageuse à vous réveiller le mort qui se levait illico et se transformait en zombie fou pour se lancer dans une sarabande effrénée. C'était cela le secret du rock'n'roll, ne jamais laisser retomber le soufflet, un coup de barre et c'est reparti pour une giboulée de Mars, dieu de la guerre et du chaos.

Chuck Berry un guitariste fabuleux. Qui chantait aussi. N'avait pas une voix extraordinaire. Un peu trop nasillarde à mon humble avis. Mais par contre il savait s'en servir à merveille. Le premier imbécile est capable de l'ouvrir et de chanter plus ou moins bien, mais dans le rock'n'roll, chanter n'est pas jouer. Tout se passe dans l'inflexion. Le blues module, le rock modélise, si vous dites Baby I love you so, faut que vous donniez l'impression que vous êtes en train d'interpréter le rôle d'un type qui dit Baby I love you so, c'est ce léger décalage, cette espèce d'innocence assumée d'une rouerie confirmée qui fait tout le charme du phrasé rock. L'irocknie est le secret du chant rock'n'roll.

L'avait une autre corde vocale, le Chuck, composait ses paroles, l'a été le premier – bien avant Dylan – à avoir reçu une prestigieuse récompense littéraire pour ses lyrics – n'empruntait pas le texte à autrui, donnait sa propre vision du monde, n'avait pas besoin de s'approprier le contenu, c'était lui tout craché, décrivait les boys et les girls tels qu'il les voyait et les comprenait. Lorsqu'il écrivait il ne mâchouillait pas ses mots, quand il les chantait il les articulai divinement, vous racontait sa petite histoire, un conte acidulé pour grands enfants. L'était un fan de Bing Crosby mais l'avait adopté une méthode similaire à celle de Sinatra, concevoir l'interprétation d'un morceau comme une scène de film, un scénario qui retient votre attention et vous tient en haleine jusqu'au dénouement. Un poète.

Beaucoup d'atouts dans son jeu. Ajoutez à cela qu'il avait un sourire délicieusement craquant et que sa musique invitait à la danse. Vous filait la danse de saint-guytare au premier accord. Personne n'y résistait, ni les blancs, ni les noirs. Et cette musique du diable vous invitait à franchir le fil rouge de la transgression. C'est dans ces concerts que jeunes blancs et adolescents noirs se mirent à enfreindre une règle intangible : dansèrent ensemble... Une révolution, qui ne plut pas à tout le monde. Berry avait du succès, mais dans le Sud des Etats-Unis qu'un noir gagne trop d'argent n'était pas bien vu. Surtout qu'il eut l'outrecuidance de sortir avec des femmes de couleur blanche. L'on n'était plus au bon vieux temps où l'on pouvait vous brancher un négro au haut d'un arbre en toute tranquillité, l'on usa de stratagèmes bien plus pernicieux. A croire qu'à cette époque aux Etats-Unis, c'était déjà comme en la France d'aujourd'hui, que la police était partout et la justice nulle part, flics et procureurs s'entendirent comme larrons en foire pour lui créer des ennuis, lui firent fermer son parc d'attraction, l'accusèrent de ne pas payer ses impôts, de transporter de la drogue dans son étui de guitare, parvinrent à l'enfermer à plusieurs reprises en prison. Les témoins sont formels, un blanc n'aurait jamais été maltraité de la sorte...

L'on comprendra qu'après de tels traitements le caractère s'aigrisse. Berry se méfia des blancs. Les prit en grippe, que dis-je, en cancer de l'anus avancé. Les tint pour peu de chose : des vaches à lait. Ne fit plus de cadeaux. D'abord les dollars, ensuite la musique. Tous les musiciens blancs qui ont joué avec Berry en gardent de mauvais souvenirs, sans renier le moins du monde leur admiration, repassez-vous sept ou huit fois la séquence de Hail Hail Rock'n'Roll ! dans laquelle Chuck arrête Keith Richards en pleine intro pour lui signifier qu'il faut poser les doigts un peu plus bas, ces éclats de haine rentrée dans les yeux de Keith valent leur pesant d'or, ravale son orgueil et son chapeau, le Keith, fallait-il qu'il respecte le vieux briscard pour passer sur cette humiliation publique...

Du beau monde dans le film, Steve Van Zandt, Gene Simmons, Alice Cooper, Joe Perry, Nils Lofgren; Nile Rodgers, George Thorogood, Joe Bonamassa, Marshall Chess, juste un truc qui me gêne, ces gars-là nous les avons admirés, haïs, dédaignés, font partie peu ou prou, de près ou de loin, de notre story-stelling, mais z'ont pris un sacré coup de vieux. Ce n'est guère rassurant pour nous. Certes un Joe Perry a encore une belle dégaine mais l'Alice Cooper ( que j'estime ) l'est beau comme un paillasson. Enlevez-moi ces miroirs. Mais ce n'est pas le plus grave, z'ont des airs de grand-pères, mais où sont les petits-enfants ! Ne sont rien d'autres que des momies de l'ancien temps, Jon Brewer agit un peu comme cette chaîne de télé américaine qui vous ouvre un sarcophage de l'ancienne Egypte en direct. L'aurait pu chercher quelques jeunes guitaristes qui œuvrent dans le metal par exemple, l'a peut-être eu peur du fossé générationnel, de la coupure transmissive...

Question subsidiaire : Chuck Berry fut-il un rocker ? Réponse musique sans nul doute. L'a fait son job, sûr, mais ne pas confondre Charles avec Chuck. L'homme public s'arrêtait devant la porte de sa maison. Chez lui, n'était plus qu'un époux aimant, qu'un père attentif, sa femme et ses enfants en témoignent avec dignité et émotion. Chuck a eu la force de se préserver, l'a survécu, ne lui manquait qu'une dizaine d'années pour finir centenaire, l'est mort comblé, célébré, révéré, institutionnalisé, un beau parcours, lui manque toutefois un petit grain de folie...

Les rockers regarderont ce film avec plaisir - attention pour les thuriféraires de Presley, le film insiste : Elvis a popularisé le rock, Chuck l'a inventé - en plus vous avez quelques images de Jerry Lou et de Bo Diddley, l'est vrai qu'il nous manque Little Richard. Arrêtons de chercher la petite bête et la grande folle ! Hail ! Hail ! Rock'n'roll !

Damie Chad.

P. S. : pour ceux qui veulent un beau portrait de Chuck Berry la lecture de la chronique de notre Cat Zengler parue dans la livraison 323 du 06 /04 / 2017 s'impose. Pas un must, un devoir éthique.

 

Chuck chose en son temps

 

Chuck Berry fait partie des gens qui meurent mais qui ne disparaîtront jamais. Sa musique est partout depuis soixante-cinq ans. Elle est à l’image d’une vie, à la fois trop longue et trop brève. Il fut un temps où on se plaignait de trop l’entendre, l’époque où les Stones jouaient «Carol» et «Little Queenie», mais depuis deux jours, c’est un peu comme s’il nous manquait. Comme si sa longue histoire n’avait duré que le temps d’une chanson.

Si tu veux te payer une petite overdose de Chuck, fais-toi offrir à Noël le coffret Bear paru en 2014, Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear qui ne fait pas les choses à moitié propose avec ce coffret tout Chuck gravé sur seize rondelles, c’est-à-dire TOUS les cuts enregistrés entre 1954 et 1979, et du live à la pelle, environ quatre-vingt titres regroupés sur les quatre dernières rondelles. Tout ça s’écoute avec autant de plaisir que les albums originaux sur Chess, mais attention, ce sont les deux livres emboîtés dans le coffret qui vont t’envoyer directement au tapis. À commencer par le Harry Davis Photos book. Un nommé Bill Greensmith est allé fouiner dans le grenier d’Harry Davis, un cousin photographe de Chuck. On a là quatre-vingt dix pages d’images fan-tas-tiques, celles du Chuck d’avant Chess, déjà prodigieusement photogénique. L’une des images les plus connues est celle d’un Chuck engoncé dans un costard blanc mal taillé et grattant une belle pelle noire. Il sourit comme un ange de miséricorde, la bouche surlignée d’une moustache taillée à la cordelette. On ne trouve pas moins de sept poses de cette image, dont une agenouillée. Ce qui frappe le plus sur ces images magiques, c’est la taille des mains de Chuck. C’est là qu’un parallèle avec Jimi Hendrix s’interpose : les deux hommes avaient énormément de choses en commun, hormis la taille des mains : ils avaient tous les deux du sang indien dans les veines, un appétit sexuel démesuré et l’équipement qui leur permettait de l’assouvir, et le génie qui leur permit à deux époques différentes de façonner le rock à leur image. On tombe aussi dans le Harry Davis Photos book sur des images romantiques de Chuck avec des belles poules noires. En 1948, Chuck n’a que 22 ans et il est aux noirs ce qu’Elvis fut aux blancs à la même époque : une perfection à deux pattes. On tombe à la page suivante sur sa photo de mariage avec Themetta, qui doit elle aussi avoir du sang indien dans les veines, tellement l’aspect sauvage de sa beauté fascine. Harry Davis shoota aussi pas mal d’images dans les clubs de Saint-Louis où se produisait son cousin Chuck. On le voit gratter une Les Paul noire au Cosmopolitan Club en 1954. Et devant lui dansent des couples de blacks. On se dit : Oh les veinards ! Le cousin Harry en profita aussi pour shooter Johnnie Johnson assis devant son piano et le batteur Ebby Hardy fouettant le beat avec ses balais. Ce book fatidique se termine avec quelques images en couleurs. Chuck pose avec sa Gibson crème et tortille un peu les pattes : image après image, il crée sa légende. Ses chansons lui serviront de bande son.

L’autre livre donne le vertige, car il résume en images toute l’histoire de Chuck Berry. On a beau se dire qu’on connaît tout ça par cœur, depuis Disco-Revue et tous ces canards qu’on a eu dans les pattes, cette imagerie frénétique impressionne de plus belle. Toutes ces images sont graphiquement parfaites. Quelle que fut l’époque, Chuck Berry s’est toujours débrouillé pour rester un pur rock’n’roll animal. Il a toujours su se donner les moyens de sa légende. Certains personnages ont cette faculté de pouvoir rester conformes à l’image qu’on se fait d’eux. Dylan et Lemmy illustrent eux aussi ce principe de longévité vampirique. D’ailleurs, quand on ouvre ce deuxième volume, on tombe dès la page 4 sur Chuck le vampire ! Il ne prend même pas la peine de dissimuler ses deux crocs. Et le phénomène tourbillonnaire se reproduit : année après année, Chuck pose guitare en main avec la même élégance, le même filiformisme congénital, le visage toujours expressif d’un showman vétéran de toutes les guerres, et puis il multiplie les figures de styles, le duck-walk en costume blanc et le grand écart en pantalon rouge. Photos extraordinaires que celles d’un Chuck en béret au Star Club de Hambourg en 1964, puis les images incroyables de la tournée américaine de 1964 avec les Animals, puis on passe en 1967 avec des images de plus en plus acrobatiques shootées à Manchester, et même quand il commence à se laisser pousser les cheveux en 1972, il incarne le rock’n’roll mieux que quiconque sur cette planète. Il a ce côté gyspsy qu’avait Jimi Hendrix en débarquant à Londres. Souvenez-vous : subjugués par son apparition, les journalistes anglais crurent que Jimi sortait des bois de Bornéo.

Tous les fans de Chuck Berry entassent des tonnes de souvenirs de concert. Celui qui fut sans doute le plus spectaculaire fut le fameux concert-émeute de la Fête de l’Huma en 1973. Chuck arriva sur scène en pantalon rouge avec sa Gibson ES355 rouge et quelques heures de retard. La section rythmique d’Osibisa l’accompagnait. Tout se passa bien pendant un cut, puis un barbu en Stetson et lunettes noires débarqua sur scène pour dégager le batteur black et prendre sa place. La rumeur courut aussitôt : c’est Jerry Lee ! Et au lieu d’accompagner son vieux rival nègre, Jerry Lee lança ses baguettes en l’air et ruina brutalement le set de Chuck qui posa sa guitare pour quitter la scène. C’est là que la fête bascula dans le chaos. On vit un ciel noir de projectiles et un gang de bikers chargea la foule en brandissant des armes blanches. Panique générale ! Sauve qui peut les rats ! Les gens se levèrent par vagues. Même pas le temps de ramasser les sacs ! On marchait sur ceux qui n’étaient plus en état de se lever. Quelle rigolade ! On ne remerciera jamais assez Jerry Lee d’avoir créé un si beau chaos.

D’autres rendez-vous encore, comme ce concert fantastique de Chuck aux Banlieues Bleues à Saint-Denis et ce poto qui n’en finissait plus de glousser : «Gad’ le saucisson !». Chuck portait un pantalon rouge très moulant et on voyait bien qu’il était monté comme un âne. Un Marseillais dirait que sa bite descendait jusqu’au genou. Mais ce qui frappait le plus, c’était sa carrure. On comprenait mieux comment il avait réussi à sortir indemne des taules des blancs : Chuck Berry est bâti comme un géant. C’est ce que Steve Jones appelle la «structure osseuse», et il insiste beaucoup là-dessus dans Lonely Boy, son recueil de souvenirs.

Alors justement, Steve Jones n’arrive pas là par hasard. Chuck et lui ont quelque chose en commun, un goût prononcé pour la délinquance et le sexe. Comment pourrait-on imaginer les Sex Pistols ou Chuck Berry sans sexe et sans une petite pointe de délinquance ? L’ado Chuck et l’ado Steve débutent leurs carrières d’obsédés sexuels très tôt. Ça titille d’autant plus Chuck que son cousin Harry Davis shoote déjà des pin-ups et arrondit ses fins de mois avec des photos porno. Quand Chuck commence à tripoter les petites gonzesses du voisinage, son père l’apprend et lui colle une belle rouste. L’erreur à ne pas faire ! Alors l’ado entre en rébellion et décide de fuguer avec ses copains Lawrence Hutchinson et James Williams. Ils se carapatent tous les trois à bord d’une vieille Oldsmobile. Direction la Californie. Ils font cinquante bornes et s’arrêtent pour casser une croûte dans un patelin nommé Wentzville (là où Chuck installera plus tard son fameux Berry Park). Comme ils sont noirs, le porc blanc du restau leur dit d’aller chercher leur bouffe derrière, à la fenêtre de la cuisine. En 1944, les noirs n’ont pas le droit d’entrer dans les gastos des blancs. C’est là que l’ado Chuck fait la connaissance de Jim Crow, le fantôme ségrégationniste qui plane sur tout le Deep South. Quand ils arrivent à Kansas City, ils n’ont plus un flèche en poche. Alors Chuck sort son calibre 22 et ils braquent des commerçants. Envoie l’oseille, whitey ! En l’espace de cinq jours, ils en braquent trois, dont un coiffeur. Ça tourne au sac d’embrouilles, aussi décident-ils de rentrer à Saint-Louis. Hélas, la vieille Oldsmobile tombe en carafe à mi-chemin, juste à la sortie de Columbia. Ils font signe aux bagnoles qui passent. Un mec s’arrête. Plutôt que de lui demander gentiment son aide, cette crapule de Chuck lui met son calibre 22 sous le nez et lui dit de calter vite fait. Ils repartent en poussant l’Oldsmobile jusqu’à ce qu’un flic suspicieux les voie passer et les poire. Ils se retrouvent tous les trois au Boone County jail et un juge leur en colle pour dix piges dans la barbe. On est dans le Missouri et à cette époque, on mène la vie dure aux nègres qui sortent du droit chemin, aux antisociaux comme Chuck qui chient sur la règle d’or, le fameux ferme-ta-gueule-et-travaille-pour-le-patron-blanc. Chuck va tirer trois piges à Algoa.

Quand on le vit arriver sur scène à l’Olympia en 2005, on n’en revenait pas ! Cet homme de quatre-vingt ans déboulait sur scène en rigolant, vêtu d’une chemise bleue pailletée d’or. Et pendant plus d’une heure, il allait aligner la plus belle série de golden hits de tous les temps. En fait, ce qui frappait le plus dans son style, c’était l’économie de moyens. Il jouait une sorte de stripped down rock’n’roll, il ramenait tout à l’essentiel qui était la mélodie chant - Roll over Beetho/ ven/ And tell Tchaikov/ ski/ the news - D’ailleurs, il nous fit ce soir-là le coup de la panne, plus de son dans la guitare, alors il prit la basse pour s’accompagner et continua de chanter son cut comme si de rien n’était. Pour éclairer la lanterne du public, il expliqua qu’il jouait avec un émetteur, et que la pile du relais d’antenne était morte. Puis il éclata de rire : «Avant, on avait des câbles, and it never failed !». Et là-dessus, il embraya directement sur «Carol». Tout ceci pour montrer qu’au fond il n’a jamais eu besoin d’orchestre. Son principal instrument est sa voix. Il n’empêche qu’on se régalait quand même de le voir jouer ses plans de swing sur la Gibson rouge. Personne ne jouait de la guitare avec autant d’élégance. Il pliait les genoux et plaquait tranquillement ses accords dissonants sur son manche. The birth of cool ! Et puis ses textes sont tellement bien écrits qu’ils swinguent naturellement. Ça fait trente ans qu’on entend tous les coqs de basse-cour répéter à qui mieux-mieux que Chuck est le plus grand poète américain. Quelle aberration ! Quand on voit ce vieux pépère hilare sur scène, on comprend qu’il a inventé son rock’n’roll sans le faire exprès. Chez Chuck, la moindre phrase est simplement prétexte à rock. Ce concert de l’Olympia en 2005 fut un exemple parmi tant d’autres. Chuck savait doser ses effets et créer de violentes montées en température. On le vit soudain passer aux choses sérieuses avec «Memphis Tennessee», le fameux Long distance information, l’un des cuts les plus mythiques de l’histoire du rock, et là, à cet instant précis, on sut que Chuck régnait sur la terre comme au ciel. Il jouait des accords si épais qu’ils semblaient charrier des grumeaux de distorse. Il envoyait sa purée avec une sorte de bonhomie du delta. Puis il raconta l’histoire du country boy, un nommé Johnny qui savait jouer de la guitare comme on sonne à la porte. Évidemment, ça a l’air con, dit comme ça, mais le truc est là : il suffit simplement de raconter l’histoire d’un mec qui gratte sa guitare pour créer du mythe.

On le vit pour la dernière fois à Paris en 2008 en tête d’affiche au Zénith, après Linda Gail et Jerry Lee. Pas mal pour une vieux pépère de 82 ans. Comme Bobby Bland, il portait une casquette blanche d’officier de marine et son fils beefait le son sur une deuxième guitare. Du coup, le groupe sortait un son fabuleusement heavy, qui déroutait un peu, mais des hits comme «Around & Around» filaient comme des torpilles jusqu’à nos cervelles. Baaam ! On sentit ce soir-là qu’une page d’histoire se tournait. La critique s’empressa de massacrer le concert, histoire de redorer le blason de son incurie. Comment peut-on reprocher à Chuck Berry de jouer quelques plans foireux ?

La meilleure approche de Chuck Berry se trouve sans doute dans le film de Taylor Hackford, l’excellent Hail Hail Rock’n’Roll financé par Universal en 1986 pour le soixantième anniversaire de notre héros. C’est un film à deux facettes, et si on veut voir les deux, il faut se procurer l’édition spéciale du film parue en 2006 : le disk 1 propose la version originale du film et le disk 2 les interviews des principaux protagonistes, dont la productrice Stephanie Bennett et Taylor Hackford. Pour eux, ce tournage fut un épouvantable cauchemar, ce que ne montre pas du tout le film. Stephanie Bennett explique que Chuck Berry profitait de la moindre occasion pour renégocier son contrat. Si on ne lui apportait pas le blé en cash dans une enveloppe, il restait chez lui. Chaque fois, Stephanie Bennett lui demandait : «Combien ?». Et il fixait la somme. Quand ça tombait sur un samedi ou un dimanche et que les banques étaient fermées, elle devait se débrouiller pour trouver du cash. En plein tournage, Chuck prenait aussi des engagements pour jouer ailleurs. Si Taylor lui disait que ce n’était pas prévu et qu’une journée de tournage coûtait une fortune, Chuck lui répondait qu’il ne pouvait pas cracher sur un cachet de 25 000 $. Stephanie Bennett affirme que Chuck Berry est obsédé par le blé. Elle explique qu’il y avait deux concerts prévus au Fox Theater pour la fin du film et Chuck refusait de jouer le deuxième qui n’était pas prévu dans le contrat si on ne lui versait pas un complément. «Combien ?». Elle trouva le cash et lui balança l’enveloppe en pleine gueule. Elle n’en pouvait plus. Alors combien au total ? Le premier jour, Chuck empocha 25 000 $ en cash, et au final, elle estime qu’il aurait empoché 800 000 $. Chuck Berry a eu bien raison d’étriller ces blancs qui de toute façon allaient encore se faire du blé sur son dos, comme ils l’ont fait au temps de Leonard Chess et de tous les autres qui ont suivi. Dans une séquence du film, on voit Chuck discuter avec Bo Diddley et Little Richard. Bo explique qu’au temps de Chess, on leur donnait un demi-cent par disque vendu. Chuck rappelle qu’un disque se vendait 49 cents et il demande : où sont passés les 48 autres cents ? Mais dans la poche de ces porcs blancs, bien sûr ! On tente de faire passer Chuck pour un sale mec dans ces interviews et dans la presse, mais les sales mecs, c’est ni Chuck, ni Bo, ni Little Richard. On se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Les sales mecs sont tous ces gros porcs blancs qui ont bâti des fortunes sur le dos des nègres, exactement comme à l’âge d’or de l’esclavage et des plantations. Oh les belles demeures de caractère ! Et tous ces pauvres nègres qui ont bossé toute leur vie là-dedans pour des nèfles ? Non mais vous rigolez ou quoi ? Chuck Berry un sale mec ? Chuck, c’est Zorro ! Il leur fait cracher tout leur blé, à ces fils de putes. Il a plus de courage que les autres qui n’osaient pas, ceux de Chicago élevés dans la terreur du patron blanc. Dans le film, on voit Chuck entrer au Fox Theater et raconter qu’il y était venu étant gosse pour y voir un film. Comment l’accueillit la gentille caissière ? Dégage, sale nègre ! Bien sûr, Chuck mettra un point d’honneur à revenir jouer en tête d’affiche dans cette salle où on l’a humilié quand il était petit, mais il profite surtout de cette séquence pour rappeler au monde entier qu’on a vendu ses ascendants à quelques blocs d’ici, sur les marches du tribunal. Sold ! répète-t-il d’une voix sourde. Et il ajoute, avec un drôle de sourire en coin : depuis, les choses ont bien changé, n’est-ce pas ? Autre anecdote croustillante : quand il enregistre «Maybelene», le hit qui va le rendre célèbre dans tout le pays, il voit trois noms crédités sur la rondelle du single : Chuck Berry, Russ Freto et Alan Freed. Chuck demande : «Qui est Russ Freto ?» Pas de réponse. Il découvre un peu plus tard que Russ Freto est un employé de Leonard Chess, ‘est-à-dire un homme de paille. Chuck a beau être délinquant, il découvre que les frères Chess sont bien plus balèzes que lui en matière de délinquance. Ils méritaient d’aller faire un stage dans la taule d’Algoa.

Alors bien sûr, si on regarde le film, on a l’autre pendant de cette histoire, avec toute la crème de la crème, Keith Richards, Clapton, Robert Cray, c’est à qui va frimer le plus, avec des solos à la mormoille. On voit aussi Jerry Lee rendre hommage à son vieux rival et ses rares apparitions dans le film remontent bien le moral. On revoit aussi avec un bonheur incommensurable la fameuse scène où Chuck fait rejouer trois fois l’intro de «Carol» au vieux Keef. Il dit à Keef : «Si tu veux le faire, il faut le faire bien !». C’est sa façon de régler ses comptes, car les Stones et les Beatles lui ont tout pompé. Chuck Berry n’est jamais devenu aussi énorme que les Beatles et les Stones. On peut comprendre qu’il puise en éprouver une certaine forme de ressentiment. Tiens, encore un coup de charme fatal : il rappelle qu’au temps de sa jeunesse, on n’entendait que des artistes blancs dans les quartiers blancs de Saint-Louis, des gens comme Sinatra ou Pat Booooooone, mais jamais Elmore James, ni Muddy Waters, ni Howlin’ Wolf. Alors il se dit : Pourquoi ne pas écrire de la sweeeeeet music pour entrer chez les white people ? «Alors j’ai écrit «School Days» et ça a marché !» Il faut voir le sourie de Chuck à ce moment-là.

L’autre gros avantage du disque de bonus, c’est qu’on y voit Etta James chanter une version démente d’«Hoochie Coochie Gal», le pendant féminin du fameux «Hoochie Coochie Man». Taylor Hackford rappelle que Chuck ne voulait pas d’Etta dans son film mais Keef réussit à l’imposer. À la fin de la chanson, visiblement ému, Chuck vient serrer Etta dans ses bras. Il dit ne pas la connaître, mais elle lui rappelle qu’au temps de ses débuts chez Chess, elle a fait les backings vocals pour lui sur quatre titres, en compagnie d’Harvey Fuqua des Moonglows et de Minnie Ripperton qui était alors réceptionniste chez Chess. L’autre sommet du bonus disk est l’épisode d’Algoa State County Jail, où Chuck séjourna de 18 à 21 ans. Taylor raconte qu’ils sont entrés dans la taule comme dans un moulin, car Chuck y est un héros. Pas besoin de papelards ! Un petit groupe accompagne Chuck et dans ce petit groupe se trouvent des femmes, dont la fameuse Stephanie Bennett. Ça flippe un peu dans le groupe de visiteurs, car ils doivent traverser la cour à pieds et des centaines de taulards arrivent pour les accompagner. Certains commencent même à mettre la main au panier de Stephanie Bennett pour la mettre à l’aise. My crutch ! Ça fait marrer Chuck ! Hilare, il rappelle que les taulards sont privés de pussy pendant looooongtemps. Puis il donne un concert gratuit pour ses copains taulards. GRATUIT ! Eh oui, tout arrive. Quelle rigolade ! Mais on ne voit hélas pas les images, car Chuck les a confisquées. À la suite de cette séquence pour le moins insolite, Taylor Hackford rappelle que Chuck fit trois séjours au ballon : pendant le premier, il apprit la poésie, pendant le second (suite au Mann Act, une vieille loi raciste qui interdit aux nègres de traverser des frontières d’états en compagnie d’une mineure blanche), il termina ses études, et pendant le troisième (poursuivi par le fisc pour non-déclaration de revenus), il obtint un diplôme de compta, histoire de dire : vous ne me baiserez plus. And he could play guitar like a-ringing a bell. Fabuleux personnage.

Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

 

Chuck Berry. Disparu le 18 mars 2017

Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear Family 2014

Taylor Hackford. Hail hail Rock’n’Roll. DVD 2006

 

ELECTRIC LANDSCAPES

HAPPY ACCIDENTS

 

Nathan Mozes : guitare, chant / JC Viron : guitare / Fred Dee : basse / Rascal : batterie.

Nous les avions vus au Supersonic, nous avaient plu et intrigué, voir notre livraison 401 du 10 / 01 / 2019, et les voici qui sortent leur deuxième opus, ce six avril 2019, le premier éponymement intitulé Happy Accidents avait paru en juin 2018.

Mersea : paysages pour les oreilles et le rêve. Inutile de vous laisser emporter, cela ne dépend plus de vous, dés les premières notes vous êtes propulsé en un autre monde, en des landes familières totalement inconnues. Une seule référence, la vitesse. Alliée à la puissance. Sûr que vous n'êtes plus maître de rien du tout. Vous avez ouvert une porte et le seuil vous a happé. Vous êtes à mercy. Mais vous ne savez pas de quoi au juste. N'y a plus qu'à suivre et à tenter de comprendre cette houle symphonique, dont vous n'êtes qu'un électron prisonnier. Ne cédez pas à la beauté sonore, elle n'a d'autre but que de vous enfermer en une tour d'ivoire qui vous retiendra à jamais. Essayez de comprendre comment le sortilège fonctionne, des ajouts successifs, des chevauchements infinis de vagues qui s'entassent les unes sur les autres, jamais une seconde de répit, une surimpression sonologique irrémédiable, la batterie qui bat et les guitares qui rabattent, tout s'acharne à s'amplifier, des murs s'exhaussent autour de vous, et vous donnent l'impression de vous soulever vers votre destin. The Beast : the beat is the beast. A vous de l'affronter. Le monstre beugle et fonce sur vous à une allure indéfinissable. Tempo de fou, la grande menace se dirige vers vous, les guitares hululent, la folie cogne à votre tête et submerge votre cerveau, vous n'êtes plus que bruissement d'intumescence effractée en vous, le sang gicle de vos tympans et étoile les vitres qui vous isolent du monde, maintenant le monstre paisible virevolte autour de vous, s'éloigne de toute sa grandeur, le pire est arrivé, vous aimez ce funeste accident, la rage incoercible vous habite, vous êtes lui en vous et il martèle de sa queue effarante le peu d'intelligence humaine qui vous restait. L'héautontimorouménos, l'homme qui se châtie lui-même, disait Baudelaire. Spanish mood : changement de mode. Valse espagnole. Ça ne tourne plus rond en vous. Vous êtes la victime d'une farce énorme. D'ailleurs le tournoiement définitif gagne en puissance, vous essayez de vous échapper et la musique descend d'effroyables escaliers, les guitares grincent à la manière des salles de torture, la douleur vous calme, les tourments deviennent votre manière d'être, des cris s'évaporent, la batterie s'accoude sur vous et c'est reparti pour un tour. Cela ne finira donc jamais, quelques coups de marteaux sur vos rotules et sur vos synapses et vous voici cloué dans un grand galop final que plus rien n'arrêtera. Bruit de tire-bouchon final. L'on vient de vous ôter le cerveau comme l'on arrache le bouchon moisi d'un champagne calamiteux. Heavy : plus fort, plus lourd, plus rock, plus heavy, la musique ne fait plus de quartier. C'est l'instant du grand concassage. Du sublime étrillage, une guitare couine et les autres instruments fusillent à vue les fusibles de la déraison, massacre dans les abattoirs, tronçonneuses sanglantes, le rêve devient embouteillage cauchemardesque, il ne sera fait aucun prisonnier, heureusement cela s'arrête brutalement avant qu'il ne vous arrive un accident fatal. Self destruct : tout s'assombrit, le rotor est en marche, ses pales gigantesques déchirent le monde et vous comprenez enfin que c'est vous qui pilotez cet hélicoptère géant de destruction massive, vous êtes à l'intérieur de vous, et ça déchire, vous êtes le scalpel et vous êtes l'intelligence martyrisée, ne vous plaignez pas, la musique s'engouffre dans un gigantesque ricanement, un entonnoir trombique de haines rentrées déferlent sur vous, vous êtes à l'intérieur de vous et vous prenez encore de l'altitude. A croire que l'univers n'a pas de limites. Enemies : de loin, très loin, venue d'ailleurs la menace se précise. La bête n'est pas morte, elle s'est multipliée elle fonce vers vous, les godillots de ses gros bataillons courent sur vos membres à la manière des larves qui grouillent sur les cadavres, c'est le dernier combat, vous n'avez pas le droit de vous laisser submerger par les innommables légions de l'astral, vous vous battez avec la rage du désespoir, furie noire, furie blanche, furie rouge. Fin de partie. Les ennemis gisent à terre. Tout s'écroule. Vide absolu. Alone : quel silence, quelle ironique douceur, vous n'êtes plus que vous-même, vous vous remémorez le film, maintenant vous avez le temps, vous avez déjà la nostalgie de vos paysages électriques intérieurs. Vous préférez les cauchemars à la solitude, chafouinements cordiques, la batterie tire les rideaux rouges de sang séché, vous comprenez qu'il vaut mieux être mal accompagné par soi-même que seul dans la splendeur du monde. Générique de fin, les paysages électriques que vous avez cru visiter sont à votre image. Dans le lointain Maldoror ricane.

Superbe suite instrumentale. Puissant et original. A écouter sans fin. Electricité poétique.

( Disponible sur Bandcamp. Voir aussi FB : Happy Accidents )..

 

SELF CONTROL

THE RADIOACTIVE

( 2014 / Attila Attack Records )

 

Cinq ans d'âge. Zétaient à la Comedia ce 30 mars 2019 pour la sortie de leur nouveau mini-album A Matter of Time, la teuf-teuf étant en salle de réanimation, suis resté bêtement à Provins... En lot de consolation, j'avais récupéré à la Comedia ce premier EP, oui mais après écoute je n'en ai que plus de regrets.

Groupe d'origine lycéenne ayant connu changement de noms et de membres, Oscar et Bastien sont aux guitares et au vocal, Arthur Dubois à la basse et Neil à la batterie.

Self Control : saisi dès les premières notes, le son est bon, la guitare fuzze et l'urgence d'une voix déclenche l'avalanche, une batterie très AC / DC en complément vitaminé et un double comprimé chorique parsème le titre jusqu'à un solo cataleptique, la voix miaule et c'est parti pour l'attaque à la baïonnette. Méchamment bien foutu. Ils en rigolent. Get Stoned : en plus appuyé, un peu à la Titanic, plus près de toi mon dieu, oui mais là on ne se perd pas en patenôtres, ça balance terrible, des ritournelles incessantes de batterie et des échardes de guitares qui s'enfoncent profond, mais le meilleur c'est encore le vocal qui vous emporte au fond de l'enfer et qui se permet de minauder devant les fournaises du diable. Death Song : carrément un bon chanteur, l'a tout compris le gazier, alors z'ont intuité qu'il fallait l'enkister dans un coffre-fort blindé. Fricassées de batterie, émincés de guitares, saupoudrage de chœur, vous m'en direz des nouvelles. Welcome to the Morgue : trois bons titres, la maison ne fait pas de cadeau, vous en refile aussitôt un quatrième pour que vous compreniez qu'ici ce n'est pas de la daube en tube, vocal et guitares furax, la batterie qui vous emballe le tout à coups de pelles. Y a même un loup qui hurle et grogne au milieu de la sarabande. Un truc à vous faire réserver une place à la morgue. Un titre sans concession de cimetière pourtant. Revitaliseur. 8 O' Clock : la voix qui déchire en avant, la guitare qui jumpe et retombe en vous coupant les jambes comme si l'on vous passait à la guillotine par le mauvais bout, se foutent de votre gueule sur le refrain des nanalalère de cours de récréation qui vous monte la température au-dessus de la fonte de la banquise, la guitare vous en pique une colère homérique. Sûr que c'est l'heure fatidique. En tout cas ça vous tombe sur le coin du museau comme un étron de bonheur.

 

Superbe. Un gros défaut : trop court, manque sept ou huit morceaux, va falloir se mettre en quête de A Matter of Time. Ce ne saurait être qu'une question de temps.

Damie Chad.

 

LE VENT SE LEVE

CHAMBLAS RÊVEIL

 

Chamblas Rêveil : guitare, chant, harmonica / Florent Sepchat : accordéon, orgue, piano / François Collombon : percussions / Océane Halpert : choeurs, piano / Flora Chevalier : violoncelle, choeur / Mathieu Torsat : contrebasse, guitare / Yoann Loustalot : trompette.

Le CD était vendu, à prix libre, pour aider les personnes blessées par la police ( que tout le monde déteste ) lors des dernières manifestations à Tours, je l'ai pris quoique à mon avis je subodorasse – le fameux flair du rocker - plutôt un album style chanson française, ce qui n'est pas du tout ma tasse de thé adorée. Je l'ai quand même écouté, et ma fois j'ai été agréablement surpris, et puis peut-être que certains kr'tntreaders aimeront à penser qu'il y a un peu trop d'éborgnés en notre pays ces derniers mois.

Patrick Chamblas, alias Chamblas Rêveil, fait partie de cette génération d'artistes qui s'en viennent chez vous interpréter dans votre salon - dans lequel vous avez réunis amis et voisins - chansons, musique, pièces de théâtre, lectures diverses, une manière différente de rencontrer le public en des lieux intimes. Si vous n'allez pas à l'art, l'art viendra chez vous pour vous rentrer dans le lard !

Le vent se lève : chanson titre du CD, la plus courte et la moins originale. De larges alexandrins à la prosodie un tantinet relâchée, le genre de licences qui auraient conduit Théodore de Banville au suicide, mais l'est vrai que Chamblas Rêveil a ici plutôt visé la pompe hugolienne que les pirouettes de l'auteur des Odes Funambulesques. L'a toutefois une voix un peu trop fluette à la Angelo Branduardi, faudrait une symphonie vocale, nous offre une strette trop maigrelette. Le violoncelle qui ne bat pas de l'aile sauve le morceau. Rock'n'Flash-Ball : le seul morceau rock'n'roll du disque, un peu trop simili, pas vraiment cuir épais de rhinocérock qui fonce à la manière d'un bulldrockzer. Par contre niveau parole il assure grave méchant, vous lance les mots au flash-ball, l'écorne et l'éborgne les autorités fachisantes. Nous terminerons par ce prockverbe éclatant : ''au royaume des borgnes le CRS est roi''. J'm'en fous : intro très jazz, z'ensuite ça balance gentiment, le thème de la chanson est simpliste, tout va mal, ''il n'y a plus qu'au cimetière qu'on sera pépère'', l'auditeur s'en fout, l'a mieux à faire, depuis un moment l'a son oreille en alerte, c'est quoi, c'est qui, cet olybrius qui joue de la trompette, suit la mélodie sans trop forcer, mais quel toucher, quelle douceur, ce mec est à l'aise, Yoann Loustalot, c'est écrit sur la pochette, pris d'un doute j'ai cherché sur sur le net et j'ai trouvé, c'est bien lui, radio teuf-teuf allumée en route pour un concert et cette émission qui passait des morceaux en forme de... et cet extrait de Pièces en Forme de Flocons, en concert, nom de Zeus, cette frôleur, comme quand vous caressez la base des oreilles de votre chaton et qu'il en ronronne de bonheur, une féline béatitude. La lacrymo : retour à notre monde de brutes, soyons justes, le plus brutal c'est le Chamblas, tape dur, lance de véritables grenades de désencerclement, tire tous azimuts, le CRS de base, la hiérarchie cachée derrière les lambris, le populo qui regarde BFM, et une petite dernière pour Renaud qui embrasse les flics. Une écriture et un phrasé à la Maxime Forestier avec les cordes de la guitare qui chuintent, mais l'accordéon de Florent Sepchat se taille la part du lion. J'emmerde le peuple : tous coupables, tous responsables, que personne n'oublie que ce sont les travailleurs qui fabriquent les armes qui vous retombent sur la gueule, une rythmique guillerette, qui se termine en gospel bien balancé. Vous ferez une bise à Océane Halpert et Flora Chevalier, chantent en chœur et enrobent le morceau d'une tendre ironie, elles ne vous emmerdent pas, elles vous tuent direct à petits coups d'épingles empoisonnées. Tout sur rien : une longue comptine sautillante, les filles à la voix suave entrent dans la ronde, c'est mignon tout plein, un peu fleur-bleue contre la violence du monde, une ballade à la Paul Fort, entre nous, c'est ravissant, bien gentil, mais l'on n'y croit guère. Non-lieu : retour au dur constat de la réalité. Vous avez reçu une grenade sur la tempe, c'est la faute à personne, le petit Rémi n'aura pas le temps d'atteindre l'âge ou Parkinson l'aurait aidé à sucrer les fraisses... et tout continue comme avant. Entendez bien ! L'accordéon pleure tout ce qu'il faut. Ta gueule : une belle charge contre les adolescents modernes, ça balance joliment jazz, le père règle ses comptes avec son fiston, une belle occasion pour Yoann Loustalot dont la trompette attise les tisons, et puis le chanteur joue au scorpion, retourne le dard contre lui-même. Tous pareils ! Epoque de faux-semblants. Nous sommes tous des artifices ambulatoires. Songe : la chanson du rien du tout, ni aventurier, ni guerrier, ni amant, ni poète, juste une vaine brassée de songes sur lesquels l'on se bâtit ses propres mythifications auxquelles l'on est le premier à ne pas croire, ni national, ni international, juste ma petitesse, et l'accordéon mène la valse. Brel n'est pas loin. Je bêle avec les moutons : tiens, un harmonica qui traîne comme dans le premier 33 tours d'Antoine et les Problèmes. Titre d'auto-contrition souchonienne. Je ne fais pas mieux que les autres, pas pire, surtout pas meilleur, toutes les excuses sont bonnes pour suivre le troupeau.

Disque de colère en ses débuts qui tourne à l'auto-dérision. L'une n'exclut pas l'autre. La force de l'ennemi n'est que la résultante de nos faiblesses. Attention, si ce CD était une K7, l'on dirait qu'elle est auto-reverse, que l'auto-dérision n'exclut pas la rage.

Chanson française de son temps, sous les lacrymogènes.

Damie Chad.