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09/10/2019

KR'TNT ! 433 : GINGER BAKER / WAYNE KRAMER / WEIRD BRAINZ / TIGERLEECH / MISSILES OF OCTOBER / CRITTERS / VOLK / LONG CHRIS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 433

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

10 / 10 / 2019

 

GINGER BAKER / WAYNE KRAMER

WEIRD BRAINZ / TIGERLEECH

MISSILES OF OCTOBER / CRITTERS

VOLK / LONG CHRIS

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Stup Baker - Part Two

 

Adieu Ginger Baker. Content d’avoir fait tout ce bout de chemin avec toi. Merci pour Cream et tous les autres grands disques. Merci pour la démesure et les drogues, pour le panache et les ruades. Qui est mieux placée que Nettie Baker pour lui rendre hommage ? Personne. Elle vient justement de consacrer un recueil de souvenirs à son père : Tales Of A Rock Star’s Daughter. Avec ce titre, on sait où on met les pied. L’ouvrage tombe à pic.

Pour Nettie, c’est facile d’écrire un livre. Son père a défrayé la chronique pendant cinquante ans. Dans un Part One, on chantait les louanges de Ginger Baker, ce crazy cat auréolé de cheveux rouges. C’est à présent le tour de sa fille d’ajouter un chapitre à la geste du preux prince des batteurs junkoïdes britanniques, une lignée qui remonte à Phil Seaman, jazzman amateur de rythmes africains.

Mais cette chipie de Nettie aurait tendance à profiter du renom de son père pour parler d’elle et de ses aventures adolescentes. Si on attend de ce livre qu’il fourmille de détails sur la vie quotidienne de Ginger Baker, il faut le remettre tout de suite à sa place dans l’étagère du libraire. Nettie n’évoque son père que de temps en temps, juste pour nous rappeler qu’il est réellement le crazy hellraiser que l’on sait.

Elle écrit dans un style très enroulé, très commère du quartier, assez franc du collier, une sorte de faconde teintée de ce brillant humour trash qui ne peut être que génétique. Comme tous les ados qui grandissent dans des milieux musicaux, elle se forge sa propre identité musicale. Elle va plus sur Elton John que sur Cream, qui pour elle est le son de ses parents. Elle ramène par exemple chez elle des albums de Neil Young. Son père qui entend ça dit que poor Neil Young sound pathetic and weedy, une formulation qu’on pourrait traduire par ‘branleur pathétique’. C’est vrai que c’est l’époque chèvre de Neil Young et Ginger avait d’autres chats à fouetter. Quand Nettie a des problèmes à l’école, Dad vient trouver la Headmistress pour la traiter de frustrated old lesbian. Nettie livre tout de même quelques anecdotes assez croustillantes, comme ce retour au bercail après une party un peu trop alcoolisée : en arrivant, Dad encastre sa Jensen dans la Range Rover garée devant la maison. Il ne fait jamais les choses à moitié. Il bousille deux bagnoles d’un coup. En réalité, Ginger Baker possède deux Jensen, il adore bombarder sur la route, flashing along at high speed. Il passe son temps à doubler ce qu’il appelle the ‘worms’, c’est-à-dire les files de bagnoles qui n’avancent pas. Nettie adore tout ce qu’adore son père : la vitesse, la boisson et le chaos.

Pendant des vacances au Maroc en 1970, un riche marchand de Marrakech caresse les cheveux de Nettie et propose 600 chameaux à Ginger pour l’épouser, mais le batteur de Cream répond que ce n’est pas possible, car son jardin n’est pas assez grand pour contenir 600 chameaux. Par contre, il aurait certainement accepté 600 chevaux, car c’est avec sa passion pour le polo qu’il va ruiner la famille Baker. Et quand plus tard, Nettie vit avec un mec qu’elle appelle the Bell (la cloche), et qu’elle hésite à s’inscrire à l’aide publique (the dole), son père se met en pétard : «J’ai payé plus d’impôts que la plupart des gens en payent dans toute une vie, alors inscris-toi et récupère une partie de ce blé !»

Ado, Nettie traîne dans un pub appelé The Towers of Flanagans. Elle s’amourache d’un nommé Johnny Gale qui porte du kohl autour des yeux, ce qui, à l’époque est encore extrêmement osé. C’est la finesse de certaines observations qui peut rendre ce récit passionnant. Nettie explique qu’on commence à voir des gens maquillés à Top of the Pops, the Sweet, en l’occurrence, mais c’est la télé. Dans la rue, c’est très perturbant. Elle parle d’un disturbingly androgynous effect. Elle cite aussi Roy Wood, Bowie et Marc Bolan, bien sûr, mais elle explique que ces maquillages les faisaient rire, elle ses copines, ‘nerveusement’. Elle cite aussi Rob Davis de Mud qui portait des boules de sapin de Noël accrochées aux oreilles. Pourquoi elle ses copines riaient-elles nerveusement ? Tout bêtement parce qu’elle ne comprenaient ce que cet androgynous effect pouvait signifier.

Elle évoque aussi certaines de ces grandes fêtes auxquelles sa famille était conviée, notamment chez Clapton qui vivait alors avec l’ex de George Harrison, Pattie Boyd. Parmi les invités se trouvaient aussi Harrison et sa girlfriend, mais encore d’autres gens comme Elton John, Paul McCartney, Jeff Beck, Ringo Starr. Elle voit Jagger et le trouve sexy. Elle boit du Bacardi and coke. Ses parents la laissent tranquille. Elle a le droit de picoler tout ce qu’elle veut. Elle voit aussi la dope circuler, mais elle précise que c’est toujours in a clean and moneyed environment, quasiment au grand jour. Privilège aristocratique.

Elle en déduit toutefois que la sainte trinité dope/infidélité/problèmes financiers a fini par avoir la peau du mariage de ses parents. Elle sait que son père prend de l’héro depuis qu’elle est née, mais c’est à l’adolescence qu’elle peut mesurer les dégâts que la dope opèrent sur Dad. Il l’emmène souvent manger au restau et il lui arrive de s’écrouler la gueule dans son assiette - He had nodded off into his soup and this was the very least embarrassing if nothing else - Elle trouve la situation ‘pour le moins’ embarrassante. Nettie raconte aussi que son père a toujours eu des poules à droite et à gauche, mais elle n’y voyait rien de mal. Ce qui n’était pas le cas de sa mère. Nettie a toujours vu ses parents se battre, s’envoyer des coups dans la gueule, avec une violence terrible. Un jour, elle voit son père sortir du sac sa tenue de polo et sur toute la hauteur du pantalon blanc est écrit le mot ‘CUNT’, c’est-à-dire gros con. Un jour, alors qu’ils sont tous les trois - le père, la mère et la fille - à bord de la silver Jensen en route pour une party, ils tombent en panne. Sa mère commence à gueuler : «Cette bagnole, c’est n’importe quoi ! Tu savais bien qu’elle déconnait !» et Ginger lui répond : «Shut the fuck up - Ferme ta gueule, you silly old bag or I’m going to kill you !»

Les parents finissent par divorcer. Ginger Baker quitte sa femme et ses enfants pour vivre avec une gonzesse âgée de vingt ans que Nettie appelle ‘Number Two’. Nettie a un petit frère et une petite sœur et bien sûr leur mère interdit formellement à Ginger et à Number Two de les approcher. Mais Nettie les amène en cachette à son père, jusqu’au moment où sa mère l’apprend. Alors elle devient folle, débarque chez Ginger et saute sur Number Two pour l’étrangler. Ginger la décroche du cou de Number Two et la frappe. Résultat : deux côtes cassées. Quand Nettie appelle la police pour demander du secours, le flicard lui répond : «We don’t deal with domestics.»

Comme une grande majorité d’ados britanniques, Nettie flirte avec les drogues. Elle en parle plutôt bien, avec une sorte de petite gouaille charmante. Dans une party, on lui tend une bouteille d’Amyl Nitrate. «Snif it hard», lui dit-on. Elle sniffe hard and my head flew off into outer space and I nearly had a heart attack (sa tête s’envole dans l’espace et elle frise la crise cardiaque). Plan classique. Ça amuse beaucoup ses copains. Un jour, Ginger récupère some extremely strong Nigerian grass, une herbe nigérienne particulièrement forte et Number Two en fait des cookies. Au bout de dix minutes, toute la famille devient complètement cinglée - We all became gigling maniacs after about ten minutes - Ginger sent qu’il faut calmer le jeu et il s’installe avec Number Two à Denham. L’idée est de s’éloigner un peu du circuit londonien des drogues. Ils font le choix d’un mode de vie au calme. Ginger débarque un jour dans la ferme voisine pour acheter des œufs et il tombe sur un hippie, qui est le fils du fermier : «Hello Ginger, fancy a toot ?» Il faut savoir qu’un toot est un snort d’héro. En fait, Ginger est tombé par inadvertance sur le plus gros trafiquant local d’héro - a veritable hive of smack heads.

Dad finit par quitter l’Angleterre pour s’installer en Italie avec Number Two. Trop de problèmes, notamment avec le service des impôts britannique. Ginger Baker est ruiné. Il se fâche avec tout le monde, y compris Nettie qui reçoit une lettre contenant une pièce de cinq Lires, lettre dans laquelle il lui annonce qu’il la déshérite et qu’elle ferait mieux de retourner sous la pierre d’où elle est sortie. Ginger va ignorer sa fille pendant une éternité, ce qui, nous dit Nettie, lui permet de souffler un peu.

Signé : Cazengler, Ginger Barquette

Ginger Baker. Disparu le 6 octobre 2019

Nettie Baker. Tales Of A Rock Star’s Daughter. Wymer Publishing 2018

 

Kramer tune - Part Two

N’allez pas croire qu’après nous avoir servi la fulgurante triplette d’albums du MC5, Brother Wayne allait baisser les bras. Oh que non ! Très exactement vingt ans après High Time, il allait revenir aux affaires, soutenu par Mick Farren et Don Was, avec un album étonnant intitulé Death Tongue. Il y tape une cover de «McArthur Park» digne de Syd Barrett et riffée à la Steve Jones. Il va chercher le recipe alors que le Park is melting in the dark et quand il explose ses again, ça devient très spectaculaire. Il en fait une version littéralement punkoïde et son génie se déploie lorsqu’il part en solo et que s’ouvrent les portes de l’enfer. Cette barbarie suprême en rappelle une autre, celle des Saints qui envoyèrent «River Deep Mountain High» rouler par mots et par vaux. Pendant ces quelques minutes, Brother Wayne redevient le roi du monde. Dans le morceau titre, Mick Farren ramone l’ambiance à coups de strange sensations in the danger zone et avec «Leather Skull» Brother Wayne donne sa version metallic KO du funk-rock. Il cherche des voies impénétrables pendant qu’une fille duette avec lui. Par contre, «Take Your Clothes Off» sonne comme de la pop de juke, mais avec beaucoup de swagger et des excavations de son qui évoquent le Spector Sound. S’il joue «Spike Heels», c’est à l’alerte rouge. Brother Wayne fouette sa crème au beurre dans le cake de Don Was.

Avec The Hard Stuff, Brother Wayne entre dans sa grosse période Epitaph, qu’on peut qualifier de Renaissance et même de temps des Lumières. Au moins quatre énormités là-dedans, à commencer par «Crack In The Universe». Le génie électrique de Brother Wayne s’y exprime dès les premières mesures. Non seulement il riffe comme un bâtisseur d’empire, mais il glisse en plus des tortillettes dignes de Michel-Ange. Il allie le muscle à l’ingéniosité. Aplomb d’acier. Voilà le véritable hit de the universe. Les coups d’harmo pleuvent sur le refrain. On le voit même prendre un solo de crabe à reculons. Il devient spécifique, il ne semble vivre que pour l’exaction. Suite du festin avec «Bad Seed», joué au pur maximalisme. Brother Wayne ne mégote pas sur la marchandise. Tu en as pour ton argent. Il devient même le riffeur le plus rapide de l’Ouest, il file comme l’éclair, descend des pentes vertigineuses et glisse un solo en douce sous le tapis, histoire de foutre le feu à la baraque. Le diable qui joue de la basse s’appelle Bradbury. Troisième coup de Jarnac avec «Realm Of Pirate Kings», pas loin d’All Along The Watchtower. Brother Wayne gratte ça aux mêmes accords et part en solax furax. Il chante sa soif de liberté et charge la barque à outrance. La quatrième raison de se réjouir s’appelle «Edge Of The Switchblade», un cut enflammé amené au riff de Motor City. C’est encore du grand Kramer, ses riffs rebondissent, c’est battu hard stuff. Son solo dégouline de mauvais jus. Il glougloute, il fait la pluie et le beau temps. Ce mec offre une sorte de spectacle, rien qu’en jouant. Il faut aussi l’entendre partir en solo dans «Pillar And Fire». Il est né pour ça. Il noie tout dans le son et s’y fore des passages. Encore de l’ultra-joué avec «Sharkskin Suit», descendu au riff malsain et battu sans remords. On a parfois l’impression qu’il joue tous les riffs du monde. Il tape «Poison» au heavy blues rock de Motor City. C’est tellement solide que ça rend les mots inutiles. Et cet enfoiré part en vrille à la première occasion. Si on aime la guitare électrique, c’est là que ça se passe.

Nouveau shoot de Detroit rock dans Dangerous Madness, et ce, dès le morceau titre. Brock Avery bat ça sec. Dès qu’il peut, Brother Wayne repart en vrille opiniâtre et lance des ponts somptueux. Tout aussi explosif, voilà un «Take Exit 97» qui gicle littéralement, c’est dégueulasse, tellement sexuel et pulsif as hell. Il passe d’un style à l’autre avec une aisance déconcertante, car après le heavy wah-wah riffing d’«It’s Never Enough», il part à l’aventure avec «Threats Of Illusion», mais au maximalus cubitus, rapide comme un requin blanc. Le hit de l’album s’appelle «Something Broken In The Promised Land», un balladif politique dans lequel Brother Wayne règle ses comptes avec le rêve américain - And Chuck Berry lied about the promised land - Il ramène pour l’occasion des chœurs explosifs.

Si on apprécie les coups de génie kramériens, alors il faut écouter Citizen Wayne. On en trouve trois, à commencer par «Stranger In The House». Brother Wayne attaque ça au pilon des forges. C’est révélateur d’un certain état d’esprit. Il profite de l’occasion pour nous rappeler qu’il est l’un des rois de la wah. Le deuxième s’appelle «Down On The Ground». Pur jus de MC5. Brother Wayne peut encore exploser le fion du rock quand il veut, il sort des tortillettes qui ravalent la façade des annales - I play my guitar/ And the beat comes down/ On a beautiful cosmic siren sound/ No one’s laughing there is no joy/ Down here on the ground - Il fait aussi du rap blanc dans «Back When Dogs Could Talk» et du funk avec «Dope For Democracy». Il tente de conjurer les sorts et joue à la circonvolution. En l’écoutant, on a l’impression de vivre un moment historique. Autre hit pharaonique : «Snatched Defeat». Brother Wayne raconte l’épouvantable débâcle de Gang War - While I was looking for life/ Trouble was looking for me - Il fait équipe avec Captain Jolly, Milky and Junkie the laughing clown. Et soudain, éclate l’un des plus beaux refrains de l’histoire du rock - We snatched defreat from the jaws of victory/ With holes in our arms for the whole wide world to see/ And the scandals would never end/ As the candle was burning at both ends - Huitième merveille du monde, car vécu jusqu’à la dernière goutte de son. Il raconte l’épisode du vol de la caisse du club où Gang War devait jouer et comme il était en liberté surveillée, il ne pouvait pas se permettre de repasser devant un juge pour vol - The last thing I needed/ Was a petty thieving case/ My whole life flashed before my eyes/ As I tried to flee that place. Sans doute est-ce là le cut qu’il faut retenir de la période solo du grand Wayne Kramer. Au moins aussi mythique que «Motor City’s Burning».

L’album live LLMF paraît en 1998 et rassemble tous les gros hits des trois premiers albums, avec bien sûr, «Kick Out The Jams» en guise de cerise sur le gâteau. Live, des cuts comme «Bad Seed» ou «Crack Of The Universe» arrachent les chambranles. Brother Wayne multiplie les prouesses et part volontiers en solo. Dans cette orgie de riffs, on trinque à la santé de Sénèque. Très belle version de «Something Broken In The Promised Land». Brother Wyane gratte son pathos miraculeux aux accords rougeoyants. Il joue avec aménité, en vrai petit soldat du rock. Il cocote et il chatoie. Mais comment fait-il pour chatoyer autant ? On se posera encore la question dans deux mille ans. Il part en solo smooth et la transition se fait en douceur - And the shit is real here/ In the promised land/ And Chuck Berry lied ‘bout the promised land - Il chatoie jusqu’au bout des ongles. Il multiplie les retours de manivelle dans «Down On The Ground» et se montre encore plus démonstratif dans «Poison». Il descend les escaliers en roulant. Il se prend pour une boule de feu. Mais c’est bien sûr avec Kick Out qu’il bat tous les records d’explosivité. Il sort une version encore plus explosive qu’au temps béni du Grande Ballroom, comme si c’était possible. Cette façon qu’il a d’attraper le train au vol !

Invité à venir jouer à Londres en 1979 par Mick Farren, Brother Wayne donne un concert devenu légendaire au Dingwalls. Les Pink Fairies l’accompagnent, et on peut entendre tout ça sur l’A de Cocaine Blues, paru en l’an 2000. Deux versions sautent à la gueule, le «Heavy Music» de Bob Seger et bien sûr l’inévitable «Kick Out The Jams». Brother Wayne fout littéralement le feu à Bob. Entre Detroiters, c’est de bonne guerre, pas vrai ? Cette façon qu’il a d’enflammer le son est unique au monde - Down there/ We don’t talk/ We do the camel walk - Et son Kick Out est au moins aussi inflammatoire que l’original enregistré au Grande Ballroom. Brother Wayne le passe à la moulinette imputrescible, le riff sonne comme le souffle d’un gigantesque incendie et le départ en solo bat tous les records olympiques. En B se trouvent des démos de type «The Harder They Come» ou «Do You Love Me». Ça se termine avec le fameux «Ramblin’ Rose» qu’il prend à la hurlette exacerbée - Diamond rings & a Cadillac car - Puis Brother Wayne s’en va glou-glouter goulûment - I wanna fuck you darling - On trouve quelques cuts en plus sur le Live At Dingwalls 1979 paru la même année, comme cette belle reprise de «Some Kind Of Wonderful» de Goffin & King : accouplement parfait entre the London Underground & the Detroit Scene. Très bel hommage à Chickah Chuck avec «Back In The USA» et pour finir, Brother Wayne déclare : «I used to play in a band called the MC5.» Looking at you babe ! Pure démence ! On est au sommet du rock blanc. Il joue son solo légendaire - Doin’ alrite/ Doin’ alrite - et il part à la chasse. Il n’existe rien de plus mythique que cette version jouée à la vie à la mort- And remember, my name is Peter Frampton, and I will be back !

Fin de l’épisode Epitaph. Brother Wayne enregistre désormais sur son label MuscleTone et Adult World parait en 2002. Il maintient sa tradition de cuts très écrits avec l’excellent «Great Big Amp» qui en fait est une bombe atomique - I got a great big amp/ It’s got a great big sound - Avec son gros ampli, il rêve de ruler the world et de winner the girls - With my great big amp/ I will liquify/ And I will melt away/ And I will touch the sky/ I’ll be free at last/ I will rise above/ I will know the peace/ And find eternal love/ With my great big amp - Il atteint le cœur du mythe rock, l’ange déchu renaît dans la lumière, il a tout le son du monde, I’ll be alone, ça sonne comme la voix de Dieu. C’est un hit incommensurable, l’un des plus spectaculaires de l’histoire du rock, tous mots bien pesés. Avec «The Red Arrow», Brother Wayne devient fou. Il rend hommage à Red Rodney, un trompettiste de jazz qu’il a rencontré pendant qu’il était au trou à Lexington. C’est explosé d’intro. Il nous fait le coup du couplet calme, the red arrow could play anything, avant de basculer dans la folie kramerienne. L’explosion échappe à l’entendement. Brother Wayne est l’un des seuls à pouvoir générer un tel chaos - The Red Arrow’s blowing be-bop from New York to LA - et ça explose, mais il ne s’agit pas de n’importe quelle explosion, c’est un phénomène sous-cutané d’excellence mortifico-hendrixienne. Il va loin au-delà des frontières du réel. Wayne Kramer a du génie et le déluge de son continue jusqu’à la fin, et là, tu n’as plus que tes yeux pour pleurer - And to me he was a father/ A giant of a man - Quel hommage ! On a aussi du pur jus d’Hellacopters avec «Talkin’ Outta School» et du talking jive avec «Nelson Algreen Stepped By». Brother Wayne en profite pour passer au groove de jazz, solide mélange d’accords secrets et de rap de Detroit. Il renoue avec les énergies ancestrales, Dizzy Gillespie, Down here on the ground et il rend hommage au Castor - She’s a whore/ She’s not Simone de Beauvoir - Tout est extrêmement inspiré sur cet album inespéré. L’un des sommets du rock américain.

On voyait assez régulièrement Wayne Kramer à une époque à Paris. En 2004, il proposait une espèce de reformation du MC5, le DTK MC5, à l’Élysée Montmartre : les survivors Michael Davis et Dennis Thompson l’accompagnaient, avec en plus Mark Arm au chant et Lisa Kekaula en renfort. En novembre dernier, il revenait avec une autre équipe pour fêter les 50 ans de cet album qui a marqué tellement de gens, Kick Out The Jams, enregistré live en 1968 au Grande Ballroom de Detroit. On pourrait reprocher à Brother Wayne de vouloir encore monter sur scène après avoir passé l’âge. Soixante-dix balais, c’est un peu limite, non ? Seulement, Wayne Kramer sort vraiment de l’ordinaire. Il ne fait pas ses soixante-dix balais. Dans son cas, on peut dire que le rock et la dope conservent bien. C’est même un bonheur que de le voir sautiller sur scène. En claquant simplement un accord, il balaye toutes les critiques. Rien qu’en apparaissant, il affirme sa légitimité. Il est tout bêtement entré dans la légende et on est vraiment content qu’il soit encore en vie et qu’il vienne pousser sa vieille hurlette de «Ramblin’ Rose», même si sa voix a muté. Alors bien sûr, le son du groupe qui l’accompagne peut poser un problème. La section rythmique sonne un peu hardcore, ces deux mecs viennent d’une autre scène (Fugazi et Faith No More) et le mec qui remplace Fred Sonic Smith sort de Soundgarden. Ce n’est pas la même chose. L’ancrage dans le son du MC5 va se faire via l’afro de Marcus Durant qui fut on s’en souvient l’excellent frontman de Zen Guerilla, l’un des fleurons du revival garage des années quatre-vingt dix. Pour fêter dignement cet anniversaire, Brother Wayne entreprend de jouer sur scène l’intégralité de l’album paru en 1969, et comme c’est un peu court, il complète avec des petits blasters tirés des deux albums suivants, du style «Call Me Animal» et «Looking At You». Inutile de dire qu’on en a pour son argent. Même si on connaît tout ça par cœur, l’émotion se fond dans l’osmose de la comatose. On a pu remarquer au fil des ans que le petit jeu des reformations ressemble à une loterie. Celle des Pistols nous fit bien rigoler, celle des Stooges en fit bander plus d’un et celle du MC5 méritait bien son coup de chapeau, encore fallait-il en porter un.

Grâce au recul que donne le privilège d’avoir découvert le MC5 en 1969, l’apparition de Wayne Kramer sur scène provoque un sentiment étrange. Disons qu’on voit se tourner une page d’histoire. Pas n’importe quelle histoire, celle d’un certain rock. En 1969, Wayne Kramer annonçait l’avènement d’un son apocalyptique qu’on allait surnommer le Detroit Sound. Il en fête à présent les 50 ans et l’intronise, en quelque sorte, dans une espèce de Hall of Flammes illusoire. Tout se déroule dans sa tête et dans la nôtre. On espère seulement qu’il réussira à mourir sur scène comme le fit son meilleur ami, Mick Farren. Tout ça sent bon la fin des haricots et ce sont des haricots qui sentent bon.

Signé : Cazengler, Wayne Kramerde

MC50. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 14 novembre 2018

Wayne Kramer. Death Tongue. Progressive International 1991

Wayne Kramer. The Hard Stuff. Epitaph 1995

Wayne Kramer. Dangerous Madness. Epitaph 1996

Wayne Kramer. Citizen Wayne. Epitaph 1997

Wayne Kramer. LLMF. Epitaph 1998

Wayne Kramer & The Pink Fairies. Cocaine Blues. Captain Trip Records 2000

Wayne Kramer. Live At Dingwalls 1979. Captain Trip Records 2000

Wayne Kramer. Adult World. MuscleTone Records 2002

O4 / 10 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

WEIRD BRAINZ / TIGERLLECH

L'on raconte que les filles ont parfois, vers deux heures du matin, des envies subites de fraises. On les excuse, parce qu'elles sont alors en des états que l'on dits intéressants. Moi ça m'a pris à 17 heures trente, dans une situation aussi innocente, je le jure, que la Sainte Vierge avant que le Saint-Esprit ne s'introduisît en elle. Non je n'ai eu envie ni de tagadas, ni de naturels tubercules roses estampillés bio, normal je suis un mec, me faut des émotions plus fortes, la dégustation des fragaria je laisse cela aux gamines, non simplement le subit et subtil besoin viril de caresser un tigre. Au zoo de Vincennes, ils ont décrété que j'étais toqué, c'est alors que je me suis souvenu que justement à la Comedia passait Tigerleech, je n'ignore pas que cela signifie la sangsue du tigre, mais j'ai pensé que la sangsue du tigre devait se trouver normalement sur le tigre.

Arrivé à la Comedia, j'ai eu comme un doute, certes le tigre et sa sangsue étaient en train de faire leur balance, mais ce que j'entendais n'avait rien à voir avec la marche souple et féline du tigre royal du Bengale, capable de se couler au travers d'une forêt de bambous aussi serrés qu'un plant de persil, sans faire bouger une seule feuille. J'avais imaginé une musique svelte et légère, un peu folâtre comme le générique de la pink panther, mais non là, j'avais l'impression d'un lourd troupeau d'éléphants piétinants les récoltes du village d'indigènes promis à une future famine. Caresser le tigre serait-il une tâche moins facile que je ne le supposasse ? Je me suis promis d'attendre sagement leur set avant de réaliser mon projet et en attendant me suis préparé à écouter Weird Brainz.

WEIRD BRAINZ

Sont jeunes et pleins d'avenir. Sofiane Omari, un garçon qui porte, sous ses cheveux en coupe afro-dreads, un T-shirt sur lequel Johnny Cash tend à nos figures de trous du cul son énorme doigt d'honneur, ne peut pas être entièrement mauvais, il nous en administre tout de suite la preuve en caressant sauvagement sa guitare sur l'ampli pour trois minutes de tonitruances bienvenues, il est évident que Weird Brainz entend livrer nos tristes méninges à un traitement de faveur, rien de tel qu'un bon électrochoc pour vous remettre les idées à l'envers, sans doute le meilleur moyen de porter un regard osmosique en accord avec notre monde avarié. Nous pouvons immédiatement apporter la preuve de ce dérèglement, ce soir Weird Brainz devait nous offrir tout chaud, tout brûlant, son premier EP, hélas les délais de livraison ne l'ont pas permis. Dommage, ce n'est que realease party remise, et en lot de consolation nous avons le groupe en chair bruiteuse et en os grondants devant nous. Léo, un air furieusement appliqué, penché sur sa batterie tel un élève sur sa version latine – n'a rejoint ce poste que depuis quatre jours - jette toute sa hargne sur la batterie qu'il maltraite fort joliment. A la basse officie Martin Musy, un grand gars, un faux-calme, genre de guy à la mine innocente qui vous jette un bidon d'essence sur le camion des pompiers en train de tenter d'éteindre un incendie de forêt dévastateur qu'il a précédemment allumé. Pour compléter le tableau, nous rajouterons que Sofiane possède une belle voix, avec ce grain granuleux qui fait toute la différence, et qui vous gratouille agréablement le cortex. L'en profite pour nous interpeller Hey You, et nous intimer l'ordre de nous remuer, Jerk Yourself. Rien de tel que la jeunesse pour vous filer un coup de pied sur votre auguste le postérieur. Sofiane ne ménage ni sa peine ni sa guitare. La pauvre enfant en a les plats-bords tout écorchés, pas besoin de vous faire un dessin, la jette violemment sur l'ampli, l'envoie par terre, où il la laisse vagir désespérément tel une baleine bistre échouée sur une plage inhospitalière, tourne les boutons de ses delays avec une minutie sadique la reprend pour vous écorcher de quelques riffs ninjas qu'à l'instant Martin soutient sans faille et le long manche de sa basse dépasse de la scène comme l'encolure de ces chevaux qui tentent de s'enfuir du camion qui les conduit à l'abattoir. Sur ce Léo se voûte sur les drums pour les taper encore plus fort, manière d'emmener sa quote-part au tumulte ambiant. Vous pouvez respirer entre les morceaux, car Sofiane se doit de réaccorder son instrument à chaque fois, avec cette sollicitude d'un père de famille qui offre un carambar à son enfant qu'il vient de défenestrer du troisième étage pour lui apprendre que la vie n'est pas facile et qu'il faut s'endurcir. Puis il nous fait le coup, qui marche toujours, de l'annonce du slow, immédiatement suivi d'une avalanche sonore sans précédent. Guilty, Diprozone, Energizer, Bloody Molly déboulent et se ressemblent à la manière de ces taureaux furieux qui lâchés dans l'arène vous encornent fort salement les toreros sur les planches et vous les laissent palpitants dans leur habit de lumière éteinte à la manière de ces papillons épinglés sur leur planchette qui agitent spasmodiquement une dernière fois leurs ailes diaprées de souffrance et de mort. Le pire c'est que le public de la Comedia apprécie hautement ces outrances sonores. Des connaisseurs enthousiastes qui jerkent sans rémission et se tamponnent allègrement, se livrant à un brainztorming des plus jubilatoires. Finissent par deux coups d'éclats un Ghost Town à vous faire frémir d'horreur et un kicked out apocalyptique où la guitare de Sofiane abandonnée à son triste sort agonise sans fin sur les lattes de la scène, l'est sûr que ces jeunes gens ont toutes les qualités requises pour dans les années qui viennent alimenter notre provision de cauchemar tentaculaires.

TIGERLEECH

Le tigre nous a sautés dessus dès la première seconde, personne n'a eu le temps de tenter de le caresser, l'a commencé par nous balafrer d'une méchante escarre à l'image de l'écriture escarpée de son nom, puis il a déchiré notre cervelle en petits morceaux et les a jetés dans la poubelle comme de vulgaires confettis. Des sauvages. Sont comme les quatre pattes du tigre, il n'y en pas une qui puisse sortir ses griffes, toute seule dans son coin. Sont salement coordonnées. Toutes ensemble. Tâchons toutefois d'y voir un peu plus clair. Vous entrent sans férir dans le lard et c'est difficile de distinguer qui fait quoi. Commençons par Sheby, il est au chant, enfin plutôt aux chiens, la meute entière, avez-vous déjà entendu une cinquantaine de hound dogs sur les jarrets d'un pauvre cerf, certes c'est cruel, mais quelle musique délicieuse, vous êtes dans une quadriphonie de jappements infinie, aucun sorcier du son n'est parvenu à traduire cette onctuosité de cruauté ensauvagée dans aucun de leurs enregistrements, et ça n'en finit pas jusqu'à la fin, Sheby l'est comme cela, une voix féroce, le gars vous attrape le vocal et y plante ses crocs dedans, n'en démordra plus, on ne l'arrête plus. L'a toujours un grondement de fin du monde à ajouter, tire sur ses cordes vocales comme sur les chaînes d'un puits sans fond, ramenant à chaque traction un seau d'or liquide en fusion qu'il vous crache à la gueule sans plus de façon. L'a une excuse. Derrière lui Olivier est partie pour une chevauchée fantastique sur sa batterie. Le même fonctionnement de base, 1 : je tape sans arrêt, 2 : je n'arrête jamais, de la folie brute, les bras qui tournent en ailes de moulins affrontés à une tornade. Don Quichotte peut aller se rhabiller, ici les géants sont les branches d'Olivier.

Cabor est à la basse. La confond certainement avec un baril de pétrole, l'en extrait une espèce de matière noire, une gluance noirâtre sans nom qui s'infiltre partout, à la vitesse de la marée du Mont Saint Michel, inutile de courir, elle vous submerge et vous oléagine en moins de deux, flexible comme un mamba noir, et tordue comme des pattes de mygales empoisonnées. Faite attention ça rampe par terre et puis ça vous ligote sans que vous ayez eu le temps de crier.

Vous étiez trop occupés à vous régaler des riffs nitroglycérites de Fabien. Fabien fait mal. L'a la guitare qui grogne et fuzze, vous creuse des galeries dans le magma granitique vomi par ses camarades, l'est la taupe dinosaure qui remonte à la surface de la terre pour procéder à l'extinction finale de sa propre espèce.

Ce qu'il y a de terrible avec Tigerleech, c'est qu'ils font pour ainsi dire leurs coups en douce. Pas un pour jouer plus fort que l'autre, mais vous êtes emportés dans un torrent sonologique dragonesque. Une machine à tuer. Un moteur d'une puissance prodigieuse, pas une ratée, pas un temps mort, pas une reprise asthmatique, pas un seul cafouillement malencontreux, un bulldozer lancé à toute vitesse qui vous aplanit les pus gros rochers avec la même facilité que l'éponge que vous passez sur la nappe cirée pour retirer les miettes. Vous alignent les titres comme des ogives nucléaires, et vous les font exploser à l'intérieur In my vein, Sexe dur, Burn Inside, ou au dehors Sandstorm, Acid Gang, Decline, vous font vivre une Experience que vous n'oublierez pas. Stoner hardcore, qu'ils disent, s'ils veulent pourquoi pas, ce qui est important c'est cet étrange délire collectif qu'ils sécrètent et qui s'empare de vous, vous enferme dans une bulle qui possède une dimension quasi-mystique par laquelle ils vous hypnotisent pour que vous puissiez libérer vos refoulement culturels et venir avec eux dans une Jungle Punk en folie jodorowskienne. Je préfère ne pas vous décrire l'état de l'assistance, en transe décalquée d'elle-même. Lorsqu'ils ont fini, l'on redemande une petite faveur. Nous font deux minutes un truc rapide, une queue de comète et puis arrêtent tout. Ils ont raison, ils ont déjà tout donné et l'on a déjà tout pris. Ils sont le tigre et nous la sangsue.

Damie Chad.

 

O4 / 10 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

MISSILES OF OCTOBER / CRITTERS

C'est bête mais l'on retourne toujours à la Comedia dès que l''envie vous prend d'écouter de la musique un peu sauvage. Et puis nous qui avons tant aimé The December's Children des Rolling Stones pourquoi ne pas essayer, puisque moi j'aime l'émoi des mois, les Missiles of October, un nom qui équivaut à une douce promesse de menace, et de toutes les manière après il y a les Critters, donc fouette Teuf Teuf et c'est reparti, car contrairement à ce que conseille les Evangiles, à la bonne herbe les rockers préfèrent l'ivresse de l'ivraie givrée.

WHO'll STOP THE RAIN

Je ne sais pas si vous l'avez remarqué mais depuis quelques temps il pleut de plus en plus de missiles sur notre terre. Je ne parle pas ici des scuds que sont les disques de Missiles of October, mais des vrais qui s'abattent en rafales sur des pays pas très éloignés du nôtre, de l'autre côté de la Méditerranée en Syrie, par exemple. Les mauvais esprits n'en finissent pas de maugréer, Premièrement affirment-ils ces bestioles ont la mauvaise habitude de viser principalement les civils, les enfants, les hôpitaux. Quelle terrible malchance ! Deuxièmement, vu le prix exorbitant de ces engins l'on pourrait à leur place construire des dispensaires, des écoles, des universités et des Comedia un peu partout pour que les gens vivent mieux. Dans les années soixante, nos glorieuses sixties, le rock s'élevait bruyamment contre la guerre au Vietnam, aujourd'hui c'est moins évident, l'état du monde a empiré, mais le rock parle moins fort aux oreilles de nos concitoyens. Peut-être parce qu'il ne crie pas assez fort. Heureusement ce soir nous avons les Missiles Of October.

MISSILES OF OCTOBER

Avalanche bruitiste. Comment trois gars à eux seuls peuvent-ils déclencher un tel armagueddon sonore. Et surtout avec cette précision instrumentale. Pouvez suivre à l'oreille le moindre déplacement d'un doigt sur une corde, avec cette netteté du chant de l'alouette dans le radieux silence d'une aube nouvelle. Ils possèdent le sens de l'humour noir, commencent par Do you hear that noise ? Évidemment vous êtes submergé par le déluge sonore, mais il n'est de pires sourds que ceux qui ne veulent pas voir que cette musique n'est que le reflet de notre monde. Bob Seytor est au rotor. Terrible force de frappe. Les bras tourmentent la vitesse de Sleipnir la monture à huit pattes folles d'Odin qui vous emporte sur les terres brumeuses de Hel, la patrie des morts. Avec cette légère différence, que de nos jours l'enfer a pris résidence sur la terre. Bob nous distribue un fameux be-bob, nous martèle les drums dans le crâne, nous entatoue la peau à l'encre indélébile. Rouge sang giclant et noir de mort. De part et d'autre Lionel Beyet à la basse, et Mathias Salas à la lead. De véritables statues hurlantes. Pas de chant. Ils crient, ils screament, ils criment et châtiments, ouvrent le gosier comme des fournaises ardentes, s'en échappent des flammes, évoquez le Dieu Baal, sa gueule quémandeuse, grand-ouverte, béante fournaise, dans laquelle les carthaginois jetaient les nouveaux-nés en offrandes votives.

Evidemment une telle masse sonique se suffit à elle-même, les musicos ne sont pas ici pour se faire voir et quêter votre approbation en se livrant leurs plus jolis soli. Pas de démonstration artistique et solitaire. Les morceaux sont constitués de courtes séquences rapidement enchaînées. Se suivent et ne se ressemblent pas. Des peintres qui déposent de larges aplats au couteau, et s'en vont tout de suite chercher sur leurs palettes un brou de noir encore plus sombre, un bleu métal d'un acier encore plus tranchant, un rubis encore plus sanguinolent. Faut voir Lionel et Mathias arquer leurs corps, leurs phalanges répétitives crispées sur un accord juste pour marquer leur désaccord avec le monde. Mais l'ennemi est plus fort qu'eux, il enfonce la porte contre laquelle ils se pressaient dans le but d'en empêcher la brisure, et celle-ci réalisée, nos guerriers de l'impossible et du rêve se replient aussitôt derrière un autre portail, mais l'on pressent que les chaînes de fer qu'ils entrecroisent seront à leur tour emportées comme des fétus de paille.

Tout de suite alors, Bob le stentor opère un break drumique, une espèce de chute, de salto-arrière avec rétablissement immédiat, You know, there is something strange, something dirt, et contre cela l'établissement d'une nouvelle ligne de défense, une muraille d'acier, Not a good idea, I'm nauseous, Dead bodies, une cause perdue d'avance, un rempart mouvant qu'il faudra sans cesse rebâtir et ériger, car le roseau pensant qu'est l'être humain plie mais n'abandonne jamais la lutte, surtout lorsqu'elle est désespérée et paraît inutile. Ne s'agit pas de jouer à la colibri-rock, mais de crier sans fin son dégoût du monde actuel, d'organiser le tumulte afin de l'anéantir sous le tumulus de sa stupide inanité.

Colossal ! Missiles of October quittent la scène sans mot dire. Pas de rappel, inutile, après une telle démonstration le public a compris d'instinct n'y a rien à demander, rien à ajouter.

CRITTERS

Tels qu'en eux-mêmes. Tranquilles comme Baptiste. Passer après Missiles of October ne doit pas être facile augurez-vous. Même pas peur. Sont des adeptes du trash punk, ils en ont vu d'autres. Se regardent tous les matins dans la glace, et ils ont beau insister ils n'arrivent pas à rougir d'eux-mêmes. Possèdent eux-aussi une philosophie de la vie. Jugeront la formule trop prétentieuse mais leurs lyrics, ils chantent en français, ne trompent pas. Portent un regard sans illusion - La mort en marche, Hybride TV-Net - sur la réalité sociale de notre vécu. Celui des human beings mais aussi des animals tout aussi beings que nous. Notre organisation sociale n'est point tendre, ni avec les uns, ni avec les autres.

Ne sont pas bêtes, mettent le plus fort devant. Un corps de rêve. Les filles, calmez-vous. Une musculature impressionnante. L'arrive même à arborer un modèle d'iroquoise qui n'appartient qu'à lui. Certes il est tout calme mais s'il vous allonge sa basse sur la tête vous êtes mort. En retrait, ils ont disposé les deux guitaristes, le brun sur notre gauche, le blond à droite. Ne pensez pas à des plantes grasses devant les portes de réception des hôtels, une fois que vous les aurez entendus étendre leurs doigts sur leur cordage, vous comprendrez qu'ils en usent des riffs comme ces cacte qui lancent leurs dards empoisonnés sur toute personne qui passe un peu trop près de leur zone de protection. En plus ils doivent être davantage trash que punk puisqu'ils arborent de conséquentes chevelures. Ne doivent pas aimer leur batteur parce qu'ils font bien attention à le cacher à nos regards en se mettant systématiquement devant lui. Doivent juger qu'il fait trop de bruit. Ce qui est vrai mais c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité.

Car quand ils commencent que vous apercevez que vous avez intérêt à être Sans Illusion. Sont des gars qui ne ménagent pas vos tympans. Oh ! C'est bien fait, n'économisent pas leurs peines pour vous faire tomber dans leur piège. Vous transforment en ces fines guêpes qui foncent droit dedans vers ces récipients remplis de liquide confituré, une fois dedans impossible d'en ressortir. Z'ont aménagé leur musique en bel appartement, meublé avec goût et avec soin. Vous vous sentez chez vous, mais très vite vous comprenez que vous vous êtes fait avoir. Ce n'est pas qu'ils vous empêchent de quitter les lieux, laissent la porte grande-ouverte, mais vous vous apercevez que vous avez élu domicile dans un T 5 de luxe hélas totalement kaotique. La structure des pièces ne cessent de changer. Vous vous installez dans un fauteuil, plank ! une cloison s'abat sur vous, vous vous allongez sur le lit, blink ! le plafond s'abaisse brutalement avec la manifeste intention de vous écraser, vous êtes dans de beaux draps, vous vous mettez à l'abri dans la salle de bain, plunk ! plunk ! le pommeau de la douche vous prend pour un punching ball, en désespoir de cause vous vous réfugiez dans le frigidaire, krinchk ! il se transforme en grille-pain. Tout ce qui se précède pour vous faire entendre comment fonctionne la musique des Critters. Au début tout semble carré, un monde ordonné et efficace, mais c'est un faux-semblant, sont les adeptes des glissements de terrains sans préavis, des bombes explosent sous vos pas, des jungles luxuriantes envahissent les jardins, les soirs de Pleine lune vous vous métamorphosez en loup-garou, le lotissement se mue en labyrinthe, vous êtes perdu, vous craignez pour votre vie. Mais le pire c'est que vous y prenez goût, que cela vous change de votre train-train mortuaire, les Critters vous permettent enfin de vivre intensément.

Les Critters réalisent ce miracle de vous engluer en un long générique de film anamorphosant, à partir d'une musique des plus primaires – rock'n'roll punk – ils vous jettent dans un monde d'effrayante complexité. De quoi nous laisser perplexe. Une musique aussi compacte qu'un iceberg mais qui dessine sur vos verreries intérieures des friselis aussi subtils que les cristaux de givre sur les carreaux des fenêtres en hiver. Oui mais comme ces gars-là sont aussi des responsables par leurs sets surchauffés du réchauffement climatique, notre automne s'avère de braises brûlantes. Pas étonnant qu'après leur prestation l'assistance était trempée de sueur.

Damie Chad.

 

BETTER DAYS

MISSILES OF OCTOBER

( Pogo Records 075 / 2016 )

Lionel Beyet : bass & scream / Bob Seytor : drums / Mathias Salas : guitar & scream.

Artwork : Sisca Locca. C'est elle qui se charge d'illustrer les couvertures des disques de Missiles of October. Si pour le premier album Don't Panic elle a opté pour une image choc, un fusil mitrailleur qui vous tire carrément dans les yeux, ici si vous apercevez ce Better Days dans un présentoir quelconque, vous risquez de le confondre avec un album de chansons pour enfants. Ces trois têtes de chats qui semblent jouer du pipeau – regardez de plus près, il s'agit de bombe – n'est pas sans évoquer le matou-vu Hercule, plus bête que méchant mais somme toute sympathique, qui sert de faire valoir à Pif Le Chien dans la célèbre bande dessinée de José Cabrero Arnal. Le fond jaune pâle du motif ne dément en rien l'impression première. C'est un peu une constante chez de nombreux dessinateurs issus de la mouvance punk de privilégier le rire grinçant et le comique sardonique pour mettre en images notre réalité. En tout cas la pochette cartonnée à trois volets est une belle réussite acidulée. Vous retrouvez Sisca Locca sur son FB, ensuite laissez-vous guider.

State of crisis : le sound quelque peu domestiqué si l'on pense au concert. Play loud, dirty and angry, svp. Par contre le vocal est mis en avant comme si le message primait sur son enveloppe ce qui change la perspective d'écoute. Mais pas d'inquiétude le turbo-sound est là, vous ratiboise vos illusions sans encombre pour les décombres. Compressé et arasif. Gigantesque hachoir mécanique. No brain, no headache : le début explose, les fusées de guitare giclent de tous côtés, un délire metallique qui réussit le défi de ressembler à un début d'émission de TV américaine qui vous vante les bienfaits du dernier médicament à la mode. Bientôt vous sombrez dans un informe cliquetis avant d'être écrasé par le rouleau-compresseur sonique. Abattage de bûcheron final. Satisfaction in nothing : rythme pimpant pour voix mortuaire, des clous de guitare, des trombes de batterie, they can't get no satisfaction eux aussi, mais ce coup-ci la révolte est totale et métaphysique, l'on n'est pas dans un petit malaise existentiel de bobo dépressif, le morceau finit par agoniser comme un python privé de son maître qui préfère se laisser crever que ramper dans les tuyaux du cloaque humain. Better days : il y a des jours où l'on hait le monde entier, sans doute sont-ce les meilleurs car l'on peut hurler à foison, foncer à 180 /km sur ses guitares et frapper de toutes vos forces sur le couvercle du pot de confiture où vous renfermez les cervelles de vos voisins. Ce violent morceau s'arrête trop tôt, c'est normal les horreurs les plus courtes en paraissent encore plus horribles. Everyday : lourdeur désespérée de votre quotidien, le morceau se traîne comme le serpent du blues, ces écailles cliquettent comme des cymbales, hurlement de ceux qui l'aperçoivent, mais comme dans les tragédies grecques, vous n'échapperez pas à votre destin et il ne vous reste plus qu'à implorer la mort de se porter à votre secours. Vous n'auriez pas dû, vous ressemblez à ces cochons que l'on égorgeait dans les cours de ferme. Couinements infernaux. Final pompéïen, le volcan explose, la lave brûlante vous engloutit. Sale bête, vous mettez du temps à crever, faut vous achever à la barre à mine. Loser : ( + guitar : Ralf Jock ) : les guitares relancent le moteur cacochyme les premières secondes, mais après ça tourne comme un moteur d'hydravion qui ne trouve ni fleuve, ni mer, ni lac, pour se poser. Ce n'est pas de votre faute, ni de votre gloire, vous êtes un perdant pas du tout magnifique. C'est clair le monde entier et cette guitare maintenant guillerette se moquent de vous. Chainsaw : dans la série je vous découpe à la tronçonneuse parce j'en ai assez, tout ce qui bouge subira le même sort. Zut je me suis tranché la tête, le morceau s'arrête plus vite que prévu, j'étais un peu trop énervé. Problems : les problèmes vous prennent la tête. Inutile de courir, c'est dans votre cerveau qu'ils klaxonnent, même docteur Freud ne s'y retrouvera pas dans ce nœud de serpents complexés, alors galopez comme si le diable était à vos trousses. Pas de panique il y a déjà longtemps qu'il squatte votre cervelle. Blah Blah Blah : le rythme s'accélère encore, font vraiment beaucoup de bruit pour ce rien qui tourne en boucle dans votre esprit volatile. A la batterie Bob casse du baobab alors Lionel et Mathias vrombissent comme s'ils avaient des ailes de fer aux talons. Effort inutile, ils ne tarderont pas à s'écraser. Two feet in sludge : rythmique pesante et collante, vous pataugez dans la boue de votre existence, la musique comme une ventouse de marécage qui vous attire inexorablement vers le fond vaseux. Ailleurs l'herbe des cercueils n'est pas plus verte. Enfoncez-vous les clous de la boite funèbre dans votre tête. Musique et voix s'affolent. Et puis s'arrêtent. Vérifiez si vous êtes encore vivant.

Félicitations à Ralf Jock et Guido Lucas qui ont présidé à l'enregistrement et au mixage. ( Sthor Sound Studio / Germany ). Rares sont les enregistrements de groupes de metal qui parviennent à une telle netteté, à un tel profil sonore.

Damie Chad.

VOLK

AVERAGE AMERICAN BAND

( Romanus Recods / Novembre 2017 )

 

Christopher Lowe : vocals, guitar / Eleot Reich : : vocals drums.

Plus que temps de chroniquer ce sophomore – mot typiquement américain qui désigne les étudiants de deuxième année - EP de Volk qui avait estomaqué la Comedia, lors de leur concert du 23 septembre dernier ( voir KR'TNT ! 431 du 26 / 09 / 2019 ). Ah cette version de Summetime Blues qui tinte encore dans nos oreilles ! Depuis ils sont retourné aux Etats-Unis où ils enchaînent les dates..

Lorsque vous retirez le disque de son plastique, vous vous apercevez que la pochette papier rigide n'est fermée que sur un seul côté. L'or de l'initiale V – qui tranche joliment sur le fond noir – jure quelque peu avec la galette rose bonbon et son étiquette centrale blanche. C'est un peu la spécialité de Romanus Records les tirages qui vous arrachent l'œil ! Allez faire un tour sur leur FB. Vous remarquerez l'anamorphose du V de Volk qui se change en tête de vache ! Mais comme un disque se regarde aussi avec les oreilles, posons soigneusement le pink object sur la platine.

Hat & boots : ça déchire aux premières notes, la guitare qui klaxonne – ce n'est pas une métaphore – la batterie qui fout un potin de tous les diables et la voix d'Eleot qui vous présente la garde-robe. J'ai bien peur qu'on ne l'embauche pas dans une boutique Chanel mais dans un groupe de rock c'est parfait, elle vous crie dans les oreilles comme une mégère désapprivoisée et vous a de ces trémolos terminatifs bouleversants. Rajoutez que par-dessous Christopher vous glisse sans avertissements quelques éclats de guitare aussi sympathiquement que s'il vous balafrait le visage avec un tesson de bouteille. La réserve personnelle du patron en plus. Land of toys : ah ces ricains, sortent d'une bagarre dans un bar pour entrer dans une église. Reprenez vos esprits en écoutant les doux sons de l'harmonium. Le Seigneur en personne doit avoir quelque chose contre nous, Eleot caquette comme trois cents poules qui viennent de s'apercevoir que le renard est entré dans le poulailler. Brave gars, Christopher se précipite pour rétablir la situation, se sert de ses riffs comme d'un balai géant pour écraser les malheureuses gallinacées qui du coup piaillent encore plus fort. Ça se termine bien, les jouets montent dans une fusée transplanétaire qui démarre aussi sec et une somptueuse musique de générique les emporte vers une nouvelle guerre des étoiles. Respirez le cauchemar est fini. January : Eleot minaude de sa voix pointue, elle n'en n'oublie pas pour autant de poinçonner des parpaings en béton précontraint sur sa batterie, le genre de passe-temps qui n'a pas l'air de plonger Christopher en dépression. Vous donne l'impression qu'il prend un plaisir fou à lui tirer des rafales de guitares à balles réelles. D'ailleurs le morceau est assez court. L'année commence mal, il a dû la tuer. Honey bee : ( + Chris Banta : vocals ) : à voir la manière dont ses cordes dansent une monstrueuse gigue de joie, Christopher doit être satisfait de ce ce qu'il a fait, mais non the gal is en pleine forme, il se prend le délire verbal en plein dans les esgourdes, en plus elle s'énerve salement sur sa caisse claire qu'elle pilonne avec des envies de meurtre, Christopher essaye de baisser le son, mais non ça ne sert à rien, elle en profite pour prendre toute la place, alors il remet les gaz et c'est reparti pour l'enfer. Elle vous hache à l'ultra-rapide la batterie à coups de batte de baseball, et lui s'envole avec sa guitare en imitant le bruit d'une fusée qui démarre sur Cap Canaveral. Ouf, le calme revient dans votre appartement. Vous avez survécu. Mais expliquez-moi pourquoi vous vous précipitez pour la dix-septième fois de suite pour le réécouter.

Chez Romanus Records ils ne lésinent pas sur la qualité du vinyle, presque aussi épais qu'un porte-avions. C'est cela les américains question rock, ils savent faire.

Damie Chad.

 

LONG CHRIS PARLE

DE JOHNNY HALLYDAY

( sur You tube / Radio-Web-Passion )

Un enregistrement émouvant. L'on pourrait s'attendre au pire. L'on connaît la brouille entre les deux hommes suite au mariage de Johnny avec la fille de Chris. Ne se sont plus jamais parlé. Chris opposant un digne silence aux questions oiseuses. Mais là il se livre. L'interview a été réalisée après la disparition du chanteur. Non Chris n'écoutera pas le disque posthume, il n'en a pas envie. Mais il avoue qu'il aurait aimé être de ceux qui portaient le cercueil sur leurs épaules à la Madeleine. On n'enterre pas une amitié quelles que furent les fâcheries qui lui ont mis fin.

Et le vieux rocker replonge dans sa jeunesse. Les plus belles années de sa vie. La rencontre avec Johnny, le pacte de sang passé entre les deux adolescents, et nous voici au cœur de la légende, racontée non pas par un témoin mais par un de ses activistes. L'écorne quelque peu. Non la bande de la Trinité n'était pas formée de blousons noirs, une dizaine de jeunes gens en cravate qui buvaient du Coca et Johnny, accompagné de Chris et d'un ou deux copains sur un banc, qui proposait aux filles qui passaient de leur chanter une chanson...

Johnny ne s'est pas fait tout seul. L'a absorbé ce que lui proposait son époque : les poses quasi-métaphysiques de James Dean, le charisme étincelant de Marlon Brando, et le rock'n'roll, les premiers disques de Presley, de Bill Haley, de Gene Vincent. N'étaient pas très nombreux sur Paris à s'intéresser à cette musique. Les bandes de blousons noirs de Bastille et de République certes, mais aussi une autre composante, une jeunesse plus proprette qui se réunissait pour danser en les rares endroits qui passaient ces rythmes nouveaux... Milieux populaires et petits-bourgeois...

Mais il n'est pas que Johnny au monde. L'itinéraire de Long Chris est aussi des plus intéressants. S'est d'abord intéressé à la musique noire américaine, puis aux chansons de cowboys, pour finir par subir le choc d'Elvis... Long Chris et les Daltons fut le premier groupe '' country-rock'' français. Chris n'en garde guère un bon souvenir. On lui imposait des morceaux qu'il n'aimait pas. L'adversité n'est pas une mauvaise chose en soi, elle n'est que la face visible de la stimulation. Chris décide d'écrire ses propres paroles. L'est un intello, un autodidacte, mais il a lu – Balzac, Zola, Prévert - et lorsque Johnny le presse de composer ce qui deviendra La Génération Perdue, il ne sait pas qu'il est en train de jeter les bases culturelles du rock'n'roll français et par ricochet d'aider Johnny à incarner son propre personnage. Chris s'attarde sur la composition de Voyage au Pays des Vivants, qu'il qualifie d'écriture surréaliste. D'après moi, ce morceau relèverait plutôt d'une esthétique rimbaldienne, mais là n'est pas le sujet... L'on regrettera que le projet du disque sur l'adaptation des Chants de Maldoror ait été abandonné...

Long Chris ne se contente pas d'écrire pour les amis, il enregistre en 1966 l'album culte Chansons Bizarres Pour Gens Etranges, une espèce d'ovni poético-beatnick égaré sur la planète France, réédité en 2016 chez Rock Paradise Records de Patrick Renassia ( in Kr'tnt ! 344 du 19 / 10 / 2017 ). Le temps passe Chris décroche du métier et devient antiquaire, féru de Napoléon et spécialiste des petits soldats de plomb... Mais les assassins retournent toujours à leur crime initial et Long Chris sort un tome 2 et puis un tome 3 de ces gens étranges. Tout fier d'atteindre les cinq cents exemplaires vendus.

L'évocation de son livre – un des deux meilleurs sur le sujet - Johnny à la Cour du Roi – chroniqué dans KR'TNT ! 283 du 26 / 05 / 2016 – sera l'occasion de replonger dans les années les plus tumultueuses de la vie de Johnny... Ce Johnny qui n'est plus le rocker des débuts mais qui est devenu un très grand chanteur. Chris est fier d'avoir avec quelques autres contribué aux fondations de cette tour de guerre que fut Johnny. Johnny menteur, Johnny solitaire, Johnny fabuleux, Johnny tel qu'en lui-même il s'est édifié.

L'ensemble avoisine une heure et demie, mais il aurait pu durer trois fois plus, souvent Chris effleure à peine des domaines sur lesquels on aurait aimé qu'il apporte des précisions, mais en fin de compte ce n'est pas le plus important. A la fin de l'interview l'on ressort bouleversé, par cette fidélité exprimée si simplement, il nous semble que Chris s'est réconcilié avec Johnny mais surtout avec lui-même. Les derniers mots, plus forts que la mort, sont d'une beauté incandescente.

Damie Chad.

20/03/2019

KR'TNT ! 411 : ANDRE WILLIAMS / ARCHIE LEE HOOKER / HANDSOME JACK / SOVOX / BEACH BUGS / MOZES AND THE FIRSTBORN / FATIMA / TIGERLEECH / NECESIDAD DE LUCHAR

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 411

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

21 / 03 / 2019

 

ANDRE WILLIAMS / ARCHIE LEE HOOKER

HANDSOME JACK / SOVOX / BEACH BUGS

MOZES AND THE FIRSTBORN / FATIMA

TIGERLEECH / NECESIDAD DE LUCHAR

TEXTE + PHOTOS SUR :  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/…/2…/03/index.h...

 

Dédé la praline - Part One

 

Petit flash-back : février 2008, les Flash Express assurent la première partie du show d’Andre Williams à la Maroquiqui. Brian Waters annonce la couleur :

— On joue très fort, escousez-nous !

Waters est un peu potelé, mais il peut sauter en l’air ! Sur sa vieille Télé à ouies, il joue un jeu dangereux : il combine les accords ouverts avec les départs en solos incendiaires. Ce power-trio californien sonne un peu comme le JSBX. Au fil des morceaux, Waters s’agite de plus en plus. Il rebondit comme Pete Townshend, ce qui constitue un exploit, vu son poids.

Après un petit entracte, les Flash Express reviennent s’installer sur scène. Ils ramènent avec eux un quatrième larron équipé d’une belle guitare blanche. Comme sur l’album The Black Godfather, Brian Waters se lance dans un speech incantatoire pour annoncer l’arrivée d’Andre Williams. C’est un moment historique. Andre arrive coiffé du chapeau noir d’Al Capone. Il porte la veste d’uniforme de Jimi Hendrix, le pantalon rouge de Chuck Berry, et les chaussures deux tons de Nicholas Cage. Andre Williams a soixante-douze ans. Aux yeux de tous les gens rassemblés dans la petite salle, il cumule autant de prestige que James Brown, Chuck Berry, Ronnie Spector et Sam Moore réunis. Il s’approche du micro et pointe ses pouces en rythme sur le beat qui est infernal. «Jail Bait» et «Bacon Fat» qui sont ses vieux hits font toujours autant de ravages. Une profonde impression de douceur comateuse se dégage de son visage. Derrière son micro, il sourit et attend sagement la fin des transitions instrumentales pour reprendre le chant. On a sous les yeux la combinaison la plus explosive qui se puisse concevoir, celle d’un vétéran de la scène r’n’b de Detroit et d’un groupe de garage-blues de très haut niveau. Dédé fascine. Impossible de le quitter des yeux. Il est à la fois le crocodile et le dromadaire, l’archange Gabriel et le démon priapique, le soul-shaker moderne et l’icône séculaire, le rouge et le noir, le croon et le shout, la rugosité et la chaleur humaine, le vétéran et l’ingénu, le géant et le mortel, le papy et l’éternel adolescent, le doux et le dur, la bite et l’esprit, le futur et le passé, le flux et le reflux. Et puis, au fil des morceaux, on s’aperçoit qu’il ne tient pas debout. Il est complètement défoncé. Il s’assoit, défait sa veste d’uniforme, la remet, s’en va, puis revient. Visiblement, il n’est pas bien. Il remercie le public :

— Tank you Paris, tank you for coming up to see the old man...

Pour boucler le show, les Flash Express envoie la purée de The Dealer, l’énorme hit niché sur The Black Godfather. Inespéré. Brian Waters joue le riff en boucle hypnotique. Andre Williams semble revenir à la vie. À la fin de ce morceau interminable, il sort de scène et refuse la main que lui tend un assistant pour l’aider à monter les marches qui conduisent aux loges. Andre Williams a sa fierté d’homme noir de l’Alabama. Il sort discrètement de la Maroquiqui, remonte la rue Boyer jusqu’à la rue de Ménilmontant et entre dans le premier rade venu. Il s’installe au comptoir et au moment où il commande une bouteille de French wine, il reçoit une bourrade dans l’épaule.

— Alors Dédé, vieux crocodile ! Qu’est-ce que tu fous là ?

Andre se tourne et sursaute :

— Berry, ah ça par exemple !

Ils s’observent longuement. Leur amitié ne date pas d’hier.

— Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vus, mon vieux Dédé ?

— Berry, tu sais compter mieux que moi...

— Allez, on va dire trente ans ! Incroyable, tu as toujours la même tête de cabochard ! Qu’est-ce que t’as pu m’en faire baver, sale nègre !

— Certainement pas autant que ton protégé de l’époque, cette petite ordure de Little Stevie Wonder...

— Tu te souviens de lui ?

— Ce petit con d’aveugle tapait comme un dingue sur les claviers pour désaccorder les pianos. J’ai dû le virer plusieurs fois du studio. En plus, il imitait bien nos voix.

— J’ai failli l’étrangler quand il a appelé la comptable en imitant ma voix pour lui demander de préparer un chèque de 25 000 dollars. Un vrai gamin. Mais Dédé, tu ne m’as toujours pas dit ce que tu fabriquais ici, à Paris...

— Je sors d’un concert.

— Un concert de qui ?

— De moi, pauvre con.

— Tu chantes encore, vieux bouc ?

— Ouais. J’ai pris un nouveau départ, hee hee hee hee...

— Mais Dédé, t’as plus de soixante-dix balais !

— Que veux-tu, Berry, les gens m’adorent. Ce qui ne doit pas être ton cas. T’as fait de sacrés ravages quand t’as quitté Detroit pour installer Tamla Motown à Los Angeles. Je fréquentais les musiciens qui jouaient pour toi, à l’époque, tu sais, les Funk Brothers. Uriel Jones et Pistol Allen, ces noms-là te rappellent quelque chose ? Tu les as laissés tomber comme des merdes. Je peux te dire une chose : aujourd’hui encore, ils te détestent. On ne se conduit pas comme ça avec des musiciens qui t’ont rendu autant de services. Ils étaient sur tous les hits Tamla. Sans eux, tu n’étais rien...

— J’avais des impératifs, Dédé. Tu ne peux pas comprendre. Tu n’as jamais rien compris au business. Chaque fois que tu as eu l’occasion de faire quelque chose de bien, tu t’es arrangé pour que ça te claque dans les pattes. Combien de fois je t’ai rappelé pour te proposer un poste stable ? Tu savais écrire des tubes, tu savais produire, tu savais même chanter, tu aurais pu te faire des couilles en or à Tamla !

— Smokey Robinson était bien meilleur que moi, Berry, tu le sais bien. Et puis, je vais te dire une bonne chose. Je n’ai jamais aimé tes méthodes. Je ne t’aimais pas, mais je te respectais parce que tu avais du génie. C’est toute la différence avec Ike Turner que j’ai fréquenté un peu plus tard. Il avait du génie, lui aussi, je l’aimais bien, mais je ne le respectais pas.

— Tu coupes toujours les cheveux en quatre, Dédé. Tu en as toujours fait qu’à ta tête. Des mecs comme toi, c’est ingérable, quand on fait du business.

— Je te rappelle que tu me dois une fière chandelle, sale nègre ! Qui est-ce qui t’a trouvé chez le coiffeur et qui t’a donné la carte de ce ponte de United Artist ? Le pape ? Sans moi, Berry, tu écrirais toujours des chansons pour ta voisine de palier. Et puis, je ne peux pas accepter de leçons venant de toi. Je t’ai refilé au moins quatre-vingt chansons. Marvin Gaye, Mary Wells et les Contours en ont enregistré. J’ai traîné ma bosse partout. Tu as dû rater des épisodes, Berry ! À Chicago, j’ai travaillé pour les frères Chess. À Houston, j’ai travaillé pour Duke Records, et crois-moi, c’était pas de la rigolade de bosser pour ces mecs-là. À Los Angeles, j’ai travaillé pour Ike Turner et pris plus de coke que lui et baisé en un an plus de chattes que t’en as baisé dans toute ta vie, Berry... Tu vois, je vais te dire encore un truc : Devora Brown et Leonard Chess étaient des Juifs, mais ils étaient bien meilleurs que toi, et à tous les niveaux. En m’empêchant d’aller chez Epic, Devora Brown a brisé ma carrière mais elle m’a sauvé la vie. Con comme j’étais à l’époque, je n’aurais pas fait de vieux os. Les drogues, les armes, tu vois ce que je veux dire... Leonard Chess respectait les musiciens. S’il n’avait pas cassé sa pipe, je travaillerais encore probablement avec lui.

— Sacré Dédé, tu veux toujours avoir le dernier mot. Puisqu’il n’y a que ça qui t’intéresse, je te le laisse. Buvons un coup. Très franchement, je suis content de te revoir. On m’avait raconté que tu étais à la rue, à une époque...

— Exact, gros lard. Tu vois ma ligne ? Pas un poil de graisse, hee hee hee hee !

— Ouais, et toujours sapé comme Cab Calloway... Et comment tu t’es sorti de là ?

— Certainement pas grâce à toi, Berry. Mais, c’est vrai, tu ne pouvais pas savoir. À l’époque, tu ne pensais certainement qu’à t’allonger au bord de ta piscine pour t’occuper de ton bronzage, hee hee hee hee !

— Dédé, j’apprécie toujours autant ton humour, franchement. T’es le boute-en train number one. Mais tu devrais te surveiller un peu. Il me semble que parfois t’es un peu lourd.

— Autant pour moi, Berry. Excuse-moi, mais ça doit être toi qui m’inspires ce genre de conneries. Alors, revenons à la rue, puisque ça t’intéresse. Tu vois, c’est pas comme une piscine au soleil. En hiver, on se les caille et on ramasse les mégots pour les fumer. Dès qu’on a des ronds, on trouve un dealer de quartier pour lui acheter le petit bout de crack qui permettra de tenir jusqu’au lendemain. Et puis un jour, Perk, le mec des El Dorados, passe en bagnole et me klaxonne. Il me dit qu’un mec me cherche partout.

— Pour te descendre ?

— Mais non, pomme de terre, pour chanter. Perk me refile le numéro de téléphone du mec. Il s’appelle Paulus, un collectionneur. Il possédait tout ce que j’avais fait sur Fortune Records et me considérait comme un génie.

— Un de plus...

— J’ai pas dit que j’étais un génie, Berry, c’est Paulus qui dit ça. J’ai toujours fait mon boulot, sans rien demander de spécial. Bon, le mec me demande si j’ai des chansons. J’ai toujours eu des chansons, depuis le début, tu sais, la danse et puis le gimmick. Ou si tu préfères, le vieux beat africain et une bonne histoire. Paulus me met en cheville avec un mec de New York, un blanc-bec nommé Billy Miller, un amateur d’Esquerita et de Bobby Fuller, je ne sais pas si tu vois le genre ! On fait un album qui s’appelle Greasy. Billy Miller fait venir un vieux guitariste anglais, un nommé Dick Taylor, une sacrée pointure, un mec assez connu en Angleterre. Tout est parti de là. J’avais tous les petits rockers de Detroit à mes pieds. Ils se bousculaient au portillon. Tous des mecs bien, qui me respectaient et qui me considéraient comme un dieu, je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire, Berry, heee hee hee hee. J’ai fait des albums terribles avec Larry Hardy, le boss d’un petit label californien qui me demandait d’écrire des chansons salaces, comme celles de 57. C’est le genre de choses qu’il ne faut pas me demander deux fois. Et puis je vais te dire encore un truc. Ces blancs avaient tout pigé, au niveau du son. Ils voulaient le son brut qu’on avait avant que tu ne te ramènes avec tes violons et tes arrangements sophistiqués. Tu as voulu plaire aux blancs et tu as avachi la musique noire. Vers la fin, les disques Tamla que j’entendais à la radio n’avaient plus de sens. Comme si les Velvelettes, Gladys Knight et Martha Reeves n’avaient jamais existé. Par contre, Larry et Billy reviennent aux sources et tapent en plein dans le mille. C’est une chose qui ne t’a jamais traversé l’esprit.

— Dédé, tu ne comprends pas bien. Quand tu diriges une maison de disques, tu ne dois te préoccuper que d’une seule chose : toucher le public le plus large. C’est une condition de survie. Je suis sûr que les mecs dont tu parles rament comme des galériens pour survivre, parce que je n’ai jamais entendu parler ni d’eux ni de tes disques.

— De toute manière, ils ne t’intéresseraient pas, parce que tu ne comprends rien à ce que je t’explique. Je ne te parle pas de chiffre d’affaires, je te parle de gens qui croient en ce qu’ils font. C’est toute la différence. Tu ne te rends même pas compte qu’on discutait déjà de tout ça à l’époque où je travaillais pour toi. Je ne sais pas si c’est ta vision des choses ou la mienne qui est étriquée, mais j’ai ma petite idée là-dessus, Berry, hee hee hee hee. Tu me fais penser à une grosse saucisse qui aurait un billet de cent dollars à la place du cerveau.

— Et toi à un crocodile qui se fait enculer par un zébu. Tu es plus têtu qu’une mule de l’Alabama.

— Justement, j’ai fait un disque de country avec des Canadiens qui s’appellent les Sadies. Tu n’as probablement jamais entendu parler de ces mecs-là. Dommage pour toi. Le disque s’appelle Red Dirt. J’y parle de mes vieux souvenirs, quand je travaillais dans les champs et que j’entendais Hank Williams, Waylon Jennings, Patsy Cline et Hank Snow dans la radio du camion qui nous ramenait à la maison. J’étais gosse et depuis, j’ai toujours gardé ces gens-là dans mon cœur. Sur ce disque, les frères Good ont fait un bon boulot. J’y chante une vieille chanson de Ray Charles, «Busted» et ils m’accompagnent à la mandoline. J’y reprends aussi des trucs que tu ne connais pas, des merveilles country des Bottle Rockets, de Harlan Howard, d’Eddy Arnold, de Lefty Frizzell, et une chanson de Johnny Paycheck que j’adore, «Pardon Me, I’ve Got Someone To Kill», hee hee hee hee.

— Tu me parles en chinois, Dédé.

— Oh je sais bien. J’en profite pour t’embêter un peu et te plonger le museau dans ton ignorance. C’est pas en comptant et en recomptant tes dollars que tu vas évoluer.

— T’as besoin d’argent ?

— Non, j’ai tout ce qu’il me faut. J’ai même une poule... Une poule superbe, une Jamaïcaine de la tribu Naftali. Tiens regarde... Andre ouvre sa braguette et sort sa queue. Berry s’écrie :

— Tu t’es fait circoncir ?

— Pas mal, hein ? Je t’en mettrais bien un coup, j’ai encore jamais baisé un cochon...

Berry sort une lame à cran d’arrêt.

— Je vais te la couper et te la fourrer dans la bouche, comme ça tu ressembleras à un éléphant !

Le patron du bar intervient. Il fait signe à Berry de ranger sa lame et à Andre de ranger sa queue. Il en profite pour annoncer la fermeture :

— Finish ! Close ! Understandingue ?

Berry et Andre se retrouvent sur le trottoir. Ils se donnent un longue accolade. Puis ils se séparent. Ils partent dans deux directions opposées, comme ils l’ont fait toute leur vie. Andre Williams descend la rue en titubant. Il ne se souvient plus à quel carrefour il doit tourner pour retrouver son hôtel. Il croise des Johnny casquettes qui se moquent de lui et qui le traitent de vieille tapette. Andre ne comprend pas le Français. Il lève son chapeau d’Al Capone pour les saluer et poursuit sa route dans les ténèbres.

Signé : Cazengler, André vile âme

Andre Williams. Disparu le 16 mars 2019

 

L’archi raw d’Archie Lee

 

Ce n’est pas la première fois qu’une légende vivante se retrouve prise en sandwich entre deux attractions : on se souvient d’un Jerry Lee coincé entre Linda Gail et Chickah Chuck à la Villette. C’est au tour d’Archie Lee Hooker de se retrouver pris entre deux belles tranches, Bâton Bleu, trio tripoteur de trips trigonométriques, et Bernard Allison, vaillant perpétuateur d’un big old Chicago blues qui n’en finit plus de ne pas vouloir mourir. Si nous avons traversé une petite partie de la Normandie, ce n’est pas pour entendre le blah blah blues du grand Bernard Allison, mais pour entendre le raw blues du petit Archie Lee Hooker, tel qu’on peut le retrouver sur l’excellent Vance Mississippi enregistré en duo avec Jake Calypso, un album dont il faudrait pouvoir chanter les louages par dessus les toits, tellement il est réussi.

Dès le morceau titre, Jake et Archie Lee atomisent le boogie blues. Archie Lee prend le relais de Jake d’une voix d’outre tombe. Ils mènent ça au dialogue à l’ancienne. Infernal ! Fabuleuse ambiance ! On croit même entendre des canards dans le studio. Ils tapent le boogie à l’hypno. C’est l’endroit exact où le blues et le rockab se rejoignent, un endroit que connaît bien Charlie Feathers, puisqu’il vient de là, de Obie Patterson. Même chose avec «Juke House Man». Grosse présence du vieux, comme sur scène, puissance de l’immédiateté. Ça explose dans la seconde. Jake tape ensuite «Louise Blues» à la trade. Il ne réinvente pas le fil à couper le beurre, mais il impose sacrément bien le respect. Aussitôt après le vieux refout le feu à la cabane avec «Blues Inside Me», tapé au vieux beat sauvage. C’est même très sauvage et doté du vrai son, et battu derrière avec toute la rage du raw. Le vieux n’en finit plus de hanter «Blues Inside Me» et ramène toute la tension qu’on peut attendre d’un blues à vocation primitiviste. Ils jouent ça sous le boisseau, le cut se veut bien vénéneux, entêtant et comme fatal. C’est une pure énormité de fin de face, l’apanage du big raw, le garant d’une qualité de bone. Tiens puisqu’on parle de bone, on en trouve en B dans «Blues In My Bones», un heavy blues machiavélique, bien situé dans l’esprit de tonton Hooky - I was born with the blues in my bones - Il fait résonner tous ses B de manière sidérante. Jake se tape la part du lion avec «Hey Barber Barber», qu’il chante au yodell sur un rythme effréné. Voilà un boogie cajun obstiné et soûlé d’harmo. Grosse, très grosse ambiance ! Jake revient faire sensation avec «Rain Rain Rain», heavy sludge joué à la syncope de fife & drums d’Otha Turner. Décidément, l’ami Jake ne connaît que les coups de Jarnac du Mississippi. Il chante en plus au guttural des sous-bois. Ils finissent dans la pétaudière avec «My Shoes», gros shoot de boogie diabolo, extraordinaire débauche de raw. Avec ceux de Cedric Burnside et de Gary Clark J., cet album représente en gros tout ce qu’il faut attendre du blues moderne.

On pourrait croire que c’est du tout cuit pour Archie Lee, puisqu’il est le neveu d’Hooky. Un nom pareil, ça ouvre évidemment des portes. Mais ensuite, il faut assurer. Et quand on voit arriver ce petit bonhomme sur scène, l’évidence frappe tout de suite : ce pépère black de soixante-dix balais est une super star ! Il bouge, danse, chante, rigole et travaille son set avec une classe effarante, il donne des ailes au Hook, swingue des hanches comme Sammy Davis Jr, il marche comme à la parade de la Nouvelle Orleans, il donne de l’air à ses solistes blancs et s’amuse de les voir jouer comme des cracks pour lui faire plaisir. Il flotte dans son immense costume rayé et shoote son r’n’b les bras en croix, il recrée l’atmosphère d’un bastringue des bas-fonds, il ne connaît ni la fatigue ni les lois de la physique, il semble se régénérer au fil des cuts, il puise dans son insondable réserve d’Africanité et nous donne du spectacle, c’est complètement hors du commun. Si John Lee Hooker savait hanter une scène en restant assis avec sa guitare et en tapant le beat du pied, Archie Lee Hooker la hante différemment, mais le résultat est le même. C’est un spectacle très haut de gamme, construit sur un savant mélange de r’n’b et de blues, mais qui échappe en même temps à tous les formats. La grande force d’un tel artiste est de savoir se singulariser. On pense bien sûr à des géants comme Taj Mahal, Bobby Bland ou encore Terry Callier qui ont su exister par eux-mêmes et créer un style qui leur soit propre et qui reste inimitable. Archie Lee Hooker entre dans le cercle des géants de cette terre. Curieusement, il ne joue aucun des cuts de Vance Mississippi. Tous les cuts du set proviennent du deuxième album, enregistré avec The Coast To Coast Blues Band, un fier quarteron de blancs becs du Luxembourg. On regrette que le backing band ne soit pas black comme celui de Bernard Allison, mais les Coast To Coast s’en sortent avec les honneurs, il est important de le préciser. Le guitariste Fred Barreto est particulièrement brillant. Il affiche le look d’un mec qui sort des bois de l’Arkansas, tignasse, barbe, poux et denim. On le sent pétri de culture blues, en tous les cas son style ne laisse pas indifférent. S’il fallait le situer stylistiquement, on pourrait citer le nom de Jimmy Page, celui de l’early Led Zep.

Après un instro d’intro déroutant (on se demande qui est ce groupe de blancs qui ne se présente pas), Fred Barreto annonce Archie Lee Hooker qui rentre de plein fouet dans la rondelle des annales avec «Big Ass Fun», et là, on peut dire que les colonnes du temple dansent le twist. Il n’y a qu’un blakos qui puisse casser la baraque comme ça, dans l’immédiateté d’un début de set. Ça se transforme tout de suite en pétaudière, comme chez Elmo Williams & Hezekiah Early, ça sent bon la cabane branlante et les planches qui grincent. Juste avant que la Traverse ne bascule dans l’orgie d’un sabbat, ce petit diable noir calme le jeu en s’asseyant avec une guitare pour rendre hommage à son cher Tennessee et gratter un blues bien rootsy. Mais dès qu’il se redresse, c’est pour relancer sa machine infernale. Avec «I’ve Got Reason», il fout la Traverse par terre. Il fait partie de la race des inextinguibles. S’il revient en rappel, c’est en vainqueur, tel un roi africain chaussé de santiags ferrées, avec un «Boom Boom» à tomber, il nous shoote tous right down, right off our feet ! Ah si son oncle pouvait voir ça ! Quel carnage de beat ! C’est la version la plus explosive qu’on ait entendue ici bas. Avec un shoot de Boom Boom pareil, il n’a plus besoin d’en rajouter.

L’album dont le vieux fait la promo avec sa tournée s’appelle Chilling. C’est un album luxembourgeois. Au dos de la pochette, on lit les soutiens et on voit les logos. Le son est très différent de Vance Mississippi. Le producteur a opté pour un son plus lisse et plus technique, alors forcément on perd tout le charme du raw de Vance. Le cut qui sort du lot s’appelle «90 Days» car le vieux le chante d’une voix sourde sur fond de slap. Mais c’est du slap luxembourgeois. Rien de sauvage là-dedans. Les Coast To Coast travaillent la touffeur du son et le vieux renoue avec les vieilles recettes de Tonton Hooky, dans sa façon de tartiner une syllabe en l’écrasant légèrement. Fred Barreto en profite pour prendre un solo claironnant, le mec est un bon, il sait gratter à la revoyure. On est dans une forme de sécurité affective du blues. Les deux solos d’acou sont des merveilles de limpidité crue. Archie Lee tape son «Big Ass Fun» dans la grande tradition du bloogie blast à la Hooky. Il observe les règles de l’art suprême, le vieux sait mener une troupe. C’est d’ailleurs avec ce «Big Ass Fun» qu’il démarre son set. On est dans l’excellence d’un son bien soutenu à l’orgue. Backing irréprochable, mais tout de même moins spectaculaire que sur Vance. Dommage que la prod soit si lisse. Le morceau titre sonnerait presque comme le hit d’un mec à la mode, tellement ça frôle la petite pop FM. Il faut attendre «Blue Shoes» pour trouver du rampant. Le vieux tente de battre son oncle sur le terrain fantômal, mais il est trahi par cette orchestration trop lisse. Fred Barreto en profite pour faire son plantureux en jouant le plus jouissif des solos. C’est encore avec le r’n’b d’«I’ve Got Reasons» que le vieux s’en sort le mieux. Il shake son raw avec conscience et pénétration. Il devient une sorte d’alambic à deux pattes. Mais c’est avec la Soul qu’il est le meilleur. Quand il chante «Your Eyes», il envoûte. Il chante d’une voix de mineur cancéreux, avec une grande retenue. C’est très chaleureux. On tient là le hit du disk, un balladif Soul incomparable. Puis il profite de «Bright Lights Big City» pour rendre un bel hommage à Memphis Tennessee. Il nous swingue ça sous un boisseau en caoutchouc.

Signé : Cazengler, Hookar (de côte du Rhône)

Archie Lee Hooker. La Traverse (76). 7 mars 2019

Jake Calypso & Archie Lee Hooker. Vance Mississippi. Chicken Records 2016

Archie Lee Hooker & The Coast To Coast Blues Band. Chilling. Dixie Frog 2018

 

Handsome Jack of all trades

 

Lorsque les trois hippies américains de Handsome Jack arrivent sur scène, personne ne les ovationne. Qui irait miser sur un trio qui semble sortir d’un collège de banlieue des années soixante-dix ? Pas de look, pas de rien, on sent même chez eux une modestie qui complique encore l’ambiance. Ou plutôt une sorte de réserve finement teintée de timidité. Ils font autant d’effet qu’un pétard mouillé. Le chanteur guitariste au fond à droite ressemble à s’y méprendre au grand Duduche. Il installe sa haute silhouette décharnée derrière un pied de micro et met le volume sur une vieille guitare de Mathusalem, celle qu’on voit sur la pochette de Hound Dog Taylor & The House Rockers, cette espèce de Jaguar ornée d’une rangée de touches de réglage qui ressemblent à celles d’un accordéon. Il porte des fringues circonstanciées, c’est-à-dire une chemise et un pantalon de couleurs indéfinissable. Il semble se foutre du look comme de l’an quarante. Le bassiste soigne lui aussi un non-look parfait. Avec sa crinière noire et sa chemise ouverte sur un poitrail avantageux, il correspondrait plus à l’idée qu’on se fait du dragueur de surboum. Il joue lui aussi sur une basse échappant à toutes les normes, un peu pailletée et certainement vintage, comme on dit dans les milieux bien informés. Quant au batteur, c’est encore autre chose ; avec sa moustache en crocs et son bandana noué sur le front, il semble sortir d’une mauvaise plaisanterie métal. Tout bien pesé, ce trio pourrait ressembler à un gag de type Spinal Tap, sauf que ça prend une tournure intéressante dès qu’ils se mettent à jouer. Eh oui, l’habit ne fait pas le moine, et dans le cas d’Handsome Jack, c’est assez flagrant. Ils réveillent la salle en fanfare, avec un son extrêmement dense et très seventies qu’on pourrait situer du côté de Creedence, avec peut-être encore plus de Soul dans le groove. Ce qui pouvait passer pour de la réserve ou de la maladresse n’est qu’en fait une immense désinvolture. Ces trois Américains jouent leur rock de Soul avec une évidente délectation et installent dans la salle une fantastique ambiance de good time music. Le grand Duduche s’appelle Jamison Passuite, il oscille d’un pied sur l’autre quand il part en solo, il chante avec une merveilleuse aisance et ne regarde jamais son manche. De cut en cut, ce mec se révèle même extrêmement doué, complètement immergé dans un son qui ne fait pas de vague, mais qui ne peut que flatter l’intellect des connaisseurs, on est à Muscle Shoals, du temps où Duane Allman jammait avec les Swampers, voilà le son qu’il ressuscite, c’est une merveille, et sa section rythmique amène tout le groove nécessaire à l’élévation combinatoire. Ces mecs réussissent l’exploit d’actualiser un son qu’on pensait figé dans le temps, comme s’ils redonnaient vie à une momie égyptienne et diable comme ils sonnent bien et comme ils sonnent juste !

Le fait que leurs deux albums soient sortis sur Alive n’est pas un hasard, Balthazar. On sait Patrick Boissel friand de ce son et grand protecteur des gardiens du temple. C’est sur Alive qu’on trouve les Buffalo Killers, les Dirty Streets, John The Conqueror, Lee Brain III, Radio Moscow, tous ces groupes affiliés au son des Seventies et quasiment interchangeables, tant par le talent que par la niaque. Le premier album de Handsome Jack date de 2014 et sa pochette est un vrai tue l’amour. On dirait qu’ils font tout pour que Do What Comes Naturally ressemble à ces vieux disques des seventies que plus personne n’écoute. Les couleurs lavasse renvoient automatiquement au premier album de ZZ Top. On est dans ce type d’esthétique un peu désuète. On les voit tous les quatre photographiés devant une vieille grange branlante et Jamison Passuite pose au premier plan, le regard rivé sur l’horizon. On ne trouvera pas de hits sur cet album, rien que chansons admirablement ficelées. Dès «Echoes», Jamison Passuite joue son groove de swamp à la perfection - Don’t shake my arm ! - Puis on assiste dans «Creepin’» à un fabuleux déhanchement du beat. Ces mecs serrent l’encolure du rock et ne jurent que par le festin de son. L’ambiance pourrait rappeler celle d’Exile On Main Street, tellement c’est riche de son. Mais pas riche comme un riche au sens où on l’entend aujourd’hui, riche comme Crésus, ce qui n’est pas la même chose. Ils visent clairement le rock d’influence black, le rock de Soul tel qu’on le trouve chez Arthur Alexander, ils ont une passion pour le feeling qui les honore et chaque fois Jamison Passuite vient fondre son solo dans l’espace du cut avec un brio qui en dit long sur ses convictions politiques. Ce mec ramène dans son disk toute la fastueuse musicalité du Southern rock, il domine bien son rayon et dégage beaucoup de chaleur humaine. On sent le dépenaillé du grand Duduche et le faste de Milord l’Arsouille dans chacun des cut. L’A s’écoule comme dans un rêve. Cet album vaut pour un classique, mais aucun titre ne va prévaloir. Il faut l’accepter dans sa globalité. C’est un album de globo. En B, Jamison Passuite tire son «Right On» au cordeau du meilleur ride on et tape dans le slow boogie blues pour un éminent «Dry Spell». C’est encore une fois admirablement ficelé, bien vivace et foutrement inspiré. Ça correspond exactement à ce qu’on a vu sur scène. Avec «Ropes & Chains», ils passent au heavy gloom de globo. Jamison sort ses vieux riffs de juke et chante comme un délinquant du Minnesota - Hey hey that’s alright - Et il n’en finit plus de nous sonner merveilleusement les cloches - Ain’t nothing wrong/ Hey that’s alright - S’ensuit un «You & Me» ultra joué au touillé de junk blues de rock. Ça reste du big Handsome rock, vaillamment chanté et enfariné au meilleur son de Southern swagger.

Par contre, leur deuxième album Everything’s Gonna Be Alright grouille de hits. Ça frétille sous la futaie. On note dès «Keep On» une nette influence de Creedence, celui de «Keep On Chooglin’», avec ses arpèges cristallins dans le background, juste derrière les fagots. C’est du pur jus d’American Sound, chargé d’urbi et d’orba. Jamison Passuite n’en finit pas de jouer avec une déconcertante nonchalance, se balançant d’un pied sur l’autre comme une grande godiche pas bien à l’aise dans son corps. À la fin du cut, le seul commentaire un peu didactique qu’on puisse formuler, c’est : Wow ! Et ça ne fait que commencer. Comme lors du set sur scène : ils allumaient la gueule des annales dès le premier cut. Avec «Getting Stronger», ils sonnent véritablement comme ZZ Top, et il faut entendre ça comme un compliment. Ils excellent dans le funk de boogie - I’ll drive my evil spirits all away/ Each and every day - C’est excellent ! On se repaît aussi de «Bad Blood» et de la diction superbe de Jamison Passuite - We got bad blood/ It’s burning us/ Down/ We’re stuck/ In the mud/ Living in/ This/ Town - Il faut voir comme il martèle sa matière. Il descend dans l’essence d’un son qui palpite aux effluves d’ersatz. Et puis il y a ce «Baby Be Cool» véritable slab de good time music - Bring it home baby now/ But baby be cool - qu’il enchaîne avec le heavy riffing de «Holding Out». Quoiqu’il fasse, ce mec est bon. Il dispose de toute la stature inspiratoire et de toute l’inclusion glottinale dont on puisse rêver, il colle à tous les terrains du groove - There’s a shadow in the place/ In the back of my mind - C’est lui qui compose tout. On retrouve cette densité compositale extraordinaire de bout en bout. Encore une chef-d’œuvre de good time music en B avec «Why Do I Love You The Way I Do». Il nous sort là une petite merveille, on pense immédiatement à Arthur Alexander et à son album sur Elektra avec Ben Vaungh, c’est la même ambiance, cuivrée au passage du pont, une vraie bénédiction. Avec le morceau titre, Jamison Passuite adresse un beau clin d’œil au vieux Everything - I don’t owe nobody nothing babe/ It’s got me feeling brand new - En plus, les textes sont exemplaires. Retour à Creedence avec «Hey Mama»», Jamison Passuite y ramène tout le shout de Fogerty. Puis on se retrouve à Muscle Shoals avec un «Do You Dig It» qui se situe très exactement à la croisée d’Eddie Hinton et des Dixie Flyers, en plein Deep Southern rock. Jamison Passuite va chercher le meilleur rauch du coin, le fumet du buisson ardent, c’est convaincu d’avance, ce mec chante comme un dieu, il n’a pas fini de nous sonner les cloches à la volée. Ce mec devrait s’appeler Johnny Trente-six chandelles.

Signé : Cazengler, Handsome jaquette

Handsome Jack. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 20 février 2019

Handsome Jack. Do What Comes Naturally. Alive Records 2014

Handsome Jack. Everything’s Gonna Be Alright. Alive Records 2018

11 / 03 / 2019PARIS

SUPERSONIC

SOVOX / BEACH BUGS

MOZES AND THE FIRSTBORN

 

Z'avons le ventre vide, mais nous ne nous inquiétons pas, tout à l'heure nous aurons les oreilles pleines. Z'allons au Supersonic, l'on aime son mur de fond de scène, en briques roses qui me rappellent les murailles de soutènement des jardins suspendus de Babylone. Que j'ai bien connus. En une vie antérieure. Mais je vous raconterai une autre fois, ce soir c'est rock'n'roll.

SOVOX

Sont deux. Sont jeunes. Viennent de Marseille, cité frondeuse. L'un joue des rythmes et l'autre de la sonorité de guitare. L'ensemble est explosif. Vicenzo petit chapeau et gros kit. Debout devant ses machines à boum-boum. Chante aussi. Au début l'on pense que cet attache-micro ombilical va l'handicaper dans ses mouvements. Il n'en est rien. Quand il frappe, il se retranche en son action. Si au début il s'est contenté pour les trois premiers morceaux de rythmes relativement binaires, adoptant pour le premier le mouvement chaloupé des adeptes de la marche nordique, il s'adonnera par la suite à des jeux beaucoup plus complexes. Un peu comme ces profs de math qui vous servent tout le long de leur cours des formules de plus en plus incompréhensibles à part qu'avec Vicenzo la cavalcade vous rentre par la tête avec une facilité déconcertante. Charles est à ses côtés. Fait semblant de jouer de la guitare. En salle de classe il endosserait le rôle du grand dadais à lunettes, le lunatique par excellence perdu dans ses rêveries, vous pourriez croire que les tonitruances de son camarade ne le concernent pas. Le gars qui s'est retrouvé sur scène par hasard, alors pour se donner une contenance il a saisi une guitare qui traînait par là et il fait semblant de s'en servir. Oui mais un consciencieux, un obstiné, cherche la marche à suivre, il suppute, il essaie, il tente, et il trouve. Des trucs extraordinaires. Des cisaillements et des clinquances peu communes. Genre crash de deux voitures lancées à deux cents kilomètres heures qui se rentrent dedans rien que pour le plaisir d'émettre un beau bruit, une catastrophe qui vous arrache les oreilles plus sûrement qu'un sabre de cosaque, après quoi il fait le mec innocent, hien, quoi, comment, que se passe-t-il, je n'ai rien vu, je ne sais pas de quoi vous parlez, l'innocence persécutée par l'injustice, tout juste si vous ne demanderiez pas au tribunal international de l'ONU de se pencher sur son cas, à peine avez-vous tourné le dos que vlang ! Ce coup-ci ce sont deux gros porteurs qui se télescopent en plein ciel et vous assistez en direct à l'écrasement des deux appareils sur le flanc rocailleux d'un massif montagneux. Ce mec-là question guitare il s'est spécialisé en réalisateur de films catastrophes, ne tourne que les scènes choc, pas chics du tout. Une espèce de ferrailleur de génie. Le plus terrible c'est qu'il se prend à son propre jeu, pour les trois premiers morceaux l'a assuré l'a fait le job sans chichi. Sérieusement. Pas les doigts sur la couture du pantalon mais presque. Mais après s'est laissé gagné par la fièvre daimônique, l'artiste emporté par l'éruption créatrice. Le son c'est bien, avec l'image c'est mieux. Alors pour chaque déglingue l'a une espèce de danse sacrée, celle de l'ibis rose qui tournoie brutalement sur lui-même sur une patte juste pour que vous en voyez de toutes les couleurs, ou alors celle du piétinement hargneux du taureau juste avant la charge, ou celle de l'araignée noire qui bondit sur le moucheron égaré dans sa toile. Un zoo sauvage a lui tout seul. Mais pourquoi le filles de l'assistance publique se désintéressent-elles subitement de ce bestiaire apollinarien, c'est que Charles s'est débarrassé de son T-shirt, petit mais musclé, et elles suivent des yeux cette ligne pileuse, pointillés noirs calligraphiés sur la blancheur du torse, comme esquissés par un maître de l'estampe japonaise, qui descend sous le nombril vers des profondeurs suggestivement cachées, nous n'osons écrire hautement convoitées. Et là, Charles emballe sec. Se lance dans la résolution d'équations rythmiques du dix-septième degré. Des répartitions algébriques qu'aujourd'hui dans leurs laboratoires les mathématiciens laissent aux ordinateurs le soin de résoudre, pas Charles, vous déroule les entrailles de l'inconnu sur le tableau blanc de ses peaux de tambours avec la méticulosité de Tante Agathe surveillant ses pots de géraniums sur son balcon. En plus il ne calcule rien, agit d'instinct, trouve dans l'instant même qu'il cherche, donne la réponse en posant la question, et vous suivez ses démonstrations fascinés, ses bras sont comme les cent têtes de l'hydre qui tournoient sans fin pour mieux choisir l'instant crucial où toute ensemble elles vont se jeter d'un même mouvement sur votre pauvre personne. Un malheur ne vient jamais seul. Vicenzo vient, il accourt illico, vous catapulte une giclée métaliffère de tôles ondulantes qui vous découpent en tranches de gigots saignantes. On ne les retient plus, ont décidé de vous azimuter, de vous mater le matin, de vous muter le soir, de vous miter l'existence jusqu'à plus soif. Et l'on aime ce traitement inhumain. A chaque morceau sont applaudis comme un couple de gladiateurs qui vient d'occire ses rivaux et du coup, ils se surpassent sur le titre suivant. Sont portés par le public enthousiaste qui leur offre une ovation digne de leur prestation.

BEACH BUGS

Sont trois. Sont jeunes. Viennent de Limoge pays de paisibles pâturages. Feront moins de bruit que les précédents. Et que les suivants aussi, mais n'anticipons point. Sont le calme dans la tempête. Le répit dans la fureur. Thibaud, Ben et Lucas ne sont pas des foudres du ciel tempétueux. Sont des amateurs de pastorales. Une batterie pénarde qui musarde lentement, de temps en temps l'on appuie sur le temps fort, mais point trop, l'on n'est pas ici pour déclencher l'ire des Dieux. Ici l'on aime les situations idylliques. La petite maison dans la prairie, plus près des campanules et des angéliques que des tracas explosifs du quotidien. Qui dit beach, dit boys, et tout de suite tout s'éclaire. Retour en arrière. Deux guitaristes au look d'étudiant sage qui filent des notes tranquilles et vous harmoniseraient jusqu'aux grilles des prisons. Le rock du temps de l'innocence. Des vocaux à la Pet Sounds, à la Beatles – surtout pas du temps où ils jetaient l'âcreté de leur gourme sur les planches du Star Club à Hambourg – des chansons douces pour les soirées sur la plage autour du feu du bois. C'est mignon tout plein, c'est joli, un peu repos du guerrier qui n'a jamais fait la guerre. Ne se lancent pas dans de longues symphonies, sont adeptes des morceaux courts qui se suivent et se ressemblent. L'on guette le mouton noir du troupeau, mais non il n'y a pas d'erreurs génétiques de la nature, pas de monstre, que de blanches brebis innocentes. Et pas de loup cruel qui sort du bois au dernier instant pour nous faire le plaisir d'en égorger une soixantaine, pour rien, pour la joie de mal faire. Font du surf, mais par temps calme et sur petites vagues. Pas le genre à couler le Titanic ou le BismarCk. Les abordages sans quartier ni prisonniers à la Jolly Roger , ils ne connaissent pas, les mâts de leur navire ne sont pas de ceux qu'un vent penche sur les naufrages Perdus, sans mâts, sans mâts ni fertiles îlots des poèmes de Mallarmé.

Z'ont leur public et   ne se débrouillent pas trop mal. Quoique en vieux rocker je réflexionne en moi-même que ce qui les distingue de leurs aînés quels que soient les savants errements symphoniques auxquels ils se soient adonnés dans leur carrière, c'est que leurs illustres devanciers avaient quelque part au fond du creux de leurs oreilles le ressac lointain et houleux de ce damned old rock'n'roll qui avait enchanté leur adolescence. Un allant, une attaque, qui subsistait en arrière-fond de leur musique.

A chacun ses nostalgies fondatrices. Perso j'attends autre chose du rock'n'roll même si tout le monde a le droit de s'exprimer, quoique je préfère la fougue sanglante des conquêtes d'Alexandre au mortifère démocratisme marchandifère athénien. Quittent la scène sous les applaudissements, n'ont pas à rougir, ont consciencieusement joué la musique qu'ils aiment, ce qui est déjà en notre époque d'immense couardise généralisée, un signe de grand courage.

MOZES AND THE FIRSTBORN

Sont quatre. Sont jeunes. Viennent d'Eindhoven, pays de Spinoza. Vont mettre le feu et comme personne ne prendra la peine d'appeler les pompiers, je vous laisse supputer le ravage final. Rien qu'à la manière dont ils se sont installés – mi décontractée, mi-tatillonne – il ne faisait pas de doute que ces gaziers souriants prenaient garde à ce qu'aucun hasard inopportun et maléfique ne s'aventurerait à taper à la porte du set. Premier né mais pas nés de la dernière pluie. Commencent fort, ont réparti la distribution, le public sera l'armée des pharaons et eux tiendront le rôle des flots tsunamiques qui nous engloutiront lors du passage de la Mer Rouge. En un instant ces quatre garçons aux sourires sympathiques se métamorphosent, la batterie de Raven s'effondre sur vous, vous engloutit dans un ravin tumultueux en une dégringolade de tamponnades hallucinantes, Corto doit être gravement malade, vous lâche douze riffs apocalyptiques et subitement pris de démence frotte sa guitare sur l'ampli, à croire qu'il s'est inscrit au plus insupportable larsen du monde, apparemment Ernst est plus sage, joue de la basse sans chichi, mais si vous le suivez des yeux, nul doute qu'il pousse de ses lignes de basse déstabilisantes le Corto au-delà de ses limites, lui fait la Corto-échelle jusqu'aux portes de l'insanité riffique. Avec ses cheveux blonds et son sourire d'ange, Melle attend patiemment, le gars au visage de chérubin qui ne se mêle pas des vilains jeux des garnements, l'attend son heure, qui survient très vite, s'empare du micro, s'approche du bord de la scène, et sa voix creuse qui tombe creuse votre tombe. Entre deux lyrics il danse avec la mine réjouie du guy qui vient d'attacher le bâton de dynamite à la queue du chat, rien que pour le plaisir d'attirer l'attention des filles.

Voilà, ce n'était que le début. A la fin du troisième morceau Melle prend sa guitare – l'avait laissé négligemment traîné à terre durant l'intro - les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Z'ont adopté la technique des écrivains de thriller qui terminent systématiquement chacun de leurs chapitres par un rebondissement inouï qui vous pousse, même à quatre heures du matin, à poursuivre votre lecture pour savoir ce qui va se passer. Z'ont adapté la méthode, Mozes and The Firstborn vous en donne plus, eux c'est à chaque fin de ligne qu'ils vous balancent une bombe nucléaire, sur le coin du museau, vous êtes en apnée sonore, ce n'est pas grave, ce n'est pas une raison pour lâcher le morceau et ne pas les suivre jusqu'au fond de l'enfer. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'ils ne sont pas rock à cent pour cent, mettent pas mal de pop dans leur citronnelle à l'arsenic. Mais même avec les rasades de sucre qu'ils ajoutent l'effet reste foudroyant. Je vous désigne le coupable, Corto, l'a le riff composite, au début c'est suavement beau comme la courbe de la gorge dénudée d'une olympienne sculptée par Praxitèle, mais il le termine à la César en compactant une voiture en un terrifiant lingot de ferraille, love tatoué sur une main et hate sur l'autre, à la manière du pasteur psychopathe de La Nuit du Chasseur, une chimère musicale avec queue Beatles et gueule Rolling Stones, la beauté et la hideur, et au milieu du corps un mélange indescriptible, un alliage incertain mais terriblement efficace, de power-chords harmonieux et de hargne punk, pulvérisé en poudre à canon.

Dans la salle, c'est la chienlit et le lit du chien recouvert de puces tressautantes et pogotantes, un entremêlement de morpions parkinsonniens et de morpionnes surexitées, une couche royale pour Melle qui s'y jette et s'y vautre porté à bout de bras, mais rehaussé sans problème sur la scène comme un chef barbare batave hissé sur le grand pavois de son élection royale. Supersonic en mode supersonique. N'en ont pas fini pour autant. Continuent sur leur lancée victorieuse, les fûts de Raven, torse poil tribal, croassent comme jamais nulle autre batterie n'est parvenue à le faire, Ernst le gaucher au jeu de basse ultra-gauchiste, provocateur en chemise blanche impeccable, Corto instantanément inflammable, et Melle qui squashe son énergie en flammèches ardentes, soulèvent une tempête de protestation lorsqu'ils annoncent le dernier morceau. Sont un peu vidés, mais le public en effervescence réclame un rappel qu'ils termineront à bout de souffle, dans la Rome antique l'on aurait déversé une apothéose de pétales de roses pourpres pour leur sortie de scène, mais nous nous contenterons de leurs '' Merci Paris''. Preuve éclatante et indiscutable que, hormis le rock'n'roll, notre monde est mal fait.

Damie Chad.

 

16 / 03 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

FATIMA / TIGERLEECH

 

Gilets jaunes, Black Blocs, Paris en a vu de toutes les couleurs cette journée, n'y a que les amoureux de la Nature, sages comme des images de premières communions, qui ont oublié que la Grande Mère fonctionne selon une alternance de cycles germinatifs et destructifs. Bref après cette journée agitée une soirée réparatrice à la Comedia s'impose, parce que là tout n'est que calme, luxe et volupté, cette dernière absolument punktéozidale. Ce qui change la donne.

FATIMA

Bien plus intéressant qu'une hypothétique apparition de la Vierge. Eux sont-là, en chair et en os. A portée de main. Sont trois, mais offrent une musique monolithique. Du doom plus noir que la noirceur des temps. Du jais de corbeau, du jus de corbac, aussi noir que le gouffre des nuits originelles et terminales. Une ambiance, une mer de sargasses sonores qui vous englue les oreilles et vous retient prisonniers jusqu'à la fin du monde. Un raz-de-marée qui monte doucement tout en s'amplifiant violemment et l'on se demande comment ils peuvent parvenir sans faillir à cette apocalypse sonique. Batteur, basse, guitare. Leur secret est des plus simples, jouent ensemble tout en restant parfaitement identifiables en leurs menées individuelles. Une batterie infatigable, les baguettes ne s'attardant jamais, à la recherche perpétuelle de la quadrature des cercles des fûts et des cymbales, l'on ne voit que deux bras levés, telles des ailes de cormorans qui battent sans fin pour échapper à leur gangue mazoutée, l'est au four des roulements et au moulin du concassage. Des gestes de sorcier fou qui prophétise la grande menace à venir. Quant à lui, le bassiste s'est muré dans la tour d'ivoire noire de son immobilité. Transforme sa forme vitale en longues vibrations profondes comme des orgues, la basse est l'élément essentiel du doom, c'est elle qui édifie les bases de la langueur doomique infinie. De vastes vagues d'eau nigrées, toujours recommencées, qui s'en viennent agoniser selon de fracassantes douceurs mystérieuses sur les récifs de basalte des rivages inabordables. Un oiseau de proie qui referme ses serres sur votre âme qui voletait autour de vous et l'emporte vers des confins ignorés.

La guitare - étonnante à chaque début de morceau, des clapotements inédits, des ressacs à émietter les rochers, parfois agrémentés d'un vocal, qui très vite est comme oublié, et alors un long solo se fond tel un pont, jeté en travers la distance qui sépare la transe rythmique de la batterie et la pesanteur de la basse plus lourde que vos regrets à ne vivre qu'un semblant de vos rêves évanouis - agit à la manière de ces sels mystérieux dont le secret s'est perdu et qui dans les opérations alchimiques transformaient le vil plomb en or pur, mais ici aussi noir que l'immensité des voûtes nocturnes dont les étoiles qui brillent n'abolissent point la nuit abyssale.

Fatima suscite attention, admiration, et engouement. Le plus terrible c'est la vélocité orchestrale de cette lourdeur aussi pesante que les premiers accords de L'Or du Rhin de Wagner ( écoutez la version de Furtwangler qui vous fait durer plus que tout autre la sourde malédiction ), Fatima c'est la montre de votre vie devenue folle, les aiguilles tournent à toute vitesse et le décompte de vos heures claires et sombres défile si vite que vous pressentez qu'il ne vous restera plus grand chose, et vous restez fasciné, yeux et oreilles fixés sur cette horloge prophétique de votre néant. L'est une pierre lancée dans un puits sans fond qui accroîtrait sa densité minérale tout en accélérant la vélocité de sa chute.

Vous ont scotché l'assistance, forcé la contemplation, immobilisé les existences, du début à la fin du set. Et lorsqu'ils eurent fini, les remerciements émus et admiratifs fusèrent de tous côtés. Grosse impression.

TIGERLEECH

La sangsue du tigre, un peu la mousse verte qui s'attache sur les cadavres. Une espèce de stoner-doom aux multiples ingrédients – chacun recomposera sa formule - qui n'appartient qu'à eux. Ce qui est sûr, c'est que Tigerleech, dégage une énergie peu commune. Musique compacte, sans fioriture, qui allie l'obstination de la sangsue et la férocité du tigre. Sheby surgit d'on ne sait où, s'empare du pied du micro, le tient comme le galérien est accroché à sa rame, entame une étrange danse de saint-guy, toute voûtée, toute cassée, toute désarticulée, et commence à éructer. N'est pas seul, le reste du combo sauvage le suit comme son ombre. Désormais, ils ne formeront plus qu'un. Une entité. Maléfique, est-il besoin de le préciser. D'abord Gabor, grand gaillard en marcel noir à la basse, pas de tatoos pour renforcer la musculature de ses bras, un travailleur de force, l'est accroché à son instrument comme le matelot de quart à la barre. Choisit les routes au plus près des étocs par grands vents sauvages. L'est le responsable de ses volutes noires qui s'échappent du cône explosé des volcans, l'est la queue du tigre qui bat ses flancs en signe d'énergie accumulée juste avant l'attaque foudroyante, à la différence près que Gabor il attaque sans arrêt. Sans réfléchir, mais avec une science consommée des fulgurances infinies. Olivier est aux drums. La pièce essentielle de cette mécanique huilée à la fureur d'ours polaire. Grosse responsabilité, Tigerleech ignore la ligne droite, préfère l'avance par triangulations saccadées. Vous ne savez jamais où ils vont mais vous comprenez qu'il ont décidé d'y aller par le chemin le plus escarpé. Zadorent les z'angles z'aigües. En sont presque déconcertants, vous les imaginez par ici, pas de chance sont passés par là-bas. Mais progressent si rapidement qu'ils vous emportent avec eux, vous prennent sous le bras et vous vous laissez emmener les yeux bandés. Bien sûr qu'ils on un guitariste. Un chapeau sur la tête et pas manchot frigorifié sur la banquise. Au début s'est pas mal remué – ces gens-là n'ont manifestement pas eu la malchance d'avoir des mamans qui tout-petits leur intimaient l'ordre de se tenir tranquilles – mais bientôt s'est concentré sur ses doigts, et vu ce qu'il leur faisait faire, l'on en a déduit que dans sa tête devait y avoir un sacré remue-ménage de méninges survoltées – le genre de gars qui n'a pas de problèmes pour faire coïncider ses deux hémisphères, l'a épousé tous les soubresauts de la section rythmique, nous a donné des soli en forme d'épines de hérissons, sommets et dépressions scrupuleusement suivis du bout du médiator, le seul médicament qui vous fasse du bien.

Faut tout de même revenir à Sheby. Parce que voyez-vous dans la nuit tous les tigres sont ( avec ou sans supplément de sangsues ) gris. Alors ils ouvrent les yeux, pour vous avertir que vous êtes en danger. Rien de plus désagréable que d'être surpris par un ennemi invisible. C'est pour cela que Tigerleech a adopté la tactique Sheby. Frontman devant, pendant ce temps, derrière, à l'aise, peuvent casser tout ce qu'ils veulent – et ils ne s'en privent pas, de préférence les coffre-forts à la dynamite plutôt que les assiettes à soupe en scènes de ménage - Shegy le charismatique ne reste pas une seconde immobile, l'en arrive à entortiller le fil du micro autour du rappel comme s'il ligotait un malheureux explorateur au poteau de torture, l'on se demande comment et pourquoi en maternelle son institutrice a omis de le calmer définitivement avec le fusil de chasse de son mari chargé à chevrotines – quoi qu'il en soit nous devons désormais faire avec, et le diable me pardonne, il sait y faire. D'abord il ne chante pas. L'est plus malin que cela, l'a transformé sa voix puissante en quatrième instrument qui s'amalgame totalement à la lave brûlante servie par ses trois camarades, n'est pas le torero en habit de lumière qui joue des castagnettes devant les filles qui mouillent la culotte pendant que les picadors se chargent d'assommer la bête furieuse, l'est un warrior au même titre que les autres, tous ensemble, tous ensemble ils plongent leurs glaive dans le ventre du monstre, lui se permet la fantaisie de lécher la lame sanglante d'une langue experte et de nous communiquer oralement le résultat de son analyse viscérale.

Le gore-rock de Tigerleech a toutefois des effets indésirables que la vérité historique nous interdit de taire, au bout d'un certain temps d'exposition les filles se transforment en groupies hystériques et l'agitation gagne même les garçons qui se lancent dans une espèce de twist-punk d'un genre nouveau dont le bacille n'a pas été encore identifié. Les sangsues du tigre sont merveilleusement au point. Tous exacts au rende-vous de la prochaine dissociation rythmique, et tous unis pour aborder les ponts de lianes aux planches vermoulues avec en bas les crocodiles qui attendent la gueule ouverte. Une merveilleuse chasse-à-coure, qui ravira les amis des bêtes puisque c'est le tigre qui poursuit les chasseurs. Super film d'actions aux multiples rebondissements, mais dont vous préférez la bande-son. Un set classieux et brutal. Certains prétendent que c'est juste du rock'n'roll. Ca tombe bien, on aime ça.

Damie Chad.

 

J'ai fait un peu de rangement et je suis tombé sur, en fait c'est la pile de CD qui est tombée toute seule, l'a dégringolé sans rien me demander, cela m'a semblé bizarre, je n'ai pas mis longtemps à identifier les coupables, un groupe de rondelles espagnoles à pochettes noires. Je l'aurais parié, rien de pire que les anarchistes pour mettre le désordre. Employons les mots qui fâchent, pour foutre le bordel. Des bibelots-molotov que j'avais rapportés d'un séjour dans les quartiers chauds de Barcelone.

Nécessité de Lutter, rien que le nom du groupe est déjà un programme à lui tout seul. C'est aussi le titre de leur premier album, le deuxième emprunte à la même poésie La Guerra Social es Inevitable, le troisième est du même tonneau : Adictos a la Revuelta, nos jeunes gens ont décidément de la suite dans les idées ( noires ). Le dernier publié en 2010 a été précédé de huit titres sur un album nommé Split sur lequel le groupe Inugami en a déposé quinze. L'existe aussi deux compilations. D'après leur FB en déshérence on peut en déduire que la combo a cessé ses activités en 2017... Raison de plus pour les écouter. D'autant plus qu'ils nous préviennent au dos de la pochette : La Anarquia Es Inevitable. Autant savoir à quelle sauce nous allons être mangés.

 

EL COLAPSO ES INMINENTE

NECESIDAD DE LUCHAR

( Auto-production / 2010 )

Fanny : basse / Nacho : vocal: / Richy : guitare / Jorge : batterie.

Intro : l'on s'attendrait à une tempête, mais non juste une vaguelette qui se déploie doucettement, survient bientôt une belle musique qui prend de l'ampleur sans être alarmante, un lever de rideau qui s'éparpille en gouttelettes et qui finit par s'éteindre brusquement, comme si le souvenir des jours paisibles n'était plus d'actualité. El colapso es inminente : alors que je m'apprêtais à chroniquer le disque, une émission radio en direct du Salon du Livre évoque le collapsus que tout le monde redoute. L'est plus souvent défini en tant qu'effondrement de la civilisation planétaire. Entrée de guitares grondantes et batterie catasplasmée, mais tout de suite le texte prend le dessus, l'est crié à la manière de slogans avec entonnements répétitifs en guise de refrains et appuis de voix en chœur. Le rythme s'accélère mais les paroles restent distinctes, s'agit d'un punk propagandiste qui se termine sur un hurlement de douleur. Autos de fe : sur un rythme beaucoup plus rapide, vocal toujours prépondérant. L'on change quelque peu de sujet. Le juron final Me Cago En Dios vous en indique la teneur. L'Espagne porte une lourde hérédité inquisitoriale question religion. Maintenant comme avant, vous finirez en croix sur la place publique. Méfiez-vous, les murs ont des oreilles, ne vous découvrez pas, vous ferez partie des victimes. Chiez sur tous les Dieux qui se présentent. Ils vous abandonneront à la première escarmouche. Mis suenos : des rêves qui ne sont pas innocents, ceux d'une révolution nécessaire, sans rage et confrontation vos doux désirs d'espoir et d'amour resteront lettres mortes. Transformez votre apathie et votre découragement en lutte révolutionnaire. Le rythme est un tantinet plus lent mais le vocal s'attarde sur les mots, ceci en début de morceau car bientôt la batterie impose un rythme soutenu, la guitare brûle ( comme une banque sur les Champs-Elysées ), intonation vocale et background se font lyriques. Al encuentro : longue intro de guitare bourdonnante – la musique reprend ses droits – la batterie danse le scalp et la voix vocifère. Malgré tous les obstacles, il est nécessaire de forcer le passage – rythme quasi militaire – et la décision de poursuivre jusqu'au bout, l'action sera au début du monde nouveau. Mas alla del horizonte : vent violent, guitare fuzzante, batterie hachante, critique des masses – les anarchistes sont aux antipodes des théories maoïstes – plus loin que l'horizon, s'agit de dépasser l'inertie des multitudes d'esclaves qui aspirent aux poignes des chefs et des maîtres. Bréviaire de l'anarchisme individualiste. Hoy es el dia : l'autre face de l'anarchisme stirnérien, la libre association des groupes de combat affinitaires. Sur le livret le texte du morceau est illustré par le logo du groupe, l'A cerclé – l'arobase anarchiste – entrecroisé avec deux poignards. Mots et sigle sans équivoque. Accompagnement musical violent de la même teneur que les lyrics. Rios contaminados : apocalypse pollutive, l'écologie de NDL est aussi noire et désespérée que leur drapeau. Ne sont pas de doux rêveurs, guitares et musiques vous racontent votre prochain futur. Votre mort est certaine. Mers de plastiques, rivières empoisonnées, et pluies acides auront raison de vous définitivement. La guitare fonce vers cet avenir comme un bolide qui a envie de s'écraser contre un mur de granit. Vous êtes sûrs qu'il n'y aura pas de survivants. Apparencia : ne croyez en rien, votre univers n'est que du toc, suivez votre propre chemin, soumettez toute production intellectuelle à la critique, même la vôtre, car le collectif dépasse l'individuel. Il n'y a qu'une règle qui doit dicter votre conduite : la mesure de l'écart qui existe entre votre idée et vos actes. Que ceux-ci soient en conformité. Derrière la voix le combo s'enflamme, les rythmes perdent leur simplicité comminatoire, l'on ne verse pas non plus dans les subtilités du prog, mais les instrus explorent leurs possibilités. El aullido del lobo : l'homme est un loup pour l'homme, alors hurle à la lune comme le loup esseulé, les tiens se sont emparés de la tanière familiale et mondiale, la défendent en se prévalant du droit de propriété. Alors cours à l'attaque. Laisse la propriété, reprends ton droit. La voix prend des accentuations de mégaphone, une guitare flambe dans le soleil rouge du matin, Fanny hurle dans le lointain comme une louve qui aguerrit ses petits pour la lutte finale, la batterie sonne la charge insurrectionnelle. Junto a la manada : un petit d'homme sort du ventre de sa mère. Le monde semble être en suspend. Reste à lui apprendre à vivre, à se défendre et à attaquer. La guitare fuse comme un engin spatial lancé dans les confins inconnus. Urgence vocale, l'éducation est un passage du témoin de la lutte intergénérationnelle. Les chats noirs n'accouchent pas de chiens policiers. Outro : reprise de l'intro à croire que le cauchemar s'est arrêté que les jours nouveaux sont arrivés. Que l'abominable parenthèse des temps morts est achevée.

 

Ce punk militant, peut gêner ou déplaire. En tout cas on ne peut lui reprocher de se cacher derrière des vocaux en anglais mâchonnés du fond d'une gorge embrumée de glaviots. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, dixit Boileau poète-courtisan qui vivait de faveurs royales... Et ce sont des anarchistes espagnols qui suivent cet enseignement de l'idéal classique français ! Certains objecteront que de telles directives ânonnées trop distinctement induisent une régulation de la musique obligée de coller à la simplicité sloganique. Les deux premiers morceaux cèdent à ce défaut mais l'instrumentation acquiert par la suite une liberté et une indépendance non négligeables.

Damie Chad.