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20/03/2019

KR'TNT ! 411 : ANDRE WILLIAMS / ARCHIE LEE HOOKER / HANDSOME JACK / SOVOX / BEACH BUGS / MOZES AND THE FIRSTBORN / FATIMA / TIGERLEECH / NECESIDAD DE LUCHAR

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 411

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

21 / 03 / 2019

 

ANDRE WILLIAMS / ARCHIE LEE HOOKER

HANDSOME JACK / SOVOX / BEACH BUGS

MOZES AND THE FIRSTBORN / FATIMA

TIGERLEECH / NECESIDAD DE LUCHAR

TEXTE + PHOTOS SUR :  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/…/2…/03/index.h...

 

Dédé la praline - Part One

 

Petit flash-back : février 2008, les Flash Express assurent la première partie du show d’Andre Williams à la Maroquiqui. Brian Waters annonce la couleur :

— On joue très fort, escousez-nous !

Waters est un peu potelé, mais il peut sauter en l’air ! Sur sa vieille Télé à ouies, il joue un jeu dangereux : il combine les accords ouverts avec les départs en solos incendiaires. Ce power-trio californien sonne un peu comme le JSBX. Au fil des morceaux, Waters s’agite de plus en plus. Il rebondit comme Pete Townshend, ce qui constitue un exploit, vu son poids.

Après un petit entracte, les Flash Express reviennent s’installer sur scène. Ils ramènent avec eux un quatrième larron équipé d’une belle guitare blanche. Comme sur l’album The Black Godfather, Brian Waters se lance dans un speech incantatoire pour annoncer l’arrivée d’Andre Williams. C’est un moment historique. Andre arrive coiffé du chapeau noir d’Al Capone. Il porte la veste d’uniforme de Jimi Hendrix, le pantalon rouge de Chuck Berry, et les chaussures deux tons de Nicholas Cage. Andre Williams a soixante-douze ans. Aux yeux de tous les gens rassemblés dans la petite salle, il cumule autant de prestige que James Brown, Chuck Berry, Ronnie Spector et Sam Moore réunis. Il s’approche du micro et pointe ses pouces en rythme sur le beat qui est infernal. «Jail Bait» et «Bacon Fat» qui sont ses vieux hits font toujours autant de ravages. Une profonde impression de douceur comateuse se dégage de son visage. Derrière son micro, il sourit et attend sagement la fin des transitions instrumentales pour reprendre le chant. On a sous les yeux la combinaison la plus explosive qui se puisse concevoir, celle d’un vétéran de la scène r’n’b de Detroit et d’un groupe de garage-blues de très haut niveau. Dédé fascine. Impossible de le quitter des yeux. Il est à la fois le crocodile et le dromadaire, l’archange Gabriel et le démon priapique, le soul-shaker moderne et l’icône séculaire, le rouge et le noir, le croon et le shout, la rugosité et la chaleur humaine, le vétéran et l’ingénu, le géant et le mortel, le papy et l’éternel adolescent, le doux et le dur, la bite et l’esprit, le futur et le passé, le flux et le reflux. Et puis, au fil des morceaux, on s’aperçoit qu’il ne tient pas debout. Il est complètement défoncé. Il s’assoit, défait sa veste d’uniforme, la remet, s’en va, puis revient. Visiblement, il n’est pas bien. Il remercie le public :

— Tank you Paris, tank you for coming up to see the old man...

Pour boucler le show, les Flash Express envoie la purée de The Dealer, l’énorme hit niché sur The Black Godfather. Inespéré. Brian Waters joue le riff en boucle hypnotique. Andre Williams semble revenir à la vie. À la fin de ce morceau interminable, il sort de scène et refuse la main que lui tend un assistant pour l’aider à monter les marches qui conduisent aux loges. Andre Williams a sa fierté d’homme noir de l’Alabama. Il sort discrètement de la Maroquiqui, remonte la rue Boyer jusqu’à la rue de Ménilmontant et entre dans le premier rade venu. Il s’installe au comptoir et au moment où il commande une bouteille de French wine, il reçoit une bourrade dans l’épaule.

— Alors Dédé, vieux crocodile ! Qu’est-ce que tu fous là ?

Andre se tourne et sursaute :

— Berry, ah ça par exemple !

Ils s’observent longuement. Leur amitié ne date pas d’hier.

— Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vus, mon vieux Dédé ?

— Berry, tu sais compter mieux que moi...

— Allez, on va dire trente ans ! Incroyable, tu as toujours la même tête de cabochard ! Qu’est-ce que t’as pu m’en faire baver, sale nègre !

— Certainement pas autant que ton protégé de l’époque, cette petite ordure de Little Stevie Wonder...

— Tu te souviens de lui ?

— Ce petit con d’aveugle tapait comme un dingue sur les claviers pour désaccorder les pianos. J’ai dû le virer plusieurs fois du studio. En plus, il imitait bien nos voix.

— J’ai failli l’étrangler quand il a appelé la comptable en imitant ma voix pour lui demander de préparer un chèque de 25 000 dollars. Un vrai gamin. Mais Dédé, tu ne m’as toujours pas dit ce que tu fabriquais ici, à Paris...

— Je sors d’un concert.

— Un concert de qui ?

— De moi, pauvre con.

— Tu chantes encore, vieux bouc ?

— Ouais. J’ai pris un nouveau départ, hee hee hee hee...

— Mais Dédé, t’as plus de soixante-dix balais !

— Que veux-tu, Berry, les gens m’adorent. Ce qui ne doit pas être ton cas. T’as fait de sacrés ravages quand t’as quitté Detroit pour installer Tamla Motown à Los Angeles. Je fréquentais les musiciens qui jouaient pour toi, à l’époque, tu sais, les Funk Brothers. Uriel Jones et Pistol Allen, ces noms-là te rappellent quelque chose ? Tu les as laissés tomber comme des merdes. Je peux te dire une chose : aujourd’hui encore, ils te détestent. On ne se conduit pas comme ça avec des musiciens qui t’ont rendu autant de services. Ils étaient sur tous les hits Tamla. Sans eux, tu n’étais rien...

— J’avais des impératifs, Dédé. Tu ne peux pas comprendre. Tu n’as jamais rien compris au business. Chaque fois que tu as eu l’occasion de faire quelque chose de bien, tu t’es arrangé pour que ça te claque dans les pattes. Combien de fois je t’ai rappelé pour te proposer un poste stable ? Tu savais écrire des tubes, tu savais produire, tu savais même chanter, tu aurais pu te faire des couilles en or à Tamla !

— Smokey Robinson était bien meilleur que moi, Berry, tu le sais bien. Et puis, je vais te dire une bonne chose. Je n’ai jamais aimé tes méthodes. Je ne t’aimais pas, mais je te respectais parce que tu avais du génie. C’est toute la différence avec Ike Turner que j’ai fréquenté un peu plus tard. Il avait du génie, lui aussi, je l’aimais bien, mais je ne le respectais pas.

— Tu coupes toujours les cheveux en quatre, Dédé. Tu en as toujours fait qu’à ta tête. Des mecs comme toi, c’est ingérable, quand on fait du business.

— Je te rappelle que tu me dois une fière chandelle, sale nègre ! Qui est-ce qui t’a trouvé chez le coiffeur et qui t’a donné la carte de ce ponte de United Artist ? Le pape ? Sans moi, Berry, tu écrirais toujours des chansons pour ta voisine de palier. Et puis, je ne peux pas accepter de leçons venant de toi. Je t’ai refilé au moins quatre-vingt chansons. Marvin Gaye, Mary Wells et les Contours en ont enregistré. J’ai traîné ma bosse partout. Tu as dû rater des épisodes, Berry ! À Chicago, j’ai travaillé pour les frères Chess. À Houston, j’ai travaillé pour Duke Records, et crois-moi, c’était pas de la rigolade de bosser pour ces mecs-là. À Los Angeles, j’ai travaillé pour Ike Turner et pris plus de coke que lui et baisé en un an plus de chattes que t’en as baisé dans toute ta vie, Berry... Tu vois, je vais te dire encore un truc : Devora Brown et Leonard Chess étaient des Juifs, mais ils étaient bien meilleurs que toi, et à tous les niveaux. En m’empêchant d’aller chez Epic, Devora Brown a brisé ma carrière mais elle m’a sauvé la vie. Con comme j’étais à l’époque, je n’aurais pas fait de vieux os. Les drogues, les armes, tu vois ce que je veux dire... Leonard Chess respectait les musiciens. S’il n’avait pas cassé sa pipe, je travaillerais encore probablement avec lui.

— Sacré Dédé, tu veux toujours avoir le dernier mot. Puisqu’il n’y a que ça qui t’intéresse, je te le laisse. Buvons un coup. Très franchement, je suis content de te revoir. On m’avait raconté que tu étais à la rue, à une époque...

— Exact, gros lard. Tu vois ma ligne ? Pas un poil de graisse, hee hee hee hee !

— Ouais, et toujours sapé comme Cab Calloway... Et comment tu t’es sorti de là ?

— Certainement pas grâce à toi, Berry. Mais, c’est vrai, tu ne pouvais pas savoir. À l’époque, tu ne pensais certainement qu’à t’allonger au bord de ta piscine pour t’occuper de ton bronzage, hee hee hee hee !

— Dédé, j’apprécie toujours autant ton humour, franchement. T’es le boute-en train number one. Mais tu devrais te surveiller un peu. Il me semble que parfois t’es un peu lourd.

— Autant pour moi, Berry. Excuse-moi, mais ça doit être toi qui m’inspires ce genre de conneries. Alors, revenons à la rue, puisque ça t’intéresse. Tu vois, c’est pas comme une piscine au soleil. En hiver, on se les caille et on ramasse les mégots pour les fumer. Dès qu’on a des ronds, on trouve un dealer de quartier pour lui acheter le petit bout de crack qui permettra de tenir jusqu’au lendemain. Et puis un jour, Perk, le mec des El Dorados, passe en bagnole et me klaxonne. Il me dit qu’un mec me cherche partout.

— Pour te descendre ?

— Mais non, pomme de terre, pour chanter. Perk me refile le numéro de téléphone du mec. Il s’appelle Paulus, un collectionneur. Il possédait tout ce que j’avais fait sur Fortune Records et me considérait comme un génie.

— Un de plus...

— J’ai pas dit que j’étais un génie, Berry, c’est Paulus qui dit ça. J’ai toujours fait mon boulot, sans rien demander de spécial. Bon, le mec me demande si j’ai des chansons. J’ai toujours eu des chansons, depuis le début, tu sais, la danse et puis le gimmick. Ou si tu préfères, le vieux beat africain et une bonne histoire. Paulus me met en cheville avec un mec de New York, un blanc-bec nommé Billy Miller, un amateur d’Esquerita et de Bobby Fuller, je ne sais pas si tu vois le genre ! On fait un album qui s’appelle Greasy. Billy Miller fait venir un vieux guitariste anglais, un nommé Dick Taylor, une sacrée pointure, un mec assez connu en Angleterre. Tout est parti de là. J’avais tous les petits rockers de Detroit à mes pieds. Ils se bousculaient au portillon. Tous des mecs bien, qui me respectaient et qui me considéraient comme un dieu, je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire, Berry, heee hee hee hee. J’ai fait des albums terribles avec Larry Hardy, le boss d’un petit label californien qui me demandait d’écrire des chansons salaces, comme celles de 57. C’est le genre de choses qu’il ne faut pas me demander deux fois. Et puis je vais te dire encore un truc. Ces blancs avaient tout pigé, au niveau du son. Ils voulaient le son brut qu’on avait avant que tu ne te ramènes avec tes violons et tes arrangements sophistiqués. Tu as voulu plaire aux blancs et tu as avachi la musique noire. Vers la fin, les disques Tamla que j’entendais à la radio n’avaient plus de sens. Comme si les Velvelettes, Gladys Knight et Martha Reeves n’avaient jamais existé. Par contre, Larry et Billy reviennent aux sources et tapent en plein dans le mille. C’est une chose qui ne t’a jamais traversé l’esprit.

— Dédé, tu ne comprends pas bien. Quand tu diriges une maison de disques, tu ne dois te préoccuper que d’une seule chose : toucher le public le plus large. C’est une condition de survie. Je suis sûr que les mecs dont tu parles rament comme des galériens pour survivre, parce que je n’ai jamais entendu parler ni d’eux ni de tes disques.

— De toute manière, ils ne t’intéresseraient pas, parce que tu ne comprends rien à ce que je t’explique. Je ne te parle pas de chiffre d’affaires, je te parle de gens qui croient en ce qu’ils font. C’est toute la différence. Tu ne te rends même pas compte qu’on discutait déjà de tout ça à l’époque où je travaillais pour toi. Je ne sais pas si c’est ta vision des choses ou la mienne qui est étriquée, mais j’ai ma petite idée là-dessus, Berry, hee hee hee hee. Tu me fais penser à une grosse saucisse qui aurait un billet de cent dollars à la place du cerveau.

— Et toi à un crocodile qui se fait enculer par un zébu. Tu es plus têtu qu’une mule de l’Alabama.

— Justement, j’ai fait un disque de country avec des Canadiens qui s’appellent les Sadies. Tu n’as probablement jamais entendu parler de ces mecs-là. Dommage pour toi. Le disque s’appelle Red Dirt. J’y parle de mes vieux souvenirs, quand je travaillais dans les champs et que j’entendais Hank Williams, Waylon Jennings, Patsy Cline et Hank Snow dans la radio du camion qui nous ramenait à la maison. J’étais gosse et depuis, j’ai toujours gardé ces gens-là dans mon cœur. Sur ce disque, les frères Good ont fait un bon boulot. J’y chante une vieille chanson de Ray Charles, «Busted» et ils m’accompagnent à la mandoline. J’y reprends aussi des trucs que tu ne connais pas, des merveilles country des Bottle Rockets, de Harlan Howard, d’Eddy Arnold, de Lefty Frizzell, et une chanson de Johnny Paycheck que j’adore, «Pardon Me, I’ve Got Someone To Kill», hee hee hee hee.

— Tu me parles en chinois, Dédé.

— Oh je sais bien. J’en profite pour t’embêter un peu et te plonger le museau dans ton ignorance. C’est pas en comptant et en recomptant tes dollars que tu vas évoluer.

— T’as besoin d’argent ?

— Non, j’ai tout ce qu’il me faut. J’ai même une poule... Une poule superbe, une Jamaïcaine de la tribu Naftali. Tiens regarde... Andre ouvre sa braguette et sort sa queue. Berry s’écrie :

— Tu t’es fait circoncir ?

— Pas mal, hein ? Je t’en mettrais bien un coup, j’ai encore jamais baisé un cochon...

Berry sort une lame à cran d’arrêt.

— Je vais te la couper et te la fourrer dans la bouche, comme ça tu ressembleras à un éléphant !

Le patron du bar intervient. Il fait signe à Berry de ranger sa lame et à Andre de ranger sa queue. Il en profite pour annoncer la fermeture :

— Finish ! Close ! Understandingue ?

Berry et Andre se retrouvent sur le trottoir. Ils se donnent un longue accolade. Puis ils se séparent. Ils partent dans deux directions opposées, comme ils l’ont fait toute leur vie. Andre Williams descend la rue en titubant. Il ne se souvient plus à quel carrefour il doit tourner pour retrouver son hôtel. Il croise des Johnny casquettes qui se moquent de lui et qui le traitent de vieille tapette. Andre ne comprend pas le Français. Il lève son chapeau d’Al Capone pour les saluer et poursuit sa route dans les ténèbres.

Signé : Cazengler, André vile âme

Andre Williams. Disparu le 16 mars 2019

 

L’archi raw d’Archie Lee

 

Ce n’est pas la première fois qu’une légende vivante se retrouve prise en sandwich entre deux attractions : on se souvient d’un Jerry Lee coincé entre Linda Gail et Chickah Chuck à la Villette. C’est au tour d’Archie Lee Hooker de se retrouver pris entre deux belles tranches, Bâton Bleu, trio tripoteur de trips trigonométriques, et Bernard Allison, vaillant perpétuateur d’un big old Chicago blues qui n’en finit plus de ne pas vouloir mourir. Si nous avons traversé une petite partie de la Normandie, ce n’est pas pour entendre le blah blah blues du grand Bernard Allison, mais pour entendre le raw blues du petit Archie Lee Hooker, tel qu’on peut le retrouver sur l’excellent Vance Mississippi enregistré en duo avec Jake Calypso, un album dont il faudrait pouvoir chanter les louages par dessus les toits, tellement il est réussi.

Dès le morceau titre, Jake et Archie Lee atomisent le boogie blues. Archie Lee prend le relais de Jake d’une voix d’outre tombe. Ils mènent ça au dialogue à l’ancienne. Infernal ! Fabuleuse ambiance ! On croit même entendre des canards dans le studio. Ils tapent le boogie à l’hypno. C’est l’endroit exact où le blues et le rockab se rejoignent, un endroit que connaît bien Charlie Feathers, puisqu’il vient de là, de Obie Patterson. Même chose avec «Juke House Man». Grosse présence du vieux, comme sur scène, puissance de l’immédiateté. Ça explose dans la seconde. Jake tape ensuite «Louise Blues» à la trade. Il ne réinvente pas le fil à couper le beurre, mais il impose sacrément bien le respect. Aussitôt après le vieux refout le feu à la cabane avec «Blues Inside Me», tapé au vieux beat sauvage. C’est même très sauvage et doté du vrai son, et battu derrière avec toute la rage du raw. Le vieux n’en finit plus de hanter «Blues Inside Me» et ramène toute la tension qu’on peut attendre d’un blues à vocation primitiviste. Ils jouent ça sous le boisseau, le cut se veut bien vénéneux, entêtant et comme fatal. C’est une pure énormité de fin de face, l’apanage du big raw, le garant d’une qualité de bone. Tiens puisqu’on parle de bone, on en trouve en B dans «Blues In My Bones», un heavy blues machiavélique, bien situé dans l’esprit de tonton Hooky - I was born with the blues in my bones - Il fait résonner tous ses B de manière sidérante. Jake se tape la part du lion avec «Hey Barber Barber», qu’il chante au yodell sur un rythme effréné. Voilà un boogie cajun obstiné et soûlé d’harmo. Grosse, très grosse ambiance ! Jake revient faire sensation avec «Rain Rain Rain», heavy sludge joué à la syncope de fife & drums d’Otha Turner. Décidément, l’ami Jake ne connaît que les coups de Jarnac du Mississippi. Il chante en plus au guttural des sous-bois. Ils finissent dans la pétaudière avec «My Shoes», gros shoot de boogie diabolo, extraordinaire débauche de raw. Avec ceux de Cedric Burnside et de Gary Clark J., cet album représente en gros tout ce qu’il faut attendre du blues moderne.

On pourrait croire que c’est du tout cuit pour Archie Lee, puisqu’il est le neveu d’Hooky. Un nom pareil, ça ouvre évidemment des portes. Mais ensuite, il faut assurer. Et quand on voit arriver ce petit bonhomme sur scène, l’évidence frappe tout de suite : ce pépère black de soixante-dix balais est une super star ! Il bouge, danse, chante, rigole et travaille son set avec une classe effarante, il donne des ailes au Hook, swingue des hanches comme Sammy Davis Jr, il marche comme à la parade de la Nouvelle Orleans, il donne de l’air à ses solistes blancs et s’amuse de les voir jouer comme des cracks pour lui faire plaisir. Il flotte dans son immense costume rayé et shoote son r’n’b les bras en croix, il recrée l’atmosphère d’un bastringue des bas-fonds, il ne connaît ni la fatigue ni les lois de la physique, il semble se régénérer au fil des cuts, il puise dans son insondable réserve d’Africanité et nous donne du spectacle, c’est complètement hors du commun. Si John Lee Hooker savait hanter une scène en restant assis avec sa guitare et en tapant le beat du pied, Archie Lee Hooker la hante différemment, mais le résultat est le même. C’est un spectacle très haut de gamme, construit sur un savant mélange de r’n’b et de blues, mais qui échappe en même temps à tous les formats. La grande force d’un tel artiste est de savoir se singulariser. On pense bien sûr à des géants comme Taj Mahal, Bobby Bland ou encore Terry Callier qui ont su exister par eux-mêmes et créer un style qui leur soit propre et qui reste inimitable. Archie Lee Hooker entre dans le cercle des géants de cette terre. Curieusement, il ne joue aucun des cuts de Vance Mississippi. Tous les cuts du set proviennent du deuxième album, enregistré avec The Coast To Coast Blues Band, un fier quarteron de blancs becs du Luxembourg. On regrette que le backing band ne soit pas black comme celui de Bernard Allison, mais les Coast To Coast s’en sortent avec les honneurs, il est important de le préciser. Le guitariste Fred Barreto est particulièrement brillant. Il affiche le look d’un mec qui sort des bois de l’Arkansas, tignasse, barbe, poux et denim. On le sent pétri de culture blues, en tous les cas son style ne laisse pas indifférent. S’il fallait le situer stylistiquement, on pourrait citer le nom de Jimmy Page, celui de l’early Led Zep.

Après un instro d’intro déroutant (on se demande qui est ce groupe de blancs qui ne se présente pas), Fred Barreto annonce Archie Lee Hooker qui rentre de plein fouet dans la rondelle des annales avec «Big Ass Fun», et là, on peut dire que les colonnes du temple dansent le twist. Il n’y a qu’un blakos qui puisse casser la baraque comme ça, dans l’immédiateté d’un début de set. Ça se transforme tout de suite en pétaudière, comme chez Elmo Williams & Hezekiah Early, ça sent bon la cabane branlante et les planches qui grincent. Juste avant que la Traverse ne bascule dans l’orgie d’un sabbat, ce petit diable noir calme le jeu en s’asseyant avec une guitare pour rendre hommage à son cher Tennessee et gratter un blues bien rootsy. Mais dès qu’il se redresse, c’est pour relancer sa machine infernale. Avec «I’ve Got Reason», il fout la Traverse par terre. Il fait partie de la race des inextinguibles. S’il revient en rappel, c’est en vainqueur, tel un roi africain chaussé de santiags ferrées, avec un «Boom Boom» à tomber, il nous shoote tous right down, right off our feet ! Ah si son oncle pouvait voir ça ! Quel carnage de beat ! C’est la version la plus explosive qu’on ait entendue ici bas. Avec un shoot de Boom Boom pareil, il n’a plus besoin d’en rajouter.

L’album dont le vieux fait la promo avec sa tournée s’appelle Chilling. C’est un album luxembourgeois. Au dos de la pochette, on lit les soutiens et on voit les logos. Le son est très différent de Vance Mississippi. Le producteur a opté pour un son plus lisse et plus technique, alors forcément on perd tout le charme du raw de Vance. Le cut qui sort du lot s’appelle «90 Days» car le vieux le chante d’une voix sourde sur fond de slap. Mais c’est du slap luxembourgeois. Rien de sauvage là-dedans. Les Coast To Coast travaillent la touffeur du son et le vieux renoue avec les vieilles recettes de Tonton Hooky, dans sa façon de tartiner une syllabe en l’écrasant légèrement. Fred Barreto en profite pour prendre un solo claironnant, le mec est un bon, il sait gratter à la revoyure. On est dans une forme de sécurité affective du blues. Les deux solos d’acou sont des merveilles de limpidité crue. Archie Lee tape son «Big Ass Fun» dans la grande tradition du bloogie blast à la Hooky. Il observe les règles de l’art suprême, le vieux sait mener une troupe. C’est d’ailleurs avec ce «Big Ass Fun» qu’il démarre son set. On est dans l’excellence d’un son bien soutenu à l’orgue. Backing irréprochable, mais tout de même moins spectaculaire que sur Vance. Dommage que la prod soit si lisse. Le morceau titre sonnerait presque comme le hit d’un mec à la mode, tellement ça frôle la petite pop FM. Il faut attendre «Blue Shoes» pour trouver du rampant. Le vieux tente de battre son oncle sur le terrain fantômal, mais il est trahi par cette orchestration trop lisse. Fred Barreto en profite pour faire son plantureux en jouant le plus jouissif des solos. C’est encore avec le r’n’b d’«I’ve Got Reasons» que le vieux s’en sort le mieux. Il shake son raw avec conscience et pénétration. Il devient une sorte d’alambic à deux pattes. Mais c’est avec la Soul qu’il est le meilleur. Quand il chante «Your Eyes», il envoûte. Il chante d’une voix de mineur cancéreux, avec une grande retenue. C’est très chaleureux. On tient là le hit du disk, un balladif Soul incomparable. Puis il profite de «Bright Lights Big City» pour rendre un bel hommage à Memphis Tennessee. Il nous swingue ça sous un boisseau en caoutchouc.

Signé : Cazengler, Hookar (de côte du Rhône)

Archie Lee Hooker. La Traverse (76). 7 mars 2019

Jake Calypso & Archie Lee Hooker. Vance Mississippi. Chicken Records 2016

Archie Lee Hooker & The Coast To Coast Blues Band. Chilling. Dixie Frog 2018

 

Handsome Jack of all trades

 

Lorsque les trois hippies américains de Handsome Jack arrivent sur scène, personne ne les ovationne. Qui irait miser sur un trio qui semble sortir d’un collège de banlieue des années soixante-dix ? Pas de look, pas de rien, on sent même chez eux une modestie qui complique encore l’ambiance. Ou plutôt une sorte de réserve finement teintée de timidité. Ils font autant d’effet qu’un pétard mouillé. Le chanteur guitariste au fond à droite ressemble à s’y méprendre au grand Duduche. Il installe sa haute silhouette décharnée derrière un pied de micro et met le volume sur une vieille guitare de Mathusalem, celle qu’on voit sur la pochette de Hound Dog Taylor & The House Rockers, cette espèce de Jaguar ornée d’une rangée de touches de réglage qui ressemblent à celles d’un accordéon. Il porte des fringues circonstanciées, c’est-à-dire une chemise et un pantalon de couleurs indéfinissable. Il semble se foutre du look comme de l’an quarante. Le bassiste soigne lui aussi un non-look parfait. Avec sa crinière noire et sa chemise ouverte sur un poitrail avantageux, il correspondrait plus à l’idée qu’on se fait du dragueur de surboum. Il joue lui aussi sur une basse échappant à toutes les normes, un peu pailletée et certainement vintage, comme on dit dans les milieux bien informés. Quant au batteur, c’est encore autre chose ; avec sa moustache en crocs et son bandana noué sur le front, il semble sortir d’une mauvaise plaisanterie métal. Tout bien pesé, ce trio pourrait ressembler à un gag de type Spinal Tap, sauf que ça prend une tournure intéressante dès qu’ils se mettent à jouer. Eh oui, l’habit ne fait pas le moine, et dans le cas d’Handsome Jack, c’est assez flagrant. Ils réveillent la salle en fanfare, avec un son extrêmement dense et très seventies qu’on pourrait situer du côté de Creedence, avec peut-être encore plus de Soul dans le groove. Ce qui pouvait passer pour de la réserve ou de la maladresse n’est qu’en fait une immense désinvolture. Ces trois Américains jouent leur rock de Soul avec une évidente délectation et installent dans la salle une fantastique ambiance de good time music. Le grand Duduche s’appelle Jamison Passuite, il oscille d’un pied sur l’autre quand il part en solo, il chante avec une merveilleuse aisance et ne regarde jamais son manche. De cut en cut, ce mec se révèle même extrêmement doué, complètement immergé dans un son qui ne fait pas de vague, mais qui ne peut que flatter l’intellect des connaisseurs, on est à Muscle Shoals, du temps où Duane Allman jammait avec les Swampers, voilà le son qu’il ressuscite, c’est une merveille, et sa section rythmique amène tout le groove nécessaire à l’élévation combinatoire. Ces mecs réussissent l’exploit d’actualiser un son qu’on pensait figé dans le temps, comme s’ils redonnaient vie à une momie égyptienne et diable comme ils sonnent bien et comme ils sonnent juste !

Le fait que leurs deux albums soient sortis sur Alive n’est pas un hasard, Balthazar. On sait Patrick Boissel friand de ce son et grand protecteur des gardiens du temple. C’est sur Alive qu’on trouve les Buffalo Killers, les Dirty Streets, John The Conqueror, Lee Brain III, Radio Moscow, tous ces groupes affiliés au son des Seventies et quasiment interchangeables, tant par le talent que par la niaque. Le premier album de Handsome Jack date de 2014 et sa pochette est un vrai tue l’amour. On dirait qu’ils font tout pour que Do What Comes Naturally ressemble à ces vieux disques des seventies que plus personne n’écoute. Les couleurs lavasse renvoient automatiquement au premier album de ZZ Top. On est dans ce type d’esthétique un peu désuète. On les voit tous les quatre photographiés devant une vieille grange branlante et Jamison Passuite pose au premier plan, le regard rivé sur l’horizon. On ne trouvera pas de hits sur cet album, rien que chansons admirablement ficelées. Dès «Echoes», Jamison Passuite joue son groove de swamp à la perfection - Don’t shake my arm ! - Puis on assiste dans «Creepin’» à un fabuleux déhanchement du beat. Ces mecs serrent l’encolure du rock et ne jurent que par le festin de son. L’ambiance pourrait rappeler celle d’Exile On Main Street, tellement c’est riche de son. Mais pas riche comme un riche au sens où on l’entend aujourd’hui, riche comme Crésus, ce qui n’est pas la même chose. Ils visent clairement le rock d’influence black, le rock de Soul tel qu’on le trouve chez Arthur Alexander, ils ont une passion pour le feeling qui les honore et chaque fois Jamison Passuite vient fondre son solo dans l’espace du cut avec un brio qui en dit long sur ses convictions politiques. Ce mec ramène dans son disk toute la fastueuse musicalité du Southern rock, il domine bien son rayon et dégage beaucoup de chaleur humaine. On sent le dépenaillé du grand Duduche et le faste de Milord l’Arsouille dans chacun des cut. L’A s’écoule comme dans un rêve. Cet album vaut pour un classique, mais aucun titre ne va prévaloir. Il faut l’accepter dans sa globalité. C’est un album de globo. En B, Jamison Passuite tire son «Right On» au cordeau du meilleur ride on et tape dans le slow boogie blues pour un éminent «Dry Spell». C’est encore une fois admirablement ficelé, bien vivace et foutrement inspiré. Ça correspond exactement à ce qu’on a vu sur scène. Avec «Ropes & Chains», ils passent au heavy gloom de globo. Jamison sort ses vieux riffs de juke et chante comme un délinquant du Minnesota - Hey hey that’s alright - Et il n’en finit plus de nous sonner merveilleusement les cloches - Ain’t nothing wrong/ Hey that’s alright - S’ensuit un «You & Me» ultra joué au touillé de junk blues de rock. Ça reste du big Handsome rock, vaillamment chanté et enfariné au meilleur son de Southern swagger.

Par contre, leur deuxième album Everything’s Gonna Be Alright grouille de hits. Ça frétille sous la futaie. On note dès «Keep On» une nette influence de Creedence, celui de «Keep On Chooglin’», avec ses arpèges cristallins dans le background, juste derrière les fagots. C’est du pur jus d’American Sound, chargé d’urbi et d’orba. Jamison Passuite n’en finit pas de jouer avec une déconcertante nonchalance, se balançant d’un pied sur l’autre comme une grande godiche pas bien à l’aise dans son corps. À la fin du cut, le seul commentaire un peu didactique qu’on puisse formuler, c’est : Wow ! Et ça ne fait que commencer. Comme lors du set sur scène : ils allumaient la gueule des annales dès le premier cut. Avec «Getting Stronger», ils sonnent véritablement comme ZZ Top, et il faut entendre ça comme un compliment. Ils excellent dans le funk de boogie - I’ll drive my evil spirits all away/ Each and every day - C’est excellent ! On se repaît aussi de «Bad Blood» et de la diction superbe de Jamison Passuite - We got bad blood/ It’s burning us/ Down/ We’re stuck/ In the mud/ Living in/ This/ Town - Il faut voir comme il martèle sa matière. Il descend dans l’essence d’un son qui palpite aux effluves d’ersatz. Et puis il y a ce «Baby Be Cool» véritable slab de good time music - Bring it home baby now/ But baby be cool - qu’il enchaîne avec le heavy riffing de «Holding Out». Quoiqu’il fasse, ce mec est bon. Il dispose de toute la stature inspiratoire et de toute l’inclusion glottinale dont on puisse rêver, il colle à tous les terrains du groove - There’s a shadow in the place/ In the back of my mind - C’est lui qui compose tout. On retrouve cette densité compositale extraordinaire de bout en bout. Encore une chef-d’œuvre de good time music en B avec «Why Do I Love You The Way I Do». Il nous sort là une petite merveille, on pense immédiatement à Arthur Alexander et à son album sur Elektra avec Ben Vaungh, c’est la même ambiance, cuivrée au passage du pont, une vraie bénédiction. Avec le morceau titre, Jamison Passuite adresse un beau clin d’œil au vieux Everything - I don’t owe nobody nothing babe/ It’s got me feeling brand new - En plus, les textes sont exemplaires. Retour à Creedence avec «Hey Mama»», Jamison Passuite y ramène tout le shout de Fogerty. Puis on se retrouve à Muscle Shoals avec un «Do You Dig It» qui se situe très exactement à la croisée d’Eddie Hinton et des Dixie Flyers, en plein Deep Southern rock. Jamison Passuite va chercher le meilleur rauch du coin, le fumet du buisson ardent, c’est convaincu d’avance, ce mec chante comme un dieu, il n’a pas fini de nous sonner les cloches à la volée. Ce mec devrait s’appeler Johnny Trente-six chandelles.

Signé : Cazengler, Handsome jaquette

Handsome Jack. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 20 février 2019

Handsome Jack. Do What Comes Naturally. Alive Records 2014

Handsome Jack. Everything’s Gonna Be Alright. Alive Records 2018

11 / 03 / 2019PARIS

SUPERSONIC

SOVOX / BEACH BUGS

MOZES AND THE FIRSTBORN

 

Z'avons le ventre vide, mais nous ne nous inquiétons pas, tout à l'heure nous aurons les oreilles pleines. Z'allons au Supersonic, l'on aime son mur de fond de scène, en briques roses qui me rappellent les murailles de soutènement des jardins suspendus de Babylone. Que j'ai bien connus. En une vie antérieure. Mais je vous raconterai une autre fois, ce soir c'est rock'n'roll.

SOVOX

Sont deux. Sont jeunes. Viennent de Marseille, cité frondeuse. L'un joue des rythmes et l'autre de la sonorité de guitare. L'ensemble est explosif. Vicenzo petit chapeau et gros kit. Debout devant ses machines à boum-boum. Chante aussi. Au début l'on pense que cet attache-micro ombilical va l'handicaper dans ses mouvements. Il n'en est rien. Quand il frappe, il se retranche en son action. Si au début il s'est contenté pour les trois premiers morceaux de rythmes relativement binaires, adoptant pour le premier le mouvement chaloupé des adeptes de la marche nordique, il s'adonnera par la suite à des jeux beaucoup plus complexes. Un peu comme ces profs de math qui vous servent tout le long de leur cours des formules de plus en plus incompréhensibles à part qu'avec Vicenzo la cavalcade vous rentre par la tête avec une facilité déconcertante. Charles est à ses côtés. Fait semblant de jouer de la guitare. En salle de classe il endosserait le rôle du grand dadais à lunettes, le lunatique par excellence perdu dans ses rêveries, vous pourriez croire que les tonitruances de son camarade ne le concernent pas. Le gars qui s'est retrouvé sur scène par hasard, alors pour se donner une contenance il a saisi une guitare qui traînait par là et il fait semblant de s'en servir. Oui mais un consciencieux, un obstiné, cherche la marche à suivre, il suppute, il essaie, il tente, et il trouve. Des trucs extraordinaires. Des cisaillements et des clinquances peu communes. Genre crash de deux voitures lancées à deux cents kilomètres heures qui se rentrent dedans rien que pour le plaisir d'émettre un beau bruit, une catastrophe qui vous arrache les oreilles plus sûrement qu'un sabre de cosaque, après quoi il fait le mec innocent, hien, quoi, comment, que se passe-t-il, je n'ai rien vu, je ne sais pas de quoi vous parlez, l'innocence persécutée par l'injustice, tout juste si vous ne demanderiez pas au tribunal international de l'ONU de se pencher sur son cas, à peine avez-vous tourné le dos que vlang ! Ce coup-ci ce sont deux gros porteurs qui se télescopent en plein ciel et vous assistez en direct à l'écrasement des deux appareils sur le flanc rocailleux d'un massif montagneux. Ce mec-là question guitare il s'est spécialisé en réalisateur de films catastrophes, ne tourne que les scènes choc, pas chics du tout. Une espèce de ferrailleur de génie. Le plus terrible c'est qu'il se prend à son propre jeu, pour les trois premiers morceaux l'a assuré l'a fait le job sans chichi. Sérieusement. Pas les doigts sur la couture du pantalon mais presque. Mais après s'est laissé gagné par la fièvre daimônique, l'artiste emporté par l'éruption créatrice. Le son c'est bien, avec l'image c'est mieux. Alors pour chaque déglingue l'a une espèce de danse sacrée, celle de l'ibis rose qui tournoie brutalement sur lui-même sur une patte juste pour que vous en voyez de toutes les couleurs, ou alors celle du piétinement hargneux du taureau juste avant la charge, ou celle de l'araignée noire qui bondit sur le moucheron égaré dans sa toile. Un zoo sauvage a lui tout seul. Mais pourquoi le filles de l'assistance publique se désintéressent-elles subitement de ce bestiaire apollinarien, c'est que Charles s'est débarrassé de son T-shirt, petit mais musclé, et elles suivent des yeux cette ligne pileuse, pointillés noirs calligraphiés sur la blancheur du torse, comme esquissés par un maître de l'estampe japonaise, qui descend sous le nombril vers des profondeurs suggestivement cachées, nous n'osons écrire hautement convoitées. Et là, Charles emballe sec. Se lance dans la résolution d'équations rythmiques du dix-septième degré. Des répartitions algébriques qu'aujourd'hui dans leurs laboratoires les mathématiciens laissent aux ordinateurs le soin de résoudre, pas Charles, vous déroule les entrailles de l'inconnu sur le tableau blanc de ses peaux de tambours avec la méticulosité de Tante Agathe surveillant ses pots de géraniums sur son balcon. En plus il ne calcule rien, agit d'instinct, trouve dans l'instant même qu'il cherche, donne la réponse en posant la question, et vous suivez ses démonstrations fascinés, ses bras sont comme les cent têtes de l'hydre qui tournoient sans fin pour mieux choisir l'instant crucial où toute ensemble elles vont se jeter d'un même mouvement sur votre pauvre personne. Un malheur ne vient jamais seul. Vicenzo vient, il accourt illico, vous catapulte une giclée métaliffère de tôles ondulantes qui vous découpent en tranches de gigots saignantes. On ne les retient plus, ont décidé de vous azimuter, de vous mater le matin, de vous muter le soir, de vous miter l'existence jusqu'à plus soif. Et l'on aime ce traitement inhumain. A chaque morceau sont applaudis comme un couple de gladiateurs qui vient d'occire ses rivaux et du coup, ils se surpassent sur le titre suivant. Sont portés par le public enthousiaste qui leur offre une ovation digne de leur prestation.

BEACH BUGS

Sont trois. Sont jeunes. Viennent de Limoge pays de paisibles pâturages. Feront moins de bruit que les précédents. Et que les suivants aussi, mais n'anticipons point. Sont le calme dans la tempête. Le répit dans la fureur. Thibaud, Ben et Lucas ne sont pas des foudres du ciel tempétueux. Sont des amateurs de pastorales. Une batterie pénarde qui musarde lentement, de temps en temps l'on appuie sur le temps fort, mais point trop, l'on n'est pas ici pour déclencher l'ire des Dieux. Ici l'on aime les situations idylliques. La petite maison dans la prairie, plus près des campanules et des angéliques que des tracas explosifs du quotidien. Qui dit beach, dit boys, et tout de suite tout s'éclaire. Retour en arrière. Deux guitaristes au look d'étudiant sage qui filent des notes tranquilles et vous harmoniseraient jusqu'aux grilles des prisons. Le rock du temps de l'innocence. Des vocaux à la Pet Sounds, à la Beatles – surtout pas du temps où ils jetaient l'âcreté de leur gourme sur les planches du Star Club à Hambourg – des chansons douces pour les soirées sur la plage autour du feu du bois. C'est mignon tout plein, c'est joli, un peu repos du guerrier qui n'a jamais fait la guerre. Ne se lancent pas dans de longues symphonies, sont adeptes des morceaux courts qui se suivent et se ressemblent. L'on guette le mouton noir du troupeau, mais non il n'y a pas d'erreurs génétiques de la nature, pas de monstre, que de blanches brebis innocentes. Et pas de loup cruel qui sort du bois au dernier instant pour nous faire le plaisir d'en égorger une soixantaine, pour rien, pour la joie de mal faire. Font du surf, mais par temps calme et sur petites vagues. Pas le genre à couler le Titanic ou le BismarCk. Les abordages sans quartier ni prisonniers à la Jolly Roger , ils ne connaissent pas, les mâts de leur navire ne sont pas de ceux qu'un vent penche sur les naufrages Perdus, sans mâts, sans mâts ni fertiles îlots des poèmes de Mallarmé.

Z'ont leur public et   ne se débrouillent pas trop mal. Quoique en vieux rocker je réflexionne en moi-même que ce qui les distingue de leurs aînés quels que soient les savants errements symphoniques auxquels ils se soient adonnés dans leur carrière, c'est que leurs illustres devanciers avaient quelque part au fond du creux de leurs oreilles le ressac lointain et houleux de ce damned old rock'n'roll qui avait enchanté leur adolescence. Un allant, une attaque, qui subsistait en arrière-fond de leur musique.

A chacun ses nostalgies fondatrices. Perso j'attends autre chose du rock'n'roll même si tout le monde a le droit de s'exprimer, quoique je préfère la fougue sanglante des conquêtes d'Alexandre au mortifère démocratisme marchandifère athénien. Quittent la scène sous les applaudissements, n'ont pas à rougir, ont consciencieusement joué la musique qu'ils aiment, ce qui est déjà en notre époque d'immense couardise généralisée, un signe de grand courage.

MOZES AND THE FIRSTBORN

Sont quatre. Sont jeunes. Viennent d'Eindhoven, pays de Spinoza. Vont mettre le feu et comme personne ne prendra la peine d'appeler les pompiers, je vous laisse supputer le ravage final. Rien qu'à la manière dont ils se sont installés – mi décontractée, mi-tatillonne – il ne faisait pas de doute que ces gaziers souriants prenaient garde à ce qu'aucun hasard inopportun et maléfique ne s'aventurerait à taper à la porte du set. Premier né mais pas nés de la dernière pluie. Commencent fort, ont réparti la distribution, le public sera l'armée des pharaons et eux tiendront le rôle des flots tsunamiques qui nous engloutiront lors du passage de la Mer Rouge. En un instant ces quatre garçons aux sourires sympathiques se métamorphosent, la batterie de Raven s'effondre sur vous, vous engloutit dans un ravin tumultueux en une dégringolade de tamponnades hallucinantes, Corto doit être gravement malade, vous lâche douze riffs apocalyptiques et subitement pris de démence frotte sa guitare sur l'ampli, à croire qu'il s'est inscrit au plus insupportable larsen du monde, apparemment Ernst est plus sage, joue de la basse sans chichi, mais si vous le suivez des yeux, nul doute qu'il pousse de ses lignes de basse déstabilisantes le Corto au-delà de ses limites, lui fait la Corto-échelle jusqu'aux portes de l'insanité riffique. Avec ses cheveux blonds et son sourire d'ange, Melle attend patiemment, le gars au visage de chérubin qui ne se mêle pas des vilains jeux des garnements, l'attend son heure, qui survient très vite, s'empare du micro, s'approche du bord de la scène, et sa voix creuse qui tombe creuse votre tombe. Entre deux lyrics il danse avec la mine réjouie du guy qui vient d'attacher le bâton de dynamite à la queue du chat, rien que pour le plaisir d'attirer l'attention des filles.

Voilà, ce n'était que le début. A la fin du troisième morceau Melle prend sa guitare – l'avait laissé négligemment traîné à terre durant l'intro - les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Z'ont adopté la technique des écrivains de thriller qui terminent systématiquement chacun de leurs chapitres par un rebondissement inouï qui vous pousse, même à quatre heures du matin, à poursuivre votre lecture pour savoir ce qui va se passer. Z'ont adapté la méthode, Mozes and The Firstborn vous en donne plus, eux c'est à chaque fin de ligne qu'ils vous balancent une bombe nucléaire, sur le coin du museau, vous êtes en apnée sonore, ce n'est pas grave, ce n'est pas une raison pour lâcher le morceau et ne pas les suivre jusqu'au fond de l'enfer. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'ils ne sont pas rock à cent pour cent, mettent pas mal de pop dans leur citronnelle à l'arsenic. Mais même avec les rasades de sucre qu'ils ajoutent l'effet reste foudroyant. Je vous désigne le coupable, Corto, l'a le riff composite, au début c'est suavement beau comme la courbe de la gorge dénudée d'une olympienne sculptée par Praxitèle, mais il le termine à la César en compactant une voiture en un terrifiant lingot de ferraille, love tatoué sur une main et hate sur l'autre, à la manière du pasteur psychopathe de La Nuit du Chasseur, une chimère musicale avec queue Beatles et gueule Rolling Stones, la beauté et la hideur, et au milieu du corps un mélange indescriptible, un alliage incertain mais terriblement efficace, de power-chords harmonieux et de hargne punk, pulvérisé en poudre à canon.

Dans la salle, c'est la chienlit et le lit du chien recouvert de puces tressautantes et pogotantes, un entremêlement de morpions parkinsonniens et de morpionnes surexitées, une couche royale pour Melle qui s'y jette et s'y vautre porté à bout de bras, mais rehaussé sans problème sur la scène comme un chef barbare batave hissé sur le grand pavois de son élection royale. Supersonic en mode supersonique. N'en ont pas fini pour autant. Continuent sur leur lancée victorieuse, les fûts de Raven, torse poil tribal, croassent comme jamais nulle autre batterie n'est parvenue à le faire, Ernst le gaucher au jeu de basse ultra-gauchiste, provocateur en chemise blanche impeccable, Corto instantanément inflammable, et Melle qui squashe son énergie en flammèches ardentes, soulèvent une tempête de protestation lorsqu'ils annoncent le dernier morceau. Sont un peu vidés, mais le public en effervescence réclame un rappel qu'ils termineront à bout de souffle, dans la Rome antique l'on aurait déversé une apothéose de pétales de roses pourpres pour leur sortie de scène, mais nous nous contenterons de leurs '' Merci Paris''. Preuve éclatante et indiscutable que, hormis le rock'n'roll, notre monde est mal fait.

Damie Chad.

 

16 / 03 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

FATIMA / TIGERLEECH

 

Gilets jaunes, Black Blocs, Paris en a vu de toutes les couleurs cette journée, n'y a que les amoureux de la Nature, sages comme des images de premières communions, qui ont oublié que la Grande Mère fonctionne selon une alternance de cycles germinatifs et destructifs. Bref après cette journée agitée une soirée réparatrice à la Comedia s'impose, parce que là tout n'est que calme, luxe et volupté, cette dernière absolument punktéozidale. Ce qui change la donne.

FATIMA

Bien plus intéressant qu'une hypothétique apparition de la Vierge. Eux sont-là, en chair et en os. A portée de main. Sont trois, mais offrent une musique monolithique. Du doom plus noir que la noirceur des temps. Du jais de corbeau, du jus de corbac, aussi noir que le gouffre des nuits originelles et terminales. Une ambiance, une mer de sargasses sonores qui vous englue les oreilles et vous retient prisonniers jusqu'à la fin du monde. Un raz-de-marée qui monte doucement tout en s'amplifiant violemment et l'on se demande comment ils peuvent parvenir sans faillir à cette apocalypse sonique. Batteur, basse, guitare. Leur secret est des plus simples, jouent ensemble tout en restant parfaitement identifiables en leurs menées individuelles. Une batterie infatigable, les baguettes ne s'attardant jamais, à la recherche perpétuelle de la quadrature des cercles des fûts et des cymbales, l'on ne voit que deux bras levés, telles des ailes de cormorans qui battent sans fin pour échapper à leur gangue mazoutée, l'est au four des roulements et au moulin du concassage. Des gestes de sorcier fou qui prophétise la grande menace à venir. Quant à lui, le bassiste s'est muré dans la tour d'ivoire noire de son immobilité. Transforme sa forme vitale en longues vibrations profondes comme des orgues, la basse est l'élément essentiel du doom, c'est elle qui édifie les bases de la langueur doomique infinie. De vastes vagues d'eau nigrées, toujours recommencées, qui s'en viennent agoniser selon de fracassantes douceurs mystérieuses sur les récifs de basalte des rivages inabordables. Un oiseau de proie qui referme ses serres sur votre âme qui voletait autour de vous et l'emporte vers des confins ignorés.

La guitare - étonnante à chaque début de morceau, des clapotements inédits, des ressacs à émietter les rochers, parfois agrémentés d'un vocal, qui très vite est comme oublié, et alors un long solo se fond tel un pont, jeté en travers la distance qui sépare la transe rythmique de la batterie et la pesanteur de la basse plus lourde que vos regrets à ne vivre qu'un semblant de vos rêves évanouis - agit à la manière de ces sels mystérieux dont le secret s'est perdu et qui dans les opérations alchimiques transformaient le vil plomb en or pur, mais ici aussi noir que l'immensité des voûtes nocturnes dont les étoiles qui brillent n'abolissent point la nuit abyssale.

Fatima suscite attention, admiration, et engouement. Le plus terrible c'est la vélocité orchestrale de cette lourdeur aussi pesante que les premiers accords de L'Or du Rhin de Wagner ( écoutez la version de Furtwangler qui vous fait durer plus que tout autre la sourde malédiction ), Fatima c'est la montre de votre vie devenue folle, les aiguilles tournent à toute vitesse et le décompte de vos heures claires et sombres défile si vite que vous pressentez qu'il ne vous restera plus grand chose, et vous restez fasciné, yeux et oreilles fixés sur cette horloge prophétique de votre néant. L'est une pierre lancée dans un puits sans fond qui accroîtrait sa densité minérale tout en accélérant la vélocité de sa chute.

Vous ont scotché l'assistance, forcé la contemplation, immobilisé les existences, du début à la fin du set. Et lorsqu'ils eurent fini, les remerciements émus et admiratifs fusèrent de tous côtés. Grosse impression.

TIGERLEECH

La sangsue du tigre, un peu la mousse verte qui s'attache sur les cadavres. Une espèce de stoner-doom aux multiples ingrédients – chacun recomposera sa formule - qui n'appartient qu'à eux. Ce qui est sûr, c'est que Tigerleech, dégage une énergie peu commune. Musique compacte, sans fioriture, qui allie l'obstination de la sangsue et la férocité du tigre. Sheby surgit d'on ne sait où, s'empare du pied du micro, le tient comme le galérien est accroché à sa rame, entame une étrange danse de saint-guy, toute voûtée, toute cassée, toute désarticulée, et commence à éructer. N'est pas seul, le reste du combo sauvage le suit comme son ombre. Désormais, ils ne formeront plus qu'un. Une entité. Maléfique, est-il besoin de le préciser. D'abord Gabor, grand gaillard en marcel noir à la basse, pas de tatoos pour renforcer la musculature de ses bras, un travailleur de force, l'est accroché à son instrument comme le matelot de quart à la barre. Choisit les routes au plus près des étocs par grands vents sauvages. L'est le responsable de ses volutes noires qui s'échappent du cône explosé des volcans, l'est la queue du tigre qui bat ses flancs en signe d'énergie accumulée juste avant l'attaque foudroyante, à la différence près que Gabor il attaque sans arrêt. Sans réfléchir, mais avec une science consommée des fulgurances infinies. Olivier est aux drums. La pièce essentielle de cette mécanique huilée à la fureur d'ours polaire. Grosse responsabilité, Tigerleech ignore la ligne droite, préfère l'avance par triangulations saccadées. Vous ne savez jamais où ils vont mais vous comprenez qu'il ont décidé d'y aller par le chemin le plus escarpé. Zadorent les z'angles z'aigües. En sont presque déconcertants, vous les imaginez par ici, pas de chance sont passés par là-bas. Mais progressent si rapidement qu'ils vous emportent avec eux, vous prennent sous le bras et vous vous laissez emmener les yeux bandés. Bien sûr qu'ils on un guitariste. Un chapeau sur la tête et pas manchot frigorifié sur la banquise. Au début s'est pas mal remué – ces gens-là n'ont manifestement pas eu la malchance d'avoir des mamans qui tout-petits leur intimaient l'ordre de se tenir tranquilles – mais bientôt s'est concentré sur ses doigts, et vu ce qu'il leur faisait faire, l'on en a déduit que dans sa tête devait y avoir un sacré remue-ménage de méninges survoltées – le genre de gars qui n'a pas de problèmes pour faire coïncider ses deux hémisphères, l'a épousé tous les soubresauts de la section rythmique, nous a donné des soli en forme d'épines de hérissons, sommets et dépressions scrupuleusement suivis du bout du médiator, le seul médicament qui vous fasse du bien.

Faut tout de même revenir à Sheby. Parce que voyez-vous dans la nuit tous les tigres sont ( avec ou sans supplément de sangsues ) gris. Alors ils ouvrent les yeux, pour vous avertir que vous êtes en danger. Rien de plus désagréable que d'être surpris par un ennemi invisible. C'est pour cela que Tigerleech a adopté la tactique Sheby. Frontman devant, pendant ce temps, derrière, à l'aise, peuvent casser tout ce qu'ils veulent – et ils ne s'en privent pas, de préférence les coffre-forts à la dynamite plutôt que les assiettes à soupe en scènes de ménage - Shegy le charismatique ne reste pas une seconde immobile, l'en arrive à entortiller le fil du micro autour du rappel comme s'il ligotait un malheureux explorateur au poteau de torture, l'on se demande comment et pourquoi en maternelle son institutrice a omis de le calmer définitivement avec le fusil de chasse de son mari chargé à chevrotines – quoi qu'il en soit nous devons désormais faire avec, et le diable me pardonne, il sait y faire. D'abord il ne chante pas. L'est plus malin que cela, l'a transformé sa voix puissante en quatrième instrument qui s'amalgame totalement à la lave brûlante servie par ses trois camarades, n'est pas le torero en habit de lumière qui joue des castagnettes devant les filles qui mouillent la culotte pendant que les picadors se chargent d'assommer la bête furieuse, l'est un warrior au même titre que les autres, tous ensemble, tous ensemble ils plongent leurs glaive dans le ventre du monstre, lui se permet la fantaisie de lécher la lame sanglante d'une langue experte et de nous communiquer oralement le résultat de son analyse viscérale.

Le gore-rock de Tigerleech a toutefois des effets indésirables que la vérité historique nous interdit de taire, au bout d'un certain temps d'exposition les filles se transforment en groupies hystériques et l'agitation gagne même les garçons qui se lancent dans une espèce de twist-punk d'un genre nouveau dont le bacille n'a pas été encore identifié. Les sangsues du tigre sont merveilleusement au point. Tous exacts au rende-vous de la prochaine dissociation rythmique, et tous unis pour aborder les ponts de lianes aux planches vermoulues avec en bas les crocodiles qui attendent la gueule ouverte. Une merveilleuse chasse-à-coure, qui ravira les amis des bêtes puisque c'est le tigre qui poursuit les chasseurs. Super film d'actions aux multiples rebondissements, mais dont vous préférez la bande-son. Un set classieux et brutal. Certains prétendent que c'est juste du rock'n'roll. Ca tombe bien, on aime ça.

Damie Chad.

 

J'ai fait un peu de rangement et je suis tombé sur, en fait c'est la pile de CD qui est tombée toute seule, l'a dégringolé sans rien me demander, cela m'a semblé bizarre, je n'ai pas mis longtemps à identifier les coupables, un groupe de rondelles espagnoles à pochettes noires. Je l'aurais parié, rien de pire que les anarchistes pour mettre le désordre. Employons les mots qui fâchent, pour foutre le bordel. Des bibelots-molotov que j'avais rapportés d'un séjour dans les quartiers chauds de Barcelone.

Nécessité de Lutter, rien que le nom du groupe est déjà un programme à lui tout seul. C'est aussi le titre de leur premier album, le deuxième emprunte à la même poésie La Guerra Social es Inevitable, le troisième est du même tonneau : Adictos a la Revuelta, nos jeunes gens ont décidément de la suite dans les idées ( noires ). Le dernier publié en 2010 a été précédé de huit titres sur un album nommé Split sur lequel le groupe Inugami en a déposé quinze. L'existe aussi deux compilations. D'après leur FB en déshérence on peut en déduire que la combo a cessé ses activités en 2017... Raison de plus pour les écouter. D'autant plus qu'ils nous préviennent au dos de la pochette : La Anarquia Es Inevitable. Autant savoir à quelle sauce nous allons être mangés.

 

EL COLAPSO ES INMINENTE

NECESIDAD DE LUCHAR

( Auto-production / 2010 )

Fanny : basse / Nacho : vocal: / Richy : guitare / Jorge : batterie.

Intro : l'on s'attendrait à une tempête, mais non juste une vaguelette qui se déploie doucettement, survient bientôt une belle musique qui prend de l'ampleur sans être alarmante, un lever de rideau qui s'éparpille en gouttelettes et qui finit par s'éteindre brusquement, comme si le souvenir des jours paisibles n'était plus d'actualité. El colapso es inminente : alors que je m'apprêtais à chroniquer le disque, une émission radio en direct du Salon du Livre évoque le collapsus que tout le monde redoute. L'est plus souvent défini en tant qu'effondrement de la civilisation planétaire. Entrée de guitares grondantes et batterie catasplasmée, mais tout de suite le texte prend le dessus, l'est crié à la manière de slogans avec entonnements répétitifs en guise de refrains et appuis de voix en chœur. Le rythme s'accélère mais les paroles restent distinctes, s'agit d'un punk propagandiste qui se termine sur un hurlement de douleur. Autos de fe : sur un rythme beaucoup plus rapide, vocal toujours prépondérant. L'on change quelque peu de sujet. Le juron final Me Cago En Dios vous en indique la teneur. L'Espagne porte une lourde hérédité inquisitoriale question religion. Maintenant comme avant, vous finirez en croix sur la place publique. Méfiez-vous, les murs ont des oreilles, ne vous découvrez pas, vous ferez partie des victimes. Chiez sur tous les Dieux qui se présentent. Ils vous abandonneront à la première escarmouche. Mis suenos : des rêves qui ne sont pas innocents, ceux d'une révolution nécessaire, sans rage et confrontation vos doux désirs d'espoir et d'amour resteront lettres mortes. Transformez votre apathie et votre découragement en lutte révolutionnaire. Le rythme est un tantinet plus lent mais le vocal s'attarde sur les mots, ceci en début de morceau car bientôt la batterie impose un rythme soutenu, la guitare brûle ( comme une banque sur les Champs-Elysées ), intonation vocale et background se font lyriques. Al encuentro : longue intro de guitare bourdonnante – la musique reprend ses droits – la batterie danse le scalp et la voix vocifère. Malgré tous les obstacles, il est nécessaire de forcer le passage – rythme quasi militaire – et la décision de poursuivre jusqu'au bout, l'action sera au début du monde nouveau. Mas alla del horizonte : vent violent, guitare fuzzante, batterie hachante, critique des masses – les anarchistes sont aux antipodes des théories maoïstes – plus loin que l'horizon, s'agit de dépasser l'inertie des multitudes d'esclaves qui aspirent aux poignes des chefs et des maîtres. Bréviaire de l'anarchisme individualiste. Hoy es el dia : l'autre face de l'anarchisme stirnérien, la libre association des groupes de combat affinitaires. Sur le livret le texte du morceau est illustré par le logo du groupe, l'A cerclé – l'arobase anarchiste – entrecroisé avec deux poignards. Mots et sigle sans équivoque. Accompagnement musical violent de la même teneur que les lyrics. Rios contaminados : apocalypse pollutive, l'écologie de NDL est aussi noire et désespérée que leur drapeau. Ne sont pas de doux rêveurs, guitares et musiques vous racontent votre prochain futur. Votre mort est certaine. Mers de plastiques, rivières empoisonnées, et pluies acides auront raison de vous définitivement. La guitare fonce vers cet avenir comme un bolide qui a envie de s'écraser contre un mur de granit. Vous êtes sûrs qu'il n'y aura pas de survivants. Apparencia : ne croyez en rien, votre univers n'est que du toc, suivez votre propre chemin, soumettez toute production intellectuelle à la critique, même la vôtre, car le collectif dépasse l'individuel. Il n'y a qu'une règle qui doit dicter votre conduite : la mesure de l'écart qui existe entre votre idée et vos actes. Que ceux-ci soient en conformité. Derrière la voix le combo s'enflamme, les rythmes perdent leur simplicité comminatoire, l'on ne verse pas non plus dans les subtilités du prog, mais les instrus explorent leurs possibilités. El aullido del lobo : l'homme est un loup pour l'homme, alors hurle à la lune comme le loup esseulé, les tiens se sont emparés de la tanière familiale et mondiale, la défendent en se prévalant du droit de propriété. Alors cours à l'attaque. Laisse la propriété, reprends ton droit. La voix prend des accentuations de mégaphone, une guitare flambe dans le soleil rouge du matin, Fanny hurle dans le lointain comme une louve qui aguerrit ses petits pour la lutte finale, la batterie sonne la charge insurrectionnelle. Junto a la manada : un petit d'homme sort du ventre de sa mère. Le monde semble être en suspend. Reste à lui apprendre à vivre, à se défendre et à attaquer. La guitare fuse comme un engin spatial lancé dans les confins inconnus. Urgence vocale, l'éducation est un passage du témoin de la lutte intergénérationnelle. Les chats noirs n'accouchent pas de chiens policiers. Outro : reprise de l'intro à croire que le cauchemar s'est arrêté que les jours nouveaux sont arrivés. Que l'abominable parenthèse des temps morts est achevée.

 

Ce punk militant, peut gêner ou déplaire. En tout cas on ne peut lui reprocher de se cacher derrière des vocaux en anglais mâchonnés du fond d'une gorge embrumée de glaviots. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, dixit Boileau poète-courtisan qui vivait de faveurs royales... Et ce sont des anarchistes espagnols qui suivent cet enseignement de l'idéal classique français ! Certains objecteront que de telles directives ânonnées trop distinctement induisent une régulation de la musique obligée de coller à la simplicité sloganique. Les deux premiers morceaux cèdent à ce défaut mais l'instrumentation acquiert par la suite une liberté et une indépendance non négligeables.

Damie Chad.

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