Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/07/2016

KR'TNT ! ¤ 290 : REAL KIDS / NASHVILLE PUSSY / BLUES STORY / SOUND PAINTING / TROIS NEGRES / MALCOLM X / EDDY MITCHELL

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

A20000LETTRINE.gif

LIVRAISON 290

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

14 / 07 / 2016

REAL KIDS / NASHVILLE PUSSY /

BLUES STORY / SOUNDPAINTING /

TROIS NEGRES / MALCOLM X

EDDY MITCHELL

 

AVIS A LA POPULATION

KR'TNT ! ferme ses portes. Comme tous les étés. Une véritable catastrophe nationale, mais c'est ainsi. Nous avons aussi une vie secrète sur laquelle nous ne nous étendrons point. Pour le seul plaisir de vous laisser phantasmer. Une lueur d'espoir toutefois pour vous au bout du tunnel de cette longue et terrible nuit dans la noirceur de laquelle nous vous abandonnons sans pitié. Nous serons de retour, fin août dernier jeudi.

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

 

LE PORTOBELLO / CAEN ( 14 ) / 30 - 06 - 2016
LE PETIT BAIN / PARIS XIII° / 01 - 07 - 2016

THE REAL KIDS

LE REAL KICK DES REAL KIDS

 

z241dessinkids.gif

Ce dernier soir de juin, une petite vague de chaleur semblait ramollir notre bonne ville de Caen. Un petit club situé à proximité du bassin de plaisance accueillait les Real Kids, ce groupe de Boston qui tira son épingle du jeu dans les années soixante-dix grâce à un micro-hit pop-punk intitulé «All Kindsa Girls». Comme la porte vitrée du club bénéficiait d’une ouverture automatique, elle s’ouvrait toute seule si on l’approchait. Il ne manquait qu’une seule chose : un bruitage à la Tati. Croyant qu’il régnait à l’intérieur une chaleur d’étuve, on hésita longuement à entrer. Il fallut bien entrer. Par miracle, il y faisait bon. Et on y servait de la Carlsberg à la pression, ce qui rendit l’endroit encore plus sympathique.
On le sait, la pop est un genre particulièrement ingrat. Des milliers de groupes, dont font partie les Real Kids, s’y sont frottés avec plus ou moins de réussite. Par définition, tous les genres sont difficiles, le garage, le rockab, le rock’n’roll, le blues, le stoner, mais la pop l’est certainement bien davantage, car elle repose sur un pouvoir auquel une infime minorité de gens peut prétendre : le pouvoir mélodique. Tout le monde n’est pas Ellie Greenwich. Ni Dwight Twilley. Ni George Harrison.
De toute évidence, les Real Kids n’ont jamais eu cette prétention. Au pire, ils se contentaient d’adresser un clin d’œil à Buddy Holly, notre cher binoclard texan. Mais le succès (d’estime) de leur pop est resté une énigme digne de celle de Toutankamon. Ils n’avaient pas de son. Quand on réécoute leur premier album aujourd’hui, c’est frappant. Le pauvre Marty Thau qui les produisit à l’époque était notoirement incompétent. Son enthousiasme ne pouvait en aucun cas pallier à une carence productiviste. Marty Thau n’avait pas l’envergure ni l’expérience d’un Shadow Morton ou d’un Jim Dickinson, pour ne citer que les plus connus.

z250realkids2.jpg


Après le concert, la porte d’entrée automatique du club resta grande ouverte sur la rue. La fraîcheur du soir se fondait dans celle du bar. John Felice traversa le bar à pas extrêmement lents pour aller lui aussi prendre l’air. Cet homme qu’on donnait pour cuit aux patates ne semblait en effet pas très frais. Il affichait un air hagard avec la bouche ouverte, le cheveu long d’un blond délavé, pas peigné, les dents superbement pourries et le regard usé, mais un vrai regard, avec un dessin d’yeux très rond et très doux. L’occasion était trop belle, il se trouvait à moins d’un mètre de distance.
— Hey John !
— Hey....
— You were trouly fantastic !
— Hank ya....
— But it ize criminal the way they prodiouced your ricords !
— Ah...
— You sound far more better on stage zan on ze ricords !
— Ah...
— What is ze title of the last song you played ?
— Reggae Reggae...
— Ah...

875b7d68-3dad-41f1-9102-8a1580b670cc.jpg


Ils firent deux morceaux en rappel, et le deuxième explosa littéralement. «Reggae Reggae» était tout simplement méconnaissable. Ils jouèrent une sorte de brouet psyché-psycho ahurissant et mouliné à coups de gros accords magsitraux. La pop des Real Kids se mit à sonner les cloches du tocsin, ils atteignirent un sorte de démesure et embarquèrent leur public pour Cythère, mais sur un fleuve en flammes. C’était d’autant plus frappant qu’on ne s’y attendait pas du tout. John Felice et Billy Cole mirent en route une mécanique infernale qui valait bien toutes les autres mécaniques infernales, mais avec un fort parfum psyché, quelque chose d’à la fois hypnotique, dévastateur et envoûtant. Ces vieux de la vieille qu’on tenait pour de misérables has-been se mirent à dévorer les âmes et à allumer les lampions sous les crânes. John Felice prit les deux premiers solos et Billy le dernier, dans une sorte d’apothéose. Ce fut une véritable révélation. Un concert sur lequel on ne misait pas cher se transformait en un événement spectaculaire.

8a02a3c4-f664-42be-b3df-55b7f4565bb8.jpg


Ils étaient en effet montés sur scène sans grand enthousiasme. John Felice se déplaçait très lentement. Il portait un vieux blouson de jean, une chemise ouverte sur un T-shirt improbable. On sentait bien le vétéran de toutes le guerres. D’une certaine façon, il impressionnait. Il brancha sommairement sa Telecaster et annonça une vieille chanson, «Better Be Good».
Ils se mirent à jouer des morceaux qui n’avaient absolument plus rien à voir avec ceux des albums. Ils sortaient sur les deux guitares un son plein et bien gras. Billy Cole jouait sur une Les Paul. Il portait des baskets comme au bon vieux temps et semblait ravi de se retrouver enfin sur scène. John Felice compensait son statisme par une sorte de fulgurance de jeu. On le voyait prendre des solos d’une vive intensité, il triturait des petits phrasés furibards qui basculaient dans le viscéral. On découvrait là un guitariste remarquable. Il jouait des solos sur des accords de bas de manche et taillait sa route avec une maîtrise sidérante. En sortant du solo, il retombait toujours en place pour attaquer son couplet chant. On le croyait ralenti, mais sur scène, John Felice tournait à plein régime. Il était même très spectaculaire. On finissait par prendre sa nonchalance pour de la concentration. Et du coup, leur set devint fascinant, même si on ne connaissait pas bien les morceaux, qui encore une fois, n’avaient plus rien à voir avec ceux enregistrés en studio. Les Real Kids sur scène en 2016 n’ont absolument plus rien à voir avec les Real Kids sur Red Star ou New Rose. C’est le jour et la nuit.

fc936a35-518f-4089-be77-593acf07f18c.jpg


Comme la conjonction des planètes était favorable, on put les revoir jouer le lendemain soir à Paris, sur la fameuse péniche qui accueille désormais les bons groupes de passage en France : Flaming Groovies, Vibrators, Pretty Things, Ash and co. L’idée était de vérifier que le concert caennais ne relevait pas d’une vue de l’esprit. On voulait surtout revivre ce final éblouissant qu’est la version de «Reggae Reggae» en rappel.

babdefec-bee7-410c-ba81-37faf18342a1.jpg


Nos amis les Real Kids cassaient la croûte à la cantine du Petit Bain et ce fut un plaisir que de revoir John Felice toujours un peu far-out et Billy Cole toujours aussi délicieusement juvénile. Par contre, il n’y eut pas foule dans la salle. Nous assistâmes exactement au même genre d’arrivée sur scène : pas la moindre trace de frime, pas de roadies, ces mecs arrivèrent avec leur guitares, se branchèrent et commencèrent à chanter, sans transition. Et ça se mit à tourner à plein régime, avec ce son miraculeux, avec cette voix bien posée, et ces départs en solo magnifiques d’efficacité et de virulence. Ce fut un plaisir que de revoir jouer ce guitariste exceptionnel qu’est John Felice.

58ec76d5-1284-4538-a750-5855b48cab12.jpg


La version live d’«All Kindsa Girls» ne doit plus rien à celle du premier album, qui sonne comme de la pop frénétique, pour ne pas dire écervelée. La version studio semblait en plus plombée par le bassiste qui jouait sa note en continu. Rien de pire. Il fallait attendre la reprise de «Rave On» pour trouver un peu de viande. John Felice chantait ça avec de la hargne et on avait enfin un truc qui se tenait, avec ses belles montées en wow wow wow - A pretty doggone impressive version, disait Miriam Linna de cette version - On entendait John Felice prendre un excellent solo dans «Better Be Good», et c’était d’autant plus remarquable qu’il embrayait à la ramasse dans l’aiguillage du train fou.

Z255REALKIDS.jpg

Sur l’album Red Star, on trouvait aussi un cut assez hargneux, «She’s Alright». Ils sortaient les dents et voulaient certainement passer pour des gens dangereux. Mais c’est «Reggae Reggae» qui décrochait le pompon. À l’époque, c’était déjà leur cut le plus percutant. On y entendait même de la friture de distorse.

z256senseless.jpg


Norton a toujours soutenu les Real Kids. Billy Miller et Miriam Linna n’ont pas lésiné sur les albums live, mais le son n’était hélas pas au rendez-vous. Car si on veut du foutraque, là, on est servi ! Bel exemple avec l’album live «Senseless». Dès l’ouverture du bal, cette petite pop énervée saute dans tous les coins et rue dans les brancards. Ils sautent comme des poux. Avec «Now You Know», ils ramènent de la bonne teigne. Ça gratte, car bien monté sur le collet, et en même temps brouillon et bostonique. «Problems» n’est pas celui des Pistols, mais cette petite pop de jeans serrés qui moulent bien cette burnerie contingente typique d’une époque contrite. La grande différence avec les Ramones, c’est probablement la voix de Joey Ramone qui imposait une identité forte. Il n’existe rien de la sorte chez les Real Kids. Ils sortent un son exorbité. Leur pop se précipite en continu, le son de ce live est beaucoup trop rêche. Il n’y a aucun charme. John chante «Common At Noon» au congrès des arpèges de la pêche aux congres et «She’s Got Everything» vire miraculeusement garage. Mais pour le reste, ça trépigne beaucoup trop. On croirait entendre aboyer des jeunes chiots. Le son de ce live ruine tous leurs efforts. Il faut être fan pour écouter ça jusqu’au bout.

b5412f04-9b7e-4962-8f0e-6b7d85b0ca8e.jpg


On attend donc un vrai album live, digne de ce qu’on entend en concert. Au bar de l’after-show, des rumeurs circulaient. C’est dingue ce que les rumeurs aiment à se propager. Elles n’ont même besoin de personne en Harley Davidson.


Signé : Cazengler, real de madrid


Real Kids. Le Portobello. Caen (14). 30 juin 2016
Real Kids. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 1er juillet 2016
Real Kids. Real Kids. Red Star Records 1977
Real Kids. Senseless. Live At Cantone’s 1982. Norton Records 2001


LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 10 - 03 - 2016


NASHVILLE PUSSY

WHAT'S NEW NASHVILLE PUSSY CAT ?

Z240DESSINNASH.gif


On aurait tendance à vouloir faire entrer Nashville Pussy dans l’enclos des bourrins, mais franchement, ils ne méritent pas ça. Avant de monter Nashville Pussy, Blaine Cartwright jouait dans Nine Pound Hammer, un quatuor garage punk du Kentucky qui faisait partie de l’écurie Crypt. Normalement, quand on sort trois albums sur Crypt, ça lave de tout soupçon.
Tim Warren était malin comme un renard, car en signant tous ces groupes sur son label, il les anoblissait, d’une certaine manière : depuis les Raunch Hands jusqu’aux les Devil Dogs, en passant par les New Bomb Turks, les Gories, les Chrome Cranks et les Mighty Caesars. Eh oui, on écoutait surtout ces groupes parce qu’ils étaient sur Crypt, ce n’est pas plus compliqué que ça. Et c’est justement la raison pour laquelle on a mis un jour le nez dans les trois albums de Nine Pound Hammer.
Le garage punk pose quand même un sérieux problème : ça tourne assez vite en rond. Il faut aux tenants du genre de sacrés aboutissants, car sinon, on risque de s’emmerder comme un rat mort, pour citer le Professeur Choron. Le garage punk est un genre difficile, éminemment brutal et généralement réservé aux bourrins, ces groupes américains qui prennent un malin plaisir à flirter avec le hardcore. Inutile de citer des noms, tout le monde connaît ces groupes insupportables. Les Nine Pound Hammer sortaient un son tel qu’ils parvenaient à se démarquer. On les vénérait surtout pour certaines reprises des Stones, de Johnny Cash et des Groovies.

z257mud.jpg


Le premier album de Nine Pound Hammer qui s’appelle «The Mud The Blood And The Beers» parut en 1988. Nos quatre Hammer posaient pour la pochette dans une belle lumière orange. En écoutant ce disque, on comprenait pourquoi Tim Waren avait flashé sur ces cul-terreux du Kentucky. Eh oui, avec «Crawdaddy», les Hammer nous balançaient une fantastique pièce de garage délinquante chantée à la mauvaiseté du loubard qui prépare un mauvais coup. On sentait confusément que ces quatre lascars ne risquaient pas d’être rattrapés par la délicatesse. Et avec «Little Help», ils proposaient un petit échantillon de punk rural d’Amérique profonde et quand on parle d’Amérique profonde, ce n’est jamais bon signe. On entend nos quatre Hammer fracasser leurs couplets avec un mépris total des conventions de Genève. Ils refont les Huns du Kentucky avec «Doomsday Poptarts» et se prennent pour les New Bomb Turks, ce qui n’est pas non plus très flatteur. Par contre, on trouve de l’autre côté un «Runaway Train» enthousiasmant, car c’est du garage punk solide. Ils font admirablement bien le train lancé à toute vapeur. On voit qu’ils fonctionnent à l’énergie brute. Ils recrachent plus loin du fiel de punk avec «Bye Bye Glen Frey». Oh on peut dire que ça coule et que ça dégueule. On sent qu’ils déversent un trop-plein et avec «Looking For Somebody», ils sonnent littéralement comme des punks anglais de 77. Ils font bien les oh-oh-oh. Il reste encore une belle pièce à se mettre sous la dent : «Hate To Think», garage-punk toujours, mais cette fois plus incendiaire et même carrément endiablé, saturé de guitares et riffé à la mort du petit cheval blanc d’Henri IV. C’est d’ailleurs un riff des Damned.

z258smokin.jpg


Le deuxième album «Smokin’ Taters» restera dans les annales pour la reprise trash de «Folsom Prison Blues». Nos amis Hammer la jouent plutôt crampsy. C’est bardé de dégoulinures et de petites poussées de fièvre. On les sent particulièrement dévoyés, sur ce coup-là. Mais les autres cuts ont du mal à se faire un nom. «Cadillac Man» restera toute sa vie un garage-punk ulcéré, joué trop vite et trop fort, «Feelin’ Kinda Froggy» restera de la pure Americana barbare, aux antipodes de celle d’un Gram Parsons, et de l’autre côté, «Headbangin’ Stock Boy» restera tout juste digne de figurer sur un album des New Bomb Turks. Ça veut dire ce que ça veut dire.

z259yimebomb.jpg


«Hayseed Timebomb» est probablement le meilleur des trois albums Crypt, ne serait-ce que par la classe de sa pochette illustrée qui nous montre le white trash américain dans toute sa splendeur. Le voilà en marcel et en stetson, avec le canon scié sur le bras, devant son trailer rempli de gosses dégénérés. Et c’est lui, Hayseed Timebomb, qui fait l’ouverture du bal avec cette magnifique dégelée de garage punk viandu. Les Hammer racontent son histoire, celle du white trash qui descend en ville - He’s trumbling into town to try to sell his boots/ He spent all his money on a one eyed prostitute - On trouve plus loin le garage punk de la Grande Bouffe : «Run Fat Boy Run» - jack, salmon, gumbo, steak fries, ho hos, catfisf - tout y passe à un rythme échevelé. Nouvelle dégelée définitive de garage avec «Devil’s Playground». Voilà le hit des Hammer, monté sur un riff insistant et joué en distorse maximaliste. De l’autre côté on a «Shotgun In A Chevy» pour se gargariser, pur garage punk d’évidence. On les sent déterminés à vaincre. Wow, quelle bande de brutes épiasses ! Comme on le voit avec «Adios Farewell Goodbye», les Hammer excellent dans les reprises musclées de vieilles country songs, comme on l’a vu avec Folsom. Ils ont deux atouts majeurs : la vélocité et le gras du son. Ils finissent avec «Slam Bag», un vieux coup de garage tradi, avec un son toujours aussi gras et bon.

z260kentucky.jpg


La bande annonce de «Kentucky Breakdown» paru en 2004 pourrait être : «Oh putain les gars il faut écouter ce disque !», avec un fort accent des barrières, évidemment. Les morceaux de cet album sont tellement énormes qu’ils frisent le génie. Prenez «Rub Yer Daddy’s Lucky Belly», par exemple. Vous êtes là, assis dans votre fauteuil et soudain vous avez ce son qui saute littéralement à la gueule, c’est une anomalie de l’énormité. Blaine et ses acolytes dépassent toutes les bornes possibles et inimaginables. On croit voir surgir les forces des ténèbres du Kentucky, c’est d’une puissance extrême et comme auto-régénérée. Ils cognent dans la panse du beat à coups redoublés. C’est le meilleur gras des moines, je meilleur jus de Jupiter, le meilleur bam de boum. «Dead Dog Highway» sonne comme du garage vorace tenu en laisse. Puissant car battu en pleine carlingue de dingue de frappadingue. On reste dans l’esprit de corps de garde cher au père Blaine le blême. Il revient vous secouer le cocotier avec «Drunk Tired & Mean». Il réussit même à nous balancer une intro à la Heartbreakers, mais sur un tempo un peu plus soutenu. C’est extravagant de son. On a ensuite un «Double Super Buzz» battu à la diable. Mais quand on dit à la diable, c’est à la diable, d’accord ? Et la fête continue avec «Ain’t Hurtin’ Nobody», une belle palanquée d’Absalon Absalon, ça tombe de partout. Ce Blaine est un guitariste monstrueux, il faudrait cesser de le prendre pour un bourrin, ce mec a de la majesté, même s’il adore se gratter les couilles devant les caméras et qu’il perd ses cheveux. Toujours aussi brûlant, «Zebra Lounge». Ces mecs sont des géants de la désaille. Quelle leçon de mise en place ! Encore plus dément : «800 Miles» - Hey Oh hey !- On dirait des matelots et bien sûr c’est bombardé de son, insolent de santé vitale, appelons ça un pounding de génie. Et Blaine nous fracasse d’entrée «If You Want To Get To Heaven», en plein dans les dents du rock, Nine Pound bat la chamade et on a même l’explosion finale avec «Chicken Hi Chicken Lo», ils partent en délire total de miam miam miam miam et perdent la raison. À la fin du cut, on entend Blaine qui tombe des nues. Oh Christ !

z261mulebite.jpg


Pire encore, voilà «Mulebite Deluxe» paru en 2005. Il s’agit en fait d’une démo de morceaux qu’on retrouvera sur «Smokin’ Taters» et «Hayseed Timebomb». Ils enchaînent les trois reprises définitives qui font la réputation de Blaine et de son Hammer : «Folsom Prison Blues» qu’ils jouent comme une reprise des Cramps - pur génie de la compréhension maximale - «Dead Flowers», avec le son que les Stones ont toujours rêvé d’avoir et «Teenage Head», cover dévastatrice des Groovies époque Roy Loney, l’ultime version. Après celle-là, ce n’est plus possible, car c’est bardé de distorse et hurlé à la vie à la mort, c’est d’une rare insanité, avec un solo en coulis de morve dans la plaie ouverte du trash-punk. Ils reprennent aussi le fameux «Radar Love» de Golden Earing qui leur va comme un gant. Ils y entrent comme dans du beurre, c’est plombé au marteau-pilon, c’est-à-dire au pire drumbeat de l’univers. Leurs cuts valent aussi le détour comme ce «Cadillac Inn» gonflé de la puissance des enfers. Ô imparabilité des choses, quand tu nous tiens... On retrouve la belle santé power-riffique du Hammer. Ils sont bel et bien les tenants et les aboutissants du genre, ils se donnent des cartes pour jouer le poker gagnant. Ils sont aussi puissants que les mauvais dieux viking jadis adorés dans les fjords oubliés des hommes. «Wrong Side Of The Road» sonne comme un hit avec son battage d’accords somptueux et c’est chanté à la charcute divine.

z262billmonroe.jpg


Ouf, par miracle, «Sex Drugs & Bill Monroe» est un album un peu moins dense que les deux précédents. Mais il faut quand même se taper quatre belles énormités, à commencer par «I’m Yer Huckleberry» - Some Kentucky vintage - Peu de groupes peuvent sortir un son pareil. On a là un cut digne des Supersuckers et de Motörhead. On les voit passer par toutes sortes d’états successifs (garage-punk à la Dropkick Murphys, balladif énergétique du Kentucky, rock high energy monolithique à la Hellacopters, trash-balloche, tatapoum extravagant, dérives incendiaires de la cosmic Americana, white trash de caravane, sautillade de garage-punk) puis on tombe en fin de disque sur un enchaînement de trois excellents morceaux. «The Wheels Flew Off Again» file tout droit et Blaine fusille son cut à coups de notes de solo rageur, suivi de «You Ain’t Worth Killing» et de «Cooking The Corn» qui est une merveille absolue grattée à la misérable et montée sur un vieux pied de grosse caisse.
Si vous êtes sage, le petit mec qui tient le mershandising au concert de Nashville Pussy vous fera un prix sur les albums live des deux groupes de Blaine, Hammer et Pussy. On s’en doute, le «Live In Berlin» du 11 septembre 2010 est une bombe atomique. Tout est joué à la puissance maximale, ils sont même capables de faire du Motörhead à la puissance dix sur «Runaway Train». C’est poundé à la folie. On a pétaudière sur pétaudière et au passage on reconnaît les hits comme «Hayseed Timebomb» joué en cavalcade insensée. Peu de groupes vont aussi vite avec une telle puissance. Les Hammer enfoncent le nail. «I’m Your Huckleberry» sonne comme de l’Americana apocalyptique. C’est battu à la Thor. Ils sortent l’un des meilleurs blasts qui se puisse concevoir et «Wrong Side Of The Road» sonne comme un hit dès l’intro. C’est franchement dévastateur. Tout est explosé, cavalé, ravalé, Blaine le blême devient fou avec «800 Miles». Ce n’est pas un blast de pied tendre, vous pouvez me croire. Comment font-ils pour tenir un tel beat ? Here we go et voilà qu’arrive une bombe nommée «Dead Flowers». Décidément, les reprises des Stones leur vont aussi bien qu’aux Lords of Altamont. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin avec des exactions comme «Run Fatboy Run» et «Long Gone Daddy» où Blaine le blême pousse un hurlement et alors l’enfer redescend sur la terre.

z263wanted.jpg


Le petit mec du mershandising vend aussi un «Wanted» de country classics où traînent quelques belles énormités, comme «One Long Saturday Night», une méchante pétarade. Encore du gros tapé de son. Ils sortent une version country de «I’m Your Huckleberry» montée sur un beat cavaleur qui tourne au tatapoum de la folie. Il faut aussi écouter au moins une fois dans sa vie ce truc qui s’appelle «Drivin’ Nails In My Coffin». Voilà du country punk capable d’incendier un saloon. On goûte là au charme capiteux de la country festive à la Hank III.

z270rennes.jpg


Oh, il vend aussi un «Live In Rennes 1998» de Nashville Pussy. Même chose qu’avec Hammer, ça blaste dans tous les coins, et si on l’écoute, c’est surtout pour se régaler des interventions de Ruyter. «Wrong Side Of A Gun» sonne comme l’archétype de la fournaise maximale de heavyness. Rien d’aussi explosif que la version de «Going Down». Ruyter va vite, c’est une bonne et dans «I’m The Man», Blaine le blême pique des pointes stoogiennes dignes de «Raw Power». Terrifiante version de «Go Motherfucker Go», battue à la ramasse du non-retour. Peu de groupes savent ainsi foncer dans le lard du son et quand Ruyter part en solo, les colonnes du temple se mettent à trembler. Tout le monde le sait : Nashville Pussy est avant tout un groupe de scène.

z242blonde.jpg


Avec le succès de Nashville Pussy, Blaine Carwright fait désormais partie des poids lourds du rock américain. Il suffit de voir sa compagne Ruyter Suys s’amener sur scène et secouer le cocotier du rock. Avec Donita Sparks de L7, c’est la meilleure rockeuse qu’on puisse voir sur scène actuellement. Elle incarne toute une imagerie du rock, celle du guitariste à crinière qui se fond dans la fournaise d’un stomp avec un solo liquide. Elle ramène tout ce côté visuel qu’on vénérait jadis, les départs en solo d’un Paul Kossof en veste rayée, la crinière en mouvement de Dickie Peterson, la folle gestuelle d’un Jimmy Page, les franges de la veste de Leo Lyons en plein matraquage de basse à Woodstock, la crinière en mouvement de Barry Melton qui s’excitait sur sa Gibson SG, oui elle est tout ça à la fois et même encore plus, car elle n’arrête pas de bouger, de grimacer, de prendre des poses et petite cerise sur le gâteau, elle joue comme une déesse.

z243blonde+.jpg

Ruyter est une belle femme, et forcément, elle vole le show. Dit autrement, Nashville Pussy n’aurait pas vraiment d’intérêt sans elle. Nashville Pussy passe à Rouen chaque fois qu’ils tournent en Europe et chaque fois, c’est une fête. Oh, il est bien certain qu’ils ne jouent pas des compos sophistiquées. Leur truc reste ce que les anglais appellent du sleaze rock, un rock très sexué et très électriquement gras qui remonte justement à Blue Cheer, à l’Atomic Rooster de John Du Cann et aux Hollywood Brats (et surtout pas aux groupes de la scène californienne des années 80 qui étaient de piètres imitateurs des Dolls). On se régale toujours de voir jouer un groupe bien en place. Pour ça, les Américains déçoivent rarement. Ils s’arrangent toujours pour mettre en avant le côté machine de guerre. Tu veux du rock, gamin ? Tu vas en avoir ! Pendant un peu plus d’une heure, ils ratiboisent tout, et jamais on ne s’ennuie, au contraire, Ruyter Suys s’arrange pour captiver de bout en bout.

z283nashcouné.jpg

On entend même de drôles de commentaires dans les premiers rangs agglutinés au pied de la scène, des trucs du genre ‘J’uis mettrais bien ma bite dans l’cul !’. Il est vrai qu’avec sa réputation ‘cowpunk’ et lingerie, le groupe draine une certaine faune. Mais l’excellence du groupe sur scène balaye tous les mauvais a-prioris. On préfère mille fois voir jouer une belle gonzesse comme Ruyter plutôt qu’un groupe de mecs qui se prennent au sérieux.

 

z300nash.jpg


Côté albums, on est bien servi. Six albums en 15 ans, c’est un bon rythme.

z265letthem.jpg


Avec «Let Them Eat Pussy» paru en 1997, Blaine et son gang dépassent les bornes de la vulgarité. Franchement ils exagèrent. Ruyters et Corey Parks se font bouffer la chatte sur la pochette, ce qui bien sûr a dû attirer pas mal de regards obliques. L’intérieur de la pochette est décoré de photos de scène édifiantes. Corey portait sur le ventre un immense tatouage ailé - comme Asia Argento - légendé Eat Me, et elle crachait du feu sur scène. Cet album n’a rien de révolutionnaire, mais il y a tout de même deux ou trois cuts qui sonnent bien les cloches, à commencer par l’effarant «Snake Eyes» qui cavale à travers les plaines et que Ruyter allume d’un coup de solo stoogien. Ils enchaînent avec un «You’re Going’ Down» digne de Motörhead et noyé de guitares. L’autre énormité cabalistique est le cut de fermeture, «Fried Chicken And Coffee» monté sur le heavy beat de rêve et de rage. Ils sont dans l’excellence du son et quasiment dans les Cramps. Ils visent l’apothéose - Stay out of my yard - Blaine chante à l’horreur profonde de la dégueulade sur le meilleur beat du monde et Ruyter rôde dans la fournaise avec des notes suspendues. Franchement, le spectacle vaut le détour. Ils tapent aussi une reprise du fameux «First I Look At The Purse», mais ça ne marche pas. Ils font pas mal de trash-punk d’énervement maximum sur ce disque, et Ruyter montre de belles dispositions à l’interventionnisme. Elle trouve toujours le moyen de venir se fondre dans la fournaise, ce qui fait d’elle une guitariste exceptionnelle. Au fil des morceaux, Blaine semble vouloir repousser les limites de l’explosivité, et il utilise tout ce dont il dispose, la colère, la bave, la rage, la vitesse, la folie, la brutalité. Ça barde.

z266hell.jpg


En l’an 2000, «High As Hell» s’annonce comme un disque brûlant. Au dos de la pochette, Corey Parks et Ruyter se pavanent sur un lit rouge en forme de cœur. On trouve une fantastique reprise de Rose Tatoo sur ce disque, le fameux «Rock’n’Roll Outlaw». Blaine le chante à la démesure du trash et en sort une version énorme et inspirée. Avec le morceau titre de l’album, on se croirait dans un épisode de Blueberry - Goodbye baby Go to hell - Mais le cut qui emporte la bouche, c’est le «Strutting Cock» d’ouverture, qui sonne comme le rock des vainqueurs, avec ses accords stoniens et la furie du Kentucky. Rien d’aussi dévastateur ! Le cut entre comme le char d’un empereur dans la ville conquise de nos émois pétrifiés. Qui peut s’opposer à ça ? Et Ruyter part en solo pour faire gicler la pulpe. Blaine chante «She’s Got The Drugs» au dégueulé et «Wrong Side Of The Gun» part sur un heavy sludge. Quand ils vont trop vite, ils perdent en efficacité, comme on le constate à l’écoute de «Piece Of Ass», une reprise de Rick Sims, un petit énervé du garage-punk américain qui jouait dans les Digits. On préfère les Nashville dans des choses comme «You Ain’t Right», car c’est battu tout droit par Jeremy, sans retour possible. Ces gens-là ne se retournent pas. Leur obsession est de foncer à travers la plaine en feu. Jeremy bat sec et dru, sans sourciller, alors le groupe fonce sans se poser de questions. Pas de fioritures. Blaine le blême porte sa croix, il est en short, pauvre Christ trash en route pour l’enfer, yeah !

z267nasty.jpg


Belle pochette intérieure que celle de «Say Something Nasty», paru en 2002. Nos quatre amis n’ont pas l’air de rigoler. Et Ruyter tape à l’œil, avec son déhanché de rock star. Elle peut se le permettre, au moins chez elle, ce n’est pas de la frime. On l’a vue sur scène, c’est une vraie rock star. Avec le morceau titre, la machine infernale se met en route. Dans ce climat de belle violence, Ruyter glisse un beau solo liquide. C’est un très beau rock à guitares, celui qu’on écoute depuis cinquante ans. Les Nashville sont devenus l’épitome de nasty rock américain, une vraie bénédiction. C’est le son dont on rêve la nuit, surtout que Ruyter est bien devant dans le mix. L’autre merveille de cet album, c’est la reprise de «Rock ‘n’ Roll Hoochie Coo» du grand Johnny Winter. Reprise exceptionnelle, ils sont dessus, Blaine fait son Johnny avec une classe écœurante et il restitue toute la sauvagerie de cet albinos devant lequel se prosternaient les foules. Sur la plupart des morceaux, comme sur «Gonna Hitchhike...», c’est Ruyter qui fait le show avec ses solos dévastateurs. Elle dégringole des rivières de notes, mais de façon puissante et sans appel. Avec «You Give Drugs A Bad Name», ils partent au quart de tour sur des accords saccadés de blues. Ils se montrent merveilleusement efficaces. Avec «Keep On Fucking», ils passent au heavy boogie et Ruyter plonge dans la mélasse pour soloter comme une folle. Même chose avec «Keep Them Things Away From Me», ils reviennent avec un son qui donne le vertige, au meilleur gras et au chant hurleur, avec bien sûr un énorme solo de Ruyter à la clé. Et Blaine le blême screame comme un malheureux tombé dans les pattes de la Sainte Inquisition. Le hit de l’album est probablement «Let’s Get The Hell Outta Here». Ruyter fonce dans les fondements du cut dès l’intro. Elle a tout compris, la fouine. Elle taille son chemin dans les dynamiques du sous-bassement, juste en dessous du chant. Elle sonne comme un franc tireur et file comme le vent. C’est là que s’illustre le génie des Nashville Pussy, dans le gras de la couenne.

z268getsome.jpg


C’est Daniel Rey qui produit «Get Some» en 2005. On se souvient de lui comme d’un bel amateur de gras (Dee Dee Ramone, les Misfits, D-Generation, Gluecifer et Joey Ramone, entre autres). Ouverture explosive avec «Pussy Time». Il faut bien dire qu’avec eux, on finit par être habitués à ce genre de procédé. La reprise de l’album, c’est «Nutbush City Limits» d’Ike & Tina Turner. Ils en font une version violente et hurlée. D’ailleurs, tout est violent et hurlé sur cet album, comme cet «Atlanta’s Still Burning». Franchement on se croirait dans Autant En Emporte le Vent, au plus rouge des combats - Atlanta had burned down to the ground/ Oh yeah ! - C’est du garage à la Blaine, sans fioritures. On se régale aussi de ce «Come On Come On» noyé de guitares dès l’intro, joué aux accords claqueurs de beignets, ça sonne comme les Stones, mais en mille fois plus virulent, bien sûr. Dans «Good Night For A Heart Attack», on assiste à une violente montée de température et Blaine bascule comme d’habitude dans les excès - I’m going to a drug fight/ I ain’t coming back - Dommage, ils ont beaucoup de cuts cousus de fil blanc et ils sonnent parfois comme AC/DC, ce qui est loin d’être un compliment. Heureusement que Ruyter la folle rôde dans les buissons. Ils jouent une autre reprise, le «Raisin’ Hell Again» de Scott H. Biram. Ils nous noient ça dans une grosse purée de slide, sur un drumbeat de dieu viking. Ruyter y fait un travail hallucinant.

z269texas.jpg


On sent une sorte de perte de vitesse avec «From Hell To Texas», enregistré en 2009. Si cet album reste dans les annales, c’est uniquement pour le dernier cut, «Gimme A Hit Before I Go» qui est un petit chef-d’œuvre de Stonesy - Wanna drown in the sweet/ Strench of success ah ah - Et Blaine n’en finit plus de décrire son état d’esprit jusqu’au-boutiste - I’d rather do drugs with world famous sluts/ I want the whole world to kiss my butt - Blaine Cartright ne fera jamais dans la dentelle, inutile d’espérer un miracle. On trouve aussi une belle apologie des drogues, «I’m So High», mais il ne peut pas s’empêcher de retomber dans le trash du Kentucky - I’m gonna get wasted in the stratosphere/ And take a shit on the moon - Il n’y a que Blaine pour rêver de chier sur la lune. Autre chanson intéressante : «The Late Great USA» : il y fait l’apologie d’Amsterdam et de Madrid, juste pour faire la différence avec la façon dont on est traité en Amérique. Et puis on se régalera aussi d’«Ain’t Your Business», bien claqué du beignet de crevette, ça plâtre sec au plafond à l’ancienne et ça gicle dans l’œil du cyclope.

z270dosage.jpg


Sur «Up The Dosage» paru l’an dernier, on trouve de sacrés clins d’yeux aux Stones et notamment ce fabuleux «Before The Drugs Wear off», soutenu par un gros riffage et du bon vieux pounding hammerien - I got it all I got it all/ So let’s get it on/ Before the drugs wear off - En bonus, ils font une version attaquée à l’acou de cette petite merveille et Blaine chante comme un vieux pirate. On se régale du «Everybody’s Fault But Mine» d’ouverture qui est du pur jus de heavy blues à l’ancienne - Staggering up the montain - un son qui justement nous renvoie aux extraordinaires délires pachydermiques de Mountain. Voilà un cut de rêve, fabuleusement gras et heavy. Just perfect. Ils sortent à peu près la même purée avec «White And Loud». Petite chanson politique avec «The South’s Too Fat To Rise Again» : Blaine s’y moque des gros rednecks - Now we’re having heart attacks from tryin’ to wipe our ass - Ils font pas mal de garage punk, mais ça ne leur va pas bien. Le blues rock leur va bien mieux, comme on le constate à l’écoute du morceau titre de l’album - Gimme more/ gimme more - Blaine ne vit que pour les excès et Ruyter sonne comme Fast Eddie Clarke. Ils finissent avec «Pussy’s Not a Dirty Word», une énormité explosée à coups d’ouvertures interventionnistes combinées de Ruyter et de Blaine. Encore un couple infernal.

z272hollywood.jpg


Et ce film ? Idéal pour les inconditionnels. Sur le DVD «Live In Hollywood», on a une bonne heure trente de concert, du gros Nashville avec toutes les pointes de fièvre, mais ce qui fait le charme de ce DVD, ce sont les bonus, eux aussi copieux. Ça commence par des séquences filmées dans des backstages divers lors d’une tournée en France. On les voit faire une balance pour Canal + et on sent tout de suite l’infernale puissance du groupe. Ils tapent en effet dans «Come On Come On». Ruyter porte des lunettes de vue et un sweater gris à capuche, elle prend les deux premiers solos comme sur le disque, et Blaine le troisième. On la voit taper du pied. Elle aime ça, aucun doute là-dessus. Puis on les voit jouer en direct devant les caméras de Canal, et ils sonnent pareil. Ruyter porte un pantalon en vinyle noir et un petit haut noir. Dans une autre séquence filmée en Australie, on les voit sur scène avec Pete Wells de Rose Tattoo. Plus loin, on voit Blaine jammer et travailler des morceaux. Mais la séquence la plus fantastique arrive : Ruyter en studio avec Daniel Rey. On la voit jouer en re-re sur «Nutbush City Limit» et en comprend mieux pourquoi elle est la star du groupe. Elle joue en gras et en continu sur le beat de stomp. Daniel allume une clope pendant que Ruyter joue. Elle est exceptionnelle, colorée, inventive, bluesy. Et la petite cerise sur le gâteau, c’est l’interview de groupe par Lemmy dans le backstage à Hollywood. Extraordinaire séquence de concentré de tomate de mythe. À la fin, Lemmy serre la pince aux quatre Nashville mais Ruyter lui roule une pelle.



Signé : Cazengler, Nashville Poussif


Nashville Pussy. Le 106. Rouen (76). 10 mars 2016
Nine Pound Hammer. The Mud The Blood And The Beers. Crypt Records 1988
Nine Pound Hammer. Smokin’ Taters. Crypt Records 1991
Nine Pound Hammer. Hayseed Timebomb. Crypt Records 1994
Nine Pound Hammer. Kentucky Breakdown. Middle Class Pig Records 2004
Nine Pound Hammer. Mulebite Deluxe. Acetate Records 2005
Nine Pound Hammer. Sex Drugs & Bill Monroe. Buzzville Records 2007
Nashville Pussy. Let Them Eat Pussy. Amphetamine Reptile Records 1997
Nashville Pussy. High As Hell. TVT Records 2000
Nashville Pussy. Say Something Nasty. Artemis Records 2002
Nashville Pussy. Get Some. Spitfire Records 2005
Nashville Pussy. From Hell To Texas. SPC USA 2009
Nashville Pussy. Up The Dosage. SPV USA 2015
Nine Pound Hammer. Wanted. Country Classics.
Nashville Pussy. Live In rennes 1998. Booting The Bootleggers Volume 1. Singing Pig Records 2010
Nine Pound Hammer. Live In Berlin. Booting The Bootleggers Volume 2. Singing Pig Records 2012
Nashville Pussy. Live In Hollywood. DVD Steamhammer 2008
De gauche à droite sur l’illusse : Blaine Cartwright, Karen Cuda, Jeremy Thompson & Ruyter Suys.

 


BLUES
LES INCONTOURNABLES

( Editions Filpacchi / 1994 )

z217bluesbook.jpg

Encore un mastodonte, format genre diplodocus qui vous oblige à relever le plafond de la maison. Mais quand on l'ouvre, l'on ne regrette pas. D'abord les photos pages de droite qui vous mangent les yeux. Pour la plupart sorties des archives de Jazz Magazine. Du blanc et noir de toute beauté. Ensuite le texte. Ou plutôt les textes car ils s'y sont mis à plusieurs : Philippe Bas-Raberin, Kurt More, Jacques Demêtre, Robert Sacré, Sébastien Danchin, Gérard Herzhaft, Frank Ténot, Véronique Mortaigne, Emmanuel Gimenez, Jean Buzelin, Jacques Périn, Alain Tomas, Francis Hofstein, Philippe Carles, Denis-Constant Martin, François Thomazeau, fines plumes et grands bretteurs qui au siècle dernier ( comme le temps passe ! ) ont été les pionniers des revues qui se sont battus pour introduire le blues, le jazz, et même le rock, en notre pays, en ses larges masses un tantinet réfractaires à ces musiques ensauvagées. Le lecteur assidu de KR'TNT ! se souviendra d'anciennes livraisons dans lesquelles nous avons chroniqué certains de leurs ouvrages. Pour les amateurs nous signalons que Les Incontournables sont une collection de prestige, ils retrouveront, entre un volume consacré au Jazz et un autre dédié à l'Opéra, un opus voué au Rock'n'roll. Qui ne m'est jamais tombé entre les mains, ce que je regrette.

z218interbook.jpg


N'y a pas que le rock and roll dans la vie. Ici ça jase de blues. Très bellement. Christian Casoni qui chaque mois dresse dans Rock & Folk le portrait que nous qualifierons de littéraire d'un bluesman a dû s'inspirer du principe. Page de gauche : une évocation sur deux colonnes ( du temple ) d'une des principales figures du blues. L'exercice demande de la précision biographique et du style. Je vous laisse deviner ce qui prime. Ne soyez point béotien dans votre réponse.
Reste la grande difficulté : celle du rangement. Les Incontournables ont contourné la difficulté : ont adopté l'ordre alphabétique. De Texas Alexander à Jimmy Yancey. Pas de jaloux, pas de préséance. Facile de s'y retrouver. Nous avons vu lors de la recension de l'ouvrage Le Blues de Mike Evans comment celui-ci n'évite pas les circonvolutions historiales pour présenter son panorama chronologique. Mais ici l'on a fait l'impasse sur le rhythm and blues et l'on ne s'aventure guère dans la modernité, pas plus loin que Robert Cray, et en général l'on se cantonne aux états du Sud et à Chicago.
Pour le choix des artiste : y sont tous. Sauf ceux qui manquent. Votre outsider n'y sera pas. Tant pis pour vous. Gros lot de consolation : les essentiels connus moins célèbres sont là. Régal des yeux et de l'esprit. Qu'exiger de plus ?
Si la paresse vous étreint d'une poigne léthargique, pages 25-26, rentrez en contemplation devant la magnifique et inquiétante vue des méandres du Mississippi, le vecteur naturel du blues qu'ils disent en légende, ils ont raison, ce sera votre initiation au sortilège hypnotique de la musique du Diable. Vous comprendrez mieux les reptations du muddy crawlin' snake blues. Cette légère incertitude, cette claudication rythmique de la menace du destin qui alourdit votre fragilité existentielle.
Un livre pour rêver.


Damie Chad

 

SOUNDPAINTING

Un ami est venu passer trois jours à la maison. J'aurais dû le tuer. Non, je ne suis pas méchant. Le méritait. C'est un jazzeux. Tout de suite vous comprenez. J'ai été faible, je l'avoue. Je ne voulais pas non plus perdre mon temps précieux de rocker à éponger son sang impur dans les sillons de mon plancher. Mais en y réfléchissant, je me dis que c'était une injonction kantienne des plus morales. Je regrette. Ne serait-ce que pour l'édification des jeunes générations. Surtout qu'il s'est ouvertement moqué de moi, plié de rire sur le canapé, crachotant une marre de ricanements putrides de hyène. J'étais en train de parler d'un peintre - j'ai oublié le nom - qui réalisait des tableaux durant les concerts des bluesmen auxquels il assistait. Voulant lui en mettre plein la vue avec mes restes d'anglais de sixième lointaine je m'étais risqué à employer l'expression soundpainting ce qui à ma grande surprise avait déclenché son exaspérante hilarité. En plus je me suis enquillé sa professorale explication des plus techniques.

LE SOUNDPAINTING


Rien à voir avec la peinture. Ne vous encombrez de références malvenues style Picasso, Monet, Degas, Malevitch. Le soundpainting c'est un langage de signes pour des gens qui entendent parfaitement. Même que si vous avez l'oreille absolue, c'est encore mieux. Ne foncez pas sur une méthode assimil, il y aurait près de trois mille signes. Une chinoiserie sans fin. D'ailleurs ça peut se pratiquer avec une baguette, mais la main suffit.

z220gestes.jpg


Vous avez eu la définition, vous explique le mode d'emploi. Réunissez quelques musiciens de jazz, une vingtaine par exemple, batteur, saxophonistes, trompettistes, tubas, pianiste... et même si aimez innover un joueur de castagnettes. Votre palette sonore est au garde à vous devant vous. Profitez-en pour les agoniser d'insultes, ce sont des jazzmen ne l'oubliez pas, afin de les galvaniser. Maintenant vous commencez votre tableau sonorisé. Chaque musicien, chaque sous-groupe de musicos, possède son signe d'appel. Vous écoute des doigts et de leurs deux yeux, vous leur demandez ce que vous voulez - par signes évidemment - toi le trompette une strette en fa mineur s'il te plaît et maintenant tous les cuivres, espèces de sagouins, modérato expansivo un nappé rutilant... Cela vous donne l'air idiot des transcripteurs des informations en langage de signes pour les malentendants à la télé, en contrepartie vous créez votre concerto à votre guise. Oeuvre collective, ( vous écrirez leur noms en minuscules illisibles sur la pochette ) les musiciens obéissent à vos injonctions digitales mais c'est leur inspiration qui décide de la phrase musicale qu'ils vont jouer, même si vous vous êtes mis d'accord au préalable sur un vieux standard connu de tous dont les harmonies de base limiteront de trop grands écarts.

z221walterthompson.jpg


C'est un certain Walter Thompson qui inventa cette méthode en 1974 à Woodstock ( c'est fou tout ce qui s'est passé dans ce patelin paumé quand on y pense ), depuis elle s'est enrichie par l'adjonction d'autres arts comme la danse. En France c'est François Cotinaud ( voir KR'TNT ! 285 du 05 / 06 / 16 ) qui est le fer de lance de ce mouvement.
Faudra qu'un jour je réunisse les vingt meilleurs rock critics nationaux et je mènerai la première chronique rock en soundpainting de l'univers. D'office le Cat Zengler est désigné pour le titre et la signature finale. Prendra le stylo rouge fluo, celui qui se voit le plus.


Damie Chad.


NOUS, LES NEGRES

JAMES BALDWIN / MALCOLM X
MARTIN LUTHER KING
Entretiens avec KENNETH B. CLARK

( La Découverte / Poche : 2008 )

z222nouslesnègres.JPG

Soixante-dix pages d'interviewes réalisées par Kenneth B. Clark pour la WGBH-TV chaîne éducative de Boston, entre mai et juin 1963, produites par Henry Morgenthan, comme il s'en explique en une trop courte notule en fin de volume, dans le cadre d'une émission intitulée : Le Noir et la promesse Américaine.
Ces contributions de trois des figures représentatives de la contestation noire furent réalisées entre deux moments importants, l'échec de l'entrevue d'une délégation comportant en son sein James Baldwin avec le Ministre de la Justice et la grande marche sur Washington DC du 28 août de la même année. Mais tout cela est précédé d'une préface d'Albert Memmi qui remet les pendules de la négritude à l'heure. L'a été rédigée en 2007, dix ans après aucun mot n'est à changer. L'esclavage, la ségrégation, la déplorable situation des couches populaires noires, c'est bien. Enfin manière de parler. Mais il ne faudrait pas que l'arbre des afro-américains cachât la forêt des afro-européens. Entendez par ce mot, les populations noires d' une Afrique dont les richesses sont confisquées par les multinationales, résultat de plusieurs siècles de colonisation. N'oublie pas non plus les vagues d'immigration en route vers l'Europe si peu accueillante. Loin de lui l'idée de s'apitoyer sur les pauvres petits gentils noirs tout blancs d'innocence. Dénonce et fustige sans pitié les gouvernements africains gangrénés par la corruption et leurs élites inféodées à la toute puissance du Capital. Ne s'agit pas de pleurnicher des larmes de crocodile pour soulager sa bonne conscience. Le problème n'est pas de constater l'ampleur des dégâts mais de s'opposer dans les faits à toutes ces oppressions.
Que faire ? Comment faire ? Exactement la problématique soulevée par ces trois interviewes. James Baldwin tient le rôle sympathique de l'intellectuel. Le gars compréhensif, aux idées avancées, prêt à discuter pour faire avancer le schmilblick. L'on peut certainement trouver un terrain d'entente. N'est-il pas un démocrate ? Oui, bien sûr. Mais Baldwin ne mâche pas ses mots. Il est trop tard. Les noirs attendent depuis trop longtemps, ils sont victimes de multiples violences, la liste des morts et des assassinats s'allonge sans cesse. Quand on lui demande de se positionner sur le radicalisme de Malcom X et la non-violence prônée par Luther King, il n'est pas plus enthousiaste envers l'un qu'avec l'autre. C'est la violence des blancs qui ont créé Malcolm X, et quant aux bondieuseries de Luther de moins en moins de noirs y croient... La mèche est allumée, il n'y a plus qu'à attendre l'explosion...

z219martinluther.jpg


Malcolm X est la froideur orientée. Répond avec précision. Sa vérité toute nue. L'est partisan d'une séparation complète. Les blancs d'un côté. Les noirs de l'autre. Accuse les blancs progressistes et les juifs de phagocyter les associations noires dans le but conscient ou inconscient d'empêcher l'identité noire de s'épanouir pleinement. Se revendique de la rigueur morale de l'Islam. Tout le contraire de Luther King qui se réclame de la non-violence sous-tendue d'humanisme chrétien. Cite Gandhi comme exemple et compte sur l'opinion publique mondiale pour faire céder les blancs.
Kenneth B. Clark ne contredit pas ses invités. Leur pose des questions destinées à exprimer leur position avec un maximum de clarté, Leur permet de retracer leurs parcours, d'expliciter leurs actes, et de préciser leurs idées. L'Histoire se chargera de répondre à sa manière à leur point de vue respectif. Malcolm X sera assassiné en 1965, Martin Luther King sera abattu en 1968, en 1970 James Baldwin sentant le danger se préciser s'installera en France...


Damie Chad

z200exilenprovence.jpg


P. S. : je finis cette courte chronique lorsque j'entends à la radio que la maison de James Baldwin à Saint-Paul de Vence a été rachetée par un promoteur pour construire sur son terrain des appartements de luxe... Des militants estiment que ce lieu chargé d'histoire aurait plutôt vocation à devenir un centre de réflexions axées sur les luttes de libération actuelles... Nous leur donnons raison.


MALCOLM X & ALEX HALEY
L'AUTOBIOGRAPHIE
de
MALCOLM X

( GRASSET / 1993 )

z229book.jpg

Vaut mieux s'adresser à Satan qu'à ses diablotins. Généralement quand on aborde le cas Malcolm X, soit votre votre interlocuteur expédie le problème d'une pichenette intellectuelle, parlons d'un sujet un peu plus sérieux s'il vous plaît, soit le visage se ferme et vous sentez que votre vis-à-vis a bien un avis positif sur le personnage mais qu'il ne veut pas vous le donner, craignant de froisser vos susceptibilités politiques.
L'est sûr que Malcolm X n'a jamais fait dans la dentelle. N'avait pas des opinions tranchées, mais des certitudes aussi tranchantes qu'une hache d'abordage. En plus, l'a eu la mauvaise idée de périr sous les balles de ses assassins à l'âge de trente-neuf ans alors qu'il abordait une mue intellectuelle des plus intéressantes comme l'explique Daniel Guérin dans une assez longue préface.
Cette autobiographie que Malcolm a dictée à Alex Haley est divisée comme la Gaule de Jules César en grande partie, trois tronçons d'un chemin de vie dont la signifiance finale échappera en partie à son auteur.


ENFANCE

z228parents de malcolm.jpg


La première moitié du volume est des plus classiques. Corrobore toutes les biographies qui nous retracent la jeunesse d'artistes et d'écrivains noirs américains nés dans la troisième décennie du vingtième siècle. Nous pouvons les résumer en deux mots, misère et racisme. Et violence. Le père de Malcolm Little est un pasteur adepte des thèses de Marcus Garvey qui prônait le retour des Noirs en Afrique, tient des réunions secrètes dans des appartements privés, le petit Malcolm y assiste parfois... Idées jusqu'au boutistes et séditieuses qui ne plaisent pas à tout le monde. Le Klu Klux Klan le menacera de très près avec toute la panoplie des torches et des cagoules. Lorsque l'on retrouvera le père de Malcolm la tête réduite en bouillie et le corps méchamment entaillé par le tramway qui lui est passé dessus, les soupçons se porteront plutôt sur la Légion Noire - organisation raciale et suprématiste blanche - que sur le KKK... Pas d'enquête, la compagnie d'assurance statuera sur un suicide.... Malcolm prétend que ce sont des noirs partisans de l'intégration lente de leur communauté parmi les blancs qui auraient révélé à la Légion Noire le comportement politiquement incorrect de son père.

z24enfant.jpg


Tout son enfance et toute son adolescence seront confrontées à la pitié des blancs. Les assistantes sociales qui viennent au secours de cette veuve éplorée mère de huit enfants et qui sous prétexte d'aider placent un à un les rjetons chez des familles qui au moins les nourriront à leur faim... La mère effondrée finira à l'asile...
La suite ne ressemble guère à du Zola, Malcolm est un élève doué, le seul noir de sa classe, les dépasse tous par sa taille et son intelligence, l'est un peu la mascotte de son école, le gentil petit nigger que tout le monde apprécie. Premier désenchantement, un professeur qui lui conseille de viser la profession de menuisier plutôt que celle d'avocat. Sera désormais le pitre doué qui ridiculise les profs ce qui lui vaudra la maison de redressement. Où tout se passera pour le mieux. Le bon garçon qui devient le chouchou de la directrice et de son mari. Pas du tout des tortionnaires. De la discipline, mais l'endroit a un peu l'esprit d'une pension de famille quasi-débonnaire. Malcolm a pour la première fois l'occasion de côtoyer des blancs. Ne sont pas méchants, mais leur opinion sur les noirs est sans appel : des espèces de sous-hommes qui ne sauraient se débrouiller tout seuls, ont besoin de l'attentive compassion des blancs pour marcher droits. De grands enfants.

JEUNESSE

z231jeunevoyou.png


A seize ans se retrouve à Boston chez sa demi-soeur Ella. C'est le moment de gagner sa vie : emploi dans une compagnie de chemin de fer, petits trafics en tous genres, une histoire de fesse qui tourne mal et le voici en 1943 à New York. Une place de cireur de chaussures au Lindy Hop NightClub. Boulot que vous trouvez peu ragoûtant ? Erreur sur toute la ligne. Duke Ellington, Count Basie, Lionnel Hampton, Cootie Williams, Jimmy Lunceford, Johnny Hodges, sont régulièrement au programme. Et puis tous les à-côtés, les pourboires, les billets pour les services rendus : cigarettes de marijuana, petits billets de rendez-vous coquins à remettre en mains sûres, adresse d'établissements spécialisés à glisser au creux de l'oreille... Durant ces années new yorkaises Malcolm s'initie à l'autre face cachée de la ségrégation, les blancs qui baisent les prostituées noires et les gentes dames blanches insatiables à la recherche d'étalons noirs... Révélation de l'hypocrisie sociale. Se fait beaucoup d'argent, boit, fume - tabac et marijuana - le luxe d'une copine blanche, et pour assurer les fins de mois quelques cambriolages avec une bandes de potes.

z232photoflic.png


Ces cinq années de fêtes incessantes se termineront brutalement : tombe stupidement dans un guet-apens tendu par la police chez un bijoutier chez qui il a déposé une belle montre volée pour réparation... Verdict sans appel : dix ans de prison. Aura droit à une remise de peine de trois ans mais ce n'est pas le même homme qui en ressortira.

MILITANT MUSULMAN


Cure de désintoxication, par la force des choses. Se met à lire, à éplucher un dictionnaire et se réapprend à écrire, à maîtriser sa syntaxe. Lui qui a toujours été un beau parleur, goûte les vertus du silence propice à d'intenses réflexions. Ses frères lui ont rendu visite. Ont eu une jeunesse plus sage que la sienne, sont devenus des adeptes d'Elijah Muhammad, dont ils lui laissent quelques brochures. Malcolm intrigué lui écrit et Elijah Muhammad lui répond. Malcolm est subjugué, comment cet homme si important peut-il manifester son intérêt pour un petit délinquant comme lui ? La correspondance ne cessera plus.
L'ennui et la solitude peuvent suffire à expliquer l'improbable. Malcolm a été élevé dans un milieu religieux, le christianisme a été depuis les débuts de l'esclavage une des colonnes vertébrales sur laquelle s'est réalisée une partie de l'identité des communautés noires. Mais cet aspect ne viendra qu'en deuxième position : ce qui l'enchante dans les écrits d' Elijah Muhammad réside en l'implacable analyse effectuée par celui-ci sur les rapports entre noirs et les blancs. En quatre siècles, rien n'a vraiment changé, toutes les évolutions présentées comme des bonds qualitatifs historiques par les blancs ne sont que des leurres. De belles idées en trompe l'oeil sur le papier que la réalité de la situation dément instantanément. Ce sera le cheval de bataille de Malcolm lorsqu'il deviendra le bras droit de Muhammad. L'est un tribun au discours implacable. Les blancs sont des diables, il est inutile de leur courir après. Malcolm en veut particulièrement aux élites noires embourgeoisées qui ont perdu tous les attributs mentaux de leur race. C'est à ces traîtres qu'il réserve ses flèches les plus acerbes.

z226foule.jpg


L'islamisme de Muhammad permet de se démarquer totalement de la communauté blanche. Il modélise par ses obligations et interdits moraux - no sex, pas d'alcool, pas de tabac, s'instruire, consommer noir, bien s'habiller - une régénération de la race noire. Dans les années soixante-dix le mouvement chrétien des re-born n'est pas très éloigné de tels comportements. S'agit d'opérer une révolution intérieure pour s'isoler de la chienlit morale environnante et pour opérer une coupure radicale avec son passé.
Malcolm Little a pris le nom de Malcolm X comme le préconisait son organisation pour ses adhérents. Cette revendication de l'anonymat du X est un rappel que les noirs portent des patronymes qui ne sont pas les leurs, qui leur ont été imposés par les maîtres blancs pour éviter tout rappel malencontreux de leurs provenances africaines.
Durant quatorze ans Malcolm se démène pour faire progresser le mouvement des Black Muslims, en est la figure de proue. De quatre mille adeptes le mouvement passera à quatre cent mille sympathisants, les violentes attaques dont l'organisation est victime dans les médias lui procurent une énorme publicité parmi les couches les plus défavorisées de la population. Malcolm dit tout haut ce qu'elles sont incapables de formuler avec clarté.

z225adulte.jpg


Les Black Muslims sont des séparatistes, rêvent d'un territoire sur le sol américain qui leur permettrait de couper tous liens avec les blancs détestés. Ne plus se mêler avec les Diables Blancs devient leur obsession. Se referment sur eux-mêmes comme un oeuf à la coquille incassable. L'adhésion fonctionne comme une coque de protection qui vous permet de vous couper du monde extérieur. Une île qui possède ses garde-côtes. Qui ne servent pas à grand-chose en vient à juger Malcolm. Des milices d'auto-défense nommées Fruit on Islam chargées de protéger les cadres de l'organisation et ses manifestations. Mais en attendant, c'est le mouvement non-violent de Martin Luther King qui mène des actions décisives et qui subit les exactions les plus brutales de la police. Etat de fait d'autant plus insupportable que de nombreux blancs de bonne volonté participent à ses marches de protestation.
Malcolm se trouve pris entre une redoutable contradiction, lui qui hait les blancs, qui déclare haut et fort que tout blanc qui entre dans une organisation noire la corrompt, pense que les Black Muslims devraient s'engager en des confrontations violentes avec les forces de répression. Des révélations sur les amours illicites d'Elijah Muhammad avec ses secrétaires l'incitent à remettre en question la personnalité sacrée du guide suprême... Finira par être exclu de l'organisation.

ULTIMES METAMORPHOSES

z230magazine.png


Malcolm est une figure charismatique. L'on attend de lui des directives précises. En son fort intérieur il hésite. Le mouvement qu'il essaie de créer ne mord pas sur les masses. Pour se mettre au clair avec lui-même il participe au pèlerinage de la Mecque. Prend la grande claque de sa vie : les fidèles sont de toutes les races : des blancs, des jaunes, des noirs, tous unis. Tous des êtres humains. Lorsqu'il rentrera il amendera ses principes de base reconnaissant que tous les blancs d'Amérique ne sont pas des ennemis. Sont aussi sincères que lui lorsqu'ils dénoncent le racisme. L'a profité de son voyage pour circuler en Afrique, l'est reçu par de nombreux chefs d'état comme Nasser. Se rend compte que la lutte des noirs américains n'est qu'un sous-ensemble d'un mouvement de revendications économico-politiques qui parcourt la planète. Le monde connaît alors l'acmé du mouvement tiers-mondiste anti-colonialiste.

z227finjournal.jpg


Son cerveau est en ébullition, l'aspect religieux passe au second plat, se dirige vers un nationalisme noir qui ne serait plus un cocon protectif. Sent qu'il faut déployer celui-ci dans la réalité nationale américaine. Dans sa préface Daniel Guérin affirme que l'étape suivante aurait été celle d'une affirmation d'un combat de lutte de classes révolutionnaire. Nous ne le saurons jamais. Des cocktails molotov sont lancés dans l'appartement familial de Malcolm. pas de dégâts humains, dans un premier temps il accuse l'organisation des Black Muslim. Mais bientôt il pense que le danger vient d'ailleurs. A la prescience de sa fin prochaine. Sera abattu de quinze balles dans un meeting par deux tireurs noirs. L'on ne saura jamais qui étaient les commanditaires. Mais l'on connaît les méthodes de manipulation et d'élimination du FBI et de la CIA...


INTERROGATIONS

z235xmort.png


Que reste-t-il aujourd'hui de Malcolm X ? Le souvenir d'un homme engagé. Qui n'a jamais hésité à indiquer clairement qui étaient ses ennemis. L'était comme le Seigneur, recrachait les tièdes, préféraient les racistes à la Goldwater qui affichaient leurs idées et volitions raciales sans complexe. Rappelait qu'il n'avait jamais mis les pieds dans les Etats du Sud et qu'il était un américain des Etats du Nord dont il dénonçait avec une extrême virulence l'hypocrisie de leur anti-racisme théorique...
La fascination et l'adhésion dont il fit preuve envers l'islam nous interroge particulièrement quand l'on pense à cet islamisme radical qui embrase les pays du Moyen-Orient et qui ne laisse pas insensible toute une portion non-négligeable de la jeunesse des cités européennes. Il y a sûrement des enseignements à tirer sur cette évidence d'une colère sociale qui se structure selon un radicalisme religieux. Cette constatation étrange aussi que Malcolm fut abattu alors qu'il se rapprochait d'un mode de pensée plus purement politique.
Reste à savoir ce que le mouvement noir américain fera de la figure de Malcolm X dans les années prochaines.

Damie Chad.


IL FAUT RENTRER MAINTENANT
EDDY MITCHELL
avec DIDIER VARROD.


( Editions de La Martinière / 2012 )

z236bookmitchell.jpeg

J'ai longtemps été fan d'Eddy Mitchell. Mes années collège surtout. Trente kilomètres en stop pour mon premier concert à Tarascon. En Ariège. En 1968. Deux mille personnes, facile de me reconnaître, dans la bande des quarante excités tellement agités que le public avait organisé un prudent no man's land autour de nous. J'en garde le souvenir d'Eddy sirotant un jus d'orange pendant le solo de J'avais deux amis. Deux ans plus tard j'ai remis le couvert. Ce devait être à Saint Cyprien au bord de la Mare Nostrum. Vous ne pouvez pas ne pas me voir, tout devant de la photo de fausse une de l'Indépendant qui couvre toute la page. Grandiose ! Des milliers de participants. A part qu'aux premiers rangs nous étions près de cinq cents. Une ambiance délirante. Je ne vous raconte pas l'orga débordée qui interrompt Eddy au bout d'une minutes et qui menace d'annuler le concert si nous ne nous calmons pas... Nous étions jeunes et fous. Quarante ans après, toujours aussi jeunes du ciboulot et encore plus fous de rock.
J'aimais bien ses titre rentre-dedans du genre Si tu n'étais pas mon frère je crois bien que je t'aurais tué ou alors ces diatribes à l'emporte pièce contre la religion chrétienne. Puis le père Eddy a doucettement évolué comme on dit pour ne pas employer le verbe régresser. Ai fait l'impasse sur ces insupportables face B blues du blanc déconnecté du blues, l'a adopté en filigrane de ses morceaux un ton désabusé un peu inquiétant. Etait-ce le vieillissement de la trentaine qui s'annonçait ou ce que les esprits pondérés appellent le début de la sagesse ? J'ai longtemps acheté ses disques plus par fidélité à moi-même qu'à Eddy. J'ai définitivement stoppé lorsqu'il a sorti son double CD de génériques de films, d'une tristesse glaçante.

z239surscene.jpg


Mais lorsque Mister B m'a proposé le bouquin, je n'ai pas dit non. Pas un véritable livre, une série d'interviewes réalisées par Didier Varrod entre 2010 et 2012. S'achève juste après les adieux... Un coriace le grand Schmall. Ne se livre guère. L'on n'apprend que ce que l'on connaissait déjà. Toutes ces anecdotes qu'il a déjà racontées mille fois à la radio. Ce n'est pas de la mauvaise volonté de sa part. Un trait typique de son caractère. Ce qui est fait est fait et il est inutile d'y revenir dessus. L'homme n'a pas d'état d'âme. Ne larmoie pas sur ses regrets. Déteste se vanter. Se préserve des médias, participe le moins possible aux hypocrites comédies de la promotion à tous vents. Est sûr de lui, a la fierté d'assumer sa carrière, l'on sent le gars insensible aux critiques et peu enclin à céder à la fumée des louanges extatiques. Reconnaît ses concessions, les pubs qui comblent les déficits, les tournées dans les pays de l'Est qui remplissent le porte-feuille... Parle un peu avec émotion de ses parents et très peu de sa femme et de ses enfants. Attitude de français moyen, protège sa famille, paie ses impôts sans se plaindre ( ce qui est plus rare ), essaie de bien faire son boulot, et tient un discours sans pitié pour nos élites politiques. Pas un extrémiste, ni un rebelle, quelqu'un qui louvoie avec le Système tout en essayant de garder les mains propres... Refuse de se plaindre, l'a eu un cancer qu'il a terrassé et une vie supérieure à la moyenne de ses concitoyens. L'en est conscient. A tracé une ligne de démarcation - avec points de passage inévitables - entre l'intime personnalité de Claude Moine et le personnage public d'Eddy Mitchell.

z237bigband.jpg


Ne regarde point en arrière, se tourne vers son présent. Evoque longuement cette seconde carrière d'acteur de cinéma qui prend le dessus sur celle de chanteur. Sur ce coup-là Eddy m'a beaucoup déçu, lui le passionné de pellicules américaines joue dans cet insupportable cinéma franchouillard qui m'a toujours débecté... Question musique, pas trop à se mettre sous la canine. Ses prédilections premières pour Bill Haley et Gene Vincent. Insiste sur son amitié avec Johnny Hallyday et Coluche, raconte les quatre opérations successives que Claude François infligea à son nez trop long. C'est en cet épisode, et pratiquement pour la seule fois, que l'on a droit à ses saillies ( nasales ) si particulières de son humour pince-sans-rire et coupe-court qui forment d'habitude le fond de ses interventions radiophoniques et télévisées.
Le plus passionnant du livre reste cette confidence de Quinn Ivy, fauché comme les blés, qui réunit ses derniers dollars et envoie sa femme travailler afin de payer les séances studio d'un chanteur noir rencontré dans un bar. Un célèbre inconnu qu'il va coacher car sa chanson : When a Man Loves a Woman lui semble prometteuse. La proposera à Atlantic pour la mettre sur le marché. Jusque là tout va très bien quand survient cette révélation extraordinaire, lui qui a pris tous les risques financier pour Percy Sledge ne l'a jamais laissé entrer chez lui. Un noir invité chez les blancs ? Ne poussez pas la mémé dans les orties !

z238mitchell.jpg


Honnête et travailleur. Pas de sexe. Pas de drogue. Très peu de rock. L'a arrêté l'alcool et tente de ne plus fumer. Une vie phantasmatiquement peu rock and roll. No mytho-destroy. Les pieds fermement enfoncés dans le goudron des mentalités prolétaires peu sensibles aux sirènes des conduites à risque. N'est pas James Dean, ne vit pas trop vite. Et mourra vieux. Ne nous donne pas envie de rêver. Mais ferons-nous mieux ?


Damie Chad.

 

 

07/07/2016

KR'TNT ! ¤ 289 : KAREN DALTON / NICO'ZZ BAND / CRASHBIRDS / BOB DYLAN / JAMES BALDWIN

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

, Karen Dalton, Nico'ZZ Band, Crashbirds, Bob Dylan, James Baldwin,

LIVRAISON 289

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

07 / 07 / 2016

KAREN DALTON / NICO'ZZ BAND / CRASHBIRDS

BOB DYLAN / JAMES BALDWIN

LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 10 - 05 - 2016


SE SOUVENIR DE KAREN DALTON

CONFERENCE
DE
PIERRE LEMARCHAND

TAGADA TAGADA VOILA LA DALTON

Le mec a l’allure d’un étudiant en sociologie, trente ans, quarante kilos habillé, brun, petite queue de cheval, barbe, chemise passée sur un jean indéfinissable, filet de voix douce. Du genre qui ne ferait pas de mal à une mouche, et encore moins à un moustique. Dans les années soixante-dix, on l’aurait certainement traité de hippie. Peace my friend. Il accueille ses amis dans la grande salle du 106 en leur faisant la bise. Il va donner une conférence, tout seul, face aux immenses gradins. Ses amis lui demandent : «Ça va ? Pas trop tendu ?». Il avoue juste un peu de stress. C’est vrai qu’il n’a rien d’un tribun. On s’inquiète pour lui. On parierait même qu’il va bégayer et parler d’une voix blanche. Se trouver dominé par un public installé en hauteur, ce doit être déjà très spécial, mais vouloir évoquer la mémoire d’un personnage comme Karen Dalton, c’est une façon de donner le bâton pour se faire battre.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Il s’appelle Pierre Lemarchand. Il vient du publier une bio de Karen Dalton au Camion Blanc, «Se Souvenir Des Montagnes».
Ce micro-événement dérisoire résulte de deux formes de courage : celui d’un auteur qui mène l’enquête pour redonner vie au souvenir d’un personnage infiniment romantique, au sens où le fut Johnny Thunders, via l’héro, et celui d’un éditeur qui continue envers et contre tout à publier des ouvrages qui ne se vendront pas, mais qui auront le mérite d’exister. Dernier exemple en date, les Hellacopters. Bravo !
L’auteur attaque sa conférence avec la projection d’une petite vidéo artisanale. Il veut que le public «passe par mon point de départ». Ce court film de quatre minutes fut tourné par des journalistes français et inclus dans un docu plus important consacré à la contre-culture. On voit Karen Dalton se promener dans les bois du Colorado et chanter un blues avec la voix de Billie Holiday. On note au passage qu’il lui manque des dents. Rien qu’avec ces quatre minutes, l’auteur a conquis son public. Personne ne peut rester insensible à ce chant de sirène surgi du passé.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Il mène sa conférence avec une sorte de feu sacré. On le sent possédé par son sujet, et en même temps, on sent poindre le côté rasoir de l’amateur de folk. Il évoque longuement le versant bucolique de la vie de Karen, les années passées au Colorado, les jours heureux, les cabanes de mineurs et petite cerise sur le gâteau, il se complaît à lire de généreux extraits de son livre. Sa prose coule comme l’eau fraîche d’une rivière à travers la vallée du bonheur. Il est tellement possédé par son sujet qu’il prête des pensées à Karen Dalton. Exercice périlleux dès lors qu’on se trouve dans le pré carré de la bio. Le jeu consiste à ne pas mordre le trait. Il existe des terrains de jeux où c’est possible, comme par exemple la fiction. Mais pas la bio.
On craint le pire. Karen Dalton n’a rien de la folkeuse bon chic bon genre. Il faut attendre l’évocation du retour de Karen à New York pour renouer avec la réalité de la légende. Il semble que l’auteur ait du mal à évoquer l’héro car il n’en parle que tardivement, comme s’il était obligé de le faire. Oui, Karen Dalton est une junkie à la new-yorkaise et ses meilleurs amis aussi : Tim Hardin, rentré du Viet Nam avec l’héro, et Fred Neil, junkie notoire. C’est une grande banalité dans le milieu artistique new-yorkais et dans ce qu’on appelle la bohème des années 50/60/70. Comme le rappelle Martin Rev dans une interview, à cette époque, tous les new-yorkais prennent de la dope. New York est alors redevenue la capitale artistique du monde. La ville bouillonne d’énergie et de créativité 24 heures sur 24.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin

( BOB DYLAN / KAREN DALTON / FRED NEIL )


De la même façon que Fred Neil, Karen Dalton semble vouloir fuir les feux de la rampe. Comme Fred, elle préfère jouer dans des petits clubs et rester au contact des gens. Il existe des enregistrements plus ou moins officiels de Karen Dalton sur scène. Ce sont des documents un peu âpres, pour ne pas dire insupportables. Le conférencier en fait écouter deux ou trois extraits, au risque d’écrouler tout ce qu’il avait patiemment élaboré. Ces extraits mal enregistrés sont de véritables tue-l’amour.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Karen Dalton finira par accepter d’enregistrer en 1969 un premier album, le fabuleux «It’s So Hard To Tell Who’s Going To Love You The Best». Pierre Lemarchand en passe un titre, une reprise du «Little Bit Of Rain» de Fred Neil (qu’on trouve sur son album «Bleecker & MacDougal»), et d’une certaine façon, il sauve sa conférence en donnant une réelle crédibilité artistique à son héroïne : hit imparable et interprétation bouleversante. Et là, on entre dans un monde, un vrai. Avec une jolie profondeur de champ, comme dirait Jo le photographe. Bienvenue dans la romance new-yorkaise, dans cette poésie urbaine de la nuit hantée par les fantômes de Bird et de Miles Davis.
C’est en effet «Little Bit Of Rain» qui ouvre le bal de cet album devenu culte. Karen Dalton chante à la manière de Bessie Smith, avec une voix de traîne profondément languide. Aucune chanteuse ne va aussi loin qu’elle dans le style papier mâché. Elle récidive dans «Sweet Substitute», avec une extraordinaire vibration de voix fêlée, avec une résonance de black de bar de jazz, car c’est suivi par l’immense Harvey Brooks à la basse. Karen Dalton chante au plus profond du feeling organique, dans l’esprit fantomatique qui caractérisait si bien les dérives vocales de Billie Holiday et de Bessie Smith. Lorsqu’elle entre dans «Ribbon Bow», sa voix semble à l’abandon. Elle chante la partance de la désespérance avec une voix d’angle biaisé. Elle rend le chant complètement immobile, comme suspendu. On reste dans la profondeur du désespoir avec «I Love More Than Words Can Say», un hit signé Eddie Floyd et Booker T. Jones. Elle chante à la Billie, c’est merveilleusement tremblé et sensible. C’est là que ça se joue, chez Billie. Karen finit par exercer une espèce de fascination. Elle tape dans le blues du style when the sun goes down avec «In The Evening». Retour aux années antérieures, à l’âge d’or du jazz de bar et puis elle revient à son copain Fred Neil avec l’excellent «Blues On The Ceiling». Quelle envoûteuse ! - I’ll never get out of this blues again - Harvey Brooks l’accompagne à la stand-up. Même shoot que Billie, c’est du blues de smack. Comme le raconte Etta James, Billie s’envoyait toujours un double shoot d’héro avec un grand verre de gin. Avec «It Hurts Me Too», on a certainement l’un des blues les plus purs de l’histoire du blues, et le plus beau cut de Karen Dalton, car la qualité de sa douleur dépasse les bornes. Elle tape dans son autre copain, Tim Hardin, avec «How Did The Feeling Feel To You». C’est jazzé à l’orée du bois. Elle distille le smack de l’aube et de l’espérance. Elle incarne tout ce monde à merveille et elle finit avec un vieux coup de LeadBelly, «Down In The Street» qu’elle pend à bras le corps.

 

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Michael Lang venait d’amasser dollars et notoriété avec son festival de Woodstock et en 1970 il décida de fonder un label, Just Sunshine Records. Il demanda à Harvey Brooks de s’occuper de Karen qu’il voulait absolument sur son label. Un an plus tard paraissait «In My Own Time», un album encore plus culte que le précédent, pour au moins trois raisons, à commencer par ce chef-d’œuvre qu’est «Something On Your Mind», chanté à la patate chaude. Karen explose ses syllabes au groove des collines du Midwest. Elle atteint une sorte de démesure de la beauté formelle. Son chant fait tout le mucus argenté de sa légende. C’est d’une rare puissance et comme filtré au violon. The hippest chick on the set, disait d’elle Peter Stampfel des Holy Modal Rounders. L’autre énormité de cet album, c’est la reprise du fameux hit Tamla «How Sweet It Is (To Be Loved By You)». Elle se livre à une incroyable dévoration du groove. On assiste en effet à la prestation d’une mante religieuse qui dévore Tamla après la copulation, mais elle dévore Tamla de l’intérieur. Encore de la pure magie avec «Are You Leaving For The Country». Sa mère était Cherokee mais son père devait être un ange irlandais, car il se produit avec cette chanson quelque chose d’unique dans l’histoire de la musique américaine. Oh mais ce n’est pas fini ! Karen fait aussi une monstrueuse reprise du «When A Man Loves A Woman» de Percy Sledge. On appelle ça une cover extrapolatoire. Elle chante comme Donald qui se pincerait le nez s’il en avait un. C’est atrocement bon. Elle est dessus. Elle ne se répand pas comme le grand Percy, non, elle va au contraire chercher le fin du fin de la pure désespérance. Elle chante ça à l’extrême pointe du feeling indien, comme savait aussi si bien le faire Buffy Sainte-Marie. Elle tape ensuite un «In My Own Dream» au groove de voix éveillée et revient à son cher papier mâché. Elle lâche du ting de everyting exceptionnel. Si on aime la musique des mots, c’est elle qu’il faut écouter. En plus, c’est groové derrière jusqu’à l’os du genou, au pur beat de jazz motion et battu à la ramasse fatidique. «Katie Cruel» fait partie des chansons qui fascinent Nick Cave. Karen chante ça à la voix perdue et s’accompagne au banjo famélique. Et puis on se régalera aussi de «Take Me». Elle fait vibrer les accents de sa voix dans une nuit d’encre. Cette femme est belle et même beaucoup trop belle. C’est à l’entendre qu’on comprend qu’elle était devenue inaccessible.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin

Signé : Cazengler, daltonien

Conférence «Se Souvenir de Karen Dalton». Pierre Lemarchand. Le 106. Rouen (76). 10 mai 2016
Karen Dalton. It’s So Hard To Tell Who’s Going To Love You The Best. Capitol Records 1969
Karen Dalton. It’s My Own Time. Just Sunshine Records 1971

SEZANNE / 02 - 07 - 2016

NICO'ZZ BAND



Pas besoin de rechercher désespérément Sézanne. C'est tout droit, quarante kilomètres de Provins, n'y ai jamais posé les talons de mes two-tones shoes pour la simple et bonne raison que je n'en porte point, mais aussi parce les ronces noires du destin qui gouverne ma vie ne m'y ont jamais appelé. Mais ce soir, je suis motivé, la faute à Pascal Seher - l'homme qui photographie systématiquement tous les évènements musicaux de la bonne ville de Troyes, qui la veille y a vu le Nico'ZZ Band, les couvre d'éloges et affirme qu'ils seront ce samedi soir en terre champenoise, à Suzanne.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


La teuf-teuf bougonne, vient d'enfiler en ligne droite deux kilomètres de maisons basses aux façades grisâtres, lorsque une barrière métallique au milieu de la chaussée interdit toute progression. Virage d'équerre à quatre-vingt dix degrés, nulle crainte, les anges nous protègent - bien que nous nous préparions à écouter la musique du Diable - nous ont réservés une place de stationnement face au porche de l'Eglise.
Place de la République, pavée, devant la maison de Dieu dans sa froide robe de pierres, vous ne manquerez pas d'admirer les ogives un peu décrépites de la façade, levez les yeux pour atteindre les quarante deux mètres de la tour mastoc qui la limite d'un côté, en face la maison des Hommes, le café à la vaste terrasse et aux alcools chauds comme des caresses verlainiennes qui vous attend. La scène est au bas de l'Eglise, un parvis de chaises plastique en demi-cercle s'offre à vos postérieurs.
Peu de monde - le foot à la télé - mais le peuple du blues est là, je ne parle pas de la dizaine de connaisseurs mais de ces familles massées aux premiers rangs et qui arborent les stigmates des vies difficiles sur leurs traits. Les méfaits du libéralisme libéral sont lisibles à visages découverts, une minorité invisible de riches qui s'engraissent et une pauvreté qui s'étend. Il est temps que l'on recommence à brûler les châteaux.

NICO'ZZ BLUES BAND

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Neuf heures pile. Le blues band monte sur scène. Formation de base : au centre Arnaud Lesniczek derrière sa batterie, à droite Pascal Dumont qui ceint sa basse électrique, à gauche devant le micro Nico le bootle neck frémissant. Et c'est parti pour presque deux heures de bonheur. Slide grave Nico, un guitariste habité. Surfe sur le blues. Chante, une voix claire et puissante, rien à voir avec la carte postale des larynx enfumés et rongés d'alcool de contrebande des vieux bluesmen assis sur la véranda délabrée dans l'étouffante moiteur du Delta. Ce n'est pas que Nico ne connaît pas ses classiques. Les a assimilés mais les a teintés d'un bleu bien à lui, qui lui appartient. A lui et à sa guitare. Un style qui part de BB King mais qui s'en émancipe dès la première note, la même attaque, mais point de séparation avec la suivante, point de ce vide qui l'isole pour qu'on l'entende gémir à satiété, un long glissé qu'il enchaîne tout de suite, point d'interruption, mais pas de saturation non plus, Nico n'entasse pas, ne donne pas dans le vrac, ne déverse pas le camion benne, il fusèle la fluidité. Les notes se suivent et ne se ressemblent pas, les assouplit les arque comme un dos de panthère qui s'étire les pattes en avant, le cul en hauteur, les yeux étincelants du bonheur de la cruauté de la vie. Impossible de détacher son regard de ses mains, l'on en vient presque à regretter quand il mord les cordes, quand il descend faire un tour dans le public, non ce qui nous sidère, c'est la posture, légèrement arquée, les mains au bas du manche, toute sa chair concentrée, toute cette fièvre focalisée sur son rapport avec le corps de sa solid body, une épure érotique d'une gestuelle retenue mais tendue dans le jet spermicide de cette guitare qui miaule, couine, halète, se déchire et désespère de toute satisfaction extatique apothéosiléthale. Le blues comme le balancement acharné de ces vagues infinies qui moutonnent sur des milliers de kilomètres avant de s'écraser sur une grève sableuse, image marine de l'agonie des blue-notes qui descendent les cercueils de nos illusions dans les fosses communes de nos désespérances. Le blues telle une berceuse, cette Meuse endormeuse dont les vers réguliers et répétitifs d'un Péguy scandent à merveille l'inaltérable balancement de ces flots que le trident de Poseidon lance à l'assaut de nos soubassements vitaux. Le blues ébranle les falaises de nos existences, le blues grignote notre vie. Chaque blues écouté est une cigarette de nicotine qui oblitère dix minutes de notre présence au monde. C'est tout cela que raconte la guitare de Nico. Cette désespération ultime, ce regard vitreux des morts sur la transparence évanouie des spectacles extérieurs. Une petite bise froide parcourt la place, les moustiques nous obligent à nous engoncer dans nos vêtements à caparaçonner nos mains dans nos poches, à entrer encore plus profondément en nous-même, le blues est une lame d'acier bleu qui s'enfonce dans nos entrailles, en douceur et en profondeur. Et ce sont les sorciers à la Nico'ZZ Band qui nous font aimer cela.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Réveillez-vous, sortez de vous mêmes, pauvres escargots humains recroquevillés dans le calcaire de vos coquilles. N'y a pas que le blues dans la vie. Nico'ZZ Blues Band va interpréter ses compos. Du funk à fond. Après le frigidaire mental du blues le calorifère de sa déclinaison tribale. Le funk ce sont les relents africains du blues. On ne joue plus du tam-tam chaque instrument est une percussion. Fêtes du corps, sueurs de sexes. Par deux fois le Band reviendra au funk mais le blues reprendra ses droits, ses doigts sur la guitare.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Nico est un solitaire de la guitare, mais il n'est pas seul. Possède deux compagnons - pas des accompagnateurs - qui lui pavent l'enfer du blues de leur meilleures contributions. Arnaud à la frappe, en même temps sourde et explosive. Puissante mais qui jamais ne se met devant, tout en restant prépondérant dans la stabilité de la chevauchée commune. Je sais que certains suivront le concert sur ces baguettes incandescentes, et ils n'auront pas tort. J'eusse aimé que la base de Pascal fût un tantinet plus fort. Manquait à mon avis d'un brin de résonance pour goûter parfaitement les arceaux, les arcs-boutants et les contreforts qu'il édifia tout le long de la soirée. Un travail d'une précision absolue qui aurait demandé quelques décibels de plus car quel doigté, quel rythme, quel swing, lorsque ses deux acolytes restaient, rarement, silencieux, et que ses seules interventions étaient en même temps la marque de la brisure rythmique et la continuité intrinsèque de ce qui se jouait juste avant la coupure dans l'impact du morceau.
Un très beau concert. Folie froide du blues entrecoupé de hot stuff funk. Je vous l'affirme ces musicos ne sont pas des demi-sels. Ont tenu emprisonné le public, l'ont fait manger dans leurs mains de magiciens. L'ont captivé, l'ont fasciné, l'ont ravi. L'ont autant plongé dans leur solitude existentielle que dans leur appartenance collective à l'espèce humaine.
Suis reparti comblé.


Damie Chad

NO MERCY / CRASHBIRDS


HARD JOB / HE DRINKS LIKE A FISH / BOOGIE NIGHT / STEAMROLLER / ROLLIN' THE SOUTH / NO MERCY / NEON BAR / SPANISH BLUES / + MONEY ( electric version).

DELPHINE VIANE : vocals & guitare / PIERRE LEHOULIER : Lead Guitar & drum / 2013 /

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin

Parfois j'ai des humeurs de galopin, je me hisse dans les frondaisons pour pécho les oeufs dans les nids des oiseaux. C'est ainsi, les rockers sont cruels et sans pitié. Justement l'ovoïde ( un spécimen bizarre, le jaune est sur la coquille ) tout mince ( ce que l'on appelle un oeuf sur le plat ) sur lequel je viens de faire main basse, s'intitule NO MERCY, c'est écrit dessus en gros caractères dans un carré rouge. Y a un avion à gueule de requin lamentablement scratché sur un arbre et les deux corbacs qui contemplent le désastre avec un air hypocrite d'intellectuel atterré. Lorsque Delphine Viane a appris que j'allais le chroniquer, l'a poussé des cris d'orfraie - mais c'est un vieux truc ! Nulle crainte damoiselle odontocète, l'ornithologue distingué Corneille nous l'a appris : aux rocks bien pondus, la valeur n'attend pas le nombre des années.
Hard Job, porte bien son nom, le boulot je le leur laisse, je reconnais que c'est du dur de dur, du rock de rock, cadencé à la Steppenwolf et Miss Delphine qui aboie pour rameuter toute la horde. Un appel irrésistible, brisez les barreaux de vos cages et filez droit dans la fournaise du rock and roll. C'est là où vous serez le mieux.
He drinks like a fish, un truc torride qui donne vous soif illico,vous déconseillerez l'écoute aux anonymes de la ligue des gosiers coincés. L'abus d'alcool de rock est dangereux pour votre santé. Mentale cela s'entend, un morceau qui débloque. Le chant de Delphine est celui de la grande tentatrice. Tétez, tétez mes frères à cette dive bouteille, à cette fiole rabelaisienne du sang du seigneur. Et vous ne nagerez plus en eau trouble.
Boogie Night, chez les Crashbirds la nuit n'est pas faite pour dormir. Genre d'oiseaux nyctalopes à s'agiter dans les branches. Frappent sur les cordes de leurs guitares comme des piverts fous. Quant à Delphine faut le reconnaître : ce n'est pas le chant mélancolique du rossignol, vous réveille le patelin en trois goualantes et le Pierre vous sort des ces notes suraiguës à transpercer les tympans des sourds. Quand le boogie bouge the nigth is not light, comme l'écrivit Shakespeare dans Hamlet, juste avant la scène du meurtre de Polonius.
Steamroller, Encore un truc qui balance, mais à la manière des rouleaux compresseurs, écrase tout devant et aplanit tout derrière, Pierre prend un plaisir sadique à appuyer sur votre carcasse et Delphine aide à la manoeuvre en haussant la voix afin de le guider tout en couvrant le bruit de la machine. A la fin du morceau vous vous sentez comme une descente de lit, et le pire c'est que cet état nouveau ne vous déplaît pas.
Rollin' To The South doit aimer le Sud Delphine, ou le détester. En tout cas ça vous la met dans un de ces états. Garez-vous sur le côté et laissez passer. Pas le moment de la contrarier. Avec les guitares qui conduisent à cimetière ouvert, faut se méfier.
No Mercy, ne venez pas vous plaindre. Vous ont avertis. Pas de pitié, le rock and roll c'est pas pour les demi-portions de vache qui sanglote au moindre coup de catastrockphe. En plus, Delphine hurle qu'elle vient de perdre son contrôle, et vous êtes de ces imbéciles qui n'ont pas d'abri atomique au fond du jardin. Vous êtes cuits. Cuit-cuit croassent les Crashbirds.
Néon Bar, vous vous croyez sauvés puisque vous apercevez la lumière clignotante du bar. N'auriez pas dû rentrer, l'atmosphère est pesante et le whisky a un goût de pisse chaude de cheval fiévreux. Vous en ressortez vivant mais vous ne l'avez pas fait exprès.
Spanih Blues, les zoziaux tricotent à l'espagnole, entrecroisent les guitares comme les banderilles plantées sur le dos du taureau, c'est doux et rose comme la longue ceinture de soie que le torero enroule autour de sa taille. Jusque-là tout va bien, vous vous dîtes que vous parviendrez à survivre, Delphine en profite pour entonner un thrène funèbre, une espèce de flamenco-cherokee qui vous fout les jetons, et puis ils repartent dans un fandangrock de mauvais augure. N'est-ce pas l'annonce insidieuse de votre mise à mort?
+ Money, électric version : se moquent du monde, l'on avait compris que n'était pas de la flûte de Pan. Ou alors panique, l'on pousse le bouton rouge de l'electric chair sur laquelle vous êtes complaisamment assis ! Lehoulier secoue le cocotier, mais vous savez, dès que vous agitez deux billets de dix euros, les filles se transforment en tigresse rugissante. Delphine rugit et vous déchiquette en petits morceaux et pour finir Lehoulier balaie les restes à grands coups réguliers de riffs ravageurs.

En plus ils ont engendré ce monstre sonique tous seuls, enregistrement : composition : Crashbirds, mixage  : Crashbirds, production : Crashbirds. Directement du producteur au consommateur. Mais attention ce n'est pas du bio pour les amateurs de sous-développement durable, produit hautement toxique. Superbe, vais en commander une dizaine d'exemplaires et demander au toubib de les utiliser pour remplacer les disques de ma colonne vertébrale. Faut toujours joindre l'utile à l'agréable. En plus la pierre lehoulière, c'est inusable.


Damie chad.

BOB DYLAN
UNE BIOGRAPHIE

FRANCOIS BON


( Albin Michel / 2007 )

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin



Je ne suis pas un fou furieux de Dylan. L'ai davantage entendu à la radio et chez les copains qu'écouté religieusement durant des nuits et des nuits enfumées. Mais le bonhomme a du talent, je le reconnais. Sait écrire. Mais dans ma tête souffre d'une tare rédhibitoire. Lui attribue l'étiquette infamante de folkleux. Ce n'est pas que je n'aime pas le folk. C'est son public qui m'insupporte. Des petits-bourgeois qui ont déboulé dans le monde du rock, comme si avant eux il n'y avait eu rien d'autre. Son côté révolutionnaire, j'adopte la guitare électrique m'a toujours fait rire. Comme si l'on n'avait attendu que lui. Et les imbéciles qui criaient au miracle comme la poule qui découvre un oeuf à la coque. Vous rendez-vous compte, l'avait emprunté l'instrument de ces sombres brutes de rockers. Quel sacrilège, quelle audace ! Shame et scandale dans la Family comme le chantait Sacha Distel.
Par contre j'aime bien François Bon. Généralement il sait de quoi il parle. Quand il écrit, il ne cherche pas à tout dire, l'exhaustivité est un puits sans fond. Plus vous cherchez, plus vous tartinez. Lui, il essaie plutôt de nous faire partager une vision. Pas un mysticisme à la William Buttler Yeats, mais sa compréhension phénoménologique du sujet qu'il observe. Etudie l'implantation de son objet selon ses rampantes racines généalogiques d'occupation des sols existentiels. Dans KR'TNT ! 43 du 09 / 03 / 2011 nous avions beaucoup apprécié son regard sur les Stones, ne se laisse pas flouer par les paillettes du star-system, garde son calme, clame son admiration sans en être dupe.

UN ROCKER

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Indéniable dans jeunesse Dylan était un rocker. Lui aurait été difficile d'être autre chose. Dans son trou perdu de Duluth, à l'extrême nord du Minnesota, tout près du Canada, un adolescent ne pouvait entrevoir qu'une porte fantasmagorique de sortie, le rock and roll. Ce n'était pas que le jeune Zimmerman fût particulièrement malheureux. L'était même un privilégié : ses parents d'origine juive et modeste tenaient un magasin d'appareils ménager, ce qui lui permit de posséder une télévision avant tout le monde, plus tard il eut sa moto et puis sa voiture. Ses premières amours musicales le porteront vers vers ce country pré-elvisien d'Hank Snow et Hank Williams. Un très beau départ pour un futur rocker qui s'ignore. Fut comme ses millions d'adolescents traumatisés à vie par l'apparition d'Elvis Presley. Enregistre sur un disque souple Be Bop A Lula de Gene Vincent, eut la chance d'assister à un concert de Buddy Holly, et déchaîna les foudres du directeur de son lycée en interprétant le Tutti Frutti de Little Richard aux paroles non expurgées. Car il fit partie de quelques groupes locaux et s'il commença par gratouiller sur une mauvaise acoustique il passa au bout de quelques mois à l'électrique, et s'acharna durant des jours et des jours pour progresser. L'équivalent de son bac en poche, il taffa quelques temps à Fargo où il eut la chance d'être embauché par l'orchestre de Bobby Vee - qui prit la place de Buddy Holly après le crash. Mais il fut remercié au bout de deux concerts pour incompétence... Ne s'en vanta pas et partit s'inscrire à l'université de Minneapolis.

BLUES AND FOLK


N'y a pas que le rock dans la vie, le blues existe aussi. Dylan en aura la révélation en écoutant Big Bill Bronzy. C'est ce chemin-là qui le dirigera insensiblement vers le folk. Ne fréquente que rarement les cours, mais c'est en cette période qu'il commence à se déniaiser. Pas le corps - c'est fait depuis longtemps - la tête, il lit, il écoute, il apprend. Il discute mais rumine beaucoup aussi. Possède des facultés d'imitation et d'assimilation, il emmagasine, n'explique pas aux autres ce qu'il veut, garçon pensif et refermé qui n'en poursuit pas moins un but que personne ne connaît. L'a racheté une acoustique, s'entraîne beaucoup, n'est pas le plus adroit, mais un des plus persévérants. Cheveux hirsutes, tenue négligée, il ne se soigne pas, n'a pas le temps, fait des découvertes essentielles, lit les poètes de la beat generation, est aux aguets de toutes les nouveautés. Vit dans le milieu folk, on le trouve un peu pesant, le gars que l'on héberge trop souvent, qui fréquente les clubs et les cafés dans le seul but de passer en avant-première des chanteurs confirmés, et qui n'est pas assez bon.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin

Ecoute Leadbelly, reprend ses chansons et celles de Mississippi John Hurt, est subjugué par l'autobiographie de Woody Guthrie ( voir KR'TNT ! 105 du 05 / 07 / 2012 ), en apprend par coeur tous les morceaux, côtoie Jesse Fuller un blueman noir dont il copie sans vergogne le rythme et l'harmonica autour du cou, assiste à un concert d'Odetta et un autre de Pete Seeger, compagnon de galère de Woody, et enfin une chance extraordinaire : l'attrape une belle pneumonie, qui lui casse définitivement la voix. N'a plus qu'un rêve : New York.
The big apple : janvier 1961, neige, froid et dèche sèche. Chante l'après-midi dans les cafés au chapeau, accompagne Fred Neil sur scène, à l'harmonica, et la rencontre d'Izzy Youg qui tient une boutique d'objets folk plus ou moins d'occasion s'avèrera cruciale. C'est là que Dylan demande au culot à la grande vedette folk Dave Van Rock s'il peut chanter avant son tour de chant au Gaslight, la boîte qui compte. Deviendra un intime du couple Van Rock, les deux hommes s'entraident, discutent, jouent ensemble. Dylan s'élève dans le monde du folk.
Ira visiter Guthrie à l'hôpital. Comme bien d'autres apprentis folkleux, mais les autres ne sont pas devenus Dylan. C'est un adoubement. Une manière de quitter le blues pour rentrer dans la mythographie américaine blanche. L'histoire de l'Amérique, de ce pays parti de rien, de cette immense aventure collective de destins individuels. Guthrie s'est beaucoup inspiré du lot immémorial des chansons populaires, les a retranscrites et adaptées à son temps, les grèves, les luttes sociales. Dylan reprend Guthrie mais il comprend qu'il ne suffit pas d'ingurgiter les chansons du maître, faut les recracher à sa sauce. Autour de Guthrie Dylan rencontre ceux qui tiennent entre leur main le devenir du folk, organisateurs de concerts, éditeurs de musiques, représentants de labels, des personnalités prestigieuses, Alan Lomax, Ramblin Jack Elliott, Paul Clayton, Pete Seeger... Des appuis qui lui permettront de passer au Gerdes le club plus huppé de Mike Porco, en première partie de John Lee Hooker...

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Rencontre le couple Farina, John écrivain et amateur des pionniers qui lui soufflera l'idée d'écrire ses propres textes et qui s'est improvisé musicien et agent de sa femme Carolyn Hester pour qui il décroche un contrat d'enregistrement pour Columbia. Pour se démarquer de la grande chanteuse folk Joan Baez, Farina a l'idée d'un retour de teinte country blues. Dylan tiendra l'harmonica. C'est durant ses répétitions qu'un jour se pointe John Hammond, l'homme à qui la musique américaine doit beaucoup de Billie Hollyday à Bruce Springteen... et vlang ! John Hammond, producteur chez Columbia, en ce mois de septembre 61, signe Bob Dylan, guitare, harmo, talkin' boy improvisé, quinze chansons enregistrées en six heures, on en retiendra douze, un Bukka White, un Blind lemon Jefferson, un Curtis Jones - indéniable influence country blues - et des traditionnels, dont The House of the rising sun à l'arrangement piqué à Dave Von Rank.

METAMORPHOSES

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin

( Bob Dylan / Suze Rotolo / Dave Von Rank )


Immobilité et changement. Ne se passe pas grand-chose dans le public. La carrière de notre chanteur est au point mort. Mais Dylan agrandit le chant des expériences. C'est aini généralement que l'on perd son innocence. Suze Rotolo est rentrée dans sa vie. N'y restera que deux ans avec une grosse éclipse. N'est pas du genre à devenir bobonne au pot au feu. N'a que dix sept ans mais elle bouscule son amant. Lui ouvre des portes qu'il n'avait pas eu l'opportunité de pousser jusqu'à lors. Lui met le nez dans le maelström des combats pour les Droits civiques et d'un autre côté lui apprend qu'à côté de la chanson populaire, il existe aussi des arts moins immédiats. Lui révèle le monde des peintres, de la littérature, de la Culture avec un grand C. Dylan absorbe les leçons, mais cela ne nourrit pas son homme. Signe avec avec Grossman, lui aussi producteur chez Columbia. C'est un carnassier. Belle lurette qu'il a découvert la révélation qu'auront les Stones dans les mois suivants. L'on touche plus d'argent sur les droits - paroles et musique - que sur l' interprétation. Dylan pige vite. Grossman lui installe un piano dans un bureau et notre impétrant travaillera pendant dix-huit mois à pondre des chansons. Grossman possède l'oiseau rare, sa poule aux oeufs d'or, et Dylan découvre les secrets de l'écriture. Comprend qu'il faut raconter une histoire qui colle au vécu des gens - justement la crise de Cuba et la peur de la bombe atomique obsède les foules - c'est l'air du temps, mettez-y des personnages fantomatiques dans lesquels chacun peut se reconnaître et enchâssez le tout dans un filet de mots troués qui laissent filer le sens dans toutes les directions et qui tombent sur vous et vous emprisonnent comme une nasse. Pour le titre rajoutez une formule forgée à l'enclume, et c'est gagné. Pour la musique Dylan se sert dans le fonds commun, ou chez les amis, maltraite les harmonies, désarticule les structures, fait du neuf avec du vieux. Peter Paul and May - signés par Grossman - pulvérisent le hit parade avec Blowin in the wind, la mécanique Grossman est lancée...

REBEL WITH A DOUBLE CAUSE


Deux rencontres importantes cette année 1963. Amour et poésie. Une femme, un homme. Joan Baez, a love story. Joanie est une star. Une folk star dont les disques se vendent par millions et dont les concerts attirent les foules. Non seulement Dylan fera ses premières parties mais c'est elle qui l'imposera au public en lui demandant d'arrêter de discuter et d'écouter. Avec Joanie Dylan accède à une audience qui n'est plus celle du minuscule milieu des folkleux purs et durs. Joan Baez est aussi une militante des droits civiques, il participera avec elle à la marche devant la Maison Blanche. Certains des meneurs politiques noirs grinceront quelque peu des dents, il leur semble que la carrière de ces chanteurs blancs a davantage bénéficié de leur participation au mouvement qu'ils n'ont apporté à la cause noire...

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Le deuxième disque de Bob Freeweelin' ( 1963 ) marche bien mieux que le premier qui n'avait pas atteint les cinq mille exemplaires l'année de son lancement. Mais c'est le troisième The Times Tey Are A-Changing ( 1964 ) paru peu de temps après le précédent qui assoit sa renommée. Toute la nomenklatura folk se retrouve au festival de Newport où elle fait un triomphe. Les textes de Dylan se teintent d'un engagement politique certain, mais ce sont les discussions avec Alan Ginsberg qui atomiseront l'écriture de Dylan. Ne s'agit pas de composer des chansonnettes mais d'écrire de la poésie. Abandonner l'art mineur de la chansonnette pour la grande littérature. Bretch, Withman, Villon, Rimbaud, Ginsberg permet à Dylan de mieux entrevoir et intégrer les enjeux vertigineux de l'écriture poétique.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin

 

CHANGEMENTS ELECTRIQUES

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Des rencontres dont les conséquences seront déterminantes. Lors d'une virée en voiture on the road au travers des States - l'on en profitera pour s'initier aux bonbons préférés de Johnny Cash - Dylan est frappé par l'énergie électrique de I Want To Hold Your Hand des Beatles. A l'arrière de la voiture il compose Mister Tambourine Man qui sera interprété par les Byrds, des oyseaux qui squattent les fils électriques du renouveau du rock... A Newport où il passe en vedette le public n'accroche guère à ses nouveaux titres qui se retrouveront sur Another Side od Bob Dylan ( 164 ). Dylan semble se dépolitiser. Son écriture s'éloigne des canons du folk. Mais l'en est un qui le défend farouchement. Johnny Cash qui offre une prestation électrique. Comme il est catalogué country, cela passe tout seul. Voilà une série de coïncidences qui donneraient à réfléchir à n'importe qui. Du coup Bobby s'achète une stratocaster... Le quatrième album n'est guère prisé par le public.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Mais le cinquième - électricité à tous les étages - Bring It All Back Home ( 1965 ) sera un succès. Mot trop faible. C'est avec lui que Dylan rentre dans la légende. Petit folkleux devient rock and roll star. L'atteint à une aura que seuls partagent les Stones et les Beatles. Visite l'Europe, le lecteur se rapportera à l'autobiographie de Marianne Faithfull pour prendre le pouls de l'atmosphère. C'est en Angleterre qu'il écrit les premières moutures de Like a Rolling Stone.

LA RUPTURE ELECTRIQUE


Le morceau sera enregistré de retour aux States. Mike Bloomfield est à la guitare. N'a pas été choisi au hasard. L'a accompagné Muddy Waters, Howlin' Wolf, Little Walter, mais ce n'est pas cela qui intéresse Dylan. A Londres il a congédié Eric Clapton qui joue trop blues, au travers de Bloomfield Dylan recherche l'esprit ramblin' blues, magnifiquement incarné par Robert Jonhson, ne s'agit pas de jouer le blues, faut avant tout incarner sa propre légende au fur et à mesure qu'on la vit. Life like poetry comme avait dit Lefty Frizzell.
L'on en arrive au meurtre des pères. Alan Lomax, Pete Seeger et John Hoffman, les têtes charismatiques et organisatrices de Newport. Redoutent la trahison du fils. Qui passera le Rubicon de l'électricité. Le hasard d'un orage bouscule l'ordre des passages, ce sera après le Paul Butterfiefd Blues Band où joue Bloomield. Je-m'en-foutisme provocatif de Dylan ? Puisque le matos est sur place, autant jouer électrique. Fera trois morceaux qui déchaînent la haine du public. Lorsqu'il descend de scène Johnny Cash sauve la situation, lui passe une acoustique et le renvoie d'autorité sur l'estrade pour deux morceaux. Le folk ne se remettra jamais de cette coupure épistémo-électrique. Durant des années Dylan encourra durant ses concerts les remontrances houleuses de la composante puriste d'un public qui lui reprochera sa commerciale trahison.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


La poursuite de l'enregistrement de Highway 61 revisited - l'autoroute qui descend de Duluth à la New Orleans - en passant par un croisement où un certain Robert Johnson aurait rencontré the Devil in person - se poursuivra dans la même veine que la session de Like a Rolling Stones, Bloomfield à la guitare, Al Kooper à l'orgue, plus un invité surprise pour les overdubs de guitare Charlie McCoy- venu pour l'occasion tout droit de Nashville - qui ne touchera pas à son harmonica mais qui donnera une démonstration de vibraphone. Lorsque l'on est doué en tout...
Pour son groupe de scène Dylan choisit un guitariste qu'il a déjà rencontré Robbie Roberston qui finira par faire embaucher son groupe The Hawks. Les amateurs de rock and roll auront reconnu le combo de Ronnie Hawkins. Bientôt seront rebaptisés The Band. Resteront jusqu'en 1974 avec Dylan. Seront présent sur les mythiques enregistrements des Basement Tapes dont l'intégralité vient enfin d'être livrée après presque un demi-siècle d'attente à l'avide curiosité des fans ces dernières semaines...

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


En attendant les concerts s'enchaînent. Durant deux mois Miky Jones - le batteur de Johnny Hallyday - remplace Levon Helm qui ne supporte plus les sifflets du public. De passage à Nashville, Dylan enregistre avec Charlie McCoy et Kenny Buttrey ce qui deviendra Blonde on Blonde, le premier double album de l'histoire du rock ( 1966 )... Hawaï, Australie, Suède, Angleterre, France où le concert déconcerte... la visite à Hughes Aufray chamboulera la perception germinative du rock en France... l'infernale tournée n'en finit plus... Ouf enfin le repos dans sa propriété à Woodstock pas très loin de là où habite Albert Grossman dont l'épouse Sally est la copine de Sara, la femme de Bob.

LA COUPURE EXISTENTIELLE


Accident de moto ? Plutôt l'incident qui fournit l'opportunité du break, rester à la maison, se déprendre des produits, préparer la venue du deuxième enfant, et enregistrer avec le Band ces fameux basement's tapes qui sont des maquettes que Grossman propose à la vente à divers artistes. Grossman qui gagne davantage d'argent que Dylan sur les droits de l'ensemble de ses créations. Le contrat brûle entre les deux hommes...

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


La signature ( substantiellement revue à la hausse ) est renouvelée avec Columbia. Dylan produit John Wesley Hardin, enregistré en trois courtes sessions entre octobre et novembre 1967, le disque est dépouillé, pratiquement Dylan et sa voix. J'y ai toujours vu à une analogie avec le Nebraska de Springteen mais cela n'engage que moi... Dylan se lance dans la peinture...

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Nashville Skyline ( 1969 ) ne sera pas un chef-d'oeuvre, Self Portrait ( 1970 ) déçoit lourdement, Dylan a quitté sa propriété de Woodstock, sa prestation au festival de Wight aura été médiocre, sans plus... Achète une maison, manière de se se ressourcer, à Greenwich Village, s'en enfuira deux ans plus tard.

DERNIERE MUE

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


New Morning ( 1970 ) sonnera le réveil de la bête. La bande originale de Pat Garrett and Billy the Kid ( 1973 ) offre Knockin' on the Heaven's Door, un chef d'oeuvre. Planet Wawes ( 1974 ) enregistré en studio avec le Band contiendra For Ever Young inspiré de John Keats.

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Dans les années qui suivent Dylan donne l'impression de courir après sa jeunesse enfuie, lui qui ne parvient pas à être à l'aise dans sa condition d'adulte responsable. Se sépare de Sara. L'est une sorte de clochard peut-être céleste mais sûrement millionnaire. S'achète des maisons, enregistre des disques Blood on the Track ( 1975 ) que certains tiennent pour un chef-doeuvre et d'autres pour une oeuvre sans chef... Desire ( 1976 ) et son violon resteront pour certains le dernier disque de Dylan qui compte réellement. Entre les deux albums ce sera la Rolling Thunder Rewiew, une tournée dans laquelle Dylan se lance sur la piste perdue de Woody Guthrie, mais il ne retrouvera jamais le chemin, même s'il suit une sente parallèle.
La suite ( jusqu'en 2006, date de la parution de son livre ) François Bon la parcourt en grands bonds de kangourou géant, trente pages pour presque trente années... Dylan s'y montre fidèle à lui-même, parfois claquemuré dans son orgueil, tantôt donnant le change du boy scout attentionné à ses proches, jamais satisfait de lui-même.

PORTRAIT PSYCHOLOGIQUE


Doté d'un sale caractère, un caractériel mais un taiseux, qui n'en fait qu'à sa tête, un autiste de la communication, le succès lui aura donné un tel ascendant et un si fort pouvoir sur son entourage et ses intimes dont il abuse. Ne vous adresse la parole que si cela lui chante, vous délaisse du jour au lendemain, sans préavis, vraisemblablement sa manière à lui de se démarquer de l'idolâtrie dont il est victime. Ne fait que ce qu'il veut. Perçoit trop l'hypocrisie des relations humaines - la sienne et celle des autres - pour ne pas la fuir. A beaucoup appris des autres, mais il refuse de leur en être redevable. Craint par-dessus tout de s'inféoder à un tiers. A tel point que l'on pourrait lui reprocher un certain manque d'empathie envers ses proches et ses collaborateurs. Essaie ainsi de préserver sa liberté d'agir et de penser. Une conduite de manipulateur discret. Le genre de gars qu'il vaut mieux laisser dans son coin. N'en sera pas malheureux, se débrouillera pour arriver à ses fins. Cette armature intellectuelle ne lui aura pas mal réussi.

Damie Chad.



JAMES BALDWIN
L'EVIDENCE DES CHOSES
QU'ON NE DIT PAS


BENOÎT DEPARDIEU

( Coll : Voix Américaines / BELIN / 2004 )

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin

Voulu en savoir plus sur ce James Baldin rencontré la semaine dernière dans notre chronique sur Nina Simone. Ai tapé d'instinct dans cette courte biographie de 126 pages écrite par Benoît Depardieu au Havre, la cité rock par excellence. Les grands chapitres de la vie de Baldwin y sont parfaitement résumés mais notre teacher a surtout cherché à analyser le cheminement de la pensée de Baldwin telle qu'il l'a actée en son existence.
James Baldwin a souffert de trois tares congénitales. Dès le premier jour de sa naissance. Un bâtard de sa mère reconnu par le pasteur David Baldwin, un nègre ce qui est un handicap rédhibitoire dans l'Amérique blanche, et fraise de bite sur le tableau un sale pédéraste. Tout pour ne pas plaire.

 

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Elevé dans la religion chrétienne par un père nourricier adoptif sévère et puritain. Le jeune Baldwin sera horrifié et fasciné par le personnage paternel. Lui aussi voudra devenir pasteur. Commencera à prêcher dès l'âge de quinze ans. Abandonnera à dix-sept. Toute sa vie il restera un redoutable harangueur. Sait exposer ses idées, les mettre en scène, les développer, les coucher sur papier, les rendre accessibles au plus grand nombre. Ses Essais polémiques lui assureront une audience respectée et recherchée par les intellectuels blancs et progressistes.
Mais le christianisme lui insufflera une marque terrifiante : la notion de culpabilité. Auto-culpabilité envers ce père adoptif qu'il n'aime pas comme il faudrait. Les conséquences en seront complexes et séminales. Au sens strict de ce mot. Est-on un Homme dès la naissance ou le devient-on ? Naît-on homosexuel ou les circonstances adjacentes nous induisent-elles à adopter un tel choix ? Vaste question à laquelle l'actualité inciterait sans doute à répondre tout en tenant compte des nouvelles théories du genre. Est-ce un démarquage vis-à-vis du modèle paternel ou le moyen de ne pas se couper totalement de la figure par trop imposante du Père qui feront que James Baldwin revendiquera haut et fort son homosexualité ? La pédérastie est-elle le signe que l'on peut tuer le père mais qu'il est impossible de jouir physiquement hors d'un rapport sexuel pleinement viril en tant que rappel incessant, tache indélébile, du meurtre initial et fondateur de sa propre liberté ?

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Dans un premier temps Baldwin essaiera d'esquiver le problème en élisant des pères de substitution - le plus célèbre d'entre eux sera Richard Wrigth, l'auteur de Black Boy - dont il s'affranchira sans regret. Le plus important n'est pas là. James Baldwin appliquera ce noeud quasi oedipien à l'analyse des rapports blancs / noirs. Si les blancs continuent à exercer une domination raciale et économique sur les noirs explique-t-il, c'est pour essayer d'effacer la souillure originelle et symbolique du premier esclave tué par un homme blanc. Nous ne sommes pas loin du mythe du meurtre de Caïn et Abel, mais Baldwin préfère s'en référer à une autre scène biblique : le drame de Cham fils de Noé de couleur noire dont la descendance fut maudite parce que son fils avait contemplé la nudité de son grand-père endormi et s'en était moqué. La peur du blanc provient de la confrontation de son petit zizi riquiqui avec le dur et long membre turgescent du noir. Le blanc ne supporte pas qu'un jour le noir s'en vienne baiser sa femme et que celle-ci y prenne un plaisir bestial de femelle enfin totalement satisfaite. Lors des séances de lynchage les hommes noirs ne sont pas seulement pendus, subissent aussi une émasculation qui en dit long sur les frayeurs de leurs bourreaux. Cette coupure irrémédiable entre le noir et le blanc disparaîtra le jour où les deux frères de couleurs différentes viendront à se considérer avant tout comme des êtres humains...
Cette fin supposée peut apparaître un peu fleur bleue. James Baldwin n'a guère envie d'attendre que le miracle de l'amour humain se réalise. L'est pressé : tout, et tout de suite. Veut bien manifester dans le calme et demander sans violence la pleine application des Droits Civiques aux côtés de Martin Luther King. Mais peu à peu, devant les assassinats répétés d'enfants noirs, il s'en démarquera, se rapprochera des positions des Black Panters et de Stokely Carmichael, et se sent de plus en plus en accord avec certaines des positions de Malcom X, il comprend l'idée d'une séparation radicale des deux communautés, mais détestant toute forme de monothéisme vecteur d'intégrisme, il refuse l'adoption de l'Islam pour en finir une bonne fois pour toutes avec la religion christologique des anciens maîtres. Baldwin ne se convertira point. Se détachera même des mouvements contestataires noirs, blessé d'être mis de côté par ses frères de combat pour son homosexualité. Ne suffit pas de prendre les armes, il faut aussi faire le nettoyage à l'intérieur de son cerveau...

karen dalton,nico'zz band,crashbirds,bob dylan,james baldwin


Ne se sentant plus en sécurité aux Etats-Unis à cause de ses prises de position révolutionnaires, craignant d'être assassiné, en 1970, Baldwin s'installera en France jusqu'à sa mort en 1987. Reste son oeuvre ( romans, poésie, essais, théâtre ) que nous présenterons à notre gré dans de futures livraisons de KR'TNT et sur laquelle Benoît Depardieu se penche avec finesse. Penseur et activiste, il n'est pas étonnant que la figure de James Baldwin soit de nos jours un tant soit peu occultée. Il n'y a de hasard. Seulement des rencontres. Souvent des sens interdits.


Damie Chad,