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25/02/2015

KR'TNT ! ¤ 224. ERVIN TRAVIS / CLINIC / HUDSON MAKER / DAVE PHILLIPS AND THE RATRODS / SLEEPY JOHN ESTES / LIGHTNIN HOPKINS

 

KR'TNT ! ¤ 224

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

26 / 02 / 2015

 

 

ERVIN TRAVIS/ CLINIC / CONTOURS / HUDSON MAKER

DAVE PHILLIPS AND THE RATRODS

SLEEPY JOHN ESTES / LIGHTNIN' HOPKINS

 

 

ERVIN TRAVIS NEWS

 

La solidarité pour Ervin s'organise, les rendez-vous pour l'Allemagne sont pris, nous donnons ici les résultats du concert de soutien à Bourges, nous avons simplement fait un Copier / Coller avec le FB lyme – Solidarité Ervin Travis

 

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Bonjour à toutes et à tous !
Les « résultats de la journée de solidarité hier à Bourges viennent de nous être communiqués » !
Un peu plus de 140 entrées pour une recette nette (après paiement des frais en tout genre et sans la buvette qui ne rentrait pas dans la poche des organisateurs) de 740€ !
Yep !!
La cagnotte solidaire s’alourdit !!
Que soient ici remerciés les assos Bourges RnR Club et son président Jean-Michel, Rock’in Berry et son président David, les DJs Manoul et Ronnie, les groupes The Capitols, Earl & The Overtones et Silver Moon, Fred (ex Tarnais) et Coco de la Belle Epoque, et bien sûr le public venu d’un peu partout (Bourges évidemment, Nevers, Orléans, etc. Et même un Parisien !)
J’espère n’avoir oublié personne dans les remerciements «organisateurs» ?

 

 

 

PARIS XX - 13 / 12 / 14

 

LA MAROQUINERIE

 

CLINIC

 

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LE CAS CLINIC

 

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Cette courte escouade de mystérieux cliniciens mérite la médaille de l’ordre de l’Épais Mystère. Car en effet, vous ne les verrez jamais à visages découverts. Comme les Residents, ils nient la réalité et trafiquent les apparences. Et comme British Sea Power, ces mysterious clinicians s’imposent comme les grands agitateurs d’idées de la nouvelle scène anglaise. Mais si on s’intéresse de si près à leur cas, c’est sans doute parce qu’ils viennent de Liverpool. Ade Blackburn pourrait bien être l’un des meilleurs charcuteurs de psyché des temps modernes. Aucune structure spongieuse ne saurait résister au tranchant de son talent incisif.

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Ça fait quinze ans que ces praticiens opèrent. Quinze ans qu’ils ligaturent et qu’ils tranchent dans le vif. Quinze ans qu’ils raclent et qu’ils ramonent. Quinze qu’ils vident les abcès et qu’ils expurgent les démons. Quinze ans qu’ils crochent les blanches et qu’ils distillent l’amertume. Et d’après les experts, ce n’est pas une sinécure.

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Leur premier album «Internal Wrangler» parut en l’an 2000 et charma aussitôt les esprits curieux. On sentait chez eux une petite touche post-punk, et un charme opérait rapidement, grâce à un cut comme «The Return Of Evil Bill» et à sa flûte de Marrakech. «The Second Line» était un pur groove Dada qu’ils arrosaient d’une belle purée de fuzz sur le tard. C’est ainsi que procèdent les groupes intéressants : par petites touches successives. Ils montraient qu’ils savaient aussi lever l’enfer sur la terre avec une horreur nommée «CQ» et dans la foulée, ils expatriaient ce hit de gonk au paradis des glucks. Puis ils passaient «Earth Angel» sous le manteau des vagues. Même si ça semblait cousu de fil blanc comme neige, leur tour de passe-passe impressionnait fortement. Et le chirurgien en chef chantait ça d’une petite voix de freluquet adroit. Ils faisaient ensuite sonner «Distorsions» comme un hit du Brill. Mais oui, aussi incroyable que cela puisse paraître. Ils révélaient aussi leur côté forcené avec un «Hippy Death Suite» battu sec à la basse. Ils allaient même jusqu’à taquiner le meilleur glam d’Angleterre avec «2nd Foot Stomp». Et ils revenaient au gros groove de shuffle avec «2/4», d’une rare puissance et même d’une certaine violence. On ressortait de cet album parfaitement édifié.

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Ils reviennent aux affaires un an plus tard avec «Walking With Thee». C’est pour eux l’occasion d’affirmer leur goût pour le krautrock spongieux et softy. «Harmony» se présente bien, porté par le meilleur des beats longitudinaux et éclairé à la clarinette. Car c’est là l’une de leurs forces : ils savent utiliser des sonorités illusoires autant qu’élusives. Ils parviennent à d’étonnantes combinaisons de voix blanches et de détermination post-punkarde. Ils voyagent allègrement à travers des nappes d’orgue synthétiques. Ces gens-là triturent leur son avec une froideur qui pourrait horrifier les cœurs sensibles. Ils en pincent aussi pour l’orientalisme, comme on peut le constater à l’écoute de «The Equalizer». Ils tapent dans la marche de l’Orient en guerre, dans l’énergie des milliers de shebaz meneurs de chameaux. Qu’Allah soit grand, les cliniciens rejoignent les troupes de Muezzin Rachid Taha, ils se fondent dans les courants d’énergies antiques, ceux qui courent sous le sable du désert. Clinic nous sort avec «The Equalizer» un beat de fou et des flûtes ensorcelantes. L’univers fondamentaliste des cliniciens nous abreuve d’images. C’est en soi une réussite. Ils savent aussi jouer du pur garage, bien sonné à la revoyure. «Come Into Your Room» est insidieux comme ce n’est pas permis. Ce beat sous-tendu paraît même hautement machiavélique. Retour aux sons d’Orient avec «The Vulture» qui éclate dans l’azur coltranien. C’est stupéfiant d’intention et joué à la ramasse. Chaque morceau intrigue profondément, comme ce «Sunlight Bathes Our Home», très polyrythmique. On sent chez eux une réelle profusion eucharistique, une densité nietzschéenne. Ils ne reculent devant aucun édifice. Et le clinicien principal chante toujours d’une voix aussi peu mûre.

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Avec l’album «Winchester Cathedral», ils reviennent au Dadaïsme. «Vertical Take Off In Egypt» en est l’indice probant, car avec ce cut de charcute, on décolle dans l’excellence d’une intro lunatique. Mais ce n’est pas tout, car le dos de la pochette est orné d’un piano déstructuré qui évoque à s’y méprendre le baroquisme démantibulateur de Kurt Schwitters. Vous admirerez aussi la pochette intérieure : voilà un collage héroïque que n’aurait pas désavoué le tube de Sécotine qu’utilisait Francis Picabia. Au plan musical, nos liverpuldiens continuent de bidouiller de leurs doigts gantés de plastique transparent une sorte de psyché à la fois rêche et savamment méthodologique. Avec un cut comme «Circle Of Fiths», ils ouvrent la panse d’une belle pièce putréfiée. Ils sont vraiment étonnants de présence emblématique. Ils travaillent un peu sous le manteau et ils privilégient l’usage intempestif d’onguents d’Orient. Ils semblent même parfois filer comme le Pink Floyd de Syd Barrett vers le heart of the sun, avec des intentions malignes. On trouve aussi chez eux un goût prononcé pour la violente attaque en règle, comme on peut le constater avec «WDYYB», véritable agression anglicane, originale et bienvenue, doublée d’une bassline ronflante. Ils finissent cet album qui ne doit rien au New Vaudeville Band avec «Fingers», bel instro de fin de repas de communion.

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Pour la pochette de «Visitations», ils s’adonnent au jeu préféré de Max Ernst, le collage. Eh bien, cette manie reflète parfaitement l’esprit musical du groupe. Ils continuent de piocher dans des genres très diversifiés et s’amusent vraiment à épater la galerie, qui faut-il le préciser, adore être épatée. Il faut attendre «Tusk» pour commencer à s’émouvoir. On a là une vraie cavalcade embarquée au glissé de basse. Voilà ce qu’il faut bien appeler du punk-rock bien soudoyé et sévèrement battu capable de faire pogoter la Maroquinerie. Comment pourrait-on qualifier «Children Of Kellogg» ? Une furiosia d’industrialisation cataclysmique ? Les Walkyries du bout du monde ? Tout est possible tellement ce morceau est délirant. Attention avec «If You Could Read Your Mind», car c’est amené par un psyché démoniaque d’une brutalité moyen-âgeuse. Les remparts craquent et le clinicien en chef chante d’une voix d’eunuque. Un vrai plotach !

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Le Sphinx d’Égypte orne la pochette de «Do It» paru en 2008. Le Dot It des liverpuldiens ne doit rien au Do It des Social Deviants. Ils ne sont pas du même monde. Ade et ses aides ont fait six ans d’études après leur bachot. Ils savent faire battre le chœur du psyché, comme on peut le constater à l’écoute de «Winged Wheel», vraie pièce floydienne de rêve, montée sur un beat astronomique dominant et dûment setté de controls vers le heart of the sun - Get it on babe - Ça va même beaucoup plus loin, car ils sonnent exactement comme les mighty 13th Floor Elevators. Cet album est d’un très haut niveau. Avec «Memories», on est dans l’intraveineuse de heavy psyché et de pop pernicieuse. Leur son relève réellement de la modernité intrinsèque. Dans «Tomorrow», on sent nettement l’influence de Syd Barrett. On y retrouve les affres du dérangement cabalistique et les marques d’une vraie pathologie de la démarche authentifiée. Nos amis touillent les tissus et drainent les jus avec une sorte de placidité collégiale. Prenez un morceau comme «Shopping Bag». Qu’y voyez-vous ? Une masse hirsute et bien énervée ? Eh bien oui, c’est exactement ça. C’est même carrément Dada dans l’esprit du chant taré et de la débinade décousue. On pourrait même qualifier ça de défilade claudiquante à la note aiguë, comme dirait Jesus-Christ Rastaquouère - More more more for you Anne/ Food in your shopping bag - Vous ne trouverez jamais une chanson aussi moderne sur un album de Marilyn Manson. L’autre gros coup de Jarnac de «Do It» s’appelle «High Coin». Une fois de plus, le son s’inscrit dans la mouvance pouet pouet. «High Coin» sort tout droit du Cabaret Voltaire de Zurich. Parmi les invités d’honneur, on retrouve Tzoro le justicier qui joue de la grosse caisse et l’arpète Jean Arpète qui pète en quinconce - And now your thoughts begin to fray, And now your thoughts begin to fray - C’est puissamment psyché et ils enfoncent leurs redites comme des clous. Ah les vaches !

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Malheureusement pour le porte-monnaie, «Bubblegum» est encore un album étrange et fascinant. Le morceau titre s’inscrit dans la veine d’un groove insistant et même un peu titubé du ciboulot. Aucune concession à espérer de ces gens-là. Ils n’y vont pas par quatre chemins. Ils taillent dans le vif. Ils rendent même un hommage percutant à Captain Beefheart avec «Lion Tramer» dont le thème s’inspire directement de «Drop-Out Boogie». Ils drop-outtent le boogie-boogah d’un désert de nuées absconses. Ils malaxent une fantastique approche de ce vieux riff têtu et toxicomane. Et puis voilà «Milk And Honey», une belle pièce de groove psyché. On distingue bien les chemises à fleurs sous les blouses vertes de ces cliniciens occupés à cliqueter le groove. Quelle bande de sadiques ! Ils plongent leurs regards étincelants dans les profondeurs palpitantes de la vieille tradition psychédélique britannique. Mais ce n’est pas terminé car il faut encore entendre «Forever», le groove d’un malade imaginaire originaire de Louisiane. Alors, ces liverpuldiens prodigieusement abjects hissent l’étendard du beat vermoulu. C’est là, dans ce cut insensible que se niche le génie de Clinic. Ils savent aussi jouer du garage psyché, comme on pourra le constater avec «Evelyn». Ils sont vraiment hantés par les démons de la mad psychedelia. Ils battent «Evelyn» à plates coutures. Et ils enchaînent avec «Freemason Waltz», une valse maladive incroyablement belle, qu’on pourrait très bien entendre dans la bande-son d’un fils de Bunuel ou de Kaurismaki.

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Les amateurs d’hypnotisme seront comblés avec «Free Reign», et notamment deux cuts qui collent à la peau, «See Saw» et «King Kong». «See Saw» est une vraie scie Dada, doublée d’une guitare garage. En concert, c’est imbattable. Pareil pour «King Kong», pulsé aux machines. Ils génèrent de l’entourloupe fumeuse et nous pètent les oreilles. Rien d’aussi démentoïde, comme dirait Mongoloïd, le gentil héros de Devo. «Sun & The Moon» est une pièce de génie emmenée à la clarinette. Ils jouent le groove sempiternel et la clarinette vient échoir à l’abreuvoir. Ces mecs sont terriblement novateurs, ils tentent toutes les sorties face aux troupes de la normalité, ils sont à la fois dans Can et dans Robert Wyatt.

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Ils firent l’an passé une redite de «Free Reign» avec un remix intitulé «Free Reign II». Grâce à «Sun And The Moon», on replongeait les doigts dans la tiède excellence du groove Dada bien tempéré. Car c’est battu aux cloches thibétaines et ça se danse au clair de la lune sur la crête des Andes - Gimme your love fan I’m outta my mind - Et avec «Yan», ils réincarnent les Spacemen 3. Voilà un beau groove aussi énigmatique que le nez de Cleopâtre. Franchement, on s’en régale comme de la rosée du matin. «King Kong» paraîtra encore plus étrange, sans doute à cause de ce groove vaguement psychédélique qui se profile sur les toits de Sarrebruck, là où plane encore l’ombre de Faust. Ce groove fait le dos rond du dromadaire. Nos quatre cliniciens sont très sérieux dans leur démarche. D’ailleurs ils frisent le Resident Sound avec «Cosmic Radiation». Voilà encore un cut très astringent. Mais ils le tempèrent adroitement grâce à l’usage d’une wha-wha de scierie mécanique. «See Saw» n’a rien à voir avec le vieux hit de Don Covey, car il s’agit là de poppisme psychologique. Hochement de tête cadencé garanti, cela va de soi. Ces liverpuldiens restent dans la confirmation des choses, et c’est précisément la raison pour laquelle il convient d’aller les voir jouer sur scène.

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Ils étaient ce soir-là à l’affiche de la Maroquinerie. La soirée n’en finissait plus car deux groupes jouaient avant eux. C’est le genre de concert où il faut savoir s’armer de patience. On les vit enfin venir installer leur matériel et on put constater qu’ils avaient pris - comme tout le monde - un petit coup de vieux. Évidement, ils sont revenus sur scène déguisés en chirurgiens, avec leurs masques sur la figure. Et là une sorte de prodige s’est accompli. Petit à petit, ils ont réussi à chauffer une salle comble, à tel point que ça pogotait au moins autant que dans un concert des Dropkick Murphys ou des Backyard Babies. Qui du groupe ou du public était le plus déchaîné ? Allez savoir. En tout les cas, il régnait là-dedans une fantastique ambiance. Les cliniciens balançaient leurs classiques hypnotico-blasteurs à la chaîne, «Tusk», «See Saw», «King Kong», tout ça sans cligner des yeux, avec une maîtrise spectaculaire. Leurs mains ne tremblaient pas.

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Avec leur dégaine d’anti-rock stars, ces quatre mecs pourraient bien constituer l’un des meilleurs groupes de la scène anglaise contemporaine, enfin de ce qu’il en reste. Ils étaient tellement bons sur scène que ça semblait un peu irréel. En fait, ils ne tiennent que par le son, car ils n’ont pas d’image. Et pour un groupe de rock, se priver d’image, c’est une façon de se couper une jambe.

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Signé : Cazengler, pas clinic mais clownic

 

Clinic. La Maroquinerie. Paris XXe. 13 décembre 2014

 

Clinic. Internal Wrangler. Domino 2000

 

Clinic. Walking The Thee. Domino 2001

 

Clinic. Winchester Cathedral. Domino 2004

 

Clinic. Visitations. Domino 2006

 

Clinic. Do It. Domino 2008

 

Clinic. Bubblegum. Domino 2010

 

Clinic. Free Reign. Domino 2012

 

Clinic. Free Reign II. Domino 2013

 

 

GIBUS CAFE21 / 02 / 15

 

HUDSON MAKER

 

DAVE PHILLIPS AND THE RATRODS

 

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Problématique cornélienne. Jallies and Capitols à ma gauche, Dave Phillips à ma droite. A équidistance kilométrique. Troyes ou Paris ? Pire que ce que vous pensez, ce n'est pas la beauté éblouissante des jolies Jallies sur le premier plateau de la balance et l'hommagiale reconnaissance d'un des tout premiers pionniers de la renaissance rockabillienne de l'autre, c'est que le billet lutécien m'a été offert comme cadeau de Noël par une gente demoiselle de ma connaissance. Déchirement racinien ! Lâchement je laisse le choix à Mister B, qui opte pour Dave Phillips, et qui en dernière minute ne pourra pas venir.

 

Tribu de hard rockers à l'entrée de la Rue Saint Maur, le Quartier Général offre une affiche généreuse, au moins six groupes de ce qui me semble osciller entre hardcore et post punk. Oberkampf a toujours été un des quartiers les plus rock de Paris. Hélas je ne possède pas le don d'ubiquité. Me dirige donc vers le Gibus Café, pratiquement vide, j'en profite pour faire un tour au magasin de disques tout à côté.

 

CONTOURS ( RECORD SHOPS )

 

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Ne l'avais même pas remarqué en décembre lors du concert Megatons / Ghost Highway ( voir KR'TNT ! 214 ), j'aurais dû, le lieu est sympa et l'accueil chaleureux. Beaucoup de vinyls et une belle collection de livres – les bibliothèques rock sont assez rares – plus quelques menus objets styles pin's et badges. Pas spécialement axé sur le rockabilly, un peu de tout mais de qualité, je reluque un truc rare de Mink De Ville et m'attarde sur la pochette de Fearless de Family, quarante ans qu'elle m'était passée dans les mains... Un spécimen From Elvis in Memphis, allez zieuter sur le facebook.com/contoursshops il y a de quoi baver comme ce trente-trois de Dolly Parton...

 

J'ai oublié de demander son nom au tenancier de ce lieu de tentations rock, s'y connaît, est branché sixties, Elvis, Beach Boys et girls groups de Phil Spector, cet homme de goût ne peut pas être tout a fait mauvais. Vous le retrouverez au 123 rue Parmentier à vingt-cinq mètres cinquante du Gibus Café.

 

GIBUS RASIBUS

 

Entre temps le haut de forme s'est rempli. Que des têtes connues. A croire que tout le milieu rockab s'est donné rendez-vous pour Dave Phillips. Bien sûr tout le monde n'est pas là, mais où les aurait-on mis s'ils étaient tous venus ? Quand on tient une place sur le devant de la scène l'on s'y accroche et l'on n'a pas intérêt à la lâcher. Surtout que ça va tanguer un max !

 

HUDSON MAKER

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Le nom est américain, mais ils viennent de Rennes, trois Bretons sans chapeau à la célèbre forme géométrique, mais qui n'en vont pas moins mener leur set rondement. Quinze morceaux avec un maximum d'originaux que l'on retrouve sur leur premier CD Crazy Train. Sont trois, ce qui est déjà beaucoup vu l'exiguïté de la scène. L'est vrai que le pupitre du DJ mange tout un coin à l'arrière, mais on lui pardonne car en plus d'un ravissant sourire, durant les interludes Lauren Brown passe de bons morceaux. Mais ne nous égarons pas nous sommes ici pour ce que l'Hudson est capable de rouler en ses eaux.

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Face à moi Tof. Imposant, encore plus volumineux que sa big mama qui paraît toute petite entre ses mains. La traite comme une gamine qui a besoin de quelques gifles bien senties pour trouver le droit chemin. Je peux vous assurer qu'elle filoche sans demander son reste. N'est pas tendre avec elle, l'incline dans tous les sens et la rudoie méchant. Oui mais le résultat ne se fait pas attendre. Elle chantonne comme la bouilloire sur le feu, et crache comme une locomotive à vapeur. Un train d'enfer. Vous en oublieriez de regarder les deux autres.

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Pour Alban, pas de problème, l'on ne peut pas ne pas l'entendre. Chante et joue de l'Ibanez. Dans les graves, ce n'est pas Johnny Cash - dont ils interprèteront magnifiquement Ghost Riders et Get Rhythm - mais s'en approche. Davantage un côté cow-boy que rockabilly bop, mais sait garder son troupeau comme pas un. Un peu rockdéo, et ma foi ça remue assez sec.

 

Franky est à la batterie, je le vois à peine, caché par la contrebasse de Tof, juste ses baguettes sur la caisse claire. Sont décorées de motif rouge et bleu de nuit, lorsqu'il tape le mouvement reste comme décomposé dans l'air, l'on dirait qu'il déplie un éventail japonais, bel effet, l'en profite pour pousser en guise de chœur des cris de samouraï en pleine action. S'amuse, rock fun et tout sourire.

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Une reprise rentre dedans de Matchbox – rien de tel qu'une boîte d'allumette pour mettre le feu - et un superbe et original Devil's Rendez-vous pour nous rappeler d'où vient notre musique, les Hudson Maker captent l'attention de leur auditoire qui n'est pas spécialement venu pour eux et qui en sa grande majorité les voyait pour la première fois. Peuvent être contents d'eux, sortent de scène sous les applaudissements nourris.

 

DAVE PHILLIPS AND THE RATRODS

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L'est-là sur scène, les yeux fixés sur Steven son guitariste qui trafique sa guitare. Grand, mince, chevelure un peu dégarnie, la classe dans sa chemise blanche, cravate noire, d'une main il tient sa contrebasse et de tout le reste de son corps, sans bouger, sourire aux lèvres il esquisse un stroll immobile sur le disque que Lauren est en train de passer... C'est bien lui Dave Phillips, le vétéran, qui fit partie du légendaire Blue Cats trio en 1978, qu'il quitta en 1980 pour fonder le pharamineux Dave Phillips and The Hot Rod Gang. Un des pionniers du neo-rockabilly anglais, la dernière borne avant l'explosion des Stray Cats.

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C'est parti. Tout de suite c'est comme si l'on était enfin parvenu au pays où l'on n'arrive jamais. D'abord Steven. Un guitariste. Un vrai. Un pur. Ne joue pas à la manière de Cliff Gallup. Mais il connaît. L'a tout compris du jeu du maître. En a assimilé la grammaire mais écrit ses propres phrases. Dave est au chant et à la contrebasse. Et Steven le suit et le devance à la trace. Le grand art, la note qui arrive au moment exact où elle doit souligner l'inflexion vocale, tout se fait en complicité, au trapèze sans filet, au feeling, mais avec une si époustouflante précision que tous deux semblent décortiquer une partition de musique classique.

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Je ne peux détacher mes yeux de ses mains qui semblent réfléchir. Se posent sur les cordes avec une dextérité machiavélique, les doigts qui agissent sans se presser, sûrs de leur agilité, et les accords qui s'enchaînent tout en laissant le silence respirer. Jamais riff sur riff, les affale comme les voiles d'un navire pour manoeuvrer au plus près de la force du vent. Un gallupin' galop qui provient du jazz, mais le fleuve du rockabilly ne s'évanouit pas dans la mer des démonstrations stériles, quitte les sargasses du bavardage et remonte à sa source, rebondissant dans les torrents d'eau sauvage. Deux notes, comme deux poignards lancés dans le cœur de l'ennemi, pas le temps de s'attarder, de regarder le sang couler, de philosopher sur la brièveté de la vie humaine, simplement deux secondes de silence, de s'apercevoir que tout est perdu, mais sans préavis une cascade de coups de feu qui claquent et vous emportent l'intérieur de la tête. Rien de trop. Comme disent les moniteurs de ce redoutable art de combat qu'est le systéma. Il est inutile de surtuer l'ennemi. Le tuer suffit. La guitare rockabilly comme un principe d'économie émotionnelle. Le maximum d'effet avec le minimum de causalité. La phrase sèche de Salluste de préférence aux pompeuses déclamations cicéroniennes.

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C'est maintenant que l'on peut revenir à Dave Phillips. La contrebasse soumis à un régime contraire. La bielle d'accouplement qui imprime le mouvement aux roues de la loco. Le bogie n'est jamais loin du boogie. Le pétulant pétillement du rockab, la crinière affolée du cheval fou, c'est à la double bass de l'assurer. Et Dave Phillips trace la route. La machine lancée à toute allure que rien n'arrêtera, si ce n'est sa voix de lead singer et les notes surjouées de Steven. La couche de ripolin sur le mur et la main qui trace les lettres signifiantes. Beaucoup de blanc pour quelques bâtonnets de noir, mais ce sont eux par leur inflexions qui délivrent le message. Le rockabilly est un art qui vise à une perfection idéo-formelle qu'il est aussi difficile d'atteindre que d'agencer l'équilibre d'un sonnet élisabéthain.

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Et dans la salle tout le monde perçoit cette approche de la perfection cinq sur cinq. Dave Phillips est le premier surpris de cette enthousiaste réception. Dira à plusieurs reprises son bonheur de rejouer en France depuis si longtemps. Soufflera toutes ses bougies d'un coup lorsque Jerry lui apporte en plein milieu du show son gâteau d'anniversaire. Après quoi le concert basculera vers les sommets. Un Cat Man démoniaque sur lequel John se livrera à une implacable rythmique de guerre indienne, Dave nous livrant un chant d'intensité shakespearienne, et Steven relâchant ses notes une par une comme un tireur d'élite, nous arrachant à chaque fois les entrailles.

 

Immédiatement suivi d'un long morceau de bonheur ce Tainted Love qui est un des classiques de Dave Phillips depuis plus de trente ans, depuis son insertion sur l'album Wild Youth qui est un des classiques du rockabilly. Peut se permettre de se taire sur des couplets entiers, la foule reprenant les paroles sans difficulté.

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L'est épuisé, la chemise trempée dégoulinante de sueur, mais la salle en état d'épilepsie avancé sera sans pitié. Se laissera faire par cette douce violence intransigeante. Trois rappels avant qu'il ne nous quitte sur un Pink Thunderbird éblouissant. Assure que cette ferveur lui rappelle la fièvre des années 80. Rien à dire, les anglais ont vraiment une dimension au-dessus, qu'ils nous donnent une reprise du Blue Cat Trio ou une version de Work Song de Nat Adderley, l'on sent la différence d'impact. De véritables bombes à fragmentations. Dave Phillips n'aura pas déçu, la voix a peut-être perdu un peu du mordant incisif de sa jeunesse, mais quelle leçon, quelle facilité, quelle précision. Et puis cette humilité, celle des plus grands, toujours à mettre en avant ses deux musiciens, les remerciant à plusieurs reprises, laissant Steven chanter deux morceaux et répétant à plusieurs fois le nom de John, que je n'ai pas pu apercevoir de tout le set, l'imposante contrebasse de Dave m'étant aussi impénétrable qu'un mur de béton armé... La salle bruit de contentement. Difficile de la traverser pour respirer à l'air libre. Ai-je vraiment besoin de liberté ? Dave Phillips me suffisait amplement.

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Damie Chad

 

( Photos prises sur le FB d'Edonald Duck )

 

SLEEPY JOHN ESTES

 

JAILHOUSE BLUES

 

FLOATING BRIDGE - NEED MORE BLUES ( NY – 02 - 1937 ) / JACK AND JILL BLUES - POOR MAN'S FRIEND ( T MODEL ) - HOBO JUNGLE BLUES - AIRPLANE BLUES ( NY 04- 37 ) / EVERYBODY OUGHTA MAKE A CHANGE - LIQUOR STORE BLUES - EASIN' BACK TO TENNESSEE - FIRE DEPARTEMENT BLUES - CLEAN UP AT HOME - NEW SOMEDAY BABY - BRONWSVILLE BLUES - SPECIAL AGENT ( RAILROAD POLICE BLUES ) ( NY – 04 – 38 ) / MAILMAN BLUES - TIME IS DRAWING NEAR - MARY COME ON HOME - JAILHOUSE BLUES - TELL ME HOW ABOUT IT ( MR. TOM'S BLUES ) - DROOP DONW ( I DON'T FEEL WELCOME HERE ) ( CH – 06 – 1940 ) / DON'T YOU WANT TO KNOW ( THE DELTA BOYS ) - YOU SHOULD'NT DO THAT - WHEN THE SAINTS GO MARCHING IN - LAWYER CLARK BLUES - LITTLE LAURA BLUES - WORKING MAN BLUES ( CH – 24 – 09 – 41 ) /

 

Past Perfect. Siver Line. 2002. TIM Instrumental Music Company. 2203365.

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C'est un vieux bluesman. Du delta. Mais pas tout à fait de la même filière que Charley Patton, Son House et Robert Jonhson, en France on l'a souvent mis dans tiercé de tête avec Big Bill Bronzy et Blind Lemon Jefferson. Du moins dans les milieux jazz qui furent les premiers à se passionner pour le blues. Ce n'est que lorsque Muddy Waters commença à être reconnu que l'on dessina dans ce qui allait devenir la mouvance sixties rock une nouvelle cartographie légendaire. Nous reviendrons une autre fois sur le Gros Bill Bronzy et l'Aveugle Citron Jefferson, mais cette fois-ci nous nous intéressons au Dormeur John Estes.

 

Le bluesman parfait pour les Européens atteints de mauvaise conscience. Certes ils n'étaient pour rien dans la ségrégation instituée en la grande Amérique démocratique, mais les guerres de libération qui éclatèrent après 1939-1945 avaient tendance à noircir la haute idée que les hommes blancs se faisaient de leur civilisation, et par ricochet l'on était particulièrement sensibles aux souffrances endurées par les afro-américains... Le blues revival qui éclata en Europe de l'Ouest n'était pas uniquement acté par de strictes considérations musicales. L'on tâchait inconsciemment de réparer les dégâts commis par d'autres que soi-même, mouvement empreint de crypto-christianisme par lequel l'on se rachète une conduite en endossant une culpabilité dont on se sait innocent, une vocation au martyre sans danger en quelque sorte.

 

Tout pour plaire Sleepy John Estes, pauvre, malade et noir. Plus blues que lui, tu es déjà mort avant de naître. Tout petit il perd un oeil, vraisemblablement dans un jeu de gamins qui s'amusaient à lancer des pierres, prend l'habitude de gratter une guitare. Très mal, pas virtuose pour deux cents. Heureusement qu'il y a les copains du coin qui assurent pour lui, comme Son Bonds à la guitare, Yank Rachell à la mandoline et Hammie Nixon à l'harmonica. Lui son truc c'est la voix, moanin' voice, l'on traduira par pleurnicharde, le gars qui n'arrête pas de se plaindre de la dureté de la vie. Un bel organe, grave et groovy, et que peut-on attendre de mieux d'un descendant d'esclaves si ce n'est de gémir et pleurer sans fin ? Remplit son rôle à la perfection. Surtout que la jeunesse passée le sort s'en mêle, perd son deuxième oeil, lui qui n'a jamais été riche connaît l'extrême pauvreté et la solitude...

 

L'avait tout de même enregistré quelques morceaux dès 1929 pour Victor, finira même par être mis en boîte chez Sun, en 1952, – tiens, tiens les rockers dressent une oreille – vous retrouvez quatre titres sur les Compilations Charly consacrées à la production du label de Sam Phillips avant Elvis. Bref tombé dans l'oubli total, mais il avait laissé des traces, fut facile à retrouver et il eut la chance de recommencer une seconde carrière dans les grands festivals blues des années soixante. Sauvé par le gong de l'American Folk Blues Festival !

 

C'est lui qui a repris et mis en forme le traditionnel Milk Cow Blues dont Elvis et Eddie Cochran ( et une foultitude d'autres par la suite ) n'oublièrent pas le meuglement, Sleepy possédait une énorme qualité, l'a composé la majeure partie de son répertoire, alors que tant de bluesmen ont emprunté sans vergogne aux confrères, se contentant de modifier les paroles... Comme beaucoup de bluesmen il ne chantait pas que du blues, mais un peu de tout, les airs à la mode et les succès à la radio. Avec ses amis il animait les fêtes locales et les participants n'avaient peut-être pas envie de pleurer toute l'après-midi sur leur triste destinée. Fit aussi parti d'un Jug Band, ce qui indique qu'il devait aussi jouer une musique plus guillerette, car ces combos à l'instrumentation hétéroclite touchaient autant au blues qu'au ragtime. Ces Jug Bands pouvaient être noirs ou blancs. L'on n'oubliera pas que le premier disque de jazz enregistré le fut par un orchestre blanc, ce qui nous ouvre de vastes perspectives de méditations quant à ces sillons parallèles où germèrent en la même époque et en concomitance ce qu'aujourd'hui nous définissons comme des genres à part entière, jazz, blues, folk et country... Les couvées de poussins de toutes les couleurs sortent du cul de la même poule glousse.

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Nous n'avons pas ici les premiers enregistrements de Sleepy mais ceux collationnés entre 1937 et 1941 chez Decca et Bluebird, ce qui explique la qualité d'écoute, pas de souffle ou de bruits de fond parasitaires.

 

Floating bridge c'est la voix qui flotte et finit par s'affirmer, l'harmonica de Hammie Nixon tirant l'auditeur à lui, la guitare de Son Bonds restant essentiellement rythmique. L'ensemble sonne très country. Le blues arrive avec Need More Blues, l'harmo de Hammie Nixon souligne tous les effets esquissés par la plaintive voix d'Estes, batifole dans des fioritures qui ne demanderaient qu'à s'exalter en solo. Le morceau semble n'avoir ni fin ni début. Jack And Jill Blues c'est la voix qui s'impose, l'on peut prendre sa pleine de mesure et reconnaître qu'Estes est bien le leader du groupe. Poor Mann's Friend, Estes en pleine forme force sur la blue note qui semble dériver tout droit du yodel des cowboys, rural blues n'a jamais été aussi près du country alors qu'étrangement la lourdeur de l'orchestre préfigure ce qui quelques dizaines d'années plus tard sera appelé blues rock. Hobo Jungle Blues, l'harmo traînant de Nixon ( pas le président, Hammie ) bien devant et la voix d'Estes plus plaintive que jamais comme s'il la retenait entre ses dents. Airplane Blues comme la suite immédiate du précédent, parfois l'écrivain change de chapitre sans savoir pourquoi au juste. Ces quatre derniers morceaux unis par une parenté évidente, proviennent de la même session. Everybody Ougtha... plus frustre, l'on remarque tout de suite l'absence de Hammie Nixon, c'est fou ce que son harmonica meublait et posait la tapisserie, par contre la voix d'Estes prend toute son ampleur, c'est bien lui la cheville ouvrière de ses compositions, Liquor Store Blues, guitares énervées, Estes s'implique dans son chant, le solo central n'est qu'accompagnement rythmique mais le tout sonne très rockab. Easy Back To Tenessee, blues classique «  woke up this Morning » et tout le bataclan, les mesures qui marchent au pas et l'adju de service Estes qui accentue toutes les premières syllabes de ses lyrics. Fire Department Blues, à l'Estes rien de nouveau, les guitares rampent et le vocal ne s'élève pas bien haut au-dessus de la terre arrosée de larmes. Clean Up At Home le plaisir d'entendre le jeu de guitare de Charlie Pickett qui sur ce morceau et le suivant New Someday Baby Blues prend toute sa magnificence, Estes imperturbable au chant. Brownsville Blues, le blues des origines Estes débuta dans la région de Brownsville, la guitare s'enlace au vocal, Estes chante le blues avec une voix blanche dépourvue d'émotion se contentant d'énoncer peut-être pour mieux dénoncer toute la tristesse du blues. Special Agent avec ce début très caractéristique de la manière d'Estes, la voix un quart de seconde avant l'instrumentation qui se colle à elle pour ne plus la quitter d'un demi-millimètre, une espèce de pré-reverb qui a peut-être influencé les techniques d'enregistrement de Sam Phillips. Mailman Blues c'est l'harmonica de Robert Mc Coy qui s'en vient pour notre plus grand plaisir klaxonner dans nos oreilles et Estes obligé d'élever la voix. Même chose pour Time is Drowing Near dans lequel l'orchestration s'efface, l'est vrai que l'on a changé de décor, nous sommes à Chicago, le rural Blues est obligé de hausser le ton pour se faire entendre à la ville. Mary Come Home c'est Robert Mc Coy qui se taille la part du lion à la guitare d'Estes qu'il remplace avantageusement, croyez-moi, ça valse dur. Jailhouse Blues, l'harmo qui déchire et Estes qui pleure plus fort que d'habitude, pas étonnant que le morceau ait donné son titre à cette compilation, l'on se croirait dans une séance de Muddy Waters. Tell Me How... presque joyeux, l'harmo qui souffle comme un saxo et la rythmique qui s'emballe, et Estes qui galope. Drop Down se sent mal par ici, le crie bien fort, l'harmonica court après lui mais ne le rattrape pas. Dont You Want... nouvelle session à Chicago, l'on a sorti la grosse artillerie, celle qui fait plus de bruit que de mal Son Bonds qui double le vocal et qui s'amuse au kazoo. L'on recommence aussitôt sur You Should'nt... devraient vraiment pas, le blues se dénature quand il quitte la pâture rurale, un seul effet positif, démontre à l'excès que Sleepy pouvait tout chanter. When The Saints... le morceau de trop, une tisane douceâtre dans laquelle l'on a oublié de verser un demi-gallon de whisky, par pitié sautez cette galéjade ! Lawyer Clark Blues la plaisanterie a assez duré l'on retourne aux sillons du bon vieux blues de derrière les fagots, rien d'essentiel mais cela nous rassure, Little Laura Blues poussons une petite larme pour la belle Laura, une fille de perdue, un blues de gagné, Estes parvient à nous faire croire qu'il faudrait avoir du chagrin Working Man Blues retour aux dures réalités de la vie et du blues, la guitare égrène ses notes et la voix devient presque implorante, Sleepy regagne sa légende...

 

Sleepy John Estes mourut en 1977 ne laissant même pas assez d'argent pour payer ses funérailles... Son Bonds l'avait précédé de trente ans dans la tombe, quitta la planète bleue stupidement, abattu chez lui par erreur par un voisin myope qui l'avait pris pour quelqu'un d'autre... Le blues est la poisse de Dieu !

 

Question généalogie Yank Rachell, le guitariste des débuts de Sleepy John Estes, accompagnera l'harmoniciste Sony Boy Williamson 1 dont Little Walter – qui apprit le boulot chez Muddy Waters, lui se contentant d'apporter son génie - ne ratait sous aucun prétexte les concerts... Le blues du Delta est un mouchoir de poche.

 

 

LIGHTNIN' HOPKINS

 

TAKE IT EASY

 

THE TROUBLE BLUES / LIGHTNIN PIANO BOOGIE / WONDER WHY / MISTER CHARLIE / TAKE IT EASY / MIGHTY CRAZY / YOUR OWN FAULT, BABY, TO TREAT ME THE WAY YOU DO IT / L'VE HAD MY FUN DON'T GET WELL NO MORE.

 

Enregistré le 15 novembre 1960 à New York. 220377. 2002.

 

Past Perfect Silver Line. Série économique jazz et blues initiée par le label allemand TIM International Music Company AG qui sortit entre 2000 et 2002 près de deux cents disques ( CD ou vinyl ) de musique populaire américaine. Des caractères japonais sur la pochette laissent présager un bizarre jeu de sociétés écrans...

 

Croyais mettre la main sur Blind Lemon Jefferson quand j'ai glissé la main à l'aveuglette derrière la deuxième rangée de CD. Ce ne fut pas Jefferson mais Lightnin' Hopkins que j'ai ramené, preuve que ce n'est pas si mal rangé que cela puisque Lightnin' a longtemps côtoyé Blind Lemon Jefferson qui l'a un peu mis sur les rails bleus de la musique du diable sans dédaigner pour cela les nuages roses du répertoire gospel.

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Un chanteur de blues heureux. La chance avec lui. Sur les photos l'est sempiternellement en train de sourire sous son chapeau de paille la bouche grand ouverte pour que l'on puisse admirer ses dents en or. Les nouveaux riches ont un goût si déplorable ! Toujours là où il faut être, le genre de gars qui ne se presse pas mais que l'on prévient chaque fois de l'heure à laquelle part le bon train, celui que l'on ne doit pas rater. Ses deux frères Joel et John Henry ne se débrouillent pas mal à la guitare mais c'est avec son cousin Texas Alexander le chanteur qu'il apprendra les secrets du blues primitif, encore proche des hollers poussés par les prisonniers dans les camps pénitentiaires... Ligthnin' Hopkins sait s'adapter à l'air du temps, en 1953 il abandonne la gratte acoustique et se met à l'électricité. Aussi redoutable sur l'une ou sur l'autre. Enregistre dès 1947 pour Aladdin Records et bientôt il ne comptera plus ses séances. Remarqué par Robert "Mack" McCormick spécialiste émérite du folk texan, il est dès 1959 embarqué par le mouvement pro-folk qui traverse la jeunesse américaine, l'apparaît bientôt en compagnie de Joan Baez et Pete Seeger, pas bête il a ressorti du grenier sa vieille acoustique et devient un personnage incontournable du revival folk blues. Participera à la tournée américaine de l'American Folk Blues Festival en 1964. Prêt à toutes les expériences il enregistrera même un album avec le groupe psyché 13TH Flour Elevator, eux aussi originaires du Texax. Participera aussi à des concerts du Grateful Dead et du Jefferson Airplane... Belle trajectoire qui le mène des origines du blues au mouvement hippie. Enregistre des centaines de titres et donne des milliers de concerts, des plus infâmes juke joints aux salles les plus prestigieuses comme le Canergie Hall de New York. Pour un pauvre bouseux l'a su magnifiquement tirer son aiguille de la meule de foin. Un vrai bluesman, toujours on the road avec pour port d'attache le ghetto noir de Houston, a connu les grands chantiers ferroviaires et la prison, opportuniste mais n'hésitant pas à dénoncer les patrons blancs racistes et exploiteurs quitte à en payer les conséquences et subir de désagréables voies de fait... Né en 1912 décédé en 1982, une vie bien remplie, et surtout un guitariste hors-pair que l'on a pris l'habitude de négliger de citer quand on parle de l'influence de la guitare blues sur le rock and roll, mais qui fut réelle et étudiée de près dans les années soixante...

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Trouble Blues deux notes et l'on est au coeur du blues, la guitare qui pèse et la voix éclatante qui traîne son fardeau de malédiction êtrale. Elle est partie mais le problème est d'ordre métaphysique, fait gémir les petites cordes, on ne les entend presque plus mais le blues est toujours là, comme l'ectoplasme du désespoir incarné. Piano Boogie le morceau le moins essentiel du disque. Hopkins au piano. Une démonstration de tout ce qu'il sait faire. Le malheur pour mes oreilles de rocker c'est que ça remue moins que le boogie de Jerry Lou – le maître étalon suprême. Un peu ragtime bande-annonce des films muets. Wonder Why retour au blues, celui qui colle aux cordes de la guitare, monologue qui infléchit le chant vers le soliloque. Accords mineurs, le blues chausse les charentaises de la discrétion, la voix s'élève pour mieux retomber, quasi murmurante, c'est la guitare qui prend la parole. Dialogue entre le musicien et sa musique. Le morceau s'étire sur plus de six minutes. Mr Charlie une sombre histoire que Ligthnin' nous raconte en parlant le soir à la veillée, celle d'un petit garçon qui bégayait au grand désarroi de sa maman, trouvera du boulot chez Mr Charlie propriétaire de fabriques qui ne l'écoutera pas lorsqu'il l'avertira que son moulin est en feu... l'on s'en moque un peu car maintenant Hopkins chante haut et ça s'entend. Faut sans doute chercher le sens de la parabole, mais j'avoue que je m'y perds. Take It Easy une sempiternelle histoire de coeurs qui ne s'accordent pas, après un premier dépôt de plainte à la guitare Lightnin' s'empare du piano pour revenir plus tard à sa gratte, à chaque fois le vocal devient plus présent. Les deux postulations du blues, piano ou guitare. Hopkins nous démontre qu'elles sont interchangeables, le grand gagnant reste le blues sous toutes ses déclinaisons. Que ce soit sur les touches ou sur les cordes l'implication reste la même. Mighty Crazy du blues qui court vers le rock, un rythme qui galope et une voix qui saute les obstacles. Mettez un peu d'électricité et vous comprendrez tout ce que le rock and roll doit au blues tant au niveau du chant que des guitares. Morceau qui dépasse les sept minutes, Lighnin' nous ressert le couvert à volonté en sourdine, en ironie, en franc parler... Démonstration tous azimuts. Keep on runnin'. Your Own Fault... La grande accusation avec le piano qui hisse les décors du mélodrame, la main gauche qui triture les aigus et la droite qui roule les basses, et puis la voix qui accuse. L'est sûr que la femme a tous les torts. Faut de temps en temps remettre les pendules à l'heure. Ça se termine bien avec des trilles cajoleuses. Jusqu'à la prochaine fois. I Have Had My Fun... La philosophie du pauvre être humain. J'ai eu tout ce que j'ai voulu si je contente de ce qui m'a été donné. Un blues funèbre qui traîne des pieds comme quand vous suivez le cercueil d'un copain. L'ultime sagesse du blues, ne jamais être dupe de la vie.

 

C'était un disque de Lightnin' Hopkins, une simple session parmi tant d'autres. Le gars qui assure a dû prendre moins de temps pour l'enregistrer que nous pour l'écouter. Dans la série j'ai rencontré un bluesman heureux, c'était Lightnin' Hopkins, le mec qui prenait la vie à la bonne, take it easy...

 

Damie Chad.

 

 

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