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20/10/2021

KR'TNT ! 526 : WILKO JOHNSON / BOB DYLAN / CUTTHROAT BROTHERS / CARL HALL /MARLOW RIDER / CALIGULA / JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 526

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

21 / 10 / 2021

 

WILKO JOHSON / BOB DYLAN

CUTTHROAT BROTHERS / CARL HALL

MARLOW RIDER / CALIGULA

JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

TEXTES + PHOTOS :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Wilkoko bel œil

Si on cherche des infos de première main sur Dr Feelgood, on en trouvera dans Don’t You Leave Me Here, l’autobio de Wilko Johnson. Mais attention, Wilko ne parle pas que de musique. Il évoque surtout ses deux cancers, celui qui a emporté la femme de sa vie Irene et celui qui a bien failli l’emporter lui aussi. Une tumeur à l’estomac. Inopérable.

— Combien de temps il me reste à vivre ?

— Oh onze mois si vous faites une chimio, sinon neuf mois.

— Fuck, je ne veux pas de chimio !

Wilko est un rocker. Il garde sa dignité. Il est condamné, autant finir en beauté, sur scène. Mais un chirurgien va en décider autrement : le Dr Huguet pense qu’on peut opérer. Et hop, Wilko monte sur le billard. On a tous les détails. Même ceux de la convalescence, avec les séances d’aspiration du contenu de l’estomac par le nez, car pendant un temps, Wilko n’a plus d’intestin, ça doit ressortir par en haut. L’infirmière ? She does it right. Elle ne s’appelle pas Roxette, mais c’est tout comme. Tout ça pour dire que Wilko fait partie des miraculés. Il avait réussi à s’habituer à l’idée de la mort - I felt free. Free from the future and the past, free from everything but this moment I was in - Il continue à tourner avec ses deux amis, mais il sent venir la fin - Toutes ces routes, tous ces concerts, et maintenant ça se termine, là sur scène avec la main de la mort sur mon épaule - En plus, Wilko écrit bien, dans un style très dépouillé qui correspond parfaitement à l’idée qu’on se fait du musicien. Il raconte par exemple l’attente avant le concert : «On a généralement deux heures à tuer dans la loge avant de monter sur scène. Je les passe à tourner en rond, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Pourquoi dans ce sens ? Je ne sais pas. Si j’essaye de tourner dans l’autre sens et que je me mets à réfléchir, je repars en sens inverse.» Quand il décrit Canvey Island la nuit, son style s’enflamme : «At night, it was a blaze of electric lights, with huge flames pouring from the stacks. When the sky was overcast the flames would reflect on the clouds above, casting a flickering Miltonic light over the island as if it were a remote suburb of Hades.» (Une multitude de lumières électriques éclairaient la nuit et les cheminées crachaient d’immenses flammes. Quand le ciel était couvert, la lueur des flammes se réfléchissait dans les nuages, répandant sur l’île une lumière vacillante digne de Milton. On se serait cru dans la caverne des enfers).

Wilko commence par raconter son enfance à Canvey Island, qui est une sorte d’île aménagée sous le niveau de la mer, dans l’estuaire de la Tamise, tout près de Southend-on-Sea. Les digues nous dit Wilko furent construites par un ingénieur hollandais au XVIIe siècle, mais en 1953, elles cédèrent et l’île dut être évacuée. Wilko l’a vécu comme un gros cauchemar. L’autre gros cauchemar, c’est son père qu’il hait, car il est mauvais. Sa mort sera un soulagement. Il hait aussi l’école. Sa première idole, c’est bien sûr Mick Green, le guitar slinger des Pirates de Johnny Kidd. C’est l’une des meilleures filiations qui soit. Il est tellement fasciné par le son de Mick Green qu’il apprend à jouer de la guitare en écoutant ses disques, et c’est là qu’il se forge un style, ce qu’il appelle son chopping sound. Mais avant Mick Green, il y a Irene, sa fiancée de toujours à Canvey Island - Irene Knight was the most beautiful human being I ever knew - Avec Wilko, c’est à la vie à la mort - She was part of me. She was my better half. Everybody loved her - Évidemment, quand un cancer l’emporte, Wilko comprend qu’il ne peut pas vivre sans elle. Il passera le restant de sa vie à penser à elle.

Comme le firent de nombreux Anglais dans les early seventies, Wilko se paye en voyage en Afghanistan, puis aux Indes. C’est une sorte de voyage initiatique qui passe bien entendu par les drogues locales, les plus puissantes du monde. C’est à Bombay qu’il rencontre Mr Kardoom. Tous les soirs, ils s’assoient ensemble face à la mer pour contempler les étoiles. Le rituel est simple : Mr Kardoom demande deux roupies à Wilko puis il envoie un boy chercher de la ganga. Il dit que c’est bon pour la santé. Puis il mélange la ganga avec du black haschich et allume le chillum : «Il tira une bouffée qui le fit tousser et une pluie d’étincelles tomba du chillum. Soon we were all helpless.» Et plus loin, Wilko décrit son hallucination : «Ils élevèrent leurs bras pour former un mandala riche en couleurs. Au centre se tenait Mr Kardoom qui me fixait dans le blanc des yeux : ‘You walk in the sky ?’ ‘Yes’ I said et le mot résonna sans fin sous mon crâne.»

Avant de devenir le Feelgood que l’on sait, Wilko et ses copains accompagnaient Heinz, qui eut sa petite heure de gloire dans les early sixties, grâce à Joe Meek. Heinz est tout le temps bourré sur scène et les Feelgood qui font les chœurs font : «Heinz bakes the meanest beans !» au lieu des «Bop-shoo-wop» prévus. Ils se retrouvent avec Heinz en ouverture du fameux festival de Wembley, en août 1972, à la même affiche que Chickah Chuck, Jerry Lee, Little Richard, Bo Diddley, Bill Haley et le MC5. Wilko est fasciné par Wayne Kramer et sa façon de danser sur scène en imitant James Brown. C’est là qu’il comprend l’importance de ce qu’il appelle the physical action and dynamics in playing rock’n’roll. Et comme ce jour-là Wayne Kramer s’était peint le visage en or, Wilko fera de même, for a couple of gigs.

Au commencement, tout le monde il est beau tout le monde il est gentil. Lee Brilleaux could be hysterically funny. Sparko était un stoïque, un personnage imperturbable with a cynical grin and a great talent for sleeping. Quant à Figure, il pouvait rire à s’en couper le souffle et se tenir appuyé au mur des deux mains. Quand Wilko écrit ses chansons, c’est avec la voix de Lee en tête.

Dès le premier album, le fameux Down By The Jetty, Wilko engage le bras de fer avec Vic Maile qui voulait l’enregistrer par étapes, comme le font généralement les ingés son : section rythmique, puis guitare puis chant. Wilko refuse. Il veut un son live. Il refuse catégoriquement de falsifier le son de Feelgood. Wilko ne lâche rien - We recorded all the tracks in one or two takes and used no overdubbing - Cette intransigeance lui vaudra par la suite bien des ennuis. Les autres Feelgood ne pourront pas la supporter longtemps. Mais l’histoire donnera raison à Wilko : quel son ! Tout le son est là dès «She Does It Right». C’est tout simplement l’épitome de l’apanage du Feelgood Sound. Wilko fait tout le boulot à lui tout seul et Figure bat ça si sec. Tout est là, dans le sec du traitement, dans le battage de riff Tele. Les deux outstanders sont en B, à commencer par «Keep It Out Of Sight», bien taillé dans le vif, puis «Cheque Book», joué en coupe réglée, battu droit devant. On note au passage l’incroyable vitalité du droitisme. Par contre, Wilko massacre «Boom Boom» et un cut nommé «That Ain’t The Way To Behive». Il n’a pas de voix, c’est vraiment stupide de sa part, d’autant qu’il dispose d’un bon chanteur. Beaux slabs aussi que ce «Roxette» gratté à l’os et «I Don’t Mind», battu sec sur la Tele. C’est là où Feelgood prend tout son sens. «All Through The City» fait partie des cuts non valorisés et pourtant quel festival. Brilleaux brille de tous ses feux en le prenant à la bonne arrache.

On les sent lancés. La même année, United Artists fait paraître Malpractice. On dirait même qu’ils montent encore d’un cran dans la sagacité riffique, ne serait-ce que pour ces trois bombes que sont «I Can Tell», «Back In The Night» et «Because You’re Mine». Ils ouvrent avec cette belle cover de Bo Diddley : Wilko riffe «I Can Tell» au claqué des cavernes de Canvey avec le raunch épouvantable de Lee Brilleaux en tartine supérieure. Ils jouent comme les quatre doigts de la main. «Back In The Night» flotte dans l’azur immaculé comme l’étendard de Feelgood. Même si ça sonne comme un boogie global, ça reste du fantastique Feelgood System, joué avec un sens de la mesure affolant de pertinence. On pense évidemment à l’«I Hear You Knocking» de Dave Edmunds. Même sens du peaufiné de retenue. C’est en B qu’on trouve l’excellent «Because You’re Mine». Wilko le bat à l’enragée sur sa chère Tele financée par Irene. Il devient un peu le roi de la rythmique britannique, au même titre que Mick Green dont il descend en droite ligne. Fabuleux batteur de riffs, il joue avec une hardiesse et un courage dont on ne trouve d’équivalent qu’au temps des chevaliers. Ce fabuleux tailleur de taille et d’estoc claque et tire trois notes pour faire monter la viande sur l’os, il joue à la cocotte de basse-cour royale et fait le show à lui tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. On le voit aussi gratter sec «Another Man». Il redéfinit le sec plus ultra de la cisaille. Il joue tous ses cuts avec un sens du sharp qui écharpe le sherpa titulaire. Ils font aussi un gros clin d’œil à Mudddy avec une version de «Rolling & Tumbling». Wilko nous riffe le boogie du delta à l’âpre dextérité. Il muddyse Muddy à Canvey, charge ses riffs de limon et organise la mainmise de la Tamise. En B, ils tapent aussi dans le fameux «Watch Your Step» de Robert Parker, mais avec la touche Feelgood, ça prend un sacré relief. Et cette Tele hyper motivée de Wilko n’en finit plus de bousculer les lois de l’équilibre naturel. Oh il faut aussi saluer la reprise du «Don’t You Just Know It» de Huey Piano Smith - Ah-ah-ah hey oh ! - Ça trépide dans d’intrépides turpitudes terminologiques, avec un solo de gras double signé Koko bel œil, roi de la cisaille invétérée et de la note qui grelotte au petit matin. Ce démon profite de Huey pour multiplier les effets de tagada sur sa Tele.

Il se bat aussi pied à pied pour sauver le son de Stupidity que United Artists et les autres Feelgood voulaient bricoler. No Way ! On garde le so si son sec du set. Wilko a raison de se battre pour préserver l’intégrité du Feelgood Sound, car l’album arrive en tête des charts - So my intransigence had given Dr Feelgood their biggest ever records, but it had set me apart from the others - C’est vrai qu’il va payer cher son intransigeance, mais l’album est bon, on les voit foncer comme un train fou avec «Talking About You» et sortir une belle version de «Stupidity». Mais Wilko prend le chant pour «20 Yards Behind» et casse les reins du set. Ils relancent avec «All Through The City». On reconnaît le son de Wilko dès les premières secondes. Admettons qu’il ait un son unique au monde. Avec «She Does It Right», il sort l’un des riffs les plus urgents de l’histoire du rock anglais. Nous n’en finirons plus de le vénérer pour ce coup de maître. Ils attaquent la B avec un «Going Back Home» pas aussi déterminant que «She Does It Right», mais solide. Avec le riff d’«I Don’t Mind», il harponne le cut et toute la bande à Bonnot. Wilko, c’est Moby Dick qui entraîne le vaisseau du capitaine Achab dans les abysses. Ils font pas mal de boogie plan-plan («I’m A Hog For You Baby» et «Checking Up On My Baby» et terminent avec un autre riff historique, celui de «Roxette». Tout est dit avec ce sens aigu de l’attaque. Wilko est un sharper de l’Himalaya. Il peut jouer sec sans ciller, il amphétamine le ruckus du rock.

La fin de Dr Feelgood est dramatique. Quand CBS organise une grande tournée américaine, deux camps se forment : d’un côté les drinkers, Lee Brilleaux et les deux petits gros, et de l’autre Wilko, shooté aux amphètes dans sa chambre - A great antipathy grew between us - Lemmy affirmait que les speed-freaks et les alcooliques ne pouvaient pas s’entendre. Wilko ne dort pas, il passe ses nuits à tourner en rond dans sa chambre d’hôtel, trying to write new songs. Car c’est lui qui fournit le groupe en chansons, et jamais personne ne lui file un coup de main. La situation tourne vite au cauchemar dans un groupe, quand on ne se parle plus - J’étais complètement isolé dans ma chambre, out of my mind, alors que les autres étaient en bas au bar en train de parler de moi - Wilko raconte qu’il entendait parfois à travers les murs des chambres d’hôtels les tirades alcoolisées des autres qui passaient leur temps à lui chier dessus. Il est arrivé un moment où Lee et Wilko ne pouvaient plus rester dans la même pièce. Il donne bien tous les détails, comme ces attentes à l’aéroport, où les trois autres sont au bar en train de siffler des tequilas et Wilko tout seul assis à une table à se demander ce qu’il fout là. Puis la shoote éclate à propos de «Lucky Seven» qu’ils ont enregistré sans Wilko. Wilko dit que ce n’est pas une Feelgood song. Le lendemain matin, il est viré de Feelgood - I say I was forced out. I didn’t leave - Et pouf, le pauvre Wilko se retrouve tout seul, sans groupe ni management, et les autres gardent le nom et ses chansons - I was destroyed. Exactement le même destin que celui de Brian Jones.

Alors faut-il écouter l’album maudit, Sneaking Suspicion, paru en 1977 ? D’une certaine manière oui, car dans le morceau titre d’ouverture de bal, on retrouve le big popotin à la Wilko. Les autres apportent leur contribution, c’est sûr et Wilko cocote dans son coin, comme un vilain petit canard. Et puis, il recommence ses conneries : il chante «Paradise» alors qu’il dispose d’un bon chanteur. C’est aussi lui qui chante «Time And The Devil». Ça ne se passe pas aussi bien qu’on le voudrait. On note cependant l’excellente musicalité d’ensemble. On pourrait même les croire unis comme les quatre doigts d’une main de pirate. Il attaquent la B avec «Lucky Seven» signé Lew Lewis, c’est-à-dire le cut qui a foutu Feelgood par terre, la fameuse pomme de discorde. On sent qu’au plan composital Wilko tourne un peu en rond avec son «Walking On The Edge». D’ailleurs, il tourne en rond dans sa chambre à Rockfield. Il est un peu le Xavier de Maistre du rock anglais. Il voyage autour de sa chambre pendant que les trois autres sifflent des verres au bar. Ils terminent avec une version bien percutée du pimpant «Hey Mama Keep Your Big Mouth Shut» de Bo, mais bon, la messe est dite.

Parmi les grands amis de Wilko, il faut compter Mick Farren, Lemmy et Wayne Kramer. Farren est l’un des premiers à saluer Feelgood dans le NME et Wilko a la chance de passer des nuits avec Mick et sa femme Ingrid, à écouter Dylan et à discuter de William Burroughs - I loved Mickey, he had a good heart and all the idealism of the 1960s still lived within him - Wilko joue d’ailleurs sur deux cuts de l’album Vampires Stole My Lunch Money. Avec Lemmy et Mick Farren, ils forment le trio de choc : «Lemmy was good company, intelligent and witty, and he had a kind of twisted wisdom. As fellow speed-freaks (Mick Farren reckonned I was the only bloke who was able to keep up with Lemmy), we often spent whole nights rapping.»

Wilko démarre sa carrière solo avec les Solid Senders. Il ne s’étend pas trop sur l’épisode - Bonnes critiques mais faibles ventes - You know when things ain’t right, they all go wrong - Virgin lâche aussitôt le groupe. Vic Maile avait prévenu Wilko : tu perds ton temps avec ces trois mecs-là. En effet, ils n’ont pas l’air très avenants, comme le montre la pochette de Solid Senders. L’album fait partie de ceux dont on se dispense facilement, surtout quand on tombe sur le «Blazing Fountains» d’ouverture de bal d’A : c’est atrocement mal chanté et trépidé du popotin. Leur boogie n’a aucun avenir. Ils font même du reggae. Wilko devait aller très mal pour sonner comme ça. L’album est catastrophique. Le plus drôle est qu’il chante si mal qu’on le reconnaît immédiatement. Et quand ce n’est pas lui chante, ça perd tout le peu d’intérêt qu’on peut trouver à cette écoute. «Burning Down» est le seul cut à sauver en B, de même que «I’ve Seen The Signs», une chanson de pub mal chantée mais plutôt captivante, qui sent bon la dérive.

Wilko joue un temps dans les Blockheads de Ian Dury et finit par récupérer Norman Watt-Roy, le bassman des Blockheads - Norman Watt-Roy was an Anglo-Indian who seemed to live for playing the basss, getting stoned and laughing - Wilko brosse toujours des portraits fabuleux des gens qu’il rencontre. Voici le portrait qu’il brosse de Charlie Chan, un photographe qui est aussi un cancérologue, et qui va sauver Wilko en le mettant en contact avec le Dr Huguet : «A ubiquitous, vociferous and alarming character, he seemed to be everywhere at once.»

Ice On The Motorway sort en 1980 sur Underdog, un label qui est un peu la suite de Skydog. Les nommés Strutter & Nines accompagnent Wilko. Il impose un drôle de style avec une curieuse manière de chanter et un beat encore plus tranchant qu’au temps de Feelggod. Comme il n’a pas de voix, il chante un peu à l’exacerbée. C’est très spécial, il doit se prendre pour une rock star, ce qu’il est, d’ailleurs. Il joue son «Down By The Waterside» sur place, dans l’instant T. On le voit mener sa barque à la godille dans le morceau titre. Ses cuts étranges finissent vraiment par captiver. On arrive donc en B tout ouïe pour «When I’m Gone». Il ressort sa vieille formule d’efficacité maximaliste. Wilko ne veut pas disparaître du paysage aussi jette-t-t-il tous ses œufs dans le même panier. Il ultra-joue épaulé par un bassmatic avantageux. Pas de hit sur cet album, rien que des cuts solides joués pour de vrai, pas pour de faux. Il tape quand même dans son vieux «Keep It Out Of Sight» et le chante avec une mauvaise hargne de collégien. Il finit par émouvoir. Sa façon de prononcer sight est très belle, très anglaise. Il boucle avec le cut le plus surprenant de l’album, une reprise du fameux «The Whommy» de Screamin’ Jay Hawkins, screamée en long, en large et en travers. Stupéfiant !

En 1984, Wilko tire la couverture à lui avec Pull The Cover sur Skydog. C’est un jeu de mots qui ne fonctionne qu’en anglais, car c’est un album de covers, c’est-à-dire de reprises. Wilko tape dans Dylan avec «I Wanna Be Your Lover», mais sa voix monte trop haut dans le mix et ça pose un problème esthétique. On reste dans le bon boogie avec «My Babe». Les gens qui accompagnent Wilko maîtrisent bien leur volumétrie. Ça passe mieux quand la voix de Wilko disparaît dans le forfait. Il attaque sa B avec une reprise de Junior Wells, «Messing With The Kids», mais il s’arrange pour le massacrer au chant. Il n’a ni la voix ni le swagger. C’est un cut fait pour un white nigger, non pour un Koko bel-œil. La seule cover qui passe est celle du «Mendocino» de Doug Sahm. Il chante comme une brêle et massacre cette merveille, mais c’est ce qui donne un cachet iconoclaste à cet incroyable désastre. Quand il évoque l’épisode de cet album, Marc Zermati reste très circonspect.

Trois ans plus tard, Wilko enregistre Call It What You Want et met sa Tele noire et rouge sur la pochette. Il démarre avec «Looked Out My Window» et chante si faux que ça fait mal aux oreilles. Mais en contrepartie, il fouette ses cordes comme un cake. Il est parfait dans le rôle de fouette cocher. Et quand il part en solo, c’est toujours à l’effervescence. Norman Watt-Roy le soutient avec du gut à revendre. Chez Line, ils sont si pauvres que l’intérieur du leaflet n’est même pas imprimé. Mais au fond, a-t-on besoin de commentaires ? Pour rester en cohérence, Wilko gratte sa chique dans son coin et se fout des commentaires. On croise plus loin une version d’«Ice On The Motorway» atrocement mal chantée. Quel gâchis ! Il part en killer solo flash dans «Willy Billy» et sauve les meubles. Norman Watt-Roy amène «Muskrat» au heavy doom de bassmatic. Ce mec est une bombe sexuelle, il joue au gros beat de percute. Hélas, le pauvre Wilko chante comme une casserole. On imagine la gueule des mecs présents au concert. Il faut dire que le son de Feelgood est là. Dommage que Wilko chante. D’ailleurs ils reprennent «Back In The Night». Ils font d’autres reprises comme «Messin’ With The Kid» et «Casting My Spell». C’est avec «Think» que Wilko rive le clou du disk. Il taille dans la falaise, à la dure, avec ses petits outils. C’est très impressionnant. Il sait se lancer dans un enfer sans trop s’exposer. «Some Other Guy» est à cet égard exemplaire de déballonnage. Il joue son va-tout au sharp, comme toujours. C’est Norman Watt-Roy qui fait le show dans «I Wanna Be Your Lover». Heureusement qu’il veille au grain.

Son deuxième grand amour après Irene, c’est le Japon - I feel in love with Japan straight away - Et le hasard des tournées fait parfois bien les choses : Wilko est très populaire au Japon et lors d’une tournée, qui fait sa première partie ? Dr Feelgood ! - Croyez-moi, ils n’étaient pas très bons (they were feeble) - it was sad to see them. We didn’t talk.

Sur Barbed Wire Blues paru en 1988, Wilko se permet de sonner encore mieux que Dr Feelgood. Il fait tout le Feelgood à lui tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Pareil avec le «Livin’ In The Heart Of Love» d’ouverture de bal : c’est de la pure raclure de Feelgood avec des chœurs de studio. Pendant ces deux minutes, Wilko redevient le roi du monde. Tout Feelgood, c’est lui. Il parvient chaque fois à recréer la sensation. Il tartine bien son chant, c’est un malin, un bon samaritain, le digne héritier de Mick Green. Ils tapent «Waiting For The Rain» au heavy groove et ce diable de Norman Watt-Roy ramone son bassmatic comme une brute épaisse. Il fait le show sur son manche. «I Keep It To Myself» sonne comme un sacré retour en force. Ils savent rester classiques dans la structure, mais ils avancent avec un sens aigu du cahin-caha. Chez eux, c’est la main dans la main. Il faut entendre Norman Watt-Roy cavaler au pouet pouet dans «Take Me Back». Il cavale en crabe comme Charles Laughton dans Quasimodo. Il pouette tout ce qu’il peut dans le bénitier avec une fantastique énergie divisionnaire. Retour au pur Feelgood sound avec «The Hook (Little Darling)». Wilko fait la pluie et le beau temps, il claque des accords sourds comme des pots et roulez jeunesse ! Il termine cet album passionnant avec «Out In The Traffic», un rumble très salubre. Avec un mec comme Wilko, on se sent en sécurité. Surtout si on a lu son book. Ce mec impose en plus un sacré respect. Il roule dans la fournaise de sa petite pétaudière avec un Norman Watt-Roy fidèle au poste et un certain Salvatore Ramundo au beurre. Wilko passe un solo tranchant à la Mick Green, il écharpe le chorus à coups de sharp. L’un des pires d’Angleterre.

Encore un album live avec Don’t Let Your Daddy Know paru en 1991. On retrouve la même équipe, avec un Norman Watt-Roy en forme et un Wilko qui chante toujours aussi mal. C’est Watt-Roy qui ramone la cheminée d’«Everybody’s Carrying A Gun». Le son de «Barbed Wire Blues» est tellement aigrelet qu’on craint pour sa santé. En écoutant le boogie romp du morceau titre, on se dit que tout va bien tant que Wilko ne chante pas. Watt-Roy broute la moule du cut mais hélas, Wilko revient au chant et ruine tout. Il ne s’en rend même pas compte. Dès qu’il ouvre le bec, tout s’écroule. Il n’a pas de voix. Pourquoi ne l’empêche-t-on pas de chanter ? Ça lui rendrait service. Il revient à son vieux «Keep It Out Of Sight». On attend la niaque de Lee Brilleaux et Wilko ramène sa voix aigrelette. Quelle déconvenue ! Derrière, les deux autres tentent de sauver les meubles. Wilko part en petite maraude de gratté de gratte. Mais il revient au micro et c’est la catastrophe, même si Watt-Roy bombarde au pouet de bassmatic. «Cairo Blues» est l’un des cuts les moins pires, car Wilko chante de l’intérieur du menton. Mais il faut rester honnête : c’est insupportable.

Attention, il existe deux albums portant le même titre : Going Back Home. Le premier date de 2003, et le deuxième est celui qu’il enregistre en 2014 avec Roger Daltrey. Sur celui de 2003, on retrouve la même équipe, Wilko, Norman Watt-Roy et Salvatore Ramundo. Rusé comme un renard, Wilko attaque «Beauty» au laid-back pour bien cacher son absence de voix. Norman Watt-Roy pouette ça bien. Il faut dire au Ramundo frappe sec dans «She’s Good Like That». C’est un album étrangement travaillé côté son. Dès qu’il cesse de chanter, Wilko devient intéressant. Il va chercher des accords de revoyure dans ses transits intestinaux et derrière, Norman Watt-Roy pouette comme un roi. Ils n’en finissent plus de faire du Feelgood. Ils ne s’en lassent pas. Avec «I Really Love You Rock’n’Roll», Wilko revient à son petit trépidé de Canvey. Il n’en sortira jamais. Il est très fort, car il trouve toujours des gens pour l’accompagner, même s’il n’a pas de voix. Il chante «Underneath Orion» comme il peut, c’est très galvaudé. Il garde bien ses prérogatives. Pas question de toucher aux oraisons de son so si son sec. D’un strict point de vue boogie, c’est infernal. Le seul problème reste la voix. Un vrai carnage. Avec «Slippin’ And Slidin’», il retombe dans les catacombes du pub-rock mal chanté. Petite tentative de retour à Feelgood avec «Down By The Waterside». Wilko fait son Lee Brilleaux et devient pathétique. Il termine en chantant «Some Kind Of Hero» comme un chiffonnier. C’est même assez effarant de candeur destructive.

Quand Roger Daltrey vient trouver Wilko en 2014 pour enregistrer l’album Going Back Home avec lui, c’est avant l’opération. Wilko n’a plus que quelques semaines à vivre et Daltrey lui dit :

— Je ferai tout ce que tu voudras.

— Bon, okay, lui dit Wilko, We’ll have to do it quick !

Pour un album vite fait, c’est plutôt réussi. Going Back Home est un sacré smash in the face. Cet album faramineux démarre en trombe avec le morceau titre. On est aussitôt agressé par l’énormité du son. Impossible de résister à ça. Roger et Wilko overwhelment. C’est assez dément. Belle association de dynamiques. Rog chante au sommet du lard et Wilko riffe à la raff. L’autre sommet de l’album s’appelle «Keep On Loving You», fantastique shoot de R’n’B avec un Wilko qui casse bien la cadence des accords. Ils optent pour le rentre-dedans. Wilko joue avec une rare férocité. Il tape dans son vieux «Sneaking Suspicion». Il wilkote tout sur son passage et Rog surchante son shoot. Wilko cocote comme un démon alors ça devient fascinant. On retrouve la grandeur d’un son unique. Wilko joue le rock à l’avenant et Daltrey chante avec un power mille fois plus éclatant que celui de Lee Brilleaux. La puissance riffique atteint un degré jusque-là inconnu. Daltrey ne fait qu’aggraver les choses - Midnight on the river/ In the light of the flames - Superbe envolée - Sneaking suspicion/ Creeping up inside of me - Wilko vient riffer dans le lard du contrepoint. Nouveau coup de génie avec la reprise de «Keep It Out Of Sight» - If you wait until your time is right/ Keep it out of sight - C’est noyé d’orgue, Rog se jette dans la bataille et Wilko riffe comme au bon vieux temps. Ces mecs chevauchent les walkiries des temps modernes. Encore du pur jus de Feelgood avec «All Throught The City». Rog se plie aux lois du vieux Wilko, ça riffe comme à Canvey, ils sont dans le vieux son ultra tendu, dans le vieux son de Tele noire et rouge. Wilko reprend aussi son vieux «Ice On The Motorway». Rog joue bien le jeu, c’est un brave mec. Du coup, il nous remonte dans l’estime. Rog et Wilko font bien la paire. Ils ont du métier et n’ont fait que du rock anglais toute leur vie. Le vrai truc. Ils sont effarants de tenue, de wah c’mon ! Wilko cisaille comme un dingue. Ils sortent un son fabuleusement enjoué, la meilleure cocotte du coin. Wilko ne lâchera jamais la rampe. Rog chante «I Keep It To Myself» comme un dieu. Ils tapent aussi une belle version du «Can You Please Crawl Out Your Window» de Dylan. C’est à nouveau un extraordinaire mix de son et de talent. On voit rarement des combinaisons aussi flashy en Angleterre. La chanson est belle, elle frise le Baby Blue, Rog descend la côte avec son pote Koko. Gros niveau. On comprend que Shindig ait retenu cet album pour le numéro du 50e anniversaire.

Encore un album explosif : Red Hot Rocking Blues, paru en 2005. Wilko annonce la couleur avec le morceau titre, un shoot de r’n’b doté de tout le swagger de Feelgood. Exactement le même. Troublant, n’est-ce pas ? Wilko donne une nouvelle leçon de boogie et derrière lui Norman Watt-Roy pouette comme un pétomane. On sent le trio à son apogée. Tout ce qu’ils jouent sur cet album est saturé de son. Ils sortent un son très volontaire, très carré de menton. Ils tapent dans Leadbelly avec «The Western Plains». Wilko chante ça au chat perché, avec une approche terriblement solide du heavy beat de youpee-yeah et du Feelgood Sound à la clé. Il chante ensuite l’«He Ain’t Give You None» de Van Morrison à la vie à la mort puis il tape dans Fats avec une version fantastique d’«Hello Josephine». Quelle révélation ! Wilko refabrique de la légende. Et voilà qu’ils tapent une cover d’«Help Me» au shuffle de Booker T. Assez bien vu. Ça groove à la vie à la mort de la mortadelle et ce démon de Norman Watt-Roy drive le brouet à la brouette. Wilko se jette dans la mêlée avec une certaine aura, mais il ne pourra jamais rivaliser avec la version d’Alvin Lee qui se trouve sur le premier album de Ten Years After. Il claque «Casting My Spell» à la petite claquemure de Canvey et se fend d’un nouvel hommage de choix, cette fois avec le «Talking About You» de Chikkah Chuck. Il nous gratte ça à l’accord de Tele et il revient à Van Morrison avec «Ro Ro Rosie». Il fait du Van feelgoodien, c’est assez gonflé. Il chante ça d’une petite voix fine. C’est très spécial, très dépouillé et très bienvenu. Il reste dans le Van avec l’insubmersible «Brown Eyed Girl». Il met toute sa bravado dans l’exotica du Van. Il chante à la voix scintillante et sort une version étonnante. Cet album marque bien son territoire et nos trois amis s’entendent comme larrons en foire.

En 2007, Julien Temple contacte Wilko : il souhaite raconter l’histoire de Dr Feelgood. C’est cette histoire que raconte l’excellent Oil City Confidential. Julien Temple boucle avec ce film sa fameuse trilogie de la renaissance du rock anglais : Feelgood, Sex Pistols et Joe Strummer. Direction Canvey Island, cette île située dans l’estuaire de la Tamise. Pour donner une dimension biblique à son film, Temple démarre les pieds dans l’eau, avec des images de la grande inondation de Canvey Island datant des années cinquante. L’île est en dessous du niveau de la mer, alors forcément, quand une digue cède, la mer reprend ses droits. Comme Temple sait raconter une histoire, il commence par le B-A-BA de Feelgood : le son de Wilko. Pas de médiator ? - Je n’arrivais pas à la tenir, alors j’ai appris à jouer sans - Wilko redit sa vénération pour Mick Green qui jouait à la fois la rythmique et les solos - Pas facile de reproduire ses trucs, I tried, I tried, I tried, c’est comme ça que j’ai trouvé mon style - Et tout Feelgood repose là-dessus, l’originalité d’un style directement inspiré de celui de Mick Green. Pas mal pour un mec qui voulait d’abord devenir écrivain, puis peintre, au retour de son voyage aux Indes. Il faut l’entendre parler, son accent est merveilleusement décadent : pour dire ‘in those days’, il prononce ‘in thoze dailles’. Les autres Feelgood l’embauchent et le groupe commence à aller jouer à Londres. Ils portent encore les cheveux longs, jusqu’au moment où Wilko fatigué d’avoir les cheveux collés sur la figure les coupe. C’est là que va naître le look sharp, costards, cravates et hot r’n’b. Sparks et Figure ressemblent à des petits truands. Mais Temple tue son film avec une overdose d’extraits de vieux films d’action en noir et blanc qui n’amènent que des brusques accélérations de rythme. Une sorte de violence à la mormoille, avec des coups, des chocs et des cris. On aurait préféré voir plus de footage de Feelgood. Les choses prennent une tournure infernale avec «She Does It Right», les voilà en couve du NME, juste avant de signer leur contrat. C’est Andrew Lauder qui les signe sur United Artists et c’est parti, up a storm, premier album, photo de pochette à Canvey et tournée anglaise. Pas de problème, ils ont les chansons, ils enchaînent avec «Keep It Out Of Sight» et le deuxième album, jusqu’au moment où Wilko tombe en panne. Pas de nouvelles chansons ? Pas de problème les gars, on va faire un album live. Mais sur scène, on voit les limites du système Feelgood. Wilko fait trop de comédie, alors que Lee Brilleaux joue son rôle de chanteur à la perfection. Summer 76, Feelgood est devenu le plus grand groupe anglais. Wilko sniffe son speed dans son coin et les autres boivent comme des trous au bar. Et ça tourne en eau de boudin, Lee ne plus supporte plus Wilko, il voudrait bien l’étrangler. Au bout de six ans, le Feelgood System meurt de sa belle mort. No more songs. On entend même dire vers la fin du film que Wilko a deux femmes. C’est contraire aux règles du groupe.

En 2015, Julien Temple va tourner un autre film avec Wilko, The Ecstasy Of Wilko Johnson. C’est en gros l’histoire de la maladie, telle que racontée dans My Life - Don’t You Leave Me Here et de la résurrection. Mais ça ne fait pas double emploi, car Wilko raconte cette histoire avec une simplicité désarmante - My life coming to an end - On a le son de sa voix en plus. On lui annonce qu’il lui reste dix mois à vivre. Julien Temple entrelarde ce long monologue d’extraits de films, mais des extraits de luxe, cette fois, qui vont jusqu’au Nosferatu de Murnau. Wilko raconte un voyage au Japon et nous montre un monastère au-dessus de Kyoto. Il est au Japon for a couple of farewell gigs, et, comme au Havre, il termine son set avec «Bye Bye Johnny». Puis il fait un farewell tour of England avec Norman Watt-Ray dans une ambiance énorme - This could be the last one - Évidemment, les gens pleurent, comme au Japon. Wilko raconte ses insomnies - It’s 3 o’clock at night and you think of your body - Puis il met bien les pendules à l’heure - I absolutely do not believe in God. I don’t believe in survival after death. Death is oblivion - Et il passe directement à l’astronomie, sa passion - I’ve a dome on my roof - et il cite Venus, sa planète favorite. Sur la jetée, Wilko joue aux échecs avec les mort. Il évoque aussi Johnny Kidd - I was devoted to it - Il dit aussi avoir cessé de s’informer, ni journaux ni télé, I’ve got no future, so what’s the point ? Il évoque bien sûr la disparition de sa femme - The mystery of love is greater than the mystery of death - et pendant le dixième mois de son sursis, il enregistre son fameux album avec Roger Daltrey. Et pouf, voilà qu’en 2014 il apprend qu’il est opérable, et donc sauvable. C’est reparti. Albums et tournées !

En 2018 paraît un nouvel album du trio sauvé des eaux, Blow Your Mind. Wilko ne perd pas la main car dès le «Beauty» d’ouverture de bal, on sent venir l’énormité. C’est un retour direct au Feelgood Sound. Il joue avec son sens aigu de la cisaille et de la petite entourloupe. Ce mec est très puissant. Il a su créer un univers sonore reconnaissable entre mille - Your beauty doesn’t fade/ Your beauty shall remain - Il nous sort du sharp de rêve. On reste dans le pur jus de Feelgood avec «Take It Easy», un cut qui aurait très bien se trouver sur Down By The Jetty. C’est exactement le son de «Roxette», Wilko est gonflé de revenir avec le même riff, mais comme on l’aime bien, on ferma sa gueule. «Say Goodbye» sonne comme un vieux boogie, mais c’est beaucoup plus que ça : Wilko percute le beat du boogie. C’est son truc, avec Watt-Roy derrière en franc-tireur. Wilko envoie ses merveilleux accords de Tele exploser dans le beat. C’est très impressionnant, même lorsqu’on est habitué aux prodiges. Il faut aussi l’entendre claquer des accords dans tous les coins avec «Blow Your Mind». Ce mec est parfaitement à l’aise dans la vie après la mort. S’ensuit un «Marijuana» claqué d’entrée de jeu. Il ne réinvente pas le fil à couper le beurre, mais ça reste du bon Zyva Mouloud de feel so good. Pas de surprise non plus avec «Tell Me One More Thing». Difficile de se réinventer avec des cicatrices sur toute la poitrine. Norman Watt-Roy et un shuffle d’orgue ramènent de la viande, un gros paquet de viande. Wilko propose enduite un «That’s The Way I Love You» monté sur le beat de «Let’s Work Together». Et il en profite pour s’adonner à son péché mignon : la cisaille. Et comme le montre «I Love You The Way You Do», ces trois mecs savent enfiler le cul d’un cut de boogie. Il swinguent ça comme des vétérans de toutes les guerres. On les voit ensuite driver le butt d’«I Don’t Have To Give You The Blues» à la bonne franquette de Canvey. Plus que tous les autres, Wilko est habilité à swinguer le boogie d’Angleterre. Une fois encore, on sent le trio en pleine possession de ses moyens. Sur cet album, on ne s’ennuie pas un seul instant.

Voici peu, Wilko donnait une fort belle interview à Ian Fortman dans Classic Rock. D’emblée, Fortman se dit impressionné par Wilko - a personality defined by raw charisma and sheer likability - et le voit aussi alerte qu’un amphetamine meerkat, c’est-à-dire un suricate qu’on appelle aussi la sentinelle du désert. Il ajoute que Wilko est l’un de ceux dont on reconnaît immédiatement le son, et ils ne sont pas des masses à pouvoir se prévaloir d’un tel privilège. Wilko rappelle que les voyages lui ont ouvert les yeux : son premier trip aux Indes, mais aussi les tournées avec Feelgood. Il adore l’Espagne et affirme que les Espagnols savent faire la fête. Pour lui, une fiesta de procession serait impossible en Angleterre. Il dit aussi aimer le Japon et les Japonais à la folie. L’année où un médecin le jugea condamné où il fut confronté à la mort fut dit-il la plus intense de sa vie. Il se sentait la plupart du temps en état d’éveil avancé - Most of the time I was in a state of heightened conciousness - Il regardait autour de lui et trouvait tout très beau. C’est durant cette période qu’il s’est produit au Fuji Rock Festival devant des gens qui le savaient condamné. Pendant un an, il a vécu avec l’idée qu’il allait mourir. Il se disait : «N’espère pas un miracle. Just get on with it.» Puis arrive l’épisode de Charlie Chan et du Professeur Huguet qui dit pouvoir l’opérer et le sauver. Wilko sortit du rendez-vous et se mit à rigoler dans la rue - It was so stupid - Ce genre de chose n’arrivait jamais, même dans les contes de fées. Pour conclure, il confesse qu’il éclate en pleurs chaque fois qu’il pense à Irene, disparue depuis quinze ans.

Signé : Cazengler, Wilkon

Dr Feelgood. Down By The Jetty. United Artists Records 1975

Dr Feelgood. Malpractice. United Artists Records 1975

Dr Feelgood. Stupidity. United Artists Records 1976

Dr Feelgood. Sneaking Suspicion. United Artists Records 1977

Solid Senders. Solid Senders. Virgin 1978

Wilko Johnson. Ice On The Motorway. Fresh Records 1980

Wilko Johnson. Pull The Cover. Skydog International 1984

Wilko Johnson. Call It What You Want. Line Records 1987

Wilko Johnson. Barbed Wire Blues. Jungle Records 1988

Wilko Johnson. Don’t Let Your Daddy Know. Bedrock Records 1991

Wilko Johnson. Going Back Home. Mystic Records 2003

Wilko Johnson. Red Hot Rocking Blues. Red Hot Records 2005

Wilko Johnson & Roger Daltrey. Going Back Home. Chess 2014

Wilko Johnson. Blow Your Mind. Chess 2018

Ian Fortman : The gospel according to Wilko Johnson. Classic Rock # 254 - October 2018

Wilko Johnson. My Life. Don’t You Leave Me Here. Abacus 2017

Julien Temple. Oil City Confidential. DVD 2010

Julien Temple. The Ecstasy Of Wilko Johnson. DVD 2015

 

Dylan en dit long

- Part Four

Ce n’est pas parce qu’on les connaît par cœur qu’il faut se priver du plaisir de revoir les Dylan movies. On peut même jouer au petit jeu du big shot : neuf heures de visionnage ininterrompu, quatre Dylan movies à la queue leu-leu, No Direction Home, Don’t Look Back, I’m Not There et Masked And Anonymous, histoire de bien comprendre une chose une bonne fois pour toutes : Dylan est un artiste qui met son intelligence au service de ses fans, et non au service des médias qu’il méprise profondément. On finit aussi par comprendre que le lien qui nous unit à lui n’est pas un lien ordinaire. Il serait selon toute vraisemblance d’ordre spirituel.

Dit comme ça, c’est très con, mais on se surprend parfois à écouter attentivement ses paroles, de la même façon qu’on écoutait au temps jadis les paroles d’un sage. Les gens dit-on écoutaient attentivement les paroles de ce hippie qui sillonnait la Palestine, voici deux mille ans. Dylan suscite le même genre d’intérêt, on attend qu’il nous dise les choses qu’on a besoin d’entendre, que ce soit dans les paroles d’une chanson ou dans le court monologue qu’il déclame en voix off à la fin de Masked And Anonymous, lorsqu’il est assis au fond du bus qui l’emmène vers une taule - I was always a singer and maybe no more than that. Parfois ça ne suffit pas de comprendre le sens des choses. Sometimes we have to know what things don’t mean as well, c’est-à-dire qu’on a parfois besoin de savoir que les choses n’ont pas de signification. Mais vous ne devez pas ignorer que la personne que vous connaissez est capable d’amour. Tout finit par disparaître, surtout l’ordre bien établi of rules and laws. The way we look at the world is the way we really are. Truth and beauty are in the eyes of the owner, c’est-à-dire que la vérité et la beauté sont dans tes yeux. I stopped trying to figure things out a... long... time... ago - Il dit ça d’une voix si profonde qu’elle résonne en nous.

Après Alias (Pat Garrett & Billy The Kid), Jack Fate (Masked And Aonymous) est le deuxième grand rôle de Dylan. Mais le film de Larry Charles co-écrit par Dylan, est un peu confus, on ne peut pas trop parler d’intrigue. L’histoire se déroule dans un pays latino soumis à une dictature stalino-garcia-marquezienne. Larry Charles donne l’un des rôles principaux au gros John Goodman qui fait bien l’impresario véreux et l’autre à Jeff Bridges qui fait mal le journaliste foireux, deux acteurs qui, souviens-toi, firent les beaux jours du Big Leibowski. Tous les personnages sont en fait des personnages allégoriques et on reconnaît la patte de Dylan qui dans ses chansons en fait intervenir constamment : le rainman, le ragman, Shakespeare he’s in the alley, the joker and the thief, the two riders approaching, Cinderella, Einstein déguisé en Robin Hood, the Phantom of the Opera, Mr Jones, donc il n’est pas surprenant de voir se pointer Oscar Vogel (Ed Harris avec le visage peint en noir), Animal Wrangler (Val Krimer descendu de son nuage morissonien), Bubby Cupid en veste en peau de serpent, comme Brando, et qui ramène tiens comme c’est bizarre la guitare de Blind Lemon Jefferson - That’s one of the guitars that started it all - Tout se déroule en fait comme dans une chanson de Dylan, l’histoire n’a pas d’importance, ce sont les événements qui mènent le bal, un punch up ici, un dialogue au fond d’un bus là. Dylan écoute notamment un jeune mec qui raconte des histoires de révolution et de contre-révolution sans rien dire, jusqu’au moment où le bus est arrêté par des guérilleros sur une route de campagne et le jeune mec se fait descendre, une façon pour Dylan de nous dire qu’au fond tout ça ne sert à rien, les révolutions et les contre-révolutions. Elles ont toujours existé et elles existeront encore longtemps après que les poètes aient disparu, c’est dans la nature humaine de n’être pas content de son sort. Jack Fate le sait, mais à quoi bon l’expliquer ? Il faut voir la classe du Dylan vieillissant, à peine sorti d’un cachot, en chapeau western blanc, costard clair, étui à guitare et housse de costume sur l’épaule. Il monte dans le bus du wrong way sur fond de «Like A Rolling Stone». On l’a sorti d’un cachot car le gros Joe Goodman a besoin d’une tête d’affiche pour un concert de charité. Mais où sont les superstars ? Dylan se moque un peu du showbiz.

La plus grande partie du film est tournée dans un immense studio de cinéma. On y voit des caravanes qui servent de loges, une scène et une foule de gens. Ce sont évidemment les plans musicaux qui font la force de Masked. Elles sont en plus admirablement filmées. Pour «Cold Irons Bound», Dylan est cadré penché au micro, à l’avant du groupe, comme une figure de proue, il chante à l’éreintée et gratte une Strato, soutenu par un superbe backing-band, et là il redevient l’icône que l’on sait. Pareil avec «Down In The Flood», il porte une chemise western noire et gratte sa Strato pointée vers le sol. Il fait aussi de l’Americana avec «Diamond Joe» - You better come and get me Diamond Joe - le batteur fouette un carton, ça stand-uppe et ça banjotte, youpee ! Dylan monte encore d’un cran avec une incroyable version de «Dixie» - Away from Southern Dixie - Il chante ça au chat perché magique et il casse encore la baraque un peu plus loin avec «I’ll Remember You», l’un de ces balladifs extrêmement mélodiques dont il a le secret. Mais là où tout explose, c’est dans la scène de la petite black. Une femme ramène la gamine sur scène et explique qu’elle a appris toutes les chansons de Dylan par cœur. Quand Dylan lui demande pourquoi, la femme dit qu’elle le lui a demandé. Bon, la gamine chante «The Times They Are A Changing» a capella et Dylan dit en voix off : «The sacred is in the ordinary.»

Vu d’avion, on s’aperçoit que le film de Larry Charles est un peu à part des trois autres. Oui, car Todd Haynes emprunte à Scorsese qui lui-même emprunte à Pennebaker, les trois films s’alimentent les uns des autres. Ces trois ectoplasmes hybrides et gélatineux s’auto-dévorent. Il faut saluer le génie de Scorsese, l’audace de Pennebaker et surtout le courage de Todd Haynes, car franchement son I’m Not There fut assez difficile à avaler à l’époque de sa sortie. Trop arty ? Trop fictionnel ? Trop pas assez ? Trop trop ? Courageux l’Haynes, car il a opté non pas pour un seul acteur, mais cinq acteurs chargés d’interpréter le rôle de Dylan à différentes époques de sa saga. Comme dans Masked, Dylan porte chaque fois un nom différent. Il commence par s’appeler Woody Guthrie. Un petit black nommé Marcus Carl Franklin fait Woody, c’est-à-dire le Dylan échappé du pays des mines de fer que nous montre Scorsese, et comme l’Haynes opte pour la fiction, Woody est black, mais il parle un wild slang de hobo et saute dans des freight trains pour aller de Pittsburgh à Sioux Falls, et de Kansas City à Nashville, il trimballe sa guitare dans un étui ‘Kill Fascists’ et demande aux clodos du freight s’ils connaissent Carl Perkins. Il indique aussi qu’il a onze ans. L’Haynes crée une belle dynamique avec cette scène, idéale pour illustrer la genèse du mythe, celle d’un kid qui saute du nid pour partir à l’aventure. La symbolique est très forte. Elle préside au destin de Jack Fate. Et comme l’a fait Larry Charles dans Masked, l’Haynes nous sonne les cloches avec une première scène musicale, sans doute la meilleure du film : Woody, Richie Havens et un autre black grattent on the porch une version absolument démente de «Tombstone Blues», mais quand on a dit démente, on n’a rien dit. L’Haynes voulait toute l’énergie du wild kid et il l’a. Certains objecteront que le cut ne correspond pas à l’époque, mais si, car Dylan dira plus tard dans Chronicles qu’il a beaucoup emprunté à Robert Johnson et ce que font les trois blacks on the porch, c’est du pur Robert Johnson. Richie a une grande barbe grise, mais il faut le voir fracasser Dad’s in the alley/ He’s looking for food/ Mum’s in the kitchen/ Se ain’t no shoes - Woody black passe comme une lettre à poste. Les clodos le balancent dans une rivière et il est sauvé par Mr & Mrs Peacock. Ils doivent bien exister quelque part dans l’une des chansons. Woody black chante «Blowing In The Wind» dans le salon des Peacock. Jusque là, l’Haynes a tout bon. Woody black dit aux Peacock qu’il va aller à Hollywood - I’ll make it big/ Just like Elvis Presley - ça sonne comme une parole de chanson. Et bien sûr, Woody black débarque à New York et va rendre visite au vrai Woody dans l’hosto du New Jersey. Dans son film, Scorsese nous montre le vrai Woody sur son lit d’hôpital. Tout cela se tient merveilleusement. L’Haynes entrecroise les époques et les personnages, pour respecter l’esthétique dylanesque.

Christian Bale joue Jack Rollins, c’est-à-dire l’early Dylan de Greenwich Village, the troubadour of conscience. Alice Fabian fait Joan Baez. Elle indique que Jack arrête le protest en 1963, car il comprend alors qu’on ne peut pas changer le monde avec une chanson. L’Haynes emprunte la scène du Steve Allen show à Scorsese. Puis une autre scène, à Greenwood, Mississippi, où il chante devant un public de fermiers en salopettes. L’Haynes entrecoupe Jack Collins avec Arthur Rimbaud qui déclare ne pas aimer le mot poète - Call me a trapezist - Bon ça se complique avec Charlotte Gainsbourg qui n’est absolument pas crédible avec son anglais de Française. Fait-elle Suze ? Non plutôt Sara puisqu’ils ont des enfants. L’Haynes l’appelle Claire. Fond sonore : «Visions Of Johana». Et le Dylan de Sara est un acteur de cinéma joué par Health Ledger. Plans du Village, I Want You, petits seins de Charlotte. Ils achètent une moto. C’est elle qui conduit. C’est là où on perd un peu le fil. À trop vouloir triturer l’entrecuisse de la fiction, celle-ci perd la boule. L’Haynes mord le trait avec Jude Quinn, c’est-à-dire Cate Blanchett qui fait le Dylan 65 et qui n’est pas crédible, malgré ses efforts désespérés pour paraître mythique. Elle mise tout dans la coiffure. Newport Festival 65, Dylan goes electric, «Maggie’s Farm», booooo ! La voix de Cate Quinn n’est pas juste et l’Haynes nous fait une illustration visuelle du «Ballad Of A Thin Man» - Something’s happening in there but/ You don’t know what it is/ Do you Mr Jones ? - Cate porte le costume pied de poule de l’Albert Hall, Stars & stripes en déco de fond de scène. L’Haynes nous fait le coup de la druggy scene dans un décor d’Orange Mécanique, mais adieu crédibilité, Cate se came et ça ne passe pas car Dylan n’est par un drug wreck. On le voit aussi avec Ginsberg demander au Christ de descendre de sa croix - Boy tu vas te faire mal ! - Une femme fout le feu à ses cheveux dans la rue, comme dans un film de Kusturica - I accept chaos. I’m not sure wether it accepts me - L’Haynes tape en plein le mille et il brouille encore les pistes avec un Billy The Kid qui ne sort pas de chez Pekinpah, mais d’un délire de reconstitution baroque. Cette fois, Richard Gere endosse l’affaire. Mister B n’est pas Mister Jones. Mister B descend au village d’Halloween. Une girafe passe dans la rue. Les musiciens of the British Empire jouent dans un kiosque, ça se désinterprète à l’infini, comme dans une chanson de Dylan, Going To Acapulco, the smell of fear, waiting for the end of the world. Et puis lorsque Dylan devient chrétien, Christian Bale fait son retour pour un joli numéro de gospel bleu sur scène - I keep pressing on - Il est accompagné d’un groupe et de choristes noires, et ça passe comme une lettre à la poste. Pendant ce temps, Billy the Kid s’évade de sa taule et saute dans le freight train de Woody black. C’est là que l’Haynes situe l’accident de moto dans les bois. Puis Cate radine sa fraise pour mettre les points sur les i. Everybody knows I’m not a folk singer. Elle préfère qu’on parle de traditional music.

Scorsese opte pour la chronologie pure et dure et prend un peu plus de trois heures pour nous éclairer sur le Dylan qui s’étend de l’enfance jusqu’à l’accident de moto en 1966. Le génie de Scorsese consiste à filmer Dylan en plan serré de trois-quart plongeant et de le laisser parler. Comme dans Chronicles, il raconte ses souvenirs, ses rencontres et livre ici et là quelques traits d’esprit. Pour illustrer l’interview, Scorsese intercale de fabuleux plans d’archives. Dylan évoque son premier 78 tours et hop Hank Williams apparaît en noir et blanc ! Il chantonne «Cold Cold Heart» et on prend alors un sacré shoot d’Americana. Ça change la vie quand on démarre avec Hank Williams. Puis Dylan les évoque tous un par un, Johnny Ray qui faisait du voodoo et l’incroyable Webb Pierce avec sa gueule de gros bonbon dans son costume Nudie, une sorte de préfiguration kitschy kitschy de Gram Parsons. Dylan sort ensuite Muddy Waters de ses souvenirs et indique que c’est le son et non les gens qui l’ont frappé - That’s the sound that hit me - Gene Vincent, bien sûr, extrait d’un concert au Town Hall, mais le monde d’alors nous dit Bob était terriblement conventionnel. Il pense que c’est le temps et le progrès qui ont balayé le monde où il a grandi, le monde de Duluth et des mines de fer du Minnesota dont il fallait s’échapper sous peine d’anéantissement. D’autres portraits magiques suivent, l’incroyable John Jacob Niles qui gratte une espèce de grande harpe en chantant comme une nymphette évaporée et la violente Odetta qui gratte sa gratte en portant sur ses épaules de destin du pauvre peuple noir. Tout cela est d’une incroyable cohérence. Dylan révèle ses racines et tout s’éclaire. Tu as une bonne mémoire, Bob ! Oui, j’apprenais les chansons en les écoutant une fois. Il se marre et ajoute : ou deux fois.

Tiens voilà Woody. Mais il n’est pas black. Ah bon ? - Woody, a particular sound - Puis hommage à Joan Baez - She reached some place in the back of my mind - Si ça n’est pas l’hommage d’un homme génial à une femme géniale, alors qu’est-ce que c’est ? On est donc à Greenwich Village, le même Village que celui de l’Haynes, terre de liberté absolue, Dave Van Ronk qui chantait «House Of The Rising Sun» avant Dylan, Maria Muldaur, Fred Neil, Tiny Tim et Suze Rotolo qui est restée tellement belle, Scorsese la filme et lui rend grâce. D’autres encore, toujours vivants comme Liam Clamsy des Clamsy Brothers, quatre Irlandais qui chantaient du folk highly highloo à pleine gueule et qui portaient des gros shetland torsadés blancs. Ce ne sont que des personnages de légende, Scorsese fait de son film un vrai conte de fées. Liam Clamsy dit à Bob : «No fear, no envy, no meanness», ce qui veut dire en gros, pas de peur, pas de convoitise, pas de malveillance, à quoi Bob répond : «Right !». Ah ça te plaît Bob, ces trucs-là ! Il va même s’y conformer. Comme il se conforme aux conseils de sa grand-mère (ce n’est pas le but du voyage qui compte, mais le chemin à parcourir). Puis il parle du regard, mais il en parle à sa façon, avec une sorte de mystère translucide : «Les performers ont dans le regard un truc que les autres n’ont pas. I wanted to be that kind of performer.» Il dit aussi chercher the language that I had not heard before. Et puis voilà Pete Seeger, l’homme qui voulait trancher les câbles au festival de Newport, parce que Dylan et ses amis de Chicago jouaient trop fort. Ah la légende, elle ne te fait pas de cadeau, Bob ! Bob et Suze qui marchent dans la neige du Village, Mavis qui ne dévoile pas le secret de sa liaison avec Bob, Don’t Think Twice It’s Alright, et puis voilà Ferlinghetti car pas de Village sans Ferlinpinpin, et les voilà qui déboulent à Greenwood, Mississippi, dans le film de l’Haynes, Bob et Pete Seeger the communist. On peut dire que les archives ont bien reconstitué le film de l’Haynes : ce sont exactement les mêmes paysans en salopettes. Mais Bob s’arrête là, Joan Baez continue toute seule à mener le combat des civil rights. Elle va aux manifs. On lui demande si Bob viendra. Ben non. Bob est ailleurs - He was Charlie Chaplin, Dylan Thomas, Woody Guthrie, he was constantly moving.

Trois grandes étapes : Newport Folk Festival 63, Newport Folk Festival 64 et Newport Folk Festival 65. C’est là que se joue le destin du monde qui nous intéresse. Dans le 63, il y a Cash, mais surtout the mighty Wolf devant 15 000 personnes, les Staple Singers et le duo Bob/Joan Baez qui chante à l’unisson du saucisson with God on our side. Bouleversant ! C’est là qu’on le traite de Voice of our generation. Dans le 64, il chante «Mr Tambourine Man» et dit : «Cash was a religious person to me». Joan est toujours dans les parages. Tambourine Man ne plaît pas au puristes. Dylan plus commercial ? Il donne sa version de l’équilibre : ne jamais oublier qu’on est en constante évolution. Dans le 65, il attaque avec «Maggie’s Farm», Pete Seeger attrape une hache et veut trancher les câbles, mais l’Haynes fait intervenir deux mecs qui lui sautent dessus pour le maîtriser. Dans le public, des gens gueulent. Hooo ! Traitor ! En anglais, un traitor n’est pas un traiteur. Scorsese filme Seeger qui se dit très contrarié. «Like A Rolling Stone» sonne comme une insulte aux oreilles des folkeux. Dylan et ses copains de Chicago font trois chansons et quittent la scène. Mais il accepte de revenir avec une acou pour chanter une chanson.

Le Newport 65 marque donc une rupture. Politiquement, Bob marque sa différence - I was an outsider - Il ne veut pas rentrer dans les combines des partis de gauche américains. Puis Scorsese emprunte des plans à Pennebaker pour illustrer la zone London 65. La caméra suit Bob partout et à la fin, il n’y fait plus attention. Ginsberg, Donovan, Joan est toujours là, elle trouve que Bob change - It was awful - et crack, elle sort sa gratte pour chanter devant Scorsese «Love Is Just A Four-Letter Word». Elle joue ça au picking d’Americana et diable comme cette femme est restée belle.

Scorsese entre alors dans la zone magique, studio Columbia, Tom Wilson, Bloomy, «Like A Rolling Stone», Al Kooper raconte ses souvenirs - Bob said turn the organ up - Ah il est fier le Kooper ! Il n’était pas censé jouer de l’orgue mais Bob en pinçait pour son son d’orgue. Tiens, Bob a le même petit menton que Phil Spector ! Quoi ? 50 couplets dans «Like A Rolling Stone» ? Il existe en effet une version longue. Malgré la magie du son et des chansons, le public de Forest Hill hue Bob qui se marre : «Les gens chantaient en chœur ‘Like A Rolling Stone’ et aussitôt après la fin de la chanson, ils se remettaient à huer.» Scorsese emprunte une autre conférence de presse à Pennebaker. C’est hilarant - Ce métier est surreal, alors je fais des chansons surreal - Dylan doit affronter à Londres comme à Paris l’immense bêtise des journalistes. Puis à un moment, il dit stop à l’impresario Grossman. Il a en ras le cul des tournées et des conférences de presse à répétition. Je veux rentrer chez moi ! Motorcycle crash. Il ne repartira en tournée nous dit Scorsese que huit ans plus tard.

On aurait dû commencer par Pennebaker car comme le disent si bien les Anglais, he started it all. C’est le pionnier du Dylan movie. C’est dans ce film cultissime que Mick Farren a trouvé le titre de son livre : à l’arrière d’un taxi, Dylan dit à Grossman : «Give The anarchist a cigarette!». Parole d’évangile, Farren d’Angleterre fait allégeance. Don’t Look Back raconte la tournée anglaise de 1965. Tournée d’acou et d’harmo, Dylan seul sur scène en veste de cuir noir. Greenwich Village débarque au Royaume Uni. Un Dylan mille fois plus rock’n’roll que n’importe rocker anglais. Il a tout : la gueule, le gratté de jambes écartées et le power du contenu. Dylan l’anti-baltringue, Dylan le messie, mais si, comme dirait Eve Sweet Punk Adrien. Sur cette tournée, le comité restreint d’Albert Grossman, Joan Baez, et Bob Neuwirth accompagne Dylan. Il répond comme il peut aux questions pénibles des journalistes anglais qui visiblement ne comprennent rien à rien, car ils n’ont pas la moindre notion de métaphysique. Dylan attache une importance considérable au sens des mots et il ne veut pas parler pour ne rien dire, mais bon, le monde devient pop en 1965. Le seul entretien intéressant aura lieu avec un journaliste métis de BBC Afrique : il annonce quatre questions qui semblent intéresser Dylan, du moins le voit-on sur son visage - Comment avez-vous démarré, Bob ? - Et pouf, Pennebacker balance l’extrait filmé du concert de Greenwood, Mississippi, devant les fermiers en salopettes. Ce merveilleux documentaliste qu’est Pennebaker a choisi le mode road movie pour cristalliser la fascination qu’exerce Dylan sur lui, un road movie en noir et blanc séquencé par trois catégories de plans : ceux des chambres d’hôtel, les extraits de concerts et les rencontres avec les fans. C’est extrêmement bien foutu, jamais complaisant, Dylan est toujours au centre de l’image. On le voit plusieurs fois prendre «The Times They Are A Changing» au gratté dylanex et paf, il passe ses coups d’harmo qui sont des moments extraordinaires. Dylan y sacralise l’expression d’un art purement américain et donne, mieux que ne le fera jamais une guitare, l’idée de l’espace américain, ou pour rester plus prosaïque, l’idée d’une tradition musicale purement américaine. L’homme se révèle messianique, ça crève les yeux, surtout quand il chante ce chef-d’œuvre de sensibilité mélodique qu’est «The Lonesome Death Of Hattie Carrol». On se régale aussi des plans filmés dans les chambres d’hôtels. On y voit Joan Baez chanter un «Turn Turn Turn» qui n’est pas celui des Byrds pendant que Dylan tape un texte à la machine. C’est encore un point commun avec Eve Sweet Punk Adrien, taper à la machine. Les deux messies, mais si, tapent à la machine. Dans l’un des hôtels, Dylan encontre Alan Price qui confirme qu’effectivement il n’est plus dans les Animals. C’est comme ça, dit-il laconiquement. Dylan rencontre aussi Donovan qui chante au doux du folk anglais, en s’accompagnant à l’acou. Impressionnant, bien sûr. Beau lui aussi, bien sûr. Pour rétablir sa suprématie, Dylan lui demande la guitare pour attaquer au strumming pesant «It’s All Over Now Baby Blue». On pourrait intituler cette scène ‘le choc des titans’. Dylan remonte sur scène pour chanter «Don’t Think Twice It’s Alright». Pure magie. L’autre séquence emblématique du film est le «Subterranean Homesick Blues» d’intro, lorsque Dylan jette un à un les grands formats où sont dessinés certains mots clés de son texte. Allen Ginsberg se tient en arrière plan, comme une sorte de caution intellectuelle. Il existe une autre version de ce Subterranean filmée devant un parc. Les plus fortunés d’entre nous auront certainement rapatrié la box deluxe qui propose un deuxième DVD : Dylan 65 Revisited. Ce sont les outtakes de Don’t Look Back, on n’y apprend rien de plus, on voit un peu plus les villes, Sheffield, Liverpool, Leicester, Manchester, le Royal Albert Hall et surtout Nico qui pour une raison x ne figure pas - ou à peine - dans Don’t Look Back.

Mais le meilleur film sur l’early Dylan est sans doute Inside Llewyn Davis des frères Coen, un Llewyn Davis qu’interprète le brillant Oscar Isaac. Bizarrement, il ressemble à Scorsese jeune, tel qu’on le voit à l’arrière du taxi de Travis Bickle dans Taxi Driver. Sans doute un clin d’œil. Les frères Coen on recréé l’ambiance du Gaslight de Greenwich Village et les prestations de Dave Van Ronk, l’une des grandes idoles de Dylan. On voit même sur scène les Clamsy Brothers avec leurs gros shetland torsadés blancs. Vers la fin du film, on voit Dylan sans le voir, assis sur scène face au public, en plein Freewheelin’. Ce film est un petit chef-d’œuvre d’honnêteté intellectuelle et de justesse de ton. Les frères Coen veillent surtout à reconstituer la grande précarité qui caractérisait le quotidien de ces chanteurs de folk débarqués à New York, dont Dylan faisait partie : pas de pied-à-terre, on dort à droite et à gauche, on vit d’expédients et on chante des chansons extraordinaires qui comme le dit Dylan dans Chronicles racontent toutes des histoires extraordinaires. Les frères Coen ont aussi l’intelligence de ne pas couper les chansons. Oscar Isaac chante «Hang Me, Oh Hang Me» et entier. L’autre scène clé du film est l’enregistrement en studio de «Please Mr. Kennedy», avec Oscar Isaac, Justin Timberlake et Adam Driver. Live, one take ! Oscar Isaac est un chanteur guitariste extraordinairement doué, il joue en live, comme le rappelle T-Bone Burnett dans les bonus du film. Si on s’intéresse à Dylan, il faut impérativement voir Inside Llewyn Davis.

Signé : Cazengler, Bob Divan

D.A. Pennebaker. Don’t Look Back. 1986

Martin Scorsese. No Direction Home. 2005

Todd Haynes. I’m Not There. 2007

Larry Charles. Masked And Anonymous. 2003

Joel & Ethan Coen. Inside Llewyn Davis. 2014

 

L’avenir du rock - En travers la gorge

 

Chaque jour à la même heure, l’avenir du rock promène son chien. Alors qu’il se dirige d’un pas nonchalant vers le fleuve, un homme l’interpelle :

— Excusez-moi, monsieur, ne seriez-vous pas l’avenir du rock ?

— Parfaitement. Mais à qui ai-je l’honneur ?

— Oh, je suis l’avenir de l’humanité. Enchanté de faire votre connaissance.

— Pareillement. Je dispose d’un petit quart d’heure, voulez-vous m’accompagner ?

— Avec plaisir, d’autant que je souhaiterais connaître votre sentiment...

— À quel propos ?

— Eh bien, à propos de l’humanité. J’admire votre optimisme... Pourquoi n’êtes-vous pas contagieux ?

— Posez donc la question aux épidémiologistes ! On n’entend plus qu’eux depuis un an ou deux, cette épouvantable bande de charognards sera ravie de vous apporter des réponses. Mais si j’étais à votre place, j’éviterais de perdre mon temps à m’interroger sur l’humanité...

— Soyez plus clair !

— Mais enfin, vous êtes bouché ou quoi ?

— Si vous continuez à me parler sur ce ton, je vais vous en coller une, vous allez voir !

— Chez moi, on appelle un chat un chat, que ça plaise ou non. Vous voulez vraiment que je vous dise le fond de ma pensée ? L’humanité ? Aucun espoir. Voilà c’est dit ! L’avenir de l’humanité, ah ah ah ! Regardez-vous !

Excédé, l’avenir de l’humanité frappe l’avenir du rock qui s’écroule sur le dos. Le chien se barre avec sa laisse.

— La prochaine fois, vous éviterez de m’insulter !

Et l’homme disparaît comme il était apparu. L’avenir du rock se relève et appelle son chien. Rien. Il rentre chez lui sans chien avec le pif en sang.

— Bon la journée commence bien ! C’est le moment ou jamais d’écouter les Cutthroat Brothers !

 

En gros, la chemise de l’avenir du rock est dans le même état que les blouses des deux Cutthroat Brothers, tels qu’on les voit sur la pochette de leur premier album. C’est vrai qu’avec ces deux mecs-là, l’avenir de l’humanité est mal barré. Par contre, l’avenir du rock n’a jamais été en de si bonnes mains. Ce premier album sans titre paru en 2019 est une véritable bombe atomique, une de plus. On doit la découverte de ce duo dégueulasse à Gildas qui lors des ultimes sessions du Dig It! Radio Show en distillait la substantifique moelle, ah il fallait entendre ce son couler comme un filet de bave vénéneuse. Ces atroces Brothers sonnaient comme une révélation, ils donnaient du relief à ces sessions pourtant bien fournies.

Le premier album des Cutthroat Brothers n’a pas de titre et date de 2019. Ils ont l’air de sortir un film gore, avec du sang plein leurs blouses de chirurgiens et leurs bras couverts de tatouages. Le hit de l’album s’appelle «Potions & Powders». Donny Paycheck sait swinguer un heavy beat, et son mid-tempo est hanté par le bottleneck de Jason Cutthroat. Le «Kill 4 U» d’ouverture de bal d’A est assez déstabilisant, car riffé dans le lard fumant. Assez imparable. S’ensuit un «Skeletton Rides» têtu comme une bourrique. Ils travaillent leurs cuts dans la matière du son, c’est très spécial, infernal et fin à la fois. On finit par se faire avoir et par crier au loup. Ils ont ce sens du beat rebondi extraordinaire. On les voit camper sur leurs positions en B, avec «Psychic Chemist», du tout droit gratté au bottleneck, ils savent pousser un beat dans les retranchements du far out so far out.

Leur deuxième album s’appelle Taste For Evil et date de la même année. Il est important de savoir que le batteur Donald Hales (aka Donny Paycheck) est l’ancien batteur de Zeke, un nom qui parlera aux amateur d’extrême gaga-punk, celui qui adore foncer tout droit dans le mur. Quant à son frère Jason Cutthroat, il sort tout droit d’un film de George A Romero, et ce n’est pas peu dire. Rien qu’avec le morceau titre d’ouverture de bal d’A, la messe (noire) est dite. Aw, voilà le rock de tes rêves inavouables, ces deux mecs te ravalent la façade, ça joue puissant et par en-dessous, ils se glissent dans ta culotte mon gars et tu vas danser un drôle de jerk. Power & genius, voilà leurs deux mamelles. On dira la même chose du «Shake Move Howl Kill» qui suit, car c’est gratté dans le gras du bide, pas de pitié pour les canards boiteux, ils jouent aux riffs délétères, ces mecs te pillent la ville. Donald Hales retrouve ses marques avec l’effarant «Candy Cane» embarqué au punk’s not dead. Il riffent «Get Haunted» dans l’acier du coffre. On rêve d’écouter chaque jour des albums de ce calibre. Donald Hales amène «Out Of Control» au big drumbeat, ils remontent leur courant comme des Oasis ensanglantés, ils plongent leurs mains collantes dans les entrailles du big heavy rock, c’est assez intenable et leur délire finirait presque par friser le glam. Ils claquent leur «Black Candle» au hey hey hey, ils trempent cette fois dans le heavy boogie down, ils sonnent comme une hémorragie, ces dingues du rebondi créent leur monde. Il survolent ensuite notre pauvre monde avec «Medicine», une sorte d’extase ultraïque dévastatoire qui n’en finit plus de nous rappeler qu’il faut suivre ces deux mecs à la trace, car leur sens aigu du raw est le nouveau modèle du genre.

Et pouf vient de paraître leur troisième album, The King Is Dead. Pochette signée Raymond Pettibon. Ça rappellera des bons souvenirs. Cette fois, ils ont appelé Mike Watt en renfort pour rejouer tous les cuts de l’album précédent. Mais avec Mile Watt, ça sonne différemment. Le «Killing Time» d’ouverture de bal d’A est forcément stoogy avec Mike Watt dans les parages et son heavy bassmatic. Du coup Donny Paycheck bat le beurre comme Scott Asheton. Ils ont aussi des petits élans rockab comme le montre «Medicine» ou encore le «Black Candle» qui referme la marche de la B. Solid as hell et cool as fuck, ces mecs ont du son à revendre et une fantastique présence. Jason Cutthroat chante le morceau titre à la voix de psychopathe dégoulinant de stupre, ça joue sous un sacré boisseau, avec un son spongieux, profond et mal famé. «Out Of Control» sonne comme un hit inter-galactique, ah comme c’est bien rebondi, merci Jack Endino pour ce son de bass & beurre, c’est chanté avec retenue, comme feutré. Ces trois mecs cumulent les avantages : ils sont excitants, géniaux, épais et fiers à la fois. On entend rarement un son de batterie aussi touffu. Le «Get Haunted» qui ouvre le bal de la B paraît bien bas du front, têtu comme une bourrique, buté et obtus, comme joué par des dieux barbares, c’est le son des tribus antiques avec des éclairs soniques en forme de lames tranchantes.

Signé : Cazengler, frotte-cul brother

Cutthroat Brothers. Cutthroat Brothers. Lonestar Records 2019

Cutthroat Brothers. Taste For Evil. Hound Gawd! Records 2019

Cutthroat Brothers & Mike Watt. The King Is Dead. Hound Gawd! Records 2021

 

Inside the goldmine - Hall or nothing

 

Originaire de Pau, Alvaro Pétoniac s’était promu aventurier. Et la dernière région du monde qui permettait d’exercer ce métier était bien sûr la forêt amazonienne. Il fallait se défier des apparences car il n’avait rien d’une caricature. Il alla dans les faubourgs de Saint-Laurent retrouver des piroguiers qu’il connaissait. Il fallait négocier un prix. Il nous rejoignit une heure plus tard pour annoncer que le départ aurait lieu le lendemain, au lever du soleil. À notre grande surprise, les piroguiers étaient des blacks à peine sortis de l’adolescence.

— Ce sont des Saramacas, nous dit Alvaro, des descendants d’esclaves marrons. Leur village se trouve en amont sur le fleuve. On y prendra du couac.

Nous nous installâmes à bord de la pirogue. Nous n’emmenions que le strict minimum, c’est-à-dire un change, des barres vitaminées, du tabac, un petit lecteur de CD à piles, un seul CD et des médicaments qu’on entassait dans une touque, petit tonnelet en plastique dont le couvercle se visse hermétiquement. Il était fréquent de voir les pirogues chavirer dans les rapides, aussi était-ce le seul moyen de conserver les affaires au sec. Les piroguiers étaient au nombre de trois. Théo le ‘chef’ se tenait à l’arrière à la barre du moteur, et les deux autres à l’avant pour prévenir du danger des rochers. Nous remontâmes le fleuve pendant deux jours et bivouaquâmes la première nuit sur la rive côté français. Alvaro nous expliqua que de l’autre côté, le Surinam était en guerre civile. La deuxième nuit, nous accostâmes du même côté. Les trois piroguiers partirent à la chasse et revinrent avec un toucan abattu d’un coup de fusil à air comprimé. Ils le firent cuire dans une espèce de soupe très claire mélangée à du rhum et bien sûr, nous n’y touchâmes pas. Lorsque la nuit fut d’encre, la forêt sembla se mettre à vivre. Soudain nous vîmes apparaître un étrange personnage. Black, petit, chétif, difforme, il rappelait par certains côtés l’empereur d’Éthiopie, Haïlé Sélassié. Nous n’avions pas entendu arriver sa pirogue. Derrière lui se tenait un Indien de deux mètres au torse ceinturé de cartouchières et brandissant l’un de ces fusils mitrailleurs qu’on ne voit généralement que dans les films de type Rambo. L’Indien était le sosie de Chef Bromden, tout droit sorti du Vol Au Dessus d’Un Nid de Coucous. Alvaro nous murmura qu’il s’agissait de guérillos indépendantistes et nous ordonna de fermer nos gueules. Haïlé Sélassié approcha du feu et avec un grand sourire édenté, il déclara en broken English : «Give me youl money, youl cigalettes, youl passpolts and also ze woman.» Alvaro tenta de négocier, mais il n’y avait rien à faire, Chef Bromden venait d’armer sa culasse. Nous ouvrîmes les deux touques pour en sortir l’argent et les cigarettes. Nous lui donnâmes aussi le lecteur et le CD. À la vue du CD, son visage s’illumina. Calhol ! Calhol ! Yo, my gawdah ! Il nous serra à tous main et ne repartit qu’avec l’argent et les cigarettes.

 

Le cas Carl Hall est un mystère. Comment se fait-il qu’un Soul Brother de cet acabit soit tombé dans l’oubli ? D’autant que Jerry Ragovoy l’avait pris sous son aile pour produire les merveilles rassemblées sur l’indispensable You Don’t Know Nothing About Love - The Lomax/Atlantic Recordings 1967-1972. Pourquoi indispensable ? Tout simplement parce qu’il s’y niche pas moins de dix coups de génie, et c’est vraiment le moins qu’on puisse dire. Les preuves ? Les voilà : dès le morceau titre d’ouverture de bal, on entend screamer un Soul screameur extraordinaire. C’est un fou de la glotte libérée, il hurle bien au-delà du grand doom de sexe. Voilà un screamer puissant et érotique, un rut-man exceptionnel. C’est un génie de l’intensité. Il hurle comme un goret de Camaret - You don’t know nothiiiing - Il revient par miracle à la raison pour dire don’t try. C’est un coup à faire exploser toutes les braguettes. Il s’en va hurler au sommet du slowah et ça te vibre les oreilles. Bill Dahl parle d’un stratospheric four-octave vocal range. Du jamais vu. Dahl soupçonne même que l’intensité de sa voix était a little too over the top.

Ça continue avec «Mean It Baby», même registre, génie de l’implacabilité des choses, il monte aussitôt à l’assaut - Hey girl you’re making your mind - Pure Soul de rêve ultra chantée, ultra classique et salement bien foutue. Comme ce mec peut être bon, ça va bien au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Bombance. Carl Hall est une bête de Gévaudan, il explose les viscères des annales de la Soul. Tu veux du scream à la vanille ? Alors écoute «Just Like I Told You» et tu auras ta dose - Remember what I said - Et on retombe inexorablement dans le génie avec «He’ll Never Leave You». Il part en hurlette carabinée, il fait de la Soul hurlée à bon escient et ça gicle. Ce mec ne lâche rien, il consume toutes les couches de la stratosphère une par une, il va bien plus loin que Wilson Pickett, il transcende le screaming («It Was You (That I Needed)»), il incarne l’énergie de Dieu sur la terre. Il sait aussi faire la Soul de plume dans le cul («The Dam Busted») et danser comme le dieu Pan tout en hurlant à la revoyure. Il bat même Little Richard à la course («I Don’t Wanna Be (Your Used To Be)»), eh oui, il faut se faire à l’idée que Carl claque tout pour de vrai. Il est bel et bien le stratospheric four octave phenomenon. Et quand on écoute «Dance Dance Dance», on ne comprend pas qu’un géant comme Carl soit resté dans les catacombes de l’underground de la Soul. Tiens, encore un cut complètement explosé de hurlette démentoïde : «Sometimes I Do». One two, one two three, piano, bass, Carl ramène sa fraise et c’est atrocement bon, dansant et hurlé à la sauvageonne d’entente cordiale, il se paye même un petit coup de vrille d’oh yeah de carabinette fustigée et il screame tout ça à tue-tête. Il dégage Little Richard en touche et fait de l’ombre à Wilson Pickett. Et le voilà qui tape dans «The Long And Winding Road», il part jusqu’à l’horizon du vieux monde. C’est parce qu’il tape dans la démesure du scream que ça prend tellement de sens. Derrière, les filles font chauffer la marmite. Ah comme ce démon chante bien ! A long time ago et il s’arrache la glotte au sang tellement il pulse le beat turgescent de la mélodie, ça palpite au firmament et Carl fait régner dans cette cover cousue de fil blanc un violent parfum de magie. Il fait exactement le même genre de boulot qu’Aaron Neville. Il est certainement le secret le mieux gardé d’Amérique, un buried treasure enterré vivant. Tout le monde n’est pas aussi doué que the Bride de Kill Bill, celle qui contre toute attente a réussi à ressortir d’une cercueil enterré à dix mètres sous terre. Et comme dirait Dickinson, I’m not gone ! Carl passe à la postérité avec un hit de Soul pop intitulé «It’s Been Such A Long Way Home», mais il faut bien dire qu’avec un chanteur comme lui, ça prend des proportions homériques. Il transforme une modeste chanson en abomination concomitante, c’est même concomité aux mites, dévoré de l’intérieur, cette Soul pue le ponton des esprits de Seltz, le langage rue dans les brancards, il se veut pégasien, il s’arrache de la pampa de Léo, il cherche à gagner le cercle d’Aurore, oui, elle, la boréale, l’art d’Hall impose son règne dans les cervelles et curieusement, un mec coupe les cuts en disant okay, ce qui les rend inexploitables. Carl Hall reste victime d’on ne sait quoi. Trop brillant, sans doute. Puis il profite de «Time Is On My Side» pour ridiculiser le pauvre Jagger. Voilà comment se chante ce vieux Time. Si Jagger avait entendu cette version, il est évident qu’il n’aurait jamais osé taper dedans. Carl sonne exactement comme Aretha lorsqu’elle lâche la rampe, c’est le même genre de génie à la puissance dix, ou la puissance qu’on veut, à toi de choisir l’exposant, car Carl vrille l’Aretha, c’est dire si son stratospheric four-octave vocal range va loin. Incroyable témoignage que ce disque et un mec fait okay pour bien sabrer le cut. Carl tape encore dans les classiques avec «Need Somebody To Love». Il l’explose. C’est du psych-Soul d’exaction parabolique, il hurle dans le giron des girouettes, voilà encore un cut extraordinairement orchestré et rongé par une basse dévorante. Quel démon ! Ça se termine avec un «Change With The Seasons» de pure perfection et on entre dans un nouveau planétarium d’extension universelle, le son s’ouvre comme la Mer Rouge devant Moïse, ou comme un crâne sous la hache d’un barbare viking. Carl nous vrille à la fois sa Soul et les esprits, il va plus loin que tu ne l’imagines, et il te salue bien.

Signé : Cazengler, Hall de gare

Carl Hall. You Don’t Know Nothing About Love: The Loma/Atlantic Recordings 1967-1972. Omnivore Recordings 2015

 

JIMI FREEDOM

MARLOW RIDER

( Clip YT / Octobre 2021 )

Waow ! Quelle est cette panthère noire qui s'avance royale dans la jungle urbaine montreuilloise, first french city rock, méfiez-vous, méfillez-vous, cette indolence hautaine cache quelque chose de pas très rose, cette coiffure aux mèches inflammables rouge sang, ne serait-ce pas une prêtresse vaudou, à la regarder vous en oubliez ces morsures de guitare qui rythment sa marche, elle entre dans un bar et tout le monde reconnaît La Comedia divine grotte trockglodyte chère aux amateurs de rock'n'roll, bloquez l'image quelques secondes pour admirer son profil d'impératrice romaine, réenclenchez, vous découvrez ce qu'elle regarde, Tony Marlow et sa guitare, n'essuyez pas vos lunettes, cette vapeur mauve insidieuse qui baigne l'image n'est pas de la buée sur vos verres colorés, elle est la marque purple déposée voici plus d'un demi-siècle par Jimi Hendrix, Tony interprète un des morceaux de First Ride, premier album de Marlow Rider, glisse la caméra, Fred Kolinski trône derrière la batterie tel un juge des enfers, il ne joue pas, à chacun de ses mouvements, il donne l'impression d'émettre un jugement définitif sur toutes les actions de votre vie passée, à la contrebasse Amine Leroy tape cent coups férir, il est la vie, il est l'énergie, ne vous laissez pas emporter par la voix ample de Tony, tenez à l'œil l'égérie fatale au profil d'aspic, ses doigts laissent tomber une étrange poudre blanche dans trois verres posés sur le comptoir, et maintenant elle s'approche de la scène, tentatrice, nos trois hommes n'osent refuser, elle a enlevé ses lunettes noires, et ses yeux verts de vipère maléfiques les ont ensorcelés, ils trempent leurs lèvres dans ces flûtes emplies d'un liquide, bleu, rose et jaune, et brusquement tout change, Marlow n'a plus une guitare mais trois, Kolinski possède trois têtes tout aussi inquiétantes et impassibles, même vos oreilles sont obligées de croire vos yeux, ce ne sont plus des notes qui sortent de la guitare de Tony mais des coups de poignards acérés qui vous transpercent les synapses, la sorcière effectue quelques passes maléfiques, la musique grince à la manière de ces vis qui crissent sous le tournevis qui les emprisonne dans la gangue de bois des cercueils qui vont emporter votre raison, les doigts bougent et la réalité se distend et se distord, les images deviennent chaotiques, le son s'étire en miaulement de chat de gouttière en quête de femelle consentante qui fait durer la donation du plaisir ultime, vous n'y pouvez plus rien, vous êtes vous et vous êtes un autre, vous n'habitez plus vos chaussures et vous marchez en un pays inconnu, respirez tout redevient normal, un piège évidemment, montagnes russes acidulées, les altitudes qui suivront vous paraîtront plus élevées quand vous vous envolerez une deuxième fois, tout bouge, tout tourne, la diablesse s'est multipliée par trois, elle est devenue une trinité trismégiste, maintenant Kolinski à quatre têtes, la féline noire est devenue chef d'orchestre, d'un geste ample des deux bras elle pousse le combo vers les cimes de la folie, Kolinski tape plus dur, Amine possède cinq têtes et il se démène sur son up-right-bass comme s'il les avait toutes perdues, tous trois reprennent l'invocation au dieu mauve, '' Jimmi Freedom '' hurlent-ils en chœur, pris d'une fureur démoniaque, une transe tourbillonnante emporte et triture les ondes sonores, votre conscience explose, mille de ses fragment explorent l'infini des espaces sidéraux, et lorsque tout s'arrête, ils ne sont pas tirés d'affaire, ils restent figés dans leur surmultiplication satanique, la mystery girl franchit le seuil de l'antre, non sans jeter un dernier regard aigu comme une flèche sur le tohu-bohu immobile qu'elle laisse derrière elle. Purpural psychadelic !

Damie Chad.

Je vous livre le nom du grand sorcier manipulateur des images : Olivier Forest, fondateur du festival international de films sur la musique, pas tout à fait grand-public, des programmations alléchantes puisqu'elles privilégient '' les figures singulières, les odyssées électroniques et les cultures souterraines '' Olivier Forest est en outre programmateur de Grand Voisin, une salle de cinéma non commercial située à Paris.

 

CHÂTEAU-THIERRY - 15 / 10 / 2021

PUB LE BACCHUS

MARLOW RIDER

Marx l'a dit, de la théorie critique ( exemple : l'écoute de disques ) il est nécessaire de passer à la pratique ( exemple : concert live ) afin de garder les deux pieds ancrés dans la réalité. Nous lui faisons confiance, n'est-ce pas lui qui a déclaré, je cite de mémoire, : '' Un spectre hante l'Europe : le spectre du rock'n'roll '' . Voici pourquoi la teuf-teuf mobile bis fonce sans retenue sur la route de Château-Thierry, toute fière de sa nouvelle technologie, à peine tournez-vous la clef, qu'elle vous avertit que l'ordinateur de bord N° 1 et l'ordinateur de bord N° 2 sont en bon état de fonctionnement. C'est super vous croyez piloter un avion de chasse. Longtemps j'ai cru que le département de Marne était une zone désertique, je l'ai parcouru je ne sais combien de fois sans rencontrer la moindre voiture, même pas une âme humaine désespérée tentant l'auto-stop, mais non ce soir je ne cesse de croiser des véhicules en goguette.

Sabine grand sourire aux lèvres ouvre la porte du Bacchus, tout de suite l'on se sent bien, l'on est presque chez soi. A part que chez moi il n'y a ni billard, ni les Marlow Rider qui s'apprêtent à donner un concert.

MARLOW RIDER

Ce sont eux, les mêmes que sur le clip, je le jure, Tony Marlow, sanglé dans sa veste d'officier de commando, sourire aux lèvres et tout fringuant, le charme indéniable de la tenue militaire. Amine Leroy contrebasse noire et chemise rougeoyante, Fred Kolinski statufié derrière ses fûts. Débutent par Debout, pour mettre les choses au poing, nous avertir qu'il est temps de se réveiller en notre ère de liberté étriquée, car demain il sera trop tard. Le deuxième set commencera par Shut up, fermez vos gueules en bon français, dédiés aux politiciens et aux docteurs véreux. Marlow Rider ne mâche pas ses mots. Ni sa musique.

Dans l'angle coincé entre un piano et le mur Fred ne bénéficie pas du meilleur emplacement, faut se tordre un peu le cou pour l'apercevoir, pourrait se plaindre, bouder, faire grève, peu lui chaut, il est devant, il est derrière, il l'est partout, à tel point que vous pourriez l'oublier, l'a transformé ses baguettes en truelles, et en maçon diligent et imperturbable il monte un mur, le fameux mur du son, une courtine, une enceinte de château fort, il ne pose pas les pierres, il les range avec une minutie précisionnelle extravagante, infatigable, n'empêche que l'air de rien, malgré sa tâche quasi-obsessionnelle il tient ses deux comparses à l'œil, ne les enferme pas dans la tour de guet qu'il érige, ne les tient pas prisonniers, depuis les remparts, il les laisse vagabonder à leur guise aux alentours de la place-forte, sont sous sa protection, ils ne risquent rien, tout leur est permis.

J'ai dit mur, vous pensez à rigidité. Allez vous rhabiller. Si Fred use du fil à plomb pour ses édifications, Amine le transforme en élastique. Son engagement sur Sunshine of your love - n'est-ce pas un crime que de penser qu'une malheureuse contrebasse rockabillienne serait aussi à l'aise dans la monstruosité électrique de Cream – chacun des slaps d'Amine est un coup de boutoir, la muraille se gondole, elle recule et s'avance, elle bouge, elle ondule, elle twiste, elle se dérobe, elle revient, sous les doigts d'Amine la pierre s'anime, elle se mue en piliers torsadés, en cathédrale gothique, elle respire, elle palpite, elle se colorise, elle vous ensorcelle.

Fred et Amine s'amusent comme des petits fous. Sont complices, marchent la main dans la main, jouent au chat et à la souris, Fred marque le point, Amine rajoute la virgule par dessous, la phrase n'est pas terminée, Fred en frappe trois en surplus, péremptoires et décisifs, genre c'est moi qui commande et toi qui obéis, alors Amine rajoute la suspension, échoïsation auditive, la pierre retourne à son état primitif de magma brûlant, elle n'est plus qu'un liquide qui se répand, vous enserre, se glisse, s'insinue en vous et une chaleur bienfaisante vous saisit, agite votre corps d'une fièvre chaude, vous atteignez un état second de béatitude, la beauté fougueuse du rock'n'roll vous submerge et vous emporte en un autre pays.

Pour Tony Marlow cette pâte brûlante est un véritable tapis de pourpre, magique et volant, infesté de reptiles, une ordalie de guitariste, qu'il se doit de traverser avec aisance et imagination. Fender et solitude d'un côté, compagnons siens et complicité de l'autre. Sans eux il ne serait rien, avec eux il est torero au milieu de l'arène confronté à la ménade de taureaux sauvages qu'ils lâchent sans arrêt sur lui.

Au four du chant et au moulin virevoltant de la guitare, Tony. La voix, il la prend à bras-le-corps, claire, nette, précise, s'en sert comme d'un couteau dans un duel à mort, chaque mot se doit d'être jeté, un coup de poignard donné de face mais que vous recevez dans le dos, un truc qui troue la peau, un appel bref qui résonne longtemps en vous dans les profondeurs de vos sensations. Qu'il chante en français ou en anglais. Ou alors en cette autre langue, cet espéranto du rock'n'roll qui s'appelle guitare. Car il n'est jamais trop guitard pour s'en servir.

Quel festival ! Ce qui prime c'est la joie, de jouer et de la maîtrise, cette attention soutenue, les doigts qui obéissent à l'œil qui les surveille juste pour jouir de leur facilité à se mouvoir sur les cordes. Marlow est en grande forme, de temps en temps il descend de scène et gambade parmi le public, sourire aux lèvres et dextérité en bandoulière.

Quel jeu ! Eruptif ! Pas de riffs, à la place une forêt touffue de notes, d'une précision absolue, non Tony ne joue pas de la guitare, il parle, s'exprime avec, l'a la hargne sèche, courte, brève, sans regret ni rémission, une explosion épileptique, dense et crue. L'a les mots blessants, les notes brutales qui vous cueillent au plexus et vous déstabilisent, un jeu radical, une oreille sur la batterie et l'autre sur Amine, Tony dans sa solitude exaltée de guitariste joue collectif, faut voir Tony et Amine se tirer la bourre, Amine a des coups de folie, il saute, trépigne la danse le scalp, lance les jambes en l'air en athlète de full-contact, dans ses instants la Fender gronde et s'étire, mi-tigre cruel, mi-chat langoureux, rien ne se calme mais Amine se rapproche de sa contrebasse pour la rassurer.

Avec Fred c'est différent, tout est question de cadence et de respiration des plongeurs en apnée, celui qui descendra le plus profond : Tony, et celui qui restera le plus longtemps sous l'eau : Fred. Fred est le maître de l'horloge, l'impartit le temps et Tony objectivise cette durée, la remplit jusqu'à la gueule dune sarabande multicolore infinie, le prisonnier peuple sa cellule de rêves étincelants, de tours de passe-passe éberluants, et le gardien s'avoue vaincu un quart de seconde, cet atome de temporalité dont Tony s'empare pour pousser le bouchon de ses doigts un peu plus haut sur le manche, un peu plus bas au plus près de ses entrailles, mais Fred sans pitié abat le gong du ring, un à un, égalité partout. Balle au centre.

Donc deux sets. Hendrixiens en diable et psyché infernal. Un Hey Joe, version française d'Hallyday, douceur mélodique des chœurs de Fred et Amine, un All along the watchtower - un brasier incandescent – un Red House monstrueux, une Vapeur mauve envoûtante, Marlow reprenant le timbre si particulier d'Hendrix, cette voix d'arbre creux qui sonnait si incisivement... Surtout pas de la copie. Le sang vicieux du vieux rock'n'roll et du rhytm'n'blues sont là, souvenons-nous que Jimi a accompagné Little Richard, et aussi cette ductilité péremptoire propre au rockabilly, cette alliance du chant irradiant et de l'instrument définitif, aussi les racines, témoin ce Crossroad hyper électrique de Robert Johnson, mais encore cette bluette – souvenons-nous qu'étymologiquement ce terme de vieux français est à l'origine du mot blues – Juste une autre chanson, ce slow sixties dans lequel la guitare de Tony résonne de toutes les tristesses et toutes les nostalgies mortifères du blues.

Je terminerai par ce Fire apocalyptique, Tony Marlox au zénith, comment parvient-il à jouer à cette vitesse avec une si grande précision, sans s'embrouiller les doigts, c'est en ces instants que l'on prend conscience du rapport entre la tête et la main digitale, qu'un solo est autant une chose mentale que tactile, que ça se construit comme une pensée philosophique, pas à pas, en réorganisant tout l'acquis expérimental précédent pour le métamorphoser en nouveauté souveraine... Je vous laisse méditer.

Ne croyez pas que je n'ai à dire que du bien de nos trois musicos. Sont de sacrés tricheurs. Non, ils ne jouent pas en playback, pire Tony planque un as de cœur dans son manche. Un trio de trois, subito ils sont quatre, peu de temps il est vrai, mais quand Alicia F quitte le stand de merchs pour chanter par deux fois en duo avec Tony sur Mutual appreciation et Born to be wild, et en solo I fought the law son titre fétiche, la merveille tombe sur vous, Quel naturel, quelle présence sur scène, juste poser la voix avec cette facilité déconcertante avec laquelle vous disposez les assiettes sur la table avant le repas, puis elle s'éclipse sans bruit pour ne pas se faire remarquer. Sortie totalement ratée, car les applaudissements crépitent et son nom est répétée bien fort.

Sûr qu'il y a des disques qui peuvent changer une vie. Par contre certains concerts, celui-ci en était un, sont un flirt avec l'éternité .

Damie Chad.

 

CALIGULA

French group de Montpellier formé en 2020, le nom m'a attiré, j'espère ne pas les rater lors de leur passage à Troyes le 11 décembre prochain, en leur tournée actuelle avec Bonecarver, au local des Boyans Coppers MC ( 77 Avenue Leclerc 10440 La Rivière de Corps ) Un premier titre sur Bandcamp en mai 2020, une superbe vidéo en mai 2021, et ce 23 Octobre sortie de leur premier EP Riddles.

ELEVATION OF DILUSION

CALIGULA

( Vidéo / WorldWide / Mai 2021 )

Rien de moins original et donc de plus difficile qu'un groupe de metal en train de jouer. Vous en regardez une vidéo, vous êtes conquis. Vous en visionnez mille, vous faites la moue. Tout vous semble mou. Mais là, chapeau bas. Brice Hinker c'est sous sa direction qu'a été réalisée l'artefact. L'a gardé tous les codes, la lumière bleutée, les musiciens pris un par un en train de jouer, dispatchés de tous côtés... Mais là le résultat est prodigieux. Comment a-t-il réalisé ce miracle. L'a d'abord mis beaucoup de noir dans son bleu, davantage d'opacité et moins de froideur. Les artistes porteurs de tenues noires, ne se détachent pas tant que cela du fond de l'image. Je devrais dire du fond des images. Le clip se présente en effet sous forme d'un montage très serré. Quand votre rétine a imprimé la vue qui monopolise son attention, il est déjà trop tard, l'on est passé à autre chose. Un deuxième secret, l'a été magnifiquement servi par la structure du morceau. L'on en viendrait à croire que d'abord il monté le synopsis des articulations des images et qu'ensuite le groupe a composé le titre en suivant scrupuleusement la cadence proposée. Evidemment il n'en est rien. Un deuxième atout, la voix du chanteur, ce mec ne growle pas, il possède une meute de loups sauvages disséminées en ses cordes vocales. Chaque fois qu'il émet son grondement l'on se croirait dans un roman de James Oliver Curwood en train de traverser les solitudes glacées du grand nord. Wild, very wild.

A ses débuts, Caligula se définissait comme un beatdown band. Avec raison. Ce n'est pas un hasard si dès la première image apparaît la batterie. C'est vrai que la frappe est dure, mais sèche, elle ne gronde pas, c'est-à-dire qu'elle ne s'amplifie pas pour mieux se dégonfler par la suite, un uppercut sur la mâchoire qui vous casse l'os mais c'est tout. Pas besoin de cinéma, pas besoin de s'appesantir, on vous frappe ailleurs, sur une autre partie de votre corps, aussi sèchement. Des manches de guitares percent l'obscurité, sont brandies telles des épées révélées par un éclair de lune dans un duel de nuit. Vous entrevoyez des torses, des T-shirts dont vous ne parviendrez jamais à déchiffrer le nom du groupe qu'ils affichent. Taches claires de bras et de visages, deux yeux noirs d'oiseau de proie qui vous fixent, et puis la photo de groupe, ce n'est pas souriez vous êtes filmés, mais quatre corps se tordent en même temps, quatre pattes terrifiques, avec derrière le corps velu des fûts, vous pressentez plus que vous ne voyez, l'ensemble forme une gigantesque araignée qui court vers vous, le cauchemar ne dure qu'une seconde, mais l'opérateur a pitié de vous, les images suivantes s'humanisent, on entrevoit des bustes et des visages d'êtres humains, c'était pour vous réconcilier avec la vie, profitez-en car ça ne durera pas, les images se désagrègent, le laps de temps qui les sépare est encore plus bref, chant et musique deviennent plus sauvages, non ce ne sont pas des hommes, mais une horde barbare qui fond sur vous pour vous anéantir, des cris qui sonnent comme des ordres, la musique est d'autant plus violente que les images ralentissent, guitares en haches d'abordage s'arrêtent une éternité au-dessus de votre tête, illusion votre crâne est fendu, une pomme dont un couteau sépare les deux moitiés, les images s'emballent, s'inversent, des éclats d'instruments braqués en gros plans vous tronçonnent la vue, tintamarre tonitruant de guitares, ils ne tirent pas sur les cordes, elles sont des enclumes et les bras tapent dessus tels des battoirs avec lesquels on assomme les bœufs dans les abattoirs. Vous les apercevez mieux, vous n'en êtes pas plus heureux, l'ennemi s'est rapproché, de brefs silences, des tambours de guerre, la blancheur d'une guitare, le maître hurleur plante ses yeux torves de hibou fou sur vous, sur sa gauche une rayure arc-en-cielique un peu trop rouge met en valeur la cruauté de son regard, un cri inhumain dans le lointain s'élève et s'éloigne, vous n'êtes pas digne de leur vindicte, vous ne seriez qu'un trophée indigne de leur valeur guerrière, sous le tumulte de la voix des doigts passent lentement au-dessus de cordes, à quoi bon se presser, leur victoire est certain, il faut savoir faire durer le plaisir de l'agonie, maintenant ils trempent leurs museaux féroces dans vos entrailles, ils se les disputent, se battent, la joie mauvaise du carnage, pas de véritable fin, les images s'arrêtent parce qu'il n'y a plus rien à montrer, le combat cesse quand il n'y a plus de combattants.

Prodigieux. Brûlant, une pile de centrale atomique en suspend. Une froideur monstrueuse qui vous pétrifie.

Damie Chad.

 

 

RAUNCHY BUT FRENCHY ( 3 )

STATUT & STATUES DE STAR ( 1 )

JOHNNY HALLIDAY

 

Fin septembre, je roulais vers l'Ariège. Encore deux ou trois cents kilomètres, et je pestais, j'arpentais une zone morte, l'auto-radio n'arrivait pas à capter la moindre station, revenait sans cesse se fixer automatiquement sur France-Inter, y avait un mec qui parlait, racontait que vous ne trouveriez pas plus écologique qu'une Harley-Davidson dont le moteur ne tournerait plus jamais. Sur le coup je me suis demandé, quelle sorte de guy pouvait avoir intérêt à acheter une Harley qui ne roulerait pas. Vaudrait mieux s'offrir une bicyclette pensais-je, pourtant je déteste les vélos et n'arrive qu'à réprimer à grand-peine l'envie d'écraser les vélocipédistes que je croise... je ne comprenais rien, c'était un artiste qui parlait, un certain Bertrand Lavier, décrivait sa statue, fort mal, ce n'est que le lendemain en regardant chez un ami sur le net que je me suis aperçu que la représentation que je m'étais faite de l'objet était fausse, j'imaginais un manche de guitare horizontal de six mètres de long sur lequel était posée une moto, le gars devenait lyrique, une figuration de la route, de la liberté, du rock 'n' roll, en fait j'étais comme le gamin qui a récolté un zéro à son interro de math, il a trouvé le résultat du calcul algébrique, enfer et damnation, au lieu de le faire précéder du signe ''plus'' il a disposé le signe ''moins''. L'image est sans appel le manche de guitare mesure bien six mètres de long mais il est planté tout droit à la verticale, et surmonté d'une Harley ( fat boy pour les connaisseurs ), non elle ne roule pas sur les frettes. Au détour d'une phrase j'apprends que c'est un hommage à Johnny Hallyday. Je suis en retard de quinze jours, la statue a été inaugurée le 09 septembre dernier, en présence de Laeticia et d'Anne Hidalgo en même temps que l'esplanade Johnny Hallyday, sise près de Bercy, non la moto ne s'est pas décrochée durant la cérémonie, elle n'est pas tombée sur la politicarde, c'eût été marrant. Jouissif. Cela aurait certainement plu à Eddy Mitchell qui déclara lors d'une interview que ce monument était une catastrophe.

Personne ne possède le savoir universel. Bertrand Lavier explique qu'il a dû se documenter sur Johnny Hallyday qu'il ne connaissait pas bien. Je ne lui en veux pas, pour prendre mon cas personnel j'ignorais tout de Bernard Lavier. Me suis renseigné. Dans les encyclopédies on le classe parmi les réalistes, des descendants, des répétiteurs, des copieurs de Duchamp qui s'imaginent que l'art est dans le pré de la facilité, mettent en scène, exhibent les objets de notre quotidien, dans ma nomenclature à moi j'appelle cela l'art de centre aéré. Je sais de quoi je parle. J'ai dirigé de ces structures durant des années. Les journalistes s'extasient devant l'une des dernières sculptures de Lavier, une enclume posée sur un réfrigérateur, pour rester dans la musique il a aussi peint un piano en bleu... Un ange passe, aux ailes cassées.

Ce n'est pas que je sois réfractaire à l'art moderne, mais que l'on privilégie l'idée, le symbole, ou même ces deux notions considérées en tant qu'acte efficient capable de transformer le monde et même de le changer radicalement au dépend de la création d'une forme nouvelle me laisse songeur... Ne croyez pas non plus que je sois heureux lorsque l'art vise à la reproduction de l'identique. Qui n'est qu'un autre aspect du réalisme.

Le totem laviérien n'est pas le premier hommage sculptural rendu à Johnny Hallyday. En voici un autre. Très différent. Il n'est pas situé à Paris, reine du monde, mais en Ardèche. Ce département dont Stéphane Mallarmé qui y résida disait qu'il résumait toute sa vie : l'Art et la Dèche.

Les artistes auraient-ils meilleur goût que les fans ? Suffit-il d'aimer pour mieux exprimer son amour ? Ce jour-là Pierre Regottaz âgé de soixante-seize printemps avait le cœur gros. Il rentrait de Paris où il s'était rendu pour assister aux cérémonies du 09 / 12 / 2017 initiées en l'honneur de la disparition de Johnny. Le bourg de Viviers est une terre hallydayenne, c'est-là que résidait Huguette Clerc, la mère du chanteur, Long Chris évoque cela dans son livre A la cour du roi Johnny. Comment l'idée est-elle venue à l'esprit de Pierre Regottaz, je n'en sais rien, Johnny se devait d'avoir sa statue à Viviers. Un geste de fan. Un geste de fans. Une souscription est ouverte, trois cents participations, afin de permette au sculpteur Daniel George de se mettre au travail. La statue sera réalisée en résine, elle avoisine les trois mètres, elle sera inaugurée le 24 juin 2018. Beaucoup de monde. Beaucoup de déçus. Le constat est sans appel, elle ne ressemble pas à Johnny, pas le corps, la tête, à tel point que Daniel George opine du chef - sachez apprécier ses sculptures de terre cuite, matière qui selon ses craquelures d'argile donne une patine d'outre-monde presque d'outre-tombe à ses représentations de jeunes femmes – il en recommencera une autre. Est-elle meilleure que la précédente ? L'idée de base était de reproduire un Johnny de cinquante ans. A mon humble et péremptoire avis, z'auraient dû profiler un Johnny bien plus jeune, car à rentrer dans l'immortalité autant que ce soit dans la pleine jeunesse... Le fait que la statue soit exposée devant une pizzeria n'aide pas à la contemplation extatique. Mais au moins le rapport avec Johnny s'impose beaucoup plus. Je ne pense pas que ce soit la meilleure œuvre de Daniel George, loin de là, mais elle respire une honnêteté empreinte d'une naïveté populaire bien plus authentique que l'esbroufe de la précédente. C'est mon avis et je le partage. Existe-t-il une véritable différence entre art officiel et art populaire ?

Daniel George sculpteur sur bois n'a pas oublié de munir Johnny de la croix qu'il portait régulièrement autour du cou, Jean-Pierre Coniasse, chanteur et sculpteur sur bois a revu la babiole en grand, armé d'une tronçonneuse, il a laissé le personnage Johnny de côté mais a gardé le bijou directement taillé dans un tronc d'arbre, doit avoisiner les deux mètres, quoique je ne sois nullement chrétien, ce Christ crucifié avec sa guitare me semble porter bien davantage que les œuvres de Daniel George et de Bertrand Lavier, un peu de l'esprit ( pas saint du tout ) iconoclaste et rebelle du rock... La chanson de Johnny Jésus Christ (est un hippie, il aime les filles aux seins nus) fut à sa sortie ostracisée sur les ondes officielles...

La plus ancienne statue de Johnny que je connaisse remonte à plus de vingt ans avant sa mort. Alain Dua a assisté à plus de cent cinquante concerts de Johnny. Un mordu, un fan. L'a même suivi jusqu'aux USA. Une expéditions mémorable, deux mille admirateurs français traversant l'Atlantique en avion pour assister à un concert de Johnny à Las Vegas. Mythologie elvisienne oblige ! L'évènement avait troublé les amerloques. Mais pas le concert. De même pour les fans. Johnny s'était trompé de set-list. L'on attendait un tour de chant d'Hallyday, l'on eut droit à Johnny interprétant des succès américains, de Creedence Clearwater Revival à Elvis. Les américains avaient la même chose chez eux, mais en original. Quant aux fans ils n'ont pas reconnu leur Johnny trempé et dégoulinant de sueur qu'ils attendaient. Ce n'était pas Johnny-rentre-dedans mais Johnny-y-va-mollo. Le CD Live du concert vous laisse un goût d'inachevé dans la bouche, un creux à l'estomac que plusieurs écoutes ne gomment pas. Johnny en aura conscience, il enverra un billet gratuit d'un de ses prochains spectacles à tous ceux qui avaient fait le déplacement.

C'était un coup foireux, pourtant Alain Dua rentre de Las Vegas gonflé à bloc, désireux de rendre un hommage à son idole dont il est fan depuis plus de trente ans. Premier concert en 1962. Ce sera une statue en bois. Ce n'est pas un hasard. Alain Dua est propriétaire d'une entreprise d'abattage de bois. Il fournit le bois à deux copains sculpteurs, pas n'importe quoi, du Cèdre du Liban. Pour Johnny on aurait plutôt opté pour du séquoia. Elle est achevée en 1997, et placée devant son entreprise sise à Challes-les-eaux en Savoie. Les fans viennent s'y recueillir et y déposer des fleurs. Johnny en personne et en tournée l'a vue et appréciée.

C'est la plus belle de toutes. Ce n'est pas Johnny rocker, mais Johnny country. Peut-être même Johnny HillbiIly, tient sa guitare comme un fusil. Il ne ressemble pas à Hallyday mais à Daniel Boone. A un cowboy, avec sa main à la ceinture. L'esprit de l'Amérique, la grande, la mythique, la mythifiée, oui c'est une représentation de l'Amérique, non pas parce que l'on reconnaît facilement le chanteur, mais parce que ce morceau de bois incarne à la perfection l'imagination de Johnny lorsqu'il pensait à l'Amérique. Certes elle n'est pas parfaite, il vaut mieux la voir sur un certain angle que sur d'autres surtout dans sa rusticité toute nue, débarrassée de ses grands panneaux blancs quasi-publicitaires qui soulignent au grand feutre rouge ce que la statue évoque toute seule d'elle-même.

Ne soyez pas en pleurs parce que cette chronique se termine, il existe d'autres statues de Johnny, vous en reparlerai en une prochaine livraison...

Damie Chad.

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

UNE TENEBREUSE AFFAIRE

EPISODE 03

RETOUR A PARIS

C'était l'Elysée. Notre présence immédiate s'avérait indispensable. Joël nous reconduisit à notre véhicule. Nous n'avions pas à nous inquiéter, aussitôt rentré il motiverait un groupe d'étudiants dans le but d'organiser une surveillance H24, un poste de guet relevé toutes les trois heures, avec rondes régulières sur la lisière du Bois du pendu. Le fantôme de Charlie Watts n'avait qu'à bien se tenir.

Le moteur de la Lambor lancée à fond à contre-sens sur la bande d'arrêt d'urgence fit merveille. Nous n'eûmes qu'a signaler un incident minime, une anecdote subalterne qui risque d'arracher un sourire aux lecteurs de ces lignes. Dès que nous quittâmes le périphérique, nous nous retrouvâmes bloqués sur un boulevard, à l'arrêt, dans un encombrement monstrueux. Nous n'avancions plus. Le Chef alluma un coronado :

    • Agent Chad, savez-vous comment Alexandre le Grand a forcé le passage du Granique ?

    • Bien sûr Chef, il a lancé son cheval en premier dans le fleuve et la cavalerie a suivi !

    • Bien, agent Chad, je vais donc suivre cet illustre exemple, vous jouerez le rôle de la cavalerie, tenez-vous prêt.

Tranquillement le Chef ouvrit la portière, descendit sur la chaussée, et s'en alla frapper à la vitre d'une ambulance deux ou trois voitures plus loin.

    • Ne vous dérangez pas, dit-il de son ton le plus aimable, je viens juste vous emprunter votre gyrophare aimanté, qui ne vous sert à rien, puisque vous êtes arrêté.

Mais le gars ne l'entendit pas ainsi, il descendit de son véhicule et s'interposa entre le Chef et son gyrophare.

    • Vous êtes totalement fou ! Je transporte un blessé grave et je ne vous permets pas de...

    • Veuillez me pardonner, répondit le Chef d'un sourire avenant, je comprends votre situation, je puis y remédier facilement, sans préavis il ouvrit la porte latérale, sortit son Beretta 92 et aligna trois bastos pile dans le crâne du blessé qui cessa de geindre.

    • Voilà, il est mort, transportez-le immédiatement à la morgue, vous gagnerez du temps, vous n'avez plus besoin d'attendre des heures aux urgences !

    • Oh ! merci - le gars admiratif lui tendait de lui-même le gyro – prenez-le, ma femme sera si contente de me voir rentrer de bonne heure pour une fois !

Autour de nous les voitures affolées se serraient les unes contre les autres ou se faufilaient sur les contre-allées pour s'écarter du Chef qui revenait vers moi pistolet ( packin' mama ) au poing, il reprit sa place à mes côtés non sans avoir pris le temps de poser le gyrophare sur le capot, je profitai de l'espace dégagé pour, klaxon à fond, arracher la Ghini, quelques minutes plus tard nous franchissions le portail de l'Elysée. Mais après cet intermède cocasse, passons aux choses sérieuses.

UNE ENTREVUE ERUPTIVE

Le Président du Sénat squattait déjà le bureau du Président de la République tragiquement disparu. Il n'en avait pas l'air plus heureux, le visage blême il arpentait la pièce sans rien dire, les chiens qui s'étaient sagement assis sur son bureau le suivaient du regard, étonnés. Manifestement il avait pris un rail de cocaïne aussi long que la ligne de chemin de fer qui dessert la ligne Paris-Cherbourg. Nous avait-il seulement aperçus ? Le Chef alluma un Coronado, juste pour passer le temps.

    • Ah, enfin vous voilà !

Ce n'était pas à nous qu'il s'adressait, mais à une espèce d'individu tout maigre, tout chétif, la figure ravagée de tics qui venait de prendre place dans un fauteuil en face de nous et qui de toute l'entrevue n'ouvrit pas la bouche. Le Président en personne nous fit l'honneur de procéder à notre interrogatoire :

    • Alors vous l'avez-vu ce Charlie Bats ? aboya-t-il

    • Bien sûr, généralement quand on charge les agents du SSR d'une mission, nous l'accomplissons !

    • Vous l'avez donc attrapé !

    • L'agent Chad ici présent l'a saisi par le bras.

    • Il est donc notre prisonnier !

    • Pas du tout !

    • Comment cela ?

    • Pour une simple raison, ce n'est pas un être humain, c'est un fantôme !

    • Ah ! Ah ! Parfait, parfait ! Si c'est un fantôme nous n'avons plus besoin de vous. Vous pouvez disposer. Un autre service plus adéquat que le vôtre s'en chargera. N'oubliez pas de prendre vos cabots sur mon bureau !

LE SANCTUAIRE

Nous étions un peu abasourdis, nous nous installâmes dans la Lambor, mais lorsque je demandai au Chef la direction à prendre il n'eut pas le temps de répondre, Molossito et Molossita se mirent à aboyer frénétiquement, je compris immédiatement, il suffisait de se laisser guider. Les braves bêtes avaient leur code secret, chacun de leur côté le museau collé à la ville ils aboyaient lorsqu'il fallait emprunter une nouvelle artère, deux jappements de Molossito je tournais à gauche, un seul aboiement de Molossita je virais à droite. Evidemment ils ignoraient superbement les sens interdits, ce qui mettait un peu de sel dans cette traversée de Paris qui nous mena jusque dans le dix-huitième. Brutalement ils se turent je me hâtais de stationner devant l'entrée d'un garage. A peine furent-ils sur le trottoir qu'ils s'enfuirent à fond de train, de loin nous les vîmes entrer dans une boutique.

  • C'est donc vous les maîtres de ces deux adorables toutous - les deux secrétaires de l'agence de location d'appartements, elles avaient coiffé la Sainte-Catherine depuis au moins quarante ans, étaient à genoux en train de les caresser - Molissito leur léchait la figure avec fougue, ils sont venus ce matin, nous avons eu du mal à comprendre ce qu'ils voulaient, à la fin nous les avons suivis, se sont dirigés tout droit vers la vieille ruine, c'est ainsi que nous l'appelons, en si mauvais état que nous ne la proposons plus depuis longtemps à la clientèle, nous pensons que c'est le jardin qui leur a plu, des chiens très intelligents, ils ont fait le rapport avec le logo sur le panneau délavé ''A Louer''' posé sur la grille et celui qui est peint sur notre devanture. Depuis des années personne n'en veut, le propriétaire est mort depuis une dizaine d'années, un vieux toqué, aucun héritier ne s'est manifesté, nous vous la cédons pour un euro symbolique, voici la clef, c'est juste entre le numéro 17 et 19 de la rue.

    L'adresse était étrange, mais nous trouvâmes facilement. Une grille rouillée fermait un étroit passage qui débouchait sur un jardin envahi d'une folle végétation, contre un mur était adossé une masure de planches au toit goudronné crevé mais les chiens la dédaignèrent et se faufilèrent parmi les hautes herbes folles et les arbustes touffus, ils s'arrêtèrent devant ce qui dégagé d'un amoncellement de branches d'arbres qui le dissimulait se révéla être un trou dans lequel ils sautèrent sans hésitation. Nous les imitâmes, ce n'était pas bien profond et fûmes tout étonnés de nous trouver devant une porte blindée muni d'un volant que je me dépêchai de tourner. Nous entrâmes. Le vieux n'était pas si fou que cela, un gars prévoyant, l'avait aménagé un abri anti-atomique dans son carré de choux, assez spacieux, l'on se serait cru dans un sous-marin !

    - Une cache idéale, s'extasia les Chefs, félicitations les cabotos, retournons vite à la boutique signer le contrat !

    - Nous savions que vous aimeriez, s'exclamèrent les secrétaires, la baraque est un peu vétuste certes mais si romantique, Colette donne un biscuit aux toutous !

    Ils le croquèrent sur la banquette arrière de la Ghini, le Chef venait de recevoir un SMS : Charlie Watts fait des siennes, venez vite, RDV Bois du Pendu. Joël.

    A suivre...