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05/06/2014

KR'TNT ! ¤ 192 : GOMMARD / DATSUNS / LOREANN' / PATRICK EUDELINE / LAURENT CHALUMEAU / HOMESMAN

 

KR'TNT ! ¤ 192

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

05 / 06 / 2014

 

 

GOMMARD / DATSUNS / LOREANN' / PATRICK EUDELINE

LAURENT CHALUMEAU / HOMESMAN

 

 

MONTREUIL / 31 / 05 / 14

 

 

CROSS DINER / LE GOMMARD

 

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Le grand Phil exulte, sa place au carrefour juste en face du centre commercial est encore une fois libre. Réservée par le préfet qu'il dit. On n'ose pas émettre des doutes car l'on est tout heureux de n'avoir pas à remonter trois kilomètres d'avenue à pieds. Autant lui laisser ses illusions jusqu'à la prochaine fois. Car l'homme vit davantage de rêve que de pain. Phrase due à la plume de je ne sais plus quel affameur du peuple.

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Le temps de traverser la route et nous effectuons une entrée remarquable et remarquée – remarque toute subjective, les rockers c'est comme la bière, ça aime bien se faire mousser – dans le Cross Diner. Point trop de cats à l'horizon, normal, le Gommard finit de peaufiner sa balance, l'est donc encore tôt, mais le vieux réflexe atavique s'est encore une fois de plus vérifié, il est vrai qu'en règle générale les chats n'aiment pas les chiens. N'essayez pas de me contredire en m'assurant que votre siamois et votre pitbull dorment dans la même panière, ce n'était pas l'énonciation strictement zoologique d'une étude sur le comportementalisme animalier, mais une simple réflexion sur le fait que les publics rock ont du mal à se mélanger. Les amateurs de rockab ont tendance à déserter les groupes garage heavy blues punky rock ( appellation incontrôlée ), mais vous pouvez inverser les termes de l'équation sans problème. Cherchez l'erreur. Les tribus indiennes qui s'adonnèrent à ces dérives par trop identitaires en subirent les terribles conséquences.

 

Pour les malheureux qui n'auraient pas lu la cent quatorzième livraison de KR'TNT du 18 / 10 / 12, recension du livre IWW. Wobblies & Hobos de Joyce Kornbluh paru aux éditions de L'Insomniaque, et agrémenté d'un CD de chants de luttes sur lequel le Gommard interprète magnifiquement six titres gorgés de sèves rebelles, qu'à l'origine le caoutchouteux sobriquet Gommard désignait le chien d'Eric le batteur, qui s'en est allé rejoindre son frère Cerbère dans les Enfers toujours pavés de mauvaises intentions comme dirait Robert Johnson... Ne me reste plus qu'à citer la phrase définitive que Karen chargée de la programmation me glisse à l'oreille : «  Le Gommard, c'est simple, c'est le meilleur groupe de Montreuil ! », alors les narvalos si vous n'avez pas compris que ce soir ça va saigner, allez vous faire soigner ailleurs.

 

KNOCKIN'...

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Faut toujours un point noir dans la blancheur immaculée du Yin, le bonheur pourrait être parfait mais ce soir le destin aux ailes de fer rouillé s'est abattu sur Eric. Privé de concert, la première fois en sept ans que je ne suis pas sur scène, vient-il se plaindre. Accident de scooter, l'épaule recouverte d'une attelle-couffin aussi grande que l'Amazonie, l'a dû laisser sa place à un remplaçant, Yann. Mais pas question pour Eric de se coller sur une banquette et de regarder le train passer. Tourne autour du groupe comme un vol de vautours affamés qui accompagne le voyageur égaré dans le désert de la mort. N'a plus qu'un bras mais cela ne l'empêchera pas de jouer d'une batterie virtuelle, et de prouver geste à l'appui que réflexes intacts, il connaît tous les breaks au centième de seconde près, prévenant même un peu à l'avance Yann des plus surprenantes brisures de rythmes sur des morceaux trop vite répétés. Cinq sur scène, plus un coeur fou qui bat encore plus vite que les autres, à côté. Knockin' On The Heaven Door, jamais la formule de Dylan n'aura été aussi appropriée que pour ce batteur tapant sur la peau d'invisibles toms qui de toute la soirée ne se matérialiseront pas, malgré l'envie folle qui le tenaille.

 

PREMIER SET

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Dirty Water, vous annoncent la couleur tout de suite. Le Gommard ne donne pas dans l'azur cristallin. Ca cogne, ça plombe, ça rocke et ça rolle sans ambages. Viande bleue et blues saignant, de l'indigo et de l'outremer, c'est du foncé tout droit, et rien ne l'arrête. Quatre mesures et le public se presse devant l'orchestre. C'est du foncé défoncé. La lourdeur du blues et la rage du rock. Pas évident d'obtenir un tel alliage. Le Gommard y parvient d'instinct. Musique de rebelles. Le rock comme la mélodie de tous les massacres à venir.

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Kik le grand est au micro. Malgré le volume sonore, la voix reste claire et vindicative. Un chanteur, un vrai qui impulse le mouvement qui donne la direction à suivre et qui caracole sur les puissantes ondes dégagées derrière lui. Possède sa boîte à trésors dans laquelle il s'en va ferrailler le temps d'en extraire son sabre de cavalerie, un harmonica à la tonalité souhaitée d'une dizaine de centimètres de long, mais quand il le colle à son micro qu'il referme sa main dessus et qu'il se met à souffler dedans l'on a l'impression que les eaux du Mississippi vous tombent en cataracte sur le dos.

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L'est méchamment aidé par les deux guitaristes. Pierrot et Bob. Au début j'ai distribué les rôles, un rythmique et un soliste. Mais en fait c'est plus compliqué que cela. Deux solistes, mais qui ne jouent pas ensemble. Ou plutôt pour bien faire comprendre la subtilité de l'approche, deux solistes qui jouent ensemble mais chacun son solo. L'un qui appuie sur la règle et l'autre qui souligne à côté.

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Honneur à Pierrot, cheveux gris et casquette plate, petit gabarit chétif, recroquevillé sur sa Gibson, concentré au possible, n'aime rien tant moins que de s'embarquer dans des chevauchées solitaires. Deux pédales à effets spéciaux à ses pieds, et c'est parti pour une tonitruante cavalcade. Les autres sont groupés et avancent du même pas, mais lui il se déplace sur les ailes pour effectuer d'improbables razzias, il apporte ce grain de folie sans lequel le rock est une plante morte qui n'a pas reçu l'eau nécessaire à sa survie. Parfois un peu desservi par la sono qui mange ses effets mais chaque fois que je le sens prêt à prendre la poudre d'escampette je laisse une oreille pour l'écouter et le suivre dans de chaotiques circonvolutions qui me ravissent.

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De l'autre côté c'est le contraire. Max, géant débonnaire lui aussi sur Gibson, mais un tout autre jeu, beaucoup plus discipliné. Fidèle au poste et sans cesse attentif. Toujours là quand on a besoin de lui. Joue le rôle du renfort, l'apport décisionnel qui emporte le morceau et le bascule dans un bain de fièvre et de tourmente. Et plus la soirée s'avancera plus ses interventions gagneront en poids et en force, mais aussi en rapidité. Un oeil sur l'harmonica et un autre sur la basse de Bob. Enfin cette dernière il n'a pas vraiment à la surveiller, se présente d'elle-même, la troisième guitare solo de la soirée, à part qu'elle elle ne se repose jamais entre deux interventions. Flot continu de notes grasses et dodues, rallonge la sauce et la fondue; l'épaissit merveille. La noire pesanteur du blues incarné, mais avec cette vélocité adjacente qui est un peu la marque du Gommard.

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Attention le blues rock du Gommard ne ressemble en rien au blues compatissant de petits blancs qui font acte de contrition et qui mendient leur pardon à l'on ne sait trop qui, c'est un blues rock de colère et de rage, des titres comme Wich Side Are You On ou le Rebel Girl de Joe Hill sont là pour rappeler que rien ne s'obtient sans la lutte. Le drapeau blues du Gommard est tâché du rouge sang des exploités. De tous pays, qui ne se sont pas encore unis.

 

De Love Potion N° Nine des Coasters au Going Back Home du bon vieux Dr Feelgood le Gommard décline toute une histoire du rock des racines noires aux rebellions blanches.

 

DEUXIEME SET

 

Démentiel. Le Gommard revient en force. Mettent la gomme avec L'Homme A La Moto qui n'est pas une originale d'Edith Piaf comme tant le croient mais une adaptation de Leiber and Stoller que le Gommard doit bien aimer puisqu'ils auront repris durant la soirée trois de leurs titres. Sixteen Tons de Merle Travis et Rusty Cage de Johnny Cash ( via Soundgarden ), le Gommard est décidément près des racines, comme par un fait exprès suivi de Preachin' The Blues de Robert Jonhson. Que du beau monde, mais le tout est distribué avec l'estampillage Gommard, asséné avec violence et énergie. La foule ondule salement. Beaucoup de borderlines, de ces individus qui vont jusqu'au bout de leurs délires et de leurs fièvres. La musique du Gommard vomit les tièdes.

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Le combo tangue méchant. Yann s'enhardit, il se permet de quitter la binarité salvatrice de la caisse claire qui vous maintient sur la piste et vous empêche de vous égarer, mais un tantinet trop mécanique à la longue, pour des passes un peu plus alambiquées. Dédaigne un peu trop les toms mais instaure un effet de volume inspiré en tapant sur les cymbales. Kik est infatigable, pas une seule fois ne faiblit sa voix, et en plus il prend soin de son petit monde, indiquant de la main les baisses de tonalité et les reprises fulgurantes. Il demande à Eric de prendre un micro pour se charger des choeurs ( et plus si affinités ). Eric possède une voix superbe très sixty, qui me laisse admiratif. Mais déjà le groupe se surpasse sur Teenage Head des Flamin' Groovies – faut être sacrément sûr de soi pour taquiner ce genre de rhinocéros féroce – que Kik dédie à tous les adolescents attardés. Belle métaphore du public rock d'aujourd'hui. Un peu triste aussi quand on y pense. Mais la fureur du groupe sur Y'a du Baston Dans La Taule dissipe très vite les mélancolies qui voudraient pointer leur nez. Le titre est devenu l'indicatif de l'émission L'Envolée de Fréquence Paris Plurielle sur les prisons... A sa manière le rock du Gommard dégomme le système.

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TROISIEME SET

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Ce devait être un dernier morceau pour la route, un apéritif de fermeture en quelque sorte. Ils ont eu beau faire traîner Mustang Sally en passant le micro à tout le monde pour le refrain, personne n'a voulu leur céder le passage pour qu'ils puissent regagner le bar. Remarquez cette douce violence ils y ont cédé rapidement, tout heureux de nous refiler quatre petits rabes en plus. A la fin, ils étaient crevés mais Kik et Pierrot nous ont offert une petite dernière - exigée à haute voix par des fans décidés à avoir leur petite gâterie habituelle coûte que coûte - pratiquement a capella, sur fond d'un de ces solos charbonneux qui vous consument l'âme dont Pierrot a le secret.

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Beau concert. Je ne connais pas tous les groupes de Montreuil. Mais Karen avait raison, ce soir ils étaient les meilleurs.

 

Damie Chad.

 

( Les photos prises sur leur facebook ne correspondent pas au concert du 31 mai. )

 

LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 17 - 05 - 14

 

LES DATSUNS

 

LES DATSUNS NE SONT PAS DES VOITURES

 

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Très mauvais souvenir du concert des Datsuns à la Boule Noire en 2006. Ça bâillait aux corneilles dans les premiers rangs. On voyait les frères Dalton du garage néo-zélandais faire leurs hystrionics sur scène et on ne savait pas s’il fallait rire ou pleurer, tellement c’était cousu de fil blanc. Ils nous resservaient toutes les ficelles de marabout des seventies, du sous Led Zep et de la petite blague à la Free, du pattes d’eph et de la chevelure dans la figure.

 

Il devait y avoir erreur ce soir-là, car on était venu voir un groupe garage dont le premier album tenait bien la route. Christian Datsun, Dolf De Datsun, Matt Datsun et Phil Datsun s’étaient glissés dans le revival garage de l’an 2000, avec les Strokes, BRMC, les Hives, les White Stripes, les Von Bondies, les Yeah Yeah Yeah, Jet, les Vines, D4, les Libertines, les Kills, les Lords of Altamont et des tas de groupes scandinaves comme les Flamin’ Sideburns, les Gluecifer et les Turbonegro. On ne savait plus où donner de la tête. Côté concerts, c’était de la folie. Et puis, le NME en rajoutait des caisses, vantait les mérites de tous les disques et faisait souvent sa une avec des photos fantastiques de Dolf De Datsun, en posture acrobatique avec sa basse Firebird.

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Il ne reste pas grand-chose de cette vague. Seuls les meilleurs ont survécu. Les Dirtbombs, les Black Lips et Wild Billy Childish sont toujours fidèles au poste. Et bizarrement, les Datsuns aussi, alors que personne n’aurait parié un seul peso sur leur capacité à traverser les années. Surtout en jouant un garage limite de ce qu’on appelait avant le rock high energy, un genre difficile qui en a ratatiné plus d’un. Franchement, on ne voit pas comment les Datsuns vont pouvoir continuer à ruer dans les brancards, comme ils le font depuis un peu plus de dix ans.

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Leur premier album à pochette blanche est sorti en 2002. Il plut beaucoup aux amateurs. Sur dix titres, six étaient excellents. Ils démarraient avec «Sittin’ Pretty» et un gros enroulage riffique doublé d’un chant perché au sommet du rouleau. Ils sonnaient comme une mer déchaînée. Ils nous sortaient de la manche un blast boogie punk spontané, et on se régalait d’une telle ferveur. Cris, solos, toute la panoplie était au rendez-vous avec la lune, et le soleil était là aussi. Ce disque s’imposait comme un gladiateur vainqueur. On retrouvait cette exemplarité sonique dans le morceau suivant, «MF From Hell», chant perché d’intro et cocotage repris par le gras du riff. Leur truc était cousu de fil blanc américain. À l’époque, tous les groupes à gros bras tatoués sortaient ce son. C’était donc du sans surprise, avec des accidents rythmiques prévisibles. Pur seventies sound et le problème, c’est qu’avec les albums suivants, les Datsuns allaient s’enfermer dans ce son et s’y éteindre petit à petit.

 

«Lady» était bien drumbeaté, un brin heavy, un vague caractère de pépite. On les sentait affamés d’innovation. On voyait cette belle pièce se balancer sur un riff glissant. Les Datsuns arpentaient la foire à la saucisse du garage et s’amusaient du moindre riff. Ils nous faisaient le coup du solo en coin salement killer et amené de travers. Stomp d’intro pour «Harmonic Generator» et ils allaient chercher l’effet glam. Choix judicieux. On avait en prime des sales petites choristes malveillantes. Et ils nous tenaient en haleine tout au long du cut. Avec «What Would I Know», ils sonnaient comme Nashville Pussy et lançaient des assauts d’accords annonciateurs des pires exactions. Dans d’autres morceaux comme «At Your Touch», ils révélaient une tendance à singer AC/DC et ça sentait un peu la fin des haricots. Ils revenaient à un son plus proche de celui des Hellacopters pour «Fink For The Man», embarqué au blast. On y retrouvait tous les avantages du bon blast, la pression continue, les reprises impossibles, la glotte sanguinolente, les petites flammes crachées par les amplis, le pulsatif rythmique, le solo qui bande comme un âne et tout le folklore béni par certains, et honni par d’autres. Ils fonçaient comme le train fou qui avait déjà brûlé tout son charbon et nous offraient le spectacle ahurissant d’un joli break de calme shakespearien porté par la basse de Dolf. L’autre grosse pièce de cet album était «You Build Me Up (To Bring Me Down)», sleazy et troué de breaks sublimes, dans la veine du trash-punk blues de Jon Spencer et ils terminaient avec une autre énormité, «Freeze Sucker» dotée d’un gros refrain condescendant.

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Deux ans plus tard sortait leur deuxième album, «Outta Sight Outta Mind». Avec un titre pareil, on pouvait s’attendre à un gros délire psyché, d’autant que la pochette, dans les tons hallucinatoires, les montrait de dos, s’enfonçant dans la forêt. Sur les trois premiers morceaux, on retrouvait la grosse débauche énergétique, le chauffage à blanc et le riffage alambiqué censé donner du souffle, mais il manquait l’essentiel : l’inspiration. On pouvait classer les Datsuns dans la catégorie des braves soldats du garage dont personne n’allait se souvenir après la bataille, même s’ils avaient vaillamment combattu et bien éclairci les rangs ennemis. Ils renouaient heureusement avec la réussite au quatrième morceau de l’album, «Messin’ Around», joué en boogie. On entrait toutefois dans les limites du genre. Ces kiwis savaient chauffer une salle, mais leur style composital restait trop comprimé. Avec ce morceau, ils se montraient dignes des Status Quo et ils parvenaient à forcer l’admiration. Dolf hurlait comme une sorcière de Walt Disney et un petit solo de wha-wha arrivait comme un charme. Ils revenaient dans le sillage des Hellacopters avec «Get Up (Don’t Fight It)», un morceau monté sur un riff de guitare. Finalement ce n’est pas si compliqué de monter un groupe comme les Datsuns : il suffit d’avoir le copain qui passe son temps à bricoler des petits riffs bien percutants sur sa guitare et puis on monte là-dessus des textes de circonstance. Avec ce morceau, on est dans cette configuration. Compo de salle de répète, sans idée harmonique. Et donc, avenir incertain. Il est rare qu’un riff ordinaire fasse date.

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Petit coup d’exotisme avec «Hong Kong Fury», grosse intro admirable et balancement rythmique. On naviguait dans les mêmes eux que «Bangkok». On adorait ces virées en extrême-orient. Les Datsuns nous traitaient ça au goudron. C’était du salace et du bien garni, avec un solo glou-glou versé sur le riffage chinoisé. Quand on se retrouve face à un groupe comme les Datsuns, il faut savoir se montrer patient et tolérant. On finit toujours par être récompensé. «You Can’t Find Me» se retrouvait sous pression dès l’intro, et puis ça devenait le morceau intéressant de l’album, car ça pulsait bien et on plongeait dans un délicieux marécage de chœurs de folles, c’était encore une fois très bien vu et l’ami Christian décochait un solo sonique droit dans l’œil de la lune de Méliès.

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En gros, les Datsuns mettent deux ans à préparer un nouvel album. «Smoke & Mirrors» est donc sorti en 2006, dans la plus totale indifférence. Les amateurs de garage ont fini par lâcher prise, sentant que le groupe tournait en rond. Et puis ce concert à la Boule Noire scella en quelque sorte leur destin. Tout le côté excitant du premier album s’était volatilisé. Leur seule chance de survie était d’aller sur le glam ou le boogie, c’est-à-dire de jouer la carte de l’efficacité. Ils devaient absolument éviter ces compos ambitieuses qui retombent comme des soufflets et qui furent l’apanage de la grande majorité des groupes des seventies.

 

Justement, on trouve deux morceaux intéressants dans «Smoke & Mirrors». Un stomp et un glam-rock. Comme son titre l’indique, «Who Are You Stomping Your Foot For» est un stomp, et même un bon stomp. Voilà une belle pièce de garage à cheval sur les époques, à la fois classique glammico-speedo et enlevée à la hussarde d’orgue battant. On sent bien que les Datsuns sont remontés à cheval car leur pounding est d’une puissance irrationnelle. C’est véritablement un morceau de batteur. Voilà ce qu’on appelle un train d’enfer, chez les cheminots de Sotteville. Cette belle pièce allongée et athlétique, suave et luisante, file sur l’horizon comme une balle perdue. Mais les morceaux suivants tournent assez mal, on va du Cockney Rebel au balladif atroce. Le riff de «Maximum Heartbeat» ne fait pas le moine. Dolf fait son Plant et Christian fait son tarabiscoteur, histoire d’épater la galerie des glaces du Palais de Versailles. Voilà un cut assez pompeux et un peu trop led-zeppien pour être honnête. Ils jouent «All Aboard» au bottleneck comme s’ils cherchaient la direction du Deep South en partant de l’étoile polaire. Du coup, ils s’égarent dans les seventies. Réveil en fanfare avec «Such A Pretty Curse», une petite pièce de garage stompée à la bonne franquette. On sent chez les Datsuns une nette tendance au glammage, ils frôlent parfois la tangente, mais ils retombent facilement dans leur passion du rock mal hurlé. Dommage qu’ils n’aillent pas franchement sur le glam, ça leur donnerait un certain cachet. Led-zepper ne leur apportera rien.

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«Headstunts» accentue encore l’impression de déclin qui émane des deux albums précédents. On retrouve ce chant perché sur la montagne et ces chœurs aléatoires qui plombent les morceaux. Ils se comportent comme des gamins, ils retapissent tous les clichés du rock et il faut attendre «Highschool Hoodlums» pour retrouver un semblant de filon. Ils l’annoncent avec un drumbeat de hit à la Gary Glitter - one two three four ! - et les riffs pleuvent comme vache qui pisse. Grâce à ce coup de glam, ils retombent sur leurs pattes, et c’est stupéfiant. On les prendrait presque pour des Anglais, tant leur glam tâche bien les draps. L’autre bon morceau de l’album s’intitule «Pity Pity Please». On croirait entendre du Jane’s Addiction balayé par des vents de speedance écarlate et des remugles de wha-wha.

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Leur dernier album s’appelle «Death Rattle Boogie». Ce disque malheureux illustre parfaitement ce qu’on sentait venir : la catastrophe. Pauvres Datsuns, ils se sont donné tellement de mal depuis des années pour en arriver là. À part le petit stomp de «Brain Tonic», pas un seul morceau n’est sauvable.

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Tiens ! Ils viennent jouer à Rouen, alors on prend un billet. Comme bon nombre de groupes, les Datsuns donnent mieux sur scène qu’en studio. Phil arrive le premier sur scène avec sa Flying V. Il semble bien allumé. Au moins comme ça, on reste dans le folklore. Puis arrivent ses collègues Rudolf, Christian et un batteur. Ils attaquent leur set avec «Silver» - un nouveau cut ? - et «Sittin’ Pretty», tiré du premier album. En forçant une voix qu’il n’a pas, le chanteur bassman frôle un peu l’arnaque. Phil gratte ses accords mécaniquement et finalement, toute l’attention se focalise sur Christian Livingstone, le petit soliste arqué sur une Gibson Les Paul. Car tout repose sur ses frêles épaules, il enrichit considérablement les morceaux en titillant ses cordes de ses petits doigts et il réussit à injecter de la substance dans des morceaux pour la plupart désastreusement ordinaires. Sans lui, le groupe ne vaudrait pas un clou. Il multiplie les opérations de sauvetage, et vient se poster sur le devant de la scène pour poser un regard de guerrier apache sur le public docile. Ce mec dispose d’un talent avéré mais il le gaspille en essayant de sauver des morceaux mal gaulés et souvent insipides. Il place ses petits chorus de facture classique ici et là avec une ténacité qui l’honore et il finit vraiment par forcer l’admiration. Pas facile de jouer du rock seventies. L’histoire des Datsuns restera celle du groupe qui voulut led-zepper plus haut que son cul.

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Signé : Cazengler qui préfère les Sun qui datent aux Datsuns

 

Datsuns. Le 106. Rouen (76). 13 mai 2014

 

Datsuns. The Datsuns. V2 2002

 

Datsuns. Outta Sight/Outta Mind. V2 2004

 

Datsuns. Smoke & Mirrors. Hellsquad Records 2006

 

Datsuns. Headstunts. Hellsquad Records 2008

 

Datsuns. Death Rattle Boogie. Hellsquad Records 2012

 

Sur l’illustration, de gauche à droite : Phil Sommervell, Rudolf de Borst, Ben Cole et Christian Livingstone

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31 – 05 – 14 / LE CESAR / PROVINS

 

LOREANN'

 

Le temps d'avaler deux cafés brûlants. Coup sur coup. Ce n'est pas Loreann' qui est partie, mais nous. Rendez-vous d'urgence en tout début d'après-midi. Je sais c'est râlant que vous commencez à vous habituer à sa présence hebdomadaire, mais ce coup-ci c'est râpé. Comme le fromage. Consolation ultime, une superbe version de Blowin' in The Wind de Zimmerman Bob. Et il a fallu s'arracher à l'envoûtement de cette voix, pour vaquer à de vagues occupations. I don't think twice, ça me fait trop mal.

 

Damie Chad.

 

BOOKS

 

CE SIECLE AURA TA PEAU

 

PATRICK EUDELINE

 

( Editions Florent-Massot / 1997 )

 

Patrick Eudeline, j'ai des copains qui lui envoyaient des textes quand ses premiers articles ont paru dans Best, j'ai acheté le premier disque d'Asphalt Jungle le jour de sa sortie, et si je ne me jette pas avant toute autre lecture sur sa chronique mensuelle dans Rock & Folk c'est pour faire durer le plaisir, la jubilation n'en sera que plus forte, j'adore ses partis-pris et ses enthousiasmes, et son côté gladiateur qui descend dans l'arène pour ridicliser les Fauves aux dents élimés qui repartent la queue en tire-bouchon.

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Il y avait tout de même un truc qui me turlupinait la teté, Ce Siècle Aura Sa Peau, son premier roman, en avoir entendu dire tant de bien et ne l'avoir jamais lu, c'est râlant, mais il ne faut jamais douter de soi-même, tout individu possède des ressources insoupçonnées. C'est en farfouillant dans ma cave que j'ai mis par hasard la main sur trois formats quasi-carrés, vivement colorés, ah! Oui ! Les trois bouquins que j'avais pris chez le bouquiniste pour les images sur la couverture. Et là mes yeux se dessillent, Car en bas ! Triple bus en haut ! comme disent les mexicains, dix ans que ça traîne sur les étagères et je réalise aujourd'hui que parmi ces trois incunables rock se trouve Ce Siècle Aura Ta Peau de Patrick Eudeline, certains jours l'on porterait soi-même sa tête recouverte d'un papier cadeau au bourreau.

 

Lorsque je remonte à l'étage avec mes précieux trophées la copine qui endosse à tout bout de champ le rôle de George Sand y va de son commentaire littéraire : «  Qu'est-ce que c'est ! Ah ça rappelle Les Confessions d'un Enfant du Siècle de Musset ! », c'est exactement cela, poupée, lui répondé-je au petit-dèje, mais au temps du romantisme l'amour s'éclairait à la bougie, ici il marche à l'électricité, direct live branché sur le secteur. C'est de l'Eudeline haute tension. N'y mets pas la patte, tu risquerais de te brûler.

 

VINCENT & MARIE

 

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Comme Frankie and Johnny, l'ange noir et l'oie blanche à qui le bon dieu s'est donné sans confession, question annonciation symbolique au moins dès le début l'on sait que ça va mal se terminer, difficile de faire pire. Pour le décor c'est facile, les quartiers les plus pourraves de Paris du dix-huitième le plus craignos au Père Lachaise. Le cimetière c'est le point de mire et d'arrivée, mais ça vous l'avez déjà compris. Attention aux cartes postales chromatiques, ce n'est pas le Paris populaire bon enfant des années trente, Hôtel du Nord et Front Populaire. C'est le Paris de la débâcle, ni celle de 1870, ni celle de 1940, celle d'une autre génération, post-punk, post-eighties, appelez-la comme vous le voulez, de toutes les façons elle ne diffère en rien des autres, de toutes celles qui l'ont précédée, elle est perdue corps et bien.

 

Mais lorsque débute le roman il reste encore les corps. Celui du héros et de l'héroïne. Les temps sont durs. Si c'était de la poésie, Marie serait une épave baudelairienne et Vincent serait le manteau noir que Gérard de Nerval a transbahuté sur ses épaules les vingt dernières années de sa vie. Deux paumés, deux débris qui se cramponnent et s'agrippent aux petites branches du renoncement ou de la survivance pour ne pas basculer dans le vide abyssal que la vie a creusée sous leurs pieds.

 

Ne sont pas tous seuls. Sont les représentants d'une époque, d'une jeunesse où tous les rêves de grandeur étaient permis. La dope et le rock'n'roll coulaient à flots. Le fleuve semblait intarissable. La révolution culturelle que rien ne saurait arrêter. A part l'inertie des masses qui s'abreuvent sans fin aux mamelles de la pétoche sociale et de la variétoche nationale. Bref des laisser-pour-compte. Un plateau de télé pour les plus chanceux, distribution de coups de pieds au cul pour tout le monde. Le système ne fait pas de jaloux. Vous oublie plus vite que la prochaine mode.

 

Accrochez-vous à vos petites combines merdiques, maquez-vous, prostituez-vous, couchez à l'hôtel de la rue qui caille, avalez des médicaments de substitution, dépêchez-vous de disparaître. Pour Marie et Vincent, l'avenir est tout tracé. Il n'y en a pas. A part que, guigne amère sur le gâteau de merde, tombent amoureux au premier clin d'oeil.

 

INTERMEDE

 

Je dis amoureux et tout de suite vous entendez les petits oiseaux qui font cui-cui, et vous repeignez le décor en rose. C'est vrai que c'est cuit et que c'est rosse, mais vous vous trompez de vocable, le terme le plus important c'est tomber. Plus dure sera la chute et rien ne l'arrêtera. Deux gros câlins et puis plus rien. Vous épargne les détails. Soyez voyants mais pas voyeurs. Sachez regarder au travers de la chair les affres d'une société mortifère. Vincent et Marie font davantage mumuse avec Thanatos qu'avec Eros.

 

BEAUTIFUL FRIENDS

 

The end. Je vous avais prévenu, ce serait court. Trajet sans surprise. Le rock'n'roll ce n'est pas toujours le strass, le glam et les paillettes. Pour quelques élus peut-être. Mais pour le gros des troupes c'est un peu le miroir aux alouettes, les illusions perdues et la fosse commune.

 

Zoui mais. Car il y a un mais. Pas un joli mois de mai où l'on fait tout ce qui nous plaît, mais quand on y réfléchit bien les cendres froides du phénix sont aussi la preuve de son immortalité. Rien n'est définitivement perdu quand tout est foutu. Attention, pas le coup de la rédemption. Les christ qui vous promettent des monts et merveilles, on en rencontre à tous les coins de rue. Et Patrick Eudeline balaiera vos derniers espoirs sans pitié. Tuez le Christ il reste encore à avaler les épines. Genre de nourriture terrestre qui ne vous conduit pas au septième ciel.

 

Après l'amour, la mort. Mais après la mort ? Nos deux personnages ont trop erré dans le dédale des ruelles du septième cercle de l'enfer parisien pour croire à la possibilité d'un paradis. Mais à deux, quel que soit le prix à payer, si l'on a pris deux billets aller, l'un des deux héros ne peut-il se servir de l'un des deux sésames pour revenir à son point de départ. N'est-ce pas une manière, tel le doux Gérard, de traverser deux fois vainqueur l'Achéron ? Pour peu de temps sans doute, car la Camarde n'aime pas les resquilleurs, les petits malins qui descendent à l'avant-dernière station pour ne pas payer le prix fort. Quelques heures seulement, mais assez pour atteindre au moins une fois l'absolu, en allant jusqu'au bout du désir d'absolu.

 

Après, plus la peine d'en parler, l'hypothétique déchet n'a plus d'importance.

 

Un roman magnifique. Foutrement rock'n'roll.

 

Damie Chad.

 

UPTOWN

 

LAURENT CHALUMEAU

 

( Editions Florent-Massot )

 

Deuxième livre de la collection. Même type de couverture genre cacatoès réussi. Sorti aussi en 1997. Chez Florent-Massot on lançait la collection. De poche, mais un peu chère. Prohibitif pour bourse plate. Pas étonnant que ça n'ait pas marché. Visait un public assez étroit. Style lectorat Rock & Folk. Comme par hasard c'est dans cette revue que Laurent Chalumeau a publié son premier papier. Les Editions Florent-Massot ont dû changer maintes fois le fusil d'épaule. Débuter en 1994 par Baise-moi de Virginie Despentes était un coup de maître, pardon de maîtresse, pour douze ans plus tard produire Patrick Sébastien indique assez bien l'infléchissement d'une trajectoire passée sous la coupe de la grande distribution et l' assujétissement commercial au goût du plus grand nombre. Les Editions Florent-Massot fermeront en 2012.

 

Uptown est un recueil d'articles parus dans Rock & Folk et L'Echo des Savanes entre 1984 et 1989. Laurent Chalumeau sait de quoi il parle, durant sept ans il a sillonné aux frais de la princesse – en l'occurrence l'émission Marlboro Music diffusée sur les Radio-FM – les States en long en large et en travers. Plus tard, une nouvelle fois associé à Antoine de Caunes – il batifolera dans Nulle Part Ailleurs sur Canal +. Nous avons dans KR'TNT ! 84 du 02 / 02 / 12 chroniqué son réjouissant roman Bonus qui date déjà de l'an 2000.

 

NEW YORK – NEW YORK

 

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Uptown commence à New York et finit à New York. Des plages de Coney Island aux alentours de la 150° Rue. Cette dernière limite, imprécise et extensible. Mais le mieux c'est de ne pas s'attarder dans la grosse pomme. Le ver est toujours dans le fruit. Un petit tour à la campagne ne nous fera que du bien. Attention nous emmène dans des endroits pas folichons, genre pénitenciers et réserves indiennes, pour les amusements c'est rodéo et billards. Un peu western, un peu film des années cinquante. Pas spécialement rock – même si l'on y croise Johnny Cash, Bruce Springteen et Phil Spector, mais l'Amérique telle que toute une génération de gamins français a pu l'appréhender dans les films qui passaient à la télé le dimanche après-midi.

 

Années 80, l'Amérique n'est plus ce qu'elle était, le Viet-Nam, le crack et le sida sont passés par là. N'en parle pas. Mais le rêve américain s'est évaporé. Société qui vit sur ses propres mythes qui se rétrécissent de jour en jour. Le fric a pourri beaucoup d'idéaux. Les cow-boys sont promis à un prompt chômage puisque l'on transporte les troupeaux en camion, les indiens ne résistent toujours pas à l'eau de feu, les solitaires indomptés sont arrêtés par la police et jetés en prison, que vous portiez vos guêtres dans le Sud ou dans l'Ouest, vous risquez d'être déçus. N'y a que les gros affairistes et les petits trafiquants qui subsistent. Le dernier des hommes prophétisé par Nietzsche prolifère. Cette race dégénérée a envahi tous les comtés. Vous n'y échapperez pas.

 

Uptown c'est un anti-Kerouac. Nul besoin de psalmodier on the road again. Pourquoi aller si loin pour rencontrer de telles décrépitudes ! Cela n'en vaut pas la peine. Si vous venez d'acheter votre billet pour l'Amérique, revendez-le, ou mieux encore refilez-le à votre pire ennemi. Mais ne vous tirez pas non plus une balle dans la tête avec votre Smith & Wesson de collection. Vous avez un autre voyage, bien plus merveilleux, à accomplir. Qui ne vous demandera aucun effort. Pas cher, un cigare, un fond de whisky, un fauteuil et vous vous enfoncez avec suavité dans la prose de Chalumeau. Lui-même l'avoue dans sa préface, en ce temps-là il y croyait encore au rock'n'roll, à l'Amérique, et au personnage de l'écrivain, alors ses articles il les peaufinait aux petits oignons, et ça se sent, vous avez de ces clausules de paragraphes qui sont de petits bijoux d'or fin rehaussés de diamants.

 

C'est après, lors du retour, qu'il s'est aperçu qu'il avait perdu ses illusions. Se traite de mercenaire de la polygraphie. Se passe en quelque sorte au Chalumeau de la dérision et de la lucidité. Vous n'êtes pas obligé de lui accorder créance jusqu'au bout. L'a su garder une honnêteté intellectuelle. C'est déjà beaucoup que de ne pas être dupe de soi-même.

 

Et puis ne vous inquiétez pas trop, les mythes subsistent à tous les crépuscules.

 

Damie Chad.

 

WESTERN BOP

 

Croyait en être quitte à venir avec nous voir les concerts de rock le grand Phil, mais chez KR'TNT vous êtes vite repéré et mis à contribution. Comment tu possèdes une collection inépuisable de westerns en DVD, et en plus tu achèves de lire le bouquin dont on vient de tirer le dernier western Homesman, sorti le 21 mai dernier ?

 

Nous avait déjà donné une chronique sur Dialogue de Feu avec Johnny Cash comme acteur principal ( livraison 74 du 24 / 11 / 11 ), mais si l'on doit attendre cent-vingt numéros avant qu'ils ne se mettent à fournir la nouvelle rubrique Western Bop spécialement créée pour lui, l'on sent que les chasseurs de prime ne tarderont pas retrouver du travail sur le secteur provinois...

 

 

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HOMESMAN / GLENDON SWARTHOUT

 

Traduction de Laura Derajinski.

 

( GALLIMEISTER / 2014 )

 



 

Auteur prolifique de westerns nous prévient la quatrième de couverture. Alors prolifique, on ne sait pas, seulement deux livres traduits aux éditions Gallmeister. Mais de westerns sûrement. Le chariot des pionniers sur et dans la couverture nous guide sur la piste, nous méguide plutôt. D’avancée sur une piste pour bâtir un territoire, il n’y a pas, il n’y aura pas.

 

Homesman nous raconte l’histoire d’un rebours. Ce n’est pas un échec, mais le refus d’une vie passée dans un esclavage domestique qui ne dit pas son nom. La liberté, quand elle ne peut pas se revendiquer haut et fort, quand elle est brimée par les conventions de la société et de la religion, quand elle est niée et bafouée dans l’intimité la plus profonde, ne peut se réfugier que dans la folie. Seule, celle-ci peut permettre d’atteindre ce que les hommes refusent d’accorder, de concéder, peut servir de refuge contre l’égoïsme masculin.

 

La patrie contenue dans le titre se situe non dans ce monde corseté et enfermé dans ses certitudes et ses croyances mais dans cet espace de liberté absolue que peut être la démence. La patrie des femmes ne se situe pas dans le monde de la raison et de la productivité, mais dans la musique et la poésie qui ne trouvent parfois leur refuge que dans la perte de cette raison, cette perte qui fait si peur aux hommes. C’est pour cela que Glendon Swarthout écrit un western féministe, un western qui refuse l’asservissement à la société.

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Ce retour dans une patrie par-delà bien et mal, au-delà de la raison humaine est aussi celui où l’on rejoint Briggs. La fascination des femmes pour la figure libertaire de Briggs met en exergue la liberté représentée par cet homme qui fait fi des conventions et des règles de la société. Elles le suivent parce qu’elles reconnaissent en lui un frère en refus des hommes, parce qu’elles voient en lui quelqu’un qui a osé échapper à ces règles qui les tuaient, parce qu’elles découvrent en lui une incarnation, l’incarnation de la liberté. Briggs est celui qui ne regarde pas en arrière, qui veut toujours something else, qui veut vivre sa vie telle qu’il l’entend et non telle que d’autres le voudraient.

 

Cette alliance de l’homme en marge, violent, ivrogne, mais de bon cœur, et de la femme qui se réfugie dans la religion et l’enseignement nous plonge dans l’univers et les personnages incarnés par Katharine Hepburn et John Wayne dans Une Bible et un fusil. Briggs est un avatar de Rooster Cogburn, comme Mary Bee Cubby est Miss Eula, mais une miss Eula qui ne parvient pas à s’imposer à la société, qui se détruit par la société.

 

Homesman dresse un constat bien cruel pour la société et le monde des adultes. Il faut se rapatrier dans l’enfance et ses rêves pour survivre parmi les loups. Le beau néologisme, « rapatrieur », de la traductrice, Laura Derajinski, prend ici tout son sens : l’homme est un apatride dans le monde raisonneur, seul le rejet des lois et la folie peuvent lui permettre de rentrer chez lui.

 

Glendon Swarthout aurait tout comme Huysmans pu intituler HomesmanA Rebours.

 

Philippe Guérin