16/10/2019
KR'TNT ! 434 : MICKIE MOST / WAYNE KRAMER / CRASHBIRDS / NEW MOON + RAPHAËL RINALDI / JIM MORRISON
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 434
A ROCKLIT PRODUCTION
17 / 10 / 2019
MICKIE MOST / WAYNE KRAMER CRASHBIRDS / JIM MORRISON NEW MOON + RAPHAËL RINALDI |
TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Most est un must - Part One
Si dans un bac de CDs tu croises un album de Mickie Most intitulé That’s Alright, prends-le. Même si la pochette te semble improbable. Sur ce fond rouge, Mickie ressemble en effet à l’un des chanteurs yéyés de Salut les Copains, mais quand tu vas entendre sa version de «Sea Cruise», tu vas très probablement tomber de ta chaise. C’est enregistré en 1963, avec ce qu’on appelle the big British Sound. Mickie y brandit le power suprême. On retrouve là ce qui fait la grandeur du «Bird Doggin’» de Gene Vincent, cette fantastique énergie rock. Ce shoot de baam boom est une merveille absolue. On retrouve le même son dans «It’s A Little Bit Hot» qui est la B-side du single, mais le cut est moins avenant que «Sea Cruise». Précision importante : cet album est une compile de singles. Le «That’s Alright» enregistré l’année précédente déboule bien, c’est joué ventre à terre par un certain Little Jimmy Page. Excellente presta. Alors après, on entre dans la chronologie du British Sound. Mickie Most a déjà tout compris. Son «Shame On You Boy» bénéficie d’une prod de rêve, et farcie de Diddley beat, en prime. On voit tout de suite que Most est un must visité par la grâce. Il joue son «Guitar Boogie Shuffle» à l’acuité définitive. Il fait même monter la basse dans le mix de «Whole Lotta Twisting» pourtant joué à la clairette de Buddy Holly, qui est l’une de ses idoles. Cette compile est une véritable leçon de dignité, on voit avec «Move It» que ce mec Most a le génie du son. Il frise le Gene Vincent avec «Move It» et joue ça au mieux des possibilités - It’s called rock’n’roll - Most moves it, for sure. Il sait déjà tout faire. Alors forcément, quand il va produire tous les autres, les Animals, Donovan, Suzi Quatro, les Yardbirds, il sera parfaitement à l’aise. Il embarque son «Cumberland Gap» à la précipitation invétérée, mais il commence à se vautrer en voulant toucher à «Great Balls Of Fire». Étonnant de la part d’un mec qui paraît si avisé. Son kiss me baby est d’un ridicule ! Laisse-ça à Jerry Lee, Mickie ! Pareil pour «Rave On», même s’il okète derrière, ça reste pauvre, comparé à l’original. Il tape aussi dans «Sweet Little Sixteen», mais bon, laisse ça à Chuck, même si c’est ultra joué. Grand retour des frissons avec «O In Love». C’est admirable de big heavy sound - You’re hundred per cent - Il fait un «Kansas City» à l’Anglaise, mais bon, pareil, laisse ça à Little Richard, Mickie. Il manque tout simplement le barrelhouse. On le voit encore rendre un bel hommage à Bo Diddley dans «Willie And The Handjive» et se vautrer avec «Peggie Sue» et «Rip It Up». Pour se consoler, il ne reste plus qu’à réécouter sa fantastique version de «Sea Cruise».
Ace consacre ENFIN un ouvrage définitif à Mickie Most, l’un des acteurs fondamentaux de l’histoire du rock anglais. Un ouvrage, oui, car il s’agit d’une compile doublée d’un livret qui par sa taille (72 pages) se rapproche plus du livre, mais du mini-livre, puisque c’est formaté sur le boîtier du CD et composé en corps 5, ce qui est extrêmement agréable à lire. Il n’existe rien de mieux pour se péter les yeux. Ah merci Ace ! L’auteur s’appelle Rob Finnis et annonce la parution d’un vrai livre en 2019, Mickie Most Pop Genius. Mais si on lit l’autobio de Suzi Quatro, Unzipped, on apprend déjà énormément de choses sur Mickie Most, l’épitome de chèvre de la classe. Juste un exemple : il fait à Suzi Quatro qu’il découvre à Detroit le coup que Willie Mitchell fait à Al Green qu’il découvre au Texas : il propose à Suzi de la transformer en star. Ça prendra combien de temps, demande-t-elle. Oh ça peut prendre un an ou un an et demi, lui répond Mickie Most. Même chose qu’Al Green : la première réaction de Suzi est de dire non, ce n’est pas possible. Trop long ! On connaît la suite de l’histoire. Au bout de dix-huit mois de préparation intense, Al Green et Suzi Quatro sont devenus des stars. Willie Mitchell et Mickie Most savaient très bien ce qu’ils faisaient.
Mickie sait exactement ce qu’il veut. Il veut ce qu’il aime, ce qu’il appelle the good commercial pop. Il sait par exemple que le nouveau single de Lulu ne pourra rien contre l’injustice, la guerre et la famine, mais il aidera à oublier tout ça pendant deux minutes. C’est le rôle de la pop.
Mickie grandit à Londres, dans l’East End et quitte l’école avant quinze ans. Il fait les petits boulots de tous les drop-pout de l’époque et flashe sur James Dean. On est en 1955, juste avant qu’Uncle Sam n’invente le rock’n’roll. Mickie découvre ensuite le fameux 2i’s bar qui va devenir la Mecque du rock à Londres. Les propriétaires Paul Lincoln et Ray Hunter se retrouvent au cœur une véritable révolution. On peut voir dans ce bar Tommy Steele, un pionnier du rock anglais scandaleusement sous-estimé. Avec l’histoire du 2i’s naît l’adage fondamental : to be in the right place at the right time. Tout est là, il faut être au bon endroit au bon moment. C’est là en 1957 que la légende du rock anglais va prendre naissance. Et Mickie Hayes a la chance d’en faire partie. Il apprend à jouer un mi sur sa guitare. Et il va chez un marchand d’instruments sur Charing Cross Road faire accorder sa guitare pour deux shillings (ten pence). C’est là en 1957 qu’il acquiert son sobriquet, Mickie the Most. Ses amis se moquent gentiment de lui car il passe son temps à dire de tel film ou de tel disque : «This is the most !» On le voit mimer le guitariste à côté du juke-box, se recoiffer et lancer des trucs du genre : «I’m gonna split this scene !» Mickie hennit comme un étalon sauvage. Paul Lincoln qui vient de lancer Wee Willie Harris s’intéresse de près à cet étalon et à son copain Alex Wharton. Il en fait les Most Brothers, l’équivalent anglais des Everly Brothers. Aux journalistes, Lincoln raconte qu’il a choisi de les baptiser Most Brothers, non parce qu’ils ont du talent, mais parce qu’ils foutent le souk dans la médina. Alex et Mickie arrivent sur scène, ils ne savent ni jouer ni chanter, mais ils ont des belles coupes de cheveux. Lors de sa première visite aux studios d’Abbey Road, Mickie voit des techniciens en blouses blanches. L’Angleterre est encore très traditionaliste. Mais quand Cliff Richard et Billy Fury arrivent dans le circuit en 1958, c’en est fini des Most Brothers et de Wee Willie Harris. Cliff Richard rafle la mise. Terminé pour les demi-portions comme les Most Brothers. Pas grave, car Mickie à d’autres chats à fouetter : il est tombé amoureux d’une petite gonzesse nommée Christina Fusco. Le problème est qu’elle ne vit pas à Londres, mais en Afrique du Sud. Comme c’est pratique ! Alors, ils se voient de loin en loin, lorsque ses parents viennent faire du tourisme à Londres. Un jour le père de Christina lance à Mickie : «Si tu veux revoir Christina, tu devras venir en Afrique du Sud !» Wow ! Mickie étudie la question. Trois jours d’avion. Bon, il y va. Il est amoureux. Quand il arrive à Johannesburg, il n’a plus un rond, mais il l’épouse. Comme il est fauché, il ne peut plus rentrer à Londres. Alors il doit bricoler sur place. Il joue dans des fêtes, déguisé en clown.
En 1962, Mickie, sa femme enceinte et sa belle sœur Jackie rentrent en Angleterre. Mickie veut que son fils Calvin naisse en Angleterre. Il a failli devenir une star locale en Afrique du Sud et comme il sait qu’il n’est pas assez bon au chant, il décide de se consacrer à la production. C’est en découvrant les Stones en 1963 sur le plateau de l’émission Thank You Lucky Stars que Mickie comprend qu’il doit vite changer de coiffure. Hop, the flop en avant. Il est aussi en contact avec Don Arden qui lui a confié la tournée de Gene Vincent en Afrique du Sud quelques années auparavant. Arden apprécie beaucoup Mickie. Il lui demande de chanter en première partie des tournées anglaises qu’il organise pour Bo Diddley, Jerry Lee, Gene Vincent ou les Shirelles. Juste après Mickie passent les Stones. Il fréquente beaucoup Jagger à l’époque et le trimballe dans la Porsche qu’il a ramenée d’Afrique du Sud. Il trouve d’ailleurs Jagger très laid et pense que s’il était moins laid, son groupe aurait plus de chances.
C’est à cette époque que Mickie devient copain comme cochon avec Peter Grant, un gros balèze qui s’est payé un van : il se vend comme chauffeur de pop stars et commence à travailler pour Don Arden. Bon, Arden est bien gentil avec ses tournées anglaises, mais Mickie sait qu’il ne deviendra jamais une star. Il dit stop et décide de devenir producteur.
Ça tombe bien, Don Arden vient de signer un petit groupe de Newcastle, les Animals, et propose à Mickie de s’en occuper. Mickie précise toutefois qu’il les avait déjà découverts lors d’une tournée dans le Nord avec Bo Diddley. Don Arden rassemble les Animals dans son bureau et leur explique qu’il va faire d’eux des stars. Comment ? Il leur offre la première partie d’un tournée de Chuck Berry, et un producteur nommé Mickie Most, ce qui ne plait pas à Chas Chandler qui préférerait travailler avec Ian Samwell. Arden dit que c’est à prendre ou à laisser. On ne discute pas avec Don Arden - Most came with the package. Or there was no package.
En 1964, Mickie Most produit «Baby Let Me Take You Home» des Animals. C’est là qu’il devient crédible, en tant que producteur. Son studio préféré est le fameux De Lane Lea, au 129 Kingsway, en face de la station Holborn. C’est au De Lane Lea que les Stones ont enregistré leur premier single, «I Wanna Be Your Man», en 1963. Mickie Most apprend à travailler avec l’ingé son Dave Siddle. S’ensuit l’extraordinaire épisode de «The House Of The Rising Sun». Gare d’Euston, 7 h 30 du matin : Peter Grant et Mickie viennent récupérer les Animals qui ont voyagé de nuit. Grant charge le matos du groupe dans son van et Mickie repart au volant de sa Porsche. Ils vont directement au De Lane Lea qui est à cinq minutes de la gare. Ils enregistrent House en une seule prise. Dave Siddle dit qu’il y a un problème : le cut fait quatre minutes, ça ne passera jamais à la radio. Mickie est persuadé que c’est un hit énorme et il a raison. Chas Chandler : «No-one believed in but Mickie.» Oui, Mickie était le seul à y croire.
Puis Don Arden demande à Mickie d’aller jeter un œil sur les Nashville Teens, qui ont accompagné Jerry Lee au Star Club de Hambourg. Mickie monte dans sa Porsche et fonce les voir au Cellar Club, à Kingston-on-Thames, juste à la sortie de Londres. Il flashe sur leur version de «Tobacco Road». Mais il a du mal à reproduire le power des Nashville Teens en studio. Il doit faire appel à Bobby Graham et Jimmy Page to nail it. Mais bon, Mickie n’est pas convaincu par les Nashville Teens et il passe à autre chose. Don Arden branche ensuite Mickie sur Brenda Lee. Sur la compile qui accompagne le mini-book, on peut entendre «Is It True», mais c’est de la grosse cavalerie qui en réalité ne pouvait pas convaincre les aficionados. Il tente aussi de lancer une petite Écossaise, Barry St John avec ce «Bread And Butter» qu’on peut aussi entendre sur la compile, mais c’est du gospel batch. Mickie Most essaye de faire de la pop avec du gospel. Ça s’appelle bouffer à tous les râteliers. Il produit aussi les Herman’s Hermits qui iront faire un carton aux États-Unis. En 1964, Mickie tourne à plein régime et ouvre des bureaux à Mayfair, au 39 New Bond Street. Le voilà établi comme l’un des producteurs londoniens de renom.
Fin 64, le businessman new-yorkais Allen Klein débarque à Londres, bien déterminé à signer ces movers et shakers londoniens qui étaient derrière la fameuse British Invasion. Il fait l’impasse sur les intermédiaires et s’adresse directement aux grosses poissecailles. Brian Epstein l’envoie balader, mais Klein récupère trois choses : le Dave Clark Five, le droit de représenter les Stones aux USA et le management du business américain de Mickie Most. Klein est gonflé car il commence par appeler Mickie pour lui dire qu’il va signer les Beatles. Mickie lui répond qu’ils sont déjà signés. Mais comme Klein commence à jongler au téléphone avec les millions de dollars, il finit par impressionner Mickie - That sounded very attractive to me - Klein lui propose de le recevoir dans sa suite au Grosvenor. Mickie Most arrive accompagné de son associé Laurence Myers. Klein revient sur sa proposition : gagner un million de dollars. Comment ? En négociant avec les labels américains. Most se dit qu’il n’a rien à perdre. Banco ! En sortant du rendez-vous, Most et Myers éclatent de rire. Un millions de dollars ! C’est pour l’époque une somme ridiculement élevée. Et pourtant, il l’a fait - And he did - Mickie se félicite d’avoir signé. Il explique que Klein a beaucoup d’avance sur les autres - Well ahead of the game - Mickie passe son temps à produire des disques et Klein le sien à faire du blé avec ces disques. Et comment s’y parvient-il ? En obligeant les labels à payer plus. Le credo du Klein : «We’ll negociate your deal. You’re not getting enough !» - Grâce aux connections de Klein, les Animals et les Herman’s Hermits se retrouvent sur MGM, l’un des trois gros labels américains avec RCA et Columbia. Mickie admire ce businessman américain : «He was 100 per cent correct.» Les choses s’emballent, Klein fait jouer ses relations et RCA propose à Mickie de produire Elvis dont la carrière et les ventes sont en chute. Sachant qu’il ne pourra jamais faire mieux que Sam Phillips, Mickie décline l’offre - The best had already been done - Klein lui demande ensuite de produire Sam Cooke. D’accord. Mickie prend l’avion pour New York mais cet imbécile de Sam Cooke se fait buter le jour de son arrivée. Dans sa fantastique monographie (Allen Klein. The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll) Fred Goodman revient longuement sur l’excellente relation qu’entretenaient Mickie Most et Allen Klein. Dans l’histoire du showbiz, il s’agit là de l’une des plus parfaites conjugaisons de talents.
En novembre 1964, Mickie et Peter Grant quittent l’orbite de Don Arden et montent leur propre structure de management, RAK Management, qui comprend une filiale Records et une filiale Publishing. Ils s’installent tout près d’Oxford Street, sur Dean Street. Quand en 1968 les Stones virent Andrew Loog Oldham, Klein propose à Mickie de s’occuper des Stones, mais il décline. Pas pour les mêmes raisons qu’Elvis. Il sait que son mode de vie est incompatible avec celui des Stones. Mickie veut préserver sa vie de famille. Et puis il connaît les Stones depuis le début - They just aren’t my trip - Il dit qu’il faut savoir choisir son mode de vie. Les Stones démarrent à minuit. Lui, il préfère dormir avec Christina. Il refuse l’idée que le business puisse affecter sa vie de famille. Bien sûr, Mickie ne prend pas de dope et boit avec modération. Par contre, il fume comme un pompier. Il réussit à s’arrêter à 35 ans. Il fera ensuite du sport pour s’entretenir. Ce qui n’est pas le cas de Peter Grant qui met le nez dans la dope. Mickie est très proche de Peter, mais il ne peut pas l’aider - I never took any drugs and it never interested me - Et comme ses amis en prennent, il ne les voit plus - I wasn’t close to them anymore - Il sent que les gens le rejettent parce qu’il est trop straight. Il avoue quand même que les Herman’s Hermits lui ont ruiné les oreilles avec leurs conneries, même s’il s’est fait un gros paquet de blé grâce à eux. Il préfère nettement les Animals - The Animals music was good music - Et il ajoute : «Bloody good !» C’est aussi l’époque où Mickie va régulièrement aux États-Unis faire ses courses. Il achète des chansons à New York ou Los Angeles. Il prend le vol TWA du dimanche et rentre le vendredi suivant. Il cherche de l’or, comme jadis les mineurs du Yukon.
Les choses prennent une autre tournure avec Donovan. En devenant célèbre avec «Colours» et «Catch The Wind», Donovan confie ses intérêts américains à Allen Klein. Klein sort immédiatement Donovan des pattes du petit label de Nashville, Hickory, pour le confier aux bons soins d’une filiale de Columbia, Epic, et lui obtient dans la foulée une spectaculaire avance de 100.000 $, plus une garantie annuelle de 10.000 $ sur les cinq années à venir. C’est le premier gros budget que lâche le nouveau président de Columbia, Clive Davis. Pour lui, Donovan est un bargain, c’est-à-dire une bonne affaire. Et c’est là où Mickie entre dans la danse, via Klein. Donovan se pointe chez RAK, dans le bureau de Mickie et de Peter Grant, et gratte sur sa gratte «For John And Paul» qui va devenir «Sunshine Superman». Mickie impose à Don un changement de look, car il trouve qu’il ressemble trop à Dylan. Exit la casquette, les jeans et l’harmo. En décembre 1965, Donovan entre à Abbey Road avec John Cameron, John Paul Jones et un autre bassiste sur stand-up, Jimmy Page et un autre guitariste, des mecs aux congas, et of course, Don gratte des coups d’acou sur sa Gibson J-45. Puis il voit le visage de Mickie s’illuminer de l’intérieur dès que tout le groupe se met à jouer - He knew this was the hit single. He just knew it - «Sunshine Superman» allait sortir sur Pye en janvier 1966, mais une dispute avec EMI va retarder la parution d’un an. Don quitte l’Angleterre après un drug bust et se réfugie sur l’île grecque de Paros. Il y compose «Mellow Yellow» et finit par rentrer à Londres quand il apprend que «Sunshine Superman» est number one all over. Il retourne en studio avec Mickie enregistrer «Mellow Yellow». Pareil, il voit la tête de Mickie s’illuminer. C’est encore un hit - Electrico-bananahhhh - Laisse tomber, Mickie, c’est Don qu’il te faut. Fabuleux shoot de safranabout me. On est en pleine magie. Le seul qui ait su aller aussi loin dans le bumping du rock mellow, c’est Dave Edmunds avec «I Hear You Knocking». Chaque single de Don que produit Mickie entre 1966 et 1969 va être un hit universel. Trop facile. Et quand les chemins de Don et Mickie se séparent, la rivière de hits se tarit. Mickie explique que Don voulait toujours jouer avec d’autres stars, un bon exemple avec «Barabajagal» et le Jeff Beck Group. Il avait en tête l’idée du super groupe, avant que ça ne devienne une mode. Mickie se souvient d’une session californienne en 1969 avec les Three Dog Night, Stephen Stills à l’orgue, Graham Nash au chant, John Sebastian à l’harmo et Mama Cass aux back-up vocals. Il n’y avait dit Mickie que des chefs et pas d’indiens. Tout le monde ramenait son grain de sel. Ils racontaient qu’ils n’étaient pas là pour le blé, mais pour la jam et Mickie leur répondit sèchement : «Ça me coûte 150 $ de l’heure et j’ai fait 6.000 miles pour venir, donc j’en ai rien à foutre de la jam, Essayons d’enregistrer quelque chose - Let’s get some work done.» Mickie le pop genius est ce que les Anglais appellent un control freak. Il sait ce qu’il veut et qui oserait lui donner tort ?
En 1966, Simon Napier-Bell confie le management des Yardbirds à Mickie et Peter Grant, car il ne supporte plus les tensions qui règnent à l’intérieur du groupe. Paul Samwell-Smith a quitté le groupe. Jimmy Page entre dans le groupe mais ça ne fonctionne pas si bien que ça avec Jeff Beck qui finit par quitter le groupe, lors d’une tournée américaine. Beck rentre à Londres et confie son destin à RAK Management. Il se pointe et déclare à Mickie : «I want to be a pop singer !» C’est là que démarre l’épisode mythique du Jeff Beck Group. Mickie ramène de New York un hit nommé «Hi Ho Silver Lining» qui est taillé sur mesure pour les Herman’s Hermits, mais il le refile à Jeff Beck qui ne l’aime pas, car il sent que cette daube peut le couler définitivement. On peut l’entendre sur la compile. Jeff Beck lui troue le cul avec un solo de rage noire. Il se plaint surtout d’avoir dû chanter cette horrible pop-song, alors qu’un chanteur extraordinaire comme Rod The Mod était disponible. Rien à faire, c’est le contrat. Mickie fait les backing vocals avec Rod. C’est surtout Mickie qu’on entend et la situation l’amuse car il est un aussi piètre chanteur que Jeff - Between us, we almost ruined the record - C’est un sens de l’humour qu’il faut savoir apprécier. Mais une chose est sûre, c’est un hit. L’un des plus populaires de tous les temps. On l’entend à l’époque dans les mariages, dans les karaokes, dans les grandes surfaces, partout.
Le saviez-vous ? Lulu est la fille d’un boucher de Glasgow. Quand son contrat avec Decca expire en 1966, la manageuse de Lulu la met dans les pattes de RAK Management. Pour relancer la carrière de cette Miss Pop, Mickie la fait venir au dernier étage du building sur Oxford Street et lui fait écouter une sélection de chansons. Elle s’inquiète car elle pense que Mickie veut faire d’elle a female Herman. Jusqu’au moment où elle entend «The Boat That I Raw» de Neil Diamond. Allez hop, direction le De Lane Lea, février 1967, avec Clem Cattini (drums), John Paul Jones (bass) et Alan Parker (guitar). Mickie veut que ça sonne comme «La Bamba». C’est aussi John Paul Jones qui joue sur «To Sir With Love» qui va topper the US charts pendant des semaines. Quand elle décide d’arrêter de travailler avec Mickie, c’est uniquement pour se tourner vers Atlantic, en quête de respectabilité artistique. «The Boat That I Raw» n’a pas pris une seule ride. C’est l’un des points forts de la compile, avec Donovan. Quelle fantastique énergie ! Elle sait exploser à bon escient.
En 1968, le marché du disque commence à changer. Les ventes de single s’écroulent. Les gens préfèrent acheter des LPs. Mickie est un pondeur de hit singles, alors il doit s’adapter. Il repère un jeune mec de 18 ans qu’il trouve particulièrement doué, Terry Reid - He is going to be the biggest thing in record business - Il le compare à José Feliciano qui bâtit des petits mondes avec ses chansons. Il tente aussi de relancer la carrière des Yardbirds avec «Little Games», supposé être un hit, mais c’est le côté Yardbirds qui ne fonctionne pas, c’est même carrément mauvais et empuanti par des ponts foireux. Pire encore, Epic réclame un album et Mickie prend la demande par dessus la jambe. Il fait du remplissage avec des cuts non produits. Jimmy Page voudrait écouter les enregistrements et Mickie n’a pas le temps. La plupart des cuts de l’album sont des premières prises non validées. On le sait, le résultat est catastrophique. Et comme Mickie arrive au terme de son contrat avec Epic et que Don et Lulu sont partis voir ailleurs, les Américains ne voient aucune raison de renouveler leur partenariat avec Mickie. Il n’y a plus de Yardbirds non plus. Ils sont devenus Led Zeppelin et Jimmy Page a beaucoup insisté pour que Mickie Most soit tenu à l’écart. De son côté, Terry Reid ne vend pas et la réputation de Mickie Most en tant que roi du single pop commence à se retourner contre lui.
De l’autre côté de l’Atlantique, Clive Davis a tout compris : il signe tous les artistes de la Woodstock Generation, vend du LP à la tonne et passe du son mono à la stéréo. En réaction, Mickie décide de sauver le marché du single avec son label RAK. Pour ça, il lui faut parvenir à implanter RAK chez les disquaires, avec du rock frais qui se vend. Il démarre en 1970 avec un single de Julie Felix, «El Condor Pasa». Puis c’est CCS (Collective Counciousness Sound), un trio formé par John Cameron et Alexis Korner. Le single s’appelle «Walking» et c’est du heavy stuff. Un hit sorti de nulle part. Effarant ! Ça vaut mille fois les Yardbirds. C’est Alexis Korner qui chante cette énormité composée par Donovan. Ce sera le seul succès commercial d’Alexis Korner. Là-dessus, Mickie fait jouer Herbie Flowers (bass) et deux batteurs.
En 1970, Mickie rencontre un duo de compositeurs, Nicky Chinn et Mark Chapman qui ont pour étrange particularité d’aller plus vite que la musique. Chinn est un fils de riches installé à Mayfair et Chapman vient d’Australie. Il a joué un moment dans les Downliners Sect, puis il survit en lavant des vitrines ou la vaisselle dans des restaurants. Jusqu’au moment où il fait le barman au Tramp, un club chicos de Mayfair. Il y rencontre Chinn et ils décident de composer des chansons ensemble. Un jour, Chinn dit : «Et si on passait un coup de fil à Mickie Most ?» Coup de chance, Mickie Most est encore dans l’annuaire. Un soir, Chinn l’appelle pour lui dire qu’il écrit des hits avec un copain nommé Chapman. Mickie lui répond à l’Anglaise : «Oh do you ?» Puis Mickie lui demande : «Qu’attendez-vous de moi ?» Oh juste vous rencontrer. «Ok then, demain matin 11 h 30 à mon bureau. Ça vous va ?» Et voilà le travail. Ils arrivent le lendemain la gueule enfarinée dans ce grand bureau d’Oxford Street où Mickie et Peter Grant sont installés. Grant insulte des gens au téléphone et comme Chinn et Chapman n’ont pas de cassettes, Chapman doit jouer les démos sur sa guitare. Il est tellement nerveux qu’il casse cinq cordes pendant la première chanson. Mickie s’impatiente. «Next one, please !» Mickie a l’oreille. Il voit tout de suite si le cut a du ventre ou pas. Chapman remet des cordes et commence à jouer «Tim-Tom Turn Around» et Mickie lui dit : «Stop ! That’s it !»
Puis il s’occupe de Mary Hopkins, la protégée de Paul McCartney, qui avait eu un hit avec «Those Were The Days». Mais ça ne colle pas. Mary Hopkins est très introvertie. Mickie ne peut rien faire pour l’aider. Par contre, il produit Truth, le premier album du Jeff Beck Group et semble passer aux choses sérieuses. Puis c’est Beck-Ola, un album encore plus prestigieux, l’un des sommets de l’histoire du rock anglais. Leur version de «Jailhouse Rock» sonne comme une entreprise de destruction massive, un vrai paradis dans lequel Rod the Mod serait Dieu. Et quand Dieu quitte le groupe, Jeff Beck tente de monter un coup chez Motown à Detroit avec Mickie et Cozy Powell. Les sessions vont hélas rester aux archives, mais un certain Mike Quatro vient trouver Mickie pour lui parler de Cradle, un groupe local dans lequel jouent trois de ses frangines. Mickie accepte d’aller voir jouer Cradle. You never know, dit-il avec un petit sourire en coin. Jeff Beck est là et il chuchote à l’oreille de Mickie : «Grab the little chick at the back playing bass, that’s the one...» Eh oui, Jeff Beck a repéré la petite gonzesse qui joue de la basse derrière. À la fin du set, Mickie fait signe à Suzi : «Come here I want to talk to you !» Il l’emmène boire un verre de champ à l’hôtel. Mike Quatro va ensuite insister pour que Mickie signe tout le groupe, mais ça ne l’intéresse pas. Il ne veut que Suzi qui dans un premier temps refuse la proposition que lui fait Mickie de venir en Angleterre. Mais quand Cradle se sépare en 1971, Suzi accepte de venir à Londres pour entreprendre une carrière solo. Dix-huit mois de préparation. C’est le tarif. Jusqu’au moment où Chapman & Chinn amènent «Can The Can» - Put your man in the can - Comme ce fut le cas pour Donovan, Mickie revoit le look de Suzi. Il l’emmène chez Ken Calder, un fashion designer dont la boutique devient célèbre, Obscured By Clouds : tous les glamsters de Londres viennent y acheter du cuir. Calder propose d’habiller Suzi comme Marianne Faithfull dans Girl On A Motorcycle. En vraies poules aux œufs d’or, Chinn & Chapman se mettent à pondre des tas de hits pour Suzi, mais aussi pour Mud et pour Sweet. On est à l’âge d’or du glam. Mickie lance aussi les Arrows, un trio composé de deux Américains, Alan Merrill et Jake Hooker et d’un batteur anglais nommé Paul Varley. Ils smashent avec «I Love Rock’n’Roll», mais c’est un coup de bol, car Mickie misait plutôt sur l’A-side du single, «Touch Too Much». Hélas, les Arrows vont vite disparaître. La vie est parfois cruelle.
Vient le temps de Chris Spedding, de «Motor Bikin’» et des Vibrators, que Mickie signe sur RAK. Spedding utilise le studio de Mickie pour enregistrer les démos des Pistols. Il y a des pourparlers. Mais Mickie ne veut pas s’impliquer dans la vague punk. Il voit McLaren et se félicite que ça en reste là. C’est une scène qui ne l’intéresse pas. Puis il commet une petite erreur en voulant devenir producteur télé. Le pop genius se fourvoie. Et quand dans les années quatre-vingt il voit que le marché lui échappe et qu’il ne comprend pas ce qu’est en train de devenir le rock anglais, il vend RAK à EMI pour sept millions de Livres. Allez hop, terminé !
Signé : Cazengler, Mickie Moche
Mickie Most. That’s Alright. LCD 2006
Mickie Most. The Pop Genius Of Mickie Most. Ace Records 2019
Fred Goodman. Allen Klein. The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll. Houghton Miffling Harcourt 2015
Suzi Quatro. Unzipped. Hodder & Soughton 2007
Kramer tune - Part Three
Dans les années 2000, Brother Wayne écumait le monde et rendait compte de ses tribulations sur son site, le bien nommé Kramer Headquarters. En consultant ces fringants reports, comme il les appelle, on pouvait suivre en direct la vie d’une rock star on the road. Ça fourmillait d’informations. Aucun détail n’échappait à Tintin Kramer. Il s’en prenait aussi à la brutalité de l’administration Bush. Quand il ne faisait pas de politique, il revenait longuement sur ce film consacré au MC5 et jamais sorti, A True Testimonial. Il le qualifiait de plus grand film de l’histoire de cinéma. Puis il reprenait la route et allait jouer à Austin avec les Bellrays. De retour à Los Angeles, il saluait Mother Superior, «the hardest rocking band in show business». Puis il filait en Scandinavie retrouver la crème de la crème du gratin dauphinois au Hultsfred Festival : Handsome Dick Manitoba, Ross the Boss, Jello Biaffra et Chris Bailey. Tintin Kramer s’effarait de voir les Scandinaves soûls bien se comporter. Rien à voir avec les Américains ! Il retrouvait aussi au Hultsfred des gens comme Iggy, J. Mascis, Queens Of The Stone Age, Rocket From The Crypt, Mike Wyatt et les Hellacopters ! Tintin Kramer allait d’ailleurs s’acoquiner avec les ‘Copters et composer avec eux «Gotta Keep Movin’», un cut destiné à accompagner la sortie du film consacré au MC5. Tintin Kramer travaillait aussi la nuit avec Tony Fate des Bellrays sur Pro Tools et entre deux bricolos, il revenait à sa chère politique pour accuser le pouvoir américain d’avoir fabriqué les fondamentalistes islamiques : «They trained him and his gang back when they thought terrorizing the Soviets was an honorable concept. The US government has trained death squads that have murdered thousands of innocent people around the world.» Il accusait le pouvoir américain d’avoir entraîné des escadrons de la mort qui sévissaient partout dans le monde. Il voulait ses propos criants des vérité. «We are hated for our arrogance.» Il ne se trompait pas quand il affirmait qu’on détestait les Américains pour leur arrogance. «We are hated for our excess. If history has shown us anything it’s that you cannot fuck people over forever. At some point they will rise up angry.» Il savait qu’on ne pouvait pas éternellement prendre les gens pour des cons. Tintin Kramer vitupérait. Puis il revenait au rock avec The International Noise Conspiracy, un combo scandinave très politisé. Il annonçait aussi que les Hives allaient devenir le plus gros groupe de rock européen. Il faut se souvenir qu’à l’époque le rock renaissait de ses cendres. Les Bellrays et Mother Superior furent des locomotives. En 2004, Tintin Kramer organisait une tournée pour la promo d’Adult World. Doug Lunn (bass), Eric Gardner (drums) et Jim Wilson de Mother Superior (keys) l’accompagnaient : «For me it’s the absolute line-up. They all know about Sun Ra and James Brown, Chuck Berry and Charles Bukowski.»
Tintin Kramer commençait alors à réfléchir à la reformation du MC5. Il monta un deal à Londres avec les jeans Levis, Dave Vanian, Lemmy et Nicke Royale des Hellacopters. Il allait ensuite à Paris s’inventer des racines franco-grecques. En Écosse, il s’émerveillait de voir des animaux par la fenêtre : «Very strange, horses, dogs and cats, birds and bees. Strange.» Sur la sono du bus de tournée, il découvrait Speedball Baby. Au Danemark, il n’en revenait pas de voir les gens laisser leurs vélos sans les attacher. Impensable aux États-Unis ! Et crack, il revenait sur l’égoïsme et l’arrogance des Américains. «L’Amérique n’évoluera jamais !», scandait-il. En Finlande, il allait au sauna avec Eduardo Martinez et les Flaming Sideburns. De retour à Los Angeles, il montait sur scène au Baked Potato avec Don Was et Hunt Sales, histoire de boucler la boucle. À la Nouvelle Orleans, il jouait avec Cheap Trick : «Cheap Trick are truly one of the premier touring bands today.» Puis il voyait un alligator traverser la route. En ce temps-là, il se passait des choses étranges par les nuits de pleine lune.
Dans un Part One, on a pu voir les aspects biographiques du Kramer System. Le Part Two nous a permis de dresser un panorama sommaire de sa carrière solo. Le part Three va passer en revue les trois grands épisodes participatifs du Kramer System : Gang War, Dodge Main et Racketeers.
En 1979, Tintin Kramer monte Gang War à sa sortie de Lexington avec Johnny Thunders, l’un de ses grands admirateurs. Il ne reste pas grand chose de cette folle aventure, à peine quelques enregistrements live et un demi album studio, le fameux Gang War paru en 1990 sur Demilo. L’A est un live enregistré au Max’s Kansas City en 1980. On y retrouve la merveilleuse désaille de la dépenaille de «London Boys». Ils jouent dans une sorte de chaos sublime et Johnny taille sa route à coups d’incursions massives. Avec «I’d Much Rather Be With The Boys», on voit bien que ce diable de Johnny regorge de décadence. Il livre ses trésors de malovelance dans la plus parfaite ambivalence. On se régale aussi de sa version de «Like A Rolling Stone». C’est d’autant plus imparable que Brother Wayne joue comme un dieu ailé. Il tartine le thème au long cours. Version poignante que Johnny chante d’une voix désespérée. Brother Wayne fait des miracles derrière lui. Ce duo ne pouvait que faire des étincelles. En B, on trouve les cuts enregistrés en studio et notamment cette version de «MIA». Ils cherchent visiblement un passage vers le sommet. On les sent remplis de bonne volonté et Johnny part en pointe. C’est avec les deux «Untitled Instrumental» qu’ils créent la sensation. Solides et ultra-joués, ils laissent présager d’un énorme potentiel. Johnny revient aux affaires avec «Gypsy» et Brother Wayne y joue de belles espagnolades. On note l’excellence de sa prestance comportementale. Brother Wayne prend les choses en mains pour conclure avec «Hey Thanks», une espèce de petit coup de pop-punk rapide et sans pitié.
Skydog sort un Street Fighting de Gang War en 1993, avec beaucoup de son. Une moitié des cuts est enregistrée en 1979 à Montreal et l’autre au Channel Club de Boston en 1980. On voit Johnny prendre les rennes de «London Boys» et donner une belle leçon de rock’n’roll. Ça ultra-joue, les deux guitares se fondent merveilleusement dans le barouf. Il faut entendre Johnny chanter «I’d Rather Be With The Boys». Il est utterly fucked up, ça joue à la dérive mais ça joue incroyablement. Ils se rattrapent au fil. Comme d’habitude, Brother Wayne reprend «The Harder They Come». Il le chante à la rate et ça passe comme une lettre à la poste. Avec «Endless Party», ils sortent du pur jus de décadence. Voilà une version qui nous réconcilie avec le genre humain, ah quelle fantastique clameur ! On voit Johnny partir en solo à la coule. Puis Brother Wayne s’en va taper dans James Brown avec «I’ll Go Crazy» et dans Chickah Chuck avec «Around And Around». Dommage qu’ils en fassent trop, car dans la version originale, tout est dans la retenue. On les voit taper plus loin dans l’intapable, c’est-à-dire «Like A Rolling Stone». Johnny fait son Dylan et c’est délicieusement hanging out. Il sait de quoi il parle, you don’t feel so proud, il chante ses lyrics à la revoyure. Fantastique mouture ! Ça se termine avec «Do You Love Me». Il n’existe rien de plus rock’n’roll que cette conjonction, l’hyper volatile Johnny Thunders et le raw Wayne Kramer. Bel amalgame. Entre deux cuts, Johnny fait des discours et raconte des horreurs, mais quand il revient à son cher Dylan, il semble revivre. «Like A Rolling Stone» lui va comme un gant, car c’est l’histoire d’un loser parfait. Back to the Dolls Sound avec «MIA», le son est pourri mais ils foncent dans la nuit du daze, yeah yeah. Au Channel Club de Boston, ils basculent ensuite dans la calypso pour «Endless Party», ça tourne à la bouffonnerie et ça empire encore avec une deuxième mouture de «Do You Love Me». Poor Johnny, ça sonne comme la fin des haricots, il part à la dérive.
Avec Dodge Main enregistré en 1996, Brother Wayne monte une nouvelle équipe de choc avec Deniz Tek et Scott Morgan. Il avait joué en première partie d’une tournée australienne des Birdmen. Ce n’est pas un hasard s’ils démarrent avec une reprise du «City Slang» du Sonic’s Rendezvous. Scott Morgan lance son attaque frontale et Brother Wayne déverse sa mélasse ultime. On ne saurait imaginer pire fournaise. Avec «Citizen Of Time», il joue sa carte préférée, celle du guitar hero. Ils tapent aussi dans «Furure Now» tiré du troisième album du MC5. Fabuleuse reprise énergétique, Scott fait son Rob Tyner, avec toute l’ampleur du feeling de voix fêlée. Et derrière ça riffe et ça raffe. Petite cerise sur le gâteau : un atroce solo du grand Wayne Kramer. Il va chercher l’escalade au Vietnam. Bombarder, ça ne lui fait pas peur. Avec ce genre de mec, les choses ne peuvent que se terminer en viande froide. Il tire sur l’élastique jusqu’à l’extrapolation. Il joue vraiment comme un dieu furibard. S’il faut emmener un guitariste sur l’île déserte, c’est bien Wayne Kramer. Avec «100 Fools» Deniz Tek essaye de faire les Stooges, mais ça reste très teky. On sent une certaine difficulté au décollage. Puis Brother Wayne s’attaque à cette vieille merveille insurrectionnelle qu’est «The Harder They Come». Et on revient fatalement au Rendezvous avec «Over & Over». Scott Morgan installe son chat perché au dessus des flammes de l’enfer. Cette reprise est exploitée au maximum de ses possibilités. Impossible de pousser davantage le rendement d’une telle chaudière. Ils sont spectaculaires d’allant. Et le festival continue avec «Better Than That» toujours chanté par Scott Morgan, un vrai diable. C’est noyé dans un jus de guitares extraordinaires, on ne sait plus s’il faut parler de radiation du barreau de l’atome, d’explosivité nitroïque, de couche champignonique, toujours est-il qu’on avait encore jamais entendu un tel ramdam. Ils finissent avec la prise d’une forteresse imprenable, le fameux «I Got A Right» des Stooges que Scott prend à la perfection définitive. Il réussit l’exploit de masquer l’absence d’Iggy. Wayne rentre là-dedans comme dans du beurre. Il ne craint pas de se salir les mains. Quelle abomination !
Brother Wayne forme les Racketeers avec Brian James et Mad For The Racket paraît en l’an 2000. Fabuleux album ! Brian et Brother Wayne se partagent les morceaux, mais curieusement, ce sont ceux de Brian qui accrochent le mieux. C’est lui qui ouvre le bal des vampires avec «Chewed». Il allume ça au feu sacré et place un killer solo d’ambivalence expectative. Brian revient plus loin avec «Trouble Bones», un heavy stomp garage à la Thirteen Floor Elevators. C’est incendié sur les pourtours de la pourlèche et chanté aux chœurs de soudards avinés. Franchement, Brian se conduit comme un prince répudié, empreint d’une certaine décadence. Il revient plus loin pour jouer la carte de l’insidieux avec «Tell A Lie». C’est un sacré renard. L’autre cloche de McKagan fait les backing vocals et l’ami Wayne part en solo liquidifié d’exaction patibulaire. Il retrouve là ses apanages de killer suprêmo. Brian reprend plus loin le leadership pour «I Want It» - Oooh baby - Il chante comme un Dorian Gray déstabilisé. Il devient extraordinaire d’assise moribonde. Il s’étale dans le bullshit going down et gratte un solo de dingue dans un climat de want it en suspension. Il continue son festival avec «Blame It». Il démontre que l’Anglais reste supérieur en tout. Sur ce disque, c’est Brian qui ramène la viande - Blame it on the mountain/ Blame it on the sea/ Blame it on the sunrise, but don’t blame it on me - et il passe un solo d’apocalypse. Hélas, les compos de Wayne et de son copain Brock Avery ne fonctionnent pas. Par contre, celles de Brian sonnent comme d’éclatants classiques. Il boucle avec «I Fall» et un «Ooh Baby» qui est un véritable coup de génie. Brian y touille une stoogerie sur fond de chœurs extraordinaires. Voilà un disque dont on ressort groggy, c’est sûr.
Parmi les disques sauvés des eaux, il faut aussi citer le très hot Thunder Express du MC5 paru en Skydog en 1992 et réédité par Jungle Records en Angleterre. L’album fut enregistré en une journée au studio d’Hérouville, sans Michael Davis qui venait de se faire virer. C’est là qu’on trouve l’excellente reprise du «Empty Heat» des Stones. Ils jouent comme des dingues, le son n’est pas très stabilisé, mais peu importe, ça groove dans le cœur de la Stonesy. C’est l’une des belles versions revues et corrigées au Detroit Sound. Brother Wayne joue jusqu’au vertige. Le morceau titre est un vieux coup de boogie à la Chikkah Chuck et ils reviennent à leur chère tension maximaliste avec «Rama Lama Fa Fa Fa». Ils jouent leur va-tout en permanence et ils saluent «Motor City Is Burning» aux meilleures guitares d’Amérique. On trouve aussi une fabuleuse version d’«I Can Only Give You Everything». Rob y fait son Van et la fuzz mène le cut à l’échafaud. Dans la réédition Jungle, on trouve en plus l’un des plus grands singles de tous les temps, «Looking At You»/»Borderline». Le son craque et la guitare de Brother Wayne paraît libre comme l’air. Il vient percuter le cut de plein fouet, doin’ alrite, Rob ahane, on est à Detroit et ça vocifère. On entend rarement un son dégueuler comme ça. Les masterisateurs de Jungle ont bien réussi leur coup. Ils crashent le son dans le mur du son.
En 2014, Wayne Kramer enregistre avec The Lexington Arts Ensemble un album de jazz moderne qui s’intitule Lexington. C’est bien sûr en souvenir de son stage au ballon de Lexington dans le Kentucky et en hommage à son ami Red Rodney, trompettiste junkie rencontré à Lexington. L’album n’est pas forcément destiné aux fans du MC5, mais comme la curiosité est un vilain défaut, on ne rate pas une telle occasion d’aller y fourrer son nez. La bonne nouvelle, c’est que l’album peut captiver le profane. Brother Wayne swingue la couenne de son jazz, à la Jerry Mullingan avec des beautiful shades biseautées. Le cœur battant de ce bel album ouvre le bal de la B et s’appelle «The Wayne In Spain». Brother Wayne y passe un sacré solo de Spain, porté par un big fat groove de basse et va se fondre dans le free du sax. C’est l’appel du free qu’on trouve dans «Ramalama Fa Fa Fa». Brother Wayne intervient un peu comme Dick Dale, filant sous la surface avec l’aileron bien cinglant. Il télescope de plein fouet le chaos de cuivres et il tsunamite toute la dynamite. Très spectaculaire ! Dans «Elvin’s Bues», il trame un concert d’atonalité à l’angle du block des blacks et termine cette édifiante récré avec cet excellent groove de jazz bottom qu’est «Spectrum Suite».
Ces dernières années, Brother Wayne a multiplié les projets polymorphes : DTK/MC5 à Londres et à Paris, et d’autres micro-événements comme ces coups montés avec Primal Scream et plus récemment, LAMF Live At The Bowery Electric, l’hommage aux Heartbreakers avec Clem Burke, Walter Lure et Tommy Stinson (Replacements). Le concert enregistré au Bowery Electric en 2016 existe aussi bien sur vinyle que sur DVD, et le conseil qu’on peut donner est de voir le DVD, car l’album ne donne aucune information sur le qui fait quoi. On reconnaît bien sûr la voix de Wayne Kramer, mais pour le reste, c’est compliqué. Les inconditionnels des Heartbreakers n’y trouveront sans doute pas leur compte, car on perd l’onctueux du chant de Johnny Thunders. Mais Clem Burke y fait un festival. Il vole le show sur «Baby Talk» et chante «Can’t Keep My Eyes On You» avec un certain brio. C’est d’ailleurs sur cette belle version que Brother Wayne part en funky motion. Il fait lui aussi la pluie et le beau temps, il s’en va même jazzer ce vieux coup de boogie, comme s’il voulait enrichir un cut désespérément pauvre. C’est Stinson qui chante «Born To Lose» et «Baby Talk». Il gueule plus qu’il ne chante. Brother Wayne joue sur sa star & stripes et reste étrangement en retrait. Walter Lure prend «All By Myself» au chant et quarante ans plus tard, il conserve une certaine classe. On voit arriver Jesse Malin pour «I Wanna Be Loved». Bien gavrochard, il veille à rester à la hauteur de sa réputation. Walter Lure prend «Chinese Rocks» au chant et Brother Wayne joue ce vieux cut mythique sur la petite Les Paul jaune de Johnny Thunders. On voit arriver Cheetah Chrome sur «Pirate Love» et une nommée Liza Colby prend le taureau de «One Track Mind» par les cornes. Quelle niaque ! Pas toute jeune mais pleine de niaque urbaine. Brother Wayne prend le chant sur «Let Go» et «Do You Love Me». Et comme toujours sur ce genre de support, on trouve des interviews dans les bonus. Celui de Brother Wayne vaut le détour - It’s a little bit of nostalgia and a little bit of nostalgia is not a bad thing - Quant à Clem Burke, il rend un très bel hommage à Jerry Nolan.
L’autre gros film participatif est ce concert du DTK/MC5 filmé à Londres. Le DVD s’appelle Sonic Revolution. A Celebration Of The MC5. Live AT London’s 100 Club. DTK pour Davis, Thompson & Kramer, les trois survivants. C’est l’époque où Brother Wayne porte des lunettes sur scène. Nike Hellacopter fait aussi partie des effectifs. Beaucoup plus vieux que les autres, Michael Davis reste sérieux comme un pape. On voit Nike Hellacopter chanter «Gotta Keep Moving». Machine Gun tape ça si sec ! C’est en place, extrêmement carré. Michael Davis chante «Shaking Street», et on peut admirer sa bobine de vieux pirate taillée à la serpe. Et voilà que Dave Vanian radine sa strawberry pour une triplette de classiques, «Tonight», «Looking At You» et «High School». Vanian est frais comme un gardon des Carpathes. On se régale bien sûr du solo de Brother Wayne sur «Looking At You», l’un des plus fulgurants de l’histoire des solos fulgurants. C’est à Nike Hellacopter que revient l’honneur de chanter «American Ruse» et toute la magie du MC5 se répand une fois de plus sur la terre. Ils nous jazzent «Rocket Reducer» d’entrée de jeu et Lemmy vient rendre hommage aux Detroiters avec «Sister Ann». Qui vient nous kicker «Kick Out The Jams» ? Ian Astbury, le Cult man en personne. Il s’en sort plutôt bien. Pas facile de passer après Rob Tyner. Dans les bonus, on tombe sur deux séquences en noir et blanc d’une émission d’époque qui s’appelle The Lively Spot. C’est de la dynamite. On voit ce génie de Brother Wayne prendre son solo sur «Looking At You» et Fred Sonic Smith prendre celui d’«American Ruse» en twistant. Fucking grrrreat ! Et Brother Wayne rappelle qu’avec le MC5, il voyait des nouvelles possibilités, a new life style, quelque chose de plus viscéral. Ça s’appelle une vision.
Encore du gros participatif avec Black To Comm, paru en 2011, qui met en scène Brother Wayne et Primal Scream. Grâce à Easy Action, on peut voir sur DVD ce fantastique concert du Meltdown filmé à Londres en 2008. Les Primal Scream s’en sortent avec les honneurs, mais c’est Brother Wayne qui crée l’événement. Il chante avec le dos raide, le cul tendu vers un autre avenir. Il danse beaucoup, on sent chez lui une fantastique envie de jouer. Il arrive en costard blanc avec sa Strato stars & stripes et il attaque avec «Rambling Rose», comme au bon vieux temps. Michael Davis ventripote dans son T-shirt rouge et Dennis Thompson disparaît derrière ses fûts. Le deuxième guitariste s’appelle Adam Pearson. Right now ! It’s time to ? C’est William Duvall, le chanteur d’Alice In Chains qui fait le Rob. Il le fait admirablement, avec le même timbre de voix et la même afro. Brother Wayne danse le twist et passe un grand solo liquide dans Kick Out. On le voit naviguer dans ses gammes. Il explore toutes les ressources du manche. Nouveau coup de burning down avec «Come Together». Le mec d’Alice est just perfect, il fait aussi un «Motor City’s Burning» d’une criante véracité. Ils font ensuite exploser «Call Me Animal» et tapent «Sister Anne» aux accords d’atonalité. C’est très spectaculaire - She’s my sister Anne - Le grand Brother Wayne danse sur ses accords, il adore jouer les vieux power-chords de Chickah Chuck. L’étonnant est que tous ces cuts restent d’une grande modernité. Ils sont comme revampés. Duvall demande à la salle : «Are you gonna pay the cost ?» Et c’est l’énorme «I Want You Right Now» ! Fantastique embellie ! C’est ultra-chanté et riffé à la Kramer sur des déliés de bassmatic très mélodiques. Brother Wayne reste implacablement racé, il perce la fournaise à jets continus. C’est un fabuleux déblayeur de territoires. Il répand de vastes nappes d’organdi. Encore pire avec «Over & Over» ! Nouvelle giclée d’épaisseur magistrale, les effluves mélodiques montent immédiatement, chorus sublimes, le hit s’enflamme par sa seule beauté intrinsèque. Les arrangements d’harmonies vocales en font la huitième merveille du monde. Le grand Brother Wayne multiplie à l’infini les enrichissements et les solos sont des horreurs perforantes joués dans l’éclair du Kramer Sound. Les Over & Over éclatent dans la légende des siècles. Brother Wayne reprend le refrain en biseau avec un solo à jets continus. Il faut le voir sauter avec sa vieille guitare ! Michael Davies lance «Looking At You» au riff de bassmatic. Brother Wayne le danse. Comment résister à ça ? Impossible ! Il fait la danse du scalp et part dans des gammes pour aller titiller son bas de manche. Il nous sort là l’un des plus beaux solos de l’histoire du rock avec celui de Jimi Hendrix à la fin d’«All Along The Watchtower». Il le développe à l’infini, comme si c’était possible. Il passe même un deuxième solo à l’océanique. On croit qu’il tue ensuite le show avec «I Believe To My Soul», mais non, il profite de l’occasion pour prendre un autre solo d’une beauté plastique mirifique. Il ne regarde même pas où il met les doigts. Et ça repart de plus belle avec «Human Being Lawnmower», un rock monté en coupole de basilique et strié d’éclairs de départs en vrille. Brother Wayne renverse systématiquement toutes les situations. Ils terminent avec «American Ruse». «Sounds like more of the American ruse today», annonce Brother Wayne, encore une belle machine - Just take a look around - Que de hits ! Pour finir, Primal Scream revient se joindre au DTK, ça donne quatre guitares (Andrew Innes, Barrie Cadogan, Adam Pearson et Brother Wayne), deux basses, deux batteurs et deux chanteurs. Brother Wayne danse et il a raison car c’est l’enfer sur la terre avec une version démentoïde d’«I Can Only Give You Everything». Bobby Gillespie est bien dans le coup et ça repart de plus belle avec le «Movin’ On Up» de Primal Scream. Très spectaculaire ! Brother Wayne y descend un sacré solo de Stonesy. Ils vont finir avec une version explosive de «Ramalama Fa Fa Fa» et l’effarant «Black To Comm» qui n’a rien perdu de ses vertus aphrodisiaques.
Pour en finir avec les films, on peut aussi consacrer une heure au film de Leni Sinclair paru en 2005 et qui s’appelle tout bêtement MC5 Kick Out The Jams. C’est un montage de plans divers, certains filmés en plein air et d’autres au Grande Ballroom, notamment cette version explosive de «Kick Out The Jams» qui fout tant l’eau à la bouche, car oui, ça blurpe sur les murs, flashs d’images des chemises à paillettes, de Sonic Smith en grand écart, de bonds, de flash killer toxic brew, de stars & stripes, de Machine Gun courbé devant, du Rob en rab, éclairs d’ultimate rock’n’roll, pochette d’album en mouvement, destroy oh boy et on se remet à peine du choc que le MC5 repart sur le heavy sludge de «Black To Comm» et ça s’aggrave encore avec l’hyper-heavy blues d’«I Want You Right Now». Oui, toute une époque, diront les pépères qui ont vécu ça en direct. Rien ne pouvait déboulonner le MC5 du trône. Ces images ne parlent que de puissance, même si le film tourne en eau de boudin de slashing hallucinatoire, c’est sans doute une volonté artistique d’acid trip, gestes et sons décomposés, délires des saxes, Sinclair fait son fix, éclairs de lumière, chemises intermittentes, puis ça bascule dans le my hometown is burning down to the ground, the pigs in the street, freakout ! Rien de plus incendiairement séculaire que «Motor City’s Burning», baby.
Signé : Cazengler, Wayne Kramerde
Primal Scream/DTK MC5. Black To Comm. Box Easy Action 2011
Wayne Kramer & The Lexington Arts Ensemble. Lexington. Industrial Amusement 2014
Gang War. Gang War. Demilo Records 1990
Gang War. Street Fighting. Skydog 1993
Gang War. Live At The Channel Club. RER Entertainment 1995
Dodge Main. Alive Records 1996
Racketeers. Mad For The Racket. MuscleTone Records 2000
MC5. Thunder Express. Jungle Records 2018
Lure Burke Stinson Kramer. LAMF Live At The Bowery Electric. Jungle Records 2017
Lure Burke Stinson Kramer. LAMF Live At The Bowery Electric. DVD Jungle 2017
Leny Sinclair. MC5 Kick Out The Jams. Music Video 2005
Sonic Revolution. A Celebration Of The MC5. Live At London’s 100 Club. DVD MuscleTone 2003
MONTREUIL / 11 - 10 – 2019
L'ARMONY
CRASHBIRDS
AVANT LE CRASH
Les Cui-Cui sont de retour à L'Armony, leur passage annuel, c'est comme pour les palombes en Gironde, toutes les fines gâchettes se donnent rendez-vous devant le bar. Z'oui mais là ce n'est pas tout-à-fait le même scénario, le jeu est inversé, ce sont les volatiles qui vous tirent dessus, de sacrés snipers, vous dégomment en moins de deux morceaux. Certes quand on arrive un peu à l'avance, Raphël Rinaldi, l'organisateur, qui a aussi pris les photos de la pochette de leur dernier CD, est soucieux. Il y a le rendez-vous des artistes à L'Albatros, à deux rues d'ici, certes nous n'éprouvons aucune inimitié contre le palmipède chéri de Charles Baudelaire, ni contre les peintres, ni contre les illustrateurs, ni contre les grapheurs de tous genres, mais enfin, pas de souci à se faire avec les Cui-Cui, c'est du tout cuit, et en effet à peine esquissé le début de l'intro que la salle se remplit, et les péniches humaines se pressent contre le comptoir afin d'écluser la bière bienfaitrice comptant bien se remplir autant les oreilles que leur estomac, que nous n'oserons pas qualifier d'autruche.
PENDANT LE CRASH
Des kilomètres de fil jonchent l'estrade, vous savez ces labyrinthes entremêlés dont une seule corde vous permet d'accéder au coffre à trésor, dans les illustrés pour gamins, à part qu'ici, pas de fausse donne, et deux merveilles à rejoindre. Premier Cui, sur votre gauche, Pierre Lehoulier. Ce soir il a la guitare plus aérienne que d'habitude, l'adore commencer par un riff qui s'évapore comme l'intempestive fumée d'un cigare mallarméen vers le plafond, pareil pour terminer, nous fait le coup de l'avion qui file droit, pas du tout lentement, mais sûrement vers la terre, l'on comprend qu'il va s'écraser, avec son lot de passagers, mais ce n'est pas grave, les malheurs sont si habituels sur cette planète, que l'on ne s'émeut point, même qu'on applaudit. Que voulez-vous les Cui-Cui ont leur côté crash.
Pourquoi Pierre joue-t-il assis ? C'est pour mieux courir mon enfant. L'est comme cela Lehoulier, il est la seule Pierre au monde qui roule tout en restant immobile. L'a résolu le problème du moteur immobile d'Aristote. Deux mille cinq cents ans que l'on cherche à comprendre, et lui il vous montre comment ça marche en deux secondes et demie. Un des très rares guitaristes qui ose venir sur scène en pantoufles. Sonologiques il est vrai. Deux caisses sonores qu'il a traficotées lui-même, les écrase alternativement de son godillot. Il martèle le rythme. A la manière des nains qui forgeaient dans les mines l'anneau funeste des Nibelungen wagnériens. N'en sort pas un bruit de trompettes sonnantes et claironnantes, mais un son obsédant de tambourin chuintant, un truc prégnant qui s'infiltre partout jusque dans votre moelle épinière, une impression de raclette à nerfs, imperturbable et hypnotique, les yeux de l'anaconda de huit mètres de long de tube digestif qui vous fixent durant une éternité et dont votre regard auditif ne peut se détacher.
Nous n'en avons pas encore fini avec Lehoulier. Faut savoir lire les indices. Ses boîtes qui crachent devraient vous faire penser aux cigar-boxes de vieux bluesmen du Delta, car les Cui-Cui, chaque fois qu'ils donnent au concert ils migrent dans le Delta. Trichent un peu, sont des modernes, ils travaillent à l'électricité. Rien ne sert d'être rétrograde, un peu de modernisme n'a jamais tué personne. De toutes les façons ceux qui en sont morts ne sont plus là pour se plaindre. Tout cela pour vous apprendre que Monsieur Lehoulier riffe à l'électrique, sur une Gibson aussi noire que votre désespoir. La couve comme un bébé, la saupoudre de talc toutes les cinq minutes. Don't talc too much !
Certains me reprocheront de manquer de politesse, que normalement l'on présente les demoiselles d'abord. Ni un oubli, ni une erreur, simplement j'ai gardé la plus belle pour la fin. Donc deuxième Cui sur votre droite. Je sais, depuis un moment vous ne voyez qu'elle, je ne peux même pas vous le reprocher. Delphine Viane, une symphonie de splendeurs automnales à elle toute seule. Une chevelure alezane qui tombe sur ses épaules, une tunique rubigineuse, et des jambes, de fines et flexibles lianes rehaussées de bottes léopards qui remontent au-dessus du genoux, une grâce féline de gazelle, une licorne rousse, une princesse renardière.
Vous la regardez et vous lui pardonnez tout. Par exemple cette cloche à vache, vous me direz que Pierre possède bien des pantoufles sonologiques, alors pourquoi n'aurait-elle pas le droit d'actionner du pied une métallique cowbell. C'est que voyez-vous, chaque fois qu'elle s'en sert, elle tinte sans fin, un glas qui vous glace le sang, un tocsin qui prophétise le déraillement du train, le naufrage du navire, la mort du petit cheval, le requiem de votre messe funèbre. Les Cui-Cui ont le blues noir, à la couleur de notre monde. Vous offrent leur musique mais ne font pas de cadeau.
Delphine et son port de tête altier. De déesse. Elle vous regarde droit dans les yeux, de ses pupilles de vipère, Diane chasseresse qui lâche ses chiens colériques sur vous, l'Hécate des carrefours qui vous récate en moins de deux. Elle chante comme l'on lance des coutelas entre les omoplates des lâches, une parole qui édicte, et condamne. Une voix de diamant claire et d'une limpidité extraordinaire, un véritable couteau de sacrifice. Avec elle le blues devient rouge. De sang. Et puis son sourire, moqueur, enjôleur, séducteur, une infante espiègle et ravissante qui découpe en tranches les vers de terre se tortillant de douleur pour s'amuser à la dînette avec ses poupées.
Elle a deux guitares, elle en change de temps en temps, comme l'on remplace une lame de guillotine non parce qu'elle serait émoussée mais juste pour que le condamné à la tête posée sur le billot ait le temps de réaliser que sa dernière heure s'approche. C'est ainsi, car quand le rock 'n'blues vous tombe dessus, cela doit vous faire mal.
Je vous les ai présentés un par un, mais pour que votre modeste QI puisse réaliser ce que donnent deux Cui-Cui qui jouent en même temps, les voici ensemble. A l'attaque, ou Pierre, ou Delphine, en première ligne. Mais bientôt ils se rejoignent et se complètent météoriquement. Delphine a la guitare nerveuse, vous plaque de grands drapés mélodramatiques, comme ces draps éclaboussés de sang que l'on agitait aux fenêtres pour prouver que la mariée était vierge, mais en fait son mari vient de l'assassiner, car il n'était qu'un tueur en série déjà en fuite. Pierre c'est toute autre chose, l'a la Gibson intérieure, il s'enferme en elle, ses doigts la farfouillent comme ces chirurgiens qui vous ouvrent le ventre et labourent de leurs doigts pressés vos chairs pantelantes car ils cherchent l'endroit de votre corps où vous cachez si bien votre âme, pour la transplanter dans le cerveau de la jeune épousée précédemment occis voici cinq ou six lignes. Que de toutes manières ils n'aimeront pas plus vivante que morte. Conte cruel ! C'est que chez les Crashbirds, il faut suivre, il ne faut jamais perdre le fil, les deux guitares se répondent et s'entrecroisent, vous racontent une histoire pas spécialement belle à voir mais si mirifique à entendre. Ce feuilleton vous le connaissez c'est le vôtre. Ces maudits oiseaux vous ligotent avec votre miroir. Facile d'y retrouver votre portrait, European Slaves, Shock Therapy, Stupidity, I want to kill you, We lobotomy, à croire qu'ils vous connaissent personnellement, vos haines, votre bêtise, votre statut social, non question qualité ils n'ont rien trouvé, pourquoi Delphine vous défie-t-elle de ses sourires narquois, pourquoi Pierre rentre-t-il en lui-même comme s'il ne voulait plus vous voir, alors ils brodent au point de suture sur nos tristes destinées.
Vous rappellent que le matin quand vous vous réveillez, rien n'a changé, le monde est toujours aussi laid et que vous n'êtes pas les héros que l'on attend. Juste des zéros négatifs. Vous l'écrivent noir sur noir, bleu sombre sur bleu sombre, trash sur crash, et vous vous apercevez que vous les suivrez jusqu'au bout du monde, car ils s'embarquent dans de longues chevauchées, ils croisent leur guitares comme des armes pour dévoiler et s'opposer à la laideur du monde. Ils ont le blues trash qui tache, ils ont le rock-crash qui crache, ils ont le grondement de la bête blessée, acculée, enfumée dans son terrier, qui ne se rendra jamais, prêts à égorger tous les chiens du renoncement qui s'y risqueront. Route de roots et pas de déroute. Rebelles jusqu'aux racines. Avec leurs guitares, avec leurs rythmiques, avec leurs longues litanies du désastre annoncé, ils vous emmènent jusqu'au bout de la nuit, car le ciel n'est jamais si bleu que lorsque le soleil du blues est noir.
APRES LE CRASH
Public médusé et puis entraînés en une danse d'auto-scalp. Finissent sous les acclamations, deux longs sets, sont infatigables, et plus personne ne veut partir, l'on reste devant ou dedans le bar, on discute, on s'extasie, l'on entame de longues conversations avec des inconnus. On les félicite, on les remercie, on les embrasse, sûr qu'on les reverra, nos Cui-Cui, avant, pendant, ou après le crash, il est des oiseaux qui se lèvent dans notre cœur et qui ne meurent jamais.
Damie Chad.
PARIS NEW MOON PARIS
RAPHAËL RINALDI
( Castor Music & Editions Granada / Sept 2014 )
Nouvelle Lune, non il ne s'agit ni d'un livre d'astronomie débordant de calculs incompréhensibles, ni d'un manuel de bobo-écologie qui renseignerait sur le jour idéal pour planter vos carottes dans les jardinières de votre balcon. Simplement un livre cent pour sang rock'n'roll, d'ailleurs le nom de Raphaël Rinaldi a dû induire quelques intuitions dans le cerveau des lecteurs de la chronique précédente sur le concert des Crashbirds. Attention la taille d'un aérodrome et le poids d'un porte-avions. Chez Granada ils indiquent la couleur sous leur logo en quatrième de couverture : Art Book. Une bonne nouvelle pour ceux qui n'aiment pas lire, très peu de textes, de très courtes introductions signées de Michel Pourcelot, guitariste des Catholic News, de David Dufresne, quel hasard son dernier livre Dernière sommation traîne sur la table du salon, de Marsu pas pilani pour un sou mais qui témoigne de l'aventure comme pas un, et un poème d'Elisabeth Carpentier-Drogoz, une fille qui écrit de la poésie ne doit pas être foncièrement mauvaise. J'oubliai dans le wagon de queue une interview de Roland Piqueras et Pierre Soler les activistes de ce phénomène lunaire parisien. C'est tout. Non j'omets quelques pages blanches sur lesquelles resplendissent de courts poèmes de quelques participants.
Pour ceux à qui l'on montre la lune nouvelle et qui n'aperçoivent que le doigt qui la désigne, voici de sommaires explications supplémentaires. D'abord une triste nouvelle, vous ne verrez jamais le New Moon, les promoteurs et les bulldozers l'ont sagement arasé. Un immeuble légendaire sis au 66 rue Pigalle. Un endroit mal famé. Voici deux siècles l'on retrouvait dans ces environs saumâtres des délinquants notoires dont l'Histoire a préservé les noms honteux, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Maurice Rollinat auteur des Névroses et Villiers de L'Isle-Adam, ceux qui ne connaissent pas son Axël par cœur ne méritent pas de vivre. Quelques décennies plus tard, sous la houlette de Ada Smith, le lieu surnommé le Brick Top's est une devenu une cave à jazz, fréquentée notamment par Armstrong, Bechett et le couple Fitzgerald. Si je ne m'abuse, de rares photos de ce lieu mythique ont égayé quelques chroniques de KR'TNT ! Plus près de notre temporalité s'y installa une boîte de strip tease lesbien. Enfin de 1987 à 1995, le New Moon. Une boîte à Rock qui joua le rôle que tint le Golf-Drouot à la fin des années cinquante. Voilà vous savez l'essentiel. Circulez, il n'y a plus rien à voir.
Enfin presque, le plus intéressant est à venir. Il a reçu au début de ce mois le prix Gus Viseur pour son œuvre photographique. Jusque-là tout est normal, il est photographe, il a un nom connu et respecté, dans les milieux rock, il s'appelle :
RAPHAËL RINALDI
N'importe qui peut être photographe – vous rajoutez tout de même un peu de talent – suffit d'avoir un appareil, mais ce n'est pas le plus important, faut avant tout être à l'endroit où il faut être. Cela ce n'est pas donné à tout le monde, ne comptez pas sur la chance, elle demeurera anecdotique, une affaire de courant souterrain et invisible qui vous happe, d'appel, la marque d'une destinée qui rejette le hasard dans les futilités du vécu. Raphaël Rinaldi s'en explique sans forfanterie et très succinctement, un gars, le copain d'un ami, qui le reconnaît devant un concert, et dont il a pris une photo, qui lui apprend qu'il vient d'ouvrir une boîte à rock fort et il le presse de venir si cela l'intéresse. En quelques minutes il deviendra le photographe attitré du New Moon, Vingt ans plus tard il a rouvert la boîte à archives, et surgis de la nuit du temps, voici trois cents clichés, pleine-page de carrés magiques qui nous mordent au visage.
Beaucoup de gens qui regardent des photos – ce genre de livres vous y engage – sont des platoniciens qui s'ignorent. Cherchent à reconnaître le guy figuré, sont en plein dans la réminiscence à tête chercheuse, ils sont tout fiers quand ils peuvent citer, tiens regarde c'est Taï Luc de la Souris Déglinguée, et celui-ci c'est Stiv Bator avec Johnny Thunders, et celui-là c'est Stéphane Guichard des Soucoupes Violentes... Avec un peu de chance, ce soir-là ils y étaient, voire ils auraient pu y être, c'est leur époque, le renouvellement du rock à l'orée des nineteens, c'est toute leur jeunesse, la plus belle époque de la vie. Photos-souvenirs et nostalgie, cette encre sympathique qui cache tant bien que mal nos faiblesses actuelles. Cette ancre qui nous retient dans des jours qui ont fui depuis si longtemps.
Je ne les critique pas, je partage ce défaut, le moindre parmi tous ceux qui fourmillent dans mon cervelle. Mais j'ai mes armes de parade. Non ce n'est pas ma science que je confiture, simplement je scrute pour savoir. Quoi au juste ? Je n'en sais rien. Le mystère des êtres, le parfum d'une époque épique devenue opaque. C'est un jeu dangereux. Tous les risques d'être déçu. Et si ces beaux personnages, ces postures rock dévoilaient en fin de compte l'envers du décor, la veulerie des uns, l'inconsistance des autres, l'auto-marchandisation de certains. Questions insidieuses, que sont-ils devenus, sont-ils resté fidèles à leur image. Se sont-ils trahis ( car l'on n'est jamais trahi que par soi-même ), sont-ils encore les vainqueurs flamboyants ou de simples perdants pitoyables...
Ces interrogations sans fines squashent les murs qui closent les impasses du passé. Ce n'est sûrement pas le bon chemin. Ce ne sont que des leurres, ce ne sont ni Little Bob, ni Didier Delaine, ni Monsieur X, ni les Portementaux... ce ne sont que des photos de tous ceux-là et de tous les autres, mais des photos de Raphaël Rinaldi. L'universel reportage est une chose, l'Artiste une autre. Si ce mot d'Artiste vous déplaît, vous paraît trop pompeux, prenez celui de voleur de lumière, de ravisseur d'enfants perdus, de capteur d'émanations solaires enfuies dans la nuit des temps. Soyons plus simple celui que nous regardons, ce n'est pas l'idole anonymement ou stariquement rock, mais une photo de Raphaël Rinaldi. Et cela change tout. Nous ne voyons plus le résultat, nous cherchons à entrevoir l'œil qui l'a fixé tel qu'en lui-même.
D'abord il y a le jeu. Rarement vous regardez une image seule. Pour le même prix Rinaldi vous en donne deux, avant que vous n'y jetiez les yeux, ce sont-elles qui se regardent, qui s'examinent, qui s'opposent en une singularité dialogique, les photographies se font signe. Très discrètement. Mais elles marchent par paire. Deux chaussures mais chacune suit quand même sa route à elle. Certes des mois, des années peut-être, les séparent, elles illustrent chacune un point temporel de l'ici et maintenant très limité, mais peut-être Raphaël Rinaldi veut-il nous dire qu'il existe une écriture des corps, que nos attitudes dessinent comme des lettres, certes chacun écrit ses propres mots mais nous utilisons un nombre réduit de graphèmes gestuels, et peut-être va-t-il plus loin, peut-être nous susurre-t-il que ce qu'il a cherché le long de ces nuitées rock c'est à retrouver l'alphabet idiosyncratique du rock'n'roll, cette singularité existentielle qui s'exprime en nous car nous sommes des rockers et non des employés de bureau parce que nos corps possèdent un abécédaire aux voyelles rimbaldiennes, aux consonnes ghiliennes, qui nous est commun, qui nous permet de nous reconnaître, mais qui reste langue inconnue, signifiance inconséquente, pour qui ne fait pas partie de la tribu.
Raphaël Rinaldi nous apprend à nous lire. Par un juste retour des choses c'est à nous de décrypter, de repérer les mots qu'il emploie pour nous décrire. Peu de couleur, à peine cinq clichés sur trois cents. Ce n'est pas qu'il préfère le noir et blanc. C'est qu'il a jeté son dévolu sur la nuance. Même quand le fond est blanc, même quand le fond est noir, ce qui tranche l'œil c'est le paquet des gris qui s'harmonisent, des pétales de fleurs sales – car la vie est une immonde saleté luxuriante - effleurées de légères tristesse, et de détresses perlées. Bien sûr, il y a des groupes qui font les cadors, des gars qui affichent leurs meilleurs profils, des filles qui essaient de nous bluffer avec leur charme discret, ceux qui sourient, ceux qui rient de toutes leurs dents, ceux qui brandissent des instruments comme des tomahawks, mais si vous y regardez de plus près, vous n'avez là que les paillettes incertaines et clinquantes du rock'n'roll circus, l'essentiel est ailleurs, dans cette grisaille de la solitude métaphysique qui étreint tous les individus. Ceux qui essaient de faire bonne figure, qui nous laissent croire qu'ils s'amusent comme des fous, et ceux qui laissent gicler hors de leur être toute leur neurasthénie rentrée. Alors parfois parce que les animaux humains ont l'air prisonnier d'eux-mêmes, Rinaldi nous tend une vue de Paris, un morceau de décor, un fragment d'instrument, veut-il nous montrer détails ou plans larges de notre cage ? Veut-il nous dire que lorsque nous faisons du bruit, un maximum de bruit, jamais nous ne comblerons le silence de nos finitudes grignotées par la mort ?
S'il en est ainsi, il nous rassure car il nous montre que le rock'n'roll est la seule arme que nous ayons pour nous défendre contre le monde.
UNE AUTRE HISTOIRE
D'ailleurs après la fermeture du New Moon, son décorateur Michl Ktii s'en est allé squatté La Miroiterie... Le rock ne meurt jamais.
Damie Chad.
JIM
HAROLD COBERT
( Coll : Miroir / PLON / 2014 )
Comme nos cervelles humaines sont étrangement faites. Il ne me serait jamais venu à l'esprit que l'on pût s'intéresser à Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau – Harold Cobert a consacré plusieurs ouvrages à ce personnage de la Révolution Française – et à James Douglas Morison. C'est une richesse du monde que certains esprits arrivent à tracer des parallèles sectionnantes entre des évènements ou des êtres qu'au premier abord rien ne réunit. Pourtant quand on y réfléchit quelque peu, l'on est obligé de reconnaître que ces deux personnages surent prendre des risques, mais peut-être pas ceux qu'ils auraient voulus.
L'on connaît le trajet politique de Mirabeau, partisan exalté de la Révolution en ses débuts et qui, nul n'est parfait, rate la guillotine en mourant de maladie dans son lit en 1791. Il ne fut pas le seul en son époque à éprouver le sentiment d'avoir, sous prétexte de presser quelques réformes des plus nécessaires, éveillé un monstre qui ne se contenterait pas d'abolir quelques privilèges historialement dépassés, mais qui se révéla très vite une hydre monstrueuse dont les mille tentacules entreprendraient de s'attaquer aux sacro-saints principes mêmes de la propriété privée. Que l'on brûlât un lot de châteaux soit, l'on ne fait pas de révolution sans casser quelques œufs, mais de là à changer l'art culinaire millénaire de domestication des couches inférieures garant de la survie des Sociétés Humaines, il convient de ne pas pousser la mémé dans les orties, ni Marie-Antoinette sous le couteau du bourreau. Un peu de retenue s'il vous plaît ! Parfois l'on n'est pas conscient des conséquences de ses actes, souvent perpétrés avec la meilleure bonne foi et empreints d'une juste sollicitude envers ses contemporains...
Jim Morrison connut un semblable destin nous assure Harold Cobert. Pour ce faire, notre auteur agit comme le serpent qui revêt une nouvelle peau. Il n'est plus Harold Cobert, il est Jim Morrison, et puisque nous rentrons dans son intimité, pour ainsi dire intérieure, il sera Jim. Le livre est écrit à la première personne. Monologue intérieur, à la Léopold Dauphin, n'oublions pas que celui-ci avait intitulé Les lauriers sont coupés la première apparition de ce genre de narration dans la littérature, une manière de dire que vu du dedans les motivations des actions d'un animal humain ne sont pas aussi reluisantes qu'il tente de nous faire le accroire par son comportement extérieur. Les calculs les plus égoïstes, les plus mesquins, les moins courageux sont au fondement de notre modalité de vivre et ne méritent point d'être récompensés par une couronne de laurier. Il existe une autre façon d'exprimer cet état de fait, moins césarienne mais bien plus crûment : les carottes sont cuites. Une fois que le vin est tiré, il faut le boire.
Et Morrison, des coupes de vin et d'alcool des plus forts il en a ingurgité des tonneaux ! N'est-ce pas un peu présomptueux que de se couler dans la personnalité d'un Jim Morisson ? N'allons-nous pas le rapetisser à notre image – n'est-ce pas ainsi que le dieu de la Bible a façonné l'Homme – ou à l'inverse lui insuffler une démesure à la hauteur de nos rêves. Aussi cette interrogation soupçonneuse d'honnêteté intellectuelle, le narrateur ne serait-il pas mû par une idéologie plus ou moins maligne ? Et puis qui peut se targuer de parler à la place d'un autre. N'est-on pas surpris par les agissements des personnes qui nous paraissent les plus proches et les plus chères. Questions insolubles. Harold Cobert y répond à sa manière. Consacre plus de vingt pages en fin de volume à citer la provenance et le texte in-extenso des phrases prononcées par Jim Morrison lors d'interviews privées et déclarations publiques qu'il a amalgamées à sa narration. Les admirateurs de Jim Morrison les auront reconnues lors de leur lecture mais je l'avoue elles ne semblent en rien jurer ou contredire l'ensemble des propos qu'Harold Cobert attribue de son propre chef et de par sa liberté d'écrivain au chanteur des Doors.
Nous sommes ce que nous sommes certes, et aussi ce que les autres veulent que nous soyons. Autant par acceptation que par refus. L'on est autant la victime de ses parents que de ses admirateurs. Morrison a détesté ses parents. Un père absent et autoritaire. Militaire de haut grade. Mais il en veut surtout à sa mère qu'il appelle sa marâtre. Il lui reproche de l'avoir fait dormir dans les draps mouillés de son urine de la nuit précédente. Une humiliation qu'il ne pardonnera pas, et cette mono-manie de vouloir à tout prix qu'il se coupe les cheveux – oreilles dégagées – même devenu le chanteur ''pop'' à succès. De jeunes lecteurs risquent de paraître surpris, mais la question des cheveux longs a été pour la jeunesse de Woodstock une ligne de fracture générationelle et idéologique des plus irrémissibles. D'un côté l'ancien monde, de l'autre l'aventure du nouveau. Pour Morrison cette vindicte maternelle envers sa chevelure il la vit en tant que castration symbolique. Ne lui reprochez pas une lecture freudienne, n'oubliez pas qu'il a bâti sa personnalité sur l'existence d'une force tellurique et sexuelle enfouie dans la psyché humaine, le vieux mojo de Morganfield, qu'il convenait de faire ressortir et d'étaler au grand jour. Tuer le père pour baiser la mère fut un de ses mantras opératoires. Il fut un grand baiseur, ne s'en cachera pas, s'en vantera et en souffrira lorsque ses abus d'alcoolique l'auront rendu impuissant.
Contradiction, l'un des plus grands chanteurs de rock de sa génération ne se destinait pas à devenir chanteur de rock. Son truc à lui c'était le cinéma et la poésie. Le cinéma – pensons à Elvis qui se rêvait davantage en James Dean qu'en Hank Williams – en tant que réalisateur, que démiurge, il pensait que c'était l'art moderne en quelque sorte total qui rendait au mieux la réalité du monde, mais durant ses cours à l'Ucla il se rendit de lui-même compte que sa propre vision des images ne correspondait pas à la vulgate communément admise, quant à son court-métrage de fin d'études il suscita – soyons positif au maximum – une incompréhension totale.
Mais la cinéma n'était qu'un pis-aller, sa prédilection était la poésie. L'art majeur. L'arcane suprême. Mais il doutait de lui-même. Partagé entre la notion d'une poésie secrète renfermée sur elle-même que le poëte selon Edgar Poe se devait de ne confier qu'à de très rares – il est permis de sous-entendre à soi-même seul - et le désir de ces dérives déjantées sur les routes du monde américain qu' irradiait en lui la génération beat pour qui la poésie était avant tout une expérience du réel. C'est toutefois la poésie qui lui le conduisit au rock. Les sentiers de la création épousent d'étranges détours.
S'agissait au-tout début de mettre quelques textes en musique. Et de les chanter en public, pour voir l'effet obtenu. Ainsi naquirent les Doors. Mais à chanter chaque soir la musique et les textes devenaient expérimentation. Théoriquement il s'agissait d'ouvrir et d'enfoncer les portes de la perception, c'était aussi par l'entremise de William Blake mettre un pied dans la grande poésie romantique anglaise. Il existe des parallèles sectionnantes entre la vie d'un Shelley et le vécu d'un Morrison. Mais ce sont-là perspectives qui nous éloignerait de par trop de notre sujet. Et le public ne s'y trompa pas, joua son rôle avec application et docilité car qu'attend-t-on de lui au juste, l'est comme les orques des aquariums qui finissent par demander de plus en plus de poissons avant de dévorer leurs dompteurs.
C'est à partir du premier disque que tout s'emballe et que tout s'embrouille. The Doors est le résultat de tout un an de travail, d'une année entière de mise au point des morceaux. Certes Morisson y affine son concept d'opéra-rock, de théâtralision in-vivo du set, mais en même temps il forge les chaînes du Prométhée qu'il veut incarner. Et le chanteur se doit de se déchaîner, unbound a écrit Shelley. Le public vient le voir pour ses outrances. C'est le moment où il définit le groupe en tant que politicien-érotique. S'agit de baiser le public, de le mener au point de rupture libératrice et orgasmique. Se voit comme le torero qui préside la cérémonie sacrificielle. Mais au final, le concert fini, il ne se passe rien, le public rentre chez lui. Ceux qui contrôlent ce sont les flics. Morrison a beau parfois les insulter, cela ne change pas le monde.
Jim est sur la tangente. Est-il un chanteur de rock, point à la ligne, ou un meneur, un susciteur d'émeute collective. Il refusera toujours ce rôle. Il ne franchira jamais ce Rubicon. Erotique oui, politicien non. Ne sera jamais clair en ces écrits là-dessus. Ses non-gestes parleront pour lui. En attendant le bizness manage le groupe. Le fric impose sa loi. Vous démultiplie les possibilités et vous corrode. Morrison qui a toujours aimé l'alcool se met à boire de plus en plus, désormais c'est l'alcool qui le contrôle, à moins qu'il ne s'agisse d'une ascèse de la main gauche, devenir son propre et pernicieux Diogène pour se dégager de l'emprise du showbiz, du fric, de ses propres contradictions, de son personnage...
Le procès de Miami agit comme un révélateur. Le problème n'est pas de savoir s'il a montré ou non ses parties génitales lors du concert, ni de comprendre pourquoi il a suscité tant de haine de la part des autorités, c'est de prendre conscience qu'il est en train de perdre son corps, sa beauté, et sa puissance de chaman, que lui, le chanteur des outrances, est dépassé par lui-même, le gladiateur métaphysique s'est – a été – transformé en clown triste, croyait que son combat titanesque embrasait le monde, il n'est que le prestataire d'un numéro de cirque de second ordre. Les Colonels Parker vous castrent bien plus sûrement que les mères protectrices. Et le public adore ça.
Morrison décide de casser la machinerie. Change le scénario. Change de mythe. Il n'est plus un chanteur de rock. Le reptile se dépouille de toutes ses fausses peaux. Il devient urgent de ré-endosser l'originaire. Désormais le poëte retourne dans la patrie de la poésie. Dans la lointaine Europe. A Paris. Dans la rue où habita Baudelaire. Où Rimbaud rejoignit Verlaine. Changement de vie, d'existence, il n'est plus chanteur de rock, il n'est qu'un écrivain marchant sur les traces d'un Hemingway dans les années vingt.
L'a mis toutes les chances de son côté. Il emmène avec lui Pamela, sa compagne cosmique. Mais leurs deux planètes tournent en sens inverse. Pam s'adonne à l'héroïne et lui à l'alcool. Pamela retrouve son amant pourvoyeur de doses et lui traine et dérive de café en café. Et terribles détrouvailles, bien plus désespérées, la poésie n'est pas au-rendez-vous. Inspiration en panne. Plus de jus. La conscience de cette stérilité créatrice le rejette hors de lui-même. Si le poëte s'absente, le chanteur de rock repointe son nez. Mine de rien. Des doses à acheter dans les coursives du rock'n'roll Circus pour Pamela, la rencontre de quelques admirateurs qui reconnaissent l'idole du rock'n'roll, quelques titres* enregistrés avec des musiciens, une rencontre de passage dans un bistrot, tout se brouille dans sa tête, des lézardes dans le Roi Lézard, jusqu'à cette nuit où il respire un peu d'héroïne particulièrement pure. Son corps mort dans une baignoire. Détendu et souriant. Libéré de ses obsessions et peut-être surtout de lui-même.
Et le livre s'achève faute de combattant. Harold Cobert se laisse dévorer par son personnage. Pourquoi son livre ne serait-il pas la retranscription de bandes enregistrées par Jim Morisson, quelques jours avant sa mort ?
Damie Chad.
P. S. : * Pour la petite histoire ces fameuses bandes ont été authentifiées en 2017 et auraient été enregistrées en grande partie en 1969, ce qui oblitère quelque peu la péroraison finale du livre sans en altérer de beaucoup la qualité. L'on ne prête qu'aux riches. Tout les témoignages sur Jim Morrison qui nous parviennent ne sont que des reconstructions, avec les matériaux et leur datation plus ou moins fiable dont on dispose, ou des rêveries mentales soumises à toutes les imaginations personnelles qui s'y prêtent. L'on appartient autant à soi qu'aux autres. Quand on est mort il reste encore à mourir chez les autres. Ce qui est sûr c'est que le cadavre de James Douglas Morrison bouge encore dans de nombreuses âmes. Zombie-Morrison ! Cela lui ressemble. Mais un zombie cannibale qui se serait dévoré lui-même. Restons-en là, this is the end, beautiful friends.
10:08 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mickie most, wayne kramer, crashbirds, new moon + raphaël rinaldi, jim morrison
17/04/2019
KR'TNT ! 415 : PAUL WHALEY ( + BLUE CHEER ) / HAL BLAINE ( + WRECKING CREW ) / CRASHBIRDS / HITCH & GO / CHUMP / WISEGUYZ
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 415
A ROCKLIT PRODUCTION
18 / 04 / 2019
PAUL WHALEY ( + BLUE CHEER ) HAL BLAINE ( + WRECKING CREW ) CRASHBIRDS / HITCH & GO / CHUMP WISEGUIZ |
TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Whaley s’en est allé
Bon, on savait que Blue Cheer était off depuis la disparition de Dickie Peterson en 2009, mais la disparition récente de Paul Whaley semble enfoncer encore un clou dans le cercueil de Blue Cheer. Comme tant d’autres groupes décimés par les rigueurs de la fatalité, Blue Cheer appartient désormais à l’histoire. Pourtant, leurs albums restent terriblement vivants. Rappelons que Blue Cheer est à l’origine de ce qu’il est convenu d’appeler le heavy rock. Avec Motörhead et les Who, ils furent the loudest band on earth. Derrière Dickie Peterson et Leigh Stephens, Paul Whaley martelait le beat comme une machine à vapeur. Dickie Peterson ne voulait pas d’autre batteur derrière lui.
Paru en 1968, Vincebus Eruptum reste pour beaucoup d’oreilles l’épitome de chèvre du heavy sound. «Summertime Blues» donne bien le ton, joué à la saturatus maximalus. Paul Whaley est complètement noyé dans le mix que dévore l’ancien roi du feedback, Leigh Stephens. Ils enchaînent avec une version encore plus heavy de «Rock Me Babe». La voix de Dickie Peterson est encore un peu verte et ce diable de Leigh Stephens joue comme une brute. Il devint à l’époque une sorte de héros et cet album reste le modèle absolu du trash-boom. «Doctor Please» sonne comme une longue tartine de heavy rock exacerbé, avec un Leigh Stephens qui tente l’échappée belle, mais il tourne en rond dans ses gammes. Ils étaient alors très courageux de tenter le diable à trois. Paul Whaley tape tout seul dans son coin et martyrise ses cymbales. Ils sont marrants, car ils essaient de faire un cut avec rien. C’est l’apanage des big jammers californiens. Sur cet album infernal, tout est dédié aux dieux de la saturation. Ils repartent de plus belle en B avec le bien nommé «Out Of Focus». Leigh Stephens ne joue qu’en ultra-saturation et loin là-bas, au fond, Paul Whaley bat lourd. Et même très lourd. Ils font une version déchirante de «Parchman Farm», mais à leurs conditions, en roue libre saturnale et au doom de heavy beat. Voilà le vrai hit de l’album : «Second Time Around», véritable coup de génie riffique. La plongée dans le couplet est un modèle du genre, c’est riffé à la vie à la mort, listen here babe ! Ils redémarrent leur bash-boom par trois fois avec une violence égale. C’est là que se niche de génie sonique de Blue Cheer. Mais cet abruti de Paul Whaley vient ruiner le cut avec un solo de batterie.
Sur leur deuxième album Outsideinside paru la même année se nichent deux nouvelles énormités : «Gypsy Ball» et «Babylon». Ils appliquent leur empreinte sur le museau du rock. On voit Leigh Stephens prendre son élan dans le gras double. Ils jouent leur Babylon au pire doom du heavy blues. Ils tapent aussi un instro épouvantablement sauvage, «Magnolia Caboose Babyfinger», qui pourrait rappeler le son de Bloomy dans le Paul Butterfield Blues Band. C’est la même niaque de swing. Ils jouent leur «Sun Cycle» avec des semelles de plomb et reviennent au beat dévastateur avec «Just A Little Beat». Paul Whaley s’y démultiplie à l’infini. C’est là que Blue Cheer crée sa légende. Avec «Come And Get It», on les voit bourrer leur dinde de son et c’est la raison pour laquelle on les admire. C’est bourré à craquer de son, ils réinventent Gargantua avec du sonic blast. Cheer-moi ça, baby ! Alors évidemment, un cut comme «The Hunter» leur va comme un gant. D’autant que Paul Whaley le sur-joue - Ain’t no use to hide.
Et puis les choses vont commencer à se détériorer avec New Improved Blue Cheer paru l’année suivante. Leigh Stephens quitte le groupe et Dickie Perterson engage des remplaçants, notamment Bruce Stephens qui joue un peu de guitare jazzy dans l’esprit de Love. On l’entend faire des siennes dans «When It All Gets Old», mais il faut imaginer la gueule des fans de Blue Cheer à l’époque. Arrrgh ! Quelle horrible déception ! L’A est un conglomérat de petits cuts allègres et adroitement bricolés et ça se termine par un heavy clin d’œil à Dylan avec «It Takes A Lot To Laugh» : du grand Dickie Peterson. C’est le seul lien avec le Blue Cheer d’avant. L’album est même coupé en deux, car Blue Cheer redevient un trio avec Randy Holden qui joue sur la B, mais il a du mal à décoller : trop d’arpèges. Si la face Randy Holden était bonne, ça se saurait. Il tente de sauver l’album avec «Fruit & Iceburgs» en passant un gros solo âpre et dentu. Il joue des descentes de gammes avantageuses et bénéficie du beau beat de Paul Whaley. Mais bon, quelle blague.
Blue Cheer va encore enregistrer trois albums sur Philips, mais sans Paul Whaley. Dickie Peterson tente de sauver la légende, mais c’est très difficile, car les albums ne sont pas renversants. Ils font partie de ceux dont on se séparait dans les années soixante-dix, et qu’on rachetait vingt ans plus tard sur la seule foi du nom, en se disant ‘peut-être les avait-on mal écoutés à l’époque’, alors on les réécoute en espérant y trouver du Blue Cheer, mais non, c’est autre chose. L’album Blue Cheer paru en 1970 est un album de rock américain assez banal, comme si Blue Cheer était devenu un groupe gentil et bien élevé. On y retrouve Bruce Stephens au chant. Les grooves sont extrêmement bien sonorisés. On pourrait même parler d’un album classique mais dense. «Ain’t That The Way» sort du lot par sa puissance. On a là le son des seventies qui fait tellement baver les gens aujourd’hui. On sent que cette nouvelle mouture de Blue Cheer ne veut pas se risquer à réinventer le fil à couper le beurre. Quand ils poppisent à l’anglaise avec «Lovin’ You’s Easy», ils savent rester élégants. Ils terminent cet album mi-figue mi-raisin avec un vieux coup de Stonesy intitulé «The Same Old Story». Ils sont dessus, avec tout le swagger de rigueur.
La même année paraît The Original Human Being. Paul Whaley ne joue pas non plus sur celui-ci, et il a raison, car ce n’est pas fameux. Ça démarre avec un «Good Times Are So Hard To Find» monté sur le riff d’I’m A Man, avec le petit shuffle d’orgue par derrière. Le pauvre Dickie se retrouve tout seul avec Ralph Kellog et Norman Mayell, rescapés de l’album précédent, plus Gary Yoder. On sent nettement au fil de cuts une grande faiblesse compositale. Ils n’ont plus de Blue Cheer que le nom. Plus aucune trace de la rémona. Ils font même du folk radio-friendly de coin du feu avec «Tears In My Bed». On les voit tenter de remonter la pente avec «Man On The Run», mais ça peine dans la côte, mâchin, comme dirait un Suisse. Ils moulent le grain avec une grande pénibilité. On sent qu’ils dilapident leur identité et qu’ils ne savent plus à quel saint se vouer. Ils jouent le rock par hasard et sans conviction. C’est presque un album grec tellement il est tragique.
Dernier épisode Philips avec Oh Pleasant Hope en 1971. On retrouve la même équipe et un beau cut de bassmatic, «Money Troubles». Ils jouent ça en mode groovy softy élastique assez inspiré. On est ici dans le haut de gamme d’un son de studio avec un bassmatic de rêve. L’album se veut résolument pop-rock. On sent que Dickie Peterson subit des pressions pour devenir plus commercial. «Believer» se veut assez ambitieux. Ils sonnent comme tous les grands groupes américains des early seventies, avec ce côté Spirit dans le son. Avec le morceau titre qui ouvre le bal funeste de la B, ils sonnent carrément comme les Eagles, c’est dire le côté dramatique de cette aventure. Ils jouent «I’m the Light» le cul entre deux chaises, entre Spirit et un son plus anglais. Dickie chante comme Jay Ferguson et le cut sonne comme de l’élégiaque britannique. Mais ils sont tellement déterminés à vaincre qu’ils forcent l’admiration. Avec «Ecological Blues», ils repompent le «Going Up To The Country» de Canned Heat. La pop-rock bien fouettée et admirablement bien enlevée de «Lester The Molester» passe comme une lettre à la poste. C’est gorgé de musicalité et le beau bassmatic vole par dessus les toits. Ils terminent avec un «Heart Full Of Soul» plus musclé, et monté sur un bassmatic plus r’n’b. Dickie Peterson semble vouloir enfin se fâcher. Bon ce n’est pas le Heart Full Of Soul des Yardbirds, on a là une compo de Dickie et sans doute le cut le plus rocky de cet album relativement sympathique.
Après quinze ans de silence, Blue Cheer refait surface avec The Beast Is Back. Dickie Peterson et Paul Whaley s’acoquinent avec Tony Rainier, le mec qu’on retrouve aussi dans l’album 7, c’est-à-dire le septième album prévu sur Philips mais qui n’est pas sorti à l’époque, pour cause de fin de contrat. Avec The Beast Is Back, Blue Cheer remet enfin les pendules à l’heure. Ça commence d’ailleurs par la pochette, bien rouge, avec la main du diable qui caresse les fesses d’une belle gonzesse. Et au dos, le groupe remercie tous ceux qui ont gardé les roots alive, à commencer par Led Zep et Sabbath. Pour bien enfoncer le clou du retour, ils tapent bien sûr dans les vieux coucous comme «Summertime Blues». Le vieux Dickie n’en démord pas. Tony Rainier a un son un plus hard que celui de Leigh Stephens et ça gêne un peu. En B, ils vont aussi retaper dans «Babylon» et dans «Parchman Farm», mais leur version n’est pas aussi explosive que celle de Cactus. Elle est plus grasse, avec du mal à se déplacer. Ils jouent bien la carte de la désespérance, car c’est le thème du cut. Ils en font une version à rallonges, mais bon, ça passe, parce qu’on est tous contents de les revoir. Ils tapent aussi dans le vieux «Out Of Focus». Ils excellent dans la heavyness et c’est là qu’on les attend. Régal assuré, car ce diable de Tony Rainier joue son blasting à la mélasse suprême. Joli slab de heavyness aussi que ce «Ride With Me» que Paul Whaley bat comme plâtre. Et sur «Girl Next Door» qui sonne comme Parchman Farm, Tony Rainier joue sa cocotte perfide à l’excellence. Ils embarquent «Heart Of The City» au walking riff. Dickie Peterson n’en finit plus de rameuter ses vieux pouvoirs des ténèbres, il chante au guttural enflammé et derrière, ça power-triorise comme pas deux. Le heavy sound reste bel et bien l’apanage de ce cher Blue Cheer. Red hot !
Cinq ans plus tard, Dickie et Paul Whaley engagent le guitariste Andrew Duck MacDonald pour enregistrer Highlights And Lowlives. Mais Duck sort un son trop hardos, comme on dit dans les salons. Avec «Hunter Of Love», ils virent carrément arena rock. Ils s’enfoncent dans du heavy sound à la Endino et ça ne marche pas. Il faut entendre Dickie chanter «Big Trouble In Paradise» à la grande gueule en B. Il veut en découdre, mais c’est sans espoir. Il faut attendre «Hoochie Coochie Man» pour retrouver un peu de Cheery blast. Ça part bien heavy avec un Dickie qui lance un Oh yeah d’approbation sur les premières mesures. Cette version sauve l’album. Duck MacDonald sonne comme Jimmy Page dans son solo.
Oh il existe un autre album de Blue Cheer avec Duck MacDonald, mais sans Paul Whaley : Blitzkrieg Over Nuremberg. C’est un live bien dense, avec un nommé Dave Salce qui remplace Paul Whaley. On retrouve l’excellent «Ride With Me» - This is a song about motorcycles - Dickie va chercher la même fournaise que celle de Lemmy. Blue Cheer et Motörhead, même combat, même sens de l’inflammatoire, même science du power trio. Duck MacDonald joue bien son solo à l’horizontale traversière, c’est excellent et ça se situe dans l’esprit de destruction massive de Fast Eddie. Ils tapent aussi une version explosive de «Summertime Blues». Ils jouent à l’extrême cavalcade incendiée à tous les coins de rue. Ils outrepassent Leigh Stephens et Paul Whaley, ils jouent au pouvoir supérieur. On peut aussi se prosterner devant «Just A Little Bit». Dickie Peterson semble détenir tous les pouvoirs. Blue Cheer redevient l’exacte incarnation du power suprême. Ils démarrent l’A avec un medley «Babylon/Girl Next Door». Dickie peut beugler ses babeh ! Ils replongent dans le rock en fusion et leur Girl Next Door sent bon la patate chaude de Parchman Farm - I’m here for the rest of my life - La B est complètement apocalyptique. Ils plongent «Out Of Focus» dans les abîmes, Dickie rallume tous les brasiers séculaires et ce démon de Duck MacDonald s’en donne à cœur joie. Ils replongent de plus belle dans l’apanage du heavy blues avec «Doctor Please» - Another drug song - MacDonald passe par des phases classiques grandioses, il sonne comme le Bela Bartok du heavy blues, il joue des ponts prodigieux et rétablit la grandeur du genre, il étend l’empire de Blue Cheer jusqu’aux confins du monde libre. Avec «The Hunter», Blue Cheer fait un retour spectaculaire aux apanages fondamentaux du rock moderne. C’est le heavy tempo du Hunter, tel que défini en son temps par Big Albert, puis par Paul Kossof dans Free et ce diable de MacDonald n’en finit plus d’élever considérablement le niveau du débat. Cet album inespéré s’achève avec une version un peu molle de «Red House». Dommage. Ils perdent la dynamique de la version originale. Ça reste du big heavy blues ultra-joué, bien sûr et sur le final, le vieux Dickie s’explose bien le gosier. Ah l’animal !
Changement de guitariste pour Dining With The Sharks. Il s’appelle Dieter Saller et sonne un brin heavy. On sent qu’on atteint les limites du genre avec «Big Noise». Derrière on entend le pilon de Paul Whaley. Il ne mégote pas sur le heavy pounding. On les sent tous les trois dans la fleur de l’âge. Avec «Outrider», Dieter Saller amène un son très anglais et Blue Cheer perd de son ostracisme heavily californien. Dickie chante son ass off, il hurle comme un désespéré, il hurle d’autant plus que Paul Whaley se met à frapper comme Mikkey Dee, le dernier batteur de Motörhead. On voit Dickie revenir au stuff coercitif avec «Sweet Child Of The Reeperbahn». Il chante à la glotte vive et montre bien qu’il adore le heavy groove. Et quand on entend «Audio Whore» en B, on comprend bien que ces trois mecs ne s’embarrassent pas de petits détails. On les sent encore plus déterminés à vaincre avec «Cut The Costs». Le son est âpre, très type hard-rock anglais des années 80, le fameux NWOBHM machin, une calamité. Et comme on le voit avec «Sex Soldier», Blue Cheer est un groupe qui meurt mais ne se rend pas. On a là du beau Blue Cheer vaillant sur la brèche, avec un Saller bavard comme une pie. Ils bouclent avec «Pull The Trigger» et réveillent du même coup les démons de Summertime Blues. La grosse attaque est calquées sur le riff d’Eddie, avec derrière le pilon de Paul Whaley. Ah on peut dire qu’il en aura pilonné des albums dans sa vie, le vieux Paul. Saller fait une belle descente aux enfers sur son manche. Dommage qu’il ait ces réflexes de hardos anglais. Berk.
Paru sur un label japonais en 1999, Hello Tokyo Bye Bye Osaka annonce la résurrection de la Bête. Si on ne sait pas ce que heavy signifie, alors il faut écouter le «Babylon» qui ouvre le bal. Sur cet album singulièrement ravageur, on a des morceaux de quatre minutes qui prennent leur envol comme des prédateurs d’acier noir dans un ciel embrasé. Blue Cheer inspire une sorte de terreur sacrée. Ce n’est pas un groupe qu’on admire, oh que non ! C’est un groupe devant lequel on s’agenouille et qu’on vénère en tremblant. Hormis Monster Magnet, aujourd’hui aucun groupe ne sonne comme Blue Cheer. Sur «The Hunter», la guitare d’Andrew Duck MacDonald et la basse de Dickie Peterson sont en saturation maximale, bien au-delà des normes autorisées. Dickie Peterson mitraille à coups de basse comme s’il était un fantassin de la Wermarcht acculé aux murailles de Stalingrad par une division de mongols cannibales. Ça devient hallucinant de violence carnassière. On pourrait même pousser des aaahhhh ! et des uuuhhhh ! face à une telle démesure frénétique. Il faut avoir entendu un morceau comme «Girl Next Door» une fois dans sa vie pour comprendre ce que peut vouloir dire Richard Burton quand il évoque le musc nacré de l’Islam. C’est vrai que Peterson chante souvent en hurlant, comme si ses nerfs lâchaient, mais comment peut-il faire autrement ? Franchement, c’est impossible. S’il hurle, c’est qu’il en a besoin. Blue Cheer déverse ses tonnes de décibels sur la gueule des Japonais. C’en est presque comique ! Le solo de MacDonald se répand comme de l’or liquide dans un vacarme assourdissant. Blue Cheer se situe au-dessus des lois. La guitare traîne en larsen sur les tap-tap de Paul Whaley et le gros riff de «Summertime Blues» vient tout écrabouiller. Aucun groupe n’a un son aussi atomique, au sens du bombing. C’est tellement ravageur que ça en devient ubuesque. «Ankya very much !» Bon prince noir des galaxies acides, Dickie Peterson salue une audience japonaise complètement tétanisée. «Out Of Focus» ! C’est encore plus épais, plus pesant que tout ce qu’on pourra imaginer. Plus sauvagement sombre, plus dramatiquement abyssal, plus génialement plombé que toutes les énormités du Vanilla Fudge.
Paru en 2007, What Doesn’t Kill You est un double album live sur lequel joue encore Andrew Duck MacDonald. Les power dudes sont alive and well, même si on les voit sous forme de squelettes sur la pochette. Dans «Piece O’ The Pie», Duck MacDonald sonne quasi-hendrixien, au sens de «Cry Of Love». Ce joli son de Strato perce l’air liquide. Ils enchaînent avec une version torride de «Born Under A Bad Sign». Bel hommage à Big Albert. C’est un rêve de son come true. Ah comme on se régale de leur conjonction. Duck reste très Cry Of Love, il fait son beautiful freak, très lyrique et ramène du charme dans ce monde de brutes qu’est Blue Cheer. On retrouve cette belle hendrixité en B sur «I Don’t Know About You». Magnifique élongation du domaine de la lutte Cheery. Mais c’est avec «I’m Gonna Get To You» qu’ils font le mieux leur boulot. On les sent résolus. Duck MacDonald voyage en vol plané, il semble même parfois se forer un tunnel sous le Mont Blanc, mais il le fait avec tout le velouté hendrixien. Son de rêve. En C, ils retapissent un «Just A Little Bit» hendrixifié dans l’essence de la pertinence. Dickie chante avec une fermeté qui pourrait passer pour de la mauvaiseté intentionnelle. Ses waouhh valent le détour. Ils terminent avec un «No Relief» qui honore la tradition du heavy blues de type call me a doctor. Et pour la D, on devra se sucer l’os du genou, car elle n’existe pas.
Et puis voilà que le fameux Blue Cheer 7 refait surface en 2012. Pour le choper, pas d’autre solution que de le commander chez Bomp, comme au bon vieux temps. C’est un petit label texan nommé ShroomAngel qui s’est chargé de la réédition, et les liner notes sont signées Eric Albronda, premier batteur du groupe devenu par la suite leur producteur. En 1978, Blue Cheer n’existait plus. Après six albums, Mercury-Philips avait lâché le groupe. Mais rien ne pouvait arrêter Dickie. Il voulait redémarrer Blue Cheer coûte que coûte. Il le fit avec le guitariste Tony Rainier et un batteur nommé Michael Fleck. Dickie décida de repartir sur la voie du premier album et de revenir aux sources : le heavy blues. Ils ouvrent le bal des vampires avec une nouvelle version ultra-dynamique de «Summertime Blues». C’est même une version admirable d’exaltation jouissive, une réactualisation du Blue blast. On entend ensuite de diable de Tony Rainier sur-jouer «Route 66». S’ensuit un joli shoot de heavy blues avec «Take Me Away» : cuissot de heavy bien gras, comme on les aime. Dans «I Want You Once Again», Tony Rainier coule de source sur sa guitare. Les gammes élancées ruissellent et Dickie joue comme Noel Redding. Il n’a pas le choix. C’est tout de même incroyable que cet album ne soit pas sorti à l’époque. Il saluait le grand retour de Blue Cheer. La B réserve son lot de belles surprises. Après une version outrancièrement psychédélique de «Out Of Focus», on tombe sur «Starlight», une petite pop-song montée sur un gros drive de basse. Joli coup. Fantastique énergie. Tony Rainier fait du Leigh Stephens en plus acerbe. Une autre surprise arrive à la suite avec «Child Of Darkness», une superbe pièce de pop psyché jouée en cocotte et agrémentée de ponts superbes, comme le jardin de Claude Monet à Giverny. La surprise est de taille car on ne s’attend pas du tout à trouver des morceaux de cette qualité sur un album de Blue Cheer. Non pas qu’il faille les considérer comme des bas du front, mais leur fonds de commerce, ce serait plutôt l’assommoir. Qu’on se rassure : ils ramènent la grosse Bertha pour «Blues Cadillac». Tout le son est là. Dickie n’en démordra jamais, même enterré six pieds sous terre.
Signé : Cazengler, Blue Chiure
Paul Whaley. Disparu le 28 janvier 2019
Blue Cheer. Vincebus Eruptum. Philips 1968
Blue Cheer. Outsideinside. Philips 1968
Blue Cheer. New Improved Blue Cheer. Philips 1969
Blue Cheer. Blue Cheer. Philips 1970
Blue Cheer. The Original Human Being. Philips 1970
Blue Cheer. Oh Pleasant Hope. Philips 1971
Blue Cheer. The Beast Is Back. Megaforce Records 1985
Blue Cheer. Blitzkrieg Over Nuremberg. Thunderbolt 1989
Blue Cheer. Highlights And Lowlives. Thunderbolt 1990
Blue Cheer. Dining With The Sharks. Nimbelung Records 1991
Blue Cheer. Hello Tokyo Bye Bye Osaka. Captain Trip Records 1999
Blue Cheer. What Doesn’t Kill You. Rainman 2007
Blue Cheer. 7. ShroomAngle Records 2012
Waterloo ! Morne Blaine
Hal Blaine devait bien se douter que ça finirait mal. On ne peut pas rester indéfiniment vivant et couvert de gloire, ovationné par tous les batteurs de la terre. Comme Napoléon avant lui, Hal Blaine vient de voir son empire s’écrouler. Hop, à dégager, avec la pipe en bois et les baguettes fétiches. Mais bon, il aura bien vécu. C’est même assez miraculeux, vu le contexte de ses origines. Il en parle très bien sans son autobio, Hal Blaine & The Wrecking Crew. The Story Of The World’s Most Recorded Musicians. Ses parents juifs polonais avaient en effet échappé de peu aux sabres des Cosaques. Ça date du temps des pogroms. Le jeu favori des Russes consistait alors à entrer dans les villages juifs pour y détruire la population. Ça ne suffisait pas d’échapper à la mort, il fallut aussi échapper à la misère. Les juifs rescapés qui débarquaient en Amérique n’étaient pas tous des banquiers, loin de là. Les immigrants s’appuyaient sur des réseaux qui leur trouvaient du travail, mais c’était donnant donnant : «Je t’aide en te trouvant un taudis pour y caser ta famille, mais tu travailles pour moi.» Ça commence généralement par un stage interminable dans l’une des cités ouvrières du Nord des États-Unis, où les conditions de vie sont aussi terribles qu’en Europe, froid, gla-gla, caca dans la cour, pas d’argent, une patate au repas et à huit dans une pièce unique. Mais sans les Cosaques. Les misérables parents d’Hal finiront par venir s’installer en Californie, et c’est là qu’ils commenceront à profiter un tout petit peu de la vie. Comme disait le grand Charles, la misère est moins pénible sous le soleil exactement.
Pour situer les choses, Hal Blaine commence à écumer la scène californienne dans les années cinquante. La première grande rencontre qu’il évoque est celle d’Earl Palmer. Après avoir battu le beurre pour Fatsy à la Nouvelle Orleans, l’Earl vient s’installer en Californie. Il est alors le batteur le plus demandé et Hal apprend énormément de lui - Earl was the King of the Mountain - Puis Hal se retrouve embringué dans le fameux Wrecking Crew et entame son chapitre Phil Spector. On est aux premières loges. Hal explique que Phil adore le chaos - Phil’s sessions maintained a state of barely controlled chaos - Hal compare même Phil à Leonard Bernstein dirigeant le New York Philharmonic. C’est là qu’Hal invente les quarter-note triplets played against the band, c’est-à-dire les triolets de quart de note. Pour fabriquer son légendaire Wall of Sound, Spector rassemblait une grosse équipe : Carol Kaye et Ray Pohlman aux Fender basses, Jimmy Bond et Lyle Ritz aux stand-up, cinq guitaristes (Tommy Tedesco, Barney Kessel, Howard Roberts, Glen Campbell et Bill Pittman), cinq pianistes (Don Randi, Leon Russell, Larry Knechtel, Michael Molvoin et Al Delory), des percussionnistes et de cuivres. Jack Nitzsche écrivait les arrangements et Hal battait le beurre sur tous les hits de Phil, sauf «You’ve Lost That Loving Feeling», que bat Earl Palmer.
Et si cet orchestre hétéroclite s’appelle the Wrecking Crew c’est parce qu’à la différence des autres musiciens de studio costumés et cravaté, ceux qui travaillent pour Phil portent des T-shirts et des Levis. D’où le côté zone - Informal and spontaneous - Hal fait un bel éloge de Glen Campbell, un hillbilly originaire de l’Arkansas who took Hollywood by storm. Selon Hal, Campbell shootait du country-style electric guitar in the rock music. Bel hommage aussi à Leon Russell, another hillbilly-type from Tulsa, Oklahoma. Au début, Tonton Leon était tout maigre, avec des cheveux courts. Mais quand il s’asseyait au piano, he turned the record business upside down. Tous les producteurs le réclamaient. Pour Hal, ce sont des mecs comme Glen Campbell et Tonton Leon qui amenaient un key element to our hit record formula.
Avec le chapitre suivant, Hal évoque les Sinatra, le père et la fille pour lesquels il bat aussi le beurre. Puis ce sont les Beach Boys, et là, c’est plus délicat, car il doit battre à la place de Dennis Wilson qui ne lui en veut même pas. C’est Hal qu’on entend sur «Good Vibrations» - Which took many, many sessions with many segments recorded and rerecorded - Hal traite Brian de perfectionniste : il voulait à la fois la spontanéité et la perfection. Difficile ! Pour Hal, c’est un rude apprentissage. Mais en entendant le résultat à la radio, il comprend que la combinaison du génie visionnaire de Brian et des interminables sessions d’enregistrement - the painstaking work on the songs - hisse le rock à un autre niveau. Heureusement, Hal et Dennis Wilson sont très potes. Dennis préfère aller faire le con sur la plage avec les filles plutôt que de rester enfermé en studio. Il s’en fout, du moment que l’argent coule à flots et qu’il peut s’acheter des bagnoles, des bateaux et des motos. Mais avec le temps, Dennis va s’investir beaucoup plus dans le son des Beach Boys, notamment à l’époque du Brother Studio. Il demandera même à Hal de venir battre le beurre sur son fameux album solo, le mirifique Pacific Ocean Blue. Hal ajoute que Dennis était encore meilleur au piano qu’à la batterie. Ça on le savait. Il suffisait d’écouter l’album.
Ce veinard d’Hal bosse aussi avec Jan &Dean, le duo tragique de l’El Dorado californien. À l’époque, Jan Berry étudie encore la médecine et Dean Torrence l’architecture. Pour Hal, ces deux-là incarnaient the California Dream : sports cars, blond hair, tall and muscular builds, the epitome of the young surfer image. Les deux caractères sont très différents, voire opposés : Jan Berry est une cale carne et Dean Torrence un mec gentil. Hal voit même un halo flotter au dessus de la tête de Dean. Hal parle de Jan en termes de devilish manner. Pour la première fois, Hal accepte de partir en tournée pour les accompagner. C’est l’âge d’or de Jan & Dean. Aux États-Unis, ce sont des mégastars. Quand ils doivent aller en studio pour enregistrer un nouvel album, c’est Jan qui passe un coup de fil à Hal pour lui demander de rassembler le Wrecking Crew. Et c’est là pour la première fois qu’Hal joue en double avec Earl Palmer. The double drums est une idée de Jan. Et puis patatrac, c’est l’épisode fatidique du Dead Man Curve : à la suite d’un accident de voiture, Jan survit miraculeusement. Il est allé s’encastrer sous un camion, au volant de sa Corvette Stingray. Même genre d’accident que celui de Duane Allman à Macon, qui alla lui aussi s’encastrer avec sa Harley sous un camion. Jan a le crâne ouvert et la cervelle qui coule quand les flics le trouvent. Ils le considèrent comme mort. Jan doit subir une opération au cerveau. Il va mettre deux ans à se rétablir et reviendra en studio en 1968 finir d’enregistrer le mythique Carnival Of Sounds - But the days of superstardom were gone - L’album ne paraîtra qu’en 2010. Avec celle de Badfinger, c’est l’une des histoires les plus tragiques du rock’n’roll circus.
Et pouf, Hal passe directement aux Monkees, qu’il qualifie de typical products of the times : young, vibrant, long-haired, cute and funny as hell. Évidemment, c’est le Wreking Crew qui joue sur les deux premiers albums et sur tous les hits des Monkees, mais ça on le savait depuis la conférence de presse qu’organisa Michael Nesmith pour dénoncer cette arnaque. Hal monte encore d’un cran dans le super-system hollywoodien avec Jimmy Webb. Ça va loin car Hal compare Jimmy Webb à Cole Porter et aux Gershwins, alors qu’il n’a encore que 17 ans. Mais il devient vite la poule aux œufs d’or d’Hollywood. Jimmy Webb gagne tellement de blé qu’il s’offre l’ancienne résidence du consul des Philippines, sur les hauteurs d’Hollywood, pas très loin de chez Hal, qui n’en revient pas de voir un morpion aussi jeune réussir. Chez Jimmy Webb, le téléphone sonne sans arrêt : ils veulent tous leur œuf en or, Frank Sinatra, Barbra Streisand, tous. Jimmy Webb envoie Hal à Londres pour travailler avec Richard Harris, mais ils ne foutent rien. Ils font la fête pendant dix jours. Ils reviennent enregistrer «MacArthur Park» à Hollywood, au Sound Recorders. On confie à Hal le soin de diriger les violons pendant les sessions d’overdubs - One of the most exciting times in my career - Ben voyons. Mine de rien, Hal Blaine n’a fait que bosser avec tous les géants de la terre. Et ce n’est pas fini car voilà the Mamas & The Papas, encore un gros épisode bourré de gens ultra-doués. Quand il les voit débarquer pour la première fois en studio, Hal les prend pour des clochards. Ils viennent en effet de passer un long moment en Jamaïque, en vivant aux frais de la princesse. Mais quand ils se mettent à chanter, attention, ça ne rigole plus. Lou Adler qui les prend en charge demande à Hal, Joe Osborn et Larry Knechtel de les accompagner. Hal se dit très impressionné par Mama Cass - I’ve never met a sharper lady, with the possible exception of Barbra Streisand - Il la trouve très intelligente et dotée d’un goût marrant pour les fringues. Mais le crack, c’est bien sûr John Phillips. Hal boucle sa plantureuse autobio avec des chapitres consacrés aux Carpenters et à John Denver.
C’est le fils de Tommy Tedesco qui tourne le docu consacré au Wrecking Crew, dans lequel jouait son père Tommy. L’occasion est si belle de revoir tous ces dieux du stade qu’on ne peut pas la rater. C’est Jimmy Webb qui clame que les session-men du Wrecking Crew sont les meilleurs musiciens du monde - They were stone cold rock’n’roll professionals - On les voit tous, Hal Blaine, la bassiste Carol Kaye, l’incroyable virtuose Tommy Tedesco, Glen Campbell, Joe Osborn (l’autre bassman), Tonton Léon et Earl Palmer, plus d’autres moins connus comme Al Casey. Ils ont pris un sacré coup de vieux, mais Teddy Tedesco a réussi à les filmer avant qu’ils ne cassent leur pipe en bois. Hal Blaine le redit : «Quand on est arrivés avec nos clopes, nos T-shirts et nos jeans, les vieux musiciens de studio qui étaient en costards bleus disaient ‘They’re gonna wreck the business’», d’où the Wrecking Crew. Et puis on voit Carol Kaye nous jouer la bassline de «The Beat Goes On». Wow ! Ça vaut tout l’or du monde. Tous les bassistes devraient voir jouer Carol Kaye. On tombe ensuite nez à nez avec Brian Wilson qui voulait absolument le Wrecking Crew sur les albums des Beach Boys. Jimmy Webb : «Pet Sounds ? Okay ! Top this !» Carol Kaye joue sur «Good Vibrations» et «California Girls». Brian va loin car il dit d’elle qu’elle est the best bass player in the world. Et c’est Hal Blaine qui fait le chef d’orchestre pendant les sessions historiques de Pet Sounds. Soudain, le docu bascule dans Phil Spector, c’est-à-dire l’une des époques les plus géniales de l’histoire du rock. On est au Gold Star, avec six guitaristes, quatre pianistes, une vingtaine de percus, deux basses, l’upright et l’électrique et un batteur, Hal Blaine. On ne parle ni des cordes ni des cuivres. Beaucoup de monde dans un petit studio et une grosse chambre d’écho. The wall of sound, baby, «You’ve Lost That Loving Feelin», «Be My Baby» et «River Deep Mountain High». Spector fait travailler ses musiciens pendant des heures avant de commencer à enregistrer. Oui, des heures. Et ils jouent. Carol Kaye raconte qu’elle a commencé sa carrière de session-woman en 1957 en accompagnant Sam Cooke. À l’origine, c’est HB Barnum qui la recrute en même temps qu’Hal Blaine et Glen Campbell pour jouer sur des démos. Ils deviendront ensuite très riches, tant que va durer l’âge des sessions. Roger McGuinn radine sa fraise pour expliquer qu’il fut le seul Byrd autorisé à jouer sur «Mr Tambourine Man». One take. Par contre, il en a fallu 77 pour mettre «Turn Turn Turn» en boîte. Pourquoi ? Parce que ce sont les vrais Byrds qui jouent dessus et non le Wrecking Crew. On en arrive fatalement aux Monkees. Peter Tork surgit pour dire sa colère : il voulait jouer sur le premier album, «mais ils l’ont enregistré sans moi - I was upset !» Micky Dolenz qui s’est pas mal empâté prend la chose avec plus de philosophie. Il trouve ça plutôt bien d’être accompagné par le Wrecking Crew. Le docu nous rappelle qu’Hal Blaine et Joe Osborn accompagnaient The Mamas & The Papas à leurs débuts et tout cet âge d’or s’achève avec l’arrivée des groupes qui savent jouer. Depuis le scandale des Monkees et la conférence de presse de Michael Nesmith, le public voulait des vrais musiciens, et surtout des jeunes vibrants et souriants. On n’avait donc plus besoin des vieux. Hal Blaine raconte qu’il a perdu son yatch, sa Rolls et sa belle demeure hollywoodienne. Pas facile la vie, surtout quand on est matérialiste.
Signé : Cazengler, Blaine ô ragie
Hal Blaine. Disparu le 11 mars 2019
Hal Blaine & The Wrecking Crew. The Story Of The World’s Most Recorded Musicians. Rebeats 2010
Denny Tedesco. The Wrecking Crew. DVD 2014
LIVE IN MONTREUIL
20 / 04 / 2018
CRASHBIRDS
Delphine Viane : vocals , rhythm guitar / Pierre Lehoulier : lead guitar and Crashbox.
Vous les retrouvez tous les deux, sur les belles photos de Raphael Rinaldi. En des endroits douteux. Par exemple, photo de couve, Pierre s'est niché sur un entassement de fûts de bière, derrière ses lunettes noires l'a l'air d'un agent du FBI qui veille sur la réserve d'or de Fort Knox, mais méfiez-vous avec son profil longiligne d'oiseau de proie Delphine paraît encore plus dangereuse. Ne lui marchez pas sur les escarpins, c'est une tueuse.
Une célèbre photo blanc et noir à l'intérieur, les cui-cui en amoureux. Style Bonnie and Clyde. Pierre vous regarde winchester en main, votre mort inscrite dans ses yeux, et Delphine s'accroche à lui telle la louve sauvage et protectrice dans Les Destinées d'Alfred de Vigny. Ny touchez pas, ceci est à moi, contentez-vous du reste du monde, j'ai pris ce qu'il y avait de meilleur.
Doctor no : la crashbox de Pierre Lehoulier vous corrompt le cerveau à la manière d'une colonie de termites métaphysiques qui durant votre sommeil imprudent ronge à pleines dents les poutres de votre toiture mentale. C'est avant tout cela les Crashbirds cette menace sourde, implacable, vous en avez l'équivalent dans Le Terrier le dernier texte, inachevé, de Kafka, un malheur n'arrivant jamais seul, l'est même précédée de deux froissements électriques de guitare carbonisée qui commence son impérieuse combustion en ouverture, et là-dessus la voix de Delphine Viane surgit telle une flamme ravageuse qui a décidé de s'en prendre à l'univers entier. Quand elle se tait Lehoulier en profite pour vous larder le dos de mille coups de couteaux pointus comme la mort. Voters strike : vous avaient pourtant avertis, et vous avez continué l'écoute, tant pis pour vous, le bureau des dernières extrémités ne prend plus les réclamations, z'ont mis le bulldozer en marche et plus rien ne les arrêtera, la guitare ravageuse de Lehoulier se lance dans une espèce de solo épileptique, vous plie les peupliers et boulotte les bouleaux, un truc à vous rendre fou, d'ailleurs Delphine ne se retient plus, elle a voix qui flambe à la manière d'un feu de forêt, se repassent l'anaconda géant à tour de rôle, il vient vous arracher les parties génitales sans préavis. Boogie night : Le mec qui tient la Fender est décidément un malfaiteur de l'Humanité, soit il vous écrabouille la tête d'un pied rageur soit il vous bombarde de plomb fondu, quant à la fille, au coin du bois tombez en arrêt devant un chat haret, et tentez de le caresser, elle a la voix qui griffe méchant, vous verrez ce que vous en dira le chirurgien à qui vous montrerez votre moignon, ensuite Pierre vous donne un aperçu sonore de ce qui à dû se passer lorsque le Seigneur a déclenché son nuage de soufre sur Sodome et Gomorrhe. Someone to hate : y a des gens qui sont comme cela, prennent du plaisir à faire du mal, vous pressent l'orange mécanique jusqu'au citron. Pierre à fond et la voix de Delphine à feu et à sang. En plus la Delphinette n'arrête pas une seconde de tout le set de claquer sa rythmique, et pendant qu'elle construit des murs de parpaings explosifs Pierre vous passe les riffs comme le fil à couper le beurre autour de votre cou et Delphine l'excite à mort, une furie, une Erynnie sortie tout droit d'un drame antique, qui éclatait de rire lorsque les achéens éclataient la tête des bébés troyens sur les murs du palais de Priam. Nowhere else : méfiez-vous des intros de guitare de Pierre Lehoulier souvent elles débutent selon les règles de l'art, mais l'arrive toujours un moment où elles partent en vrille, alors il ne se retient plus martèle sa crashbox en forcené, et la Fender klaxonne sans arrêt à la manière de ses alarmes de voiture qui se déclenchent toutes seules juste pour vous empêcher de dormir. Quand il est dans ces moments de crise même Delphine n'ose l'arrêter, oui mais de temps en temps elle ne peut pas s'en empêcher, alors elle vous jette quelques bidons d'essence de sa voix incendiaire, vestale dévastée qui veille à ce que le feu sacré ne s'éteigne jamais. Stupidity : l'a on n'entend plus qu'elle, le Pierre a beau vous faire un vacarme de tous les diables, la Delphine peu calme clame ses désirs de folie stupide au monde entier, femelle furax et mâle bruyant, le couple de l'année se fait encore une fois de plus remarquer, z'ont cassé le hublot de l'avion sous prétexte qu'il y avait trop de sel dans leur plateau repas, et maintenant vous vivez le crash en direct. Essayez de survivre. Je sais, ce ne sera pas facile. Weekend lobotomy : un couple se déchire dans un deux-pièces-cuisine, abattez-les tous les deux, le Diable reconnaît toujours les siens, vous n'avez pas suivi nos judicieux conseils, le Pierre vous passe les riffs dans le grille-pain et Delphine ouvre les fenêtres pour que l'on entende ses hurlements jusque sur Mars, la situation a dégénéré, le gouvernement a dû s'emparer de l'affaire, l'Onu n'a pu empêcher le déclenchement d'une guerre nucléaire internationale. Tant mieuxpour nous, cette guitare qui détruit le monde est trop belle, et ce chant de guerre entonnée sauvagement par Delphine sonne à nos oreilles comme un shoot d'endomorphine délicieux. Que voulez-vous le malheur des uns fait le bonheur des autres. The lions : on l'avait oublié mais ce sont des amateurs de blues, Pierre vous pousse l'anatole jusqu'à ce qu'elle tombe dans le rock'n'roll et Delphine vocalise telle une diva qui passe le contre-ut en rut. Pierre se sert de sa guitare comme d'une torche et Delphine de sa voix comme les soldats d'Alexandre piquaient de leurs lances le sexe des éléphants afin qu'ils se retournent contre leur propre camp. Total ravage. Sinistre absolu. Non remboursable par la sécurité sociale. No mercy : Pierre tricote, à la manière des faiseuses d'ange, l'a le pied qui batifole sur la crashbox, jusque-là tout va à peu près bien, ce n'est pas l'avis de Delphine, elle intervient à la hussarde, lance la charge du cobra sur sa proie, vous pousse une clameur à vous vider de votre sang et c'est parti pour trois minutes de frénésie animale, elle en miaule de plaisir, elle en glapit de jouissance, Pierre tabasse sa guitare qui ne lui a rien fait, et je préfère ne pas vous raconter la fin, sinon le blogue va écoper d'un sticker parental advisory. Money : la crotte de dieu disent les hindous, les cui-cui vous la servent brûlante et fumante, vous en barbouillent l'âme et le corps rien que pour voir l'effet que ça vous fait. Ce coup-ci, s'y mettent tous les deux ensemble, superposent leurs efforts, Pierre tronçonne les solives du riff et Delphine l'excite des rauques aigus de sa voix ricaneuse de hyène maraudeuse. Maintenant Pierre amasse la mousse des riffs et Calamity Viane se sert de son larynx comme d'une winchester. Hard job : dur je ne sais pas, mais vite, oui. Delphine secoue la cloche de vache à la fadurle, Pierre vous brode des entretigres à la dynamite, Delphine pousse au rythme comme d'autres au crime, z'ont dû oublier d'éteindre l'incendie ( just for fun ) chez le voisin, sont méchamment pressés, roulent en contresens sur l'autoroute et Delphine vitupère contre les imbéciles qui ne leur laissent pas la place. Boring to death : l'heure de gloire de Pierre, vous fait sonner sa guitare comme le cor de chasse au fond des bois, un truc qui a l'air d'énerver Delphine, l'enchaîne sec, exige le tumulte, entre en trombe souveraine, pas du genre à laisser pousser les coquelicots dans les champs de blé, l'est pour les déforestations sauvages, elle a la voix qui glyphosate, là où elle passe rien ne repousse, Pierre n'est pas le gars à qui il faut en promettre, vous la suit comme un seul homme, la Fender arase le monde. Fin brutale, il n'y a plus rien à détruire. The midnight prowler : aux sources mississippiennes du blues, oui mais les cui-cui ce qu'ils préfèrent c'est quand l'électricité brise les barrages, Delphine vaticine, le blues est cette ombre bleue qui se faufile dans les nuits de désespoir, alors autant que la catastrophe arrive au plus vite, le rythme se précipite, la mort vaut mieux que la promesse de la mort. Danse finale sur les décombres. La guitare de Pierre compte les abattis. Silence : titre oxymorique, pas une once de silence dans cette cavalcade endiablée, rivalisent, la guitare bourdonne rageusement et Delphine hurle ses ordres à la cantonade, pour finir elle égorge le coq sur un rond de sorcière. Rollin' to the south : retour aux origines, terminent en beauté, festival de guitare et sarabande vocale. L'on remet le disque au début. L'on porte plainte car il faudrait un deuxième CD.
Quinze morceaux, quinze fournaises. Dans la série les cui-cui tapent toujours plus fort et volent toujours plus haut, les Crashbirds nous offrent le live de l'année. Quinze bluezy rootsies électriques, un trip qui vous étripe, un verre de moonshine qui vous éviscère, une guitare fulminante, une voix tumultueuse, une rythmique obsédante, un vrai disque de rock. Diamant noir.
Recorded Live à L'Armony de Farid par Roland Piqueras / Mixé par Eric Cervera / Masterisé ( surtout pas pasteurisé ) par Sébastien Lorho.
Damie Chad.
11 / 04 / 2019 – MONTREUIL
LA COMEDIA
CHUMP / HITCH & GO
Profitons de la balance établie en un tour de main par Monsieur Personne in person pendant que son chien Whisky indifférent au tumulte humain dort profondément et néanmoins philosophiquement sous une table, pour visionner le logo de Chump reporté en grand et en couleur sur une bâche noire en fond de scène, indéfinissable, une tête pour trois interprétations, lion, fillette, grand-mère, une seule chose de sûre, cet énergumène à crinières à bandeaux se trouve en équilibre instable sur une planche de skate, un cri que l'on n'entend pas sort de sa bouche grand-ouverte. Resterons-nous sourd à un tel appel !
CHUMP
Chump, un synonyme de punk, mais nous lui préfèrerons une autre étymologie que les philologues professionnels n'accepteront jamais. Au vu de leur prestation, nous paraît davantage significative l'image de la mousse d'un champagne ou de Mort Subite qui fusent de leurs bouteilles et se répand partout sur vos effets personnels les plus précieux, convocations au commissariat, relances d'impôts et lettres d'huissier comminatoires. Mais attention une mort subite joyeuse. Généreuse et pleine d'entrain. De quoi transformer vos ennuis en papillotes. Z'ont mis le plus grand derrière, une espèce de colosse, à eux trois devant on ne voit que lui, et surtout l'on n'entend que lui. Non, ils n'ont pas de batteur. Ils ont un cogneur. Une espèce de Sugar Ray Robinson du boxing drumin. OK pour le KO à chaque coup. Si vous vos voisins vous obligent à ériger une solide clôture pour empêcher votre féroce rhinocéros en rut de se ruer dans leur villa, passez-lui un coup de fil, vous enfoncera des pilonnes de béton armé à deux mètres de profondeur dans le soubassement rocheux de votre jardin, en trois coups de cuillère à pot de yaourt périmé. Gilles à la baguette brontosaure. En plus il en a deux. Des galopantes qui se jettent sur les toms – imaginez le tomtamarre - tels des piranhas affamés sur une vache imprudente. Voilà, j'espère avoir suscité en l'esprit estomaqué du kr'tntreader de base une vague idée de ce bruit de fond qui pour une fois n'est pas coutume s'impose au premier plan.
Avec un tel stradivarius derrière moi, je vous l'avoue sans chichi, si j'étais Bruno ou Kiki aux guitares et Romz à la basse je ferais semblant de jouer, du pur playback de télévision française, je ne me fatiguerais pas, laisserais le copain se charger du boulot. Ben, non, nous n'avons pas affaire à une bande de fainéants. Eux, ça les excite. Sont comme les mecs qui trouvent bath de skier sur l'avalanche ou de surfer sur le tsunami. Commencent par se mettre en forme en sautillant sur place à la manière des petits pois conservés dans une boîte métallique obnubilés par l'idée de sortir pour apporter leur modeste contribution au vaste monde. En plus ce sont des futés, le Gilles l'a beau tordre le tonnerre de Thor au-dessus de leurs têtes, ils se faufilent dans ce maelström sonore comme la souris dans la trompe de l'éléphant, non pas pour lui ronger le cerveau mais pour lui apporter quelques substances psychédéliques, afin de transformer sa charge pachydermique en entrechats de danseuse étoile du Bolchoï de Moscou.
J'ai le regret de vous informer, question grâce de ballerine en tutu rose, c'est un peu raté, par contre efficacité manœuvrière de Légion Romaine à l'assaut de désordres barbares, nous frisons la perfection. Le rouleau compresseur qui fonce sur vous n'est pas un problème, la solution toute simple est de s'installer dans la cabine de pilotage et de profiter de la force de l'engin pour exercer votre puissance. Et nos trois surfers d'argent réussissent ce miracle de communier avec la brute torrentueuse, z'en font ce qu'ils en veulent, et lui vraisemblablement par un mystérieux courant d'effluves sympathiques peut-être chamaniques, se mêle au jeu de ces bambins turbulents qui ont décidé de ne pas jouer les inutilités et qui vous le cinglent de leurs fouets cordiques. Un menuet cataclysmique, une horloge punk ( rock around the punk ou punk around the clock ) d'une précision infernale, vous dévient le bloc de dix mille tonnes qui fonce sur vous, vous le métamorphosent de leurs bouts de cordes ( de pendus vraisemblablement ) en papillon apprivoisé – attention ne butine que les fleurs empoisonnées ou carnivores – aux ailes de fer. La preuve, ils nous dédieront un morceau hyper-speed-loud de metal, qui ne dépare en rien leur punk-chump énergétique et dévastateur.
Quittent la scène sans tralala apparemment heureux de leurs méfaits. Tellement obnubilé par le déluge sonore que je n'ai point évoqué les vocaux, qui se fondent à l'ensemble comme le tungstène à l'acier pour lui apporter plus de résistance. Viennent de Belgique. S'ils étaient un recueil de poèmes ce serait Les Ailes Rouges de la Guerre de Verhaeren. Une tuerie. Les rescapés ont adoré.
HITCH & GO
Je déteste être floué. Surtout dans un concert de rock. J'aurais dû prévoir. Avec un tel nom, attelle et file, j'aurais dû m'en douter. Si je devais me fier à mon ressenti, ma chronique serait terminée. Ces mecs sont des sorciers. Montent sur scène et en descendent. Entre temps vous n'avez pas vu le temps filer. Certes aux premières notes vous vous dites, du punk pur et dur, puis dix secondes plus tard vous rectifiez, incluent des éléments mélodiques dans leurs compos, Du punk au parfum pop. Et puis plus rien, c'est la fin. L'on va donc reprendre au début, les scientifiques agissent ainsi pour les apparitions des extraterrestres, analysent la séquence de bout en bout.
Viennent du Canada. Sont en tournée européenne. La veille z'étaient à Limoges. Sont affublés de casquettes. N'ai jamais trouvé cet ustensile très attrayant, mais cette affirmation n'engage que moi-même et je la partage pleinement. Quatre sur scène, avec JP Lessard, pas de lézard l'est au micro et au chant, Will Dural en apparence le plus jeune, une sacrée dégaine, belle allure de rocker et une voix aux intonations intéressantes, jappe trop rarement mais toujours pour signaler un fait hors du commun, Max Brocher est le second préposé au maltraitage de guitare. Dave Hamel, plus difficile à cerner. Cache bien son jeu. Une frappe rapide, qui ne s'attarde guère, mais il a son secret que je vais vous révéler, qui explique pourquoi le set semble s'être déroulé si vite j'ai mis un peu de temps pour comprendre, au début je n'y ai pas cru, car je n'y aurais jamais pensé. C'est lors des passages mélodiques, ils surviennent sans crier gare, bien intégrés dans la structure rythmique, devant les guitares font les belles, elles roucoulent et vos oreilles n'ouïssent plus que les voix harmonieuses de ces sirènes, c'est alors que Dave nous fait son coup de Trafalgar, alors que tout baigne dans l'huile, que souffle une brise printanière, clac, clac, clac, sans prévenir, il appuie à fond sur l'accélérateur, à coups redoublés, comme quand vous réduisez en bouillie à coups de sandale rageuse l'araignée velue qui s'était aventurée sur votre mur, agit un peu à l'incognito, juste ce qu'il faut pour que les trois complices devant entendent le signal, aussitôt ils accélèrent eux-aussi et en parfaits escrocs s'amusent à vous tricoter illico de superbes motifs à l'architecture complexe. Vous avez commis la gaffe de ne pas y faire gaffe, et ils ont démarré si prestement que la roue de la charrette vous a roulé sur le pied sans que vous l'ayez ressenti. D'autant moins, que comme par hasard ils donnent maintenant dans une fricassée sonore plus punk que moi tu meurs et je t'enterre, pour trente secondes plus tard vous enfoncer dans une chatoyance poppy des plus rapides.
S'amusent à ce jeu tout le long du set. Se livrent à une espèce de manipulation sonologique, sont les adeptes de l'emploi des âmes furtives, vous emmènent avec eux, alors que vous croyez rester à la même place, se livrent à la télé-déportation musicale. Le combo ronronne comme un chat sur un coussin, pendant que vous vous confondez de plaisir à suivre les rayures de sa robe bigarrée, vous êtes emporté à une vitesse extraordinaire sur un tapis volant d'un nouveau genre. Hitch & Go, use d'un punk non conventionnel, vous tendent une image qui voyage plus vite que la lumière qui agite les neurones de votre cerveau. Tour de passe-passe. Sidérant.
Damie Chad.
P. S. : Merci à Lalla Lenda, délicieusement savante, à qui j'ai volé l'idée des flux sympathiques.
12 / 04 / 2019 – TROYES
3 B
WISEGUYZ
La teuf-teuf frétille. Je repense au dernier retour de Troyes, nous a ramenés fièrement à la maison après le concert. C'est le lendemain matin qu'elle a agonisé, l'était comme une bête pantelante, agitée des derniers soubresauts nerveux de la vie. N'était qu'à un pas du trépas, l'ai remmené dare-dare à petite vitesse au garage. Se sont penchés dessus avec sollicitude, ça m'a coûté un bras et demi, mais ce soir elle galope du feu strombolique des Dieux vers un nouveau concert, c'est sa drogue à elle. La mienne aussi.
Soirée ukrainienne ce soir, non je ne voudrais pas vous décevoir, ce n'est pas un groupe folklorique de balalaïkas, mais un des meilleurs combos de rockabilly européen, encore que je m'attende à recevoir un tombereau de lettres d'insultes parce que beaucoup de connaisseurs le placent tout en haut du podium. Mais qui se peut vanter de les avoir tous écoutés. Et tous vus en live.
Le 3B n'a jamais paru aussi exigu, une tire-lire, vous y glissez un centime de plus et elle explose, inutile de tenter de louvoyer entre les corps pour aborder le bar, faut forcer le passage, marcher sur les pieds, couper sa respiration, rentrer dans cette matière vivante coagulée, la situation s'avèrera encore pire dans les inter-sets, les WiseGuyz n'ont pas attiré du monde mais le monde entier semble s'être donné rendez-vous dans ce point névralgique de la planète qu'est le 3B pour les écouter.
WiseGuyz
Sont-là, tranquilles, tous les quatre, en toute simplicité, jetant sans inquiétude un dernier coup d'œil à leurs instruments, c'est à se demander comment de ces quatre guys si débonnaires va jaillir dans quelques secondes ce flux inextinguible de haute musique so hot. One, two, one, two, three, four, c'est parti, le temps n'est plus aux questions métaphysiques. La réponse est apportée aussitôt sur un plateau. Un seul mot : la pulsation, la palpitation primaire. L'a une allure de marlou, pas pour rien qu'il se surnomme Rebel, le gars qui cherche l'entourloupe avec le système et qui jamais ne la loupe, avec sa grande silhouette dégingandée, sa salopette de travail en jeans et sa chemise dont les carreaux traversés d'une lumière bleue, l'a l'allure flegmatique d'une blue panther de dessin animé, l'est accoudé sur sa doublebass, mal nommée car dès que l'heure du boulot sonne l'abat du taf à lui tout seul pour huit personnes. Donc une octuple-bass, vous la soigne aux petits oignons, mais quand il lui presse le tubercule cordique c'est pour en extraire l'huile essentielle du trognon, s'applique à une rythmique élastique, l'a les doigts qui courent devant ses mains, un j'étire latéral la corde au max, deux elle renâcle quand je la relâche, et tout de suite je slappe comme un damné poursuivi par la fourche de Satan en personne.
On the other side, the man behind the lead-guitar, l'a mis des grosses lunettes pour qu'on le voie mieux, ce n'était pas la peine, on l'entend. Normalement la rhythm guitar a le mauvais rôle, le mec qui se dévoue, vous réanime le macchabée après trois heures de bouche-à-bouche, l'a tout donné et quand il a réussi, tous les regards se portent sur le rescapé, on entoure le héros revenu de l'outre-monde, on l'embrasse, on le félicite, plus personne ne pense au gars qui s'est tapé le turbin, on l'évacue de sa mémoire, on le raye de la liste des vivants, on l'oublie, on fait l'impasse totale sur son existence. Oui mais avec Alex l'expression de cette ingratitude humaine n'a pas lieu d'être, s'il était dans un philharmonique tiendrait le rôle du premier violon, l'agite son crin-crin magique et la musique prend sens. L'a la même houle faussement de guingois sur sa rythmique que Buddy Holly sur sa strato. L'a le balancement stratosphérique, vous fout le vent dans les voiles du combo, on les sent prêts à traverser les océans sublunaires. Je n'aime pas me vanter, mais là je suis si proche de lui que j'ai double ration, la part commune dispensée par la sono, mais si je penche la tête de quinze degrés sur la droite c'est le son direct, pré-micro, le grémissement infernal des cordes méchamment cinglées, un régal, divin.
Avec ces deux cadors à ses côtés Chris Bird joue gagnant à tous les coups. Deux trompe-la-mort prêts à le suivre dans les situations les plus difficiles. Heureusement car le Bird, les trucs faciles il les ignore, il les méprise, ne s'en préoccupe pas, peut-être même ignore-t-il que ces misérabilités puissent exister. L'a les doigts sur les cordes qui doivent se prendre pour des gymnastes olympiques sur les barres asymétriques. Jamais assez, un kamasutra positionnel inimaginable. Le grand écart à chaque instant, d'une précision absolue. Mais nous y reviendrons tout à l'heure.
Car il manque quelqu'un à l'appel. Ce n'est pas de sa faute, malgré sa stature imposante, l'est relégué tout au fond caché par le rideau de ses trois camarades devant lui. Trop de monde pour qu'il puisse bénéficier d'une profondeur de champ. En plus on ne l'entend pas. Enfin manière de parler. L'a la frappe ventouse, se colle sur le boulot des copains de si près qu'on ne le sait pas. Vous n'y prêtez aucune attention. Un peu comme ces reptiles qui imitent si parfaitement une branche morte que quand vous la ramassez pour la lancer à votre chien, vous êtes déjà mort. Faut que les trois autres fassent trois secondes de silence, pour que vous réalisiez sa présence, car c'est quand vous récupérez la mue du serpent que vous comprenez la complexité du dessin de sa peau. Ozzy, l'air de ne pas y toucher, les rares fois où je l'ai entrevu, l'a l'air de s'ennuyer, tiens je vais poser la baguette au pif ici, sont tellement bêtes qu'ils n'y verront que du feu. L'oublie que la feu ça brûle et quand il fait feu, vous réalisez que c'est un tireur d'élite, une frappe subtile, une toile d'araignée qui suit le mouvement du vent, les plus doux zéphyrs et les plus plus fortes tempêtes, le secret de la palpitation, de la pulsation, elle est là, elle pousse et elle impulse, avec Ozzy qui vous colle aux fesses vous intuitez rapide que reculer serait une erreur, vous arrêter une catastrophe.
Vous les avez eus un par un, sans doute aimeriez-vous savoir quel genre d'histoire ils vous racontent tous ensemble. Pas n'importe laquelle, elle porte un titre, the rise of the rockabilly. Une légende mythique, tronçonnée en plus de trente morceaux, ne vous les content pas dans l'ordre chronologique, mais je vous remets le canevas dans l'ordre. C'est un peu l'histoire de Prométhée qui s'en va voler une flammèche du feu divin et qui la refile aux hommes pour qu'ils puissent se chauffer et être heureux. Un remake made in the USA, parce là-bas tout est plus beau et plus grand, des petits salopiauds de blanc-becs qui fauchent sans vergogne une étincelle de l'étincelle initiale apportée d'Afrique par des esclaves noirs. La gardaient pour eux, et l'avaient enfermée jalousement dans la pulsation jazz, mais nos gredins s'en sont saisis et l'utilisent d'une autre façon, ils la boppent, à mort, marquent le rythme sur une caisse claire et la guitare suit le mouvement, l'électricité permet à cette mandoline de malheur de s'émanciper, devient la reine, la rythmique pique un sprint infini, la basse s'essouffle mais son cœur ardent bat la chamade et ne s'effondre pas, le rockab naît de ces disharmonies rythmiques, quatre rythmes différents qui finissent par s'entendre un peu à la manière des meutes de chiens de chasse – redoutables hound dogs - qui jappent à l'infini, mais il y en a toujours une, par on ne sait quel miracle, dans ce torrent impétueux d'aboiements, une voix se détache et domine, pas très longtemps, trois secondes mais a peine s'est-elle fondue dans le brouhaha absolu, qu'une autre s'élève, avec une vigueur et une clarté indiscutables, et les appels solitaires ne cessent d'émerger tour à tour jusqu'au grand hallali final.
Le quatuor diabolique ne se contente pas de ces quatre partenaires, dans la série plus on est de fous plus on rit, ils en invitent un cinquième, la voix humaine, car l'homme est tout de même, si on y réfléchit un peu, le summum de la bestialité animale, Chris Bird en sus de la lead se charge de cette cinquième colonne du temple rockab. Gretsch and voice. A l'impulsion de la musique correspond l'inflexion vocale, le grand secret est là, combien maladroit serait le flamant rose qui s'emmêlerait les deux pattes dans ce torrent qui coule par intermittence en deux lits parallèles qui s'entrecroisent sans cesse. Chris Bird excelle en cet art difficile. La voix joue à saute-moutons avec le flux et l'influx musical, l'en rajoute même, esquisse quelques pas de danse, trépigne sur place, et les trois autres instrumentistes le suivent comme s'il était l'homme qui non content d'avoir perdu son ombre en aurait trois derrière lui. Des fidèles qui l'imitent à la perfection lorsqu'il descend les escaliers infernaux et remontent derrière lui des enfers comme s'ils se livraient à la plus enivrante croisière d'après-minuit.
Nous feront trois sets, d'une beauté intense, imaginez-vous un voyage au plus près des racines, celles du début des rockab, les tout premiers titres de Bill, d'Elvis, de Gene, de Buddy, d'Eddie, ce moment pharamineux où les pionniers inventent la recette du rockabilly, un bouquet swing-bop-rock éblouissant, la fougue juvénile marquée du sceau d'une créativité indépassée, et puis pour remercier le public qui ne décolle pas et Béatrice la patronne qui les accueille pour la quatrième fois, un quatrième set, trois morceaux, pas les plus tape-à-l'œil-je te-rentre-dans-le-lard, non des subtilités, des permutations inextricables, des folies inoubliables.
Duduche résumera la soirée, avec les WiseGuyz ça gaze !
Damie Chad.
KILLER COUPLE
WIZEGUYZ
( Toro Records / 2018 )
Les morceaux sont sur leur premier CD, promis, je vous le chronique la semaine prochaine. Je n'ai pas pu résister. La pochette est trop belle. Artwork : d'Henrique San. Le genre de disques que vous écoutez au grand maximum une fois dans votre vie, mais pour laquelle vous abattez sans vergogne au fusil à pompe tout individu qui semblerait donner l'illusion de désirer inconsciemment s'en approcher à moins de quinze mètres. Avant de vous livrer à de telles extrémités, batifolez un peu sur le site d'Henrique San, artiste portugais à l'esthétique 50'. Tenez je vous refile une de ses œuvres, preuve que tous les alligators finiront au paradis.
En plus c'est le premier single que je possède qui respecte la loi de la mixité absolue. Possède une face She et une autre He. Désolé pour les trans-genres et les hermaphrodites, peut-être qu'un jour aura-ton inventé le microsillon multifaces.
Rude bad boy : jivin'boy. Entrée surprise, vous vous attendiez bien à ce que le morceau commence mais il file à la vitesse d'un hot-rod, boosté à l'éther, d'un seul jet, pas de repos, pas de reprise, tout est dans la fulgurance, un exercice de style accompli. Le genre de brimborion qui a l'air tout simple mais qui exige un maximum de maîtrise. Une facilité déconcertante.Hi-class mama : strollin mama. Merveilleusement mis en place. Un petit bijou de précision. Une grosse guitare devant, la basse et tout le reste à la suite qui s'intéressent aux ciselures, la voix vous réunit le tout avec cette indolence de matou qui s'étire après trois longues heures de sieste. La chasse féline à la souris câline peut commencer. Déconcertant de facilité et d'aisance.
Connaissent tous les codes. Sonne davantage sixties que fifties par cet arrière-fond d'insouciance qui baigne l'atmosphère de l'enregistrement.
Damie Chad.
09:07 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul whaley ( + blue cheer ), hal blaine ( + wrecking crew ), crashbirds, hitch & go, chump, wiseguyz
27/02/2019
KR'TNT ! 408 : SCHIZOPHONICS / MONKEES / BILL CRANE / CRASHBIRDS / ISLATION / MELISA BERNARDOT / SPEEDBALL /KRONIK
KR'TNT
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 408
A ROCKLIT PRODUCTION
28 / 02 / 2019
SCHIZOPHONICS / MONKEES BILL CRANE / CRASHBIRDS / ISLATION MELISA BERNARDOT / SPEEDBALL KOMIKS KRONIK |
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Pas de remède pour la schizophonie
Pas de surprise : le show des Schizophonics est un blast. The big blast. Pire encore : the real deal. Difficile d’imaginer un set plus explosif, au sens où le furent en leur temps Jimi Hendrix et le MC5. Difficile d’imaginer plus juste dans l’exaltation, plus pointu dans la fournaise, plus débridé dans le shaking all over, Pat le crac bim-bam-boome au delà de tout ce qu’on peut raisonnablement espérer. Tu veux du rock, c’est lui ! Tu veux du power-chord, c’est lui, tu veux du ramalama et de l’incendiaire, c’est lui, tu veux le revival des riches heures du Duc de Berry, c’est lui, tu veux du Black To Comm comme si c’était hier, c’est lui, d’ailleurs il démarre son set avec ce vieux stormer du MC5, histoire de bien marquer son territoire. Au moins comme ça les choses sont claires, tu peux dormir sur tes deux oreilles et laisser les décibels bercer ton âme de langueurs monochromes. En fait, ce mec est tellement spectaculaire qu’il finit par évoquer le souvenir de Nijinski et de ses bonds de huit mètres qui fascinèrent tant le public des Ballets Russes durant années vingt. Pat ne danse pas le jerk mais un ballet de jerk. Ses cabrioles sont extrêmement précises, il ne laisse rien au hasard de l’explosivité sinon il passerait son temps à se cogner dans son pied de micro. Et c’est là où il devient très fort, car il ajoute l’énergie du corps en mouvement à l’énergie du son, comme si les deux énergies se stimulaient réciproquement. Il ne fait que réactualiser un vieil adage : un concert de rock est plus marrant quand les gens se roulent par terre. Mais pour faire ce qu’il fait, il vaut mieux être en caoutchouc, oui car il rebondit, il se plie en deux ou en trois, ça dépend de l’angle d’attaque, il saute en l’air et retombe en grand écart sans s’éclater le cul, c’est très impressionnant. Seuls les athlètes sont capables de tels prodiges, alors saurait-on imaginer un athlète rock ? À part James Brown et Jesse Hector, on n’en voit pas des masses. Des gens du niveau de Jesse Hector qui passent quasiment la moitié du set au sol en combinant le chant, la rythmique et les solos, ça ne court pas les rues. Et puis quand «In Mono» arrive, il se produit exactement la même chose que s’il attaquait «Kick Out The Jams», on flaire le hit immédiatement, et par les temps qui courent, les hits de cet acabit valent tout l’or du monde.
Dans sa course folle, Pat le crac parvient toujours à caler un yeah dans son micro, ça n’a l’air de rien, comme ça, mais en une heure, il couvre pas mal de kilomètres et il semble logique de le voir perdre son souffle en fin de set. Il termine d’ailleurs avec une espèce de fin de non-recevoir, un petit medley en hommage à Little Richard, «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On» couplé avec «Jenny Jenny».
Alors bien sûr, il faut écouter leur album. Le buzz est arrivé en 2017 via The Next Big Thing, le zine de Lindsay Hutton. On y trouvait un texte de Long Gone John qui annonçait après dix années de silence le redémarrage de son label Sympathy For The Record Industry à cause des Schizos qu’il venait de découvrir. Il en faisait une apologie long-gone-johnienne, et comme il fait partie des gens dont on boit les paroles, alors on buvait. Glou glou glou. Long Gone John racontait que la scène actuelle ne le faisait plus trop bander, mais en découvrant ce groupe, son vieil instinct s’était réveillé - And that was so great I simply could not refuse - Refuse what ? Redémarrer Sympathy, bien sûr ! Long Gone John racontait que Pat et Lety Beers s’étaient un jour installés à San Diego et avaient commencé à écouter le John Reis Swami Sound System weekly radio slow. Comme ils se goinfraient déjà de MC5, de Stooges, d’Hendrix et de James Brown, ils se sentaient en terrain de connaissance. Ils montèrent ensuite les Schizos et devinrent les chouchous de Mike Stax qui a d’ailleurs sorti un single sur Ugly Things - I think the Schizophonics are an amazing force, deserving attention (Je pense que les Schizos sont un groupe très puissant qui mérite votre attention) - Et ce fier poète qu’est Long Gone John ajoutait que trop de bons groupes disparaissent dans l’indifférence générale, while stylish derivative piles of useless wet shit continue to flourish and thrive (tirade scatologique qu’il n’est pas nécessaire de traduire, car tout le monde sait bien ce qu’est la wet shit - berk). Long Gone John terminait en conseillant vivement d’aller voir les Schizophonics sur YouTube, mais surtout d’aller les voir jouer en concert. You will love them and you can thank me later. (Vous allez les adorer et vous me remercierez plus tard).
L’album s’appelle Land Of The Living, et sa place se trouve à côté des albums du MC5 et de Little Richard que vous conservez précieusement dans vos étagères. Dès «Streets Of Heaven & Hell», Pat la bête gratte à la Sonic Smith et chante à la Rob Tyner. Il y va de bon cœur. Il fait même son Wayne Kramer pendant que sa poule Lety fait son Machine Gun Thompson. On assiste à une terrible débauche des forces vives de la nation. C’est d’un très haut niveau de blast furnace. On trouve au moins quatre autres cuts dignes du MC5 sur cet album, à commencer par un «Make It Last» noyé de son, pur jus purulent de Detroit Sound, fabuleux éclair de génie rockalama Fa Fa Fa. Même chose pour le «Welcome» qui ouvre le bal de la B, c’est pilonné du pilon, martelé au tatapoum de badaboum, giclé au crack-boum uh-uh et chanté à l’efflanquée, avec un son kramérisé à outrance. Ça coule sur les doigts. Ah comme c’est bon ! «World Of Your Gun» sonne comme «Kick Out The Jams». Pat joue ça au riff Pinder, il ne se refuse aucune exaction. Il halète comme Rob Tyner. Le hit du disk s’appelle «In Mono». Son riff glorieux entre dans Rome comme un général couvert de butin et d’esclaves, brillant, têtu, ardu, poilu et ventru. Pat joue son solo dans l’œil du typhon. Quelle bardée de bordée ! Tout aussi infernal, voilà «This Train» monté au Diddley beat trépidant et joué à la cisaille infernale. Encore un pur chef-d’œuvre avec «Move». Ses départs en solo sont des modèles du genre. Pat joue ses cuts à l’emporte-pièce de garage ardent. Pas de fioritures. Rien que du brûlot expansif à l’état le plus pur. Il termine cet album faramineux avec un «Put Your Weight On It» joué sous le boisseau en flammes. Motor City is burning baby, on y est, c’est le grand embrasement catégoriel, pas de demi-mesure, c’est d’une infamie démesurée arrosée à l’excès par des tas de solos éclatés du bas-ventre.
Signé : Cazengler, schizophrène
Schizophonics. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 19 février 2019
Schizophonics. Land Of The Living. Sympathy For The Record Industry 2017
C’est parti Monkee Kee - Part One
Souvenez-vous, dans les années soixante, les Monkees rivalisaient avec les Beatles en tête des hit-parades. On aurait tendance à les oublier de nos jours, mais en 1966, ils comptaient parmi les légendes de la pop américaine.
Trois Américains (Micky Dolenz, Mike Nesmith, Peter Tork) et un petit mec originaire de Manchester (Davy Jones) jouaient dans ce groupe formaté pour les télés américaines. On s’apercevra au fil du temps que Davy Jones était l’âme du groupe, comme le fut Brian Wilson dans les Beach Boys. Il faut dire qu’on ne prenait pas vraiment les Monkees au sérieux, quand on voyait leurs photos dans SLC, mais quand «Last Train To Clarksville» passait à la radio, là, on ne rigolait plus.
Des quatre, il n’en reste plus que deux, Nesmith et Dolenz. Davy Jones fut le premier à casser sa pipe en bois en 2012, suivi de Peter Tork, tout récemment.
Visuellement, celui sur lequel on flashait le plus était Mike Nesmith car il semblait un peu moins puéril que les autres. Il jouait le plus souvent sur une grosse Gibson demi-caisse et portait un bonnet de docker qui lui donnait un petit côté aventurier à la Jack London. Et celui qui nous agaçait le plus était le batteur/chanteur Micky Dolenz qui n’en finissait plus de sourire comme une gravure de mode. Il fut aussi pendant longtemps le chanteur principal du groupe, ce qui était un vrai gâchis, car Davy Jones paraissait beaucoup plus intéressant.
Pour ce Part One, on se contentera d’un petit panorama discographique, histoire de vérifier qu’on n’avait pas rêvé. Oui, les Monkees méritent leur place au panthéon, parmi les géants des sixties.
Si on ne possède pas l’EP, on retrouve l’excellent «Last Train To Clarksville» sur le premier album des Monkees paru en 1966. C’est le premier cut de la B, le prototype du hit sixties, l’emblème psyché joué à l’attaque frontale, doté de la meilleure énergie continentale - Oh no no no ! Caus’ I’m leaving in the morning - Et il ajoute qu’il must go. C’est saturé d’effluves sixties et joué entièrement au riff. Et là, on entre sur le territoire de Tommy Boyce & Bobby Hart, le brillant duo de compositeurs qui vont travailler pendant quelques années pour les Monkees. S’il faut retenir un hit des Monkees, c’est sans doute celui-ci. L’autre gros hit de l’album s’appelle «(Theme From) The Monkees» - Hey hey hey we’re the Monkees - repris plus tard par les Gories qui en feront Hey hey hey we’re the Gories ! On a là toute l’énergie de l’Amérique teenage. C’est absolument renversant. Back to the Monkees’ Sound avec «Tomorow’s Gonna Be Another Day» que chante Micky le batteur avec du hey hey hey plein la bouche. Il est bon, dans ces coups-là. Il chante comme s’il chevauchait un étalon. Quel fabuleux popster ! Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. C’est Davy Jones qu’on entend chanter «Saturday’s Child», un cut éclaté aux guitares claires des sixties, sacrément psych-out et oh, so far-out, so faaar-out, baby. Et puis voilà qu’avec «I’ll Be True To You», notre petit Davy nous fait son Robin Gibb.
Ils reviennent l’année suivante avec More Of The Monkees sur lequel se niche l’autre grand hit du groupe, «(I’m Not Your) Stepping Stone», un hit exceptionnel et râblé. Figurez-vous que c’est la basse ronde qui mène le bal du garage, ici. Pas étonnant que tous les kids d’Angleterre et principalement les Pistols aient flashé là-dessus comme des ronds de flanc. On voit que les Monkees sont capables de jouer le meilleur garage de leur époque, surtout lorsqu’il est signé Boyce & Hart. Attention au dernier cut de la B : il s’agit bien sûr du troisième grand hit des Monkees, «I’m A Believer», composé par Neil Diamond. Rien qu’avec Stepping Stone et celui-là, les Monkees sauvent leur album. Ils amènent Believer au riff d’orgue et ça démarre dans l’intimité du génie des sixties. Tout s’articule admirablement, avec de l’énergie - I couldn’t believe it if I tried - Nous non plus, Micky ! Le When I saw her face est rentré dans l’histoire et on se goinfre de coups d’If I try et on se shoote de aaaaaah et des relances intempestives, il semble que l’énergie se démultiplie à l’infini, apanage des grands hits - I’m in love ! - C’est l’âge, ils sont dedans and then I saw her face ! Davy se tape plus loin un beau «Hold On Girl» et il semble dégager l’horizon, avec son extraordinaire dynamique de sucre d’orge. Il chante d’une voix de rêve. Davy le popster colle au bonheur. Il tape lui aussi dans Neil Diamond avec «Look Out (Here Comes Tomorrow)». Il sait tenir son rang de popster intercontinental. Disons que c’est le troisième hit de cet album qui semble quand même un peu mou du genou.
La même année paraît Headquarters, avec la belle photo du groupe sur un fond blanc, le genre de pochette qui vous fait de l’œil lorsqu’elle est accrochée dans la vitrine du disquaire. Alors on entre. C’est encore l’époque où le disquaire vous fait écouter le disque et vous en parle. Mais bizarrement le disque n’accroche pas. Il manque un truc important : les hits.
— On ne peut pas dire que ce soit un grand disque, hein ?
— Tiens écoute ça !
Le cut s’appelle «Forget That Girl». Davy chante et c’est magnifique d’innocence poppy. On a l’impression de sucer une pop sucrée et chocolatée. Le disquaire tourne le disque et passe un autre cut, «Sunny Girlfriend». Ah voilà le hit de l’album, joué par Mike Nesmith qui gratte des arpèges à la volée, on a là un truc tonique et sur-vitaminé ! Wow ! Il faut voir à quelle vitesse il tricote ses mailles, c’est même effrayant et excessif. Mais ce n’est pas suffisant. Il y a trop de trous dans cet album. Mais on le prend quand même pour l’écouter tranquillement à la maison. On ne sait jamais.
En 1967 paraît un troisième album des Monkees, Pisces Aquarius Capricorn & Jones Ltd. On frise un peu l’overdose, d’autant que cette année-là paraissant des tonnes d’albums fantastiques. Impossible de suivre financièrement. Par chance, Pisces n’est pas bon. On l’écoute chez le même disquaire qui en convient lui-même. Bon ben bof... Le seul hit qu’on trouve là-dessus est le fameux «Pleasant Valley Sunday» repris par Gedge avec son Wedding Present. C’est logique que ce soit un hit puisque Carole King et Jerry Goffin l’ont composé. On retrouve avec ça tout l’éclat de la grande sunshine pop américaine. Davy Jones se tape la part du lion avec «Hard To Believe» qui ouvre le bal de la B, Il ramène sa pointe d’English class dans ce fatras de pop américaine et sauve un peu l’album en claquant des doigts. Il swingue son charme à la bonne mesure. Ce mec sait aller chercher du rêve dans l’exercice de la démesure. Et quand on écoute «Words», on a l’impression d’entendre une resucée de «Murder Mystery» du Velvet. Et puis on voit nettement se cristalliser les tendances bluegrass de Mike Nesmith à travers des cuts comme «What Am I Doing Hanging Around», une sorte de country-rock des collines qu’il joue au picking rapide, l’œil rivé sur l’horizon.
On approche de la fin de l’âge d’or avec The Birds The Bees & the Monkees, paru l’année suivante. Un hit s’y niche, le fameux «Daydream Believer», chanté par Davy, hit de pop suprême, orchestré aux trompettes. Davy joue la carte de la consistance de la consonance et il s’affirme en tant que héros du groupe. Il faut voir comme il remplit bien l’espace. Il chante aussi «Dream World», et on pense aux early Bee Gees, car c’est le même genre de magie, avec le même timbre de canard sucré que celui de Robin Gibb. Sa pop se veut enjouée, solide, envolée, voluptueuse, toute en bulbes et en coupoles dorées dans l’azur immaculé de ces sixties hélas disparues pour toujours. Davy refait son Robin dans «We Were Made For Each Other», balladif de charme intense et notre petit génie de Manchester chante au micro étoilé. Il est un peu le Gerald Love des Monkees. On reste dans le haut de gamme avec «Tapioka Tundra», sunshine pop over the rainbow, bien soutenue, bien fourbie, nerveuse à souhait et relativement élancée. Quand il chante «The Poster», en B, on détecte dans son timbre des accents de Robin, mais aussi de Bowie.
Oh et puis la même année paraît Head, un album qui s’arrache aujourd’hui à prix d’or et on se demande bien pourquoi. Les hits y brillent par leur absence. «Porpoise Song» sonne exactement comme un cut des Beatles. Niveau ambiance, c’est assez proche d’«A Day In The Life», mais il vaut mieux écouter les Beatles. On frémit un peu à l’écoute de «Circle Sky», amené avec une belle densité de son et monté sur un beat d’acou. L’autre cut solide de l’A s’appelle «Can You Dig It», un drive pour le moins fantastique joué à la guitare psyché. Et puis en B, eh bien, on bâille aux corneilles. Davy tente de sauver l’album avec «Daddy’s Song», mais l’étincelle lui fait cruellement défaut.
En 1969, ils sortent deux albums : The Monkees Present et Instant Replay. Present subit à peu près le même sort que son prédécesseur : il est privé de hit. On y entend Mike Nesmith jouer les virtuoses sur «Little Girl» et «Good Clean Fun» et Davy revient charmer les ménagères avec «If I Knew», une pop très anglaise dans l’essence de la gazoline. Mike revient à sa chère country avec «Never Tell A Woman Yes». C’est dingue comme ces mecs ont des goûts différents. Davy revient avec une compo signée Boyce & Hart, «Looking For The Good Times» et tente de faire décoller cet album. Il fait émerger ses tendances bubblegum. En B, on s’ennuie une fois encore comme un rat mort et Micky referme la marche avec un «Pillow Time» chanté au doux de la voix avec un petit côté duveteux de loutre pop, coquin de creux du cou. Replay n’est pas beaucoup plus convainquant. Boyce & Hart continuent de travailler pour nos amis, mais on sent beaucoup trop les influences de Sergent Pepper’s. Dès que Davy chante, comme c’est le cas avec «Don’t Listen To Linda», l’atmosphère se réchauffe. Mais on sent bien que l’inspiration fait défaut. Les pop-songs comme «Me Without You» ou «I Won’t Be The Same Without Her» refusent obstinément de décoller. Le «Tear Drop City» qu’on trouve en B est un belle resucée de «Last Train To Clarksville» : on a exactement le même gratté de guitares. C’est Neil Sedaka qui signe «The Girl I Left Behind Me», une pop éminemment bien foutue, sucrée et raffinée à souhait. Et puis voilà. T’as encore dépensé des sous pour rien.
L’année suivante, ils ne sont plus que deux dans le groupe : Micky et Davy. Ils ne se formalisent pas pour autant et enregistrent l’album Changes. Avec «It’s Got To Be Love», il tapent dans la petite pop délicate, mais il leur manque l’envergure. L’intimisme qu’ils pratiquent ne fonctionne pas du tout. Par contre, ils défraient bien la chronique avec «99 Pounds». Ils reviennent à leurs racines pop-rock, avec du vrai son vitaminé, plein de tambourins et là, ça marche. En B, Davy ramène toute la chaleur poppy dont il est capable dans «Do You Feel It Too». Il chante de son meilleur timbre d’ambre jaune et un joli solo joué au velouté rehausse cet épisode joliment inspiré. Mais pour le reste, on pourra se serrer la ceinture.
Dix-sept ans passent sous le Pont Mirabeau et on les retrouve tous les trois dans une piscine : Davy, Peter et Micky. L’album s’appelle Pool It et ça démarre sur «Heart And Soul», une grosse pop à la Cheap Trick. On reconnaît bien là les penchants touche-à-tout de Micky. Avec «Secret Heart», ils font même de la diskö. Incroyable mais vrai ! Alors là, on peut dire qu’ils se grillent. En B, ils passent carrément au rock FM et histoire de bien finir de scier la branche sur laquelle ils sont assis, ils font aussi un brin de reggae. Cet album est un véritable catalogue des horreurs.
Paru en 1996, Justus pourrait bien être le meilleur album des Monkees. On y trouve en effet deux véritables coups de génie, à commencer par «You And I», fabuleuse pop de caractère. Davy Jones chante et il se montre extraordinaire de répondant. Il sait monter sa pop en neige. Avec «Admiral Mike», on passe au heavy groove. On se croirait sur l’Album Blanc tellement c’est bon, argenté et plein de son - Your copy kills/ Your copy smells - C’est joué aux énormes accords du ponant. Les Monkees ont du génie. Il faut voir avec quelle classe ils partent en sucette sur des accords rock’n’roll. Attention, ce cut est d’un niveau peu commun. En réalité, on s’embarque pour Cythère dès le premier cut, «Circle Sky». Ils lâchent une véritable cavalcade de pop portée à l’incandescence, sauvagement grattée et propulsée. On retrouve sur ce disque la formation originale du groupe et diable, comme ils sonnent bien ! Attention, avec les Monkees, les choses peuvent devenir très sérieuses ! Avec «Oh What A Night», le grand Davy Jones tape la carte de la good time music. On fond comme beurre en broche - Your kisses were so tender/ Oh what a day - Les Monkees poussent le bouchon très loin. Par contre, les compos de Micky Dolenz ne décollent pas. Il nous embête. Celles de Peter Tork accrochent un peu mieux, comme par exemple «I Believe You», pièce atonale à cheval sur trois pattes et qui tire un peu vers la gauche. Ah Tork sait avancer de travers. On perd l’habitude d’entendre des cuts aussi étrangement bons. Micky Dolenz finit par s’imposer avec «It’s My Life», un joli balladif. Chez les Monkees, le moindre balladif sonne pour de vrai. Celui-ci se révèle exceptionnel. On est aux antipodes des mauvais balladifs d’Aerosmith et de tous ces groupes de rock FM. Davy Jones boucle ce fantastique album avec «It’s Not Too Late». On sent l’Anglais dès l’intro. En fait, dans le groupe, c’est lui qui passe le mieux. Il sait modeler une mélodie pour la réchauffer et l’humaniser. Davy Jones est mort, désormais, mais il fut un petit roi de la pop. Il rayonnait et dardait de mille feux - It’s not too late/ To turn this ship around/ To sail into the world my love/ Before we run aground - Il est assez précis dans l’évaluation des conséquences. Davy Jones crée l’envoûtement. C’est un enchanteur pourrissant, comme dirait Apollinaire.
Nos amis sont de retour en 2016 avec un nouvel album intitulé Good Times. Même si Davy Jones n’est plus là, c’est bardé d’énormités, comme «Gotta Give It Time», une puissante compo de Jeff Barry. Ah on danse autour du juke et on note l’excellence de la corpulence d’Hortense, la grosse qui danse en mini-jupe. Effarante pop. On sent bien la force des vétérans. Dans le morceau titre qui fait l’ouverture du bal, on note la présence d’Harry Nilsson. Ils font une cover de Weezer, «She Makes Me Laugh». Micky, Peter et Michael jouent ça avec une énergie considérable. Ils retapent dans Tommy Boyce & Bobby Hart avec «Whatever’s Right». Back to the basics, les Monkees reviennent aux sources de leur légende. Avec «Love To Love», ils tapent dans Neil Diamond et la voix qu’on entend est celle d’un Davy Jones ressuscité. Encore une pure merveille avec une reprise de «Birth Of An Accidental Hipster», joli cut signé Noel Gallagher. C’est traversé par un solo extravagant et on se retrouve une fois de plus avec une pure merveille sur les bras. Ils reprennent ensuite «Wasn’t Born To Follow» de Goffin & King et jouent ça au bongo du bingo. Et ça se termine avec une autre énormité cavalante, «I Was There», jouée au boogie rampant.
Peut-être qu’au fond le mieux serait de se limiter à un bon Greatest Hits, comme par exemple celui sorti sur Arista en 1976. On y retrouve tous les hits qui firent la grandeur de ce groupe : «Last Train To Clarksville», «Daydream Believer», «I’m A Believer», «Pleasant Valley Sunday» et «Stepping Stone», bien sûr. On y trouve aussi un hit qui ne figure pas sur les albums, «A Litlle Bit You A Little Bit Me», mais qui se trouve sur un single. C’est l’un de leurs hits les plus resplendissants. On réécoute aussi avec un plaisir non feint «She», ce beau cut signé Boyce & Hart. Au plan mélodique, il se pourrait fort bien que ce soit la meilleure chanson des Monkees. C’est pur et toxique, comme peut parfois l’être le plaisir charnel.
Signé : Cazengler, et monkee, c’est du poulet ?
Peter Tork. Disparu le 21 février 2019
Monkees. The Monkees. Colgems 1966
Monkees. More Of The Monkees. Colgems 1967
Monkees. Headquarters. Colgems 1967
Monkees. Pisces Aquarius Capricorn & Jones Ltd. Colgems 1967
Monkees. The Birds The Bees & the Monkees. Colgems 1968
Monkees. Head. Colgems 1968
Monkees. The Monkees Present. Colgems 1969
Monkees. Instant Replay. Colgems 1969
Monkees. Changes. Colgems 1970
Monkees. Pool It. Rhino Records 1987
Monkees. Justus. Rhino Records 1996
Monkees. Good Times. Rhino Records 2016
Monkees. Greatest Hits. Arista 1976
Ah au fait, sur l’illusse, Peter Tork est celui qui est devant, avec les cheveux plus clairs. Derrière lui, de gauche à droite : Mike Nesmith, Davy Jones et Micky Dolenz.
22 / 02 / 2019 – MONTREUIL
L'ARMONY
BILL CRANE / CRASHBIRDS
Armony du soir. Un peu dissonante, je l'admets, mais le rock'n'roll est rempli d'aspérités, c'est ainsi, l'on n'y peut rien. En plus ce soir ce sont les oreilles qui vont saigner mais aussi les yeux. Disposés sur une table Speedball et Kronik vous arrachent la vue, pas de panique, les numéros sont présentés plus bas, plus un supplément la semaine prochaine, ne me remerciez pas, je sais que vous ne le méritez pas, mais c'est mon jour de bonté, profitez-en, en attendant, allons voir ce qui se trame du côté – pour le situer d'une manière proustienne - de la scène.
BILL CRANE
Z'étaient l'objet d'une précédente chronique voici quinze jours, mais c'est comme les attaques de banque à mains armées, quand vous y aviez goûté vous ne pouvez plus vous en passer. Quand on y pense le rock'n'roll quand il est bien fait, ça vous prend très vite un petit air à la Jesse James. Mais ce soir les héros ce ne sont pas les frères de l'Ouest sauvage du bon vieux temps qui s'activent mais Bill Crane, une espèce de combo d'outlaws qui se complaît à fracturer non pas les coffre-forts, mais le rock'n'roll. Un art pas facile. Qui équivaut à se déplacer sur un fil de fer barbelé qui vacille en s'interdisant d'éviter toute blessure, une esthétique de la rupture.
Ce soir Gwen nous offre une basse de velours, la compresse d'ouate douce pour les ecchymoses que vous n'avez pas encore reçues mais qui vont très bientôt tuméfier votre visage. L'a adopté la démarche du chat en chasse, souplesse et indolente, qui arpente négligemment la faitière du toit le plus haut de la ville, griffes rentrées et coussinets feutrés. Semble marcher en somnambule, méfiez-vous la bulle de sa pupille est aux aguets, arrêtez de sourire et priez pour vos souris, ce soir Gwen a la basse carnassière, s'insinue partout, l'est maintenant le boa réticulé qui se glisse sous les toits et vous ne voyez plus qu'une traînée de tuiles qui se soulèvent et trahissent sa marche en avant, insidieuse et prédatrice. La vieille technique de la tortue chère aux légions romaines qui permet d'avancer sus à l'ennemi sans désemparer. Ce soir Gwen est métamorphose, l'est la ligne intangible, le filon d'or qui court sous la montagne, les trois autres ont compris qu'il était la fréquence de base ( et de basse ), le rayon de lumière noire qui indique la direction, et permet de foncer sans fin vers les confins du rock'n'roll, qui se dérobent toujours.
Le serpent qui rampe et l'aigle qui vole. Patrice suit l'avancée reptilienne, mais de haut, l'a le sax flamboyant, Gwen est l'ombre tutélaire et Patrice la lumière victorieuse. L'un qui fore fort et l'autre qui force l'or du feu à étinceler en gerbes flamboyantes qui n'en finissent pas de passer telles des queues de comètes interminables. Patrice a définitivement opté pour l'art de la surabondance, l'en rajoute toujours un max, toujours un sax, l'a décidé de saturer le palimpseste, de raturer les runes secrètes, l'institue ainsi un déséquilibre tangentiel dans le rock'n'roll de Bill Crane, une rupture sonique, une faille infaillible, une dévastation plénière. Une dénivellation ascendante, un escarpement différentiel. Faut le voir souffler sans interruption, comme s'il jetait sa force vitale dans le vide, comme s'il désirait se vider de lui-même, et remplir le monde de son influx nerveux.
Bobo n'est pas à la fête. Doit répondre aux deux postulations contradictoires, l'a les bras qui n'arrêtent pas de taper, mais le plus spectaculaire c'est de suivre son travail de frappe sur son visage. Ses baguettes donnent l'air de s'activer toute seules, un ballet d'essuie glaces automatiques qui se régule sans besoin d'aide et s'adapte au moindre changement de rythme avec une facilité déconcertante. Une machine. Mais c'est dans sa tête que ça turbine le plus. Un ordinateur qui pense, qui calcule, qui prévoit. Suit des yeux les moindres mouvements des trois autres, qu'est-ce qu'ils vont encore inventer, mais non, peuvent imaginer tout ce qu'ils veulent, lui il possède la parade et la solution, l'a cet air entendu du mec à qui on ne la fait pas, ah, bon ce n'était que ça, vous voulez la révolution, voici la résolution.
Et pourtant l'a du souci à se faire avec le Calassou, l'a sans arrêt, mais avec avec arête de poisson coincée dans le gosier, un truc de travers à sortir de sa guitare calebasse. L'a le riff qui ripe et qui râpe. Ne peut pas ne pas vous surprendre. Vous savez bien qu'il est le spécialiste de la déglingue, le skieur maudit qui déclenche l'avalanche, le chauffeur de bus qui casse le moteur, le capitaine qui coule, l'aviateur en panne de kérosène, vous attendez, et à chaque fois il invente un incroyable bidule de sauvetage, la neige qui fond, l'autobus sans abus, le sous-marin, le moteur à air, et il retombe sur les pieds du riff avec l'élégance d'une panthère qui saute par terre avec cette souplesse féline qui n'appartient qu'à elle. Sachez-le, un riff de guitare chez Bill Crane, c'est une catastrophe annoncée qui s'achève en splendeur éphémère, car il ne faut pas trop exagérer, le rock'n'roll sans danger qui reste sur ses acquis c'est comme le couteau sans lame auquel il manque le manche.
En plus possède une arme pas secrète du tout. L'agite à la manière d'un drapeau sur le champ de bataille, l'a la voix oriflamme qui claque au vent, aux quatre vents de l'esprit dirait Victor Hugo. Vous la jette dans la tambouille sonique à croire qu'il voudrait s'en débarrasser. Un grand pavois qui cloque et qui prend ses cliques, car elle file à folle rapidité, l'écrase les crevasses et décime les cimes. Et tout le monde suit sans demander son reste. Un set de Bill Crane, c'est comme quand vous avez enlevez la clef de voûte de la pyramide, tout s'écroule autour de vous, l'on ne compte plus les morts en marmelade sous les pierres, les femmes hurlent, les enfants pleurent, mais vous vous en foutez, royalement, sous vos yeux éblouis la chambre secrète est enfin ouverte et vous pouvez contempler le visage du pharaon inconnu, et vous vous apercevez qu'il vous ressemble.
On s'en doutait, mais Bill Crane confirme.
CRASHBIRDS
C'est le printemps, les cui-cui sont de retour. Z'ont quitté leur chaumière du Finistère rien que pour nous. C'est que nous sommes très importants, si beaux, si bons, si bien que nous sommes ( en filigrane ) sur leur prochain disque, un double CD enregistré en public à l'Armony, qui sera présenté le dimanche 7 avril de 18 heures à 23 heures à ( quel hasard ) l'Armony. Risque d'y avoir du monde vu que ce soir l'assemblée compressée ressemble à ces fagots d'haricots verts extra-fins retenus tout droit par un fil dans les restaurants qui se la jouent classe. En attendant ce jour faste Pierre est déjà au boulot, talque sa guitare avec le soin maniaque d'un pâtissier qui saupoudre ses millefeuilles, Delphine se pavane parmi un groupe d'admirateurs et d'admiratrices revêtue de son insolente beauté et d'un béret noir qu'elle porte comme une couronne de reine. Mais il est temps que les choses sérieuses commencent.
Crashbirds, this old dirty hot blues, l'effet d'une incantation voodoo dès les premières notes, la cérémonie bleue pétrole marée noire vient de commencer. Vous avez deux sortes de blues originel, celui de Charley Patton qui mugit de l'intérieur, faisandé sur lui-même, une explosion atomique souterraine dans l'auto-cuiseur de votre cervelle, et celui de John Lee Hooker, un balancement hypnotique, un cheminement incoercible, une marche en avant infatigable, qui vous mène tout droit dans le cœur putride de votre chair, deux sentiers différents qui se dirigent vers l'identique lieu, la forteresse désarmée de votre âme lézardée. Deux manières d'être au monde qui correspondent aux voies humide et sèche de l'alchimie intime, Crashbirds ose celle de feu, sans concession ni rémission. Une ligne de crêtes solitaires aiguisées comme autant de poignards impitoyables levés vers le ciel des aurores sanglantes. Le vieil when I awoke this morning, et toute la misère du monde qui s'affale sur vous et que vous allez lacérer en un corps-à-corps mortel, tout cela, c'est l'arrière-fond immémorique de la musique de Crahbirds, ne vous étonnez pas s'ils commencent par faire un sort à votre personnel grigri christique. Le blues est sans pitié, on y sacrifie aussi bien le dieu oublié qui vous appelle au téléphone que les alligators carnassiers qui nagent dans les boyaux de vos désirs et les bayous mortels de vos affects.
Rollin' To The South. Pierre regarde vers les Enfers et Delphine vers Dionysos. Il est le démon, elle est la ménade païenne échevelée. Pierre souque ferme sur ses boîtes soniques. Du pied il donne le rythme, s'obtient par le geste du talon répétitif qui écrase les têtes de serpents qui s'entrelacent à même le sol. Un peu voûté par ce piétinement primordial qu'il faut alimenter sans arrêt, mais les doigts courent sur les cordes de sa guitare, l'arakné obstinée du blues tisse le défi de sa toile, un tricotage riffique infini dont il semble impossible de s'arracher, la psalmodie orphique des cordes produit ses effets serpentiques et fascinatoires sur le public qui ne peut plus détacher les yeux de cette combustion venimeuse enchanteresse qui se communique lentement mais sûrement au monde entier. Nous descendons les sinistres escaliers avec lui et maintenant nous les remontons derrière Eurydice, Delphine est renaissance, la germination primitive, c'est elle qui chante, crie, rit, et gesticule. Ses cheveux roux sont la flamme de la torche nuptiale du jour et de la nuit, l'ivoire de son teint est la blancheur matutinale des premiers rayons du soleil qui irise le monde. De sa gorge s'échappent les clameurs péremptoires de la joie de vivre, elle dit, elle ordonne, elle façonne, sa voix est un fouet délicieux qui coupe et cisaille. Prêtresse et comédienne, elle demande à boire et l'on se précipite pour lui apporter une bière bienfaisante dans un verre aussi long qu'un cou de girafe, elle s'amuse vocalise, escalade les aigus et les cimes cristallines avec une facilité et une gracilité vocales de petite fille et de grande diva.
Le message n'en est que plus noir. Elle dénonce et elle prophétise, We Lobotomy, No Mercy, European Slaves, Someone to Hate, les titres assénés comme des coups de couteaux dans le dos de vos illusions ne laissent planer aucun doute quant au constat de la réalité professé par nos ornithos qui vous déchirent le réel à cruels coups de bec, lui sortent les tripes du ventre pour que vous n'ignoriez rien de la puanteur sociale qui nous entoure. Et Pierre imperturbable en rajoute, entre deux morceaux, le temps d'agrémenter sa tambourinade de de quelques réparties vaseuses et scrofuleuses, élégance dénonciatrice selon un mode auto-dérisoire de l'inanité des choses. Puis comme le forçat attaché à son boulet, reprend son boulot de Sisyphe à pousser le rock du riff sur les plus hauts sommets incantatoires. Delphine le suit de près sur sa rythmique, mais ce soir elle a tellement incarné sa présence dans sa voix que ne me restent que quelques flashs de ses mains sur les cordes. Pétulante et pétillante, le cordon qui étincelle avant de détonner le bâton de dynamite. Les guys ne pensent qu'à la regarder mais devant la scène une cohorte de filles de feu s'adonnent à une étrange ronde nervalienne en son honneur.
Hélas sur cette terre les édiles ont décidé qu'il y avait une heure pour le bonheur dionysiaque à laquelle il convient de ne pas contrevenir. Le concert s'arrête, no fun for punks, telle est la terrible loi de nos existences grillagées. Qu'importe, même si le monde est une saleté, quelle soirée de rêve bleu et rock.
Damie Chad.
ISLATION N° 31
( Hiver 2018 )
Je ne le savais pas mais c'était chez moi, bien au chaud sur le bureau, sous des tonnes de bouquins, de CD et de factures. Un véritable petit trésor, à peine plus épais qu'un feuillet à cigarettes, vingt-huit pages, j'ai dû réfléchir pour savoir d'où ça provenait, ah, oui la poignée de fanzines récupérée chez Vicious Circle à Toulouse l'été dernier, un coup de chance en farfouillant sur le net me suis aperçu qu'il avait seulement été distribué que sur la ville rose et à Paris in Le Silence et la Rue, boutique spécialisée en vinyles. Vous livre même le nom de l'individu qui est derrière cette publication, Bertrand Redon, un passionné de bonnes musiques. Allez faire un tour sur son bertrandmusicblogspot.
Fanzine certes, mais pas un truc esthétique du pauvre les tripes à l'arrache, une maquette parfaite, en trois couleurs, noir, blanc, gris, bien écrit, plutôt porté vers le folk, mais l'on devine une ouverture d'esprit sans œillère. Ai été attiré par le long article sur Tamara Lindeman. Actrice ( film et télé ) canadienne sous le nom de Tamara Hope, mais aussi compositrice et chanteuse. Elle raconte une histoire invraisemblable. Tombe amoureuse d'un garçon, passent leur temps à se promener dans les bois désertiques du Canada. André a une habitude bizarre, ramasse toutes sortes de plantes et les grignote toute crues. Elle comprend et admet cela, les gens qui habitent des contrées solitaires développent des comportements qui peuvent sembler étranges aux habitants des villes, mais qui renouent peut-être avec de très anciennes habitudes de préhension du monde, survie et connaissance, qui remontent pourquoi pas d'avant le néolithique. Le guy retourne chez ses parents sur une île lointaine, un coup de téléphone lui apprend qu'il est mort, il a mâché de l'aconit. Poison violent qui aura raison de lui en trois heures. André était passionné de musique, ayant récupéré les cassettes qu'il avait enregistrées sur son dictaphone, elle comprend qu'elle se doit de devenir chanteuse. A ce jour elle a produit quatre albums sous le nom de The Weather Station. L'on sent Bertrand Redon subjugué par le personnage de Tamara, comme si l'acte même de chanter était relié chez elle, d'une manière des plus intimes, à la manducation du premier garçon avec qui elle avait partagé une charnelle et spirituelle communication poétique.
L'article suivant est une présentation du treizième album de Chuck Prophet, Bobby Fuller Died For Your Sins. Un titre magique pour les rockers, même si question originalité il est un peu trop connoté avec le Horses de Patti Smith, d'autant plus qu'une autre plage du disque s'intitule Jesus Wass a Social Drinker. Ah, ce sentiment de culpabilité post-puritaniste du citoyen américain, moyen ou borderline, qui n'en finit pas d'éclabousser sa conscience ! Rien que le fait de se surnommer prophète est très symbolique d'une lourde hérédité. Reste que le titre éponyme de l'album est teinté d'une ironie de bon aloi. Quant aux paroles du petit Jésus et sa rythmique subtilement titubante elles valent le détour.
Lee Bains King Krule, Cancer, Fleet Foxes, Hiss Golden Messenger, Big Blood, Susanne Sundfor, Real Estate, Gzauson Capps, John Moreland, Scott Miller, Widow-speak, Macolm Holocombe, Charlie Parr, David Rawlings, Cindy Lee Berryhill, Watermelon Slim, je cite tous ces noms pour que vous ayez honte de votre inculture ( de la mienne aussi ), autant d'albums chroniqués, peu de mots mais des évocations qui décrivent à chaque fois un univers particulier, Bertrand Redon est doué et en connaît un rayon. Par contre son article de tête sur Smoky Tiger est la preuve absolue que chacun de nous aime des horreurs abominables. Si vous êtes de ceux qui pensent que les goûts et les couleurs sont très symboliques de vos états d'être vous risquez d'être plongés dans des gouffres d'interrogation sans fin.
Diantre, ce modeste fanzine vous en apprend davantage que deux numéros de Rock & Folk ! Pastèque sur le gâteau, il est gratuit. Il existe donc encore quelques bienfaiteurs de l'humanité.
Damie Chad.
MELISA BERNARDOT
SHOOTS AND DRAFTS
Support parisian rock scene, c'est ainsi qu'elle se définit lapidairement sur son FB, c'est elle qui nous a fourni les photos de la livraison 407 du 21 / 02 / 2019 du concert Amain Armé / Britches de la Comedia. Je ne parlerai point en cette chronique de ces photographies si ce n'est pour signaler cette manière de présenter souvent le même cliché en couleur puis en noir & blanc, ce dernier se conférant, selon cette double présentation, pour emprunter un terme au philosophe allemand Friedrich Wilhelm Schelling, une dimension réale fort prononcée tout en se donnant à voir comme la vision idéelle de ce dont il procède. Rappelons que le mot réal signifie effectif, ce qui est étrange puisque c'est la juxtaposition des deux clichés qui produit l'effet, et non l'effectivité du seul cliché shirokurique. Comme quoi la répétition du même ne reproduit pas obligatoirement le même. Nous vous laissons tirer de par vous-mêmes les conséquences métaphysiques de la précédente affirmation...
Donc en cette kronic nous nous intéresserons uniquement aux dimensions draftiennes de la jeune artiste. En d'autres termes à l'album ( visible sur le FB : shoots and drafts ) 90377 : my drawings / visuals. Un dossier de cinquante trois vues qui forme un ensemble assez disparate de ces dessins et de ces esquisses que peintres et dessinateurs ont souvent l'habitude de jeter sur un carnet ou le premier bout de feuille qui leur tombe sous la main. Boîte à idées précieuses ou corbeille de bureau dans lesquelles on se débarrasse des mouchoirs en papier des rhumes de cerveau créatifs. La majeure partie de l'ensemble est d'ailleurs réservée à l'Inktober 2018. L'Inktober est une pratique relativement nouvelle lancée en 2009 par le dessinateur de comics Jake Parker, s'agit durant chaque jour du mois d'octobre de jeter l'encre de son imagination aiguillonnée par la proposition d'un seul mot fourni par le calendrier inktobrique. Autant dire que votre liberté est fortement bridée et que c'est à vous de vous débrouiller pour que votre propre vision du monde et votre style transparaissent dans cet exercice imposé. Une espèce de gymnastique intellectuelle qui n'est pas sans rappeler la pratique du Questionnaire Proust en littérature à la charnière des dix-neuvième et vingtième siècles.
Nous nous arrêterons au deux octobre. Un dessin plus travaillé que les autres. Qui sert à Mélisa Bernardot de vignette à son FB, une espèce de masque symbolique, une figure en quelque sorte héraldisée de soi-même, le trait anguleux du visage rappelle Bernard Buffet, et l'attitude les poses hiératiques des héroïnes de Klimt. Olympe de goule si je peux me permettre ce calembour qui allie la beauté à l'envers du décor. Le mystère de la féminité pour se replacer dans l'esthétique symboliste fin de siècle ! Pauvre poulette, l'a été condamnée, le trois de ce mois funeste, à passer quelques minutes dans le grille-pain, la donzelle en est ressortie quelque peu cuite aux entournures, l'a perdu ses airs de déesse et peut-être pire les ailes du désir. Ces deux dessins sont symboliques du travail de l'artiste quant à l' auto-représentation de la femme, tour à tour sorcière, fée, criminelle, attirante et puis brutalement l'envers du décor dézinguée, vieille, perdue, morcelée, découpée... Victorieuse ou défaite. Les deux versants de la vie, celui qui monte vers le point acméique pour aussitôt décliner vers la dissolution finale. Le deuxième dessin de ce codex 90377, visage auréolé d'une chevelure transformée en soleil noir qui surmonte un corps qui semble déjà soumis à l'informe dégradation des pourrissements terminaux, symbolise à mortveille cette dégradation horrifiante. Immédiatement après deux représentations féminines, camelote bijoutière à motif cabalistique de pacotille ou marque sur le front d'une croix inversée sont à mettre en relation avec l'œil rehaussé de travers de l'une, et totalement blanc de l'autre, ces yeux glauques trahissent la perception d'un réel et d'un outre-réel menaçant et inquiétant. Les longs cheveux de la deuxième s'entrecroisent avec les larges rayures de son pull-over écarlate et forment comme une grille derrière laquelle rougeoie comme une fournaise annonciatrice, de sa simple présence au monde. Nous apparaît comme le joker de la mort.
Nous sauterons les espèces de collages qui séparent les deux images qui répondent d'une esthétique mangaïque, force et beauté sont au programme. Pas très loin, beau portrait d'un jeune mec le visage habillé d'une insolence paresseuse. Aux claires couleurs des deux précédents succèdent trois noirceurs de fille, de face, de dos et ce visage pratiquement dédoublé par la coupure d'une mèche ombreuse de cheveu anarchique, vu de si près qu'il excède la pleine page. Ensuite nous picorerons, ce réveil englobé dans un semblant de gangue de main qui serre son étreinte sans pouvoir arrêter le temps. Une autre mouture de cette image se retrouve plus loin dans l'Inktober sous forme d'une gamine tenant dans sa main une tasse de café mais le corps engoncée dans le cadran de la montre du temps fatidique. Vous la retrouverez à la page suivante recroquevillée en position d'œuf fœtal que l'on espèrerait retour originel, mais sur un dessin suivant, accrochée aux ballons de son rêve que l'on pressent d'une tristesse infinie. Ne reste plus sur une image postérieure qu'une poupée jetable abandonnée sur un trottoir déserté d'humanité. Admirons cette tête d'E. T. aux cinq yeux qui pétillent d'intelligence d'autant plus forte que débarrassée du reste de la chair de son corps absent. Tout comme cet homme le corps englouti dans la boue d'un marécage qui atteint déjà les narines, derrière lui des arbres morts tendent leur branches désespérées vers le rien, à mettre en relation avec la coiffure de cette petite fille à la chevelure de palmes vivantes qui court à son shopping, à l'assaut du monde, les billets verts entre les dents.
Ce n'est qu'un carnet. Certains lui reprocheront de ne pas être spécialement rock, pour ceux qui ont nécessairement besoin d'une guitare pour qu'une image soit obligatoirement rock, ou une pancarte '' Eléphant'' accrochée à la trompe de l'animal idoine, un de ces jours je chroniquerai les photos de concert de Mélisa. Le rock c'est aussi un esprit diffus. Ça flotte dans l'air sous forme d'atomes subtils, certains sont de véritables passoires, sont traversés par ces nuages microscopiques mais ils n'en retiennent aucun. A moins que ce ne soient les corpuscules qui ne veulent pas d'eux. Ce n'est pas donné à tout le monde d'en abriter quelques uns. Regardez la planche entière qui regroupe l'ensemble des dessins. Sont empreints d'une terrible solitude. Les personnages sont figés dans l'apparence spectrale de leur image. Que ce soit la vieille grand-mère qui tient précieusement son sac-à-main, ou l'homme à deux têtes pour mieux insulter le monde, chacun s'entête à représenter sa propre idée, la mémé qui s'accroche à son goutte-à-goutte comme à son cancer, ou l'hoplite qui a traversé des siècles d'histoire en sentinelle avisée. Mélisa Bernardot a soigné le look de chacun, jusqu'à ce qu'ils deviennent les archétypes de notre société dont nous ne sommes plus que des pièces disjointes, des figurines d'œuf Kinder sur l'étagère du désespoir.
De fait ces croquis sont plus proches du blues que du rock. Ce qui n'exclut pas l'humour noir, la plus terrible des armes blanches. Mélisa nous offre cinquante-trois lamelles pour étude spectographique de la faune contemporaine, cinquante-trois arcanes du tarot spectral de la féminité moderne que vous ne saurez regarder sans être traversé d'un fort courant d'électricité. Lumière noire.
Damie Chad.
( Dessins visibles sur FB : Shoots and drafts )
SPEEDBALL
MALEDIXION
N° 13 / Février 2019
Arnaud & Maniak / Romuald Martin / Manolo Prolo / Pierre Bunk / Lenté Chris / Chester / Carlota / Jokoko / Gomé / Kyja / Mlce / Madd / Slo / Méli / Louna / Jess X / Dr Silk / Krokaga / Gromain / Max Clem / Pat Pujol / Dav Guedin / Denis Grr / Tôma Sickart / Pierre Berger / Marc Brouillon / Gwen Tomahawk / Laurent Z. Rondet.
Sont comme ça les Bédéistes, vous achetez une revue, vous ouvrez et c'est aussi plein qu'un zodiac chargé de migrants au milieu de la Méditerranée, se déplacent en groupes d'entourloupe, en tribus de zébus assoiffés d'abus, en peuplades de camarades en rade, arborent leurs noms de guerre comme des étamines de pirates, se jettent sur vous à trente contre un, quand vous apercevez cette cohue tohu-bohu, vous vous dites que rien de sérieux ne pourra jamais sortir de ce pandémonium. Et plock ! ils vous glissent la lame 13 du tarot, sous les naseaux, un objet de luxe, rutilant, grand comme un département, avec papier glacé et teintes flaschy, malédixion ! et manque de bol, ils vous collent une balle de speedball en plein cœur.
Vous n'y échapperez pas. Alors prenez votre temps. Sachez qu'il existe des malheureux qui se précipitent pour lire Speedball. Ce n'est pas de leur faute, ont dû être torturés par leurs parents dès le berceau, leur manque une case ou un igloo, je ne sais pas trop quoi, mais sûrement quelque chose... Non, Speedbal ne se lit pas. Speedball se regarde, Speedball s'écoute. Non, bandes de Béotiens, vous ne trouverez pas un CD enchâssé dans la couverture, soyez un peu esthètes par pitié, n'imitez pas ces ignorants qui ont besoin de poser un disque de Beethoven sur la platine pour entendre la Neuvième, un véritable bédéimane est comme le mélomane qui se contente d'étudier avec soin et rigueur la partition pour apprécier le génie du musicien, idem pour Speedball, prenez la brochure dans votre menotte gauche ( non, pas celle-là, l'autre ) et de la droite laissez perler sous votre pouce les pages, doucement, une par une, et la symphonie vous éclate au visage. Un festival de couleurs se déploie lentement sous vos yeux, z'avez l'impression de voir le monde se refléter sur les écailles d'un naja de quinze mètres de long, un rêve coloré passe devant vous, n'essayez point de grappiller quelques mots, the beautifull dream tournerait vite au cauchemar, que votre attention se porte exclusivement sur le travail de composition, pensez qu'avec une trentaine de participations de bric et de broc, ils ont réussi à donner une unité formelle à leur bouquin, et tirez-leur votre chapeau.
Voilà normalement cela devrait vous suffire, maintenant vous savez que c'est beau, vous devriez reposer votre intelligence en cette béatitude et laisser votre âme s'abreuver de ce seul sentiment idéal, mais vous êtes de ces mal-appris qui trempez vos doigts dans les plaies du Christ et puis dans l'anus de votre partenaire sexuel, alors pour satisfaire vos instincts touristiques les plus bas, vous aurez droit à une visite guidée. Nous ne verrons pas tout, nous effleurerons à peine, mais nous comptons sur votre perversité naturelle pour tout mirer par vous-mêmes.
D'abord le truc bluffant, cette page blanche au début, vous venez d'être maudits et hop on vous refile la blancheur de l'agneau innocent. Un peu comme le bourreau sadique qui vous passe la corde au cou et qui vous demande des nouvelles de votre santé avant de remplir son office. Ensuite dorures titulaires sur fond noir, planche ( de salut ) couleur avec rectangles d'architecture HLM, et splash, Gomé s'y met. Esthétique minimaliste. Case absente ou ondulatoire. Joue avec le blanc. Deux couleurs, le noir de l'humour et le rouge cible. C'est pour rire. Plus loin, rouge sang, noir anarchie et gris existentiel, l'on ne rit plus, rien ne va plus, rien n'a changé, de Louise Michel d'hier aux manifestations d'aujourd'hui, la révolution communiste est en marche. Tremblez bourgeois. J'ai le regret d'attirer votre attention sur cet étrange fait : Speedball n'est pas une revue macroniste. Si vous ne me croyez pas, suivez les vikings de Pierre Bunk dans leur recherche du trésor oublié. Une œuvre archéo-actualitoire. Désopilante. Plus inquiétante le Psych X man de Jess K qui nous plonge dans les circonvolutions de l'auto-surveillance psychique, notre futur proche.
Je vous laisse découvrir le reste. Ceux qui détestent l'humour punk s'abstiendront. En quatre-vingt dix pages, les histoires se suivent sans se ressembler tout en décrivant la même réalité. Mais surtout méditez ces pleines pages – dessins de styles divers ou photos trafiquées – elles rythment la revue, sont à regarder comme si dans notre quotidien des scénaristes pervers avaient remplacé les pubs de nos panneaux publicitaires, par des espèces d'engrammes symboliques, une efflorescence de représentation kaléidoscopiques des images les plus triviales de notre quotidien mêlées aux icônes les plus spasmodiquement mythiques de la culture populaire. Speedball ne recule devant rien, mais ceux qui en ressortiront choqués n'auront pas compris que la revue est à lire selon un autre plan. Ses dessins n'ont d'autres but que de mettre en mouvement la roue grippée des concepts dans la tête de nos concitoyens. Speedball, accélérateur de conscience.
Damie Chad.
KOMIKS KRONIK
N° 15 / Novembre 2018
Aurelio / Jokoko / El Primate / Toma Sickart / Chester / Syl / C. Sénegas / Camille Pull / Nemo / Pierre Lehoulier / Tusghin & Pierre Bunk / Tim64 / Mimi Traillette / Méli & Afeu / Pat Pujol / Toki / Gromain / Gwen Tomahawk / Madame Cruiii / Benoît Bedrossian / Gomé / Virginie.B / Jurg
L'on ne prend pas les mêmes – quoique en y regardant de près l'on s'aperçoit que certains participent aux deux aventures – et l'on recommence. Chez Kronik l'on n'hésite pas à renverser les axiomes du punk. No Future ? Eh bien si, et de beaucoup. Numéro spécial '' Space Robot''. Ne sont pas optimistes chez Kronik. Les robots ont gagné la bataille. Ne sont pas plus intelligents pour cela. Aussi médiocres que les humains. Les deux races coexistent aussi paisiblement que les ethnies humaines au cours de l'Histoire. Nous les avons créés à notre image. C'est sans doute pour cela qu'ils adoptent nos conduites et sont incapables de construire un univers mental différent du nôtre.
Un format légèrement moins grand que Speeball, mais quarante pages de plus. Mais est-ce une illusion, les encrages semblent différents, teintes plus claires et en même temps plus vives chez Kronik. Mine de rien il y a un sacré travail de mise en page dans ce numéro. Jokoko en est le maître d'œuvre, tout est dans l'alternance, ne s'agit pas de marier les styles mais faire en sorte que les mises en page se succèdent sans que l'une ne mange la suivante ou la précédente. Orchestration visuelle. Tact graphique obligatoire. Le bistre de fond de page d'Outer Space d'Aurelio, les bordures noires pour les vignettes faussement naïves et réellement scatophiles de A Plus Uranus de Jokoko, les incipits à dominante bleu de nombreux épisodes, les images de Goldoraque de C Sénégas découpées et recollées, et puis Zizi et Pantoufle qui semble un texte illustré par des images, les vignettes panoramiques de Super Gros Con de Pierre Lehoulier ( le même qui guitare dans Crashbirds ) avec son en-tête très années cinquante, la poésie de Boracho Le Clodo de Riri qui n'est pas sans évoquer la maladresse des dessins d'enfants, les dessinS au fil de Framax qui rappellent l'esthétique de Tron, tout cela ( et bien d'autres ) il a fallu l'inscrire dans une continuité pour ainsi dire narrative. Car dans ce Kronik vous pouvez simplement vous éclater à lire les histoires une par une, mais ce serait passer à côté de l'intérêt du volume si l'on ne s'aperçoit pas que ce numéro 15 est aussi un déploiement du traitement de l'image, de sa mise en scène, de sa mise en réflexivité avec le texte, c'est peut-être avant tout l'histoire du rapport entre l'image dessinée et l'image cinématographique qui est ici parfaitement illustrée et évoquée. Que cela n'effraie pas le lecteur, ce numéro n'est pas théorique, se présente plutôt comme un condensé expériençal des différentes manières de concevoir la mise en forme du récit graphique.
Qui dit robot dit science-fiction, l'imaginaire de nos auteurs ( pas tous ) est plus près de la science-friction. Frictions érotiques de la chair et du métal, comme si l'important du futur résidait dans cette approche mutuellement fascinatoire de l'Homme et de la Machine. Aussi tourmentée que celle de l'Un avec l'Autre. A croire que si les formes changent les problématiques ne varient pas d'un iota. Ce Kronik est beaucoup plus philosophique qu'il n'y paraît. Le rire n'est-il pas la force suprême de la sagesse ?
Damie Chad.
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