Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/06/2016

KR'TNT ! ¤ 285 : MONSTERS / PINK FLOYD / JOHN COLTRANE / FRANCOIS COTINAUD / LIVRES ROCK

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

LIVRAISON 285

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

10 / 06 / 2016

MONSTERS/ PINK FLOYD / JOHN COLTRANE /

FRANCOIS COTINAUD / LIVRES ROCK

POINT EPHEMERE / PARIS X° / 06 - 04 - 2015
MONSTERS

 

MONSTERS CLASS

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Quand on revoit Beat-Man, c’est comme si on revoyait un vieux copain d’enfance, ou alors Bibi Fricotin, avec lequel on faisait les 400 coups à la sortie de l’école. L’autre soir au Cosmic, il promenait sa physionomie joviale à travers la petite foule de ses admirateurs. Il penchait l’oreille pour entendre ce qu’on lui racontait et se fendait la gueule d’un beau sourire de gamin de rues. Sa bouille toute en rondeurs provoque la meilleure des attirances. Il donne envie d’aller jouer aux billes ou d’allumer un pétard pour l’envoyer rouler sous la soutane du curé. Il donne envie de partager un Malabar en deux ou d’aller faire un tour de camors, histoire de bousculer la fille du marchand de tripes. Ce morpion extraordinaire qu’est resté le jovial Beat-Man débarque dans le monde du trash garage comme s’il sautait dans un bac à sable, avec sa petite pelle rouillée et des croûtes aux genoux. Au fil des années, il reste effarant de fraîcheur et attirant comme un compagnon de vadrouille. Alors que les malheureux Doctor Explosion s’épuisent à vouloir jouer du garage sur scène, Beat-Man vend ses disques. Ses joues et son nez luisent aux lueurs des projecteurs. Avec son stand, il recrée l’univers de sa boutique Voodoo Rhythm, sise à Berne : toute la marchandise est stockée dans deux grosses valises ouvertes. Ce sont bien entendu des valises d’avant-guerre dont il a habillé l’intérieur de photos de pin-ups, des visuels improbables et de lampions. Il propose tout simplement un monde magique. Et il porte déjà sa veste rouge de Monster.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Les voici sur scène. Sur fond de petite musique de cérémonie, Beat-Man serre la main à ses collègues musiciens venus le rejoindre : deux batteurs et un bassiste, eux aussi en vestes rouges et avec des bonnes dégaines de préposés à la Poste. Mais les préposés vont se mettre à jouer l’un des meilleurs brouets de l’univers, et Beat-Man va danser la carmagnole en triturant des solos vitrioliques.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Avec sa paire de batteurs, Beat-Man dispose de la locomotive de Jean Gabin. C’est ce que les Anglais appellent la powerhouse, du Jerry Shirley démultiplié. Ces deux mecs tapent comme des galériens, penchés en avant, respirant bruyamment et constamment à la recherche du second souffle. Et bhammm, c’est parti ! «I Want You» ! Pendant une heure, Beat-Man nous sort le meilleur concentré de mythologie garage, il coule le meilleur bronze de trash, il tronche l’Autriche des tranches, il trousse les traces et tresse les tripes, sa mèche tournoie dans le phosphore des whites lights et dans la furnace du white heat.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Il repeint l’espace à coups de giclées de sueur. Merveilleux showman de rêve, Bibi trashoïde ultimate, Monster d’apparat, Krakatoa à deux pattes, Zébulon astéroïdal. Beat-Man explose quand il le décide. S’il hurle, c’est pour notre bien. Whaoouuuu ! On sait bien qu’on ne vit que pour ça, mais dans ces moments flash, on le réalise encore plus nettement. Les fans de Beat-Man tournoient dans la fosse. Il règne dans la salle la même atmosphère de fête païenne qu’au set des Stooges de Ron Asheton à la Villette. Beat-Man nous ramène à l’origine des temps, il libère les cortex des gangues et fait appel aux instincts enfouis.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Il déclenche chaque fois une véritable bacchanale, un délire merveilleux qui échappe à toute notion de dieu et de diable, il revient au temps béni où toutes ces balivernes n’existaient pas. Beat-Man libère des énergies fantastiques, la terre gronde sous les pieds, et le trash solarise l’esprit, aussi radicalement que l’aurore boréale pouvait fasciner le néandertalien. Le pire, c’est que Beat-Man n’y est pour rien. Beat-Man, c’est Mickey dans Fantasia, il est dépassé par ce qu’il provoque. Pendant une heure, le Cosmic a échappé à la pesanteur de cette réalité qui ne nous plaît pas : la vie sur terre.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Comme jadis Captain Beefheart créait une mystique du blues, Beat-Man crée une sorte de mystique du garage, sans le vouloir, même si comme Beefheart il a forcément réfléchi à ce qu’il faisait et assez travaillé pour construire un univers à partir d’une vision originale. Mais Beefheart et Beat-Man (comme d’ailleurs Lux Interior et Jeffrey Lee Pierce) ne sont que des êtres humains, privés des moyens surnaturels dont on voudrait bien les doter. Non, ce ne sont que des petits bonhommes, Elvis était un petit gars ordinaire du Mississippi, Beat-Man est un petit gars de la Suisse allemande et Beefhaert dessinait les animaux du zoo de Griffith Park à Los Angeles quand il était morpion. C’est nous qui fabriquons les mythes. On a été quelques millions à fabriquer la légende du petit gars de Tupelo. Quelques millions à fabriquer celle des quatre fils d’ouvriers de Liverpool. Quelques centaines de milliers à fabriquer celle de Captain Beefheart et certainement aussi quelques milliers à fabriquer celle de Beat-Man.

 

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Prodigieux parcours que celui de Beat-Man, tour à tour Lightning Beat-Man, puis Reverend Beat-Man et accessoirement leader des supra-blasting Monsters. Et on peut mettre le nez dans n’importe quel album de sa copieuse discographie, on sera bien servi. Beat-Man appartient à cette caste d’hommes réputés pour leur savoir-vivre, puisqu’il est parfaitement incapable d’enregistrer un mauvais disque.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Il sort ses deux premiers albums en 1989 et 1991 : «Masks» et «The Hunch». Oh bien sûr, ces deux-là ne sont pas les albums du siècle, mais ils contiennent les racines du Beat-Man way. Avec «Hollywood At Hell», il flirte avec le psychobilly qui à cette époque a le vent en poupe. Pas loin de Mad Sin. Puis il se rapproche du radicalisme rockab avec «Teenage Werewolf». Il yodelle et se gratte le baryton pour teinter son rockab des nuances les plus sulfureuses. Sur le premier album, on trouve aussi du bon Diddley beat («Wilma») et du rockab qui sonne comme un hit de juke («I Love My Car»). Par contre sa reprise de «Wild Thing» flirte avec le ballochard.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Sur «The Hunch», on se régalera d’une fantastique reprise du «Drug train» des Cramps, montée sur un beat beat-maniaque et noyé de chœurs en folie. Sur la plupart des cuts de la face A, les Monsters sonnent comme les Meteors et il faut attendre «Wicked Wanda» pour renouer avec le trash-garage cisaillé à la base. Beat-Man y lâche une bouse de solo wha-whateux. Voilà une merveille digne des pires gangs du Michigan et des Swamp Rats. La face B est une face live qui démarre sur une reprise de «Teenage Werewolf» des Cramps. Plus loin, ils tapent dans les Sonics avec «The Witch» et l’asticotent à la pulsion rockab. En guise de baroud d’honneur, ils retapissent «Wild Thing» des Troggs pour la bonne forme.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Deux autres albums des Monsters paraissent en 1995 et 1998 : l’abominable «Youth Against Nature» (abominable oui, à cause de sa pochette surprise bien gore) et le bucolique «Birds Eat Martians» (bucolique, oui, à cause de sa pochette inoffensive représentant des moineaux sur une branche). Beat-Man arrive à maturité, car il attaque l’album Youth avec une atrocité garage qui s’appelle «Burn My Mind», une sorte d’au-delà du garage que nous connaissons. Beat-Man nous emmène dans un monde beaucoup plus trash - Yeahhh you can burn my mind - il prend un solo de fuzz intolérable, ça splashe sur les murs, et c’est monté sur deux accords de troglodytes. On sort hébété de ce truc exceptionnellement violent et gras, mais gras au sens du berk. Beat-Man et Mick Collins même combat ? Allez savoir. «Go Away Fuck Yourself» sonne comme un coup de massue. On se sent le crâne enfoncé dans les épaules. Il nous fait plus loin un joli coup de voodoo avec «Voodoo Love». Trois autres merveilles guettent l’auditeur imprudent sur la face B. Tout d’abord «Go Away From My Brain». Il s’adresse à une fille - Just go away ! - Et il ajoute : Yeah Whaaaaahh. Un solo de fuzz par là-dessus, et voilà. Ce n’est pas compliqué. «Juvenile Delinquent» sonne comme un classique garage du Wisconsin et sur «I’m A Record Junkie», les Monsters sonnent comme les Cramps.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Avec l’album Birds, ils passent à la vitesse supérieure. Les Monsters font une monstrueuse version de «Pony Tail And A Black Cadillac». Ce qui paraît logique, vu qu’ils s’appellent les Monsters. Beat-Man renoue avec l’apocalypse en attaquant «Chicken Baby». C’est fuzzé jusqu’à l’os du genou et dans les règles de l’art nuptial des fosses à vidange - Baby oh yeah - Encore une pure énormité beat-maniaque. S’ensuit une fabuleuse reprise de «Get On The Right Track» de Titus Turner qu’ils jouent au tikitic rockab. Ça bascule dans la folie douce puisque ça sonne comme un hit de l’Arkansas qui serait poursuivi par un troupeau de bisons. Autre reprise surprise : «Wild Wild Love» de Benny Joy. Version démente. Bel hommage au rockab de Floride. On sent bien qu’on a dans les pattes un album infernal. Et ce n’est pas fini. Le pire est à venir. Ils attaquent la face B avec «Down The Road», du vieux garage Okie. Beat-Man joue le garage américain beaucoup mieux que les Américains. Tous ses solos de fuzz bavent. Mais avec lui, ça bave deux fois plus. Il reste dans l’apothéose de la fuzz baveuse avec «Black» et monte encore d’un cran dans la démence de la latence avec «We Are Middle Class» monté au beat maximaliste. On a là l’expression du pur génie relativiste avec ses dévalades de guitare consumériste. Pure horreur de beat soutenu. Il se pourrait que la puissance de Beat-Man finisse un jour par nous broyer les os. Si après tout ça, il vous reste une oreille valide, vous allez vous régaler du morceau titre, «Birds Eat Martians». Cet instro joué en solo sur un beat bien harnaché ensorcelle littéralement.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Et pendant qu’il met nos imaginaires à feu et à sang avec ses mighyty Monster, Beat-Man ne reste pas les bras croisés. Oh que non ! Il enfile son masque de catcheur mexicain et devient Lightning Beatman. Son projet ? Réinventer le trash. Et il nous balance deux albums qui croisent ceux des Monsters, en 1994 et 1998 : «Wrestling Rock’n’Roll» et «Apartment Wrestling Rock And Roll» qui reprend pas mal de cuts de Wrestling. Attention, ces deux disques battent tous les records de violence trash. Dans le genre qu’il réinvente, Beat-Man s’arrange pour rester invaincu. Il suffit d’écouter le morceau titre qui ouvre le bal de Wrestling pour s’auto-édifier. Beat-Man gratte sa vasouille d’énervé du bulbe - Yeah my name is Beat-Man and I like to wrestle rock’n’roll - Il enchaîne avec l’horreur garage de Néandertal qui s’intitule «Take It Off» et se révèle infiniment plus primitif que les Pretties. Il hurle comme un lion des montagnes dans la caverne de Tounga. Dans «Yea Pretty Baby Yea», il commence par discutailler, puis il s’énerve - I said you once, I said you twice - et ça bascule dans le trash liquide, celui qui arrose les murs. Au fil des morceaux, on comprend que Beat-Man a des idées de son en permanence. «Wild Baby Wow» est sans doute le pire trash de l’univers. Il screame ça avec une sauvagerie qui dépasse tout ce qu’on sait de l’exaction paramilitaire. Pour «I Wanna Be Your Pussycat», il miaule, puis il siffle comme un gros matou en colère. Il passe tout à la casserole - Miaaaaou ! Miaaaou ! - Et il repart de plus belle dans le garage des cavernes avec «Hurt Me» - Oh baby hurt me/ please hurt me yeah yeah yeah - C’est bardé de fuzz et chanté à la hurlerie de non-retour. Par miracle, la face B est un tout petit peu moins dense. Avec «Honey Baby Blues», il se prend pour un Johnny Cash des bas fonds et ça devient vite spectaculaire - Go ! Go ! Go ! - Il prend un solo dérouté qui bascule dans la pire dégueulerie de clocharderie de cloche-merlerie. S’ensuit «Baby Fuck Off», mauvais garage de cave d’ado qui apprend à jouer avec des cloques aux doigts. Plus loin, il redépasse les bornes avec «I’m Gonna Kill You Tonight» monté sur un beat diabolique qui vaut bien celui de «Death Party» du Gun Club. Beat-Man a tout l’attirail : le beat, le lancinant, le groove de cave, la fuzz, la voix, l’invective pendante, le filet de bave et les gros accords fucking awite.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

L’autre album de Lightning Beat-Man flirte aussi avec le génie. On le voit chercher des noises à la noise dans «Sonic Nightmares». Il monte «I Love You» sur les accords des Kinks et il reprend deux titres de l’album précédent : «I’m Gonna Kill You Tonight» (violente explosion) et «Take It Off» qui est du pur génie reproductif, mais avec la profondeur suisse. C’est là que Beat-Man bascule dans la folie. En face B on retrouve aussi le fabuleux «Wild Baby Wow», doté d’une prodigieuse agressivité. Il pousse des cris atroces de soudard à l’agonie. Il sonne comme le porc bleu des contes de la crypte. Avec «I Said Yeah», on sent bien que la messe garage est dite. Il passe un solos de fuzz déments, d’une coulure excessivement grasse. Un vrai son de rêve. Beat-Man jette toute son ardeur dans la balance. Il manifeste sa haine de la danse dans «I Hate To Dance». Beat-Man, c’est garanti pur jus de fiel de train fantôme. On a là un son de basse énorme - hate to do the twist - Beat-Man tire à boulets rouges. Il élève l’insolence de la violence trash au rang d’art majeur. Il termine cet album furibard avec «Wrestling With Satan», un pur rockab slappé à la bonne franquette des alpages.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


En 2002 et en 2006, les terribles Monsters reviennent aux affaires avec deux albums : «I See Dead People» et un double compilatoire intitulé «The Worst Of Garage Punk». Dead est considéré par les spécialistes internationaux comme le meilleur album des Monsters. Ce n’est pas compliqué : l’album ne contient que d’horribles monstruosités. À commencer par «The Love I Never Had», monté sur un beat de marteau pilon. On a là une pure démence de la tapence. «Fuck My Brain» va droit au cœur du trash, mais on finit par s’y habituer. Le morceau titre qui suit sonne comme du vieux garage à la sauce américaine, de type Morlocks. Mais l’affreux Beat-Man va beaucoup plus loin que les mangeurs de hamburgers. Il livre le garage le plus wild de l’univers et l’arrose d’une pisse de solo puante et fumante. On tombe plus loin sur un «Acid Dreams» riffé à la Trogglodynamite. Beat-Man y réinvente l’art moderne, comme le fit Schwartz voici vingt ans chez Futuropolis. Il reste sur le balancement nuptial à deux accords pour un «Oh Wrong» digne des pires annales. Il se livre au bouleversement de toutes les acuités garagistes. Ça vaut tous les classiques garage du monde. Sur «The Other Man», il sonne comme les Belfast Gypsies et nous plonge une fois plus dans l’horreur d’une purée de fuzz brûlante. En B, il mène «I’m Going Away Girl» au scream, au beat, à la fuzz et à la trique, en vrai ogre garage. Il atteint une véritable démesure et échappe définitivement à tout comparatif. Pire encore : «Kiss You Dead» qu’il amène au beat de fourvoyeur du démon Atharoth. Il chante ça à la grosse insidieuse et puis soudain, son cut explose sans prévenir. Alors ils se met à screamer à la lueur des flammes de l’enfer. Il va là où personne n’est encore jamais allé. Rien ni aucune montagne saurait plus faire de l’ombre au géant Beat-Man. Il bat absolument tous les records de screeeeeeam. Pareil pour «Burn In Flames» qu’il chante à s’en arracher la glotte. Il ne peut pas s’en empêcher.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Par contre, la compile rouge n’est pas très bonne. Il a rassemblé des démos et des versions live pour faire cossu mais peu de cuts accrochent l’oreille. Sur le disque 1, «Don’t Burn The Witch» vaut le détour, car c’est bien slappé et arrosé d’une belle colique de solo splasho-splashy. Sur le disque 2, on trouve une version terrible de «Burn My Mind» trashée au maximum des possibilités de la trasherie. Au-delà, ça ne relève plus de l’humain. Belle version de «Never Come Back» jouée au groove malveillant, avec un gros démarrage de fuzz en côte. Beat-Man y place un solo dément et même un peu stonien par instants. On trouve aussi une version de «Oh Wrong» digne des Buzzcocks de «Spiral Scratch».
En 2001, Beat-Man éradique son alter-ego Lightning Beat-Man et le Reverend Beat-Man lui succède.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Avec The Un-Believers, il sort «Get On Your Knees» et cinq ans plus tard, accompagné par The Church Of Herpes, il sort «Your Favorite Position Is On Your Knees». Encore deux fieffés albums qu’il faudrait inventer s’ils n’existaient pas. Beat-Man fait désormais des choix plus religieux. Il toise Dieu sans ciller. Il dédie «Come Back Lord» à la gloire de Dieu. Il chante au guttural de caveman. Il va chercher le raunch au fond de son animalité primitive. C’est en face B que grouillent les abominations rampantes, à commencer par «The Lord Is Coming Back». Il lancine son prêche et recherche la transe divinatoire. Il lance la vogue du gospel trash avec «Oh Lord» et il se plaît à tripoter les orifices des mythologies. C’est particulièrement infect. Puis il lance une attaque en règle contre tous les potentats avec «Fuck You Jesus Fuck You Oh Lord». C’est absolument magnifique de vaurienneté boutonneuse. Beat-Man ne recule devant aucune entorse aux règles de la bienséance. Le dernier gros cut de cet album palpitant est «Show Me How», terriblement insidieux et même rampant. Il passe par en-dessous et l’amène jusqu’à l’explosion finale. C’est un modèle du genre.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Le second album est un peu moins dense. Il l’attaque avec deux pièces de boogaloo cousues de fil blanc, «I Don’t Care» et «Bad Treatment». Il s’arrange pour paraître terriblement inquiétant. Il chouine comme une âme en peine sur fond d’Americana de carton-pâte. Il fait une version de «Blue Suede Shoes» malveillante au possible et joue «Prophecy» à l’harmonium du mec qui va mal - Send me your sister and your bother/ I’ll take their lives and then I’ll take their souls - Le «Faith Hope Love» qui se trouve à l’ouverture de la face B est beaucoup trop étrange pour être honnête. Pour finir l’album, il revient à l’une de ses ambiances préférées qui est celle de la miséricorde. Quelle énergie de l’écriture ! C’est joué aux machines de Jupiter. Beat-Man sort pour l’occasion une belle mélodie lancinante, toute empreinte de grandeur gothique.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Nouvelle paire d’albums du saint homme en 2007 avec «Surreal Folk Gospel Trash Vol 1» et «Surreal Folk Gospel Trash Vol 2». Voilà deux belles pièces pantelantes. Il démarre le volume 1 avec «The Clown Of Town», un pur jus de blues voodoo des catacombes de la Suisse fromagère. Ça sent le moisi de cave humide et ça grouille d’araignées à têtes humaines, comme on en voit chez Odilon Redon. Attention à «I Belong To You», car c’est du vrai trash de vomi de régurgitation voodoo verdâtre. Aucun espoir d’en réchapper si on met le pied dedans car c’est le pire trash de l’univers. Seul un mauvais bougre comme Beat-Man peut marcher dedans et poursuivre son chemin comme si de rien n’était. Il se fend plus loin d’un énorme stomper avec «Jesus Christ Twist» - Smash your head to the wall/ Let your blood run cold/ Now do the Jesus Christ twist - Il nous sort le plus fantastique des stompers des cavernes - Nail your partner to a cross/ Dance around and have some fun - Beat-Man devient un héros, car il atteint là les tréfonds des sommets de l’envers du décor. On trouvera en face B un truc nommé «I Wanna Know» qui - et c’est bien difficile à avouer - se révèle bien plus sauvage que le «Don’t Bring Me Down» des Pretties. À côté de Beat-Man, Dick Taylor et Dave Davies sont de charmants rigolos. Terrific ! - Cause I wanna know - Et on atteint les sommets neigeux du génie beat-manien avec «The Beat-Man Way», où il raconte son histoire, dans un pur esprit littéraire - Just wanna go the beat-man way - C’est là qu’il crée sa mythologie.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Le volume 2 est aussi réjouissant que le volume 1, car on y croise des nouvelles preuves de l’existence du génie beat-manien. Par exemple ce morceau d’ouverture qui s’appelle «Letter To Myself». Sur un rythme bien tribal, Beat-Man raconte qu’il s’écrit des lettres a lui-même. Véritablement monstrueux. Le morceau qui suit, «I See The Light», l’est tout autant. Voilà encore du pur jus purulent de garage à grosses semelles cloutées, un authentique délire psychiatrique - my brother is a homosexual but had a sexual relationship with my mother - Awww. C’est encore du pur stomp de la forêt noire et il termine cette horrible paragenèse par un dialogue avec Satan - I got your soul ! I got your soul ! - Beat-Man peut imiter n’importe qui, même le diable. Il enchaîne avec «Lonesome And Sad» qui est une sorte de gospel des montagnes au chocolat blanc puis il passe avec «Blue Moon Of Kentucky» au hillbilly rauque de cabane de chercheur d’or. Avec un lascar comme Beat-Man, on ne s’ennuie pas un seul instant. Il attaque sa face B, avec «I’ve Got The Devil Inside», sur un beat buté et raide comme le menhir de la Croix-Jugan. Beat-Man nous chante tout ça bien rauque. Il ne craint pas de s’abîmer la glotte. S’ensuit «Our Girls», un boogie lourd et primitif qu’il siffle à l’entre-deux jambes. Il termine cet album pittoresque avec «The Swiss Army Knife», un prêche dément de révérend dévoyé. Beat-Man raconte une longue histoire et flirte une fois de plus avec le génie. Attention, il existe un «Surreal Folk Gospel Trash Vol 3» !

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

C’est un DVD. On y retrouve les smash-hits de Beat-Man, mais en images : «Don’t Stop The Dance» (il fait le one-band band magnifique de présence, avec une façon de bouger très spéciale et une façon de gratter un solo bien sec), «Lonesome And Sad» (un blues primitif qui nous permet d’admirer sa technique de jeu), «Jesus-Christ Twist» (mélangé avec des images de crucifixion piquées dans un film), «I See The Light» (chef d’œuvre de one-bandisme dans le pur esprit du garage trash), «I Wanna Know» (il est filmé en bas d’un escalier et on le voit prendre son solo à la déglingue, l’occasion unique de visualiser son génie) et «The Beat-Man Way» (clippé avec des marionnettes et superbe à la fois par le fond et par la forme). Voilà un DVD hautement sensible et chaudement recommandé à tous les dévots du Reverend Beat-Man. L’autre DVD indispensable de Beat-Man est le fameux «A Movie To Ruin Any Party» qui présente le label Voodoo Rhythm. C’est Beat-Man qui introduit la chose, du fond de son canapé - I’ve got to go to the office in the morning and put out records that nobody buys ! - Il insiste sur se côté underground de sa démarche et fait l’apologie du rock’n’roll primitif - I started a label because nobody wanted to put my records out - L’interview est entrecoupée par des plans filmés sur scène où il chante «I See The Light». On le revoit un peu plus loin avec les Monsters et les plans filmés sur scène sont des modèles de trash-garage apocalyptique. Il se pourrait bien que les Monsters soient les seuls à pouvoir atteindre le blow out total. Les deux autres grosses attractions de ce film sont King Khan et DM Bob. King Khan parle des gens qu’il admire comme Sun ra ou Charlie Mingus et il donne sa définition de ce que doit être le rock : «Simple and stupid is the only way to do anything. That’s all what rock’n’roll is all about !» Plus loin, DM Bob raconte sa découverte de Hound Dog Taylor et il se dit fier d’être originaire de la Louisiane - I love the sound of the Goldband Records from Lake Charles, they sound raw and primitive - Et il ajoute : «The way Beat-Man sounds, nobody does this like that anymore !» Bel hommage, pas vrai ?

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Retour des Monsters en 2011 avec «Pop Up Yours». Sur la pochette, ils font d’horribles grimaces. On trouve au moins deux cuts de génie sur ce nouvel album : «I Want You», un au-delà du garage doté d’une pulsation ultime. Beat-Man est si puissant qu’il envoie son cut droit dans l’œil de la lune, comme Méliès. L’autre ultime chef-d’œuvre se niche en face B : «Ain’t Crawling Back To You», gorgé d’un élan d’anticipation et monté sur un riff bourdon qui vole dans l’air mauve. On croirait entendre le riff tournoyeur de «Hey Gyp», tel que le jouaient les New Animals, mais Beat-Man déverse sa benne de trash. Quelle brute géniale ! Avec «Blow Um Mau Mau», Beat-Man refonde l’ordre des templiers du garage intemporel. Il ne peut agir qu’en parfait profanateur de concepts. Il chante «Ce Soir» dans un mauvais Français en roulant des r et avec «When I’m A Grown Up», il recycle un vieux gimmick pour le transformer en élan vital : le riff de fuzz éclate au plafond du Bus Palladium. Et puis il faut l’entendre hurler dans «Cry». Il y fait un numéro de screamer délétère. Il hurle dans le néant d’un chaos psychiatrique et pour envenimer les choses, il envoie gicler dans le nulle part de l’underground le meilleur solo de fuzz qui se puisse concevoir.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Beat Man vient de ressortir des vieux enregistrements des Monsters datant de 1994-95, «The Jungle Noise Recordings». Les amateurs de monstruosités s’y régaleront : «Psych Out With Me» bat tous les records de sonic punk undergut de garage dévastatoire. Beat Man y déverse son incroyable mélasse de fuzz et de guttural. Belle fournaise aussi avec «Searching», tous les démons du garage y dansent la carmagnole. Beat Man s’y comporte en parfait fouilleur de noise, en prévaricateur de fuzz, il fonce à travers la nuit comme une loco chauffée à blanc. C’est une façon de dire qu’il ne fait pas semblant. En B, il tape des reprises magistrales, comme par exemple le «She’s My Witch» de Kip Tyler, encore plus mythique que le mythique auquel on est habitué. Beat Man y respecte bien le poids de la menace. Dans «Mummie Fucker Blues», il fait du boogaloo de ha ha ha - My skin is so cold - Urgghhh !

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


À ses moment perdus, Beat-Man confectionne des compilations. Il sort de son armoire des disques étranges que personne n’aurait l’idée d’aller écouter et nous les propose dans des volumes compilatoires intitulés «Reverend Beat-Man’s Dusty Record Cabinet Vol 1» et «Reverend Beat-Man’s Dusty Record Cabinet Vol 2». Alors attention, certains morceaux compilés sur ces disques peuvent heurter les oreilles sensibles. Le volume 1 propose des choses particulièrement exotiques comme une version de «Satisfaction» par Los S Del Este, ou «After School Blues» chanté par un morpion nommé Sugar Chile Robinson. On entend les Tigers d’extrême-orient parler au téléphone et les Twlights chanter faux. Inutile d’ajouter que ce disque est destiné aux dévots de Beat-Man.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

On trouve sur le volume 2 des artistes mieux connus comme l’immense Sister Rosetta Tharpe, Louis Armstrong ou encore Miles Davis qui chante un groove dément. Beat-Man nous sort aussi de sa grande armoire un single du Reverend Kelsley, «I’m A Witness For My Lord», un cut de gospel énorme et primitif qu’il chante avec l’énergie du diable. On entend aussi un gospel des Staple Singers, le fantastique «I Had A Dream». Terrifiant. On comprend que Beat-Man ait pu être traumatisé par tous ces disques. En face B, se niche Django Reinhardt qu’on devrait écouter plus souvent, car son swing est une leçon de vie. Puis Eartha Kitt qui se prélasse dans les violonnades cotonneuses. Odetta ferme la marche avec «God’s Gonna Cut You Down». Elle fait autorité et on se félicite de fréquenter Beat-Man, car c’est un homme de goût. Après Time Warren (Back From The Grave) et Tav Falco, Beat-Man redonne du sens au grand art compilatoire.
In nomine Patris Beat Manus, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen.

Signé : Cazengler, grenouille de bénitier

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Monsters. Point Ephémère. Paris Xe. 6 avril 2015
Monsters. Masks. Record Junkie 1989
Monsters. The Hunch. Record Junkie 1991
Lightning Beat-Man. Wrestling Rock’n’Roll. Record Junkie 1994
Monsters. Youth Against Nature. Record Junkie 1995
Monsters. Birds Eat Martians. Voodoo Rhythm 1998
Lightning Beat-Man & The Never Heard Of Ems. Apartment Wrestling Rock And Roll. Voodoo Rhythm 1998
Reverend Beat-Man & The Un-Believers. Get On Your Knees. Voodoo Rhythm 2001
Monsters. I See Dead People. Voodoo Rhythm 2002
Monsters. The Worst Of Garage Punk. Voodoo Rhythm 2006
Reverend Beat-Man & The Church Of Herpes. Your Favorite Position Is On Your Knees. Voodoo Rhythm 2006
Reverend Beat-Man. Surreal Folk Gospel Trash Vol 1. Voodoo Rhythm 2007
Reverend Beat-Man. Surreal Folk Gospel Trash Vol 2. Voodoo Rhythm 2007
Monsters. Pop Up Yours. Voodoo Rhythm 2011
Monsters. The Jungle Noise Recordings. Voodoo Rhythm 2016
Reverend Beat-Man’s Dusty Record Cabinet Vol 1. Moi J’Connais Records 2010
Reverend Beat-Man’s Dusty Record Cabinet Vol 2. Moi J’Connais Records 2011
A Movie To Ruin Any Party. DVD Voodoo Rhythm 2006
Reverend Beat-Man. Surreal Folk Gospel Trash Vol 3. DVD Voodoo Rhythm 2007

PIGS MIGHT FLY

L'HISTOIRE CACHEE DE PINK FLOYD

MARK BLAKE

( Tournon / 2008 )

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Soyons honnête. Le Pink Floyd ce n'est pas vraiment ma tasse de thé. Ni mon godet de jack. J'ai fait des efforts. Les ai vus en concert en 1972, à Toulouse. De la bonne musique, d'ambiance proto-symphonique, mais en fin de compte plutôt ennuyeuse. Pas rock and roll pour deux pattes de flamant rose. J'ai récupéré le bouquin pour deux euros chez Noz sans moelle. Le genre de caramel mou que vous achetez tout en sachant que vous avez peu de malchance de le mastiquer. C'est sur mon lit d'hôpital que je me suis décidé, autant boire la coupe jusqu'à la lie et soigner le mal par le mal.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Remarquez le bibelot est assez intéressant, surtout en ses débuts, faut dire que cela se passe en un des moments les plus passionnants de l'histoire du rock and roll anglais, cette naissance du mouvement psychédélique qui reste une de ces périodes mythiques d'enthousiasme généralisé et d'exaltation de la jeunesse que nous n'avons connu que par procuration, les yeux et surtout les oreilles rivés sur cette vieille old England qui soudainement était devenue totalement folle et délirante. En France, il n'y eut rien de comparable, pour être optimiste nous décrèterons que nous avons pris le relai en mai 68, mais sous une autre forme, très peu musicale, mais politique, une déclinaison nationale issue des journées effervescentes de 1936.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Pour le restant de l'ouvrage, il semblerait que Mark Blake ait eu moins de documents en mains à consulter. Les témoins se font plus rares, c'est que nous changeons de régime, le psychédélisme fut un moment collectif de libération artistique, les témoignages abondent, de nombreuses monographies, de figures de proue comme d'illustres inconnus, ont laissé de multiples témoignages écrits, mais lorsque le groupe s'engage dans une carrière professionnelle, circulez il n'y a rien à voir. Achetez les disques. Munissez-vous de vos billets de concert. Et barjotez dans votre coin si cela vous chante, mais le Pink Floyd se mure dans une citadelle de silence.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


A tel point que Mark Blake en est réduit à se contenter des interviewes que les différents membres du Pink ont accordées, à lui-même et à différentes revues comme Q et Mojo. L'auto-commentaire possède ses propres limites. A fortiori lorsque les tensions internes sont aiguisées au maximum. La fin de l'ouvrage en devient d'autant plus pesante. Ajoutons que Mark Blake ne semble guère être un fan transi du groupe, ne manifeste aucune ferveur délirante, serait même plutôt sévère.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Le groupe est originaire de Cambridge. Tout un programme. L'équivalent en France ce serait Neuilly- Passy – Auteuil + Lycée Henry IV et les khagnes prestigieuses qui marchent avec. La morgue typique de la gentry britannique dans un écrin provincial de verdure. Difficile de faire pire. Des fils de bourges néanmoins touchés par la vague bluesy qui inonde l'Angleterre. Auraient pu évoluer comme les Stones, mais ils possèdent un côté arty qui deviendra le pôle orientatif de leur évolution. Quand on y réfléchit, le blues est une musique de basses classes...

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Etudes supérieures et musique. Les années passent, en 1965, le groupe est presque au complet sous le nom ô combien upper-british class de Tea Set : Richard Wright au clavier, Roger Waters à la basse, Nick Mason à la batterie, et cerise empoisonnée du gâteau Syd Barrett, le plus barré de tous. Le plus talentueux, qui joue de la guitare et au dandy. L'a le don de vous torcher une chanson en dix minutes, ce genre de ritournelles à la puissance cent, dont on se souvient dès qu'elles atteignent votre tympan et qui plus tard leur serviront à être remarqués par le public et les maisons de disques. Manque le dernier larron, David Gilmour, une vieille connaissance, perdu en d'incessantes galères avec son propre groupe sur les routes de France et d'Espagne. A force de gratter sa guitare en des conditions pour le moins difficile, il possède une solide expérience de la scène et est devenu, aiguillonné par la rage de vaincre, un très bon guitariste. L'a aussi un très bel organe. Je parle de sa voix.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Le groupe entre en mutation. Le blues est étiré démesurément, et pour peupler les longs passages instrumentaux ils sont peu à peu égayés de bruits divers. Mais attention, rien à voir avec le rock industriel des décennies futures, c'est du noise arty que l'on pourrait qualifier de concrétisme harmonieux. Le groupe, désormais surnommé Pink Floyd d'après les prénoms de deux obscurs bluesmen Pink Anderson et Floyd Council, à l'instar de Picasso quitte sa période bleue pour aborder son étape rose, très vite devenue multicolore grâce au light-show qui accompagne leurs prestations. Grande époque psychédélique de Notting Hill, la drogue permet à cette génération d'accéder à une réalité onirique à laquelle toute leur ascendance n'avait jamais eu accès. Car jusqu'à la découverte du LSD les portes de la perception étaient restées obstinément closes pour le plus grand nombre. La révolution devient une utopie intérieure, la descente sera terrible pour certains. Syd Barrett en demeure une victime des plus emblématiques : l'abus d'acide et de joints ont magnifié ses tendances bipolaires et paranoïaques que chacun porte en soi. Les crises de folie seront pénibles à supporter pour son entourage. Mais peut-être plus que l'herbe et les petits buvards fut-il davantage déstabilisé par la pression occasionnée par le succès grandissant du groupe. De tout l'orchestre il est peut-être celui qui avait le plus besoin d'une reconnaissance sociale forte, mais il fut aussi le premier à s'apercevoir que la célébrité n'était pas dépourvue de sérieux revers : au fur et à mesure qu'elle grandissait elle oblitérait et sa liberté existentielle et son indépendance d'artiste.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Les autres ont fait un autre choix : ce n'est pas la célébrité – celle-ci est parée d'une aura positive, l'idée que vous avez accompli de belles choses pour le bien-être de l'humanité – qu'ils recherchent mais le pouvoir. L'est clair dans leur esprit que c'est l'argent qui vous permet d'acquérir votre liberté. Cette vision philosophique très réaliste est portée par Waters qui, une fois Barrett abandonné à son triste sort, a pris les rênes du groupe. C'est un bosseur, se met à la composition, au chant, apporte des idées et arrive à négocier avec la maison de disque des contrats beaucoup plus avantageux... Du coup se crée une opposition latente avec l'autre forte tête Dave Gilmour qui remplace Syd, et qui possède deux atouts indiscutables, une superbe habileté instrumentale, et une registre de voix bien supérieur à celui Waters qui comble de malchance ne chante pas toujours juste...

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Le succès sera lent à venir, mais s'accroîtra d'une façon exponentielle. Le Pink rentre dans le rang, abandonne le bruitisme aventureux pour rejoindre cette belle musique harmonieuse et un tant soit peu éloquente qui ravivait les ados enchantés de poser le disque sur la platine en déclamant fièrement face aux parents : « Ecoutez, l'on dirait de la muique classique ! ». Plus perfidement Mark Blake n'oublie jamais de noter les nombreux emprunts du Floyd, de Stockhausen à Ennio Morricone...

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Waters, dont le caractère de cochon ( ne cherchez pas loin la signification symbolique du porc de baudruche volant qui leur sert de mascotte ) s'alourdit à chaque relevé de royalties, en arrive à penser qu'il est le seul membre indispensable du groupe. Mettrait bien les copains dehors mais les trois autres font front et c'est lui qui se retrouve obligé de débarquer du navire dès 1985.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Le Pink désormais managé par Gilmour continuera sa route. Ce n'est plus comme avant. L'on vole moins haut mais l'on ne rase pas les toits non plus. Une tournée de dix-huit mois rapportera des millions de dollars... de quoi faire enrager Waters dont la carrière n'est guère sur une courbe ascendante. En est réduit à redonner The Wall, sa création, sur le mur de Berlin avec décors wagnériens à la clef... Waters et Gilmour ne se parleront pas pendant vingt ans. Le Pink met la clef sous la porte définitivement en 1995. Ne se reformera en entier pour le Live 8 de Bob Geldof en 2004 le temps d'interpréter quatre morceaux.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Froissements d'égo et de billets de banques... Nos quatre jeunes gens en rupture culturelle des années 64 à 68 n'ont jamais remis en cause la stratégie commerciale de leur label que ce soit Harvest ou Columbia, deux branches d'EMI. Ont accepté de devenir un super-groupe à la Rolling Stones ( préservés de toute excommunication par leur passé légendaire et leur image de bad boys ), une machine à fric, d'ailleurs quand Blake trace leur portrait il ne peut s'empêcher de les comparer à des experts-comptables ou à des architectes en retraite. Ont rempli les lessiveuses mais ont payé le prix fort. A lire entre les lignes leurs propos désabusés il semblerait qu'ils aient perdu le bien le plus précieux de tout individu qui se respecte : l'estime de soi. En définitive Barrett est celui qui s'en serait le mieux tiré. A connu des moments très durs, encombrés de troubles bipolaires, a beaucoup grossi, a perdu ses cheveux, mais a fini par se construire une vie d'amateur d'art effectuant régulièrement le trajet Cambridge-Londres pour visiter les galeries de peinture...

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,


Peu de drogue – car très vite nos cadors appliquent une auto-discipline très stricte d'ascèse volontaire. Peu de sexe – d'abord pudibonderie typically british, ils n'en parlent point. Pour vous donner une unité de mesure l'on rencontre davantage de groupies dans les dix premières pages du livre qu'a consacré Michel Mallory à Hallyday que dans l'ensemble du pavé de Mark Blake. Ces messieurs se sont mariés ( plutôt deux fois qu'une ) et les préséances entre ces dames furent sources de maintes ambiances plombées... Au final cut, peu de rock and roll – du moins pas celui que l'on écoute en règle générale du côté de chez Kr'TNT  !


Vous ai tenu au courant, vous n'êtes pas obligé de lire. De toutes les manières, ce qui ne vous tue pas, vous rend plus fort.


Damie Chad.

JOHN COLTRANE

XAVIER DAVERAT

( EDITIONS DU LIMON / 1995 )

 monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat

Pour Patrick Geffroy,

Aurais-je eu la patience de lire le bouquin si je n'avais été cloué au lit à l'hôpital ? Je ne le crois point, surtout que je l'avais arrêté après sept ou huit pages, cet été. Pour les futurs acharnés, je précise que ce livre de Xavier Daverat – professeur de droit spécialisé en propriété intellectuelle, défenseur de la tauromachie, fervent de Jazz – a remanié son ouvrage désormais accessible en librairie sous le titre Tombeau de John Coltrane, paru chez Parenthèses Editions ( une trentaine de titres sur les grands du jazz ) en 2012.

 

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat


On est foutu, c'est du touffu. La figure humaine de Coltrane, Xavier Daverat n'en parle pas, à peine une quarantaine de lignes si l'on met côte à côte les rares allusions disséminées dans son book. Daverat doit être un structuraliste qui s'ignore. L'oeuvre se suffit à elle-même. Nous avertit dès la quatrième de couve. Pas d'anecdotes biographiques. Rien de croustillant à se mettre sous la dent. Du dur de dur. Du moellon concentré. Du béton armé. Indigeste pour les aficionados de la jazz attitude ( sex , drugs and groove ), passionnant pour les amateurs de l'analyse musicale. De la musicologie pure. Un accélérateur de haine suprême à vous dégoûter de Coltrane jusqu'à la fin de votre séjour en ce bas-monde. Vous ne me croyez pas, avalez sans ciller les cent premières pages. Après un tel pensum, difficile de pousser oultre. Ou alors faites-le à la Chateaubriand, à l'outre-tombe. Parce que le destin de toute biographie est de s'achever à la mort du héros. Et pour notre bonheur de lecteur, Coltrane ne pousse pas les rallonges de la vie jusqu'à ses quatre-vingt dix ans. Décède décemment à quarante et un ans.

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat


Vous soupirez d'aise, vous êtes parvenu à sortir vivant des cent premiers feuillets, vous croyez avoir traversé votre Sahara, d'après vos fausses déductions, les cent vingt pages restantes ne pourront vous proposer qu'un climat plus serein. Pauvres malheureux. Vous venez de traverser la ceinture verte des oasis. C'est maintenant que vous quittez le jardin de l'Eden, c'est maintenant que commencent les dunes de sable mouvant et les regs pierreux infestés de serpents venimeux. Xavier Daverat n'est pas homme à se laisser arrêter par la disparition de son champion. Le roi est mort. Vive les roitelets. Coltrane out, se pressent en nombre les descendants, les fils héritiers comme les progénitures maudites. N'ayez crainte, Daverat nous les énumère tous. Du plus proche au plus éloigné. Vous les classe et vous les étiquette. Un par un. Une véritable revue militaire. Doit en citer cent cinquante. Z'avez z'intérêt z'à z'être fin gourmet de jazz pour vous y retrouver dans le labyrinthe. Je sens déjà que le perfecto des rockers pâlit à vue d'oeil, tombent comme des mouches. Courage !

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat


Au bout du bout, huit pages sur le rock and roll ! Pour un peu en guise de remerciement vous vous précipiteriez pour brûler un cierge de remerciement béni par le pape devant la statue de la sainte vierge. Inutile d'entonner une centaine d'Ave Maria, vous tombez dans le marécage du jazz-rock : Weather Report, Mahavishnu Orchestra, Santana ( en ses pire moments d'aube blanche de communiant ), zut, mille fois zut ! On respire : deux feuillets sur Magma. Très critiques. Je vous en résume la philosophie générale : du sous-Coltrane. Peut-être bien, mais Xavier Daverat l'oublie toutefois l'impact, la force et la puissance de Magma. Tout ce qui entre nous différencie le jazz du rock and roll. Le fossé êtral qui sépare les évitements pervers du serpent sinueux de la férocité du tigre mangeur de fans.

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat


Pourtant l'on eût aimé qu'avec sa science musicale Xavier Xavier Daverat nous expliquât les réminiscences reconnues et revendiquées de la musique de John Coltrane par des groupes tels que les Stooges et le MC 5. Nous commentât comment de la volonté de Coltrane de jouer fort, vite et longtemps s'établit la filiation de cette sursaturation phonique du rock and roll au milieu des années soixante. Selon moi, si l'on peut parler de rencontre génitrice entre rock et jazz, ce n'est pas dans le pompeux et stérile délire de l'impasse instrumentiste du jazz rock, mais justement en ces accointances séditieuses et clandestines de la violence du rock and roll avec la brutalité post-boppique du jazz.

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat


Miles Davis lui-même avait compris que son influence sur la rock music des années soixante-dix était un leurre. Rendait à César ce qui appartenait à Coltrane. Ce n'était point parce que John McLaughlin tenait la guitare sur In a Silent Way, que son influence sur la musique rock était prépondérante. Laissait le rôle à John Coltrane. Un esprit un peu pervers se demandera si ce n'était pas là un cadeau empoisonné. Miles refilait la barbaque avariée de cette zique de sous-musiciens à son pote Coltrane, revendiquait seulement pour lui l'impasse du jazz-rock comme la preuve qu'un enfant bâtard n'accèderait jamais à la noblesse originaire et paternelle. Peut-être même peut-on voir en cette inconsciente réappropriation de la culture jazzistique une volonté de définir celle-ci en tant que matière (exclusivement) noire. Dans cette veine d'idée l'on constatera que Coltrane est peut-être le musicien de jazz qui le premier s'affranchit du cadre du blues. Avec lui, les blue-notes en voient de toutes les couleurs. La chose – je n'ai pas dit la New Thing – est vraisemblablement beaucoup plus complexe que je ne l'exprime avec mes grosses et fluettes chaussures de daim bleu, John Coltrane tenait le saxophone sur Kind of Blue de Miles Davis...

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat


Si Coltrane est bien un transfuge du Be bop il opère par débordement. Le saxo de Parker avait arraché le beat primordial du groove à la ronde infernale du swing, cercle vicieux de la rythmique primordiale qui se mord la queue, et il le déploya en séquences articulées en tant que ruptures soudaines de l'achèvement d'une phase primaire explorée en ses nombreuses efflorescences dé-constructives. Ainsi peut-on dire que si Parker fut l'inspirateur originel et séminal du futur saccage opéré par la New Thing, Trane est un adepte de l'intensification à outrance, se contente de découper en minuscules segments qu'il répète à satiété, mais en augmentant chaque retour d'une impédance potentielle sinuosoïdale, de telle manière qu'il opère un décalage elliptique qui brise le cercle et le transmigre en spirale ascendante. Toute sa spiritualité provient de cette communion avec cette bouche béate, ce sexe béant, de ce que Rainer Maria Rilke appelait l'Ouvert, ces lèvres d'ombre qui permettent de transgresser la partie obscure de l'univers qui se dérobe à nos sens, et que l'on ne perçoit que par une ascèse de création poétique.

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat


Coltrane se rapproche par cette intumescence incessante de la tempête du free, se colle à cette matrice en gestation, mais ne franchit jamais le Rubicon de la percée des eaux. La New Thing était trop politique pour lui. L'on n'entretient pas une relation exigeante et privilégiée avec ce que les premiers grecs nommaient le sophon ( en opposition avec la prudente sophia platonicienne ) pour condescendre à s'abaisser à tous les cadres moraux du pré-établi humain. Selon Trane le marteau nietzschéen de la démolition est manié à contre-emploi si l'on se contente d'en écraser les parois de nos prisons autant sociales qu'intérieures. S'en servait pour tracer une galerie qui s'enfonçait dans ce qu'il faut bien se résigner à nommer le divin. A Love Supreme est l'exaltation catholique – au sens strictement étymologique d'universel – de la ferveur chrétienne du gospel. Voire du negro-spiritual si l'on désire s'en tenir à la revendication noire. L'on comprend mieux ainsi pourquoi Coltrane s'est acharné à dépasser l'originelle musique du diable que reste le blues. L'on est ici bien loin de toute préférence personnelle, de ces goûts et ses couleurs qui ne se discutent point pour la seule raison qu'ils ne sont que les écorces mortes et aléatoires de la formation de toute édification de notre part la plus intime, de notre individuation historiale. Le saxo de Coltrane c'est l'orchestre du Titanic qui joue Plus près de toi, my Lord, au moment même où l'océan engloutit le navire. Pas de panique, la mer mortelle et toujours recommencée est composée en son entier de particules d'amour. La mouche qui tombe dans le verre ne fait que l'amour avec de l'eau. L'univers est un liquide symbiotique strictement universel. Extase amniotique.

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat


Pouvait difficilement aller plus loin. Trane est mort jeune, car quand on en arrive à de telles extrémités créatrices, il ne reste plus qu'à se répéter jusqu'à la fin de son existence. L'avait horreur de bégayer avec son saxo. Finalement Xavier Daverat n'a pas eu tout à fait tort de liquider toute la phénoménologie existentielle du musicien. Pas un suicide, mais l'intégration dans la trame du vécu de la non-nécessité de continuer. La survie n'est que la négation de la vie. Resterait maintenant à théoriser la récupération de la brûlure incandescente de la musique métaphysique de Coltrane dans l'esthétique de deux des combos les plus explosifs du rock and roll. Me contenterai de percevoir celle-ci comme une simple annexion toute païenne, un peu comme Julien tentant de rétablir l'Imperium tout en étant un fils de l'hélios-roi plotinicien. Mais cela nous entraînerait trop loin.

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat


Pour le lecteur curieux nous lui conseillerons de méditer sur le chapitre consacré à l'un des musiciens de Coltrane intitulé : McCoy Tiner ou l'esthétique orphique... Preuve que cet ouvrage est beaucoup plus riche que ma facétieuse introduction pourrait le laisser présager. Que voulez-vous le rocker est toujours moqueur. Les amateurs de rock ne dédaigneront pas non plus les pages consacrées à l'analyse du style d'Elvin Jones. Ce monstrueux batteur sur les genoux duquel Christian Vander a reçu tout jeune des leçons essentielles de frappe... Les quatre cents coups qui forment la jeunesse.


Damie Chad.


Pour tous ceux qui penseraient que les rockers n'ont aucune ouverture d'esprit ( c'est vrai, mais je ne me soigne pas ), je recopie ici une chronique de disque CD de François Cotinaud que Xavier Daverat dans son livre présente ainsi : «  François Cotinaud, lui, a conscience d'avoir emprunté à Trane sans travail spécifique par rapport à Coltrane. Il part plutôt d'Archie Shepp pour en venir à Wayne Shorter, et il est vrai que sa sonorité rugueuse et son jeu dense doivent le situer parmi les musiciens cités ici. Il a intitulé une de ses compositions John Wayne en hommage à John Coltrane et Wayne Shorter. »

LOCO SOLO / FRANCOIS COTINAUD
CD. 58'. Label Musivi. 105 avenue du Belvédère
93310. Le Pré Saint Gervais
Distribution Mélodie.

Prise de son : Laurent Thion. Photos : Ramon Lopez. Léa Ciari.
Pochette : Patrick Geffroy. Graphisme : Olivier Guichard.
Textes : François Cotinaud. André Murcie.

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat

Agréable surprise ce compact jazz qui nous offre en couverture une peinture de Patrick Geffroy dont nous avons beaucoup parlé dans Alexandre N° 33. Mais ceux qui auront lu la chronique jazz de Patrick Geffroy dans le précédent numéro ne seront pas vraiment surpris de retrouver son Passage des Ombres en figure emblématique de cette aventure musicale.
Si François Cotinaud a tenu à ce que la photo de Patrick Geffroy figure, en signe de complicité amicale et même d'affinité spirituelle, sur la rondelle même du disque, il n'en reste pas moins que nous sommes ici face à une oeuvre de solitaire, une de ces tentatives jusqu'au-boutistes de l'art qui ne peuvent se décliner que selon un personnel, initial, et originel dessein égotiste.
La problématique est simple : un homme seul avec son instrument. Un musicien face ( avec, contre ) à son saxophone. De jazz, car il s'agit bien de jaser avec son outil à musique, de rentrer en lui une longue conversation essentielle et d'en ressortir des sons qui ne soient plus aléatoires mais significatifs du projet qui les engendra, les poussa dans le tube, les éructa à la face du monde.
Sans concession : François Cotinaud. Ils sont des milliers chaque jour à s'esquinter à apprivoiser le tube magique, à en tirer miaulements et feulements divers. Mais ce ne sont qu'efforts, essais, tentatives, brouillons d'un entraînement opiniâtre à atteindre une certaine maîtrise qui donne accès au droit de jouer. Les gammes avant le programme en quelque sorte !
Et voici que François Cotinaud refuse l'ambivalence du jeu qui consiste, toujours un peu, à faire semblant. Jouer de la musique ne lui suffit plus : ce CD est à écouter comme une tentative de dépasser, non pas la musique, mais l'amusement métaphysique d'une certaine sociabilité de la musique. Cette musique dont on dit qu'à défaut d'adoucir les moeurs elle arrondit les angles.
Le disque commence par une longue expiration, comme s'il fallait d'abord vider l'instrument de toutes ses scories musicales, comme s'il fallait faire le vide, mais à la manière d'un ballon qui se dégonfle et rejette tout l'air ( tous les airs) qui ont manifesté sa présence et son passé musical. Peut commencer alors le travail des rémanences essentielles, des retrouvailles nuptiales avec quelque chose dont la musique procède et que l'on pourrait appeler l'ère culturelle du son et du sens. Et l'on n'est nullement surpris d'entendre François Cotinaud se mettre à siffloter une arabesque de Thelonius Monkou le riff de L'Hymne à la joie d'un certain Ludwig Van Beethoven ! Berio, Queneau, Baudelaire arrivent en renfort on ne sait ni comment ni pourquoi, mais leur présence s'impose, nécessaire et évidente, absolue et totale. Quoi que l'on pourrait penser, l'on est à mille lieues d'un inventaire à la Prévert : l'on serait plutôt dans l'alignement dodécaphonique de séries transitoires, dont la disposition, pli selon pli, pour reprendre une terminologie mallarméo-boulézienne, tendrait à indiquer l'unique pâmoison combinatoire de tous les cheminements possibles.
Solo. Loco Solo. Le lieu seul comme seule folie permise. Car il s'agit bien pour François Cotinaud d'une tentative un peu folle d'un dépassement, d'un surpassement ( le terme en est mieux approprié ) du simple fait de souffler dans un instrument. Parfois une certaine éthique esthétique contraint le Musicien, et François Cotinaud fait partie de cette race, à refuser à sa musique de se déployer selon un simple mode de médiation sociale ou d'être une copie conforme du divertissement pascalien.
François Cotinaud tente d'arracher sa pratique instrumentale à la gangue illusoire de la maya pour l'équaliser à la géométrique proportionnalité de l'harmonie des sphères célestes. Inutile de vous faire un dessin : c'est un disque difficile qui ne s'abandonne pas à la première écoute. Les amateurs de variétoche auront du mal à y dégoter une musique d'ambiance pour leur répondeur téléphonique mais les passionnés de free-jazz et de musique contemporaine seront comblés.


Damie Chad.
In Alexandre, mensuel de littérature polycontempraine,
N° 39 de Mai 1998.

Nous faisons suivre cette recension de l'introduction du supplément gratuit du Numéro 44 d'octobre 1998 du mensuel de Littérature Polycontemporaine Alexandre, destinée à présenter François Cotinaud à un public éclectique. Il improviserait devant les tableaux en toiles de fond lors de l'ouverture de l'exposition de peinture de Patrick Geffroi et Léa Ciari à Provins, ce même mois d'octobre 1998.Texte relativement prophétique quand l'on sait que François Cotinaud fondera en 2013, à Paris, le premier festival de Soundpainting.

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat

LOCOTINAUD !

IMPROVISATION MUSICALE AUTOUR DES PEINTURES
DE PATRICK GEFFROY ET LEA CIARI

Il n'y a pas de hasard, seulement des rivières qui se séparent pour mieux se retrouver, ou alors ( mais la chose est plus difficile à entendre ) les sources sont-elles peut-être orientées selon des lignes de crêtes qui dessineraient de mystérieuses partitions sur les flans abrupts de nos parnasses intérieurs.
Hippocrène! Cheval fou de l'onde amère ! Les muses dansent toutes ensemble la même sarabande ! Leurs pieds tracent de drôles de signes sur le sol des origines. Le pipeau des dieux nous flagelle les nerfs. Euterpe et Calypso échangent leurs robes. Qui ne s'arracherait l'oeil, le souffle ou l'image, pour entrevoir cette auguste nudité !
Seul l'artiste sait s'avancer sous le porche ombré. Il est le seul à détenir assez de clairvoyance apollinienne pour s'adonner à cette sombre folie dionysiaque. Solo ! Cotinaud ! Solo ! Cotinaud ! Loco ! Le seul assez fou pour jouer le jeu du don. Se mettre face à face et voir venir, front contre front et éructer la rage du vouloir vivre dans le feulement pneumatique de toutes les violences du monde, et ses tendresses, et ses douceurs, toutes ces émotions qui furent reçues comme autant de coups et de blessures portés au coeur même du cortex, et rendues, vomies à la gueule de ces peintures de Léa Ciari et de Patrick Geffroy.
C'est que l'on n'improvise pas la musique comme un pique-nique. Vous qui passez impassibles devant les tableaux, savez-vous, que pour les ondes de lumière qui composent les déclivités aberrantes des toiles, vous êtes comme des statues ambulantes et mortifères, qui s'en vont au bout de la galerie, croyant visiter une exposition, alors qu'elles ne font que s'approcher de l'allée funèbre des cimetières qui les enseveliront pour toujours. L'oubli déjà alourdit vos pas et efface vos traces.
L'improvisation musicale de François Cotinaud, ce dimanche d'octobre très chronologique, ne devrait pas vous être délassement dominical. La télévision, ces cercueils extra-plats en vente dans toutes les grandes surfaces de la médiocrité humaine, est là pour pourvoir à ces amusements subalternes. Venez-y plutôt, comme à un rite propitiatoire, nécessaire à l'exhaussement de votre existence. L'art se doit d'être une cérémonie païenne. Peintures et musiques sont les voiles métaphoriques des aspersions sanglantes et lustrales qui président aux hécatombes. Loco, Locotinaud ! La vache céleste et le taureau invincible. Corrida métaphysique de la mort et de l'hymne à la joie !

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat


Damie Chad.

LES INROCKS

/ H.S. N° 78 / 04 - 2016

LA BIBLIOTHEQUE ROCK IDEALE

monsters,pink floyd,john coltrane-xavier,francois cotinaud,patrick geffroy-lea ciari,daverat


Pour Richard,


N'apprécie guère les Inrocks. Le magazine pue trop la bonne pensée consensuelle de cette droite pseudo-mollassonne que l'on appelle le Parti Socialiste. Cet axiome de base étant posé, la revue m'ayant été offerte par un copain, le sujet concernant de près ce que nous mettons en oeuvre très régulièrement dans notre blogue, le l'ai lu en entier. Mon voisin de lit de quatre-vingt ans, entièrement nu, préférant se lancer sur son lit dans un pogo dévastateur que n'aurait pas renié Sid Vicious, aux temps bénis du punk. Infirmières en folie. Moment très rock and roll !
Nous présentent près de deux cents livres. Beaucoup en anglais car non traduits. Sur la centaine restante nous vous en avons commenté plus du tiers. Un gros défaut chez les Inrocks ne savent pas que le rock a commencé dans les fifties, à part le Wild Party de Max Décharne surl e rockabilly et le Guralnick sur Elvis ( Last Train To Memphis )... apparemment n'ont jamais rien lu sur Little Richard, Bo Diddley, Chuck Berry, Eddie Cochran, Gene Vincent et Vince Taylor. Objection, votre honneur Damie, ils mentionnent le Hell Fire de Nick Toshes, gloire à notre seigneur Jerry Lou... Oui mes loupiots, y sont un peu obligés puisqu'ils consacrent trois pages à Nick Toshes – très belle photo d'ailleurs. C'est la politique de la maison, présente les incontournables : Greil Marcus, Lester Banks, Nick Kent, Toshes bien sûr... oui que des étrangers, question français une page pour Chalumeau, un encart pour Yves Adrien, et une interview pour Michka Assayas – l'on n'entend plus que lui sur France Culture et France Inter depuis qu'il a sorti son roman sur son fils, l'est peut-être bien, ne l'ai pas lu, mais à chaque fois les journalistes empruntent une voix mielleuse pétrie de bons sentiments à gerber.
Le problème c'est que l'amateur de rock and roll moyen a la réputation d'être un petit lecteur, alors vers la fin l'on a droit à deux chapitres sur les images ( pochettes de disques, photographies ) et la BD. L'on se hâte de dérouler le tapis rouge aux grandes stars : Patti Smith, Keith Richards, Led Zeppelin, Rolling Stones, Bob Dylan, John Lidon, Kurt Cobain, Paul McCartney, auteurs, ou co-auteurs, ou simples sujets d'études, sont là pour appâter le client et satisfaire leur régime alimentaire habituel.
Les amateurs retrouveront avec plaisir des figures moins connues – tout est relatif - comme Andrew Loog Oldham et Chuck Klausterman dont Rivages Rouge a traduit son délectable Fargo Rock City qui nous conte dans un coin perdu du Dakota les émois d'un adolescent tiré de sa torpeur paysanne par les cliquetis diaboliques du Heavy Metal.
Questions éditeurs, Allia, Rivages Rouge, Le Mot et le Reste se tallent la part du lion, Scali n'apparaît qu'une fois et Camion Blanc ne se gare pas très souvent sur le parking. Ce numéro se lit comme on feuillette un album de photos de famille. On reconnaît très vite tout le monde. L'on remet ainsi rapidement les visages qui ne nous disaient plus rien. C'est agréable et ça fait toujours plaisir. Mais une fois que l'on l'a refermé, l'on se dit que l'on n'a pas appris grand-chose. Et que tout de même, il manque les fils maudits qui croupissent en prison et les filles dévoyées qui sont parties faire le tapin in the house of the rising sun.


Damie Chad.

 

 

 

 

04/06/2016

KR'TNT ! ¤ 284 : LONNIE MACK / ELVIS PRESLEY / ANTISOCIAL

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

A20000LETTRINE.gif

LIVRAISON 284

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

02 / 06 / 2016

 

LONNIE MACK / ELVIS PRESLEY / ANTISOCIAL

MIC MACK

a9948dessinlonnie.gif

Le pauvre Lonnie Mack vient de casser sa pipe. Les amateurs de blues électrique le connaissaient bien. Comme Albert King, Lonnie Mack avait adopté très tôt la Flying V, une guitare célèbre pour l’agressivité de son son.
Originaire de l’Indiana, comme les deux compères de Left Lane Cruiser, Lonnie Mack s’imposa dès le début des années soixante comme virtuose. Il jouait un peu de tout, du blues, du rock’n’roll, du rockab mais aussi et surtout une sorte de soul blanche qu’on appelle par ici la blue-eyed soul. En homme complet, il jouait de la guitare comme un crack et disposait d’une vraie voix. Quand on l’écoute, on pense bien sûr à Johnny Winter.
La principale qualité de Lonnie Mack fut son mépris de la notoriété et du music-business. Il fonctionnait un peu à l’ancienne, comme Kris Kristofferson dans «The Gates Of Heaven» : il préférait la vie au calme dans son ranch. Et comme il avait du sang indien dans les veines, mieux valait ne pas l’importuner. La vie à Los Angeles le rendit malade. Lonnie était un country boy et il ne supportait pas la superficialité des gens. Il n’avait pas encore trente ans lorsqu’il décida de se retirer à la campagne. Plus question de jouer les rock stars. Ce petit jeu n’était pas pour lui. Et Lonnie rajouta dans la balance une belle dose de spiritualité, ce qui évidemment nous éloignait des préoccupations bassement matérielles du rock’n’roll. Comme tous les vieux rancheros du Midwest, Lonnie lisait la bible.

a9959photo.jpg


On connaissait sans doute plus Lonnie Mack pour son travail de session-man que pour ses propres disques. Syd Nathan, boss de King, l’engagea comme guitariste pour accompagner des gens comme Freddie King ou James Brown. On sait aussi que Lonnie joua sur «Morrison Hotel» des Doors. Son premier album, «The Wham Of That Memphis Man», date de 1963. C’est là que se niche le fabuleux instro qui le fit connaître, «Wham» et qui fit baver pas mal de petits guitaristes américains en herbe.

a9949wham.jpg

On entend pas mal de blistering solos sur cet album, et notamment dans «Suzie Q». Ses solos disent les choses mieux que personne. Au dos de la pochette, on qualifie Lonnie de «fretboard speeder». Ce mec savait bien ficeler son truc. On le traitait même de «founding father of modern rock guitar». Eh oui, il se pourrait bien que Lonnie soit l’un des pionniers de la guitare électrique américaine, sauf que le vrai pionnier, c’est une femme du nom de Sister Rosetta Tharpe, ne l’oublions pas. Si Lonnie avait su jouer comme Rosetta, eh bien les poules auraient eu des dents, pas vrai ? On raconte aussi au dos de cette pochette que Lonnie Mack brûlait deux ou trois Cadillacs par an, à force de tournicoter dans le pays. On l’y traite aussi de «rough-and-ready roadhouse rocker». Ce dos de pochette est une véritable mine d’informations ! Avec «When There’s A Will There’s A Way», Lonnie révélait sa vraie nature qui était celle d’un chanteur de gospel. Et quel chanteur ! Avec «Baby What’s Wrong», on goûtait au «good old Cincinnati blues and rock groove», ce son unique au monde qui fit la réputation de King Records. Le vrai hit du disque est la version de «Memphis» qu’on trouve en fin de face B. Lonnie la jouait à l’envolée claquouillée du downtown. On voit bien qu’il faisait ce qu’il voulait de sa guitare et des notes de musique. Il jouait ses solos rondement. Ce bourlingueur naviguait dans les trois États, Indiana, Ohio et Kentucky. C’était un franc-tireur qui sortait des bois au bon moment, comme Jim Dickinson.

a9950glad.jpg


«Glad I’m In The Band» est le premier des trois albums qu’il enregistra sur Elektra. Attention, c’est un gros disque ! Quelques énormités se nichent sur cet album, à commencer par «Why» que Lonnie chante au guttural, mais un guttural un peu spécial qui est celui de l’homme qui parvient à braire à force de souffrir. On sent chez lui le soulman blanc de haut rang, le même genre de carcasse que Greg Dulli. Il sait aller chercher le raclement de gorge impavide. Et puis c’est un guitariste vraiment hors du commun. Avec «Save Your Money», il nous sort une belle pièce de r’n’b blanc. Lonnie chante sacrément bien et on en arrive aux choses sérieuses avec «Too Much Trouble», un blues-rock au son monstrueux, monté sur un énorme groove de basse. Ces mecs jouent comme des dieux. Et Lonnie part en solo, alors on atteint les limites de la démence. Il joue comme un punk au doigt tremblant. En face B, on retrouve une version de «Memphis» et quelle version ! Lonnie la vrille d’un solo ravageur. On comprend qu’il ait pu fasciner Duane Allman et Jeff Beck. Et voilà «Roberta», une grosse praline de boogie blues. Lonnie y balance un solo infernal. Il est probablement l’un des guitaristes les plus fulgurants de l’histoire du rock. Les autres morceaux sont de la soul blanche. Lonnie va chercher en lui les ressources pour pondre le meilleur le mélopif cuivré du Midwest.

a9951whatever.jpg


Avec «Whatever’s Right» paru en 1969, on est au cœur de la période Elektra. Voilà un album bourré de groove. Lonnie attaque avec «Untouched By Human Love», pur groove embourbé dans le meilleur mud, avec les coups de Flying V en fond de toile. C’est l’une des plus belles pioches de blues-rock américain. Tim Drummond joue des basslines de grand chef. Voilà un cut digne des grandes heures d’Albert King. Il tape dans Bobby Womack et reprend «I Found A Love». Lonnie n’avait pas les yeux bleus, mais c’est un spécialiste de la blue-eyed soul. Il adorait chanter comme James Caar, à la glotte tremblée et la lippe tendue vers l’inaccessible étoile. Le cut est bon, car il est signé Bobby Fricotin. Et Lonnie envoie des gros coups de Flying V dans le gras de la vaseline du groove. Puis il revient au boogie traditionnel avec «Share Your Love With Me». Ça swingue ! Ah pour ça, on peut lui faire confiance. Et on entend les jolis chœurs des Sherlie Matthews Singers. On est donc dans les conditions optimales. Lonnie prend un beau solo au timbre fêlé d’oxyde et nous offre un final hurlé à la ya yah. Fulgurant ! Il reprend aussi le fameux «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed avec une belle agressivité. Lonnie envoie de jolies rincettes de distorse et chante comme le dieu du boogie, avec un brin de salive sur la glotte. Just perfect, dirait un Anglais. En face B, on tombe sur un «Mr Healthy Blues» digne de Roy Buchanan, un blues extraverti sevré de guitare et monté au bass boom de Tim Drummond. Ah quel rêve ! Lonnie envoie un solo languide qui s’en vient couler au long du twelve bars avec une sacrée classe. Son blues est gorgé de son et de talent. Imparable car interminablement bon et secoué. Il fait aussi une version du «My Babe» de Big Dix et la farcit d’un solo de punk. Lonnie pouvait devenir le killer du Nevada quand il voulait. Il suffit de voir sa photo au dos de la pochette. Il fout un peu la trouille.

a9952indiana.jpg


On passe aux albums bucoliques avec «The Hills Of Indiana» paru en 1971. Lonnie se retire du circuit et reste assis contre un arbre pour observer sa vallée à longueur de journée. L’album se veut à la fois calme et beau. Le seul cut un peu remuant est le premier, «Asphalt Outlaw Hero», enregistré à Muscle Shoals et qui par son côté foisonnant et sa chaleur de fournaise semble porter la marque du diable. Les beaux cuts se nichent en face B : «Rings», balladif groovy et lumineux, et puis «The Man In Me», balladif de haut vol qui sent bon l’intégrité. On sent à l’écoute du cut que Lonnie Mack n’est pas un baltringue. On note aussi la présence de Don Nix sur les deux derniers titres de la face B : il joue du sax sur «All Good Things Will Come To Pass» et toute l’équipe de Muscle Shoals se regroupe derrière Lonnie. Don Nix chante le dernier cut, «Three Angels» qui est en fait une sorte de gospel blanc.

a9953lonnie.jpg


Puis il passe chez Capitol pour enregistrer «Lonnie & Pismo» en 1977, un fantastique album bardé de blues-rock bien heavy comme il aimait à les jouer : «Mexico» - C’mon I’ll take you down to Mexico - Dans le refrain, il chantait presque comme Johnny Winter - Then you’ll whisper something to me oooh oooh sweet ans slow - Voilà une fantastique pièce de heavyness bien drivée au guttural. On retrouve le Lonnie qu’on vénère pour le poids des accords. L’autre pièce de big bombast se trouve en face B : «Hug Me Til It Hurts». C’est son truc, son péché mignon, sa religion et sa vocation - I’m just a redneck turkey/ A foolin’ with a goose - il blaste et finit le cut avec un coup de chapeau à Jimmy Reed. Sur «Lucy», il va au chant avec la même attaque que Johnny Winter. Puis il part en boogie comme d’autres partent en virée. Il passe aussi un balladif à la Tony Joe White avec «Ebony And Ivory» : il raconte l’histoire des deux filles, une blanche et une noire qui s’aperçoivent au final qu’elles ont le même père. Graham Nash vient chanter avec Lonnie sur trois cuts de l’album dont le dernier, «Drift Away Again», vraiment digne des grandes heures de Crosby Stills & Nash. Voilà un pur balladif qu’on ne quitte pas des yeux. Comme d’ailleurs «Country» qui fait l’ouverture, où Lonnie annonce qu’il va quitter la ville pour rejoindre la campagne - I’m a gonna live my life just a bein’ country - Inutile de discuter.

a9954home.jpg


Sur la pochette de «Home At Last», on voit que Lonnie a grossi. Il porte la barbe, son chapeau de ranchero et un blouson de denim. Il faut attendre «Funky Country Living» pour renouer avec le joli beat cavaleur. Lonnie sait ficeler un bon standard, d’autant que derrière, les cuivres y vont de bon cœur. On note une fois de plus l’aspect exceptionnel de la section rythmique. Attention, car les grosses pièces se nichent de l’autre côté, sur la face B. On attaque avec «Love And You And Me», un joli balladif digne des ciels grandioses du Montana. On respire et ça sent bon la chlorophylle et les primevères sauvages. On passe au country rock avec «Drive To The Country» et petite cerise sur le gâteau, Lonnie joue deux fantastiques solos de banjo que vient doubler un violoniste des Appalaches ! Wow ! Franchement on danse la bourrée, comme le vieux pompiste dans «Delivrance». Il reste dans la country haut de gamme pour «The Other Side». Sa country se veut beaucoup plus sauvage que celle de Nashville.

a9955strike.jpg


En 1985, Lonnie revint dans le circuit et signa sur Alligator pour enregistrer «Strike Like Lightning». L’excellent Tim Drummond l’accompagnait toujours à la basse. Ils attaquaient avec un «Hound Dog Man» bien pulsé par l’ami Tim. Puis ils embrayaient sur un terrible boogie des plaines, «Satisfy Susie». Ils se trouvaient joliment encadrés par les Croquettes. Elles tenaient bien leur rang de choristes. «Stop» sonnait comme un heavy blues d’allure martiale. Puis il rebricolait un cut sur les bases de «Memphis» qui s’appelait «Long Way From Memphis», et on retrouvait l’obsession du gros son de basse. Ces mecs-là jouaient sec et net. On avait là une section rythmique irréprochable. Lonnie pouvait s’amuser sur sa Flying. Fantastique face B avec le morceau titre, encore un boogie blues classique. «If You Have To Know» est aussi du boogie blues, mais joué en rythmique. Toujours sec et net, pas de dentelle. On goûte à la perfection du son. Lonnie en imposait. Quelle chance il avait d’avoir Tim Drummond et Dennis O’Neal derrière lui. On retrouve ce son fantastique sur «You Ain’t Got Me» et Lonnie bouclait sa petite affaire avec «Oreo Cookie Blues», un vrai blues trad.

a9956second.jpg


On trouve le fameux «Cincinnati Jail» sur l’album «Second Sight» paru en 1986. Belle histoire de cauchemar américain - While walkin’ cross a street a car almost run me down/ I hit on the fender, said you better slow it down/ They jumped from the car and shot me in the leg/ And they put me in the Cincinnati jail - Alors qu’il marchait dans une rue, une voiture de flic a failli le renverser. Lonnie a eu le temps de taper sur le capot et de dire au flic de rouler moins vite. Alors le flic est sorti de sa bagnole. Il lui a tiré une balle dans la jambe et l’a traîné chez un juge qui l’a envoyé directement au placard. C’est l’art de raconter une histoire en un seul couplet de quatre lignes. En plus, Lonnie en fait un vrai heavy-blues. Incroyable, ils l’ont foutu au trou avec une balle dans la jambe - Ain’t it hell ! Cincinnati jail ! - Comme Doug Sham, Lonnie Mack fit là un fantastique éloge de la brutalité des flics américains et de la justice américaine. Sur cet album, il disposait d’une section rythmique infernale : Jim Keltner & Tim Drummond. Tim bossait toujours aussi bien sa basse. On entend son fantastique groove de basse sur «Me And My Car». Non, c’est vrai, Lonnie jouait des trucs ici et là, mais c’est Tim qui fabriquait tout le velours de l’estomac. Par contre Lonnie s’énervait sur «Rock And Roll Bones». Il jouait même comme un dieu colérique. C’est encore du repompage de Memphis et de long distance information - Connect me to the President - Et c’est sacrément bon. Franchement, Lonnie Mack semblait traumatisé par Memphis. On trouvera à la suite «Camps Washington Chili» un instru incroyablement surexcité. On n’avait encore jamais entendu un truc pareil.

a9958roadhouse.jpg


Si on apprécie les disques de rock classique, alors «Roadhouses & Dancehalls» et un disque idéal. Bon choix de reprises avec «Riding The Blinds» de Don Nix et «Hight Blood Pressure» de Huey Piano Smith. Lonnie sort le meilleur Memphis sound qui soit pour faire honneur à Don Nix. C’est magnifique, bardé de gimmicks serpentins, ceux qu’adore Don l’Alabama State Trouper. Les co-équipiers de Lonnie y vont de bon cœur, on les sent comme des poissons dans l’eau du Tennessee. Le reste est une sympathique collection de bar-room stompers, terriblement classiques et d’une efficacité indéniable. Avec «50’s 60’s Man», Lonnie rappelait qu’il venait des fifties et des sixties et qu’il était inutile d’essayer de lui parler de ce qui suivait. «Sexy Ways/Annie Had A Baby» est un fabuleux stomper. Avec ça, Lonnie a dû faire sauter bien des dancehalls. Son «Plain Jane» sonne comme du Tony Joe White et son «Honky Tonk Man» ne doit rien au «Honky Tonk Woman» des Stones. On note cependant que sur cet album le son de Lonnie s’émousse. Il avait perdu le mordant des débuts.

a9957liveattack.jpg


Son dernier album «Live Attack Of The Killer V» date de 1990. C’est enregistré dans un club de l’Illinois et il y a une grosse ambiance. Il attaque avec «Riding The Blinds», un heavy boogie blues joué au long d’un incessant gimmickage, un peu à la manière de Johnny Winter. Il a comme Johnny le bon guttural et la vélocité cavalante. Il attaque «Natural Disaster» avec un bel allant et le public braille «Disaster». On voit que Lonnie adorait partir en virée de solo. Il ne reculait devant aucune fulgurance. Il allait titiller son bas de manche avec une ardeur peu commune. Sur la face B, il ressort son vieux «Satisfy Suzie» - I got to satisfy Suzie - et il nous raconte sa mésaventure de «Cincinnati Jail». Après cette histoire de balle dans la jambe, Lonnie resta cloîtré plusieurs années dans son ranch. Il n’était pas fait pour ce monde de dingues.

Signé : Cazengler, Loony Mac


Lonnie Mack. Disparu le 21 avril 2016
Lonnie Mack. The Wham Of That Memphis Man. Fraternity Records 1963
Lonnie Mack. Glad I’m In The Band. Elektra 1969
Lonnie Mack. Whatever’s Right. Elektra 1969
Lonnie Mack. The Hills Of Indiana. Elektra 1971
Lonnie Mack. Lonnie & Pismo. Capitol Records 1977
Lonnie Mack. Home At Last. Capitol Records 1977
Lonnie Mack. Strike Like Lightning. Sonet 1985
Lonnie Mack. Second Sight. Sonet 1986
Lonnie Mack. Roadhouses & Dancehalls. Epic 1988
Lonnie Mack. Live Attack Of The Killer V. Alligator Records 1990

DEAD ELVIS
CHRONIQUE D'UNE OBSESSION CULTURELLE


GREIL MARCUS

( Editions ALLIA / 2003 )

a9962bookfrench.jpg

Attention, 1991 pour l'édition américaine. La date a son importance, puisque Greil Marcus traite de tous les évènements qui se sont déroulés autour du personnage d'Elvis du jour de sa mort aux quelques semaines qui précédèrent la sortie de son livre. Greil Marcus n'est pas un inconnu pour les lecteurs de KR'TNT ! nous avons déjà chroniqué plusieurs de ses ouvrages, notamment son Lipstick Trace ( livraison 136 du 13 / 03 / 13 ) qui se révèle être une des meilleures analyses du déploiement du rock and roll, entrevu davantage en tant que phénomène de culture que strict mouvement musical.
Commence par une trentaine de pages qui posent l'équation irrésolue – et peut-être même insoluble – du mystère Elvis. Nous résumerons cette première partie en une simple question : comment, par quel tour de passe-passe, ce jeune garçon si beau et si doué, a-t-il pu terminer sa vie sous la forme de cette grosse loque bouffie et pitoyable ? Procès sans appel, pas de circonstances atténuantes, le succès d'Elvis lui aurait permis de mener sa carrière d'une manière qui correspondait davantage à ce que le public attendait de lui.

a9968photomarcus.jpg


L'on me répondra qu'Elvis espérait de lui-même autre chose que ses fans. Beaucoup de ses admirateurs actuels assurent que la prédilection de Presley n'était pas le rock and roll mais le gospel, et que toute la dernière période de sa vie à Las Vegas, et notamment ses derniers enregistrement, s'inscrivent dans ce retour vers ses premières amours musicales. Le problème est que l'on n'échappe pas à ses responsabilités. De par ses premiers enregistrements Presley a été perçu comme l'étendard de la révolte de la jeunesse. L'était le parfait rebelle. Avec en sous-main toute la mythologie historico-sudiste que véhicule le terme. Peut-être serait-il judicieux de tenter un parallèle avec la manière dont Marlon Brando a su tout au long de sa carrière hollywoodienne, de L'Equipée Sauvage à Apocalypse Now, pour ne citer que deux titres des plus célèbres, préserver son image de rebelle sulfureux au cours d'une existence de very big star marginale, toujours décalée par rapport au strict american way of life. N'y aurait qu'à comparer le parcours de leurs filles pour s'apercevoir ce qui sépare les hommes affublés d'une peau de serpent qui essaient de l'arracher au plus vite de ceux qui s'y coulent dedans et épousent l'esprit de la bête maléfique. Lisa Marie – déjà rien que le nom - n'est pas Cheyenne.

a9970bookgoldman.jpg


Elvis dérange. C'est en 1981 qu'Albert Goldman publie la première grosse biographie consacrée à l'enfant de Tupelo. Goldman aime beaucoup plus l'argent qu'Elvis. Avant même d'être commercialisé le livre lui aura rapporté plus de deux millions de dollars. Goldman marche sur les traces des proches d'Elvis comme Red West ou Sonny West qui avant même la mort de leur ami et patron avaient tiré dans leur ouvrage Elvis, What Happened ? la sonnette d'alarme sur le comportement médical du King de plus en plus erratique Goldman se targue d'avoir interviewé plus de cents familiers, et de ne reculer devant aucune révélation. Avec lui, gros plans sur la chambre à coucher et la pharmacie de l'idole. Vous imaginez facilement le genre. Tout ce que vous avez rêvé de faire mais que la modestie de votre salaire vous interdit. Graveleux, mais point grave. Que Goldman n'aime point le chanteur, nous l'admettons, mais son animosité n'est point issue d'une divergence musicale. L'est beaucoup plus profonde. L'on ressent la haine profonde de l'intellectuel, fier de ses capacités scolaires, qui ne comprend point comment un gamin ignorant ait pu accéder à une renommée internationale un million de fois plus élevée que la sienne. Pour Goldman, c'est une erreur. Pire un scandale. Sa haine, son ressentiment au sens nietzschéen du terme, ne connaît plus de borne. L'on sent l'épurateur. Heureusement que Goldman n'ait jamais accédé au pouvoir politique. Ne resterait plus grand-monde dans les Appalaches. L'aurait sans état d'âme déporter la population vers les fours des camps de concentration. Les hillbillies, ces fermiers sans terre, ce peuple de dégénérés alcooliques et incestueux, Goldman les aurait vite éliminés. L'on aurait ainsi évité le surgissement inopiné d'Elvis Presley dans les méandres doucereux du rêve américain... Faut traiter les problèmes à la racine. Le pelvis arborait malheureusement une autre casquette honteuse. Non seulement il était issu d'une des ethnies les plus purulentes de l'Amérique, mais en plus il était atteint du stigmate le plus dégoûtant. L'était né pauvre. Pensez que pour la mise en terre d'Aaron, le petit frère jumeau mort à la naissance, faute de cercueil l'on s'était contenté d'une boite de chaussures ! Difficile de tomber plus bas, vous en conviendrez. White trash people, passez-moi le karcher.

a9963american.jpg


Bien sûr, il y a pire. On les appelle les nègres. Mais là, faut pas pousser l'enfançon dans les orties. Restons politiquement correct. Ne mélangeons pas les torchons avec les serviettes. Le rock and roll blanc n'est que l'enfant adultérin du rhythm'n'blues noir. Greil Marcus prend son téléphone et se renseigne. Contrairement à ce qu'assure Goldman, l'adolescent Elvis Presley n'est pas resté confiné dans les jupes de sa possessive maman à écouter la radio et à surfer sur les stations noires. Cavalait le plus clair de son temps à Beale Street. Pas uniquement pour s'acheter des habits aussi flashy que les camions de pompiers, pénétrait dans les clubs, l'était accepté et il n'hésitait pas monter sur scène pour chanter le blues. Un exploit, en ces temps de ségrégation active et de méfiance communautaire exacerbée. Du côté de Ferriday un certain Jerry Lou se livrait aussi à de telles incursions.
Ne faut pas non plus laver plus blanc que noir. Goldman a dédouané Elvis de tout rapport physique un peu trop proximal avec la communauté noire, il chante tout de même de la musique de sauvages issue de ses peuples primitifs. Là encore Greil Marcus se saisit de son téléphone pour en avoir le coeur net. Contacte Marion Keiskeir la secrétaire adjointe de Sam Phillips des studios Sun. L'est formelle, son patron n'a jamais prononcé la phrase célèbre selon laquelle il deviendrait millionnaire s'il trouvait un blanc capable de chanter comme un nègre. Les mots ont leur charge sémantique et affective. Ce n'était pas le genre de Sam d'employer ce terme que Goldman lui glisse dans la bouche, manière de repousser dans la classe des intouchables le plus misérable des petits blancs. Fascination et répulsion. Les deux pôles de la haine inconsciente de l'Autre. Cela vous permet de franchir en douce les rivières morales dont vous vous interdisez la traversée. L'on ne bute que sur ses propres contradictions. L'on n'aime guère aller plus loin que nos compensatoires représentations.

a9966memphis.jpg


Certains iront plus loin, le velouté de la voix d'Elvis, ce si mélodieux baryton, sa lourde mâchoire proéminente que vous distinguez sur certaines photos de jeunesse nous laissent deviner quelques accointances douteuses quant à son hérédité. Y a dû y avoir quelque part une arrière-grand-mère qui, un soir d'égarement, aurait fricoté d'un peu trop près avec un afro-américain... Peut-être pas un mal en soi, mais sûrement pas un bien dans l'inconscient collectif de l'originelle white society américaine.
Tant qu'on en est à ces tribus primitives pas tout à fait encore acquises à la civilisation, faisons un saut dans la marmite des cannibales. Tel est gloutonné celui qui croyait s'empiffrer. La chaîne logique du raisonnement est facile à remonter. L'Elvis était aussi gras qu'un quadruple Big Mac dégoulinant de graisse. Vous met en appétit. L'on se laisserait facilement tenter. D'ici à vous le découper en pavé de rumsteck – voire à le calibrer en saucisse hot hound dog – vous n'avez guère besoin d'un gros effort d'imagination. La belle image, Actéon dévoré par ses chiens, le berger piétiné par son troupeau, la chair du christ distribuée sous forme d'hosties, l'idole mangée par ses fans. Distribution gratuite d'échantillons persillés au supermarché. Vous pouvez aussi inverser le processus, le cadavre d'Elvis qui ne veut pas mourir, il sort de sa tombe et vient à la tête d'une armée de zombies semer la terreur parmi les passants innocents. Des scenarii comme cela, vous en inventerez à la pelle, c'est d'ailleurs à quoi se sont attachés réalisateurs de films et auteurs de bandes dessinées. Une fois Elvis mort, les imaginations se sont déchaînées. L'a fallu se dépêcher de le ressusciter. Sous n'importe quelle forme. La morale de l'histoire est toute simple, il ne faut jamais tuer la poule aux oeufs d'or. Ce serait une fin indigne du pays du Dieu Dollar. In gold we trust.
Freud n'a pas connu Elvis. L'aurait dû changer sa théorie. Ce n'est pas l'inconscient américain qui a été traumatisé par la disparition du King. C'est sa conscience. Pas la bonne. Celle heideggerienne qui enregistre l'inéluctable présence de ce qui se tient dans le rayonnement de sa propre émergence. Comme ces morts lestés d'un boulet de canon qui remontent à la surface de la mer et se mettent à suivre le sillage du navire qui a vainement tenté de se débarrasser d'eux.

a9964bookenglish.jpg


C'est qu'Elvis n'est pas un chanteur célèbre parmi tant d'autres. L'est devenu un mythe représentatif de la symbolique amerloque. Davantage que Kennedy. Dont le souvenir est peu à peu grignoté par la souris du temps qui passe dans le cerveau des jeunes générations. A peine Elvis est-il décédé que les camelots du roi se sont levés. D'abord les clones, toute cette légion de faux Elvis qui s'échinent à reprendre – pour ne pas dire à massacrer - ses chansons. L'on sait bien que ce n'est pas Elvis, mais l'on en est réduit à ne plus se méfier des imitations. Ne s'agit plus de faire le difficile, this Elvis is not Elvis, but it is tout de même Elvis. Comme la photo de Tante Agathe sur le buffet de la cuisine, ce n'est pas tante Agathe, mais ce morceau de carton jauni est un lien psychique. Facilement remplaçable, mais un cordon ombilical vers le rêve d'un Elvis immortel.
Why ? La réponse est difficile. Greil Marcus n'en connaît qu'une. Ne se fait pas prier pour vous la refiler. Parce que c'est Elvis. Maintenant vous pouvez le vêtir de toute votre avatarienne phantasmatique personnelle. Elvis, mon amour. Plutôt réservé à la gent féminine. Quoique avec l'évolution des moeurs ces trente dernières années... D'ailleurs Elvis ne serait-il pas mort du refoulement de son homosexualité ? Toute son obésité ne serait-elle pas le total de toutes les giclées de sperme que son postérieur n'a jamais eu le courage de recevoir. N'est-il pas mort sur son trône, d'une constipation psychique qui refusait de laisser échapper dans la cuvette blanche ce qu'il n'avait jamais accepté autrement qu'idéellement. Les garçons – quoique les filles ne sont pas obligatoirement des saintes-nitouches patentées – préfèreront la version d'Elvis le serial lover killer qui vous veut du mal.
Et nous voici revenu à notre point de départ. Mais pourquoi Lui ? Des débuts fracassants certes. L'ouvre les portes du monde à la Jeunesse. But the end is not really happy. Très triste même. Y a longtemps qu'il n'est plus une figure de proue pour l'ensemble des jeunes gens en colère. Un John Lennon se permettra d'ironiser, l'a disparu des radars du rock le jour où il a accepté de faire l'armée. Depuis cette déclaration fracassante, le grand John lui aussi a passé l'arme à gauche. N'a même pas réussi à mourir seul comme un grand. L'a fallu que quelqu'un d'autre lui fasse la grâce du coup fatal. L'on parle encore de lui. L'on fête les dix ans, les vingt ans, les trente ans, bientôt les quarante ans, de son bye-bye, mais rien à voir avec l'aura mystique qui entoure l'absence d'Elvis. Cela s'explique, Lennon était vraisemblablement un sympathique gentleman, mais possède une tare congénitale, l'était anglais. Pas américain.

a9972bigbopper.jpg


Du coup Greil Marcus nous ressort les morts et les vivants des placards. Buddy Holly. A good guy, mais un peu falot, quand on compare à Elvis. Un second couteau. Vite expédié. Marcus se rabat sur une incroyable histoire dont le héros causal ( mais non central ) se révèle être Big Bopper. Que ne ferait-on pas pour monter la chantilly ? En fait, n'y en a qu'un qui soit pire qu'Elvis. La preuve c'est que sa biographie rédigée par Nick Toshes est le plus grand livre jamais écrit sur le rock and roll. Nous ne le contrarierons pas. Marcus redouble d'effort, inscrit Hellfire dans la liste des classiques de la littérature américaine. Au même titre que la baleine blanche d'Herman Melville. Oui mais quand Jerry vient sonner au portail de Graceland pour en finir définitivement avec le roi du rock de pacotille, Elvis se contente de téléphoner à ses copains les flics de Memphis pour qu'ils le dessaisissent de cet encombrant fardeau. Un peu pitoyable la réaction d'Elvis. L'on eût aimé un duel à la OK Corral. Mais non, faudra se contenter de cette fin de non recevoir. Elvis a raté son return to the sender, mais au final l'anecdote tourne à son avantage. Jerry Lou nous joue le rôle de l'excité de service. Ce qui colle parfaitement à son image.

a9969jerrylou.jpg


Elvis la baudruche qui s'est enflée à en mourir mais qui n'a jamais explosé. L'est donc difficile de savoir ce qu'il y avait à l'intérieur. Cette fois encore Greil Marcus connaît la réponse. Rien. Un grand vide. Une terrible solitude. Elvis n'a été dépassé que par une seule personne. Par lui-même. L'est devenu son propre prisonnier. L'a été et le geôlier et le masque de fer. Sa mère, son père, son frère, le colonel et Priscilla, furent son théâtre d'ombres et de supplice chinois. L'a bien essayé de vivre en dehors de ce quintette d'Avignon, s'est entouré d'amis, d'amantes et de musiciens, mais tous ceux-là ne comptaient pas vraiment. Le bon fils du Sud a vite perdu le nord. L'a pédalé dans le sandwich au beurre de cacahuète. Caca pas chouette du tout.
Mais les américains l'ont adopté comme plat national. Qui se permettrait de se mettre au travers du génie national d'un tel peuple ? N'oublions jamais, que c'est lui le peuple élu qui a inventé le rock and roll. Soyons sûrs que Dieu leur pardonnera beaucoup puisqu'ils ont beaucoup péché.

a9967devil.JPG


Damie Chad.

PS : A lire pour les fans d'Elvis qui risquent d'être surpris. Exemple : That's Al Right Mama, ne serait pas une improvisation de studio comme le raconte la légende. Elvis, Bill Black et Scotty Moore l'auraient préalablement longuement répétée durant plusieurs jours avant de se rendre à la fameuse session d'enregistrement du cinq juillet 1954.


ANTISOCIAL

a9961feu+++.jpg

N'y a que deux gendarmes qui au loin ne s'écartent guère de leur estafette bleue. Ben nous, nous sommes beaucoup plus nombreux. Beaucoup plus déterminés aussi. Près de trois cents personnes. Des palettes de bois clair flambent allègrement, des pneus usagers dégagent une méchante fumée noire. Excitation générale, des vieux, des jeunes, des filles, des garçons des drapeaux syndicaux, faut montrer patte blanche ( comprenez rouge ou noire ) pour passer le barrage. Café et gâteaux à volonté sur une table à tréteaux. La sono crache l'Internationale et autres hymnes de révolte. L'ensemble a de la gueule. C'est que le décor est majestueux. Dans les derniers nuages de la nuit, derrière nous se profilent et nous écrasent les masses inquiétantes des deux tours géantes de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine.
Coucou, c'est le Premier Sinistre qui voudrait discuter avec nous. Tout le monde se précipite vers la caméra censée assurer le duplex. Nous sommes polis et bien élevés, nous tenons à lui dire bonjour. Par un des ces hasards synchroniques étonnants, des baffles de la sono s'élève le vieux titre parfaitement d'actualité de Trust, le fameux Antisocial, que trois cents gosiers se hâtent de reprendre en choeur, certains lèvent le poing, d'autres se contentent de dresser en l'air de terribles doigts d'honneur aussi longs et tonitruants que celui de la célèbre photo de Johnny Cash... Ces trois minutes de folie collective forment le meilleur générique musical qu'un réalisateur de télé matinale chargé de couvrir la tempête sociale en gestation aurait eu du mal à imaginer.

a9973trust.jpg


Mais apparemment, le Premier Sinistre ne prise guère Trust. Ce qui est étonnant pour un valet au service des entreprises multinationales esclavagistes qui tiennent à nous refiler des contrats de travail bidons. Doit être vexé, car la discussion prévue entre sa Servilité Première et les pauvres manants révoltés n'est plus à l'ordre du jour... Comme dit Damie Chad, le rock and roll serait-il une musique séditieuse ?


Un des Bagaudes.