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08/06/2016

KR'TNT ! ¤ 285 : MONSTERS / PINK FLOYD / JOHN COLTRANE / FRANCOIS COTINAUD / LIVRES ROCK

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

LIVRAISON 285

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

10 / 06 / 2016

MONSTERS/ PINK FLOYD / JOHN COLTRANE /

FRANCOIS COTINAUD / LIVRES ROCK

POINT EPHEMERE / PARIS X° / 06 - 04 - 2015
MONSTERS

 

MONSTERS CLASS

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

Quand on revoit Beat-Man, c’est comme si on revoyait un vieux copain d’enfance, ou alors Bibi Fricotin, avec lequel on faisait les 400 coups à la sortie de l’école. L’autre soir au Cosmic, il promenait sa physionomie joviale à travers la petite foule de ses admirateurs. Il penchait l’oreille pour entendre ce qu’on lui racontait et se fendait la gueule d’un beau sourire de gamin de rues. Sa bouille toute en rondeurs provoque la meilleure des attirances. Il donne envie d’aller jouer aux billes ou d’allumer un pétard pour l’envoyer rouler sous la soutane du curé. Il donne envie de partager un Malabar en deux ou d’aller faire un tour de camors, histoire de bousculer la fille du marchand de tripes. Ce morpion extraordinaire qu’est resté le jovial Beat-Man débarque dans le monde du trash garage comme s’il sautait dans un bac à sable, avec sa petite pelle rouillée et des croûtes aux genoux. Au fil des années, il reste effarant de fraîcheur et attirant comme un compagnon de vadrouille. Alors que les malheureux Doctor Explosion s’épuisent à vouloir jouer du garage sur scène, Beat-Man vend ses disques. Ses joues et son nez luisent aux lueurs des projecteurs. Avec son stand, il recrée l’univers de sa boutique Voodoo Rhythm, sise à Berne : toute la marchandise est stockée dans deux grosses valises ouvertes. Ce sont bien entendu des valises d’avant-guerre dont il a habillé l’intérieur de photos de pin-ups, des visuels improbables et de lampions. Il propose tout simplement un monde magique. Et il porte déjà sa veste rouge de Monster.

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Les voici sur scène. Sur fond de petite musique de cérémonie, Beat-Man serre la main à ses collègues musiciens venus le rejoindre : deux batteurs et un bassiste, eux aussi en vestes rouges et avec des bonnes dégaines de préposés à la Poste. Mais les préposés vont se mettre à jouer l’un des meilleurs brouets de l’univers, et Beat-Man va danser la carmagnole en triturant des solos vitrioliques.

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Avec sa paire de batteurs, Beat-Man dispose de la locomotive de Jean Gabin. C’est ce que les Anglais appellent la powerhouse, du Jerry Shirley démultiplié. Ces deux mecs tapent comme des galériens, penchés en avant, respirant bruyamment et constamment à la recherche du second souffle. Et bhammm, c’est parti ! «I Want You» ! Pendant une heure, Beat-Man nous sort le meilleur concentré de mythologie garage, il coule le meilleur bronze de trash, il tronche l’Autriche des tranches, il trousse les traces et tresse les tripes, sa mèche tournoie dans le phosphore des whites lights et dans la furnace du white heat.

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Il repeint l’espace à coups de giclées de sueur. Merveilleux showman de rêve, Bibi trashoïde ultimate, Monster d’apparat, Krakatoa à deux pattes, Zébulon astéroïdal. Beat-Man explose quand il le décide. S’il hurle, c’est pour notre bien. Whaoouuuu ! On sait bien qu’on ne vit que pour ça, mais dans ces moments flash, on le réalise encore plus nettement. Les fans de Beat-Man tournoient dans la fosse. Il règne dans la salle la même atmosphère de fête païenne qu’au set des Stooges de Ron Asheton à la Villette. Beat-Man nous ramène à l’origine des temps, il libère les cortex des gangues et fait appel aux instincts enfouis.

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Il déclenche chaque fois une véritable bacchanale, un délire merveilleux qui échappe à toute notion de dieu et de diable, il revient au temps béni où toutes ces balivernes n’existaient pas. Beat-Man libère des énergies fantastiques, la terre gronde sous les pieds, et le trash solarise l’esprit, aussi radicalement que l’aurore boréale pouvait fasciner le néandertalien. Le pire, c’est que Beat-Man n’y est pour rien. Beat-Man, c’est Mickey dans Fantasia, il est dépassé par ce qu’il provoque. Pendant une heure, le Cosmic a échappé à la pesanteur de cette réalité qui ne nous plaît pas : la vie sur terre.

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Comme jadis Captain Beefheart créait une mystique du blues, Beat-Man crée une sorte de mystique du garage, sans le vouloir, même si comme Beefheart il a forcément réfléchi à ce qu’il faisait et assez travaillé pour construire un univers à partir d’une vision originale. Mais Beefheart et Beat-Man (comme d’ailleurs Lux Interior et Jeffrey Lee Pierce) ne sont que des êtres humains, privés des moyens surnaturels dont on voudrait bien les doter. Non, ce ne sont que des petits bonhommes, Elvis était un petit gars ordinaire du Mississippi, Beat-Man est un petit gars de la Suisse allemande et Beefhaert dessinait les animaux du zoo de Griffith Park à Los Angeles quand il était morpion. C’est nous qui fabriquons les mythes. On a été quelques millions à fabriquer la légende du petit gars de Tupelo. Quelques millions à fabriquer celle des quatre fils d’ouvriers de Liverpool. Quelques centaines de milliers à fabriquer celle de Captain Beefheart et certainement aussi quelques milliers à fabriquer celle de Beat-Man.

 

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Prodigieux parcours que celui de Beat-Man, tour à tour Lightning Beat-Man, puis Reverend Beat-Man et accessoirement leader des supra-blasting Monsters. Et on peut mettre le nez dans n’importe quel album de sa copieuse discographie, on sera bien servi. Beat-Man appartient à cette caste d’hommes réputés pour leur savoir-vivre, puisqu’il est parfaitement incapable d’enregistrer un mauvais disque.

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Il sort ses deux premiers albums en 1989 et 1991 : «Masks» et «The Hunch». Oh bien sûr, ces deux-là ne sont pas les albums du siècle, mais ils contiennent les racines du Beat-Man way. Avec «Hollywood At Hell», il flirte avec le psychobilly qui à cette époque a le vent en poupe. Pas loin de Mad Sin. Puis il se rapproche du radicalisme rockab avec «Teenage Werewolf». Il yodelle et se gratte le baryton pour teinter son rockab des nuances les plus sulfureuses. Sur le premier album, on trouve aussi du bon Diddley beat («Wilma») et du rockab qui sonne comme un hit de juke («I Love My Car»). Par contre sa reprise de «Wild Thing» flirte avec le ballochard.

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Sur «The Hunch», on se régalera d’une fantastique reprise du «Drug train» des Cramps, montée sur un beat beat-maniaque et noyé de chœurs en folie. Sur la plupart des cuts de la face A, les Monsters sonnent comme les Meteors et il faut attendre «Wicked Wanda» pour renouer avec le trash-garage cisaillé à la base. Beat-Man y lâche une bouse de solo wha-whateux. Voilà une merveille digne des pires gangs du Michigan et des Swamp Rats. La face B est une face live qui démarre sur une reprise de «Teenage Werewolf» des Cramps. Plus loin, ils tapent dans les Sonics avec «The Witch» et l’asticotent à la pulsion rockab. En guise de baroud d’honneur, ils retapissent «Wild Thing» des Troggs pour la bonne forme.

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Deux autres albums des Monsters paraissent en 1995 et 1998 : l’abominable «Youth Against Nature» (abominable oui, à cause de sa pochette surprise bien gore) et le bucolique «Birds Eat Martians» (bucolique, oui, à cause de sa pochette inoffensive représentant des moineaux sur une branche). Beat-Man arrive à maturité, car il attaque l’album Youth avec une atrocité garage qui s’appelle «Burn My Mind», une sorte d’au-delà du garage que nous connaissons. Beat-Man nous emmène dans un monde beaucoup plus trash - Yeahhh you can burn my mind - il prend un solo de fuzz intolérable, ça splashe sur les murs, et c’est monté sur deux accords de troglodytes. On sort hébété de ce truc exceptionnellement violent et gras, mais gras au sens du berk. Beat-Man et Mick Collins même combat ? Allez savoir. «Go Away Fuck Yourself» sonne comme un coup de massue. On se sent le crâne enfoncé dans les épaules. Il nous fait plus loin un joli coup de voodoo avec «Voodoo Love». Trois autres merveilles guettent l’auditeur imprudent sur la face B. Tout d’abord «Go Away From My Brain». Il s’adresse à une fille - Just go away ! - Et il ajoute : Yeah Whaaaaahh. Un solo de fuzz par là-dessus, et voilà. Ce n’est pas compliqué. «Juvenile Delinquent» sonne comme un classique garage du Wisconsin et sur «I’m A Record Junkie», les Monsters sonnent comme les Cramps.

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Avec l’album Birds, ils passent à la vitesse supérieure. Les Monsters font une monstrueuse version de «Pony Tail And A Black Cadillac». Ce qui paraît logique, vu qu’ils s’appellent les Monsters. Beat-Man renoue avec l’apocalypse en attaquant «Chicken Baby». C’est fuzzé jusqu’à l’os du genou et dans les règles de l’art nuptial des fosses à vidange - Baby oh yeah - Encore une pure énormité beat-maniaque. S’ensuit une fabuleuse reprise de «Get On The Right Track» de Titus Turner qu’ils jouent au tikitic rockab. Ça bascule dans la folie douce puisque ça sonne comme un hit de l’Arkansas qui serait poursuivi par un troupeau de bisons. Autre reprise surprise : «Wild Wild Love» de Benny Joy. Version démente. Bel hommage au rockab de Floride. On sent bien qu’on a dans les pattes un album infernal. Et ce n’est pas fini. Le pire est à venir. Ils attaquent la face B avec «Down The Road», du vieux garage Okie. Beat-Man joue le garage américain beaucoup mieux que les Américains. Tous ses solos de fuzz bavent. Mais avec lui, ça bave deux fois plus. Il reste dans l’apothéose de la fuzz baveuse avec «Black» et monte encore d’un cran dans la démence de la latence avec «We Are Middle Class» monté au beat maximaliste. On a là l’expression du pur génie relativiste avec ses dévalades de guitare consumériste. Pure horreur de beat soutenu. Il se pourrait que la puissance de Beat-Man finisse un jour par nous broyer les os. Si après tout ça, il vous reste une oreille valide, vous allez vous régaler du morceau titre, «Birds Eat Martians». Cet instro joué en solo sur un beat bien harnaché ensorcelle littéralement.

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Et pendant qu’il met nos imaginaires à feu et à sang avec ses mighyty Monster, Beat-Man ne reste pas les bras croisés. Oh que non ! Il enfile son masque de catcheur mexicain et devient Lightning Beatman. Son projet ? Réinventer le trash. Et il nous balance deux albums qui croisent ceux des Monsters, en 1994 et 1998 : «Wrestling Rock’n’Roll» et «Apartment Wrestling Rock And Roll» qui reprend pas mal de cuts de Wrestling. Attention, ces deux disques battent tous les records de violence trash. Dans le genre qu’il réinvente, Beat-Man s’arrange pour rester invaincu. Il suffit d’écouter le morceau titre qui ouvre le bal de Wrestling pour s’auto-édifier. Beat-Man gratte sa vasouille d’énervé du bulbe - Yeah my name is Beat-Man and I like to wrestle rock’n’roll - Il enchaîne avec l’horreur garage de Néandertal qui s’intitule «Take It Off» et se révèle infiniment plus primitif que les Pretties. Il hurle comme un lion des montagnes dans la caverne de Tounga. Dans «Yea Pretty Baby Yea», il commence par discutailler, puis il s’énerve - I said you once, I said you twice - et ça bascule dans le trash liquide, celui qui arrose les murs. Au fil des morceaux, on comprend que Beat-Man a des idées de son en permanence. «Wild Baby Wow» est sans doute le pire trash de l’univers. Il screame ça avec une sauvagerie qui dépasse tout ce qu’on sait de l’exaction paramilitaire. Pour «I Wanna Be Your Pussycat», il miaule, puis il siffle comme un gros matou en colère. Il passe tout à la casserole - Miaaaaou ! Miaaaou ! - Et il repart de plus belle dans le garage des cavernes avec «Hurt Me» - Oh baby hurt me/ please hurt me yeah yeah yeah - C’est bardé de fuzz et chanté à la hurlerie de non-retour. Par miracle, la face B est un tout petit peu moins dense. Avec «Honey Baby Blues», il se prend pour un Johnny Cash des bas fonds et ça devient vite spectaculaire - Go ! Go ! Go ! - Il prend un solo dérouté qui bascule dans la pire dégueulerie de clocharderie de cloche-merlerie. S’ensuit «Baby Fuck Off», mauvais garage de cave d’ado qui apprend à jouer avec des cloques aux doigts. Plus loin, il redépasse les bornes avec «I’m Gonna Kill You Tonight» monté sur un beat diabolique qui vaut bien celui de «Death Party» du Gun Club. Beat-Man a tout l’attirail : le beat, le lancinant, le groove de cave, la fuzz, la voix, l’invective pendante, le filet de bave et les gros accords fucking awite.

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L’autre album de Lightning Beat-Man flirte aussi avec le génie. On le voit chercher des noises à la noise dans «Sonic Nightmares». Il monte «I Love You» sur les accords des Kinks et il reprend deux titres de l’album précédent : «I’m Gonna Kill You Tonight» (violente explosion) et «Take It Off» qui est du pur génie reproductif, mais avec la profondeur suisse. C’est là que Beat-Man bascule dans la folie. En face B on retrouve aussi le fabuleux «Wild Baby Wow», doté d’une prodigieuse agressivité. Il pousse des cris atroces de soudard à l’agonie. Il sonne comme le porc bleu des contes de la crypte. Avec «I Said Yeah», on sent bien que la messe garage est dite. Il passe un solos de fuzz déments, d’une coulure excessivement grasse. Un vrai son de rêve. Beat-Man jette toute son ardeur dans la balance. Il manifeste sa haine de la danse dans «I Hate To Dance». Beat-Man, c’est garanti pur jus de fiel de train fantôme. On a là un son de basse énorme - hate to do the twist - Beat-Man tire à boulets rouges. Il élève l’insolence de la violence trash au rang d’art majeur. Il termine cet album furibard avec «Wrestling With Satan», un pur rockab slappé à la bonne franquette des alpages.

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En 2002 et en 2006, les terribles Monsters reviennent aux affaires avec deux albums : «I See Dead People» et un double compilatoire intitulé «The Worst Of Garage Punk». Dead est considéré par les spécialistes internationaux comme le meilleur album des Monsters. Ce n’est pas compliqué : l’album ne contient que d’horribles monstruosités. À commencer par «The Love I Never Had», monté sur un beat de marteau pilon. On a là une pure démence de la tapence. «Fuck My Brain» va droit au cœur du trash, mais on finit par s’y habituer. Le morceau titre qui suit sonne comme du vieux garage à la sauce américaine, de type Morlocks. Mais l’affreux Beat-Man va beaucoup plus loin que les mangeurs de hamburgers. Il livre le garage le plus wild de l’univers et l’arrose d’une pisse de solo puante et fumante. On tombe plus loin sur un «Acid Dreams» riffé à la Trogglodynamite. Beat-Man y réinvente l’art moderne, comme le fit Schwartz voici vingt ans chez Futuropolis. Il reste sur le balancement nuptial à deux accords pour un «Oh Wrong» digne des pires annales. Il se livre au bouleversement de toutes les acuités garagistes. Ça vaut tous les classiques garage du monde. Sur «The Other Man», il sonne comme les Belfast Gypsies et nous plonge une fois plus dans l’horreur d’une purée de fuzz brûlante. En B, il mène «I’m Going Away Girl» au scream, au beat, à la fuzz et à la trique, en vrai ogre garage. Il atteint une véritable démesure et échappe définitivement à tout comparatif. Pire encore : «Kiss You Dead» qu’il amène au beat de fourvoyeur du démon Atharoth. Il chante ça à la grosse insidieuse et puis soudain, son cut explose sans prévenir. Alors ils se met à screamer à la lueur des flammes de l’enfer. Il va là où personne n’est encore jamais allé. Rien ni aucune montagne saurait plus faire de l’ombre au géant Beat-Man. Il bat absolument tous les records de screeeeeeam. Pareil pour «Burn In Flames» qu’il chante à s’en arracher la glotte. Il ne peut pas s’en empêcher.

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Par contre, la compile rouge n’est pas très bonne. Il a rassemblé des démos et des versions live pour faire cossu mais peu de cuts accrochent l’oreille. Sur le disque 1, «Don’t Burn The Witch» vaut le détour, car c’est bien slappé et arrosé d’une belle colique de solo splasho-splashy. Sur le disque 2, on trouve une version terrible de «Burn My Mind» trashée au maximum des possibilités de la trasherie. Au-delà, ça ne relève plus de l’humain. Belle version de «Never Come Back» jouée au groove malveillant, avec un gros démarrage de fuzz en côte. Beat-Man y place un solo dément et même un peu stonien par instants. On trouve aussi une version de «Oh Wrong» digne des Buzzcocks de «Spiral Scratch».
En 2001, Beat-Man éradique son alter-ego Lightning Beat-Man et le Reverend Beat-Man lui succède.

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Avec The Un-Believers, il sort «Get On Your Knees» et cinq ans plus tard, accompagné par The Church Of Herpes, il sort «Your Favorite Position Is On Your Knees». Encore deux fieffés albums qu’il faudrait inventer s’ils n’existaient pas. Beat-Man fait désormais des choix plus religieux. Il toise Dieu sans ciller. Il dédie «Come Back Lord» à la gloire de Dieu. Il chante au guttural de caveman. Il va chercher le raunch au fond de son animalité primitive. C’est en face B que grouillent les abominations rampantes, à commencer par «The Lord Is Coming Back». Il lancine son prêche et recherche la transe divinatoire. Il lance la vogue du gospel trash avec «Oh Lord» et il se plaît à tripoter les orifices des mythologies. C’est particulièrement infect. Puis il lance une attaque en règle contre tous les potentats avec «Fuck You Jesus Fuck You Oh Lord». C’est absolument magnifique de vaurienneté boutonneuse. Beat-Man ne recule devant aucune entorse aux règles de la bienséance. Le dernier gros cut de cet album palpitant est «Show Me How», terriblement insidieux et même rampant. Il passe par en-dessous et l’amène jusqu’à l’explosion finale. C’est un modèle du genre.

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Le second album est un peu moins dense. Il l’attaque avec deux pièces de boogaloo cousues de fil blanc, «I Don’t Care» et «Bad Treatment». Il s’arrange pour paraître terriblement inquiétant. Il chouine comme une âme en peine sur fond d’Americana de carton-pâte. Il fait une version de «Blue Suede Shoes» malveillante au possible et joue «Prophecy» à l’harmonium du mec qui va mal - Send me your sister and your bother/ I’ll take their lives and then I’ll take their souls - Le «Faith Hope Love» qui se trouve à l’ouverture de la face B est beaucoup trop étrange pour être honnête. Pour finir l’album, il revient à l’une de ses ambiances préférées qui est celle de la miséricorde. Quelle énergie de l’écriture ! C’est joué aux machines de Jupiter. Beat-Man sort pour l’occasion une belle mélodie lancinante, toute empreinte de grandeur gothique.

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Nouvelle paire d’albums du saint homme en 2007 avec «Surreal Folk Gospel Trash Vol 1» et «Surreal Folk Gospel Trash Vol 2». Voilà deux belles pièces pantelantes. Il démarre le volume 1 avec «The Clown Of Town», un pur jus de blues voodoo des catacombes de la Suisse fromagère. Ça sent le moisi de cave humide et ça grouille d’araignées à têtes humaines, comme on en voit chez Odilon Redon. Attention à «I Belong To You», car c’est du vrai trash de vomi de régurgitation voodoo verdâtre. Aucun espoir d’en réchapper si on met le pied dedans car c’est le pire trash de l’univers. Seul un mauvais bougre comme Beat-Man peut marcher dedans et poursuivre son chemin comme si de rien n’était. Il se fend plus loin d’un énorme stomper avec «Jesus Christ Twist» - Smash your head to the wall/ Let your blood run cold/ Now do the Jesus Christ twist - Il nous sort le plus fantastique des stompers des cavernes - Nail your partner to a cross/ Dance around and have some fun - Beat-Man devient un héros, car il atteint là les tréfonds des sommets de l’envers du décor. On trouvera en face B un truc nommé «I Wanna Know» qui - et c’est bien difficile à avouer - se révèle bien plus sauvage que le «Don’t Bring Me Down» des Pretties. À côté de Beat-Man, Dick Taylor et Dave Davies sont de charmants rigolos. Terrific ! - Cause I wanna know - Et on atteint les sommets neigeux du génie beat-manien avec «The Beat-Man Way», où il raconte son histoire, dans un pur esprit littéraire - Just wanna go the beat-man way - C’est là qu’il crée sa mythologie.

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Le volume 2 est aussi réjouissant que le volume 1, car on y croise des nouvelles preuves de l’existence du génie beat-manien. Par exemple ce morceau d’ouverture qui s’appelle «Letter To Myself». Sur un rythme bien tribal, Beat-Man raconte qu’il s’écrit des lettres a lui-même. Véritablement monstrueux. Le morceau qui suit, «I See The Light», l’est tout autant. Voilà encore du pur jus purulent de garage à grosses semelles cloutées, un authentique délire psychiatrique - my brother is a homosexual but had a sexual relationship with my mother - Awww. C’est encore du pur stomp de la forêt noire et il termine cette horrible paragenèse par un dialogue avec Satan - I got your soul ! I got your soul ! - Beat-Man peut imiter n’importe qui, même le diable. Il enchaîne avec «Lonesome And Sad» qui est une sorte de gospel des montagnes au chocolat blanc puis il passe avec «Blue Moon Of Kentucky» au hillbilly rauque de cabane de chercheur d’or. Avec un lascar comme Beat-Man, on ne s’ennuie pas un seul instant. Il attaque sa face B, avec «I’ve Got The Devil Inside», sur un beat buté et raide comme le menhir de la Croix-Jugan. Beat-Man nous chante tout ça bien rauque. Il ne craint pas de s’abîmer la glotte. S’ensuit «Our Girls», un boogie lourd et primitif qu’il siffle à l’entre-deux jambes. Il termine cet album pittoresque avec «The Swiss Army Knife», un prêche dément de révérend dévoyé. Beat-Man raconte une longue histoire et flirte une fois de plus avec le génie. Attention, il existe un «Surreal Folk Gospel Trash Vol 3» !

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C’est un DVD. On y retrouve les smash-hits de Beat-Man, mais en images : «Don’t Stop The Dance» (il fait le one-band band magnifique de présence, avec une façon de bouger très spéciale et une façon de gratter un solo bien sec), «Lonesome And Sad» (un blues primitif qui nous permet d’admirer sa technique de jeu), «Jesus-Christ Twist» (mélangé avec des images de crucifixion piquées dans un film), «I See The Light» (chef d’œuvre de one-bandisme dans le pur esprit du garage trash), «I Wanna Know» (il est filmé en bas d’un escalier et on le voit prendre son solo à la déglingue, l’occasion unique de visualiser son génie) et «The Beat-Man Way» (clippé avec des marionnettes et superbe à la fois par le fond et par la forme). Voilà un DVD hautement sensible et chaudement recommandé à tous les dévots du Reverend Beat-Man. L’autre DVD indispensable de Beat-Man est le fameux «A Movie To Ruin Any Party» qui présente le label Voodoo Rhythm. C’est Beat-Man qui introduit la chose, du fond de son canapé - I’ve got to go to the office in the morning and put out records that nobody buys ! - Il insiste sur se côté underground de sa démarche et fait l’apologie du rock’n’roll primitif - I started a label because nobody wanted to put my records out - L’interview est entrecoupée par des plans filmés sur scène où il chante «I See The Light». On le revoit un peu plus loin avec les Monsters et les plans filmés sur scène sont des modèles de trash-garage apocalyptique. Il se pourrait bien que les Monsters soient les seuls à pouvoir atteindre le blow out total. Les deux autres grosses attractions de ce film sont King Khan et DM Bob. King Khan parle des gens qu’il admire comme Sun ra ou Charlie Mingus et il donne sa définition de ce que doit être le rock : «Simple and stupid is the only way to do anything. That’s all what rock’n’roll is all about !» Plus loin, DM Bob raconte sa découverte de Hound Dog Taylor et il se dit fier d’être originaire de la Louisiane - I love the sound of the Goldband Records from Lake Charles, they sound raw and primitive - Et il ajoute : «The way Beat-Man sounds, nobody does this like that anymore !» Bel hommage, pas vrai ?

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Retour des Monsters en 2011 avec «Pop Up Yours». Sur la pochette, ils font d’horribles grimaces. On trouve au moins deux cuts de génie sur ce nouvel album : «I Want You», un au-delà du garage doté d’une pulsation ultime. Beat-Man est si puissant qu’il envoie son cut droit dans l’œil de la lune, comme Méliès. L’autre ultime chef-d’œuvre se niche en face B : «Ain’t Crawling Back To You», gorgé d’un élan d’anticipation et monté sur un riff bourdon qui vole dans l’air mauve. On croirait entendre le riff tournoyeur de «Hey Gyp», tel que le jouaient les New Animals, mais Beat-Man déverse sa benne de trash. Quelle brute géniale ! Avec «Blow Um Mau Mau», Beat-Man refonde l’ordre des templiers du garage intemporel. Il ne peut agir qu’en parfait profanateur de concepts. Il chante «Ce Soir» dans un mauvais Français en roulant des r et avec «When I’m A Grown Up», il recycle un vieux gimmick pour le transformer en élan vital : le riff de fuzz éclate au plafond du Bus Palladium. Et puis il faut l’entendre hurler dans «Cry». Il y fait un numéro de screamer délétère. Il hurle dans le néant d’un chaos psychiatrique et pour envenimer les choses, il envoie gicler dans le nulle part de l’underground le meilleur solo de fuzz qui se puisse concevoir.

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Beat Man vient de ressortir des vieux enregistrements des Monsters datant de 1994-95, «The Jungle Noise Recordings». Les amateurs de monstruosités s’y régaleront : «Psych Out With Me» bat tous les records de sonic punk undergut de garage dévastatoire. Beat Man y déverse son incroyable mélasse de fuzz et de guttural. Belle fournaise aussi avec «Searching», tous les démons du garage y dansent la carmagnole. Beat Man s’y comporte en parfait fouilleur de noise, en prévaricateur de fuzz, il fonce à travers la nuit comme une loco chauffée à blanc. C’est une façon de dire qu’il ne fait pas semblant. En B, il tape des reprises magistrales, comme par exemple le «She’s My Witch» de Kip Tyler, encore plus mythique que le mythique auquel on est habitué. Beat Man y respecte bien le poids de la menace. Dans «Mummie Fucker Blues», il fait du boogaloo de ha ha ha - My skin is so cold - Urgghhh !

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À ses moment perdus, Beat-Man confectionne des compilations. Il sort de son armoire des disques étranges que personne n’aurait l’idée d’aller écouter et nous les propose dans des volumes compilatoires intitulés «Reverend Beat-Man’s Dusty Record Cabinet Vol 1» et «Reverend Beat-Man’s Dusty Record Cabinet Vol 2». Alors attention, certains morceaux compilés sur ces disques peuvent heurter les oreilles sensibles. Le volume 1 propose des choses particulièrement exotiques comme une version de «Satisfaction» par Los S Del Este, ou «After School Blues» chanté par un morpion nommé Sugar Chile Robinson. On entend les Tigers d’extrême-orient parler au téléphone et les Twlights chanter faux. Inutile d’ajouter que ce disque est destiné aux dévots de Beat-Man.

MONSTERS, PINK FLOYD, JOHN COlTRANE-XAVIER, FRANCOIS COTINAUD, PATRICK GEFFROY-LEA CIARI,DAVERAT,

On trouve sur le volume 2 des artistes mieux connus comme l’immense Sister Rosetta Tharpe, Louis Armstrong ou encore Miles Davis qui chante un groove dément. Beat-Man nous sort aussi de sa grande armoire un single du Reverend Kelsley, «I’m A Witness For My Lord», un cut de gospel énorme et primitif qu’il chante avec l’énergie du diable. On entend aussi un gospel des Staple Singers, le fantastique «I Had A Dream». Terrifiant. On comprend que Beat-Man ait pu être traumatisé par tous ces disques. En face B, se niche Django Reinhardt qu’on devrait écouter plus souvent, car son swing est une leçon de vie. Puis Eartha Kitt qui se prélasse dans les violonnades cotonneuses. Odetta ferme la marche avec «God’s Gonna Cut You Down». Elle fait autorité et on se félicite de fréquenter Beat-Man, car c’est un homme de goût. Après Time Warren (Back From The Grave) et Tav Falco, Beat-Man redonne du sens au grand art compilatoire.
In nomine Patris Beat Manus, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen.

Signé : Cazengler, grenouille de bénitier

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Monsters. Point Ephémère. Paris Xe. 6 avril 2015
Monsters. Masks. Record Junkie 1989
Monsters. The Hunch. Record Junkie 1991
Lightning Beat-Man. Wrestling Rock’n’Roll. Record Junkie 1994
Monsters. Youth Against Nature. Record Junkie 1995
Monsters. Birds Eat Martians. Voodoo Rhythm 1998
Lightning Beat-Man & The Never Heard Of Ems. Apartment Wrestling Rock And Roll. Voodoo Rhythm 1998
Reverend Beat-Man & The Un-Believers. Get On Your Knees. Voodoo Rhythm 2001
Monsters. I See Dead People. Voodoo Rhythm 2002
Monsters. The Worst Of Garage Punk. Voodoo Rhythm 2006
Reverend Beat-Man & The Church Of Herpes. Your Favorite Position Is On Your Knees. Voodoo Rhythm 2006
Reverend Beat-Man. Surreal Folk Gospel Trash Vol 1. Voodoo Rhythm 2007
Reverend Beat-Man. Surreal Folk Gospel Trash Vol 2. Voodoo Rhythm 2007
Monsters. Pop Up Yours. Voodoo Rhythm 2011
Monsters. The Jungle Noise Recordings. Voodoo Rhythm 2016
Reverend Beat-Man’s Dusty Record Cabinet Vol 1. Moi J’Connais Records 2010
Reverend Beat-Man’s Dusty Record Cabinet Vol 2. Moi J’Connais Records 2011
A Movie To Ruin Any Party. DVD Voodoo Rhythm 2006
Reverend Beat-Man. Surreal Folk Gospel Trash Vol 3. DVD Voodoo Rhythm 2007

PIGS MIGHT FLY

L'HISTOIRE CACHEE DE PINK FLOYD

MARK BLAKE

( Tournon / 2008 )

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Soyons honnête. Le Pink Floyd ce n'est pas vraiment ma tasse de thé. Ni mon godet de jack. J'ai fait des efforts. Les ai vus en concert en 1972, à Toulouse. De la bonne musique, d'ambiance proto-symphonique, mais en fin de compte plutôt ennuyeuse. Pas rock and roll pour deux pattes de flamant rose. J'ai récupéré le bouquin pour deux euros chez Noz sans moelle. Le genre de caramel mou que vous achetez tout en sachant que vous avez peu de malchance de le mastiquer. C'est sur mon lit d'hôpital que je me suis décidé, autant boire la coupe jusqu'à la lie et soigner le mal par le mal.

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Remarquez le bibelot est assez intéressant, surtout en ses débuts, faut dire que cela se passe en un des moments les plus passionnants de l'histoire du rock and roll anglais, cette naissance du mouvement psychédélique qui reste une de ces périodes mythiques d'enthousiasme généralisé et d'exaltation de la jeunesse que nous n'avons connu que par procuration, les yeux et surtout les oreilles rivés sur cette vieille old England qui soudainement était devenue totalement folle et délirante. En France, il n'y eut rien de comparable, pour être optimiste nous décrèterons que nous avons pris le relai en mai 68, mais sous une autre forme, très peu musicale, mais politique, une déclinaison nationale issue des journées effervescentes de 1936.

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Pour le restant de l'ouvrage, il semblerait que Mark Blake ait eu moins de documents en mains à consulter. Les témoins se font plus rares, c'est que nous changeons de régime, le psychédélisme fut un moment collectif de libération artistique, les témoignages abondent, de nombreuses monographies, de figures de proue comme d'illustres inconnus, ont laissé de multiples témoignages écrits, mais lorsque le groupe s'engage dans une carrière professionnelle, circulez il n'y a rien à voir. Achetez les disques. Munissez-vous de vos billets de concert. Et barjotez dans votre coin si cela vous chante, mais le Pink Floyd se mure dans une citadelle de silence.

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A tel point que Mark Blake en est réduit à se contenter des interviewes que les différents membres du Pink ont accordées, à lui-même et à différentes revues comme Q et Mojo. L'auto-commentaire possède ses propres limites. A fortiori lorsque les tensions internes sont aiguisées au maximum. La fin de l'ouvrage en devient d'autant plus pesante. Ajoutons que Mark Blake ne semble guère être un fan transi du groupe, ne manifeste aucune ferveur délirante, serait même plutôt sévère.

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Le groupe est originaire de Cambridge. Tout un programme. L'équivalent en France ce serait Neuilly- Passy – Auteuil + Lycée Henry IV et les khagnes prestigieuses qui marchent avec. La morgue typique de la gentry britannique dans un écrin provincial de verdure. Difficile de faire pire. Des fils de bourges néanmoins touchés par la vague bluesy qui inonde l'Angleterre. Auraient pu évoluer comme les Stones, mais ils possèdent un côté arty qui deviendra le pôle orientatif de leur évolution. Quand on y réfléchit, le blues est une musique de basses classes...

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Etudes supérieures et musique. Les années passent, en 1965, le groupe est presque au complet sous le nom ô combien upper-british class de Tea Set : Richard Wright au clavier, Roger Waters à la basse, Nick Mason à la batterie, et cerise empoisonnée du gâteau Syd Barrett, le plus barré de tous. Le plus talentueux, qui joue de la guitare et au dandy. L'a le don de vous torcher une chanson en dix minutes, ce genre de ritournelles à la puissance cent, dont on se souvient dès qu'elles atteignent votre tympan et qui plus tard leur serviront à être remarqués par le public et les maisons de disques. Manque le dernier larron, David Gilmour, une vieille connaissance, perdu en d'incessantes galères avec son propre groupe sur les routes de France et d'Espagne. A force de gratter sa guitare en des conditions pour le moins difficile, il possède une solide expérience de la scène et est devenu, aiguillonné par la rage de vaincre, un très bon guitariste. L'a aussi un très bel organe. Je parle de sa voix.

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Le groupe entre en mutation. Le blues est étiré démesurément, et pour peupler les longs passages instrumentaux ils sont peu à peu égayés de bruits divers. Mais attention, rien à voir avec le rock industriel des décennies futures, c'est du noise arty que l'on pourrait qualifier de concrétisme harmonieux. Le groupe, désormais surnommé Pink Floyd d'après les prénoms de deux obscurs bluesmen Pink Anderson et Floyd Council, à l'instar de Picasso quitte sa période bleue pour aborder son étape rose, très vite devenue multicolore grâce au light-show qui accompagne leurs prestations. Grande époque psychédélique de Notting Hill, la drogue permet à cette génération d'accéder à une réalité onirique à laquelle toute leur ascendance n'avait jamais eu accès. Car jusqu'à la découverte du LSD les portes de la perception étaient restées obstinément closes pour le plus grand nombre. La révolution devient une utopie intérieure, la descente sera terrible pour certains. Syd Barrett en demeure une victime des plus emblématiques : l'abus d'acide et de joints ont magnifié ses tendances bipolaires et paranoïaques que chacun porte en soi. Les crises de folie seront pénibles à supporter pour son entourage. Mais peut-être plus que l'herbe et les petits buvards fut-il davantage déstabilisé par la pression occasionnée par le succès grandissant du groupe. De tout l'orchestre il est peut-être celui qui avait le plus besoin d'une reconnaissance sociale forte, mais il fut aussi le premier à s'apercevoir que la célébrité n'était pas dépourvue de sérieux revers : au fur et à mesure qu'elle grandissait elle oblitérait et sa liberté existentielle et son indépendance d'artiste.

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Les autres ont fait un autre choix : ce n'est pas la célébrité – celle-ci est parée d'une aura positive, l'idée que vous avez accompli de belles choses pour le bien-être de l'humanité – qu'ils recherchent mais le pouvoir. L'est clair dans leur esprit que c'est l'argent qui vous permet d'acquérir votre liberté. Cette vision philosophique très réaliste est portée par Waters qui, une fois Barrett abandonné à son triste sort, a pris les rênes du groupe. C'est un bosseur, se met à la composition, au chant, apporte des idées et arrive à négocier avec la maison de disque des contrats beaucoup plus avantageux... Du coup se crée une opposition latente avec l'autre forte tête Dave Gilmour qui remplace Syd, et qui possède deux atouts indiscutables, une superbe habileté instrumentale, et une registre de voix bien supérieur à celui Waters qui comble de malchance ne chante pas toujours juste...

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Le succès sera lent à venir, mais s'accroîtra d'une façon exponentielle. Le Pink rentre dans le rang, abandonne le bruitisme aventureux pour rejoindre cette belle musique harmonieuse et un tant soit peu éloquente qui ravivait les ados enchantés de poser le disque sur la platine en déclamant fièrement face aux parents : « Ecoutez, l'on dirait de la muique classique ! ». Plus perfidement Mark Blake n'oublie jamais de noter les nombreux emprunts du Floyd, de Stockhausen à Ennio Morricone...

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Waters, dont le caractère de cochon ( ne cherchez pas loin la signification symbolique du porc de baudruche volant qui leur sert de mascotte ) s'alourdit à chaque relevé de royalties, en arrive à penser qu'il est le seul membre indispensable du groupe. Mettrait bien les copains dehors mais les trois autres font front et c'est lui qui se retrouve obligé de débarquer du navire dès 1985.

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Le Pink désormais managé par Gilmour continuera sa route. Ce n'est plus comme avant. L'on vole moins haut mais l'on ne rase pas les toits non plus. Une tournée de dix-huit mois rapportera des millions de dollars... de quoi faire enrager Waters dont la carrière n'est guère sur une courbe ascendante. En est réduit à redonner The Wall, sa création, sur le mur de Berlin avec décors wagnériens à la clef... Waters et Gilmour ne se parleront pas pendant vingt ans. Le Pink met la clef sous la porte définitivement en 1995. Ne se reformera en entier pour le Live 8 de Bob Geldof en 2004 le temps d'interpréter quatre morceaux.

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Froissements d'égo et de billets de banques... Nos quatre jeunes gens en rupture culturelle des années 64 à 68 n'ont jamais remis en cause la stratégie commerciale de leur label que ce soit Harvest ou Columbia, deux branches d'EMI. Ont accepté de devenir un super-groupe à la Rolling Stones ( préservés de toute excommunication par leur passé légendaire et leur image de bad boys ), une machine à fric, d'ailleurs quand Blake trace leur portrait il ne peut s'empêcher de les comparer à des experts-comptables ou à des architectes en retraite. Ont rempli les lessiveuses mais ont payé le prix fort. A lire entre les lignes leurs propos désabusés il semblerait qu'ils aient perdu le bien le plus précieux de tout individu qui se respecte : l'estime de soi. En définitive Barrett est celui qui s'en serait le mieux tiré. A connu des moments très durs, encombrés de troubles bipolaires, a beaucoup grossi, a perdu ses cheveux, mais a fini par se construire une vie d'amateur d'art effectuant régulièrement le trajet Cambridge-Londres pour visiter les galeries de peinture...

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Peu de drogue – car très vite nos cadors appliquent une auto-discipline très stricte d'ascèse volontaire. Peu de sexe – d'abord pudibonderie typically british, ils n'en parlent point. Pour vous donner une unité de mesure l'on rencontre davantage de groupies dans les dix premières pages du livre qu'a consacré Michel Mallory à Hallyday que dans l'ensemble du pavé de Mark Blake. Ces messieurs se sont mariés ( plutôt deux fois qu'une ) et les préséances entre ces dames furent sources de maintes ambiances plombées... Au final cut, peu de rock and roll – du moins pas celui que l'on écoute en règle générale du côté de chez Kr'TNT  !


Vous ai tenu au courant, vous n'êtes pas obligé de lire. De toutes les manières, ce qui ne vous tue pas, vous rend plus fort.


Damie Chad.

JOHN COLTRANE

XAVIER DAVERAT

( EDITIONS DU LIMON / 1995 )

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Pour Patrick Geffroy,

Aurais-je eu la patience de lire le bouquin si je n'avais été cloué au lit à l'hôpital ? Je ne le crois point, surtout que je l'avais arrêté après sept ou huit pages, cet été. Pour les futurs acharnés, je précise que ce livre de Xavier Daverat – professeur de droit spécialisé en propriété intellectuelle, défenseur de la tauromachie, fervent de Jazz – a remanié son ouvrage désormais accessible en librairie sous le titre Tombeau de John Coltrane, paru chez Parenthèses Editions ( une trentaine de titres sur les grands du jazz ) en 2012.

 

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On est foutu, c'est du touffu. La figure humaine de Coltrane, Xavier Daverat n'en parle pas, à peine une quarantaine de lignes si l'on met côte à côte les rares allusions disséminées dans son book. Daverat doit être un structuraliste qui s'ignore. L'oeuvre se suffit à elle-même. Nous avertit dès la quatrième de couve. Pas d'anecdotes biographiques. Rien de croustillant à se mettre sous la dent. Du dur de dur. Du moellon concentré. Du béton armé. Indigeste pour les aficionados de la jazz attitude ( sex , drugs and groove ), passionnant pour les amateurs de l'analyse musicale. De la musicologie pure. Un accélérateur de haine suprême à vous dégoûter de Coltrane jusqu'à la fin de votre séjour en ce bas-monde. Vous ne me croyez pas, avalez sans ciller les cent premières pages. Après un tel pensum, difficile de pousser oultre. Ou alors faites-le à la Chateaubriand, à l'outre-tombe. Parce que le destin de toute biographie est de s'achever à la mort du héros. Et pour notre bonheur de lecteur, Coltrane ne pousse pas les rallonges de la vie jusqu'à ses quatre-vingt dix ans. Décède décemment à quarante et un ans.

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Vous soupirez d'aise, vous êtes parvenu à sortir vivant des cent premiers feuillets, vous croyez avoir traversé votre Sahara, d'après vos fausses déductions, les cent vingt pages restantes ne pourront vous proposer qu'un climat plus serein. Pauvres malheureux. Vous venez de traverser la ceinture verte des oasis. C'est maintenant que vous quittez le jardin de l'Eden, c'est maintenant que commencent les dunes de sable mouvant et les regs pierreux infestés de serpents venimeux. Xavier Daverat n'est pas homme à se laisser arrêter par la disparition de son champion. Le roi est mort. Vive les roitelets. Coltrane out, se pressent en nombre les descendants, les fils héritiers comme les progénitures maudites. N'ayez crainte, Daverat nous les énumère tous. Du plus proche au plus éloigné. Vous les classe et vous les étiquette. Un par un. Une véritable revue militaire. Doit en citer cent cinquante. Z'avez z'intérêt z'à z'être fin gourmet de jazz pour vous y retrouver dans le labyrinthe. Je sens déjà que le perfecto des rockers pâlit à vue d'oeil, tombent comme des mouches. Courage !

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Au bout du bout, huit pages sur le rock and roll ! Pour un peu en guise de remerciement vous vous précipiteriez pour brûler un cierge de remerciement béni par le pape devant la statue de la sainte vierge. Inutile d'entonner une centaine d'Ave Maria, vous tombez dans le marécage du jazz-rock : Weather Report, Mahavishnu Orchestra, Santana ( en ses pire moments d'aube blanche de communiant ), zut, mille fois zut ! On respire : deux feuillets sur Magma. Très critiques. Je vous en résume la philosophie générale : du sous-Coltrane. Peut-être bien, mais Xavier Daverat l'oublie toutefois l'impact, la force et la puissance de Magma. Tout ce qui entre nous différencie le jazz du rock and roll. Le fossé êtral qui sépare les évitements pervers du serpent sinueux de la férocité du tigre mangeur de fans.

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Pourtant l'on eût aimé qu'avec sa science musicale Xavier Xavier Daverat nous expliquât les réminiscences reconnues et revendiquées de la musique de John Coltrane par des groupes tels que les Stooges et le MC 5. Nous commentât comment de la volonté de Coltrane de jouer fort, vite et longtemps s'établit la filiation de cette sursaturation phonique du rock and roll au milieu des années soixante. Selon moi, si l'on peut parler de rencontre génitrice entre rock et jazz, ce n'est pas dans le pompeux et stérile délire de l'impasse instrumentiste du jazz rock, mais justement en ces accointances séditieuses et clandestines de la violence du rock and roll avec la brutalité post-boppique du jazz.

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Miles Davis lui-même avait compris que son influence sur la rock music des années soixante-dix était un leurre. Rendait à César ce qui appartenait à Coltrane. Ce n'était point parce que John McLaughlin tenait la guitare sur In a Silent Way, que son influence sur la musique rock était prépondérante. Laissait le rôle à John Coltrane. Un esprit un peu pervers se demandera si ce n'était pas là un cadeau empoisonné. Miles refilait la barbaque avariée de cette zique de sous-musiciens à son pote Coltrane, revendiquait seulement pour lui l'impasse du jazz-rock comme la preuve qu'un enfant bâtard n'accèderait jamais à la noblesse originaire et paternelle. Peut-être même peut-on voir en cette inconsciente réappropriation de la culture jazzistique une volonté de définir celle-ci en tant que matière (exclusivement) noire. Dans cette veine d'idée l'on constatera que Coltrane est peut-être le musicien de jazz qui le premier s'affranchit du cadre du blues. Avec lui, les blue-notes en voient de toutes les couleurs. La chose – je n'ai pas dit la New Thing – est vraisemblablement beaucoup plus complexe que je ne l'exprime avec mes grosses et fluettes chaussures de daim bleu, John Coltrane tenait le saxophone sur Kind of Blue de Miles Davis...

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Si Coltrane est bien un transfuge du Be bop il opère par débordement. Le saxo de Parker avait arraché le beat primordial du groove à la ronde infernale du swing, cercle vicieux de la rythmique primordiale qui se mord la queue, et il le déploya en séquences articulées en tant que ruptures soudaines de l'achèvement d'une phase primaire explorée en ses nombreuses efflorescences dé-constructives. Ainsi peut-on dire que si Parker fut l'inspirateur originel et séminal du futur saccage opéré par la New Thing, Trane est un adepte de l'intensification à outrance, se contente de découper en minuscules segments qu'il répète à satiété, mais en augmentant chaque retour d'une impédance potentielle sinuosoïdale, de telle manière qu'il opère un décalage elliptique qui brise le cercle et le transmigre en spirale ascendante. Toute sa spiritualité provient de cette communion avec cette bouche béate, ce sexe béant, de ce que Rainer Maria Rilke appelait l'Ouvert, ces lèvres d'ombre qui permettent de transgresser la partie obscure de l'univers qui se dérobe à nos sens, et que l'on ne perçoit que par une ascèse de création poétique.

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Coltrane se rapproche par cette intumescence incessante de la tempête du free, se colle à cette matrice en gestation, mais ne franchit jamais le Rubicon de la percée des eaux. La New Thing était trop politique pour lui. L'on n'entretient pas une relation exigeante et privilégiée avec ce que les premiers grecs nommaient le sophon ( en opposition avec la prudente sophia platonicienne ) pour condescendre à s'abaisser à tous les cadres moraux du pré-établi humain. Selon Trane le marteau nietzschéen de la démolition est manié à contre-emploi si l'on se contente d'en écraser les parois de nos prisons autant sociales qu'intérieures. S'en servait pour tracer une galerie qui s'enfonçait dans ce qu'il faut bien se résigner à nommer le divin. A Love Supreme est l'exaltation catholique – au sens strictement étymologique d'universel – de la ferveur chrétienne du gospel. Voire du negro-spiritual si l'on désire s'en tenir à la revendication noire. L'on comprend mieux ainsi pourquoi Coltrane s'est acharné à dépasser l'originelle musique du diable que reste le blues. L'on est ici bien loin de toute préférence personnelle, de ces goûts et ses couleurs qui ne se discutent point pour la seule raison qu'ils ne sont que les écorces mortes et aléatoires de la formation de toute édification de notre part la plus intime, de notre individuation historiale. Le saxo de Coltrane c'est l'orchestre du Titanic qui joue Plus près de toi, my Lord, au moment même où l'océan engloutit le navire. Pas de panique, la mer mortelle et toujours recommencée est composée en son entier de particules d'amour. La mouche qui tombe dans le verre ne fait que l'amour avec de l'eau. L'univers est un liquide symbiotique strictement universel. Extase amniotique.

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Pouvait difficilement aller plus loin. Trane est mort jeune, car quand on en arrive à de telles extrémités créatrices, il ne reste plus qu'à se répéter jusqu'à la fin de son existence. L'avait horreur de bégayer avec son saxo. Finalement Xavier Daverat n'a pas eu tout à fait tort de liquider toute la phénoménologie existentielle du musicien. Pas un suicide, mais l'intégration dans la trame du vécu de la non-nécessité de continuer. La survie n'est que la négation de la vie. Resterait maintenant à théoriser la récupération de la brûlure incandescente de la musique métaphysique de Coltrane dans l'esthétique de deux des combos les plus explosifs du rock and roll. Me contenterai de percevoir celle-ci comme une simple annexion toute païenne, un peu comme Julien tentant de rétablir l'Imperium tout en étant un fils de l'hélios-roi plotinicien. Mais cela nous entraînerait trop loin.

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Pour le lecteur curieux nous lui conseillerons de méditer sur le chapitre consacré à l'un des musiciens de Coltrane intitulé : McCoy Tiner ou l'esthétique orphique... Preuve que cet ouvrage est beaucoup plus riche que ma facétieuse introduction pourrait le laisser présager. Que voulez-vous le rocker est toujours moqueur. Les amateurs de rock ne dédaigneront pas non plus les pages consacrées à l'analyse du style d'Elvin Jones. Ce monstrueux batteur sur les genoux duquel Christian Vander a reçu tout jeune des leçons essentielles de frappe... Les quatre cents coups qui forment la jeunesse.


Damie Chad.


Pour tous ceux qui penseraient que les rockers n'ont aucune ouverture d'esprit ( c'est vrai, mais je ne me soigne pas ), je recopie ici une chronique de disque CD de François Cotinaud que Xavier Daverat dans son livre présente ainsi : «  François Cotinaud, lui, a conscience d'avoir emprunté à Trane sans travail spécifique par rapport à Coltrane. Il part plutôt d'Archie Shepp pour en venir à Wayne Shorter, et il est vrai que sa sonorité rugueuse et son jeu dense doivent le situer parmi les musiciens cités ici. Il a intitulé une de ses compositions John Wayne en hommage à John Coltrane et Wayne Shorter. »

LOCO SOLO / FRANCOIS COTINAUD
CD. 58'. Label Musivi. 105 avenue du Belvédère
93310. Le Pré Saint Gervais
Distribution Mélodie.

Prise de son : Laurent Thion. Photos : Ramon Lopez. Léa Ciari.
Pochette : Patrick Geffroy. Graphisme : Olivier Guichard.
Textes : François Cotinaud. André Murcie.

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Agréable surprise ce compact jazz qui nous offre en couverture une peinture de Patrick Geffroy dont nous avons beaucoup parlé dans Alexandre N° 33. Mais ceux qui auront lu la chronique jazz de Patrick Geffroy dans le précédent numéro ne seront pas vraiment surpris de retrouver son Passage des Ombres en figure emblématique de cette aventure musicale.
Si François Cotinaud a tenu à ce que la photo de Patrick Geffroy figure, en signe de complicité amicale et même d'affinité spirituelle, sur la rondelle même du disque, il n'en reste pas moins que nous sommes ici face à une oeuvre de solitaire, une de ces tentatives jusqu'au-boutistes de l'art qui ne peuvent se décliner que selon un personnel, initial, et originel dessein égotiste.
La problématique est simple : un homme seul avec son instrument. Un musicien face ( avec, contre ) à son saxophone. De jazz, car il s'agit bien de jaser avec son outil à musique, de rentrer en lui une longue conversation essentielle et d'en ressortir des sons qui ne soient plus aléatoires mais significatifs du projet qui les engendra, les poussa dans le tube, les éructa à la face du monde.
Sans concession : François Cotinaud. Ils sont des milliers chaque jour à s'esquinter à apprivoiser le tube magique, à en tirer miaulements et feulements divers. Mais ce ne sont qu'efforts, essais, tentatives, brouillons d'un entraînement opiniâtre à atteindre une certaine maîtrise qui donne accès au droit de jouer. Les gammes avant le programme en quelque sorte !
Et voici que François Cotinaud refuse l'ambivalence du jeu qui consiste, toujours un peu, à faire semblant. Jouer de la musique ne lui suffit plus : ce CD est à écouter comme une tentative de dépasser, non pas la musique, mais l'amusement métaphysique d'une certaine sociabilité de la musique. Cette musique dont on dit qu'à défaut d'adoucir les moeurs elle arrondit les angles.
Le disque commence par une longue expiration, comme s'il fallait d'abord vider l'instrument de toutes ses scories musicales, comme s'il fallait faire le vide, mais à la manière d'un ballon qui se dégonfle et rejette tout l'air ( tous les airs) qui ont manifesté sa présence et son passé musical. Peut commencer alors le travail des rémanences essentielles, des retrouvailles nuptiales avec quelque chose dont la musique procède et que l'on pourrait appeler l'ère culturelle du son et du sens. Et l'on n'est nullement surpris d'entendre François Cotinaud se mettre à siffloter une arabesque de Thelonius Monkou le riff de L'Hymne à la joie d'un certain Ludwig Van Beethoven ! Berio, Queneau, Baudelaire arrivent en renfort on ne sait ni comment ni pourquoi, mais leur présence s'impose, nécessaire et évidente, absolue et totale. Quoi que l'on pourrait penser, l'on est à mille lieues d'un inventaire à la Prévert : l'on serait plutôt dans l'alignement dodécaphonique de séries transitoires, dont la disposition, pli selon pli, pour reprendre une terminologie mallarméo-boulézienne, tendrait à indiquer l'unique pâmoison combinatoire de tous les cheminements possibles.
Solo. Loco Solo. Le lieu seul comme seule folie permise. Car il s'agit bien pour François Cotinaud d'une tentative un peu folle d'un dépassement, d'un surpassement ( le terme en est mieux approprié ) du simple fait de souffler dans un instrument. Parfois une certaine éthique esthétique contraint le Musicien, et François Cotinaud fait partie de cette race, à refuser à sa musique de se déployer selon un simple mode de médiation sociale ou d'être une copie conforme du divertissement pascalien.
François Cotinaud tente d'arracher sa pratique instrumentale à la gangue illusoire de la maya pour l'équaliser à la géométrique proportionnalité de l'harmonie des sphères célestes. Inutile de vous faire un dessin : c'est un disque difficile qui ne s'abandonne pas à la première écoute. Les amateurs de variétoche auront du mal à y dégoter une musique d'ambiance pour leur répondeur téléphonique mais les passionnés de free-jazz et de musique contemporaine seront comblés.


Damie Chad.
In Alexandre, mensuel de littérature polycontempraine,
N° 39 de Mai 1998.

Nous faisons suivre cette recension de l'introduction du supplément gratuit du Numéro 44 d'octobre 1998 du mensuel de Littérature Polycontemporaine Alexandre, destinée à présenter François Cotinaud à un public éclectique. Il improviserait devant les tableaux en toiles de fond lors de l'ouverture de l'exposition de peinture de Patrick Geffroi et Léa Ciari à Provins, ce même mois d'octobre 1998.Texte relativement prophétique quand l'on sait que François Cotinaud fondera en 2013, à Paris, le premier festival de Soundpainting.

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LOCOTINAUD !

IMPROVISATION MUSICALE AUTOUR DES PEINTURES
DE PATRICK GEFFROY ET LEA CIARI

Il n'y a pas de hasard, seulement des rivières qui se séparent pour mieux se retrouver, ou alors ( mais la chose est plus difficile à entendre ) les sources sont-elles peut-être orientées selon des lignes de crêtes qui dessineraient de mystérieuses partitions sur les flans abrupts de nos parnasses intérieurs.
Hippocrène! Cheval fou de l'onde amère ! Les muses dansent toutes ensemble la même sarabande ! Leurs pieds tracent de drôles de signes sur le sol des origines. Le pipeau des dieux nous flagelle les nerfs. Euterpe et Calypso échangent leurs robes. Qui ne s'arracherait l'oeil, le souffle ou l'image, pour entrevoir cette auguste nudité !
Seul l'artiste sait s'avancer sous le porche ombré. Il est le seul à détenir assez de clairvoyance apollinienne pour s'adonner à cette sombre folie dionysiaque. Solo ! Cotinaud ! Solo ! Cotinaud ! Loco ! Le seul assez fou pour jouer le jeu du don. Se mettre face à face et voir venir, front contre front et éructer la rage du vouloir vivre dans le feulement pneumatique de toutes les violences du monde, et ses tendresses, et ses douceurs, toutes ces émotions qui furent reçues comme autant de coups et de blessures portés au coeur même du cortex, et rendues, vomies à la gueule de ces peintures de Léa Ciari et de Patrick Geffroy.
C'est que l'on n'improvise pas la musique comme un pique-nique. Vous qui passez impassibles devant les tableaux, savez-vous, que pour les ondes de lumière qui composent les déclivités aberrantes des toiles, vous êtes comme des statues ambulantes et mortifères, qui s'en vont au bout de la galerie, croyant visiter une exposition, alors qu'elles ne font que s'approcher de l'allée funèbre des cimetières qui les enseveliront pour toujours. L'oubli déjà alourdit vos pas et efface vos traces.
L'improvisation musicale de François Cotinaud, ce dimanche d'octobre très chronologique, ne devrait pas vous être délassement dominical. La télévision, ces cercueils extra-plats en vente dans toutes les grandes surfaces de la médiocrité humaine, est là pour pourvoir à ces amusements subalternes. Venez-y plutôt, comme à un rite propitiatoire, nécessaire à l'exhaussement de votre existence. L'art se doit d'être une cérémonie païenne. Peintures et musiques sont les voiles métaphoriques des aspersions sanglantes et lustrales qui président aux hécatombes. Loco, Locotinaud ! La vache céleste et le taureau invincible. Corrida métaphysique de la mort et de l'hymne à la joie !

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Damie Chad.

LES INROCKS

/ H.S. N° 78 / 04 - 2016

LA BIBLIOTHEQUE ROCK IDEALE

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Pour Richard,


N'apprécie guère les Inrocks. Le magazine pue trop la bonne pensée consensuelle de cette droite pseudo-mollassonne que l'on appelle le Parti Socialiste. Cet axiome de base étant posé, la revue m'ayant été offerte par un copain, le sujet concernant de près ce que nous mettons en oeuvre très régulièrement dans notre blogue, le l'ai lu en entier. Mon voisin de lit de quatre-vingt ans, entièrement nu, préférant se lancer sur son lit dans un pogo dévastateur que n'aurait pas renié Sid Vicious, aux temps bénis du punk. Infirmières en folie. Moment très rock and roll !
Nous présentent près de deux cents livres. Beaucoup en anglais car non traduits. Sur la centaine restante nous vous en avons commenté plus du tiers. Un gros défaut chez les Inrocks ne savent pas que le rock a commencé dans les fifties, à part le Wild Party de Max Décharne surl e rockabilly et le Guralnick sur Elvis ( Last Train To Memphis )... apparemment n'ont jamais rien lu sur Little Richard, Bo Diddley, Chuck Berry, Eddie Cochran, Gene Vincent et Vince Taylor. Objection, votre honneur Damie, ils mentionnent le Hell Fire de Nick Toshes, gloire à notre seigneur Jerry Lou... Oui mes loupiots, y sont un peu obligés puisqu'ils consacrent trois pages à Nick Toshes – très belle photo d'ailleurs. C'est la politique de la maison, présente les incontournables : Greil Marcus, Lester Banks, Nick Kent, Toshes bien sûr... oui que des étrangers, question français une page pour Chalumeau, un encart pour Yves Adrien, et une interview pour Michka Assayas – l'on n'entend plus que lui sur France Culture et France Inter depuis qu'il a sorti son roman sur son fils, l'est peut-être bien, ne l'ai pas lu, mais à chaque fois les journalistes empruntent une voix mielleuse pétrie de bons sentiments à gerber.
Le problème c'est que l'amateur de rock and roll moyen a la réputation d'être un petit lecteur, alors vers la fin l'on a droit à deux chapitres sur les images ( pochettes de disques, photographies ) et la BD. L'on se hâte de dérouler le tapis rouge aux grandes stars : Patti Smith, Keith Richards, Led Zeppelin, Rolling Stones, Bob Dylan, John Lidon, Kurt Cobain, Paul McCartney, auteurs, ou co-auteurs, ou simples sujets d'études, sont là pour appâter le client et satisfaire leur régime alimentaire habituel.
Les amateurs retrouveront avec plaisir des figures moins connues – tout est relatif - comme Andrew Loog Oldham et Chuck Klausterman dont Rivages Rouge a traduit son délectable Fargo Rock City qui nous conte dans un coin perdu du Dakota les émois d'un adolescent tiré de sa torpeur paysanne par les cliquetis diaboliques du Heavy Metal.
Questions éditeurs, Allia, Rivages Rouge, Le Mot et le Reste se tallent la part du lion, Scali n'apparaît qu'une fois et Camion Blanc ne se gare pas très souvent sur le parking. Ce numéro se lit comme on feuillette un album de photos de famille. On reconnaît très vite tout le monde. L'on remet ainsi rapidement les visages qui ne nous disaient plus rien. C'est agréable et ça fait toujours plaisir. Mais une fois que l'on l'a refermé, l'on se dit que l'on n'a pas appris grand-chose. Et que tout de même, il manque les fils maudits qui croupissent en prison et les filles dévoyées qui sont parties faire le tapin in the house of the rising sun.


Damie Chad.

 

 

 

 

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