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26/02/2021

KR'TNT ! 499 : WAU Y LOS ARRRGHS!!! / DAVILA 666 / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXII

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 499

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

25 / 02 / 2021

 

WAU Y LOS ARRRGHS!!! / DAVILA 666

ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXII

TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Adieu Wau, vaches, cochons !

 

Pas facile à prononcer, le nom des Wau Y Los Arrrghs!!! Si on écoute ce groupe espagnol, c’est à cause de Beat-Man qui déclare dans un book à paraître : «Oh yes that was… Les gars de Wau Y Los Arrrrrrrrrrghs m’ont envoyé des démos et des trucs… It was all super trash... mais je savais qu’il y avait des trucs fantastiques là-dedans et donc je les ai envoyés chez Jorge dans son studio à Xixon pour enregistrer… Je crois que j’ai réservé trois jours d’enregistrement. Ils sont arrivés là-bas par miracle. C’était une troupe extrêmement chaotique. Un jour plus tard, Jorge m’a appelé pour se plaindre, he said : « Beat-Man !!! WTF !!! What kind of band is that !!! Ils n’ont pas de chansons, ils n’ont pas de paroles, I can’t do anything with them... » J’ai rigolé, hahah… je lui ai dit de leur donner du temps, qu’ils avaient fait la route et que ça irait mieux le lendemain. Je crois que Juanito a écrit les paroles cette nuit-là et le lendemain Jorge m’a rappelé : « BEAT-MAN !!! this is amazing... I think we just recorded the Best Spanish Garage punk of all time... their Lyrics are so hilarious and the music and everything... » Hahahaha… Il avait raison... Ce premier album Cantan En Español est probablement the most authentic and WILDEST garage punk album ever made in Spain... Je suis très fier de l’avoir sorti. Et Gildas est celui qui en a fait la meilleure promo, aussi bien sur le Dig It! Radio Show que dans son fanzine.»

C’est vrai qu’on est vite surpris par l’énergie de hussards sur le toit que dégagent ces Spanish boys. Ils sont extrêmement énervés et rient comme des fous. Voilà de quelle façon on pourrait les décrire. Sans oublier les wild guitars, le tatapoum et la mauvaise haleine. Et pourtant l’album démarre mal, car les Wau Y collectionnent tous les clichés de garage exotique et il faut attendre «Lo Que Quiero» pour sentir ses naseaux frémir. Le cut bat absolument tous les records de violence. Ils basculent dans la délinquance juvénile. Il faut le voir pour le croire. Puis ils s’inscrivent dans une veine de garage moderne avec des trucs comme «Girl Coge Mi Cosa» et «Niña». Ces Spanish boys sont les cakes de l’overdrive. Ils sont encore pires que Monoman, awite, tout explose dans l’œuf du serpent, merci Beat-Man ! C’est l’album des fast cuts, ça sonne comme un fantastique exutoire. Ils jouent «Niña» sur les accords des Sonics au Demolition Doll Rodéo, ils explosent les coques de noix du garage et flushent leur flesh comme des cracks. Retour de la violence du diable avec «Yo Quiero Volver», la pire intro de fuzz de toute l’histoire du gaga, c’est un rêve de gogo speedé au Spanish tatapoum, avec un killer solo flash in the pan pan cucul. Beau délire Voodoo. Ils montent leur «Ce Ne Pas La Importance» sur le beat de «Stepping Stone», ils tentent de chanter en français mais ça n’a pas la importance. Ils passent au prog gaga avec «Te Voy A Odiar», ils nous jerkent la jute de juke en roulant des r, le batteur vole le show, il joue bien devant dans le mix au détaché de déconstruction, bien vu camarade, c’est bardé du meilleur Spanish beat et secoué des meilleures relances de bassmatic. Quand tu sors de là, tu en redemandes.

Alors tu veux du rab ? Amène ton auge. Schplafff ! Tiens v’là du rab de Wau ! Cette fois l’album sort sur Munster avec une belle pochette exacerbée. Petits conseil aux amateurs de gaga : rapatriez Viven!!!, si ce n’est pas encore fait. Parce ce que boom ! Et boom du début à la fin. On prenait les Spanish boys pour des gens calmes, un brin lymphatiques, c’est une erreur, il suffit d’écouter «Piedras» pour voir à quel point on se fout le doigt dans l’œil, ils nous font le pire des coups de Jarnac, celui du stomp d’harmo, le Spanish beat de cave, celui qui fait bander les pépères. Ils sont dans cette énergie héritée des caves de l’East End londonien, ça dégouline de sueur et de micolason. Ils rendent aussi hommage à Link Wray avec «Viva Link Wray». Il n’existe rien de plus mythique sur cette terre qu’un hommage à Link Wray. Ces excellents compañeros méritent vraiment qu’on les admire. Surtout Molongui le guitariste, qui fracasse pas mal de cuts à coups de killer solos flash, à commencer par «Donde Estan», une espèce de foire aux réflexes gaga et il finit par déclencher un feu de prairie. Tiens et puis tu as «It’s Great». Alors tu te poses la question : serait-ce l’intro du siècle ? Va-t-en savoir ! Il y a là de quoi faire tomber un juke de sa chaise. Ils sont épouvantables de verdeur rabelaisienne, ils quixottent les moulins, ils farafouillent le foin, hey hey, ces mecs sont des bâtons de dynamite à deux pattes. Sous le boisseau, ils sont aussi parfaits, comme le montre «La Cueva». Wow the Wau ! Il faut les voir cavaler à travers la plaine en feu, c’est plein de relais et de coups de junk sur l’accélérateur, ça roule des r dans la spanish delinquancia, avec du solo déglingue de fer blanc en pleine orgie de voyous, pure genius, yeah la cuerva. Quelles sales petites gouapes ! Mais ils foirent un peu l’ouverture de leur bal de B en faisant du Kraftwerk d’autobahn espagnol avec «Copa Raya Paliza», fuck it, et perdent leur spontanéité avec «Dicen», même si Molongui y place un solo d’arrachage de dent. Mais ils se reprennent bien vite avec «Piedras», déjà cité à l’ordre du mérite, et «Help Me Find Myself», qui est comme cloué à la porte de l’église par l’ignoble Molongui. Il faut remercier Beat-Man d’avoir lancé ces Spanish boys.

En 2013, ils récidivent avec Todo Roto. Mais ils perdent un peu de panache dans ce nouvel épisode. Bon, c’est vrai, ils conservent un sens aigu des belles dégelées d’envergure, mais en même temps, ils ne sortent pas des clous du gaga. On voit bien qu’ils ont du mal à se réinventer, comme tous ceux qui ne jurent que par le gaga. Alors quand on se retrouve dans cette situation, que peut-on faire ? Du Sonics ? Mais oui, alors ils font du Sonics avec «Futa Podrida», ça marche à tous les coups. Absolute distaster de Fruta, ça screame en Spanish, arghhhhh, et ils vont même en servir une rincette avec «No Se Canter», de l’ultra gaga complètement soniqué du ciboulot. Ce mec va screamer jusqu’à l’oss de l’ass, pas plus pur jus que celui-ci, il screame à l’outrance de la stridence, au hey hey hey des fabuleuses expéditions gaga d’antan. Ils font aussi du cro-magnon («No Me Veras Caer») et du raté de Wau («Cuervos»), mais c’est un raté de Wau délicieux et sauvagement dévergondé. Il faut bien reconnaître que ce mec chante comme un dieu Spanish. Il torpille bien son yeah yeah yeah à la pointe de la glotte et on applaudit des deux mains. Ils continuent sur le mode dégelée jusqu’à la fin du disk et aussitôt après, la Mer Rouge se referme sur leur passage. Depuis, plus aucune nouvelle.

Signé : Cazengler, Wau pas cher

Wau Y Los Arrrghs!!! Cantan En Espagnol. Voodoo Rhythm 2005

Wau Y Los Arrrghs!!! Viven!!!. Munster Records 2009

Wau Y Los Arrrghs!!! Todo Roto. Slovenly Recordings 2013

 

 

Sympathy for the Davila

 

Davila 666 figurait parmi les groupes que Gildas avait pris sous son aile. Son Radio Show était déjà bien énervé, mais l’arrivée d’un Davila mettait véritablement le feu aux poudres. Question flair, Gildas était infaillible. Il avait su les repérer.

De tous les groupes qui ont émergé sur la scène gaga des années 2000 via In The Red Recordings, Davila 666 fut sans doute l’un des plus fascinants. Passé le cap du nom diabolique, on découvrait un monde musical extrêmement luxuriant, un brouet exubérant de rockalama bourré d’énergie et franc du collier, que des paroles en espagnol rendaient délicieusement exotique. Grâce au peu d’infos que lâchait In The Red, on savait que les Davila étaient portoricains, d’où l’exotisme capiteux. Pas besoin d’en savoir plus, leur premier album paru sur In The Red se débrouillait très bien tout seul. Pendant longtemps, Gary Usher et Curt Boettcher se sont débrouillés tout seuls sans infos, la doc n’est arrivée qu’avec Internet, et encore, si on peut appeler ça de la doc, alors pour les Davila, c’est pareil. Et si on cherche aujourd’hui de la doc sur eux, on ne trouvera pas grand chose, à part les sempiternels clips sur YouTube. Ce sont les disques qui font tout le boulot. Dans leur cas, on peut même parler de vision musicale. Mais en même temps, on mettrait sa main à couper qu’ils n’ont pas cette prétention.

Le premier album de Davila 666 compte parmi les révélations du XXIe siècle. Il suffit d’écouter «El Lobo» pour s’en convaincre. Il s’agit là d’une véritable abomination explosée en plein ciel et chantée à la serpillière de garage chicano. L’immonde Davila balance son El Lobo dans un mur du son organique, un son fracassé d’énergie humide qui resplendit et qui se carapate dans des circonvolutions extravagantes. Suck my blood Davila ! Wow ces mecs ramènent trop d’exotica de trash d’un coup et ça dépasse toutes les expectitudes. Nouveau coup de génie sick sick sick avec «Bla Bla Bla». Ils produisent une espèce de son inconnu et incroyablement revigorant. Ils jouent au power pur et au beat des reins, ils rient au nez des dieux du rock qui sont pourtant rompus à tous les excès. Dans «Oh Baby», les guitares fracassent du verre, c’est brossé dans le mauvais sens du poil et demented on the git go. Ils surchargent le spectre du mastering, ça bouine de profundis dans le mortier. On entend les accords de Lou Reed dans «Muy Christoso», mais avec de la ferraille de bonne franquette portoricaine. Ces mecs cultivent l’art d’aiguiser le rococo du son. Ils viendraient d’Haïti, on les traiterait de sales petits voodoos. On entend même des guitares à la Johnny Thunders. Tiens puisqu’on parle du loup, le voilà dans «Callejon». Ils tapent ça au tact de niaque des bas-fonds du barrio. C’est franchement digne des Dolls, oh so far out ! So street-wise ! Encore un produit toxique avec «Cludad». Que de son ! On se croirait au Gold Star avec Phil Spector. Ces mecs ont tellement de son et un tel goût pour l’aventure qu’ils rappellent les Pixies de l’âge d’or : «Dimelo Ya» sonne comme la huitième merveille du monde. Tout est frais, enjoué, tortillé. Ils font aussi du garage d’exotica avec «Bajura» et sortent l’un des meilleurs sons du sous-continent. Ça grouille de ouh ! Fantastique gusto que celui de «No Quiero». Ils sonnent tout simplement comme des Ronettes punk, avec un swagger qui fout les chocottes. Ils terminent cet album pour le moins spectaculaire avec un «Nueva Localizaciôn» assez bulbé du bilboquet. Comme ils chargent leur barque en permanence, ils n’atteindront jamais Cythère. Ils préfèrent la traînasse de la davilasse, c’est-à-dire la mélodie à la ramasse.

Que peut-on attendre d’un deuxième album des Davila ? Rien de bon, c’est-à-dire le meilleur. The less is more, nous dit le sage. Un maure leste dirait la mort en laisse. Veuillez croire qu’au royaume béni-maudit des Davila, tout est permis, même le contrepet duchampignon.

Paru en 2011, Tan Bajo bouge tout seul, comme la charogne de Baudelaire. L’album est bourré de saloperies infectueuses du genre «Robacuna», un heavy groove latino latinoire digne du Death Party Gun Clubbic. Ils sont avec ça dans l’excellence du rentre-dedans, ils jouent en connaissance de causa nostra, avec cette manie de chanter à profusion. Nouvelle escapade dans le demento latino à gogo avec «Ratata», énorme shoot de power-pop, une bénédiction pour les couvents, aéré d’un solo macéré à la Thunders. Peu de groupes sont capables d’aller aussi loin dans l’hommage insultant de grandeur. Les Davila sont décidément capables de tout et de n’importe quoi, comme le montre encore «Patitas», une belle envoyée de garage punk, une nouvelle porte ouverte à tous les coups d’épée dans l’eau, ils mélangent l’Irlande avec New York, ça cuit à gros bouillons dans leur marmita patita banana. Nouvelle rasade d’ultra-garage pop avec «Los Cruces», ils jouent ça comme s’ils nous emboutissaient une idée de son dans la cervelle, c’est évolué mais sous le boisseau. Ils passent tout ce qu’ils peuvent à la moulinette pas nette. Ils nous font goûter à l’un des trucs les plus précieux sur cette terre, la folie du son, et attaquent quasiment tout aux renvois de voix. Ils développent des flambées de son à faire baver d’envie Oasis et savent se montrer répugnants quand il le faut («Yo Seria Otro»), ça fait partie du jeu. Leur garage punk semble parfois éberlué, comme s’il était surpris comme un cerf par les phares d’une bagnole. Leur son est une résurgence permanente, c’est pour ça qu’ils sont cinq, il faut fournir. Quand on écoute «Eso Que Me Haces», on pense bêtement à des Undertones portoricains, ils jouent à la machette et taillent un chemin dans une jungle qui repousse aussitôt derrière eux. Et quand on écoute «Idiablo», on pense encore plus bêtement à un Oasis portoricain, ils ramènent tellement de son qu’on finit par capituler. Que peut-on faire d’autre que de fermer sa boîte à camembert et la garder pour le dessert ?

Si on s’offre la petite compile Burger Poco Anos Mucho Danos, on sera le premier à s’en féliciter. Et chaudement ! Rien que pour «Pingorocha y La Diva Rockera». C’est claqué de Rico, ces mecs ont la plus grosse énergie du sous-continent. Fucking genius ! Ils rivalisent d’ardeur avec les Dwarves. Même chose avec «Me Va Muy Mal», ils développent autant d’énergie que les Heartbreakers, ils déblayent tout sur leur passage. On peut dire qu’ils sont les rois du garage punk moisi, celui de la cabane croulante de Puerto Rico. Ils grattent tout au lousdé de guitares insistantes et le chant envenime les choses comme la morsure d’un black mamba. «Sabes Que Quiero» va directement dans un juke en bois, car c’est la plus belle rockalama de Rico. Leur son a une saveur qui vaut celle du vrai biriani, celui qui explose dans la bouche. Ils tapent «Alverez» aux accords glam et croyez-le bien, le glam de Rico est des plus explosifs. Ils font une monstrueuse cover de «Hanging On The Telephone» retitrée «Telefono». Ils la jouent placidement mais avec tout le power du sous-continent. Et si les Davila étaient le plus grand garage band des Amériques ? Il faut entendre les guitarras claironnantes de «Mariel», ça balance entre une Stonesy extrême et une fricassée de tarentules. «La Killer Bitch» déborde d’énergie et de son, on peut lui faire confiance. Non seulement c’est un ras de marée sonique, mais le Rico gueule comme un veau. Et la fête continue avec «Y Me Pregunto», pas de demi-mesure, on reste dans les staturnales. Ils tapent dans le «She’s A Rainbow» des Stones avec tout le power du mondo bizarro et ça devient «Borrando El Negro», Davilish. Et on ne vous dit pas tout.

Signé : Cazengler, Dalida 666

Davila 666. ST. In The Red Recordings 2008

Davila 666. Tan Bajo. In The Red Recordings 2011

Davila 666. Poco Anos Mucho Danos. Burger Records 2014

 

THE ANIMALS / 1964 - 1965

 

L'année 65 commence avec des titres enregistrés en 64... 1965 est une année charnière pour le rock anglais, le parcours des Animals l'illustre à merveille. Les Animals auront accumulé bien des hits dans les classements américains et européens. En France leur empreinte aura été forte sur nos rockers hexagonaux. Nous n'avons pas manqué de le signaler.

FEVRIER 1965

Don't let me be misunderstood : une véritable fâcherie d'amoureux entre Horace Ott et Gloria Caldwell est à l'origine du morceau composé pour Nina Simone qui l'enregistra en 1964, chez qui Les Animals la récupérèrent. En changent l'esprit, insufflent une énergie désespérée à ce qui chez Nina Simone témoignait d'un pathétique désarroi esseulé. La volée de notes introductives de Price sonnent comme de violents sanglots et Burdon assombrit la réalité du monde par ses seules intonations. Aucune version ne l'a depuis égalé. Toutefois il convient de signaler celle de Noël Deschamps sur des paroles de Gilles Thibault, des plus émouvantes, d'autant plus remarquable et troublante que sa voix n'a rien à voir avec celle d'Eric Burdon, il est vrai que Noël Deschamps est un des rockers français les plus doués de sa génération ( et de celles qui suivirent ), et des plus originaux, le seul qui n'emprunte pas son art de poser les mots aux anglais et aux amerloques . Club A Go-Go : une face B différente, plus bluesy écrite par Price et Burdon, un morceau rugueux en quelque sorte autobiographique, ils l'ont fréquenté ce fameux Club, y ont joué et y ont même enregistré avec Sonny Boy Williamson, la rythmique de Steve Stills est un peu sommaire mais le piano de Price vaut le déplacement. Ado j'adorais le dernier couplet lorsque Burdon crie les noms de ceux qui sont passés au Club, n'oublie pas les Animals...

( Les pochette des 45 T ne correspondent pas aux originales sans saveur )

MARS 1965

THE ANIMALS ON TOUR ( US )

Boom boom : attention très bon solo de guitare de Valentine squizzé sur le 45 tours original / How you' ve changed : l'original se trouve sur One dozen Berry's, ce n'est pas le Chuck qui pschitte au citron acide, là il pshitte à l'orange bleue, voix suave et guitare de velours, tout en nuances tout en subtilité. Comment s'en tireront nos Animals de foire qui adorent les sons costauds ? J'ai la réponse à cette question angoissante. En voyous, en vandales ? Pas du tout savent se tenir. Soyons franc dans l'ensemble ce n'est pas mal, évidemment le Burdon meugle à lui tout seul comme un troupeau de vaches que l'on a oublié de rentrer pour la traite. Heureusement le morceau ne dure que trois minutes, sans quoi nos paisibles cowidés auraient eu toutes les chances de se transformer en taureaux de combat, nos amis les bêtes seront contents, ces meuglements de vaches burdonniens nous permettent de comprendre qu'elles aussi peuvent sentir le blues et nous filer le frisson. Nous n'en sommes pas étonnés, le blues est une musique universelle. I believe to my soul : une des plus belles réussites de Ray Charles, ah ces notes de pianos cassées de l'intro, existe-t-il quelque chose de plus beau au monde. Bon par la suite, ça dégénère un peu en numéro de cirque, mais dans la vie on n'a rien sans rien. Les Animals sont d'accord avec moi, à part qu'avec eux on a tout pour rien. Alan Price vous casse les œufs par douzaines comme une poule pondeuse qui les laisse tomber de son cul et s'esclaffer sur le ciment du poulailler, la métaphore vous fait rire, écouter le Burdon, vous comprendrez à sa manière de dramatiser pourquoi votre cœur se serre et pourquoi votre copine fait pipi dans sa culotte. Magnifique. La version de Noël Deschamps vaut aussi le détour. Mess around : écrit par Ehmet Ertegun pour Ray Charles, l'orchestration cuivrée n'est pas celle des Animals mais le piano de Ray et la sonorité de l'ensemble n'est pas sans présenter avec douze années d'avance des ressemblances avec la fougue animalière. Le piano de Price est étrangement moins boogie que celui de Ray, tape plutôt dans un rag quelque peu ralenti, aurait pu faire mieux, Burdon n'a pas l'arrache sauvage de Ray, prend un peu la bouche en bec de canard pour chanter moins fort mais plus rapide. Bright lights, big city : de Jimmy Reed qui nous l'offre chaloupé avec la voix traînante, un étirement d'harmonica et la voix doublée en arrière-fond par un timbre féminin. C'était la version rurale, les Animals vous la font enfer des villes. Un son plus fort, un orgue qui sonne le tocsin, et Burdon vous transforme l'ancienne comédie campagnarde des mœurs en dramaturgie moderne. Une version bulldozer. Comme la ville a changé. Worried life blues : enregistré par Big Maceo avec Tampa Red ( ses interventions sont d'une extraordinaire finesse ) Big s'était inspiré de Sleepy John Estes, B. B. King et Muddy Waters ( l'harmonica de Little Walter y fait des prodiges ) l'ont aussi arrangé à leur sauce, un blues qui a roulé et cabossé sa bosse, Price se l'accapare sur son harmonium, Burdon puise dans les racines gospels, tribulations picaresques d'un pécheur, et chacun ajoute son grain de gros sel, Chas bassine sa basse pour la faire résonner à l'instar de la plus grosse lessiveuse du quartier, Hilton ne pince pas les cordes il les grince, Burdon entre en prière et la paix du Seigneur tombe sur les Animals. Bénis soient-ils. Amen. Let the good time roll : notre vie s'éclaire lorsque l'on se rend compte qu'Earl Pamer ( pour faire vite, le batteur de Little Richard ) était sur l'enregistrement original de Shirley and Lee en 1956. Les Animaux ne tapent pas dans de la daube. En plus se débrouillent pour calquer la version originale. Dans cette dernière c'est comme la Samaritaine vous y trouvez de tout, des relents des Vaudevilles à un early comic rock'n'roll. En l'écoutant l'idée me traverse que les Beatles ont dû s'en inspirer pour produire un son dégagé d'une trop grande ressemblance avec les pionniers. Pour la petite histoire, Shirley est créditée sur la pochette d'Exile on Main Street. Le monde du blues est plus petit qu'il n'y paraît. Ain't got you : écrit par Calvin Carter directeur chez Vee-Jay Records, enregistré par Jimmy Reed et les Yardbirds eux aussi en 1964. La différence entre les deux sixties groups se solde par un net avantage pour les Animal, certes la guitare d'Hilton ne possède pas la saturation de celle de Clapton, mais nos zèbres ont un son bien à eux, facilement identifiable, la version des mendigots est somme toute assez quelconque, sans formelle identité. Hallelujah I love her so : je ne suis pas fan de ce hit de Ray Charles, si j'apprécie la version d'Eddie Cochran c'est de l'extrême bout des lèvres sous la torture parce que c'est Eddie Cochran, si je vous disais que je ne suis pas un inconditionnel de la version des Animals, vous comprendrez. Mauvaise tijazzne selon moi. I' m crying / Dimples : la différence avec la version de The Animals UK, n'est guère flagrante, peut-être les cordes un peu moins claquantes sur celle-ci... She said yeah.

Si vous ne devez avoir qu'un seul 33 tours des Animals, choisissez celui-ci. N'est pas du tout malgré son titre enregistré en public.

AVRIL 1965

Bring it on home to me : de Sam Cooke, quant on l'écoute on situe le lieu d'où procède Otis Redding. Bien sûr les violons sont de trop. Les Animals ont supprimé les guirlandes orchestrales qui défiguraient la beauté de l'arbre. La voix de Burdon, l'orgue de Price, la basse de Chas, le dépouillement absolu, une prière qui s'élève dans la nuit noire parsemée de flocons de neige. Hallyday en a donné une version Reviens donc chez nous. Sa voix un peu frêle n'a pas la profondeur de celle de Burdon mais il se débrouille. For Miss Caulker : de Burdon, le bourdon du blues, le même thème que la précédente – les paroles de Miss Caulker semblent d'ailleurs avoir inspiré la version de Reviens donc chez nous de Johnny – le piano de Price, la guitare d'Hilton qui décompose un beau solo et c'est tout. Nettement suffisant.

MAI 1965

ANIMALS TRACKS ( UK )

Mess around / How you' ve changed / Hallelujah I love her so / I believe to my soul / Worried life blues / Roberta : voici deux livraisons kr'tntiques le Cat Zengler vous causait de Johnny Vincent qui a écrit cette chanson avec Huey ''Piano'' Smith qui comme par hasard jouait du piano sur l'enregistrement original de Frankie Ford. Un cadeau de rêve pour Alan Price. Ne s'en prive pas. A tel point que l'on ne reconnaît pas la voix de Burdon. Mixée très loin. N'en avais gardé aucun souvenir et en l'entendant, j'ai compris pourquoi. I ain't got you / Bright lights, big city / Let the good time roll / For Miss Caulker / Roadrunner : du grand Bo Diddley, qui sonne très early sixties, un peu honte de l'avouer mais la reprise des Animals est meilleure, on aurait pu croire que l'orgue de Price aurait été un handicap mais non, reproduit exactement le backgrouund, la voix de Burdon est splendide, mixée devant elle coache et tire le hotrod en tête de la course. Les pétarades proviennent-elles de la guitare d'Hilton, quand j'écoutais mon 45 tours j'en étais sûr, là je me demande si l'on ne m'a pas joué un tour, berné par un trucage. Dans tous les cas un de mes hits préférés des Animals. Les Chaussettes noires se sont-ils inspirés de Bo Diddley pour leur Rock des karts ?

JUILLET 1965

We 've gotta get ou of this place : attention, Alan Price est parti, vers de nouvelles et décevantes aventures, c'est Dave Rowberry qui tient désormais les claviers. Et ça se sent. Ne monopolise pas le devant du son, il accompagne, du coup la basse de Chandler est davantage présente et le chant de Burdon s'amplifie. Bientôt l'on parlera d'Eric Budon and the Animals. Le titre est écrit par Barry Man et Cynthia Weil. Des sommités du Brill Building. Leur signature est au bas de bien des hits, nous ne citerons que You've lost this loving feeling des Righteous Brothers ( co-signé par Phil Spector ). I can't believe it : de Burdon, les Animals se cherchent, le morceau n'est pas mal, mais marque tout de même une régression, du blues ils se dirigent vers un rhythm'n'blues à grand spectacle, à la blues shouter made in Kansa City, remarquons que cette option est difficilement tenable pour une formation qui ne possède pas de cuivres... Toutefois l'effet produit est le même que celui effectué au précédent par le changement de claviériste, l'équilibre et la force du morceau reposent désormais sur la poutre maîtresse du chant de Burdon, sculptée en figure de proue...

SEPTEMBRE 1965

ANIMALS TRACKS ( US )

We 've gotta get ou of this place / Take it easy Bring it on home to me / Roberta / Story of Bo Diddley / I can't believe it / For Miss Caulker /Club A Go-Go / Don't let me be misunderstood / Bury my body

OCTOBRE 1965

It's my life : un des morceaux phare des Animals, la basse de Chas, l'orgue de Rowbery qui klaxonne joliment et la voix de Burdon qui drive le morceau, des anciens Animals ne reste que l'emploi des chœurs sur le refrain, qui entre nous soit dit ne sont pas du meilleur effet sauf sur la toute fin. Notons que la belle adaptation de Dick Rivers évite cet écueil en introduisant des chœurs féminins nettement moins lourdauds que ceux des Animals. I'm gonna change the world : ce qui est changé c'est la manière des Animals, un orgue qui tinte comme des coups de trompettes et la voix de Burdon qui a oublié ses intonations blues, cette composition de Burdon sonne nettement plus pop.

En fait ce n'est pas Burdon qui change le monde mais le monde qui a changé. Dans les périodes de mutation il n'est pas toujours facile de garder ses repères ou d'en élire de nouveaux, un conflit latent couve avec Mickie Most, les Animals n'apprécient guère les choix de leur producteur, Don't let me be misunderstood, We've gotta get of this place et It's my life s'éloignent selon eux trop du blues... Mickie Most est vraisemblablement plus conscient qu'eux de ce qui se passe, le British Blues est arrivé à une époque charnière, l'influence du Delta, de Chicago et des pionniers noirs s'estompent, le rock prend le pas sur le blues, les groupes s'émancipent de leurs modèles, les Stones ont déjà donné The last Time et Satisfaction, avec My generation les Who apportent une certaine vision sociale ancrée dans la situation de l'évolution de la jeunesse européenne, avec Help les Beatles proposent un traitement nouveau au vieux rock des pionniers blancs. Une profonde mutation est en marche. Les premiers Animals ont fait leur temps, les départs successifs d'Alan Price en mai 1965 et de de Steve Steel en février 1966 sont bien significatifs de cette coupure. Le groupe quitte Columbia et sont repris par MGM et Decca. Mickie Most est parti, désormais il sera remplacé par Tony Wilson. Mais jusqu'à ces derniers concerts Eric Burdon reprendra régulièrement au moins un des trois morceaux incriminés.

 

Supplément chantilly gracieusement offert par la maison :

ANIMALS AU CLUB-A-GO-GO

US TV Show

En le visionnant l'on se dit que les émissions de notre télé nationale n'avaient pas à rougir de leur retard face à l'american entertainment, au moins on voyait les artistes. Certes pas les Animals, mais question prise de vue et cadrage, ce n'était pas pire. Au début la vue est totalement bouchée par des danseurs qui vous empêchent ne serait-ce qu'apercevoir au moins une mèche de cheveux de nos idoles. Enfin on les voit. Pas pour très longtemps, mais au moins Burdon, s'est remplumé, a forci, est presque beau, l'a un sourire matois et se touche du doigt le nez, mais la caméra vire vers les étages à tubulures – les mêmes que dans les émissions des Granada-show d'Angleterre, mais en version économique la prod rogne sur les dépenses - dans lesquelles s'exhibent des danseuses – qui ont l'air de s'ennuyer, que ne faut-il pas faire pour gagner sa croûte, de temps en temps l'on entrevoit la tête de Chas Chandler, normal c'est le plus grand et les danseurs se lancent dans une super-chorégraphie, la même que vous avez effectuée lors de l'anniversaire de votre filleule pour faire rire ses copains de maternelle, bref entre les notions d'Arabesque et de Grotesque chères à Edgar Poe, ils n'ont gardé que le grotesque. Mais ça doit les fatiguer car les danseurs s'arrêtent sans préavis et dans la régie l'on coupe le son. Pire qu'une triste évocation, carrément de la mauvaise télévision.

IT'S MY LIFE

( clip 1965 )

Pas vraiment fabuleux. En playback. Tourné sur une plage. Je supposons aux States. En bord de mer. Décor de planches à voile plantées dans le sable. Les Animals sont debout et font semblant de jouer. Les cheveux se sont allongés. Ils ne portent pas le même uniforme. Sont entourés de jeunes gens et de jeunes filles. Parfaite carte postale de Surfer. Nos demoiselles ont l'air naturel, nettement moins con-con que celles de la vidéo présentée la semaine dernière. Preuve que chaque année l'Humanité effectue des pas de géant et que l'on peut s'en apercevoir. Ce que l'on appelle le progrès. Ne se passe grand-chose, ah, si, sur la fin du morceau Eric Burdon se barre en courant. Le spectateur d'aujourd'hui reste sur son sable faim.

Damie Chad. ( A suivre... 1966 )

XXII

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

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- Moi-même, l’Agent Chad, sans peur ni reproche, ai douté de ma survie, nous étions faits comme des rats, et déjà les fusils des fusiliers étaient pointés sur nos poitrines, c’est alors que s’est élevée la voix de l’Adjudant froide comme un suaire :

- Soldats, y en a-t-il parmi vous un seul qui n’a pas ces derniers temps été surpris par son Adjudant dans les WC à commettre des actes insensés, fortement répréhensibles et interdits par la loi, répondez, couillemollededieu !

Il y eut un grand silences, les fusiliers tout rouges baissaient la tête, honteux.

- Donc pas un seul, et pourrait-on savoir à quelles horribles occupations vous vous livriez en dépit des ordres du Haut-Commandement Militaire, j’exige une réponse, claire, nette et précise, Soldat Marc au rapport, tout de suite, bordeldesaintetédivine !

- Heu ! Heu ! - il en bafouillait le pauvre - on a tous, et à plusieurs reprises, été pris en train de fumer dans les toilettes…

- Soldat Marc précisez s’il vous plaît, branlettededieu !

- Heu-heu, des Coronado, on fume des Coronado en ca-cachette puisque c’est interdit, mon Adjudant !

- Soldat Pierre, pourriez-vous me dire pourquoi d’après vous votre adjudant ne vous a pas fait traduire devant le Conseil de Guerre comme il est stipulé dans l’ordre de commandement : A- 227-I-47812, conneriededieu !

- Mon Adjudant, on croit tous que c’est parce chaque fois que l’on se rendait au WC, vous en sortiez tout auréolé d’une senteur de Coronado !

- Et c’est homme que vouliez abattre sans sommation, vous savez quel crime abominable vous alliez commettre, poilsdupubisdedieu ?

- Non mon Adjudant !

- C’est Monsieur Lechef, président d’honneur de la Ligue du Coronado, s’il est ici c’est vraisemblablement parce qu’il vient défendre la cause sacrée du Coronado devant le Haut Comité Scientifique de Surveillance de la Pandémie, aussi Soldats, en tant qu’amateurs de Coronado, nous nous devons de l’aider, n’oubliez pas qu’il est écrit dans la Constitution que devant la tyrannie l’insurrection est un devoir ! Cancrelatsmousdedieu !

- Mon adjudants nous sommes prêts à mourir pour retrouver le droit de fumer librement des Coronado !

- Monsieur Lechef comment pourrions-nous vous être utiles dans votre démarche pro-coranodorienne auprès du Haut Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie, malheurdeputedivine !

Le Chef prit la parole '' voici le gentil petit stratagème que nous pourrions improviser…

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Lorsque le Chef ouvrit la bouche pour présenter sa défense le Président ricana sinistrement :

- Inutile de vous fatiguer, vous êtes un témoin et une personne qui sait trop de choses, Adjudant, fusillez-moi cet ignoble individu, tout de suite, devant le Haut Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie, nous en serons définitivement débarrassés !

Les membres du HCSSP applaudirent à tout rompre, leurs visages s’illuminèrent d’une joie mauvaise, et ils éclatèrent d’un rire cruel lorsque l’Adjudant prit la parole :

- Monsieur le Présidents, messieurs les scientifiques, fusiller un tel individu ne prendra même pas trente secondes, c’est un plaisir qui passe trop vite, rien de plus agréable de voir une futur mort se décomposer psychologiquement sous les yeux de ses ennemis, c’est pour cela qu’a été inventée la dernière cigarette du condamné, je propose de la remplacer par le dernier Coronado ! Poisondedieu !

- Magnifique idée Adjudant, offrez son dernier Coronado, à ce paltoquet, je suppose que la mallette qu’il tient si chèrement doit être sa provision, qu’il fasse son choix, nous savons être humains, présentez-lui la boîte que nous puissions nous délecter de sa mauvaise mine qu’il tirera à chaque bouffée ! L’Adjudant ouvrit la mallette, il l’inclina vers l’assemblée qui aperçut la première rangée de Coronado puis il la présenta au Chef, sa main resta suspendue quelques secondes au-dessus des cylindres havaniques, voleta un peu à droite, un peu à gauche, puis brutalement plongea à la manière d’un milan qui fond sur sa proie, et réapparut armée d’un Beretta 93 R pointé sur le Président !

- Soldats ne tirez pas, notre Président est en danger !

- Exactement surenchérit le Chef, à mon tour de vous faire un dernier cadeau, nos deux jeunes demoiselles vont passer parmi vous et vous distribuer un Coronado 45, surnommé el Fumito en Amérique du Sud, si l’un seul d’entre vous refuse de l’allumer, je fais sauter le caisson du Président !

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La Brunette sur les genoux de Vince était en joie, elle comprenait tout, la complicité des fumeurs de Coronado, le double jeu des militaires, la manipulation des médias, un dernier détail l’inquiétait cependant :

- Pourtant quand nous sommes rentrés le Chef n’avait pas son arme à la main, et personne n’a réagi !

- En effet j’avais remisé mon 93 R dans la poche, mais je ne risquais rien, le Président avait intérêt à filer doux, vous n’avez rien vu à cause la fumée, mais sous son fauteuil Molossa et Molossito tenaient chacun fermement un de ses mollets entre leurs dents, imaginez la scène du Président dansant la gigue, mordu en direct à la télévision, un scandale international, sa personne sacrée ridiculisée !

Nous éclatâmes de rire. C’est à ce moment que Molossa et Molossito donnèrent l’alerte…

( A suivre…. )

15/02/2021

KR'TNT ! 498 : BOB DYLAN / SUPREMES / CÖRRUPT / ANASAZI / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXI

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 498

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

18 / 02 / 2021

 

BOB DYLAN / SUPREMES

CÖRRUPT / ANASAZI / ANIMALS

ROCKAMBOLESQUES

 

Ce numéro 498 arrive avec deux jours d'avance.

Le numéro 499 aura deux jours de retard.

Si ce retard devait se prolonger pas d'inquiétude

nous ne tarderions pas à revenir

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Dylan en dit long - Part Two

 

Avec Chronicles, Bob Dylan est entré au panthéon des grands auteurs américains. Chronicles tient plus de la littérature que de ce qu’on appelle vulgairement le book rock. Dans le regard que porte Dylan sur son pays et sur les gens qu’il croise passent des éclairs de Steinbeck, de Kerouac et d’Henry Miller. Les pages qu’il consacre à ses voyages en auto-stop ou à ses virées en Harley pourraient très bien se trouver dans On The Road, celles qu’il consacre à la faune des clubs de folk new-yorkais semblent sortir tout droit de Plexus, et certaines pages sont tellement profondément américaines par la musicalité du style qu’elles semblent sortir de The Grapes Of Wrath. Les pages qu’il consacre à la Nouvelle Orleans rivalisent d’intelligence sensorielle avec celles d’Erskine Caldwell et bien sûr, le comparatif le plus direct est celui que Dylan établit avec Richard Hell en arrivant en stop à New York en 1960, pauvre et prêt à tout, surtout à survivre. Hell et Dylan n’ont pas que ça en commun : au goût pour la pauvreté s’ajoute celui de l’indépendance, ce qu’on appelle aussi la liberté à tout crin, le refus total de toute forme de concession, et une passion immodérée pour la littérature et le sexe, un sujet sur lequel Dylan ne s’étend pas, mais qu’Hell explore, comme le fit avant lui Henry Miller. Si Hell baptise son cocktail ‘sex & drugs & rock’n’roll & Maldoror’, Dylan pourrait baptiser le sien ‘folk & blues & Rimbaud’.

Un autre parallèle s’impose, cette fois avec Dickinson, qui lui aussi fonctionne en chroniques dans cette merveille intemporelle qu’est I’m Just Dead I’m Not Gone. Comme Dylan, Dickinson moissonne les métaphores et creuse ses sillons dans ces mystères que sont la vie et l’art en général. D’ailleurs Dylan ne s’y trompe pas, lorsqu’il se retrouve seul à la Nouvelle Orleans en 1989 pour enregistrer Oh Mercy : «Plus tard, je pensais à Jim Dickinson. J’aurais bien voulu qu’il soit ici, avec moi. Il était à Memphis. Il a commencé à jouer en même temps que moi, en 57 ou 58, on écoutait les mêmes trucs et il jouait et chantait plutôt bien. Chacun de nous était originaire d’une des deux extrémités du fleuve Mississippi.»

Alors bienvenue au paradis. Même s’il se dégage parfois de Chronicles une certaine forme d’austérité, la fierté d’être allé jusqu’au bout fait une excellente consolation. On aura même en prime cette curieuse impression d’être un tout petit peu moins con. Ça va même encore plus loin : on sort de là complètement tétanisé, comme si on sortait d’une première lecture du Gai Savoir. Chronicles fouette le sang. Chronicles met du rouge aux joues. Chronicles fait bander comme un âne. Chronicles se prête à toutes les métaphores, comme une chatte en chaleur. Miaou miaou, c’est moi, Chronicles tu viens mon amour ?

J’allais découvrir un monde étrange, un monde strié d’éclairs. Beaucoup de gens ont tenté d’y entrer et n’ont jamais su y rester. J’y suis allé tout droit. C’était grand ouvert. Une chose est sûre, ni Dieu ni le diable n’y faisaient la loi - Voilà comment Dylan finit Chronicles, avec quatre lignes dignes de «Desolation Row». Certaines phrases sont comme chantées. On entend sa voix, comme on entend celle de Lanegan à la lecture de Sing Backwards and Weep, cet autre chef-d’œuvre confessionnal d’une insondable profondeur. Les gens comme Dylan et Lanegan bénéficient d’un gros avantage sur les écrivains : l’avantage d’avoir enregistré des albums devenus aussi classiques que des classiques littéraires. Quand Dylan évoque sa grand-mère, il la chante : «Elle n’était que noblesse et bonté. Elle m’expliqua une fois que le bonheur ne se trouvait pas au bout d’un chemin. Le bonheur, c’était le chemin. Elle me conseilla aussi d’être gentil, car tous les gens que j’allais rencontrer livraient dans leur vie des combats difficiles.» De page en page, il se produit comme un phénomène d’élévation du texte. Dylan intrigue et passionne, tout ce qu’il peut dire de lui se boit comme l’eau claire au sortir du désert. C’est là dans ce principe d’élévation qu’éclot l’idée du rôle capital que joue le rock dans le monde moderne : Dylan donne à ceux qui n’ont rien reçu en héritage de leurs parents des éléments de réflexion, des éléments de valeur. Tiens, cadeau, c’est gratuit. Oh merci Bob ! Alors Dylan, vie spirituelle mode d’emploi ? N’exagérons pas. Il donne juste quelques indications mais en même temps il laisse entendre que chacun doit se débrouiller pour avancer. On part tous quasiment de zéro. Lui a l’avantage de la grand-mère. Il a un peu d’avance. Éclairé par sa grand-mère, il peut affronter la vie plus facilement et comme Hell, se pencher sur les mystères de l’art, car c’est tout ce qui l’intéresse. La vie normale du métro/boulot/dodo ne le concerne pas, il se sent destiné à autre chose, à une vie de chansons et de liberté : «Picasso avait fracturé le monde de l’art et l’avait ouvert en grand. Il était révolutionnaire. Je voulais être comme lui.» C’est déjà en lui. Chronicles ne parle que de ça, du processus de révélation et de ses conséquences.

Il articule donc Chronicles autour de deux thèmes principaux : ses débuts dans la scène folk new-yorkaise (influences, rencontres, genèse d’un style), puis les épouvantables conséquences de son succès avec le harcèlement qu’il doit ensuite subir de la part des fans et des médias. À ce niveau de popularité, ça devient un fléau. Les gens veulent le voir à la tête des forces contestataires, mais ça ne l’intéresse pas - On pouvait lire à la une d’un journal : ‘Le porte-parole nie être un porte-parole.’ J’avais l’impression d’être devenu un morceau de viande qu’on jetait aux chiens - Dylan dut quitter sa maison de Woodstock pour mettre sa famille à l’abri des fans qui arrivaient de tous les coins d’Amérique. Il les entendait marcher la nuit sur le toit de sa baraque. Il ne lui restait rien d’autre à faire que de disparaître pour échapper à tous ces pauvres gens. C’est bien que ce soit lui qui le dise. Venant de quelqu’un d’autre, on peinerait à prendre ça pour argent comptant. «J’avais une femme et des enfants que j’aimais plus que tout au monde. Je m’efforçais de prendre soin d’eux et de les protéger, mais les médias voulaient absolument faire de moi le porte-parole et même la conscience d’une génération. C’était tordant. Je m’étais juste contenté de chanter des chansons bien carrées et d’exprimer avec force de nouvelles réalités.» Si Dylan est tellement excédé, c’est surtout parce que les gens n’ont rien compris : «J’en avais assez de la contre-culture. Ça me rendait malade de voir la façon dont on extrapolait les paroles de mes chansons et dont on en détournait le sens pour faire de moi le Big Buddah of Rebellion, le Grand prêtre de la Protestation, le Tsar de la Dissidence, le Duc de la Désobéissance, le Grand Chef des Parasites, le Kaiser de l’Apostasie, l’Archevêque de l’Anarchie, the Big Cheese.» Peut-être voulait-il faire comprendre aux gens que la vraie révolution commence par soi-même et que les vrais changements ne sont pas collectifs mais individuels. Généralement, on appelle ça la prise de conscience. Pas besoin de leader charismatique. Il suffit de capter les messages que diffusent des gens comme Dylan, Gandhi ou Coluche.

Avec une sincérité qui nous laisse comme deux ronds de flan, Dylan livre tous les secrets de sa genèse. Il commence par fixer son choix sur le folk : «J’ai choisi le folk pour explorer l’univers. Les chansons de folk contenaient des images et les images avaient plus de valeur que tout le reste. J’avais découvert l’essence du folk. Je pouvais aisément assembler les morceaux.» En même temps, il affiche une méfiance terrible pour le monde réel - Je n’éprouvais aucun intérêt pour ce monde moderne si compliqué. Il n’avait ni poids ni sens à mes yeux. Il n’offrait aucune séduction - Vers la fin du livre, il va même beaucoup plus loin : «Je n’étais pas à l’aise avec tout le psycho polemic babble. Ce n’était pas ma came. Même les actualités me rendaient nerveux. Je préférais les histoires anciennes. Toutes les actualités n’étaient que des mauvaises nouvelles. Je m’arrangeais pour les éviter. Une journée entière d’actualités télévisées était pour moi une image de l’enfer.»

Puis il commence à faire travailler sa mémoire, nous expliquant qu’il lit des poèmes de plus en plus longs, s’entraînant à les mémoriser et voir jusqu’où il peut les mémoriser. C’est une gymnastique. Quand il lit le Don Juan de Byron, il se concentre du début à la fin. Il se remplit le cerveau de poèmes intensément longs comme le ferait un comédien. Il dit se sentir transformé en wagon qu’il remplit de plus en plus et donc il doit tirer de plus en plus fort. Ceci explique en partie cette facilité qu’il va montrer un peu tard à interpréter des chansons aux allures de poèmes fleuves. Il dit aussi vouloir comprendre les choses pour pouvoir s’en débarrasser. Il apprend à télescoper les idées, il pousse le jeu de la gymnastique mentale toujours plus loin - Les choses étaient trop grosses pour le regard, comme le serait une bibliothèque, voir tous ces livres d’un seul coup, c’est impossible. Il fallait pourvoir en faire des chapitres ou des couplets de chansons pour en sortir quelque chose de correct - Dylan est obsédé par le contenu, car avant d’être une musique, le folk est un contenu. Il sent parfois qu’il réfléchit trop, alors qu’il n’a pas 20 ans - Dans Par Delà Le Bien et le Mal, Nietzsche dit qu’il se sentait vieux au commencement de sa vie. J’éprouvais la même chose - Serait-ce le prix à payer ? On appelle ça la maturité. Mais il revient inlassablement à l’objet de sa quête : composer des chansons - Une chose est sûre, si je voulais composer des folk songs, je devrais inventer un nouveau modèle, une espèce d’identité philosophique à l’épreuve du temps. Elle devait venir d’elle-même from the outside, de l’extérieur - S’il en parle aussi bien, c’est qu’il sait qu’il va réussir. Le plus miraculeux dans cette histoire, c’est qu’à aucun moment Dylan ne cède à la prétention. Ce qu’il décrit de sa réflexion est à l’image de ses chansons : il y règne une sorte de pureté d’intention, une modestie immanente dont la seule grandiloquence serait le génie mélodique. C’est un phénomène unique dans l’histoire culturelle du monde moderne. Dylan met en gage sa probité intellectuelle, et ce geste n’a pas de prix. Mais il doit continuer de travailler son projet : «Je faisais tout très vite, je pensais, je mangeais, je parlais et je marchais vite. Je chantais même vite. Il fallait que je ralentisse mes chansons si je voulais devenir un auteur-compositeur avec des choses à dire.» Pendant quelques mois, il va vivre à droite et à gauche chez des gens qui l’hébergent. Sa seule richesse est cette foi qu’il a en son avenir : «Elle me versa une tasse de café bouillant et j’allai à la fenêtre. La ville entière se balançait sous mon nez. Je savais précisément où se trouvaient les choses. Je ne craignais pas l’avenir. Il était terriblement proche.»

Il dit aussi qu’une chanson, c’est comme un rêve qu’on essaye de rendre vrai. Le soir il chante et joue au Gaslight qui est à l’époque le club le plus réputé de la scène folk new-yorkaise. Un jour, une certaine Terri propose à Dylan de prendre rendez-vous avec Jac Holzman, le boss d’Elektra, un label folk new-yorkais, mais Dylan décline la proposition : «I don’t want to sit down with anybody, no.» Il est très bien comme il est, il joue aux cartes, boit des coups, fume ses clopes et le soir, il monte sur scène au Gaslight. Quand il rencontre John Hammond Sr, l’homme qui va le signer sur CBS, c’est complètement par hasard : il accompagne un mec à la guitare et à l’harmo. John Hammond le trouve intéressant et lui propose un contrat. Dylan lui fait confiance. Où je signe ?

Lorsqu’il se retrouve à la Nouvelle Orleans en 1989 pour enregistrer Oh Mercy et que Daniel Lanois lui demande s’il a des chansons du calibre de ses grands hits des années 60, Dylan lui dit non. Pourquoi ? Parce que c’est impossible : «Je ne pourrais plus composer ce genre de chansons aujourd’hui, ni pour lui, ni pour personne d’autre. Pour les composer, il faut du pouvoir et le contrôle des spirits. Je l’ai fait une fois, et une fois, c’est assez. Mais il se peut très bien que quelqu’un réussisse à le faire, quelqu’un qui serait capable de voir le cœur des choses, la vérité des choses, pas de façon métaphorique, bien sûr, je parle du vrai regard, celui qui permet fixer le métal et le faire fondre, le regard qui permet de voir les choses et de les révéler pour ce qu’elles sont avec des mots crus et une vicieuse perspicacité.» Il pousse d’ailleurs le bouchon assez loin en expliquant qu’il fait une musique archaïque, sur ce nouvel album. Il n’ose pas le dire à Daniel Lanois, mais c’est ce qu’il ressent. Dylan pense que l’avenir est chez les rappers comme Ice-T et Public Enemy - Une nouvelle star allait apparaître, mais pas une star comme Presley. Il n’irait pas remuer les hanches en fixant les minettes. Il allait chanter avec des mots crus et bosser 18 heures par jour - Dylan sait qu’il doit évoluer parce que le mode évolue. C’est la métaphore du mouvement, qu’il illustre en disant qu’on compose mieux lorsqu’on est en mouvement, dans un train par exemple. Composer en mouvement dans un monde en mouvement. C’est l’un des grands secrets de Dylan, le secret de sa modernité. Il l’a d’ailleurs illustrée de façon spectaculaire avec le never ending tour, cette tournée devenue mythique qu’il voulait imprévisible, aussi bien au niveau des dates que de la composition du groupe qui l’accompagnait sur scène. À l’image de la vie. Qu’est la vie sinon un mouvement perpétuel ?

Quand il parle des femmes, il sait se montrer délicieusement mystérieux. Voici ce qu’il dit de Suze Rotolo, sa première poule officielle : «La chose que j’aimais en elle, c’est qu’elle ne laissait croire à aucune personne qu’elle lui devait son bonheur. Pas plus à moi qu’aux autres.» Il est encore plus délicieusement mystérieux quand il parle du paradis : «J’aimais la nuit. Les choses grandissent la nuit. C’est là où mon imagination se débride. Je perds toutes mes idées pré-conçues. Parfois vous cherchez le paradis au mauvais endroit. Il est parfois sous vos pieds. Ou dans votre lit.»

Et puis voilà les portraits. Le film de Scorsese, No Direction Home fait d’ailleurs écho à Chronicles, car Dylan y salue tous les géants de la scène folk new-yorkaise des early sixties, Odetta, Dave Van Ronk, Woody Guthrie et tous les autres. Il s’est aussi construit avec ces rencontres. Le nombre d’hommages qu’il rend dans ce petit livre est considérable. À la différence de Cash ou de Ronnie Wood, Dylan ne se met jamais en valeur, il met les autres en valeur, c’est sa façon de les remercier. Les gens intelligents ne disent jamais qu’ils sont intelligents, par contre ceux qui ne le sont pas abuseront facilement de cette prétention.

Fred Neil apparaît très vite dans le récit. Dylan le rencontre au Café Wha?. Fred Neil y chante et y officie en plus en tant que Maître de Cérémonie : il engage les artistes - Il était l’empereur de l’endroit, il avait son harem et ses dévots. On ne pouvait l’approcher. Tout s’organisait autour de lui (...) Je n’ai jamais chanté mes chansons au Café Wha?. J’accompagnais Neil et c’est ainsi que j’ai commencé à jouer régulièrement à New York - Mais ça ne s’arrête pas là, Dylan se trouve de sacrés points communs avec cet extraordinaire artiste qu’est Fred Neil : «Il semblait n’avoir aucune aspiration. On était très compatibles, on ne parlait jamais de nous. Il était comme moi, poli mais pas plus, not overly friendly, il me donnait un peu de blé en fin de journée et me disait : ‘Tiens, ça t’évitera d’avoir des problèmes’.» Dylan l’observe, ce vieux Fred - J’ai demandé un jour à Neil s’il avait enregistré des disques et il m’a répondu : ‘Ce n’est pas mon truc.’ Il cultivait sa zone d’ombre, mais aussi puissant fut-il, il lui manquait quelque chose en tant qu’interprète. Je ne savais pas quoi, exactement. C’est en voyant Dave Van Ronk que j’ai compris - L’éclairage arrive avec le grand portrait de Van Ronk, vers la fin du récit. Dylan nous ramène sur un plateau d’argent un gigantesque Van Ronk avec sa moustache de cachalot et ses longs cheveux raides - Il tournait chaque folk song en surreal melodrama, en pièce de théâtre, avec du suspense jusqu’à la dernière minute. Il allait au fond des choses. On aurait dit qu’il disposait d’une réserve infinie de poison et j’en voulais encore. Van Ronk semblait venir d’une époque très ancienne. Chaque soir, j’avais l’impression d’être assis au pied d’un monument battu par les vents. Il chantait des folk songs, des standards de jazz, du Dixieland et des blues ballads, ses chansons étaient à la fois délicates, expansives, personnelles, historiques et volatiles - C’est ainsi que Dylan fait la différence entre Van Ronk et Fred Neil : d’un côté le chanteur et de l’autre le bateleur. Et il repart de plus belle sur Van Ronk : «Il était bâti comme un bûcheron, il buvait sec, parlait peu et avançait machines avant toutes.» Et Dylan achève ce portrait avec la chute des chutes, un exercice dans lequel il est passé maître : «Il dominait la rue comme une montagne et ne voulait pas entendre parler de célébrité. Il ne donnait que ce qu’il voulait bien donner. Personne n’aurait pu le manipuler. Il était immense et je devais lever les yeux pour le voir. Il venait du pays des géants.» Sans doute a-t-on là la chute la plus spectaculaire d’un ouvrage plutôt riche en chutes spectaculaires. Son autre grand héros est bien sûr Woody Guthrie, dont il va faire son modèle. Dylan parvient à le dénicher lorsqu’il arrive à New York : Woody Guthrie se trouve au Greystone Hospital de Morristown, dans le New Jersey. Alors Dylan s’y rend en bus, une heure et demie de trajet suivie d’une balade à pieds jusqu’à l’hosto perché sur une colline. Pour Dylan, Woody Guthrie is the true voice of the American spirit. Quand il découvre les chansons de Woody Guthrie, Dylan est fasciné : «Je n’en revenais pas. Guthrie avait une prise incroyable sur les choses. Il était si poétique, si dur et si rythmique. Il y avait tellement d’intensité.» C’est la diction et les textes de Guthrie qui le fascinent, certains de ses mots ont du punch, ses chansons échappent à toutes les catégories - Il y avait de l’humanité dans ses chansons, aucune d’elles n’était médiocre. Rien ne pouvait résister à Woody Guthrie. Pour moi, il était l’épiphanie, une sorte de grosse ancre marine plongée dans l’eau du port - Forcément le jeune Bob apprend ses chansons, puis il met le grappin sur son autobio, Bound For Glory, et c’est un choc équivalent à celui qu’il éprouva à la découverte de Rimbaud : «Je l’ai avalé d’un trait, concentré sur chaque mot, et ce livre chantait en moi comme une radio. Guthrie écrit comme le vent et sa musique vous embarque. Ouvrez le livre à n’importe quelle page, et vous décollez.» Et il applique à Woody Guthrie le même traitement qu’à Van Ronk, celui de la chute spectaculaire : «Il est le singing cowboy, mais il est encore plus que ça. Woody est une âme poétique, le poète de la croûte de crasse et de la purée de bouillasse, il divise le monde en deux, d’un côté ceux qui travaillent et de l’autre ceux qui ne travaillent pas. Ce qui l’intéresse, c’est de libérer la race humaine de ses chaînes. Il veut créer un monde qui soit digne du genre humain. Bound For Glory is a hell of a book. Un livre énorme. Presque trop énorme.»

Au Café Wha?, Dylan rencontre aussi Karen Dalton qu’il admire car dit-il elle chante comme Billie Holiday et joue de la guitare comme Jimmy Reed. Il croise aussi le chemin de Moondog qui chante principalement sur la 42e rue. Plus loin il salue Roy Orbison, qu’il entend à la radio, qui chante sur quatre octaves et qui peut réveiller des morts. Il découvre que ses chansons contiennent des chansons et qu’il passe des accords majeurs aux accords mineurs sans aucune logique. L’une de ses rencontres les plus spectaculaires est sans doute celle de la bibliothèque de Ray, le mec qui l’héberge. C’est un vertige, d’autant qu’il cite les noms de mémoire et pas seulement les noms, il feuillette et se souvient de Thucydide, de Périclès, de Gogol et de Balzac, un Balzac qu’il trouve poilant - Sa philosophie est simple, il dit que le matérialisme engendre la folie. Balzac ne croit qu’en la superstition. Il analyse tout. Gérer son énergie, c’est le secret de la vie. On apprend des tas de choses avec lui. C’est une compagnie très amusante. Il porte une robe de moine et boit du café toute la journée. Trop de sommeil ralentit son esprit. Si une de ses dents tombe, il se demande ce que ça signifie. Il interroge tout. Si sa manche prend feu à cause de la chandelle, il se demande si c’est bon signe. Balzac est hilarant - Croiser Balzac dans un Dylan book, c’est un peu la même chose que de croiser Baudelaire dans un Hell book. Dylan revient à cette bibliothèque extraordinaire et se souvient aussi de Machiavel et de Dickens, de Dante et de Rousseau, des Métamorphoses d’Ovide et de Sophocle, de Faulkner et des poètes, ceux qu’il préfère, comme Byron, Shelley, Longfellow et Poe, il s’amuse à mémoriser The Bells de Poe pour le chanter en s’accompagnant à la guitare. Puis Leopardi et Freud, et les Russes, Pouchkine et Dosto, puis Tolstoï qui l’impressionne car il est allé mourir dans les bois à 82 ans. Comme Debord, Dylan flashe aussi sur Clausewitz, le «premier philosophe de la guerre». Dylan trouve dans son portrait une ressemblance avec Montgomery Clift - D’une certaine façon, Clausewitz est un prophète. Sans que vous vous en rendiez compte, certaines de ses pages peuvent façonner vos idées. Si vous pensez être un rêveur, vous comprendrez que vous êtes incapable de rêver après l’avoir lu. Le rêve est dangereux. Lire Clausewitz, c’est une façon de vous prendre un tout petit moins au sérieux - Comme dirait Dickinson, méditez là-dessus.

Dylan croise aussi Bobby Neuwirth qu’il compare à Neal Cassidy, personnage principal d’On The Road de Jack Kerouac. Dylan trouve dommage que personne n’ai immortalisé Neuwirth - He was that kind of character. Il pouvait parler aux gens et leur siphonner toute leur intelligence - Et il ajoute que Neuwirth avait du talent, mais absolument aucune ambition - On aimait les mêmes choses, on choisissait les mêmes chansons sur le juke-box - Il admire aussi Bobby Vee - Je n’ai pas revu Bobby Vee pendant trente ans, et bien que les choses aient changé, je l’ai toujours considéré comme un frère. Chaque fois que je lis son nom quelque part, c’est comme s’il se trouvait dans la pièce - Dylan aime bien Crosby aussi, parce qu’il le trouve coloré et imprévisible, avec sa cape de Mandrake le Magicien - Il ne s’entendait qu’avec très peu de gens et avait une voix magnifique, un architecte des harmonies. Il jouait alors avec la mort et pouvait semer la panique dans un quartier entier, mais je l’aimais beaucoup. Il n’avait rien à faire dans les Byrds - Il rend un hommage très particulier à Al Kooper. Ce petit chef-d’œuvre elliptique est du pur Dylan, elliptique et précis en même temps : «Kooper était un découvreur de talents, l’Ike Turner des blancs. Il avait besoin d’une chanteuse dynamique, et Janis Joplin aurait été parfaite pour lui. Je l’ai dit à Albert Grossman, l’homme qui fut mon manager et qui est ensuite devenu celui de Janis. Grossman m’a répondu que c’était le truc le plus stupide qu’il ait entendu. Mais je ne trouvais pas ça stupide. Au contraire, je voyais juste. Hélas, Janis allait disparaître et Kooper allait sombrer pour l’éternité dans le grand limbo musical. J’aurais dû être manager.» Quand il est à la Nouvelle Orleans, Dylan va au Lion’s Den Club écouter Irma Thomas, one of my favorite singers. Il a pensé à lui demander de duetter avec lui sur une chanson ou deux, comme, dit-il, Mickey and Sylvia, mais ça ne s’est pas fait - That would have been interesting - Du pur Dylan.

On l’a dit plus haut, les quelques pages qu’il consacre à la Nouvelle Orleans sont spectaculaires. Il vient y séjourner seul pour rencontrer Daniel Lanois et enregistrer l’album Oh Mercy. Tout le détail est dans le book. Ils fondent la qualité de leur relation sur une première discussion. Comme il faut constituer un orchestre, Lanois demande à Dylan s’il pense à des musiciens en particulier, et Dylan lui dit non. Puis Lanois indique que les hit records ne l’intéressent pas, arguant que Miles Davis n’en a jamais eu. Alors Dylan qui se régale d’entendre ça écrit que l’argument lui plaît beaucoup. Ces gens-là parlent peu mais ils parlent bien. Dylan précise que Lanois est un mec du Nord, qu’il vient de Toronto - chaussures de neige, mode de pensée abstrait - et il ajoute que les gens du Nord ne s’inquiètent pas quand ça caille car ils savent qu’il refera chaud. Et inversement, il refera froid - Le truc que j’appréciais chez Lanois c’est qu’il n’aimait pas flotter à la surface. Ni même nager. Il voulait sauter et plonger au plus profond. Il voulait épouser une sirène. Ça me plaisait - Si Dylan descend à la Nouvelle Orleans sans musiciens ni équipement c’est dit-il pour tester Lanois - J’espérais qu’il allait me surprendre. Et il m’a surpris - Le pauvre Lanois devait être ému de lire ça. On ne peut décemment espérer plus bel éloge. Du coup on prend Lanois un peu plus au sérieux, même si on voit son nom associé à des artistes qu’on n’aime pas trop. Après Oh Mercy, il fera d’ailleurs un autre album avec Dylan, Time Out Of Mind.

Dylan profite des sessions d’enregistrement d’Oh Mercy pour nous pondre un conte magique : «Pendant le final de ‘Where Teadrops Fall’, le joueur de sax John Hart joua un solo qui me coupa le souffle. Je me suis penché en avant pour voir son visage. Il était resté assis dans l’ombre toute la soirée et je ne l’avais pas remarqué. Cet homme ressemblait à s’y méprendre à Blind Gary Davis, le révérend que j’avais bien connu et suivi pendant toute une époque. Qu’est-ce qu’il foutait là ? C’était exactement le même type, même menton, mêmes joues, mêmes lunettes noires, même corpulence, même taille, même long manteau noir. C’était incroyable ! Le Révérend Gary Davis, l’un des sorciers de la musique moderne, il semblait superviser l’ensemble. Il me regarda d’une façon bizarre, comme s’il pouvait voir au-delà du moment présent. Soudain, je sus que j’étais exactement au bon endroit, au bon moment pour faire le bon truc et que Lanois était the right cat. J’eus l’impression d’avoir tourné au coin de la rue et d’être tombé face à face avec Dieu.» Il écrit comme il chante, bien sûr, avec des élans lyriques qui font de lui l’artiste que l’on sait, the one and only Bob Dylan. On sent battre le cœur de certaines pages. Cette prose est d’une grande pureté et Dylan déroule son fil de pensée comme un fil magique.

Il rend aussi hommage à Sam Phillips pour «avoir créé les disques les plus vitaux et les plus puissants de l’histoire du rock». À côté des disques Sun, les autres disques paraissent sucrés, dit-il - Sur Sun Records, les artistes semblaient mettre leur vie en jeu et venir des régions les plus mystérieuses de la planète - C’est exactement ça. Il rend hommage à Cash et en particulier à «Walk The Line», et encore plus précisément à la façon qu’a Cash de dire les choses - I keep a close watch on this heart of mine - avec sa grosse voix, Cash, dark and booming, the rippling rhythm and cadence of click-clack, oui il y a un truc qui ne lui a pas échappé - Quand j’entendis «I Walk The Line» il y a longtemps, j’eus l’impression qu’une voix me disait : ‘Que fais-tu là, boy ?’ et j’essayais moi aussi de garder les yeux grand ouverts - Hommage aussi à Leiber & Stoller - They were the masters of the Western World, ils ont écrit toutes les chansons populaires, avec des mélodies soignées et des paroles simples qui devenaient si puissantes à la radio - Dylan encense le Brill et Neil Sedaka en particulier parce qu’il composait et interprétait ses propres chansons. Dylan ajoute pour conclure ce chapitre enflammé qu’il ne connaissait pas tous ces gens-là car le Brill et la scène folk ne se mélangeaient pas.

Puis arrivent tous les gens qu’on voit dans le film de Scorsese, à commencer par John Jacob Niles, «a Mephistolean character out of Caroline, il s’accompagnait d’une sorte de harpe et chantait d’une voix de soprano qui donnait des frissons. Niles était surréaliste et illogique, terriblement intense et vous donnait la chair de poule. On aurait pu le prendre pour un sorcier.» Puis Joan Baez bien sûr - Tout ce qu’elle faisait fonctionnait, mais il le dit à l’envers, Nothing she did didn’t work, le simple fait de savoir qu’elle avait le même âge que moi me faisait me sentir inutile - Et plus loin il opère un curieux rapprochement : «Comme John Jacob Niles, elle était assez étrange. J’avais la trouille d’elle.» Mais il en revient toujours à l’essentiel : «Peu de gens savent convaincre avec des chansons. Vous devez croire ce que dit le chanteur ou la chanteuse. Joan savait vous convaincre.» La meilleure preuve de ce qu’avance Dylan se trouve dans le Woodstock movie : Joan Baez chante «I Dreamed I Saw Joe Hill Last Night» (Alive as you and me) a capella et c’est sans doute le moment le plus émouvant d’un film pourtant riche en grands moments. D’autres portraits extrêmement bien foutus guettent le lecteur imprudent, des portraits de gens comme Lord Buckey, Luke Askew qui nous dit Dylan chantait comme Bobby Blue Bland ou encore Len Chandler qui chantait du quasi-folk avec énergie «et qui avait un truc que les gens appellent le charisme». Et puis voilà le portait d’un dandy à l’américaine, Paul Clayon, et sous la plume de Dylan, on imagine une sorte de Christopher Walken - Clayton était unique, en partie Yankee gentleman et en partie Southern rakish dandy. Il ne portait que du noir et citait Shakespeare. Il passait son temps entre New York et la Virginie. On est devenus amis. Ses compagnons étaient des gens qui fuyaient la ville comme lui, a cast apart - ils avaient de l’attitude, mais ça restait entre eux - D’authentiques anti-conformistes, des bagarreurs, mais pas dans le genre des personnages de Kerouac, pas ceux qui courent les rues et qu’on reconnaît. J’appréciais beaucoup Clayton et ses amis. Grâce à Paul, j’ai rencontré des gens qui me proposaient de m’héberger en cas de besoin et de ne pas me faire de souci pour ça.

Comme toujours, on garde le meilleur pour la fin : Robert Johnson. La découverte de Robert Johnson a chez Dylan le même retentissement que celle de Woody Guthrie. C’est John Hammond Sr qui lui offre l’acétate d’un album de Robert Johnson alors complètement inconnu. L’album va paraître sur CBS. Dylan en tombe dingue - Ses coups de guitares auraient pu casser les carreaux. Quand Johnson commençait à chanter, il semblait sortir tout droit de la tête casquée de Zeus. J’ai tout de suite compris qu’il était différent de tous les autres. Ses chansons n’étaient pas que des simples blues. Il s’agissait de chansons extrêmement perfectionnées, chacune d’elles comprenait quatre ou cinq couplets et chaque couplet interférait avec le suivant, mais pas d’une façon directe. Tout chez lui n’était que fluidité - C’est donc de là que vient le rocking Bob Dylan, de cette perfection arrachée à l’oubli par John Hammond Sr. Dylan fait écouter l’acétate à Dave Van Ronk qui se montre sceptique. Van Ronk est un érudit du blues. Il dit que Robert Johnson vient de Leroy Carr, de Skip James et d’Henry Thomas - Dave pensait que Johnson était okay, qu’il était puissant mais qu’il n’avait rien inventé - Et Dylan ajoute un peu plus loin : «En 1964 et 65, j’ai probablement utilisé 5 ou 6 blues song forms de Robert Johnson, de façon inconsciente, mais plus sur l’aspect imagerie poétique des choses (the lyrical imagery side of things).» Et en guise de conclusion paranormale, Dylan raconte une belle anecdote : «Johnny Winter, le flamboyant guitariste texan né deux ans après moi, a ré-écrit la chanson de Johnson à propos du phonographe, pour en faire une chanson à propos d’un poste de télévision. Dans la chanson, la télé de Johnny est morte et il n’y a pas d’images. Robert Johnson aurait adoré ça. Johnny a aussi enregistré l’une de mes chansons, ‘Highway 61 Revisited’, qui fut aussi influencée par Johnson. C’est drôle comme les boucles se referment. Le code de langage de Robert Johnson est différent de tout ce que j’ai entendu avant ou après lui.» C’est là qu’il embraye sur Rimbaud, un Rimbaud que lui fait découvrir la sexy Suze, et là Dylan met les gaz, comme s’il pilotait sa Harley : «J’aurais bien aimé qu’on me fasse découvrir Rimbaud avant. Il allait bien avec la nuit noire de Robert Johnson et les sermons survoltés de Woody. Tout était en mouvement et j’attendais de pouvoir entrer. J’allais entrer bien chargé, bien vivant et bien excité. Mais le moment n’était pas encore tout à fait venu, tough.» Il dit souvent «tough», à la fin de ses phrases, tough.

Signé : Cazengler, Bob Divan

Bob Dylan. Chronicles. Volume One. Simon & Schuster UK Ltd, 2004

La suprématie des Supremes

La petite black qu’on voit à gauche sur l’illusse, c’est Mary Wilson. Florence Ballard se trouve au centre et Diana la rosse à droite. Comme Mary Wilson vient de casser sa pipe en bois, nous allons tenter de saluer les Supremes.

Les Supremes ont pendant dix ans incarné la magie Tamla Motown. L’Amérique entière jerkait sur le beat Tamla. Diana Ross, Florence Ballard et Mary Wilson enfilaient les hits planétaires comme des perles. Berry Gordy avait mis toutes ses ressources à leur disposition : l’orchestre maison, les fameux Funk Brothers et surtout ses compositeurs maison, des équipes qu’il payait à l’année pour composer des hits, notamment le trio Holland/Dozier/Holland. Berry Gordy avait construit un Brill Building à l’intérieur du Hitsville, USA. Il produisait ses hits à la chaîne. Motown devint l’un des plus gros labels indépendants d’Amérique. Un label de musique noire monté par un noir, c’était sans précédent dans un pays où la ségrégation régissait encore les codes sociaux, même après le vote des lois en faveur des civil rights. Les autres labels de musique noire étaient dirigés par des blancs (Chess, King, Fortune, Excello, Stax, etc.). Ces gens-là empochaient les pesetas et éprouvaient d’insurmontables difficultés à les redistribuer. Et on ne parle même pas des petits labels qui payaient les bluesmen noirs avec des bouteilles de whisky.

Pour protéger ses artistes, Berry Gordy a dû bâtir en empire. Tous les géants de la Soul étaient sur Motown : les Tempations, Smokey Robinson, Marvin Gaye, mais aussi les géantes : Martha Reeves, Mary Wells, les Supremes et des tas d’autres. Il existe une ribambelle de singles magiques. Puis quand le marché s’est transformé et que le public se mit à préférer les albums, Gordy a augmenté la cadence pour produire des albums à la chaîne.

L’âge d’or des Supremes va en gros de 1962 à 1969. En 1970, Motown semblait avoir perdu son âme. Le son avait évolué, mais de façon bizarre. Obsédé par sa stratégie de pénétration du marché blanc, Gordy avait fini par blanchir le Motown Sound. La diskö acheva de détruire l’une des plus belles aventures de la musique moderne.

Diana la rosse et Berry Gordy ont comme tout le monde publié leurs mémoires. Mary Wilson et Florence Ballard aussi, et il vaut peut-être mieux commencer par elles. Les témoignages des personnages de second plan sont toujours plus riches. D’autant plus qu’on découvre, à la lecture des souvenirs de Florence et de Mary que Diana Ross portait bien son nom : une vraie rosse, capable de tout pour réussir.

C’est Florence Ballard qui est à l’origine du groupe. Le nom du trio, c’est elle qui le propose. Elle aurait dû devenir riche comme Diana et vivre heureuse. Mais la machine Ross/Gordy l’a broyée. Son histoire racontée dans le petit livre de Peter Benjaminson, The Lost Supreme, est une véritable tragédie. À 21 ans, Flo était une superstar. À 32 ans, elle mourait dans la pauvreté. En dix ans, elle est passée du statut de superstar à celui de RMIste, avec trois fillettes à charge et un mari absent. Elle est morte d’un accident coronarien. Devenue dépressive, elle buvait de la bière et se croyait alcoolique. Atroce. La seule qui l’aidait un peu, c’était Mary Wilson.

Dans son admirable introduction, Benjaminson affirme que des trois Supremes, Flo avait la plus belle voix et qu’elle pouvait rivaliser de Soul power avec Aretha. Il dit plus loin qu’elle était grande, sensuelle et dotée d’un caractère indépendant, comme Martha Reeves et Mary Wells qui quittèrent Motown assez rapidement, lassées de se faire plumer vivantes. Flo savait aussi composer, mais pour une raison qui lui échappait, Berry Gordy ne voulait pas de ses chansons, alors que les autres Supremes les trouvaient bonnes - For some reason, me and Berry didn’t click.

Des trois amies d’enfance, Diana était la plus déterminée. Elle impressionnait Berry Gordy par sa pugnacité, son ambition et son talent. Qui se ressemble s’assemble, dit-on. Et Ross admirait Gordy pour les mêmes raisons. Non seulement elle le vénérait, mais elle flirtait avec lui et fit tout pour se le farcir. Leur relation débuta en 1965 et malheur à celles qui allaient essayer d’entraver l’ascension de Diana Ross. Les anecdotes concernant son comportement odieux vis-à-vis de Mary et de Flo pullulent. Ross arrachait des micros des mains des autres et manipulait Berry pour que les Supremes deviennent le backing band de Diana Ross, ce qui finit par se produire. Et au passage, Flo fut éjectée sans ménagement, car sa classe faisait de l’ombre à Diana Ross.

L’autre aspect terrible de cette époque est le rapport à l’argent. Au terme d’une première tournée de trois mois à travers les USA et avec un numéro un au hit-parade, elles n’avaient pas un rond. On avait défalqué tous leurs frais des recettes de la tournées : publicité, chambres d’hôtels et sandwiches. C’était inscrit dans leur contrat. Elles devaient rembourser tous les frais occasionnés. Bien sûr, on ne leur montrait pas les comptes. Flo : « We were just working and Berry Gordy was the pimp. » Flo traite Berry de mac et elle a raison. Il était le seul à s’enrichir et les artistes ne gagnaient pas un rond. Elle signèrent un nouveau contrat : leur salaire de 50 $ par semaine passa à 225 $. Gordy leur expliquait que l’argent des royalties qui coulait à flots était investi sur un compte, dans leur intérêt, bien sûr. Flo ne vit jamais cet argent. Benjaminson estime qu’on lui devait plusieurs millions de dollars, car les Supremes vendaient des millions de disques et se trouvaient au sommet des charts du monde entier. Les filles ne savaient pas à l’époque qu’il fallait demander à voir les comptes et payer un avocat.

Flo fut virée des Supremes à l’été 1967 par Gordy.

— You’re fired !

— I’m what ?

— You’re fired !

— I’m not !

Flo eut beau lutter, elle était foutue. Elle n’avait que 24 ans et Gordy l’avait brisée net. L’épisode vida Flo de toute son énergie et de toute sa joie de vivre. Cet été-là, les Supremes devinrent Diana Ross and The Supremes. Gordy voulait faire de Diana une superstar, il fallait que Flo dégage. Un nommé Michael Roshkind lui fit signer un document certifiant qu’elle n’était plus rien et qu’elle renonçait à tout. Choquée, elle refusa de signer ce torchon, puis brisée par le chagrin et par un tel affront, elle finit par le signer et éclata en sanglots. Elle se ressaisit un peu plus tard en engageant Leonard Baun qui réussit à obtenir des sommes importantes en guise de dédommagement (environ 500 000 $) mais la pauvre Flo ne palpa pas un seul billet, car évidemment l’avocat Baun empocha tout. Elle entra dans le tourbillon judiciaire pour essayer d’obtenir justice et de récupérer son bien, mais c’était trop tard. Elle n’avait plus un rond, plus de maison, plus de bagnole, plus de mari et donc plus les moyens de se battre. Les deux ou trois tentatives de redémarrage de sa carrière se soldèrent par des flops inexplicables. Elle comprit alors qu’il ne lui restait plus qu’une seule chose à faire : disparaître. Ce qu’elle fit. L’horreur, c’est que Diana Ross ramena sa fraise aux obsèques alors qu’elle n’était pas invitée et qu’elle se fit photographier avec Lisa, la plus petite des trois filles de Flo. Bien entendu, la photo fit le tour du monde. Une fois la foule partie, il ne restait plus autour de la tombe que Mary Wilson, les Four Tops et les proches de Flo. Zola aurait pu écrire cette histoire terrible.

Dans ses deux livres de souvenirs, Mary Wilson règle aussi ses comptes avec cette rosse de Diane - She has done many things to hurt, humiliate and upset me, but strangely I still love her - Mary Wilson est une nature étrange, elle a su écraser sa banane au moment où on virait sa copine Flo comme une chienne. Mary est la Supreme qui a tenu le plus longtemps. Elle dut même affronter Berry Gordy qui ne voulait plus entendre parler des Supremes, puisqu’il finançait la carrière de Diana Ross. Mary raconte aussi que cette rosse de Diane s’est frittée avec toutes les stars de Motown : Mary Wells, Dee Dee Sharp, Brenda Holloway et surtout Martha Reeves. Elle raconte aussi comment cette rosse monopolisait les interviews en répondant aux questions posées à Flo et à Mary. Bien sûr, ce livre n’a d’intérêt que pour l’hommage rendu à Flo. Aux yeux de Mary, Flo était la meilleure. Elle sonnait comme Aretha. Mary vit aussi Flo commencer à sombrer. Elle picolait et prenait du poids, ce que lui reprocha Gordy un soir dans un club :

— Tu dois perdre du poids ! You are much too fat !

— J’en ai rien à foutre de ce que tu penses ! Et elle lui balança son verre à la figure et sortit du club en trombe. Elle venait de se faire un ennemi qui allait avoir sa peau. Pour corser l’affaire, Flo ne venait plus aux concerts et les Supremes devaient chanter à deux. Alors Gordy décida de chercher une remplaçante. Il lui redonna une chance, mais dès qu’elle prenait un verre, Diana appelait Berry. Ça ne pouvait plus durer. Elle fut convoquée dans le bureau de Berry Gordy. Comme Peter Benjaminson, Mary Wilson revient sur ce sinistre épisode. Flo arriva accompagnée par sa mère. Mary et Diane assistaient aussi à la sombre. Flo réussit à garder son sang-froid, mais sa mère éclata en sanglots quand Berry lui expliqua que sa fille ne voulait plus faire partie des Supremes. Une fois Flo et sa mère parties, Berry et Diane semblèrent soulagés. Cette sale rosse de Diane lança :

— Free at last, great God Almighty !

Mary se demandait comment ces deux-là pouvaient être aussi heureux après une exécution. On trouve aussi des pages fascinantes sur la première tournée des Supremes en 1962, les fameux packages Motor City en autobus avec les Miracles, les Marvelettes, les Contours, les Temptations, les Velvelettes, Stevie Wonder, Marvin Gaye et Mary Wells. Et bien sûr, elle évoque le racisme ordinaire en Alabama, illustré par des coups de feu dans la carlingue du bus et la panique à bord. Mais les pages les plus fascinante sont les passages plus féminins dans lesquels Mary décrit à longueur de page des séances de maquillage, les cours de style et les sommes vertigineuses investies dans la garde-robe des trois stars. Elle revient longuement sur Gordy dans son deuxième livre, Supreme Faith. Elle l’affronte pour essayer de sauver les Supremes mais elle ne fait pas le poids. Elle raconte que Gordy a tout appris à Diane et que la différence qui existait entre eux était que Gordy pouvait charmer un serpent, ce que Diane ne savait pas faire. Un peu amère, Mary concède que Motown, comme tous les autres labels de l’époque, n’avait absolument aucune considération pour les artistes. Le conseil qu’elle donne aux débutants est de comprendre le fonctionnement du show-business pour essayer ne pas se faire avoir. Et lorsqu’elle visite le musée Motown à Detroit, elle est complètement écœurée : sur les photos des Supremes, Flo a disparu. Comme si elle n’avait jamais existé. Berry Gordy pourrait bien être le Staline de la Soul music.

Le premier album des Supremes sortit en 1962. Il n’y avait pas de quoi se rouler par terre avec Meet The Supremes. C’était encore l’époque de la petite pop de salon de thé, une époque où on dégustait des macarons avec la voisine du rez-de-chaussée de l’avenue Montaigne. Cette musique dansait mollement dans les rideaux de taffetas rose. Gordy composait des slows ineptes et Diana et ses copines se livraient à des petites tentatives de mambo. Le seul cut dansant sur cet album était « You Bring Back Memory », l’un des premiers standards de r’n’b. On les sentait déterminées à danser le jerk de l’oie au bord de la piscine municipale. « Time Changes Things » semblait préfigurer les futurs grands hits classieux des Supremes. Un petit brin d’enchantement se dégageait de ce mid-tempo mambique, morceau plutôt agréable et visité par un solo de guitare féérique. Diana chasseresse se montrait déjà délicieusement persuasive.

Avec Where Did Our Love Go, on passait aux choses sérieuses. Le morceau titre de l’album était un hit sixties de la meilleure catégorie, secoué de clap-hands et de doublettes de basse. On voyait en rêve éveillé la tête de James Jamerson dodeliner au fil du beat. C’était magnifique d’élégance soul, on avait là le miel de la Detroit Soul, la pierre philosophale de l’Oncle Paul. À partir de là, elles n’allaient plus arrêter de pondre des œufs d’or : « Run Run Run » (chanté à la pince à linge, avec tout le chien des villes du Nord, pas de gras, comme chez Stax), « Baby Love » (l’effarant voile de beauté vert et brune s’abattit sur la planète, à l’image de cette pochette qui faisait rêver les ados romantiques) et surtout « Ask Any Girl » (beat suprême et enjôleur, la Soul de rêve, prodigieusement mélodique et fendeuse de cœurs, chargée de toute l’insolence de la gloire de Diana chasseresse, qui ne lâchait plus le manche du charme. Sa voix planait dans toutes les dimensions, elle filait comme une traînée d’étoiles dans le dessin animé de nos pauvres vies esquintées par la brutalité du monde adulte).

Sur A Bit Of Liverpool, on trouve quelques cuts des Beatles, mais aussi d’autres choses comme « House Of The Rising Sun » où elles essaient de grimper toutes les trois, mais il manque la viande d’Eric. C’est la B qui nous intéresse, car les covers des Beatles y sont brillantes, à commencer par « You Can’t Do That », chanté à la rosserie, véritable hit de jerk, suivi d’une version ballocharde de « Do You Love Me ». Mais les deux pures merveilles sont les covers de « Can’t Buy Me Love » (solidement swinguée, bien dans l’énergie des Beatles), et « I Want To Hold Your Hand » qu’elles cherchent à magnifier en démultipliant les harmoniques de la féminisation outrancière. Elles vont même jusqu’à détroitiser les Beatles.

Autre coup de Jarnac : We Remember Sam Cooke paru en 1965. Elles sertissent « Cupid » sur la couronne de leur féminité et chantent « Chain Gang » en cadence, comme des forçats en pyjama de soie. Elles tapent ensuite dans le gros hit de Sam, « Bring It On Home To Me ». On entend Mary et Flo faire yeah derrière la Ross. C’est aussi en B que ça se corse, avec « Havin’ A Party », un vrai hit de r’n’b, pour jus de Supremes. Mary et Flo font yeah yeah yeah derrière la Ross. Elles tapent ensuite une belle version de « Shake » et le swinguent à la bonne rosserie. La perle de l’album est sans aucun doute la version d’« A Change Is Gonna Come », chanté au chat perché de rêve et admirablement violonné - It’s a long long long time comin’ but I know a change is gonna come - Il semble que Marvin ait pris la suite de ce classique immensément beau. Elles terminent avec une énorme version d’« (Ain’t That) Good News ». On y admire principalement leur port altier.

L’album live At The Copa qui sort en 1965 fonctionne comme un bon documentaire. Oh, ce n’est pas Jerry Lee au Star Club de Hambourg. On est même aux antipodes et si on espère entendre du r’n’n endiablé, c’est raté. Diana, Mary et Flo se livraient plutôt à un numéro de music-hall et elles tapaient dans le registre des grandes chanteuses de jazz qui les avaient précédées. On ne trouvait que deux classiques de r’n’b sur ce disque : « Stop In The Name of Love », cuivré et emmené sur un beat palpitant, avec un petit vent magique, et « Back In My Arms Again », où on entend les accompagnateurs taper comme des sauvages derrière. Une vraie pétaudière.

La même année parut More Hits By The Supremes, un album beaucoup plus consistant. On y retrouvait l’excellent « Ask Any Girl », une vraie bénédiction, puis « Nothing But Heartaches », une monstruosité, bassmatic, tambourins, tout y est et Diana drive tout ça avec une aisance confondante. Elle incarne le pur heartbeat des sixties, l’alliance supérieure du beat masculin et du charme féminin. Le beau rouge turgescent coulisse à merveille dans le swing de voix féminine. Avec « Mother Dear », on savoure l’élégance supérieure d’une attaque de doux beat doux wah. Diana chasseresse se glisse dans le bleu de la nuit de Detroit. La véritable élégance de la Soul Motown, c’est elle qui l’incarne. Et paf ! « Stop In The Name Of Love » arrive comme un don du ciel. Certainement l’un des plus gros hits de tous les temps. Un phare dans la nuit des sixties. Les chœurs de Flo et Mary donnent le vertige. Et la production ? À tomber. Somptueuse et inégalable. Berry Grody avait réussi à créer une usine à rêves. Mais on ne pouvait pas tomber amoureux de Diana Ross parce qu’elle était trop flamboyante. Avec « Back In My Arms Again », c’est la suite - et jamais fin -  de la magie suprême. Elles enchaînaient les hits comme des perles, alors forcément, elles distançaient les concurrentes. Et avec quelle aisance ! Tambourins et big bassmatic sur « Whisper You Love Me Boy ». Elles sont littéralement portées par le son. James Jamerson rôde toujours dans les parages, sous la surface des choses.

En 1966, on est au cœur de l’âge d’or Motown. Les Supremes sortent deux albums : A Go-Go et I Hear A Symphony. A Go-Go contient son petit lot d’énormités, comme par exemple « Love Is Like An Itching In My Heart », Soul magique de sucre d’orge chantée d’une voix de pinsonne éberluée, archétype des années légères et lumineuses. Et le festival continue avec « This Old Heart of Mine », nouvelle conjugaison coulissante du gros beat et du softy softah moelleux. « You Can’t Hurry Love » est un autre hit déterminant des sixties, chanté avec charme mais sans puissance, juste une ampleur bien définie, un petit côté féérique. Diana monte dans son registre en sucre d’orge et chante à merveille le tranché du beau. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin de cet album mirobolant. Il semblait à l’époque que Diana Ross incarnait une certaine forme d’aristocratie de la Soul. On la sentait un peu princesse. James Jamerson fait un numéro de haute voltige dans la reprise de « These Boots Are Made For Walking ». Sur la B se nichait un autre hit exceptionnel, « I Can’t Help Myself », gorgé de l’excellence du groove jerky. Jamerson nous pulsait ça au prorata de l’élégance suprême. Diana chasseresse modulait à l’infini le doux sucré du miel de voix et nous embobinait pour de bon. Elles finissaient l’album avec deux curiosité kitschy-bitchy, « Come And Get These Memories » (un hit composé pour Martha & the Vandellas qu’elles traitent au mid-tempo joliment swingué) et « Hang On Sloopy » (bien mambique, dans l’esprit de ce que faisait Bert Berns, grand amateur de rythmes cubains).

On se régale tout autant d’I Hear A Symphony. Le morceau titre relève une fois de plus de la magie. Les Supremes étaient probablement les seules à savoir proposer ce mélange de puissance rythmique et de délicatesse vocale. Diana Ross était une petite personne raffinée au grain de voix sucré et pointu. C’est ce mélange qui a fait la force des Supremes. Les trésors se trouvent sur la B. « My World Is Empty Without You » illustre la grandeur du Motown Sound. On le sucré et la beauté. On sent bien que ces hits de Soul étaient destinés à traverser les siècles, car ils étaient parfaits. Grande classe encore avec « Any Girl In Love », chœurs à la clé et toute l’innocence des petites blackettes de Detroit. Lamont Dozier et les deux Holland fourbissaient des compos de rêve. Ces trois mecs savaient swinguer la beauté formelle. Dans ce morceau, on retrouve l’éclat magique de « Jimmy Mack », lorsque les voix croisent les notes de basse dans les octaves. Ultime énormité avec « He’s All I Got », swingué à la manière forte.

The Supremes Sing Holland Dozier Holland et The Supremes Sing Motown proposent exactement les mêmes morceaux. Ils font partie des très grands albums des Supremes. La fiesta commence avec « You Keep Me Hangin’ On », encore un hit absolu des sixties. L’an prochain il aura cinquante ans d’âge et il n’a pas pris une seule ride. On a un groove suprême avec « Love Is Love And Now You’re Gone ». Comme Esther Phillips, les Supremes définissent les conditions des jours heureux. Elles flottent au sommet de la légende Motown. Dans « Mother You Smother You », Diana se tortille au sommet du beat gracile. Cut après cut, on patauge dans l’excellence. « It’s The Same Old Song » fut composé par le trio pour les Four Tops et elles en font une version fraîche et juteuse. Encore un merveilleux jerk de cave avec « Going Down For The Third Time » et retour à la good time music avec « Love Is In Our Hearts », excellence de la belle ambiance, groove princier et harmonies vocales sucrées. Que te faut-il de plus ? C’est à ce genre de morceau enchanté qu’on mesure le talent des compositeurs. À ce niveau d’excellence, on pense à Burt Bacharach et à Gainsbarre. Beau jerk des familles avec « There’s No Stopping Us Now ». Ça repart au tambourin et aux doublettes de basse jumpy. C’est hallucinant de grandeur productiviste. Diana et ses amies restent perchées au sommet de l’excitation. Elles ont su rendre leur époque délicate.

Avec The Supremes Sing Rogers & Hart, on se retrouve à Broadway. Little Willie John rêvait de devenir Frank Sinatra. Les Supremes devaient rêver de devenir Liza Minnelli. Sur cet album, elle étaient accompagnées par un big band. La seule trace du Motown sound, c’était la voix sucrée de Diana. En B, elles revenaient enfin au son de base avec « My Heart Stand Still » et retrouvaient tous les tenants et les aboutissants du beat Moyown, veiné de frais, vibrant d’allure, palpitant et arrogant. La perle de cet album s’intitulait « Falling In Love With You », une jolie pièce de good time music qui rappelait à quel point les Supremes se situaient dans l’excellence.

C’est à là que Flo est virée. Pendant que Diana Ross et les Supremes se produisent dans les clubs prestigieux, Flo sort chaque nuit après que ses filles se soient endormies et roule dans les rues de Detroit jusqu’à l’aube en écoutant les cassettes de son ancien groupe. Et quand elle n’aura plus de bagnole, elle marchera des nuits entières, errant dans les quartiers au hasard - It was like I was in a daze. It was like I didn’t care anymore. I had given up - Flo avait renoncé définitivement.

Attention : Diana Ross & The Supremes Join The Temptations est une bombe atomique. En matière de Soul suprême, il n’existe rien au dessus de cet album. C’est le super-groove de Detroit, embarque par Eddie Kendricks d’un côté, et de l’autre, Diana, Mary et Cindy Birdsong, la remplaçante de Flo. « Ain’t No Mountain High Enough », c’est tout simplement la Soul du diable. Le mélange des genres donne le vertige. Eddie et Diana, c’est une expérience extrême. « I’m Gonna Make You Love Me » atteint les sommets. Diana essaie de monter comme Eddie, mais elle peine à suivre ce démon. Ils tapent dans Burt avec « This Guy’s In Love With You ». C’est mélodiquement pur, une vraie plage de bonté pour l’esprit. Mielleux à souhait, la Soul à son sommet, dotée de contrechants à l’unisson du saucisson. Mais là où ils dépassent les bornes, c’est avec la version de « Funky Broadway ». C’est d’une violence indescriptible. Diana arrive là-dedans comme un ange de la mort noire. En B gigotent d’autres puissantes merveilles, comme « I’ll Try Something New » et son mélange capiteux des deux tons de Soul. Mais les Temptations swinguent dix mille fois plus que les Supremes. James Jamerson démarre « A Place In The Sun » à la basse. « Sweet Inspiration » est un fantastique jerk de grosse caisse secoué aux clap-hands et emmené à l’énergie du gospel batch. Imbattable. Et ils osent taper dans l’inaccessible étoile de Jacques Brel. Ils essaient de monter, mais c’est impossible. Personne ne peut aller rejoindre Brel là-haut.

Reflections assoit encore un peu plus la suprématie des Supremes. Que de hits Motown sur cet album Motown ! Diana emmène tout le monde, y compris les auditeurs, dans son chariot de feu dès le premier cut qui est le morceau titre de l’album. Grimpage direct. Avec « I’m Gonna Make It », elle marie le suave et la Soul. Délicieuse union. Diana sucre les fraises de la Soul avec une fascinante ardeur. On passe à la pulsasivité inconditionnelle avec « Forever Came Today » que Diana drive à bride abattue. La Chasseresse file à travers les bois qui bordent le lac Michigan. Pour une fois, la déesse mythologique est noire. Ça nous change. En B, elle tape dans le vieux coucou de Burt déjà repris par Cilla, Jackie et Dusty chérie : « What The World Needs Now Is Love ». Diana ne peut pas résister à l’appel des stratosphères. Mais dans l’esprit, elle est beaucoup plus soft que ses collègues. Elle ne recherche pas la performance physique, ce n’est pas son style. Diana est une suave, une féline. Elle boucle l’affaire avec une reprise d’« Ode To Billy Joe ». Elle prend ça d’une voix blanche, mais désolé, Diana, on préfère Bobbie Gentry.

Nouvel album collaboratif avec les Temptations la même année : The Original Soundtrack Of TCB (Taking Care of Business). Ça explose dès « Stop In The Name Of Love ». On retrouve ce qui fait la magie des sixties - My name is Diana Ross, this is Mary Wilson and that’s Cindy Birdsong. Our business is singing - Elles font une fantastique reprise du hit des Four Tops, « You Keep Me Hanging On » et on passe au génie pur avec le « Get Ready » des Temptations - Here come the Tempts ! - C’est embarqué à train d’enfer. Plus loin, les Supremes balancent un medley « Mrs Robinson/Eleanor Rigby » et les Tempts se cognent le « Respect » d’Aretha. En B, on retrouve le hit des enfers définitif, « (I Know) I’m Losing You » et ils terminent avec un version un peu pauvre de « The Impossible Dream ». Tout le monde n’est pas Cézanne, nous nous contenterons de peu, disait Aragon. Même chose pour Brel. Le seul qui puisse l’approcher, c’est Scott Walker.

On crut bien que les Supremes étaient foutues en 1968, avec la sortie de Love Child. Le morceau titre sonnait comme de la diskö violonnée, et ça illustrait toute la dérive du Motown sound. Pour les fans de la première heure, ce fut un sale moment à passer. Berk ! Motown ressemblait à une vieille tante. Mais Diana n’avait pas dit son dernier mot. « How Long Has That Evening Train Been Gone » renouait avec le beat SNCF et on entendait Jamerson faire un festival. Du coup, ça redonnait espoir car ça jouait à la haute voltige. Diana et James Jamerson, c’était un peu l’âme de Motown. Jamerson remontait au front avec « Honey Bee ». Il ressortait le dynamic bassmatic des Four Tops. Fucking enormity ! On avait là une véritable horreur de raw r’n’b avec des chœurs à la traîne, et comme chez les Four Tops, ça roulait sur des grosses notes de basse. Jamerson était le roi du big bass romp. S’ensuivait une autre pièce d’allure supérieure, « Some Things You Never Get Used To ». On sentait que Diana retrouvait son éclat dès qu’elle avait un gros cut à se mettre sous la dent. Elle savait dégager le passage. Elle nous sortait ensuite un joli groove des jours heureux, « He’s My Sunny Boy », et elle poursuivait sa fantastique croisade avec « You’ve Been So Wonderful To Me », pur chef-d’œuvre de good time music. Elle étendait son empire à l’infini, elle chantait son groove avec une sensualité de lèvres humides, elle en devenait hallucinante, elle se lovait dans le creux de l’oreille et on tombait définitivement sous le charme de cette rosse infernale. Elle s’introduisait aussi dans le groove de « You Ain’t Livin’ Till You’re Lovin’ » comme une petite souris. Elle chantait au sucre d’orge magique. Et elle finissait avec deux énormités cavalantes, « I’ll Set You Free », digne de Hangin’ On, et là, elle explosait la Soul, elle grimpait si haut qu’elle donnait le vertige, et « Can’t Shake It Loose », une énormité à tomber de sa chaise.

Petit album live vite fait la même année avec Live At London’s Talk Of The Town. Diana et ses copines sont accompagnées par un grand orchestre et donc elles peuvent se permettre de taper dans le music-hall. Elles font ce que tous les artistes de r’n’b faisaient à l’époque, des medleys. C’est assurément du grand cru. Parmi les bonnes surprises, on trouve une version fantastique de « Love Is Here And Now You’re Gone ». Diana embarque le public londonien dans sa pop fraîche et parfaite. Une pop parfaite, comme peut l’être une femme dans le regard d’un homme. On ne voit plus les défauts et on s’émerveille. Elles font une version ultra-rapide de « You Keep Me Hanging On » et un medley beatlemaniaque avec « Michelle » et « Yesterday ». Diana chante le début de Michelle en Français - sont des motes qui vont tlès bien ensemble - Elles avaient toutes les trois une classe terrible.

Paru en 1969, Let The Sunshine In sentait un peu la fin des haricots. Avec « No Matter What Sign You Are », elles revenaient à une sorte de pop soul funky de bon niveau. Diana conservait ses réflexes de reine des rosses et chantait sa belle pièce de sunshine pop violonnée avec la grâce habituelle. Il fallait attendre la fin de la B pour retrouver un hit digne des Supremes de la grande époque. Avec « I’m So Glad I Got Somebody », elle reprenait le beat en main et refabulait la Soul, comme au bon vieux temps.

La même année, sortait un nouvel album de collaboration avec les Temptations, Together. Il faut voir comment les Temptations relèvent le niveau de la Soul. C’est flagrant dès « Stubborn Kind Of Fellow ». Diana essaie de rivaliser de génie avec eux. Ils continuent d’exploser la Soul avec « I’ll Be Doggone ». Diana entre au second couplet. Elle a un sacré toupet. Elle ose se faufiler entre les pattes des géants pour tenter de s’imposer. Hey hey hey, les gars envoient ces chœurs de background dont ils ont le secret. Et puis on tombe de sa chaise avec « Uptight (Everything’s Alright) », l’un des plus grands hits Motown, l’absolue puissance du beat Tamla. C’est eux, les Temptations, qui l’incarnent. Diana rentre bien dans le lard du cut. Elle peut être fantastique quand elle veut. D’autres monstruosités guettent l’imprudent visiteur en B, comme par exemple ce « Sing A Simple Song » qui conduit droit à l’enfer un peu funky des Temptations. Ah, ils savent dégommer un hit, ces mecs-là ! Et Diana entre dans le cirque en vraie shouteuse de la victoire. Puis ils tapent dans le grand hit de Smokey Robinson, « My Guy My Girl ». C’est ultra-joué à la basse. À la reprise du thème, David Ruffin nous enfume comme des lapins dans un terrier. Ce mec joue avec le miel du génie. Rien n’est aussi doux à l’âme que le son des Temptations. Diana revient et David lui donne la réplique, alors tout le boisseau monte tranquillement au ciel. Vous ne trouverez pas beaucoup d’albums qui frisent autant la perfection que celui-ci.

Cream Of The Crop parut aussi en 1969, année érotique. On s’attendait à une sorte de déclin, à cause la pochette où Diana paraît en gros plan coiffé d’une atroce perruque. Mais l’album est encore très solide. Avec « Can’t You See It’s Me », Diana et ses collègues reviennent au pur jus r’n’b des Supremes, langueur et classe. Elles restent dans ces haut de gamme auquel elles nous ont habitués. « You Gave Me Love » est aussi une vraie chanson, dans la tradition Tamla, montée sur un beat imparable. Et on entend la basse de Jamerson cavaler derrière. Elles font une reprise de « Hey Jude » puissante car entièrement jouée à la basse. Il faut entendre cette bassline voyager dans le fond du studio B. Jamerson joue les effrontés avec un son rond et terriblement présent. Pour le final, Diana a tente d’égaler McCartney, mais elle se contente de pousser des petits cris de hyène lubrique. On retrouve ce fantastique travail de bassmatic dans « Shadows Of Society ». Encore une fois, c’est Jamerson qui porte le poids du monde Motown. Il place de violents décrochages de gammes et des chevauchements de cordes intempestifs. Belle B avec « Loving You Is Better Than Ever », une vraie classe longiligne. Les Supremes naviguent à un tel niveau que rien ne saurait plus nous surprendre. Elles restent dans la grande veine des hits d’antan avec « When It’s To The Top » et on retourne faire une promenade de trois minutes dans le jardin magique de la Soul de rêve. On y retrouve Diana et les violonnades des jours heureux. Elles tapent aussi dans « Blowing In The Wind », mais franchement, elles auraient mieux fait de s’abstenir.

À une époque, on trouvait en DVD les vieux rogatons d’Ed Sullivan et c’était l’occasion de revoir les Supremes de l’âge d’or. On peut même parler de magie avec « Come See About Me ». On ne voit que Flo, la plus petite des trois, la plus racée et dotée d’une poitrine avantageuse. Mary est la plus grande des trois et les gros yeux globuleux de Diane la Ross choquent un peu. Tout aussi magique, « Love Is Like An Itching In My Heart », mais Flo et Mary sont cette fois très en retrait. Elles portent des robes jaunes et dansent le jerk. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie, car c’est exceptionnel. On peut aussi voir « I’m Living In Shame » mais Flo vient d’être virée. Le groupe s’appelle désormais Diana Ross & the Supremes. Puisqu’on est dans les DVD, l’idéal est aussi de pouvoir jeter un œil sur Dreamgirls, l’adaptation cinématograhique ultra-romancée de l’histoire des Supremes. La grosse Jennifer Hudson joue le rôle de Flo et chante comme Aretha. Elle est la révélation de ce film. De la même façon que les Supremes s’appelaient les Primettes, les filles s’appellent les Dreamettes. Lors d’un concours à Detroit, elles sont repérées par Jamie Foxx qui joue bien sûr le rôle de Berry Gordy. Mary et Diana sont un peu effacées. Comme dans la vraie histoire, Berry passe Dina/Diane au premier plan. Effie/Flo le prend mal et Berry lui donne l’ordre de se calmer, sinon... Sinon quoi, trésor ? Il finit par virer Effie/Flo le soir du Motor City’s Burning, baby. Le groupe devient Dina Jones & the Dreams. L’autre personnage clé du film est joué par Eddie Murphy qui campe un sulfureux mélange de Wilson Pickett et de Marvin Gaye, puisqu’on le voit chanter vers la fin un groove coiffé d’un bonnet de laine. La fin du film est beaucoup plus morale que la réalité, puisque Effie/Flo retrouve un job de chanteuse dans un club et le soir du concert d’adieu des Supremes, elle est même invitée à chanter sur scène avec les trois autres. Berry Gordy ne sort pas grandi de ce film. On y voit un dictateur qui gère la vie de ses artistes jusque dans le moindre détail. Un soir, il dit à Dina/Diana : « Tu sais pourquoi tu chantes en lead ? Parce que ta voix n’a aucune profondeur, sauf la mienne. » Ce qui explique pourquoi il s’est débarrassé de Flo.

Signé : Cazengler, Sousprême

Supremes. Meet The Supremes. Motown 1962

Supremes. Where Did Our Love Go. Motown 1964

Supremes. A Bit Of Liverpool. Motown 1964

Supremes. We Remember Sam Cooke. Motown 1965

Supremes. At The Copa. Motown 1965

Supremes. More Hits By The Supremes. Motown 1965

Supremes. A Go-Go. Motown 1966

Supremes. I Hear A Symphony. Motown 1966

Supremes. The Supremes Sing Hollan Dozier Holland. Motown 1966

Supremes. The Supremes Sing Motown. Motown 1967

Supremes. The Supremes Sing Rogers & Hart. Motown 1967

Diana Ross & The Supremes Join The Temptations. Motown 1968

Diana Ross & The Supremes. Reflections. Motown 1968

Diana Ross & The Supremes With The Temptations. The original Soundtrack From TCB. Motown 1968

Diana Ross & The Supremes. Love Child. Motown 1968

Diana Ross & The Supremes. Live At London’s Talk Of The Town. Motown 1968

Diana Ross & The Supremes. Let The Sunshine In. Motown 1969

Diana Ross & The Supremes. Together. Motown 1969

Diana Ross & The Supremes. Cream Of The Crop. Motown 1969

Peter Benjaminson. The Lost Supreme. The Life Of Dreamgirl Florence Ballard. Lawrence Hill Books 2008

Mary Wilson. Dreamgirl - My Life as A Supreme. Cooper Square Press 1999

Mary Wilson. Faithfull. Harpercollins 1990

Bill Comdon. Dreamgirls. DVD 2007

Ed Sullivan Show. The Temptations & The Supremes. DVD Eagle Vision

 

BACKSTAB

CÖRRUPT

 

Je n'ai jamais aimé les maths – ceci n'est pas l'expression d'un racisme primaire, ce sont les maths qui ont été incapables de s'infiltrer dans les complexes réseaux de neurones qui forment ma vaste intelligence - par contre je n'ai jamais eu de difficulté particulière pour entrer en communion avec le mathcore. Qu'est-ce que cette abomination encore demanderont les lecteurs excédés de ces rencontres chadiennes envers des groupes radicalement bruiteux. C'est vrai que hier encore je ne connaissais par Cörrupt mais l'appellation incontrôlée aperçue sur le net ( I'm the midnight rambler ) m'a attiré. Des gens qui cherchent à vous corrompre parce qu'eux-mêmes s'estiment corrompus ne sauraient nous effrayer, ils ressemblent tellement à notre société qu'ils sont inscrits dans notre quotidienne normalité. Ou alors ils se contentent de nous tendre un miroir dans lequel nous sommes obligés de reconnaître que notre tête est particulièrement gorgonesque. Avant d'écouter nos Corrüpt, une leçon de math de rattrapage pour les cancrelats auprès du radiateur. En ses débuts, en ses prémices, le noise-rock cherchait avant tout à faire du bruit. Cela vous avait un petit côté anti-bourgeois léniniste, cependant avec le temps il fut urgent et nécessaire d'argumenter et de revendiquer intellectuellement ce parti-pris de tonitruance, je vous dérange, c'est bien fait contre vous, j'exprime ma différence, du coup le noise est devenu un rameau arty qui mêlait esthétisme, futurisme et décadentisme. Reproches et critiques n'ont pas tardé à fuser : c'est du n'importe quoi, du vulgaire boucan, des trucs simplistes que voulez faire passer pour du grand art, c'est alors que le mathcore se mit en place, le noise est devenu plus difficile qu'une équation du dix-septième degré, certains affirment que le germe fatal du mathcore se niche dans les compositions de King Crimson, pourquoi pas remonter jusqu'au Manifeste intitulé L'art des bruits paru en 1913 de l'expérimentateur Luigi Russolo...

De toutes les manières toutes ces subdivisions métallifères possèdent des frontières poreuses, et Cörrupt peut aussi cocher les cases death, black et hardcore. Le groupe existe depuis une dizaine d'années, sont obligatoirement quatre à l'image des sergents de la Rochelle dont ils proviennent, Greg War est au chant, Renaud Galliot à la guitare, Florian Piet à la basse, Pablo Fathi occupe le poste de batteur, nous l'avons déjà rencontré puisqu'il officie aussi à cette pelleteuse dans UnCut ( voir notre livraison 494 du 21 / 01 / 2021 ).

Backstab est leur premier EP, l'est sorti en 2017, sont en train de bosser le suivant. Backstab signifie coup de poignard dans le dos. Le dos du CD est d'ailleurs orné d'une illustration qui n'est pas sans rappeler le logo de Pogo Car Crash Control, comme quoi les mauvaises herbes se rencontrent toujours.

You are about to crack : grincement machiavélique suivi d'une parmentière de batterie particulièrement brutale, Greg a déclaré la guerre au vocal, il grogne tel un ours en cage qui brise les barreaux de ses dents et les écarte de ses griffes, âmes sensibles abstenez-vous, une fois sorti il se rue sur les visiteurs de la ménagerie et les écrabouille en purée sanguinolente, le pire c'est qu'ils se contrôlent, vous pensez que Cörrupt fonce à l'aveuglette pas du tout, ils sont du côté noir de l'intelligence de la force, une fureur calculée au millimètre près. Le morceau dépasse à peine les deux minutes, et c'est si bien calculé que vous ne vous en apercevez pas. Finally free : un bruit de ferraille rémoulante qui vient de loin et qui s'affirme, moteur qui prend son temps pour démarrer mais après rien ne l'arrêtera, implacable comme la lame des guillotines, des guitares qui pulsent, une batterie qui s'énerve grave, Greg qui hurle tandis que les autres emboutissent le son à coups de bulldozer. Eloignement progressif. Lorsque vous n'entendez plus rien, vous soupirez, vous croyiez qu'ils avaient tué le silence. Politicians on television : on n'a pas les paroles mais on les comprend, des guitares qui résonnent comme si Renaud et Florian s'en servaient comme des élastiques XXL pour expédier des harpons géants sur nos dirigeants mal-aimés, Greg récate les malotrus de son lance-flammes vocal, s'enfonce dans un hurlement infini suivi d'un long grésillement, le fuzzible des guitares a lâché. Your reality : une intro comme un jeu de quilles humaines dans lequel Greg lâche le boulet d'acier de son vocal qui décanille tout ce qui est debout, l'a son mot d'ordre, rien ne doit subsister, articulation guitare-batterie pour compter les cadavres, doit encore y avoir des survivants, les blindés font un demi-tour pour écraser tout ce qui ose bouger, la batterie s'active et mitraille sans rémission, notre réalité ne doit pas être jolie car la voix de Greg s'acharne sur elle, elle déverse dessus une benne à ordures géante qui vous ensevelit sous des immondices peu ragoûtants, des avions de chasse survolent longuement le champ de bataille, la voix sépulcrale de Greg plane sur les décombres, elle profère la victoire de la mort triomphatrice, et maintenant elle en appelle aux légions maudites des spectres qui envahissent la planète, les guitares se taisent lorsque l'étiage supérieur est atteint. L'on entend une mouche voler.

L'ensemble ne dure même pas treize minutes, mais l'EP est une démonstration parfaite d'un savoir-faire supérieur, ces quatre gars sont habités par l'esprit du Metal, de véritables illuminés. L'on attend le futur artwork. Devrait paraître sous le titre de You are all fakers, doit-on en conclure qu'ils ne sont pas décidés à nous passer la brosse à reluire, ils préfèrent user du fouet à pointes d'acier. Sont pour les thérapies de choc. N'ont pas tort, car des EP de cette facture vous requinquent le moral jusqu'à la fin de l'année.

Damie Chad.

 

ASK THE DUST

ANASAZI

( Avril 2018 )

Lorsque dans notre livraison 496 nous nous étions intéressés à Croak nous avions appris que toute une partie de Croak était formé par des membres d'Anasazi, une excuse idéale toute trouvée pour jeter un œil perçant sur ce groupe que nous ne connaissions pas. J'ai bien dit œil et pas esgourde car la pochette de leur dernier album entrevu au hasard de mes pérégrinations nettiques avait déjà attiré mon attention... Ask the Dust est leur cinquième album paru en 2018, ils travaillent actuellement sur le prochain Cause et Conséquences - un titre très aristotélicien - ils ont aussi deux EP à leur actif... Anasazi originaire de Grenoble est né en 2004.

Mathieu Madani : vocal, guitare rythmique, keyboards / Christophe Blanc-Tailleur : basse, mixage / Bruno Saget : lead guitar / Anthony Barruel : drums.

Un CD qui se regarde et qui se médite. Pas le genre de truc dont vous vous hâtez d'attraper la rondelle pour la glisser dans votre lecteur. La pochette exige une attention prolongée. Parce qu'elle est belle. Mais cela ne suffit pas. Grégory Pigeon est doué, aucun doute sur son habileté technique. C'est face à de telles réussites que l'on regrette les anciens formats des 33 tours... Mais il est des images qui disent davantage qu'elles ne montrent. Certaines mêmes vont plus loin, elles interrogent.

A priori un manège qui flotte sur la mer. L'on imagine l'anecdote, un raz-de-marée subit, un tsunami vindicatif qui aurait emporté une attraction foraine... Toutefois rappelons-nous que le propre d'un symbole est de désigner une réalité autre que celle que dévoile son aspect ( ici ) graphique. Serait-on en présence de l'ultime arche de Noé, non pas celle fondatrice de la race humaine, mais la dernière la conduisant à son extinction. Le manège tourne-t-il à vide comme ces moulins à prières tibétains que le vent affole. Et ses chevaux de bois ( ou de résine ) pourquoi ne galopent-ils pas sur les flots déchaînés, pourquoi menés par Poseidon ne se ruent-ils pas en vagues tumultueuses, tels les étalons écumeux de Walter Crane, sur les rivages... Ô Neptune, les Dieux sont-ils morts, et le monde est-il réduit à n'être plus que le réceptacle des vides épaves de nos rêves échouées sur d'infertiles îlots... Le dos de la pochette répond à cette question.

Ask the dust, titre d'un roman de John Fante, nous rappelle que tous nous sommes mortels, que nous retournerons tôt ou tard à la poussière, amis rockers, je sais ce n'est pas gai, mais Anasazi n'est pas groupe de rockabilly qui relate d'enjouées éjaculations sur la banquette arrière d'une Cadillac rose. Bonbon. Ce qui entre nous n'est pas désagréable et assure la propagation de l'espèce. Anasazy est un groupe de metal-prog dont les racines plongent jusqu'à Dream Theater qui lui n'hésite pas à citer Yes. Perso, là je dis No.

Staring at the sun : cela commence tout doux, une espèce de mélodie folk qui s'assombrit peu à peu, l'innocence trompée qui redresse la tête tandis que la musique s'alourdit comme si toutes des quinze secondes l'on rajoutait quelques pistes de guitare supplémentaires, elle sonnait étrangement jusques à lors en tintements de cloche, et l'on débouche dans un long passage qui là aussi s'alourdit de séquence en séquence, guitare de plus en plus pesante et batterie claquante, le vocal se fait chant, le désespoir exacerbe la lucidité. Longtemps le soleil glapira sur votre pierre tombale. Miles away : guitare dénudée, la voix blanche et creuse, une ballade dépourvue de toute sentimentalité, un poule vidée de ses entrailles dont le sang goutte sur l'évier, une chanson sereine, celle de l'éloignement de soi et de l'arrachement des autres qui nous furent chers, une guitare rampante comme un feu qui s'avive sur le flanc d'une montagne, traversée des souffrances, subtiles orchestrations, la voix en ses propres échos comme perdue en son puits de liberté. Et de solitude. Les grands espaces, les miles away en surfaces corrigées, juste un coup de ciseaux sur les liens affectifs qui vous rattachent aux autres. Ce morceau git comme un poison d'autant plus définitif qu'il est facile à avaler. Feeling nothing : beaucoup plus sombre, guitare froissées, batterie qui décompte l'inéluctabilité du temps qui vous reste à vivre, Madani menace et sardonise, la voix de l'assassin qui prend son temps, certain que sa proie ne peut lui échapper, fait durer le plaisir, la musique se fêle comme du cristal, et tout se précipite, l'orchestration est le poignard avec lequel le killer se fera hara-kiri, le sang bat dans ses tempes tandis que des guitares moqueuses lui tirent des langues de vipère, vient de s'apercevoir qu'il est sa propre victime, baisse le ton, se parle à lui-même, le son lui parvient comme s'il provenait d'une radio qui traduirait ses propres sentiments, tout s'emmêle. Drift away : berceuse, celle de l'échec, celle du trop tard, la chanson amère des défaites consenties, dans le premier tiers l'orchestration est presque insupportable comme des reproches qui ne servent en rien, elle prend sa revanche dans la séquence médiane, occupe toute la place, se torsade et s'emmêle sur elle-même, un serpent désespéré qui ne se supporte plus et se transforme en une tresse de détresse mutilatoire, la voix revient, s'en mêle et domine, la musique se calme et se tait. Falling : l'on ne peut pas dire que les titres inclinent vers l'optimisme ! Pourtant pour une fois la voix se fond dans le background instrumental, du trompe-l'œil parce que bientôt elle s'exhausse du brouhaha et dresse l'inventaire d'un faux sursaut velléitaire de vouloir-vivre schopenhaurien, la guitare miaule sur les toits comme pour lui signifier qu'elle est son amie, qu'ils tomberont tous ensemble devant l'implacabilité du constat. Ce qui ne manque pas d'arriver. The second before : tic-tac tambouriné, notes égrenées qui ne sèment pas à tous vents, même si les guitares tournent les pages d'un livre déjà écrits, des voix qui viennent de partout, qui redisent la même chose, toute seule ou à plusieurs, qu'une seconde avant on aurait pu accéder à la lumière, mais que c'est raté, que c'est tant pis pour nous, les guitares se font consolantes, puis cette déconnexion soudaine à soi-même. Fausse porte de sortie. Still I can't hide : basse résonnante, une voix qui vient de loin, comme d'une brume qui l'isolerait d'elle-même, une ligne mélodique qui ramène le malheur au bout de son hameçon, pouvez le chanter avec toute l' intensité désirée, des cordes de plus en plus grinçantes, le rêve poursuivi se laisse prendre, s'insinue en vous, prend les commandes de votre cerveau, un cauchemar dont vous ne sortirez jamais. Déploiement lyrique de l'orchestration. Chut ! L'ombre grandit autour de vous. And the grudge ( still here ) : plus de huit minutes, l'on ne se méfie pas, semble la suite du précédent, mais les guitares bruissent et la batterie gronde en sourdine, tandis qu'une mélodie bat de l'aile telle un oiseau blessé, c'est le retour sur moi-même le déroulé d'un vécu qui quelque part a foiré, une valse qui déraille, ce fut beau et vivifiant, les guitares crépitent à la manière des feux de joie, le son devient plus fort, des arabesques orientales luisent de tous leurs festons, le vocal se fait accusateur, maintenant tout s'envole, est-ce moi, est-ce l'autre, mais tout a été ressenti si fort que la tête vous tourne telle un manège qui ne pourrait plus s'arrêter et se brise. Into the flood : quelques notes sépulcrales coulent comme des larmes, le temps de l'acceptation est venu, rien ne sert de vouloir survivre, tout est déjà consommé, des mots tous doux qui aspirent au néant, qui sont prononcés après la lutte et les débats, une triste histoire, si belle que l'on en ferait une chanson pour les enfants, les claviers prennent ici leur revanche, ils ont été tout le temps là en tant qu'accompagnateurs, mais ici et maintenant ils noient le morceau d'une musicalité irréelle. Once dead : que voulez-vous dire de plus un fois que vous avez atteint l'autre rive, quand on est mort on se tait, ce morceau est strictement musical. Le finale d'un opéra. Mort d'Isolde. Marche funèbre, comme si le héros refaisait une fois encore, du fond de sa tombe, le parcours non pas de sa vie, mais d'une existence. Grandiloquence mesurée. Sans doute ne valons-nous pas davantage. Silence. Ce n'est pas fini. Ask the dust : une dernière mélopée sur une guitare, une voix affadie comme si elle nous parlait d'outre-tombe, qui s'affirme qui ne nous révèlera rien, sinon que nous ne sommes que poussière. La musique coule et grince comme du sable qui s'écoule dans le sablier de l'éternité. Un dernier chœur à la tonalité semi-éteinte comme un adieu définitif.

Une œuvre ambitieuse. Elle ne se livre pas de prime abord. Fortement déconseillée aux amateurs de bruits metallifères prononcés. L'exhibitionnisme sonique en est totalement absent. La trame du drame est tissée dans les nuances vocales. Tout effet de gosier est banni. La musique est comme réduite au minimum. Elle ne mène pas le bal. L'or peut enchâsser une pierre, mais la pierre est plus précieuse. C'est elle qui étincelle. Mais Anasazi a choisi un rayonnement pâle. Ce qui n'empêche en rien sa radio-activité de vous ronger insidieusement les synapses.

Damie Chad.

 

THE ANIMALS / 1964 ( II )

 

Deux 33 tours paraissent dans le dernier trimestre de l'année. L'un aux Etats-Unis, l'autre en Angleterre, tous deux s'intitulent The Animals mais ne présentent pas exactement les mêmes titres. Certains d'entre eux étaient présents sur des singles précédemment chroniqués. Nous nous contentons de signaler leur présence sur tout disque ultérieur en utilisant la couleur rose. Ces parutions spécifiquement multi-nationales continueront sur les cinq autres 33 tours des Animals, ce qui entraînera la parution de divers 45 tours pour que sur les deux continents les fans puissent se procurer sur leur marché national les titres qui leur manquent. Dans de nombreux pays comme la France paraîtront des super 45 tours proposant leurs propres assortiments...

SEPTEMBRE 64

THE ANIMALS ( US )

The house of the rising sun / Blue feeling : ( ne pas confondre avec l'instrumental de Chuck Berry qui porte le même titre ) étrange morceau avec ce refrain qui résonne à nos oreilles tellement french-slow-early-sixty-style et qui contraste avec la voix blanche qu'emprunte Burdon, l'ensemble présente un petit côté pop ( pour ne pas dire variétoche ) l'on est beaucoup plus proche de la chanson sentimentale cucul la praline que du blues. A la toute fin Burdon reprend un peu d'énergie, hélas c'est trop tard. The girl can't help it : les choses sérieuses reprennent, s'attaquent à un monument, la grosse cuivrerie de Little Richard, surmontent l'obstacle, pas de filles dans les chœurs mais les boys se débrouillent pour le contre-chant et le Burdon vous débite le vocal à deux cents à l'heure, Hilton vous place un petit solo d'antho au trapézo qui fera votre régalo, profitez-en parce que c'est déjà fini sur une dernière pirouette de la baguette de Still. N'ont pas à rougir, s'en sont sortis comme des chefs. Babt let me take home / The right time : ce coup-ci, la prod a fait tous les sacrifices, ils ont offert des filles – pas beaucoup il ne faut pas non plus délirer - pour le chœur, du coup le morceau vous a un petit côté Ray Charles très releattes à roulettes, et les boys font les jolis cœurs, Burdon leur donne la réplique comme s'il leur offrait son âme, le Price vous sort un solo d'orgue qui ressemble à un gros câlin sucré, la virile basse de Chas sonne comme une corne de brume. Notons la bienséance du titre qui ne nous dit pas que le right time is the night time. Talkin' 'bout you : version courte : même pas deux minutes alors que la longue dépasse les sept, s'écoute bien, le morceau y gagne force et concision. Around and around : la même année le standard de Chuck Berry est repris par les Rolling Stones, il faut l'avouer Burdon enfonce le Jag qui chante comme un petit blanc, en plus les Cailloux qui Roulent ne se démarquent pas del maestro Chucko, le clavier de Price oblige à une recomposition formelle, les Animals vous repeignent et vous repoussent les murs, encore une fois il faut admirer le solo d'Hilton vous piaffe quelques notes aussi belles et graciles qu'une bande de girafes galopantes, les parties pianistiques de Price sont à bénir. I'm in love again : du beau monde sur l'écriture de celui-ci, Fats Domino et Dave Bartholemew, bye-bye le petit côté primesautier et fringuant du vieux Fats, pas de saxophone non plus, c'est Hilton qui le remplacera, l'orgue de Price apporte une lourdeur bienvenue à l'interprétation sans en dénaturer l'esprit. Quant à Burdon, il chante selon une ligne médiane, sur la crête, tantôt un pied intonatif sur le versant white rock, tantôt une foulée incantatoire vers le black and blues. Une merveille d'équilibre. Gonna send you back to Walker / Memphis tennessee : de petites ridelettes d'orgue c'est tout ce que les Animals se permettent d'ajouter, quand on met ses pas dans les traces de Maître Chuck on ne fait pas les malins, le Burdon retient la puissance motrice des chevaux-vapeurs de sa voix, ne va pas pousser l'affront à chanter plus noir que Chuck, bref ils sont sages comme des images, l'on eût aimé qu'ils se comportassent en gamins mal élevés. I'm mad again : c'est un peu le Boudu sauvé des eaux de John Lee Hooker, le gars qui héberge chez lui un gus dans la mouise qui pour le remercier lui fauche sa copine, mais alors que le Hooker vous raconte l'histoire sans fioriture sur une de ces rythmiques secrètement lentes qui portent l'eau de votre âme à ébullition les Animals vous la transforment en tragédie racinienne, commencent tout doux, mais très vite le drame prend de l'ampleur, la voix de Burdon donne de 'l'intensité au sujet, la guitare d'Hilton déraille ferme, l'orgue de Price vous a des trémolos funèbres d'enterrement, et Burdon vous pousse des cris d'assassin. I've been arond : un joyeux petit Fats pour terminer, dans le genre faut se quitter sur un sourire obligatoire, celui-ci appuyé légèrement plus que le Fats qui joue les mijaurées avec ses petits oh ! oh ! oh ! un peu ridicules et son orchestration de jouet de noël... mais enfin il faut le dire ce titre n'apporte rien à la gloire impérissable des Animals.

OCTOBRE 64

THE ANIMALS ( UK )

Story of Bo Diddley : une glissade d'orgue et l'orage du jungle sound survient on ne sait comment, Burdon vous fait le boniment, aussi bon et même meilleur qu'un camelot de la 52 Th rue, Steel tambourine à croire qu'il est dans une cérémonie vaudou, Price vous pond des tortillons d'orgue à la queue-leu-leu mais nos Animals s'amusent, abandonnent vite la trame didldleyenne pour filer à l'anglaise, tour à tour nous aurons droit aux Beatles, aux Stones, à Newcastle, sont-ils en train de commettre un crime lèse-pionniers du rock, non ils respectent l'esprit du talkin' dozens blues, le cuisent à leur sauce, s'émancipent de la copie hommagiale, un jour les Animals deviendront Eric Burdon and the Animals... Bury my body : un vieux traditionnel qu'Alan Price ne manquera pas de porter à son crédit, il est difficile de perdre ses mauvaises habitudes... L'on s'attendrait à un blues dévastateur, ce n'est pas l'optique envisagée, la voix enjouée de Burdon, les notes joyeuses de Price, la basse de Chas qui n'a rien de funèbre, tout indique qu'ils ont délibérément choisi l'option chrétien heureux de mourir et de monter tout droit au ciel sans encombre, rien de plus fun que d'être rappelé par Dieu, y a même des moments qui frisent l'hystérie désopilante, pour un peu vous l'incluriez dans un recueil de chansons pour colonies de vacances. Ont-ils voulu renouer avec la foi intransigeante des negro-spirituals ou alors méritent-ils d'être accusé d'impiété moqueuse... Dimples : un des classiques de John Lee Hooker ( Dale Hawkins s'en est fortement inspiré pour les paroles et le reste de Suzie Q ), les Animals n'en font pas trop, vous le tournent à leur manière, la voix de Burdon fait monter la pression dans la chaudière, le tutti instrumental continue à pulser la vapeur et puis l'on renvoie en arrière, Burdon trottine avec le ballon, insensiblement il accélère et soudainement il fonce droit devant évite trois adversaires qui mordent la poussière à vouloir le plaquer, et finit sa course en beauté en marquant l'essai. Du cousu main, rugby sur l'ongle. I've been around / I'm in love again / The girl can't help it / I'm mad again / She said yeah : une vieille piste pas des plus connues de Larry Williams, au moins Burdon trouve un sérieux rival à qui se mesurer, soyons juste, Burdon n'est pas la hauteur, peut-être parce qu'il n'ose pas emprunter ses cordes vocales les plus noires, Price se débrouille mieux pour remplacer le solo de sax, l'absence de cet instrument dans la formation a-t-il obligé à blanchir quelque peu l'interprétation. Les Stones la chiperont aux Animals et il faut admettre que leur version avec cet arrière-fond de guitares caverneuses qui font trembler les murs annonce l'ossature sonique de Have you seen your mother, baby, standing in the Shadow... Nettement supérieure. The right time / Memphis Tennessee / Boom boom : le morceau qui fait boum ! Burdon chante comme un tigre qui arrache à pleine voix des morceaux de viande saignante à une proie encore vivante, ensuite c'est le grand charivari, l'ultime capharnaüm, la fin des haricots verts, les Animals se sont évadés du zoo des convenances modélisées et sont devenus libres et sauvages. Around and around .

Deux inédits que l'on retrouve su la compilation Double CD, The Complete Animals :

F. E. E. L : du pur Animals, mais cela ressemble à ce qu'en équitation l'on appelle un canter, un galop d'entraînement, l'inanité des paroles arque-boutée sur le mot -feel – mot magique et miracle des sixties, l'est sûr que si à l'époque vous n'aviez pas le feeling, vous étiez un tocard de la pire espèce, tout juste bon pour l'abattoir municipal, alors Burdon ( lui, ne craignez rien, il l'a chevillé au corps ) s'amuse, il filoche le feel all rigth à cent quatre-vingt kilomètres heure, module, accélère, exulte, ralentit, et les autres derrière le suivent de près, agréable à écouter, bien fait, tout propre, mais si vous ne l'avez jamais entendu, inutile d'aller creuser votre tombe au fond du jardin, par contre si à l'écoute vous ne ressentez rien... Don't want much : méritait au moins un simple à lui tout seul, attention les rockers, Rosco Gordon est l'auteur du morceau sous le titre Just a little bit, ce gazier enregistra aussi chez Sun, c'est rare mais il faut le dire Burdon pulvérise le modèle, l'a une fougue et un aisance incomparable, Gordon nous la faisait un peu en dilettante hyperdoué, Burdon vous entortille les scoubidous sur le bout de sa langue avec une facilité déconcertant. Il ne chante pas, il éblouit. Les autres suivent et vous expulsent l'orchestration avec une dextérité consommée.

L'existe un maximum de vidéos d'époque qui proviennent de leurs passages sur différentes chaînes de télévision, ouvrez les mirettes aux alouettes, en voici deux, ne craignez rien, vous irez du pire au meilleur :

BLUE FEELING

Du fond de votre kitchenette si vous aimez le kitch vous adorerez ce clip extrait du film Get yourself your College Girl, une ânerie un peu dans le style du clip tourné à leur début par Mountain... Celui-ci a été réalisé aux USA dans l'Idaho, ce que l'on appelle une mauvaise hidée, l'on acceptera même l'adjectif hideux pour le qualifier... Mon Dieu ( oui mon fils Damie que veux-tu – oh, un double djack pour me remettre – tout de suite mon fils ! ) quelle horreur, même Burdon sur son rideau rouge est le plus beau de toutes, si l'on doit en croire ces images, les filles sont plus belles et moins nunuches aujourd'hui qu'en 1964, quel troupeau insipide de dindes farcies, les acteurs surjouent de toutes leurs bajoues, quant aux Animals ils croient si peu en leur playback que seul John Steel qui n'a pas oublié son chewing gum donne l'apparence d'une fausse réalité. Le petit Eric n'arrête pas de se bidonner ce qui le rend sympathique. C'est ce que l'on appelle un émouvant témoignage d'une époque révolue. L'on comprend pourquoi les Grecs ne nous ont légué que des fragments d'amphores, ils avaient peur que l'on se moque de leurs artefacts qui nous seraient parvenus en entier.

BOOM BOOM

( Live at Wembley 1965 )

Images en noir et blanc, public sagement assis, la scène grouille d'une multitudes de roadies qui installent le matériel, Burdon s'approche du micro et nous souhaite un retentissant '' good morning''. Chas lui fauche le micro, Steel s'installe, on attend encore un peu, et c'est parti, Burdon lance la machine, comment de ce petit bonhomme peut-il sortir une telle voix, bouge beaucoup, une espèce de danse du scalp qui se termine à genoux, imaginez un cormoran qui amerrit les ailes éployées et qui glisse sur l'eau de tout son corps dressé, Chas et Alan sont au chœur avec la conviction des pirates du rail qui trafiquent les aiguillages pour envoyer le train au fond du précipice, Hilton – lui qui a l'air si sage d'habitude - armé de sa guitare pique une crise de delirium tremens, lorsque Buron revient au micro il lève le bras comme s'il lançait l'assaut d'un régiment de cavalerie et c'est reparti pour une cacophonie rock'n'roll comme on les aime, l'on se demande pourquoi le public n'est pas en train d'incendier les tribunes sur lesquelles ils ont posé et collé leur cul...

Damie Chad. ( A suivre, 1964 / 1965... )

 

XXI

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

96

A peine les deux battants furent-ils ouverts que la meute des journalistes se précipita en une folle cavalcade, Vince releva avant qu'elle ne se fasse piétiner par ses collègues la petite brunette qui dans leur précipitation l'avaient renversée sans s'en apercevoir. A la décharge de nos impatients envoyés médiatiques, ceci dût-il étonner nos kr'tntreaders, on n'y voyait rien. Une espèce de brouillard opaque noyait toute la pièce. A moins de cinquante centimètres il était impossible de reconnaître l'ombre qui se mouvait devant vous. Un brouhaha indescriptible s'éleva de la meute journalistique. Tout se tut, lorsque le Chef prit la parole :

    • Mesdames, messieurs, je ne doute pas de votre déception, mais notre Président bien-aimé vous autorisera à mon signal à vous servir exceptionnellement de vos plus gros projecteurs, branchez-les, et vous verrez ce pour quoi vous avez été appelés, le Président a une importante communication à vous faire, vous pourrez la retransmettre en direct sur les chaînes de télévision, et les radios. Je vous demanderai simplement d'attendre quelques minutes que Monsieur l'Adjudant emmène avec lui son groupe de fusiliers-marins, si je ne trompe pas, c'est l'heure de leur footing matinal au Bois de Vincennes, nous sommes en démocratie et il n'est pas normal que l'on aperçoive des hommes armés tout près de notre Président.

Dans la pénombre l'on s'agita, la porte s'ouvrit pour laisser passer les soldats, les journalistes cherchèrent en tâtonnant que les prises pour leur appareil, l'on entendit un petit rire discret je pense que c'était la main de Vince qui s'était égarée sans le faire exprès sur la petite brunette...

    • C'est bon vous pouvez allumer !

Il y eut un oh ! de stupéfaction, les journalistes, même les plus chevronnés, n'avaient jamais vu une telle scène de toute leur carrière. En demi-cercle assis en de confortables fauteuils de velours cramoisis était rassemblé le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie, tous les plus grands épidémiologistes du pays, le fauteuil central était occupé par le Président. Juste derrière lui, le Chef était debout. Je crois que c'est la seule fois fois de ma vie où en une circonstance extraordinaire le Chef ne profitait pas de l'occasion pour allumer un Coronado. Le fait était d'autant plus exceptionnel que chaque membre du Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie était en train de déguster à pleine haleine un Coronado, un 45, un des plus fumiteux, le Président lui-même extirpa son bâton de chaise de sa bouche pour prendre la parole :

    • Françaises, français, je tiens à vous révéler en direct les conclusions de la dernière réunion tenue très tôt ce matin par le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie. Premièrement une bonne nouvelle qui ravira tous les patriotes et les fumeurs de cigares, les analyses des laboratoires sont formelles. La piste du Virus répandu sous la Tour Eiffel par le Service Secret du Rock'n'roll était fausse. Pour réhabiliter ce malheureux service le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie et moi-même avons tenu à fumer en direct notre Coronado, notre pays et notre peuple ne supportent pas l'injustice, lorsque la France commet une erreur, elle avoue ses torts. Mesdames, messieurs les journalistes, nous vous remercions de communiquer cette nouvelle au monde entier. Pour vous remercier nos charmantes hôtesses remettront à chacun de vous en guise de souvenir de cette journée historique un Coronado 45. Enfin pour terminer, une deuxième nouvelle, la France n'est en rien responsable de la propagation du Coronado-virus. Toutes les analyses médicales coïncident, ce sont des touristes chinois arrivés tout droit de Pékin, pour visiter Paris, la plus belle capitale du monde, qui l'ont emmené et répandu dans les meilleurs endroits touristiques de la France. Françaises, français, je vous remercie. Vive la France !

Le Chef a aussitôt repris la parole :

    • Mesdames et Messieurs les journalistes, le Haut Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie a encore beaucoup de travail. Je vous demanderai de vous retirer au plus vite, l'agent Vince vous raccompagnera à vos voitures, nos deux hôtesses distribueront les derniers Coranados en notre possession aux amateurs. Avec l'agent Chad nous sortirons en dernier pour nous assurer qu'aucun cachotier n'essaie d'écouter les décisions secrètes qui seront prises dans la suite de l'entrevue.

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Aussitôt dans la cour d'honneur s'engouffrèrent dans leur voitures les journalistes comme volée de moineaux du parc du Luxembourg rassasiés de la becquée providentielle prodiguée par une vieille dame qui se charge de les nourrir, les fusiliers-marins n'avaient manifestement pas encore enfilé leur tenue de sport pour leur jogging matinal, ils formaient une haie d'honneur devant notre appareil volant :

    • Présentez armes ! La voix de l'Adjudant ne plaisantait pas... Repos ! Soldats je suis fier de vous, vous avez obéi à votre Adjudant alors que ses ordres étaient, semble-t-il, en contradiction avec la mission qui vous a été confiée. Vous avez fait confiance à votre Adjudant qui vous laisse quartier libre pour le reste de la journée, sauf pour soldat Pierre, et soldat Marc qui ont ignominieusement profité de leur tour de garde pour draguer d'honnêtes demoiselles alors qu'il est totalement interdit d'adresser la parole aux passants, consigne de sécurité N°1, je tiens à le leur rappeler ! - se tournant vers nous - quant à nos héros miraculeux tombés du ciel, je les invite à prendre place dans leur taxi de la Marne volant, et à disparaître au plus vite, ce sera mieux pour vous, demoiselles, messieurs, et cesbraves canidés sans qui rien n'aurait été possible, nous adopteront leurs photographies comme mascottes de notre régiment. Putedesaintevierge !

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Notre aéronef eut un peu de mal à s'élever, la faute à Vince qui tenait sur ses genoux la petite brunette énamourée qui avait refusé de retourner à son journal. Dès que nous fûmes à une quinzaine de mètres au-dessus de la cour d'honneur, les fusiliers-marins se regroupèrent et déclenchèrent un tir meurtrier à notre encontre.

    • Enfin ! - le Chef extirpait de sa poche un Coronado – ne craignez rien, ce sont des tireurs d'élite, ils font attention à surtout ne pas nous toucher. Agent Chad, vitesse maximum, aucune crainte à avoir les images de la réunion sont déjà reprises par toutes les télévisions du monde, le SSR a de nouveau pignon sur rue !

    • En tout cas, moi j'aimerais savoir ce que c'étaient ces points rouges qui nous ont permis de nous diriger tout droit vers le palais de l'Elysée, demanda Charlotte

    • Des amis répondis-je, à droite c'était les Crashbirds, nous leur avons demandé par SMS de se poster sur le toit de leur maison du côté de Bondy, et de tirer furieusement sur leur Coronado dès qu'ils nous apercevraient, Delphine Viane et Pierre Lehoulier ont parfaitement rempli leur mission, tout comme Tony Marlow et Alicia F sur le toit de leur immeuble de Montreuil, le SSR possède des alliés dans le monde entier, qui se battent depuis des années pour le rock'n'roll, grâce à ces deux points fixes, déterminez la direction de l'Elysée n'était plus qu'un minime problème de triangulisation...

    • Moi, ce que je n'ai pas compris c'est à peu près tout, affirma Victorine, ainsi se dénommait la jolie petite brunette, et surtout pourquoi le Président a tenu de son plein gré cet étrange discours et cette mise en scène du HCSSP !

    • Ah ! charmante enfant, je suppose que vous n'êtes pas la seule et que nombre de kr'tntreaders doivent être dans votre cas ! Essayons de répondre à vos interrogations !

A suivre...

10/02/2021

KR'TNT ! 497 : CHARLIE WATTS / DOWN IN NEW ORLEANS / ACROSS THE DIVIDE / MARC SASTRE / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XX

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 497

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

11 / 02 / 2021

 

CHARLIE WATTS / DOWN IN NEW ORLEANS

ACROSS THE DIVIDE / MARC SASTRE

ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES 20

TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

J’ai la Watts qui s’dilate - Part Two

Les Stones ? On en fait tout un plat, alors que ça ne représente que trente albums. Que sont trente albums comparés à l’univers ? Rien.

Grâce à ce type de raisonnement, on peut se livrer à l’expérience d’une réécoute des trente albums, ce qu’a dû faire Mike Edison pour écrire Sympathy For The Drummer - Why Charlie Watts Matters. Mais ce ne sont pas les Stones qu’on écoute, c’est Charlie Watts. Diable, comme Edison a raison : l’énergie des Stones vient de Charlie Watts. Fantastique éclairage ! Celui qu’on prenait jusqu’alors pour un personnage de second plan devient une sorte de maître d’œuvre de la Stonesy.

C’est ce qui frappe le plus lorsqu’on ressort de l’étagère le premier album des Stones paru en 1964, England’s Newest Hitmakers. Charlie est partout, et même mieux que partout : il pulse, notamment dans «Carol» qu’il bat à la diable. Ce n’est pas un batteur qu’on entend, mais une machine de takatak. Leur «Route 66» est incroyablement bien emmené, on peut même parler de proto-punk. Voilà une occasion en or de saluer le génie de Brian Jones, composante punk des Stones. L’«I’m A King Bee» qui ouvre le bal de la B est sans doute le cut qui situe le mieux Brian Jones dans les Stones : heavy groove et glissé de note dans l’alternance du va et vient, et bien sûr, Jag pose bien son King bee baby. Personne ne peut battre les Stones à ce petit jeu. Ils traînent aussi leur «Little By Little» dans la boue, ils font littéralement du heavy punk avec un beau départ en solo d’épate latérale. Avec «Can I Get A Witness», les Stones semblent nous dire : «Bienvenue dans le swinging London motownisé !». Charlie fait une fois de plus tout le boulot, il bat ça tout droit avec un épouvantable gusto. Ils terminent avec un autre chef-d’œuvre proto-punk, l’infernal «Walking The Dog» de Rufus, c’est du punk in the flesh, avec des coups de sifflet, numéro complet avec l’I’ll show you how to wok the dog et le killer solo flash on the run. Fa-bu-leux, complètement saqué du shook et le beat de Charlie sonne comme des clap-hands.

La même année paraît 12 x 5, un album un peu raté car la moitié des cuts sont mous du genou. Dommage car la pochette est magnifique. On ne voit que Brian Jones dans le coin de droite. Ils ouvrent le bal avec la meilleure version d’«Around & Around» jamais enregistrée. Charlie la swingue à la perfe et les guitares se fondent bien dans l’overwhelming. Avec son tapatap, Charlie n’en finit plus de ramener du jus au jeu. On tombe plus loin sur l’«Empty Heart» qui fit bondir Roky Erickson. Il se peut que tout le son du 13th Floor vienne de là, de cette ferveur cathartique d’harmo et de guitare. Ils rockent aussi le Womack d’«It’s All Over Now» avec toute leur niaque de punksters et glissent dans la course un killer solo flash d’antho à Toto. Quelle section rythmique ! Charlie sauve la B avec «Grown Up Wrong» : il joue ça tout droit avec un petit takaktak de recalage ici et là, pendant que Brian Jones le claque au bottleneck. Ils bouclent avec un «Susie Q» joué punk aux clap-hands. Les Stones comme on les aime.

Trois albums paraissent en 1965, à commencer par The Rolling Stones Now ! Si on voulait faire simple, on pourrait dire que c’est un album de batteur. Eh oui, il faut voir Charlie shaker le vieux hit de Solomon Burke, «Everybody Needs Somebody To Love». Il nous shake ça au tambourin de charley derrière le need you you you. Sur «You Can’t Catch Me», il fait du rockabilly. Tout repose sur l’élégance de son beat. On entend même Bill voyager dans le son, c’est dire si les autres se régalent. Et quand on tombe sur le «Down The Road Apiece» qui ouvre le bal de la B, l’évidence saute une nouvelle fois au paf : tout repose sur le swing de la section rythmique et les solos arrivent comme des bonus mirifiques. Le British beat n’est pas une vue de l’esprit. Brian Jones se tape la part du lion avec ce «Little Red Rooster» monté sur une dentelle de takatak provided by Charlie Watts. Il bat ça fin à la folie et Brian Jones joue au long cours. L’album s’achève avec «Surprise Surprise» que Charlie bat rockab avec des relances d’une incroyable finesse. Il soutient le beat avec un tambourin posé sur la charley et l’auréole d’accointances de cymbales qu’il claquouille à la volée mesurée.

Aux yeux des fans, Out Of Our Heads reste l’un des sommets de la Stonesy, car c’est là que se nichent ces coups de génie inexorables que sont «The Last Time» et «Satisfaction». Ils enregistrent ces deux hits à Hollywood et sont au sommet de leur art. Charlie sort un beat infernal sur «The Last Time» et il ramène du jus d’entrée de jeu dans «Satisfaction», qui reste l’hymne de l’éternelle adolescence. La messe est dite depuis 1965. Charlie amène aussi «The Under Assistant West Coast Promotion Man» d’un simple roulement. Belle leçon de swing. Mais le reste de l’album n’est pas aussi convaincu : ils tapent dans Sam Cooke avec «Good Times», dans Solomon avec «Cry To Me» et dans Marvin avec «Hitch Hike». Ils sont complètement fous ! Par contre leur version du «Mercy Mercy» de Don Covay enregistrée à Chicago est bien envenimée.

Le troisième album enregistré en 1965 s’appelle December’s Children (And Everybody’s). Il laisse un goût amer car on s’y ennuie au peu, malgré les clins d’yeux à Muddy Waters, à Arthur Alexander et à Hank Snow. L’hommage rendu au vieux délinquant de Saint-Louis avec «Talkin’ Bout You» sauve l’A, car elle est heavily insidieuse. Et «Get Off My Cloud» sauve la B. On a là l’un des emblèmes du swinging London. Pas de plus beaux accords de guitare, pas de plus belle profusion de chant, de clap-hands, de Charlie et de Brian. Edison a bien raison d’écouter les takatak de Charlie : c’est de l’art moderne.

En fait, les Stones auront un mal fou à égaler la splendeur punkoïde de leur premier album. Ils auront enregistré cinq albums en deux ans et c’est semble-t-il avec le sixième, Aftermath, que Brian Jones atteint son apogée. Charlie bat «Stupid Girl» sec et net et il donne toute sa mesure avec «Under My Thumb» : il envoie son takatak secouer le doh doh doh de Bill. Si la Stonesy est une science, en voilà l’équation de base : Charlie + Bill = la Stonesy. La perfection du son s’accompagne d’une progression du groove, avec un plus un mélange insolent de marimba et de fuzz, c’est-à-dire Brian + Keef. C’est plombé du beat, down to me. Si Aftermath reste l’album le plus discret des Stones, c’est à cause de «Goin’ Home», véritable apanage du groove de Stonesy. Ils jouent véritablement à l’apogée d’un style. L’autre sommet de l’album est le «Flight Five O Five» qui ouvre le bal de la B, l’un des cuts les plus punky des Stones - Get me on the flight five o five - Jag s’y fracasse la part du lion. Il faut noter l’extraordinaire qualité de la prod hollywoodienne de Dave Hassinger. On note aussi une belle fuzz noyée dans le son d’«It’s Not Easy» et le génie marimbique de Brian Jones dans «Out Of Time».

Brian Jones vole encore la vedette sur la pochette de Got Live If You Want It paru aussi en 1966. Cet album live propose une belle collection d’énormités, à commencer par «Under My Thumb» que Charlie s’empresse de basher aux cymbales. Bill rôde divinement dans le son. The bass on the beat ! C’est le son de la sauvagerie. À ce petit jeu, ils sont imbattables. Bill dévore ensuite «Get Off Of My Cloud», l’hymne des sixties par excellence. Il faudrait que quelqu’un se dévoue pour écrire un book sur Bill. La section rythmique fait encore des ravages dans «Not Fade Away» : carrée et sauvage, pleine de jus, le modèle absolu. En B, ils cassent la baraque avec l’enchaînement fatal de «The Last Time» et «19th Nervous Breakdown». Toute l’énergie vient du team Charlie/Bill et le riff vient incendier la plaine. Il faut voir Charlie entrer dans le beat du Nervous Breakdown ! Here it comes ! C’est là très précisément qu’on entre en religion. Arrive plus loin l’un des plus beaux hits des Stones, «Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow». Quelle purée royale ! Charlie bat le beurre des dieux. C’est joué aux chimes de guitare et battu à la diaboulette. À cet instant précis, les Stones sont le plus grand groupe de rock du monde.

Malgré sa pochette qui compte parmi les plus réussies de l’époque, Between The Buttons n’est pas l’album culte qu’on voudrait qu’il soit. Seuls deux cuts retiennent l’attention, «My Obsession» et «Miss Amanda Jones». Le premier est plutôt weird, monté sur un mish-mash de disto. Pour l’époque, c’est très aventureux et un brillant pianotis soutient les ooh baby du Jag. Il faut aller en B déterrer «Miss Amanda Jones», un cut qui préfigure Exile, c’est-à-dire l’esprit boogie foutraque. Les autres cuts peinent tragiquement à convaincre. Charlie et Bill devaient s’ennuyer à jouer «She Smiled Away». «Cool Calm & Collected», c’est vraiment n’importe quoi. Malgré les coups d’harmo, «Who’s Been Sleeping Here» refuse obstinément de décoller. Par contre la basse de Bill monte bien dans le mix.

Quand la conversation arrivait sur Their Satanic Majesties Request, on parlait d’un album raté. Les fans les plus exacerbés parlaient même de haute trahison. On en voyait se rouler par terre dans la cour du lycée, en proie à de violentes crises de dépit. C’est vrai que le son est beaucoup trop psychédélique pour les Stones. On vit des cars entiers de fans aller se plaindre au mur des lamentations. Keef parvient tout de même à caler un riff de Stonesy dans «Citadel» et Charlie réussit l’exploit de le swinguer. Il faut entendre ses relances titanesques ! Sinon, en s’ennuie pendant tout le reste de l’A, même si Brian Jones s’amuse avec son clavecin et sa flûte. En entendant ça, on criait à l’arnaque. Et tout reprenait du sens en B avec l’arrivée de «She’s A Rainbow», le hit parfait des Stones. Drumming impeccable, puissant et swingué à la fois. C’est ce qui frappe le plus dans ce hit magique : la qualité du drumming. Par contre, «Gomper» bat tous les records de nullité crasse. Cette volonté de psychedelia est une vaste fumisterie. Les Stones sauvent les meubles avec «2000 Light Years From Home» : belle entrée en matière, riff de basse et tatapoum de Charlie, back to the real deal de la Stonesy mais dans les étoiles, smooooth & soooo cool - It’s so very lovely/ 2000 light years from home.

L’un des sommets de la Stonesy s’appelle «Sympathy For The Devil» et se trouve sur Beggars Banquet. C’est l’histoire du man of wealth and taste. Tout repose sur le mix percus/drumbeat, la hargne de Jag, aw yeah, la bassline voyageuse et ces ooh-ooh qui vont marquer l’histoire du rock. Il ne faut pas oublier le solo exacerbé de Keef, assez novateur pour l’époque. La photo déployée dans le gatefold ténébreux illustre parfaitement ce chef-d’œuvre qu’est Sympathy. Encore de la Stonesy à son sommet avec «Parachute Woman», land on me tonite, et ces deux guitares qui se fondent dans le melting pot. Son très Chess dans l’esprit. Puis Jag chante son «Jig Saw Puzzle» au nez pincé à la Dylan, même esprit qu’«All Along The Watchtower», oh the singer he looks so angry. Charlie se tape un coup de génie en B avec «Street Fighting Man». Son tap tap déclenche la furia del sol. Le cut est gorgé de son, de descentes de basse, de rumeurs de sitar. Les Stones remontent à leur apogée. C’est aussi là qu’on trouve la vraie version du «Stray Cat Blues», bien vitriolée aux guitares, rien à voir avec la version à la mormoille que va jouer Mick Taylor par la suite. Et Brian Jones sort son dulcimer pour «Factory Girl».

La deuxième moitié de l’apogée du règne des Stones s’appelle Let It Bleed. Trois coups de génie s’y nichent, à commencer par «Gimme Shelter», if I don’t get somme sheltah, et cette folle de Merry Clayton gueule tout ce qu’elle peut. Les Stones se font tout petits dans le storm de Jag et de Merry, et quand ils chantent ensemble, Charlie pointe bien le beat. C’est un cut dont on ne se lassera jamais. On peut dire la même chose de «Live With Me». Keef & Charlie, voilà le secret des Stones, avec un punk de Jag et ses water rats par dessus. Ah quelle blague ! C’est l’un des pires coups fourrés jamais imaginés. On y entend même un solo de sax, alors t’as qu’à voir ! C’est «Monkey Man» qui illumine la B. Encore un coup du punk Jag, qui aménage une petite accalmie avant la tempête et le freakout savamment orchestré. On a toujours eu un petit faible pour le cut d’adieu, «You Can’t Always Get What You Want». Tout y est : les coups d’acou, les congas de Congo Square, le gospel batch, les pianotis et l’extrême richesse de la musicalité. On y voit le Jag jeter tous ses try sometimes dans la balance, et puis on a aussi les prescriptions filled et les gimmicks de relances très Southern, et bien sûr Mister Jimi. Sans oublier la montée au ciel du gospel batch et le basculement dans l’éternité, avec un décalage du beat imaginé par Charlie Watts. On croise peu de cuts aussi spectaculairement parfaits.

À ce stade des opérations, il est bon de remettre le nez dans le Mojo Interview qu’accorda Charlie en 2015. Mark Paytress y cite Keef : «No Charlie, no Stones.» Un Keef qui rappelle aussi que Charlie était un batteur de jazz peu concerné par la révolution culturelle à laquelle il participait. Charlie aime à rappeler qu’il préférait Charlie Parker à tout le reste, y compris Jimi Hendrix. Il rend aussi hommage à Ginger Baker - He’s a white African - et donc à Phil Seamen, le mentor de Ginger. Charlie se souvient aussi de sa première révélation : Chico Hamilton - You must remember, jazz was very big in those days - Et Charlie cite des noms de jazzmen anglais que personne ne connaît, sauf les spécialistes : Eddie taylor, Brian Broklehurst, John Picard, Danny Moos, people nobody knows now. Puis Charlie remonte dans le temps jusqu’à Fred Below, chez Chess, et DJ Fontana chez Sun - Il ne joue pas comme jouent les batteurs aujourd’hui, he plays shuffle, swing. he’s playing country and western like a big band drummer, a 4/4 swing time swing - Il en arrive fatalement aux Stones et rappelle qu’il suivait Keef - Keef is the rythm and I would follow him. It’s very much a Chuck Berry type mentality - Il a aussi un regard très clair sur le succès des Stones aux États-Unis : à la différence des Beatles qui ramenaient leurs chanson, les Stones se basaient sur des reprises américaines et forcément ça étonne Charlie qu’ils aient pu avoir autant de succès auprès des kids américains - These white kids actually bought it. Amazing ! - Et il ajoute : «On jouait du Jimmy Reed dans des dance shows, ce qui est plutôt ridicule, quand on y pense. Mais les kids aimaient ça. On jouait à Chicago et si tu descendais un peu plus bas dans la rue jusqu’à Smitty’s Corner, tu pouvais voir the real thing. Mais ils n’allaient pas chez Smitty’s.»

En 1970, il a fallu se débrouiller avec un seul album des Stones, ce Get Yer Ya-Ya’s Out qu’on a beaucoup trop écouté. Mick Taylor n’y amène rien. Que dalle. À la limite, on préfère le «Jumping Jack Flash» des Groovies. Si on écoute «Midnight Rambler», c’est uniquement pour Charlie. Pareil pour le Sympathy qui ouvre le bal de la B : tout le jus vient du battage en règle de Charlie. Ça ne tient que par lui. Mick Taylor en fait trop. Très belle version de «Little Queenie», aw took a look at cha, c’est l’un des sommets du boogie boogah, bien allumé au coin du bois. On les voit ensuite ramener toute la musicalité du rock dans «Street Fighting Man». Les descentes de guitares croisent l’impeccabilité du drive de basse, ça claironne très haut dans le ciel du Madison, les Stones jouent à la clameur and Charlie is good tonite, hesn’t he ?

Sticky Fingers est un album à double tranchant. Impossible de s’habituer au son de Mick Taylor. Son solo dans «Sway», ce n’est plus de la Stonesy. Par contre, «Can’t You Hear Me Knocking», si, c’est la Stonesy comme on l’aime, avec une basse bien ronde dans le son et un Jag bien punk au chant - Help me baby/ Ain’t no stranger - Voilà la Stonesy mal peignée, percutée de la culasse, impavide et Bobby Keys rive le clou du cut avec son shoot de sax. Mais ce fut peut-être un peu trop groovy pour les fans des Stones à l’époque. En B, Charlie fait un carton avec «Bitch» et c’est là qu’on entend le fameux my heart’s beating louder than a big bass drum.

Il faut bien dire qu’Exile On Main St sent le remplissage. L’album qui est double ne tient que par la présence de deux merveilles, «Rocks Off» et «Happy». Charlie bat sec l’up-tempo de «Rocks Off» et Keef chante son «Happy» d’une belle voix de fausset. Le voilà à son plus frénétique. Fabuleux travail de riffing. Mais pour le reste, c’est compliqué. On les voit tenter le diable avec «Rip This Joint», jolie tentative de jump cuivré de frais et joué à la stand-up. C’est Charlie qui rafle la mise avec un jive de jump. «Casino Boogie» est l’archétype de la Stonesy qui ne sert à rien. Avec «Tumbling Dice», les Stones inventent les Black Crowes. C’est là que Chris Robinson et les autres vont venir s’abreuver. Il faut dire que la musicalité de Dice est un modèle éternel. La B est la face la plus faible d’Exile. Tous les cuts sont mous du genou et privé d’éclat, comme d’autres sont privés de dessert. Zéro idée aussi en C, à part «Happy». C’est le problème global d’Exile. Pas d’idées. Cet album est infesté de filler. Pas de quoi faire un plat non plus avec la D. Ils recyclent le riff de «Monkey Man» pour essayer de sauver «Soul Survivor», mais on ne l’écoute même pas.

Tous les fans des Stones se sont arrêtés à l’époque avec Goats Head Soup. Le vieux groove de «Dancing With Mister D» rendait l’album tolérable. On éprouvait une immense pitié pour les Stones qu’on sentait en panne d’inspiration. On écoute ce Dancing en sachant bien qu’il ne s’y passera rien de plus que ce qui s’y passe déjà. Exile nous a heureusement habitué aux faces pitoyables, et donc l’A ne choque pas plus que ça. «Doo Doo Doo Doo (Heatbreaker)» se noie dans cette A pitoyable, presque sauvé par des chœurs déshinibés et des nappes de cuivres. On retrouve deux shoots de Stonesy en B, «Silver Train» et «Star Star». Chaque fois, le Silver Train rejaillit du passé. C’est le cut oublié par excellence. Johnny Winter en fit une reprise superbe. «Star Star» est typiquement le genre de cut qu’on attend d’eux : voilà de la Stonesy pure et dure, fuck a star ! Quatre bons titres sur un album, ce n’est pourtant pas si mal. Le problème est qu’à cette époque, on attendait encore des miracles des Stones.

Dans le Mojo Interview, Charlie rappelle à quel point il a détesté le succès - Je n’ai jamais aimé ça. Oh, j’adorais jouer dans un groupe qui marchait bien, et j’adorais la scène. Mais une fois le rideau tombé, laisse tomber. Je détestais ça - Comme il détestait le flower power.

On a tout de suite détesté la pochette d’It’s Only Rock’n’Roll, même si Guy Peellaert la signe. Pochette trop arty pour les Stones ? Allez savoir ! C’est là sur cet album paru en 1974 qu’on trouve le «Luxury» que reprenait Jesse Hector. Joli coup de working so hard to keep in your luxury, monté sur le riff de Keef. Sinon, l’album propose un joli tas de Stonesy bien pépère, du style «If You Can’t Rock Me» ou «Short And Curlies», et même des cuts qui ne servent à rien comme «Ain’t Too Proud To Beg» ou le morceau titre. Voilà où mène la célébrité. On voit même Mick Taylor faire son Santana sur «Time Waits For No One», un cut qui étrangement se laisse écouter. Ils finissent cet album mi-figue mi-raisin avec une belle tentative de retour aux affaires, «Fingerprint File». Ces vieux démons de Jag & Keef savent encore touiller un dirty bag.

Paru en 1976, Black And Blue est peut-être l’album des Stones le plus détesté et donc le moins connu, sans doute à cause de ce «Hot Stuff» qu’on entendait partout à la radio et qui était leur vision du funk blanc. C’est vrai que l’A est catastrophique. Ils se prennent pour Peter Tosh avec un «Cherry O Baby» inepte et pour Rickie Lee Jones en B avec un «Melody» encore plus inepte. Et pire encore, pour Roy Orbison avec «Feel To Cry». Alors que fait Charlie ? Il frappe «Hey Negrita» sec et net. Keef sauve l’album avec «Crazy Mama» et son phrasé distinctif. On y admire une fois encore la cohésion du son. Les Stones, ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est une réalité, l’un des symboles du British sound. Keef est un guitariste qui joue avec une précision exceptionnelle, son petit riff est une véritable merveille d’intentionnalité. C’est aussi sur Black And Blue que Ron Wood fait son entrée dans les Stones. Il joue sur quelques cuts et figure au dos de la pochette.

Le Love You Live paru en 1977 est un document intéressant, quasi ethnologique. Keef y sort une fantastique version de «Happy» qui justifie à elle seule l’écoute de ce double album. C’est un peu comme si tout le dandysme des Stones s’y incarnait. Tout ce qu’on peut aimer dans le rock anglais est là, dans cette version embarquée au heavy beat de Charlie. Et curieusement, le «Hot Stuff» qu’on y trouve est bien meilleur que la version studio de l’album précédent. En B, Keef chante son vieux «Tumbling Dice» à la force du poignet et Woody se fend d’un beau solo entreprenant dans «You Can’t Always Get What You Want», mais quand même, il vaut mieux écouter la version studio pour récupérer le gospel batch. Les Stones rendent hommage aux blackos avec la C : du blues avec «Mannish Boy» et «Little Red Rooster» et du Chuck avec «Around & Around». Ils terminent avec le bouquet fatal «Brown Sugar»/Jumpin’/Sympathy. C’est vrai qu’avec ça, ils sont dans l’universalisme. Voilà trois hits puissants qui ont façonné leur époque. Le Sympathy est assez long mais ultra joué. On en a pour son argent. Les Stones ont des hits, ils s’amusent bien et ils ont raison.

Tiens, voilà l’album du grand retour : Some Girls. En 1978, tout le monde croyait les Stones finis. Les Stones ? Ces vieux has-been ? Ha ha ha ha ! C’est vrai qu’ils commencent l’album en se prenant les pieds dans le tapis avec «Miss You». Sacrilège ! De la diskö ! Mais aussitôt après, Jag fait claquer le fouet de «When The Whip Comes Down». Cut sans peur et sans reproche. Et puis de fil en aiguille, ce bal d’A va nous réconcilier avec les Stones. Si on en pince pour la Stonesy, c’est même l’album idéal. On retrouve le joli mingling de guitares dans «Just My Imagination». Serait-ce le retour de the Ancient Art of Weaving dont parle Mike Edison ? Le morceau titre est lui aussi très bardé de son. Les deux guitares jouent le jeu de la musicalité à gogo. Il semble que les Stones se réinventent avec ce retour aux sources, dans l’insatiabilité de l’Ancient Art of Weaving. Encore trois belles surprises en B, à commencer par un «Respectable» gorgé de guitares et des meilleures. Charlie mène la danse à la force de son énergie. C’est Keef qui chante «Before They Make Me Run», avec son accent biaisé et les guitares en biseau derrière. Fantastique allure de bastringue ! Il relance inlassablement son relentless, penché en avant, comme s’il chantait par en-dessous. Woody passe à la basse pour un «Shattered» tapé à l’insidieuse. Voilà ce qu’on appelle une vraie fin de non-recevoir.

Puisque Some Girls marque le retour à la confiance, alors on peut s’octroyer une écoute d’Emotional Rescue. Force est de constater que les Stones des années 80 savent encore se montrer impressionnants. Il se peut que Woody ait amené du sang neuf. C’est Charlie qui tire l’épingle du jeu en B avec son numéro de drummer dans «When The Boys Go». Il bat ça sec et en force. Il vaut largement tous les batteurs du punk anglais, il pulse à merveille. Les chœurs de filles participent aussi à la grandeur des Stones. Le hit de l’album s’appelle «Let Me Go». Merveilleux shoot de Stonesy - I tried giving you the velvet gloves/ I tried giving you the knock-out punch - Keef joint ses chœurs de fausset à ceux du Jag. On note que Bill est toujours là et on l’entend bien mener la danse de «Dance», alors que Charlie joue au fouetté de peau des fesses avec un tact qui encore une fois en bouche un coin. C’est un plaisir que d’écouter ça, rien que pour le fouetté de Charlie. Cet album ne laisse pas indifférent, on s’effare assez rapidement du son, notamment dans «Summer Romance». Le son est plein comme un œuf. Ils jouent leur vieille carlingue de Stonesy en fer blanc et Charlie bat ça comme s’il avait vingt ans. C’est aussi sur cet album que se niche l’infâme putasserie qui donne son titre à l’album et Keef vole au secours des fans avec «All About You». Il est faux dès qu’il monte son ouuhhh, mais c’est ce qui fait le charme discret de sa bourgeoisie.

Attention, le Tattoo You date de 1981, donc il ne date pas d’hier. Ce Tattoo-là est un faux album puisque les Stones y proposent les restes de sessions précédentes, comme par exemple ce «Slave» qui date des sessions de Black And Blue. On peut donc parler d’un cut sauvé des eaux. Il y a du son, quoi qu’on puisse dire des Stones d’après les Stones. C’est même assez balèze, avec ces coups de sax et ces chœurs de rêve - Don’t wanna be your slave - Mais si on écoute tous les tardifs des Stones, ce n’est pas seulement à cause du big book de Sharky, c’est aussi pour Keef, et là, il nous ressort un «Little T&A» qui date des sessions d’Emotional Rescue. Il faut le voir lancer ses She’s my little rock’n’roll. Il n’y a que lui qui puisse réussir ce sortilège. Il lance des yah keefy, il niaque son chant avec génie et derrière le son fonce comme une diligence. Puissant Keef ! Rescapé des sessions de Some Girls, voici «Black Limousine» que Jag chante comme un punk. Les Stones renouent avec le pâté de boogie. L’autre merveille de ce ramassis de rescapés est «Waiting On A Friend» qui date du temps de Goat Heads Soup. Voilà les Stones dans une espèce de pop-rock à parfum paradisiaque, ambiance Southern, good time music de rêve, pur moment de magie. Sonny Rollins blows the sax et Nicky Hopkins égrène ses rivières de diamant. C’est le cut parfait, avec des accents dylanesques et sa musicalité maximaliste. C’est aussi sur cet album qu’on trouve le heavy keefy «Start Me Up» que Charlie bat à la bravado. Comme si les Stones montraient qu’ils voulaient encore frapper un coup. Et quel coup ! Ce sont les vieux Stones, mais God, comme ils savent tenir un beat. C’est dirons-nous leur façon de chasser le doute parmi les fidèles de la vieille paroisse. Quant au reste, on peut le foutre à la poubelle. Ce sale petit voyou de Jag ruine pas mal d’efforts.

Malgré sa pochette d’une incroyable vulgarité, Undercover est un bel album de Stonesy. On note la frappe sèche et déterminée de Charlie dans «She Was Hot» et «Tie You Up» sonne comme un vieux rockalama net et sans bavures. Keef monte aux chœurs sur les ponts, et comme c’est chanté à la ramasse, ça redevient du grand art. «Wanna Hold You» est le cut de Keef. Il adore chanter ses cuts de Keef. C’est dingue comme il sait faire la différence. Charlie veille au bon grain de l’ivraie, car il cavale bien le beat. On trouve aussi des cuts de diskö-funk bizarres sur l’album («Undercover Of The Night» et «Too Much Blood») et les Stones retrouvent leur éclat avec «Too Tough», un cut qui repose une fois de plus sur le beat de Charlie. Bon d’accord, Jag chante et Keef ramène du riff de fer blanc, mais la classe du cut vient du beat. Curieusement, «All The Way Down» est encore un énorme cut de Stonesy chanté à pleine gueule. Ils continuent de produire cet excellent mix de riffs, de beat et de voix. Ils n’ont rien perdu de leur superbe.

Pochette années 80 pour Dirty Work avec des Stones déguisés en coiffeurs. L’époque veut ça. Il semblerait que ce soit l’album de Charlie car le beat est monté au devant du mix. Du coup, «Fight» devient un cut de batteur. Et comme le montre «Hold Back», Charlie n’a jamais battu aussi sec. Il joue dans la devanture du mix et ça donne du jus à ces cuts qui n’ont pas de cou. Et comme le dit si justement Edison, «Had It With You», c’est le son de Jag et de Keef qui se battent. C’est gratté à l’os et l’harmo ramène les Stones aux sources. Le cut de Keef s’appelle «Sleep Tonight». Au fond, Keef est un vieux requin mélancolique.

On trouve une belle énormité sur Steel Wheels : «Hold On To Your Hat». Les Stones sont encore capables de beaux blasts, il faut s’en féliciter. Keef introduit «Sad Sad Sad» au riff vainqueur et Charlie le bat à la dure. Voilà encore un cut de batteur avec un fort relent de Stonesy. La prod est une merveille absolue. Keef doit aimer le hard funk car voilà qu’arrive «Terrifying». Comme il a des idées de riffs en tête, il faut que ça sorte. Le «Rock And A Hard Place» qui ouvre le bal de la B est plus classique. On entend les Stones de l’époque. Charlie y bat un big break de bass drum. Edison a raison d’insister sur l’importance de Charlie Watts. Pas de Stonesy possible sans cette force de frappe. Et puis voilà le cut de Keef, «Can’t Be Seen». Quand il prend le micro, on sent nettement la différence. Il chante à perdre haleine, embarqué une fois encore ventre à terre par le beat cavaleur de son poto Charlie.

Énorme album que ce Voodoo Lounge paru en 1994. Inespéré ! Charlie casse la baraque avec «You Got Me Rocking». Charlie on the beat, yeah ! Si les Stones, n’ont pas le heavy drum beat de Charlie, ils n’ont rien. Charlie bat comme un galérien. C’est une leçon dont l’histoire se souviendra. Il fait encore des siennes dans «Sparks Will Fly». Une bombe. Tout le chant de Jag repose sur Charlie. C’est bardé de son, avec Darryl Jones on bass. Terrific ! Charlie réveille encore les bas instincts dans «Moon Is Up». Il bat tout ce qu’il peut battre. Alors Jag peut faire son cirque. C’est soutenu au concert d’orgue cajun. Encore une fois, tout repose sur les épaules de Charlie et les autres ramènent du gratté de poux sur leurs guitares. Résultat plutôt fascinant. On entend Keef charger la chaudière d’«I Go Wild». C’est le cut révélatoire de l’album, rien d’aussi explosif. Et les keefy cuts ? On en trouve deux, ici, «Thru & Thru» et «The Worst». Keef ne chante pas très bien son Thru, mais c’est Keef, il est encore capable de coups de Jarnac, d’autant qu’il part en sucette à la fin du cut. Beautiful Keef !

Avec Stripped, les Stones radotent leurs vieux tubes. Charlie bat «Street Fighting Man» comme plâtre, mais on perd toute la magie de la version originale. Puis ils flinguent «Like A Rolling Stone», «Not Fade Away» et battent tous les records d’infamie avec «Shine A Light». Jag s’y prend pour un Soul Brother, c’est comme si on voyait palpiter son anus. Rien à tirer non plus de «The Spider & The Fly» et d’«Im Free». Pareil pour «Wild Horses» : allez plutôt écouter la version originale. Ici, le Jag est insupportable. En fait on ne supporte plus le vieux Jag, on ne supporte plus de le voir ruiner ces hits magiques que sont «Let It Bleed» et «Dead Flowers». Keef sauve le set avec «Slipping Away».

Heureusement, Bridges To Babylon vole au secours des Stones. Quel album ! Démarrage en trombe avec «Flip & Switch», fracassé par Charlie le punk. Wow, on peut dire que Charlie bat ça wild. Alors Jag peut ramener sa fraise mordorée. On entend rarement des beats aussi ramassés. Tous ceux qui s’imaginent que Charlie sucre les fraises se mettent le doigt dans l’œil. Il n’a jamais aussi bien battu. C’est un batteur infernal. Il bat à la folie Méricourt. Il bat dans l’aura du no way out. Keef est juste derrière. Avec «Low Down», on sent que les Stones font l’impossible pour rester les Stones. Ils ressortent toutes leurs vieilles ficelles de caleçon, mais ça ne marche pas. «Gunface» non plus. Keef sauve les meubles avec «You Don’t Have To Hear It», un reggae de pirate, whisper in my ear, Keef nous emmène dans la cabane, il sait le faire, avec les chœurs et les cuivres. Admirable. Retour en force des Stones avec «Out Of Control» et son refrain explosif, comme à la grande époque. C’est le genre de cut qui ne prévient pas, comme un coup de boule. Retour aussi du power dans «Saint Of Me» - You’ll never make a saint of me - ce démon de Charlie bat ça wild encore une fois et Jag tire bien son épingle du jeu. Charlie bat «Might As Well Get Juiced» au hip-hop beat et on entend une belle mélasse de guitares dans le fond du beat et une fois encore, Jag se prend pour le diable. Belle démonstration de heavyness. Encore un cut de batteur avec «Too Tight», violente décharge de Stonesy, Charlie tend le beat. Puis Keef se tape la part du lion avec «Thief In The Night» et «How Can I Stop». Magie pure, on est bien obligé de l’avouer.

Faut-il écouter A Bigger Bang ? Oui, mille fois oui, ne serait-ce que pour «This Place Is Empty», cut de Keef, c’mon baby. Il est effarant de classe. Il chante sa vieille rengaine aux dents branlantes de junkie dude. Du coup, les Stones reprennent du sens, loin des putasseries de Jag. Keef et Charlie veillent au grain. Et puis on voit aussi les Stones devenir fous avec «Rough Justice». Surtout Keef et Charlie. C’est une horreur, une cavalcade infernale, une Stonesy punkoïde qui t’embarque pour Cythère, un ouragan raseur de mottes, ça déloge les bunkers, ça siphonne Tournesol, Charlie frappe comme un frappadingue. Précision capitale : Don Was produit l’album, d’où le son. «It Won’t Take Long» n’est pas de la Stonesy, mais du big heavy sound. Ça reste une aventure de rock électrique intéressante. Il faut dire aussi qu’on croise pas mal de cuts qui ne servent à rien. Il faut attendre «Oh No Not You Again» pour retrouver la terre ferme et la grosse riffalama. C’est assez violent, on assiste à un beau développé de Stonesy et c’est à Charlie que revient l’honneur de finir en beauté avec «Look What The Cat Dragged On». Charlie power ! Imbattable.

Le dernier album des Stones paraît en 2016 et s’appelle Blue & Lonesome. C’est un album conçu en hommage au blues et ils tentent de renouer avec le son de leurs premiers albums, mais sans Brian Jones, ce qui est une grave erreur. Sans Brian Jones, les Stones ne sont pas très doués pour le blues. Les problèmes commencent avec le «Just A Fool» de Little Walter. Jag y sonne comme une vieille tante de la Nouvelle Orleans. Derrière ça joue et ça bat sec et net. Quoi qu’on en pense, il faut avoir écouté ça. Et pas sur un smartphone. Il faut un minimum de son pour se faire une idée. Avec «Commit A Crime», Jag se prend pour Wolf, donc ça pose un problème. Ça ne marche pas, malgré tout l’harmo du monde. On les voit jouer aussi le morceau titre à l’extrême sincérité, mais justement, c’est là où le bât blesse : trop de sincérité tue la sincérité. Jag tente de faire illusion avec l’antique «All Of Your Love» de Magic Sam, mais encore une fois, on décroche. Il faut attendre «I Gotta Go» pour voir les Stones s’aligner sur la folie de Little Walter. Saluons leur courage. C’est gonflé de leur part. Charlie stompe le beat et sauve les Stones du naufrage. Et comme on le voit avec le heavy blues d’«Everybody Knows About My Good Thing», Keef ne fait jamais n’importe quoi. Même s’il choisit Johnnie Taylor, les Stones manquent de crédibilité sur ce coup-là. N’est pas Stax qui veut. Et si c’est Keef qui le prend au chant, on l’accepte, mais jamais Jag. No way. Retour à Little Walter avec «Hate To See You Go» tapé au heavy beat de garage blues. C’est bardé de son et d’énergie, c’mon baby/ baby please don’t go - Ils noient ensuite «Hoodoo Blues» d’harmo, et Jag chante comme à l’aube des Stones. Alors forcément, ça pince le cœur. D’autant que les Stones rendent un bel hommage au génie de Lightning Slim.

Au moment de l’interview, Charlie a 73 balais. Il pense pouvoir jouer avec le Stones jusqu’à 85 ans - C’est facile, tu t’arranges pour que le public soit heureux à la fin de la soirée - L’interview a lieu au moment où les Stones prévoient de partir en tournée pour jouer Sticky Fingers. Mais sans Mick Taylor. En même temps, Charlie avoue qu’il en a un peu marre des tournées - I want to do other than sit in a hotel in Ohio. Je veux dire que j’ai fait ça toute ma vie. Si Keef était là, il dirait : ‘Que veux-tu faire d’autre ?’ - Charlie reconnaît pour finir que les Stones sont plutôt bien conservés. Paytress lui fait d’ailleurs remarquer qu’il a toujours ses cheveux. We’ve kept a lot of it together, lui répond Charlie, surtout Mick. Mais aussi Roger Daltrey, et Ringo. Il rappelle ensuite que passé les 40 ou 50 ans, il y a des choses à faire pour pouvoir encore durer 20 ans. Paytress demande quelles choses et Charlie lui répond faire de l’exercice. Mais pas trop. Il dit détester les muscles. «Si tu as des muscles, tu ne peux plus porter un costume.» Alors Paytress lui rappelle que Ginger avait fait du vélo de course. Charlie conclut là-dessus : comme Keef, Ginger était une force de la nature. Ginger n’avait pas l’air bien ces derniers temps, mais il jouait encore comme un démon après avoir mené la vie qu’il a mené. Now that’s amazing.

Signé : Cazengler Charlie Ouaf (va chercher la baballe)

Rolling Stones. England’s Newest Hitmakers. London Records 1964

Rolling Stones. 12 x 5. London Records 1964

Rolling Stones. The Rolling Stones Now ! London Records 1965

Rolling Stones. Out Of Our Heads. London Records 1965

Rolling Stones. December’s Children. London Records 1965

Rolling Stones. Aftermath. London Records 1966

Rolling Stones. Got Live If You Want It. London Records 1966

Rolling Stones. Between The Buttons. Decca Records 1967

Rolling Stones. Their Satanic Majesties Request. Decca Records 1967

Rolling Stones. Beggars Banquet. Decca Records 1968

Rolling Stones. Let It Bleed. Decca Records 1969

Rolling Stones. Get Yer Ya-Ya’s Out. Decca Records 1970

Rolling Stones. Sticky Fingers. Rolling Stones Records 1971

Rolling Stones. Exile On Main St. Rolling Stones Records 1972

Rolling Stones. Goats Head Soup. Rolling Stones Records 1973

Rolling Stones. It’s Only Rock’n’Roll. Rolling Stones Records 1974

Rolling Stones. Black And Blue. Rolling Stones Records 1976

Rolling Stones. Love You Live. Rolling Stones Records 1977

Rolling Stones. Some Girls. Rolling Stones Records 1978

Rolling Stones. Emotional Rescue. Rolling Stones Records 1980

Rolling Stones. Tattoo You. Rolling Stones Records 1982

Rolling Stones. Undercover. Rolling Stones Records 1983

Rolling Stones. Dirty Work. Rolling Stones Records 1986

Rolling Stones. Steel Wheels. Rolling Stones Records 1989

Rolling Stones. Voodoo Lounge. Virgin Records 1994

Rolling Stones. Stripped. Virgin Records 1995

Rolling Stones. Bridges To Babylon. Virgin Records 1997

Rolling Stones. A Bigger Bang. Virgin Records 2005

Rolling Stones. Blue & Lonesome. Polydor 2016

Mark Paytress. The Mojo interview : Charlie Watts. Mojo # 261 - August 2015

 

Down in New Orleans

Avec Stuart Baker (New Orleans Funk/Soul Jazz), l’autre grand spécialiste du New Orleans Sound s’appelle John Broven. Rhythm And Blues In New Orleans est très certainement l’ouvrage de référence en la matière. Comme le dit si bien Charles Aznavour, ils sont venus, ils sont tous là. Broven brosse dans son livre le portrait de chacun des acteurs d’une scène incroyablement riche, à commencer bien sûr par Cosimo Matassa, le Sam Phillips local, auquel Fatsy, Little Richard, Lloyd Price et tant d’autres doivent tout. Passionné de son, ce petit épicier italien développa ce que Mac Rebennack appelle the Cosimo sound - strong drums, heavy bass, light piano, heavy guitar, light horn and strong vocal lead (gros son de batterie, de basse et de guitare, piano et cuivres légers et chant puissant) - Alors bien sûr, vous allez dire que c’est facile pour lui quand on a des mecs aussi brillants que Fatsy et Little Richard dans le studio, mais non, pas du tout, il faut raisonner à l’inverse, c’est parce que ces mecs sont brillants qu’il faut se montrer à la hauteur. Mac ajoute que Cosimo demandait au guitariste de doubler la bassline et aux cuivres de la renforcer. Mais ce n’est pas tout. Cosimo : «The New Orleans Sound wasn’t only based on horns and rhythm. There’s a kind of attitude to lyrics too.» (Le son New Orleans n’est pas seulement basé sur les cuivres et la rythmique. Les textes jouent aussi un rôle capital). Il cite l’exemple des Cajun guys de la Louisiane du Sud qui avaient la même kind of attitude to lyrics, oui des mecs qui savaient soigner leurs textes. D’ailleurs Huey P. Meaux travailla énormément avec Cosimo. Notons qu’en 1956, Cosimo avait déjà enregistré «Lawdy Miss Clawdy», «Tutti Frutti» et «Ain’t That A Shame». Pas mal pour un petit épicier rital, non ?

Red Tyler parle du studio de Cosimo comme d’un endroit très primitif - Si tu vas y jouer en été, tu vas avoir de sacrés problèmes, car il n’y a pas d’air conditionné - et Bert Frilot qui travailla pour Cosimo de 1961 à 1964 ajoute : «Anytime we had a recording session, that morning we’d call the French Market Ice Company and we would order two tons of crushed ice.» (Chaque fois qu’on allait enregistrer, on appelait la French Market Ice Company pour se faire livrer deux tonnes de glace pilée). Le nom de Cosimo restera donc attaché à des anecdotes aussi poilantes que celle des deux tonnes de glace pilée. Par contre, l’aspect business est beaucoup moins drôle. Le pauvre Cosimo tenta l’aventure en montant Dover Records. Il croyait réussir là où Harold Battiste avait échoué avec A.F.O. Records, mais il allait y laisser toutes ses plumes. Les sous rentraient moins vite qu’ils ne sortaient - I didn’t know anything about the record business - Pourtant il avait des hits («Tell It Like It Is» d’Aaron Neville ou encore «Barefootin’» de Robert Parker), mais ça ne suffisait pas. Les distributeurs jouaient sur les délais de paiement et Cosimo fut confronté au même problème qu’Uncle Sam à Memphis : plus de tréso. Le pauvre Cosimo n’avait pas d’Elvis à vendre pour se remettre à flot et il perdit tout ce qu’il possédait, y compris l’épicerie.

C’est Roy Brown qu’on voit en couverture de l’ouvrage de John Broven. Pour le situer, Broven dit qu’il fut le premier chanteur de Soul et que ses héritiers sont les géants du popular urban-blues, B.B. King, Bobby Blue Bland et Little Milton, auxquels il faut ajouter the early rhythm and blues output de Little Richard, de Clyde McPhatter et de Jackie Wilson. Avec «Good Rockin’ Tonight», Roy Brown started it all in New Orleans : enregistré en 1947 chez Cosimo, soit quatre ans avant que Jackie Brenston et Ike Turner n’enregistrent «Rocket 88» chez Uncle Sam à Memphis, un Rocket qu’on considère à tort comme le first rock’n’roll record. Mais dans les deux cas, on se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude : la première à hot-rocker dans ses godasses fut Sister Rosetta Tharpe en 1944 avec «Strange Things Happening Every Day». Elle y passait un petit solo hardi qui fit bander plus d’un guitariste.

New Orleans devient vite le nouvel El Dorado et le premier à en profiter, c’est Lew Chudd, le boss d’Imperial Records, label indépendant californien. C’est avec Chudd que commence la merveilleuse aventure de Fatsy, l’un des artistes les plus attachants et les plus brillants du XXe siècle. Cosimo rappelle que Fatsy était très créatif. Il savait s’approprier un air traditionnel. Broven : «Somehow Fats was rock’n’roll’s safety valve, and all he was putting down was good-time New Orleans music.» (D’une certaine façon, Fats servait de soupape de sécurité au rock’n’roll, il proposait de la good time music de la Nouvelle Orleans). Et il ajoute : «Relaxed good humour permeated his records and everything was simple and danceable.» Oui Broven a raison, sa musique respirait la joie et la bonne humeur et tout le monde dansait. Fatsy était aussi très populaire chez les Cajuns. Earl King se souvient d’avoir vu dans le bayou des juke-box bourrés de singles du grand Fats Domino. Parmi les gens qui doivent tout à Fatsy, on trouve bien sûr Clarence Frogman Henry, Joe Barry, Warren Storm, Chubby Checker, Bobby Darin et Little Milton à ses débuts. Broven dit mieux que personne la puissance de Fatsy sur scène : «Fats drove the band from the front, with immaculate drummer Smokey Johnson by his side setting up an irresistible street beat.» (Fats jouait devant sur scène et installé à côté de lui, Smokey Johnson battait l’irrésistible street beurre). Allen Toussaint qualifiait Fatsy de master of simplicity, mais il ajoute que la racine de sa légende reposait sur the studio magic created by Fats and Dave Bartholomew, with Cosimo Matassa at the control board. Toussaint a raison d’insister sur ce point : un artiste n’est jamais seul pour créer de la magie. C’est dans tous les cas une combinaison. Ici, ils sont trois : Fatsy, Dave Batholomew ET Cosimo. Dans le cas d’Elvis, ils seront quatre pour créer la magie de «That’s All Right» en 1954 : Elvis, Scotty Moore, Bill Black ET Uncle Sam.

Avec Lew Chudd, l’autre grand exploitant du New Orleans Sound s’appelle Art Rupe, boss de Specialty Records, un autre label indépendant californien. Il voyait Lloyd Price comme un équivalent de Fatsy et «Lawdy Miss Clawdy» parut en 1952. Quand Lloyd Price est appelé sous les drapeaux, il ramène Little Richard chez Specialty, et du coup, il perd sa couronne. Rien ne pouvait arrêter the wild and frantic Little Richard. Tous ses hits furent enregistrés en 13 mois, de septembre 1955 à octobre 1956, chez Cosimo, on North Rampart. Selon Mac Rebennack, Little Richard avait du talent, mais il n’eut de succès que lorsque Lee Allen and Red Tyler put that sound on him and put that hard rock feel on him. C’est le New Orleans Sound that got Little Richard across, and since he’s left that sound behind, he’s never been susscessful. Little Richard devait tout, absolument tout, au barrelhouse power de New Orleans et il commit une erreur fatale en allant ensuite enregistrer ailleurs. Pas de wild and frantic Little Richard sans New Orleans Sound, sans Earl Parmer ni Lee Allen. Il arriva la même mésaventure à Guitar Slim : tant qu’il enregistrait chez Cosimo, ça restait passionnant et tout s’écroula dès qu’Art Rupe l’envoya enregistrer ailleurs - New Orleans music does not travel (c’est un son qui ne s’exporte pas) - Guitar Slim n’enregistra que quatre cuts chez Cosimo, dont le fameux «The Things That I Used To Do», lors d’une session supervisée par Jerry Wexler, pour ATCO. Mais Art Rupe voulait Slim et il l’envoya enregistrer ailleurs, ce qui ruina sa carrière. Guitar Slim mourut alcoolique à New York. Il n’avait que 33 ans. Il était pourtant devenu légendaire : quand il jouait dans un club, il lui arrivait de sortir dans la rue avec sa guitare. Il portait des costards très voyants, rouges, blancs ou verts (the loudest green). Al Reed : «Jimi Hendrix was a latecomer with this electric sound. The man who had a hell of a lot to do with the electric sound was Guitar Slim, because his was the finest and his was about the first. No one else had done it before.» (Jimi Hendrix est arrivé longtemps après Guitar Slim qui fut le premier à jouer aussi électrique et il était le meilleur. Avant lui, personne n’avait jamais sorti un son pareil). Et Mac ajoute que lorsqu’on entend jouer Earl King, on entend Guitar Slim - But Earl was never the insane entertainer that Slim was.

John Broven évoque aussi le proto-punk de la Nouvelle Orleans, avec Jerry Byrne et Ronnie Barron. C’est Byrne qu’on retrouve dans l’ultra-mythique «Morgus The Magnificient» de Morgus and The 3 Ghouls, mystérieuse formation dans laquelle officient Mac et Frankie Ford. Pour Mac, Jerry Byrne et Joe Barry étaient «the two problem kids that I had.» Il faut préciser que tout ce petit monde tournait à l’héro. Broven évoque aussi le souvenir du grand Bobby Charles, un kid blanc qui s’imposa dans la black scene, avec ce mélange de New Orleans r’n’b et de Cajun feel qu’on appelle swamp pop et dont Ace remplit aujourd’hui de délicieuses compiles.

L’autre grand héros de Broven, c’est Johnny Vincent, d’origine italienne comme Cosimo et qui après avoir bossé pour Art Rupe chez Specialty fonda le label Ace à Jackson, Mississippi (un nom qu’allaient reprendre Ted Carroll et Roger Armstrong à Londres, en hommage à Johnny Vincent). Sur Ace, on trouvait Frankie Ford, Huey Piano Smith, Earl King, Joe Tex et... Morgus and The 3 Ghouls. Tout le catalogue Ace est réédité sur Ace en cinq volumes. On peut parler de passage obligatoire.

L’ouvrage de Broven épuise autant qu’une marche en forêt équatoriale. Il n’en finit plus de ramener des figures de légende. Tiens, Earl King, fils spirituel de Guitar Slim. Broven dit qu’avec lui, on est au cœur du South Louisiana swamp-pop style. Cosimo le considère comme un grand producteur, un homme à idées - He would be coming up with little figures that fit (Il sortait des petits gimmicks qui convenaient parfaitement) - Earl King enregistrait pour des tas de labels locaux. Broven évoque aussi les sessions organisées par Berry Gordy en 1963 avec un pack d’artistes de la Nouvelle Orleans, Eskew Reeder (Esquerita), Earl King, Joe Jones et Reggie Hall. Reeder indique que ces sessions changèrent le son de Motown qui était alors cha-cha («Shop Around») et qui se transforma pour devenir le full sound des Vandellas («Nowhere To Run»), that funky boomin’ stuff we brought up from New Orleans. Ne les cherchez pas, ces sessions pour Motown sont restées inédites.

Earl King n’eut pas le temps d’écrire son autobio, Huey Piano Smith non plus, mais par chance, John Wirt lui consacre un ouvrage, Huey Piano Smith And The Rocking Pneumonia Blues. Smith avait commencé dans les années 50 à tourner dans les clubs avec Guitar Slim, puis après avec Earl King. Comme Dave Bartholomew trouvait Smith trop parfait au piano, il lui conseilla de jouer quelques fausses notes, ‘like Little Richard’. Smith tournait avec un groupe à géométrie variable nommé the Clowns dans lequel passèrent des gens comme Bobby Marchan et Gerri Hall. Huey Smith ne jurait que par la good time music, comme Fatsy. Cosimo le traitait de driving force. Huey was hot et ses albums sortaient sur Ace.

Puisqu’on parle des labels locaux, voilà Minit monté par Joe Banashak. Mac : «Banashak was the fortunate cat to fall upon Toussaint’s services.» (Banashak eut la chance de tomber sur un mec aussi doué qu’Allen Toussaint). Banashak embauche en effet Allen Toussaint comme producteur maison et Minit devient légendaire, avec un roster composé de gens comme Bobby Womack, Ernie K-Doe et Chris Kenner qui est selon Mac, l’un des heaviest songwriters down here - I don’t think there was anybody writing better songs, from ‘Sick And tired’ to ‘Something You Got’ in the gospel tradition, and his writing influenced Allen Toussaint - Son vieux complice Marshall Sehorn dit de Toussaint qu’il fut the most talented man I’ve ever known.

Dans ce livre, Mac est à la fête bien sûr, surtout quand Harold Battiste décrit le son de Dr. John the Night Tripper : «African-New Orleans-Congo Square type of spiritual thing.» Eh oui, ça devient intéressant quand le rock se fait spirituel. Battiste sait de quoi il parle puisqu’il produisit le premier album de Dr John à Los Angeles. Personnage clé lui aussi, Harold Battiste, qui fut le boss du label A.F.O., l’un des berceaux du pur New Orleans Sound, et qui comme Cosimo, bouffa la grenouille. Battiste connaîtra des heures meilleures à Los Angeles en lançant Dr John et en produisant «I Got You Babe» de Sonny & Cher. Il va aussi co-produire Doctor John’s Gumbo avec Jerry Wexler, un album clé de la mythologie de Big Easy puisque Mac y rend hommage à tous ses héros, Huey Smith, Archibald, Earl King et Fess, aidé en cela par une ribambelle de légendes locales : Lee Allen, Ronnie Barron, Shirley Goodman, Tami Lynn et Alvin Robinson.

Restons au rayon des producteurs de génie. Voici Dave Bartholomew, qui vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois à l’âge de 100 ans. Bert Frilot le situe ainsi : «Dave Batholomew was another one of those guys that was smarter than he knew he was.» (Il était encore plus classe qu’il ne croyait l’être, pas mal comme compliment, non ?) Frilot ajoute que Bartho pouvait diriger un big band et qu’au premier abord il pouvait avoir quelque chose d’intimidant.

Broven termine son parcours du combattant avec les Meters et leur organized freedom qui fit tant baver Keith Richards. En 2015, Broven se félicitait de voir que ses deux grands héros Fatsy et Bartho étaient encore en vie. Fatsy monta sur scène pour la dernière fois en 2007 au Tipitina, un set qu’on retrouve dans le film Walking Back To New Orleans.

Marshall Sehorn : «You can go anywhere you want to: there’s no music like New Orleans music. There’s no other singers like New Orleans singers. There’s no other people like New Orleans people. Nobody else has as good a time as we do. Nobody else shakes their ass as we do, and that’s everybody, everybody from old to young, black and white, Indians, jumpin’, dancin’, carryin’ on and having a good time. And that’s what it’s all about. That’s what this city is all about.» (Tu peux aller où tu veux : il n’existe rien de comparable au son de la Nouvelle Orleans, rien de comparable aux chanteurs d’ici, rien de comparable aux gens d’ici. Ici, on prend du bon temps, personne ne danse comme on danse ici, les jeunes comme les vieux, les bancs, les noirs et les Indiens, tout le monde danse et prend du bon temps, et ça dit tout ce qu’il faut savoir de la Nouvelle Orleans).

La meilleure illustration de cette déclaration prophétique est sans doute le Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Le roi du Mardi Gras s’appelle Theodore Eugene Bo Dollis. Il chante dans un Indian Tribe nommé the Wild Magnolias, et leur premier album, The Wild Magnolias With The New Orleans Project parut en 1974. Aaron Neville : «The Wild Magnolias record was the first of its kind.» C’est ce qu’on appelle en langage tonitruant a smokin’ beast, un véritable chef-d’œuvre de funk primitif. Art Neville : «You heard everything in that music, Sly Stone, James Brown, Parliament, Funkadelic, even the Meters.» Rien qu’avec «Handa Wanda», c’est dans la poche. Wow, quel shuffle de funk ! C’est wahté d’entrée de jeu, chanté à l’Africaine et monté sur une extraordinaire assise rythmique, avec bien sûr des filles qui déraillent. Bo Dollis mène le bal des vampires. Même jus avec «Smoke My Peace Pipe», afro-cubain en diable, jazz de Soul de butt. On est dans l’excellence du beat, dans la moiteur des jazz-roots, dans l’orgie des influences - Sly, War, Isleys, JB’s, MG’s, Hendrix & Coltrane - Bo : «No pop, but that Otis Redding and Little Willie John, they were alright !». Pour Bo qui adore Otis et Little Willie John, le rêve absolu est de voir les Indian Tribes from Brazil, Trinitad, Haïti and the Wild West hanging out and having fun, Willie Tee est survolté, pas besoin d’expliquer, just listen ! On reste dans l’énormité avec «(Somebody Got) Soul Soul Soul», énorme cut de Soul System, têtu comme une mule, joué à l’excellence des percus et ramoné par le bassmatic. Sans doute avons-nous là le meilleur funk d’Amérique. Les Wild Magnolias terminent ce festin de son avec une triplette insurpassable : «Golden Crown», «Shoo Fly» et «Iko Iko». Back to Congo Square, sous tension maximaliste, avec tout le génie du carnaval et de ses coups de sifflets. Ils tapent «Shoo Fly» au funk têtu comme une mule, avec toute l’énergie du gospel batch puis Bo éclate l’Iko du Congo. Les filles sont magnifiques. Cyril Neville : «It came from New Orleans, and it also came from a deeper place, a place of alienation, double alienation, for being black and for being Indian.» (Ça vient de la Nouvelle Orleans, bien sûr, mais aussi de quelque chose de plus profond, d’une double aliénation, celle d’être nègre et celle d’être indien). Cyril parle bien sûr de marginalisation.

Sur la pochette de They Call Us Wild, les Wild Magnolias posent en grande tenue de carnaval. Au dos de la pochette, on trouve les portraits des musiciens qui les accompagnent. Black is black. Tout l’univers musical des Wild Magnolias tourne autour du carnaval. Ils tapent «New Suit» au funk de Soul très pro. Soul brother à la voix très généreuse, Bo Dollis mène bien sa barque. Le hit du disk s’appelle «Fire Water». Groove de forêt profonde et humide, ultra joué aux percus, un vrai modèle de funk africain et attention, car les Injuns arrivent avec «Injuns Here We Come» ! Bo shake bien son shit secoué de percus. Le bassman Erving Charles fait décoller le groove. Bo mâche sa niaque. Ça repart de plus belle en B avec «New Kinda Groove». Bo joue la carte du heavy groove. Il fait danser les esprits. Bo ne lâche jamais prise. La classe du groove de funk qui suit : «Jumalaka Boom Boom» ! Erving Charles joue comme un dieu. Il drive sa basse en queue de poisson. Il récidive avec «We’re Gonna Party». Ce démon d’Erving Charles crée la magie chez les Magnolias. Groove profond et luxuriant comme la forêt du Douanier Rousseau - Do you wanna party/ That’ what I say/ Party all nite long - Huitième merveille du monde.

Grand retour de Bo Dollis & The Wild Magnolias en 1990, soit quinze après, avec I’m Back At Carnaval Time. Casting de rêve : George Porter on bass et Snooks Eaglin on guitar. Bo attaque avec cet extraordinaire shoot de good time music qui s’intitule «Carnival Time» - Everybody’s happy - organique ! On a même un solo de trompette dixieland. S’ensuit un «Bon Ton Roulet» magnifique, véritable street rumble, il bong tong roulette, Bo chante au timbre fêlé. Belle version d’«Iko Iko» cuite dans son jus d’Africanité. Bo chante ses gênes de Brazzaville et de fuckin’ Servognan et tout l’album remonte ainsi dans le temps, comme une pirogue sur un fleuve inexploré. Tiens voilà «Shallow Water Oh Mama», fantastique exercice de style, soufflé à la Satchmo, c’est-à-dire aux trompettes de la renommée, mais ça joue dans la matière d’un groove, plus sophistiqué, pas loin de Miles Davis. On tombe plus loin sur l’imparable «Tipitina», ils fessent le Fess, à la trompette de tromblon, ce sacré Bo roule Tipi dans sa vieille diction salivaire. On s’effare de tant de classe, tous ces mecs du carni font un carnage et Bo chauffe à blanc le cul du cut. Encore une merveille avec «Coconut Milk». On suivrait Bo Dollis jusqu’en enfer. Si on recherche de l’organique, c’est là. George Porter fait le con sur sa basse pouet-pouet. Tout bascule dans la démesure, dans une orgie de beat et Bo is back, inlassable, mouvant, il groove tout à l’édentée patentée.

Bo Dollis & The Wild Magnolias remettent leur business en route en 1996 avec 1313 Hoodoo Street. Bo tape dans le Cuban beat avec «Run Joe». Ça se danse avec une poule dans les bras et un grand verre de rhum à la main. Ce Bo-là chante divinement, au chicot branlant. Il sonne comme le roi de la fête au village. C’est tellement plein de son que ça frise chaque fois l’énormité. On tombe beaucoup plus facilement accro de Bo Dollis que d’un disque de garage classique. Pourquoi ? Parce qu’ils s’y passe des trucs extraordinaires. Bo est un diable. «Angola Bound» pourrait bien être l’hymne à la liberté des esclaves. Bo le prend à la petite voix, accompagné par les fantômes des congas de Congo Square. Fuck, tous ces pauvres blacks n’avaient pas demandé à voyager, et encore moins à devenir les esclaves des blancs ! Mais Bo décide de prendre la chose du bon côté et fait battre les tambours. Ça donne Bo Diddley à la Nouvelle Orleans. On passe au funk avec l’excellent «Might Mighty Chief», Bo part en guerre - I’ve got a dance - mais il part en guerre sous le boisseau, en pur groover épidermique. Il tape aussi une reprise de «Walk On Gilded Splinters». C’est joué au boogaloo du lac Pontchartrain, avec le spectre de Marie Laveau en toile de fond. Bo sait réveiller les zombies. Il en fait une version bien plus authentique que celle de Steve Marriott. Les morts sont là ! Il n’existe pas de pire version. Son «Voodoo» est trop funk pour le boogaloo, mais comme Bo est un mec bien, alors on le suit. Il sabre son funk à merveille - Voodoo women ! - Les chœurs effarent au plus haut degré. Bo est dans le bain. Ça baigne pour Bo. Encore une belle rasade de funk New Orleans avec un «Injuns Here They Come» très africain, bien ramené au devant de la scène, pure africana, le son a survécu aux horreurs de l’esclavage, c’est dire si la nature humaine a bon dos. Bo salue les Injuns, c’est-à-dire les Indiens, eux aussi victimes de la cruauté des blancs dégénérés. Il termine cet album faramineux avec un «Indian Red» encore plus primitif. C’est leur façon de dire «Foutez-nous la paix !».

Quel fantastique délire carnavalesque que ce Life Is A Carnival ! Cet album peut rendre dingue, surtout si on commence à écouter «Pock-A-Nae» en regardant le Tribe danser la nuit sous le grand chêne. C’est de l’African beat funk, cette Africana qui traversa l’océan bien malgré elle, mais elle resplendit désormais de tout son éclat magique. Rien d’aussi définitif que ce funk de la Nouvelle Orleans, beat têtu et sensuel - All nite long - Pur genius, esprit vengeur du peuple noir qui mangera les petits culs blancs. «Pock-A-Nae» vous hantera. Toute la mythologie se met en route avec «Who Knows», groove Pontchartrain, digne de Dr John et mené par Big Chief Bo Dollis qui n’en finit plus de rallumer des brasiers dans «Party» - We are the Wild Magnolias/ Keen to sing you a song - C’mon, c’est digne de Sly - We’re on a party - C’est à se damner, le Tribe nous balance l’un des meilleurs rafts de funk de l’univers. Raw to the bone ! On vendrait son père et sa mère pour un cut aussi beau qu’«All On A Mardi Gras Day», joué au duveteux de la Nouvelle Orleans, avec un coup de tuba dans le cul du cut. Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? Et voilà le Zulu King, c’est le carnaval, tout le monde danse. «Shanda Handa» sonne assez Dr John, c’est même envoûté de frais, on mesure l’emprise du hoodoo sur le rock blanc. Tout Dr John vient de là, du monde des esprits. Oui, l’Afrique a vraiment débarqué sur le continent. Avec «Cowboys & Indians», on retrouve l’esprit de Splinters, fabuleux groove de cimetière à la nuit tombée joué aux percus. On parlait du loup, le voilà : Dr John joue sur «Blackhawk», nouveau cut d’ambiance subliminale, monté sur un sale groove de mousse de cimetière abandonné - When I come down to New Orleans - Ils racontent leurs routes et leurs déroutes. Tout cet album vibre de hoodoo motion, de pulsion carnavalesque, d’all nite long, on entend jouer un guitar king du coin de la rue dans «Battlefield» et Marva Wright vient débaucher le funk-monster «Hang Tough», elle s’y arrache les ovaires, Bo Dollis l’allume et elle répond du tac au tac. Encore un chef-d’œuvre violent et dangereux avec «Tootie Ma», digne de David Lynch et des exécutions sommaires auxquelles on assiste furtivement dans Wild At Heart.

Un autre Indian Tribe vaut largement le détour : The Wild Tchoupitoulas, avec un album du même nom paru en 1976. Même genre d’extravagance, ces mecs posent en costume d’Injuns de carnaval, mais cette fois, Allen Toussaint les produit et les Meters les accompagnent. Leon, George, Zigaboo, ils sont tous là. Le boss s’appelle Big Chief Jolly et il mène le bal du gospel carnavalesque. Personnage clé dans l’histoire des Neville Brothers puisque George Landry, aka Big Chief Jolly, n’est autre que leur oncle. Ce junkie notoire et dealer local passe ses nuits en ville et rentre au petit matin en sifflotant. Charles Neville : «Always sharp. Hats for days.» Toujours sur son trente-et-un et coiffé d’un chapeau. Aaron raconte qu’Uncle Jolly s’asseyait au piano pour jouer (to bang out) ‘Junkie Blues’. Et bien sûr, Uncle Jolly porte une arme. Un jour, la police l’accuse d’avoir accosté une blanche. Les poulets commencent par le mettre en cage pendant 72 heures. La question n’était plus de savoir si l’histoire était vraie, si Jolly connaissait cette femme, s’il l’avait même déjà vue. La blanche est catégorique, même si pour elle tous les nègres se ressemblent. Alors les poulets mettent la pression sur Jolly. Tu vas avouer, niggah ? Impossible. Pourquoi ? Parce que Jolly ne peut pas avouer un truc qu’il n’a pas commis. Les coups commencent à pleuvoir. Bim bam ! Jolly tient tête. Mais non, j’ai rien fait ! Alors les flicards lui disent : «Baisse ton froc» et le placent face à un bureau. Un poulet ouvre un tiroir, dit à Jolly d’y mettre ses couilles et claque le tiroir. Cyril Neville : «They nearly beat him to death. Ils l’ont tellement rué de coups qu’il n’entend plus d’une oreille. Mais il a réussi à garder sa dignité et ils ont été obligés de le relâcher.»

Ce héros de la famille Neville dit un jour à ses neveux qu’il voudrait bien enregistrer un disque comme celui des Wild Magnolias. Son idée est simple : il veut une musique qui puisse exprimer l’esprit et l’âme de son Uptown tribe. Comme il revendique le sang indien qui coule dans ses veines, ses neveux lui proposent «Indians Here We Come», un groove à la Dr John. Fantastique décontraction de groove - I’m sending my gang down two by two - Ils tapent ensuite dans un hit des Meters, «Hey Pocky A-Way». George Porter entre dans le lard du funk à la syncope. Zingaboo souligne ça finement. On est dans l’archétype du New Orleans Sound, joué à l’épisodique miraculeux. Les voix éclatent dans le blossom de la légende. L’«Indiand Red» qui ouvre le bal de la B est un hymne à la révolte - We are the Indians of the nation/ The wide wild creation/ We won’t kneel down/ Not on the ground - Fantastique déclaration d’indépendance, les Tchoupi gèrent ça au gospel batch. S’ensuit un fantastique «Big Chief Got A Golden Crown» avec de paroles mythiques - Mardi Gras morning when the sun comes up/ Big Chief gets a golden crown/ Drink fire water from a silver cup - Joli groove vermoulu, idéal pour danser dans la rue avec Martha. Encore un joli slab de funkitude avec ce «Hey Mama» joué aux congas de Congo Square - Hoon don day - C’est rythmé au don day ! Pour Cyril Neville, voir son oncle chanter, c’était comme de voir un roi : «It was royalty, funky royalty. The gooves were dance grooves, parade grooves, party grooves. It was a music of motion, a music that moved us to change our lives.» Aaron Neville pense que cet album enregistré avec Uncle Jolly est un disque saint. Uncle Jolly veut enregistrer un deuxième album, mais quand il voit si peu de blé arriver, il décide d’arrêter les frais : «Screw ‘em. I ain’t recording for those guys again.» Jolly propose de partir en tournée et ils déboulent en Californie avec Fess.

Wardell Quezergue est l’une des légendes du New Orleans Sound des années soixante et soixante-dix. Mais il est beaucoup moins connu qu’Allen Toussaint. Pourtant, dès qu’on met le grappin sur l’une de ses production, on tombe de la chaise et ça fait mal au cul. La preuve ? Cette compile inespérée qui s’appelle Sixteen Smokin’ Soul Senders Vol. 1 et qui sonne comme un Best of Stax, mais avec un petit quelque chose de particulier : les artistes qui s’y trouvent sont notoirement inconnus, à commencer par l’immense Lydia Marcelle et son «Everybody Dance». Une pure énormité sortie des Districts - C’mon baby do the jerk - Elle chante comme une sale petite carne des bas fonds, elle ramène tout le scum des streets, ça clap du hand et ça stomp du feet. Révélation suprême et timbre unique. Un peu comme Earl-Jean McCrea. L’autre grosse poissecaille de cette compile miraculeuse s’appelle Senator Jones. Il est là avec deux smokin’ monsters, «Let Yourself Go» et «Boston Feel». Il y est soutenu par des chœurs de filles complètement délurées. Vous n’aurez ça qu’à la Nouvelle Orleans. Senator Jones chante avec une vraie voix d’arrache. Il a ce petit quelque chose que n’ont pas les autres. Si vous aimez bien le raw r’n’b, c’est là que ça se passe - Do the Boston feel ! - Tiens, voilà encore une incroyable merveille d’Ali Baba : the Jades avec «Lucky Fellow», un fabuleux hit de groove de Soul. C’est même la part du rêve, le hit absolu des jours heureux. Idéal pour les petits cœurs serrés. Et ça repart de plus belle avec the Fabuletts et «Can’t Stay Away», encore une belle lampée de r’n’b. Tout y soigné, le son, les chœurs, les cuivres, c’est du hot raw de rêve. Et les Bates Sisters s’amusent à sonner comme les Ronettes. Yeah baby, on se croirait chez Phil. Elles y croient dur comme fer. Et puis voilà Guitar Ray qui radine sa fraise avec «Patty Cake Shake», un hit roulé dans la farine d’une basse bien ronde. C’est d’une classe indécente. Vous ne trouverez pas un seul déchet sur cette compile. Tout est nickel chez Wardell. Il visait de toute évidence le public Stax, mais comme les labels locaux n’avaient personne pour les distribuer, c’est resté lettre morte. On y entend aussi l’immensément immense Earl King avec «Feeling My Way Around». Quelle brochette de surdoués !

Autre légende du New Orleans Sound, Eddie Bo. Un conseil, chopez Baby I’m Wise. The Complete Ric Singles 1956-1962, une compile Ace plutôt récente. Ne serait-ce que pour entendre «Hey There Baby», un cut digne des Beatles mais avec un batteur dément. Un vrai dingue du beat et le petit solo de sax n’y changera rien. Bo the beat fait le show. Il faut aussi entendre ce coup de génie intitulé «Check Mr Popeye», ce funk bien vermoulu qu’il l’emmène au paradis - Oh do the papah - Eddie Bo est aussi le grand spécialiste du slowah super-frotteur. On en trouve une série sublime dans cette compile, à commencer par «I Need Someone». Eddie chante comme un crocodile, les mâchoires en cœur. On note son incroyable prestance et la qualité plastique du chant l’élève au plus haut rang du kitsch. Même chose avec «Nobody Without You», slowah effarant de présence décadente et de fleurs fanées - Please/ Please come back - Ou encore «Everybody Everything Needs Love», vieux slowah gluant qu’il chante au-delà de ses capacités. Eddie est un démon, il faut le savoir, un extraordinaire artiste, il pousse les choses aux max du mix. On le voit aussi taper dans le r’n’b rudimentaire avec «Every Dog Got His Day». Eddie est une génie du chachapoum de balloche louisianaise, et il se paye même le luxe d’un killer solo de sax. Alors il tombe et remonte, affolant de petite énergie. Il tape aussi dans le heavy blues avec «You Got Your Mojo Working». Ah comme c’est bon ! On est dans le Ric d’époque, c’est-à-dire dans l’underground louisianais de l’excellence. Avec «It Must Be Love», Bo se plonge dans le heavy groove romantico - I wonder - Il se demande pourquoi il est si stupide. Il passe au rock de petite bite avec «Ain’t It The Truth Now» et attention à «What A Fool I’ve Been», c’est à tomber. Il tape là dans l’excellence du kitsch, c’est battu aux congas et nappé de violons. Extraordinaire ! Voilà encore une raison de ne pas perdre Eddie Bo de vue. On le voit danser «Dinky Doo» au coin du juke, il y va à coups de ya ya ya. Il adore aussi le jump comme on le constate à l’écoute de «Ain’t You Ashamed», il chante ça à la fritaille, avec du guitar gimmick de luxe. Ah le veinard ! Eddie Bo ne se refuse rien. C’mon Bo ! Il termine avec le morceau titre, qui est un hit du grand Lee Dorsey - Baby you’d better be movin’ on !

Autre passage obligé pour tout amateur de New Orleans Sound : Clarence Frogman Henry. Grâce à Ace, on peut se goinfrer en écoutant Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Comme Eddie Bo, Forgman Henry est un artiste complet et assez fascinant, il faut le voir attaquer «Ain’t Got No Home», ce typical jive de juke monté au oh wooh wooh. Il chante ça d’une voix de gonzesse et ça bascule dans le hot kitsch et puis cet enfoiré redescend chercher son meilleur baryton pour créer de l’expressionnisme. On ne trouve pas ce genre d’artiste sous le sabot d’un cheval. Cette compile pullule de petits hits de juke, à commencer par «Cajun Honey», fantastique coup de mon cher ami, aw quel punch, encore une histoire de fille qui rend fou - You’re driving me wild - Tout aussi excitant, voilà «That’s When I Guessed». Il passe au groove de boogaloo avec «Shake Your Money Maker». Frogman sait jiver sa petite affaire. Il nous propose les meilleures conditions du groove. C’est là qu’on danse avec les loops. Avec «Saving My Love For You», il se montre tout simplement extraordinaire de prestance. Un patron blanc dirait de lui : «C’est un bon esclave !». Il tape dans Meaux avec «Think It Over». C’est noyé d’orgue et Frogman sort des grosses mains balladeuses pour tripoter le cul du cut. Effarant ! «Baby Ain’t That Love» semble gravé dans le marbre de l’underground louisianais. Il sait aussi faire du Fatsy. La preuve ? «Cheatin’ Traces». Il tape aussi une cover du «Sea Cruise» de Frankie Ford, mais il la prend trop reggae et ça ne marche pas. On note au fil des cuts l’extraordinaire santé de cette compile. On passe en effet de genre en genre et Frogman suit le mouvement. Quand il tape dans le heavy blues avec «I Can’t Take Another Heartache», ça devient passionnant, car il sait titiller son blues d’un doigt expert. Il traite «Hummin’ A Heartache» à la maturité de bon aloi. C’est un vieux pro. Il sait jiver un jive et chanter du nez. Lorsqu’arrive «It Went To Your Head», le son se modernise considérablement. Attention, c’est encore du Meaux. C’est ultra-joué à la guitare. Joli coup de Tex-mex avec cette reprise de Doug Sahm, «We’ll Take Our Last Walk Tonight». C’est bardé de coups d’harmo et Frogman en fait une merveille élégiaque. Et quand on écoute «You Can Have Her», on se dit qu’on est bien dans ce coup d’Ace. Eh oui, Ace sait tisonner les vieux braseros et créer les conditions de la légende. Une chose est bien certaine, Frogman Henry en est une. Encore du Meaux avec «Mathilda». Huey P. Meaux s’y connaît en rock motion, aucun doute là-dessus. Frogman tape dans la country avec «In The Jailhouse Now», il gère la chose au mieux des possibilités. Chez Meaux, on ne fait pas n’importe quoi. Quel son ! Voilà ce qui s’appelle une production ! Le heavy groove d’«A Certain Girl» se montre digne de Slim Harpo et cette compile se termine avec «Shock-A-Dilly Alabam» - I was born/ Just across the river/ In a little town - On se trouve une fois plus noyé dans le meilleur groove d’Amérique et il loue les musiciens qui l’accompagnent - Come on Jojo !

Puisqu’on dans les passages obligés, en voici un autre : The Dave Barholomew Songbook. The Big Beat. Toujours Ace. On n’imagine pas à quel point Dave Bartholomew fut sollicité en tant qu’auteur. Bien sûr, ça commence par Fatsy, mais tous les grands artistes américains ont tapé dans ses chansons, à commencer par Elvis avec «Witchcraft» (Il jive ça comme un king), Jerry Lee Lewis avec «Hello Josephine» - Hello Josephine/ How doo/ Youuu/ Doooo - Brenda Lee avec «Walking To New Orleans» (Fantastique et juvénile, c’est presque aussi beau que la version de Fatsy) et bien sûr Dave Edmunds avec «I Hear You Knocking» (pur génie, ce Gallois sorti de nulle part qui nous Slim Haponise Bartho). On profite aussi de l’occasion pour réécouter «The Fat Man», vieux coup de ramdam de piano drive. On peut même parler de beat des origines. Là mon gars, tu es aux sources du rock avec ce petit gros qui pianote comme un dingue. Il ventricule son beat à l’orée du bois. Laisse tomber les autres, c’est Fatsy qu’il te faut. Shirley & Lee, c’est du même acabeat. Avec «I’m Gone», on a le duo le plus sexy de toute l’histoire du rock. C’est elle, la reine du groove juvénile, elle dégouline de génie purulent. Dans cet enfer, le pauvre Lee tente de faire surface, mais c’est elle la coche qui ouuuh-ouuuhte le babïïï. Elle est perçante, elle chante du ventre, elle est la source du rock, la pure source de tout le sexe du rock. Prodigieux ! Tiens, encore une folle de la Nouvelle Orleans : Annie Laure, avec «3x7=21». Elle tape ça au gospel batch, elle jazze son dam doo leum dah bam bam et là tu as Ella, tu as aussi Miles qui vient schtroumpher du solo de wah dans l’ombilic des limbes. Ces gens sont sublimes. Tout aussi dévastateur, voilà Smiley Lewis avec «Down The Road». Ah t’as voulu voir Vesoul ? Alors voilà Smiley. Il joue comme une brute. Il chante au gras du yes I’m gone et le solo de sax sonne comme une pétaudière. On a là un extraordinaire drive de New Orleans Sound. Smiley chante comme un démon, yes I’m gone, il défonce la rondelle des annales. Tout aussi explosif, voilà «Ain’t Gonna Do It» des Pelicans. Ils jouent ça à l’énergie concomitante, c’est un délire de good time music. Mais qui ira écouter les Pelicans ? On ne connaît même pas leur existence. Par contre on connaît celle du Johnny Burnette Trio qui tape une belle cover d’«All By Myself». Évidemment, ils claquent ça au jive de rockab de fière allure. On trouve aussi l’un des tout premiers rockers d’Amérique sur cette compile : Roy Brown, qui explose «Let The Four Winds Blow» - Have you heard the news - Quelle énergie ! C’est battu à la diable. Ce shuffle énergétique n’existe nulle part ailleurs. Encore un autre roi du shuffle : Bobby Mitchell avec «I’m Gonna Be A Wheel Someday». C’est joué à l’extrême des possibilités. Rien d’aussi jivé de la ciboulette que ce truc-là. D’autres merveilles impitoyables guettent l’imprudent voyageur : «Everynight About This Time» par les Fabulous Upsetters, ou encore l’implacable «Blue Moday» repris par Georgie Fame. Et combien d’autres encore ? Il faudrait s’étendre sur Keith Powell, Tami Lynn ou encore Bobby Charles. C’est vrai qu’on n’en finirait plus.

Le mot de la fin revient à Dr. Ike Padnos, cité par John Broven dans sa bible : «New Orleans rhythm and blues, by mixing in the influence of the territory bands, Louis Jordan, and boogie-woogie piano, kicked off with Roy Brown’s ‘Good Rocking Tonight’ in 1948. Then a year later Fats Domino’s ‘The Fat Man’ helped usher in the birth of rock’n’roll with Earl Palmer laying down a subtle backbeat and Dave Bartholomew’s arrangements of the horns doubling up on top of the rhythm section.»

Signé : Cazengler, new orléon de Bruxelles

Wild Magnolias With The New Orleans Project. Polydor 1974

Wild Magnolias. They Call Us Wild. Barclay 1975

Bo Dollis & The Wild Magnolias. I’m Back At Carnaval Time. Zensor 1990

Bo Dollis & The Wild Magnolias. 1313 Hoodoo Street. Aim 1996

Wild Magnolias. Life Is A Carnival. Metro Blue 1999

Wild Tchoupitoulas. ST. Antilles 1976

Wardell Quezergue. Sixteen Smokin’ Soul Senders Vol. 1. Night Train International 2002

Eddie Bo. Baby I’m Wise. The Complete Ric Singles 1956-1962. Ace Records 2015

Clarence Frogman Henry. Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Ace Records 2015

The Dave Barholomew Songbook. The Big Beat. Ace Records 2011

John Broven. Rhythm And Blues In New Orleans. Pelican Publishing 2016

 

DISARRAY

ACROSS THE DIVIDE

( Digital Album - 02 / 12 / 2020 )

 

Les ai vus trois fois en concert. Ce n'est pas un mythe, il fut un temps où l'on pouvait voir des concerts, je vous assure que cela a existé, j'avais chroniqué leur album Encounters, j'ai souvent jeté un œil sur leur FB, ne se passait pas grand-chose, je me doutais que dans leur coin ils devaient trimer et tramer quelque plan secret, et au deuxième jour de décembre ils ont sorti un nouvel album, précédé de quelques clips sur You Tube, un acte de courage, mais ils ont raison c'est au petit matin du deux décembre que les canons ont brisé la glace d'Austerlitz, et fissurer la chape de plomb qui est tombé sur le rock est une louable initiative.

La pochette mérite d'être vue. Au début vous souriez, quel besoin d'écrire le nom du groupe en si gros sur la pochette, seraient-ils en pleine crise mégalomaniaque. A croire qu'il n'existe qu'eux dans ce bas-monde. Faut scruter l'ocre-orangé pour visualiser la vestale en ses voiles blancs qui va de l'avant les yeux bandés. Son pied-nu frôle la pierre usée d'un porche, serait-ce l'entrée d'un temple abandonné. Derrière elle l'orée d'une forêt embrumée, peut-être simplement un parc déserté, en tout cas, un sentiment de solitude, ambiance romantique, l'on songe aux somptueuses et mélancoliques proses de Chateaubriand et l'on se dit que si le nom du groupe voile la photo de la couverture, ce n'est pas du tout une naïve manifestation de fierté mal-placée mais une mise en situation de l'auditeur, ne sommes-nous pas des aveugles qui marchons dans la vie sans rien savoir de très précis de là où l'on va, même si l'on associe l'idée de mort à la plus néfaste et angoissante noirceur... D'ailleurs le premier titre n'est guère encourageant...

Black hole : étrange il y a de la musique mais la voix d'Alexandre est si prenante qu'il vous capte et que vous n'entendez qu'elle, s'il y a un trou noir c'est elle dans laquelle vous vous engloutissez, rassurez-vous nous ne sommes ni dans l'espace ni dans la guerre des étoiles, la cavité ombreuse qui vous emporte est à l'intérieur, maintenant vous pouvez entendre le ruissellement du métal, une pluie qui claque et qui lave, vous enferme dans un cocon, car si la désolation est au-dedans de vous, la lumière aussi, il suffit d'oser le voyage de ne pas se perdre dans les mers de noire solitude, juste un passage, un étroit et immense boyau, un tunnel sans fin dont vous finirez par joindre le bout. Superbe intro, une espèce de récitatif sauvage, un rugissement sans fin de lion. Burried memories : harmonieuses glissades, les guitares ont l'air de s'enfuir, comme un relent de fête, mais cela ne dure pas, l'épreuve ne fait que commencer, une espèce de jeu-vidéo, une partie que vous n'avez pas le droit de perdre, l'ennemi est le plus terrible qui soit, vous n'en rencontrerez jamais de pire, vous le connaissez bien, est-ce pour cette raison que cette piste est une épilepsie joyeuse, renforcée par le chœur des voix, hachée par Alexandre, l'alien est en vous, vous êtes l'alien de vous-même, une bête sombre qui vous hante et qui surgit la nuit pour vous attaquer. Une course-poursuite, une chute sans fin à l'intérieur de vous-même, le morceau s'arrête brusquement, avez-vous touché le fond, allez-vous être enseveli sous des morceaux de vous qui tombent sur vous... Invincible : tambourinades, bruits de forges titanesques, je suis un peu comme ces martiens de la guerre des mondes d'H. G. Wells qui se réparaient eux-mêmes après avoir été touchés par les obus et les torpilles, la plus grande violence est en moi, morceau tornade, morceau limite, de mes défaites je construirai mes victoires, ma vie sera une tour érigée pour détruire l'univers, ce qui m'a tué m'a rendu plus fort que la mort, plus fort que la trahison. Un vent de haine et d'allégresse souffle dans les voiles de la vengeance. Oblivion : tout va trop vite, kaos dans la tête, sont-ce des rêves ou des claquements de metal qui s'échappent, la voix d'Alexandre déchire les certitudes, des chœurs venus d'ailleurs creusent des espaces immenses comme des cathédrales stellaires, l'on ne sait plus si l'on est dans un film de science-fiction ou dans soi-même, la vitesse exponentielle du déluge musical ne vous aide pas à garder vos idées claires. Gold : Axel ouvre le vocal mais Alexandre l'éventre, l'or scintille et corrompt, ne reste qu'à le rejeter, qu'à le maudire, et à abandonner ceux qui l'utilisent comme monnaie d'échange, un cri de colère et de dégoût, le groupe devient fracas hurlant, une hystérie musicale, ne s'agit-il pas de détruire la société. (S)Hell : la musique ronronne, ce n'est pas un chat mais une bête hideuse qui s'éveille dans la gorge d'Alexandre, c'est le démon du bien, celui qui promet de tout recommencer, générique de film à gros budget et multitudes de figurants, grandiloquence des grands sentiments, les promesses n'engagent-elles que ceux qui les croient, l'œuf dans le nid que l'oiseau couve n'est-il pas celui d'un serpent. Brisez la coquille, vous entendrez l'enfer. To the bone : très rock, un cri de haine, l'envie de cracher sur sa gueule, les chœurs comme des oiseaux moqueurs et le vocal tel un procureur qui condamne et maudit, tu ne fais plus partie du clan, les mots claquent comme les lanières d'un fouet. Damnation, retranchement définitif de la communauté humaine. Lost : il existe sur YT une magnifique vidéo verticale oppressante à souhait. Pas d'attente, musique concassée un peu à la manière de Linkin Park . Sans appel. Sans rappel. Le constat froid et glacé de l'échec de la civilisation humaine. Quelques survivants qui errent sans but. Danny Louzon de Nakht est venu en renfort pour bazooker le vocal sans rémission. Des éclats de haine retournée envers soi-même. Un monde et une musique sans résilience. Même pas le no future, juste le no tout court. Un non-avenir qui fait froid dans le dos. Une explosion désatomisée. By any means : très belle vidéo verticale à regarder en vis-à-vis de la précédente, elles forment un véritable diptyque. Après la perdition, l'apaisement, la possibilité d'un recommencement, musique plus douce, un orage bienfaisant qui redonne vie. Serait-ce la fin du cauchemar. Etrange comme les éraillements d'Alexandre paraissent dans l'immense vacarme de l'album une berceuse douce et tendre. Addiction : encore un pas en soi-même, un chant de rouille pour avouer la vérité, un bien grand mot pour nommer un souvenir inoubliable, juste un chagrin de rencontre, qui vous a emmené dans les ténèbres intérieures, parfois l'on a l'impression que le metal se fait violon, l'a beau se reprendre tout casser et concasser, rien n'y fait l'addiction est un poison, en eaux troubles, l'addiction est un plaisir. Between You & Me : des cordes comme des perles de rosée. Tout dire, tout vomir, faire le point et le poing, ce que l'on garde et ce que l'on chasse, Alexandre dégueule le vocal, bile noire et bile sanglante, les guitares deviennent les clairons de la victoire, les voix s'éloignent dans le lointain. Fastueuse emphase finale de l'orchestration. Le rideau tombe.

Unité rythmique et sonore. Le vocal d'Alexandre est le fil noir qui traverse l'œuvre de part en part. La batterie de Maxime Weber gronde et galope telle une nuée menaçante et dévastatrice. Elle ne faiblit jamais. Il est important d'entrevoir la guitare d'Axel Biodore et la basse de Regan MacGonam en tant que chants lyriques de grande amplitude. Ecouter ce disque c'est entrer dans une immense symphonie vocale qui ne faiblit jamais. Un grand vent qui vous emporte et vous ravage.

Damie Chad.

 

LA FIN DU ROCK

MARC SASTRE

( Les fondeurs de briques / Janvier 2021 )

 

Rock is dead, titre posthume des Doors publié en 1997, mais enregistré en 1969. De l'eau a coulé sous les ponts depuis. Plus d'un demi-siècle... Et voici que Marc Sastre nous propose ces quatre mots qui tuent, la fin du rock, comme disent les bluesmen, il n'y va pas avec le dos de la spoonfull. Marc Sastre n'est pas un inconnu pour les kr'tntreaders, nous avions chroniqué son Jeffrey Lee Pierce. Aux sources du Gun Club in Kr'tnt 160 du 23 / 10 / 2013. L'on avait beaucoup aimé à tel point que l'on s'était intéressé à deux de ses recueils de poèmes, L'homme percé et Aux bâtards de la grande santé dans notre livraison Kr'tnt 190 du 22 / 05 / 2014.

Avis aux amateurs, ceci n'est pas une histoire du rock'n'roll qui se terminerait par de vagues considérations sur l'essoufflement du genre et conclurait sur sa prochaine et rapide extinction. Le livre serait plutôt à ranger parmi les essais éthiopathiques. La disparition du rock n'est pas une fin en soi. Si vous désirez savoir pourquoi le rock est mortel, il est d'abord nécessaire de savoir pourquoi le rock existe. Tout phénomène nécessite la cause qui l'a engendré dixit Aristote, le rock'n'roll n'est pas l'exception qui confirme la règle. Encore faut-il s'interroger sur la notion du pourquoi dont émane un parfum trop eschatologique, qui tendrait à faire accroire que le rock'n'roll est apparu pour sauver le monde. Très prudemment Marc Sastre se contente de réfléchir sur les circonstances qui ont permis au rock'n'roll de se déployer, restons terre à terre, remplaçons l'élucidation du pourquoi par l'interrogation du comment.

Question de méthode. Tout de suite l'on se heurte à un grave problème. Même si l'on part du pire, du principe que le rock est à deux pas de sa tombe, qu'il est moribond, qu'il n'en a plus pour très longtemps, il n'en empêche pas moins que le rock n'étant pas encore tout à fait mort, il est encore vivant, étudier un phénomène dont on fait partie, dont on est encore partie prenante, et en dresser son certificat de décès est chose impossible, celui qui dit en ses derniers instants je meurs sur son lit d'hôpital au milieu de multiples perfusions est encore en vie même si l'annonce s'avèrera très vite avoir été prophétique... Marc Sastre réussit à contourner – et c'est en cela que réside la force de son livre qui n'excède pas cent pages – cet obstacle épistémologique. Pour annoncer la mort du rock, vous pouvez garder un pied à l'intérieur du rock si cela vous chante – en fait parce que vous êtes incapable de faire autrement - mais il faut avant tout s'en extraire, s'en libérer.

Le rock n'est pas né de la Sainte Vierge, il est le fils utérin de la domination marchande du monde. Ce n'est pas un hasard si l'opuscule débute non pas dans un champ de coton mais à la Renaissance, à ce moment conceptuel précis où la technique permet à l'homme occidental de se rendre maître de sa planète, encore moins si ce premier chapitre a pour titre : à la croisée des chemins le diable conduisait une Ford T, laissez le Diable se dépatouiller avec Robert Johnson, concentrez-vous davantage sur la voiture, un instrument de libération clamera-t-on dans les années soixante, car l'on est toujours séduit par les riches couleurs du serpent dont vous êtes mordu. Heidegger vous énonce la même chose mais il ne parle pas de l'encombrant reptile, il laisse le dangereux ouroboros à Nietzsche, mais ceci est une autre histoire. Enfin si l'on veut car l'histoire de la fin de la philosophie ressemble étrangement à celle de la fin du rock'n'roll, celui qui l'annonce y est encore empêtré en plein dedans.

Chacun a son anecdote croustillante à raconter, pour Marc Sastre il met en scène The Clash, un groupe qui pour moi ne vaut pas tripette mais chacun de nous possède ses propres histoires d'amour-haine bien plus véridiques que celles de tous les autres... Arrachons-nous les paillettes exaltantes de nos yeux exaltés, le rock'n'roll a partie liée avec quelque chose qui nous dépasse tous, la domination économique du capitalisme productiviste – comme par hasard c'est en ces années-là que le rock'n'roll est le plus imaginatif, le plus créatif - et puis libéral, la finance coupe les vivres à la production – le rock s'étiole, s'éparpille, le serpent se mord la queue – c'est le moment idéal de sortir le couplet idéal que tout le monde attend.

Le rock est une musique de révoltés. De laissés pour compte. De ceux qui ont refusé de pactiser avec le Capital – à moins que ce ne soit cette hydre tentaculaire qui ait négligé de leur glisser le minimum vital – le pire c'est que c'est vrai et totalement faux. Certes, le blues, le rock, le rap sont à l'origine des musiques mises au point par des couches délaissées de la population. Ces premiers de corvées – et encore souvent ils se contentent de claquer du bec la bouche ouverte car il n'y a pas de travail pour tout le monde, car le travail est la seule richesse des pauvres et il n'est pas bon qu'elle soit partagée entre tous – sont les véritables héros du rock'n'roll.

Tu parles Charles. Tu n'as jamais entendu parler du grand retournement. Ah ! mes cocos vous aimez le rock, souriez vous êtes filmés ( soyez modernes faites des selfies ) vous voulez du rock, l'on va vous en vendre du rock, du beau, du bon, du gras, tous les styles, tout ce que vous voulez – cela s'appelle diviser pour mieux régner – nous aussi on a lu Marx, la marchandise on va vous la fétichiser à outrance, vous allez connaître non pas la malédiction mais l'addiction ( ce qui est beaucoup plus diabolique ). La porte des élus sera étroite, pour des milliardaires comme des Stones combien de crève-la-faim, non ne les plaignez pas, ils possèdent quelque chose de bien plus précieux que les grosses liasses de bank-notes, ils ont le rêve dans leur tête dont ils ne veulent pas se défaire, dont ils refuseront de se départir d'une seule miette. Etrangement cette musique de laissés-pour-compte aide à les maintenir dans leur dépendance, le rock'n'roll participe d'une démarche oppressive, réactionnaire, conservatrice, anti-révolutionnaire. Tout ce que vous inventez, tous vos crans d'arrêt, on vous les rend, on vous les vend, en plaqué-or, armes émoussées que vous brandissez fièrement et retournez contre vous.

O. K man Sastre, tu parles d'or et tu causes de toc, mais le rock dans tout ça ? Je vous rassure, le rock ce n'est pas qu'il ne connaît pas, il en jacte en mec qui en a fait la colonne vertébrale de son implantation dans le monde. Et le livre regorge de magnifiques évocations, ce mec sent le rock, il est son propre sang, il l'a fait sien, ou plutôt c'est le contraire c'est le rock'n'roll qui a donné un sens à son existence et permis d'accéder à une vie plus pleine, plus riche, plus enthousiaste. D'où cette inquiétude devant ce recul du rock dans la culture contemporaine. Sans doute un jour qualifierons-t-on le moment historique que nous vivons comme celui de la recul-ture, un truc encore pire que le no future des punks car il n'y a pas que le rock qui recule, de nouveaux âges d'obscurité se mettent doucement en place.

N'est pas vraiment optimiste le Sastre. Le sastrisme est encore plus décourageant que le sartrisme. S'en tire par la consolation du pauvre. Certes le rock est mort, certes nous n'y pouvons rien, certes c'est foutu, mais au moins nous avons eu la chance d'être une génération à qui le rock a permis de partager la table des Olympiens, le beggar's banquet nous y avons accédé et cela personne ne nous l'enlèvera. Il suffisait de tendre l'oreille et de se servir. Que ceux qui n'y ont pas pensé ne s'en prennent qu'à eux-mêmes. Quant à nous, nous ressemblons un peu à ces soldats d'Alexandre qui l'aventure finie rentrèrent chez eux la tête pleine d'un rêve qu'ils avaient eux-mêmes forgé mais qui maintenant leur échappait et qui était bel et bien terminé. Ils ont pu le raconter à leurs petits-enfants mais qui aujourd'hui se souvient de leurs récits à part les livres d'histoire... dont tout le monde se fout...

Et pourtant quelques pages avant ses derniers mots Marc Sastre nous parle du futur du rock. Ce n'est pas du tout ce qu'il dit. Il se contente d'en relater les derniers soubresauts, les derniers obsédés du rock qui montent des labels, forment des groupes, qui organisent des tournées qui ouvrent leurs bars pour les concerts, qui écrivent des livres et des blogues, bref tous ceux qui se démènent pour entretenir la flamme avant qu'elle ne s'éteigne... le dernier carré à Waterloo qui meurt et ne se rend pas.

Z'oui il y a des malchances que ça se termine ainsi, mais il y a une autre manière d'entrevoir le feu qui couve. La situation est-elle désespérée ? Oui mais pas plus et même moins qu'elle ne l'était lorsque les premiers bluesmen tendaient des cordes sur les planches de leur baraque pour produire la bourrasque des sons qui exprimeraient leur mal-être et leur révolte. Le monstre qu'ils ont produit leur a échappé, d'autres s'en sont gavés, l'ont retenu prisonnier à l'aide de chaînes d'or, et ont fini par l'abattre, mais ses bâtards et son esprit courent encore. La mauvaise herbe repousse toujours.

Un spectre hante le monde. Il se nomme rock'n'roll.

Un beau bouquin qui parle de la mort du rock pour l'aider à vivre et à revivre.

Damie Chad.

 

ANIMALS / 1964 ( I )

 

L'année 1964 sera faste pour les Animals, une rencontre déterminante, celle de Mickie Most, pour rester dans l'étroit périmètre de Kr'tnt relisez dans la kronic 495 ( du 28 / 01 / 2021 ) du Cat Zengler consacrée à Ron Wood tout le bien qu'il dit sur Truth et Beck Ola du Jeff Beck Group, apprenez-le par cœur pour plus tard le réciter à vos petits-enfants et concluez pour chaque album par la formule : produit par Mickie Most. Cela servira à leur élévation morale. Brjeff, suffit pas d'avoir des musiciens doués, si c'est un glandu qui s'agite derrière la console, il vous manquera le son, et sans son que ferait Delilah ! Pour ceux qui veulent tout savoir sur Mickie Most, le Cat Zengler vous a préparé exprès pour vous un topo au top à lire sur Kr'tnt ! 434 du 17 / 10 / 2018.

MARS 64

Baby let me you take home : ce n'est pas une vieille reprise de blues, je pense que Most a dû suggérer ce morceau écrit par Bert Russel Berns – lui aussi producteur qui forma Bang Record avec Jerry Wexler – et Wess Farrell qui travailla avec Russel. C'est quoi au juste : une chansonnette de rien du tout, fleur bleue et tout ce que l'on déteste, mais gravée dans le marbre. Rien à enlever et rien à ajouter. Les plans se succèdent à une vitesse diabolique, un clavier gentillet qui joue le rôle de l'orgue de barbarie dans les chansons sentimentales, Price a compris que point trop n'en faut, se faire voir et se faire désirer sont les deux mamelles du rock, ce qui signifie qu'il est urgent de se faire oublier de temps en temps, le morceau n'excédant pas les trois minutes notre organiste n'est pas tout à fait en cellule d'isolement, Burdon se charge de tous les rôles, du garçon qui presse, de la fille qui attend qu'il se taise enfin pour dire oui, et du mec romantique qui tire sa tirade ( parlée ) de ( fausse ) passion racinienne, et les trois autres que leur reste-t-il à faire, les jolis chœurs, moqueurs qui tiennent la chandelle pendant que le copain décharge. Une véritable comédie de mœurs juvéniles. Gonna send you to the Walker : un de ces vieux traditionnels arrangés et trafiqués par beaucoup de monde. Vous changez les titres et un peu les paroles et vous créditez de votre nom, ici elle est aussi signée des deux précédents. Ce qui est certain c'est qu'elle ne se retrouve pas tout à fait par hasard chez les Animals après que Dylan l'ait enregistré sur son premier disque. Influence Chuck Berry certaine dans le traitement du morceau. Même départ, mais deux fusées intergalactiques peuvent avoir été tirées du même pas de tir sans que les espaces qu'elles visiteront soient les mêmes. C'est sûr que vous avez deux petits soli de guitare de Valentine mais le premier s'amourache de l'orgue de Price et cela change la donne, Burdon vous dégobille le vocal à la torpille, si vous aimez les albums Où est Charlie ? je vous propose une nouvelle version Où est Chas ? pour ma part j'ai envie de répondre que je comprends pourquoi les Doors se sont passés de bassiste, doit quand même contribuer à la noirceur du son des Animals, je me demande si parfois sa piste n'est pas overdubée par l'orgue ce qui contribue à sa prééminence... Walker où le guy renvoie sa poupée qui ne s'habitue pas à la grande ville étant tout près de Newcastle l'on peut se demander si le morceau n'est pas une parodie des vieux south blues...

JUIN 64

The house of the rising sun : la première fois que je l'ai entendue c'était par Johnny Hallyday, paroles d'Huges Aufray, Alan Price à l'orgue, et les Animals quand et par qui l'ont-ils écouté la première fois... sur l'origine de la chanson jeu concours : cherchez la chronique dans Kr'tnt !, il est logique de penser que Burdon grand connaisseur de blues devait connaître certains des premiers enregistrements, toutefois il à remarquer que si Baby let me to take you at home est en piste 2 de la face B de l'Album Bob Dylan en tant que Baby let me follow down il est immédiatement suivi, en piste 3, sur ce même 33 T de The house of the rising sun, d'après moi c'est ce que l'on appelle un hasard significatif... C'est bien l'arrangement de Dylan et de Dave Van Ronk à qui le Bob l'avait '' emprunté'' que reprennent les Animals. Ce morceau hissa les Animals au pinacle du rock'n'roll, il fit leur gloire, il les expédia directly dans le heartbeat des fans de l'époque au même niveau que les Rolling Stones et les Beatles. Il fut aussi la première fêlure qui brisa l'unité du combo. J'étais jeune et pas trop bête, je me disais, l'est attribué à Price ce ne peut pas être Alan Price, l'est bien sympathique mais il n'a pas la carrure pour écrire cela ( le fameux flair du rocker ), j'ai cherché, me suis creusé la tête pour finir par l'attribuer à Lloyd Price, résultat j'ai cherché vainement durant des années The house of the rising sun par Lloyd Price sans jamais la trouver... mauvaise piste. Une erreur fatale que ne commit pas Alan Price, crédita le traditionnel à son nom. Il oublia bêtement de rajouter les quatre autres copains... qui ne le lui pardonnèrent jamais. Le ver était dans le fruit mais Price a dû penser que le fruit était autour du ver... on ne commente pas un tel morceau, c'est sur celui-ci que l'on entend Chas un max... la voix de Burdon est magnifique, quant à l'orgue de Price il puise dans les racines du gospel... D'ailleurs le premier morceau de la face B de Bob Dylan, s'intitule Gospel Plow ( voir la version de Chance McCoy And the Apallachian String Band )... Talkin' 'bout you : ne pas confondre avec le Talking about you de Chuck Berry, l'adaptation provient de Ray(on de soleil noir ) Charles quand on sait d'où procède Ray Charles l'on ne s'étonne pas que le morceau sonne méchamment gospel, sans surprise quand on a le début l'on sait comment cela se terminera sept minutes plus tard, l'orgue court comme l'aiguille des secondes au cadran de la montre pas du tout arrêtée, l'on pourrait s'ennuyer mais Burdon est si imaginatif qu'il vous entraîne dans un tourbillon sans fin, et les chœurs derrière miaulent comme des chats amoureux sur les toits les nuits de pleine lune.

SEPTEMBRE 64

I'm crying : enfin un original, Price et Burdon ont mouillé la chemise, résultat un must, Hilton hausse le ton de sa guitare et ça défile à la vitesse d'un troupeau de mustangs qui galopent pour échapper à un feu de prairie, un superbe morceau refermé sur lui-même comme une sphère parménidienne, Burdon s'impose comme l'un des plus grands vocalistes rock, mais le plus terrible ce sont ces chœurs masculins échappés d'une représentation de l'Agamemnon d'Eschyle qui ont la même force dramatique que les trois coups du destin dans la symphonie du destin brisé de Beethoven... Eddy Mitchell en a donné une version qui n'est pas à dédaigner, même les lyrics sont moins passe-partout que ceux de Burdon. Take it easy : encore écrit par le duo Price-Burdon, je n'appelle pas cela une création, plutôt une imitation de ce qui existait avant eux, une espèce de décalcomanie de leurs inspirations, vous avez le droit de penser que je cherche des poils sur les œufs pondus par les Animals surtout que c'est méchamment mis en boîte, le Mickie Most il devait être horloger suisse dans une autre vie. Nos deux compositeurs ne se sont pas oubliés, occupent toute la place, mais Mickie Most a su faire sonner l'heure à la batterie de Steel et vous a ménagé pour Hilton le quart de minute dont chaque soliste a besoin pour être célèbre. L'ensemble souffre de sa juxtaposition avec I'm cryin'

Nous les avons écoutés, regardons-les :

The house of the rising sun :

Décor de studio, des espèces d'éléments de croix blanches de pierres tombales appuyées sur une cloison que la lumière des projecteurs rend jaunâtre, la caméra se déplace de droite à gauche, voici Alan Price assis devant son orgue, mince comme une table à repasser, l'on se demande comment il peut tirer de cet étui à mitraillette un telle amplitude sonore, sous les manches des guitares l'on aperçoit au fond et au faux centre de l'image le haut de la batterie de John Steel légèrement positionné de guingois, impressionnante la carrure de Chas Chandler bouche le fond du décor, devant lui Hilton Valentine avec son air sage et sa Fender et devant Hilton Eric Burdon – pas vraiment beau, ne rallumons pas la Guerre de Cent Ans, disons une beauté anglaise – sont rangés tous les trois en escalier, portent tous un complet marron-gris qui ne laisse dépasser que le col jaune de leur chemise. Sont affublés d'une cravate noire. Le décorateur aurait-il compris que The house of the rising sun désignait la dernière demeure des cimetières ? C'était la vue d'ensemble. Attention une chorégraphie, les trois ostrogoths debout défilent devant nous, dévoilant pleine vue l'entier attirail de John Steet et Alan et son joujou. Voici à l'extrême droite la tête de Burdon, peau acnéique, qui d'un lugubre appel met en garde toutes les mothers du monde, il baisse la tête et ses beuglements vous filent le frisson filandreux, la caméra tourne et l'on se rend compte que les planches blanches symbolisent les barreaux d'une cage dans laquelle ils sont prisonniers, preuve que décorateur avait intuité juste, et que nos trois zigotos ne se livrent pas à une chorégraphie de centre aéré mais qu'ils tournent en rond dans leur cellule, Steel bat le beurre en mâchant un chewing gum de façon peu ragoûtante, Burdon vous ouvre la bouche avant que le dentiste ne lui arrache ses dents de sagesse, mains de Price avec la gourmette en argent au poignet droit, Hilton vous adresse son meilleur sourire hypocrite, l'est manifestement content que ça se termine ( on achève bien les Animals ), s'inclinent tous respectueusement.

I'm cryin'

Dans le temps traînait sur le net une espèce de réplique de la précédente. Nos Animals y interprétaient en playback I' m cryin, restaient sagement alignés comme des I jaunes ( Rimbaud affirma en un poème célèbre que le I était rouge mais les historiens ont prouvé qu'il n'avait jamais vu cette vidéo ). Etaient revêtus d'un magnifique costume bouton d'or éblouissant, pourquoi les Animals ne seraient-ils pas des canaris après tout, je ne l'ai pas retrouvée, hélas. Il existe tout un tas de versions plus ou moins live de ce morceau, question ethnologique privilégiez leur premier passage au

Sullivan Show, le 18 octobre 1964

Le décor est un peu chiche, un fond de baraque de loterie de fête foraine agrémentée d'un arc d'ampoules électriques colorées – rappelons que l'image est en noir et blanc, enfin en grisâtres inexpressifs – mais l'on entend la foule invisible qui crie et surtout l'on voit : John Steel surélevé sur son podium, Alan au niveau de la médaille d'argent sur sa gauche et devant plantés comme des piquets de tomates les trois autres. Le morceau n'est pas commencé que déjà ils ouvrent leurs râteliers aussi larges que des bouches d'égout et l'ouragan vocal vous surprend en pleine campagne, vous expédient le choral comme un tapis de bombes sur un village innocent, z'ont les yeux qui pétillent de joie, Steel est un peu inquiétant ne se préoccupe que de sa cymbale, un gosse autiste qui joue pendant des heures avec l'emballage du cadeau que sa grand-mère lui a offert, Chas est à la fête, il balance tout heureux sa stature de géant, l'est sûr que les filles ne peuvent pas ignorer sa présence virile, le plus rigolo c'est Eric, il a une façon d'allonger le cou comme une girafe chaque fois qu'il s'approche du micro, et puis sur la fin il roule les épaules avec ce regard en biais de boxeur qui va vous décrocher le knock out dans la seconde qui suit, tiens il se tient l'épigastre gauche d'une manière luxurieuse, l'Alan a l'air pour une fois plus préoccupé par sa participation à la chorale démoniaque que par sa machine à touches, n'y a que l'Hilton qui semble se souvenir qu'il est là pour jouer de la musique encore qu'il n'oublie pas d'ouvrir sa bouche aussi large que l'entonnoir d'un mégaphone. Normalement ils devraient être tristes puisque la chanson veut qu' ils pleurent, mais l'on devrait conseiller cette bobine à tous les dépressifs. Z'ont l'air tellement heureux que c'est plus que jouissif, réjouissif.

Damie Chad. A suivre.

 

XX

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

91

Sont tous à la poursuite de Molossa et de Molossito, Charline et Charlotte en leur maillot rose, l'adjudant qui les suit de près, soldat Pierre, soldat Marc qui comme tout soldat du rang qui se respecte sont prêts à suivre leur chef jusqu'à la mort, et une dizaine de fusiliers-marins qui gardaient le poste de garde de l'entrée qui ont suivi le mouvement par réflexe, commettant une première erreur, celle de laisser la grande porte d'entrée du palais ouverte, et une deuxième qui pourrait leur valoir le conseil de guerre, le portail de la cour d'honneur béant aux quatre vents, ceci est juste une expression parce que pas un souffle d'air ne trouble l'atmosphère du petit matin.

    • Droit dedans !

Je n'ai pas attendu l'ordre du Chef pour commencer la manœuvre, avec la sureté et l'élégance d'un pilote professionnel, je pose l'appareil et coupe les gaz.

    • Nous ne pouvions trouver circonstances plus favorables, déclare le Chef en retirant de sous son siège une mallette de fer-blanc, les filles et les chiens ont été formidables, j'avais escompté entrer en force, mais la voie est ouverte !

    • Attention hurle Vince, une grosse bagnole passe le portail, suivie d'une autre!

En six secondes c'est une dizaine de voitures qui entourent notre appareil, elles ne sont pas totalement arrêtées qu'en surgissent une quarantaine d'individus ( mâles et femelles )passablement excités qui se ruent sur nous en criant et en nous tendant un carton à bout de bras. Les logos sur les voitures, les caméras et les micros sont explicites, BFM TV, Europe 1, France Inter, Antenne 2, Match... des journalistes !

    • Mesdames, Messieurs – la voix onctueuse du Chef s'élève et comme par miracle le silence s'installe – service de Sécurité de L'Elysée, que puis-je pour vous, s'il vous plaît si un seul d'entre vous pouvait formuler votre requête, cela nous permettrait d'avancer plus vite !

    • C'est très simple, une jolie petite brunette a pris la parole, nous avons reçu une convocation de la Présidence de la République pour participer au point presse, qui suivra la réunion secrète sur la pandémie Coronado-virus que tient actuellement le Haut Conseil de Surveillance en présence du Président de la République. Il est vrai que nous sommes un peu en avance, mais le portail était ouvert et nous avons cru...

    • Vous avez eu raison. Je vous demande de patienter une petite vingtaine de minutes en compagnie de l'agent de sécurité Vince, je me précipite aux nouvelles avec l'agent Chad, à tout à l'heure.

Un soupir de satisfaction s'élève de la foule...

92

Molossa et Molossito galopent dans les couloirs, ils ont bien une minute d'avance sur leurs poursuivants, tous deux se cachent sous les tentures de doubles-rideaux qui encadrent une vaste fenêtre face à une large porte capitonnée. Charlotte, Charline, l'adjudant, soldat Pierre, soldat Marc et la douzaine de fusiliers-marins passent devant eux en trombe sans les voir.

    • Crois-en mon flair, Molossito, c'est là-dedans que ça se passe !

    • Oui Molossa, ce serait bien que l'agent Chad soit là, il trouverait le moyen d'entrer lui, il est si intelligent !

    • Tiens le voilà, avec le Chef en plus !

93

Ambiance studieuse. Le Président de la République parle. Tout le monde l'écoute, certains prennent des notes.

    • La situation est grave, des milliers de morts chaque jour, nous avons réussi à détourner la colère de la population en accusant à tort le Service Secret du Rock'n'roll d'avoir répandu le virus en distribuant gratuitement des Coronado sous la Tour Eiffel, le temps que nous arrêtions les deux responsables de cette organisation terroriste et nous...

    • Troudemerdededieu, ouvrez vite, nous les tenons !

La porte vient de s'ouvrir brutalement, l'Adjudant entre suivi du soldat Pierre qui tient fermement par le bras Charlotte qui porte Molossa, puis du soldat Marc qui tient fermement par le bras Charline qui porte Molossito, suivi du Chef solidement encadré par une dizaine de fusiliers-marins et qui porte précautionneusement sa mallette de fer blanc contre sa poitrine...

    • Clitotrouédelasaintevierge, mon Président, nous avons le Chef, les chiens et deux jeunes innocentes qui se font faites avoir par les paroles doucereuses de ces aigrefins, pour l'agent Chad, d'après moi, il ne doit pas être très loin !

    • Adjudant, vous méritez de la France, et vous le dénommé Chef, l'ignoble empoisonneur du pays, quelles piteuses excuses allez-vous imaginer pour votre défense !

94

Lorsque j'apparais sur le perron je m'attends à entendre des exclamations de soulagement et d'impatience, mais non tous les journalistes sont assis sur les marches et semblent porter une très grande attention aux paroles de Vince.

    • Excusez-moi, mesdames, messieurs le Président vous recevra dans une vingtaine de minutes !

    • Chut ! Taisez-vous ! Laissez-nous donc tranquilles ! Dites au Président que ce n'est pas pressé, qu'il prenne tout son temps ! Il y a tout de même des choses plus graves que les milliers de morts du Coronado-Virus sur cette terre ! Ecoutez plutôt ce que nous raconte l'agent Vince, c'est prodigieux, insensé, incroyable !

    • Oui Messieurs-dames, je vous ai pour le moment évoqué la vie de mon ami Eddie Crescendo, j'en viens maintenant à raconter les derniers jours de sa mystérieuse disparition...

Je m'éclipse discrètement...

95

Je suis revenu une demi-heure plus tard. L'assistance est atterrée. La petite brunette est en pleurs. Certains appellent nerveusement leur rédacteur en chef sur leur portable. Il y en a même deux qui retiennent une chambre d'hôtel à Nice...

    • Le Président de la République vous fait savoir qu'il a l'honneur de vous recevoir, je vous demanderais le plus grand calme et la plus grande dignité. Nous avons à traverser de longs couloirs, je compte sur vous pour ne pas crier et courir pour arriver les premiers.

Vince et moi marchons en tête. Tout le monde se déplace avec gravité et componction. L'adjudant nous attend devant la porte

    • Enculédetaracededieu, le Président a dit que les caméras et les appareils photos sont autorisés, en rang par deux, un dernier coup de peigne pour les dames, messieurs rajustez vos nœuds de cravates, et que personne ne moufte sans autorisation, facederatsdedieu !

Et d'un geste auguste il poussa les deux vantaux matelassés...

A suivre...