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25/09/2019

KR'TNT ! 431 : CARL BRADYCHOCK / LARRY WALLIS / TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK / JIMM / FISHING WITH GUNS / KERYDA / COMPAGNIE R2 / ROCK'N'ROLL STORIES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 431

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

26 / 09 / 2019

 

CARL BRADYCHOCK / LARRY WALLIS

TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK

JIMM / FISHING WITH GUNS

KERYDA / COMPAGNIE R2

ROCK'N'ROLL STORIES

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Le choc de Bradychok

 

Coincé entre rien et rien, en plein cagnard béthunien, offert sur la grande scène en pâture au petit peuple venu musarder en masse, le pauvre Carl avait bien du mérite à jouer. D’autant plus de mérite qu’on ne parvenait pas à mémoriser son nom : hein ? Brady qui ? Bradychuck ? Un Américain de Detroit accompagné par des Français, les qui ? Les Monkey Makers ? Ce Brady qui ne devait rien au cinéma de Mocky allait devoir l’emporter à la force du poignet et c’est exactement ce qu’il fit. Ce petit bonhomme sorti de nulle part semblait ravi de jouer sur cette scène offerte aux quatre vents. Il imposa très vite un son et pas n’importe quel son : le Detroit Sound qui même dans le rockab peut faire la différence. Carl Bradychok joue très électrique, c’est un furioso de la six cordes, il tartine ses interventions avec une âpreté au grain qui n’appartient qu’aux guitaristes de Motor City. Par grain, il faut bien sûr entendre le bon grain, celui qu’on sépare de l’ivraie, le grain qui donne le frisson. Ce fut un plaisir jamais feint que de le voir prendre des killer solos flash et doubler son chant au gimmicking sonnant et trébuchant. Il s’illustra particulièrement par une magistrale reprise du «Please Give Me Something» de Lee Allen, l’un des chevaux de bataille de Tav Falco, et certainement l’un des classiques rockab les plus mythiques. Carl Bradychok en fit la plus menaçante, la plus inspirée, la plus heavy des versions, la chargeant comme une mule de Detroit Sound, au point que ça en devenait complètement inespéré de véracité rampante, et plutôt que ce conclure bêtement, il ajouta en queue de cut une petite progression de power chords hendrixiens, un peu dans l’esprit de ce que fit El Vez à une époque, quand il finissait «That’s Alright Mama» sur des accords du «Walk On The Wild Side» de Lou Reed. Fantastique présence d’esprit. Le set prit alors une sorte de tournure purement révélatoire. D’où sortait ce démon de Chok ? Il évoqua un peu plus tard la mémoire de Jack Scott, histoire de rappeler que le vieux Jack venait lui aussi de Detroit. Pour le saluer, il reprit son premier single, «Two Timin’ Woman». Mais il fit vraiment sensation avec des cuts plus construits et beaucoup plus mélodiques, comme cette reprise du «Just Tell Her Jim Said Hello» d’Elvis, car il y shootait un gusto qui rappelait celui de Frank Black. Ce mec imposait un style très puissant, du haut d’une vraie voix, il affirmait une forte personnalité musicale et un goût immodéré pour les grosses compos. Il termina avec une reprise stupéfiante de «Love Me». Depuis celle des Cramps, on n’avait pas entendu de version aussi déterminée, aussi flamboyante, aussi démâtée que celle-ci. Carl Bradychok fut la découverte du Rétro 2019.

Ses disques ne courent pas les rues. Pour se les procurer, il faut aller cliquer sur carlbradychok.net. Quand on commence à les écouter, on se félicite d’avoir cliqué car les disques sont excellents. Vraiment excellents, bien au delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. En plus d’Elvis et de Jack Scott, Carl chouchoute une autre idole du siècle dernier : Carl Perkins. Son dernier album est un tribute à Carl Perkins et s’appelle Carl Plays Carl. Tous les fans de Carl Perkins devraient écouter ce tribute, car Carl ramène du son dans Carl, pas n’importe quel son, le Detroit Sound. Il faut le voir remonter les bretelles de «Movie Magg» et passer un solo complètement de traviole avec ce son clairvoyant qu’on va retrouver partout. Carl chante Carl d’un accent sec et tranchant. Idéal pour un cat comme Carl. Avec «Matchbox», Carl décrète l’enfer sur la terre. Il le prend à la bonne mesure, sauvage et sourde. Version bien meilleure que celle de Jerry Lee qui joue Matchbox trop boogie. Autre belle bombe : «Say When». Carl va vite et bien, il embarque ça au jeu liquide et scintillant. Il joue vraiment comme un dieu et n’est pas avare de virulence. Voilà un «Say When» éclaté au shuffle de guitare folle. Comme le fait Jake Calypso, Carl ramène tellement de panache qu’il aurait parfois tendance à effacer les versions originales. L’autre belle bombe est le «One More Shot» qu’on trouve vers la fin. C’est même assez violent. Souvenez-vous de ce que disait Wayne Kramer du Detroit Sound : «What you get is very honest.» On entend un slap de rêve en sourdine totale et un guitariste déterminé à vaincre. Que pourrait-on demander de plus ? Carl ne fait qu’une bouchée de «Put Your Cat Clothes On», avec son pote Roof qui part au quart de tour d’upright. Ah il faut voir Carl enluminer le cut d’un killer solo flash éclair ! Ça vaut vraiment le détour. Il tape aussi une version très country de «When The Rio De Rosa Flows», mais l’écouter jouer est un pur régal, il ramène un son tellement juteux, high on tone, un son de demi-caisse Gibson de jazz agressif et fluide. Fabuleuse version aussi que celle de «Because You’re Mine». Carl y claque tout ce qu’il peut et chante au piqué de because. On voit encore le fan à l’œuvre dans «Honey Cause I Love You» et il joue «Big Bad Blues» comme s’il encerclait la caravane. Quand il lance l’assaut, il part en vrille. Très spectaculaire.

Son premier album s’appelle Children At Play et date de 2004. Quand on retourne le boîtier, on voit Carl ado poupin avec sa belle Gibson rouge. Il profite de cet album pour saluer l’autre grande légende du rockab local : Johnny Powers. Eh oui, tous les fans de rockab connaissent «Long Blond Hair». Carl en propose une version incroyablement inspirée, avec le tiguili d’intro et la fournaise immédiate - I love you once/ I love you twice - Il le boppe dans l’œuf. Terrific ! Il tape en plein dans le mille et passe l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Souvenons-nous que Johnny Powers réussit à se faire connaître à Detroit avec un seul hit et qu’il alla ensuite enregistrer un autre single chez Sun. Il est toujours en circulation. Autre clin d’œil de poids : «That’s All Right». Carl n’a pas froid aux yeux, il le softe bien, il le touille à la pa-patte, comme le chat avec la souris. Vas-y Carl, on est avec toi ! - Anyway you doooooo - Carl claque les trucs de Scotty, il soigne son hommage. Carl n’est pas un beauf, il fait ça bien, anyway you doooo. Il rend aussi hommage à la clameur avec une fameuse cover de «Lawdy Miss Clawdy». Tout est dans la clameur, Carl en saisit la grandeur, because I give all of my money. Son solo à la ramasse est un beau spécimen de génie humain. Il joue juste ce qu’il faut. Ses interventions devraient théoriquement entrer dans la légende. Il sait claquer une note à la revoyure. Bradychok, quel choc ! So bye bye baby, bye bye darling. Autre clin d’œil révélateur : celui qu’il adresse à Link Wray avec une fantastique reprise de «Rawhide». Bill Alton claque des mains. Carl n’a que onze ans. Vas-y Carl, claque-nous le beignet de Link. Ah il y va le Carl, c’est un polisson. On le voit s’énerver avec «House is Rocking» qu’il chante au petit nasal. Carl est déjà un viscéral, il ne lâche pas prise. Son départ en solo pue l’enthousiasme. Oh, il sait de quoi il parle, ain’t got nothing to lose ! Big stuff. On a là du vrai raw. Et tout explose avec «Shim Sham Shimmy», Carl nous plonge au cœur du rockab de Detroit, c’est claqué au slap avec un solo à l’arrache-dent. Il part tout seul, comme un desperado précoce. Il rend aussi hommage à Creedence avec «Bad Moon Risin’» et diabolise le «Viberate» de Conway Twitty. En 2004, Carl sortait donc frais émoulu du moulin.

Quand on va sur son site, on voit qu’il en pince pour Elvis. Deux tribute albums ! Le premier étant sold out, on peut se consoler en écoutant le volume 2, Let Yourself Go, paru en 2017. C’est là qu’on trouve sa puissante version de «Just Tell Her Jim Said Hello». Il l’explose littéralement et en fait un véritable chef-d’œuvre interprétatif. Oui, c’est tellement bon qu’on pourrait en tomber de sa chaise. Strong melody. C’est avec cette version qu’il emporta la partie au Rétro. Mais le reste de l’album vaut aussi le détour, à commencer par le morceau titre, embarqué au heavy groove. Il est au faîte de son système, il explose son Let Youself Go dans l’œuf. On enrage à l’idée de penser que cet album va rester inconnu du grand public. Il embarque son «Shake Rattle And Roll» à 300 à l’heure. Carl et ses amis jouent comme des diables, au powerus maximalus. Carl sait très bien fabriquer un grand disque. Toutes ses reprises fument. Tiens, rien qu’avec le «Trouble» d’ouverture de bal, la partie est gagnée. Carl explose le groove anaconda d’Elvis. Mais il va encore beaucoup plus loin dans le serpentinage d’écailles moussues. Il le chante à la pure écroulade de falaise, where I’m evil. Le son est bon, bien au-delà de ce que pourraient en dire les commentés du cyberboulot, Carl joue son va-tout au Detroit Sound, avec du power plein les mains. Encore du power à gogo dans «I’m Coming Home». Il joue au gras de jambon et chante comme un dieu rococo. Tout le rock du Middle West est là. The voice ! Ah il peut taper dans Elvis, il en a les moyens. Il suffit d’écouter «Fame & Fortune» pour comprendre qu’il colle au train d’Elvis avec sa glue. Admirable album ! Et la valse des niaques détroitiques continue avec «Money Honey» et il sort son meilleur shake pour «I Need Your Love Tonight». Il le fait pour de vrai. Sa justesse de ton en dit long sur sa passion pour Elvis. Si on sait apprécier le feeling, alors Carl est un must.

Et puis voilà un autre album paru en 2015, sans titre ni label. Carl Bradychok tout court. Rien que le son. Juste un disque destiné aux amateurs. Il pose debout avec sa guitare, tout vêtu de noir et cravaté de blanc. Il repend le vieux «Do Me No Wrong» de Pat Cupp et des trucs beaucoup plus calmes comme «Your Cheatin’ Heart». Il sait se donner les moyens d’une certaine ampleur vocale, comme le fait Jerry Lee, sur ce type de vieux coucou d’Hank Williams. Mais Carl ne s’arrête pas en si bon chemin : on le voit aussi taper brillamment dans Waylon Jennings avec «You Ask Me To». Back to Detroit avec Jack Scott et une cover de poids : «The Way I Walk». Classique parmi les classiques, saint des saints. Carl opte pour le swing. Pas de raunch comme dans la version des Cramps. Carl veille à respecter l’esprit original, avec du solo à gogo. C’est là qu’on trouve sa version de «Please Give Me Something». Il sait bien faire monter la sauce dans l’écho et restituer la zizanie solotique de la version originale. Mais pas de fin en progression d’accords. Dommage. Son coup de Jarnac au Rétro flattait bien les bas instincts. On adore quand ça flatte les bas instincts. La surprise vient de «End Of The World», un hit pas très connu de Skeeter Davis, fabuleusement bien emmené et chanté par dessus les toits.

Signé : Cazengler, (a)brutichok

Carl Bradychok. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

Carl Bradychok. Children At Play. King Drifter Productions 2004

Carl Bradychok. ST. Not On Label 2015

Carl Bradychok. Let Yourself Go. Tribute To Elvis Volume 2. Not On Label 2017

Carl Bradychok. Carl Plays Carl. Not On Label 2018

 

Wallis the question ?

 

Voici deux ans, on rééditait Death In The Guitarafternoon, l’unique album solo de Larry Wallis. À cette occasion, Vive le Rock consacrait (enfin) une double page à notre héros. L’interview commençait mal. Le mec lui demandait ce qu’il avait fabriqué dans les derniers temps, et Larry lui répondait : Not up to much at all mate. Pas grand chose, mon pote. Il expliquait à la suite qu’il avait perdu l’usage de sa main gauche, puis de sa main droite. Il se trouvait sur une liste d’attente pour se faire opérer. À la question : ‘Pourquoi les Pink Fairies ne sont jamais devenus énormes ?’, Larry répondait : a couple of crap managers, agents that stunk out loud, and a crap record company. Voilà, pour Larry, le crap suffit à ruiner la carrière d’un groupe. En France, on appelait ça des imprésarios véreux.

Oui, cette légende à deux pattes qu’est Larry Wallis joua avec les meilleurs rockers de son temps, Wayne Kramer, Lemmy, Steve Peregrin Took et Mick Farren. Lemmy ? - Not a fantastic bass player but the best Lemmy ever. A complete one-off ! - Il sait aussi reconnaître le talent d’écrivain de Mick Farren - but for many years a crap singer - jusqu’à ce que Larry s’occupe de lui et en fasse un vrai singer sur l’album Vampires Stole My Lunch Money (clin d’œil aux arnaqueurs des maisons de disques). Happé par des tas d’autres occupations, Mick Farren avait disparu de la scène musicale pendant des lustres. À la fin des seventies, il revint avec cet album bourré de chansons à boire, du style «Drunk In The Morning» et l’impavide «I Want A Drink», grosse bouillasse boogie posée sur une bassline frénétique à la «What’d I Say». Aucune originalité, mais quelle classe dans la désaille ! Son coup de génie consistait à reprendre un morceau de Zappa, «Trouble Coming Every Day» pour le transformer en bombe garage, l’une des plus atomiques du siècle, tous mots bien pesés. Mick Farren s’y arrachait la glotte, avec une belle soif d’anarchie ! Il renouait avec son vieil instinct de rebelle. Kick out the jams motherfuckers et Zo d’Axa, même combat ! Mick Farren brandissait le flambeau et il allait le brandir jusqu’à la fin. Cet album est superbe pour une simple et bonne raison : Larry Wallis le produit. «Bela Lugosi» valait aussi le détour. Bien plus intéressant que Bauhaus ! Mick Farren se prêtait merveilleusement au jeu. On avait là un Farren magnifique de prestance boogaloo. Des folles envoyaient des chœurs de vierges effarouchées et Farren psalmodiait comme un ogre amphétaminé. «Son Of A Millionaire» sonnait comme un classique des New York Dolls - Oui, oui, tout ça sur le même album, tu ne rêves pas - Mick Farren harponnait ce boogie dollsy d’une voix bien rauque. Avec «People Call You Crazy», il envoyait sa voix basculer par dessus bord et se rapprochait de Screamin’ Jay Hawkins et des grands prêtres voodoo. Vampires va tout seul sur l’île déserte.

Et pourtant, ce n’était pas gagné. Il suffit d’écouter l’On Parole de Motörhead paru en 1979 pour voir que Lemmy a frôlé la catastrophe en s’acoquinant avec Larry Wallis qui était pourtant le leader des Pink Fairies. Ils font une bonne version de «Motörhead», infestée d’intrusions vénéneuses et Larry tente de couler un bronze de légende, comme il a su le faire en reprenant les Pink Fairies sous son aile. Mais les autres cuts de l’album sont un peu mous du genou. Même la version de «City Kids» qu’on trouve sur Kings Of Oblivion manque de panache. On comprend que Lemmy ait opté pour une autre formule. Il voulait quelque chose de plus hargneux. La version de «Leaving Here» qui se trouve sur cet album semble complètement retenue. On ne sent aucun abandon. Et Lemmy chante «Lost Johnny» à l’appliquée, accompagné par Larry à l’acou. N’importe quoi !

Le grand décollage de Larry Wallis se fit quelques années plus tôt, en 1973, au moment où Paul Rudolph quittait les Pink Fairies. Tout le monde connaît l’anecdote : fraîchement embauché par Duncan Sanderson et Russell Hunter, Larry demande :

— Alors les gars, on enregistre quoi ?

Les deux autres lui répondent qu’ils n’ont pas de chansons. Et ils ajoutent :

— T’as qu’à en composer !

Larry panique :

— Mais je n’ai jamais composé de chansons !

— Do it !

Alors il do it et ça donne un album quasi-mythique : Kings Of Oblivion. Le titre est tiré de «The Bewlay Brothers» qu’on trouve sur Hunky Dory. Selon Luke Haines, tous les cuts de Larry Wallis sont punk as fuck - The Lazza-Russ ‘n’ Sandy Fairies line-up was a power trio supreme - Oui, c’est exactement ça, un power-trio suprême, c’est ce qu’on vit au Marquee à l’époque. Quand on avait vu les Fairies sur scène, il n’était plus possible de prendre les groupes français au sérieux. Les Fairies incarnaient l’essence même du rock, the real ragged power et dans le cas particulier des Fairies, the no sell out, qu’on pourrait traduire en français par une intégrité qui a les moyens de son intégrité. «City Kids» sonne comme un classique entre les classiques, monté sur l’extraordinaire beat russellien, heavy à souhait, bardé de relances, il fonctionne exactement comme une loco, il fonce à travers la nuit. À la limite, c’est lui Russell Hunter qui fait le show. Il double-gutte d’undergut. Alors Larry Wallis peut partir en maraude. Ah qui dira la grandeur décadente d’un Russell Hunter qu’on voit - sur le triptyque glissé dans la pochette - sous perfusion de bénédictine, avec un visage peint en vert. Cette photo en fit alors fantasmer plus d’un. Encore un hit avec «I Wish I Was A Girl». Cette fois, Sandy fait le show sur son manche de basse, il voyage en mélodie dans la trame d’un cut bâti pour durer. Ils partent à trois comme s’ils partaient à l’aventure et le Wallis part en Futana de solo gargouille. En B, les cuts auraient tendance à retomber comme des soufflés et il faut attendre «Chambermaid» pour renouer avec le cosmic boogie, et «Street Urchin’» pour renouer avec le classicisme, au sens où entend ce mot dans les musées. On y retrouve l’esprit de «City Kids», le beat avantageux et l’éclat puissant du glam. Fantastique ! Ils sonnent comme d’admirables glamsters de baraque foraine. L’album nous mit à l’époque dans un état de transe proche de la religiosité mystique.

Au cœur du mouvement punk londonien, Larry Wallis fit des étincelles chez Stiff avec deux singles, «Police Car» et surtout «Screwed Up» avec Mick Farren. Larry y screwe le beat à sa façon et le précipite dans le gouffre béant du néant psychédélique. Autre petite merveille fatidique : «Spoiling For A Fight», véritable furiosa del sol, c’est la b-side du single «Between The Lines». On a là du pur jus de combativité boogie. Wow, les Faires cherchent la cogne - Fight ! - Et Larry part en killer solo flash !

Avec le Live At The Roundhouse 1975 paru en 1982, on tient certainement l’un des meilleurs albums live de tous les temps. Double batterie, Twink et Russell Hunter, Sandy sur Rickenbacker et deux killer flash-masters devant, Paul Rudolph et Larry Wallis. En fait, c’est la dernière fois que Paul Rudolph joue dans les Fairies. Et comme Larry Wallis commençait à jouer avec Motörhead, ça sentait la fin des haricots - If the Fairies were going to bow out, they were planning to do it in style (les Fairies comptaient bien finir en beauté) - Ils roulèrent des centaines de spliffs pour les jeter à la foule. Larry rappelle aussi dans une interview que Sandy, Russell et lui se sont goinfrés de pefedrine avant de monter sur scène - It makes you go mad. So Sandy, Russell and I took as much of that as we could get our hands on (la pefedrine peut rendre cinglé aussi en ont-ils avalé autant qu’ils ont pu) - Quant à Paul Rudolph, il était arrivé à la Roundhouse en vélo avec une thermos de thé. Ce live saute à la gueule dès «City Kids» que Larry avait composé pour Kings Of Oblivion. Hello alright ? Si on aime le rock anglais, c’est là que ça se passe. Tu prends tout le proto-punk en pleine poire. Tu as là tout l’underground délinquant de Londres. Larry chante et Sandy fait du scooter sur son manche de basse. Ils enchaînent avec une version de «Waiting For The Man» de la pire espèce, claquée par les deux meilleurs trash-punksters d’Angleterre, Larry et Paul. Ils rendent un hommage dément au Velvet. Les Fairies développent une énergie qui leur est propre. Ils sont de toute évidence complètement défoncés. Voilà la preuve par neuf qu’il faut jouer défoncé, c’est la clé du rock. S’ils étaient à jeun, ils ne développeraient pas une telle puissance. Ils jouent leur Velvet à outrance, ces mecs jouent à la vie à la mort, c’est saturé de son, au-delà du descriptible. Ils bouclent avec une reprise du «Going Down» de Don Nix, et en font une version heavy qui dépasse toute la démesure du monde. Ça prend des proportions terribles.

Comme Larry Wallis partageait son temps entre la reformation des Fairies et Motörhead, il se gavait d’amphètes : «I think the longest I ever stayed awake in my life was eleven days at Rockfield, and when you think about it now... God !» Onze jours sans dormir à Rockfield ! Et comme il ne mangeait pas, il avait un sacré look - I looked fantastic, my mother nearly had a nervous breakdown when she got to see me - En le voyant si joliment émacié, sa mère faillit bien tomber dans les pommes. N’oublions pas que Larry est l’un des mecs les plus drôles d’Angleterre. Give The Anarchist A Cigarette grouille d’anecdotes hilarantes. L’écrivain Farren y célèbre le génie trash de Larry Wallis : «Larry avait des pythons, des cobras et même un rattlesnake dans des gros aquariums, tout ça dans un appart minuscule. Il élevait des rats pour nourrir ses serpents. C’était un fucking nightmare. Quand il était rôti, il jouait avec ses serpents et on était sûrs qu’il allait se faire mordre et y laisser sa peau.»

Big Beat fit paraître en 1984 l’excellent Previously Unreleased, une série de cuts inédits enregistrés par Larry, Sandy et George Butler. On retrouve la niaque épouvantable des Fairies dès «As Long As The Price Is Right». Pas de pire powerhouse que celle-ci. Larry vrille comme un beau diable. Ils restent dans le drive des enfers avec «Waiting For The Lightning To Strike». Ils jouent comme des démons cornus et poilus. Il n’est humainement pas possible de faire l’impasse sur cet album. On entend clairement les puissances des ténèbres sur ce «No Second Chance» battu si fort que les coups rebondissent. Il faut bien dire que c’est extraordinairement bien mixé. Quand on écoute «Talk Of The Devil», on sait les Fairies capables de miracles.

Si on veut entendre Larry Wallis et Wayne Kramer jouer ensemble, alors il faut écouter cet album des Deviants, Human Garbage. Ils y accompagnent Mick Farren qui à cette époque porte le cheveu court. Sur «Outrageous Contagious», Wayne Kramer passe un solo perceur de coffre. Mick Farren n’a pas de voix, on le sait, mais c’est l’esprit qui compte, n’est-il pas vrai ? On retrouve l’énorme bassmatic de Duncan Sanderson dans «Broken Statue». En fait, c’est lui qui fait le show, hyper actif dans l’effarance de la lancinance. On tombe plus loin sur une excellente version de «Screwed Up», le hit de Mick Farren, certainement le plus punk des singles punk d’alors, visité en profondeur par un solo admirable. Ils attaquent la B avec «Taking LSD», un vieux clin d’œil de Larry aux alchimistes du moyen âge, et ils enchaînent avec le grand hit wallissien, «Police Car» sorti aussi en pleine vague punk, avec un son qui reste brûlant d’actualité. C’est joué à l’admirabilité des choses, dans tout l’éclat d’un rock anglais datant d’une autre époque, avec tout le punch des guitares et tout le brouté de basse qu’on peut imaginer. On a là une version un peu étendue, puisque Larry la joue cosmique, avec son sens inné du lointain. Ils terminent avec l’inexplicable «Trouble Coming Every Day» de Zappa. Pourquoi inexplicable ? Parce que garage, alors que les Mothers n’avaient rien d’un groupe garage. N’oublions pas que Mick Farren admirait Frank Zappa, ce qui nous valut quelques mauvaises surprises sur les trois premiers albums des Deviants.

On a longtemps pris Kill ‘Em and Eat ‘Em paru en 1987 pour un mauvais album, et chaque fois qu’on le réécoute, ça reste un mauvais album. On y retrouve pourtant la fine fleur de la fine équipe : Larry, Andy Colquhoun, Sandy, Russell et Twink. Sur la pochette, Larry fait le con avec un masque de singe barbu et sa strato rouge. Dans les notes de pochette, Mick Farren raconte qu’un matin de gueule de bois, il est réveillé par un coup de fil qui lui annonce la reformation des Fairies. Oui c’est ça, et Attila revient avec les Huns, hein ? - Yeah and Attila is getting his Huns back together, répond-il - You gotta be kidding - Tu plaisantes, j’espère - And then I remembered, in rock’n’roll, anything is possible - Oui, Mick avait bien raison de dire que tout est possible dans le monde du rock. Et pouf, ils démarrent avec «Broken Statue», un vieux boogie composé par Mick. Larry le joue à la folie et c’est battu comme plâtre par la doublette mythique de Ladbroke Grove. Toute la niaque des Fairies re-surgit de l’eau du lac comme l’épée d’Excalibur. Mais sur cet album, les cuts restent bien ancrés dans le boogie. Larry fait pas mal de ravages, mais il manque l’étincelle qui met le feu aux poudres. «Undercover Of Confusion» sonne comme de la viande de reformation. «Taking LSD» sonne comme un vieux boogie des Status Quo, ou pire encore, de Dire Straits. Pas plus putassier que ce boogie-là. Ils font même un «White Girls On Amphetamines» insupportable de médiocrité et de non-présence. On croirait entendre les mauvais groupes français. Larry tente de sauver l’album avec «Seing Double». Il ressort des grosses ficelles, mais au fond, on ne lui demande pas de réinventer la poudre. Il faut rendre à Cesar Wallis ce qui appartient à Cesar Wallis. «Seing Double» est à peu près le seul cut sérieux de cet album.

La compile des Deviants intitulée Fragments Of Broken Probes sortie sur le label japonais Captain Trip propose des cuts qu’on ne trouve pas ailleurs. Mick Farren chante «Outrageaous Contagious» à la manière de Beefheart, en ruminant ses syllabes. Il fait son cro-magnon. Larry Wallis et Paul Rudolph participent à cette sauterie. Mick Farren adore forcer cette voix qu’il n’a pas. Il tape aussi dans Phil Spector avec une reprise de «To Know Him Is To Love Him» : épouvantable. Mick Farren hurle comme le capitaine d’une frégate brisée par la tempête. Version superbe de «Broken Statue». Derrière Mick Farren, ça joue. On retrouve cette ambiance d’émeute urbaine, avec les clameurs et les gros accords. Ce qui la force des albums de Mick Farren, c’est la vision du son. S’il est bien un mec sur cette terre qui sait ce que veut dire le mot power, c’est lui. On trouve à la suite une version live de «Half Price Drinks» extrêmement plombée. Ça s’écoute avec un plaisir renouvelé à chaque verre.

Autre album des Deviants indispensable : The Deviants Have Left The Planet. En plus d’Andy Colquhoun, on y retrouve les deux vieux compères, Larry Wallis et Paul Rudolph. Ils démarrent avec un «Aztec Calendar» brûlé à l’énergie des réacteurs. Son terrible, Andy joue dans l’interstellaire, il se répand dans la modernité farrenienne comme un vent brûlant. Mais c’est la version de l’«It’s Alright Ma» de Bob Dylan qui nous envoie tous au tapis. Heavy Andy l’attaque de front. C’est électrifié à outrance. Andy arrose tous les alentours. Ils profitent de Dylan pour sortir la pire mad psyché d’Angleterre. La dévotion d’Andy pour Mick Farren n’a d’égale que celle de Phil Campbell pour Lemmy. Andy revient toujours avec la niaque d’une bête de Gévaudan. Saura-t-on dire un jour la grandeur de cette énergie, et la grandeur d’un Farren d’Angleterre ? «God’s Worst Nightmare» est un cut co-écrit avec Wayne Kramer. Mick fait son guttural et Adrian Shaw, l’expat d’Hawkwind, fournit un solide bassmatic à l’Anglaise. Retour au groove des enfers avec «People Don’t Like Reality». Andy adore jouer comme un démon des enfers - Turn & look at me - On se noie dans l’essence de la décadence. Puis ils retapent dans le vieux classique des Deviants, «Let’s Loot The Supermarket», en compagnie de Paul Rudolph et de Larry Wallis. Andy joue de la basse. Retour à la légende : ils font du punk de proto-punk et brûlent d’une énergie d’exaction fondamentale. L’autre merveille de ce disque est bien sûr «Twilight Of The Gods», avec son extraordinaire ouverture de fireworks. Ça sonne comme du Monster Magnet, avec un sens de l’extrapolation du néant cher à Mick Farren. Il bâtit une dérive mirifique au fil d’une poésie crépusculaire chargée d’orient et de pourpre. Il rime les mass contraction et la satisfaction. On sent le poids d’un génie qui ne s’invente pas. C’est somptueux, digne des funérailles d’un pharaon au soleil couchant, c’est le disque d’or de toutes les mythologies antiques et brille au cœur de cet univers sacré le firmament d’une guitare, celle d’Andy Colquhoun.

Autre passage obligé : Shagrat que Larry monte avec Steve Peregrin Took en 1975. Mais ils préféraient se défoncer tous les deux dans le studio plutôt que de travailler. Pour la sortie de Lone Star en 2001, Larry écrivit une fantastique hommage à son pote Took : «Steve a eu et a toujours une prodigieuse influence sur ma vie, depuis ma consommation massive de LSD jusqu’à la façon dont je compose. Une influence magique. Dave Bidwell qu’on appelait Biddy, était aussi un original. Lui et Steve étaient semblables, et même beaucoup trop semblables. Ces deux-là aimaient bien pousser à l’extrême leurs expériences avec les drogues, ce qui, comme chacun le sait, finit en général assez mal. Si je parle des drogues, c’est parce qu’à l’époque on ne vivait que pour explorer des planètes inconnues, et les vaisseaux spatiaux qui permettaient d’y accéder, c’était justement les drogues. Took était le capitaine de notre vaisseau. Dans les années précédentes, Took avait été salement désavoué. Il avait pourtant joué un rôle aussi important que celui de Bolan dans Tyrannosurus Rex, un groupe qui sortait de nulle part, et il semble que ce soit Mickey Finn qui en ait tiré les marrons du feu. J’imagine qu’il n’est pas responsable de cette erreur d’appréciation. Alors, il ne vous reste plus qu’à savourer les virées cosmiques de Took, comme il les appelait. J’ajoute que ces chansons dissipent un malentendu voulant apparenter Took et Bolan au monde des lutins de la forêt. C’est entièrement faux. Tout ce qui intéressait Steve était ce qu’il appelait lui-même le kerflicker-kerflash, une sorte de rock’n’roll super-trippant et cosmique, du neon sex fun.» Comme dans le cas d’Hendrix, on se demande ce que Took aurait pu produire s’il avait vécu. Son sex fun serait-il devenu complètement incontrôlable ? C’est bien du cosmic neon sex fun qu’on entend dans «Boo! I Said Freeze», véritable carnage de druggy dub de freeze joué à l’énergie ralentie. Larry balaye tout à la guitare et il redevient l’un des trublions les plus virulents d’Angleterre. Il déploie sa furia del sol dans les méandres du sex fun de la titube. On se serait damné à l’époque pour un disque pareil. On encore cette mad psychedelia qui hante «Steel Abortion», c’est joué au Wallis of sound, couru comme le furet, répandu comme l’ampleur galvanique, explosé du cortex, projeté au-delà de la raison. Larry fait le show, il va là où bon lui semble. L’autre énormité de cet album miraculé s’appelle «Peppermint Flickstick», un cut digne de Syd Barrett, complètement barré, druggy at the junction, nous voilà plongés au cœur de la pire mad psychedelia qui soit ici bas et l’aimable Larry profite de l’embellie pour se barrer en sucette de solo gras. Ah quelles effluves de dérives molles ! Les Américains prétendument férus de psychédélisme feraient bien d’écouter ça et de prendre des notes.

Il est grand temps de revenir à la réédition de Death In The Guitarafternoon. Fantastique album ! (Encore un !). Si on aime la guitare électrique, alors il faut écouter Larry Wallis jouer ses arpèges d’allure martiale dans «Are We Having Fun Yet». Il tape dans le western spaghetti de haut vol et ramène cette vieille niaque qui date du temps béni des Fairies. Au fond, il est très proche de Jeff Beck. Il vise la véritable aubaine d’exaction parégorique. Il peut se montrer très prog dans l’esprit de seltz, mais avec une effarante énergie combustible. Il enchaîne ça avec «Crying All Night», une belle pop de Futana. Larry tient son rang de légende irrémédiable. Tout sur cet album reste allègre et hautement énergétique. Il prend ensuite un vieil instro de fête foraine intitulé «Dead Man Riding». George Webley y fait des merveilles sur sa basse. On note aussi la présence de Mickey Farren en tant que parolier dans «Downtown Jury», un cut typique de l’époque des Social Deviants et hanté par des solos qui s’en vont errer comme des hyènes dans l’écho de temps. Hallucinant ! Et voilà qu’il enchaîne trois cuts encore plus fantasques : «Where The Freak Hang Out», «Don’t Mess With Dimitri» et «Meatman». Larry qualifie «Where The Freak Hang Out» de full flying tribal song. Il est vrai que ça dégage bien les bronches. Un peu long, mais Larry n’est pas homme à mégoter. Il sort un son exceptionnel noyé de réverb maximaliste. Quel album ! Mickey Farren signe aussi ce «Don’t Mess With Dimitri» monté sur une bassline insistante. Larry claque ses vieux accords au loin et ça explose dans la lumière réverbérée de Ladbroke Grove at midnite. Il faut voir ces gens comme une extraordinaire équipe d’aventuriers du son. Avec «Meatman», Larry fait du Tom Waits. Il n’y croit pas un seul instant, mais quelle rigolade ! - Yeah I’m the meatman - Il tape aussi dans son vieux hit, «I’m A Police Car» et l’allonge avec des tonnes de guitar tricks. Larry fait ce qu’il veut quand il veut. On ne craint pas l’ennui, même s’il lui arrive de tirer sur la corde. Il chante d’une voix de mec usé par les conneries. Il termine cet album faramineux avec «Screw It», une fois de plus joué à la vie à la mort. Larry ne lâche rien, il faut s’en souvenir. L’album reste intense de bout en bout - About a pain in my ass/ C’mon let’s do it.

Un label psychédélique nommé Purple Pyramid vient de faire paraître un conglomérat de bric et broc intitulé The Sound Of Speed. L’intéressant de cette affaire, c’est que Larry commente ses brics et ses brocs, et ça vaut toutes les revoyures du mondo bizarro. Le bal d’A s’ouvre sur le flamboyant «Leather Forever», un single de 1986. Larry se souvient vaguement des gens qui l’accompagnaient : Andy Colquhoun, Sandy ‘Basso Profundo’ et George Bawbees Butler, Scottish drums. Ah wooow ! comme dirait Wolf. Il aligne ensuite des cuts tirés du lost Stiff, à commencer par «I Think It’s Coming Back Again». Deke Leonard et George Webley l’accompagnent. On note au passage la fantastique énergie du son. En même temps, c’est très anglais, typique du temps de Stiff. Le mec des Attractions bat «I Can’t See What It’s Got To Do With Me» si sec. Larry rend hommage à ce cet excellent drummer nommé Pete Miles O’Hampton Thomas : «Nobody does it better.» En B, il nous sort un «Old Enough To Know Better» qui devait figurer sur le Death album. C’est excellent, entièrement joué sous le boisseau, avec une basse aussi perverse qu’une cousine consanguine. Il tape à la suite un «Story Of My Life» dans le plus pur Fairy style et Deke Leonard passe de fabuleux coups de slide. On sent l’équipe de surdoués. Il faut entendre battre Peter Thomas derrière. On reste dans le Fairy groove avec l’excellent «I Love You So You’re Mine», gratté aux accords de Gloria. Larry y va de bon cœur. C’est fabuleusement embarqué. Il indique au passage qu’il destinait le cut aux Feelgoods. Il termine avec «Meatman». Il dit ne pas se souvenir de l’avoir enregistré. Le Line-up ? Bof... Avant de nous dire au-revoir, il écrit en bas de ses notes lapidaires : «Well I did say I wouldn’t be able to give much away folks, but I did my best. Hope you enjoy my noise and let’s be careful out there, ok ? OK.» (Je vous disais que je ne serais peut-être pas capable d’en dire très long, mais j’ai fait de mon mieux. J’espère que vous allez apprécier ma soupe et faites gaffe à vous les mecs, d’accord ? Bon d’accord). Et il signe Lazza.

Signé : Cazengler, Larry Varice

Larry Lazza Wallis. Disparu le 19 septembre 2019

Pink Fairies. Kings Of Oblivion. Polydor 1973

Larry Wallis. Police Car. Stiff Records 1977

Mick Farren And The Deviants. Screwed Up. Stiff Records 1977

Mick Farren. Vampires Stole My Lunch Money. Logo Records 1978

Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

Pink Fairies. Live At The Roundhouse 1975. Big Beat Records 1982

Pink Fairies. Previously Unreleased. Big Beat Records 1991

Deviants. Human Garbage. Psycho Records 1984

Pink Fairies. Kill ‘Em And Eat ‘Em. Demon Records 1987

Deviants. Fragments Of Broken Probes. Captain Trip Records 1996

Deviants. The Deviants Have Left The Planet. Captain Trip Records 1999

Shagrat. Lone Star. Captain Trip Records 2001

Larry Wallis. Death In The Guitarafternoon. Ribbed Records 2001

 

23 / 09 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK

Il y a des soirs où il vaut mieux se laisser faire. Surtout quand on vous veut du bien. Je vous laisse juges. Plateaux de melons, tartines de fromages et de pâtés gracieusement offerts par la Comedia, avec Tony Marlow, Alicia F, et des américains venus de Nashville, c'est ce qui s'appelle être gâtés, ou je ne m'y connais pas, d'autant plus que ce lundi soir ce n'est pas la foule énorme mais l'on ne compte pas les amis au mètre carré, comme s'il en pleuvait.

TONY MARLOW

Et sa guitare. Car ce soir Tony ne l'a pas ménagée. Dorée avec d'étranges reflets sépia lorsqu'elle entre en collision avec un rai de lumière. Quelle classe le Tony ! Prestance et port altier. Juste quelques mots de bienvenue et déjà il nous emporte à l'Ace Cafe, une chevauchée à toute blinde qui sera immédiatement suivie d'un petit – minusculité affective – Chuck Berry. Around and Around, fascinant de voir l'emprise digitale du Marlou sur les riffs, l'orfèvre les cisèle, les précise, les incise, une habileté diabolique, j'essaie de mémoriser les plans pour les revendre à une puissance étrangère, mais je n'y parviens pas, car il n'y a pas que les doigts de dextre et de senestre qui courent et accourent, z'avez aussi le son qui monte et descend, ce cristal adamantin qui coule et ricoche dans les oreilles, l'essence du rock'n'roll, qui vous raconte l'épopée magique de la jeunesse du monde.

Mais une guitare ne suffit pas. Faut un forgeron pour forger l'anneau d'or. Un sorcier des alliages secrets, Fred Kolinski, longs cheveux blancs, sourire énigmatique, ferait un superbe Merlin dans une filmique saga brocéliandesque, détient les clefs du tonnerre derrière sa batterie. Pas un batteur fou, mais le maître de la résonance, la guitare joue et les tambours éclatent, prolongent les effets, et les stoppent définitivement, en une ampleur sonore sans équivalence. Fred finit les séquences, il retourne le sablier du temps pour ouvrir une nouvelle ère riffique.

Noire est la big mama d'Amine le fatidique. Il est le temps qui presse la vie, la pousse et l'envoie bouler dans la corbeille à papier. Sans pitié. Ce qui est derrière nous ne reviendra jamais, alors, grand seigneur, Amine nous console en boutant le feu à notre présent. Sa contrebasse fulmine à la manière des mitrailleuses, les balles traçantes passent au-dessus de vos têtes, et vous comprenez l'urgence du rock'n'roll, la loi du mouvement imperturbable, cette impavide propulsion en avant, qui fait qu'un morceau à peine commencé se hâte vers le delta de sa fin, car vous désirez toujours plus vivre davantage intensément. Alors Amine se déchaîne, devient épileptique, tressaute sur lui-même, se lance dans une frénétique danse du scalp autour de son instrument et parfois il s'engouffre dans des soli de foudre et de poudre qui claquent et cavalent, giclent en rafales d'énergies, emportent tout sur leur passage. Ne vous laissent que les yeux pour rire d'un bonheur effréné.

Effarant de voir comment en une vingtaine de titres Tony vous offre sa carrière, quarante ans d'histoire du rock'n'roll français -enté et hanté d'Amérique – et ment partiellement quand il déclare que Rockabilly Troubadour et Le cuir et le baston résument toute sa vie, car sa voix exprime plus qu'une expérience personnelle, elle a ce velouté incisif, ce nostalgique tranchant, qui fait que chacun se reconnaît dans les bribes de son existence, et peut se donner l'illusion bienfaitrice d'en recoller les morceaux épars en une radieuse unité. Tony le musicien n'ignore rien des charmes ensorcelants et des larmes retenues des poëtes.

Faudrait disséquer tous les titres un par un, Tony et ses marlous étaient en grande forme, nous retiendrons un de ses tous premiers titres, Western, magnifique, beau comme une chevauchée fantastique, l'émouvant et hommagial I'm Going Home de Gene Vincent, et les trombes cordiques de The Missing Link, car une fois le set terminé, il vous semble qu'il vous manque l'élément essentiel du rock'n'roll, la présence active de Tony Marlow.

ALICIA F.

N'a fait qu'une courte apparition dans le set de Tony. Deux malheureux morceaux. Si ce n'est pas un scandale. Mais elle se réserve, bientôt elle sera sur scène en tant qu'elle-même, en vedette, patientez jusqu'au deux novembre.

Se glisse sur scène en toute simplicité. Ce soir elle nous montre une autre facette de son talent. Nous connaissions l'aguicheuse, celle qui jouait sur la profonde ambiguïté qui relie le rock au sexe, et le roll au désir, mais la voici toute seule dans son charme vénéneux et son espiègle beauté, moulée dans ses tatouages, son legging noir taché de motifs blancs et son T-shirt auréolé de la couronne d'opale de la naissance de ses seins, ses yeux verts d'émeraudes serpentines, et ses cheveux carrés aux bouts teintés d'un soupçon de rouge-sang-séché.

Marlou et ses sbires enchaînent aussi sec, I Need a Man et I Fought The Law, ce sera tout, une bourrasque qui arrache le toit de la maison et déracine le châtaigner centenaire dans la cour, et dans cette trombe Alicia F, toute droite, mais le moindre déplacement imperceptible de ses bras vous a de ses grâces inquiétantes de panthère, une pose de prêtresse hiératique, elle récite les lyrics démoniaques avec une impassibilité impossible, transformant les mots en brandons de feu, et cette force inquiétante du cobra qui se dresse lentement devant vous, cette immobilité tranquille, que quand elle se retire de la scène, vous avez compris qu'elle vient de vous mordre l'âme, mais que c'est trop tard, que vous êtes mortellement touché, que l'aconit du rock'n'roll vous étreint de son cercle de feu.

Alicia F. Alicia Fulminante.

VOLK

Ne sont que deux. Un garçon et une fille. Gal and Guy. Mais le set pourrait être sous-titré, la leçon venue d'Amérique. Ça commence doucement. Eagle Eye ne vous transcende pas. Le temps pour Chris Lowe de vérifier sa planche à effets multiples et à Eléot Reich de chauffer sa voix. Mais après vous comprenez que vous avez posé vos pieds sur le sentier de la guerre et que vous avez peu de chance d'en sortir vivant. Donc Eléot est à la batterie. Mensonge éhonté. Elle ne joue pas de la batterie. Mais de la tambourinade. Un roulement incessant, une transe rythmique impitoyable, vous comprendrez mieux à l'énoncé des titres, Atlanta Dog, Snake Farm, Honey Bee, I fed Animals, ni plus ni moins qu'une séance chamanique, vous ne vous méfiez pas, avec sa chevelure noire et sa robe rouge d'un lamé brillant vous croyez qu'elle va vous jouer le numéro de l'entertaineuse américaine type, vous n'y êtes pas du tout, à la manière dont elle enserre la caisse claire dans la blancheur de ses cuisses, et cette position voûtée, vous vous dîtes qu'il y a de la puissance vaudou en elle, qu'émane de son corps un magnétisme tellurique, et qu'elle transmet et transmute, qu'elle infuse et diffuse une force inconnue que l'on pourrait nommer l'esprit de la terre.

De prime abord Chris est moins inquiétant. Un grand gaillard solide, une tête bien faite d'étudiant attentif. Une grosse Gretsch blanche dans ses mains qui barre son épaisse redingote, un large éventail de delays électroniques à ses pieds, simple rythme binaire pour débuter, chante aussi. Faut attendre un peu pour intuiter ses dons de sorcier. Mine de rien, l'a des doigtés étranges. Vous semble qu'il rajoute de temps en temps des pincées de sel dans la tambouille qui cuit paisiblement sur le feu. Plutôt de la poudre à canon. Dissuasive. Little Games et Revelator's Bottleneck, ne riffe pas, il rajoute du son au son, fait des interventions, joue à la manière des joueurs d'échecs, ce n'est que cinq coups après que vous réalisez la raison irraisonnable pour laquelle il a poussé tel pion dans cette case inopérante. En moins de deux il contourne votre défense, force vos muraille et vous met à mal, à mat et vous mate à mort. Une démonstration. In vivo.

Fascinant. Eléot ne fait pas que tricoter ses baguettes. Elle chante aussi, une voix qui monte dans les aigus, qui s'assombrit et s'intempestive, et qui au morceau suivant devient douce et suave, un roucoulement de gâteau au miel, sucrée comme un apple pie. Souvent elle double celle beaucoup plus virile de Chris, elle lui apporte une profondeur et une discrète résonance qui l'amplifie souverainement. Notamment lors du rappel, une très belle balade country de Jack Bruce, qui vient un peu en contrechant à l'inexorable montée progressive du set selon une sourde violence fascinante qui contraindra toute l'assistance à se masser devant la scène.

Je terminerai sur cette divine surprise, cette version sublimissime, subluesmissime, de Sumertime Blues d'Eddie Cochran, qui n'a pas entendu le martellement d'Eléot et sa voix d'outre-tombe – elle endosse le rôle de Jerry Capehart – n'a jamais rien entendu, et Chris qui abrupte le riff si sourdement qu'il devient le tourment de votre vie, et son vocal qui flirte avec la raucité d'Eddie sans jamais l'imiter...

Un régal ! Tony Marlow résumera la situation : une révélation. Du country roll comme l'on n'en n'avait jamais ouï de ce côté-ci de l'Atlantique. De surcroît un garçon et une fille très gentils, ne connaissent pas un mot de français mais la sympathique complicité qu'ils dégagent ne trompent pas. Une soirée comediane à marquer d'une pierre blanche.

Damie Chad.

20 / 09 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

JIMM / FISHING WITH GUNS

 

Suis arrivé à la Comedia sans trop savoir qui j'allais voir, m'étant quelque peu embrouillé dans les dates. Mais l'instinct du rocker ne se trompe jamais, une soirée explosive m'attendait. Mais je n'étais pas le seul à subir la déflagration!

JIMM

Parfois il vaut mieux être trois que mal accompagné. Cet adage populaire vieux de trois millénaires que je viens d'inventer mérite un codicille précisif : trois cadors. Car comment peut-on produire une telle mayonnaise avec si peu de personnel. L'est vrai que Xavier avec sa taille de géant peut facilement compter pour deux, avec sa chevelure de boucles barbares et sa basse il ne se fait pourtant guère remarquer, à peine s'il vient de temps en temps pousser un cri de guerre ou hurler une rapide interjection au micro. Mais mine de rien, il assure grave. Le grondement de base, c'est lui le fautif, ce roulement de galets entrechoqués emportés par la furie d'un torrent c'est lui le responsable. N'est pas non plus le seul coupable, serait anormal qu'un seul écope de toutes les malédictions. A la batterie, Billy n'est pas innocent. L'a les mains pleines de baguettes. Les lève bien haut, les fait tournoyer entre ses doigts, et puis c'est fini. Le bonheur est désormais personna non grata sur notre misérable planète. L'apocalypse est commencée et rien ne l'arrêtera. L'a compris qu'il est là pour taper, alors il tape, l'a le pied meurtrier sur la grosse caisse et des menottes d'étrangleurs en série. Ne sait pas s'arrêter, un jusqu'au-boutiste, quand il n'y en a plus, il en a encore, l'as de la logistique distributive, des coups pour tous les tambours de la terre, une canonnade d'escadres ennemies, Xavier la tempête, Billy se charge de la métamorphoser en ouragan. Libère les vents de l'outre d'Eole. Bref, vous filez à cent-vingt neuf nœuds secondes et déjà se pose en vous la question fatidique, dans tout ce brouhaha comment un guitariste arrivera-t-il à survivre?

Jimm a deux manières de répondre à votre interrogation métaphysique. D'abord : par le chant. S'approche du micro, et non il ne chante pas. Se débrouille – je ne sais comment – pour que sa voix devienne un quatrième instrument, une coloration nouvelle, qui se fond au magma sonore, s'y installe naturellement comme l'oiseau se construit un nid dans le couvert des épaisses frondaisons de l'arbre. De plus en français, n'en tirez aucune gloire nationaliste, car ce serait in english que vous n'entendriez point la différence, l'a sa manière à lui d'appuyer sur les syllabes, et par ce fait même de les détacher si fortement que vous comprenez très vite en ce langage universel qui se nomme l'idiome rock.

Ensuite : il joue de la guitare. Au bout de deux minutes vous vous dites, c'est un très bon guitariste. Mais bientôt vous devez réviser votre jugement. L'a un truc spécial, n'est pas un vulgaire pousseur de riffs, son pied à lui c'est de surnager au-dessus du tumulte, comme dans les orchestres symphoniques menées à fond de train par Toscanini quand brusquement au-dessus de la monstrueuse masse sonore s'élève la plainte virevoltante du violon solo et vous n'entendez plus que cela, le Jimm il est pareil, l'a les soli de guitare qui brillent, qui scintillent, tels une rivière de diamants qui vous éclabousse de mille rayons de soleils réfractés. Cette scie sauteuse qui vous dentellise les tympans est le nectar des Dieux.

En plus ils vont jouer longtemps, enchaînent les titres, Prêt à penser, Ton blues dans la peau, Jamais vieillir, et devant la scène ça remue salement, pas tous les jours que le rock déboule sur vous avec une telle intensité. Un triomphe.

FISHING WITH GUNS

Avec un tel patronyme, l'on se doutait que ce n'étaient pas des joueurs de pipeaux. Passer après Jimm de prime abord ne semble pas être une sinécure. Mais première surprise, ne serait-ce pas Billy Albuquerque qui s'installe derrière les drums, exactly my dear, pas besoin d'être Sherlock Holmes pour comprendre que l'on n'est pas là pour cueillir des petits pois. Va toutefois falloir résoudre l'énigme Inigo. Quand ils se sont installés semblaient être quatre mais là sur scène maintenant que l'éruption volcanique a commencé – déjà rien qu'au trente secondes de secousses sismiques échappées de la guitare de Tof juste pour voir si tout était en place juste avant le début du set, l'on avait subodoré que les gaziers préféraient les bâtons de dynamite à la pêche au goujon -ils ne sont plus que trois.

Inigo, c'est un peu comme dans les albums Où est Charlie, faut lui mettre la main dessus, car il est perdu dans la foule. A peine si de temps en temps il s'octroie une brève station et remontera quelques secondes sur la scène. L'est dans le public agglutiné devant. Certes pour l'entendre vous l'entendez. Mais impossible de savoir où il est. Surgit à l'improviste devant vous, un peu comme le vaisseau fantôme entre deux plaques de brume. Mais quel cantaor ! La voix qui djente, pas trop, mais suffisamment pour vous mettre le feu à la moelle épinière. Et ces poses ! Le fil du micro haut levé, le visage tourné vers le cromi et cette poudrière vocale qui explose. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'il en use avec parcimonie, n'en abuse jamais, laisse à l'orchestre le temps de poser les assises du riff, d'articuler la séquence, et quand tout est bien en place, il vocalise, tel le caïman qui sort du fourré juste pour venir vous couper une jambe, proprement d'un seul coup de dentition. Puis il se retire dans l'eau saumâtre de son propre silence tandis que ses congénères continuent leurs monstrueux tapages comme s'il était nécessaire à la survie de nos existences. Le pire c'est qu'il l'est indispensable. Motherfucking badass ! Reste du Blood on the ropes !

C'est que derrière les trois lascars ne vous laissent pas le temps de respirer jouent une espèce de mixture de stoner estampillé aux marteaux de Thor et émargé aux forges d'Héphaïstos, sur sa basse Bouif ramone la suie des cheminées de volcan, parfois son corps se réduit et se cambre à croire que l'électricité le traverse de part en part et des ondes noires s'échappent de son instruments comme des meuglements d'agonie de cachalots échoués sur les rives du désastre. Tof taffe à mort, l'a la guitare qui mord, le feu qui couve sur deux accords et puis qui tout à coup flamboie et se déploie dans l'univers tout entier, vous consume l'âme comme un mégot qui grésille dans le cendrier. Les Fishing vous fichent la trouille et la chtouille à jouer trop bien, trop fort, trop sauvage. Profitent d'un instant de répit pour distribuer à l'assistance leur dernier EP, le prochain est en préparation et ils nous régaleront de quelques aperçus. Et c'est reparti pour une charge à la baïonnette finale. Pas question, le peuple rock qui s'est salement secoué devant l'estrade refuse de les laisser partir, et nous avons droit à deux derniers feux d'artifice. Deux explosions nucléaires de soleils noirs !

Damie Chad.

BLOOD ON THE ROPES

FISHING WITH GUNS

( Avril 2017 )

Peu d'indications sur la pochette qui reste relativement mystérieuse. Recto brun dont le visage granitique de statue saignante émarge au verso et se dissout en une blancheur envahissante au bas de laquelle se profilent un revers montagneux et la silhouette automnale d'un arbre. Peut-être le sens est-il à décrypter dans l'image des deux lutteurs de pancrace opposés et entremêlés sur la sesterce blanche du CD. Serions-nous emplis d'une fureur incontrôlable qui, dans le temps même qu'elle nous donne force de vie, nous agonise.

Dodge and counter : lourd and loud, instrumental, une guitare qui sonne et résonne, des cymbales qui se glissent par dessous car lorsque la menace se précise, que vous entendez ces gros godillots qui avancent, vous êtes dans l'attente de la catastrophe vous êtes sensible aux plus petits détails, au craquement insidieux de la moindre brindille subsidiaire, mais l'emprise sonore devient obsédande, le rythme reste toujours lent, l'intensité sonore s'amplifie, la rupture... Motherfucking badass : ...déboule, une course folle sur une rythmique impitoyable, un trait de feu qui parcourt l'espace, rejoint par une voix qui amplifie le sentiment de l'inéluctable. Brut de noir à pas cadencés, le pendule de la mort qui descend vers vous imperturbablement se rapproche. Une voix de tuerie, des guitares de chienlit, des frayeurs pulsatives de batterie, hallali démiurgique, un dernier hurlement, et les ronronnements de guitares s'éloignent au loin. Un morceau merveilleusement structuré. Thirst for lust : éclats nerveux de guitares, crachats de voix sur la face de Dieu, semelles de plombs du drumming, le rythme se segmente pour se reconstituer en plus schismatique, en plus rapide, mais comme ralenti par la saturation hérésiarque des guitares. Froissements de ferrailles, la voix qui criaille en un festival d'ailerons de requins qui arrachent les chairs sanglantes de leurs victimes. Apothéose. King of the crossroads : guitares grondantes et hachoir vocal, collisions de carrefours, courses à mort, déconnections et reconnections, rien ne les arrêtera. Eclaboussures de tintements et moteurs en furies qui grondent. Reason to cry : pas une raison pour ralentir le rythme en tout cas, ni de pleurer honteusement dans son mouchoir. Une voix salement insidieuse. Forge drummique pressurisée en arrière-plan. Vocalises qui s'égosillent, guitares qui ripent sur du verre brisé, l'on entend les tintements cristallins du diable qui cogne à la fenêtre béante de l'esprit dévasté. Désormais les guitares tirebouchonnent dans les amplis, la voix se fraye un chemin dans les soubassements de l'obscurité et l'on refait un tour sur la bande de Möbius de la souffrance animale infinie. Qui finit par se rompre en un grandiose balancement.

Damie Chad.

CAMON ( 09 ) / 09 - 08 - 2019

La Camonette

KERYDA

Jeudi, retour obligatoire à la Camonette, bouffe excellente mais totalement subsidiaire, la semaine dernière nous avons eu le père, Chris Papin-Jijibé, dans le jeu des sept familles des musiciens donnez-moi le fils, Damien. L’aurait pu mal tourner comme le père et s’adonner au démon du blues comme le prédestinait son prénom, mais non, est abonné à un tout autre genre. Difficile à définir : disons un folk curieux pour ceux qui ont besoin d’étiquette.

KERYDA

Sont beaux et jeunes tous deux, prince courtois et princesse charmante échappés d’un conte de fées. Il a une vieille contrebasse toute sombre à ses côtés, et elle une harpe de bois clair d’Ariège posée sur un piédestal. Contrebasse + harpe, ensemble composite mais en même temps empreint d’une similarité sonore évidente même si la vieille dame s’adonne à de funèbres tonalités automnales et si de la damoiselle fièrement cambrée s’élancent de claires perlées de rires d’enfants cristallines. Alta et contralta. L’assemblée, au bas mots plus de cent cinquante convives, bruisse de bruits confus lorsque Damien se saisit de son archet. Qu’il délaisse aussitôt pour des doigtés de pizzicati virevoltants à la manière d’étincelles de jazz, et c’est sur ce tapis tressautant d’escarboucles que Sara Evans dépose de translucides feuillages brocéliandiques agités par une brise mutine. En un instant, elle installe un autre espace, plus subtil, plus fluide, de silence et de musique entremêlés, miroirs et reflets de miroirs. C’est cela Keryda, cette création d’une dimension à part, d’une intimité plus profonde avec le vertige des apparences. Ce premier morceau est suivi d’un deuxième qui sonne étrangement et orchestralement contemporain, sont-ce les sourds frappés de Damien sur le bois, ou cette savante rythmique entrecroisée de sons clairs et sombres mais l’instant s’avère magique et soulève les applaudissements. Et la musique de Keryda se fait plus lointaine, à croire qu’elle veuille nous entraîner dans les terres du songe en des contrées arachnéennes et infinitésimales. La big mama marmonne de profondes incantations et les notes de Sara profèrent des mélopées d’endormissement vaporeux. La nuit et le jour s’unissent en une couleur goethéenne ignorée des simples mortels, habitée par de malicieux farfadets invisibles dont on ne perçoit la présence que par l’évanouissement disparitif qu’ils laissent derrière eux. Instants de rêves indistincts suspendus sur le vide vertigineux des glaciers de la beauté.

+ FRIENDS

Pour le troisième set, la scène est envahie d’invités. Le facteur et Zoé, la fille triangulaire. Il fabrique et tient entre ses mains un accordéon, elle toute blonde se contente d’un triangle isocèlement métallique. Il y a encore une violoniste, un guitariste et Julien aux percus. Changement d’ambiance, Damien s’est muni d’une basse électrique et il groove grave, un son concassé que le facteur se hâte par derrière d’étoffer. L’on dérive lentement vers un méli-mélo d’improvisations, au substrat argentin. C’est bien fait, agréable, sympathique, mais cela n’atteindra jamais à l’intemporalité de Keryda.

Damie Chad.

TARASCON ( 09 ) / 17 - 08 - 2019

COMPAGNIE R2

Damie tu pourrais m’amener à Tarascon, ce soir il y a de la danse contemporaine. Un truc de fille évidemment, palsambleu de la danse contemporaine ! tout être normal et évolué aurait repéré un groupe de rock obscur dans un bouge perdu, mais non de la danse contemporaine. Bref direction Tarascon ( con ! ). Evidemment, la grande esplanade festive est vide, faut arpenter les rues en pente de la vieille ville pour trouver La Placette.

Un mouchoir de poche, le tatamis noir en occupe la plus grande largeur juste devant l’unique maison, déduction logique les habitants sont condamnés à rester chez eux durant la représentation, une trentaine de chaises sont entassées dans le triangle restant, mais des spectateurs peuvent se masser sur le côté de la rue qui monte rude et surplombe, à ne pas confondre avec celle de l’autre côté qui descend profond. Je précise que l’Ariège est peuplée de montagnes. Une hétéroclite collection de tableaux grand-format sont accrochés un peu partout aux murs de pierres ocres.

PASSAGE

Sont tous les quatre en chaussettes blanches, se déchaussent de leurs sandales et vont se prostrer en silence sur quatre chaises de bois noir. Les deux filles vêtues de blanc, les deux garçons en jeans bleu-délavé et tunique blanche. Musique. Non ce n’est pas du rock. C’est du Pink Floyd ! Une bonne sono qui vous en met plein les oreilles. Dès les premiers mouvements esquissés, il apparaît que l’on affaire à de véritables professionnels. Vous scotchent sur place, suivent la musique de The Wall, pas de l’improvisation sauvage et hasardeuse au petit bonheur la chance, un véritable ballet, aux séquences ultra-réglées et codifiées. Pour le Pink dont la musique vous enveloppe, je m’aperçois - mais la gestuelle m’y pousse peut-être - qu’ils ont sacrément pompé sur le Tommy des Who, jusqu’à Waters qui essaie de retrouver la flexibilité vocale ( sans y arriver ) de Daltrey. En tout cas pour la thématique, il n’y a pas plus de lézard que d’horloge. L’enfermement est bien le sujet central des deux opéras.

Les schizos ne freinent jamais. Sont tout à leur délire. Même leur moments d’abattement restent inquiétants. Sont à côté du monde, enfermés en eux-mêmes, n’ont besoin de rien d’autre, ils ont rapté au grand tout universel des hommes ce qu’ils ont de pire, la violence et la folie. Des guêpes folles recluses dans une bouteille qui tourbillonnent, se montent dessus ou se fuient, se laisse aller à des simulacres de sexe et de meurtre. Des tentatives d’amitié sans lendemain. La seule véritable absente de cet entremêlement de corps entassés ou distendus, c’est étrangement la Mort. L’est comme une valeur fiduciaire qui court entre les individus mais totalement invisible, reléguée hors du plateau et de l’esprit de la folie.

Une esthétique manga. Sont-ce les tuniques blanches, le fait que le maître plus âgé danse avec ses trois jeunes élèves qui me poussent à une lecture nipponne de cette pièce créée en 1996, non plutôt ces arrachés de bras, ces mouvements subitement arrêtés en plein élan, ces tourbillons de contre-plongée, ces emprunts hip-hopiens comme des citations de mantras énergétiques, cette frénésie d’ailes de phalènes carnivores, subitement cloués en plein vol sur la noirceur d’une planchette par l’épingle froide d’un entomologiste insensible obnubilé par la poursuite vaine d’un rêve sans cœur ni raison. Une inversion de la théorie du papillon, le battement de l’âme d’un individu excédé de folie déclenche les pires tempêtes non pas à des milliers de kilomètres à l’autre bout du monde, mais un tsunami irrémédiable dans l’esprit même, phalène qui halète sans fin, prisonnier dans sa propre cellule intérieure, et le corps secoué de spasmes, cassé en deux, morcelé en fragmentations infinies, n’est que la résultante de cette force psychéïque retournée contre elle-même, à défaut d’un revolver salvateur. L’ensemble vous donne l’impression d’une stérile obstination à perpétrer un hara-kiri impossible puisque opéré avec l’arme émoussée de la chair incapable malgré tous ses remuements eschatologiques d’entamer les silex tranchants et nervaliens de votre psyché délirante. Car la folie tourne en rond en vous-même et vous broie pour vous empêcher de traverser le miroir des apparences. Tout cela dans ces saccades de gestes prompts, ces rafales de delirium tremens, ces abattements somptuaires et résignés qui à peine en repos se rallument comme flammes vives dans les pinèdes des songes inavoués. Et infinis. La danse comme équation mathématique à quatre corps inconnus qui ne sera jamais résolue, sinon sans l’arrêt de la musique qui mène le bal.

Un triomphe. Pour ceux qui se demandent le pourquoi de cette chorégraphie incandescente sur la musique du Floyd, qu’ils se procurent la cassette vidéo du Pink Floyd Ballet en collaboration avec Roland Petit. La danse est un geste sans cesse recommencé mais toujours inachevé.

Damie Chad.

ROCK'N'ROLL STORIES

BUDDY HOLLY

RNRS : Série 2 / N° 6

15 / 09 / 2019

Buddy Holly est mort à vingt-deux ans, mais si vous voulez vous pencher sur sa discographie, entreprenez plutôt la lecture du Tractacus Logicus de Wittgenstein, pas très rock'n'roll je vous l'assure, mais ô combien moins complexe. En fait le plus simple sera d'écouter ce sixième numéro de Rock'n'roll Story. Certes Buddy a enregistré un maximum de simples et je vous l'accorde ces pochettes de papier, souvent blanches, ne sont pas très vidéographiques, mais si vous êtes patients vous aurez droit aux belles images des 33 tours. De toutes les manières perso j'ai une préférence pour les EP français. Vous en verrez aussi. Je ne voudrais pas être rabat-joie mais Buddy n'avait pas tout à fait un physique de jeune premier.

Les débuts de Buddy sont riches d'enseignements pour ceux qui s'intéressent à l'éclosion du rock'n'roll. Ça ressemble un peu à un vol d'albatros qui s'arrachent d'un océan mazouté, mais après c'est comme dans le poème de Baudelaire, cette satanée musique hante la tempête et se rit de l'archer. Enfin pas tout à fait, car il y aura de sacrées descentes en flammes, Buddy notamment abattu en plein vol. Par la main froide du destin.

Une famille de musiciens – à croire qu'aux States il n'y avait que des gens qui savaient jouer de quelque chose – Buddy taquinera, la mandoline, le piano et grâce à son grand-frère Travis la guitare. En 1951, il formera le duo Buddy and Bob, Bob Mongomery, copain de collège, à la guitare et Buddy au banjo. Auparavant il avait déjà formé un duo avec Jack Neal, le futur bassiste des Blue Caps. Lorsque l'on lit les mémoires de Sharon Sheeley, la '' fiancée'' d'Eddie Cochran l'on s'aperçoit que le vaste monde du rock'n'roll américain devait être toutefois assez exigu car la plupart de ces artistes se connaissaient et n'arrêtaient pas de se croiser malgré l'immensité du territoire. Par contre s'il est un vivier inépuisable c'est celui des maisons de disques, des labels, des imprésarios, des organisateurs de tournées, des producteurs, le dessous grouillant de l'iceberg. Ne nous y trompons pas ces hommes de l'ombre empochaient les plus gros bénéfices. Un véritable panier de crabes. Ainsi entre Decca, Brunswick et Coral, Buddy aura du mal à tirer son épingle du jeu. Ses disques paraîtront sous diverses appellations, The Crickets ou Buddy Holly and The Crickets, Buddy Holly. Autre tare de ce système, les artistes ne sont pas les seuls à avoir droit de regard sur les titres. Beaucoup de démos seront ainsi refusées, elles feront plus tard la joie des rééditions.

Pour le moment Buddy et ses compagnons – la formation des Crickets est pleine d'allées et venues – deviennent doucement des gloires locales. Peu de choses au regard de l'étendue du pays mais assez pour participer par trois fois à la première partie des trois spectacles qu'Elvis Presley donnera en 1955 – c'est à cette époque qu'il enregistrera Down the Line et Baby won't you play house with me ( ce dernier à mon goût supérieure à la version d'Elvis ) - et 1956, toujours à Lubbock. Sera aussi présent au concert de Bill Haley. Puis ce sera la rencontre de Norman Petty qui restera son producteur pratiquement jusqu'à la fin. Si après la mort de Buddy, Petty trafiquera quelque peu les bandes, il faut reconnaître que leur collaboration permettra à Holly de fixer son style. Imaginez un mix mélodieux et heurté d'un son qui allierait le flegme d'Hank Williams au jungle sound de Bo Diddley. Dans cet alliage, le plus important, ce ne sont ni les racines noires ni celles du western bop, mais cette idée de la création d'un son, Sam Phillips inventera en quelque sorte l'enregistrement, mais Buddy y ajoutera cette idée que l'on ne doit pas reconnaître la marque du studio, mais le son singulier de l'artiste. C'est en Angleterre que la leçon portera ses fruits, Beatles et Stones sauront écouter le message de Buddy et se forger leur propre marque sonore de reconnaissance totémique. Que serait devenu Buddy s'il n'avait pas disparu, tout ce que l'on peut dire c'est qu'il avait le projet de monter un label Prisme. Sans doute serait-il passé souvent derrière les manettes...

Mais délaissez cette hâtive chronique, écoutez Rock'n'roll Stories, il est impossible de faire mieux et plus précis en trente minutes. ( Sur You Tube ou le FB )

RNRS : Série 2 / N° 3

EDDIE COCHRAN

04 / 08 / 2019

Un destin similaire à celui de Buddy Holly. Fauché en pleine jeunesse. A vingt-et-un ans. Mais avec un goût d'inachevé que l'on ne retrouve pas chez Buddy. L'impression non pas d'une perte, mais d'un gâchis. La sensation qu'il est parti hier ou à peine depuis dix minutes, qu'il a laissé sa guitare pour aller fumer une clope et revenir. Buddy a laissé une œuvre. Eddie des semences. De celles qui permirent la renaissance de l'épeautre à partir des grains retrouvés dans les tombes des pharaons. Une dizaine de titres essentiels – sans oublier tout le reste - mais à partir de seule cette maigre poignée, ne subsisterait-il à la surface de la terre que cela, l'on pourrait reconstruire le rock'n'roll rien qu'à partir de ce coffre aux merveilles. Bien sûr tout est bon chez Eddie, un enseignement magistral à puiser du premier titre au dernier enregistrement. Mais cela ressemble à des brouillons d'enfant surgénial. D'une folle générosité. D'une immense précocité. D'une diabolique facilité. L'on ne peut s'empêcher de penser au destin d'un Evariste Galois fauché à vingt ans dans un duel, laissant en jachère des théories mathématiques qui furent reprises par bien des suiveurs. L'on aimerait savoir ce qu'il aurait fait par la suite. L'on se plaît à accroire que les routes du rock'n'roll auraient amorcé d'autres trajectoires, mais l'on n'en sait rien. En disparaissant Eddie Cochran ne nous a laissé sur quelques photographies que son sourire enfantin et triomphal pour essayer de déchiffrer une énigme qui nous dépasse.

C'est pour cela que les remémorations de Rock'n'roll Stories nous sont précieuses, au-delà des faits elles ouvrent les perspectives infinies du rêve.

Damie Chad.

Sur FB : Rock'n'roll stories ou sur You Tube.

18/09/2019

KR'TNT ! 430 : LOU JOHNSON / MAVIS STAPLE / COCKBOX / RAT'S EYES / DAISY PICKERS / FAYE PEACHES STATEN / ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO / ROCK'ROLL STORY / JEAN-MICHEL ESPERET

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 430

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

19 / 09 / 2019

 

LOU JOHNSON / MAVIS STAPLE

COCKBOX / RAT'S EYES

DAISY PICKERS / FAYE PEACHES STATEN

ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

ROCK'N'ROLL STORIES / JEAN-MICHEL ESPERET

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

T’en fais pas mon p’tit Lou

Contrairement à la plupart des Soul Brothers, Lou Johnson n’est pas né dans le deep South mais à New York. Donc pas de champ de coton pour lui ni d’horrible patron blanc. Et comme dans sa famille tout le monde chante et tout le monde joue d’un instrument, Lou n’a pas d’autre choix que de devenir Soul Brother. Pour une fois, le destin n’est pas trop cruel. Étant donné que Mum and Dad jouent du piano, Lou joue du piano. Le voilà keyboard player. Il commence par jouer du gospel dans les églises puis il se dirige naturellement vers les clubs, le voilà devenu a jazz-slash-gospel musician, comme il dit, a young whippersnaper. Entre 1962 et 1967, il enregistre quelques singles pour Johnny Bienstock, chez Hill &Range, une boîte de prod qui a fait son beurre avec Elvis et le Colonel. Les bureaux d’Hill & Range occupent deux étages au Brill Building et Burt en occupe un au rez-de-chaussée. C’est par l’entremise d’Hill & Range que Lou rencontre Burt - Me and Burt got on really well - Lou enregistre les démos que Burt destine à Dionne la lionne.

Et puis un jour, son label Big Top l’envoie enregistrer chez Allen Toussaint à la Nouvelle Orleans - Me and Allen got on really well - Dans la foulée, Johnny Bienstock met Lou en contact avec Jerry Wexler, alors le voilà sur Atlantic via Cotillon. Mais quand Lou découvre que son manager Richard Simpson l’arnaque, il lâche tout et va s’enterrer à Dallas. Il joue du piano au Green Parrot pendant huit ans. Ça brise sa carrière. Il n’empêche qu’en 1968 Jerry Wexler et Tom Dowd emmènent Lou enregistrer un album à Muscle Shoals. Lou est impressionné par le niveau du musicianship des petits culs blancs de Muscle Shoals : David Hood, Jimmy Johnson et le père Hawkins. L’album qu’il enregistre est le fameux Sweet Southern Soul. Attention, c’est un classique de la Soul. Lou entre directement dans le vif du sujet avec une fabuleuse version de «Rock Me Baby». On s’épate d’une telle assise. Lou Johnson chante comme un dieu. Il tape dans un vieux hit des Drifters, «This Magic Moment» pour le profiler sous l’horizon. Il shoote tout le feeling du monde dans cette merveille inexorable. Avec «Move And Groove», il passe au r’n’b de firmament, c’est swingué par la crème de la crème du sweet Southern Sound. Lou diffuse autant de magie que Freddie Scott ou William Bell. Il finit à la hurlette tumultueuse, sa voix éclate au pinacle de la Soul. Avec «Please Stay», Lou Johnson descend dans les soubassements de l’âme humaine. Ah il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie. En B, il shake le shook de «Tears Tears Tears» avec une aisance effarante. Sur cet album, tout est soigné au maximum de l’intensité, au pur Soul Sound System de haut vol, avec derrière des chœurs de rêve, ah on peut dire que les filles savent gueuler. D’ailleurs, personne n’a pensé à les créditer sur la pochette. Lou Johnson referme la marche avec le «Gypsy Woman» de Curtis Mayfield. C’est forcément une version de rêve, Lou la fait mousser et sa voix traverse les ténèbres du temps comme l’éclair du génie.

Hélas, Jerry Wexler et Tom Dowd décident de concentrer leurs efforts sur Donny Hathaway et mettent Lou de côté. Entre 1968 et 1970, Lou passe à l’héro, puis il décide de décrocher et revient à New York se remettre au carré. Un jour qu’il se balade devant le building CBS, il tombe par hasard sur Allen Tousaint :

— Lou how are you ?

— I’m all right.

Allen lui explique qu’il a entendu dire ceci et cela sur Lou, des rumeurs d’héro et Lou lui répond que les rumeurs ne se trompaient pas et qu’il est passé à autre chose. Allen lui demande s’il est sur un label et Lou lui dit non. Alors Allen lui propose de faire un saut à la Nouvelle Orleans : «I’ve got some stuff I’d like you to do, I think you’d fit it just fine.» Lou descend passer trente jours avec Allen pour enregistrer cet album faramineux qu’est With You In Mind. Allen produit et Cosimo enregistre. Quand on a écouté ces deux coups de génie que sont «Frisco Here I Come» et «Wrong Number», on éprouve d’immenses difficultés à aller ailleurs. Lou peut rocker «Frisco Here I Come», il le fera à sa façon, avec une maestria du subterfuge et derrière, les filles arrivent, chaudes et plantureuses, alors la fête peut commencer, à coups de chœurs de gospel batch et on renoue avec l’extraordinaire dynamique du New Orleans Sound battu en brèche par un phraseur intriguant et des vagues d’orgue. Voilà un pur chef d’œuvre. Avec «Wrong Number», il tape une Soul de r’n’b classique, mais il la ramène à Broadway. S’il fallait qualifier la Soul de Lou Johnson, il faudrait parler de puissance dévastatrice. Il démarre pourtant cet album avec un «There Were Times» de charme, une sorte de pop éraillée, dotée d’un certain intimisme et en même temps staxy. Les filles envoient des rafales de chœurs déments et ça violonne doucement mais pas trop, voyez-vous. On sent les filles très proches et très discrètes. Il tape ensuite un long «Transition» de huit minutes, uns sorte de vertige à la Jimmy Webb, très orchestré, avec des zones pianotées et des accalmies océaniques. Forcément, avec un type comme Lou, on échappe aux cadres et aux formats. Il lui faut ces huit minutes pour afficher ses prétentions et accéder au trône de Soulland. Il faut l’entendre shooter sa Soul : il s’y donne corps et âme. Même chose avec «The Loving Way» : il traite la Soul à sa façon, d’une voix de feu fêlée, mais aussi à son rythme qui est atypique et d’une grande liberté. Il fait ce qu’il veut, il continue d’échapper aux cadres et aux formats. Cet homme incarne la liberté de ton, ce qui peut sembler ironique pour un descendant d’esclave. On se régale aussi de la belle Soul latérale de «Nearer» et du funky strut de «The Beat» qui évoque un peu Stevie Wonder. Il chante ça d’une voix presque blanche. Avec «Who Am I», il passe au piano bar de rêve. On est à la fête avec un Soulman comme Lou. Il propose ici une beautiful song admirable d’élégance louisianaise et on entend Allen Toussaint pianoter.

Le problème est qu’Allen et Marshall Sehorn n’ont pas de réseau pour distribuer l’album, alors ils font appel à Stax, mais chez Stax, ils ne sont pas très doués pour la distro. En plus ce n’est pas du Memphis Sound et pour eux, c’est dur à vendre. C’est malheureusement le dernier album de Lou Johnson. Il quitte Dallas et s’installe à Portland dans l’Oregon en 1975, puis quelques années plus tard, il débarque en Californie pour aller jouer dans des clubs.

Il existe dans le commerce une très belle compile intitulée Incomparable Soul Vocalist. C’est l’occasion de se convaincre - si ce n’est pas déjà fait - de l’absolue nécessité d’écouter Lou Johnson. D’autant que ça démarre sur deux compos de Burt, «Reach Out For Me» et «The Last One To Be Loved». On peut parler ici de choc de titans. Lou sait que Burt est l’homme clé. Il dit entendre son art - I hear his stuff - Et il ajoute : «I think the only person who could hear his stuff better than me was Luther (Vandross)». Alors Lou met le paquet. Il travaille tous ses cuts au corps. Il va droit au cœur du cut, avec une niaque interprétative hors normes. Il se bat comme James Carr. Avec «Unsatisfied», on note la véracité de son rang princier. Il explose littéralement le Broadway Sound System. Back to Burt avec «Magic Potion». C’est plus poppy mais gagné d’avance, car voilà que dégouline une belle dégelée de gelée royale. Lou trousse ça sec. Oh si sec, sister ! Il reste dans le giron de Burt avec l’énorme «(There’s) Always Something There To Remind Me», le hit sixties par excellence, paré de coups de trompettes. L’affaire est dans le sac, Lou l’explose, il chante à la voix blanche. On aura tout vu. Il tape aussi dans l’extraordinaire «Walk On By» et salue Sidney Bechet avec «A Time To Love A Time To Cry». Il s’agit en fait de «Petite Fleur» traduit en Anglais par Giant, Baum & Kaye, l’une des grosses équipes du Brill. Lou gère cet hommage avec une classe insolente. C’est même joué à la clarinette et Lou nous brosse ça dans le sens du poil. C’est beau comme un solstice d’été. On tombe plus loin sur «Thank You Anyway (Mr DJ)», un heavy balladif ultra-violonné à l’hollywoodienne, signé Giant, Baum & Kaye. C’est même un déluge d’orchestration qui s’abat sur le pauvre cut. Lou brille au firmament, c’est indéniablement indéniable, on en perd les mots tellement il nous compresse la cervelle, thank you, thank you anyway. Sacré géant. Encore du Broadway Sound System avec «Wouldn’t That Be Something» qu’il swingue à outrance. Avec «Any Time», il vire bar de nuit, avec des chœurs de filles magiques et la surprise vient de «Love Build A Fence», véritable power shakedown de gospel batch. Les filles derrière sont probablement les Sweet Inspirations. On a là exactement la même charge qu’avec l’Aretha d’Amazing Grace enregistrée dans l’église de Los Angeles.

Et puis voilà, on apprend inopinément que Lou Johnson vient de casser sa pipe en bois. L’entrefilet paru dans Record Collector indique que la mauvaise nouvelle n’est pas de source sûre. Lou Johnson aura su rester discret tout sa vie, et jusque dans la mort. Chapeau bas.

Singé : Cazengler, Lou garou

Lou Johnson. Sweet Southern Soul. Cotillon 1969

Lou Johnson. With You In Mind. Volt 1972

Lou Johnson. Incomparable Soul Vocalist. Kent Soul 2010.

Mavis serre la vis - Part One

Mavis Staple à Paris, voilà qui sonne joliment à l’oreille. Un peu comme on si on disait : ‘Aretha à Paris’. Inespéré ! C’est un gros pan d’histoire de la Soul qui débarque dans une capitale surchauffée par les ardeurs d’un soleil estival. Il ne s’agit plus de dire monte là-dessus et tu verras Montmartre, mais plutôt entre-là dedans et tu verras Mavis. La Cigale redevient le temps d’une soirée un bon gros théâtre de boulevard avec ses places assises et sa moyenne d’âge élevée. Cette vieille dame pétrie de légende arrive enfin sur scène. Elle n’est pas bien haute, les mauvaises langues diraient même ‘plus large que haute’, elle porte une longue chemise bariolée ouverte sur un ensemble noir et très vite, elle établit le contact avec un public convaincu d’avance. Mavis maîtrise indiscutablement l’art de communier, elle a fait ça toute sa vie, c’est-à-dire pendant plus de soixante-dix ans, si l’on considère le fait qu’elle commença à chanter dans les églises toute petite. Elle s’entoure d’une équipe minimale composée d’un couple de choristes noirs et de trois musiciens blancs. Et c’est là où les choses deviennent extrêmement intéressantes, car avec cette formule qu’on pourrait presque qualifier de stripped down, Mavis va chauffer la Cigale comme une église. Ils sont cinq à chanter les chœurs avec Mavis et ça prend vite de sacrées proportions, pas au sens du gospel power, mais au sens du groove. Cette musique se glisse littéralement sous l’épiderme, notamment cette version de «Respect Yourself» démarré au baryton de charme chaud par l’excellentissime Donny Gerrard. Wow ! Il n’existe pas de meilleure manière d’entrer dans la légende. Ce vieux hit des sixties ramène à la surface Pops Staples, Yvonne, Cloetha, et même Sir Mac Rice, l’auteur de ce chef-d’œuvre absolu de Soul engagée. Il est essentiel de rappeler que Mavis et les siens ont milité toute leur vie pour l’égalité des races, dans un pays où les mentalités ne peuvent pas évoluer. Elle continue donc aujourd’hui, en montant sur scène et en chantant des textes qui sont à la fois des messages d’espoir et des incitations à continuer le combat, comme ce fabuleux «No Time For Crying» qui referme la marche. Elle dit tout simplement que ce n’est pas le moment de pleurer - People are dying/ Bullets are flying - Oui, on tue encore les nègres aux États-Unis comme on les tuait au début du XIXe siècle, par simple haine et Mavis lève le poing lorsqu’elle clame «We’ve got work to do !», c’est assez brutal au niveau émotionnel, car il semble que la rumeur chantante qui sous-tend le cut remonte à la nuit des temps, jusqu’aux racines de l’esclavage. Mavis semble aujourd’hui porter seule de destin d’un peuple traité pendant des siècles comme de la marchandise. Les mecs qui l’accompagnent se montrent dignes de la situation. Jeff Tunes joue sur une basse blanche sanglée très bas sur les genoux, à la manière d’un punk-rocker. Stephen Hodges bat tranquillement le beurre et celui qui tire le mieux son épingle du jeu, c’est bien sûr Rick Holmstrom, un type un peu décharné qui ne vit que pour la virulence et le venin des incursions intestines. Mavis semble adorer ça, car elle l’encourage en lui donnant des petits coups de poing sur la poitrine. En jouant aussi viscéralement, Holmstrom injecte une violente dose de modernité dans le son de Mavis, comme il le fit jadis dans le son de RL Burnside. C’est très spectaculaire ! Il joue avec des gestes d’épouvantail habité par le diable et lâches des grappes de notes dignes de celles d’un autre grand guitariste hanté, Robert Quine. Mavis attaque le set avec «If You’re Ready (Come Go With Me)» tiré d’un vieil album des Staples, Be What You Are, paru en 1973, à l’âge d’or de Stax. Et elle enchaîne avec un «Take Us Back» plus récent. Elle va ensuite commencer à taper dans les cuts de son dernier album, We Get By, produit par Ben Harper qui, comme par hasard, se pointe sur scène. Mavis l’aime bien car elle l’annonce comme the greatest songwriter in the world. Harper débarque avec son chapeau et duette avec Mavis sur deux autres cuts tirés de We Get By, «Love And Trust» et le morceau titre. Mavis revient ensuite dans le très haut de gamme avec une reprise du big «Can You Get To That» de Funkadelic, et emporte pas mal de suffrages avec une autre reprise, celle de «The Weight» du Band, qui semble beaucoup plaire au public. Elle va heureusement revenir à ce qui est avec Respect Yourself l’un des meilleurs albums des Staple Singers, Be What You Are et cette chanson d’espoir intitulée «Touch A Hand Make A Friend».

Les malheureux qui ont raté ce concert peuvent se consoler avec l’album Live In London qui vaut son pesant d’or. Les Londoniens claquent des mains, ça veut dire ce que ça veut dire. La set-list diffère de celle du concert parisien qui est plus axé sur We Get By. Mavis crochète son «Love & Trust» à la vieille arrache de Chicago. On la voit travailler ses cuts sous le boisseau, elle fait du Wolf avec «Who Told You That» et Rick Holmstrom joue si sec ! Hank you ! Elle fait un duo d’enfer avec Donny Gerrard dans «Slippey People», qui est une reprise des Talking Heads. Mavis est déchaînée, ils shakent à deux tout le shook du monde. La température monte encore plus violemment avec «Take Us Back». Quand Mavis fait de la Soul, c’est de la Soul extraordinaire. Elle se jette toute entière dans la bataille. Ella atteint au génie avec «No Time For Crying». Elle retrouve sa fantastique énergie primitive. Les Londoniens stompent le beat - No time for tears/ We’ve got work to do - C’est l’appel au réveil, le grand message de Pops. Message d’autant plus beau qu’il est politiquement très engagé. Elle monte la transe au maximum - All over the world/ It’s a mean old world we’re living in - On reste dans le génie interprétatif avec «Can You Get To That», ce vieux hit de Funkadelic. Mavis nous habitue au confort du heavy doom. À sa façon, elle démonte la gueule du groove, comme savait si bien le faire Isaac le Prophète. Quel sens du punch ! Donny Gerrard fait le wanna know de baryton. Puis Mavis se coule sous la peau du groove pour interpréter «Let’s Do it Again», un cut qui ne fait pas partie du set parisien. Elle devient littéralement magique, sometimes it rains, elle groove à gogo - Let’s do it in the morning/ Sweet lovin’ - Le baryton vient fureter entre les cuisses du groove et ça devient spectaculaire. Elle explose littéralement la notion de live. À la fin, elle se marre - I feel like a butter finger - C’est une reine et la salle explose de plus belle. Elle rend hommage à Curtis Mayfield avec une sweet cover de «Dedicated». Elle sait de quoi elle parle. Elle monte là-haut comme Aretha dans «We’re Gonna Make It», mais en plus guttural. Power suprême ! Elle devient folle à la fin du set avec «Happy Birthday» et «Touch A Hand» - Make some noise ! - Elle allume comme une dingue. Make some noise ! Trop tard. Personne ne plus rien pour elle.

Dans la vraie vie, on écoute aussi ce fameux dernier album produit par Ben Harper, We Get By. Album d’autant plus ravissant qu’on y retrouve l’excellent Rick Holmstrom. Il fait des siennes dès «Change» qu’il gratte sec au boogie down. Il part même en solo d’exaction excavatoire. Il sonne vraiment juste, il sort un son de blanc noirci par la passion. Le cut le plus émouvant de l’album pourrait bien être «Heavy On My Mind», car Mavis le chante à l’intimisme extravagant, on l’entend mouiller ses papilles pour alimenter le groove du capella. C’est une chanteuse accomplie. Elle revient à ses basics avec «Sometime», fabuleux shoot de full time gospel joy. Quelle ferveur, les amis ! C’est excellent, comme pouvaient l’être les albums des Staple Singers sur Riverside. La réverb fait toute la magie du son. Mavis retrouve ses marques et chauffe son gospel batch à gogo. On retrouve l’autre Mavis, la Mavis excitée, dans «Stronger», épaulée par la pétarade de Jeff Turmes. Ça continue avec «Chance On Me», monté aussi sur le pouet pouet de cet incroyable bassman qu’est Jeff Turmes. Il tonitrue son bassmatic. Il nous fait du stipped down r’n’b et c’est fameux. Ce qui frappe le plus sur cet album, comme d’ailleurs sur scène, c’est la complicité qui règne entre Mavis et ses amis blancs. Cette complicité saute aux yeux à l’écoute de «Hard To Leave», car ce big cat de Rick Holmstrom ne fait que souligner le chant de Mavis, et c’est toute la différence avec un Jeff Tweedy qui avait une malencontreuse tendance à se mettre en valeur, comme tous les gens qui se payent du crédit sur le dos des autres. Holmstrom a compris que la qualité principale de Mavis était l’intimisme. Cette attachante vieille peau nous embarque quand elle veut, c’est en tous les cas ce que démontre une fois de plus «One More Change». Elle semble y atteindre l’apogée de sa proximité. On parle ici d’une qualité de proximité unique au monde.

Signé : Cazengler, Mavicelard

Mavis Staple. La Cigale. Paris XVIIIe. 5 juillet 2019

Mavis Staple. Live In London. Anti- 2019

Mavis Staples. We Get By. Anti- 2019

15 / 09 / 2019MONTREUIL

LA COEMDIA

COCKBOX / RAT'S EYES

Pas la foule des grands jours ce soir à la Comedia. Bizarre, tous ces gens qui se privent de groupes rares, le premier vient d'Helsinki, et le deuxième de Moscou, peu de chance de les revoir de sitôt par chez nous. Remarquez que cela vous donne l'impression d'être de joyeux élus de la confrérie des maudits. Une pensée émue et reconnaissante tout de même pour ces honnêtes citoyens qui se couchent tôt le dimanche soir afin que leur force de travail soit prête à subir dès le lundi matin l'esclavage social. Les temps de soumission frénétiques vont-ils encore durer longtemps ? En tout cas, l'European Tour 2019 des Cockbox et des Rat'Eyes s'intitule : Peace = Death to the system. L'est sûr qu'il faut savoir prendre le taureau par les cornes si l'on veut tuer le Minotaure.

COCKBOX

Du punk comme on n'en fait plus par chez nous. Bille en tête. Trente secondes de balance, pas davantage et c'est parti. Ce grand gaillard blond aux drums c'est Llari, pour le moment il officie avec componction, bat le beat ( évident quand on s'appelle Boite à Bite ) avec lenteur. Rasmus l'accompagne sur une seule corde répétitive de sa basse, l'on admire sa crête échevelée, l'on imagine facilement que lors de leurs raids meurtriers les crinières des poneys huniques devaient arborer cette flamboyance désordonnée. Elle s'était tenue un peu à l'écart et voici que Vee s'empare du micro. Que cette fille est belle dans sa blondeur sauvage et son cuir noir, sa cartouchière qui lui ceint les reins, ses pieds nus sous la résille de ses bas déchirés, la blancheur diaphane de sa peau et son visage de prêtresse qui s'apprête à lancer à la face du monde ses anathèmes destructeurs. Derrière les guys ne varient pas leur rythmique d'un millimètre, c'est sa voix rauque qui marque les brisures nécessaires. Une mélopée funeste, un son fruste, un timbre rude, la fascination du serpent, une interprétation de Siouxsie et des Banshees qui n'est pas sans rappeler le premier disque des Stooges, un étau minimaliste qui vous prend à la gorge, une coulée d'angoisse pure, une amphore de poison qui s'écoule au fond de vous et fore fort le phosphore des membranes reptiliennes de votre cerveau. Assistance subjuguée par cette entrée en matière.

Changement de ton. Vee a pris sa guitare et les villes en flammes s'embrasent. Llari enchaîne les plans sur la batterie, rapide comme le renard insaisissable qui se joue de la chasse à courre. Ne peut s'empêcher de sourire sous ses cheveux blonds, frappe imaginative, roulements incessants, difficile de suivre ses poings refermés sur les baguettes, cavale et cavalcade, il pulse, impulse, il propulse, et offre cette terrible dualité d'un feu roulant inextinguible qui ne se permet aucun bavardage. Une extrême efficacité, il pousse le morceau de ses basfonds les plus sordides aux bastons les plus éructants. Rasmus n'en semble pas ému. Il aime cette émulation, comme souvent Vee repose sa guitare et se consacre au sacre du chant, sa basse est obligée de bosser pour deux, il ne tolère pas de hiatus, il prend en charge le rôle de la lead et il gronde à l'image du lion que vous venez embêter dans sa tanière. Etonnant contraste entre son visage d'une fine délicatesse et son jeu rude et brutal. Vee aime mêler sa voix à ce tumulte, elle la lie à ces rafales de haine pour sonner l'hallali des mondes à détruire, et lorsqu'elle reprend son instrument c'est pour quelques riffs de feu qui vous fusillent sans rémission.

Le set se termine trop vite. L'on aurait voulu davantage, mais peut-être ne le méritions-nous pas. Une dague qui s'enfonce dans votre cœur et que vous n'êtes pas prêt à laisser ressortir.

RAT'S EYES

Pas l'œil du tigre, mais les yeux du rat. Cet animal que l'on dit plus intelligent que l'homme – - immonde créature destructrice – qui nous accompagne, et nous suit de près, par en-dessous, depuis les égouts et nos décombres, qui nous espionne et nous talonne, n'attendant que notre faiblesse pour prendre le dessus. Superbe métaphore de ce que Jack London nommait le peuple des abîmes, dont les hordes punk de nos jours sont les derniers guerriers. Les autres ont abandonné l'art de la révolte, et pactisé avec les maîtres pour quelques miettes édulcorées. Sont quatre, le ton tout de suite plus étoffé, ce qui ne veut pas dire plus rutilant. Le fond du son est noir. Magnifié par un chanteur. L'est collé au micro. N'en bouge pas. Le bouffe au plus près. Penché dessus, vous ne voyez que ses boucles brunes emmêlées. Chante pour lui-même comme l'animal blessé qui lèche ses plaies intérieures. Il ne claironne pas. Il n'invective pas. Sans doute vous rabroue-t-il de son étrange brouet vocal, vous abasourdit mais du dedans, sa voix forte vous chuchote à l'oreille que vous êtes une chochotte effrayée de tout, vous ne songez pas à le contredire, parce qu'il a raison, parce qu'il n'omet pas de préciser qu'il est comme vous, pas mieux mais aussi pire, vous déconstruit vos tares sans retards, vous décortique vos torts sans repos, bilan attentatoire qui vous met d'autant plus mal à l'aise qu'il est auto-accusatoire.

Derrière lui, vous avez son exacte antithèse. Ne se cache pas derrière sa batterie. L'a une casquette rouge pour être sûr qu'on le remarque, qu'on ne peut faire semblant de l'ignorer. Obligation de se confronter à lui. Droit devant, face à l'ennemi. Vous démontre comment l'on doit frapper. Directement et sans atermoiement. Pas de posture fuyante, pas d'éclipse de trois quart, du face à face. Les bras largement écartés, et les baguettes de guingois comme s'il voulait que ses bras empoignent un vaste espace. Brasse le vent de la colère. Ne cherche pas le rythme, il l'abat, forgeron rivé à son enclume, le fer fume et il vous semble qu'il va le saisir à pleines mains, le mordre et le réduire en poudre. Pas un batteur. Un rabatteur, un abatteur. Il forge à pleine gorge. Se rengorge de fureur, et la vomit en un halètement monstrueux de locomotive déraisonnable.

Avec ces deux-là – sont-ils les deux yeux du rat – vous en oubliez de regarder guitariste et bassiste. Vous noircissent la sauce au sang sans rémission. Sans eux vous n'auriez pas ce fond touffu, ce background de béton qui vous mure toute possibilité de fuite. Ce qui est sûr c'est que êtes dans le faisceau des yeux du rat, qu'il vous observe, peut-être vous assimile-t-il à son rêve, vous amalgame-t-il au marasme du monde, mais vous sentez la froide réalité de votre vie vous transpercer jusqu'aux os.

Encore un set trop court. Une musique qui se dirige sur vous, telle une caméra de surveillance et vous comprenez que désormais il faudra vivre avec. Que vous devrez augmenter le degré de vos ruses pour donner le change. La partie sera plus difficile que vous l'espérez. Maintenant vous le savez. Il est inutile de pleurer. Gros applaudissements.

Damie Chad.

CAROUSEL / COCKBOX

Bass : Rasmus / Vocals, guitar : Vergi / Drums : Jesse

Carousel ( tiens quel hasard un titre de Siouxsie & The Banshees ), super 45 tours, pochette recto blanc et noir. Pas de figure, juste un pied de table et deux autres, de Vergi. N'insistez pas, son visage est hors-champ, le corps, et surtout la montée selon la ligne blanche des jambes vers le lieu du désir. Pa de chance rectangle noir pour le buste, à peine la naissance laiteuse des bras. Mallarmé nous a prévenus, mieux vaut suggérer l'absence d'une chose charnelle que d'en décrire la présence. Vous retrouvez le groupe en entier, bien propre sur lui, sagement rangé sur un canapé, au recto, filtre violet, dévoilé, violé ?

Cute little doll : jolie petite poupée, pas du tout brisée, sait ce qu'elle veut, l'a la voix qui ordonne, et la musique derrière est comme elle, péremptoire, un mur de pierres sèches qui s'écraseraient sur vous si vous tentez de résister à la damoiselle, un solo de guitare comme un lancer de poignards, la batterie ponctue la leçon, il est inutile d'insister. Notre jolie poupée est un être libre. Suit son désir n'obéit pas au vôtre. Shot by jokers : elle vous le dit sur tous les tons, vous n'y échapperez pas, derrière la musique inéluctable le confirme, la batterie renvoie la balle, les guitares écrasent les insectes qui essaient de se faufiler. Dans votre tête, téléguidés par les media. Tout se passe dans la caboche, Cockbox se sert de sa musique comme d'une muraille infranchissable. Méfiez-vous les lézards s'introduiront dans la moindre des fissures. Fun vacations : anti-titre, les Cockbox ont l'humour pistolien. Vous dénoncent la triste réalité. Vous n'êtes que des esclaves de la technologie. Toutes les injustices du monde vous tombent dessus. Les Cockbox vous réinventent la lutte des classes, le couple dominé-dominant, et l'horreur du capitalisme sans employer un seul de ces vocables. Une voix tranchante qui claironne comme un jour de gloire. Ironie froide des guitares et batterie imperturbable, un longue traversée instrumentale pour vous signifier que ce n'est pas prêt d'être terminé, et un dernier vocal pour enfoncer les clous dans le cercueil de vos illusions. Le monde est d'une laideur repoussante. Leech : n'oublions pas que c'est une demoiselle qui chantonne, enfin qui criaille, l'a envie de se débarrasser de celui qui lui colle de trop près. Si sa voix était un fusil il y aurait longtemps qu'il y aurait du sang sur les murs. Les guys derrière se la jouent à massacre à la tronçonneuse, tapent et cisaillent sur tout ce qui ne veut pas bouger.

Pas de logo sur la rondelle. Blanche de colère.

Damie Chad.

RAT'S EYES

Peu d'indications sur la pochette. Si ce n'est la mention : Futurepunk sound against fucking politics & fucking police from Moscow. Etrange de penser qu'à plusieurs milliers de kilomètres de chez nous, à l'autre bout de la terre, tout le monde aussi déteste la police. Quelle surprise !

IN30.19 : sifflements, tapotements rythmiques, des voix obstrués qui s'en viennent et qui s'en vont, des robinets sonores qui fuient. Serions nous en 3019, en tous cas ce que nous entendons pas n'est guère jouissif, l'avenir s'annonce sombre. The rats VS. The scum : ( le seul morceau en anglais, certes pour les autres comme pour celui-ci ils vous refilent les lyrics mais en russe... ) nous ne nous trompions pas, ce morceau n'est que la suite du précédent et ce qui se profile n'incite pas à l'optimisme. Le son se resserre davantage, les guitares se joignent à la rythmique, l'urgence de la voix explose, de nombreuses coupures mais tout se termine en un obscur pugilat dont nous comprenons que nous n'en sortirons pas vainqueurs. Nous luttons à armes inégales. Digital priority : toujours le même son, mais plus violent, plus oppressant, la voix gronde et devient carnivore, elle essaie de mordre sur l'environnement netivore qui nous englobe dans le système matriciel contre lequel nous luttons en vain. Ne serions nous pas prisonniers de nos priorités, il est des luttes qui sont des jeux de dupes, l'insecte qui se débat ne s'englue-t-il pas davantage dans la toile de l'aragne mortifère. La batterie mène la charge. Et peut-être bien la retraite. No future : le titre est suivi d'un point d'interrogation sur le feuillet des lyrics. La question est à débattre. Une voix qui s'égosille, des guitares qui prennent de l'ampleur, la batterie qui cesse son tapotement irritant pour se métamorphoser en torrent impétueux. Un cri final orgiaque. Mais qu'a fait la police ? En tout cas le son rampe sur la bande-son qui ne bande plus du tout. Effritement terminal. Raving idiots ( the templars ) : un délire d'idiots pour couronner le tout. L'on croyait avoir touché le fond, mais c'était une erreur. Un flot d'invectives vous éclabousse, ça commence grandiosement comme un générique de film d'action et vous entrez dans une cavalcade punk terrorisante, et puis tout change, tout se calme – relativement – une espèce de valse gondolée avec des vomissements peu ragoûtants par-dessus. Certes il y a mieux mais vous ne trouverez pas pire. Un disque étonnamment bien construit. Les Rat's Eyes vous racontent une histoire, une seule, certes ils vous l'offrent en tranches pré-découpées genre barquette de salami à sale mine, mais cela forme un tout, vous avez des motifs instrumentaux qui reviennent et un traitement de la voix des plus intéressants. Un petit bijou de pierre volcanique en éruption soigneusement agencé.

A se procurer le plus vite possible. En plus ils le balancent à deux euros avec deux autocollants dans le package. Les individus capables d'égaliser leurs actes et leurs idées sont rares par les temps mercantiles qui courent.

Damie Chad.

VICDESSOS / 10 - 08 - 2019

BLUES IN SEM

DAISY PICKERS / PEACHES STATEN

ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

Dix-huitième Blues in Sem. Avec toujours cette paranoïa organisationnelle qui fait que les portes sont ouvertes à dix-huit heures et non à dix-sept heures cinquante-neuf. Tant pis pour les amateurs qui aimeraient assister aux balances. A croire que certains ont oublié que le blues est à l’origine l’expression populaire d’une révolte métaphysique et d’une convivialité existentielle contre les rigidités sociétales répressives. En ce début de troisième millénaire le serpent de l’efficacité finira par tuer l’aigle de l’esprit.

DAISY PICKERS

Le monde est peuplé d’injustices. Deux sont assis, mais Stéphane Barral reste debout au milieu, bénéficie d’une superbe compensation, une présence féminine. Une belle big mama de bois vernis. Se tient à ses côtés et ne manque pas de lui prodiguer des leçons de bonne tenue, ne lui passe rien, ne se gêne pas pour la reprendre sans arrêt, qu’elle se campe bien droite, et pour être sûr que rien ne dépasse il lui distribue force claques sur le cordier. Une éducation sévère, mais qui porte ses fruits. Normalement avec les deux ostrogoths sur les bas-côtés on ne devrait pas plus l’entendre que le tic-tac d’un réveil au fond de l‘armoire. Oui, mais il fait sonner l’angélus du matin et l’angélus du soir de belle façon. Un métronome implacablement fou qui serait devenu amoureux de la nuance. Je sais bien que l’on ne juge pas le talent d’un artiste à l’applaudimètre mais à plusieurs reprises, en cours de morceaux, il fomentera moult vives réactions appréciatives dans le public. Et ce n’est pas évident car il n’est pas entouré d’une colonie de manchots réfrigérés sur la banquise. A sa gauche à la guitare Matt Bo Weavil, Daniel Giraud à mes côtés me glisse dans l’oreille qu’il l’a remarqué voici près de trente ( ou vingt ) ans avec sa guitare dans les rues du festival de Cahors, bref un cador on the blues trail depuis des lustres. Et cela se sent et s’entend, l’en a dans les doigts et dans la voix. Petit bémol, s’est un peu trop contenté d’un groove rythmique sympathique mais peu imaginatif dans la deuxième moitié du set. L’est pourtant doué et il possède un bel organe sonore qui colle au blues comme la mort aux objets mortels que nous sommes. A sa décharge, il n’est pas tout seul, sur la gauche de Stéphane qui taille sa route à la manière d’un bulldozer qui éventre une montagne, vous avez Vincent Pollet Vilar. Encore un qui n’est pas venu les mains dans les poches, lui fait ses tours de magie sur son piano. Pumpin’ mais pas pompant. L’a l’esprit inventif, le gars qui a toujours une arabesque de feston de rabe à rajouter à la fresque sonore. Vous surprend toujours, imaginez la fougueuse charge d’Alexandre quand il jette son cheval dans les rangs serrés des hoplites thébains qui plient, se rompent et s'éparpillent, vous mène un train d’enfer d’un bout à l’autre de chaque morceau - pour les titres vous demandez à Daniel Giraud qui me les crie dans l’oreille à la première note - vous renouvelle l’interprétation des classiques, tellement pressé d’en finir qu’il les rallonge pour le plaisir de les enluminer à foison. L’assassin qui prolonge la vie de sa victime rien que pour le plaisir de le voir jouir de ses raffinements sanguinaires. En plus il chante, un petit grain de Ray Charles dans le timbre, se repassent le bébé vocal avec Matt Bo, deux ou trois titres et puis à toi companero, et le Barral qui vous verse un baril de solo big mamaïque pour pimenter le ragoût manifestement au goût de l’assistance. Vont jouer longtemps sans provoquer une seconde d'ennui, même que sur une intro Vincent se prend pour Rachmaninov manière de briser la monotonie anatolienne, en résumé une belle première partie qui met la foule sur les genoux. Acclamations, rappel, vous entrevoyez sans peine le tableau.

ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

A l’impossible tout le monde est tenu. Toutefois pour certains c’est plus facile que pour d’autres. En plus ils n’engagent que la moitié de l’effectif. Pour le moment contrebasse et batterie se la coulent douce, en arrière plan mais légèrement décalés ce qui permet une vision panoramique des quatre pèlerins. Donc Arnaud Fradin et Thomas Troussier en première ligne. Débutent par deux morceaux qui seront le moment le plus fort de la soirée. Arnaud tout seul à la guitare sèche, et Thomas qui murmure si bas à l’harmonica qu’il faut du temps pour se rendre compte de son action. Les cordes qui geignent, le blues le plus pur, le plus rural, que personne de maintenant n’a jamais entendu car à l’époque les séances d’enregistrement n’existaient pas encore. Ne me demandez pas comment je peux l’affirmer puisque je n’y étais pas, tout simplement parce que je le sais, un point c’est tout. Un moment de grâce suspendue au-dessus du monde, cette guitare qui pleure si profond à la manière des chats écorchés dont on retire les intestins alors qu’ils sont encore vivants. Chuintements et suintements, la souffrance à l’état idéal. Et les deux spadassins derrière qui effleurent tout doucement aux endroits qui ne font pas mal. Du blues pur et la meilleure leçon de compréhension de rockabilly que je n’ai jamais reçue, cela peut paraître bizarre, mais en fait dès que Thomas hausse le ton et s’immisce dans les interstices de la friction moanique de la guitare il devient évident que les déchirures rythmiques de Cliff Gallup se glissent et se superposent à la longue plainte échevelée de l’harmonica, ceci pour ceux qui n’auraient pas compris les séminales origines noires de la musique des petits blancs. Après ces deux morceaux d’éblouissante splendeur Vincent se saisit de sa guitare à résonateur. Slide festival et bottle neck en souplesse, derrière l’on appuie le tempo mais jamais le volume sonore, le train prend de la vitesse et vous emporte de plus en plus vite. L’harmonica brûle la bouche de Vincent, siffle dans le lointain à la manière des locomotives fantômes, surgit devant vous pour s’éloigner aussitôt dans de mystérieux horizons. Richard Housset jamais brute mais plus incisif sur ses percussions et Igor Pichon maître des cordes tirées d’un doigt, mais plus franchement et plus répétées, se révèlent enfin, à peine davantage de bruit mais une présence qui n’en finira pas de s’accentuer durant tout le reste du set. La voix mâle d’Arnaud écoule tous les classiques, de Muddy Waters à Nathan James, n’hésite pas à se risquer dans le répertoire de Dylan, et à aider à la résurgence des racines africaines avec Ali Farka Touré, le blues est partout. Les radicelles viennent de loin et leurs prolongements sont sans fin. Un set assez court - du moins m’a-t-il paru - même si l’on rajoute le rappel, mais du diamant bleu d’un éclat absolu, tel que je n’en n’avais jamais vu et entendu sur une scène. Longue ovation respectueuse et frénétique qui en dit plus long que n’importe quelle autre phrase.

FAYE PEACHES STATEN

Qui oserait s’aventurer sur scène après ce qui précède. Ce sera Mister Chang. Se fait attendre un petit peu. Le temps que ses trois accompagnateurs habituels préparent le passage en force. Au fond Pompon, un doux nom de chaton innocent, un colosse sapé comme un maquereau, ne riez pas, dans une autre vie avec sa cravate voyante, sa veste impeccable, son chapeau qui lui mange les yeux et son visage de boxeur, il devait être le garde du corps d’Al Capone, certes il a remplacé la mitraillette par une basse, mais il envoie sans discontinuer des pruneaux à défoncer les murs de béton. Ça ne détonne pas vraiment parce que du haut de son piédestal Julien a décidé d’écraser le monde sous sa batterie, un tintamarre de camion poubelle qui passe dans votre rue à quatre heures du mat, en faisant rugir son moteur surpuissant. Encore un nuisible sur votre gauche, Victor Puertas se plie en deux et virevolte sur lui-même, l’a un harmonica chignole entre les dents, l’a décidé de vous vriller les tympans, et il réussit parfaitement. Sur ce Mister Chang se radine, guitare en main, vous voulez du bruit, permettez que j’en rajoute et il éparpille des dégelées de notes à la louche. Trois morceaux, tout juste si dans cette tonitruance généralisée l’on perçoit l’annonce de Mister Chang, et Peaches Staten entre sur scène. Certes toute la salle l’applaudit mais le bruit de nos claquements de mains est totalement recouvert par nos quatre sbires tapageurs. Apparemment cela ne suffit pas, Puertas se déleste de son harmonica et se jette sur l’orgue, question d’ajouter au vacarme orchestral.

L’on tremble pour Peaches Staten, que va-telle pourvoir faire dans ce cataclysme. Pas plus que vous et moi. A part qu’elle, elle sourit, secoue les serpents emmêlés de sa chevelure, s’avance vers le micro dans sa tunique triangulaire qui dessine comme la représentation d’un sexe stylisé géant, et tout simplement elle ouvre la bouche. Désormais l’on saura que dans le rhythm’n’blues c’est comme dans les livres de Bourdieu, il y a les instruments dominés et la voix dominante. Evidence sans bavure. C’en est franchement vexant pour la commune humanité. Elle ne chante pas, elle arrache. Elle stentorise. Sans effort, sans problème, avec une efficacité démoniaque. Vous pourriez mettre les potentiomètres sur 22, que ce serait aussi frustrant. Elle a du coffre. Trésors et merveilles. Un vocal qui emporte tout, à vous déplacer la grande pyramide, à faire toucher le sol au sommet de la Tour Eiffel. Avec humour en plus. Dans Sometimes elle demande à Mister Chang de traduire les lyrics, ligne après ligne, dès qu’elle en a énoncé une, et puis elle se lance toute seule dans une grande tempête wagnérienne-soul cataclysmique. Infatigable, increvable. De l’énergie à revendre elle galvanise le combo qui n’en avait pas besoin. Julien tape plus fort, Pompon dépasse les carillons, Puertas égosille son instrument, Chang vous invente toutes les trente secondes des fioritures de notes étincelantes qui ne servent qu’a rehausser le vocal de la diva. La voici qui se munit d’un frottoir, ce qui lui donne l’apparence d’un chevalier du moyen-âge en armure, et se sert de cette moderne washboard pour rajouter au vacarme ambiant le crépitement caractéristique d’une grêle cuillerique… Peaches a la pêche. Met le feu à la salle. Finira par descendre faire le tour de l’assistance suivie par Mister Chang transformé en chevalier servant, revenue au bercail elle distribue tambourins, frottoir, et autres ustensiles aux danseurs lancés dans une sarabande gargantuesque et finit par les inviter à monter sur scène poursuivre le carnaval diabolique. Vous n’avez pas voulu aller à la Nouvelle Orléans, pas de problème la Nouvelle Orléans vient à vous. C’est la fête, il y a même un vieux monsieur à la barbe blanche qui profite du capharnaüm pour lui poser des bisous dans le cou et sur les joues, pas vu, pas pris. L’a du courage parce que si Peaches vous passe un bras autour du col, vous pouvez dire bonsoir à vos vertèbres. Diva soul à la facilité déconcertante. Le set s’arrête parce qu’il le faut bien mais elle est aussi fraîche qu’une rose ruisselante de rosée. Ovation debout d’une salle en délire.

Certes elle ne renouvelle en rien le rhythm’n’blues mais elle apporte la joie, l’énergie et la vie. C’est déjà beaucoup. Trop peut-être pour notre chétive et triste humanité.

Damie Chad.

STEADY ROLLIN’ MAN

ARNAUD FRADIN

AND HIS WILD COMBO

( BPCD17 001 / Mojo Hand Records / 2017 )

Arnaud Fradin : vocals, guitars & backing vovals / Thomas Troussier : harps / Igor Pichon : double bass / Richard Housset : percussions / + special guest : Laurence Bacon ( 07 ) : backing vocal.

You can’t judge a CD just looking the cover, dixit Dixon, l’avait raison car à mirer les quatre employés de banque sur la pochette, rien de mirobolant ne vous tape dans l’œil. Heureusement qu’à l’intérieur ce n’est plus la même mouture.

Steady Rollin’ man : à première oreille l’on eût peut-être aimé la guitare un peu plus en avant que la voix sur ce classique de Robert Johnson, nos rêves se trouvent réalisés par la longue suite instrumentale mais ce qui nous séduit, reste le travail percussif de tambourinade qui vous cisèle et renouvelle le morceau. Two trains running’ : l’harmonica en tête de convoi sur ce titre de Morganfield, et encore cette surprise de la prépondérance percussive qui s’en vient s’enrouler autour de l’harmo de Troussier tel le pampre de la vigne à l’ivresse du vin. If I get Lucky : la voix qui traîne sur l’instrumentation ambiance bleu-Lenoir JB, des éclairs tremblotants d’harmonica c’est le vocal qui mène la marche, un véritable pas de corbillard sans tambour ni trompette, la cadence seule du désespoir. Six minutes, le temps d’agoniser à votre aise, la traversée du pont qui mène aux Enfers est interminable mais vous aimeriez qu’elle ne finisse jamais. I can’t judge nobody : chantent tous en chœur comme pour se donner le courage de s’affirmer. Harmonica pointu sur rythmique fatiguée, le temps de s’étirer et de se tirer hors de ce sentiment de culpabilité dont les tentacules vous étreignent l’âme. Illinois blues : un petit Skip James pour s’envoyer dans les airs, l’harmo pèse un max et puis il s’élève pendant que derrière lui tout s’accélère. Beau vocal. Impeccable. Walk with your maker : la guitare mène le bal, elle éparpille les notes comme ces grains de raisins qui s’envolent lorsque vous agitez fortement la grappe. Le combo en fête, chacun se sert à satiété mais pas de doute c’est la guitare qui régale. Don’t leave me : guitare forte à la texane, mais qui s’adoucit comme l’on perd de la force, lorsque l’adversaire est en train de prendre l’avantage, une goutte supplémentaire de blues et vous êtes mort, voix sans timbre et en même temps sépulcrale, longues entailles d’harmonica comme des lacérations de couteaux dans le dos. Ne bougez plus, ce coup-ci vous êtes mortibus rasibus. La guitare égrène des pétales de fleurs sur votre cercueil. Cela vous fait une bonne jambe. Larmes de big mama pour couronner le tout. Même les crocodiles ont le droit de pleurer. Et tout cela pour une fille ! Franchement il y a de quoi rire. Big mama’s door : beaucoup plus joyeux, apparemment toutes les filles ne claquent pas la porte sur le museau des quémandeurs. Et apparemment le combo s’est décidé pour une entrée en force et groupée. Hot, very hot. Sont en pleine forme. Je ne vous dis pas de quoi. Cela pourrait vous donner des données. Hard time killin’ floor blues : encore un Skip James, beaucoup plus larmoyant que le premier, n’oubliez pas le mouchoir. L’ensemble claudique tristement, l’on se croirait à l’Eglise pour la cérémonie des adieux, tout le monde pleure et personne ne rit, même l’harmo ne se permet aucun ricanement déplacé, et Richard tape sans fin sur le gong du chagrin. Don’t think twice it’s all right : le prennent sur un tempo beaucoup moins rapide que sur scène. Du moins au début parce qu’après ils accélèrent en cachette, la voix et la rythmique qui trottinent et l’harmo qui tente de ralentir la cadence. L’est sûr que l’on n’est pas chez Hugues Aufray. Transparaît ici le vieux fond du roublardise des vieux bluesmen. Don’t let no body drag your spirit down ; retour au blues, tout dans le vocal qui monte et descend pendant que l’instrumentation poursuit un autre chemin, et s’en vient corner à chaque croisement. L’on se dirige vers la tragédie, mais l’on ne sait pas que l’on est déjà dans le dénouement, dans le dénuement le plus absolu, et l’harmo en rajoute une couche pour que vous n’y échappiez point. Good morning love : Troussier trille, souriez c’est du Luther Allison, nous n’avons pas dit polisson, mais c’est fou comment le blues vous annonce les meilleures nouvelles avec une gueule d’enterrement. Entre l’amour et le blues, l’on ne peut choisir que l’amour du blues. Et nos drôles batifolent avec l’insouciance des poulains qui ne savent pas que nous marchons tous, hommes et bêtes, vers l’abattoir final.

Si vous n’avez pas ce disque chez vous, c’est parce que vous êtes parti pour l’acheter.

Damie Chad.

ROCK'ROLL STORIES

Une émission You tube. Il y eut à partir de février 2018 une première série de 10 épisodes, aussi bien consacrés à un seul artiste qu'à un unique disque ou à la manière de se constituer une collection de disques fifties. C'est en juillet de cette année qu'une deuxième série a vu le jour. Tout cela est en accès libre et sur You Tube ou sur le FB : Rock'n'roll Stories. Rien de bien spectaculaire : plan fixe sur le speaker qui raconte et montre des pochettes de disques. Qu'il saisit un peu maladroitement d'ailleurs. Evidemment les mordus de rock'n'roll connaissent tout cela, mais c'est comme pour les petits enfants et l'histoire du Petit Chaperon Rouge, on ne s'en lasse pas, quand c'est fini on redemande la même ou à la rigueur une autre mais alors avec un méchant loup qui dévore les petits enfants, et le prédateur obsédant et adoré des rockers il s'appelle rock'n'roll ! Peut-être gît-il au fond de cela un brin de masochisme, ou un indécrottable parfum de nostalgie, voire la fabrication d'un monde idéal qui n'a jamais existé, en tout cas cela nous rend heureux et peut-être vaut-il mieux ne pas chercher plus loin que nos lignes d'horizons intérieures.

Saison 2 / Episode 01

GENE VINCENT

Trente minutes pour résumer la vie de Gene Vincent. Le fond sonore reste évanescent, seule la voix fait sens. Mais l'on se laisse emporter sans problème. Les néophytes seront vite submergées par une vague d'informations qu'ils ne possèdent pas. Mais il suffit de reculer pour saisir ce que l'on n'a pas intégré à la première jactance. Les faits et les gestes. Jeunesse, enrôlement dans la navy, accident, premiers enregistrements, sorties de disques, concerts, tournées en Australie et Japon, accueil du public. L'on ne nous cache rien, le succès éclatant du début, la désaffection du public américain, le renouveau anglais et européen, l'accident d'Eddie Cochran, et puis lentement et sûrement, la dégringolade, la mort. Mais cette assurance que Gene Vincent, à la voix si remarquable porteuse de son propre écho, reste le plus grand, si Elvis fut le roi du rock'n'roll, Gene Vincent en fut l'âme. De couteau.

Damie Chad.

De Jean-Michel Esperet nous avons déjà chroniqué ses trois ouvrages consacrés à Vince Taylor. Il s'arrange d'ailleurs pour citer son nom dans ce dernier livre qui traite d'un tout autre sujet. De notre futur. Ou plutôt de notre no-future. Que voulez-vous le jour où les guitares n'auront plus besoin de musiciens pour jouer n'est pas si loin !

DIABOLUS IN FUTURO

- ELEGIE -

JEAN-MICHEL ESPERET

Diable, si Sheitan s'en mêle nous ne sommes pas sortis de l'auberge. Que dis-je de la cuisine de l'auberge. Car c'est dans votre deux-pièces-cuisine que le livre commence. Rassurez-vous vous n'assisterez pas à une scène de ménage d'un couple déchiré en détresse. Ce serait un moindre mal. C'est le ménage lui-même qui se révolte. Non, rien à voir avec une quelconque revendication féministe de juste répartition des tâches. Sapristi ! Vivez avec votre temps. Ne reculez pas dans l'éculé, soyez résolument moderne ! Ce sont les ustensiles qui entrent en dissidence. Notons que c'était le titre du livre précédent de Jean-Michel Esperet, avec un s final, car sur cette terre les lignes de fractures sont nombreuses.

J'entrevois les esprits forts s'exclamer, '' Ah ! Ah ! Un livre de science-fiction, c'est couru d'avance !'' J'aurais envie de leur répondre qu'ils ont tout à fait raison. Mais c'est moi qui aurais tort. Admettons un livre de science-no-fiction pour reprendre une expression venue d'Amérique. Certes cela ne se passe pas aujourd'hui à cinq heures du soir, mais vraisemblablement plutôt vers six heures trente. L'histoire racontée débute bientôt. A part le fait que ce n'est pas une histoire. Donc pas un roman, plutôt un essai à la Rochefoucauld. Respirez, Jean-Michel ne s'attarde pas à dénoncer vos turpitudes morales. Il sait très bien que vous les connaissez bien mieux que lui. De toutes les manières, vous êtes un homme. Une espèce qui n'existe plus. En voie de disparition, je corrige pour vous empêcher de récriminer, en voie d'extermination. Ne venez pas vous plaindre si vous ne vous en étiez pas aperçu, au moins à partir de cette lecture vous serez averti.

Identifions donc l'ennemi. Un prédateur repéré est un prédateur à moitié mort. Cela tombe bien, vous êtes justement à moitié mort. Reste donc à isoler la partie vivante de votre corps. Elle est au-dehors de vous. Ne soulevez pas les coussins de votre canapé. Elle est déjà sur vous. Et pour vous éviter de fouiller votre appartement, je vous livre son nom : votre environnement. Ceci n'est pas une fable écologique, la pollution, le désert qui avance, le climat qui entre en surchauffe, tout ce que vous voulez, mais ce n'est là que la portion congrue.

Je ne sais si je vous ai déjà rappelé l'anecdote de ce seigneur qui se fait construire un château-(très)-fort pour se défendre des assauts de ses voisins malintentionnés. Malencontreusement, avant que la moindre menace ne se manifeste, les murailles de l'épais donjon s'écroulent sur lui et l'envoient ad patres à mauvais escient. Ne dites pas que c'est la faute à pas-de-chance, vous êtes exactement dans le même cas.

Je m'attarde quelque peu sur mon expression toute latine, c'est que voyez-vous c'est en langage césarien que Jean-Michel Esperet a composé ses titres de chapitres. N'ayez crainte, la traduction est en libre accès dans le glossaire final. Parce que, quoi qu'on en dise, en latin ça sonne plus fort. Pas besoin de sonnerie annonciatrice, dès les trois premières pages cela vous saute à la figure que tout va mal.

Vous n'êtes pas comme le corbeau de la fable, ce n'est pas parce que le grille-pain vous a bombardé de tartines brûlantes que vous allez en faire tout un fromage. Objection votre honneur, ce n'est pas tout à fait ce que raconte Jean-Michel Esperet, son sujet c'est le transfert de technologie. Un genre d'activité qui tourne toujours au désavantage du généreux donateur. Quand vous semoncez votre gamin en édictant à voix haute '' Tu es un vilain'', il vous tire la langue et rétorque : '' C'est toi qui l'as dit, c'est toi qui l'es !'' Une machine? si vous la tapotez gentiment en vous exclamant : '' Comme je t'ai faite intelligente !'' elle répond '' C'est toi qui le dis, c'est toi qui ne l'es plus !''.

Si votre vélo d'appartement ne vous a pas encore écrasé, n'en tirez aucune vanité, méfiez-vous de la voiture qui pourrait sortir de votre poste de télévision. Ne riez pas, la menace est plus prégnante que vous ne le croyez. Nos objets doués d'intelligence sont comme nous soumis aux pannes, ils s'usent et se dérèglent et peuvent provoquer des catastrophes. Votre frigidaire ne transformera peut-être pas votre maison en zone sibérienne, mais pensez à ces systèmes de missile atomiques braqués sur vous... Il suffirait d'une défaillance d'un programme informatique...

Mais Jean-Michel Esperet use d'armes beaucoup plus insidieuses que les bombinettes à neutrons. Ne parle même pas de ces dernières. Imagine simplement des hypothèses de catastrophes intermédiaires. Pas celles auxquelles vous pensez. Le danger ce ne sont pas les bombes, mais la complicité que vous entretenez avec les réseaux d'aides et de facilitations existentielles qui s'emparent de plus en plus de notre quotidien. Le plus grand des périls réside entre l'osmose destinée à s'opérer entre les hommes et les machines. Tout transfert a vite fait de se transformer en échange. Vous donnez votre intelligence à un appareil, comment vous rendra-t-il la monnaie de votre pièce ?Les temps ne sont pas si lointains où vous le saurez.

En attendant Jean-Michel n'endosse en rien le rôle d'une pythonisse échevelée, préfère l'anecdote amusante, l'humour doucereux, l'ironie décapante, le sourire amer, le rappel historique gênant, le rictus démoniaque. L'on sent qu'il est à deux doigts d'en appeler à Aristote, à ses strictes délimitations des hommes et des objets, mais non, se contente d'agiter, pour attirer l'attention et la réflexion des grands enfants que nous sommes, les deux grandes marionnettes du théâtre d'ombres des représentations homo-sapiensales, Dieu et le Diable. Ne croit pas plus à l'un qu'à l'autre, mais il exècre tellement le premier – plus exactement ses différents sectateurs - qu'il prête au second son humour.

Dieu lui paraît n'être qu'un pauvre diable dont la valeur boursière dégringole de jour à jour, le Diable lui est davantage rigolo puisqu'il nous ressemble tant et que nous ne pouvons plus nous regarder dans une glace sans éclater de rire. Il serait plus logique d'en pleurer, ce n'est pas pour rien que Jean-Michel Esperet a sous-titré son recueil ''Elégie''. Le monde est triste. Hors contrôle, islamisme, communisme, libéralisme, agitent leurs tentacules destructeurs au travers de ce nouveau monstre transformiste encore en chrysalide qui bientôt les dépassera en nocivité.

Moins de cent trente pages, vite lu, un délice aussi glacé qu'un poignard dont on vous transperce le dos. Jean-Michel Esperet vous tend une petite fiole de poison, malheur à vous il ne possède pas l'antidote, mais il faut savoir combattre le mal par le mal.

Damie Chad. ( Septembre 2019. )

12/09/2019

KR'TNT ! 429 : DAVE BARTHOLEMEW / JAKE CALYPSO / ROCKABILLY GENERATION / JUKE JOINTS BAND / BARON CRÂNE / ZARBOTH / LE CORE ET L'ESPRIT / D. J. FONTANA + TONY MARLOW

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 429

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

12 / 09 / 2019

 

DAVE BARTHOLEMEW / JAKE CALYPSO

ROCKABILLY GENERATION / JUKE JOINTS BAND

BARON CRÂNE / ZARBOTH / LE CORE ET L'ESPRIT

D.J. FONTANA + TONY MARLOW

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Un Bartho en cale sèche

 

Le vieux Bartho vient de casser sa pipe en bois alors qu’il devenait centenaire. De la même façon qu’on qualifie Iggy de Godfather of punk, Dave Batholomew se voit affublé du grade de Grandfather of rock’n’roll songwriting. Il rendit populaire le fameux up-tempo R&B qu’on appelle aussi le Big Beat, via des pointures célestes comme Fats Domino, Shirley & Lee et Smiley Lewis. Dans le remarquable Blue Monday - Fats Domino And The Lost Dawn Of Rock ’n’ Roll, Rick Coleman rappelle que le big beat de la Nouvelle Orleans a précédé l’émergence du rock’n’roll. Durant cette fameuse aube du rock’n’roll, Dave Bartholomew n’en finissait plus de composer et de produire des hits tous plus somptueux les uns que les autres.

Au commencement, Bartho joue de la trompette, chaperonné par Peter Davis, l’homme qui a formé Louis Armstrong. À l’âge de vingt ans, Bartho se retrouve avec sa trompette dans des big bands. En 1947, il enregistre son premier single sur DeLuxe, un label new-yorkais qui fouine à la Nouvelle Orleans à la recherche de nouveaux talents, comme le feront un peu plus tard les gens d’Atlantic, d’Imperial et de Specialty.

Justement, c’est en jouant un soir à Houston que Bartho rencontre Lew Chudd, le boss d’Imperial, un gros label indépendant basé à Los Angeles. Chudd qui s’intéresse aussi bien à la musique mexicaine qu’au hillbilly commence à prospecter dans le R&B. Il est frappé par les qualités des Bartho, pas seulement celles du trompettiste, mais aussi celles du chanteur et du band leader. Bartho chante du Louis Jordan, qui est alors très populaire. Comme Chudd cherche à s’implanter dans le marché naissant du R&B et que Bartho est encore sous contrat avec DeLuxe, il lui demande de prospecter pour Imperial à la Nouvelle Orleans. Bartho lui ramène Mary Jewel King qui rocke the joint at the Hideaway, puis Fats Domino qui rocke aussi le joint, au même endroit.

C’est là qu’on entre dans la légende. Chudd signe Fatsy. Vite un disque ! Bartho monte l’orchestre qui accompagne Fatsy : Earl Palmer (drums), Frank Fields (bass), Ernest McLaren (guitar), et une horn section composée d’Alvin Red Taylor, Herb Hardesty, Joe Harris et Bartho himself. Tout le mode s’entasse dans le petit studio de Cosimo Matassa, sur Rampart. Ils démarrent avec une reprise du «Junker’s Blues» de Champion Jack Dupree, en virent toutes les connotations liées à la dope et en font le fameux «The Fat Man» - They call me the fat man/ Cause I weight two hundred pounds - En 1950, Bartho et Fats entament avec ce hit leur carrière de duo infernal. Chudd donne carte blanche à Bartho qui ramène chez Imperial des tas de nouvelles poules aux œufs d’or, du genre Smiley Lewis. Jusqu’au moment où Bartho et Chudd se brouillent. Bartho signe avec un autre blanc entreprenant, Syd Nathan, boss de King Records. Puis en 1952, il bosse pour Art Rupe, boss de Specialty, un autre gros label indépendant de Los Angeles. Lloyd Price enrengistre «Lawdy Miss Clawdy» avec le Batholomew Band. Fats est au piano. C’est un hit. En 1953, Bartho produit l’irrésistible «I’m Gone» de Shirley & Lee. Voyant ces succès, Chudd propose une belle augmentation à Bartho qui revient bosser pour lui. Entre 1953 et 1962, Bartho bosse d’arrache-pied pour Imperial. «Any talent I saw I could record.» Aucune restriction de budget. Bartho ramène Roy Brown, Earl King, Bobby Mitchell, Chris Kenner, Ford Snooks Eaglin et des tas d’autres. Mais son poulain favori reste bien sûr Fatsy qu’il produit avec un zèle religieux. Les hits de Fatsy sont des million-sellers. Le duo de compères fonctionne comme une horloge - Fats and I just played - Bartho enregistre aussi ses trucs et le seul hit qu’il décroche, c’est le fameux «The Monkey» qui devient un classique du New Orleans Sound des années 50. Et puis en 1962, Chudd revend son label à Liberty Records.

Dès le début des années 60, le nouveau Bartho s’appelle Allen Toussaint. Il joue d’ailleurs du piano pour Fatsy qui a trop de boulot. Pas le temps de jouer en session. Allen Toussaint va faire le même travail de découvreur de talents que Bartho : il ramène chez Minit Aaron Neville, Irma Thomas, Ernie K-Doe et Benny Spellman. Quand Chudd revend Imperial, Fatsy est en fin de contrat. Il signe avec ABC et va enregistrer à Nashville. Bartho se retrouve donc seul à la Nouvelle Orleans et monte son label, Trumpet. Les deux compères finissent quand même par se retrouver en 1967 et Bartho devient le maître de cérémonie et le band leader de Fatsy sur scène. Lorsque Fatsy décide d’arrêter la scène, Bartho prend sa retraite. Il a quand même 70 balais !

Encore une fois, Ace fait bien les choses : The Big Beat - The Dave Bartholomew Songbook vaut tout l’or du monde. C’est une nouvelle compile de rêve, du genre de celles dont Ace nous gave depuis des années. En choisissant les meilleurs interprètes du Bartho Songbook, Ace l’élève au rang de compositeur modèle. Si on est pressé, on peut commencer par la fin, avec le vieux hit de Smiley Lewis, «I Hear You Knocking», repris en 1970 par Dave Edmunds. On s’en souvient, ce fut un hit surnaturel, à l’époque où la radio le diffusait. Il relevait tout simplement de l’imparabilité des choses. Autre coup de Trafalgar : Jerry Lee qui nous glousse un petit coup d’«Hello Josephine». Pur génie vocal, avec tout le fruité de timbre et tout le shaking qu’on puisse espérer, Jerry Lee nails it down, il interprète le vieux hit de Fatsy au maximum des possibilités, oh-oh yeah ! Tiens puisqu’on parle de Fatsy, c’est lui qui ouvre le bal de cette compile avec l’effarant «The Fat Man» et toutes les pétoires de la préhistoire. Fats chante ça à l’immaculée conception. C’est le barrelhouse des origines, le lit du fleuve qu’on appelle le boogie woogie. Si on est friand de coups de génie, alors on est copieusement servi car voilà Shirley & Lee avec «I’m Gone», un hit enregistré en 1952. Lee est un cadeau des dieux, mais Shirley, c’est la crème de la crème, elle chante au perçant définitif. Tu ne trouveras jamais rien de plus exotique que Shirley & Lee, ce fabuleux duo de shouters délicieusement juvéniles. Rien ne vaut leur plainte combinée. On trouve plus loin une effarante version de «Let The Four Winds Blow» par Roy Brown, qui est lui aussi à la racine de tout. Roy n’y va pas par quatre chemins. Il shoute direct. C’est un vrai shouter, un boxeur. Roy is the king of blows. Version superbe aussi d’«Every Night About This Time» par The World Famous Upsetters. Tout le monde sait qui sont les Upsetters : le backing band de Little Richard. Il n’est donc pas surprenant de l’entendre chanter cette pure merveille de heavy groove. L’autre grosse poissecaille de cette compile, c’est Tami Lynn, qui n’est hélas pas très connue. Elle nous tape le très hot «A Night Of Sin» avec une extraordinaire sensibilité jazzy. Elle swingue ça à l’ancienne, un peu à la manière de LaVern Baker ou de Billie Holiday. C’est imbattable. Il faut bien garder présent à l’esprit que Bartho signe tous ces hits. Et ce n’est pas fini. Annie Laurie shake le vieux shook de «3x7=21» au gospel swing de la Nouvelle Orleans. Elle chante dans des harmonies de trompettes de jazz. Bartho souffle comme un dieu. On parlait de Smiley Lewis tout à l’heure : le voici la gueule enfarinée avec «Down The Road» - I’m done no more - Il faut l’entendre embarquer le groove dans le moove. C’est vraiment l’apanage du barrelhouse, avec un solo de Bartho dans la carcasse de la rascasse. Contrairement à ce qu’on croit, «My Ding-A-Ling» n’est pas un hit de Chickah Chuck. Pas du tout. Bartho le signe et l’enregistre en 1952 sur King Records. Sur cette compile on entend aussi pas mal de pionniers qui ont tous tapé dans le stock de Bartho, à commencer par le Johnny Burnette Trio avec «All By Myself», pur jus de Memphis Beat enregistré à Nashville. En arrivant en ville pour enregistrer leur album, Johnny, Dorsey et Paul n’avaient pas assez de morceaux. Alors, ils sont allés chez un disquaire local et on acheté deux singles de Fatsy, dont «All By Myself». Ils en ont fait l’un des cuts les plus excitants de l’histoire du rockab. On croise aussi l’ami Buddy avec «Valley Of Tears» et Elvis avec une admirable cover de «Witchcraft». C’est même à se damner tellement c’est bien chanté. La petite Brenda Lee se charge de «Walking To New Orleans», avec sa voix sucrée et puissante, idéale pour maintenir en vie la magie des sixties. Un géant nommé Georgie Fame se charge de «Blue Monday» et le bouffe tout cru. Ne prends pas Georgie à la légère. Ce serait une grave erreur. Et l’injustement méconnu Bobby Charles nous éclaire de sa présence avec «Grow Too Old», accompagné par The Band. Il faut savoir que le petit blanc Bobby Charles composait avec Bartho et Fatsy («Walking To New Orleans») et qu’il est l’auteur de «See You Later Alligator», une formule que tout le monde emploie pour dire au revoir à une copine. Ce n’est pas Ricky Nelson, mais Larry Storch qui se charge d’«I’m Walking». Le hit de rêve, comme chacun sait et que Ricky joua devant son père Ozzy au bord de la piscine pour le convaincre de le laisser démarrer une carrière de rocker.

Signé : Cazengler, complètement Bateau

Dave Bartholomew. Disparu le 23 juin 2019

The Big Beat. The Dave Bartholomew Songbook. Ace Records 2011

 

Hit the road Jake - Part One

 

Pour chauffer un beffroi et les milliers gens qui y battent le pavé, rien de mieux que les Hot Chickens. S’il existe sur cette terre un allumeur de Sainte-Barbe, c’est bien Jake Calypso. Ah t’as voulu voir Vesoul ? Et t’as vu Béthune ! Ce démon de Jake Calpypso met le feu aux poudres aussi bien que Blackbeard le pirate qui montait à l’abordage en allumant des mèches sous son chapeau. Jake prend la ville en quelques minutes, épaulé par ses deux fidèles Hot Chickens. C’est un pulsif, une bête de slap, il fait corps avec la matière du roll over, jette sa stand-up en l’air plusieurs fois de suite, se roule par terre avec elle et n’arrête pas de haranguer le public, alors est-ce que ça va Bethune ? Jake Calypso est le roi des entertainers, le pusher boy du Honey Hush. Il est là pour célébrer les dieux du rock’n’roll, alors uh-uh honey ! Il envoie le souffle du bop et la foule ondule comme l’herbe des hautes plaines sous le vent, on voit rarement des phénomènes aussi spectaculaires dans les concerts. Ce mec est là pour électriser un public et il en a largement les moyens. On en est d’autant plus convaincu lorsqu’on connaît ses disques. Comme Don Cavalli, il dispose de la meilleure des crédibilités, celle des intouchables. Le samedi soir, la grande scène du Rétro est traditionnellement réservée aux stars, cette année Jake nous donne en plus du spectacle. Oui, il dispose de cette envergure, comme Jerry Lee, c’est le même genre de hell raiser, même besoin d’envoyer son rock’n’roll percuter la postérité. Il célèbre les vingt ans des Hot Chickens et après avoir commencé à chauffer la foule, avec notamment une version incendiaire de «Keep A Knocking» en hommage à Little Richard, il se met à saluer tous ses compagnons de route et fait monter des invités sur scène. Pour célébrer le temps des Mystery Train, deux bikeuses arrivent sur scène au guidon d’une Harley pétaradante, le temps d’un «Motorcycle Girl» hot on heels, puis c’est Tony Marlow qui vient rendre hommage à Johnny Kidd avec une version bien sentie de «Please Don’t Touch». Ils tapent ensuite dans les Cramps avec «Goo Goo Muck» et portent des masques de carnaval, pour faire bonne mesure. On profite de cette concession au clownage pour décrocher, car l’heure du set de Don Cavalli arrive et il faut cavaler jusqu’à la place du 73e. Cette année, la programmation fait très fort en mettant les deux têtes d’affiche dans un mouchoir de poche : Hot Chickens 22 h, Don Cavalli 23 h. Ça oblige à faire des choix cornéliens. On ne souhaite à personne d’avoir à faire des choix pareils.

Revenons à Little Richard. Jake et ses Hot Chickens lui rendaient hommage en 2007 avec Speed King. Il faut être gonflé pour taper dans Little Richard. Pas de problème pour Jake. Question gonflage, Jake a tout ce qu’il faut. Il attaque avec un «Keep A Knocking» hurlé au guttural de bonne guerre et ça passe, car au fond on sent bien le fan instinctif. Les deux coups les plus intéressants sont «Reddy Teddy» et «The Girl Can’t Help It», car Jake et ses amis les tapent au wild rockab, ils sifflent et déversent dans le ramdam transitoire des tombereaux de hot slap. Quelle violence ! Il savent pulser un vieux hit. Jake mord dans le lard des cuts. Oui, il y plante ses crocs. Il ramène tout ce qui fait la démesure du rockab, cette sourde pulsion déterminante. Il continue de voler dans les plumes du mythe avec «Jenny Jenny», même folie cavalée. Les Hot Chickens ont tout compris, ils font une sacrée OPA sur Little Richard ! Ils tapent un «Rip It Up» aux clap-hands et dans la transition, les démons du rockab reprennent la main. Admirable ! Jake chante les vieux hits de Little Richard comme un dieu, chaque départ en solo occasionne une poussée de fièvre rockab, du type de celles qu’on entend chez Johnny Burnette. Jake ramène toute sa folie dans «Long Tall Sally». C’est tellement wild que c’en est inespéré. Ils bouffent tout cru «Tutti Frutti» avec tout le push du monde, Jake ne lâche rien et à la première occasion, il part en vrille de slap. Et voilà qu’il se met à sonner comme Elvis pour entonner «Send Me Some Lovin’». Stunning ! Il profile son chant sous le boisseau du meilleur accent local de downhome cat. Il termine en touillant la fournaise suprême, «Ooh My Soul». Même si on sait que la version de Little Richard est intouchable, force est d’admettre que Jake s’en sort avec les honneurs.

Après Little Richard, Jake va aussi rendre hommage à Gene Vincent, Elvis et Buddy Holly, et chaque fois, il va taper en plein de mille. Tiens on commence par l’excellent Hot Chickens Plays Gene réédité en 2017 (et on va voir pourquoi cette réédition est capitale). Disons-le tout net : c’est certainement le meilleur hommage jamais rendu à ce crack entre les cracks que fut Gene Vincent. Jake procède de la même façon qu’avec Little Richard : il shoote la meilleure pulsion rockab dans la ferveur du rock’n’roll. Sa version de «Race With The Devil» devient vite puissante, pulsive et donc knock-outante. Il chante «Say Mama» à la narine palpitante, il rentre dans le lard du mythe comme dans du beurre et soudain, il nous emmène au paradis gégénique avec «I Flipped», groove de jazz affolé et accroché à la crinière d’un drive de basse. Ce diable de Jake se prend tellement au jeu qu’il sort une version bien meilleure que la version originale. Eh oui, ce sont des choses qui arrivent. Mais il ne faut pas s’en formaliser. Et ce n’est pas fini ! Voilà que la fièvre l’emporte et il dépote une version encore plus spectaculaire d’«Hold Me Hug Me Rock Me», et là, ça va très loin car figurez-vous que ça dégénère. Jamais Gene n’aurait osé aller jusque là. Jake explose Gene ! C’est slappé jusqu’à l’os du son et chanté au gant de cuir noir. Effarant phénomène d’osmose dévastatrice ! Jake fait partie de ceux qui ont tout pigé en matière de Gégénétique. Avec ce genre de mec, il faut rester sur ses gardes, il est capable de coups de folie, cet album en est la preuve. Il tape à la suite le «Teenage Partner» au slap de rockab, au gone gone gone d’only seventeen. Les départs en vrille sont de véritables modèles du genre. Il récidive avec «Blue Jean Bop», balayant d’un coup de folie la version originale. Il boppe ça si sec. Quelle classe ! Jake outrepasse la permissivité des choses haut la main, il ramène encore une fois le wild beat du rockab dans le rock de Gene. Avec «Crazy Legs», il ravive le bop des fifties d’Amérique, il secoue les colonnes du temple Capitol. Gene serait vraiment content d’entendre tout ce bordel, c’est pulsé au meilleur beat de l’univers, n’ayons pas peur des mots. Le bassmatic prédomine dans l’action et traverse le cut comme un puissant courant sous-marin. Fin de l’album ? Pas du tout. Voilà pourquoi la réédition de 2017 est primordiale : elle met à jour les des morceaux cachés du premier tir et propose des bonus explosifs. On prend en pleine poire l’«Ain’t That Too Much», véritable horreur pulmonaire, ça bat comme un poumon d’acier, ou pire encore, comme un emboutisseur, avec en prime des coups d’harmo et un chant de tous les diables. Et puis on arrive au cœur du mythe de Gene Vincent : «Bird Doggin’». The real deal. Certainement le plus bel EP de l’histoire du rock, le London EP où Gene fume sa clope devant un mur de briques. Intouchable. Mais Jake a décidé de le toucher et il est dessus, il rampe dans le génie de Gene comme un énorme serpent - All these sleepless nights I’m so tired/ Of - Il a tout compris, il retrouve l’éclat fondamental - Bird doggin’/ Yeahhhh/ Bird doggin’ - Les coups d’harmo sont en plein dans le mille, par contre le solo est moins teigneux que celui de Dave Burgess, le guitar hero des Champs qui tenta d’aider Gene à redémarrer sa carrière. Non, la virulence exacerbée qui fait la grandeur du solo de Burgess n’y est pas. Mais ce n’est grave. Jake does it right. Il descend ensuite le rocky road de «Rocky Road Blues» à toute blinde. Que de génie dans son fanatisme ! Il ne laisse rien en reste. Tout le power de Gene est rallumé. Les Hot Chickens jouent à l’énergie pure. Même avec «I’ve Got My Eyes On You», Jake fait illusion. Il sait rester merveilleusement juste dans l’excellence.

Après Little Richard et Gene Vincent, voici Elvis. Jake lui rend hommage avec 100 Miles. C’est d’autant plus gonflé qu’il n’a pas la voix pour ça. Il tape en plus dans les balladifs, le côté sentimental d’Elvis, le moins évident. Il raconte dans les notes de pochette qu’il s’est mis à chialer sur la tombe d’Elvis, à Graceland. Il chante tous ses cuts à la mélancolie instinctive. On sent une fantastique investiture dans «Tomorrow & Forever». Il finit par nous entraîner dans son rêve, c’est dire s’il est fort. Ça devient très poignant, une sorte de beauté s’élève du cut. Il chante à la perfection. Jake est un grand sentimental. Il sait dire son attachement à Elvis. Avec «Milky White Way», il va droit sur le gospel. Il devient une sorte d’Elvis français, sans même s’en douter. Son gospel redonne vie au mythe d’Elvis. Il faut écouter cet album car c’est celui d’un fan réellement dedicated. Il y croit si fort que les chœurs sonnent comme la voix de la révélation.

Avec Fool’s Paradise, le dernier album en date des Hot Chickens, Jake rend un hommage pour le moins stupéfiant à Buddy Holly. Ne vous attendez pas à de la pop un peu sucrée, non Jake a décidé de rentrer dans le chou du Buddy, comme il a su le faire avec Gene Vincent et Little Richard. On l’attendait au virage avec «Reminiscing» qui fait aussi partie des disques auxquels on s’attache pour la vie, surtout le EP français paru en 66 avec la belle veste bleue et «Rock A Bye Rock» de l’autre côté. Diable comme on a pu vénérer ce son, alors on imagine ce qui a dû se passer dans la tête de Jake quand il a croisé «Reminiscing» au coin du bois ! Il le tape à sa manière, dans l’excellence, mais sans le sax. Sa tournure d’I’m lonely au retour de l’accord est pure, et son thinking of sonne incroyablement juste. Et dès l’attaque avec «Tell Me How», il est dessus. Tapé direct. Il ne rigole pas. On ne trouve pas moins de trois coups de génie sur ce tribute au binoclard, à commencer par «Whishing». Il va chercher son Buddy dans les fondements du mythe. Terrific ! Il chante sa pop de rock à la déchirade, il fouille vraiment les tréfonds du mythe, il faut vraiment adorer Buddy Holly pour arriver à chanter comme ça. C’est là où on comprend ce que veut vraiment dire le mot fan. Jake ne fait pas semblant. Plus loin, il explose littéralement «It’s So Easy». Il le bouffe tout cru ! C’est pas beau à voir. Crouch crouch ! Quel carnage ! Et un tourbillon de guitare vient couronner la scène. Les Hot Chickens donnent le tournis. Troisième coup de génie avec «Maybe Baby». Jake l’allume au chant, bien soutenu par le riffing de Christophe Gillet. Que de son ! C’est inespéré. Du son à gogo qui rend gaga. Avec «Lonely Tears», il boit à la source des larmes d’Holly. Nouvel hommage stupéfiant au génie du binoclard. Il lui shake bien le shook. Jake fout la gomme en permanence. Encore du pur jus de Buddy craze avec «Love’s Made A Fool Of You». En plein dans le mille une fois de plus, avec un son destroy, oh boy ! Il cherche à rallumer la gueule du cut en permanence. L’une des covers les plus fines est certainement «What To Do» et puis ça rebascule dans la folie douce avec «Rave On». Il tape en plein dans l’envergure astronomique de Buddy Holly. Il le chante comme s’il avait été son pote pendant vingt ans. Encore une fois, Jake joue avec le feu, car sa version challenge assez violemment la version originale. Cet album effare par sa justesse de ton.

Pour terminer (provisoirement) le panorama des hommages, voici celui que Jake et Michel Brasseur (qu’on voit sur la pochette à côté Jake) rendent hommage à Hank Williams avec les Rambling Men. L’album s’appelle Move It On Over et le petit conseil qu’on peut donner aux fans d’Hank Williams, c’est de se jeter dessus vite fait. Pour au moins une raison, et quelle raison ! Elle s’appelle «Rockin’ Chair Money». Attention, Michel Brasseur s’entoure de deux fous : Jam Jam on drums et Gus au slap. Duo de choc. Il faut les voir tailler la route ! Ils sonnent comme une révélation, comme la section rythmique de rêve. Oui il faut entendre Jam Jam et Gus rouler le bop dans leur farine ! Ils ont une façon très particulière de faire monter la sauce. C’est aussi Michel Brasseur qui chante l’excellente version de «Hey Good Lookin’». Il est écœurant d’assurance, il ramène une sorte de grandeur interprétative dans l’essence d’Hank, avec une niaque magistrale. Du coup, ça devient hot. Avec «Love Sick Blues», Jake fait la pluie et le beau temps. On y entend les guitares de Tahiti. Ils dégomment plus loin «When The Book Of Life Is Read» au boost de bluegrass de bastringue, avec un vrai gutso de gugusse. C’est Christophe Gillet qui signe le numéro de virtuose. S’ensuivent des versions assez affolantes de «My Sweet Love Ain’t Around» et de «Kaw-Liga». Jake fournit les effets dévastateurs et il en a largement les moyens, puisqu’il est une sorte de Rothschild du bluegrass. Que de bop dans le beat, Bob ! Michel Brasseur revient casser la baraque avec «Ramblin’ Man», et comme Jam Jam et Gus l’accompagnent, alors la baraque s’écroule vite fait. Jam Jam tape sec et le cut saute en l’air. C’est Jake qui se dévoue pour se jeter dans l’océan de yodell d’«I’m So Lonesome I Could Cry». Il tape à la suite «Your Cheatin’ Heart» au heavy rumble, comme Jerry Lee, avec une sorte de grâce sous-cutanée. Jake bouffe le Heart tout cru, il n’en fait qu’une bouchée. Ils terminent cet album faramineux avec un «Move It On Over» qui sonne comme un hit de Bill Haley, boppé au big beat !

Après Little Richard, Elvis, Gene Vincent et Hank Williams, voici sans doute le meilleur, Jake Calypso. Commencez par Gandaddy’s Grease paru en 2010. Sur la pochette, Jake a déjà un faux air de Sam Phillips, mais il faut l’entendre chanter «My Baby Rocks». Jake est le plus américain des kids d’ici. Let’s bop ! Il est effarant de véracité congénitale, il fait son Charlie avec le meilleur drive de deep des temps modernes. Il enchaîne avec un «Rock’n’Roll Girl» parfait, doté d’un pacing de bop supérieur. Jake est le Robin des Bois du monde moderne, il redistribue les richesses des rois du bop. Et puis voilà qu’il cite les noms des gares dans «Rock’n’Roll Train» - Memphis, Nashville, Knoxville, Kentucky - Il connaît les secrets du choo-choo, bien épaulé par ses potes de bop. Quelle élégance ! Il chante le nez dans le menton et accentue ses effets à coups de yeah-eh-eh. Il passe sans transition au Cajun stomp avec un «C’est Ça Qu’est Bon» drivé au beau beat de bop. Tout l’apanage est là, il tape en plein dans le mille du mill. Il hiccuppe son «Boppin’ Day» à gogo et sort le meilleur bop-ah-bop du coin. Il nous calypsotte ensuite un «Cinderella» plus rock’n’roll et réussit l’exploit de groover son bop avec une grâce infinie. Christian Gillet passe un solo d’une élégance qui laisse baba et derrière rôde la fabuleuse pulsion sourde du rockab. Ils boppent comme des bêtes. On les voit aussi tailler leur route en père peinard sur la grand-mare des canards avec «Black Moon». Il faut les voir lancer le cut au slap ! C’est assez stupéfiant. Jake gagne de la crédibilité à chaque instant. C’est à ça qu’on reconnaît les très grands artistes. Il monte son «Tell Me Lou» sur une carcasse à la Long Tall Sally, mais avec la pulsion rockab en sous-main et des éclats de solo étincelants. Ce mec sait rester passionnant jusqu’au bout des ongles. Jake s’amuse comme un gosse avec ses vieux démons.

Il excelle aussi au petit jeu des side-projects, histoire d’aller aller taper dans le blues. Il monte le Wild Boogie Combo en 2012 avec Terry Reilles et enregistre Blues, sans doute l’un de ses meilleurs albums. Quel son ! Jake est devenu un expert du raw to the bone, c’est en tous les cas ce que tend à révéler «Country Blues In My Bag». C’est le son du fleuve, il tape ça au kazoo de vieux black qui a sifflé trop de moonshine. Jake chante par en-dessous et il est bon à ce petit jeu. Ultra bon. In the flesh. Son country blues tape dans le mille du bag. Comme Charlie Feathers, il a compris que l’énergie du rockab et celle du blues coulent de la même source : le son. Tout l’album est bon. Il part en mode heavy boogie avec «I Believe In You». C’est l’un des boogies les plus speedés du cheptel. Son «Yesterday I Talked To My Bottle Baby» sent bon la cruche en clay, il chante du menton, il tackle ses notes dans les tibias, take takes it down. S’ensuit un «Bad Son Good Mother» embarqué à vive allure, ça pulse à la folie. Jake pulse le son des géants et rentre plus loin dans la gueule du gospel avec «Oh Lord» et un banjo. Il bat tous les records d’insistance. Il connaît le secret du beat hypno, I said to Lord et il y va de bon cœur. Il gagne encore en crédibilité avec «She Breaks Me Down», il allume là l’un des pires boogies de l’univers, uhh uhhh she breaks me down, c’est assez définitif et sa façon de revenir à l’économie époustoufle. Il tape son «Save Your Soul» aux violons Cajuns et crée aussitôt les conditions de la curée. Tout ce qu’il fait sonne juste, chaque cut tape dans le mille. Il chante «Rats In Town» à l’estropiée et part la fleur au fusil chanter l’hypno Cajun de «Hard Love Ways». Il semble obsédé par ce son. Il sort là un fabuleux shake de jive hypno et le noie d’harmo. Il reste chez les Cajuns avec «They Call Me Earth Boy». Il prend ça à la désaille, c’est gorgé de son, ça sonne comme un paradis. Ce mec a vraiment tout compris.

Il enregistre Father & Sons avec ses Red Hot en 2013. Dès «Call Me Baby», il redistribue les cartes : son rustique, bop de rêve, yodell et pah pah pah des Appalaches. Eh oui, il a le son, alors ça roule tout seul. Il fait tout simplement de l’Americana. Il enchaîne avec un torride shake de fat sound titré «Torrid Love». Durieux le slappeur l’embarque pour Cythère et Jake hiccuppe à la vie à la mort. C’est peut-être sur cet album qu’il fait le plus de fantaisies vocales. Il yodelle «Cassie Magikal» à la lune. C’est un véritable festin de swing de chat perché. Se dresse à la suite un monument de bop fever intitulé «I’m Fed Up», emmené tambour battant par cette bête de beurre qu’est Thierry Sellier. Ils sautent en B sur le râble de «Cause You’re My Baby», une sorte de hot jump de barrelhouse, mais avec le son de la Nouvelle Orleans, avec du piano et des cuivres. Ils savent tout faire, même restituer ce son que Mac Rebennack disait unique au monde. On se croirait chez Cosimo. Côté chant, c’est pas loin de Bunker Hill.

Sur Downtown Memphis, Jake rend deux beaux hommages à Elvis avec «Blue Moon Over Kentucky» et «That’s Alright». Il a le son et il a le talent. Il a le swagger et il a le feeling. Il a tout. Il règne sur son monde. Il tape son «That’s Alright» bien sec, il le prend à l’oblique avec un sens aigu du dark de 706. Il le chante du coin du nez, comme s’il sniffait la coke d’Elvis. Il rentre dans la mythologie comme dans du beurre. Il charlite son Elvis, il cruduppe son Alright et hiccuppe sur la colline. Le Vatican devrait canoniser ce démon, il est trop pur. Il revient au pur rockab avec «Turn Me Loose». On est chez Sun, les gars. C’est dans la poche, pocket boy ! Turn me Loose, c’est une sinécure, un vrai retour aux sources. Tout aussi demented, voici le morceau titre, joué au heavy dump de downtown, bourré de bon esprit, avec un solo de piano. On sent le fan de Sun. Ils jouent plus loin «I’m A Real Cool Cat» à l’insistance du Tennessee, la pire de toutes les insistances, le slap boppe le cul du cut, Jake hiccuppe comme Charlie. Oh le poids du slap ! Joli drive aussi que celui de «When The Pretty Girl Bop». Pur Cochran drive - Yeah she bop yeah ! - Il a de la suite dans les idées. Jake boppe son swing au big beat, il est atrocement doué. Il propose aussi un «Babe Babe Baby» bien saqué des socks. On n’en finirait plus avec un tel démon.

On avait salué sur KRTNT l’excellent Vance Mississippi, que Jake est allé enregistrer en 2016 avec Archie Lee Hooker qui est le neveu de John Lee Hooker. Jake et Archie Lee y atomisent le boogie blues. Comme son oncle, Archie Lee chante d’une voix d’outre tombe. Sur le morceau titre, ils duettent à l’ancienne, dans une ambiance de basse-cour. Si on aime l’hypno de tonton Hooky, on est servi. C’est l’endroit exact où le blues et le rockab se rejoignent, un endroit que connaît bien Charlie Feathers, puisqu’il vient de là, d’Obie Patterson. Rebelotte et dix de der avec «Juke House Man». Comme son oncle, le vieux impose une grosse présence, celle de l’immédiateté. Ça explose dans la seconde. Boom boom boom boom. Jake tape ensuite «Louise Blues» à la trade. Il ne réinvente pas le fil à couper le beurre, mais il impose le fucking respect. Aussitôt après le vieux refout le feu au lac avec un «Blues Inside Me» tapé au vieux beat sauvage. Derrière lui, ça bat avec toute la rage du raw. Tout le blues primitif est là, dans le creux de sa main, un blues aussi vénéneux et fatal qu’une morsure de rattlesnake. «Blues In My Bones» sonne comme un heavy blues machiavélique, bien ancré dans l’esprit de tonton Hooky - I was born with the blues in my bones - Le vieux fait résonner tous ses B de manière sidérante. Et voilà que Jake se tape la part du lion avec «Hey Barber Barber», qu’il tartine au yodell sur un rythme effréné, et ça donne un boogie cajun têtu comme une bourrique et soûlé d’harmo. Hot as hell ! Jake revient faire sensation avec «Rain Rain Rain», un heavy sludge joué à la syncope de fife & drums, ceux d’Otha Turner, bien sûr. Décidément, l’ami Jake multiplie les coups de Jarnac du Mississippi. Il parvient même à chanter au guttural des backwoods. L’album s’achève dans la pétaudière du limon avec «My Shoes», gros shoot de boogie diabolo, dans une extravagante débauche de raw.

Attention ! Le Boogie In The Shack des Nut Jumpers figure (lui aussi) parmi les grands albums des temps modernes, car il est bourré à craquer de son, de guitare, de beat et d’énergie tellurique. On sent cette énergie aussitôt ce «Woah Oh Oh» embarqué au shaking de shack, ça sent bon la cabane branlante, elle tangue car ils y font la fête et une guitare s’étrangle de plaisir sauvage. C’est la guitare d’Helen Shadow. Nous voilà au cœur du plus ancien mythe de la rock culture : le bastringue. Ils enchaînent avec un «Set Me Free» digne des early Kinks, ceux du temps de Shel Talmy et continuent leur course folle avec «Love Truck» drivé dans le gras du bide, bien riffé dans la panse du gut. Et tout explose avec «Boogie In The Shack», c’mon shake at the shack. Fantastique force de frappe, Jake n’en finit plus d’écrouler la gueule du raw, il swingue son beat à coups d’harp, c’est vraiment énorme, digne de Jerry Boogie McCain. Helen Shadow fait un véritable carnage sur tout l’album. Jake secoue la paillasse de «C’mon C’mon» - Let’s move around ! - C’est monté sur le plus fier des Diddley beats. Tiens encore un coup de Jarnac avec «Blow Your Top» : après une intro kill kill kill, ils lâchent tous les démons des enfers. C’est là que Ricky Lee Brown bat comme un diable. Puis Helen Shadow bat la campagne sur «Catholic Boy» avec sa vieille gratte moisie. Que de son ! C’est battu sec et net, pas de meilleur tapeur de tapas que Ricky Lee Brown. Ce mec lève une tempête chaque fois que l’occasion se présente. Ils inventent ensuite le gospel de cabane avec «Gonna Stand My Ground» et reviennent à du Creedence rock bien descendu dans l’esprit des guitares avec «No Good No Good». Helen Shadow does it right. Elle joue avec une niaque à peine croyable. Elle sonne littéralement comme le jeune Dave Davies, elle sort des notes carnivores, oui, elle joue au croc de note, gnac gnac ! Fantastique ! Ils reviennent au Memphis Beat avec «Keep A Little Place», avec une Helen paradisiaque et un Jake un peu Fea thers. C’est une équipe de rêve. Et ça se termine avec «Nut Jump» et là on bascule dans une folie à la Hasil Adkins. Ils vont même plus loin, avec du jump jump jump ! On n’imagine pas à quel point Jake et ses amis sonnent juste.

Vient de paraître My Foreign Love, le nouvel album de Jake & His Red Hot. Il attaque «Don’t Miss The Train Man» comme d’habitude, au big mumbling avec un son de rêve. Puis avec le morceau titre, il nous embarque pour Tahiti avec une espèce de classe dédouanée. C’est en fin de parcours que se trouvent les hits, à commencer par «Come Back To Me». Jake y joue le séducteur sous le boisseau du Tahiti groove. C’est visité par les alizés et bourré de notes virulées. Comme Elvis, il pique sa petite crise d’exotica. Et c’est avec «Gimme Your Love» que tout explose. On croirait entendre le Spencer Davis Group. Chœurs magiques et stomp de rêve. Il échappe aux genres avec une aisance déconcertante. Son «Gimme Your Love» sonne comme un hit énorme. Il rend hommage aux Coasters avec «Addiction Baby» et revient à la magie de Buddy Holly avec «You’re My Wonderful Love». Bien sucré, chanté du coin de la lunette à monture d’écaille, fruité et coconut, big Texas bound. Sa Buddy pop n’en finit plus de forcer l’admiration. Il claque ensuite «When I Was 15» aux accords garage. Jake fait ce qu’il veut, quand il veut et comme il veut. Il évoque dans son texte les motorcycles et les rockabilly rebels. Tiens voilà le «Fairy Tale» qu’on a entendu au Rétro. Il y fait un petit coup de hein-hein-hein à la Charlie. Idéal pour faire chanter une foule en chœur. Il termine l’album avec «The Queen Of The Road». Jake convoque les foudres du garage. On sent le souffle du bop dans le dos. Chaque fois que c’est possible, il tente le tout pour le tout, comme le fait dans son coin Jack Rabbit Slim. Mais ça ne marche pas à tous les coups.

Au mersh de Jake, on tombe sur une étrange pochette orange : on y voit un fakir méditer, confortablement allongé sur son tapis de clous. Le fakir s’appelle Maharadjah Pee Wee Jones et son album s’intitule Spring In Almeria. En sous-titre, on peut lire : Trance - Ethnic - Voodoo Blues. Ça ressemble à un truc de hippie.

— C’est un copain à Jake ?

— Non pas du tout ! C’est un projet parallèle !

Pour faire le malin, on glousse de rire. Mais on l’achète. Avec des gens comme Jake, il faut savoir rester curieux. De retour au bercail, on ouvre le digipack. On y voit Jake déguisé en freak psychédélique. Thierry Sellier fait aussi partie de l’aventure, ainsi qu’un certain Serge Bouzouki. Tout cela semble très mystérieux. Le mystère ne plane pas longtemps, car dès qu’on commence à écouter l’album, on tombe de sa chaise. Aïe ! On peut parier que tous les malheureux qui ont écouté cet album sont aussi tombés de leur chaise. Pourquoi ? Parce que cet étrange Spring In Almeria compte parmi les meilleurs albums de Jake. Il commence par donner le change avec «Ulan Bator», il part de l’autre côté, en Orient mais il ramène du banjo dans son Bator. Il sculpte sa falaise à mains nues, il façonne un son qu’il faut bien qualifier de fascinant. Attention c’est très sérieux, le twing du twang défonce le heavy groove et on entend même des violons cajuns. Ses aw aw aw de corbeau valent bien ceux de Captain Beefheart. C’est tout bêtement de l’abattage de grand visionnaire, il se poste au carrefour de toutes les cultures, celles d’Orient et du Deep South et crée le boogie de la démesure. Il exsude la matière du son, fabrique une espèce de heavy psychout de downhome beat gorgé de banjo, oh boy ! Et quand on écoute le «Fame» qui suit, on voit qu’il ne peut pas s’empêcher de revenir au bord du fleuve, c’est plus fort que lui, même déguisé en fakir. Il purifie son son à l’extrême, il le fait pour de vrai, comme Don Cavalli. Avec «You’re Gonna Take Me», il quitte son tapis de braises pour allumer les braises du meilleur boogie d’insistance congénitale. Ah si seulement les gens pouvaient entendre cette réinvention de la montée en puissance ! Comme Lou Reed, Jake crée des miracles avec deux fois rien. Et vlan, voilà «I’m Glad», prétexte à inventer une nouvelle sauce. Il overwhelme son album sans prévenir, c’est une manie. Il amène son «Big Wise Healing» à l’orientale pour en faire un French hop de bayou craouette, bien craignos. C’est vrai que les Cajuns sonnent parfois comme les shamans de Mongolie, la racine magique est la même. Jake patauge dans cette soupe de mandragore. Flip flop and fly ! Il invente le shamanisme du delta. Et ça devient stupéfiant de primitivisme. Il attaque ensuite son «Get Along» comme une folle, oooh ooh ! Quelle désinvolture ! S’il voulait nous impressionner, c’est réussi. Il va beaucoup plus loin qu’on ne l’imagine. Qui va aller acheter l’album d’un fakir ? Et pourtant, c’est son album le plus libre, le plus percuté de la gâchette, il chante avec toute la folie des rois du rumble américain. Il dégage ensuite le maharadjah pour revenir au heavy sound de «Chicken Shack». C’est bombardé de son. Rockab pur ! Hey man hey ! I call you baby ! Il gratte ça au long cours. Il pousse des yah sur fond de sitar et ça donne l’un des albums les plus génialement déjantés de l’histoire du rock. Cette fois, on sent qu’il est complètement barré. Il chante son «Hey Man» par en dessous, accompagné par des violons. Il se permet désormais toutes les fantaisies. Les gens qui sont allés aussi loin ne sont pas légion. Jake découvre de nouveaux horizons et derrière lui ça gratte à la vieille cavalcade de mountain men, il chante son truc en lousdé, il rôde littéralement dans le son. S’ensuit un effarant clin d’œil à LeadBelly avec «Black Betty». Mais ce diable de Jake décide de le jouer à sa façon. Ce mec est un vrai punk, au sens où l’entendaient les Américains avant que les médias ne s’emparent du mot pour en faire ce que l’on sait. Punk, ça veut dire qu’il faut s’attendre à tout et c’est exactement ce qui se passe avec ce démon de Jake. Cet album est vendu comme un «projet expérimental», mais il est mille fois plus viandu et innovant que toutes les nouveautés à la mormoille. Jake taille une magnifique croupière à Black Betty. Il la travaille à la glaire de kid énamouré, il n’existe rien d’aussi explosé ni d’aussi viscéral ici bas. Il l’achève en allant hurler par dessus les toits. Avec «Almeria», il pique une petite crise d’espagnolade, mais ça explose vite fait dans des tourmentes. Ce mec nous épuise la cervelle avec son énergie inventive. «Almeria» sonne comme du Manitas Dr Plata, mais avec des coups de punk de Jake dans les tibias. Impossible d’échapper à l’emprise d’un tel coup de génie. Il ressort ses vieux accords du delta pour «You Don’t Know». Il gratte ça face au fleuve. Il s’enfonce dans la vase tellement c’est primitif - You don’t have - Il ne sait plus quoi dire, alors il en perd ses dents tellement il s’exacerbe. Il joue violent et juste, à coups répétés. Il offre ici une authentique approche du blues des origines. C’est d’une véracité qui en dit long sur son attachement pour cette culture. Il claque comme un dingue, comme s’il éprouvait la rage d’un nègre réduit en esclavage par un sale con de blanc dégénéré. Il devient alors très spectaculaire, et de plus en plus vrai, il cogne sa gratte. Captain Beefheart n’est jamais allé jusque là. Ni personne d’ailleurs. Le seul qui ait osé, c’est Jake Calypso.

Du coup l’album du Maharadjah Pee Wee Jones sert de leçon. Il existe un autre side-project de Jake qui est une compilation de ses cuts de blues préférés. On y va les yeux fermés. C’est du convaincu d’avance. La compile s’appelle Boogie Around The Shack. 25 Blues Boppers Selected By Jake Calypso. La cabane en bois qu’on voit sur la pochette est nous dit le mec du mersh celle où vit Jake. Cette compile rabat bien le caquet du spécialiste qu’on croit être. Jake Calypso joue son rôle de passeur à merveille : il nous fait découvrir des cracks qu’on ne connaissait pas, et quels cracks ! Tiens comme Hop Wilson & His Chickens, avec «Chicken Stuff». Eh bien c’est du rockab. Et même du rockab demented are go à gogo. Tout le bop de black est là dans l’épaisseur du son. Sur cette compile, tu vas découvrir du hot de hutte à la pelle. Willie Nix avec «Just Can’t Say» vaut toute l’hypno du monde. Grosse découverte avec Papa Ligthfoot et son «Mean Ol Train». Il met le heavy groove de jump en coupe réglée. Quel clinquant dans l’enfonçage de clous ! Ils font le train à l’énergie maximaliste. Le «We’re Gonna Boogie» de Lefty Dizz, c’est du punk-rock de nègres. Il gratte ça à la déraille de commando et ça vire hypno. Lefty veut groover comme Hooky et il tape la carte d’un fantastique boogie, il y met tout ce qu’il a dans le ventre. Parmi les gens connus, on trouve Lightnin’ Hopkins et son effarant «Had A Girl Called Sal». Encore un rockab amené au violent storm de slap. Lightnin’ boppe le blues avec une violence sourde. Vrai coup de génie. Autre géant du genre, Fred McDowell avec «Shake Em On Down». Carnassier. On entend les grenouilles de Quintron. Le fou qui joue de l’harmo ne peut être que Johnny Woods. Le «Country Boy Blues» de Pee Wee Hughes & The Delta Duo sonne comme un heavy boogie d’une absolue perfection. Pas de surprise avec John Lee Hooker qui nous plonge avec son «21 Boogie» dans le boogie des origines de l’humanité. Bo Diddley sonne comme un roi avec son «Bring It To Jerome», c’est probablement le beat le plus profond et le plus organique de l’histoire du beat. Doctor Ross nous ramène au temps des plantations avec «Chicago Breakdown». Purement africain. On croise plus loin l’infernal Frankie Lee Sims et sa guitare rouillée, l’affreusement sain Robert Petway et ce claqueur de beignet qu’est Lightnin’ Slim. Voilà qu’arrive ensuite un autre Slim de choc, Slim Harpo et sa fleur à la boutonnière, puis Rufus Thomas qu’on surnommait the Real King of Memphis, puis Frank Frost, dernier black enregistré par Uncle Sam et enfin le puissant Junior Parker qui tape au cahin-caha de voracité extrême son «Feelin’ Bad». On sort de cette compile à quatre pattes, complètement rincé.

En marge du très bel album que Jake Calypso et Archie Lee Hooker ont enregistré ensemble, il existe un album d’outtakes qui circule sous le manteau et dont il faudrait ne pas parler, mais il est tellement bon qu’on est obligé de l’évoquer. Il s’appelle The John Lee Hooker Day et propose huit morceaux enregistrés au Delta Blues Museum de Clarksdale, tous chantés par Archie Lee Hooker, avec Jake derrière à la guitare. Deux d’entre eux sont stupéfiants de primitivisme, «Water Boy» et «No Shoes». Le premier évoque bien sûr le gamin qui amène l’eau aux esclaves cueillant le coton en plein cagnard - The sun is breaking down/ Water/ Boy/ Bring water ‘round - Le deuxième remue encore plus la paillasse, car c’est le blues de l’extrême pauvreté, tel que l’a aussi chanté Wolf - No food on my table/ No shoes on my feet - Et puis tout explose avec «Bundle Up & Go», Mississippi shuffle tapé du pied. Bien dévoyé et sans retour possible. C’est du pulsatif primitif. Jake gratte sa gratte comme un crack.

Signé : Cazengler, Hot shit

Hot Chickens. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

Hot Chickens. Speed King. Stax Records 2007

Hot Chickens Play Gene. Chickens Records 2017

Hot Chickens. Fool’s Paradise. Rock Paradise 2019

Jake Calypso. 100 Miles. Chickens Records 2017

Jake Calypso. Grandaddy’s Grease. Chickens Records 2010

Wild Boogie Combo. Blues. Chickens Records 2012

Jake Calypso & His Red Hot. Father & Sons. Chickens Records 2013

Jake Calypso & His Red Hot. Downtown Memphis. Chickens Records 2016

Jake Calypso & His Red Hot. My Foreign Love. Rock Paradise 2019

Maharadjah Pee Wee Jones. Spring In Almeria. Trance Ethnic Voodoo Blues 2008

The Rambling Men. Move It On Over. Chickens Records 2014

Jake Calypso, Archie Lee Hooker & The Boogie Combo. Vance Mississippi. Chickens Records 2016

Nut Jumpers. Boogie In The Shack. Rock Paradise 2018

Boogie Around The Shack. 25 Blues Boppers Selected By Jake Calypso. Chicken & Yokatta Records 2019

Jake Calypso, Archie Lee Hooker. The John Lee Hooker Day. Around The Shack Records

ROCKABILLY GENERATION NEWS N°10

JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2019

 

Dans la série vaut mieux se servir soi-même pour avoir exactement ce que l'on veut, Sergio a pris les choses en main. L'a commencé par la chasse aux blancs. Je vous rassure, il n'a tué personne, par contre au niveau typographique il a éradiqué sec. Plus de lignes sautées entre deux paragraphes, idem pour les photos, ces belles demoiselles ne se pavanent plus en leur solitude en de vastes espaces nivéens. Résultat vous en avez plus pour la même surface. Esthétiquement l'a tout de même su éviter le pavillon concentrationnaire, la revue est plus agréable à lire.

Une fille chez les pionniers. Ni Brenda Lee, ni Wanda Jackson, mais Janis Martin. Sa carrière commença sous une bonne étoile, le soleil le plus brillant, Elvis Presley en personne. Se terminera un peu en queue de comète puisque ses parents refuseront de la laisser dans les griffes du Colonel Parker. Suivra un gros trou... N'empêche que sur son premier disque, Chet Atkins et Grady Martin s'occupent des guitares. Difficile de trouver mieux dans les studios à l'époque. Des disques un peu trop sauvages qui hormis le premier ne trouveront pas le grand public. En contre-partie une belle légende du rock'n'roll. Les comebacks se suivent mais n'apportent guère le sujet escompté. Quelques mois avant sa mort, l'on trouvait sur le net une annonce d'une de ses amis pour récolter des fonds pour éditer son dernier album...

La vie ne fait pas de cadeau. Les jeunes n'y pensent guère, voici The Accidents, Keri-Anne sourit de toutes ses dents sur la photo pleine-page, elle et ses deux frères n'ont qu'une envie : s'amuser, profiter de la vie high-voltage, s'éclater sur scène, prendre du bon temps. Une philosophie un peu à courte vue, toutefois très agréable, pourvu que ça dure disait la mère de Napoléon...

Gros dossier sur les Stray Cats. Sergio retrace leur carrière, avant, pendant, après. Quarante ans ! Cela ne nous rajeunit guère, par contre le rockabilly leur doit une fière chandelle, lui ont infusé un sang neuf et une bonne dose d'énergie. Rappelons que sans les Teddies d'Angleterre l'histoire aurait pu se perdre dans les sables de l'incompréhension.

Le Cochon à Plumes n'est pas un nom de groupe mais un bar-concert à Reims qui accueillit le mois de mars dernier un concert Wild Records avec trois groupes : les Mighty Tsar de chez nous, Los Killer Tones de Mexico, et Chuy & the Bobcats en vedette. Le compte-rendu vous fera regretter de l'avoir raté. Mais le plus intéressant vient après. Jesus – pas lui – l'autre de Wild Cat, beaucoup plus glamour, répond aux questions, un pédigrée à rendre un chien de concours malade, l'a notamment enregistré avec Darrell Higham, et surtout il a des tonnes de choses à raconter, l'a accumulé des expériences diverses, toute la différence entre l'insouciance des Accidents et le gars confronté à des situations enrichissantes...

Un article sur Rock'n'roll Show de Samer ( Pas-de-Calais) avec entre autres lors de ces trois jours de mai les Black Raven, Long Black Jackets, Jake Calypso, Rough Boys et Spuny Boys, évidemment si vous ne prenez que des cadors... Les Spuny que l'on retrouve à Lille pour leur 1000 ° concert, la fête rock'n'roll de l'année. Si vous n'y étiez pas, Sergio vous refile ses plus belles photos. Un lot de consolation dont la beauté ravivera vos regrets.

Chroniques habituelles sur les trois dernières pages, mais je m'aperçois, bande de malfrats, que vous avez sauté la présentation de Chukka-Boots Teddy Boys & Rock'n'Roll Club qui sévit dans la ville de Bourges et le Berry, des activistes rock de la meilleure volée. De tous les numéros de Rockabilly Generation celui-ci me paraît le meilleur, il atteint à une réelle densité rock.

Damie Chad.

P. S. : Si vous êtes un gros maladroit, en déchirant le plastique vous évitez de faire tomber le flyer pour la Rockin' Gone Party n) le 16 / 09 / 2019 à St Rambert d'Albon ( 26 140 ) dans la Drôme.

 

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

 

CAMON ( 09 ) / 02 - 08 - 2019

La Camonette

JUKE JOINTS BAND

 

Plus de camionnette garée sous les platanes. Que voulez-vous ma bonne dame tout se perd en ce bas monde. Certes mais il est inutile de tomber dans le nihilisme le plus désespéré. Car tout se recycle. La Camonette est morte, vive la Camonette, surtout que la nouvelle est désormais coachée par Christophe. Les plus anciens lecteurs de Kr’tnt ! connaissent. Drivait le groupe Number Nine voici quelques années, mais là il a ajouté un fusil à son épaule. L’est devenu ( entre autres ) restaurateur. L’a ouvert un enclos de vieux murs, dressé quelques tables, installé un coin culinaire et il vous sert de succulentes saucisses pimentées accompagnées des salades qu’il va cueillir tout droit dans son potager à quelques mètres, le mec question empreinte carbone minimale, vous ne trouverez pas mieux. Miam ! Miam ! Et tous les jeudis soirs il reprend la tradition des concerts hebdomadaires.

Pour cette soirée est programmé le Juke Joints Band, la file d’attente ne désemplit pas. Plus de cent vingt personnes se sont déplacées, forte proportion d’anglais qui squattent la région sans vergogne. N’y a pas de miracle, depuis que le Juke parcourt les environs, il a désormais un public fidèle, près à le suivre dans tous les carrefours maudits.

JUKE JOINTS BAND

Formule minimale ce soir. Ben Jacobacci à la guitare et Chris Papin au chant. Une guitare et une voix, pour le blues c’est amplement suffisant. Deux sets, une dizaine de morceaux pour accompagner l’apéritif, et un second plus tard pour sublimer la digestion. N’oubliez pas qu’en ses débuts le blues était la musique des crève-la-faim. Mais avant la poche gastriquevide ou après la peau bien tendue le Juke vous distille la même eau-de-vie, la même eau-de-mort, car le blues c’est comme le Mississippi, il vous charrie dans ses eaux tumultueuses autant de charognes que de poissons-chats indomptables. Dans les deux cas la friture vous restera en travers du gosier.

Faudrait jouer à pile ou face pour savoir si le blues c’est d’abord la voix de Chris ou la guitare de Ben. Beaucoup des deux. Ce qui est sûr c’est qu’ils puisent leur répertoire en eaux troubles, autant chez Creedence que chez Keb Mo, autant chez Muddy Waters que chez les Stones, autant chez Otis Redding que chez Tony Joe White. Du Sonny Boy à Tina Turner. Large panel, blues, rhythm’n’blues, rock ‘n’ roll, s’en foutent, z’ont leur moulin à café à double engrenage.

La guitare de Ben, un fouillis inextricable, filez-lui une six-cordes, en un tour de main elle sonne comme une deux fois douze cordes. Vous êtes perdu, vous vous demandez ce qui va bien pouvoir sortir de cette mouture. Un enchevêtrement sans fin. Un labyrinthe auditif. Vous éprouvez la nécessité de vous faire greffer une douzaine d’oreilles supplémentaires pour comprendre de quoi il en retourne au juste. Si vous avez le malheur de vous attarder sur Ben, vous n’entendez plus Chris, peut vous chanter la Carmagnole ou l’Ave Maria de Schubert, vous ne le remarquerez pas. Vous êtes confronté à cette étrange énigme : comment de tout ce marasme cordique peut-il naître une telle clarté riffique. Le Ben est un orchestre à lui tout seul, un nuage d’hirondelles qui s’envolent aux quatre vents de l’esprit pour en ramener le duvet nécessaire à la confection du couffin protecteur nécessaire à la voix de Chris.

Car le Papin, quelle classe dans sa chasuble noire et ses gestes sobres, l’est le coucou qui s’en vient poser sans vergogne l’œuf germinal de son larynx brûlé dans la coque protectrice soigneusement tissée par Ben. L’en éclot un phénix de flammes fulminantes qui se calcine en cendres à chaque intonation. Vous fout le feu au blues comme le pyromane à la forêt. Gorge ardente. Là ou sa voix passe le blues repousse toujours, comme la lèpre sur les écrouelles. Aucun mérite, c’est naturel chez lui, n’a qu’à ouvrir sa bouche pour que le blues le plus pur coule à l’instar de ses rayons de miel d’abeilles sauvages qui débordent dans le creux de l‘arbre de vie. Le mojo entre les dents. Un alligator dans le cerveau. Quand il se tait et que Ben s’arrête de jouer, c’est la longue flopée des applaudissements approbateurs qui prennent le relai. Ces deux-là, tout le monde est d’accord ne faut pas les laisser s’échapper, pas de crainte, le Ben vautré à la renverse dans son tabouret est trop bien là où il est, ses mains se débrouillent toutes seules pour vous embrouiller la tête et le Chris est trop content de vous abasourdir entre deux morceaux de craques introductives destinées à vous faire douter de la réalité des légendes. Sourires complices de criminels en goguette, sûrs de commettre les pires méfaits hautement répréhensibles, des voleurs d’âmes, commencent par la charmer, et elle s’enfuit de vous sans que vous y preniez garde, vous la peinturlurent en bleue et vous la rendent habillée pour l’hiver. En plus Ben sort de temps en temps son arme secrète, l’a aussi une voix de baroudeur du blues, et nos deux lascars se permettent des résonances harmoniques à vous vriller la moelle épinière. Même que parfois l’on applaudit quand ils se taisent car l’on croit que le morceau est fini et enterré. Et hop il rebondit comme une balle de squash, la guitare de Ben tourbillonne comme un maelström et la voix de Chris résonne comme la trompette rouillée de l’apocalypse.

Inutile de se plaindre, vous le saviez, le Diable ricane de toutes ses dents pourries au fond du blues. Faut ce qu’il Faust. La voiture de messieurs Ben et Chris est avancée. J’espère que vous avez reconnu le chauffeur qui conduit devant, s’appelle Robert Johnson. Ne réveillez jamais la bête endormie. Seigneur quelle soirée de rêve fantomatique avec nos deux saigneurs du blues !

Damie Chad.

J’ai eu droit à un cadeau, tant pis pour vous, vous n’aviez qu’à être là, un exemplaire de démonstration ( huit morceaux sur neuf ) du prochain CD.

Devant de pochette noire qui n’est pas sans évoquer les deux disques précédents. Le logo du groupe et rien d’autre. C’est au dos que vous retrouvez les quatre mousquetaires en leurs œuvres vives, sur scène.

HELP ME / JUKE JOINTS BAND

Ben Jacobacci : guitare, chœurs / Rosendo Frances : batterie, chœurs / Michel Teulet ; basse, chœurs / Chris Papin : homme sans chœurs mais au chant.

One meat ball : me suis repassé quinze fois l’intro rien que pour le plaisir de savourer, on a beau dire et beau faire l’invention de l’électricité vous éclaire le monde d’une autre manière, le Ben a laissé l’acoustique au placard, ça change le son, le Juke a multiplié la puissance de feu, et pourtant ils n’en profitent pas, ne vous font pas le coup de la découpe au lance-flamme, non les trois compères se sont entendus pour un loop de loop douillet, le Rosendo survole ses caisses en douceur, Michel Teulet ne vous graphite pas au noir absolu les lignes de basse, reste sobre, et le Chris vous fait le coup du chat qui se promène sur le toit de l’église du village. Une aisance déconcertante, vous avez peur qu’il tombe, mais il se joue des difficultés, l’est sur l’arrête de la faitière centrale, et il vous semble qu’il folâtre au-dessus des clefs de voûte les yeux fermés. S’en va dénicher la ratignole qui niche sous les plus hautes ardoises du clocher. L’est sûr de lui. Vous sort le miaulement feutré du gentil minou qui vous le met quand même dans le trou de meat ball, tout en douceur. Undercover agent : en tant que membre émérite du Service Secret du Rock’n’roll, je peux le certifier, pas vu pas pris, laissez s’agiter les autres et agissez dans l’ombre. Plus vous déléguez, moins vous en faites, alors le Chris puisqu’il a trois pointures à son service, il leur laisse toute la place, pas un instrumental mais presque, faut entendre le Rosendo aligner les patins sur ses traces, et dès que Chris se tait, vous avez la basse et la guitare qui broutent avec délectation la même touffe d’herbe, et quand il reprend l’avantage c’est pour les diriger tout droit sur un final abrupt dans lequel ils se taillent la part du lion. Start it up : les guitares s’amusent, font des pointes comme les danseuses à l’opéra, et ensuite l’on balance la soupe, Chris tient la queue de la casserole et il distribue joliment la purée, alors les autres en joie ne tardent pas d’une seconde pour tapisser les murs du contenu de leurs assiettes, se déchaînent même salement, le Chris obligé de faire semblant de les freiner pour mieux envoyer la mousseline au plafond. Heart attack and vide : attention, là c’est du blues qui lave plus bleu que bleu, les guitares chancellent comme la flamme des chandelles sous la brise matinale, et le Chris il se surpasse, plus blues que lui tu trépasses, le Ben sonne les cloches, l’on est désormais plus proche de la mort que de la vie. L’est sûr que c’est dangereux mais chacun souque ferme pour se tirer de ce mauvais trépas, ceux qui sont remontés des Enfers sont plutôt rares, mais eux ils vous font la démonstration de leur savoir-faire. Un must. San Francisco Bay : une gratte qui banjoïse et la voix de Chris qui tinte comme des coupes de champagne. Un blues qui folkle et sifflote, faut de tout pour faire un blues, mais perso je l’aurais quand même tenu plus fortement sur la chaise électrique. Satisfaction : dans la série je fais de la planche à voile sur un skate pourri, nos quatre lascars ne doutent de rien, faut du culot pour s’attaquer à de tels monuments. Z’ont choisi la fausse copie conforme de la carte d’identité qui met la police de la pensée et des mœurs sur leurs dentitions plombées jusqu'à l'os, au début ils essaient de ne pas sortir des sentiers rebattus et puis ils s’approprient le truc comme si c’était à eux, tout juste qu’ils ne l’aient pas revendiqué dans les crédits, vous le font à la décontracte, je m’amuse à rester sérieux et à la fin le Ben il vous catapulte le rififi à cent à l’heure. Am I wrong : très mauvais, c’est le seul morceau qui ne soit pas sur ce disque ! Help Me : peuvent crier au secours tant qu’ils veulent, se dépatouillent très bien tout seuls, c’est du beau, c’est du bon, c’est du dur, le truc sans défaut qui emporte la conviction de vos ennemis les plus féroces. Un festival, vous laissez couler le robinet rien que pour le plaisir de voir l’inondation se répandre dans le monde entier. Et le cas échéant aller sauver la voisine du dessous toute nue dans sa baignoire. Ain’t superstitious : normalement avec le morceau précédent vous êtes rassasié, mais le Juke vous offre le petit dernier, le coup de l’étrier, il ne vous tuera pas mais il vous rendra plus fort. Prennent leur temps, fignolent le gâteau, posent la cerise explosive. Hey ! Hey !

C’était juste un avant-goût, vous rechroniquerai le disque dès que j’aurai l’exemplaire définitif. Un record qu’il faudra avoir dans sa discothèque pour ne pas avoir l’air trop naze et être pris pour un bleu.

Damie Chad.

06 – 09 – 2019 / MONTREUIL

LA COMEDIA

BARON CRÂNE / ZARBOTH

 

Retour à la Comedia après les vacances d'été. Ne suis pas à trente mètres de l'établissement que quelque chose a changé dans mon champ de vision. Non ce n'est pas moi, mais le mur. Serait-on face à un étrange phénomène digne d'une nouvelle de Lovecraft, la fresque de la façade a gagné en surface, elle s'est emparée de l'arrière du deuxième étage du bâtiment, aurions-nous affaire à la suspecte prolifération d'une nouvelle mutation d'un champignon des murailles hors de tout contrôle destinée à recouvrir toutes les maisons de Montreuil de son étonnante lèpre calligraphique, dans un avenir relativement proche la population de la ville sera-telle évacuée pour laisser place aux millions de touristes venus du monde entier visiter les rues bigarrées de cette nouvelle Pompéi moderne ? Je n'en sais rien, au moins aurais-je tiré la sonnette d'alarme pour prévenir les autorités. En tout cas j'ai réussi à identifier le bacille responsable de cette invasion graphique, il s'agit du Martinus Peronardus. Une virus proliférant venue d'Amérique du Sud particulièrement nocif. Il n'y a qu'à pénétrer dans le local pour s'apercevoir qu'elle s'attaque aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Ne lui reste plus que deux plafonds à recouvrir, c'est d'autant plus inquiétant qu'à la Comedia l'on a bossé tout l'été, que le local a pris un coup de beau, et il faut bien le reconnaître désormais les groupes sur scène bénéficient d'un superbe décor, ah ! cette chaîne d'yeux disposées en hélice d'ADN qui vous scrute depuis les plafonnettes, c'est ainsi que du haut de l'empyrée les Dieux doivent regarder avec un dédain fatigué les vains agissements des humanoïdes ratés que nous sommes. Et ce soir ils ont dû être particulièrement édifiés, à quel étrange et déraisonnable culte les nombreux représentants de l'espèce humaine qui avaient envahi le local se sont--ils adonnés ? Certainement une cérémonie en l'honneur de Nyarlathotep, l'énergie noire du chaos rampant...

BARON CRÂNE

Parce que le Baron Crâne, ils réussissent ce prodige de tout donner et de récurer la marmite jusqu'au fond, et pourtant ils ne sont que trois à réaliser ce miracle de vous emmêler les pinceaux pour vous peindre les fresques les plus magnifiques. Un trio de malfaisants décidés à réaliser les pires tours de passe-passe. Au fond, près de la batterie le cancrelat de la classe. S'appelle Léo Goizet. Fonctionne comme une machine à concasser le rythme. Avec lui votre oreille dégoise grave. Ne peut pas laisser ses camarades se dépatouiller en toute quiétude de leur instrument, l'est partisan des accélérations subites, l'a de ses rictus diaboliques quand il tape à la madurle sur sa caisse claire, il regarde ses acolytes du genre '' les gars ne lanternez pas sur le passage à niveau, le TGV arrive'', ou alors il est pris d'une aversion subite envers le public et durant trois minutes un incendie de cymbales carillonnent dans votre tête comme un camion de pompiers en feu. Pour la grosse caisse il lui refile des coups de pieds comme s'ils étaient quinze à latter une victime innocente dans la pénombre d'un cul-de-sac morbide. Moralement parlant Léo Pinon-Chaby ne vaut guère mieux. N'a pas une collection de toms lui, n'a que six cordes à sa guitare, alors s'est rattrapé sur le nombre des delays, en use et en abuse, un clic du pied par ci ou par là et la donne change du tout au tout, de l'escadrille d'avions au décollage, aux senteurs de pivoines fraîchement éclose au petit matin, est incapable de rester longtemps sur les mêmes mêmes sonorités, un borderline des pédales, il lui arrive même de temps en temps de délaisser sa guitare pour tomber à genoux et tourner quelques boutons. A première vue Olivier Pain est le plus normal, un faux semblant éhonté, se colle à sa basse comme la ventouse aux double-wc, comme le mont Ventoux à son sommet. L'essaie de s'en arracher, s'arc-boute de toutes ses forces, mais non, vlan ! il retombe dans un gravier de groove fou qu'il n'a jamais quitté, une espèce de motoculteur fantôme décidé à couper en deux de son soc sanglant la population terrestre des lombrics sauvages qu'apparemment il exècre sans trop savoir pourquoi.

Vous entrevoyez le tableau. Mais hélas vous n'entendez pas le son. Vous imaginez une toile dadaïste avec des barbouillages de maternelle qui dépassent de partout. Tout faux. Maîtrisent salement leur délire. Certes à eux trois ils font autant de bruit qu'un orchestre symphonique. Mais quelle classe ! Vous emmènent en promenade. Sur les montagnes russes, escalades de parois glacées, vertiges d'abîmes sans fond, houles océaniennes, longue plage de sables fins bordée de palmiers, torrents tempétueux, géographie musicale planétaire, une espèce de fouillis zappatiens, des espaces de beautés floydiens, des bidouillages critiques de contemporanéités ultraïques, toutes les trois minutes vous changez de scène, flogistique shakespearien, une aisance déconcertante, un regard complice échangé et les décors se métamorphosent.

Une musique sans concession, c'est à vous de suivre, si vous perdez le fil vous êtes pommé, c'est comme à la corrida si vous lâchez le taureau et le torero du coin de l'œil, vous vous ne comprenez pas pourquoi c'est la bête ou l'homme qui agonise par terre, mais à la Comedia le public est formé de connaisseurs, pas question de lâcher une miette, les applaudissements ponctuent les passages acrobatiques à tel point que parfois ils se piquent au jeu et vous jouent des fausses fins de séquences des baissers de rideaux, rien que pour vous faire comprendre qu'ils ont toujours quelques décamètres d'avance sur vous. Une dizaine de morceaux, autant d'atmosphères irisées d'étranges couleurs, une musique puissante, coruscante, sinueuse, frontale, un vol d'engoulevents emportés dans un tourbillon cosmique, Baron Crâne a su fomenter la ferveur d'un auditoire qui aurait voulu les retenir toute la nuit.

 

 

PASSEUR / LE CORE ET L'ESPRIT

( Clip / Septembre 2019 )

( Réalisateur : NICOLAS ALLIOT )

Orpheline : Ellyn / Orphelin : Liam / Passeur : Florent / Officier allemand : Marco.

 

L'album est sorti au mois de mars, nous les avions vu le 15 avril à la Comedia ( livraison 416 ), et voici le premier clip adapté du premier morceau du CD.

Le Core et l'Esprit fait partie de ces groupes qui ne misent ni sur l'esbroufe ni sur l'air du temps pour gagner les cœurs. Une musique sauvage mais des lyrics en français. Quand on a quelque chose à dire autant le crier distinctement que le public le comprenne. Que voulez-vous, il reste encore des individus qui refusent de formater leur cervelle avec ces ersatz de recharge de pensées consensuelles vendus en boites dans tous les supermarchés.

Passeur est une chanson hommage à tous ces passeurs anonymes qui dans la France occupée ont aidé à sauver ( entre autres ) les enfants juifs. Certes c'était il y a longtemps, mais les autres titres du disque vous soufflent fortement que la résistance à toutes formes d'oppression est des plus actuelles et des plus nécessaires.

La réalisation de Nicolas Alliot est remarquable. Dès les premières images vous êtes projeté dans ces films en noir et blanc qui ont fait la grandeur du cinéma français d'avant guerre. En cinéma gris, un choix esthétique, regardez une des photographies du tournage, et la correspondante extraite du clip, la différence parle d'elle-même, vous pouvez toucher du doigt, pardon de l'œil, ce qu'une démarche artistique ajoute à la simple reproduction du réel. Dans la première cas, la viride beauté de la nature campagnarde vous vrille la tête, dans la deuxième elle n'a pas disparu, loin de là, son impassibilité est même sublimée par l'angoisse de la situation. Les gamins sympathiques du tournage sont transformés en marionnettes du destin, ils perdent toute singularité pour devenir des symboles agissant de la peur et de l'espoir.

Le pré-générique est magnifique de justesse – c'est dans les tout petits détails que gisent la grandeur des choses et des actes, les billes de verre, le regard emmuré en-lui-même de la grande sœur, la fumée de la cigarette au bout des doigts, mais voici le groupe de rock dans une grange aux trous béants, la musique déboule mais les fuyards glissent sans bruit emportés comme dans un songe de liberté. L'on ne voit plus que le groupe, seulement par des intermittences des éclats gris de l'histoire évoquée, le regard réfléchi du Passeur, et l'officier allemand qui remonte la piste, revolver à la main, car les rêves virent souvent au cauchemar, et le vaste espace découvert à franchir en courant... les enfants courent au-devant de la vie et d'eux-même, superbe montage de Nicolas Alliot, qui vous stresse d'angoisse avec seulement quelques fragments d'images, la séquence est courte mais elle donne une impression d'infinie durée.

Et pourtant, question timing le groupe se taille la part du lion, belle prestation scénique de Léo d'une générosité très expressive, et les mains des musiciens sur cordes, avec en plus surtout ces effets de propulsion en avant qui ne sont pas gratuits, qui ne visent à aucun pittoresque, mais qui s'inscrivent dans le dénouement de l'écriture filmique. Un peu comme la rime finale d'un sonnet clôt sur lui-même l'artefact poétique dont elle est censée être le dernier mot, mais dont elle révèle le sens ultime.

Le Core et l'Esprit est décidément un groupe à suivre. Ils font en sorte de s'intégrer dans une démarche signifiante, selon laquelle musiques, lyrics, images, forment un tout opératif dont les parties se répondent dans un dialogue porteur de sa seule raison d'être. Car de quel droit incongru peut-on s'adresser aux autres si le projet dont vous êtes porteur reste un brouillon illisible, ou sans conséquence notable sur le monde qui nous entoure. Qui a, hélas, souvent besoin de quelques mises au point. Au poing.

Damie Chad.

D.J. FONTANA

BATTEUR HISTORIQUE D'ELVIS PRESLEY

par TONY MARLOW

( in Jukebox 393 )

L'on se souvient avec émotion de la superbe série que Tony Marlow avait consacré aux guitaristes des pionniers. Pour ceux qui ont raté, pas de panique sont tous repris dans le Hors-série N° 37 d'avril 2017. Sait de quoi il cause le Marlou, l'est un de nos meilleurs guitaristes actuels, ce qui ne l'a pas empêché de débuter dans le métier en tant que batteur. Et voici donc qu'il nous présente cette fois-ci D. J. Fontana le batteur d'Elvis. Fut là pratiquement du tout début jusqu'à la fin, on le retrouve sur 460 morceaux du King. Jugez du peu !

L'a quatre ans de plus qu'Elvis qui le rencontrera lors de son première fois au Louisiana Hayride avec Scotty More et Bill Black. Certes il apporte sa batterie au trio, cet instrument qui nous semble aujourd'hui indispensable au rock'n'roll, mais aussi une science de l'instrument pas spécialement ancrée dans le rockabilly, d'ailleurs en totale gestation à l'époque. Son idole à lui c'est Buddy Rich batteur de jazz qui sur son lit de mort à l'infirmière préposée aux injections qui lui demandait s'il était allergique lui répondit : ''Oui, au country !'' . Comme quoi vos enfants spirituels sont parfois surprenants. Buddy Rich, était remarquablement doué, fit sa première apparition publique à l'âge de dix-huit mois, l'était un technicien hors-pair mais aussi le gars capable d'improviser et de s'adapter à toute situation. Il est à croire que c'est cette qualité calaméonienne de Buddy Rich que D. J. Fontana engrangea dans son subsconscient. A quinze ans il trouve le seul boulot pour lequel j'accepterais de travailler à l'œil, il accompagne les séances d'effeuillage de strip-teaseuses. Cela n'a l'air de rien mais entre Buddy Rich, les déshabillages de ces dames, et Elvis, il existe une logique souveraine.

L'on ne le répètera jamais assez, et Tony Marlow analyse le phénomène avec tout son savoir de praticien émérite, entre 1954 et 1958, le rock'n'roll était une musique à inventer. Ce furent des gamins somme toute bien inexpérimentés qui se chargeront de cette tâche. Un peu par la force des choses, et beaucoup par instinct. Les évènements vont vite et l'on n'a pas le temps de réfléchir. D'autant plus que le bagage théorique dont disposent la plupart de ces créateurs est bien maigre. Sur scène, notre jeune héros n'a pas le temps de feuilleter un traité d'instrumentation ou de composition ( d'autant plus qu'il ne sait pas lire la musique ), faut que ça pulse illico, tout en douceur exactement comme quand la main se rapproche de la bretelle du soutien-gorge, car le secret est de faire durer le plaisir, ralentir les feulements prometteurs du balai, mais au moment ultime de l'arrachage, z'avez intérêt à sonner toutes les cloches du beffroi de Bruges sur votre caisse claire si vous vous voulez être en accord avec la montée testostéronique du public, je ne vous parle pas quand on aborde le triangle des Bermudes situé un peu plus bas, c'est Elvis qui a de la chance, le Fontana il devine tout ce qui va se passer, connaît l'instant précis où le Pelvis va se déhancher, quand il est nécessaire de craquer les allumettes ou de refermer la boîte. Désormais sur scène l'Elvis sait qu'il peut improviser sa gestuelle à tout moment, fait confiance à son batteur pour trouver le tchac-a-poum-boom-boom qui tue. De leurs côtés Bill Black et Scotty Moore comprennent qu'ils n'ont qu'à innover dans le même sens. Et chacun y va de sa petite trouvaille. Le détail qui tue, le bouquet de fleurs rouges négligemment posé sur le guéridon vert, sans quoi même le palais de Buckingham vous prend une lamentable allure de chaumière délabrée.

Lorsqu'ils arriveront en studio ce savoir deviendra décisif. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je possède un critère absolu pour juger d'une œuvre d'art ( plastique, écriture, peinture, musique, etc... ) : c'est simple ou je peux le faire et cela ne vaut pas tripette, ou je pourrais le faire. Exemple : si j'étais batteur je pourrais sans trop de difficulté – parfois je me vante - suivre le rythme de My Baby Left Me, mais il y a de certaines dégringolades dans ces premiers morceaux, de véritables descentes d'organes, je n'aurais pas pu. Totalement incapable. Physiquement et mentalement. Je m'incline, je m'avoue vaincu, j'adore, je deviens inconditionnel, quand j'en ai entendu une la première fois, j'ai cru que l'aiguille du phono avait attrapé une grosse poussière et avait lamentablement dérapé, mais non, après vérification, j'ai dû me rendre à l'évidence. A cette occasion je me suis vraiment aperçu que derrière le chanteur il y avait des musiciens tout aussi importants... Pour ce qui se passe en studio, vous suivez Tony Marlow les yeux fermés, car non seulement il peut le faire, mais en plus il sait écouter et décrypter. Z'allez être obligés de ressortir vos disques d'Elvis pour comprendre.

Lorsque Elvis sera en Allemagne, Fontana ne se retrouvera pas au chômage. Jouera notamment avec Gene Vincent et Lefty Frizzel, la liste est longue mais je cite mes deux chouchous. L'en sera de même après la disparition du King, ce coup-ci la liste est interminable, mais Tony le Marlou vous sort une incroyable quinte d'as de son bâton de maréchal du rock français. Sait de quoi il parle, l'était présent, ce 14 novembre 1993, en première partie avec Betty & The Bops, juste avant le show de D. J. Fontana et Scotty Moore, l'a échangé avec ces idoles du rock d'une fabuleuse simplicité, l'en parle lui-même avec modestie, consacre beaucoup plus de lignes à Lucky Blondo qui en 1977, enregistre un 33 tours hommagial ( en français ) avec D. J. Fontana à la batterie. D. J. enchanté du résultat sera aussi sur les deux suivants en 1978 et 1979...

L'article est à découper et à conserver précieusement dans un classeur.

Damie Chad.