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30/10/2019

KR'TNT ! 436 : ANDRE WILLIAMS / MICK HARVEY / ROCKABILLY GENERATION NEWS / AMN'ZIK / HOWLIN JAWS / IDHAÏ ÔM / REDHOT TRIO / THE RED RIDING / TONY MARLOW

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 436

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

31 / 10 / 2019

 

ANDRE WILLIAMS / MICK HARVEY

ROCKABILLY GENERATION NEWS 

AMN'ZIK/ HOWLIN' JAWS 

IDHAÏ ÔM / REDHOT TRIO

THE RED RIDING / TONY MARLOW

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Dédé la praline - Part Two

De tous les grands artistes noirs des Amériques, Andre Williams est l’un des rares qui ait su opérer ce qu’on pourrait appeler le cross-over. Il laisse à la postérité une œuvre complète qui couvre avec un égal bonheur le R&B, le doo-wop, la country, la Soul et le garage. Quelle que fut l’époque, Andre Williams sut rester hot et tous ceux qui eurent le privilège de le voir sur scène gardent de ses shows un souvenir lumineux. Il sut se montrer aussi charismatique que Screamin’ Jay Hawkins, aussi singulier que Captain Beefheart, aussi décisif que Mick Collins avec lequel il s’entendait d’ailleurs très bien.

Andre Williams parle très bien de lui dans un long texte intitulé «The true story of Andre Williams in his own words». Il explique par exemple que depuis sa plus tendre enfance, il a appris à se protéger du bullshit - I’ve always been clever and knew how to stay out of bullshit - Il est en partie élevé par son grand-père en Alabama puis il rejoint son père qui travaille dans une aciérie de Chicago. Pour éviter la maison de correction, il s’engage dans la Navy à 15 ans en se faisant passer pour son frère, et quand l’arnaque est découverte, il passe en cour martiale et se prend dans la barbe une pige de pénitencier. Il débarque ensuite à Detroit, invité par un copain de la Navy et tombe par hasard sur un Talent Show. Il s’inscrit et gagne le concours. C’est là qu’il devient Mr Rhythm et qu’il signe un contrat avec Fortune Records en 1955, à l’âge de 19 ans. Il enregistre son premier Fortune single, «Going Down To Tijuana», en hommage aux Coasters qu’il admire. Les patrons de Fortune aiment bien Dédé - They were always very good to me - Et puis bien sûr, il y a Nolan Strong - Nolan Strong was The Motherfucker, man - et il ajoute : «If there was no Nolan there wouldn’t be no Smokey Robinson, no basic Detroit sound.» Il dit qu’il aimerait bien pouvoir chanter «The Way You Dog Me Around», mais c’est trop haut. Il réussira quand même à la chanter sur son dernier album, Don’t Ever Give Up.

S’il fallait choisir un album dans sa discographie, ça pourrait bien être le fameux Silky enregistré en 1998 avec Mick Collins et Dan Kroha, un album qu’on appelle aussi l’album de la main au cul. Retournez la pochette et vous tomberez sur un Dédé la praline souriant, sapé comme un milord, et c’est ce mec qu’on prendrait pour un crooner qui va sonner les cloches du pauvre Detroit Sound qui ne demandait rien à personne, bing bong, et ce dès l’effarance métallique d’«Agile Mobile & Hostile». Mick Collins y taille des tortillettes dans la matière du groove, et tenez-vous bien, ce fabuleux drive est monté sur un simple riff garage. On reste l’effervescence maximaliste avec «I Wanna Be Your Favorite Pair Of Pajamas», tout aussi vivace et coriace, très toxique. On peut dire de Dédé et de Mick Collins que les deux font la paire. Le troisième coup de Jarnac silky se trouve en B : «Car With The Star». On croirait entendre les Gories, derrière ça joue un peu comme Chuck, à la grosse attaque. Quelle belle leçon de maintien ! Franchement Dédé ne saurait imaginer de meilleur backing-band. N’oublions pas l’excellent «Bring Me Back My Car Unstripped» quasi battu aux tambours du Bronx. Forcément, ça sonne encore comme un cut des Gories. C’est aussi sur cet album qu’on trouve le fameux «Let Me Put It In» d’un niveau égal aux grandes heures de Screamin’ Jay Hawkins. Baby, baby ! Dédé met le paquet, il explose de désir orgasmique en mille morceaux.

L’autre grand album classique d’Andre Williams est bien sûr Black Godfather paru en l’an 2000. Quel album ! Il va tout seul sur l’île déserte. Toute la crème de la crème du gratin dauphinois s’est invitée sur cet album, à commencer par Jon Spencer qui fait l’intro et qui embraye sur le morceau titre - Andre Williams ! Godfather ! - Les trois JSBX scandent Godfather sur un énorme groove urbain et Jon Spencer passe un coup de vrille histoire de créer un peu d’hystérie. Mick Collins est aussi de la partie, cette fois avec les Dirtbombs. Véritable coup de génie que ce «Watcha Gonna Do» - I sure did love you - et soudain Mick Collins part en vrille de fuzz ultraïque. Les Dirtbombs resteront les rois de la clameur sonique jusqu’à la fin des temps. On assiste à une violente montée de fièvre, ce diable de Dédé sait rocker l’os du genou. On retrouve les Dirtbombs en B sur «You Got It And I Want It», un vieux hit du Dédé d’avant. Quelle pétaudière ! Pat Pantano bat ça comme plâtre. On peut dire qu’à Detroit ils savent battre. Et Dédé se jette dans la bataille avec un héroïsme surnaturel. L’autre hit du disk est le fameux «The Dealer The Peeler And The Stealer». Ce sont les Compulsive Gamblers qui accompagnent Dédé sur ce coup-là - Just take my money honey - Jack et Greg montent un coup de transe hypno qui va rester dans les annales. La quatrième équipe invitée sur cet album, ce sont les Countdowns de Brian Waters qui deviendront plus tard Flash Express. Ils accompagnent Dédé sur l’excellent «Freak Blues» joué à l’extrême intensité du beat palpitant, ça pulse au long cours et soudain ça explose avec un Dédé qui part comme une fusée, alors que Steve McKay passe un solo de free digne de «Fun House». Brian Waters monte aussi un coup extraordinaire de fast groove dans «Montana Slim» - Well here is a guy way down Montana - Dédé part en jive et le solo de Brian Waters sonne comme un solo de kazoo. Dédé finit son cut à la folie pure, au chat perché explosif. À l’époque, il a traumatisé pas mal de gens avec cet album.

Les deux autres albums d’Andre Williams absolument indispensables sont Red Dirt et Bait And Switch. Red Dirt, car c’est l’album d’une certaine ‘nostalgie’, celle d’un temps où Dédé bambin voyageait à bord du camion qui l’emmenait et qui le ramenait des champs. Gamin, il vivait en Alabama et travaillait aux champs, comme des centaines de milliers d’autres petits nègres de sa génération - I was born in Bessemer, Alabama, so I have never had it easy, but thanks to Hank Williams, Waylon Jennings, Patsy Cline, Hank Snow and other great recording artists, I was able to survive the hot sun. (...) I love country music and will always keep it in my heart - Il tape «Weapons Of Mass Destruction» sur un groove à la Dealer, mais dans un environnement country et finit au joli chat perché de la désaille. Sur cet album, il est accompagné par les excellents Sadies. «I’m An Old Man» sonne comme un gros shoot d’Americana joué dans une ambiance de saloon. Le «Psycho» qu’on trouve ici n’est pas celui des Sonics, mais un fantastique balladif d’ambiance Sady - Oh mama/ Why don’t you wkae up - Il termine avec l’excellent «My Sister Stole My Woman» et les Sadies chargent la barque, on peut leur faire confiance. C’est aussi sur cet album qu’on trouve une magistrale version de «Busted» popularisé par Ray Charles dans le monde et par Schmoll en France. Dédé lui administre un shoot de grosse intensité dramatique.

Bait And Switch, c’est le versant Norton d’Andre Williams, un label qui non seulement défendait ses artistes comme certains libraires défendent des auteurs, mais qui s’est aussi arrangé pour que ces albums - ceux d’Andre Williams comme ceux d’Hazil Adkins ou de Rudy Ray Moore - deviennent légendaires. L’album grouille littéralement d’énormités à commencer par le «Detroit Michigan» d’ouverture de bal. Matt Verta-Ray gratte sa gratte et derrière Dédé, les Four Dollars swinguent de doo du wop. Stupéfiant ! Il duette ensuite avec Rudy Ray Moore sur «I Ain’t Guilty». C’est le duo mythique de Norton. En B, on en trouve un autre : Dédé et Ronnie Spector qui swinguent le vieux «It’s Gonna Work Out Fine» d’Ike Turner. Hit idéal, et d’autant plus idéal qu’il est servi par deux des interprètes les plus âprement géniaux de leur temps. Tiens encore un duo d’enfer avec the Mighty Hannibal pour «Put That Skillet Away». Admirable balladif saxé de frais et joué avec la pire des nonchalances. C’est Marcus The Carcass, le bassman des A-Bones, qu’on entend chevaucher le dragon de «Sting It Bang It And Give It Cab Fare Home». Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car Robert Quine fait son apparition dans «Head First». Tous ces invités prestigieux finissent par donner à Bait And Switch un aspect surréaliste.

Norton avait déjà commencé à tenter le diable avec Greasy, l’album de la résurrection d’un Dédé qu’on croyait définitivement perdu, car il était à la rue. On tenait à l’époque cet album pour mythique, rien que par la présence de Dick Taylor. On l’entend riffer derrière Dédé dans «Daddy Rolling Stone». C’est un peu comme si on entendait deux mauvaises graines monter un coup. Le vieux Dick refait des siennes dans «Back To Tijuana». Il s’y fend d’un beau solo et gratte des accords à la tagada mexicana. Dédé renoue avec son vieux doo-wop dans «I’m So High». Les El Dorados swinguent bien le bop. En B, Dédé s’en va faire son Screamin’ Jay Hawkins avec «The Bells», ça se termine en mode doo-wop avec des cloches. En prime, Dédé chiale comme une madeleine. Il nous swingue ensuite un groove de comedy act intitulé «Mother Fuyer». Il chante ça du coin de la bouche avec une chaleur virile de vieux séducteur. Quel artiste ! Puis il passe naturellement au heavy blues saturé d’harmo avec «Put A Chain On It» et Dick Taylor rehausse le tout d’un très beau solo. On appelle ça une conjonction de talents. En fin de cut, Dédé s’énerve à coups de shit your mouth. Il n’a rien perdu de sa vigueur. D’ailleurs, on voit sur la photo de pochette qu’il rayonne de bonne santé.

L’autre grand label défendeur d’Andre Williams, c’est Bloodshot, basé à Chicago. Disons que Can You Deal With It ?, That’s All I Need, Hoods And Shades et I Wanna Go Back To Detroit City constituent la période ‘classique’ d’Andre Williams. Ces quatre albums correspondent en gros à la période où Dédé tournait pas mal en France. Des quatre, le Can You Deal With It ? enregistré à la Nouvelle Orleans est le plus dense. On y retrouve Monsieur Quintron à l’orgue. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, big Dédé pique l’une de ces belles crises de power surge dont il a le secret et une certaine Romana King envoie les yeah ! Il fait ensuit un joli duo avec elle et ça donne un très beau groove de la Nouvelle Orleans digne de Marie Lavaux. Avec «Pray For Your Daughter», Dédé nous propose un joli singalong de bon aloi graissé aux renvois de chœurs à la ramasse de la rascasse. Cet album est littéralement hanté par des riffs d’orgue. Nouveau coup de power surnaturel dans «If You Leave Me». En fin de B, deux autres grooves magiques guettent l’imprudent voyageur : «Your Woman» doté du pulsatif africain de la Cité de la Mort, et «Can’t Take ‘Em Off». Le groove magique lui va à ravir.

Les trois autres albums Bloodshot ont pour particularité d’être produits par Matthew Smith, le mec d’Outrageous Cherry qui produisit Nathaniel Mayer à la fin de sa vie. Sur That’s All I Need, on croise aussi des gens comme Dennis Coffey et Troy Gregory. Pas étonnant qu’un cut comme «America» sonne comme un classique du Detroit Sound. «Just Call Me» rappelle le «White Dress» de Nathaniel Mayer. Pas surprenant, car c’est un son typique de Matthew Smith. Excellent groove de Call me babe. Mais tous les cuts ne sont pas forcément renversants. Le morceau titre qui ouvre le bal de la B est une sorte de confession. Dédé avoue qu’il n’a pas besoin de grand chose, au fond - I don’t need much - Il lui suffit juste de garder la tête hors de l’eau - Just one step abve poverty/ Just enough to survive - C’est un album très intimiste, en vérité. On sent une sorte de proximité. Il fait un peu de funk avec «There Ain’t No Such Thing As Good Dope» et termine avec les confessions d’«Amends» - I love my gal ?/ No no no...

On retrouve quasiment le même son sur Hoods And Shades. Jim Diamond et Dennis Coffey jouent sur l’excellent «Dirt». Coffey passe un solo d’acou qui laisse coi. Ces deux grands guitaristes de Detroit que sont Coffey et Smith se partagent le gâteau. Derrière Dédé, ça joue plus que de raison. Sacré coup de funky business que cet «I’ve Got Money On My Mind» co-écrit par Dennis Coffey. On sent bien le vétéran de toutes les guerres à l’œuvre dans ces descentes de paliers superbes. On a même un morceau titre joué au groove d’acou, très ambiancier. En B, on trouve deux hommages : à Tony Joe White» avec «Mojo Hannah» et à Swamp Dogg avec «Swamp Dogg’s Hot Spot», mais rien n’est moins sûr, car Dédé nous rappe l’histoire d’un Swamp Dogg qui n’est pas forcément celui qu’on croit.

On note aussi que les albums Bloodshot sont beaucoup moins denses que ceux de la période Norton ou In The Red. Dan Kroha refait son apparition sur I Wanna Go Back To Detroit City. Sweet et Kroha tapent «Times» au slow groove de Detroit, sans fournir le moindre effort. Dédé fait son boogaloo avec «Meet Me At The Graveyard». Oui, ça sent un peu la fin. Cet album est en fait l’avant dernier de sa longue carrière. Le seul cut qui sort du lot est celui qui ouvre la B, «Detroit (I’m So Glad I Stayed)». Dédé screame à la voix blanche sur un admirable retour de stomp. Derrière, tout le monde fait les chœurs. On sent une grosse ambiance compatissante. C’est le dernier raout du vieux Dédé. Il règle ses comptes dans «Hall Of Fame» - I’ve spent time in jail/ I’ll never be invited in the Hall of Fame/ But still consider myself a winner - Et il ajoute le bouleversant «And this coming from the heart of Andre/ Kiss off !» On entend encore Dennis Coffey jouer de l’acou derrière Dédé dans «I Don’t Like You No More», et puis voilà, on peut ranger l’album.

Live ? Oui, il existe deux albums et on peut y aller les yeux fermés : Hot As Hell avec les Sadies et Live At The World Famous Vera Club avec Green Hornet. On y retrouve sensiblement les mêmes cuts, du style «Car With The Star». Avec les Sadies, ça tourne à la pointe de vitesse, et avec l’Hornet Olaf, ça vire un big mish-mash - I’m a bad motherfucker - Du style «Agile Mobile Hostile», joué au heavy beat garage avec les Sadies et gratté sec avec l’Hornet, mais on est loin de Mick Collins. Du style «I Wanna Be Your Favorite Pair Of Pajamas», embarqué au beat du diable par les Sadies et tapé au shuffle de garage apoplectique par l’Hornet. Côté Sadies, on trouve une fantastique version de «She’s Alright». Les frères Good mettent le paquet, poussant la musicalité du backing dans les orties avec un violon. Côté Hornet, on trouve une excellente version de «You Got It And I Want It», du big Dédé Stuff travaillé au son sec. Ils terminent avec un «Hallelujah» qui frise le Dealer, car ça joue au claqué de riff raff et ça relance à la sévère, avec un big shuffle d’orgue à la Brian Auger, ah comme c’est bon !

Côté albums ‘classiques’, on peut en citer encore trois, sortis sur les labels différents : Aphrodisiac, paru en 2006, Night And Day en 2012 et Life la même année.

Pas de hits sur Aphrodisiac, mais du son. On sent le souffle dès «Hold Up» - What’s my name ? et les chœurs font : Andre Williams ! - Les mecs s’amusent bien derrière Dédé. Il enchaîne avec «Do You remember», un groove joyeux emmené à l’orgue d’allure joviale. Ils tapent là dans une sorte de Samba pa ti. Dédé adore chalouper joue contre joue. C’est un album qui laissait indifférent à la première écoute et qui se réécoute avec un réel plaisir. «I’m Not Worthy» sonne comme un groove tentateur et ça sonne presque carribéen. Puis il tape son «Prove It To Me» au groove de forcené, oh I try, but you just don’t understand, les filles sont folles, show me what you got. Que d’énergie dans cet album ! Il chante de plus en plus à l’édentée, comme le montre «I Don’t Need Mary». Il shake son shook en profondeur avec la foi du charbonnier, il faut voir le cacochyme suprême de ses élans, il bouffe la pop et tout le saint-frusquin. Dans «Three Sisters», il se tape les trois sœurs en même temps. Il est comme Jimi Hendrix, il lui en faut plusieurs à la fois. Dédé s’amuse avec toutes les conneries. Il ne s’assagira jamais. Il termine cet album attachant avec «I Can See». Il sort son gros baryton et lance un baby retentissant - What you’ve done to me, font les chœurs de filles lascives, symboles de perdition. Dédé chante du haut de sa chaire de power viril maximaliste. Il chante à l’arrache de géant de l’Alabama.

Sur la pochette de Night And Day, Dédé semble un peu hilare. Il retrouve les Sadies et tout un tas de luminaries, du style Dan Kroha, Jon Spencer, Jon Langford et Matt Verta-Ray. L’album peine un peu à éclore, on sent une certaine fatigue dans la voix du vieil homme. Il nous sonne enfin les cloches avec «Bored» - I don’t do drugs no more/ But I will If I have to/ Don’t take anything from me/ Gimme some grease and rocks - Extraordinaire, Jon Spencer pousse des Oh comme au temps du Black Godfather. Puis Dédé règle ses comptes avec le Mississippi dans «Mississippi & Joliet» - Keep yout ass out of Mississippi/ And of a couple of places/ Where they don’t like niggers - Nouveau coup de génie en B avec «One Eyed Jack», fabuleux groove à la sauce Dealer monté sur un beat hypno de bad motherfucker et hanté à un moment par un violon. Ça sent bon les Sadies et donc ça ultra-joue avec le groove de big bad Dédé en couche supérieure. On entend plus loin une certaine Sally Timms duetter avec Dédé dans «That’s My Desire» et ça se termine en groove à la Tony Joe White avec «Me & My Dog» - And nobody here/ Just me and my dog/ She’s gone - Ça monte bien sûr très vite en température.

Belle pochette que celle de Life : Dédé le dandy s’adresse à vous directement. On retrouve sur cet album l’équipe de Detroit, Matthew Sweet et Jim Diamond. Sweet n’en finit plus de recréer ses ambiances à la Nathaniel Mayer. C’est exactement le même son. Dédé démarre son «But’n» comme «Pass The Biscuit» : «Scuse me please...» Il s’en prend à Obama dans «Blame It On Oboma» et se fend d’un joli coup de fétichisme avec «Heels» - Please walk mama - On se croirait dans Le Journal d’Une Femme de Chambre d’Octave Mirbeau. La perle se niche en B : une reprise musclée de son vieux «Shake A Tail Feather». Tout le Detroit Sound y monte à la surface. Avec «Ty The Fly», il nous fait une petite leçon de morale : «Ty ate so much that he was too fat to fly.» Avec la romantica éplorée d’«It’s Only You That I Love», il n’en finit plus de rappeler à quel point il aime les femmes et prévient ensuite la compagnie avec «Don’t Kick My Dog» - Lookah here, listen baby - Matthew Sweet installe un heavy groove et Dédé y va de bon cour : «You can kick my wife/ Kick my life/ Kick my car/ But don’t kick my dog.»

Si on aime le rap et Swamp Dogg, on peut aller écouter le premier album d’Andre Wiliams, Directly From The Streets, paru en 1990. Sur la pochette, Dédé a des faux airs de Joey Starr. Côté son, c’est du street rap of funky strut - Gimme that good ass - Dédé rime le cul avec le beat et ouvre la voie. Il existe aussi un split d’Andre Williams & The Goldstars avec King Salami. Les Goldstars sont des vieux compagnons de route de Dédé et dans «Nightclub», Nash Kato fait une apparition : il envoie ses chœurs de night & day avec une classe épouvantable. Dédé insiste pour entrer - Nightclub/ Let me in/ It’s cold outside - Il termine sa face avec «The Hard Way», un joli groove de Soul joué au classic American sound, bien soutenu aux chœurs.

L’autre gros secteur de l’œuvre d’Andre Williams, ce sont les compiles. Oui, car avant de devenir le Dédé qu’on connaît, il enregistrait sur l’un des plus anciens labels de Detroit, Fortune Records. Il produisait aussi pas mal de gens à droite et à gauche, pour Motown, Duke et d’autres. Les compilateurs s’en sont donc donné à cœur joie. Les quatre principales compiles sont les fameux Grease Soul Volume 1 & 2, Detroit Soul Volume 3 & 4. C’est là sur ces quatre albums que se niche l’antique génie foutraque d’Andre Williams. Les deux premiers sont 100% Fortune et tirés d’une vraie collection de singles rassemblée par l’un des plus anciens fans d’Andre Williams qui se trouve être un Français. Grâce à lui, on peut entendre cet incroyable ramassis de singles, tiens à commencer par «Going Down To Tujuana», vieux mambo de doo-doo wahhh monté sur une orchestration rudimentaire, des chœurs de ouah-ouah et une petite guitare se glisse subrepticement dans le groove. On appelle ça un son. Et là, on est hooké. Dédé fait parfois intervenir un sax à la traînasse de la rascasse. Dans «Mozelle», il demande à Mozelle de revenir et ça swingue au meilleur mambo de Detroit City. Il fait sonner le «Bobbie Jean» de Chuck comme un mambo de bonne Fortune et quand on arrive en B, on tombe émerveillé sur «Baconfat» - When I was down in Tennessee/ Got a new dance they call Baconfat - Et là, ça swingue - Neh neh neh help yourslf - On le voit aussi taper dans le heavy groove de round midnite avec «Feel So Good» et revenir au mambo avec «Mean Jean», mais il le swingue à l’Africaine, avec des congas de Congo Square. On monte encore d’un cran avec le Volume 2, et ce dès «The Greasy Chicken», pus jus de comedy act down in Mexico, il fait la poule de cot cot codec et rivalise d’ardeur avec les Coasters. «Pass The Biscuits Please» vaut pour un véritable coup de génie. Plus loin, un cut comme «Hey Country Girl» réveille de vieilles envies de danser dans des boums. En B, le «Mmm Andre Williams Is Mmmovin’» vaut pour un classic Dédé jive de bonne Fortune. «Georgia My Is Movin’» rendrait un juke heureux et l’excellent «I Wanna Know Why» sonne comme «Sometimes After A While». Ça se termine avec un «I Still Love You» digne de «Sea Cruise» et ce n’est pas peu dire !

Ça se corse terriblement avec les Detroit Soul Volume 3 & 4. Il commence par faire miauler Pussycat sur un fond de groove à la Junior Walker. On est à Detroit, baby, ne l’oublions pas. On tombe aussi sur de beaux instros, Dédé adore l’ambiancier. Et puis voilà l’un de ses premiers gros hits, «You Got It And I Want It». Il chauffe les pénates du R&B le plus raw qui soit. Puis avec «I Can’t Stop Cryin’», il fait son Screamin’ Jay. Il en a les moyens. On a là une admirable débinade de slow groove chauffé par des chœurs de filles intermittentes. Il revient au comedy act avec «Peal Time» : c’est un dialogue entre father and son, about a girl who’s a pearl/ Are you sure son ? Il passe au dancing groove fabuleusement orchestré avec «Humpin’ Bumpin’ & Thumpin’» et «The Stroke». C’est en B qu’apparaît l’énorme «Shake A Tail Feather», vieux classique de juke, franchement digne des Isley Brothers - Do the twist/ Do the swim/ C’mon - Avec «It’s Gonna Be Fine In 69», on passe au slow groove d’alligator shoes - You know what ? - Quelle classe ! Il raconte qu’il va se payer une bague. On voit enfin Johnny Sayles emmener «The Concentration» en enfer. Solide romp de r’n’b digne de Wilson Pickett, le mec est un bon, il ya-yate jusqu’au bout de la nuit. Des quatre volumes, le quatrième est sans doute le plus intense. Dédé duette avec Jo Ann Garrett dans «A Rockin’ Good Way» et ça grimpe directement dans le très haut niveau. Andre Williams a le génie de l’orbite groovytale. Avec «Pig Snoots Pt 1», on a ce qu’on appelle la crème du Detroit groove, monté sur un drumbeat extrêmement tonique. Le Pt 2 est tout aussi imparable. Il faut aussi écouter absolument cet «Uhuru (African Twist)» tapé aux clap-hands avec du Eya Eya Hey en plein pot cadré serré. Et qui retrouve-t-on en B ? Sir Mack Rice, avec la première mouture de «Mustang Sally», avant que Wilson Pickett ne s’en empare. Sir Mack Rice swingue sa Sally avec une sorte de bringueballe de vieille boîte rouillée. C’est tout simplement admirable de nonchalance. Puis on passe à l’excellent «Inky Dinky Wang Dang Doo» des Dramatics, mené par une voix d’ange, comme chez les Tempts. On s’effare d’une telle élégance de la Soul. Nouveau coup de génie avec «Chicken Thighs» - Some folks like to eat the neck/ Some folks like to eat on the back - Il fait du culinaire - Yes come in here/ Serve it to me/ That’s what I like/ I’ll give my right arm for a thigh/ Cook it !/ Cook it ! - C’est absolument dément - Oooh serve it to me/ That’s what I like/ Chicken thighs ! - Jeannette Williams vient gueuler «Hound Dog» et passe en force avec «Stiff». On se régale aussi du «Funky Judge» de Bull & The Matadors. C’est excellent car ils adressent un gros clin d’œil à Shorty Long. C’est littéralement infesté de swing. Ah quelle leçon de funk !

Deux autres compiles complètent un peu le panorama des origines du Detroit Grease : Rib Tips & Pig Snoots paru en 2000 et Red Beans And Biscuits en 2004. «Rib Tips» sonne comme un hit de Junior Walker, nul doute, roudoudoute. On recroise inévitablement les beaux hits des quatre compiles françaises : «You Got It And I Want It», «Pearl Time» (Dad she can do the pearl !/ Sounds good son) et l’énorme «Chicken Thighs» - Cook it ! Cook it ! - On entend aussi des filles bien délurées sur «Pig Snoots» et une version superbe d’«I Heard It Through The Grapevine». Et avec des instros comme «Hard Hustling» et «Soul Party A Gogo», ça jazze dans la balance à Balmoral. Sur Red Beans, on trouve l’excellent «I’m The Rock», heavy groove d’anticipation urbaine, monté sur un rif de basse traînard comme un soudard à deux sous. Quasi mythique. On trouve aussi une version instro du merveilleux «Pass The Biscuits ‘67», et un «Andre’s Thang» visité par l’esprit rageur de Junior Walker. Les Green Berets accompagnent Dédé sur «I Miss You So», solide romp de groove qui renvoie au heavy stuff des Tempts. Ça se termine avec l’excellent «Baby Baby Oh Baby», encore du big beat à la Dédé. Tout ce qu’il entreprend n’est que du roule ma poule, que du roulez bon temps.

C’est avec une certaine émotion qu’on met le dernier album d’Andre Williams sur la platine, histoire de lui dire adieu dans les formes. Sur la pochette de Don’t Ever Give Up paru en 2017, on voit qu’il a pris un sacré coup de vieux, mais il paraît encore solide sous son chapeau blanc. En tous les cas, son regard défie la mort. On ne trouve pas de hits sur cet album fatidique, seulement des grooves rampants comme «Dirty Mac Stinky Dog», avec des chœurs qui servent bien le mystère du groove, comme autrefois les vestales servaient les mystères de Delphes. Les trois filles font véritablement la grandeur du cut. Le morceau titre est un instro qu’on écoute en se régalant et Dédé termine l’A avec un vieux hit de Nolan Strong, «The Way You Dog Me Around». C’est pour lui une façon de revenir aux sources, c’est-à-dire au temps de Fortune Records et de Miss Devora Brown. Dédé nous chante ça aux petits oignons de l’émotion suprême. Le cut le plus émouvant est celui qui ouvre le bal fatal de la B : «Bury Me Deep» - When I die/ I want/ Six female/ And I want a pink hearse/ And twelve dead roses/ And 20 foot grave/ And a statue of Elvis Presley/ Two country & western singers/ And a flag of every enemy country - Et il rappelle son motto : «Bury me deep.» Il passe à l’intimisme le plus troublant avec «One Side Of The Bed». Cette brute n’en finira plus d’édifier les édifices. Il chante aussi l’une des ces comptines dont il a le secret, «Three Blind Mice» et le voyage terrestre d’Andre Williams s’achève avec «Through Your Uprights». Une certaine Meschiya Lake chante un gospel de fin de non-recevoir sur un joli shuffle d’orgue, hallelujah ! Hallelujah ! C’est swingué à la vie à la mort de la mortadelle et bien sûr, c’est, à l’image du grand Dédé Williams, solide comme un poncif.

Signé : Cazengler, Dédé pipé

Andre Williams. Directly From The Streets. SDEG Records 1990

Andre Williams. Greasy. Norton Records 1996

Andre Williams. Silky. In The Red Recordings 1998

Andre Williams & The Sadies. Red Dirt. Sonic RendezVous 1999

Andre Williams & The Sadies. Hot As Hell. Nest Of Vipers Records 1999

Andre Williams. Black Godfather. In The Red Recordings 2000

Andre Williams. Bait And Switch. Norton Records 2001

Andre Williams & Green Hornet. Live At The World Famous Vera Club. Norton Records 2003

Andre Williams & The Diplomats Of Solid Sound. Aphrodisiac. Vampi Soul 2006

Andre Williams & The New Orleans Hellhounds. Can You Deal With It ? Bloodshot Records 2008

Andre Williams. That’s All I Need. Bloodshot Records 2010

Andre Williams. Hoods And Shades. Bloodshot Records 2012

Andre Williams & The Sadies. Night And Day. Yep Roc Records 2012

Andre Williams & The Goldstars. Be Fast Records 2012

Andre Williams. Life. Alive Records 2012

Andre Williams. I Wanna Go Back To Detroit City. Bloodshot Records 2016

Andre Williams. Don’t Ever Give Up. Pravda Records 2017

Andre Williams. Rib Tips & Pig Snoots. Soul-Tay-Shus Recordings 2000

Andre Williams & The Out Of Sighters. Red Beans And Biscuits. Soul-Tay-Shus Recordings 2004

Andre Williams. Grease Soul Volume 1.

Andre Williams. Grease Soul Volume 2.

Andre Williams. Detroit Soul Volume 3. Detroit 2002

Andre Williams. Detroit Soul Volume 4. Detroit 2002

 

Mick Harvey tout compris

Membre éminent des Bad Seeds, Mick Harvey s’est ingénié vingt ans durant à rallumer la flamme gainsbourrienne. Quatre albums extrêmement brûlants en témoignent. Cela faisant, il ne manque pas de rouvrir dans les cœurs flétris d’antiques blessures. Quand on a vécu aussi intimement avec l’onction gainsbourrienne, force est d’admettre qu’on marque le coup. Harvey ne sévit pas que sur disque, il sévit aussi sur scène et le voilà donc en Normandie pour chanter Gainsbourg, bien au chaud, dans la petite salle d’un club qui ne doit rien au Kangourou Club. James Johnston de Gallon Drunk l’accompagne à l’orgue, ainsi que Xanthe Waite qu’on entend ici et là sur deux des quatre albums extrêmement brûlants. Derrière l’homme à la tête d’Harvey, une section rythmique à toute épreuve prend en charge les drives de jazz et les pompes de pop, et puis un délicieux quatuor de violons juvéniles vient par intermittence contribuer au ré-allumage d’anciennes magies de type «Initials BB» ou «69 Année Érotique». Mick Harvey ne se soucie que de ceci : recréer sur scène la spectaculaire beauté de l’univers gainsbourrien. Le bougre se montre adroit car il démarre en tablatant son «Requiem Pour Un Con» et il enchaîne avec l’infamant pulsatif des «P’tits Trous», même s’il les chante en Anglais. La translation donne «The Ticket Puncher». Pour une fois l’élégance n’est pas dans le bon sens. L’homme à la tête d’Harvey estomaque par la véracité de sa foi viscérale. Il n’est bien sûr pas question de mettre son prodigieux aplomb en doute, même si l’on sait, au plus profond de soi, que personne ne chantera jamais aussi bien les chansons de Gainsbourg que Gainsbourg lui-même. Le vieil Harvey reviendra plus tard du jive de jazz gainsbourrien avec «Couleur Café» («Coffee Colour») et «New York USA», avec des chœurs qui font si bien le so high, oh so high. À la lumière de ces exploits, on mesure encore mieux le génie de Serge Gainsbourg. Lui et Léo Ferré suffiraient amplement à remplir une vie. Alors pourquoi aller chercher midi à quatorze heures ?

Extrêmement désirable, Xanthe Waite incarne l’autre dimension du mythe gainsbourien : son goût pour les très belles femmes. Tous les antisémites de France devaient enrager de voir Gainsbarre se taper les plus belles femmes de son temps : Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Juliette Gréco ou encore France Gall. Xanthe Waite ne dépare pas dans cette galerie de portraits. C’est elle qui chante «Poupée De Cire Poupée de Son» («Puppet Of Wax») et même si elle ne dispose pas du sucré de la divine France Gall, elle sort une version pop extrêmement endiablée qu’on retrouve sur l’album Intoxicated Women. Frisson garanti. C’est elle aussi qui se tape «Harley Davidson» et qui duette avec le vieil Harvey sur «Bonnie & Clyde». Ah quelle collection de hits suprêmes ! On peut dire qu’ils ont su marquer leur époque et enrichir les âmes, comme le font tous les grands hits pop, que ce soient ceux des Beatles ou des Beach Boys. Elle se sort pas trop mal des hits mineurs comme «Contact» ou «Don’t Say A Thing». Pendant le rappel, Mick Harvey aura l’élégance de proposer «La Javanaise» et de laisser le public chanter les fins de couplets - Ne vous déplaise/ En dansant la Javanaise/ Nous nous aimions/ Le temps d’une/ Chanson - et bien sûr, c’est le meilleur moyen de porter l’émotion à son comble, car il n’est pas de chanson plus belle, plus poétique, plus élégante et plus mordeuse de cœur que cette divine Javanaise. Gainsbourg nous broyait même l’âme avec cette chanson. Fallait-il qu’il aime Prévert pour écrire des choses aussi parfaites ! Vous le constaterez par vous-mêmes en ressortant n’importe quel recueil de poèmes de l’étagère, l’art de Jacques Prévert reste l’une des plus belles formes d’expression humaine.

Mick Harvey entame son chemin de croix en 1995 avec Intoxicated Man. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère puisqu’il démarre sur «69 Erotic Year», qu’il susurre d’une voix d’anis d’Annie qui aime les sucettes à l’anis. Du bout de la langue, il fait tinter l’écho du point G dans le gras du grave. Admirable chef-d’œuvre du succion. Il y croit comme une folle, sixty nine ! Il monte ensuite en puissance en vroomant «Harley Davidson». Il tape ça au puissant London heavy rock. Anita Lane vient faire sa B.B. C’est le hit suprême, comme dirait Joséphin Péladan. C’est une pluie de fureur fury et de justesse justy, I go ! Même le morceau titre se révèle inespéré de justesse pythagorienne. Mick Harvey a décidément tout compris. Il craque bien le crackle erotic avec «The Sun Directly Overhead». Bien vu Mick. Il chante ça à la sourdine aveugle de baryton baryté. Et on est loin d’avoir épuisé toutes les surprises de cet album indiciblement toxique. Il nous groove «The Barrel Of My 45» à la dégringolade, il pisse et il pète en descendant chez Kate, demented battage de back-up office avec du big bad blast. Anita Lane revient sucer la sucette de «Ford Mustang» et Mick rameute les congas de Congo Square pour un «New York USA» de petite fortune. Comme on attend encore des miracles, en voici un : «Bonnie & Clyde», juste et bon comme un roi carolingien, chargé de son à gogo, Mick Harvey chante au cœur de la mélodie et c’est léché aux violonades définitives. L’Harvey et la Lane rallument d’antiques brasiers. L’Harvey chante tout dans la matière, il y croit dur comme fer. Il gratte l’accord d’«I Have Come To Tell You I’m Going» et chante comme dans un rêve gainsbourrien. Il redore le blason de l’idéal romantique, avec du goodbye qui scintille et du yes I love you qui luit à la lune. On tombe en pâmoison - You remember the good times - Il termine avec un abominable shoot de power surge, au pire steel de Sheffield, avec «Initials BB», le hit anglophile par excellence. Quand on vous dit que Mick Harvey tout compris, c’est qu’il Harvey tout compris.

Le bougre récidive deux ans plus tard avec Pink Elephants. Coup de génie immédiat avec «Requiem» qu’il groove au London mood, c’est-à-dire au hot shit d’electro-blast. Pas de pitié pour les cons - Stupid cunt ! - C’est d’ailleurs l’objet du Requiem for a cunt. Il ose ensuite taper dans le nec plus ultra avec «The Javanese» qu’il délite avec soin - Javane/ Ze ! - C’est un bonheur que de l’entendre chanter ça. Mick Harvey en fait une espèce de magie insécable. Il travaille son Gainsbarre comme on travaille une escalope : il la pelote pour l’attendrir. Par contre, il se vautre avec «Comic Strip». Il ne se formalise pas pour autant et revient taper dans le plus difficile des cuts de l’âge d’or, «The Ticket Puncher», les p’tits trous, les p’tits trous, toujours des p’tits trous, l’intouchable par excellence. Il l’embarque ventre à terre, accompagné par un batteur dévoué. Plus loin, il groove «Scenic Railway» au crroak de belle voix d’étain blanc. Il crée de la légende sur le dos de Gainsbarre, ce qui n’est pas idiot, au fond. Globalement, il rend les meilleurs des hommages qui soient envisageables ici bas. Il entre dans le lagon définitif avec «I Love You Nor I Do» - Oh yes ! - Le sex ultime et l’Harvey se retient entre ses reins. La pauvre fille doit se plier aux lois du groove. C’est d’une épaisse puissance sexuelle, il charge ça de sex à ras bord, nor I do, il y va, I go I go et ça se termine comme ça doit se terminer, And I come. Dans un sursaut de lucidité sexuelle, il ajoute cette vérité gainsbourienne majeure : «Physical love is a dead end.» On reste dans le cœur du mythe avec «The Ballad Of Melody Nelson». Il chante ça au mieux du baryton d’Angleterre et tout explose avec «Who Is In Who Is Out», le London jerk par excellence, en tous les cas, l’un des plus grands jerks de l’âge d’or du jerk. L’Harvey le sabre à la hussarde.

Il semble que ce soit Bertrand Burgalat qui fasse la pluie et le beau temps sur Delirium Tremens, le troisième volume de voluptés gainsbourriennes, et ce dès «Deadly Tedium», c’est-à-dire «Ce Mortel Ennui», avec un drive de jazz qui avance step by step. Burg bourre le mou d’une nouvelle ambiance dédiée dans «Coffee Colour» en jouant son ass off au milieu des chœurs d’artichauts colorés. Et tiens donc, encore un énormité avec un «SS C’est Bon» noyé de son indus indiscutable, ahh que sera sera le big heavy sound. L’Harvey crée là la surprise destroy oh boy. Xanthe Waite fait une première apparition dans «A Day Like Any Other». Elle chante au sucre perverti des sucettes à l’anis d’Annie, c’est extrêmement orchestré, la la la, et voilà que l’Harvey embrasse le cul du cut d’une voix ingénue et trop mûre à la fois. Soyez bien certain que tout cela se situe véritablement au plus haut niveau. On l’entend aussi prendre «More And More Less And Less» au crépuscule du baryton et créer un tourbillon d’écrouvillon avec «Don’t Say A Thing». Mais c’est avec «The Decadence» qu’il va effarer durablement, car il chante dans l’apothéose d’une mélodie vertigineusement gainsbourrienne, il la prend au chaud extrême de la dimension humaine et c’est là où il se rapproche véritablement de Gainsbarre, car s’il est un Homme sur cette terre, c’est bien lui, l’âme de la beauté des laids, délai, délai. Katy Beale se fond dans sa moule, ils dégoulinent tous les deux de somptuosité onctueuse et que peut-on faire d’autre que de se prosterner jusqu’à terre pour saluer une telle exigence de véracité concupiscente ?

Paraît en 2016 le pendant féminin d’Intoxicated Man : Intoxicated Women. Comme le font les Mercury Rev avec leur hommage à Bobbie Gentry, Mick Harvey fait entrer dans l’album une belle palanquée de petits boudins, excellente occasion pour lui de transformer «Les Petits Boudins» en énormité : Xanthe Waite sucre sa voix comme une Poupée de Son et ça sonne comme un fabuleux hit de rock anglais infesté de relances de batterie rebondie. Le drumbeater s’appelle Hugo Cran. Cet authentique coup de génie pop dénote une intelligence du son. L’autre énormité, c’est justement «Poupée De Cire Poupée De Son». Xanthe Waite s’y montre toute aussi admirable. On a là le hit pop parfait. Merci Gainsbarre. On monte évidemment d’un sacré cran avec «Je T’Aime Moi Non Plus». Elle s’appelle Andrea Schroeder, oh yahhhh, fabuleuse poulette de sexe chaud. Bertrand Burgalat bassmatique comme un seigneur des annales et ce diable de Mick Harvey tout compris, la bite à la main baguée d’une topaze d’orient pâle, ahhhhh, elle soupire exactement comme ça, elle jouit dans son micro, ça va et ça vient entre ses reins, cette chanson de l’amour suprême à la Villiers de pomme d’Adam est si admirablement réintroduite dans la vulve du mythe. Celle qui chante «La Chanson De Prévert» s’appelle Jess Ribeiro et Shilo gratte sa gratte. Mick Harvey tout compris car il partage le chant avec la juvénile Jess, ils sont excellents dans le day after day, sacré Mick, il finit toujours par s’en sortir. En fait, non, ce n’est pas exact : il se vautre avec «Les Sucettes» qu’il croit bon de chanter. La voix d’homme fausse tout, on perd le côté kitschy kitschy petit bikini de la girl Gall. En plus, ça joue au heavy bass drum. Grosse incartade. On retrouve Andrea la fatale dans l’autre chef-d’œuvre intemporellement érotique de Gainsbarre : «Dieu Est Un Fumeur De Havanes». Andrea y fait sa Deneuve pendant que l’Harvey suce son cigare. Andrea aménage la profondeur dans la moiteur, c’est elle qui fait l’amour moi non plus, alors oui, yeahhhh. Elle aménage la troublante profondeur de chant du promised land, take my hand... Et puis voilà venu le tour de Burgalat d’exploser «Cargo Culte» au cul de basse fosse. Il fait le son en plein et en délié et on entre de plein fouet dans la mythologie du petit matin, à l’aube d’une histoire d’amour, lorsqu’une voix demande : «What’s your name ?» et elle répond, «Melody, Melody Nelson». S’ouvre alors un ciel. Nous vécûmes jadis exactement la même histoire et l’occasion est trop belle de saluer la genèse du poignard en plein cœur.

Si la curiosité fait bien son travail, on finit par se laisser aller à écouter un autre album de reprises, One Man’s Treasure, mais aucune reprise de Gainsbarre n’y figure. Mick Harvey tape dans Lee Hazlewood («First ST. Blues») et Nick Cave («Come Into My Sleep»). Le seul cut vraiment intéressant est cette reprise du «Come On Spring» d’Antenna, un groupe monté par Kim Salmon en 1998. C’est excellent et bien balancé. Sonne même comme un sommet non pas des Alpes mais des Hands. Il chante plus loin un «Man Without A Home» au baryton des bas fonds mais on bâille aux corneilles. Il revient sur la terre ferme avec le «Mother Earth» du Gun Club. Jeffrey Lee Pierce est bien gentil, mais on ne peut quand même pas le comparer à Gainsbarre.

Signé : Cazengler, Mick larvé

Mick Harvey. Le 106. Rouen (76). 20 octobre 2019

Mick Harvey. Intoxicated Man. Mute 1995

Mick Harvey. Pink Elephants. Mute 1997

Mick Harvey. One Man’s Treasure. Mute 2005

Mick Harvey. Intoxicated Women. Mute 2016

Mick Harvey. Delirium Tremens. Mute 2016

 

ROCKABILLY GENERATION NEWS N°11

OCTOBRE / NOVEMBRE / DECEMBRE / 2019

Sergio Kazh est en train de gagner son pari. Rattraper le retard que le magazine avait accumulé afin de pouvoir caler les numéros qui suivront sur les premiers jours des trimestres. Avec un peu de retard Rockabilly Generation était toujours bon à lire. Le dernier était bon, celui-ci est encore meilleur. Commence par une surprise, Louis Jordan enrégimenté dans les pionniers, je n'y avais jamais pensé, mais les frontières du rock'n'roll ont toujours été mouvantes et il n'existe pas de séparation bien nette avec le rhythm'n'blues noir. Lui-même n'étant qu'une excroissance sonore du blues. Si vous voulez rester identique à vous-même, ne cherchez pas vos racines, s'il est un endroit où le melting pot de la société américaine s'est réalisé, et encore cela a pris du temps, c'est bien dans la zigmuc. Louis Jordan a été un trait d'union indubitable entre le jump blues et le boogie woogie, nous explique Dominique Faraut.

De même l'on peut se demander s'il existe vraiment une séparation entre les morts et les vivants, Mattéo Callegari, italien et guitariste des Rotten Records s'explique sur son parcours, éclatant malgré sa jeunesse. Marqué par les pionniers bien sûr, l'a commencé par AC / DC, comme quoi il existe mille chemins ouverts qui mènent au rock'n'roll. Mais son dada à lui c'est le country même s'il s'inscrit dans la grande tradition des Teds qui n'est pas spécialement nostalgique mais au contraire très vindicative. Sergio emmène la conversation sur le drapeau confédéré que Mattéo entrevoit comme un signe de ralliement entre fans de rock'n'roll dépourvu de revendication raciste. Il ne le dit pas, mais quel est le drapeau au monde qui n'a pas ses franges emplies de sang et de monstruosités. Il est certes plus simple de ne pas en avoir quant à en créer un, il n'échappera pas très vite à quelques reproches ! S'il existe un animal nuisible sur cette terre, c'est bien l'être humain.

Une longue interview de Darrel Higham, à mon goût l'on n'en parle pas assez en douce France, c'est pourtant l'un des plus authentiques rockers, se confie calmement, il évoque sa fille et son chien, question musique, ses actes et ses disques parlent pour lui, il retrace sa carrière sans forfanterie, l'est davantage intéressé par ses projets que par ce qu'il a déjà réalisé, beaucoup de pudeur et de simplicité chez cet homme. Transmet son admiration et sa tendresse pour Eddie Cochran avec des mots qui font mal.

Ensuite c'est la tournée des Festivals, la neuvième édition de La Chapelle-en-Serval, mention spéciale pour Dylan Kirk et ses Starlights, la jeune génération qui monte, et le dimanche soir, la palme est décernée à Al Willis & the New Swingters, notons que lorsque Red Dennis est sur scène c'est généralement bon signe pour prévoir les ouragans. L'on passe au Pouligan, huit concerts sur trois jours, Big Sandy un peu mou, mais les Houserockers ont salement remué la maison et le Strike Band venu d'Italie a fini par déterrer les fondations. Le 13 juillet c'est à Pencran qu'il fallait être au Rockin Breizh Club, ainsi nommé pour que les initiales ne fassent pas KKK ! Très drape jacket dans l'ensemble avec Rough Boys, Greased Lightning, et The Lincoln, vous ne connaissez pas les deux derniers : viennent respectivement de Suède et d'Autriche. Spuny Boys et Booze Bombs – on ne les présente plus – ont enthousiasmé le 3 Day's Vintage de Virolet ( en Charente Maritime pour ceux qui comme moi ne connaissent pas leur géographie ! ). Une dernière rasade pour l'anniversaire de Grand Dom à Beaulieu de Rieux ( en Bretagne pour ceux qui n'ont pas eu le temps de prendre des cours de rattrapage depuis la phrase précédente ) avec Black Raven, Jim and the Beams, Orville Nash et quelques autres cadors. Trois petites rubriques pour finir : la présentation des disques, un peu maigre, et le meilleur pour la fin, toutes les couves des dix précédents numéros pour passer commande. Quel boulot, quelle persévérance, et quelle beauté !

Damie Chad.

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

DES MAUX / AMN'ZIK

( 2017 )

 

Nous les avions découverts à la Comedia – voir notre chronic in Kr'tnt 432 du 03 / 10 / 2019 – une prestation superbe mais pas de Cds qu'ils n'avaient pas pensés à prendre, ce sont de véritables rockers, pas des commerciaux ! – et voici dans la boîte à lettres cette petite enveloppe pour lesquels nous les remercions.

Pochette noire, juste un demi-visage, gueule ouverte, ne hurle pas des mots mais des maux parce que notre monde court à la déglingue, crier n'enraye peut-être pas l'inéluctable, mais il faut les entrevoir comme des oiseaux de proie qui volent haut au-travers des tourmentes, qui attendent leur heure. La pire. Les Amn'Zik ne sont pas des autruches qui enfoncent leur tête dans le sol pour ne plus avoir peur, ils font face, ils sont prêts.

Assume : une tuerie bien campée sur les deux jambes du binaire déboule sur vous, ce n'est rien comparé à ce qui suit, musique sombre et compressée pour le tunnel de ton existence d'esclave salarié sans sortie, alors une seule solution, celle de faire exploser tes rêves et d'explorer tes désirs, sans quoi ton futur ne sera pas meilleur que ton présent, la batterie te plonge la tête dans l'eau, des coups de rames sur l'occiput pour t'expédier tout au fond, et le son larsène des coups de faux dignes de la grande faucheuse pour te faire comprendre combien ta situation est grave, le train du néant fonce sur toi, une guitare soloïse ton hymne funèbre et la motrice fonce sur ton corps ensommeillé sur la voie de garage, tu n'entends plus que son irréductible shuffle , les boogies se rapprochent, tu n'en as plus que pour quelques secondes mais le temps s'écoule lentement et une guitare brûle sans fin, quelques la-la-la ironiques et la voix t'intime l'ordre de prendre ton destin en main. On espère que tu l'as fait, car le convoi s'éloigne dans le lointain. Maintenant si vous écoutez ce morceau sachez que vous reprendrez illico un autre billet pour recommencer le trajet. Pourquoi ont-ils ? : un murmure cordique, une fuite mélodique, mais déjà la rythmique vient appuyer ses brodequins de fer sur votre tête, et une voix chantonne des réalités qui ne procurent aucun plaisir, une organisation économique délétère, ta vie stagne dans le grand marécage, la voix se creuse comme une tombe et la musique noircit ses effets, rien ne te sera donné à tel point que tout semble s'arrêter, une fausse illusion, l'horreur repart de plus belle, qu'importe Amn'zik s'est transformé en une gigantesque vortex, une bouche monstrueuse qui commence à dévorer le monde. Et un dernier bourdonnement qui s'étire, un vol de mouches vertes au-dessus d'un charnier. Le change : une intro bien balancée, une voix plus âpre, avez-vous déjà remarqué comme la fausse monnaie tinte plus gaillardement que la valeur qu'elle affiche, l'en est de même des existences qui ne savent plus ce qu'elles sont et ce qu'elles ne sont pas. Des rafales de chœurs qui trimballent davantage d'horreur que de bonheur, l'important c'est que le toc soit mastoc, alors des sortilèges de guitares s'enflamment, et le voile noir de l'orchestration vous engloutit, ne cherchez pas à fuir, de vous-même vous vous êtes enfermé dans votre propre piège. Geneviève : tremblements de cordes, cliquètement de cymbales, fortement les basses, les filles ont toujours eu le chic et le choc de poser des problématiques anxiogènes, avec elles vous êtes sûr que les situations se complexifient, la guitare s'écharde dans votre pelote de nerfs, Pat brisé de rage, Geneviève qui ne fait que passer, juste pour signifier que tout va mal, et Amn'zick vous souligne cela à l'encre d'un rouge sang indélébile. La métamorfaust : chatoiement de douceurs dans un monde brut, mélopée d'ombre et de lumière au fond d'un sarcophage, une montée insidieuse vers on ne sait encore quoi, une ballade que vous ne comprendrez pas si vous n'avez jamais fait l'amour dans un cercueil, jamais embrassé la gluance de la pourriture, déchirements cristalliques de guitare, flamboyances lyriques, un morceau dont vous ne ressortirez pas entier. Un chef d'œuvre.

 

Un disque magnifique qui vous conduit des écorces mortes du monde externe aux profondeurs intimes de vos déraisons suprêmes. Amn'zik se joue de nous. Non seulement ils n'oublient rien mais ils se souviennent de tout, que le macrocosme et le microcosme échangent de réciproques reflets, que vous êtes aussi fautif, aussi faustif que tout le reste. N'accusez personne, assumez-vous.

Damie Chad.

VINCENNES / 23 - 10 – 2019

HOWLIN' JAWS

Tout cela par la faute du Cat Zengler et son superbe article sur Mickie Most. Une petite lampe s'est allumée dans mon vaste cerveau : '' Tiens, Mickie Most, on en avait parlé avec les Howlin', juste avant qu'ils ne sortent leur disque, pas vus depuis longtemps, avec un peu de chance, seront dans le coin pour un petit concert ''. Tout droit sur leur FB, bingo ! les gogos, ils ne sont pas loin, un coup de téléphone, et hop place retenue pour mercredi soir. J'en vois certains tiquer, retenir son billet pour un concert de rockabilly, c'est étrange. Oui mais c'est plus compliqué que cela. Une histoire de famille, pour une fois le Cat Zengler est totalement innocent, n'était même pas né quand ça a commencé, vous non plus, moi itou, et les Howlin' Jaws idem. Comme quoi dans la vie, les ennuis vous tombent dessus alors que vous n'y êtes pour rien.

UNE TERRIBLE HISTOIRE

Je gomme un peu le début, les Dieux demandent au roi Agamemnon de sacrifier sa fille Iphigénie pour que les vents qui doivent porter la flotte grecque jusqu'aux rivages de Troie consentent à se lever. Son épouse Clytemnestre n'est pas d'accord, on peut la comprendre, mais Iphigénie qui a un faible pour son papa chéri consent et est proprement exécutée. Agamemnon ne reviendra que dix ans plus tard, une fois la vile de Troie anéantie. Hélas! il ne profitera pas longtemps de sa victoire, à peine est-il rentré à la maison qu'il meurt assassiné dans sa baignoire par sa femme qui entre temps a pris un amant Egisthe, ainsi que le raconte Pindare dans une de ses Odes.

Jusque-là tout va bien, si j'ose dire. Il reste encore les trois enfants d'Agamemnon et de Clytemnestre : Chrysotémis, Electre et Oreste qui en tant que seul garçon se doit de venger son père en tuant Egisthe et en assassinant sa propre mère...

BIFFURCATIONS JAWIENNES

Quel rapport avec les Howlin' ? L'est vrai que tout ne se passe pas aussi mal dans toutes les familles : un exemple pris au hasard, Simon Abkarian, le père de Djivan Abkarian est encore vivant, il exerce la noble profession d'acteur et de metteur en scène. Pour monter Electre des bas-fonds, une de ses propres pièces, il a fait appel, afin d'assurer l'accompagnement musical du spectacle, à la formation de son fils, les fameux Howlin' Jaws.

Avis à la population : ce soir nous n'assisterons pas à un concert d'un groupe de rock'n'roll nommé les Howlin'Jaws, mais nous verrons les Howlin' Jaws bellement engagés, dans une nouvelle aventure, dans une rencontre d'un autre type.

DANS UNE CONTINUITE

Simon Abkarian n'est pas le premier à s'être penché sur l'histoire des Atrides, déjà au temps des grecs Eschyle, Sophocle et Euripide ont donné leur version de cette sanglante histoire. L'on ne compte plus les auteurs et les poëtes qui au fil des siècles ont présenté leur interprétation de ce mythe. Mais il ne faut pas croire que l'on explique un mythe, c'est au contraire le mythe qui permet à ceux qui l'interrogent d'apporter une lumière plus violente et plus crue sur l'état de leur époque. Question rock, je vous renvoie par exemple à notre précédente chronique sur Jim Morrison qui traite dans The end, de la violence que l'on est en droit d'exercer sur nos géniteurs, '' Father... Yes son... I want to kill you... Mother, I want to violate you …''

Il ne nous reste que les textes de ce premier théâtre grec, en fait des reconstitutions compilatoires à partir de fragments divers qui par exemple servaient aux acteurs à apprendre leur rôle. Autant dire que nous ne possédons qu'un tiers de l'iceberg, les représentations de nos lointains ancêtres ressemblaient davantage à notre opéra moderne, certes l'auteur écrivait le texte mais composait aussi la musique, à part quelques notes rien ne nous est parvenu... Un, puis deux, puis trois acteurs, ce qui est peu, mais ils ne jouaient que les moment-clefs de l'action, le chœur composé d'une vingtaine de participants racontait les épisodes intermédiaire qui reliaient ces scènes cruciales : il évoluait sur scène, récitait, chantait et dansait. Nous ne possédons que peu d'informations sûres sur la place de '' l'orchestre'' qui accompagnait les spectacles. Les Howlin' Jaws sont relégués dans une pièce attenante au grand plateau.

ELECTRE DES BAS-FONDS

COMPAGNIE DES 5 ROUES

Texte et mise en forme

SIMON ABKARIAN

( 14 comédiennes-danseuses – 6 comédiens-danseurs )

musique écrite et jouée par le trio

Howlin' Jaws

C'est dans cette perspective originaire que Simon Abkarian a écrit et monté Electre des bas-fonds. D'abord une langue, riche et abrasive emmenée par un torrent de métaphores lyriques ensemencées d'images élémentales mais qui n'hésite pas à plonger dans les gouffres comédiques d'un grotesque néronien. C'est avant tout le discours qui porte la pièce, comparé à cette force, tout le reste est mise en scène d'une intransigeance superfétatoire. Un véritable cadeau pour les acteurs, nombreuses sont les tirades à déployer comme l'on hisse les voiles d'un navire afin de s'inscrire dans la haute course des vents porteurs.

Mais il ne suffit pas d'emplir les oreilles des spectateurs, faut aussi infuser dans ses yeux des images chocs, ainsi dès le début, cet amas de danseuses dans leur tutu de petits rats froufroutant de gaze jaunie se regroupant afin d'entamer un ballet myrmidonesque des plus trompeurs, ce ne sont point d'innocentes petites filles réunies en un cours de danse mais putains de bordel au lever du jour qui se préparent à attendre le client. Elles sont les anciennes jeunes troyennes que les grecs ont emmené chez eux afin d'en user comme esclaves sexuelles.

Nous sommes d'emblée au cœur du sujet de la pièce : pour le dire d'une manière policée et universitaire : celui de la place réservée aux femmes dans les société patriarcales. Au plus près des chairs outragées et flétries, Simon Abkarian nous plonge dans la béance des vies brisées, des jeunesses bafouées, des déchéances intimes, des rêves perdus, des viols, des cris et du sang. La haine reste l'apanage d'Electre, la vierge farouche, qui n'a jamais pardonné à sa mère l'assassinat de son père et qui sera condamnée à servir les prostituées du bordel.

Survient Oreste qui revient – hésitant – pour tuer sa mère... Mais il n'est pas le personnage le plus important, absent de la plus grande partie de la pièce, certes il accomplira sa tâche imposée par le Destin, surtout par la loi des hommes, mais il n'en entendra pas moins la longue plaidoirie de Clytemnestre qui revendique sa liberté de femme à avoir vengé sa fille... en sus elle dresse un portrait d'Agamemnon dont elle souligne la suffisance, l'insuffisance, la lâcheté, l'orgueil démesuré... La pièce se termine par la folie d'Oreste, l'esprit morcelé, incapable de supporter les contradictions qu'il est dans l'incapacité de résoudre et dont il n'est qu'un jouet impuissant.

Une pièce âpre qui nous parle de domination des femmes par les hommes, non pas sans répercussion sur celles des hommes, et celles des femmes entre elles et sur leur propre genre, surtout de la salissure des âmes et des vies qui en découlent. Des personnages – nous ne les avons pas tous évoqués - qui vont jusqu'au bout d'eux-même qui assument tout ce qu'il y de plus fragile, de plus implacable, de plus dérélictoire, de plus veule, de plus sacrificiel, de plus grand et de plus médiocre en leur intimité comme en leur implication existentielle soumise aux volontés d'autrui et aux circonstances extérieures désastreuses... Le spectateur s'invitera de lui-même à évoquer les différentes guerres actuelles, et les débats qui parcourent notre société. Ce spectacle est à voir, superbement mis en scène, jamais ennuyeux, ses tirades flamboyantes, ses dialogues antagoniques, ses ballets successifs, et sa musique.

HOWLIN'JAWS

Impeccablement de noir et de blanc vêtus, très straight, classieux, assis à l'instar des musiciens classiques sur le devant de leur réserve, sont aux ordres d'un drôle de chef d'orchestre qui n'est autre que le déroulement de la pièce elle-même, ils l'accompagnent ou le précèdent en le sens où il faut parfois souligner l'intensité de l'action avant même la mise en œuvre de son accomplissement, ils donnent alors l'air de présider à la naissance des différentes séquences comme s'ils étaient une équipe socratique au chevet d'une multitude de parturientes, car sur scène cela n'en finit pas de bouger. Il existe des passages faussement plus évidents que d'autres, ceux des ballets, il leur suffit de donner l'impression de se coller aux mouvements des danseurs alors qu'en réalité ce sont les Jaws qui mènent la danse, ils endossent alors en quelque sorte le rôle du Coryphée qui dans les arènes de l'antique Hellade dirigeaient les évolutions du chœur. On ne peut pas vraiment parler de danse au sens plein de ce mot en le sens où les danseurs ne cherchent pas à éblouir le spectateur grâce à leur virtuosité personnelle, au contraire il faut entendre ces étranges reptations rythmiques sacralisées en tant qu'action de groupe, des espèces de ritualisations orientalisantes, une gestuelle gradationnelle de poupées mécaniques qui n'est pas sans évoquer les propos d'Henri von Kleist sur Les marionnettes.

Avant même que le spectacle ne débute, l'on se dit que Baptiste Léon retranché derrière sa batterie aura la tâche la plus facile, quelques forts coups de grosse caisse à la manière des bateleurs afin de marquer les rebondissements qui ne manqueront pas de ponctuer le cours de l'action et un tamponnement diversif pour les autres passages. Les Jaws ne sont pas tombés dans ce piège. Ne se sont pas transformés en producteurs d'effets sonores, il ont compris qu'à l'écriture du discours devait correspondre une écriture musicale et que ces deux langages devaient communiquer entre eux afin de parler au public, de lui faire entendre les mots d'une autre manière, de coller à leur sens une signifiance sonore qui en aggrave la portée. Plus le silence. Car ils savent se taire, ils laissent la voix nue des acteurs s'élever, ils ne sont pas là pour ajouter une bande-son en arrière-fond sur les paroles. Ne sont pas des faire-valoir, sont au même niveau que les acteurs, ils participent à part entière au progrès de l'action. Mais sur un autre plan.

Certes parfois on oublie de regarder leur présence latérale, le plateau central obnubile les yeux, mais la musique est tout de même sur la scène, elle accentue sans qu'on y prenne garde la cruauté ou la bouffonnerie des situations. Djivan et les ondes noires de sa basse électrique, elles se meuvent comme les reptiles en liberté dans le sanctuaire d'Asclépios, car toute théâtralité bien comprise est comme un acte opératoire, une libération aristotélicienne, la crevaison d'une tumeur dont l'écoulement du pus précipite aussi bien la délivrance que la mort ou le naufrage dans la perte de soi. Rappelez-vous ces serpents qui sifflent sur vos têtes chez Racine lorsque Oreste bascule dans la folie. Djivan colle à l'action comme l'angoisse étreint l'esprit. Le mal court disait Audiberti, mais ici il s'étale et se résout en marécage, un cloaque létal, dans lequel s'enfoncent les pas incertains, mais tendus selon une suprême volonté, des âmes impures, ce bruit de succion insupportable, cette aspiration infinie vers l'inéluctable c'est Djivan qui en est chargé, vous n'êtes plus dans le labyrinthe, vous êtes déjà os broyés dans la gueule sanglante du Minotaure.

A la guitare de Lucas Humbert est dévolu le rôle de la lumière, non pas la clarté franche, lumineuse et célestiale de l'Empyrée mais celle goethéenne dont l'ombre se teinte de nuances bleuâtres et verdâtres, ce n'est pas le combat du bien contre le mal, mais celui du mal contre le pire. Qui l'emporte au final. Chaque accord de Lucas comme flamme vive qui ne détruit pas les ténèbres mais en révèle et en aggrave les profondeurs insondables. Djivan vous étouffe, vous croyez que Lucas vous permet de respirer, erreur fatale, juste une goulée apnéique pour descendre vers le fond sans fond de la noirceur humaine. Et Baptiste plane là-dessus, un Zeus ex-machina tonnant qui ponctue les avancées des destinées, c'est lui qui porte les coups plus cruels, use de ses tambours comme des poinçonnages de poignards portés de face mais qui finissent toujours par se planter dans votre dos.

Nos Jaws nous livrent une partition funèbre. Sont trois comme les Parques, ils filent du mauvais coton et le fil est appelé à se casser. Mais voici qu'ils quittent leur espace, ils semblaient des témoins, et les voici acteurs, sont désormais les musiciens chargés mettre de l'ambiance à cette fête de l'inversion des valeurs au cours de laquelle les esclaves font semblant de devenir les maîtres et à la fin de laquelle Egisthe et Clytemnestre seront sacrifiés, sont fascinants dans leurs costumes noirs, Lucas nous la joue à l'espagnole sur sa petite guitare, Baptiste s'est muni d'une acoustique, Djivan parle basse, la scène n'est pas sans évoquer l'ultimité commanditoire de Don Juan, mais nous ne sommes pas dans ce bordel à l'orée d'une orgie de sexe mais de sang. Maintenant tous les fantômes des morts et tous les fantoches vivants sont convoqués pour cette aubade méphistophélesque au désastre annoncé. Et le trio nous a prévenus de ces sarabandes orientalisantes. Seule la non-vie peut donner rendez-vous à la vie.

Bref des Howlin' Jaws magistraux. Qui ont su s'oublier eux-mêmes pour s'impliquer dans un projet de haute tenue culturelle et démontrer que le rock'n'roll est aussi un chemin d'accès à ce que Rilke nommait l'Ouvert.

Damie Chad.

MONTREUIL / 24 - 10 - 2019

LA COMEDIA

IDHAÏ ÔM / REDHOT TRIO

Faut la jouer fine. Journée du 25 occupée à des tâches peu rock'n'rolliennes, je ne pourrais pas être au 3 B pour le RedHot Trio, un scandale insurmontable, mais dans leur clémence augustéenne les Dieux ne sont pas intraitables, le RedHot Trio passe la veille à La Comedia. J'eusse préféré les regarder dans une ambiance plus spécifiquement rockabilly, mais l'essentiel c'est surtout de ne pas les rater. Un seul bémol, ce soir une assistance trop clairsemée pour une prestation d'une magnifique virulence.

IDHAÏ ÔM

A sa place je m'inquièterais. Pas lui. Prend la chose avec philosophie. Ses deux musiciens absents, retenus par des impondérables, ça ne l'émeut pas plus que cela. L'a ses dreads, ses claquettes aux pieds et sa guitare, que voulez-vous de plus ! S'installe pour faire sa balance tout seul. Gratte un peu, très folk-blues, et puis il commence à chanter et pas de problème, il vous sort une belle voix bluesy du meilleur tonneau de moonshine. L'arrête après quatre ou cinq morceaux et décide d'enchaîner sans plus de façon sur son set. Et le miracle se produit, un copain qui surgit, s'appelle Arthur qui est venu pour l'écouter et qui trimballe un étui, qui ne contient pas une mitraillette mais quel bonheur une guitare ! L'Arthur il est doué, lui faut une seule impro pour se mettre au diapason, et hop c'est parti. Idhaï change de répertoire, bye-bye le blues, voici une espèce de neo-folk très personnel, l'a gardé sa belle voix et durant une demi-heure, il va tenir l'assistance sous son charme, et comme Arthur prend de plus en plus d'assurance, ils vont nous servir de superbes potages, à chaque fois un peu plus épicés. Se complètent à merveille l'électrique d'Arthur qui broute de plus en plus vite, et l'acoustique d'Idhaï qui ne se laisse pas démonter. Z'auraient pu rester davantage, mais non ils laissent la place. Cet Idhaï si cool je me jure qu'à la première occasion j'irai le voir avec son groupe. Trop court. Trop bon.

REDHOT TRIO

Cavalcade de chevaux en furie. Claquements secs et d'une violence inouïe sur le granit des étendues sauvages. Batterie à gauche, batterie au centre, batterie à droite. Non ce n'est pas une expérience à la Slim Jim Phantom et sa série de double-batteurs qui n'a pas vraiment convaincu. Vous avez bien, la formation, minimale et absolue du rockabilly, contrebasse, drums et guitare, mais le RedHot Trio en use avec une véloce férocité. La big mama de Scotty n'a pas un embonpoint excessif, ses épaules ne sont pas des plus larges, l'on pourrait la qualifier de maigrichonne, mais quel son ! Pas une tamponnade qui vous étouffe sur l'heure, un son mat et en même temps vibrant, qui explore toutes les basses harmonies sonores tout en culminant sur une strette, je ne dirais pas aigüe mais claire. Scotty n'a pas la main scotchée sur le cordier, elle frappe et rebondit sans fin, elle impulse une folle énergie qui ne faiblira jamais.

Vous filez dès le deuxième morceau dans la Cadillac de Vince Taylor. Vous comprenez mieux pourquoi la poupée n'est jamais revenue. Conduisait comme une folle, et le véhicule en accélération constante ne possédait pas de pédale de frein. Pas de regret à la fin du morceau elle doit tourner sur les anneaux de Saturne. De quoi permettre à Ricky de montrer ce qu'il sait faire. Le RedHot Trio possède une feuille de mission ultra simple, tout morceau qui dépasse les trois minutes est interdit. Difficile pour un guitariste de se perdre en de longues et savantes démonstrations d'autant plus qu'il lui faut aussi se tenir au diapason de la rythmique de Scotty. Vous frappe les cordes à un rythme de madurle, prend juste de temps en temps moins de dix secondes pour ce que l'on ne peut pas appeler un solo, plutôt une intervention commando, s'agit d'annihiler l'ennemi en son cœur de vous le cryogéniser en trois coups d'éclairs sonores aussi aveuglant que la lumière condensée dégagée par une frappe atomique. Inventif le jeune gars, ne vous laisse jamais les neurones en repos, vous offre de l'inattendu, des vibrations auditives aussi racées que le fil d'un rasoir, vous enfonce des chevilles dans le cerveau à la manière de ces coins dont on use pour éclater le tronc des chênes séculaires.

Kane est le mec le plus heureux qui soit sur sa bécane drumique, les autres montent les cols à toute vitesse, lui il se contente de suivre, ne se poste brutalement en avant que pour les changements de direction, les routes goudronnées il n'aime pas trop, préfère les sentiers escarpés qui vous coupent le souffle ou les descentes vertigineuses qui vous enfouissent au fond d'un abîme duquel vous croyez que le groupe ne ressortira jamais, mais Scotty sur son pédalier infatigable vous refile en continu l'énergie nécessaire, et la voix de Ricky vous arracherait de n'importe quelle ornière. Avec sa gretsch cochranique et ses cheveux blonds couleur banane curieusement hérissée, il a une coupe imparable, et son vocal incisif se colle à toutes les bifurcations rythmiques, de haute ascendance ou de chute irrémédiable, un jeu précis et infernal.

Sont marqués par les Stray Cats certes, et outre leurs propres morceaux ils revisitent tous les vieux classiques indépassables, aucun respect, vous les traitent à la dure, z'ont intérêt à se manier l'arrière-train et à ne pas être mous du genou, le Trio vous fait comprendre que dans la vie rien n'est acquis, et qu'il ne faut pas vivre sur sa réputation, vous époussette le répertoire au bazooka. Vous le ripoline au vitriol. Le rock'n'roll ne se fait pas de cadeau, ou vous êtes vivant, ou vous êtes mort. Lève-toi et cours plus vite, camarade-rocker le vieux monde du rock est derrière toi ! Rouge brûlant, chaud bouillant et la trionité du rock'n'roll sera accomplie.

Question méthodocité, c'est simple : deux minutes vingt secondes d'enfer sur terre, puis Ricky se tourne vers son ampli, vous dit merci, vous pensez que c'est terminé, vous maintiennent sur le grill depuis deux heures, mais il se retourne et c'est reparti pour la guerre des étoiles et trente-six chandelles. Vers la fin, ils esquisseront quelques slows sixties, en fait des maelströms d'orang-outan en colère ou de gorilles enragés qui vous convainquent définitivement de la haute nocivité rock'n'rolesque de la formation. L'on sent qu'ils ont du mal à arrêter, alors ils vous chaloupent deux Cochran titaniques, un Johnny B. Goode qui ressemble davantage à une invocation au mal absolu qu'au bien relatif, et pour le coup de l'étrier un petit Chat Rayé afin de vous griffer au visage une dernière fois, une cicatrice purulente en formation pour que jamais vous ne puissiez oublier cette soirée démonique. Ce qui tombe bien puisqu'il n'en était pas question.

Damie Chad.

MONTREUIL / 26 – 10 - 2019

L'ARMONY

THE RED RIDING / TONY MARLOW

Attention ce soir une soirée genrée, que des mecs, je ne parle que des musiciens, Alicia F qui a pris l'habitude de s'immiscer pour trois genialissimibus morceaux dans les sets de Tony Marlow est absente. Rien de grave, ou plutôt du très-grave, la demoiselle se prépare pour sa première apparition publique sous son nom, avec son propre band, ce sera au Quartier Général le samedi 2 novembre qu'elle lancera son offensive. Réservez votre soirée. Vous vous en voudriez tout le reste de votre existence – désormais déplorable – si vous ratiez l'évènement.

THE RED RIDING

Accoudé au comptoir ne leur ai pas porté une attention manifeste pendant qu'ils s'installaient. Cinq sur scène, un véritable big band pour la petite surface sur laquelle ils s'activaient ferme. Pantalon noir, chemise extra-blanche rehaussée par la présence d'une fine cravate noire, peut-être pour cela en ai-je déduit avec un certain dédain qu'ils étaient un groupe de jazz, j'en ai même conclu que puisqu'ils étaient deux chanteurs nous allions avoir droit à d'interminables roucoulades onomatopico-scatiques.

Si un seul rayon de soleil éclaircit les nuages, les deux premiers coups de batterie m'ont fait me retourner dare-dare, jamais au grand jamais un combo-jazz ne débuterait par une entrée en matière si rock'n'roll. Il est des chemins sur lesquels reculer équivaudrait à se fourvoyer. Au premier fuzz de guitare il faut s'amender, nom de Zeus, The Red Riding nous a transportés dans le son typique des garage-bands américains des années soixante. Et sur ce, nos deux chanteurs se mettent à corner tels Sam and Dave. Et encore sur les deux premiers morceaux, ils se sont bien tenus, se sont contentés de se hurler dessus chacun leur tour, à croire qu'ils se disputaient pour savoir à qui reviendrait la dernière chips écrasée au fond du paquet égaré dans la poubelle publique, juste à côté du plastique entrouvert qui laisse entrevoir la crotte d'un chien galeux nourri aux croquettes anti-urinaires. A ce niveau-là, l'assistance a compris que l'on n'était pas en présence de ceux qui avaient inventé l'eau tiède, que le Seigneur recrache en signe de dégoût nous a enseigné la Bible.

L'affaire s'est totalement éclaircie lorsqu'ils ont changé de continent. Se sont parachutés dans les heures glorieuses de la perfide Albion, ont carrément sauté dans la gueule du volcan. My Generation des Who, rien de mieux pour marquer son identité, certes ils n'étaient pas nés en ces temps heureux, mais ils s'inscrivent dans cette mouvance inter-générationnelle qui a trouvé son graal dans cette renaissance historialo-européenne du rock. Question vocal, c'est le gueuloir flaubertien, quel plaisir, quelle faconde de bredouiller le ge-ge-ge initial, de le redoubler, de le quadrupler, de le quintupler, de le proliférer et de le disséminer, et de le déchiqueter afin d'en répandre les morceaux sur le public comme une ondée d'arsenic mortelle.

C'est le morceau idéal pour s'intéresser au bassiste, un vicieux notoire, non il ne regarde pas sous les jupes des filles, il fait pire. Pendant que Seb vous engraisse le riff, Yoann – si je ne me trompe point – fait son boulot de bassiste, rajoute du gras au gras double, il ne mérite aucun reproche, mais là où il faut lui voter une couronne de laurier, c'est à l'instant exact où Seb a terminé de vous écorcher avec son riff et qu'il se prépare à envoyer le suivant, Yoann lui rattache une suite, une espèce de grincement de poulie rouillée oubliée au haut d'un palan un soir brumeux sur le quai des bateaux fantômes dans un port perdu. Une horreur dantesque qui vous fait froid dans le dos et vous brûle les génitoires. Quant au batteur doit se prendre pour le tambour d'Arcole, vous bat le rappel des troupes sous la mitraille sans faillir.

N'est pas encore minuit mais le divine Gloria s'en vient rouler des ses hanches dévastatrices ce qui plonge nos deux cantaors en une fureur terrifique, le plus jeune en pique une crise d'épilepsie sur le devant de la scène, l'a les muscles tétanisés agités d'étranges soubresauts sans doute vaudrait-il mieux l'achever tout de suite surtout que son compagnon pousse des rugissements de triomphe comme le lion du cirque Pinder qui au sortir d'une longue crise psychanalytique a enfin surmonté son complexe de castrateur et a tranché net d'un seul coup de mâchoire le tête que le dompteur avait imprudemment aventuré dans sa gueule. Du coup notre auto-chamanisé empli d'une bestiale fureur incompressible s'en va hurler dans l'assistance, vraisemblablement à la recherche d'une autre victime propitiatoire.

Un tintouin de tous les diables. A leurs actes ils joignent la parole. Font des reprises mais ont aussi leurs propres morceaux. En français. Ne donnent pas dans le consensuel médiatique. Pas possible de les confondre avec les commentateurs patentés de la télé ou de la radio. Annoncent clairement la couleur, au rouge critique et au noir de rage, ils rajoutent le gilet jaune. Vif, genre soleil resplendissant. Des gars généreux qui n'hésitent pas adresser des mercis compassionnels aux bienfaiteurs de l'humanité que sont les banquiers et saint Medef Gattaz.

Dans la salle c'est le délirium pas très mince du tout. Ça jerke dur, une espèce de marée humaine montante et mouvante qui n'arrête pas de crier de plaisir. On les aurait bien cocoonner encore un peu nos bébés braillards, vagissants et vindicatifs, mais il se fait tard. Hélas, pourquoi les instants de bonheur ont-ils tous toujours une fin. Tout compte-fait je me demande si ce n'est pas la faute du Medef.

TONY MARLOW

L'on ne change pas une ambiance qui gagne. Vous avez eu le rock, et voici le rock'n'roll. The Red Riding ont allumé le feu, Tony Marlow et ses deux acolytes vont vous rajouter quelques bidons d'essence. Triche un peu le Marlou, l'a trois briquets magiques, Amine Leroy à la contrebasse, Fred Kolinski à la batterie, et sa guitare. Une duo Gretsch. Avec celle-ci vous iriez au bout du monde. Utile précision, il faut savoir s'en servir. Pas donné à tout le monde, mais à Marlow. Si. Sur le morceau d'introduction, RDV à l'Ace Café l'on a noté une migration de masse vers la scène, mais dès Around and Around, l'on a senti que l'on changeait de dimension. Plus un centimètre carré de libre, Thierry Lerendu à qui vous devez les photos qui accompagnent cette chronique a été obligé d'élire pratiquement domicile fixe sur l'estrade pour avoir la possibilité de prendre ses clichés, ailleurs la houle des corps l'empêchaient d'officier.

Amine est Leroy de la Big mama. Vous lui file de ces gifles pour qu'elle marche droit que seriez prêt à porter plainte. Mais vous réfrénez votre indignation car vous retirez un tel plaisir de cette redondance sonore que vous ne voudriez pas vous en priver. Par contre lui, Amine il est incapable de rester droit, l'est emporté par des rages subites de remuements frénétiques, un peu comme si la grande horloge du salon devenait folle et que vous voyiez son pendule osciller à tout rompre dans le seul but de presser le temps et de hâter votre mort. Vivre vite et mourir jeune a dit James Dean, l'on n'est pas obligé de suivre ce prétexte, il y a encore tant de merveilles à admirer dans le monde maudit du rock.

Les doigts de Tony. De véritables accapareurs, de regards, il y a du sadisme chez Marlow, cette façon de vous poser son instrument sous les yeux et de vous prouver qu'il joue cartes sur table, sans filet, tout à portée de la main, et ce léger recul du corps, ou cette légère voussure de sa haute stature aussitôt rehaussée tandis qu'une luisance de contentement traverse fugitivement son regard d'aigle. Et le public exulte de cette moirée de notes qui vous assaillent et vous cisaillent l'âme. Ce soir c'est la fête du rock'n'roll, le bal des ardents pionniers, les débridées si adroitement chaloupées du grand Chuck, et deux magnifique hommages à Gene Vincent qui poussent l'extase de la foule à son comble, un fabuleux Going home recouvert de clameurs et le Quand Cliff Galoppe dans lequel Tony nous donne une démonstration de la naissance de la guitare rock'n'roll, cette façon sans pareille que Cliff a eu de marier la rythmique country aux dégradés éblouissants de Django Reinhart, le marlou vous explique l'inexprimable, vous conte la magie de cette fusion originaire d'une manière si exemplaire qu'il vous semble être présent aux côtés de Cliff chez Capitol en 1956.

Une troisième maître, je ne parle pas de Buddy Holly représenté par son Blue day, black night aux contours trop doucereux à mon avis, mais à l'autre pionnier, bien de chez nous, Tony le Marlou qui depuis quarante ans s'est attaqué à une relecture transcriptive de l'earlier rock'n'roll, mid fifties, mid sixties, et à son oeuvre originale, ces nouveaux classiques que sont R'n'R Princess, Miss Brighton, Le garage, et quelques autres qu'il n'aura pas le temps d présenter ce soir, et que là il a interprétés avec une munificence orchestrale – je précise qu'ils ne sont que trois instrumentistes – sans précédent. Fred Kolinski impérial dans sa façon de distribuer le passage entre guitare et contrebasse, s'est carrément placé à la croisée du chemin, dans la cabine d'aiguillage, et l'on a entendu le moutonnement de la guitare, comme lorsque le troupeau se trouve subitement arrêté et que les brebis se tassent, s'entassent, se pressent, montent et culminent les unes sur les autres et que la contrebasse pousse les jappements des chiens qui remettent de l'ordre dans ce basculement effarant. Fred a cette frappe qui se retranche d'elle-même pour mettre en avant le travail de ses acolytes, sans lui il n'y aurait ni harmonisation synthétisante, ni ces brusques coulées de lave dévastatrice selon qu'il ferme ou ouvre le passage, qu'il marie les deux courants ou les sépare par la cadence sourcilleuse de sa pulsation, il voit le problème et il le résout. Vigilance, esprit de décision et vitesse de réaction sont les trois mamelles de l'induction kolinskienne.

Tony invite Pascal à monter sur scène pour présenter sa cigar box et donner une petite démonstration en duo, un son un peu plus grêle que la Jet de Tony mais idéale pour les parties de slide, z'avez l'impression qu'il agite de fines feuilles flexibles de métal. S'adonnent tout deux à un blues balancé de Jimmy Reed et Pascal outre sa virtuosité démontre qu'il possède une belle voix rauque qui convient parfaitement à ce genre de morceau.

La lumière clignote, personne ne tente de comprendre la clarté pas du tout intermittente du message. Il est près de minuit et l'extinction des feux était prévue pour vingt-trois heures. Rachid vient rappeler la rude loi municipale, mais tout le monde implore un dernier morceau. Ce sera Get Crazy, un pousse-au-crime, que Tony fera durer un bon quart d'heure, avec des hauts et des bas, des houles et des contre-houles, l'assistance frise la folie collective, et il faut reconnaître que c'est une chance de n'avoir pas été tous en groupe embarqués pour Sainte Anne.

Damie Chad.

23/10/2019

KR'TNT ! 435 : MICK RONSON / BELLRAYS / MOONSHINERS /RAY ALLEN AND HIS BAND / PALMYRE / THE NEXTFLOOR / HOAX PARADISE / JADES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 435

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

24 / 10 / 2019

 

MICK RONSON / BELLRAYS

MOONSHINERS / JOHNNY MONTREUIL

RAY ALLEN AND HIS BAND

PALMYRE / THE NEXTFLOOR

HOAX PARADISE / JADES

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Ronson toujours deux fois - Part Two

Durant les dernières années de son règne, Ronno a multiplié les jobs de prod et les plans collaboratifs. On en retiendra quelques-uns, à commencer par Dylan qui l’embauche pour jouer dans le Rolling Thunder Review. On entend donc Ronno jouer sur «Maggie’s Farm», le cut d’ouverture d’Hard Rain, un album live paru en 1976. Grosse énergie. Ronno tisse des trames. Quel enchanteur ! Et il claque un bon solo de Hull. Attention, avec Dylan, ça n’en finit pas. La version de «Stuck Inside Of Mobile With The Memphis Blues Again» qui se trouve sur ce live est monstrueuse. Bien des années après, le texte reste un rêve de parolier. C’est là très précisément qu’on réalise à quel point Dylan est unique dans l’histoire du rock. Son rock reste bien le nec plus ultra du rock américain. Les versions d’«Oh Sister» et de «Lay Lady Lay» sont aussi énormes, jouées à l’épaisseur du mythe dylanesque. Il chante ça dans une sorte d’unisson, avec toute la pression mélodique qu’on peut imaginer. S’ensuit un «Shelter From The Storm» élégiaque. Ici, tout est traité au plus haut niveau de textualité. Pas de place pour les bas du front. Dylan s’adresse à l’intellect. Avec «You’re A Big Girl Now», on retrouve cette magie qui nous berçait dans les sixties et qui nous faisait croire en la beauté d’un monde de rock électrique - Time is a jet plane/ It moves too fast - Il y a quelque chose de messianique chez Dylan, il porte tout au plus haut niveau de la portée des choses. Il amène son «Idiot Wind» à l’embrun de protest song et ça souffle par delà les océans. Dylan est en colère, comme Neptune, alors il souffle le rock sur la terre des hommes tellement indignes. Dylan est encore en vie, il se dresse dans l’histoire du rock comme un dieu qui dénonce, mais il envoie des coups d’épée dans l’eau car trop peu de gens l’écoutent et le comprennent.

La même année, Ronno enregistre Cardiff Rose avec Roger McGuinn. Comme ils jouaient ensemble dans le Rolling Thunder Review et qu’ils s’entendaient bien, ils envisageaient de monter les Thunderbyrds. Dommage que le projet n’ait pas abouti car Cardiff Rose vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour «Take Me Away», un cut d’ouverure de bal gorgé d’énergie guitaristique. C’est joué au fouillis de son et porté à ébullition. Quel fantastique brouet de lancinances soniques ! Ronno y fait un festival hallucinant, il joue dans tous les coins. Puis avec «Jolly Roger», Roger passe à la piraterie. Cardiff Rose est le nom du vaisseau - Pull away me lads of the Cardiff Rose/ And hoist the Jolly Roger - On y entend craquer les cacatois. Par contre, «Rock And Roll Time» sonne comme un morceau des Clash et c’est beaucoup moins glorieux. Roger tape dans Dylan avec l’excellent «Up To Me» - You looked a little burned out my friend/ I thought it might be up to me - Les chutes de couplets sont des splendeurs - One of us has got to hit the road/ I guess it must be up to me - Roger entre dans le grand décorum avec «Round Table» et sa pop vaut bien celle de Bowie. Voilà une merveille richement dotée. Ronno ramène toutes les dynamiques dont il a le secret. Et Roger partit vers l’Est - And they kept headin’ towards the East - c’est plein d’allant, de son et de Holy Grail. Extraordinaire. S’ensuit «Pretty Holly», une chanson traditionnelle jouée au banjo par ce diable de David Mansfield et digne de Dylan. Tout ce que fait Roger dégouline d’excellence. Comme au temps des Byrds, il veille à rester dans le très haut de gamme. Il finit avec une reprise de Joni Mitchell, l’infectueux «Dreamland».

Autre aventure de Ronno en Amérique : les fameuses Secret Sessions enregistrées en 1977 avec Corgy Laing, Leslie West, Felix Pappalardi et l’Hunter-continental. C’est l’occasion d’entendre ce guitariste génial qu’est Leslie West, qui par le gras surpasse Ronno. La preuve ? Dans «The Best Thing». Leslie West y ramène tout son gras double. On a tout de suite du son, énormément de son, West vibrillonne comme un Mountain man. L’autre grand acteur de ces Secret Sessions, c’est Felix Pappalardi. Il faut l’entendre titiller le bassmatic dans «Silent Movie». C’est du boogie, mais avec du son et l’extraordinaire présence de Felix le chat qui joue un peu comme Jack Bruce. Ces sessions eurent lieu à l’initiative de Corgy qui voulait sortir un album solo pour Elektra, mais comme le label venait de changer d’optique commerciale en voulant mettre le paquet sur les Cars et Costello, le vieux boogie à l’anglaise n’était plus en odeur de sainteté. Et hop, le projet fut dégagé. Avec «I Hate Dancing», ils sonnent comme le Bowie diskö. L’horreur ! On revient à l’Hunter-marché avec «The Outsider». C’est forcément efficace. Leslie West joue dessus. Il tire plus de notes que Ronno. Il est plus féroce dans le développé des embrouilles soniques, il tient tête à la décence et se déverse dans l’inconscient collectif. Felix le chat revient faire des merveilles sur «Just When I Needed You Most», une sorte de balladif évangélique, quant à Leslie West, il ramène tout son graillon dans «Lowdown Freedom», un magnifique cut de good time music.

Si on se demande ce que foutait Ronno avec Slaughter & The Dogs, l’un des groupes punk les plus énervés, la réponse est simple : Mike Rossi et ses camarades étaient des fans de Ronno et de Bowie. Il tirent en effet le nom de leur groupe de Slaughter On Tenth Avenue et de Diamond Dogs. Ronno joue donc sur deux cuts de l’album Do It Dog Style, paru en 1978 : une reprise des Dolls («Who Are The Mystery Girls») et «Quick Joey Small». Ronno s’adapte à tous les plans, c’est un homme souple. Il ramène toute la hargne de Hull dans le brouet de Manchester. Dès que Slaughter & the Dogs reprend le format rock, ça redevient intéressant. Ronno s’amuse bien. Ce genre de fournaise reste dans ses cordes. La reprise des Dolls est peu punkoïde, mais Ronno l’allume bien à coups de cocotes maladives et de filins incisifs. Il monte ça en température juste quand il faut. Et pour le reste ? C’est du punk de Manchester, mais pas aussi élégant que celui des Buzzcocks. Les Dogs se veulent plus agressifs et ça ne vieillit pas très bien, comme d’ailleurs l’ensemble du punk-rock de la deuxième vague. Ils jouent ce qu’on appelait alors du punk de petite berzingue, sans queue ni tête. Mike Rossi tente de sauver les cuts à coups de killer solos flash mais c’est difficile. Il se montre très entreprenant dans la reprise d’«I’m Waiting For The Man». On les sent contents de leur sort et irrévérencieux. Dès qu’ils ne jouent plus de punk-rock, comme c’est le cas avec «You’re A Bore», ils redeviennent intéressants. Ce dingue de Rossi enjolive tout à la clé de sol. Ils flirtent avec le glam dans «Keep On Trying» et bardent «We Don’t Care» de bon son. On sent qu’ils y croient dur comme fer. Rossi est assez brillant, il peut jouer du solo de perlimpinpin. Il n’a pas besoin de Ronno pour allumer la gueule d’un cut. Il a du riff à revendre. Il fait un véritable festival dans «Dame To Blame», on le voit voyager dans le spectre du solo de wah. Franchement, ce petit mec joue comme un démon.

La même année, Ronno produit l’album des Rich Kids, le fameux Ghosts Of Princes In Towers. Il s’y niche une pure merveille, le morceau titre, un hymne Mod bardé d’énergie et traversé par une bassline alerte et courageuse. C’est chanté au meilleur cockney slang de street. Voilà ce qu’il faut bien appeler un hit magique. L’album réserve d’autres bonnes surprises comme ce «Hung On You», très anglais par le son des guitares. Les Kids flirtent avec le Mott. On sent la patte de Ronno dans la prod, cette façon de pousser les guitares devant dans le mix et de faire mousser le gras double du solo. C’est tout lui. Le solo prend même des allures thunderiennes. C’est dire si Ronno s’y connaît en maintien de la persistance. Tiens, puisqu’on parle de Johnny Thunders, voilà «Bullet Proof Lover», quasi-Dollsy tellement les guitares sont belles et que ça boogotte bien dans les brancards. Avec la bassline aérodynamique de Matlock, ça passe comme une lettre à la poste. D’ailleurs, il fait un festival dans «Rich Kids». Il faut l’entendre jouer ses gammes folles. Il multiplie les descentes vertigineuses et le mix le met bien en évidence. Ronno tente aussi de donner de la profondeur à «Put You In The Picture», un petit rock sans conséquence. Mais sans résultat. Dommage, car ça postillonne bien dans le micro à coups de poutchou inda pikchure. On retrouve de la belle cocote dans «Burning Sounds». Matlock sait écrire des chansons, car voilà une structure mélodique intéressante, il faut bien l’admettre. C’est d’autant plus convaincant que ces mecs jouent bien, et comme c’est produit de main de maître, alors on se régale. Les Rich Kids ne pouvaient pas rêver meilleur chaperon que Ronno.

On se comprend pas que Ronno soit allé produire l’album diskö de David Johansen, In Style, en 1979. Dommage, car Richard Avedon signe la pochette mais Dan Hartman rôde dans les parages, d’où la diskö, et ce dès «Melody». Bon d’accord, on a truc dansant, c’est du stomp de diskö beat, un truc de Studio 54 noyé d’orgue, tout ce qu’on voudra, mais on perd les Dolls. Quand on entend «She», on se demande vraiment ce que Ronno vient branler dans cette misérable histoire. Johansen se grille. Quel gâchis ! Ronno et lui auraient pu faire des étincelles. Ils font même du reggae avec «She Knew She Was Falling In Love». Atroce ! Nous voilà le museau dans le caca des eighties et des mauvais disques à la mode. On trouve enfin du rock à guitares dans le morceau titre. Ronno ramène ses arpèges et ses cocotes miraculeuses, alors ça change tout. Il fait le show. Et quand Sylvain Sylvain ramène sa fraise dans «Wreckless Crazy», on repart sur les Dolls. Ouf ! Chœurs parfaits, voilà enfin un cut digne du grand Johansen. La bassline de Buz Verno tend tout. On a même un solo de tempête de sable et des magnifiques too-hoo-loo de relance.

En 1989, Ronno produit l’excellent album d’Andy Sexgang, Arco Valley. C’est en effet un bel album de glam décadent qui s’ouvre sur le sombre «7 Ways To Kill A Man». Chant très perverti. Ronno joue derrière. «Queen Of Broken Dreams» et «Jesus Phoned» sonnent très glam puis Sexgang tape dans la môme Piaf avec «Les Amants Du Jour». Étonnant clin d’œil. «Rock Revo» reste dans la lignée de la belle A, avec des accents à la Bowie. «Station 5» se montre digne de «Life On Mars», c’est dire si c’est bon, oui, car voilà encore un cut très maniéré, beau comme un ciel étoilé.

Paru en 1991, Casino Steel & the Bandits Featuring Mick Ronson vaut aussi le détour. Ne serait-ce que pour cette belle cover de «When You Walk In The Room», même si elle est un peu top martelée. Ronno joue dans ce brouet de power pop forcément bon, car d’origine grandiose. Fabuleux slab de glam-rock avec «Brickfield Nights». C’est explosé de son et d’énergie. Même chose pour «Virginity» - Naked you look great tonight - On retrouve la patte d’Andrew Matheson dans «Ride Me», une espèce de heavy boogie blast - You think I’m worried/ Heartbroken and sorry/ It’ll never happen to me - C’est du pur jus de Matheson, une véritable démonstration de force. C’est bardé à la vie à la mort, avec des chœurs de Dolls et de la purée de Ronno. Ils tapent «Story Love Affair» au heavy groove de bar de nuit et font une reprise de Schmoll avec «Don’t Boogie Woogie». Ils sont marrants, car ils tombent dans tous les panneaux. Ronno devait bien aimer Casino pour aller se prêter à de telles imbécillités.

Ronno produit Your Arsenal de Morrissey, mais il n’est pas crédité en tant que guitariste. Curieusement, on sent sa patte, et ce dès «You’re Gonna Need Someone On Your Side» et son merveilleux son de beat pressé. Quelle invraisemblable cavalerie ! Moz s’accroche aux branches. Alan White et les autres fournissent un background sonore infernal qui oblige Moz à surfer sur la crête - Day or nights ssss/ There’s no difference - Cet enfoiré sort son attirail, c’est-à-dire sa diction pervertie. On assiste ici à une hallucinante débauche de rock anglais et on est franchement ravi que Ronno soit mêlé à ça. Puis ça tourne au Moz Sound System sous-traité par Boz. Ronno supervise la purée de «Glamorous Glue», car c’est bien de purée dont il s’agit, une purée de quartier anglais et de kids qui y croient. Ça va le faire, kid, essaye seulement de chanter juste. Comme c’est plein de son, on dit : «Merci Ronno !» Mais on ne peut pas empêcher Moz de retomber dans son fucking Smith System. Le pauvre Ronno se voit contraint de produire des trucs infâmes du style «We Hate It When Our Friends Become Successful». Heureusement qu’il a refusé de se faire créditer sur ce disk pourri. Facile d’imaginer combien ça peut être difficile pour un mec aussi fin que Ronno de naviguer dans les brumes d’un univers aussi tourmenté que celui de Moz. Un Moz qui se prend pour Jo le décadent dans «I Know It’s Gonna Happen Someday». Mais il n’est pas Bowie et encore moins Ray Davies. La décadence ne s’invente pas. Mais Ronno se montre héroïque dans ce cut qui rappelle «Rock’n’Roll Suicide». Moz compare lui aussi Ronno à Jeff Beck : «Lui et Jeff Beck fonctionnaient de la même façon, ils se mettaient dans un coin et jouaient sans trop la ramener - without fanfare - And they both made their guitars sound like grand pianos.»

Ronno rejoint son vieux patron Bowie en 1993 pour l’album Black Tie White Noise. On y trouve deux merveilles, «Don’t Let Me Down» et «I Know It’s Gonna Happen Someday». Avec le premier, Bowie tente de rameuter sa horde de fans. Il a ce pouvoir. Il chante son balladif au meilleur intimisme et ça tourne au miracle. Pour le deuxième, Bowie va chercher une Soul de gospel batch et il redevient le chanteur légendaire qu’on admirait tant au temps d’Hunky. Ronno enlumine la scène comme lui seul peut le faire. Nous voilà au paradis avec des chœurs d’Edwin Hawkins Singers et Ronno superstar. Et le reste ? Biff baff boff. Bowie touille une version diskö du fameux «I Feel Free» de Cream. Mais c’est joué à la mode et privé d’intellect. Bowie tombe dans des soubassements d’electro inepte, Ronno amène un peu de jus, mais ça ne va pas. Ils jouent le morceau titre au petit funk à la mode, c’est le côté putassier de Bowie qu’on déteste. On ne comprend ce que Ronno vient branler dans la daube de cuts comme «Jump They Say» ou «Nite Flights».

L’ultime contribution de Ronno au monde du rock se trouve sur Earth Vs The Wildhearts des Wildhearts. Ronno sent que la mort l’emporte et dans un dernier râle il passe le solo de «My Baby Is A Headfuck». Ginger fut tellement tétanisé par l’ampleur de ce coup de génie fatal qu’il ne s’en remit jamais.

Le meilleur moyen de refermer le chapitre Ronno est encore de voir le film de Jon Brewer, Beside Bowie: The Mick Ronson Story. Il vient tout juste de paraître sur DVD. Brewer ne s’embête pas, il raconte l’histoire de Ronno en remontant la chronologie, en partant de Haddon Hall que Bob Harris compare à la Factory d’Andy Warhol, alors que ça n’a rien à voir. Cette grande maison de Beckenham relevait plus du monastère que de l’avant-garde new-yorkaise car Bowie et son entourage manquaient tragiquement de moyens. Il suffit de lire le livre de Woody Woodmansay pour réaliser à quel point ces gens-là partaient de rien. Et comme l’album The Man Who Sold The World ne marche pas, Ronno et Woody rentrent chez eux à Hull. C’est là que Bowie comprend qu’il doit faire appel à un manager et il choisit Defries. Il demande ensuite à Ronno de revenir et c’est Hunky Dory. Brewer met très vite en lumière le côté surdoué de Ronno qui apprend à écrire des arrangements avec Tony Visconti, qui vit lui aussi à Haddon Hall. Ronno pouvait ensuite orchestrer anything ! C’est lui qui écrit les arrangements de «Life On Mars». Apparemment, sa plus grande admiratrice est Angie Bowie, cette vieille excentrique qu’on voit trépigner au souvenir du beau Ronno.

Brewer gâche un peu la magie des Spiders en filmant des témoins comme Joe Elliot et Rick Wakeman qui sont aussi sexy que des curés de Camaret. Cet imbécile de Brewer ose même montrer Ronno sur scène à la fin de sa vie avec le vieux Bowie, le vieil Hunter-minable et deux vieilles cloches de Queen. C’est une faute de goût épouvantable, car Hunky Dory et la période Spiders From Mars incarnent précisément la perfection du rock anglais. C’est d’ailleurs Ronno qui amène le rock dans les Spiders. On parle ici de rock experience. Ronno amène un son. On le voit avec Bowie à Top Of The Pops. Ils font alors chavirer l’Angleterre. Lou Reed se dit fasciné par Ronno qui produit Transformer - Ronson’s good, woahh ! - On dit même dans le film que Transformer représente l’épanouissement de Ronno en tant que producteur. Bowie et Ronno attaquent ensuite leur première tournée américaine : 17 dates en 3 mois, ça veut dire ce que ça veut dire : l’Amérique n’est pas encore prête pour le glam - Le sera-t-elle jamais ? - C’est à Cleveland que le glam accroche, Cleveland, ville clé, big place for rock’n’roll. Pour Ronno, le team Bowie/Ronno marche bien car c’est à ses yeux la même chose que Jagger/Richards et Lennon/McCartney, avec des beautiful hairdos en prime, et des costumes. Tony Zanetta qui organise l’US tour se marre : «On a dépensé 400 000 dollars et on en a gagné 100 000, ha ha ha !» Mais il observe que la popularité augmente : «On est passé en trois mois de salles de 3 000 personnes à des salles de 20 000.» Tout ceci va se terminer en eau de boudin, car Defries ne paye pas les musiciens. Un jour, Woody demande au pianiste Mike Carson combien il gagne et il répond 800 £. Les autres sont payés 30 £ ! Alors forcément ça gueule. C’est la fin des Spiders. Defries essaye de lancer Ronno solo pour le transformer en rock star. Vas-y Ronno ! Tu seras le prochain Bowie ! Mais l’album Slaughter On 10th Avenue ne marche pas. Ronno se retrouve fauché aux États-Unis. Il accepte des petits boulots de production pour survivre. Il reçoit un gros chèque pour l’album de Morrissey. Et puis arrive l’épisode du cancer du foie. C’est un passage extrêmement émouvant qui peut faire pleurer. Ronno n’échappe pas à son destin, les médecins ne peuvent pas l’opérer. Wilko Johnson aura plus de chance. Et bien sûr, une fois que Ronno est enterré, des gens viennent rappeler l’essentiel : No Bowie without Ronno.

Mick Ronson ne fait plus l’actualité depuis longtemps, mais le petit label anglais Easy Action veille au grain : il réédite Just Like Us en vinyle. C’est inespéré. L’occasion est trop belle de réécouter ce hit qu’est «Just Like Us», même énergie que le chimney stacks de Jean Genie. Ronno n’en finit plus de fabriquer l’archétype du glam. Il voit loin, comme les Soul Brothers : all nite long. Il monte aussi «Hard Life» sur un très beau thème mélodique. Il torche un hit avec un brio de briochard, il construit des ponts d’arpèges par dessus les vallées enchantées. Il gorge son «Crazy Love» de Les Paul, Ronno adore les balladifs, il n’a pas la voix de Bowie mais il impose un style. Il tape une superbe version de «Hey Grandma» et rend un sacré hommage à Moby Grape. Vrai merveille d’ups and downs et de looking so good.

Signé : Cazengler, Mick Ronron

Bob Dylan. Hard Rain. Columbia 1976

Roger McGuinn. Cardiff Rose. Columbia 1976

Slaughter & The Dogs. Do It Dog Style. Decca 1978

Rich Kids. Ghosts Of Princes In Towers. EMI 1978

David Johansen. In Style. Blue Sky 1979

Andy Sexgang & Mick Ronson. Arco Valley. Bellaphon 1989

Casino Steel & the Bandits Featuring Mick Ronson. Revolution Records 1991

Morrissey. Your Arsenal. HMV 1992

David Bowie. Black Tie White Noise. Savage 1993

Wildhearts. Earth Vs The Wildhearts/ East West/Bronze 1993

Corky Laing, Ian Hunter, Mick Ronson, Felix Pappalardi. The Secret Sessions. Pet Rock Records 1999

Jon Brewer. Beside Bowie: The Mick Ronson Story. DVD 2017

Mick Ronson. Just Like This. Easy Action 2018

BellRays du culte

 

Lisa Kekaula pourrait très bien prétendre à un trône africain. Elle allie une voix d’airain au port d’une reine. Elle pourrait donc revêtir un boubou de soie rehaussé de fil d’or et alourdir ses bras de bijoux antiques, mais non, elle se présente à nous coiffée d’un chignon dressé en gerbe et les hanches serrées dans un pantalon de cuir noir. Lisa Kekaula entre sur la scène du Gibus comme si elle entrait dans la salle du trône de l’empire Dogon du XVe siècle : elle fait d’abord entendre sa voix puis elle se manifeste physiquement, imposant à tous et à toutes sa puissante prestance animale. Elle détient aujourd’hui le Soul power que détenait Aretha en 1968.

On ne se lasse jamais des BellRays. On peut les voir dix fois, vingt fois sur scène, ça reste intensément bon. Lisa Kekaula shout-balamalate l’une des meilleures flambées de Soul du monde, elle réactualise chaque fois la pulsation organique à laquelle les grands shouters noirs nous ont habitués. Écoutez n’importe quel album live de Wilson Pickett ou d’Ike & Tina Turner, et vous retrouverez cette animalité de peau humide et d’all nite long. Les géants de la Soul traversent la nuit. Leur énergie est celle des pulsions animales. Lisa Kekaula règne sur l’immense chaos de la sensualité avec une sorte de parfait mystère africain : pas de regard, la voix, rien que la voix, comme si les dieux primitifs s’exprimaient à travers elle. Bob Vennum place ici et là des solos dignes de ceux de Wayne Kramer, notamment dans l’explosif « Black Lightning » de fin de set. Ils démarrent sur un « Bad Reaction » tiré de leur dernier album et Lisa Kekaula profite de « Shake Your Snake » pour aller groover dans le public, avant d’enchaîner avec ce magnifique brûlot qu’est « Perfect », nouvelle occasion de saluer le MC5. L’un de leurs plus beaux coups d’éclat reste « Everybody Get Up » qui n’en finit plus de claquer au vent comme l’étendard du meilleur rock de Soul américain.

Il faut savoir qu’on ne sort jamais indemne d’un album des BellRays. Californiens, Lisa et Bob ont monté le groupe en 1992. À l’époque, Tony Fate produisait et Bob jouait de la guitare. Leur premier album s’appelait In The Light Of The Sun. Sacrée entrée en matière. Pour un premier album, c’était un véritable coup de maître. Dans « Crazy Water », on les sentait déjà obsédés par Motown. Tony Bramel sonnait comme James Jamerson, le légendaire bassman du house-band de Motown. On ajoutait dans la sauce une trompette à la Miles Davis et on se retrouvait avec un hit. Et puis un autre, avec « Footprints On Water » que Lisa amenait d’une voix grave pour aller ensuite chercher une mélodie imparable. Avec « Same Ground », on retrouvait nos belles nuits rouges de Harlem, le beat des reins. Les BellRays renouaient avec l’authentique Harlem Shuffle. « You’d Better Find A Way » annonçait les incendies à venir. Non seulement ce cut amenait une nouvelle vision du rock, mais il s’imposait comme un modèle d’intégrité compositale. Lisa éclatait au firmament et Bob lui donnait la réplique. Encore plus somptueux : « In The Light Of The Sun », entrée en matière de voix diffuses et très vite embarqué au plus haut niveau mélodique. Ils grimpaient dans l’éclat, soutenus par des chœurs vaillants. Les hits des BellRays commençaient à sonner comme des classiques intemporels. Avec ce premier album, ils révélaient leur génie.

Let It Blast parut six ans plus tard. C’est là que la presse rock commença à s’intéresser à eux. Pour décrire le phénomène, les journalistes inventèrent cette formule : Aretha accompagnée par le MC5. Les BellRays se voulaient révolutionnaires, dans la veine du MC5, mais ils utilisaient un nouveau langage, le Soul-punk. Petit à petit, les BellRays se sont élevés dans l’échelle sociale du rock. De petit combo exotique revendiquant l’héritage du MC5, ils sont passés au rang de maîtres suprêmes du heavy blast américain et règnent depuis sans partage sur cet immense territoire.

Une chose est certaine : les BellRays sont avant tout un groupe de scène. Ils furent pendant un temps le meilleur groupe de rock californien. Passé à la guitare, Tony Fate ne se refusait rien, ni la riffalama à la Tony Iommi - ou pire encore, à la AC/DC - ni les incursions incendiaires à la Wayne Kramer. Comme drummer, ils disposaient d’une powerhouse à deux pattes. L’articulation centrale de cette machine infernale, c’était Bob Vennum. On l’a dit et répété à chaque fois, Bob Vennum était devenu le meilleur bassiste de rock sur terre. Il surpassait ses vieux pairs, Tim Bogert et Jack Casady. Bob Vennum avait un jeu de basse impulsif complètement exacerbé. Il pouvait pétarader comme dix Lemmy et jazzer comme Charlie Mingus. Il fallait donc voir les BellRays sur scène. Bob Vennum faisait quasiment le spectacle à lui tout seul. Il bassmatiquait comme un dieu. Il sautait, il dégoulinait de sueur, il carambolait ses notes, comme Tim Bogert le fit aux grandes heures de Cactus. Comme certains joueurs de tennis, il avait le bras droit beaucoup plus volumineux, à cause sans doute de la tension musculaire. Bob jouait à la vie à la mort. Et quand on aura compris que la dynamique d’un groupe repose sur le bassman, on aura tout compris.

Puisqu’on patauge dans les certitudes, en voici une autre : Let It Blast envoie au tapis. Lisa met le petit chien de sa chienne au service de l’un des plus effrayants carnages soniques de la fin du XXe siècle. Tony Fate fait subir les derniers outrages à sa bête à cornes. Il joue sur une SG Gibson rouge. Il peut jouer les machines à riffer quand ça lui chante et fait souvent passer Tony Iommi pour une belette. La cerise sur le gâteau, c’est l’immense Bob Bass Boss Vennum. Il ne peut pas rester tranquille plus de cinq secondes. « Changing Colors », c’est un peu l’enfer sur la terre. Lisa arrive là-dedans en hurlant. Une vraie fournaise, avec une basse qui ronfle. Horrible et merveilleux, comme dirait Huysmans ! Si le son paraît si peu soigné, c’est tout simplement parce qu’ils ont enregistré ça sur un radio-cassette. La basse sonne comme un battement de cœur. Chez Fate, on tire les notes. Elles se baladent comme des serpents dans les fougères. C’est à tomber de sa chaise. Ça cafouille dans la farfouille. Voilà une entrée en matière qui ne pardonne pas. Encore du beau foutage de garage avec « Cold Man Night ». De plus en plus motivé. La basse qui est sourde comme un pot remonte dans le mix. Lisa porte tout l’édifice à bouts de bras. Bob fait son ramdam, il martèle et il pilonne. Fate traîne au fond du studio, on l’entend à peine. C’est un cut explosé dans l’oignon, basse devant toute. Bob gratte trop de notes. À l’époque, quand on le voyait sur scène, il jouait des milliards de notes, il sautait en l’air en faisant les chœurs. « Today Was » s’inscrit dans la même lignée. Lisa tente de calmer le jeu, mais avec des démons comme Fate et Bob dans les parages, c’est impossible. Rien de plus infernal que ce « Kill The Messenger », monté sur un tempo à la Motörhead. Trop de power. Lisa parvient à régner sur cette extravagance. C’est le chaos total, l’empire du trash, on entend les forces du mal courir, elles nous rattrapent à la course ! « Blue Cirque » sonne la charge de la brigade légère. Les BellRays ont l’air de foncer dans la plaine sous le feu de l’artillerie russe. Ils ont cette capacité de susciter des images très fortes. C’est emmené à la batterie. Le pounding mène la danse. Il y a des petites zones de néant, mais le morceau repart toujours. Les BellRays développent d’authentiques capacités lysergiques en relation directe avec les tourments cosmiques des dieux antiques. Ils jazzifient « Testify » jusqu’à l’os du crotch. C’est un prêche de type Airplane, Flaming Sideburns ou MC5 - brothers and sisters everywhere - On assiste ici au retour en force du garage porté par un bassmatic diabolisé. Les BellRays en font un morceau assez lourd, au moins aussi lourd qu’un heavy-blues de Nebula ou de Pentagram. Bob bâtit des drives de jazz bass. Il est absolument spectaculaire. Il joue ces petites gammes rapides qui ont fait la gloire des grands slappeurs du XXe siècle. Bob et Fate sont capables de lever de grandes tempêtes jazzy à coups de boléros. L’équation du groupe est parfaite : une chanteuse colorée, un guitariste virtuose et une section rythmique d’avant-garde. Et si on n’est pas encore tombé de sa chaise, alors on va tomber avec « Black Honey », plaqué d’accords déments, gratté menu, emmené, intuitif, chanté à la vie à la mort - Black honey ! Black honey ! - Les BellRays, le grand groupe américain du XXe siècle ? Allez savoir. Ce « Black Honey » vaut tout l’or du monde. Petite cerise sur le gâteau : un solo d’antho à Toto signé Tony Fate qui rappelle ceux de Victor Unitt dans l’album Parachute des Pretty Things. Le drive de basse emmène toute la bande au firmament. Cette basse ronfle comme un gros poivrot assoupi. Rrrroarrrr !

Leur troisième album Grand Fury paraît en l’an 2000. L’apocalypse, c’est eux, évidemment. Nostradamus ne l’avait pas prévu. « Too Many Houses In Here » est une explosion collatérale. Il n’existe pas d’équivalent ailleurs, inutile de chercher. C’est brûlé de l’intérieur, ils vont bien plus loin que les Stooges, on ne sait pas comment c’est possible, mais on l’entend, on sent une forte odeur de brûlé sonique. Lisa se prélasse dans une braise héritée directement de « Motor City’s Burning », le vieux coucou du MC5. Pur génie. Et Bob qui se prend pour une escadrille pilonne tout ça. Avec « Fire On The Moon », ça continue. Tony cocote sa mortelle randonnée. Ces gens-là sont des fous. Ils riffent dans la viande et Lisa règne sur ce carnage. Aucun groupe américain n’a jamais sonné comme ça et ne pourra jamais sonner comme ça. Lisa allume le feu sur la lune. Suite de l’aventure riffique avec « Snake City », la machine de guerre s’ébranle et Lisa est aux commandes. Ils explosent tout. Absolument tout. C’est comme des Stooges gonflés à l’hydrogène. Puis on se prend « Screwdriver » en pleine poire. Lisa nous envoie rissoler dans la Rôtisserie de la Reine Pédauque. Le duo Bob/Fate dépasse l’entendement pyrotechnique. Ils ne jouent pas, ils blastent en permanence. « Heat Cage » n’a aucune chance d’en réchapper. Il vaut mieux avoir les oreilles solides pour écouter ça. On a là ce qui se fait de mieux dans le rock américain : la fournaise du Detroit Sound explosée jusqu’au vertige et la voix d’une reine de la Soul. Une véritable tornade d’embrasement. « Evil Morning » arrive et aucun répit n’est possible. Ces gens-là surjouent le destin du rock atomique. Rien ne saurait calmer leurs ardeurs sémantiques. Ils cherchent des voies nouvelles, comme le ver dans la pomme. Dès l’intro, « Stupid Fuckin’ People » est bombardé par les deux riffeurs fous. Rien ne peut les arrêter. Ils dépassent toutes les bornes, ils transcendent l’axe Blue Cheer-Motörhead-Stooges-MC5, ils vont encore plus loin, et Lisa hurle, elle s’empare des éclairs jaillis du ciel. On assiste au plus gros pilonnage sonique de tous les temps. Bob sort « Monkey House » à la note de bas de manche, puis c’est traité façon MC5. Nouvelle démence sonique à l’état pur. On a encore droit à un coup de génie avec les chœurs d’« Under The Mountain » et on ressort de cet album fourbu mais ravi.

Nouvelle monstruosité en 2003 avec The Red White And Black. Comme ils l’indiquent sur la pochette, la Soul est le professeur et le punk le prêcheur (Soul is the teacher and punk is the preacher). Folie pure avec le cut d’ouverture, « Remember », un truc de dingue qui perd ses roues, ils foncent de travers, comme s’ils roulaient sur les essieux. Léger parfum de free. Puis on retrouve le riffage du Destin mortel dans « Street Corner » et « Sister Disaster ». Fate hache tout ça menu. Voilà l’équation magique du rock moderne : voix + riffage + inspiration. « You’re Sorry Now » est une belle compo de Bob. C’est même un hit planétaire. Ambiance dramatique, accords descendants, foggy motion de riffs terribles. Voilà un hit fabuleux et gargantuesque. C’est un heavy-rock rendu mélodique par les descentes d’accords et le chant perçant de Queen Lisa. On revient au MC5 avec « Revolution Get Down ». Bob monte des ponts sur des lignes de basse effarantes. Il faut l’entendre traverser la fournaise révolutionnaire. Le cut est farci de breaks terribles. Bob croise au large comme un requin à lunettes. Faramineux. Pop explosive avec « Find Someone To Believe In ». C’est l’une de leurs spécialités. Ils savent faire du mélodif explosif. « Some Confusion City » est un magnifique morceau de batteur. C’est Eric Algood qui bat le beurre. Bob fait hey-hey et il gratte sa basse comme un con. Quelle magnifique équipe, franchement ! Les relances sont impitoyables. Les BellRays nous emmènent en enfer et on adore ça. Punk in the flesh avec « Black Is The Colour ». Lisa bat tous les records - Bein’ shot down on the blue side of town - Quand on entend « Stone Rain », on se dit : mais ce sont des malades ! La basse devient folle. Il faut entendre Bob perdre les pédales - I feel so lonely I could die - il va dans tous les sens. Il multiplie les descentes de manche. C’est lui le bassman le plus dingue de l’univers, il va là, et là, et il remonte ensuite par des ponts insalubres, quelle brute. On l’entend faire d’autres prodiges dans « Rude Awakening » et ils finissent avec un punk-rock qui envoie au tapis, « Voodoo Train ». Inutile d’ajouter que cet album compte parmi les grands albums classiques du rock.

Have A Little Faith sort en 2006. On démarre sur un gros groove joué à la manière des Temptations, « Tell The Lie ». Fate fait son funky wah king. Par derrière, Bob coud sa toile avec un doigté caoutchouteux qui en dit long sur sa culture groovytale. Fate a donc écrit le nouveau hit des Temptations. Un saxophone vient sopraner dans l’air torride. Lisa rassemble tout l’air de ses poumons pour honorer la mémoire des divas de la Soul. C’est réussi. Voilà « Time Is Gone », gros groove salace. Le tempo est bizarre, un peu mambique, comme mal embouché. Fate fait monter la pression. Il rentre dans le trou du track avec un extravagant chorus jazzy. Ce mec a des ressources. Il solote à la Zappa. Les BellRays mettraient-ils de l’eau dans leur vin ? C’est Fate qui écrit les cuts. On sent le compositeur ambitieux. « Chainsong » cumule les fonctions : le couplet passe du hardcore au jazz. Ça sonne comme une quête de sophistication, ce qui ne peut pas leur faire de mal. Ils cassent bien l’ambiance, avec des zones éthérées à la McLaughin. Et puis voilà « Pay The Cobra » et sa remontée en température typique des BellRays de la première heure. Le problème, c’est que tous les morceaux musclés se ressemblent. Et puis le couplet entre en apesanteur. Fate le relève immédiatement avec sa rythmique à la Tony Iommi. Il adore gratter sa bête à cornes. Ça le réconcilie avec la vie. Cette speederie bien fuselée qu’est « Snotgun » sonne comme une revendication de la liberté. C’est très politisé, même si snot veut dire morve - Everybody look at my snotgun/ Tune your guitar to the snotgun/ The alphabet ends with the snotgun/ And all I wanna do is to be free/ All I wanna - par contre, Bob signe « Change The World ». On change de registre. Les BellRays font claquer l’étendard sanglant de la révolte. C’est riffé à la vie à la mort - I don’t think I can kill myself - éclat du génie bellrayïque. Et voilà « Detroit Breakdown » qui est le gros cut de l’album. Pur Motor City sound - No more Iggy or the MC5/ Wayne’s been doin’ it in LA now, so you’re just livin’ a lie - Les BellRays remettent les pendules à l’heure. Effectivement, il ne reste rien du Detroit shakedown. « Maniac Blues » sonne comme une grosse affaire. Effarant de maîtrise. Lisa tire sur ses syllabes et Tony mitraille, bien soutenu par l’inéluctable Bob. Il faut que la gloire des BellRays resplendisse sur la terre comme au ciel. Ils terminent avec un shout de bravado suprême - ah-la-la palabalalah - une reprise des « Cornichons » de Nino Ferrer que Lisa swingue sauvagement. Elle envoie les cornichons, les tomates et les ouvre-boîtes danser dans la fournaise - ba-la-la-la - elle s’amuse comme une folle.

Raw Collection est une compile des singles parus entre 1995 et 2002. Et là, il est recommandé d’attacher sa ceinture. Le un s’appelle « You’re Sorry Now » : son caverneux, ambiance Soul sixties, et une basse rampante arrive derrière Lisa. Il s’agit d’une belle compo psyché de Bob, nappée d’accords crépusculaires. C’est absolument magistral et ça peut hanter un château d’Écosse. Lisa dispose de tellement de feeling qu’elle ne sait plus quoi en faire. Attention ! Ils s’attaquent ensuite à un classique vénéneux : le « Nights In Venice » des Saints. L’énergie dévastatrice dans un classique dévastateur, ça donne du dévasté dévastateur. Les deux riffeurs fous s’en donnent à cœur joie. Fate cisaille comme un fou. Il est dans son élément. La voix de Lisa colle parfaitement à ce classique de l’apocalypse. Ils vont même finir dans la collision. Bob tricote ses déflagrations souterraines. Franchement, sans les BellRays, nous serions bien peu de chose. Ils nous font le coup de la fausse sortie et reviennent avec toute leur barbarie. Bob reste sur une note, Fate se roule par terre et se tortille. Il faut aux barbares des compos terribles, voilà le secret. « Half A Mind » sonne illico comme un classique pop, et même comme un hymne. Fate joue tout en fuzz. La mélodie est là, évidente, montée sur une dynamique de basse décisive. C’est une véritable splendeur. Avec sa mélodie enchantée, « Mind’s Eyes » pourrait aussi sonner comme un classique des sixties. Bob joue une bassline de r’n’b et Lisa rayonne comme un soleil dans le ciel bleu des sixties. Les BellRays tapent dans le très haut de gamme. « Pinball City » sonne comme un punk-rock sauvage. Lisa prend le chant par en-dessous. La rythmique est du pur MC5. Ils poussent des Hey ! d’antho à Toto. Bob se balade. Il a la note facile. On reste dans le pinball Wizbiz avec « Mother Pinball », un shuffle de la Nouvelle Orleans - Come on ! Do the pinball, baby ! - « Tie Me Down » bascule dans la frénésie. Ils vont si vite qu’on doit s’accrocher à la rambarde. « Say What You Mean » vaut n’importe quel classique dévastateur. On plonge dans cette heaviness jubilatoire comme dans un bain de jouvence. Les foules reprennent le refrain en chœur. Énormité bardée de clameurs ! Ho ! Ho ! Ho ! On lève le poing ! Les BellRays tiennent tous leurs hits par la barbichette. Fate plonge dans un chorus d’une monstruosité hallucinante. Flip, flop, ils pataugent dans le génie. Lisa atteint le maximum de ses possibilités. Et le morceau repart, en défonçant tout. De toute évidence, Lisa et ses amis reprennent les choses là où les MC5 les ont laissées.

Hard Sweet And Sticky sort en 2008 avec une belle pochette gourmande. Fate a quitté le groupe. Ils attaquent ça avec un nouveau hit planétaire, « The Same Way », une pop éclatante envoyée avec tout le chien de sa chienne. Compo signée Bob Vennum. C’est quand même autre chose qu’Aerosmith. Au moins, il y a de la tenue dans ce balladif. « Infection » is hot as hell. Bob qui joue désormais de la guitare envoie un solo monstrueux. Avec les BellRays, c’est pas compliqué : si on leur demande de faire un album de rock, alors ils font un album de rock. Leurs albums font partie de ceux qu’on réécoute à intervalles réguliers, car on sait qu’on y trouve de la viande. L’incommensurable « Infection » se répand dans l’univers. Voilà « Comin’ Down », un mid-tempo poussé par une rythmique ingrate et brutale. Bob repart en solo glou-glou. Il compte désormais parmi les grands solistes américains. Ils reprennent leur vieux hit « Footprints On Water ». L’élégance de leur pop s’inscrit dans les annales. Lisa et Bob emportent leur pop de Soul au firmament, à coups de cris, d’éclats et de prodigieuse élégance. « That’s Not The Way It Should Be » vaut pour du typical BellRays : Lisa devant et derrière, deux fous riffent, avec des relances diaboliques et une dynamique exceptionnelle. C’est un cocktail dont on ne peut pas se lasser.

En 2010, Black Lightning paraît sous une pochette noire traversée d’un éclair anthracite. Comme on l’imagine, cet album recèle son petit lot de bombes. Et notamment le morceau titre qui fait l’ouverture. Son carré. Bob solote comme Wayne Kramer. Lisa reste cette fabuleuse shouteuse qu’on suit depuis le début. Le paradoxe, c’est qu’il n’y a pas de surprise. C’est aussi énorme qu’on le supputait. Même chose pour « Hell On Earth », nouvelle pièce fumante de rock incendiaire. On entend moins le double riffage d’antan. Le son est plus fusionnel, dans l’esprit de la lave qui s’écoule des flancs crevés du Krakatoa. « On Top » est un cut extrêmement punchy. Lisa l’expédie au firmament, elle a l’habitude. On note au passage que la puissance des BellRays reste intacte. « Power To Burn » est une pièce de belle pop mentalement élevée, montée à coups de mélodie, de power chorus et d’un ramassis disparate d’accords cavaleurs. Bob ne faiblit pas, ce n’est pas dans ses habitudes. Il revient toujours placer un chorus intéressant. Avec « Power To Burn », les BellRays nous offrent un modèle de power pop californienne. « Living A Lie » sonne comme du pur BellRays, une énormité rockée à la cantonade, vite troussée et enfilée à sec par un gros solo garage. Avec « Everybody Get Up », c’est tout simplement cocoté d’avance. Lisa chauffe la marmite. Et ça part dans l’épaisseur de la clameur. Dans la verdeur de la lourdeur. Dans l’éclat de l’aplat. Une véritable fontaine de jouvence. Toujours aussi épais et bon, voilà « Close Your Eyes » - c’mon take my hand and close your eyes - Bob part en vrille, c’est un démon du bonheur séculaire, il laisse filer son solo de feu liquide. Rien d’aussi magistral que les BellRays.

Retour en fanfare huit ans plus tard avec une nouvelle tranche d’histoire de l’énormité intitulée Punk Funk Rock Soul Vol.2. Dès « Bad Reaction », on note la présence d’une certaine aisance de la prestance. Ils jouent la carte du heavy boogie de type MC5, doctor, doctor please ! Ça reste un modèle du genre dans bien des domaines : classe du chant, heavy riffing, allure générale, puissance motrice. Doctor doctor, give me something/ For this bad reaction - Les deux coups de génie se nichent en B : « Now », pour commencer, véritable brouet extrapolatoire. Bob y crée un monde ambivalent digne des Yardbirds. Ça sonne comme un hymne à la flamboyance. Ils chantent à l’unisson - We’re playing a new song/ We’ve just learnt today - Pur jus de mad psyché, et Bob s’y prélasse comme Nabuchodonosor. S’ensuit un fabuleux « Love And Hard Times », heavy mid-tempo typique des BellRays, ultra chanté. Les trois quarts des autres titres passent aussi le Cap de Bonne Espérance, notamment ce « Man Enough » qui se situe dans la veine des early BellRays, joué à la tension maximaliste. Bob y développe une échaloppade de riffs sixties incroyablement éclatants. Il est l’un des roi de la rock action. Tout aussi excellent, voici « Brand New Day » qui ferme la marche de l’A. Lisa emmène sa troupe à l’assaut des charts qui ont disparu depuis longtemps, mais elle le fait avec un certain brio. On retrouve cette puissance dans « Junior High », une sorte de heavy rockalama emmené par un beat alerte qui ne traîne pas en chemin. Les BellRays ne plaisantent pas avec le beat. Ils adorent aussi les descentes de ponts classiques qui conduisent généralement à de nouvelles frontières. Tiens, encore un cut chargé comme une mule : « Never Let A Woman ». Ils sont infatigables, ce qui fait leur grandeur. Comme le disait Peter Handke, les BellRays portent le poids du rock. Neuf albums et pas un seul déchet. Qui dit mieux ?

En 2013, ils montèrent Lisa & The Lips, un side-project beaucoup plus Soul. L’album ravira tous les amateurs de hot Soul. Les vieux fans des BellRays y retrouveront aussi leur compte de bombes, avec par exemple « Come Back To Me », un mid-tempo fin et racé, gorgé de la meilleure soupe de Soul, où on entend Bob prendre un solo rissolé aux flammes de l’enfer. Et puis on trouve aussi cette pataterie râblée, « You Might Say ». Lisa monte à l’assaut, en puissante shouteuse. Voilà un rock-blast monté sur un groove seventies, craquant et bon comme le pain frais. Franchement, on ne peut pas espérer mieux. Puis Lisa prend « Trouble Mind » façon Esther Phillips, softy-sweety à la petite vitesse du beat bien tempéré. On la sent dans son élément - ease my trouble mind - on ne peut que vibrer, à condition bien sûr de considérer le genre comme supérieur. Et puis voilà ce « Stop The DJ » monté sur un funky beat à la Bootsy. C’est un funk digne des nuits rouges de Harlem, finement shafty. On suit à la trace cette belle ligne de basse insistante et bien groovy, toujours affiliée au meilleur funk des ghettos d’antan. On retrouve un mid-tempo infernal - leur vitesse de prédilection - avec « The Pick-Up », mélodique en diable - heaven goes around me yeah - une pièce de Soul inspirée. Et on revient au funky strut avec « Push ». Ils trottent dans les traces du push - you’re gonna have to push to make it all the way - Lisa grogne et le bassman Pablo se balade à longueur de manche. Il fait le grand jeu traversier du funkster impavide - push wouahhh - fabuleux et coulant. Ils terminent l’album avec une pièce mortellement ralentie et funkstée à la racine du poil, « The Player », exemplaire, précis et régulier comme un mercenaire bien payé - funky booty baby - pièce de rêve. L’album vaut l’emplette.

Signé : Cazengler, BellRaie du cul

BellRays. Le Gibus. Paris XIe. 17 octobre 2019

BellRays. In The Light Of The Sun. In Music We Trust 1992

BellRays. Let It Blast. Vital Gesture Records 1998

BellRays. Grand Fury. Uppercut Records 2000

BellRays. Raw Collection. Uppercut Records 2003

BellRays. The Red White And Black. Poptones 2003

BellRays. Have A Little Faith. Cheap Lullaby Records 2006

BellRays. Hard Sweet And Sticky. Vicious Circles 2008

BellRays. Black Lightning. Fargo Records 2010

BellRays. Punk Funk Rock Soul Vol. 2. Cargo Records 2018

Lisa & The Lips. Lisa & The Lips. Vicious Circle 2013

MONTREUIL / 17 – 10 – 2019

LA COMEDIA

MOONSHINERS / JOHNNY MONTREUIL

 

L'avaient annoncé à la météo : '' Aujourd'hui beau temps sur toute la France, toutefois attention, un unique point noir au niveau local, l'on signale ce soir à 20 heures une zone de fortes turbulences au croisement des rues Michelet et Vaillant de la paisible cité montreuilloise, un trouble atmosphérique assez rare, les spécialistes surnomment ce genre de phénomène une excessive agglutination de narvalos. Pas spécialement dangereux mais fortement déconseillé aux femmes enceintes, aux enfants, aux personnes âgée et à tout individu de moins et de plus 77 ans. '' On n'a pas écouté, mais de toutes les manières si on l'avait su, l'on serait venu quand même.

Essayez de tasser le contenu d'un œuf d'autruche dans une ovule de poule naine et vous comprendrez la pression à laquelle vous êtes exposé – au moins mille bars en ce bar - pas de panique, ce soir Montreuil fête son chanteur éponyme, et en première partie dégustation gratuite de Moonshiners. La vie est un dur combat, mais certains soirs l'on a l'impression d'avoir le ticket gagnant du loto dans la poche.

MOONSHINERS

Doit y avoir une éclipse et le soleil n'est pas au rendez-vous, pas facile d'apercevoir le groupe en entier, trop de monde qui s'agite dans tous les sens, enfin je le confirme, oui il y a un batteur, oui j'ai pu l'entrevoir, ce n'est pas une légende comme celle du vaisseau fantôme que se racontent les marins le soir au fond des tavernes embrumées, un minimaliste, la santiag droite qui tape le rythme sur l'estrade, et une caisse claire, pas plus et pas moins car il ne peut pas, normalement on ne devrait pas l'entendre mais c'est un rusé, tape systématiquement sur le rebord en ferraille, produit le bruit du tuyau en zinc de la gouttière sur laquelle vous vous amusiez à jeter systématiquement des pierres pour décaniller les oiseaux quand vous étiez petit. Un son un peu rustre certes mais qui renoue à quelque chose de tribal et de tripal caché au fond de vous. Celui-ci vous le voyez. Pas exactement lui, mais surtout sa contrebasse, la tient légèrement penchée comme ces voiles sur les petits voiliers qui vous empêchent d'admirer le physique bronzé du skipper. Lui il balance de l'eau dans la tuyauterie, l'a les notes qui coulent comme de la pisse vive, vous fout l'air de rien la rythmique en transe, bon vent force 7, ça tangue de partout, et vous ne pensez même pas à avoir le mal de mer.

Lui c'est le second. L'a donc deux fois plus de boulot que tout le monde, souque à la guitare et chante au cabestan. C'est comme cela quand on veut monter dans la hiérarchie, faut montrer qu'on en veut. Et qu'on en peut. Et lui il peut beaucoup. C'est lui qui brode sur la rythmique, l'a les doigts précis, les fioritures incisives c'est lui, l'a la patte véloce, velours un peu, quand il point trop n'en faut, mais il a une préférence certaine pour les poinçons expéditifs, le crochet du droit qui vous démolit si rapidement la mâchoire que vous oubliez de ramasser, au cas où la souris passe, vos dents sur le trottoir. Le pacha c'est Thierry, comme tout cadre supérieur il en fait le moins possible, il délègue, comme il n'y a pas de divan sur scène, il distribue les ordres et il s'accroupit paisiblement. Soyons juste, quand il prend le micro, vous ne comprenez pas comment il fait, mais sa voix surfe sur le haut de la vague, et s'infléchit sans se laisser submerger quand elle se creuse. En moins de cinq intonations il vous emmène très loin sur les collines du hillbilly, plus appalachien que lui tu meurs. Vous accomplit ce miracle avec une aisance incroyable, vous raconte le country d'avant Nashville, quand il gîtait dans les cours de ferme que les gars quittaient pour courir l'aventure et flirter avec l'illégalité. En fait ils la baisaient grave.

Ce n'est pas qu'ils soient des nationalistes éhontés, mais enfin si l'Amérique a ses Moonshiners, en France nous avons nos bouilleurs de cru. Ne foutaient pas des crotales dans l'alambic, mais un peu de venin de vipère, ça vous fortifie les nourrissons si vous rajoutez un quart de gnôle dans le biberon. Les Moonshiners c'est un peu l'internationale des mauvais garçons. Ceux qui riment avec baston. Les sauvageons, les voyous, les noirs blousons, les tout ce que voulez de pire, ils s'en foutent et s'en contrefoutent, parce que ce sont eux que les filles qui ont les yeux qui brillent préfèrent. Genre de thème qui met en joie notre second, s'empare de ce genre de chansons comme l'on sort un cran d'arrêt au fond d'une impasse obscure et il n'hésite pas à vous en crever le bide et la rate juste pour vous assurer qu'il ne s'amuse pas avec un canif émoussé. J'ignore si selon les canons scientifiques de la recherche universitaire l'on puisse conclure une relation de cause à effet, mais durant ces morceaux apaches les filles ondulent beaucoup plus fortement et leurs yeux se transforment en saphirs étincelants. Du coup tous les garçons s'adjugent des âmes de vaurien et de coupe-jarrets. Des morceaux comme Walk on boy, Wild one, Teddy Boy Boogie, et Suzanne ont procuré du rêve fort émotionnant à tout un chacun. Dans un sommeil si agité qu'ils ont même été obligés d'ajouter une Prière pour tout le mal que Dieu fait sur cette terre. L'on s'y trouve si bien, que l'on resterait une éternité à écouter ce groupe de Moonshiners.

JOHNNY MONTREUIL

Sont arrivés sous une ovation. Qui n'a plus cessé et qui s'est poursuivie longtemps après la fin du concert. Qui avait duré deux heures. Quand le gang des moustachus montent sur scène ce n'est pas pour sucer des glaces à la pistachu. Johnny pince les cordes de sa big mama. Aussi noire que sa chemise, à liserets et envol d'aigles blancs au niveau des épaules, style cowboy, mais à sa dégaine l'on pressent qu'il s'est toujours classé d'instinct dans les indiens, spécialement dans les tribus d'irréductibles, genre Séminoles qui sortaient de nuit de leurs marais pour incendier les ranchs. Johnny donne le la, trois espèces d'égorgement de poulets qui rouspètent quand vous leur tordez le cou, que la moitié de l'assistance s'amuse illicoq châtré à imiter, et sa main s'abat sur sa big mama avec l'impavidité du bourreau qui tranche de sa hache sanglante les têtes à la chaîne du soir au petit matin blême. C'est parti, Johnny infatigable conte sans fin la chronique légendaire des mauvais garçons. Pas étonnant qu'il ait invité les Moonshiners en première partie. Partagent la même mythographie. Celle du cuir et du baston, celle de la révolte, de l'individu rebelle qui n'accepte pas de marcher au pas d'une société moutonnière compromise par sa lâcheté et sa passivité obéissante. Alors Johnny chante et slappe, sans fin, sans arrêt, sans pause, il enchaîne les morceaux comme les gamins vident le sucrier pour gaver le chien.

N'est pas seul. Au fond dans le coin derrière ses lunettes noires Visten est à la batterie. Fait tout le boulot. N'en déduisez pas que les trois autres ne font rien ce serait une erreur lamentable. Mais il construit, il établit le pas de tir, fait preuve d'une science certaine car avec les deux autres kamikazes doit tout remettre en état à tous moments. Perpétuellement. Déjà ne serait-ce pour s'accorder au rythme de Johnny, réserve au minimum un de ses quatre membres à cette occupation , ensuite il est le préposé à toutes les éventualités, et le problème c'est qu'il n' y a pas d'éventualité, uniquement de la perpétuité cataclysmique à parer.

Rön a été bien sage durant la moitié du concert. S'est contenté de ronronner en rythmique durant une heure. Histoire de tromper son monde, ou de gradation durant le concert. En fait s'est trahi par deux indices. Le premier auditif : indubitablement ce gars à la première oreille, il ne peut pas vous en raconter. L'est comme ces chevaux au paddock qui ronge sagement leur foin, mais au premier coup d'œil le connaisseur a reconnu l'étalon racé, celui qui va vous mètre cinquante longueurs à ses concurrents sans forcer. Le deuxième visuel : sous son marcel cela transparaissait, mais quand il l'a enlevé n'y avait plus rien à cacher : ses tatouages. Le mec n'est pas un Picasso ambulant. Ni un Titien cacatoesque. L'a le torse constellé de ces vieux tatous à l'ancienne, ce bleu des taulards et des voyous des années cinquante. Pas d'esbroufe, pas de clinquanterie chez ce guy. C'est un pur. Un pur-sang. Et quand il a daigné sortir de l'écurie après une heure d'attente, nous a filé le festival, pas le genre à faire des cabrioles sur un trapèze en haut de la Tour Eiffel pour épater le public. Lui il profile en douce, le gars il vous refile l'as de cœur qui vous permet la quinte flush royale, the high straigth flush qui vous permet d'empocher les douze mille dollar d'enjeu sur le tapis. Vous voulez la traduction musicale : le mec il triangulise entre Duane Eddy, Hank Marvin et Dick Dale, plus quelques autres, faut l'entendre dans les instrumentaux, ne copie rien, vous ressert la soupe à sa façon, l'a tout intégré, malaxé, ingurgité, et il vous le ressort sous forme de gelée royale, un orfèvre, un régal.

Enfin, dans sa chemise rouge Kik. Pas un kick de moto, mais de fusée. Interplanétaire. Referme sa main sur un minuscule harmonica et c'est parti pour l'apocalypse. Kik une légende montreuilloise, un foutu bluesman, oui mais ce soir si vous voulez chalouper sur un petit shuffle débonnaire, c'est dommage. Vous ne possédez pas le bon ticket. L'a décidé de vous déchirer les oreilles, de vous les couper en pointe, de les faire sécher au grenier, et puis de s'en servir pour rouler ses cigarettes. A la sono l'on bondit chaque fois qu'il brandit son hurricane, faudrait pas qu'il dépasse le mur du son dans l'aigu, c'est trop tard, le public devient fou, faudrait l'abattre, lui tirer dessus à belles réelles, mais c'est trop bon, l'on en redemande, et lui bon prince il vous régale d'une nouvelle rasade. La salle se transforme en pandémonium, à chacune de ces salves une pandémie de folie se répand, de plus en plus violente, l'on frise le coma éthylique et l'on frise du Parthénon, tellement c'est beau, le blues se mue en tempête, Kik l'est comme le pélican de Musset, vous jette ses entrailles dans son orgue à bouche pour vous nourrir et vous n'arrivez pas à en être rassasié. La sueur lui brûle les yeux, mais il continue, l'est un incendie qui veut cramer la forêt entière, les pompiers avec leurs camions, les Canadairs et tous les villages alentours car il est nécessaire que la terre entière apprenne que le blues est une fournaise et le rock'n'roll un lance-flammes inextinguible.

Si ça continue, cela va exploser. Alors Johnny calme son jeu, se saisit de son archet et il nous promène dans une sombre ballade, vous verse un hanap de désespoir métaphysique, sous forme d'une berceuse pour enterrement d'un cœur brisé. S'il n'y avait pas cet énervement de vif-argent qui lui court sous la peau, l'assistance se mettrait à pleurer, le concert deviendrait un chant de lamentation, cela tournerait au suicide collectif de masse. Mais avant que l'on ne passe à l'acte, Johnny qui connaît et maîtrise son public montreuillois relance la machine. Kik vous déquille le cortex, Rön vous hache en confit de riffs, les aime bien courts et bien brutaux, Listen déploie la liste de ces abattis et c'est reparti pour l'attaque du commissariat. Parce que c'est bien connu il faut un dérivatif à tout trouble de l'ordre public, et que dans les milieux libertaires des narvalos tout le monde déteste la police. Ailleurs aussi, mais ne confondez pas narvalow avec chamallow.

Le combat s'arrêtera à l'heure fatidiquement municipale, parce qu'il faut que les travailleurs renouvellent leurs précieuses forces afin, dès le lendemain matin, les dépenser sur le lieu de leur exploitation dans le stupide but de produire une richesse dont ils ne partageront pas les profits. Toutefois Kik se saisit de son harmonica et donne le rythme d'une vieille rengaine que Johnny entonne afin de calmer la fièvre...

RETOUR AU BERCAIL

Dans la teuf-teuf l'on médite... Johnny Montreuil renoue avec un rock français des origines, musicalement très sixties, un rock mythologisé et quelque peu anarchisé. Assez proche de ce qu'a pu représenter le rock pour le public d'Hallyday en 63-64. L'ombre noire de Vince Taylor n'est pas à exclure. Je ne pense pas que le public présent à la Comedia en soit conscient et surtout se reconnaisse en une telle origine qui est moins évidente et peut-être à l'opposé de ses propres phantasmes idéologiques. La généalogie est une science qui vous met souvent en porte-à-faux avec vous-mêmes. Le rock avait déjà parcouru un long chemin avant l'explosive renaissance punk.

Damie Chad.

TROYES / 18 – 10 – 2019

3B

RAY ALLEN AND HIS BAND

 

Faudra un jour que je me penche sur ce point particulier de la science des fluides, pourquoi le public d'un concert se pointe-t-il à quatre-vingt dix pour cent durant un créneau de dix minutes parfois juste avant le début d'un concert, parfois une heure et plus avant, cette question m'a toujours taraudé, faudrait trouver tous les paramètres et essayer de mettre au point une formule mathématique, une martingale algorythmique, qui permettrait d'établir un protocole de pronostication fiable et d'apporter par l' application d'une formule toute simple, une réponse définitive à cette inconnue obsédante. Si je parvenais à résoudre une solution, sans doute me donnerait-on, au moins, le prix Nobel de Physique, et Kr'tnt ! deviendrait le premier blogue rock'n'roll nobélisé.

Cette interrogation m'est venue lorsque le public a envahi le 3B alors que Ray Allen et son band se préparaient à monter sur scène.

RAY ALLEN AND HIS BAND

Nous viennent d'Allemagne. Sont tout beaux, quatre gars en costumes identiques, pantalon gris souris, chemise blanche impeccable, veste d'une nuance un tantinet plus mate piqueté de points noirs pratiquement invisibles, cravate à rayures blanches découpées de bandes bleues, sombres ou claires. Allure très sixties, le teen-ager-band typique d'un rock'n'roll américain, assagi et lessivé, après la grande tornade originelle. Very white, l'on est loin du jungle sound à la Bo Diddley ! Un style apparemment prisé de l'autre côté du Rhin, alors que par chez nous les cœurs ont opté pour le darkly cuir de Gene Vincent.

Obligatoirement vous regardez sur la droite, sur cet instrument inusité par beaucoup de groupes d'aujourd'hui car exigeant une lourde et onéreuse logistique : un piano droit, un vrai, pas un synthétiseur glissé dans un vieux meuble de salon vermoulu récupéré in-extrémis à la décharge municipale. Martin Vauer officie, quelquefois debout, souvent assis. C'est en ces moments qu'il chante, une bonne diction, une belle élocution, mais sans jamais forcer la note, soyons clair dès le début, Ray Allen et son band ne donnent jamais dans les outrances d'un romantisme exalté. Difficile de détacher le regard de ses doigts allongés, peut-être par des années d'exercices, qui survolent les plaquettes d'ivoire, ils semblent avoir leurs propres indépendances et picorer les touches de leur seul gré, à l'image des marteaux recourbés – l'absence de panneau protecteur nous permet de les voir - qui se lèvent et s'abaissent sur les cordes métalliques avec ce même mouvement répétitif des passereaux qui tapent du bec sur le sol pour faire croire aux vers de terre que la pluie tombe, et les plus imprudents qui sortent leur tête sont vite gobés et avalés. Qui dit piano, pense Jerry Lee Lewis, souvent en fin de ligne Martin projette son pied vers les spectateurs, connaît tous les plans de Jerry mais se dispense de sa fureur, et de sa folie, et pour le dire autrement, il a bien le doigté de Jerry Lou, mais il n'enfonce pas les touches à la Little Richard comme si à chaque fois il avait envie d'appuyer sur le bouton de la bombe atomique.

Ged Vorwerk est à la basse. Vous l'entendez respirer, la big mama, pas Ged, un souffle élastique qui emplit tout l'espace, bizarrement elle n'accompagne pas, elle précède, elle enveloppe à la manière de la noix qui dresse les murailles de sa coque pour protéger le cerneau blotti à l'intérieur. Elle est le son de base, elle fournit l'épaisseur, un slap en douceur, mais onctueux, la crème fraîche qui épaissit la carbonara. Des quatre, Vorwoek est le seul à ne pas chanter, même pas les chœurs, juste ses cordes et ses doigts qui restent en haut du manche à la manière de ces chats perchés sur un arbre qui du haut de la plus haute branche dominent le monde. Sans fierté excessive, simplement conforté en eux-mêmes par leur position.

Sylvio Lau est de ces batteurs qui ne font pas de bruit, ont une tâche plus décisive à accomplir, juste marquer le rythme, au millième de seconde près, à peine s'il effleure sa caisse claire, mais pas de doute dans le groupe il est la pendule fatidique qui perpétue l'équilibre d'un château de cartes qu'il envoie valser en l'air d'une pichenette pour tout de suite le rattraper de deux coups de baguettes magiques et le remettre droit sur ses assisses, incroyablement immobile durant un laps de seconde et recommencer ce jeu subtil, sans attendre. Avec ses grosses lunettes il ressemble davantage à un ingénieur d'aéronautique qu'à Buddy Holly, mais lorsqu'il chantera, deux fois, vous aurez vite intuité que c'est le plus mécréant, le plus méchant, il glisse sur ses toms comme un serpent et vous crache le morceau à la manière d'un cobra du Mozambique qui cherche à empêcher la planète de tourner dans le bon sens.

De sa Fender Ray Allen exhale une grêle sonorité. Exprès, la musique c'est comme les filles, faut les voir nues et non emmitouflées dans trois gros manteaux de fourrure, produit un son qui vous force à écouter le silence afin de mieux le saisir, ici l'on ne concasse pas la porcelaine au rouleau-compresseur, on la peint au pinceau du chinois de Las de l'amer repos... de Mallarmé, l'on donne dans la minutie dans la haute précision, l'on virevolte mais l'on ne cache pas la sveltesse des figures imposées sous le froufrou tapageur des robes du french cancan, tout est exécuté en plein jour, lumière crue et sans filet. Un rock mièvre mais d'une concision extrême qui lui assure la densité du diamant. La beauté est obtenue à partir du dépouillement des écorces mortes de la facilité et des grosses ficelles.

L'on ne prend pas les mouches avec du vinaigre pas plus que l'on n'attrape les princesses fragiles de bonne famille au lasso, ou qu'on ne les rapte à l'aide d'un bronco furieux. Faut des slows trottés mais pas frottés, des rock bien appuyés mais pas agrippés, exemple Big Blond Baby, découpé au cran d'arrêt mais à la lame émoussée. Vous offrez des fleurs mais vous n'effeuillez pas la rose. La main dans la main mais pas au cul. Et encore moins dans le sexe. Ray vous raconte tout cela de sa voix discrète, les lyrics les plus torrides il vous les transforme en comptines faussement innocences. Car il ne faut point faire confiance à ces gars doucereux. Quand ils ne disent plus rien, qu'ils se taisent et qu'ils se lancent dans un instrumental, vous filent l'impression d'assister à une tournante, au fond du jardin. Se laissent aller à leurs mauvais instincts, à croire que la demoiselle les a provoqués et qu'elle avait une grosse fringale insatisfaite depuis longtemps, au moins trois jours, à assouvir.

Grattez un peu sur l'emballage et la sordide réalité des désirs adolescents vous saute sur le paletot. A la fin des années cinquante, au début des années soixante, l'on a tenté de policer le rock'n'roll, l'on a affublé d'un ridicule nœud rose les chattes sauvages et élimé les griffes des chats harets jusqu'au trognon. Gâchez le naturel, il revient au galop. Mais Ray Allen and his band nous restituent cet entre-deux, ce moment où le rock n'est plus le roll, fait l'hypocrite, il balance comme l'escarpolette de Fragonard, l'on a beau cacher cette lingerie intime que l'on ne saurait voir, elle finit toujours par faire signe. Au moment où l'on s'y attend le moins. Evidemment il faut un peu de patience et de persévérance. Du talent, de la précision. Et de tout cela le groupe n'en manque pas. Sont des spécialistes, sous leur air very straight de grands garçons sages et bien élevés qui feront de gentils gendres, ils métamorphosent le non-rock en non-dit. Et comme moins par moins égale plus, leur coulis de groseille au sucre mou se charge d'une affriolante coquinerie sinon subversive du moins insidieuse.

Ray Allen et ses guys se sont fixés une tache que l'on peut juger ingrate, restituer cette période où le rock a failli disparaître, sombrer dans les oubliettes de la mode, cet instant où le rock s'est dénaturé en pop, car il arrive que de mauvais plaisantins changent le vin en eau. Nous noterons que cet alanguissement est aussi un des moteurs du rock, songez à la dichotomie Stones / Beatles, aux atermoiements d'Elvis le Pelvis, à la manière dont le punk a été destitué sous forme de Nouvelle Vague, n'oubliez pas que c'est au temps du MC5 qu'est apparu le Bubblegum. L'on s'est dépêché de recracher cet atroce chewing gum. Certains de nos jours le remettent en leur bouche et vantent son aspect acidulé. Dans toutes les confitures traînent un bon goût d'arsenic. Sans pression pas de dépression. Sans négativité pas de positivité. Le rock est un courant électrique intermittent. Merci à Béatrice la patronne de nous présenter toutes les facettes de ce phénomène complexe.

Damie Chad.

LE MEE-SUR-SEINE / 19 – 10 – 2019

LE CHAUDRON

PALMYRE / THE NEXTFLOOR

HOAX PARADISE / JADES

 

Cinq heures l'heure funeste, dans les hôpitaux les malades impuissants gisent dans les affres des fièvres vespérales, sur les genoux de leurs mères atterrées les nourrissons délaissent leur tiède sein et se mettent à pleurer sans fin, ils sentent monter en eux l'indicible et instinctive angoisse des peurs qu'ils n'ont pas encore connues, dans les sombres cryptes l'on entend d'étranges reptations au creux des sarcophages verrouillés, resterai-je douillettement à l'abri entre mes livres, le feu de la cheminée, et sur le canapé mon chat noir qui fixe de ses prunelles énigmatiques une réalité astrale invisible à mes yeux... non, mais où irai-je ce soir courir l'aventure rock'n'roll sous la lune, par de telles ambiances crépusculaires, un lieu s'impose, le Chaudron, l'antre fatal du Mée-sur-Seine.

PALMYRE

Pas le moindre fantôme de Zénobie ne rôde sur scène, mais quatre jeune gars emplis d'une énergie et d'une ardeur toute Aurélienne. Manifestement sont décidés à laisser un champ de ruines après leur passage. Commencent par une double intro, la première pré-enregistrée tonitruante, la deuxième fracassante. Annoncent la couleur sans ânonner dès le début, ne sont pas venus pour caresser le riff dans le sens du poil. N'y vont pas par quatre chemins, même si au début ils ne sont que trois, Erwan n'arrive qu'après le déluge pour bondir sur le micro sur lequel il se jette, tel un fauve qui n'a pas mangé depuis une semaine sur sa proie innocente. Nous bouffe le vocal à pleines dents, l'en déchire de gros morceaux sans vergogne et comme à ces côtés les trois autres ne turbinent pas en mode économique vous êtes invités à un splendide festin. L'est manifeste qu'ils aiment le steak tartare dégoulinant, pas du congelé, de l'arraché au cuissot de la bête encore vivante. Ne se contentent pas de grignoter des palmitos sur le sofa.

Sont partisans d'un rock speedé qui ne s'embarrasse pas de fioriture. Adam est à la forge, vous façonne le métal rock sans façon, ne ménage pas sa peine, partout à la fois, il court le break comme un brick pirate toutes voiles dehors fonce sur l'ennemi, et avec sa guitare Jerémy est le premier à monter à l'abordage. Samuel tire au canon de sa basse manière de traverser la coque ennemie de part en part. Erwan ceint sa guitare pour participer au carnage, ce qu'il préfère c'est tout de même éructer les mots comme grêle de mitraille. Et ma foi, il se débrouille bien pour s'imposer dans le brouhaha amblant. Ce genre de chienlit qui vous revigore un mort en moins de deux vous file votre dose d'amphétamine jusqu'à la fin de l'année.

Passent en première partie, mais on leur a laissé assez de temps pour montrer ce qu'ils savent faire et ils en ont profité, n'en ont pas gaspillé une demi-seconde, les titres se suivent et vous bousculent de belle manière. Quand ils s'en vont vous les regrettez, ne vous ont pas psalmodié des berceuses, vous ont remué les sangs et revivifié. L'est sûr que c'est avec cette vélocité que les légions romaine ont fait main basse sur l'antique Palmyre afin que dans l'histoire des hommes brille à jamais le soleil noir d'Aurélien.

THE NEXTFLOOR

Ne sont que trois, la scène en paraît désertique. Pas d'inquiétude ils vont vous la remplir superbement. Mais chacun à sa façon. Cette cataracte de coups si caractéristiques qui pleuvent de partout, c'est Quentin, un fou furieux, n'y avait pas de chambre d'isolement au Chaudron ni de camisole de force, l'orga a fini par trouver une solution, lui ont refilé une batterie en lui faisant croire que c'était un punching ball, le gars pas contrariant tout compte fait, suffit de lui proposer la bonne occupation. Lorsqu'il enlèvera son T-shirt et que vous apercevrez son torse herculéen ruisselant de sueur vous connaîtrez la peur. Impossible de l'arrêter, l'a les baguettes qui courent de tous les côtés, impossible de savoir où il les pose, quand vous entendez le bruit, sont déjà plus loin, sont en train de cogner sur un autre tom. Doit s'entraîner pour passer le mur du son. Ça fuse de partout, jamais de boum, des clac-clac qui sonnent sec comme des paires de gifles, ça pleut comme un envol de canards sauvages pour les pays chauds. Si vous l'écoutez vous n'entendez, vous ne voyez que lui, ce qui serait dommage parce que les deux autres ne sont pas tristes.

Yvan est carrément marrant, ne peut s'empêcher de lancer quelques remarques ironiques qui détendent l'atmosphère. Pour aussitôt après vous foudroyer d'un tonnerre de guitare à vous donner la nostalgie des jupes de votre maman. Mais ce n'est rien, juste un bon guitariste qui déchire. C'est ensuite que ça arrache. L'ouvre la bouche et là il vous cloue sur la roue du destin. Il crache son venin à la face du monde. De son gosier jaillissent des caïmans, un vocal meurtrier, quatre ou cinq mots, et puis le mec ferme son bec, le temps de laisser échapper une espèce de mygale riffique de son instrument, pas un gars méchant, ne vous laisse pas tout abasourdi sur le bord de la route, vous réveille d'un nouveau superbe phrasé giclé qui vous transperce de part en part. Ce guy avec son poinçon triangulaire de soul patch sur le menton, habillé de noir, vous a le vocal rock instinctif tatoué sur le larynx, l'a tout compris, la respiration fusante, l'éjection sarclée, c'est rock, c'est blues, c'est tout ce que vous voulez. C'est grand.

MJP, ces trois lettres ne signifient pas Mouvement des Jeunes Populaires, juste le bassiste. Face aux deux énergumènes, il se la joue cool, le doigt sur la corde, ne la relâche qu'au moment qui lui plaît, toujours à bon escient, un véritable archet, tir précis et vibrant, mystérieuse moue aux lèvres et regard rêveur. Etrange comme il arrive à se faire entendre dans le vacarme des deux autres énergumènes, mais ce qui est sûr que s'il n'était pas là il manquerait quelque chose au monde comme si la Joconde s'arrêtait de sourire.

A trois ils vous ont démantibulé la moitié du département, un rock sans retenue, une horde d'Attila qui passe dans vos oreilles, une galopade effrénée, et une fois qu'ils ont arrêté, vous croyez que vous avez fait le plus beau cauchemar de votre existence.

HOAX PARADISE

Les groupes se suivent et ne se ressemblent pas. Pourtant eux aussi ne sont que trois. Thibaud à la guitare, Jc à la basse et Barron à la batterie. Pour le moment ils émettent une douce musique autour d'une absence. Lamartine avait raison : Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Et Elle surgit. Non ce n'est pas Eve, c'est Lilith, c'est Laura Naval. Ne cherchez pas l'erreur, c'est Elle. Désormais vous ne verrez qu'elle, vous n'écouterez qu'Elle, Elle et sa chevelure rousse, une flamme échappée de l'incendie du palais de Persépolis par les hoplites d'Alexandre, elle chante et vous vous taisez. Et les trois guys lui peaufinent minutieusement des ambiances sonores, ils ne jouent pas, ils cisèlent le décor, on est à côté du rock, pratiquement dans un récital de poésie.

Une voix. Ni charmante, ni envoûtante. Elle se refuse à ses facilités. Trop sûre d'elle, elle n'aguiche pas le client. Consciente de sa force, de son aura, de son magnétisme. Une blouse nouée au-dessus du nombril, un bustier échancré qui ne dévoile rien, une froideur brûlante de serpent. L'orchestre est à ses ordres. Elle se moque de ses gars comme si elle descendait avec condescendance le grand escalier d'une revue de Broadway. Reine et sortilège. Femme fatale.

Quelques gestes, une entrée et un final durant lesquels elle se transforme en percussionniste, elle descendra chanter dans le public, mais tout cela c'est de la broutille, l'important c'est lorsqu'elle s'approche du micro et qu'elle pose pour ainsi dire sa voix dessus. A croire qu'elle vient de retourner la lame de la mort d'un jeu de tarot qui ne comportait que cette unique carte. Une douceur âpre dépourvue de tendresse, juste les mots qui font mal. Elle nous conte les merveilles de Neverland, ce pays où l'on n'arrive jamais, se moque de Les garçons et nous quitte sur Ground control. Ce qui est sûr c'est qu'elle n'a jamais perdu le contrôle de la situation. Et puisqu'elle est sur terre, le paradis serait-il une arnaque ?

JADES

Mein Goth ! Un vol de sorcières vient de se poser sur la scène. Non, je ne suis point ivre, d'être parmi l'écume inconnue inconnue et les cieux mallarméens, elles sont là, toute proches, gainées de noir, et deux d'entre elles arborent ce chapeau maléfique qui cauchemarde nos imaginations, quoiqu'il faille le reconnaître, elles sont d'une génération nouvelle et ont adopté une forme beaucoup moins pointue, qui leur sied si joliment qu'elle les rend beaucoup plus agréables à regarder que les anciennes matrones au nez crochu qui remuaient leur infâme mixture dans une grosse marmite ventrue à panse noircie par des flammes sulfureuses d'un feu maudit. Le Chaudron, c'était un piège – qui portait bien son nom – nous y sommes dedans, et elles s'apprêtent à nous y mijoter longuement, à nous transformer en douteuse nourriture avariée qu'elles se partageront les soirs de grand sabbat. Le plus sage serait de fuir, mais non elles ont cette beauté maléfique et fascinante qui vous force à rester, et le plus terrible c'est que personne ne le regrettera. Car lorsque le potage est tiré il faut le boire, et celui-ci est agrémenté de ces gousses de rock'n'roll auxquelles nous ne saurions résister.

Lindsay est arrivée la dernière, s'est jetée sur le micro avec ses cheveux noirs et sa basse parallélogrammatique, et la ronde infernale a commencé. Rien de funèbre en elle, un sourire engageant et experte en communication, le contact facile, en quelques mots elle est déjà une grande copine que vous connaissez depuis au moins la maternelle. Vive, à l'aise, plein d'allant et de vie, rien qu'à l'apercevoir vous révisez votre jugement sur les sorcières, franche, naturelle, pleine de vie. C'est elle qui mène le bal et vous entrez dans le menuet salement remué sans une once de soupçon. Elle chante avec cet aplomb décisif des belles noiseuses qui ont toujours raison.

Cherry – je ne résiste pas à un mauvais jeu de mot, c'est la cerise sur le gâteau des agapes de la nuit du Walpurgis goethéen – enveloppée d'une coulée de cheveux roux, une pluie de renard et de feuilles automnales lui donne un aspect romantique que dément son sourire carnassier, elle semble s'être échappée d'un tableau préraphaélite de Dante Gabriel Rossetti, vous vous damneriez facilement pour elle, mais attention aux pointes de sa guitares triangulaires, elle assure la rythmique comme une nervalienne fille du feu, et lorsque qu'elle se chargera du vocal sur Cherry bomb vous comprendrez qu'elle est une eau dormante tempétueuse, un ouragan malicieux, qu'elle brisera l'esquif de vos idées creuses comme coquille de noix et les dispersera sur les rivages désertés.

Taïphen, se suffit à elle-même, elle est une de ses princesses des plus hautes chansons de Maeterlinck enfermées dans la tour d'ivoire de leurs rêves qui n'appartiennent qu'à elles seules. Jamais vu un guitariste lead aussi secret, aussi retranché du monde. Elle semble à part, elle ne nous concède que la face visible de sa personnalité. Occupée à produire le riff nécessaire à l'instant présent. Mais ni dans l'ici, ni dans le maintenant. Dans un ailleurs interdit. Quelqu'une de l'intérieur, mystérieuse, réservant à elle seule les pensées d'un monde que nous ignorons, et n'accordant qu'à sa guitare cette minutieuse attention dont nous ne sommes pas dignes.

Drôle de groupe, composé de personnalités si distinctes. Au fond Chloé, il est difficile d'admettre qu'elle joue de la batterie. Elle réside dans sa propre temporalité – jamais à contre-temps – elle est le lutin qui réfléchit. Avant de frapper, elle suspend le vol du temps, ce n'est pas qu'elle ne sait pas, c'est qu'elle choisit, elle réfléchit, elle suppute, elle subodore, elle reste-là les deux baguettes levées, pas du tout de l'indécision, elle fait ce qu'il lui plaît mais uniquement ce qu'il lui plaît, elle ne se presse pas pour monter dans le train, et vous assistez à ce miracle que la locomotive attend patiemment que sur le quai elle se décide à daigner mettre au moins une jambe sur le marche-pied. Et lorsqu'elle abaisse le sceptre de sa baguette sur un de ces tambours, vous êtes obligé de reconnaître qu'elle semble avoir mis de l'ordre dans le désordre de l'univers. Ses compagnes usent envers elle d'un étrange rituel, à la fin de chaque morceau elles nous tournent le dos et se regroupent devant elle, comme les doigts de la main se referment pour que le poing du rock acquièrent une force nouvelle.

C'est que Jades maîtrise son show de bout en bout, l'air de rien, elles ont mis au point un subtil ballet, rien n'est laissé au hasard, une belle parade rock'n'roll. Captivante. Servie sur un plateau. Avec cette grâce carnassière du serpent qui monopolise votre attention et exige votre approbation. Un rock simple, bien balancé, mais avec cette subtilité qui vous oblige à acquiescer. Des titres ravageurs et efficaces, The only thing, Ready or not for for rock'n'roll, Misnake, difficile de les laisser partir, en rappel ce sera I don't Care, un dernier sourire et elles s'enfuient si vite qu'il vous manque quelque chose. Et vous savez quoi.

Damie Chad.

16/10/2019

KR'TNT ! 434 : MICKIE MOST / WAYNE KRAMER / CRASHBIRDS / NEW MOON + RAPHAËL RINALDI / JIM MORRISON

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 434

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

17 / 10 / 2019

 

MICKIE MOST / WAYNE KRAMER

CRASHBIRDS / JIM MORRISON

NEW MOON + RAPHAËL RINALDI

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Most est un must - Part One

 

Si dans un bac de CDs tu croises un album de Mickie Most intitulé That’s Alright, prends-le. Même si la pochette te semble improbable. Sur ce fond rouge, Mickie ressemble en effet à l’un des chanteurs yéyés de Salut les Copains, mais quand tu vas entendre sa version de «Sea Cruise», tu vas très probablement tomber de ta chaise. C’est enregistré en 1963, avec ce qu’on appelle the big British Sound. Mickie y brandit le power suprême. On retrouve là ce qui fait la grandeur du «Bird Doggin’» de Gene Vincent, cette fantastique énergie rock. Ce shoot de baam boom est une merveille absolue. On retrouve le même son dans «It’s A Little Bit Hot» qui est la B-side du single, mais le cut est moins avenant que «Sea Cruise». Précision importante : cet album est une compile de singles. Le «That’s Alright» enregistré l’année précédente déboule bien, c’est joué ventre à terre par un certain Little Jimmy Page. Excellente presta. Alors après, on entre dans la chronologie du British Sound. Mickie Most a déjà tout compris. Son «Shame On You Boy» bénéficie d’une prod de rêve, et farcie de Diddley beat, en prime. On voit tout de suite que Most est un must visité par la grâce. Il joue son «Guitar Boogie Shuffle» à l’acuité définitive. Il fait même monter la basse dans le mix de «Whole Lotta Twisting» pourtant joué à la clairette de Buddy Holly, qui est l’une de ses idoles. Cette compile est une véritable leçon de dignité, on voit avec «Move It» que ce mec Most a le génie du son. Il frise le Gene Vincent avec «Move It» et joue ça au mieux des possibilités - It’s called rock’n’roll - Most moves it, for sure. Il sait déjà tout faire. Alors forcément, quand il va produire tous les autres, les Animals, Donovan, Suzi Quatro, les Yardbirds, il sera parfaitement à l’aise. Il embarque son «Cumberland Gap» à la précipitation invétérée, mais il commence à se vautrer en voulant toucher à «Great Balls Of Fire». Étonnant de la part d’un mec qui paraît si avisé. Son kiss me baby est d’un ridicule ! Laisse-ça à Jerry Lee, Mickie ! Pareil pour «Rave On», même s’il okète derrière, ça reste pauvre, comparé à l’original. Il tape aussi dans «Sweet Little Sixteen», mais bon, laisse ça à Chuck, même si c’est ultra joué. Grand retour des frissons avec «O In Love». C’est admirable de big heavy sound - You’re hundred per cent - Il fait un «Kansas City» à l’Anglaise, mais bon, pareil, laisse ça à Little Richard, Mickie. Il manque tout simplement le barrelhouse. On le voit encore rendre un bel hommage à Bo Diddley dans «Willie And The Handjive» et se vautrer avec «Peggie Sue» et «Rip It Up». Pour se consoler, il ne reste plus qu’à réécouter sa fantastique version de «Sea Cruise».

Ace consacre ENFIN un ouvrage définitif à Mickie Most, l’un des acteurs fondamentaux de l’histoire du rock anglais. Un ouvrage, oui, car il s’agit d’une compile doublée d’un livret qui par sa taille (72 pages) se rapproche plus du livre, mais du mini-livre, puisque c’est formaté sur le boîtier du CD et composé en corps 5, ce qui est extrêmement agréable à lire. Il n’existe rien de mieux pour se péter les yeux. Ah merci Ace ! L’auteur s’appelle Rob Finnis et annonce la parution d’un vrai livre en 2019, Mickie Most Pop Genius. Mais si on lit l’autobio de Suzi Quatro, Unzipped, on apprend déjà énormément de choses sur Mickie Most, l’épitome de chèvre de la classe. Juste un exemple : il fait à Suzi Quatro qu’il découvre à Detroit le coup que Willie Mitchell fait à Al Green qu’il découvre au Texas : il propose à Suzi de la transformer en star. Ça prendra combien de temps, demande-t-elle. Oh ça peut prendre un an ou un an et demi, lui répond Mickie Most. Même chose qu’Al Green : la première réaction de Suzi est de dire non, ce n’est pas possible. Trop long ! On connaît la suite de l’histoire. Au bout de dix-huit mois de préparation intense, Al Green et Suzi Quatro sont devenus des stars. Willie Mitchell et Mickie Most savaient très bien ce qu’ils faisaient.

Mickie sait exactement ce qu’il veut. Il veut ce qu’il aime, ce qu’il appelle the good commercial pop. Il sait par exemple que le nouveau single de Lulu ne pourra rien contre l’injustice, la guerre et la famine, mais il aidera à oublier tout ça pendant deux minutes. C’est le rôle de la pop.

Mickie grandit à Londres, dans l’East End et quitte l’école avant quinze ans. Il fait les petits boulots de tous les drop-pout de l’époque et flashe sur James Dean. On est en 1955, juste avant qu’Uncle Sam n’invente le rock’n’roll. Mickie découvre ensuite le fameux 2i’s bar qui va devenir la Mecque du rock à Londres. Les propriétaires Paul Lincoln et Ray Hunter se retrouvent au cœur une véritable révolution. On peut voir dans ce bar Tommy Steele, un pionnier du rock anglais scandaleusement sous-estimé. Avec l’histoire du 2i’s naît l’adage fondamental : to be in the right place at the right time. Tout est là, il faut être au bon endroit au bon moment. C’est là en 1957 que la légende du rock anglais va prendre naissance. Et Mickie Hayes a la chance d’en faire partie. Il apprend à jouer un mi sur sa guitare. Et il va chez un marchand d’instruments sur Charing Cross Road faire accorder sa guitare pour deux shillings (ten pence). C’est là en 1957 qu’il acquiert son sobriquet, Mickie the Most. Ses amis se moquent gentiment de lui car il passe son temps à dire de tel film ou de tel disque : «This is the most !» On le voit mimer le guitariste à côté du juke-box, se recoiffer et lancer des trucs du genre : «I’m gonna split this scene !» Mickie hennit comme un étalon sauvage. Paul Lincoln qui vient de lancer Wee Willie Harris s’intéresse de près à cet étalon et à son copain Alex Wharton. Il en fait les Most Brothers, l’équivalent anglais des Everly Brothers. Aux journalistes, Lincoln raconte qu’il a choisi de les baptiser Most Brothers, non parce qu’ils ont du talent, mais parce qu’ils foutent le souk dans la médina. Alex et Mickie arrivent sur scène, ils ne savent ni jouer ni chanter, mais ils ont des belles coupes de cheveux. Lors de sa première visite aux studios d’Abbey Road, Mickie voit des techniciens en blouses blanches. L’Angleterre est encore très traditionaliste. Mais quand Cliff Richard et Billy Fury arrivent dans le circuit en 1958, c’en est fini des Most Brothers et de Wee Willie Harris. Cliff Richard rafle la mise. Terminé pour les demi-portions comme les Most Brothers. Pas grave, car Mickie à d’autres chats à fouetter : il est tombé amoureux d’une petite gonzesse nommée Christina Fusco. Le problème est qu’elle ne vit pas à Londres, mais en Afrique du Sud. Comme c’est pratique ! Alors, ils se voient de loin en loin, lorsque ses parents viennent faire du tourisme à Londres. Un jour le père de Christina lance à Mickie : «Si tu veux revoir Christina, tu devras venir en Afrique du Sud !» Wow ! Mickie étudie la question. Trois jours d’avion. Bon, il y va. Il est amoureux. Quand il arrive à Johannesburg, il n’a plus un rond, mais il l’épouse. Comme il est fauché, il ne peut plus rentrer à Londres. Alors il doit bricoler sur place. Il joue dans des fêtes, déguisé en clown.

En 1962, Mickie, sa femme enceinte et sa belle sœur Jackie rentrent en Angleterre. Mickie veut que son fils Calvin naisse en Angleterre. Il a failli devenir une star locale en Afrique du Sud et comme il sait qu’il n’est pas assez bon au chant, il décide de se consacrer à la production. C’est en découvrant les Stones en 1963 sur le plateau de l’émission Thank You Lucky Stars que Mickie comprend qu’il doit vite changer de coiffure. Hop, the flop en avant. Il est aussi en contact avec Don Arden qui lui a confié la tournée de Gene Vincent en Afrique du Sud quelques années auparavant. Arden apprécie beaucoup Mickie. Il lui demande de chanter en première partie des tournées anglaises qu’il organise pour Bo Diddley, Jerry Lee, Gene Vincent ou les Shirelles. Juste après Mickie passent les Stones. Il fréquente beaucoup Jagger à l’époque et le trimballe dans la Porsche qu’il a ramenée d’Afrique du Sud. Il trouve d’ailleurs Jagger très laid et pense que s’il était moins laid, son groupe aurait plus de chances.

C’est à cette époque que Mickie devient copain comme cochon avec Peter Grant, un gros balèze qui s’est payé un van : il se vend comme chauffeur de pop stars et commence à travailler pour Don Arden. Bon, Arden est bien gentil avec ses tournées anglaises, mais Mickie sait qu’il ne deviendra jamais une star. Il dit stop et décide de devenir producteur.

Ça tombe bien, Don Arden vient de signer un petit groupe de Newcastle, les Animals, et propose à Mickie de s’en occuper. Mickie précise toutefois qu’il les avait déjà découverts lors d’une tournée dans le Nord avec Bo Diddley. Don Arden rassemble les Animals dans son bureau et leur explique qu’il va faire d’eux des stars. Comment ? Il leur offre la première partie d’un tournée de Chuck Berry, et un producteur nommé Mickie Most, ce qui ne plait pas à Chas Chandler qui préférerait travailler avec Ian Samwell. Arden dit que c’est à prendre ou à laisser. On ne discute pas avec Don Arden - Most came with the package. Or there was no package.

En 1964, Mickie Most produit «Baby Let Me Take You Home» des Animals. C’est là qu’il devient crédible, en tant que producteur. Son studio préféré est le fameux De Lane Lea, au 129 Kingsway, en face de la station Holborn. C’est au De Lane Lea que les Stones ont enregistré leur premier single, «I Wanna Be Your Man», en 1963. Mickie Most apprend à travailler avec l’ingé son Dave Siddle. S’ensuit l’extraordinaire épisode de «The House Of The Rising Sun». Gare d’Euston, 7 h 30 du matin : Peter Grant et Mickie viennent récupérer les Animals qui ont voyagé de nuit. Grant charge le matos du groupe dans son van et Mickie repart au volant de sa Porsche. Ils vont directement au De Lane Lea qui est à cinq minutes de la gare. Ils enregistrent House en une seule prise. Dave Siddle dit qu’il y a un problème : le cut fait quatre minutes, ça ne passera jamais à la radio. Mickie est persuadé que c’est un hit énorme et il a raison. Chas Chandler : «No-one believed in but Mickie.» Oui, Mickie était le seul à y croire.

Puis Don Arden demande à Mickie d’aller jeter un œil sur les Nashville Teens, qui ont accompagné Jerry Lee au Star Club de Hambourg. Mickie monte dans sa Porsche et fonce les voir au Cellar Club, à Kingston-on-Thames, juste à la sortie de Londres. Il flashe sur leur version de «Tobacco Road». Mais il a du mal à reproduire le power des Nashville Teens en studio. Il doit faire appel à Bobby Graham et Jimmy Page to nail it. Mais bon, Mickie n’est pas convaincu par les Nashville Teens et il passe à autre chose. Don Arden branche ensuite Mickie sur Brenda Lee. Sur la compile qui accompagne le mini-book, on peut entendre «Is It True», mais c’est de la grosse cavalerie qui en réalité ne pouvait pas convaincre les aficionados. Il tente aussi de lancer une petite Écossaise, Barry St John avec ce «Bread And Butter» qu’on peut aussi entendre sur la compile, mais c’est du gospel batch. Mickie Most essaye de faire de la pop avec du gospel. Ça s’appelle bouffer à tous les râteliers. Il produit aussi les Herman’s Hermits qui iront faire un carton aux États-Unis. En 1964, Mickie tourne à plein régime et ouvre des bureaux à Mayfair, au 39 New Bond Street. Le voilà établi comme l’un des producteurs londoniens de renom.

Fin 64, le businessman new-yorkais Allen Klein débarque à Londres, bien déterminé à signer ces movers et shakers londoniens qui étaient derrière la fameuse British Invasion. Il fait l’impasse sur les intermédiaires et s’adresse directement aux grosses poissecailles. Brian Epstein l’envoie balader, mais Klein récupère trois choses : le Dave Clark Five, le droit de représenter les Stones aux USA et le management du business américain de Mickie Most. Klein est gonflé car il commence par appeler Mickie pour lui dire qu’il va signer les Beatles. Mickie lui répond qu’ils sont déjà signés. Mais comme Klein commence à jongler au téléphone avec les millions de dollars, il finit par impressionner Mickie - That sounded very attractive to me - Klein lui propose de le recevoir dans sa suite au Grosvenor. Mickie Most arrive accompagné de son associé Laurence Myers. Klein revient sur sa proposition : gagner un million de dollars. Comment ? En négociant avec les labels américains. Most se dit qu’il n’a rien à perdre. Banco ! En sortant du rendez-vous, Most et Myers éclatent de rire. Un millions de dollars ! C’est pour l’époque une somme ridiculement élevée. Et pourtant, il l’a fait - And he did - Mickie se félicite d’avoir signé. Il explique que Klein a beaucoup d’avance sur les autres - Well ahead of the game - Mickie passe son temps à produire des disques et Klein le sien à faire du blé avec ces disques. Et comment s’y parvient-il ? En obligeant les labels à payer plus. Le credo du Klein : «We’ll negociate your deal. You’re not getting enough !» - Grâce aux connections de Klein, les Animals et les Herman’s Hermits se retrouvent sur MGM, l’un des trois gros labels américains avec RCA et Columbia. Mickie admire ce businessman américain : «He was 100 per cent correct.» Les choses s’emballent, Klein fait jouer ses relations et RCA propose à Mickie de produire Elvis dont la carrière et les ventes sont en chute. Sachant qu’il ne pourra jamais faire mieux que Sam Phillips, Mickie décline l’offre - The best had already been done - Klein lui demande ensuite de produire Sam Cooke. D’accord. Mickie prend l’avion pour New York mais cet imbécile de Sam Cooke se fait buter le jour de son arrivée. Dans sa fantastique monographie (Allen Klein. The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll) Fred Goodman revient longuement sur l’excellente relation qu’entretenaient Mickie Most et Allen Klein. Dans l’histoire du showbiz, il s’agit là de l’une des plus parfaites conjugaisons de talents.

En novembre 1964, Mickie et Peter Grant quittent l’orbite de Don Arden et montent leur propre structure de management, RAK Management, qui comprend une filiale Records et une filiale Publishing. Ils s’installent tout près d’Oxford Street, sur Dean Street. Quand en 1968 les Stones virent Andrew Loog Oldham, Klein propose à Mickie de s’occuper des Stones, mais il décline. Pas pour les mêmes raisons qu’Elvis. Il sait que son mode de vie est incompatible avec celui des Stones. Mickie veut préserver sa vie de famille. Et puis il connaît les Stones depuis le début - They just aren’t my trip - Il dit qu’il faut savoir choisir son mode de vie. Les Stones démarrent à minuit. Lui, il préfère dormir avec Christina. Il refuse l’idée que le business puisse affecter sa vie de famille. Bien sûr, Mickie ne prend pas de dope et boit avec modération. Par contre, il fume comme un pompier. Il réussit à s’arrêter à 35 ans. Il fera ensuite du sport pour s’entretenir. Ce qui n’est pas le cas de Peter Grant qui met le nez dans la dope. Mickie est très proche de Peter, mais il ne peut pas l’aider - I never took any drugs and it never interested me - Et comme ses amis en prennent, il ne les voit plus - I wasn’t close to them anymore - Il sent que les gens le rejettent parce qu’il est trop straight. Il avoue quand même que les Herman’s Hermits lui ont ruiné les oreilles avec leurs conneries, même s’il s’est fait un gros paquet de blé grâce à eux. Il préfère nettement les Animals - The Animals music was good music - Et il ajoute : «Bloody good !» C’est aussi l’époque où Mickie va régulièrement aux États-Unis faire ses courses. Il achète des chansons à New York ou Los Angeles. Il prend le vol TWA du dimanche et rentre le vendredi suivant. Il cherche de l’or, comme jadis les mineurs du Yukon.

Les choses prennent une autre tournure avec Donovan. En devenant célèbre avec «Colours» et «Catch The Wind», Donovan confie ses intérêts américains à Allen Klein. Klein sort immédiatement Donovan des pattes du petit label de Nashville, Hickory, pour le confier aux bons soins d’une filiale de Columbia, Epic, et lui obtient dans la foulée une spectaculaire avance de 100.000 $, plus une garantie annuelle de 10.000 $ sur les cinq années à venir. C’est le premier gros budget que lâche le nouveau président de Columbia, Clive Davis. Pour lui, Donovan est un bargain, c’est-à-dire une bonne affaire. Et c’est là où Mickie entre dans la danse, via Klein. Donovan se pointe chez RAK, dans le bureau de Mickie et de Peter Grant, et gratte sur sa gratte «For John And Paul» qui va devenir «Sunshine Superman». Mickie impose à Don un changement de look, car il trouve qu’il ressemble trop à Dylan. Exit la casquette, les jeans et l’harmo. En décembre 1965, Donovan entre à Abbey Road avec John Cameron, John Paul Jones et un autre bassiste sur stand-up, Jimmy Page et un autre guitariste, des mecs aux congas, et of course, Don gratte des coups d’acou sur sa Gibson J-45. Puis il voit le visage de Mickie s’illuminer de l’intérieur dès que tout le groupe se met à jouer - He knew this was the hit single. He just knew it - «Sunshine Superman» allait sortir sur Pye en janvier 1966, mais une dispute avec EMI va retarder la parution d’un an. Don quitte l’Angleterre après un drug bust et se réfugie sur l’île grecque de Paros. Il y compose «Mellow Yellow» et finit par rentrer à Londres quand il apprend que «Sunshine Superman» est number one all over. Il retourne en studio avec Mickie enregistrer «Mellow Yellow». Pareil, il voit la tête de Mickie s’illuminer. C’est encore un hit - Electrico-bananahhhh - Laisse tomber, Mickie, c’est Don qu’il te faut. Fabuleux shoot de safranabout me. On est en pleine magie. Le seul qui ait su aller aussi loin dans le bumping du rock mellow, c’est Dave Edmunds avec «I Hear You Knocking». Chaque single de Don que produit Mickie entre 1966 et 1969 va être un hit universel. Trop facile. Et quand les chemins de Don et Mickie se séparent, la rivière de hits se tarit. Mickie explique que Don voulait toujours jouer avec d’autres stars, un bon exemple avec «Barabajagal» et le Jeff Beck Group. Il avait en tête l’idée du super groupe, avant que ça ne devienne une mode. Mickie se souvient d’une session californienne en 1969 avec les Three Dog Night, Stephen Stills à l’orgue, Graham Nash au chant, John Sebastian à l’harmo et Mama Cass aux back-up vocals. Il n’y avait dit Mickie que des chefs et pas d’indiens. Tout le monde ramenait son grain de sel. Ils racontaient qu’ils n’étaient pas là pour le blé, mais pour la jam et Mickie leur répondit sèchement : «Ça me coûte 150 $ de l’heure et j’ai fait 6.000 miles pour venir, donc j’en ai rien à foutre de la jam, Essayons d’enregistrer quelque chose - Let’s get some work done.» Mickie le pop genius est ce que les Anglais appellent un control freak. Il sait ce qu’il veut et qui oserait lui donner tort ?

En 1966, Simon Napier-Bell confie le management des Yardbirds à Mickie et Peter Grant, car il ne supporte plus les tensions qui règnent à l’intérieur du groupe. Paul Samwell-Smith a quitté le groupe. Jimmy Page entre dans le groupe mais ça ne fonctionne pas si bien que ça avec Jeff Beck qui finit par quitter le groupe, lors d’une tournée américaine. Beck rentre à Londres et confie son destin à RAK Management. Il se pointe et déclare à Mickie : «I want to be a pop singer !» C’est là que démarre l’épisode mythique du Jeff Beck Group. Mickie ramène de New York un hit nommé «Hi Ho Silver Lining» qui est taillé sur mesure pour les Herman’s Hermits, mais il le refile à Jeff Beck qui ne l’aime pas, car il sent que cette daube peut le couler définitivement. On peut l’entendre sur la compile. Jeff Beck lui troue le cul avec un solo de rage noire. Il se plaint surtout d’avoir dû chanter cette horrible pop-song, alors qu’un chanteur extraordinaire comme Rod The Mod était disponible. Rien à faire, c’est le contrat. Mickie fait les backing vocals avec Rod. C’est surtout Mickie qu’on entend et la situation l’amuse car il est un aussi piètre chanteur que Jeff - Between us, we almost ruined the record - C’est un sens de l’humour qu’il faut savoir apprécier. Mais une chose est sûre, c’est un hit. L’un des plus populaires de tous les temps. On l’entend à l’époque dans les mariages, dans les karaokes, dans les grandes surfaces, partout.

Le saviez-vous ? Lulu est la fille d’un boucher de Glasgow. Quand son contrat avec Decca expire en 1966, la manageuse de Lulu la met dans les pattes de RAK Management. Pour relancer la carrière de cette Miss Pop, Mickie la fait venir au dernier étage du building sur Oxford Street et lui fait écouter une sélection de chansons. Elle s’inquiète car elle pense que Mickie veut faire d’elle a female Herman. Jusqu’au moment où elle entend «The Boat That I Raw» de Neil Diamond. Allez hop, direction le De Lane Lea, février 1967, avec Clem Cattini (drums), John Paul Jones (bass) et Alan Parker (guitar). Mickie veut que ça sonne comme «La Bamba». C’est aussi John Paul Jones qui joue sur «To Sir With Love» qui va topper the US charts pendant des semaines. Quand elle décide d’arrêter de travailler avec Mickie, c’est uniquement pour se tourner vers Atlantic, en quête de respectabilité artistique. «The Boat That I Raw» n’a pas pris une seule ride. C’est l’un des points forts de la compile, avec Donovan. Quelle fantastique énergie ! Elle sait exploser à bon escient.

En 1968, le marché du disque commence à changer. Les ventes de single s’écroulent. Les gens préfèrent acheter des LPs. Mickie est un pondeur de hit singles, alors il doit s’adapter. Il repère un jeune mec de 18 ans qu’il trouve particulièrement doué, Terry Reid - He is going to be the biggest thing in record business - Il le compare à José Feliciano qui bâtit des petits mondes avec ses chansons. Il tente aussi de relancer la carrière des Yardbirds avec «Little Games», supposé être un hit, mais c’est le côté Yardbirds qui ne fonctionne pas, c’est même carrément mauvais et empuanti par des ponts foireux. Pire encore, Epic réclame un album et Mickie prend la demande par dessus la jambe. Il fait du remplissage avec des cuts non produits. Jimmy Page voudrait écouter les enregistrements et Mickie n’a pas le temps. La plupart des cuts de l’album sont des premières prises non validées. On le sait, le résultat est catastrophique. Et comme Mickie arrive au terme de son contrat avec Epic et que Don et Lulu sont partis voir ailleurs, les Américains ne voient aucune raison de renouveler leur partenariat avec Mickie. Il n’y a plus de Yardbirds non plus. Ils sont devenus Led Zeppelin et Jimmy Page a beaucoup insisté pour que Mickie Most soit tenu à l’écart. De son côté, Terry Reid ne vend pas et la réputation de Mickie Most en tant que roi du single pop commence à se retourner contre lui.

De l’autre côté de l’Atlantique, Clive Davis a tout compris : il signe tous les artistes de la Woodstock Generation, vend du LP à la tonne et passe du son mono à la stéréo. En réaction, Mickie décide de sauver le marché du single avec son label RAK. Pour ça, il lui faut parvenir à implanter RAK chez les disquaires, avec du rock frais qui se vend. Il démarre en 1970 avec un single de Julie Felix, «El Condor Pasa». Puis c’est CCS (Collective Counciousness Sound), un trio formé par John Cameron et Alexis Korner. Le single s’appelle «Walking» et c’est du heavy stuff. Un hit sorti de nulle part. Effarant ! Ça vaut mille fois les Yardbirds. C’est Alexis Korner qui chante cette énormité composée par Donovan. Ce sera le seul succès commercial d’Alexis Korner. Là-dessus, Mickie fait jouer Herbie Flowers (bass) et deux batteurs.

En 1970, Mickie rencontre un duo de compositeurs, Nicky Chinn et Mark Chapman qui ont pour étrange particularité d’aller plus vite que la musique. Chinn est un fils de riches installé à Mayfair et Chapman vient d’Australie. Il a joué un moment dans les Downliners Sect, puis il survit en lavant des vitrines ou la vaisselle dans des restaurants. Jusqu’au moment où il fait le barman au Tramp, un club chicos de Mayfair. Il y rencontre Chinn et ils décident de composer des chansons ensemble. Un jour, Chinn dit : «Et si on passait un coup de fil à Mickie Most ?» Coup de chance, Mickie Most est encore dans l’annuaire. Un soir, Chinn l’appelle pour lui dire qu’il écrit des hits avec un copain nommé Chapman. Mickie lui répond à l’Anglaise : «Oh do you ?» Puis Mickie lui demande : «Qu’attendez-vous de moi ?» Oh juste vous rencontrer. «Ok then, demain matin 11 h 30 à mon bureau. Ça vous va ?» Et voilà le travail. Ils arrivent le lendemain la gueule enfarinée dans ce grand bureau d’Oxford Street où Mickie et Peter Grant sont installés. Grant insulte des gens au téléphone et comme Chinn et Chapman n’ont pas de cassettes, Chapman doit jouer les démos sur sa guitare. Il est tellement nerveux qu’il casse cinq cordes pendant la première chanson. Mickie s’impatiente. «Next one, please !» Mickie a l’oreille. Il voit tout de suite si le cut a du ventre ou pas. Chapman remet des cordes et commence à jouer «Tim-Tom Turn Around» et Mickie lui dit : «Stop ! That’s it !»

Puis il s’occupe de Mary Hopkins, la protégée de Paul McCartney, qui avait eu un hit avec «Those Were The Days». Mais ça ne colle pas. Mary Hopkins est très introvertie. Mickie ne peut rien faire pour l’aider. Par contre, il produit Truth, le premier album du Jeff Beck Group et semble passer aux choses sérieuses. Puis c’est Beck-Ola, un album encore plus prestigieux, l’un des sommets de l’histoire du rock anglais. Leur version de «Jailhouse Rock» sonne comme une entreprise de destruction massive, un vrai paradis dans lequel Rod the Mod serait Dieu. Et quand Dieu quitte le groupe, Jeff Beck tente de monter un coup chez Motown à Detroit avec Mickie et Cozy Powell. Les sessions vont hélas rester aux archives, mais un certain Mike Quatro vient trouver Mickie pour lui parler de Cradle, un groupe local dans lequel jouent trois de ses frangines. Mickie accepte d’aller voir jouer Cradle. You never know, dit-il avec un petit sourire en coin. Jeff Beck est là et il chuchote à l’oreille de Mickie : «Grab the little chick at the back playing bass, that’s the one...» Eh oui, Jeff Beck a repéré la petite gonzesse qui joue de la basse derrière. À la fin du set, Mickie fait signe à Suzi : «Come here I want to talk to you !» Il l’emmène boire un verre de champ à l’hôtel. Mike Quatro va ensuite insister pour que Mickie signe tout le groupe, mais ça ne l’intéresse pas. Il ne veut que Suzi qui dans un premier temps refuse la proposition que lui fait Mickie de venir en Angleterre. Mais quand Cradle se sépare en 1971, Suzi accepte de venir à Londres pour entreprendre une carrière solo. Dix-huit mois de préparation. C’est le tarif. Jusqu’au moment où Chapman & Chinn amènent «Can The Can» - Put your man in the can - Comme ce fut le cas pour Donovan, Mickie revoit le look de Suzi. Il l’emmène chez Ken Calder, un fashion designer dont la boutique devient célèbre, Obscured By Clouds : tous les glamsters de Londres viennent y acheter du cuir. Calder propose d’habiller Suzi comme Marianne Faithfull dans Girl On A Motorcycle. En vraies poules aux œufs d’or, Chinn & Chapman se mettent à pondre des tas de hits pour Suzi, mais aussi pour Mud et pour Sweet. On est à l’âge d’or du glam. Mickie lance aussi les Arrows, un trio composé de deux Américains, Alan Merrill et Jake Hooker et d’un batteur anglais nommé Paul Varley. Ils smashent avec «I Love Rock’n’Roll», mais c’est un coup de bol, car Mickie misait plutôt sur l’A-side du single, «Touch Too Much». Hélas, les Arrows vont vite disparaître. La vie est parfois cruelle.

Vient le temps de Chris Spedding, de «Motor Bikin’» et des Vibrators, que Mickie signe sur RAK. Spedding utilise le studio de Mickie pour enregistrer les démos des Pistols. Il y a des pourparlers. Mais Mickie ne veut pas s’impliquer dans la vague punk. Il voit McLaren et se félicite que ça en reste là. C’est une scène qui ne l’intéresse pas. Puis il commet une petite erreur en voulant devenir producteur télé. Le pop genius se fourvoie. Et quand dans les années quatre-vingt il voit que le marché lui échappe et qu’il ne comprend pas ce qu’est en train de devenir le rock anglais, il vend RAK à EMI pour sept millions de Livres. Allez hop, terminé !

Signé : Cazengler, Mickie Moche

Mickie Most. That’s Alright. LCD 2006

Mickie Most. The Pop Genius Of Mickie Most. Ace Records 2019

Fred Goodman. Allen Klein. The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll. Houghton Miffling Harcourt 2015

Suzi Quatro. Unzipped. Hodder & Soughton 2007

Kramer tune - Part Three

 

Dans les années 2000, Brother Wayne écumait le monde et rendait compte de ses tribulations sur son site, le bien nommé Kramer Headquarters. En consultant ces fringants reports, comme il les appelle, on pouvait suivre en direct la vie d’une rock star on the road. Ça fourmillait d’informations. Aucun détail n’échappait à Tintin Kramer. Il s’en prenait aussi à la brutalité de l’administration Bush. Quand il ne faisait pas de politique, il revenait longuement sur ce film consacré au MC5 et jamais sorti, A True Testimonial. Il le qualifiait de plus grand film de l’histoire de cinéma. Puis il reprenait la route et allait jouer à Austin avec les Bellrays. De retour à Los Angeles, il saluait Mother Superior, «the hardest rocking band in show business». Puis il filait en Scandinavie retrouver la crème de la crème du gratin dauphinois au Hultsfred Festival : Handsome Dick Manitoba, Ross the Boss, Jello Biaffra et Chris Bailey. Tintin Kramer s’effarait de voir les Scandinaves soûls bien se comporter. Rien à voir avec les Américains ! Il retrouvait aussi au Hultsfred des gens comme Iggy, J. Mascis, Queens Of The Stone Age, Rocket From The Crypt, Mike Wyatt et les Hellacopters ! Tintin Kramer allait d’ailleurs s’acoquiner avec les ‘Copters et composer avec eux «Gotta Keep Movin’», un cut destiné à accompagner la sortie du film consacré au MC5. Tintin Kramer travaillait aussi la nuit avec Tony Fate des Bellrays sur Pro Tools et entre deux bricolos, il revenait à sa chère politique pour accuser le pouvoir américain d’avoir fabriqué les fondamentalistes islamiques : «They trained him and his gang back when they thought terrorizing the Soviets was an honorable concept. The US government has trained death squads that have murdered thousands of innocent people around the world.» Il accusait le pouvoir américain d’avoir entraîné des escadrons de la mort qui sévissaient partout dans le monde. Il voulait ses propos criants des vérité. «We are hated for our arrogance.» Il ne se trompait pas quand il affirmait qu’on détestait les Américains pour leur arrogance. «We are hated for our excess. If history has shown us anything it’s that you cannot fuck people over forever. At some point they will rise up angry.» Il savait qu’on ne pouvait pas éternellement prendre les gens pour des cons. Tintin Kramer vitupérait. Puis il revenait au rock avec The International Noise Conspiracy, un combo scandinave très politisé. Il annonçait aussi que les Hives allaient devenir le plus gros groupe de rock européen. Il faut se souvenir qu’à l’époque le rock renaissait de ses cendres. Les Bellrays et Mother Superior furent des locomotives. En 2004, Tintin Kramer organisait une tournée pour la promo d’Adult World. Doug Lunn (bass), Eric Gardner (drums) et Jim Wilson de Mother Superior (keys) l’accompagnaient : «For me it’s the absolute line-up. They all know about Sun Ra and James Brown, Chuck Berry and Charles Bukowski.»

Tintin Kramer commençait alors à réfléchir à la reformation du MC5. Il monta un deal à Londres avec les jeans Levis, Dave Vanian, Lemmy et Nicke Royale des Hellacopters. Il allait ensuite à Paris s’inventer des racines franco-grecques. En Écosse, il s’émerveillait de voir des animaux par la fenêtre : «Very strange, horses, dogs and cats, birds and bees. Strange.» Sur la sono du bus de tournée, il découvrait Speedball Baby. Au Danemark, il n’en revenait pas de voir les gens laisser leurs vélos sans les attacher. Impensable aux États-Unis ! Et crack, il revenait sur l’égoïsme et l’arrogance des Américains. «L’Amérique n’évoluera jamais !», scandait-il. En Finlande, il allait au sauna avec Eduardo Martinez et les Flaming Sideburns. De retour à Los Angeles, il montait sur scène au Baked Potato avec Don Was et Hunt Sales, histoire de boucler la boucle. À la Nouvelle Orleans, il jouait avec Cheap Trick : «Cheap Trick are truly one of the premier touring bands today.» Puis il voyait un alligator traverser la route. En ce temps-là, il se passait des choses étranges par les nuits de pleine lune.

Dans un Part One, on a pu voir les aspects biographiques du Kramer System. Le Part Two nous a permis de dresser un panorama sommaire de sa carrière solo. Le part Three va passer en revue les trois grands épisodes participatifs du Kramer System : Gang War, Dodge Main et Racketeers.

En 1979, Tintin Kramer monte Gang War à sa sortie de Lexington avec Johnny Thunders, l’un de ses grands admirateurs. Il ne reste pas grand chose de cette folle aventure, à peine quelques enregistrements live et un demi album studio, le fameux Gang War paru en 1990 sur Demilo. L’A est un live enregistré au Max’s Kansas City en 1980. On y retrouve la merveilleuse désaille de la dépenaille de «London Boys». Ils jouent dans une sorte de chaos sublime et Johnny taille sa route à coups d’incursions massives. Avec «I’d Much Rather Be With The Boys», on voit bien que ce diable de Johnny regorge de décadence. Il livre ses trésors de malovelance dans la plus parfaite ambivalence. On se régale aussi de sa version de «Like A Rolling Stone». C’est d’autant plus imparable que Brother Wayne joue comme un dieu ailé. Il tartine le thème au long cours. Version poignante que Johnny chante d’une voix désespérée. Brother Wayne fait des miracles derrière lui. Ce duo ne pouvait que faire des étincelles. En B, on trouve les cuts enregistrés en studio et notamment cette version de «MIA». Ils cherchent visiblement un passage vers le sommet. On les sent remplis de bonne volonté et Johnny part en pointe. C’est avec les deux «Untitled Instrumental» qu’ils créent la sensation. Solides et ultra-joués, ils laissent présager d’un énorme potentiel. Johnny revient aux affaires avec «Gypsy» et Brother Wayne y joue de belles espagnolades. On note l’excellence de sa prestance comportementale. Brother Wayne prend les choses en mains pour conclure avec «Hey Thanks», une espèce de petit coup de pop-punk rapide et sans pitié.

Skydog sort un Street Fighting de Gang War en 1993, avec beaucoup de son. Une moitié des cuts est enregistrée en 1979 à Montreal et l’autre au Channel Club de Boston en 1980. On voit Johnny prendre les rennes de «London Boys» et donner une belle leçon de rock’n’roll. Ça ultra-joue, les deux guitares se fondent merveilleusement dans le barouf. Il faut entendre Johnny chanter «I’d Rather Be With The Boys». Il est utterly fucked up, ça joue à la dérive mais ça joue incroyablement. Ils se rattrapent au fil. Comme d’habitude, Brother Wayne reprend «The Harder They Come». Il le chante à la rate et ça passe comme une lettre à la poste. Avec «Endless Party», ils sortent du pur jus de décadence. Voilà une version qui nous réconcilie avec le genre humain, ah quelle fantastique clameur ! On voit Johnny partir en solo à la coule. Puis Brother Wayne s’en va taper dans James Brown avec «I’ll Go Crazy» et dans Chickah Chuck avec «Around And Around». Dommage qu’ils en fassent trop, car dans la version originale, tout est dans la retenue. On les voit taper plus loin dans l’intapable, c’est-à-dire «Like A Rolling Stone». Johnny fait son Dylan et c’est délicieusement hanging out. Il sait de quoi il parle, you don’t feel so proud, il chante ses lyrics à la revoyure. Fantastique mouture ! Ça se termine avec «Do You Love Me». Il n’existe rien de plus rock’n’roll que cette conjonction, l’hyper volatile Johnny Thunders et le raw Wayne Kramer. Bel amalgame. Entre deux cuts, Johnny fait des discours et raconte des horreurs, mais quand il revient à son cher Dylan, il semble revivre. «Like A Rolling Stone» lui va comme un gant, car c’est l’histoire d’un loser parfait. Back to the Dolls Sound avec «MIA», le son est pourri mais ils foncent dans la nuit du daze, yeah yeah. Au Channel Club de Boston, ils basculent ensuite dans la calypso pour «Endless Party», ça tourne à la bouffonnerie et ça empire encore avec une deuxième mouture de «Do You Love Me». Poor Johnny, ça sonne comme la fin des haricots, il part à la dérive.

Avec Dodge Main enregistré en 1996, Brother Wayne monte une nouvelle équipe de choc avec Deniz Tek et Scott Morgan. Il avait joué en première partie d’une tournée australienne des Birdmen. Ce n’est pas un hasard s’ils démarrent avec une reprise du «City Slang» du Sonic’s Rendezvous. Scott Morgan lance son attaque frontale et Brother Wayne déverse sa mélasse ultime. On ne saurait imaginer pire fournaise. Avec «Citizen Of Time», il joue sa carte préférée, celle du guitar hero. Ils tapent aussi dans «Furure Now» tiré du troisième album du MC5. Fabuleuse reprise énergétique, Scott fait son Rob Tyner, avec toute l’ampleur du feeling de voix fêlée. Et derrière ça riffe et ça raffe. Petite cerise sur le gâteau : un atroce solo du grand Wayne Kramer. Il va chercher l’escalade au Vietnam. Bombarder, ça ne lui fait pas peur. Avec ce genre de mec, les choses ne peuvent que se terminer en viande froide. Il tire sur l’élastique jusqu’à l’extrapolation. Il joue vraiment comme un dieu furibard. S’il faut emmener un guitariste sur l’île déserte, c’est bien Wayne Kramer. Avec «100 Fools» Deniz Tek essaye de faire les Stooges, mais ça reste très teky. On sent une certaine difficulté au décollage. Puis Brother Wayne s’attaque à cette vieille merveille insurrectionnelle qu’est «The Harder They Come». Et on revient fatalement au Rendezvous avec «Over & Over». Scott Morgan installe son chat perché au dessus des flammes de l’enfer. Cette reprise est exploitée au maximum de ses possibilités. Impossible de pousser davantage le rendement d’une telle chaudière. Ils sont spectaculaires d’allant. Et le festival continue avec «Better Than That» toujours chanté par Scott Morgan, un vrai diable. C’est noyé dans un jus de guitares extraordinaires, on ne sait plus s’il faut parler de radiation du barreau de l’atome, d’explosivité nitroïque, de couche champignonique, toujours est-il qu’on avait encore jamais entendu un tel ramdam. Ils finissent avec la prise d’une forteresse imprenable, le fameux «I Got A Right» des Stooges que Scott prend à la perfection définitive. Il réussit l’exploit de masquer l’absence d’Iggy. Wayne rentre là-dedans comme dans du beurre. Il ne craint pas de se salir les mains. Quelle abomination !

Brother Wayne forme les Racketeers avec Brian James et Mad For The Racket paraît en l’an 2000. Fabuleux album ! Brian et Brother Wayne se partagent les morceaux, mais curieusement, ce sont ceux de Brian qui accrochent le mieux. C’est lui qui ouvre le bal des vampires avec «Chewed». Il allume ça au feu sacré et place un killer solo d’ambivalence expectative. Brian revient plus loin avec «Trouble Bones», un heavy stomp garage à la Thirteen Floor Elevators. C’est incendié sur les pourtours de la pourlèche et chanté aux chœurs de soudards avinés. Franchement, Brian se conduit comme un prince répudié, empreint d’une certaine décadence. Il revient plus loin pour jouer la carte de l’insidieux avec «Tell A Lie». C’est un sacré renard. L’autre cloche de McKagan fait les backing vocals et l’ami Wayne part en solo liquidifié d’exaction patibulaire. Il retrouve là ses apanages de killer suprêmo. Brian reprend plus loin le leadership pour «I Want It» - Oooh baby - Il chante comme un Dorian Gray déstabilisé. Il devient extraordinaire d’assise moribonde. Il s’étale dans le bullshit going down et gratte un solo de dingue dans un climat de want it en suspension. Il continue son festival avec «Blame It». Il démontre que l’Anglais reste supérieur en tout. Sur ce disque, c’est Brian qui ramène la viande - Blame it on the mountain/ Blame it on the sea/ Blame it on the sunrise, but don’t blame it on me - et il passe un solo d’apocalypse. Hélas, les compos de Wayne et de son copain Brock Avery ne fonctionnent pas. Par contre, celles de Brian sonnent comme d’éclatants classiques. Il boucle avec «I Fall» et un «Ooh Baby» qui est un véritable coup de génie. Brian y touille une stoogerie sur fond de chœurs extraordinaires. Voilà un disque dont on ressort groggy, c’est sûr.

Parmi les disques sauvés des eaux, il faut aussi citer le très hot Thunder Express du MC5 paru en Skydog en 1992 et réédité par Jungle Records en Angleterre. L’album fut enregistré en une journée au studio d’Hérouville, sans Michael Davis qui venait de se faire virer. C’est là qu’on trouve l’excellente reprise du «Empty Heat» des Stones. Ils jouent comme des dingues, le son n’est pas très stabilisé, mais peu importe, ça groove dans le cœur de la Stonesy. C’est l’une des belles versions revues et corrigées au Detroit Sound. Brother Wayne joue jusqu’au vertige. Le morceau titre est un vieux coup de boogie à la Chikkah Chuck et ils reviennent à leur chère tension maximaliste avec «Rama Lama Fa Fa Fa». Ils jouent leur va-tout en permanence et ils saluent «Motor City Is Burning» aux meilleures guitares d’Amérique. On trouve aussi une fabuleuse version d’«I Can Only Give You Everything». Rob y fait son Van et la fuzz mène le cut à l’échafaud. Dans la réédition Jungle, on trouve en plus l’un des plus grands singles de tous les temps, «Looking At You»/»Borderline». Le son craque et la guitare de Brother Wayne paraît libre comme l’air. Il vient percuter le cut de plein fouet, doin’ alrite, Rob ahane, on est à Detroit et ça vocifère. On entend rarement un son dégueuler comme ça. Les masterisateurs de Jungle ont bien réussi leur coup. Ils crashent le son dans le mur du son.

En 2014, Wayne Kramer enregistre avec The Lexington Arts Ensemble un album de jazz moderne qui s’intitule Lexington. C’est bien sûr en souvenir de son stage au ballon de Lexington dans le Kentucky et en hommage à son ami Red Rodney, trompettiste junkie rencontré à Lexington. L’album n’est pas forcément destiné aux fans du MC5, mais comme la curiosité est un vilain défaut, on ne rate pas une telle occasion d’aller y fourrer son nez. La bonne nouvelle, c’est que l’album peut captiver le profane. Brother Wayne swingue la couenne de son jazz, à la Jerry Mullingan avec des beautiful shades biseautées. Le cœur battant de ce bel album ouvre le bal de la B et s’appelle «The Wayne In Spain». Brother Wayne y passe un sacré solo de Spain, porté par un big fat groove de basse et va se fondre dans le free du sax. C’est l’appel du free qu’on trouve dans «Ramalama Fa Fa Fa». Brother Wayne intervient un peu comme Dick Dale, filant sous la surface avec l’aileron bien cinglant. Il télescope de plein fouet le chaos de cuivres et il tsunamite toute la dynamite. Très spectaculaire ! Dans «Elvin’s Bues», il trame un concert d’atonalité à l’angle du block des blacks et termine cette édifiante récré avec cet excellent groove de jazz bottom qu’est «Spectrum Suite».

Ces dernières années, Brother Wayne a multiplié les projets polymorphes : DTK/MC5 à Londres et à Paris, et d’autres micro-événements comme ces coups montés avec Primal Scream et plus récemment, LAMF Live At The Bowery Electric, l’hommage aux Heartbreakers avec Clem Burke, Walter Lure et Tommy Stinson (Replacements). Le concert enregistré au Bowery Electric en 2016 existe aussi bien sur vinyle que sur DVD, et le conseil qu’on peut donner est de voir le DVD, car l’album ne donne aucune information sur le qui fait quoi. On reconnaît bien sûr la voix de Wayne Kramer, mais pour le reste, c’est compliqué. Les inconditionnels des Heartbreakers n’y trouveront sans doute pas leur compte, car on perd l’onctueux du chant de Johnny Thunders. Mais Clem Burke y fait un festival. Il vole le show sur «Baby Talk» et chante «Can’t Keep My Eyes On You» avec un certain brio. C’est d’ailleurs sur cette belle version que Brother Wayne part en funky motion. Il fait lui aussi la pluie et le beau temps, il s’en va même jazzer ce vieux coup de boogie, comme s’il voulait enrichir un cut désespérément pauvre. C’est Stinson qui chante «Born To Lose» et «Baby Talk». Il gueule plus qu’il ne chante. Brother Wayne joue sur sa star & stripes et reste étrangement en retrait. Walter Lure prend «All By Myself» au chant et quarante ans plus tard, il conserve une certaine classe. On voit arriver Jesse Malin pour «I Wanna Be Loved». Bien gavrochard, il veille à rester à la hauteur de sa réputation. Walter Lure prend «Chinese Rocks» au chant et Brother Wayne joue ce vieux cut mythique sur la petite Les Paul jaune de Johnny Thunders. On voit arriver Cheetah Chrome sur «Pirate Love» et une nommée Liza Colby prend le taureau de «One Track Mind» par les cornes. Quelle niaque ! Pas toute jeune mais pleine de niaque urbaine. Brother Wayne prend le chant sur «Let Go» et «Do You Love Me». Et comme toujours sur ce genre de support, on trouve des interviews dans les bonus. Celui de Brother Wayne vaut le détour - It’s a little bit of nostalgia and a little bit of nostalgia is not a bad thing - Quant à Clem Burke, il rend un très bel hommage à Jerry Nolan.

L’autre gros film participatif est ce concert du DTK/MC5 filmé à Londres. Le DVD s’appelle Sonic Revolution. A Celebration Of The MC5. Live AT London’s 100 Club. DTK pour Davis, Thompson & Kramer, les trois survivants. C’est l’époque où Brother Wayne porte des lunettes sur scène. Nike Hellacopter fait aussi partie des effectifs. Beaucoup plus vieux que les autres, Michael Davis reste sérieux comme un pape. On voit Nike Hellacopter chanter «Gotta Keep Moving». Machine Gun tape ça si sec ! C’est en place, extrêmement carré. Michael Davis chante «Shaking Street», et on peut admirer sa bobine de vieux pirate taillée à la serpe. Et voilà que Dave Vanian radine sa strawberry pour une triplette de classiques, «Tonight», «Looking At You» et «High School». Vanian est frais comme un gardon des Carpathes. On se régale bien sûr du solo de Brother Wayne sur «Looking At You», l’un des plus fulgurants de l’histoire des solos fulgurants. C’est à Nike Hellacopter que revient l’honneur de chanter «American Ruse» et toute la magie du MC5 se répand une fois de plus sur la terre. Ils nous jazzent «Rocket Reducer» d’entrée de jeu et Lemmy vient rendre hommage aux Detroiters avec «Sister Ann». Qui vient nous kicker «Kick Out The Jams» ? Ian Astbury, le Cult man en personne. Il s’en sort plutôt bien. Pas facile de passer après Rob Tyner. Dans les bonus, on tombe sur deux séquences en noir et blanc d’une émission d’époque qui s’appelle The Lively Spot. C’est de la dynamite. On voit ce génie de Brother Wayne prendre son solo sur «Looking At You» et Fred Sonic Smith prendre celui d’«American Ruse» en twistant. Fucking grrrreat ! Et Brother Wayne rappelle qu’avec le MC5, il voyait des nouvelles possibilités, a new life style, quelque chose de plus viscéral. Ça s’appelle une vision.

Encore du gros participatif avec Black To Comm, paru en 2011, qui met en scène Brother Wayne et Primal Scream. Grâce à Easy Action, on peut voir sur DVD ce fantastique concert du Meltdown filmé à Londres en 2008. Les Primal Scream s’en sortent avec les honneurs, mais c’est Brother Wayne qui crée l’événement. Il chante avec le dos raide, le cul tendu vers un autre avenir. Il danse beaucoup, on sent chez lui une fantastique envie de jouer. Il arrive en costard blanc avec sa Strato stars & stripes et il attaque avec «Rambling Rose», comme au bon vieux temps. Michael Davis ventripote dans son T-shirt rouge et Dennis Thompson disparaît derrière ses fûts. Le deuxième guitariste s’appelle Adam Pearson. Right now ! It’s time to ? C’est William Duvall, le chanteur d’Alice In Chains qui fait le Rob. Il le fait admirablement, avec le même timbre de voix et la même afro. Brother Wayne danse le twist et passe un grand solo liquide dans Kick Out. On le voit naviguer dans ses gammes. Il explore toutes les ressources du manche. Nouveau coup de burning down avec «Come Together». Le mec d’Alice est just perfect, il fait aussi un «Motor City’s Burning» d’une criante véracité. Ils font ensuite exploser «Call Me Animal» et tapent «Sister Anne» aux accords d’atonalité. C’est très spectaculaire - She’s my sister Anne - Le grand Brother Wayne danse sur ses accords, il adore jouer les vieux power-chords de Chickah Chuck. L’étonnant est que tous ces cuts restent d’une grande modernité. Ils sont comme revampés. Duvall demande à la salle : «Are you gonna pay the cost ?» Et c’est l’énorme «I Want You Right Now» ! Fantastique embellie ! C’est ultra-chanté et riffé à la Kramer sur des déliés de bassmatic très mélodiques. Brother Wayne reste implacablement racé, il perce la fournaise à jets continus. C’est un fabuleux déblayeur de territoires. Il répand de vastes nappes d’organdi. Encore pire avec «Over & Over» ! Nouvelle giclée d’épaisseur magistrale, les effluves mélodiques montent immédiatement, chorus sublimes, le hit s’enflamme par sa seule beauté intrinsèque. Les arrangements d’harmonies vocales en font la huitième merveille du monde. Le grand Brother Wayne multiplie à l’infini les enrichissements et les solos sont des horreurs perforantes joués dans l’éclair du Kramer Sound. Les Over & Over éclatent dans la légende des siècles. Brother Wayne reprend le refrain en biseau avec un solo à jets continus. Il faut le voir sauter avec sa vieille guitare ! Michael Davies lance «Looking At You» au riff de bassmatic. Brother Wayne le danse. Comment résister à ça ? Impossible ! Il fait la danse du scalp et part dans des gammes pour aller titiller son bas de manche. Il nous sort là l’un des plus beaux solos de l’histoire du rock avec celui de Jimi Hendrix à la fin d’«All Along The Watchtower». Il le développe à l’infini, comme si c’était possible. Il passe même un deuxième solo à l’océanique. On croit qu’il tue ensuite le show avec «I Believe To My Soul», mais non, il profite de l’occasion pour prendre un autre solo d’une beauté plastique mirifique. Il ne regarde même pas où il met les doigts. Et ça repart de plus belle avec «Human Being Lawnmower», un rock monté en coupole de basilique et strié d’éclairs de départs en vrille. Brother Wayne renverse systématiquement toutes les situations. Ils terminent avec «American Ruse». «Sounds like more of the American ruse today», annonce Brother Wayne, encore une belle machine - Just take a look around - Que de hits ! Pour finir, Primal Scream revient se joindre au DTK, ça donne quatre guitares (Andrew Innes, Barrie Cadogan, Adam Pearson et Brother Wayne), deux basses, deux batteurs et deux chanteurs. Brother Wayne danse et il a raison car c’est l’enfer sur la terre avec une version démentoïde d’«I Can Only Give You Everything». Bobby Gillespie est bien dans le coup et ça repart de plus belle avec le «Movin’ On Up» de Primal Scream. Très spectaculaire ! Brother Wayne y descend un sacré solo de Stonesy. Ils vont finir avec une version explosive de «Ramalama Fa Fa Fa» et l’effarant «Black To Comm» qui n’a rien perdu de ses vertus aphrodisiaques.

Pour en finir avec les films, on peut aussi consacrer une heure au film de Leni Sinclair paru en 2005 et qui s’appelle tout bêtement MC5 Kick Out The Jams. C’est un montage de plans divers, certains filmés en plein air et d’autres au Grande Ballroom, notamment cette version explosive de «Kick Out The Jams» qui fout tant l’eau à la bouche, car oui, ça blurpe sur les murs, flashs d’images des chemises à paillettes, de Sonic Smith en grand écart, de bonds, de flash killer toxic brew, de stars & stripes, de Machine Gun courbé devant, du Rob en rab, éclairs d’ultimate rock’n’roll, pochette d’album en mouvement, destroy oh boy et on se remet à peine du choc que le MC5 repart sur le heavy sludge de «Black To Comm» et ça s’aggrave encore avec l’hyper-heavy blues d’«I Want You Right Now». Oui, toute une époque, diront les pépères qui ont vécu ça en direct. Rien ne pouvait déboulonner le MC5 du trône. Ces images ne parlent que de puissance, même si le film tourne en eau de boudin de slashing hallucinatoire, c’est sans doute une volonté artistique d’acid trip, gestes et sons décomposés, délires des saxes, Sinclair fait son fix, éclairs de lumière, chemises intermittentes, puis ça bascule dans le my hometown is burning down to the ground, the pigs in the street, freakout ! Rien de plus incendiairement séculaire que «Motor City’s Burning», baby.

Signé : Cazengler, Wayne Kramerde

Primal Scream/DTK MC5. Black To Comm. Box Easy Action 2011

Wayne Kramer & The Lexington Arts Ensemble. Lexington. Industrial Amusement 2014

Gang War. Gang War. Demilo Records 1990

Gang War. Street Fighting. Skydog 1993

Gang War. Live At The Channel Club. RER Entertainment 1995

Dodge Main. Alive Records 1996

Racketeers. Mad For The Racket. MuscleTone Records 2000

MC5. Thunder Express. Jungle Records 2018

Lure Burke Stinson Kramer. LAMF Live At The Bowery Electric. Jungle Records 2017

Lure Burke Stinson Kramer. LAMF Live At The Bowery Electric. DVD Jungle 2017

Leny Sinclair. MC5 Kick Out The Jams. Music Video 2005

Sonic Revolution. A Celebration Of The MC5. Live At London’s 100 Club. DVD MuscleTone 2003

MONTREUIL / 11 - 10 – 2019

L'ARMONY

CRASHBIRDS

AVANT LE CRASH

Les Cui-Cui sont de retour à L'Armony, leur passage annuel, c'est comme pour les palombes en Gironde, toutes les fines gâchettes se donnent rendez-vous devant le bar. Z'oui mais là ce n'est pas tout-à-fait le même scénario, le jeu est inversé, ce sont les volatiles qui vous tirent dessus, de sacrés snipers, vous dégomment en moins de deux morceaux. Certes quand on arrive un peu à l'avance, Raphël Rinaldi, l'organisateur, qui a aussi pris les photos de la pochette de leur dernier CD, est soucieux. Il y a le rendez-vous des artistes à L'Albatros, à deux rues d'ici, certes nous n'éprouvons aucune inimitié contre le palmipède chéri de Charles Baudelaire, ni contre les peintres, ni contre les illustrateurs, ni contre les grapheurs de tous genres, mais enfin, pas de souci à se faire avec les Cui-Cui, c'est du tout cuit, et en effet à peine esquissé le début de l'intro que la salle se remplit, et les péniches humaines se pressent contre le comptoir afin d'écluser la bière bienfaitrice comptant bien se remplir autant les oreilles que leur estomac, que nous n'oserons pas qualifier d'autruche.

PENDANT LE CRASH

Des kilomètres de fil jonchent l'estrade, vous savez ces labyrinthes entremêlés dont une seule corde vous permet d'accéder au coffre à trésor, dans les illustrés pour gamins, à part qu'ici, pas de fausse donne, et deux merveilles à rejoindre. Premier Cui, sur votre gauche, Pierre Lehoulier. Ce soir il a la guitare plus aérienne que d'habitude, l'adore commencer par un riff qui s'évapore comme l'intempestive fumée d'un cigare mallarméen vers le plafond, pareil pour terminer, nous fait le coup de l'avion qui file droit, pas du tout lentement, mais sûrement vers la terre, l'on comprend qu'il va s'écraser, avec son lot de passagers, mais ce n'est pas grave, les malheurs sont si habituels sur cette planète, que l'on ne s'émeut point, même qu'on applaudit. Que voulez-vous les Cui-Cui ont leur côté crash.

Pourquoi Pierre joue-t-il assis ? C'est pour mieux courir mon enfant. L'est comme cela Lehoulier, il est la seule Pierre au monde qui roule tout en restant immobile. L'a résolu le problème du moteur immobile d'Aristote. Deux mille cinq cents ans que l'on cherche à comprendre, et lui il vous montre comment ça marche en deux secondes et demie. Un des très rares guitaristes qui ose venir sur scène en pantoufles. Sonologiques il est vrai. Deux caisses sonores qu'il a traficotées lui-même, les écrase alternativement de son godillot. Il martèle le rythme. A la manière des nains qui forgeaient dans les mines l'anneau funeste des Nibelungen wagnériens. N'en sort pas un bruit de trompettes sonnantes et claironnantes, mais un son obsédant de tambourin chuintant, un truc prégnant qui s'infiltre partout jusque dans votre moelle épinière, une impression de raclette à nerfs, imperturbable et hypnotique, les yeux de l'anaconda de huit mètres de long de tube digestif qui vous fixent durant une éternité et dont votre regard auditif ne peut se détacher.

Nous n'en avons pas encore fini avec Lehoulier. Faut savoir lire les indices. Ses boîtes qui crachent devraient vous faire penser aux cigar-boxes de vieux bluesmen du Delta, car les Cui-Cui, chaque fois qu'ils donnent au concert ils migrent dans le Delta. Trichent un peu, sont des modernes, ils travaillent à l'électricité. Rien ne sert d'être rétrograde, un peu de modernisme n'a jamais tué personne. De toutes les façons ceux qui en sont morts ne sont plus là pour se plaindre. Tout cela pour vous apprendre que Monsieur Lehoulier riffe à l'électrique, sur une Gibson aussi noire que votre désespoir. La couve comme un bébé, la saupoudre de talc toutes les cinq minutes. Don't talc too much !

Certains me reprocheront de manquer de politesse, que normalement l'on présente les demoiselles d'abord. Ni un oubli, ni une erreur, simplement j'ai gardé la plus belle pour la fin. Donc deuxième Cui sur votre droite. Je sais, depuis un moment vous ne voyez qu'elle, je ne peux même pas vous le reprocher. Delphine Viane, une symphonie de splendeurs automnales à elle toute seule. Une chevelure alezane qui tombe sur ses épaules, une tunique rubigineuse, et des jambes, de fines et flexibles lianes rehaussées de bottes léopards qui remontent au-dessus du genoux, une grâce féline de gazelle, une licorne rousse, une princesse renardière.

Vous la regardez et vous lui pardonnez tout. Par exemple cette cloche à vache, vous me direz que Pierre possède bien des pantoufles sonologiques, alors pourquoi n'aurait-elle pas le droit d'actionner du pied une métallique cowbell. C'est que voyez-vous, chaque fois qu'elle s'en sert, elle tinte sans fin, un glas qui vous glace le sang, un tocsin qui prophétise le déraillement du train, le naufrage du navire, la mort du petit cheval, le requiem de votre messe funèbre. Les Cui-Cui ont le blues noir, à la couleur de notre monde. Vous offrent leur musique mais ne font pas de cadeau.

Delphine et son port de tête altier. De déesse. Elle vous regarde droit dans les yeux, de ses pupilles de vipère, Diane chasseresse qui lâche ses chiens colériques sur vous, l'Hécate des carrefours qui vous récate en moins de deux. Elle chante comme l'on lance des coutelas entre les omoplates des lâches, une parole qui édicte, et condamne. Une voix de diamant claire et d'une limpidité extraordinaire, un véritable couteau de sacrifice. Avec elle le blues devient rouge. De sang. Et puis son sourire, moqueur, enjôleur, séducteur, une infante espiègle et ravissante qui découpe en tranches les vers de terre se tortillant de douleur pour s'amuser à la dînette avec ses poupées.

Elle a deux guitares, elle en change de temps en temps, comme l'on remplace une lame de guillotine non parce qu'elle serait émoussée mais juste pour que le condamné à la tête posée sur le billot ait le temps de réaliser que sa dernière heure s'approche. C'est ainsi, car quand le rock 'n'blues vous tombe dessus, cela doit vous faire mal.

Je vous les ai présentés un par un, mais pour que votre modeste QI puisse réaliser ce que donnent deux Cui-Cui qui jouent en même temps, les voici ensemble. A l'attaque, ou Pierre, ou Delphine, en première ligne. Mais bientôt ils se rejoignent et se complètent météoriquement. Delphine a la guitare nerveuse, vous plaque de grands drapés mélodramatiques, comme ces draps éclaboussés de sang que l'on agitait aux fenêtres pour prouver que la mariée était vierge, mais en fait son mari vient de l'assassiner, car il n'était qu'un tueur en série déjà en fuite. Pierre c'est toute autre chose, l'a la Gibson intérieure, il s'enferme en elle, ses doigts la farfouillent comme ces chirurgiens qui vous ouvrent le ventre et labourent de leurs doigts pressés vos chairs pantelantes car ils cherchent l'endroit de votre corps où vous cachez si bien votre âme, pour la transplanter dans le cerveau de la jeune épousée précédemment occis voici cinq ou six lignes. Que de toutes manières ils n'aimeront pas plus vivante que morte. Conte cruel ! C'est que chez les Crashbirds, il faut suivre, il ne faut jamais perdre le fil, les deux guitares se répondent et s'entrecroisent, vous racontent une histoire pas spécialement belle à voir mais si mirifique à entendre. Ce feuilleton vous le connaissez c'est le vôtre. Ces maudits oiseaux vous ligotent avec votre miroir. Facile d'y retrouver votre portrait, European Slaves, Shock Therapy, Stupidity, I want to kill you, We lobotomy, à croire qu'ils vous connaissent personnellement, vos haines, votre bêtise, votre statut social, non question qualité ils n'ont rien trouvé, pourquoi Delphine vous défie-t-elle de ses sourires narquois, pourquoi Pierre rentre-t-il en lui-même comme s'il ne voulait plus vous voir, alors ils brodent au point de suture sur nos tristes destinées.

Vous rappellent que le matin quand vous vous réveillez, rien n'a changé, le monde est toujours aussi laid et que vous n'êtes pas les héros que l'on attend. Juste des zéros négatifs. Vous l'écrivent noir sur noir, bleu sombre sur bleu sombre, trash sur crash, et vous vous apercevez que vous les suivrez jusqu'au bout du monde, car ils s'embarquent dans de longues chevauchées, ils croisent leur guitares comme des armes pour dévoiler et s'opposer à la laideur du monde. Ils ont le blues trash qui tache, ils ont le rock-crash qui crache, ils ont le grondement de la bête blessée, acculée, enfumée dans son terrier, qui ne se rendra jamais, prêts à égorger tous les chiens du renoncement qui s'y risqueront. Route de roots et pas de déroute. Rebelles jusqu'aux racines. Avec leurs guitares, avec leurs rythmiques, avec leurs longues litanies du désastre annoncé, ils vous emmènent jusqu'au bout de la nuit, car le ciel n'est jamais si bleu que lorsque le soleil du blues est noir.

APRES LE CRASH

Public médusé et puis entraînés en une danse d'auto-scalp. Finissent sous les acclamations, deux longs sets, sont infatigables, et plus personne ne veut partir, l'on reste devant ou dedans le bar, on discute, on s'extasie, l'on entame de longues conversations avec des inconnus. On les félicite, on les remercie, on les embrasse, sûr qu'on les reverra, nos Cui-Cui, avant, pendant, ou après le crash, il est des oiseaux qui se lèvent dans notre cœur et qui ne meurent jamais.

Damie Chad.

PARIS NEW MOON PARIS

RAPHAËL RINALDI

( Castor Music & Editions Granada / Sept 2014 )

 

Nouvelle Lune, non il ne s'agit ni d'un livre d'astronomie débordant de calculs incompréhensibles, ni d'un manuel de bobo-écologie qui renseignerait sur le jour idéal pour planter vos carottes dans les jardinières de votre balcon. Simplement un livre cent pour sang rock'n'roll, d'ailleurs le nom de Raphaël Rinaldi a dû induire quelques intuitions dans le cerveau des lecteurs de la chronique précédente sur le concert des Crashbirds. Attention la taille d'un aérodrome et le poids d'un porte-avions. Chez Granada ils indiquent la couleur sous leur logo en quatrième de couverture : Art Book. Une bonne nouvelle pour ceux qui n'aiment pas lire, très peu de textes, de très courtes introductions signées de Michel Pourcelot, guitariste des Catholic News, de David Dufresne, quel hasard son dernier livre Dernière sommation traîne sur la table du salon, de Marsu pas pilani pour un sou mais qui témoigne de l'aventure comme pas un, et un poème d'Elisabeth Carpentier-Drogoz, une fille qui écrit de la poésie ne doit pas être foncièrement mauvaise. J'oubliai dans le wagon de queue une interview de Roland Piqueras et Pierre Soler les activistes de ce phénomène lunaire parisien. C'est tout. Non j'omets quelques pages blanches sur lesquelles resplendissent de courts poèmes de quelques participants.

Pour ceux à qui l'on montre la lune nouvelle et qui n'aperçoivent que le doigt qui la désigne, voici de sommaires explications supplémentaires. D'abord une triste nouvelle, vous ne verrez jamais le New Moon, les promoteurs et les bulldozers l'ont sagement arasé. Un immeuble légendaire sis au 66 rue Pigalle. Un endroit mal famé. Voici deux siècles l'on retrouvait dans ces environs saumâtres des délinquants notoires dont l'Histoire a préservé les noms honteux, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Maurice Rollinat auteur des Névroses et Villiers de L'Isle-Adam, ceux qui ne connaissent pas son Axël par cœur ne méritent pas de vivre. Quelques décennies plus tard, sous la houlette de Ada Smith, le lieu surnommé le Brick Top's est une devenu une cave à jazz, fréquentée notamment par Armstrong, Bechett et le couple Fitzgerald. Si je ne m'abuse, de rares photos de ce lieu mythique ont égayé quelques chroniques de KR'TNT ! Plus près de notre temporalité s'y installa une boîte de strip tease lesbien. Enfin de 1987 à 1995, le New Moon. Une boîte à Rock qui joua le rôle que tint le Golf-Drouot à la fin des années cinquante. Voilà vous savez l'essentiel. Circulez, il n'y a plus rien à voir.

Enfin presque, le plus intéressant est à venir. Il a reçu au début de ce mois le prix Gus Viseur pour son œuvre photographique. Jusque-là tout est normal, il est photographe, il a un nom connu et respecté, dans les milieux rock, il s'appelle :

RAPHAËL RINALDI

N'importe qui peut être photographe – vous rajoutez tout de même un peu de talent – suffit d'avoir un appareil, mais ce n'est pas le plus important, faut avant tout être à l'endroit où il faut être. Cela ce n'est pas donné à tout le monde, ne comptez pas sur la chance, elle demeurera anecdotique, une affaire de courant souterrain et invisible qui vous happe, d'appel, la marque d'une destinée qui rejette le hasard dans les futilités du vécu. Raphaël Rinaldi s'en explique sans forfanterie et très succinctement, un gars, le copain d'un ami, qui le reconnaît devant un concert, et dont il a pris une photo, qui lui apprend qu'il vient d'ouvrir une boîte à rock fort et il le presse de venir si cela l'intéresse. En quelques minutes il deviendra le photographe attitré du New Moon, Vingt ans plus tard il a rouvert la boîte à archives, et surgis de la nuit du temps, voici trois cents clichés, pleine-page de carrés magiques qui nous mordent au visage.

Beaucoup de gens qui regardent des photos – ce genre de livres vous y engage – sont des platoniciens qui s'ignorent. Cherchent à reconnaître le guy figuré, sont en plein dans la réminiscence à tête chercheuse, ils sont tout fiers quand ils peuvent citer, tiens regarde c'est Taï Luc de la Souris Déglinguée, et celui-ci c'est Stiv Bator avec Johnny Thunders, et celui-là c'est Stéphane Guichard des Soucoupes Violentes... Avec un peu de chance, ce soir-là ils y étaient, voire ils auraient pu y être, c'est leur époque, le renouvellement du rock à l'orée des nineteens, c'est toute leur jeunesse, la plus belle époque de la vie. Photos-souvenirs et nostalgie, cette encre sympathique qui cache tant bien que mal nos faiblesses actuelles. Cette ancre qui nous retient dans des jours qui ont fui depuis si longtemps.

Je ne les critique pas, je partage ce défaut, le moindre parmi tous ceux qui fourmillent dans mon cervelle. Mais j'ai mes armes de parade. Non ce n'est pas ma science que je confiture, simplement je scrute pour savoir. Quoi au juste ? Je n'en sais rien. Le mystère des êtres, le parfum d'une époque épique devenue opaque. C'est un jeu dangereux. Tous les risques d'être déçu. Et si ces beaux personnages, ces postures rock dévoilaient en fin de compte l'envers du décor, la veulerie des uns, l'inconsistance des autres, l'auto-marchandisation de certains. Questions insidieuses, que sont-ils devenus, sont-ils resté fidèles à leur image. Se sont-ils trahis ( car l'on n'est jamais trahi que par soi-même ), sont-ils encore les vainqueurs flamboyants ou de simples perdants pitoyables...

Ces interrogations sans fines squashent les murs qui closent les impasses du passé. Ce n'est sûrement pas le bon chemin. Ce ne sont que des leurres, ce ne sont ni Little Bob, ni Didier Delaine, ni Monsieur X, ni les Portementaux... ce ne sont que des photos de tous ceux-là et de tous les autres, mais des photos de Raphaël Rinaldi. L'universel reportage est une chose, l'Artiste une autre. Si ce mot d'Artiste vous déplaît, vous paraît trop pompeux, prenez celui de voleur de lumière, de ravisseur d'enfants perdus, de capteur d'émanations solaires enfuies dans la nuit des temps. Soyons plus simple celui que nous regardons, ce n'est pas l'idole anonymement ou stariquement rock, mais une photo de Raphaël Rinaldi. Et cela change tout. Nous ne voyons plus le résultat, nous cherchons à entrevoir l'œil qui l'a fixé tel qu'en lui-même.

D'abord il y a le jeu. Rarement vous regardez une image seule. Pour le même prix Rinaldi vous en donne deux, avant que vous n'y jetiez les yeux, ce sont-elles qui se regardent, qui s'examinent, qui s'opposent en une singularité dialogique, les photographies se font signe. Très discrètement. Mais elles marchent par paire. Deux chaussures mais chacune suit quand même sa route à elle. Certes des mois, des années peut-être, les séparent, elles illustrent chacune un point temporel de l'ici et maintenant très limité, mais peut-être Raphaël Rinaldi veut-il nous dire qu'il existe une écriture des corps, que nos attitudes dessinent comme des lettres, certes chacun écrit ses propres mots mais nous utilisons un nombre réduit de graphèmes gestuels, et peut-être va-t-il plus loin, peut-être nous susurre-t-il que ce qu'il a cherché le long de ces nuitées rock c'est à retrouver l'alphabet idiosyncratique du rock'n'roll, cette singularité existentielle qui s'exprime en nous car nous sommes des rockers et non des employés de bureau parce que nos corps possèdent un abécédaire aux voyelles rimbaldiennes, aux consonnes ghiliennes, qui nous est commun, qui nous permet de nous reconnaître, mais qui reste langue inconnue, signifiance inconséquente, pour qui ne fait pas partie de la tribu.

Raphaël Rinaldi nous apprend à nous lire. Par un juste retour des choses c'est à nous de décrypter, de repérer les mots qu'il emploie pour nous décrire. Peu de couleur, à peine cinq clichés sur trois cents. Ce n'est pas qu'il préfère le noir et blanc. C'est qu'il a jeté son dévolu sur la nuance. Même quand le fond est blanc, même quand le fond est noir, ce qui tranche l'œil c'est le paquet des gris qui s'harmonisent, des pétales de fleurs sales – car la vie est une immonde saleté luxuriante - effleurées de légères tristesse, et de détresses perlées. Bien sûr, il y a des groupes qui font les cadors, des gars qui affichent leurs meilleurs profils, des filles qui essaient de nous bluffer avec leur charme discret, ceux qui sourient, ceux qui rient de toutes leurs dents, ceux qui brandissent des instruments comme des tomahawks, mais si vous y regardez de plus près, vous n'avez là que les paillettes incertaines et clinquantes du rock'n'roll circus, l'essentiel est ailleurs, dans cette grisaille de la solitude métaphysique qui étreint tous les individus. Ceux qui essaient de faire bonne figure, qui nous laissent croire qu'ils s'amusent comme des fous, et ceux qui laissent gicler hors de leur être toute leur neurasthénie rentrée. Alors parfois parce que les animaux humains ont l'air prisonnier d'eux-mêmes, Rinaldi nous tend une vue de Paris, un morceau de décor, un fragment d'instrument, veut-il nous montrer détails ou plans larges de notre cage ? Veut-il nous dire que lorsque nous faisons du bruit, un maximum de bruit, jamais nous ne comblerons le silence de nos finitudes grignotées par la mort ?

S'il en est ainsi, il nous rassure car il nous montre que le rock'n'roll est la seule arme que nous ayons pour nous défendre contre le monde.

UNE AUTRE HISTOIRE

D'ailleurs après la fermeture du New Moon, son décorateur Michl Ktii s'en est allé squatté La Miroiterie... Le rock ne meurt jamais.

Damie Chad.

JIM

HAROLD COBERT

( Coll : Miroir / PLON / 2014 )

 

Comme nos cervelles humaines sont étrangement faites. Il ne me serait jamais venu à l'esprit que l'on pût s'intéresser à Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau – Harold Cobert a consacré plusieurs ouvrages à ce personnage de la Révolution Française – et à James Douglas Morison. C'est une richesse du monde que certains esprits arrivent à tracer des parallèles sectionnantes entre des évènements ou des êtres qu'au premier abord rien ne réunit. Pourtant quand on y réfléchit quelque peu, l'on est obligé de reconnaître que ces deux personnages surent prendre des risques, mais peut-être pas ceux qu'ils auraient voulus.

L'on connaît le trajet politique de Mirabeau, partisan exalté de la Révolution en ses débuts et qui, nul n'est parfait, rate la guillotine en mourant de maladie dans son lit en 1791. Il ne fut pas le seul en son époque à éprouver le sentiment d'avoir, sous prétexte de presser quelques réformes des plus nécessaires, éveillé un monstre qui ne se contenterait pas d'abolir quelques privilèges historialement dépassés, mais qui se révéla très vite une hydre monstrueuse dont les mille tentacules entreprendraient de s'attaquer aux sacro-saints principes mêmes de la propriété privée. Que l'on brûlât un lot de châteaux soit, l'on ne fait pas de révolution sans casser quelques œufs, mais de là à changer l'art culinaire millénaire de domestication des couches inférieures garant de la survie des Sociétés Humaines, il convient de ne pas pousser la mémé dans les orties, ni Marie-Antoinette sous le couteau du bourreau. Un peu de retenue s'il vous plaît ! Parfois l'on n'est pas conscient des conséquences de ses actes, souvent perpétrés avec la meilleure bonne foi et empreints d'une juste sollicitude envers ses contemporains...

Jim Morrison connut un semblable destin nous assure Harold Cobert. Pour ce faire, notre auteur agit comme le serpent qui revêt une nouvelle peau. Il n'est plus Harold Cobert, il est Jim Morrison, et puisque nous rentrons dans son intimité, pour ainsi dire intérieure, il sera Jim. Le livre est écrit à la première personne. Monologue intérieur, à la Léopold Dauphin, n'oublions pas que celui-ci avait intitulé Les lauriers sont coupés la première apparition de ce genre de narration dans la littérature, une manière de dire que vu du dedans les motivations des actions d'un animal humain ne sont pas aussi reluisantes qu'il tente de nous faire le accroire par son comportement extérieur. Les calculs les plus égoïstes, les plus mesquins, les moins courageux sont au fondement de notre modalité de vivre et ne méritent point d'être récompensés par une couronne de laurier. Il existe une autre façon d'exprimer cet état de fait, moins césarienne mais bien plus crûment : les carottes sont cuites. Une fois que le vin est tiré, il faut le boire.

Et Morrison, des coupes de vin et d'alcool des plus forts il en a ingurgité des tonneaux ! N'est-ce pas un peu présomptueux que de se couler dans la personnalité d'un Jim Morisson ? N'allons-nous pas le rapetisser à notre image – n'est-ce pas ainsi que le dieu de la Bible a façonné l'Homme – ou à l'inverse lui insuffler une démesure à la hauteur de nos rêves. Aussi cette interrogation soupçonneuse d'honnêteté intellectuelle, le narrateur ne serait-il pas mû par une idéologie plus ou moins maligne ? Et puis qui peut se targuer de parler à la place d'un autre. N'est-on pas surpris par les agissements des personnes qui nous paraissent les plus proches et les plus chères. Questions insolubles. Harold Cobert y répond à sa manière. Consacre plus de vingt pages en fin de volume à citer la provenance et le texte in-extenso des phrases prononcées par Jim Morrison lors d'interviews privées et déclarations publiques qu'il a amalgamées à sa narration. Les admirateurs de Jim Morrison les auront reconnues lors de leur lecture mais je l'avoue elles ne semblent en rien jurer ou contredire l'ensemble des propos qu'Harold Cobert attribue de son propre chef et de par sa liberté d'écrivain au chanteur des Doors.

Nous sommes ce que nous sommes certes, et aussi ce que les autres veulent que nous soyons. Autant par acceptation que par refus. L'on est autant la victime de ses parents que de ses admirateurs. Morrison a détesté ses parents. Un père absent et autoritaire. Militaire de haut grade. Mais il en veut surtout à sa mère qu'il appelle sa marâtre. Il lui reproche de l'avoir fait dormir dans les draps mouillés de son urine de la nuit précédente. Une humiliation qu'il ne pardonnera pas, et cette mono-manie de vouloir à tout prix qu'il se coupe les cheveux – oreilles dégagées – même devenu le chanteur ''pop'' à succès. De jeunes lecteurs risquent de paraître surpris, mais la question des cheveux longs a été pour la jeunesse de Woodstock une ligne de fracture générationelle et idéologique des plus irrémissibles. D'un côté l'ancien monde, de l'autre l'aventure du nouveau. Pour Morrison cette vindicte maternelle envers sa chevelure il la vit en tant que castration symbolique. Ne lui reprochez pas une lecture freudienne, n'oubliez pas qu'il a bâti sa personnalité sur l'existence d'une force tellurique et sexuelle enfouie dans la psyché humaine, le vieux mojo de Morganfield, qu'il convenait de faire ressortir et d'étaler au grand jour. Tuer le père pour baiser la mère fut un de ses mantras opératoires. Il fut un grand baiseur, ne s'en cachera pas, s'en vantera et en souffrira lorsque ses abus d'alcoolique l'auront rendu impuissant.

Contradiction, l'un des plus grands chanteurs de rock de sa génération ne se destinait pas à devenir chanteur de rock. Son truc à lui c'était le cinéma et la poésie. Le cinéma – pensons à Elvis qui se rêvait davantage en James Dean qu'en Hank Williams – en tant que réalisateur, que démiurge, il pensait que c'était l'art moderne en quelque sorte total qui rendait au mieux la réalité du monde, mais durant ses cours à l'Ucla il se rendit de lui-même compte que sa propre vision des images ne correspondait pas à la vulgate communément admise, quant à son court-métrage de fin d'études il  suscita – soyons positif au maximum – une incompréhension totale.

Mais la cinéma n'était qu'un pis-aller, sa prédilection était la poésie. L'art majeur. L'arcane suprême. Mais il doutait de lui-même. Partagé entre la notion d'une poésie secrète renfermée sur elle-même que le poëte selon Edgar Poe se devait de ne confier qu'à de très rares – il est permis de sous-entendre à soi-même seul - et le désir de ces dérives déjantées sur les routes du monde américain qu' irradiait en lui la génération beat pour qui la poésie était avant tout une expérience du réel. C'est toutefois la poésie qui lui le conduisit au rock. Les sentiers de la création épousent d'étranges détours.

S'agissait au-tout début de mettre quelques textes en musique. Et de les chanter en public, pour voir l'effet obtenu. Ainsi naquirent les Doors. Mais à chanter chaque soir la musique et les textes devenaient expérimentation. Théoriquement il s'agissait d'ouvrir et d'enfoncer les portes de la perception, c'était aussi par l'entremise de William Blake mettre un pied dans la grande poésie romantique anglaise. Il existe des parallèles sectionnantes entre la vie d'un Shelley et le vécu d'un Morrison. Mais ce sont-là perspectives qui nous éloignerait de par trop de notre sujet. Et le public ne s'y trompa pas, joua son rôle avec application et docilité car qu'attend-t-on de lui au juste, l'est comme les orques des aquariums qui finissent par demander de plus en plus de poissons avant de dévorer leurs dompteurs.

C'est à partir du premier disque que tout s'emballe et que tout s'embrouille. The Doors est le résultat de tout un an de travail, d'une année entière de mise au point des morceaux. Certes Morisson y affine son concept d'opéra-rock, de théâtralision in-vivo du set, mais en même temps il forge les chaînes du Prométhée qu'il veut incarner. Et le chanteur se doit de se déchaîner, unbound a écrit Shelley. Le public vient le voir pour ses outrances. C'est le moment où il définit le groupe en tant que politicien-érotique. S'agit de baiser le public, de le mener au point de rupture libératrice et orgasmique. Se voit comme le torero qui préside la cérémonie sacrificielle. Mais au final, le concert fini, il ne se passe rien, le public rentre chez lui. Ceux qui contrôlent ce sont les flics. Morrison a beau parfois les insulter, cela ne change pas le monde.

Jim est sur la tangente. Est-il un chanteur de rock, point à la ligne, ou un meneur, un susciteur d'émeute collective. Il refusera toujours ce rôle. Il ne franchira jamais ce Rubicon. Erotique oui, politicien non. Ne sera jamais clair en ces écrits là-dessus. Ses non-gestes parleront pour lui. En attendant le bizness manage le groupe. Le fric impose sa loi. Vous démultiplie les possibilités et vous corrode. Morrison qui a toujours aimé l'alcool se met à boire de plus en plus, désormais c'est l'alcool qui le contrôle, à moins qu'il ne s'agisse d'une ascèse de la main gauche, devenir son propre et pernicieux Diogène pour se dégager de l'emprise du showbiz, du fric, de ses propres contradictions, de son personnage...

Le procès de Miami agit comme un révélateur. Le problème n'est pas de savoir s'il a montré ou non ses parties génitales lors du concert, ni de comprendre pourquoi il a suscité tant de haine de la part des autorités, c'est de prendre conscience qu'il est en train de perdre son corps, sa beauté, et sa puissance de chaman, que lui, le chanteur des outrances, est dépassé par lui-même, le gladiateur métaphysique s'est – a été – transformé en clown triste, croyait que son combat titanesque embrasait le monde, il n'est que le prestataire d'un numéro de cirque de second ordre. Les Colonels Parker vous castrent bien plus sûrement que les mères protectrices. Et le public adore ça.

Morrison décide de casser la machinerie. Change le scénario. Change de mythe. Il n'est plus un chanteur de rock. Le reptile se dépouille de toutes ses fausses peaux. Il devient urgent de ré-endosser l'originaire. Désormais le poëte retourne dans la patrie de la poésie. Dans la lointaine Europe. A Paris. Dans la rue où habita Baudelaire. Où Rimbaud rejoignit Verlaine. Changement de vie, d'existence, il n'est plus chanteur de rock, il n'est qu'un écrivain marchant sur les traces d'un Hemingway dans les années vingt.

L'a mis toutes les chances de son côté. Il emmène avec lui Pamela, sa compagne cosmique. Mais leurs deux planètes tournent en sens inverse. Pam s'adonne à l'héroïne et lui à l'alcool. Pamela retrouve son amant pourvoyeur de doses et lui traine et dérive de café en café. Et terribles détrouvailles, bien plus désespérées, la poésie n'est pas au-rendez-vous. Inspiration en panne. Plus de jus. La conscience de cette stérilité créatrice le rejette hors de lui-même. Si le poëte s'absente, le chanteur de rock repointe son nez. Mine de rien. Des doses à acheter dans les coursives du rock'n'roll Circus pour Pamela, la rencontre de quelques admirateurs qui reconnaissent l'idole du rock'n'roll, quelques titres* enregistrés avec des musiciens, une rencontre de passage dans un bistrot, tout se brouille dans sa tête, des lézardes dans le Roi Lézard, jusqu'à cette nuit où il respire un peu d'héroïne particulièrement pure. Son corps mort dans une baignoire. Détendu et souriant. Libéré de ses obsessions et peut-être surtout de lui-même.

Et le livre s'achève faute de combattant. Harold Cobert se laisse dévorer par son personnage. Pourquoi son livre ne serait-il pas la retranscription de bandes enregistrées par Jim Morisson, quelques jours avant sa mort ?

Damie Chad.

P. S. : * Pour la petite histoire ces fameuses bandes ont été authentifiées en 2017 et auraient été enregistrées en grande partie en 1969, ce qui oblitère quelque peu la péroraison finale du livre sans en altérer de beaucoup la qualité. L'on ne prête qu'aux riches. Tout les témoignages sur Jim Morrison qui nous parviennent ne sont que des reconstructions, avec les matériaux et leur datation plus ou moins fiable dont on dispose, ou des rêveries mentales soumises à toutes les imaginations personnelles qui s'y prêtent. L'on appartient autant à soi qu'aux autres. Quand on est mort il reste encore à mourir chez les autres. Ce qui est sûr c'est que le cadavre de James Douglas Morrison bouge encore dans de nombreuses âmes. Zombie-Morrison ! Cela lui ressemble. Mais un zombie cannibale qui se serait dévoré lui-même. Restons-en là, this is the end, beautiful friends.