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24/10/2018

KR'TNT ! 390 : PRETTY THINGS / EMITT RHODES / SONS OF A BLEACH / COHAAGEN / LILY / POGO CAR CRASH CONTROL / WALTER'S CARABINE / WAITING FOR THE ROYALTIES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 390

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

25 / 10 / 2018

 

PRETTY THINGS / EMITT RHODES

SONS OF A BLEACH / COHAAGEN / LILY

POGO CAR CRASH CONTROL / WALTER'S CARABINE

WAITING FOR THE ROYALTIES

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Oh You Pretty Things - Part Three

 

Ce ne sont pas 400 personnes qui sont allées au final bow des Pretty Things l’autre soir, mais 800, si l’on considère qu’un homme averti en vaut deux. Eh oui, les Pretties avaient annoncé la couleur. Dernière tournée et ultime concert à Paris, une ville que Phil May dit adorer. Il s’agissait donc d’un moment extrêmement particulier, la fin d’un grand épisode, certainement l’épisode le plus brillant de l’histoire du rock anglais. Les Pretties font partie de cette caste de groupes qui surent veiller à ne jamais décevoir leur fans, attitude d’autant plus difficile à observer qu’ils démarrèrent comme les Cramps ou encore les Stooges, avec deux albums qui aujourd’hui encore font figure de modèles insurpassables. Les Pretties ont payé fort cher leur intégrité, puisqu’ils terminent leur parcours à la Maroquinnerie, salle relativement petite, alors que dans un monde normal, ils devraient jouer à guichets fermés à l’Élysée Montmartre, avec des files d’attente s’étirant jusqu’au métro Barbès. L’intégrité est ce qui donne sa réelle valeur à l’art, quel qu’il soit, l’histoire fourmille d’exemples de peintres et d’écrivains brillants morts dans la pauvreté pour s’être prêtés à l’exercice de cette impitoyable rigueur morale. Dans la vie, c’est la même chose, on se rapproche naturellement des gens dès lors qu’on flaire ce subtil parfum d’intégrité morale qu’on appelle aussi élégance intellectuelle. On voit avec une consternation non feinte l’empire du m’as-tu-vu s’étendre de jour en jour et rien dans ce monde en mutation n’est plus difficile que de maintenir un équilibre relationnel classique, à l’ancienne. Et c’est probablement encore plus difficile dans le showbiz. Voilà la raison pour laquelle les Pretties constituent une sorte d’éclatant symbole.

Has been, les Pretty Things ? Tu rigoles ? Quand ils rendent hommage à Bo Diddley, ils ressortent leur vieille niaque de cinquante ans d’âge et là... En 1965, aucun groupe ne pouvait rivaliser de sauvagerie avec eux, et même s’ils ont pris un coup de vieux, ils restent inégalables. Phil May chante toujours avec cette conscience du raw et cette science du dirty, cette prestance du Come see me et cette intelligence du British beat. Quant à Dick Taylor, il reste égal à lui-même, il se situe bien au-delà des légendes et de ce qu’on peut en dire, il joue le Britsish beat comme s’il avait encore vingt-cinq ans, avec une précision et une force motrice qui normalement devrait en boucher un coin à tous les guitaristes, car encore une fois, Dick Taylor ne joue JAMAIS deux fois la même chose, il croise le meilleur psychout d’Angleterre avec le Diddley beat le plus raw qui soit ici bas, et oui, de voir jouer cet homme, c’est une sacrée bouffée d’oxygène. Fantastique guitar-slinger, aussi présent dans le son que peut l’être Chris Spedding, il coule son bronze sonique en permanence, il arraisonne les oraisons et catapulte les cataplasmes, il drive sa drouille et draine allègrement le flux du son. Dick Taylor joue en quartier maître, il fend les flots, le nez au vent et rien dans sa personne ne laisse transparaître la moindre trace de frime. Dick Taylor restera jusqu’au bout le quartier maître de l’absolu dirty, le pourfendeur de Sargasses et le coup de Trafalgar à deux pattes.

Pour les gens qui n’ont pas grandi avec les Pretties, c’est peut-être moins évident. Dans les années 2000, le guitariste qui jouait dans notre tribute band avait dix ans de moins que nous et mettait un point d’honneur à détester les Stones, sous le prétexte qu’ils n’étaient pas de sa génération. Quand un soir après l’apéro, on l’invita à se joindre à nous pour aller voir les Pretties qui jouaient à la Traverse, il déclara que le rock de vieux ne l’intéressait pas. Cette cloche joignait l’ignorance à la suffisance et nous éprouvâmes à son égard quelque chose de l’ordre de l’infinie tristesse. Il n’était plus temps de lui expliquer qu’avant d’être un problème générationnel, le rock s’apparentait à cet universalisme qu’on appelle aussi l’art.

Le fait le plus marquant est que les Pretties sonnent toujours juste, là où les grands groupes de l’époque du British beat encore actifs sonnent moins juste, à commencer par les Stones et les Who, qui sont passés à une sorte de rock plus institutionnel. Le seul qui comme les Pretties réussit à se montrer encore aujourd’hui superbement créatif, c’est bien sûr Ray Davies, dont les deux volumes d’Americana (Americana et Our Country) n’en finissent plus de raviver en nous tout ce qu’on pouvait vénérer chez les Kinks.

L’arrivée de Phil May sur scène l’autre soir vers 22 heures nous plongea dans un tourbillon introspectif plutôt malvenu, car l’important était de n’en pas perdre une seule miette, mais de voir cet homme de 74 ans monter sur scène pour driver le set d’un groupe qui fut jadis le plus violent d’Angleterre, ça dégingande quelque peu le métabolisme cérébral, et encore, quand on a dit ça, on n’a rien dit. Moment extra-ordinairement émouvant, au moins autant que la dernière apparition de Jerry Lee à la Vilette, ça se charge automatiquement d’un épouvantable pathos, celui qui s’empresse de signifier la fin d’une époque, la nôtre, le sentiment que tout va s’arrêter avec ces mecs-là, mais c’est beaucoup plus qu’un sentiment, ça porte le joli nom de fin des haricots, comme le soir où on apprit la mort de Gainsbarre et que l’idée d’un lendemain semblait tellement inepte. On voit nettement que Phil May accuse le poids de son âge, il sourit encore, mais l’âge affaisse ses traits, ses yeux se plissent, ses cheveux tombent, son corps se tasse, il semble plus court qu’avant, l’énergie lui fait atrocement défaut, la fatigue l’accable, il perd même un peu de voix, mais diable, il faut le voir claquer son «Mama Keep Your Big Mouth Shut» à coups de maracas, hey mama, toute sa vie il n’a juré que par Bo et il continue de ne jurer que par Bo, Bo le botte, hey big bad Bo, on sent qu’il aimerait bien mourir sur scène comme Mick Farren, la classe absolue, ce pourquoi tu es né, poussière tu redeviendras, oui mais poussière de la scène, baby, alors ouvre bien tes yeux car ce n’est pas SF Sorrow qui naît, c’est Phil May qui renaît, avec son «Bracelet Of Fingers» lancé, avec toute la bravado de sa jeunesse enfuie, comme une insulte à la figure de l’Angleterre bien pensante, et s’il monte sur scène c’est pour se battre pied à pied avec l’épouvantable réalité du vieillissement et du souffle court, Phil May ne lâche rien, il chante toutes les secondes de sa vie dans un ultime raout parisien et ça vaut l’or de tous les matins du monde, car rien n’est plus difficilement sublime que d’être le chanteur des Pretty Things, et tant pis pour ceux qui sont passés à côté. Tant mieux pour les avertis qui s’y trouvaient, l’ambiance était à la hauteur du set, il s’agissait d’un beau public de fans, avec une extraordinaire variété générationnelle, justement, pas mal de kids en quête de real deal. Car c’est bien de real deal dont il s’agit. Et rien d’autre.

Par contre, Dick Taylor ne semble pas accuser le poids des ans. Il conserve cette allure de pépère jovial qu’il affiche depuis vingt ans et n’en finit plus de scruter les premiers rangs par dessus ses lunettes. Et si la dynamique des Pretties reste intacte, c’est aussi et surtout grâce à l’arrivée en 2005 d’une section rythmique quasi-juvénile, George Woosey et Jack Greenwood, qui par leur sainte petite ardeur ramènent toute l’élasticité du beat dans l’os du raw, au point que lorsqu’on voit George Woosey chevaucher son wild walking drive de basse, on croit voir John Stax. Même niaque des bas-fonds à base de longs cheveux gras et de trait grossiers noyés de sueur. Col roulé sous la chemise pour Stax, marcel sous la chemise pour Woosey. Veston et big boots. Dos courbé, le drive, rien que le drive, dumb boy. Le beat des Pretties sentait bon la brique et la crasse des slums. Ah il faut voir ces cinq mecs gonfler les voiles du far out so far d’«I See You», il faut les voir swinguer «Big Boss Man» au maximalisme de la maximatose et groover «Mona» à la rampante, dans le bourbier de la légende des siècles, dans cette lumière de fin du monde et ces vapeurs âcres qui brûlent les poumons, et si on peut jerker une dernière fois sur «Midnight To Six Man», on se dit que finalement la vie valait quand même le coup d’être vécue.

L’obsession de Phil May et Dick Taylor ? Monter sur scène pour jouer les chansons de leur idole Bo Diddley.

Signé : Cazengler, pretty singe

Pretty Things. La Maroquinerie. Paris XXe. 19 octobre 2018

 

On the Rhodes again

Pour situer Emitt Rhodes, Paul Lester parle d’un petit prodige californien qui à l’âge de 19 ans devint un homme orchestre, before McCartney and Rundgren. Emitt devint une sorte de wizard en herbe au fond du garage de ses parents. Il installa une batterie, construisit un petit mur de briquettes légères pour isoler son magnéto en plastique et se mit à enregistrer ses compos. Quand il découvrit que Paul McCartney avait fait la même chose pour enregistrer son premier album solo, ça le conforta dans sa démarche. Quoi de plus naturel que d’enregistrer seul ?

Il est utile de préciser qu’Emitt n’était pas un bleu quand il commença à faire cavalier seul. Il avait déjà joué de la batterie dans The Palace Guard, puis chanté avec the Merry-Go-Round qui fut un temps le house-band du Hullabaloo sur Sunset Boulevard. C’est très intéressant d’écouter l’album des Merry-Go-Round paru en 1967 sur A&M : ils sonnent comme des clones des Beatles. C’est aussi avec ce genre d’album qu’on mesure l’impact pétrificateur qu’eurent les Beatles sur la jeunesse américaine. Tous les cuts de l’album sont frais comme des gardons de Liverpool, ça saute dans l’air immaculé et ça pullule de bonnes intentions. «Gonne Fight The War» pourrait très bien sortir de Rubber Soul, alors que «Had To Run Around» tape dans une veine plus américaine de type Byrds/Beau Brummels. Mais ils retombent aussi sec dans la Beatlemania avec «We’re In Love». Et ça continue en B, avec un «Where Have You Been All Of My Life» qui par son punch évoque confusément «Got To Get You Into My Life». On reste dans le bona fide beatlemaniaque avec «Low Down» qui pourrait sonner comme le Baby you can drive my car que l’on sait et on voit poindre le museau de la fuzz sur le dernier cut, «Gonna Leave Alone». Oh pas grand chose, nous ne sommes pas chez les Shadows Of Knight. Mais ce dernier petit hoquet fait figure de hit garage pop underground.

Son premier album solo, The American Dream, paru en 1970 - a classic of post-Beatles songcraft and proto-powerpop - est en fait le second album du Merry-Go-Round incomplet : le groupe splitte en 1969, Emitt fourbit le complément avec ses compos et met son nom en gros sur la pochette. Il entre en studio avec la crème de la crème du gratin dauphinois de Los Angeles. C’est la raison pour laquelle on lit les noms d’Hal Blaine, de Jim Gordon et de Larry Knetchel au dos de la pochette. L’album paraît sous deux pochettes différentes, la deuxième étant particulièrement laide : on y voit le jeune Emitt poser devant un mur arrosé de bleu blanc rouge.

Il n’a pas besoin de préciser que les Beatles sont ses chouchous : il suffit d’écouter «Textile Factory» pour comprendre à quel point il les vénère. Il recrée le punch de «Rocky Raccoon», avec la même chaleur intrinsèque. «Textile Factory» semble sortir tout droit du White Album. On trouve aussi deux beautiful songs là-dessus, à commencer par «Pardon Me», pur jus de magie lennonienne. Emitt s’en va chercher les échos de timbre du magicien de Liverpool. C’est un vrai cas d’osmose. On croirait vraiment entendre John Lennon. Le seul autre rocker américain capable d’une telle supercherie, c’est bien sûr Ty Segall. Emitt chante au cousu d’or, à l’extrême sensitif. L’autre beautiful song se niche au bout de la B : «Til The Day After». Emitt partage avec John Lennon le même sens du dévoiement mélodique. Effarant ! Toute la B baigne dans la beatlemania de bon aloi : «Holly Park» n’est rien d’autre que du pur jus de beatlemania. On y retrouve tout l’entrain de John Lennon, les trompettes, l’éclat pop, il ne manque plus que les lunettes cerclées d’argent. Emitt sonne si frais qu’il frise même le Ronnie Lane. Avec «May Will You Take My Hand», Emitt débarque sur Coconut Beach pour un petit coup d’exotica. Ça sent bon les marimbas et la tiédeur des alizés. Les crabes des cocotiers s’enfilent des moritos à l’ombre des parasols. Emitt y donne tout bêtement sa vison personnelle d’«Obladi Oblada». Et «The Man He Was» ? Alors si ce n’est pas du pur jus de Lennon, alors qu’est-ce ? Emitt reste prostré dans le giron de son idole et délivre des chansons d’une beauté transie en transit. C’est encore pire avec «In Days Of Old». On croit tellement entendre la voix de John lennon qu’on se pose la question. Serait-ce lui ? Même morgue de pop. Extraordinaire sens de l’accointance.

Et hop, c’est parti. Il enregistre dans la foulée Emitt Rhodes qu’il considère comme son premier album solo : «I just wrote the songs and recorded them, and it became an album because I kept going.» Il se fait photographier dans les ruines d’un incendie. Inutile de préciser que l’album navigue au niveau du White Album. «With My Face On The Floor» reste l’une de ses chansons préférées. Il y sonne comme Ronnie Lane. C’est tellement parfait qu’on s’en tape sur les genoux, en proie à une vague de bonheur immaculé. Emitt éclate au grand jour et de manière spectaculaire. Cet album va tout seul sur l’île déserte. «Somebody Made For Me» sonne comme «Honey Pie» et «She’s Such A Beauty» comme «Martha My Dear». Emitt chante avec autant d’entrain que les Fab Four à leur âge d’or. C’est totalement inespéré de la part d’un Américain. Et il nous fait le coup du «Why My Guitar Gently Weeps» avec «Long Time No See». Ça paraît inconcevable et pourtant, Emitt réussit ce prodige. Il démarre sa B sur une attaque en règle lennonienne avec «Live Till You Die». Il va même chercher l’exact croisement de Lennon et de Lane. Il chante «Promise I’ve Made» avec l’accent de Liverpool au coin de la bouche. Il colle au terrain et jongle avec les registres vocaux. Ce cut mériterait lui aussi sa place sur le White Album. Il sort de sa beatlemania pour la première attaque américaine de l’album : «You Take The Dark Out The Night». Même s’il chante avec un faux accent de Liverpool, il swingue sa viande avec de vieux relents de bluegrass. Mais la Beatlemania reprend vaillamment le dessus. Spectaculaire osmose, et on se retrouve en plein «Martha My Dear». On s’émerveillera aussi de ce «You Should Be Ashamed» plus mélancolique, mais si raffiné. Il va plus vers le Sergent Poivre. Emitt monte son mythe, Emitt émet des ondes, Emitt amasse des amis.

Comme The American Dream et Emitt Rhodes sont parus la même année, Emitt se retrouve à l’âge de 20 ans avec deux albums en vente chez les disquaires. Mais comme le dit Paul Lester, it was too much too soon. Le label commença à mettre la pression. On demandait à Emitt d’enregistrer un nouvel album dans les six mois. Il pensait qu’il ne pouvait pas, car il avait mis neuf mois à sortir l’album précédent, en travaillant tous les jours. Mais en signant un contrat, il est tombé dans les griffes du business and I had a publisher, Eddie Shaw, who pretty much controlled me. L’horreur. Emitt ajoute qu’Eddie Shaw emplâtrait toutes les royalties.

Alors c’est le burn-out. Emitt flippe car il se sait incapable se sortir un nouvel album en six mois. Comme ça ne vient pas, Dunhill lui colle un procès au cul. Pour sortir de ce piège à rats, Emitt n’a plus qu’une seule chose à faire : leur filer l’album qu’ils réclament - That solved the problem.

Mirror paraît en 1971 sur le label de Lou Adler. Le cœur battant de l’album s’appelle «My Love Is Strong». Ce coup de génie se situe dans la veine de «Glass Onion». Emitt chante ça au tortillon écœurant de feeling - My mouth will water/ And my blood run warm - On assiste à un fabuleux contre-balancement du beat. Avec le «Take You Far Away» du bout de la B, Emitt replonge dans sa chère beatlemania avec un fondu de voix digne de «Norwegian Wood». Il s’en va chercher une sorte de psyché d’acou superbe. Il joue à la corde sensible d’excellence far-out so far - Never see the sun/ Nenver know the moon - «Birthday Lady» s’inscrit dans la veine du White Album et «Better Side Of Life» pourrait très bien être signé Lennon, car ça vibre de joliesse mélodique. Emitt s’amuse aussi à rocker sec avec «Really Wanted You» - Billy got two teeth out/ Got five slitches in the chin - Pur jus de Beatles rock - I was sleepless till dawn/ With a heart breaking down - Avec «Bubblegum The Blues», il va plus sur le boogie-piano à la McCartney. Emitt ruisselle de feeling. Il place des solos rampants du meilleur effet. Il reste dans le jardin magique de la beatlemania pour «Love Will Stone You», mais il parvient à imposer son style. Ce cut impressionne par sa santé - Love will stone you/ But you will come down - Il a raison, les histoires d’amour finissent mal en général.

C’est dans le laps de temps qui sépare Mirror de l’album suivant que se tient le procès. En plus le label lui demande de partir en tournée, d’écrire des chansons et de sourire. Emitt n’y arrive pas - So things were falling apart and I was just doing my best to survive - Il parvient quand même à enregistrer Farewell To Paradise - But by the time I delivered Farewell To Paradise I was done - Il était ratatiné, cuit aux patates - The problem was, music had become work - C’est exactement ce que dit le titre de cet album. En effet, il est beaucoup moins immédiat que les deux précédents, même s’il démarre avec un joli groove d’Americana intitulé «Warm Self Sacrifice» - Oooh I need yoooo - Emitt compte parmi les dignitaires de la dignité, parmi les indigènes de l’ingénuité, parmi les maroufleurs du chou-fleur - Some kinda real voice - Son «See No Evil» n’est pas celui de Television, il s’agit plutôt d’un heavy groove à la Steely Dan, paisible et vaguement oblong. On sent des tentatives, de faibles parfums pernicieux, un goût pour l’indicible caribéen. Quelque chose s’y tapit. Et quand il gratte «Blue Horizon» au banjo du Wisconsin, on comprend qu’il ne vit que pour une seule chose : la grâce. Mais cette fois, sa pop ne veut plus faire d’histoires et l’A s’éteint doucement, comme le songe d’une nuit d’été. On trouve de l’autre côté un groove ondoyant à la Marvin, «Nigths Are Lonely». Emitt chante au doux d’une glotte satinée, avec un sens aigu de la mesure. Cet homme caresse le vent dans le sens du poil. Il adore les rondeurs de la lune et ne dit jamais non à la vertu. Son «In Desperate Need» sonne comme un groove de poing serré. Il termine cet album de fin de non recevoir avec le morceau titre. Il s’en va y chercher l’embrun psychédélique. Il s’en va même softer le son et ouater le ciel, comme Eugène Boudin à Honfleur. On le voit glisser doucement vers un léger exotisme.

Après ce cauchemar, Emitt prit un job d’ingé son et de producteur chez Elektra. Il dit aussi qu’il a enregistré pas mal de trucs restés inédits. De qui faire baver pas mal de gens.

Après un confortable break de 43 ans, Emitt revient dans l’actualité avec un nouvel album, Rainbow Ends. Cette fois, les membres du groupe de Brian Wilson l’accompagnent.

Avec le temps, Emitt semble être devenu un spécialiste des coups de génie. C’est en tous les cas ce que tendrait à prouver cet album. Il suffit d’écouter «If I Knew Then» pour s’en convaincre définitivement. Il y propose une pop étrange mais solide. On note l’immédiate qualité de sa présence et la fluidité de son swing - Abandon all hope/ All ye who enter here - Il embarque sa pop au paradis - If I knew then/ What I know now - C’est d’une rare puissance, il échappe à tous les cadres, il crée un monde d’énergie subliminale, un monde à lui. On s’abreuve à la source de son énergie. Nouveau coup du sort avec «This Wall Between Us». Si tu es romantique, ça va te démolir - The wall between us/ What does it hides - Il s’interroge dans le courant de l’énormité qui l’emporte vers le large - I don’t know what you’re thinking/ I can’t read your mind - C’est assez monstrueux - If I could look behind/ Wonder What I’d find - Non, il ne parviendra jamais à lire dans ses pensées. Encore une pièce de choix avec «I Can’t Tell My Heart», joli balladif pianoté au clair de la lune et soudain ça explose dans un pont transitif incroyablement mélodique. C’est une merveille absolutiste, les accents dramatiques reflètent l’esprit d’un homme génial. Emitt atteint des sommets dignes de Burt Bacharach. Sa pop est d’une puissance hors normes. Oh il faut aussi écouter le morceau titre, qui va plus sur le big atmospherix, au sens septentrional de la chose, il couvre le jargon des horizons. Comme il va loin, il entraîne la prod dans son sillage mais en même temps, il semble devancer les notions de temps et d’espace. C’est très particulier. En lui brûle une sorte de feu sacré, il cherche en permanence la chanson parfaite et son always chasing rainbows explose. C’est d’une beauté spectaculaire - Head up in the clouds/ Though my dreams would never end/ But my eyes they’re open now - Il faut entendre ça, cette façon de jeter quatre vers parfaits à la face de Dieu. Avant lui, peu de gens avaient osé. C’est un cut qu’on écoute et qu’on réécoute sans fin, on ne se lasse pas de cette montée ultime et sublime. En vérité, tous les cuts de cet album tapent dans le mille. «Dog On A Chain» prend de l’ampleur au second couplet et dégage énormément de souffle - Don’t be the only one to compromise - Il va tout de suite dans la haute volée, celle qu’on claque aux accords du paradis - I was led like a dog on my knees - De toute évidence, ce mec a salement morflé. Encore de la heavy pop avec «Someone Else». Emitt pourrait bien être le grand trésor caché d’Amérique. Il ne chante que des hits faramineux. Il y a même un côté Dr John chez lui, comme on le constate à l’écoute d’«It’s All Behind Us Now». Oh l’admirable groove de Dr Rhodes ! - Let’s forget those things we said - En plus tout est extrêmement bien écrit : du son et du texte, comme chez Lawrence d’Arabie. «What’s A Man To Do» éclate dans la beauté du jour. Il chante à la saturation de timbre. Ce mec est un éploré de la beauté angélique - No easy answer - Il descend dans la mousse des sous-bois, au plus profond de l’âme humaine - Lord what’s a man to do ! - Les arpèges crucifient la mélodie au Golgotha du sentimentalisme. La heavy pop de «Friday’s Love» s’écroule comme une falaise de marbre dans le lagon argenté. C’est tout simplement explosif de pop culture. Emitt se laisse emporter par les dérives contingentes qu’il secrète. Il est l’artiste complet dont on rêvait. Lou Adler et les autres ont bien failli réussir à le détruire.

Signé : Cazengler, Emiteux

The Merry-Go-Round. A&M Records 1967

Emitt Rhodes. The American Dream. A&M Records 1970

Emitt Rhodes. Emitt Rhodes. ABC/Dunhill Records 1970

Emitt Rhodes. Mirror. ABC/Dunhill Records 1971

Emitt Rhodes. Farewell To Paradise. Dunhill Records 1973

Emitt Rhodes. Rainbow Ends. Omnivore Recordings 2016

Paul Lester : Hello Paradise ! Shindig #56 - May 2016

 

FONTAINEBLEAU18 / 10 / 2018

LE GLASGOW

SONS OF THE BLEACH

Les jeudis du Glasgow commencent à devenir chauds de braise. Un bon bar et un bon orchestre de rock, c'est tout de même la formule idéale à opposer aux frisquettes soirées automnales... qui tardent à venir. Mieux vaut prévenir que guérir, l'adage séculaire nous conforte en nos préventions. Surtout que ce soir l'on nous promet le nirvana. Qui serait assez fou pour rater une telle occasion !

Attention, cette soirée n'a pas tenu ses promesses. Nous nous en expliquerons plus loin. En plus comme l'entrée est gratuite, l'on ne peut même pas exiger le remboursement. L'on nous avait prévu du déplumé, de l'unplugged comme disent les ricains, bon, on n'a rien contre, mais le rock sans électricité c'est un peu comme la choucroute sans chou, certes vous cassez la croûte... Pas du n'importe quoi il est vrai, du pâté de roi, Sons of the Bleach est censé nous rejouer de la première à la dernière note le fameux MTV Unplugged in New York, un truc qui a branché pas mal de gens à l'époque et encore maintenant puisque il apparaîtra très vite que l'assistance connaît le répertoire par cœur. Un truc qui cloche cependant, alors que l'on attend le groupe, mais que font ces deux guitares électriques posées contre le pare-feu de la cheminée ?

SOAB # 1

Ne dites pas que vous ne les connaissez pas. Nous les avons croisés maintes fois. Krostif Rip a laissé à la maison la contrebasse qu'il slape chez les Jallies, s'est emparé de la guitare lead et du micro, l'a chargé Tom Sawyer de tenir la basse, et derrière les fûts c'est Kristens Manni qui affûte sec. Nous demande si l'on connaît l'Unplugged, notre réponse a l'air de le satisfaire nous prévient toutefois de faire gaffe parce qu'après avoir joué l'Unplugged Kurt Cobain s'est tiré une balle dans la tête. Ne nous inquiétons pas pour notre avenir se hâte-t-il d'ajouter, ils possèdent le remède miracle contre les dépressions, un peu d'électricité n'a jamais fait de mal à personne. En attendant il lance la danse à haute volée. Fûts et raffut, tel est son programme. Frappe lourde et puissante. Unplugged n'a jamais signifié sonorité chétive et maigrelette. Là-dessus Tom vous creuse des lignes de basse qui descendent tout droit en enfer, vous entendrez hululer la masse lugubre des damnés tout le long de la soirée. Kross nous montre tout ce qu'il ne faut jamais faire à une guitare semi-acoustique l'a fait moduler salement, ne cessera de l'électrocuter, lui arrache de ces notes à vous faire hurler de frayeur, et là-dessus il vous balance sa voix comme les Romains semaient du sel sur le sol de Carthage afin que rien ne repousse jamais sur cette terre maudite. Un larynx froissé, une voix saupoudrée de rouille et infatigable. L'est le bélier qui bouscule tout sur son passage, enfonce les citadelles de votre esprit et emporte au loin les remparts de vos rêves les plus fous. Une machine de guerre, vous dégoisent tout l'album dans l'ordre. Dans le désordre plutôt parce que dans la salle ça commence à tanguer force sept. Et personne n'a envie de rentrer au port se mettre à l'abri. Parfois ils échangent leurs instruments, mais c'est pour mieux revenir nous percuter avec leur distribution originelle. Puisqu'il faut choisir, insistons sur le Jesus don't Want me for a Sunbeam, des Vaselines qui vous prend de ces teintes sombres à vous demander si ce n'est pas vous qui êtes cloué sur la poutre fatale, le The Man Who sold the World parviennent à faire ressortir dans cette purée noire et grasse qu'ils nous versent à foison le côté arty de Bowie, et le dernier Where Did You Sleep that Night de Leadbally, une de ces berceuses mortuaires et inégalables dont le blues a le secret. Entre parenthèses l'on reconnaît dans le traitement du morceau l'influence du Zeppelin sur Nirvana. C'est fini, c'est bon, allez vous coucher. Notre batteur sourit aux anges. L'est manifestement soulagé que ce soit terminé. Non, il n'a pas sommeil. Tient seulement avant de se quitter à nous offrir l'aubade de trois derniers petits morceaux. Trois monstruosités cliquetantes d'électricité, des monstres ressortis des profondeurs abyssales, des espèces d'énormes cachalots aux arrêtes extérieures et empoisonnées. Trois cadeaux d'adieu.

SOAB # 2

Ce n'était qu'un au-revoir. Le temps d'écluser quelques boissons fermentées. Ce coup-ci c'est du sérieux. Bye-bye l'unplugged. A manger de la volaille, autant l'avaler vivante, avec les pattes, le bec et les plumes. Nirvana n'a pas enregistré que ce maudit trente-tours sans graisse ajoutée, le Soab exhibe une play-list de plus de vingt morceaux, des extraits de Bleach, de Nevermind, et de in Utero, personne n'est contre mais jamais ils n'auraient dû s'attaquer à Lithium – le troisième sur leur liste – parce que là ça a dérapé grave. Le lithium est un métal rare, sert à tout mais pas à n'importe quoi, a provoquer les fissions nucléaires – y eut une scission dans Nirvana à cause de ce morceau – comme à servir d'euphorisant, la fin de Kurt nous autorise à penser qu'il n'a pas su l'utiliser en ce sens. En tout cas sur le Glasgow l'effet fut galvanisant. Avouons qu'ils l'avaient bien mis en place, à tel point que le public emballé se chargeait des chœurs, mais à partir de ce morceau le concert est rentré dans une vitesse supérieure. Changement de dimension. Dans l'ordre naturel de la petitesse vous avez le timbre-poste et tout de suite après c'est la salle de concert du Glasgow, mettez soixante personnes dans votre vestibule et retirez la pendule pour respirer, dans le Glasgow il n'y a pas d'horloge, alors la foule coagule, ça déambule dans la compression, ça s'articule sur place, ça s'accumule sur ondulation, ça craticule de la capsule, et dans cette pâte mouvante épaisse comme un suc de glucose, vous observez portée à ébullition, d'étranges phénomènes vibrionnants, des courants se forment, s'entremêlent, se poussent, se repoussent, confluent et refluent, c'est la danse extatique, vous sortez de vous même et vous marchez à côté de vos pompes, vous êtes vous et vous êtes un autre, vous êtes mû par un entassement collectif, une entité schizophrénique envahissante, vous n'êtes plus plus qu'une masse prise dans sa propre nasse. Pour les trois musicos c'est pareil, sont comme les trois têtes de Cerbère réunies sur un seul corps, dix fois fois, vingt fois, trente fois, ils vont à chaque nouveau titre se lancer dans l'esthétique abracadabrante du dernier morceau, démarrage à fond de train, Kross aboie à s'en péter les cordes vocales, Tom pédale sur ses boîtiers nous tourne le dos pour mieux ravitailler en plein vol ses riffs d'énergie noire et toutes les deux minutes sur ses caisses Kristens vous rejoue en technicolor le Crépuscule des Dieux et la fin du monde, vous met un point final au néant de votre existence. Vous pensez que c'est fini, que vous êtes mort et même que c'est ce qu'il y a de mieux de ce qui a pu vous arriver dans votre vie tellement le final a été grandiose. Point du tout, c'est reparti, vous repassent le film depuis le début, Kross qui crache le tonnerre, Tom qui torpille les licks et Kristens qui vous achève à la masse de forgeron. Terminé. Sinistre plaisanterie, vous remettent le couvert, vous refont la scène, et dans la foule chacun y met du sien, chacun essaie son dernier pogo, son ultime déhanchement, les bras s'élèvent comme si vous tentez d'escalader l'espace pour vous extraire de ce brasier qui vous enroule de ses langues de feu. Et c'est reparti pour une nouvelle fois. Nos trois héros rechargent les canons à mitraille jusqu'à la gueule. La garde meurt et ne se rend pas. La foule compacte leur interdit de partir, de toutes les manières ils n'en ont aucune envie. S'arrêtent brusquement, plus un bruit, et vlan le coup du lapin musical qui vous brise les cervicales et c'est reparti pour la bastonnade maison, celle qui défie la raison. Cette fois this is the end, se défont de leurs instruments, mais non ils en sont incapables, le devoir sacré les appelle, alors ils les ceignent encore une fois pour que ça saigne une ultimate fois. Et le combat cessa faute de combattants lorsqu'à l'attaque de la der des ders, Kross s'aperçoit qu'il est devenu aphone... tout le monde se précipite pour les remercier, mais les serveurs affolés ont ouvert la porte en grand et nous enjoignent de sortir, on a mordu largement sur l'heure légale...

De l'unplugged de cet acabit, chez Kr'tnt l'on s'en fait livrer un trente-huit tonnes toutes les semaines.

Damie Chad.

LE MEE-SUR-SEINE19 / 10 / 2018

LE CHAUDRON

LILY / COHAAGEN

POGO CAR CRASH CONTROL

C'est dans les vieilles marmites que l'on fait les meilleures daubes. Les Amplifiés l'ont bien compris. Z'ont choisi le Chaudron pour cette nouvelle représentation. Public de connaisseurs à l'esprit ouvert. Alors ce soir nous ont préparé un salmigondis un tantinet disparate aux trois saisons. Printemps, hiver, canicule. Du Vivaldi électrique. La meilleure des ratatouilles pour fins gourmets aux estomacs d'autruche. Bon appétit.

LILY

Parfois dans la vie, les interrogations métaphysiques se jettent sur vous sans que vous n'ayez rien demandé. Post-folk, sur le flyer. Vous reconnaîtrez qu'il y a de quoi s'interroger. Vont tout de même pas offrir au public du PCCC, un truc de scout à la fleur bleue décolorée... Aussi dès que la première note retentit sans préavis, tout le monde se précipite dans les les escaliers, poussé par une saine curiosité. Le spectacle est étonnant.

Marie-Lys Leroux est toute seule. Le lys dans la vallée aurait dit Honoré de Balzac. Ce n'est pas vrai, sont cinq en tout, mais l'on ne voit qu'elle. Toute grande, toute blanche, aux longs cheveux noirs. Et surtout la voix. Elle ne chante pas, elle module, haut et fort, une incantation, une mélodie infinie, d'une sublime beauté. Un oratorio. Non ce n'est pas une diva qui aurait confondu le Chaudron avec une salle de répétition de l'Opéra de Paris. Ce sont les quatre garçons qui nous le prouvent. C'est compact ce qu'ils déversent, mais rien à voir avec du récitatif lyrique.

Un étrange mix, entre hardcore et poésie. ( Attention danger, éviter la chanson française ). Ce qu'il y a de sûr c'est que le public surpris a été très réceptif et les ont longuement applaudis. Apparemment l'originalité paye encore. Nous ont raconté une histoire en cinq mouvements. Cinq atmosphères. Cheminement d'adolescence. Passages de tendresse et récifs de colère. Les titres parlent d'eux-mêmes et permettent à chacun d'adapter et d'adopter le scénario. L'écorché Vif, Putur Froche, Danse, Mangolis, Le Mâle, ce dernier nous étant présenté comme un cauchemar...

Méfions-nous de Lucas Prieur, le batteur, dès qu'un instant de grâce s'éternise, il vous assène trois coups de bâto, à assommer un troupeau de bœufs et tout chavire à l'instant dans la cacophonie la plus délicieuse. Et les autres ne se font pas prier pour casser les œufs. De dinosaures. Alphonse fonce sur sa basse, Nicolas Ramanantsoavina ravine sa guitare mais le plus inquiétant se révèlera être Grégoire Meneret. De temps en temps il joue, le reste du temps il expérimente, tourne les boutons de ses boîtiers, laisse son instrument vagir par terre, retrouve la vieille manière des premiers bluesmen à n'utiliser qu'une seule corde, qu'il parcourt de deux doigts, vous a des gestes ronds qui me fond penser à un joueur de violoncelle et me donne raison quand il prend une baguette de Lucas pour archet. Manières bizarres de jouer, pour set étrange. Lily chante, elle danse aussi. Longuement, tourne toute seule au milieu de la scène, tandis qu'une pluie de notes dégringolent sur nous. Un set inédit. Qui dévoile un univers qui n'appartient qu'au groupe. Nous entrouvre la porte, mais c'est à vous de vous immiscer à l'intérieur et d'y faire votre trou, comme la souris dans la roue de gruyère. Public convaincu.

COHAAGEN

Une forteresse. Un bunker. Un blockhaus. Imprenable. Une sensation de puissance unifiée, un défi. Dès la première note vous comprenez que ces quatre gars n'ont pas besoin de vous. S'imposent d'eux-même. Impossible de les ignorer. De feindre que leur existence ne vous concerne en rien. La citadelle au sommet de la colline, que vous ne pouvez ne pas voir. Et craindre. Une musique refermée comme un poing mais aux arêtes tranchantes. Traces de sang de ceux qui se sont aventurés d'un peu trop près. Une menace. Un péril. Normal, Cohaagen n'est pas de notre monde. Personnage de science-fiction qui semble issu d'un roman de F. J. Ossang.

Warzoo, Soubib, Sdb, Odin se sont peut-être donnés pour mission de transcrire en musique pour les pauvres et faibles terriens que nous sommes les aventures et surtout les rêves et les pensées d'un héros hors-norme. Nous font défiler de visu une bande-son post-apocalyptique de notre futur. Warzo au chant manifeste par son dos souvent tourné le mépris que notre minusculité ne peut que susciter. Puisque nous sommes les animaux immatures d'un passé lointain. Sdb à la basse, Odin aux drums et Soubib à la guitare, déroulent une musique sans concession, froide, batailleuse, hérissée d'agressivité gratuite, une fureur concentrée dont il est difficile de définir le rôle de chacun. Une œuvre collective, une espèce de grenade refermée sur elle-même, une espèce de rubik-cube explosif sur lequel personne n'ose apposer sa main.

Une musique a-communicative, froide comme la mort, un ovni venu de demain, nos agilités mentales sont incapable d'appréhender son maniement, son utilité, d'où la fascination d'autant plus grande qu'elle exerce sur notre curiosité, qu'elle exige de nos imaginations. La musique de notre futur. Une espèce d'artefact d'intelligence pure coagulée qui s'oppose à nous en son mystère. Cohaagen est une zone limite. Une borne votive posée aux frontières de l'in-connaissance. Une énigme dont nous ne comprenons pas l'énoncé, mais qui devient d'autant plus obsédante, qu'elle focalise toute notre attraction, qui happe vers elle toute notre activité mentale, s'en empare et nous laisse désemparés tourner sans fin dans notre viduité. Nous a réduits à l'état de zombie stellaire et lorsque le set se termine nous applaudissons sans fin.

POGO CAR CRASH CONTROL

En attendant les Pogos. Lumières éteintes, sampler de gouttes électriques - stalactites du néant de l'angoisse - qui tombent une à une du robinet du rock'n'roll, dont la cadence n'augmente pas mais dont l'amplification se grandiosifie à chaque fois. A peine si on les perçoit sous la clameur qui se lève, se revêtir de leurs instruments comme les prêtres des cultes antédiluviens ceignaient leur chasuble pour procéder à d'immondes sacrifices humains. Le poëte qui rate le premier vers de son sonnet est mal parti. C'est pareil pour les Pogos. Pour eux ce sont les premières cinq secondes qui sont cruciales. Ou ce sera réussi, ou ce sera raté. La mèche du bâton de dynamite qui s'éteint est de mauvais augure. Je n'ai jamais vu les Pogos rater le car. Perdent tout de suite le contrôle de la folie ordinaire des êtres humains. Avec eux c'est le crash assuré, à l'instant.

Rage des paroles et outrage de la musique. Le P3C est une formule instable, volatile et explosive. Le tube de dentifrice ouvert qui explose et éparpille vos molaires dans la salle de bain pour finir par les incruster dans le miroir au-dessus du lavabo. Regardez-vous, rien de grave, vous souriez de toutes vos dents. Mais arrêtons de rêvasser. A sa batterie Louis donne le top départ du grabuge, ouvre la fabuleuse boîte de pandore des démons et merveilles. Mais c'est à Olivier de déchirer l'opercule, secoue le grésil tumultueux de sa chevelure, la mélange d'éructations inouïes tout en grattant furieusement sa guitare. Hay que tocar ! Hay que matar ! L'est comme ces toreros qui débutent la corrida en abattant tout de go le taureau au fusil à canon scié chargé de chevrotines. Une fois la mort rouge présente, la fête peut commencer.

A ses côtés Simon lui donne de fameux coups de pieds, de ces ruades intempestives sur les cordes de sa guitare, s'en sert comme le fil à couper le beurre de votre cervelle, l'a fait de funestes progrès en quelques mois, il tonitrue à chaque trou qui se présente, vous le remplit de brisures de haine sur le champ, mais ce n'est pas le plus important, vous entremêle les riffs avec les siens propres, et occasionnellement avec ceux d'Olivier – cela demande savoir-faire et concentration – résultat vous avez des passages qui ne sont pas loin des foisonnements à la New York Dolls.

Lola Frichet joue en solitaire. L'a son espace sonique en elle. Evolue dedans. De la même manière que les sorciers qui ne sortent pas du cercle protectif de leurs invocations aux forces du mal. Mais pas vraiment seule. L'est perdue dans son décompte fabuleux. Au sens dhôtellien de ce terme qui signifie que le hasard peut être vaincu. Se tourne vers Louis et revient vers nous. Se livre du poing et de la tête intérieure à des décomptes qu'elle connaît par cœur, court après le temps comme d'autres après eux-mêmes, et sa basse ajoute quelques grains opiniâtres de folie douce, belle et blonde au tumulte infernal. Elle est la rosée du chaos.

De trois-quarts profilé sur sa batterie, Louis luit de mille feux. Que serait le Pogo sans cette forge incandescente, il est la centrale atomique qui fournit à foison l'énergie nécessaire à l'opérativité alchimique du groupe qui se transcende en empruntant ce chemin de foudre qu'il trace tout droit sans jamais faiblir. Sans Louis, le secret de la condensation philosophale du rock'n'roll ne serait pas agrégé une nouvelle fois. Olivier rajoute à ce bouillon infernal les formules hymniques des textes pogoïques qui vous crachent à la gueule la frustration d'une jeunesse désespérément accablée par le monde qui l'entoure et dont elle n'est qu'un fragment autistique, incapable de se détacher et de devenir pleinement autonome.

Mieux vaut ne pas décrire la salle. Cela vous ferait mal. L'obtiendra à corps et à cris un rappel. Un seul défaut aux sets du Pogo, sont trop courts, demandent trop d'énergie. Par contre c'est comme les explosions nucléaires, une fois les atomes cassés, les radiations s'insinuent à vous et continuent à vous perforer l'esprit.

Damie Chad.

PARIS20 / 10 / 2018

BLACK STAR

WAITING FOR THE ROYALTIES

WALTER'S CARABINE

Juste à côté de La Mécanique Ondulatoire. La façade ne paye pas de mine. Zieutez l'étoile bowienne noire au-dessus de l'entrée. A l'intérieur, c'est tout beau, tout neuf, tout classe. Accueil sympathique et feutré. Grande salle, faux plafond piqueté de brillances rouges, Canapés confortables au fond, scène à l'opposé, sur le mur défilent des vidéos d'artwork. L'est sûr que l'on joue la carte underground chic. Parisien, mais pas parichien à punks. Le public sera au rendez-vous.

WAITING FOR THE ROYALTIES

L'on connaissait le One Dollar Quartet, mais ceux-là ils courent après les royalties. Galopent bien d'ailleurs. Sont quatre, trois grands mecs, Virgile Lassale à la lead, Quentin Leclercq à la basse, Patrick Maillet à la batterie, et au chant Claude Brun, une fille au prénom androgyne qui s'accorde à son look, froufrou de tulle pour terminer la robe courte et casquette à visière qui ne laisse dépasser que quelques fines mèches, tout à l'heure lorsqu'elle s'en défera le temps d'un morceau, une belle chevelure noire tombera sur ses épaules, mais le plus remarquable restera le bleu aigu de ses yeux qui darde et transperce. Dès Datsit, le premier morceau, le ton est donné, magnifiquement mis en place, réglé au millimètre, et la demoiselle montre de quoi elle est capable. Pas évident car les guys tricotent sec. Pas de temps à perdre, les morceaux sont constitués de brèves séquences qui se suivent sans rémission. Pas un labyrinthe, une succession de cellules si rapides que si vous décrochez une seconde, vous êtes perdu dans le canevas. Claude n'est pas pataude, virevolte là-dedans comme la libellule se joue de la surface de l'étang. Vous donne vite l'impression que c'est elle qui commande et que les boys s'arrangent pour la suivre sans obliquer de temps en temps du mauvais côté. Mais c'est l'ensemble du groupe qui est au taquet. Une escadrille d'oiseaux qui virent et revirent tous à la même seconde, sans que vous parveniez à présager le capricieux parcours de leur vol, qui toutefois d'évidence repose sur une logique interne, ici syncopique, qui vous échappe mais dont la netteté du résultat s'impose. Ce sont les fins fulgurantes des morceaux vous laissent pantois. Claude vous expulse et vous claque la porte au nez et les garçons vous poussent les verrous. Ne vous laissent pas dehors très longtemps, vous ouvrent un autre portail et c'est reparti pour une autre visite, la voix de Claude joue à saute-moutons sur les oxers rythmiques, n'oublie pas de sourire pour vous montrer combien c'est facile. Parfois elle se saisit d'un tambourin dont elle se bat le flanc droit avec la méthodicité d'un tigre prêt à sauter sur sa proie et dont la queue qui balaie ses rayures trahit la jubilation interne. Et hop, d'un coup sec, pas vu pas prise, elle vous fouette de son cerceau de bois à clochettes les fesses de Virgile. Les félins ont tous les droits. Colle sa tête contre Virgile et Quentin, pour s'en éloigner aussitôt, mamours amicaux mais pas maman. Faut qu'ils bossent. Les titres se suivent, se ressemblent un peu mais vous séduisent tout autant. Un set sans faille, sans défaut, sans ficelle, du clair, du net, du précis, du brillant, le public s'est approché et fait les chœurs sur So Low. Z'ont gagné la partie avant qu'elle ne soit terminée. Depuis le début en fait. Terminent en flèche sur Miss Ketchup, Beware, et This is Only rock'n'roll. Rock'n'roll oui, mais surtout rock'n'pop.

WALTER'S CARABINE

Release party pour la sortie de leur nouvel album. Chroniqué in Kr'tnt ! 381 du 05 / 07 / 2018. Devais les voir à la Comedia, mais la préfecture de police en a décidé autrement... Pas question de les rater cette fois-ci. J'ai fait main basse sur toute leur disco donc rendez-vous la semaine prochaine pour les nouvelles kros... Souvent sur leurs flyers ou leurs cartes de visite les groupes définissent leur style en quelques mots, mais avec leur leur formule magique opératoire : Brutal Blues Garage Trio, les Walter's Carabineont ont résolu la quadrature du cercle du Connais-toi toi même delphique. Savent exactement ce qu'ils sont, des adorateurs du serpent bleu de la démesure du rock'n'roll.

Trio. Joe Ilharreguy à la quincaillerie, Foucauld de Kergorlay aristocrate du manche à six cordes qui vous laisse des marques aussi terribles que le chat à sept queues, et Marius Duflot au cromi et à la basse. Garage, pas une once de pure pop. Vous refilent les morceaux de barbaque bleue périmée avec ecchymoses à foison. Brutal car sans concession aux ambiances astringentes. Vous mettent le feu avec Time to Ignition, la brûlure au corps, la flamme à l'intérieur de l'âme, mais pas que, au monde extérieur aussi, social pour employer les mots brûlants qui fâchent, lâchés comme des brûlots bazardés sur le vieux monde. Nous ne sommes pas loin, d'une philosophie du rock à la MC 5, le pied dans la fourmilière et l'envie d'en précipiter un max aux ordures. La première partie du set démarre sur un tempo ultra-rapide, à la vitesse d'un incendie criminel qui se propage parmi l'herbe sèche. Joe sert les copains. L'a la frappe rampante qui s'insinue sous les guitares, ni vue ni connue, mais qui pousse à la roue comme pas une, c'est lui qui creuse la pente, la déclivité où les deux autres s'engouffrent à la manière de ces torrents de montagne qui dévalent et emportent tout en une course folle. Suis planté devant Foucauld et n'en crois pas mes yeux, ses doigts sur la guitare et sans arrêt le vibrato en main, le rythme en devient fuselé d'une légèreté extrême, fonce à toute allure, et puis la finesse du doigté, l'on dirait une onde prête à s'envoler. D'ailleurs à un moment la musique devient cosmique, un trip dans les étoiles mais aux morceaux suivants le groupe revient dans la réalité oppressante. Leave Your Job, Workaholic, dénonciation sans faille, Marius hache les mots, vocal qui gratte et qui scande et qui s'attaque aux poutres maîtresses de nos prisons, ne peut pas non plus face à la virtuosité du fou Foucauld, dum-dumiser tranquillou sur sa basse, s'en sert donc comme d'une seconde lead guitare, plus grave, mais qui marque au plus profond les entailles et les entrailles rythmiques, sur I want a Riot, la musique devient cri musical, appel explicite à l'émeute, hélas l'on ne sortira pas dans la rue afin d'exalter nos colères et mettre en pratique nos révoltes sans récoltes, alors le blues triomphe, s'en vient, surgit des guitares comme l'injustice, la faim et le désespoir s'abattent sur les pauvres, Marius à grands coups de pieds sur la scène l'appelle et le hèle, la guitare de Foucauld, pleure et gémit, et le serpent réveillé que l'on croyait mort et tronçonné à jamais, se cherche et recolle ses propres morceaux, dresse fièrement sa tête, et siffle, et trille les notes du refus de l'impuissance. Des cris fusent dans la salle, l'assistance retrouve d'instinct l'ambiance de B. B. King au Savoy, émulations cordiques, émulsions d'émotions dans la voix de Marius, sur sa batterie Joe ahane le monde, Foucauld le transperce de mille éclats d'épingles diaboliques, puis vous écorche une famille de chats sur son harmonica rugissant, une ondée maléfique de bonheur tombe sur nous, appelez cela comme vous voulez, Call It a Feeling, call it rock'n'roll, call it brutal devil blues, but call it Walter's Carabine !

RETOUR

En chemin vers la teuf-teuf, la vieille dame à la rue qui pue la pisse et la solitude à qui l'on achète de quoi bouffer, des enfants aux grands yeux qui dorment sur les trottoirs. L'étoile de la réalité est plus sombre que noire. On n'a pas le temps d'attendre les royalties, Walter tu as raison de prendre ta carabine.

Damie Chad.

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