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27/09/2017

KR'TNT ! ¤ 341 :KIM FOWLEY / MONTEREY POP / WISEGUYZ / ABSTRACT MINDED / INSANECOMP / ROCKABILLY GENERATION 2 / BRUNO BLUM / KERYDA

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 341

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

28 / 09 / 2017

TEXTES + PHOTOS SUR :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

KIM FOWLEY / MONTEREY POP / WISEGUYS

ABSTRACT MINDED / INSANECOMP

ROCKABILLY GENERATION N° 2 / BRUNO BLUM

KERYDA

 

TRISTE NOUVELLE

Disparition de Tina Craddock, soeur de Gene Vincent qui fut toujours au côté de son frère et qui a beaucoup fait pour préserver son souvenir et sa présence on the Rocky Road Blues...

 

Feu Fowley - Part Two

Paru voici cinq ans, le premier volet de l’autobiographie de Kim Fowley choque. De plusieurs façons. Un, par le riquiqui de sa taille. On s’attend à un volume de 500 pages et on se retrouve avec un petit recueil de vers et de prose dans les pattes. Deux, par la violence contenue dans le premier tiers du livre qu’il consacre essentiellement à ses souvenirs d’enfance. Et trois, par l’âcre parfum de génie que dégagent les pages et qui vous monte directement au cerveau. Kim Fowley, c’est de l’oxygène à l’état pur, mais ça, on le savait depuis 1972, l’année où on écoutait I’m Bad chaque soir en rentrant du lycée.

Alors commence le bal des évidences. Quel est l’auteur américain qui par le un et le trois se rapproche le plus de Kim Fowley ? Dylan, bien sûr. Fabuleux Dylan qui plutôt que de nous assommer avec un gourdin de 500 pages préféra nous glisser un petit ouvrage de prose, le fameux Chronicles, dont on relit les pages avec un plaisir aussi gourmand que celui qu’on prendra à relire les contes rassemblés dans L’Hérésiarque & Cie - De la même façon qu’Apollinaire, Bob Dylan et Kim Fowley auraient pu dire : «Oh mais j’ai la faiblesse de me croire un grand talent de conteur.»

D’autres parallèles s’imposent avec des auteurs dont la prose est si pure qu’on qualifie leurs ouvrages de ‘précis littéraires’. On pense à Guy Debord et à Maurice Sachs, et bien entendu à Drieu : Feu Fowley croise le destin d’Alain Leroy dans Le Feu Follet, récit mirifique d’exemplarité crépusculaire. Kim Fowley est mort sans s’être tiré une balle dans la bouche, mais il laisse cette extraordinaire impression d’existence furtive, comme s’il n’avait jamais eu de prise sur la réalité. Il précise d’ailleurs qu’il n’a jamais possédé ni meubles, ni maison, ni famille. Comme Jacques Rigault, dadaïste furtif que Drieu prit comme modèle pour son Feu Follet, Kim Follet traverse la culture d’une époque et se volatilise dans une poussière d’étoiles, laissant derrière lui une poignée de disques et quelques feuilles de prose. Qu’on comprenne bien qu’un personnage comme Kim Fowley n’est pas un gadget, ou pire encore, un objet de spéculation chez les Thénardiers du vinyle. Au même titre que Bob Dylan, Kim Fowley est l’un des artistes les plus brillants, les plus complets et les plus fascinants du XXe siècle.

S’il est une chose qu’il réussit à merveille, c’est assener des vérités. Il commence son ouvrage ainsi : «Les deux moteurs du rock sont le sexe et la vengeance. Vengeance contre les membres pourris de la famille, les copains retors, les profs sadiques et les ennemis du voisinage, tous ces gens qui pensent que vous n’avez ni talent, ni magie, ni avenir.»

Mais le conseil qu’on pourrait donner à ceux et celles qui n’ont pas encore lu ce fatidique livruscule serait de commencer par la fin, car Kim Fowley y salue son lecteur de manière émouvante : «J’en ai bavé pour écrire ça. Je voulais simplement que tu saches que j’ai vécu sur cette planète. Que j’ai cherché une femme, qui soit aussi une amante et une amie. Merci d’être mon amie. On a traversé ensemble les miroirs du passé et du temps présent. Mais il n’y a plus d’avenir pour Kim Fowley. Seulement des ennuis. N’oublie pas de lire les deux volumes à paraître. Ils changeront ta vie. Et maintenant, prie pour moi, cette nuit. Je suis déjà parti, quelque part dans l’obscurité où je cherche un trou pour m’y enfouir. Ce livre est dédié à la fiancée de Frankenstein. Hélas, je ne l’ai jamais rencontrée. Tâche d’être heureuse dans ta vie. Merci de m’avoir consacré ton temps.»

Nous sommes tous la fiancée de Frankenstein. Dans la mort comme dans la vie, Kim Fowley fonctionne en termes d’universalisme. «Si j’étais mort en 1959 avec Big Bopper, Buddy Holly et Richie Valens, ou mort d’une overdose en 1969, et que j’avais laissé ce livre en souvenir, vous vous seriez tous extasiés. Sauf que le jour de leur mort, je suis allé à Hollywood. Ce que j’essaye de te faire comprendre, c’est que j’ai vécu le rock même après qu’il soit mort avec la mort de Buddy Holly. Je suis encore en vie, sous perfusion, avec l’esprit au bord de l’abîme et quelques derniers éclairs de lucidité. Je traverse tout ça juste pour essayer de produire encore un peu de magie. Je raconte dans ce livre le fond de toute cette histoire qu’on appelle le rock et la façon dont ça fonctionnait. Je ne fais que raconter des anecdotes.»

Comme Nietzsche avant lui, Kim Fowley se montre humain trop humain, et de la griserie des rencontres naît une sorte de gai savoir qu’il nous restitue sous la forme d’une pluie d’hommages : «Qui étaient les meilleurs ? J’ai déjà cité leurs noms, John Lennon, Jim Morrison, Jerry Lee lewis, et puis aussi Etta james, Sandy Shaw et Dusty Springfield. Mary Weiss a eu de grands moments, elle aussi, God, quels disques ! Phil Spector : sensational. Encore des noms évidents, Joe Meek et George Martin. Roy Orbinson, c’est Dieu. Quand il ouvre le bec pour chanter, c’est la même chose que le mec des Ink Spots ou celui des Skyliners, Jimmy Beaumont. Je veux dire : wouah ! Lorsqu’ils ouvraient le bec pour chanter, ils te changeaient la vie.» En contrepartie, il ne fait pas de cadeaux aux demi-portions : «Frank Zappa était très doué, mais il n’était peut-être pas aussi doué qu’on le disait. Surestimé. Comme tous ces mecs, Nick Cave, Elvis Costello, Nick Drake, on leur donne le bon dieu sans confession. C’est vrai qu’ils étaient relativement bons, mais pas si bons que ça. Tout le monde a de grands moments, mais aussi des moments ennuyeux, ou pas de moments du tout.»

Certaines pages peuvent donner le vertige comme celle qu’il consacre à son vieux camarade PJ Proby : «C’est le meilleur interprète de rock qu’il m’ait été donné de côtoyer dans un studio. On lui montre une chanson et il l’enregistre du premier coup, comme s’il l’avait chantée pendant dix ans. Stupéfiant ! Il n’avait même pas besoin de répéter. Et sur scène, il était aussi bon que Jim Morrison. Aussi bon que James Brown. Il avait l’allure, le son, la présence et en plus, il savait composer.» Et il repart de plus belle avec le drinking side : «PJ savait boire. C’était un homme sensible. Il était extrêmement intelligent. C’était un mec bien, même beaucoup trop bien. Tout en lui était beaucoup trop bien. C’est là que se situait le problème, on ne pouvait absolument rien lui reprocher. Il buvait comme un trou, semblait sortir d’un récit de John Barrymore ou d’Eugene O’Neill, ou de n’importe quelle pièce irlandaise montée à New York. Cet homme savait vraiment boire - This guy was a world-class drinker.»

Un jour à Londres, Kim Fowley va rendre visite à Joe Meek. La qualité du portrait qu’il brosse de Joe Meek renvoie bien sûr aux portraits qu’Apollinaire croqua de ses contemporains dans Le Flâneur Des Deux Rives, des gens aussi exotiques qu’Alfred Jarry ou Jean Moreas. «Il m’a payé à bouffer. C’était un sandwich à la dinde, parfaitement appareillé à la peau de dinde de son visage. Un sandwich au pain blanc. Il l’avait préparé lui-même. On s’est assis et on a boulotté nos sandwiches. Je lui disais que c’était génial de le rencontrer et on a échangé des compliments sur nos mérites respectifs. Puis je suis parti. Joe Meek est un type qui analyse les choses. Il portait un sweater Mr Rogers avec des boutons devant. Il s’était gominé les cheveux et ils avait sur la peau une couche aussi translucide que la peau d’une dinde de supermarché.»

À tout seigneur tout honneur, puisqu’il rend un hommage spectaculaire à Syd Nathan, le boss de King Records : «J’ai passé un après-midi avec lui. Il m’avait accordé une audience. J’avais l’habitude d’aller voir des gens comme lui uniquement pour les entendre me raconter leur histoire. Syd Nathan, quel génie ! James Brown, Hank Ballard and the Midnighters, c’est lui. Starday Records aussi. Je veux dire : wouah !»

Comme Kim Fowley se dit chien, il bénéficie d’un flair extraordinaire et dès 1959, il multiplie les découvertes : Jan & Dean («Jan Barry est une sale mec, un type vicieux, mais c’était un génie du doo-wop, au sens rock’n’roll du genre. Parce qu’il se savait intelligent et talentueux, il croyait que c’était une bonne raison pour se comporter comme un porc»). Puis Kip Tyler, un type qui venait de l’Est et qui portait du cuir («Il était rockabilly, mais d’adoption. No Southern rockabilly»). Puis Bruce Johnson qui joue encore aujourd’hui dans les Beach Boys. Puis les Rivingtons qui lui chantent «Papa-Oum-Maw-Maw» au téléphone. Puis les N’Betweens, futurs Slade, dont Kim admire le chanteur, Noddy Holder, «qui a la même voix que Little Richard et les Isley Brothers - Gravel and power and poetry.»

Les pages qu’ils consacre à Gene Vincent comptent parmi les plus émouvantes de ce recueil. Gene ne voulait pas enregistrer en Californie, mais au studio Malaco, situé à Jackson, dans le Mississippi. Comme le studio se trouvait au bord du fleuve, Gene pensait qu’il aurait pu aller pêcher avec ses copains musiciens entre deux prises de son. Il adorait ça. Il voulait faire ce qu’il avait toujours fait : du Southern rock’n’roll. Mais le label refusa. Clive Selwood n’aimait pas Kim et ne comprenait rien à Gene Vincent. Kim raconte qu’ils furent contraints d’aller enregistrer au studio Elektra, dans une ambiance psychédélique qui n’avait strictement rien à voir avec le gut-bucket-rockabilly/redneck-country-driving rock and roll dont se réclamait Gene. Des gens débarquaient dans le studio, comme John Sebastian et son chien de luxe. Ou encore Paul Rothschild, producteur des Doors, accompagné de two blonde surf beasts, au moment où Gene allait attaquer le «Sexy Ways» d’Hank Ballard. Excédé, Gene demanda qui étaient ces gens qui débarquaient sans prévenir. Kim fit les présentations. Gene se tourna alors vers le Rothschid pour le prévenir qu’il allait sortir le flingue qu’il planquait dans sa botte pour lui mettre une balle dans la tête - Leave my studio ! - Rothschild disparut immédiatement.

Et lorsqu’on se rapproche des premiers chapitres, Kim replonge avec une rage indescriptible dans la violence de ses souvenirs d’enfance. Ses parents cherchaient à faire carrière à Hollywood. Quand son père Doug partit faire la guerre, sa mère profita de l’occasion pour filer avec un autre mec. Kim a cinq ans et demande à sa mère ce qu’il va devenir. Elle lui répond : «Tu n’es pas le bienvenu chez mon nouveau mari. Il ne veut pas du fils d’un acteur raté. Il va me faire des gosses meilleurs que toi. Ton père est une merde et mon nouveau mari vaut mille fois plus. Mais je n’ai rien contre toi.» C’est ici que l’auteur prend son envol, car à travers la violence des dialogues qu’il restitue, il met en route l’imparable mécanisme d’un roman tragique. Mais c’est en puisant dans le privilège d’avoir vécu cette horrible situation qu’il établit son pouvoir sur le lecteur. Enfant, Kim Fowley fut à la fois victime de la polio et de l’égocentrisme pathologique de ses parents. Et le même jour, sa mère ajoute : «Je ne te reverrai plus. Ça ne m’intéresse pas de te revoir. Je vais donner d’autres enfants à mon nouveau mari.» On est en Californie, à Beverley Hills, une ville que Kim qualifie dans ses chansons d’usine à rêves.

À toutes fins utiles, il prend soin de re-situer ses parents dans l’histoire du cinéma : «À l’écran, Doug Fowley était horriblement nul. Ma mère Shelby l’était aussi. Elle jouait le rôle de la vendeuse de cigarettes dans Le Grand Sommeil, avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall.» Quand adulte Kim sort de l’hôpital, il entre en poésie et se rend à Venice pour «baiser des vieilles salopes à la façon de Byron, avec une canne.» Comme beaucoup de personnages de romans rescapés d’une enfance cauchemardesque, Kim Fowley verse dans l’immoralité, de la même manière que Monsieur de Phocas ou Moravagine. Il crache le feu et domine le monde. Il baise des tonnes de filles et dort sur des parquets - I’ve lived like an animal and a dog since 1959 - «La plupart des gens en Amérique vivent au dessus de leurs moyens. Ils vivent dans des maisons remplies de meubles, de rideaux et de toute cette merde. Ils sont les esclaves de leurs emprunts. Je ne l’ai jamais été. Je suis tout le contraire de ça. J’ai vécu comme un chien et par conséquent j’ai pu rêver toute ma vie comme un sage.» Il faut comprendre par là que Kim Fowley n’appartient plus à son époque et qu’il est devenu ce que professait Oscar Wilde : une œuvre d’art, mais pas inspirée de la Renaissance italienne ou des paisibles Impressionnistes. Non, Kim Fowley tape dans le cœur de cette culture profondément américaine : le trash. «Je suis à la fois John Waters et Sam Phillips. Je suis le roi des hors-la-loi d’Amérique - The Outlaw King of America.»

Signé : Cazengler, Kim falot.

 Kim Fowley. Lord of garbage. Kick Books Original 2012

 

Il est des choses qu’on peut Monterey sans rougir

Tiens, voilà Peter Watts ! Il est de retour dans l’Uncut de June pour un petit coup de projecteur sur Monterey, le premier grand festival pop d’Amérique. Watts tend son micro à Pete Townshend : «Ben c’était mon premier voyage en Californie. Ah ouiche ! Il faisait un temps de rêve et c’était le début d’une aventure. Ah t’aurais vu, dans le backstage, t’avais des tas de beautiful people sous acide qui se regardaient fixement les uns les autres et qui dansaient comme des brêles - dancing like twats.» Monterey symbolisait l’âge d’or de la culture hippie, c’est pourtant la férocité des Who et de Jimi Hendrix qui eut le plus d’impact sur le public. Monterey allait servir de modèle à tout ce qui allait suivre : Woodstock, Glastonbury, Altamont et tout le tintouin. Eric Burdon rappelle que Monterey doit essentiellement son succès aux good ol’ vibes qui régnaient dans le coin, cette année-là.

Hormis la qualité de la programmation, l’aspect fascinant de Montery Pop est sa genèse. Un playboy nommé Alan Pariser vit le Monterey Jazz Festival et ça lui donna l’idée d’organiser le Monterey Pop Festival. Il connaissait Derek Taylor, l’attaché de presse des Beatles, qui lui conseilla de programmer les Mamas & the Papas qui étaient alors the hippest local act. Étrange coïncidence : John Phillips, Lou Adler et Paul McCartney venaient juste d’envisager l’organisation d’un festival. Et pouf, Lou et John prirent les rênes du projet. Il décidèrent d’en faire une œuvre de charité, ce qui fut un coup de génie. Lou, John, Terry Melcher, Johnny Rivers et Paul Simon mirent chacun 10.000 livres dans la caisse commune pour financer le projet. D’autres personnalités comme Brian Wilson, Donovan, Roger McGuinn, Smokey Robinson, Andrew Loog Oldham et Jagger apportèrent leurs concours. Oldham fut bombardé International Director. Ça lui permit de quitter l’Angleterre où les Stones avaient des problèmes avec la justice. C’est d’ailleurs ce départ pour la Californie qui lui vaudra d’être accusé de lâcheur et d’être viré des Stones. Lou et John demandèrent à Oldham et à McCartney quels étaient selon eux les groupes anglais les plus indiqués pour Monterey. Ils répondirent d’une seule voix : «The ‘Hoooo and Jimi Hendrix !»

Lou et John firent des miracles, en tant qu’organisateurs : Lou dealt with money, John the music. Ils s’entendaient à merveille. John Phillips appelait les groupes pour les convaincre de venir jouer à l’œil. Il était à la fois l’organisateur, le promoteur, le booking agent et la tête d’affiche. Il se trouvait au pinacle de sa gloire. C’est là qu’il écrivit en 20 minutes l’un des plus grands hits de l’époque, «San Francisco (Be Sure To Wear Flowers In Your Hair)». Grâce à ce hit, Scott McKenzie allait entrer dans l’histoire. Ce qui fit la grandeur du team Adler/Phillips, c’est qu’ils voulaient the best of everything, et leur everything comprenait le blues, la musique indienne, la pop, le jazz et l’acid rock. Ils eurent donc Ravi Shankar (qui fut le seul à toucher un cachet), le Dead, Simon & Garfunkel et Paul Butterfield. Ils voulaient aussi absolument Dionne Warwick qui hélas ne put se libérer. Les Beach Boys étaient prévus, mais bon, Brian avait la gueule dans la dope. Sollicités, les Impressions ne répondirent pas à l’invitation. Quant à Donovan et aux Kinks, ils ne réussirent pas à obtenir leurs visas. Une rumeur courait comme le furet : les Beatles envisageaient de venir pour un concert exceptionnel. Captain Beefheart, Love et les Lovin’ Spoonful déclinèrent l’invitation. On oublia par contre d’inviter les Doors. Et si Smoky Robinson ne parut pas, c’est parce que Berry Gordy ne voulait pas que Motown participe à ce truc de blancs.

Lou Adler réussit même l’exploit de financer le tournage d’un film qu’il confia à D.A. Pennebaker. Par contre, il n’apprécia pas du tout le carnage des ‘Hoooo : on le voit arriver sur scène à la fin de «My Generation» et ramasser les débris en tirant une gueule d’empeigne. Jimi Hendrix et les ‘Hoooo jouèrent l’ordre des sets - qui passait avant qui - à pile ou face, une idée de Brian Jones. Pete Townshend raconte aussi que Jimi Hendrix était pretty fucked up, very smashed on acid. Eh oui, Owsley lui avait offert 100 mg de STP - A major dose - une demi-heure avant le set qui allait le rendre célèbre dans le monde entier. Jimi baise sa guitare sur scène et la fait cramer. Des mauvaises langues dirent à l’époque que la différence entre les ‘Hoooo et Jim Hendrix, c’est que Pete Townshend violait sa guitare alors qu’Hendrix lui faisait l’amour. Townshend le reconnaît lui-même : «Ben ouiche, quoi qu’il fit, Jimi looked so beautiful. Moi jétais qu’un skinny West London boy avec un gros pif, rien qu’un sale petit branleur qui la ramenait.» Quand Lou Adler envoya un extrait du Set de Jimi Hendrix à la chaîne de télé qui devait faire une émission spéciale sur Monterey, le contrat fut bien sûr aussitôt annulé. Trop sauvage pour la middle-class.

Monterey est surtout l’emblème d’un temps qu’il faut bien qualifier de magique, ne craignons pas d’employer les grands mots : un temps où on voyait Brian Jones déambuler dans la foule avec Jimi Hendrix ou avec Nico, un temps où la ronde des talents donnait franchement le vertige. Pour s’envoyer un petit shoot de ce bon vertige, il suffit tout simplement de visionner les 3 DVD du coffret Monterey Pop festival paru en 2002. Attention, c’est un format zoné pour l’Amérique. Seul le lecteur DVD de votre cher ordi acceptera ce format.

On connaît tous le Jimi Plays Monterey et l’Otis in Monterey, mais la vraie valeur ajoutée du coffret, c’est the Outtakes Performances, presque deux heures d’extraordinaires prestations d’artistes et de groupes qui en 1967 n’étaient pas encore très connus. L’éclosion de la fameuse scène de San Francisco date d’ailleurs de cette année-là. Ils sont venus, ils sont tous là, comme le dit Charles Aznavour : the Association, fantastique énergie, on voit ces mecs en costards prendre les harmonies vocales d’«Along Comes Mary» à quatre voix, puis Paul Simon - mmmm - «Homeward Bound», ce Paul du diable qui drive sa mélodie dans de juteuses descentes d’octaves mirobolantes - Mmmm/ like emptiness in harmony/ I need someone’s company - C’est puissant, car ils ne sont que deux avec une acou, ils créent de la magie, et ils enchaînent avec the Sounds d’Hello darkness my old friend, et ça décolle au subtil tremblement d’and the vision/ That was planted in my brain/ Still remain - on reprend son souffle, on savoure chaque syllabe de cet imputrescible chef-d’œuvre - Within the sound/ ........./ Of silence - C’est imbattable car si pur, d’une pureté mélodique sans égale, Paul prend ça au tremblé de glotte. Ça relève tout simplement de l’admirabilité des choses de ce monde. Ces deux branleurs affichent dans le faire exprès de véritables dégaines d’anges. La misérable banalité de leurs traits n’a d’égale que la grandeur de leur art vocal. D.A. Pennebaker a le génie des cadres serrés : on est si près d’eux qu’on s’y croirait. Country Joe, c’est une autre énergie. Il s’est peint des fleurs sur les joues et il frotte ses talons au sol comme Otis en 1962. Barry Melton joue le blues sur une bête à cornes. Ils swinguent leur Sweet Lorraine, ils psychoutent le Frisco blues et au passage, Country Joe s’impose comme un homme du futur. N’oublions pas qu’à l’époque, tous ces gens sont encore des embryons. Mais quelle présence ! S’ensuit un Al Kooper pas très bon. Accompagné par Harvey Brooks et toute l’équipe de Butter, il tente le coup du shuffle, mais ça ne marche pas. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas de voix. On passe à travers, et justement, Butter arrive à la suite, avec sa gueule de sale mec de service. Il a de la voix, mais il génère de l’ennui avec son blues de Chicago. Alors, attention, voilà Quicksilver, baby, comme si on y était. Cipo porte une veste trois-quarts à franges et joue à l’onglet de pouce. Gary Duncan chante, soutenu aux chœurs par David Frieberg. Fabuleuse décharge de good-timey jerkoff - All I ever wanted to dooooo - Fascinant spectacle ! Et pouf, voilà l’Electric Flag, l’un des groupes les plus mythiques de Californie, monté de toutes pièces par un Bloomy qui voulait inventer LE groupe qui n’existait pas encore, à l’époque, un mélange de rock, de blues et de soul, avec Buddy Miles au beurre et Harvey Brooks au bassmatic. Il faut voit Bloomy embarquer cette brochette de blues hoods ! Buddy Miles bat comme un démon, avec sa pompadour de soixante centimètres et sa cravate à fleurs. Wow ! Et paf, on tombe à la suite sur les Byrds, avec un Croz coiffé d’une toque en chinchilla. Les Byrds sont brillants, et ça va bien au-delà des possibilités du langage. Croz gratte sa demi-caisse STP. Qui dira la classe du vieux Croz ? Pas de Gene Clark dans les parages, c’est Roger qui se tape le lead. Il porte un bouc et gratte sa Ricken en picking d’onglets. Le peu qu’on en voit donne la chair de poule. On a là l’absolue perfection des harmonies vocales. Voilà encore un shoot d’émotion à l’état le plus pur. Ils font les vibrer les «Chimes Of Freedom» rien que pour nous. Si ce n’est pas de la veine, alors qu’est-ce que c’est ? Chez les Byrds, tout est saturé d’une clarté d’arpeggio florentin. Croz raconte que JFK a été abattu par plusieurs mecs en même temps et que les témoins have been killed, this is your country, ladies and gentlemen ! Ils retombent dans l’excellence d’«He Was A Friend Of Mine» et puis ils s’encanaillent avec une version sauvage d’«Hey Joe», celle des Leaves, bien sûr. Croz trépigne - What’s chou gonna doo - Il embarque ça à train d’enfer, il entre en transe, il chauffe tout Monterey à lui tout seul. Extraordinaire ! Ça fait partie des choses à voir dans une vie d’amateur, tout comme le clair de lune à Maubeuge.

Rien qu’avec cet enchaînement de légendes vivantes, on est déjà sur-saturé d’émotion. Mais ce n’est pas fini, car ça repart de plus belle avec Laura Nyro. Elle nous swingue la nuit californienne. Son «Wedding Bell Blues» sonne bien les cloches, même écourté. Elle enchaîne avec ce groove de la perdition absolue qu’est «Poverty Train». Au moyen-âge, on l’aurait accusée de sorcellerie et brûlée vive. S’ensuit l’Airplane qui, comme tous les autres, est encore en phase de décollage, and you better find somebody to love, baby ! La mauvaise surprise de cette montagne d’Outtakes, c’est le Blues Project. Incompréhensible et étrange. Ils attaquent au solo de flûte et ne s’accordent pas la moindre chance. Janis vient électriser la scène, elle s’impose comme on sait, oh-oh yeah, avec «Combination Of The Two». Ce diable de James Gurley joue dans son coin et part en vrille de garage fuzz. Il joue ça au picking d’onglet sauvage. Entre Cipo, Roger McGuin et lui, on a toute la crème de la crème des picking-Gods du rock californien. On voit aussi le Buffalo Springfield. Croz remplace Neil Young. Stephen Stills a déjà une sacrée allure de rock star, avec ses énormes rouflaquettes rouges et sa grosse demi-caisse.

Oh on voit aussi les Canned Heat, la vraie formation, avec big Bob au chant, Henri Vestine qui passe son solo excentrique et Al Wilson qui en rajoute un à la slide. Tous les groupes qui ont fait la grandeur de la scène californienne sont au rendez-vous, Lou Adler et John Phillips ont bien bossé. Eric Burdon prend un «Paint It Black» très psyché. Dommage que Moby Grape ait sauté au montage.

Maintenant, place aux Anglais. This is the ‘Hoooo ! Moony explose d’entrée de jeu. «Substitute» ! Si tu veux voir un grand batteur anglais, c’est le moment ou jamais. Pas de pire sauvagerie scénique que celle des ‘Hoooo. Pendant que Pete fait des bonds, Moony dynamite le beat. Ils enchaînent avec «Summertimes Blues» et «A Quick One». Si on veut les voir démolir le matos, c’est dans l’autre film, le Monterey Pop complet : Pete y explose sa Strato à la fin de «My Generation» puis Moony démolit son kit à coups de pompes pour faire bonne mesure. Ces sont les Mamas & les Papas qui bouclent cet événement historique. Normal, puisque John Phillips est l’un des organisateurs, avec Lou Adler. John porte sa toque en chinchilla. Entre deux coups de Mamas, Scott McKenzie vient chanter son hit planétaire d’alors, «San Francisco» et paf, les Mamas & les Papas tapent dans «Monday Monday», so good to me, avec l’ami Doherty au lead sensible : ça donne une apothéose de la pop du non-retour. Mama Cass fournit les contre-chants de rêve et elle finit par shaker le shook de «Dancing In The Street», oh oui, la grosse le danse et le ouh-ouhte comme une Tamla Queen.

Mais l’épisode le plus dévastateur de Monterey reste bien sûr le set de Jimi Hendrix. Curieusement, Pennebaker glisse un autre extrait de concert en amuse-gueule : Jimi y porte un pantalon de velours bleu clair et fait gicler le jus de «Sergent Pepper’s Lonely Heart Club Band», jambes pliées. Puis Brian Jones arrive sur la scène de Monterey pour annoncer the Jim Hendrix Experience, à la suite des ‘Hooo. Jimi surgit affublé d’un boa rouge et d’un pantalon rouge assez moulant. C’est gagné d’avance - I shoul’ve quit you babe/ A long time ago - Mitch Mitchell tente de battre comme Moony mais c’est impossible. Jimi explose «Killing Floor», puis il enchaîne avec «Foxy Lady» - I want do you no harm/ Hooooo/ Foxy lady - Tout se passe dans une ambiance d’aristocratie à la peau noire, puis le set bascule dans l’enchantement d’How does it feel to feel, «Like A Rolling Stone», wooly groovy d’once upon a time you dressed so fine, didn’t you, c’est dingue comme ces phrases nous collent à la peau, mais soudain, Jimi explose «Rock Me Baby» à coups de power-chords, et il revient à de meilleurs sentiments en interpellant Joe - Where you goin’ with that gun in yer hand - Jimi bouffe ses cordes à la grande mode du Chitlin’ - C’mon wild thing/ You make my heart sing - Jimi fait une calipette au sol avec da guitare - I wanna know for sure - Solo dans le dos, les ‘Hooo peuvent prendre des notes, ils n’atteindront jamais ce degré de sauvagerie intrinsèque, et ça ne s’arrête pas là, car voilà que Jimi fait l’amour à sa guitare allongée au sol, il lui pisse un coup d’essence à la raie et craque une allumette. Oh ce n’est pas fini, il la réduit en miettes qu’il jette dans la foule. Les Américains n’avaient encore jamais vu un carnage pareil.

Singé : Cazengler, Monteraie du cul

D.A. Pennebacker. The Complete Monterey Pop Festival. DVD 2002

Peter Watts : Be Sure To Wear Flowers In Your Hair. Uncut #241 - June 2017

 

TROYES / 22 – 09 – 2017

3B

WISEGUYZ

 

Attention ils reviennent, de leur lointaine Ukraine, en tournée en France et bien sûr ils connaissent les bonnes adresses, les voici donc ce soir au 3 B. L'information a dû circuler car passé vingt et une heures le bar est sous pression, z'auriez même du mal à y glisser un malabar.

WISEGUYZ

C'est choquant. Vous le savez, mais vous vous y faites prendre à chaque fois. Au début ils ressemblent à n'importe quel autre groupe de rockab. Quand ils démarrent, l'invraisemblable vous saute dessus. Jouent ensemble. Les esprits forts répondront que c'est la moindre des choses à laquelle l'on puisse s'attendre de la part d'un quatuor. Oui, mais avec les WiseGuyz c'est différent. Prenez Ozzy, on le voit mal, au fond, caché par ses trois acolytes, à la batterie. Ne donne jamais l'impression de marquer la rythmique, l'a une frappe – je ne saurais la qualifier, ni lourde, ni légère, tout ce que l'on comprend c'est qu'elle n'accompagne pas les trois cordiers devant, elle se colle à eux, l'est aussi inséparable de leurs sonores émissions que la carapace ne l'est de la tortue, n'importe où qu'ils aillent, il fait partie du chemin, que ça trotte fort ou ça galope sec – pour le pas de parade faut pas y compter avec les Wise, apparemment n'en ont jamais entendu parler – le pire, lorsque vous apercevez l'Ozzy, c'est que pour un peu vous en crèveriez de jalousie, donne l'impression de ne pas y penser, assure avec une facilité déconcertante, vous ne vous étonneriez pas de le trouver en train de lire le journal. Rebel c'est exactement le contraire. Ozzy assis aussi tranquille qu'un pêcheur à la ligne, Rebel debout l'oeil aux aguets, le chasseur qui ne lâche pas son chien du regard prêt à tirer sur le premier perdreau de l'année. N'a pas de hound dog qui vadrouille devant lui, alors il affûte sa contrebasse, de bois verni, plus haute qu'une horloge comtoise et tout aussi mince. L'on dirait qu'il se cache derrière un arbre, le dos courbé, puis lui saute dessus toutes les six secondes, style intervention commando-parachutiste, et il lui secoue les cordes si vigoureusement que les vibrations vous traversent le coeur comme des coups de feu tirés en rafales. De l'autre côté c'est Gluck. Pourquoi la nature lui a-t-elle donné un corps avec deux jambes et deux bras ? Ne se sert que de sa tête et que de son seul avant-bras droit. Démontez tout le reste. Totalement inutile. Ça le prend par crises. Très fréquentes, de deux sortes. L'approche ses lèvres du micro, esquisse un sourire qui rappelle l'oeil goguenard du serpent prêt à frapper qui sort sa langue fourchue, et hop, vous balance une de de ces onomatopées endiablées qui dans le rockab aident à souligner le lead vocal. Ou alors beaucoup plus grave. L'avant-bras – le droit, je rappelle – ne répond plus aux ordres du cerveau. Devient autonome. Impossible de l'arrêter, fouette les cordes de sa guitare, une fois, dix fois, mille fois, impossibilité de stopper et comme par miracle les trois autres suivent le mouvement, des moments de folie collective qui se propage à l'assistance qui crie et applaudit encore plus vigoureusement. Dans cet état rien ne l'arrêterait. Si clinc ! Une corde en moins. Pas de panique, ravitaillement en plein vol, d'une seule main – les copains ne lui jettent pas un regard – pourquoi s'en feraient-ils ? Il continue à wapdoowapper sur son micro à la seconde exacte, à croire qu'il n'a rien d'autre à faire de toute la soirée. C'est que Chris est à la lead-guitare. Avec un tel dynamitero, z'êtes certains que le boulot sera fait de main de maître. Aux doigts d'or. L'est assez grand pour se suffire à lui tout seul. Je l'ai épié de longues minutes, ne suis pas arrivé comprendre comment il fait apparaître et à disparaître son médiator en une fraction de seconde. De toutes les façons avec ou sans, l'a un touché incroyable d'une précision inimaginable. En plus pour vous mettre encore plus la honte, l'est occupé à autre chose. Au chant.

Le rockab, c'est de l'art. Un mouchoir de dentelle. Une maille sautée et tout est foutu. Bancal. Banal. Banque-route. Crack boursier. Crise économique. Civilisation effondrée. Voilà l'effet. L'erreur n'est pas un droit. Ou vous réussissez tout, du premier coup, ou vous êtes un tocard. Et les WiseGuyz, ils osent tout, donnent dans l'arachnéen sauvage. Un premier set éblouissant. Pas une seule bavure sur l'ossature. Du rockab pur et dur. Comme vous avez rarement la chance d'en entendre sur scène. En studio, pouvez vous y reprendre à dix fois et multiplier les alternate takes, mais sur scène, c'est du travail d'orfèvre. Faut polir le diamant sans le casser. Le rockab des WiseGuyz ressemble à un mikado musical. Chacun son tour et tous ensemble. Sont lancés à trois cents kilomètres-heure, s'activent dans tous les coins, courent du four au moulin, se passent les brandons pour attiser l'incendie, toc-toc, tout s'arrête, n'entrez pas, pas le temps, les poings ont frappé deux fois sur les bois de l'instru et l'on repart tous groupés comme si rien ne s'était passé. Chris a le vocal mordant. Et c'est le public qui mord à l'hameçon. Vous le suivriez jusqu'au bout du monde. C'est d'ailleurs-là où il va vous emmener au deuxième set. Trois morceaux d'entrée, encore plus saignants que les quinze du premier tir groupé. Vous les prenez en plein museau, des balafres encore plus longues que les précédentes. Et puis l'on change de voltige. L'on change de fil. L'on ne marche plus sur du barbelé qui vous saccage les petons, l'on repose sur de l'élastique qui s'enfonce dans l'abîme à chaque pression la plus infime, et puis vous propulse vers le haut du ciel à une vitesse inouïe. L'on saute dans le jump, on glougloute dans le swing et l'on agonise dans une pulsation, une puljazzion originelle. Les Guyz vous détendent les ressorts du rockab, l'en devient flagada, l'est la corde de l'arc décrochée qui gît à terre, ne bande pas plus qu'un ver de terre qui ondule sur un gazon humide. Tout est perdu. Et hop ! Bop ! Rock ! comme par miracle, les cordages des voiles abattues vous hissent la voilure jusqu'en haut des mâts. Le vent se déchaîne vous emmène au large et pffuittt ! La comédie recommence. Les Wise s'amusent comme des petits fous. Vous collent la crêpe au plafond et la laissent retomber mollement, pour la shooter encore plus haut en trouant les plafonnettes. C'est le moment des interventions, Rebel pulvérise les accords, Gluck hache menu, Ozzy balaie les cendres, Chris recolle les morceaux en un tour de main. Faut les voir s'activer. Dessinent et découpent, déchirent en petits bouts de rien du tout, et vous ressortent la toile de maître, toute neuve, la peinture à l'huile encore fraîche. Jeu cruel et geste fabuleuse, racontent l'histoire du rockab, sa provenance et ses métamorphoses, toute la saga, sans rien omettre. Ne cachent rien, refusent la création ex-nihilo par le saint-esprit, vous content par le menu sa germination et vous exposent en pleine tête les plans secrets du sous-marin atomique.

Laissent l'auditoire pantois, des gosses à qui l'illusionniste a lacéré, à coups de cuter, et puis rendu tout neufs, encore plus beaux, encore plus doux, leurs doudous chéris, avec le sourire comme si rien ne s'était passé. Trop forts. Magique. L'on se précipite sur les disques et les t-shirts, ça baragouine de tous les côtés en mauvais anglais. Rencontre du troisième type. Le genre de concert dont on se souviendra longtemps.

Damie Chad.

 

BEHIND THE WILL

ABSTRACT MINDED

( Official Music Video )

( Visible sur YOUTUBE

et le FB : ABSTRACT MINDED )

 

Dernier single d'Abstract Minded. Sur YouTube, image fixe, grimace de logo sur fond d'infini stellaire, avec les paroles qui défilent. Très bon confort d'écoute, très belle prod. Un must.

Un unique morceau construit sur le schéma des tétralogies grecques. Commence par un bourdonnement grondeur de voix qui buterait sur elle-même, une tétraplégique reptation de gorge issu des galeries les plus obscures d'une mine charbonnière, musique qui moutonne noir impassible, un fleuve de cendre volcanique qui progresse et arase les doux paysages des âmes choisies, coup de cymbales comme gong de bronze qui résonne dans les temples désertés par les dieux, colère vocale crispatique, et la marche processionnaire reprend, impassible, mais les mots s'écrasent plus longuement tels ces mouchoirs de papier emplis de morve, de sang et de sperme que vous jetez derrière vous afin de désobstruer vos méningiques cloisons fissurées, lézardes de rage sur le métal stridal, la voix qui bazooke les portes blindées de la sortie du labyrinthe, cris de triomphe afin de fêter l'issue catacombère, long soli lyriques de guitares explosives, émissions spharynxgicoïdales chantent victoire, arrêt brutal. Nous ne sommes qu'à l'orée du chemin de glaise noire.

Le plus difficile c'est d'en sortir. Que vous soyez mort – sachez que cela vous arrive plus souvent que vous ne le pensez – étendu en votre léthargie ou simplement retenu en vous- même. Bref, faut s'extraire. Pas facile. Vous n'avez pas la bonne clef dans votre poche. Sinon vous seriez déjà dehors. Une seule solution : enfoncer la porte. Oui, ça fait du bruit. Vous ne croyiez tout de même pas que ça se passerait dans le silence absolu. Et puis il y a le gardien du seuil. La solution décisive serait de l'abattre. Ce n'est pas l'envie qui vous en manque. C'est qu'il vous ressemble tellement que vous vous apercevez qu'il n'est autre que vous-même. La partie s'avère plus compliquée que prévu. Remarquez c'est une histoire connue et rebattue. Le scénario remonte à l'antiquité. C'est expliqué dans les textes des gnostiques. L'avaient pompé sur les vers dorés de l'orphisme. Suffit de transformer le cercueil de votre chair, lui insuffler l'énergie alchimique de la vie. Parce que vous n'êtes que rarement vivant quand vous y réfléchissez.

Voilà vous avez le fil de l'action. Un peu compliqué, je le concède. Abstrait, dites-vous ? Emission gutturale de la lettre A. L'aleph prodigieux du point d'inexistence qui contient l'univers.

Damie Chad.

OFF THE GRID

INSANECOMP

 

1290605 – 1921031119 / DIE ALONE / PARTY OUT OF CONTROL / DRUGS ARE FOR IDIOTS / J'EMMERDE / UNSTABLE / FUURY WALL / DUNRK IM FELL BETERR / GET THE FUCK OUTTA MY WAY / I HATE YOU SO MUCH RIGHT NOW / OFF THE GRID / I KNOW EVERYTHING ABOUT LONELINESS / THE FRIGHT / THAT BELONG TO ME / ANOTHER SONG ABOUT YOU / DEMONS UNDER MY SKIN

 

12090605 – 1921031119 : parade, qui procède de loin, des confins de la grandiloquence des espaces infinis qui se rétrécissent et prennent la forme impitoyable du pas saccadé des hordes de l'ordre du malheur en marche à l'assaut de nos frêles forteresses. Die alone : hurlements de prisonniers derrière les grilles, mordent les barreaux et piquent crises de folie impuissantes, chœur de voix dans le lointain comme prières de moines geôliers, convulsion de musique en écrasement de pulpe d'âme dans un presse purée mental, rythmique sardonique, la mort se réduirait-elle au sourire du squelette ? Party out of control : le grand ordinateur vous parle, prêche dans les sables stériles de votre cerveau, des bottes martèlent vos neurones, l'on tire à la kalachnikov dans les coins, voix d'hôtesse de l'air de l'ère ordinatique qui mesure l'ampleur du désastre, le rythme de votre cœur s'accélère, toute panne se résorbe d'elle-même car elle est le message de sa présence. Drugs are for idiots : inutile de vous enfuir dans les paradis artificiels Big brother vous le répète, les drogues sont à l'usage exclusifs des idiots qui verrouillent eux-mêmes leur camisole de force. J'emmerde : proclamation à la face du monde, Moravagine disait qu'il avait marché sur la moitié de la face de Dieu lorsqu'il posait le pied sur un étron. Aujourd'hui Dieu est mort mais la pègre du pouvoir l'a remplacé. Un monde à détruire, en français dans le texte pour que vous compreniez mieux. Unstable : klaxons de mastodontes routiers percent votre vide mental comme trompettes annonciatrices de catastrophe finale. Le monde est instable. L'oeuf de l'univers flotte à la surface de l'océan du chaos. Furry wall : piétinements de voix compressées, urgence rythmique, une criaillerie de foule se bouscule sur les frontières des finitudes, béton des murs et des mots qui se heurtent en eux-mêmes. Satellite de la conscience en perdition. Dunrk Im fell beterr : vous ne maîtrisez plus rien, rythmique aussi lourde et pesante que pied d'éléphant sur votre nuque, une voix a pris le commandement comme une vapeur qui s'exhale d'un marais délétère, Get the fuck outta my way : ne reste plus qu'à chasser le papillon du désastre qui volette sur les décombres de votre moi intérieur. Ses ailes de fer grincent désagréablement sur vos synapses délabrées. Moteurs qui refusent de se mettre en marche. I hate you so much right now : le mixeur de la haine sera votre arme favorite. Mais contre qui le diriger ? Off the grid : Horrible travail, arc à souder cacophonique et étincelles sonores qui ne devraient pas atteindre vos oreilles. Silence total. La délivrance ne serait-elle qu'une déclinaison de l'angoisse existentielle ? I know everything about loneliness : et maintenant si seul dans le vaste monde ! A croire que le tumulte de votre emprisonnement était préférable à cet état de désolation. Postures shakespeariennes, vous mimez et infatuez votre détresse, la dramatisez en coït masturbatoire avec le néant de l'autre. The fright : miaulements de trop de voix qui s'engouffrent en vous comme train noir dans un tunnel fou. That belong to me : est-ce donc cela le lot du monde que les titans du tumulte m'ont imparti, cette frénésie intérieure qui me porte aux extrémités de la puissance des folies autodestructrices, je défie et je crache ma fierté à la face du monde creux comme l'éponge de mon âme qui aspire toute la saleté extérieure. Voix et musiques prennent d'assaut le kaos et submergent les continents. Another song about you : piste ordalique de clairons de merle moqueur, la voix se tait car comment adresser la parole à ce fantôme en face de moi qui me ressemble trop pour ne pas être. Empilement sonore extatique. Demons under my skin : sous-bois inquiétants, jungles menaçantes, j'erre en moi-même et traverse mes propres autoroutes, convois cliquetant de wagons plombés qui entrent dans les gares de triage sous la pluie qui ruisselle. A moins que je ne sois en train de tirer la chasse de ma merde humaine et de sortir les poubelles orgiaques de mes rêves sur le trottoir. Je reste seul en moi-même. Face à mes démons. Démons-tration du moi qui s'applique à tout un chacun.

Bande sonore filmique. Les morceaux s'enchaînent sur une rythmique d'enfer. S'écoute du début à la fin. Cercle vicieux et vicié dont on ne s'échappe pas. Critique de la déraison pure du sujet placé en des conditions optimales de survie aléatoire. Si vous n'appréciez pas, c'est que vous vivez les yeux fermés. N'est pas plus insupportable que votre propre cécité. Insensé qui crois que ton computer neuronal n'est pas le nôtre, aurait écrit Hugo en préface à ses Dévastations.

Damie Chad.

 

ROCKABILLY GENERATION N° 2.

( Août / Septembre / Octobre 2017 )

 

Sergio Kazh et son équipe sont en train de gagner son pari : une revue de Rockabilly qui donne sens au mouvement. Le numéro 1 était une promesse, ce numéro 2 est une réussite. Menée avec intelligence. La galaxie Rockabilly est gigantesque. Légendes du passé et nouvelles pousses du futur s'entrecroisent en une espèce d'éternel présent sans fin. Rockabilly Generation qui entend défendre les groupes d'aujourd'hui a compris qu'il faut aussi fouiller dans les braises chaudes et germinatives des générations précédentes tout en évitant de tomber dans un passéisme désuet. Si les premières pages sont consacrées, cinquantenaire oblige, à Elvis Presley dont la carrière est retracée en son entier, l'on passe vite à l'actualité des plus brûlantes avec le compte-rendu du Festival Viva Poulingue'n'roll qui culmine avec les prestations de Barny and The Rhythm All Stars et les WiseGuys. WiseGuys que nous retrouvons pour une longue interview des plus instructives, suivie par un entretien avec The Hoodoo Tones le groupe du Nord qui monte. Kévin qui faisait partie de la première mouture des Spunyboys partage en commun avec Chris des WiseGuys cet esprit d'ouverture musicale qui envisage le rockabilly comme une musique en évolution. Ne s'agit pas de s'enfermer dans une perpétuelle redite de la déclinaison d'un répertoire figé mille fois recommencée mais d'explorer des voies nouvelles pour exacerber les possibilités latentes des éléments primitifs incontournables. Un délicat chemin entre perpétuation et création. Groupes qui montent et groupes qui entrent en hibernation : dernier concert des Noisy Boys et évocation des Capitols, dont il souhaite le retour, par Didier Delcour. Discographie, Agenda des concerts et Courrier des lecteurs closent ce numéro qui comporte déjà quatre pages de plus que le précédent. Un bon signe. Articles plus étoffés, somptueuses photographies couleur de Sergio Kazh. Generation Rockabilly s'inscrit d'ores et déjà comme la revue maîtresse du mouvement rockabilly de par chez nous.

 

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 36 pages, 3, 50 Euros + 3, 40 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, abonnement 4 numéros : 25 Euros, chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues...

Damie Chad.

*

Grave erreur que de ne pas se tenir informé ! Suis pris au dépourvu ! Pourtant les faits sont là, le nouveau gouvernement que j'abhorre sur tous les bords a dû promulguer en vitesse et en catimini un décret d'urgence, indubitable, façon de couper l'herbe sous les pieds des cathos coincés du bec et des babas exacerbés. Politiquement je n'y crois pas mais à vingt-cinq mètres de distance la réalité me déchire les yeux. Et déjà dans un fouillada ! Et pas qu'un peu, une demi-palette entreposée de la façon la plus innocente, impossible de faire semblant de ne pas les voir, à peu près deux cents briquettes à vue de nez un gros kilos, un emballage d'un jaune étincelant et écrit en énormes lettres vertes - pour une fois l'on a eu pité des mal-voyants - agrémentées d'un point d'exclamation, et le prix sur le panneau victorieusement planté au-dessus, 3 euros, SHIT ! Merde alors ! je me précipite ! Profonde déconvenue, mauvais cinéma, ce n'est qu'un bouquin, un énième scripto de plus sur le canabis, je passe dédaigneusement mais le nom de l'auteur clignote dans ma tête, Bruno Blum, le gonzoman qui au dernier siècle a envoyé le premier papier sur les Sex Pistols à Best, cela mérite le respect. Sûr l'a mal tourné, le révélateur punk s'est transformé en chanvre, pardon en chantre du reggae, mais enfin, ce n'est tout de même pas un zéro absolu, et puis n'oublions pas Sex, Drugs and rock'n'roll !

 

SHIT !

TOUT SUR LE CANABIS

BRUNO BLUM

( First Editions / 2013 )

 

Shit ! Chut ! Chat en berne ! Sujet sensible. Même chez First éditions qui aime les gros coups médiatiques qui font le ramdam. Z'ont pris un spécialiste. Quelqu'un qui sait de quoi il parle. Commence d'ailleurs par se présenter lui-même : Bruno Blum, oui il a été un accro au shit-à-mort. Ne se présente pas sous ses meilleurs jours. Tout jeune déjà voleur ! Honte sur lui ! S'attaquer à la propriété privée ! Ne faut pas y toucher. Extrêmement périlleux. Pierre-Joseph Proudhon nous a résumé le danger en une formule lapidaire : la propriété, c'est le vol. Y porter la main, c'est insérer ses doigts dans un engrenage fatal. Certes il a volé, mais des disques. C'est déjà mieux. De rock'n'roll ! Faute avouée, crime aux trois-quarts pardonné. Surtout qu'il a une théorie qu'il applique aussi bien à la récupération vinylique qu'au shit ou tout autre condiment qui peut faire votre délice, que ce soit l'ingurgitation infinie de crêpes au chocolat ou l'acquisition forcenée de crédences Louis XV. Ce n'est pas l'objet ou le produit qui produit l'addiction, mais votre tendance compulsive individuelle à l'addiction qui se focalise sur un point sensible du réel. Très souvent cela ne va plus loin que les innocentes collections de porte-clefs ou de cartes postales. Parfois la moindre des passions s'empare de vous, vous dévore, vous dépensez des sommes colossales pour l'achat irrépressible d'un tire-bouchon à la mode dans les années trente, la Dass vous confisque les mioches dont vous n'arrivez plus à vous occuper depuis que votre femme découche avec le voisin du-dessus... Bruno Blum a fumé, par plaisir, par manie, par vice, par choix, cochez toutes les cases. Envers et contre tout. Des crises de tachycardie à effondrer un éléphant, les copines qui se barrent, le rédac chef qui le vire, l'impossibilité de continuer à tenir la basse dans son groupe punk, les loyers impayés, le retour honteux chez sa maman... Jusqu'au jour où une nana lui met le contrat clef en mains. L'arrête en trois semaines. Trouve tout de suite d'autres centres d'intérêt, n'est pas spécialement addictif au cannabis, reprend sa vie en main, ses bouquins, ses disques, ses enregistrements... Tire la morale de l'histoire : s'en est beaucoup mieux tiré que beaucoup de ses copains – paix à leurs âmes, accros à l'héroïne et autre produits farceurs dont on se détache beaucoup moins facilement, osons le mot : addictifs... L'en tire une ( heureuse ! ) conclusion, le cannabis n'est pas addictif. Ne se contente pas de cette assertion définitive. C'est que dans les sociétés modernes cette évidence n'est guère partagée.

Deuxième chapitre assez ennuyeux. Voyage dans le temps et l'espace géographique. Remonte au néolithique, explore toute trace cannabique – exemple : les chamans qui s'enfilent des joints aussi épais que les troncs des chênes centenaires pour entrer en contact avec l'esprit de leurs totémiques bestioles – et puis il passe continents et pays un par un, cultures chanvrique, à tout bout de champs, consommé sous diverses forme, fumé, inhalé, cuisiné, l'on se sert de la fibre pour confectionner des vêtements et tresser des cordes pour la marine, et aspect non négligeable est le remède universel de la pharmacopée des temps anciens et modernes... Ne m'attarderai que sur l'introduction du délit en France. Les plus grands esprits, François Rabelais, Charles Baudelaire, Honoré de Balzac, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, enthousiasmés par les nouvelles sensations perpétrées par les joies de la fumette, des textes dont les écrits relatifs aux visions oniriques générées par le LSD in the sixties semblent être à un siècle de distance une décalcomanie fidèle...

Troisième chapitre : de loin le plus passionnant, musique et cannabis. L'on file tout droit dans les lieux de perdition de la Nouvelle-Orléans, musiciens, filles et clients s'adonnent aux joies du Tiger ( je ne traduis pas ). Passionnant ça vous ouvre le cerveau et les orifices naturels comme pas un, le jazz est issu de ces clandés, les musicos sont des adeptes de ce revitalisant miracle qui vous file un coup de fouet salvateur... Gros plan sur Louis Armstrong et Mezz Mezzrow – ce blanc qui vit comme un noir parmi les noirs ( voir KR'TNT ! 106 du 12 / 07 / 2012 ) – de grands consommateurs, qui ont nettement contribué à ce que le jazz entre dans les oreilles des blancs. Et voici que bientôt la jeunesse caucasienne adopte les déplorables manières des vilains nègres, se contorsionnent comme des sous-civilisés en de sauvages danses et dégradantes contorsions frénétiques dont sont coutumières les sous-races non évoluées... Heureusement le Ku Klux Klan, le FBI, et la presse à scandale de Hearst veillent au grain de folie qui est en train de dégrader cette saine jeunesse en voie de dégénérescence. Hystérie fascisante qui se traduira par l'interdiction absolue du hash en 1937. Prohibitio quod corumpet juventus.

L'on quitte à regret le monde des reefers et des vipers pour aborder la partie plus militante du volume. La prohibition américaine qui s'étend très vite au reste du monde fait vite sentir ses méfaits. La pègre et la mafia organisent le trafic. Les prisons sont engorgées tandis qu'au dehors la criminalisation gangrène les quartiers... L'interdiction n'arrête en rien la consommation... Mais délaissons la lointaine démocratie étatsunienne pour aborder nos douces campagnes françaises actuelles. Prisons et tribunaux engorgés par des milliers de petits trafiquants, économie parallèle dans les cités qui aboutirait à une révolte généralisée si elle était de force stoppée net. Les principes du capitalisme s'appliquent aussi à ces réseaux : l'on propose des produits frelatés à la clientèle qui n'est pas satisfaite. Mais l'on a ce qu'il leur faut : toute une gamme de produits qui vous procurent des sensations bien plus fortes, bien sûr c'est plus cher, goûtez-y une fois et vous vous y reviendrez. Toxicité addictive garantie.

Face à cette inflation des plus dangereuses, une seule solution, ce n'est pas la révolution, mais la dépénalisation. Bruno Blum nous joint les réponses de ses demandes adressées aux principaux partis politiques. On ne s'empresse pas pour répondre et chacun est dans son rôle. A droite un non franc direct, à gauche une compréhension du problème...

Argument massue que l'auteur explore longuement. Pensez ce que vous voulez de la consommation de la drogue, mais quid du cannabis entrevu au point de vue médical ? Vous embrume peut-être la tête mais beaucoup de malades témoignent : ne parlent pas de remède miracle mais d'un anesthésiant des douleurs qui souvent efface les souffrances que provoquent les médicaments qui combattent cancers, sida, maladie de Parkinson, de Crohn et autres saletés du même acabit. Joue petit : propose que dans un premier temps la recherche pharmaceutique pousse ses études... Attention lobbies: sommes colossales en jeu...

Le livre s'arrête là. Le débat est vieux comme L'Appel du 18 Joint 1976 lancé par le CIRC ( Centre d'Information et de Recherche Cannabique ) dont la parution dans les pages de Libération avait causé quelques émois dans le Landerneau politicien à l'époque... N'avance que lentement malgré études et apports expérimentaux de certains chercheurs... Perso je pense que c'est un sous-problème à un changement beaucoup plus radical de l'organisation politico-économique auquel il faut s'atteler. Reprendre sa vie en main. Créer des espaces mentaux de redéploiements idéologiques et révolutionnaires. Vaste programme.

Damie Chad.

 

ROSEE DES RÊVES / KERYDA

 

Rêve / Amijig / Inis Oirr / Humours / Five Fingers / Si Bheag Si Mhor / Balkanik Rose / I Fell in Love with a Breeze / Freilach / Hargalden / Be Love.

Harpe celtique : Sara Evans / Contrebasse : Damien Papin.

 

Pochette rose comme un rêve de petite fille. Un disque à voix nues si j'ose dire. Deux instruments harpe et contrebasse dans leur nudité. Deux tessiture effarouchées qui essaient de se conjuguer. Rien de plus, rien de moins que ces deux fragilités qui s'inclinent l'une vers l'autre et qui s'approchent, à se toucher, à se fondre l'une dans l'autre, mais de si grand écart sonore que toute étreinte est un voyage en des contrées dangereuses que l'on pressent merveilleuses. Un disque de douceur et de volupté.

 

Rêve : gouttes de rosée et amplitude de contrebasse bruissante. Pluie de grâces et orage de gravité. Ondée matutinale sur terre desséchée. Ce n'est qu'un rêve. Sans doute est-il déjà trop tard. Que cela ne vous empêche pas d'y croire. Amijig : Main dans la main, corde dans la corde, l'une sautille et l'autre morigène sans gêne. Puis se tait. La vieillesse a beaucoup à apprendre de la jeunesse. Faut savoir, écouter, entre la vieille chatte automnale qui ronchonne au salon et le chaton allègre qui grimpe aux rideaux, le choix n'est pas à faire. Inis Oirr : lourde basse lugubre ne se taira point. Se rendique d'expérience mais gamineries de perles harpiques se mêlent à son vieux discours. Sans qu'elle le sache la gracilté de l'enfant espiègle s'insinue en son âme. Humours : la harpe ricoche et l'aïeule s'essaie à faire des pointes dans des chaussons rose de danse. Pas si difficile que l'on pourrait le croire. Se laisse entraîner s'achève en danses et virevoltes. Rires sous la charmille. Five Fingers : cinq doigts chacune, mais Mamy triche un peu, l'en possède un sixième qui lui sert à taper sur son bois, mais non c'est le coeur d'un poëte qui se cachait dans son cercueil, le voici qui s'extirpe de sa carapace et l'enfant blonde se mue par miracle en jeune fille. Si Bheag Si Mhor : une mélodie – imaginez une walk on the soft side, le big boy se la joue badly, imite les langueurs sales du saxophone et notre jeune première endosse le rôle de la super-guitar-héroïne. Leurs coeurs marchent à l'amble, ils s'amusent, rien ne sert de parler trop tôt. Balkanik Rose : Se dirigent à petits pas timides vers le jardin des roses. Leur parfum ennivrant se confond avec une rhapsodie arabe aussi douce et épineuse que des quatrains d'Omar Khayyam. I Fell in Love with a Breeze : heure exquise des aveux, maintenant le poëte-contrebasse s'amenuise à mi-voix, les résonnances de la demoiselle prennent le dessus, douces paroles deviennent ausi légères que pollens de fleurs que le vent emporte dans les hauteurs béantes du ciel. Freilach : des notes comme brises de printemps, ou fruits d'été, et feuilles d'automne, même flocons de neige, la rencontre de deux êtres contient tout l'univers en gestation. L'instant est grave. Promesse d'unisson résulte d'une partition originelle. Hargalaten : la prescience de l'acte factuel exige une certaine compoction cérémoniale, toute parade nuptiale est aussi le thrène nostalgique d'un passé que l'on va égorger. Noces sanglantes. Be Love : amplitude sonore, la mer du désir submerge toutes les appréhensions, l'appel insistant d'une flûte précède la vague de plénitude qui submerge le monde.

Damie Chad.

 

 

20/09/2017

KR'TNT ! ¤ 340 :NICKE ANDERSSON / LEAVING PASSENGER / GATHER NO MORE / ELEVENZ / ABSTRACT MINDED / FALLEN EIGHT / INSANE CAMP / WILD MIGHTY FREAKS / F J OSSANG / TOM KROMER / EIGHTBALL BOPPERS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 340

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

21 / 09 / 2017

 

NICKE ANDERSSON / LEAVING PASSENGER /

GATHER NO MOSS / ELEVENZ / ABSTRACT MINDED

FALLEN EIGHT / INSANE CAMP / WILD MIGHTY FREACKS

F J OSSANG / TOM KROMER

EIGHTBALL BOPPERS

TEXTE + PHOTOS SUR :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Les contes d’Andersson

 

Si on se retrouve à bord du Petit Bain par un beau soir du joli mois de mai, ce n’est sans doute pas un hasard, Balthazar. Il se trouve que Nicke Andersson y donne un concert avec son nouveau groupe, Imperial State Electric. Une belle affiche, dirons-nous.

En vrai dévot du Detroit Sound, Nicke Andersson s’est taillé au fil du temps une réputation de pur et dur. Il vénère un dieu bicéphale : Stooges & MC5, et parmi ses amis, on compte bien sûr quelques rescapés de cette antique épopée : Scott Morgan (avec lequel il battait le beurre dans les Hydromatics et The Solution) et Wayne Kramer (avec lequel il jouait de la guitare dans DTK MC5). Puis il joua dans les Hellacopters qui ne juraient que par le MC5 et il enregistra le fatidique mini-album Supershit 666 avec son bras droit Dregen et le Wildheart Ginger. Voilà ce qu’il faut bien appeler un joli parcours.

Avec Imperial State Electric, il prend un virage plus pop, et tous ceux qui espèrent retrouver le high-octane blasty-blasto de Supershitty To The Max seront déçus. Pour être tout à fait franc, on craignait même de s’ennuyer pendant le set d’Imperial. Eh bien pas du tout ! Ces mecs ont assez de métier pour savoir créer l’événement. Non pas qu’ils créent la surprise, car ça reste dans la veine Hellacopters bien énervée d’antan, mais ils sont tellement bons sur scène qu’ils parviennent à transfigurer les cuts et à salement rocker leur pop. Force est d’admettre qu’Imperial State Electric prend tout son sens sur scène. On a même l’impression que ce ne sont pas les mêmes gens, car leurs cinq albums manquent singulièrement de punch. C’est un pur bonheur que de voir Nicke Andersson sur scène. Il n’est pas devenu légendaire par hasard. Comme Jim Jones qu’on venait de voir trois jours plus tôt au même endroit, le Suédois sait tenir une scène et chauffer une salle. Il le fait avec un réel panache. Il fait partie de ceux qui sont vraiment nés pour ça. Aucun doute : sa raison d’être est de monter sur scène avec une guitare. Il ne porte que du noir et joue sur une bête à cornes blanche. Il porte aussi la casquette d’officier qu’on voit sur les pochettes d’Imperial et les photos de presse. Il nous gratifie lui aussi d’un ballet exceptionnel ponctué de belles montées de fièvre, il joue tous ses cuts au white light white heat circonstanciel et n’accorde aucun répit à un public qui n’en demandait pas tant. C’est un vrai set de rock électrique, tendu et vif, captivant et diablement mouvementé. De l’autre côté de la scène, Dolf de Borst joue de la basse. Oh vous le connaissez, c’est le chanteur des Datsuns, un groupe originaire de Nouvelle Zélande qui débarqua à Londres en plein revival garage des années 2000 et qui se retrouva subitement à la une du NME. Le seul problème avec les Datsuns, c’est que le pauvre Dolf n’a pas de voix. Il ne manque pas de nous rappeler cette fatalité lorsqu’il prend le lead pour roucouler une ou deux chansonnettes.

Les Imperial chauffent leur fin de set avec une trilogie impérieuse : «Get Off The Boo Hoo Train», l’«Uh Huh» tiré de Pop War, et un «Reptile Brain» tiré de l’album du même nom, qui atteint des sommets de furiosia. Ils reviendront jouer d’interminables prolongations en rappel, avec au moins dix morceaux, comme ça, juste pour le plaisir. On entendra une fantastique version du vieux «Sonic Reducer» ainsi qu’une reprise bien trempée de l’encore plus vieux «Fortunate Song» de Creedence.

Hellacopters ! C’est ainsi que les cultivateurs de pavot mexicains appelaient les hélicos qu’envoyait la CIA pour détruire leurs champs. En 1996, nous n’avions pas de champs de pavot, mais nous poussions des cris en voyant arriver ces fucking Hellacopters. Leur mortelle randonnée débute en effet cette année-là avec un Supershitty To The Max torché en 26 heures. Aw baby, quel album... Tout y est blasté au maximum des possibilités, et dès «Now», ouh ! ça part en hurlette indéterminée. Cette jolie fondue suédoise sonne comme l’épitome de l’épître, alors que sonnent au loin les trompettes de l’apocalypse. Encore plus allumé : «Born Broke», qui sent bon l’escalade de conflit, et question viande, ça se rapproche du MC5. C’est excellent, car maîtrisé et en bonne santé. Il y a quelque chose d’irrémédiable sur cet album. On reste dans le maximalisme avec «Bore Me», yeah you fucking bore me, Nicke n’en peut plus, sa poule doit être infecte pour qu’il gueule comme ça. C’est dingue comme ces mecs savent jouer. Mine de rien, ils proposent la plus belle cohésion blastique de Suède. Ce sacré Nicke hurle à s’en arracher les ovaires. Voilà ce qu’il faut bien appeler un fabuleux shoot de non-recevoir. Ils passent au maximalisme de la heavyness avec «TAB». Ces diables ne reculent devant aucune démesure. C’est affreux. Leur heavyness reste saine et bien fondée. On s’installe dans l’effarance avec «How Could I Care» et sa violente attaque d’how could I care. Cet album est idéal si on a besoin de se chauffer en hiver. Tout y est extrêmement puissant et même tellement puissant que ça n’en finit plus d’interloquer. C’est vrai qu’ils tapent dans tous les clichés du genre, mais avec une force de guerriers poilus. Oh il faut aussi écouter «Random Riot», tout aussi explosif. Supershitty To The Max pourrait bien être l’un des albums les plus explosifs de l’histoire du rock. Nicke et ses amis ont le diable au corps. On s’extasie à l’écoute d’un «Ain’t No Time» beaucoup trop solide, nouvelle énormité amenée aux ouh d’uppercut. On arrive à la fin de cet album épuisé et ravi, comme après une nuit chaude au Cap Français. Et là on tombe sur un «Such A Blast» exceptionnel, l’un des sommets du genre, hanté par les guitares du MC5. Avec ce premier album, les Hellacopters créaient un empire.

Avec Payin’ The Dues paru un an plus tard, ils entraient en terre conquise. On commençait à bien se familiariser avec ces nouveaux héros. Ouverture du bal des Dues avec «You Are Nothing», une jolie déflagration sonico-dingoïdale. L’infâme Dregen entrait dans le lard du cut par tous les trous. À la réflexion, on se disait : Trop bardé ! Beaucoup trop bardé ! Peu de gens allaient alors aussi loin dans le trépidant exacerbatoire extraverti. Si on préférait le trash-punk, il fallait attendre «Riot On The Rocks» pour frémir. Les Hellacopters y redoraient le blason du blast en explosant toutes les rondelles des annales. Et puis on tombait sur le hit du disk, le fameux «Hey» monté sur un vrai thème de guitare, un cut imparable et balayé par des paquets de mer, thaw ! en pleine poire ! Quant au solo, il participait de l’éclat définitif du brasier originel. Tout était sur-saturé, en quête d’un maximalisme dégénéré. C’est avec «Soulseller» qu’ils retombaient dans le MC5 : même attaque et même éclat. Puis ils repartaient de plus belle avec «Where The Action Is» joué à l’extrême de la clameur, au edgy expiatoire, là où on crucifie les atomes. Venait enfin la fin des haricots avec un «Psyched Out & Furious» lancé au ouh! d’uppercut d’undergut et suivi la pire effervescence sonique qui se put imaginer ici bas. On avait là sous les yeux la pire équipe de no-waiters de no dining here tonight. Phew !

Paru un an plus tard, le mini-album Disapointment Blues sentait la baisse de régime, ce qui semblait logique. Les Hellacopters allaient s’y montrer humains trop humains, c’est-à-dire capables du pire comme du meilleur. On n’y sauvait qu’un seul titre : «Ferrytale», véritable horreur démonologique amenée au gratté sévère. Dregen arrosait ça au solo incendiaire, comme s’il nettoyait une tranchée au lance-flammes. Oh on pouvait aussi écouter «Speedfreak» qui sonnait un peu comme un hommage à Captain Sensible, avec son intro de basse inspirée de «Love Song».

Retour aux grandes heures du Duc de Berry avec Grande Rock, chef-d’œuvre de blast intemporel. Grande Rock, c’est un peu leur Grande Ballroom. Dès «Action De Grace», on retrouve les clameurs du MC5. Tout y est gratté aux accords délétères. Même chose avec cet «Alright Already Now» complètement allumé. On y assiste à la victoire du chaos. Le cut disparaît dans une fin d’apocalypse. On retrouve les chœurs de «Sympathy For The Devil» à la fin de «Welcome To Hell». Retour au MC5 avec «The Electric Index Eel». Nicke chante sans complaisance aucune. On assiste là à l’un des plus beaux blasts de l’histoire du blast. Les Hellacopters mettent un point d’honneur à dépasser toutes les bornes. Encore un exercice de haute voltige avec ce «Dogday Mornings» bardé d’accords grattés à contre-courant, et puis tiens, écoute un peu ce «6 VS 7» sur-saturé d’entrée de jeu et noyé d’harmo. «6 VS 7» pourrait bien être l’emblème de ce qu’on appelait alors la high-energy. Et comme si tout ce bordel ne suffisait pas, ça wha-whate et ça glougloute. Ils atteignent des cimes. Cet album est l’un des sommets du genre, même si Dregen a quitté le groupe.

Nouvelle baisse de régime avec High Visibility paru un an plus tard. Dommage, car la pochette est assez belle : on y voit jouer des Copters ailés. On y sauve deux cuts, «Throw Away Heroes» et «Hurtin’ Time». Le premier est carrément joué aux accords du MC5. La rythmique qu’on y entend évoque celle de Fred Sonic Smith. Quant à «Hurtin’ Time», c’est autre chose : Nicke l’a composé avec Scott Morgan. C’est un cut éclair. Nicke connaît son affaire. Sur les autres cuts, on peut dire que ça joue bien, ça chauffe même à blanc, mais il manque l’inspiration. On ne garde aucun souvenir de tout ça. Pour qu’un mec aussi brillant que Nicke Andersson (qui à l’époque s’appelle Nick Royale) puisse s’exprimer, il lui faut soit un Dregen, soit un Scott Morgan dans les parages. On voit qu’il adore le nothing at all dans «Truckloads Of Nothin’» et la sévérité maximaliste dans «A Heart Without Home», deux cuts qui restent malgré tout de sacrés clients. Oh et puis avec «I Wanna Touch», on l’entend lancer un speed-rock de vieille meute.

Tout au long de leur mortelle randonnée, les Hellacopters ont enregistré des tas de mini-albums avec d’autres groupes, comme par exemple les Flamin’ Sideburns. Ça vaut vraiment le coup d’aller écouter la reprise de «Get Ready» qu’on trouve sur White Trash Soul. Ils mettent toute leur gomme au service du grand Smokey Robinson. Nos vaillants Copters sonnent comme une armée en marche, pas une armée d’aujourd’hui, non, une armée d’avant, du temps où on frappait les glaives sur les boucliers pour vaincre la peur d’affronter un ennemi dix fois supérieur en nombre. Sur ce mini-album, les Copters font une autre reprise de Smokey, «Whole Lot Of Shakin’ In My Heart», complètement hallucinante de véracité suédoise. C’est une véritable révélation. On ne s’en lasse pas, cette idée de trasher la Soul vaut tout l’or du monde.

Attention ! Ne prenez pas By The Grace Of God à la légère. Quand on écoute le morceau titre qui ouvre le bal, on croit qu’il s’agit encore d’un album raté, mais si on va jusqu’à «Down In Freestreet», on sera bien récompensé, car voilà une pop claquée aux beaux accords étincelants. C’est même un hit plaisant et captivant, monté sur un mid-tempo bien claqué du beignet. Ça se met ensuite à chauffer avec «Better Than You», so c’mon et on retrouve leur enthousiasme légendaire, cette espèce de nature bon enfant et cette énergie de chef de meute. Nicke charge sa barque d’oh yeah ruisselants de jus. De cut en cut, l’album semble prendre du volume, oui, car voilà un «Carry Me Home» joué aux accords de belle syncope. Ils adorent secouer leur vieux cocotier, ils tripotent la pop américaine avec un certain brio, voilà encore un hit qui ne veut pas dire son nom. Nicke chante ça aux myriades miraculeuses de l’unisson du saucisson. Il rend ensuite un hommage terrible à Dylan avec «Rainy Days Revisited». Cet album gagne vraiment à être connu. Il règne dans ce Rainy Days une belle ambiance dylanesque avivée par des chœurs de dingues. Et pouf, ils enchaînent avec l’excellent «It’s God But It Just Ain’t Right», pris à la grande chasse de la chandeleur, ventre à terre après le cerf. Nick Royale s’y fait Comte Zaroff, il fonce avec notre bénédiction, et voilà qu’ils passent un pont à la Melody Nelson, mais une Melody tombée dans la nitro. Ils repartent en mode garage soul avec l’effarant «On Time» poundé jusqu’à plus-soif, pulsé au maximum - I’m on my way - Odin bat son enclume, c’est imparable. Encore du répondant d’outre-monde avec «Go Easy Now». On dirait que tout va s’écrouler dans la fournaise. Voilà encore un hit miraculeux. Nicke Andresson va jusqu’au bout de la nuit.

Les Hellacopters reviennent trois ans plus tard avec Rock & Roll Is Dead et un bel hommage à Chuck, «Before The Fall». On note au passage cette extraordinaire facilité qu’ils ont de claquer le beignet du rock. Ils embrayent aussi sec sur «Everything’s On TV», encore un cut admirable de ramalama fa fa fa, bien bardé de power-chords et titillé par une petite mélodie sacrément accrocheuse. On s’étonne d’une telle santé et d’une si belle allure. On les croyait vides de sens, certains les prenaient même pour des bourrins, mais quelle erreur ! Encore un cut sacrément intense avec «No Angel To Lay Me Away». Nicke travaille son rock au corps, avec un éclat persistant. Il shoote là un joli coup de power-rock et joue la carte classique. C’est explosé aux chœurs d’Horus, voilà enfin le rock de la grande pyramide d’EP. Jacobs, hanté de l’intérieur et si bien dessiné, vraiment fait pour les fans. Ils prennent «Leave It Alone» à la Stonesy des familles. On y entend les vieux accords de Keef dans le lointain et ils nous salent tout ça aux chœurs de rêve. On ne s’ennuie pas un seul instant sur cet album, même si les Hellacopters opèrent un virage vers la pop. Nicke claque son «Put On The Fire» aux accords pressés. Il est incapable d’attendre un bus. Il passe au glam de prestige avec «I Might Come Se You Tonight». Une vraie sinécure. Ce mec est très fort. À un point qu’on n’imagine même pas.

Paru en 2008, le dernier album des Hellacopters s’appelle Head Off. On y trouve quatre pures merveilles, à commencer par «Midnight Angels», une pure aubaine directionnelle dotée de toute la puissance du monde. Avec le temps, les Hellacopters sont devenus délectables. On sent chez eux une stature d’exception, quelque chose d’assez mirobolant. Ces mecs qu’on soupçonnait d’être bas du front sont en réalité excellents, talentueux et bourrés d’énergie salvatrice. La deuxième raison de rapatrier cet album s’appelle «Veronica Lake», un cut de pop d’une puissance hors normes. Nicke nique bien son monde, il multiplie les exploits et descend dans des accents pop à l’Anglaise qui défient toute concurrence. Encore de la grosse pop allumée avec «I Just Don’t Know About Girls». Nicke nous chauffe ça sous la paillasse et l’allume au solo définitif. Le cut se répand comme une mélasse de sonic trash inclassable. Les Hellacopters sont un groupe qui vous rend fier d’être fan. Retour au Detroit Sound avec «Throttle Bottom». Nicke ne lâchera jamais la grappe du MC5. Il joue tout son cut aux clameurs de la Saint-Jean. On voit bien que ces gens travaillent à l’ancienne, avec une science du son et un soin du fan qui les honore. Peu de groupes dans l’histoire du rock ont su bâtir des mondes aussi intègres et distribuer autant de blasts d’énervement collatéral. Oh il faut aussi écouter «Another Turn», un strut de pop bien coloré. On n’en finira plus d’admirer ces Suédois huilés de sainteté comme l’étaient les gardiens du temps d’Adonis. On note leur extraordinaire vélocité harmonique de rainbow in your eyes, oh yeah.

Comme les Hellacopters multipliaient les produits dérivés (singles, maxis, splits, splots, spluts et scoubidous), les deux volumes de Cream Of The Crap sont une bénédiction pour ceux et celles qui n’ont pas réussi à tout récupérer. Sur Cream of The Crap Volume 1, on trouve deux belles reprises, à commencer par «Gimme Shelter», introduit par des glissés de guitares et des chœurs somptueux. Bienvenue en enfer ! - If I don’t get some shelter/ I’m gonna fade away - Ils poundent ça à la suédoise, c’est-à-dire avec la violence de leurs ancêtres les Vikings. On a là la plus belle version de tous les temps. Ils tapent aussi dans l’«I Got A Right» d’Iggy & the Stooges. Ils tentent le coup, mais comme on dit, qui ne tente rien n’a rien. Ils font tout ce qu’il faut pour réussir et mettent en route leur dynamique infernale. On entend toute la mécanique des accords. Ils amènent le solo au scream. On le sait depuis longtemps, le blast leur va très bien. On retrouve leur extraordinaire vitalité dans «Down Right Blues» chauffé au oouh oouh oouh et au crazy drive à la Kramer. On a là une vraie merveille aventureuse. Tiens encore un hit, «Ferrytale», gratté à la violence inexpugnable, comme gratté à rebrousse-poil, d’une sauvagerie hors normes. Il n’existe rien d’aussi définitif en matière de boogie suédois gratté à l’insistance maladive. Le pire, c’est que ça sonne comme un hit planétaire, avec des refrains magnifiquement drapés d’accords princiers, et on voit le solo glouglouter sur les spasmes d’une rythmique en syncope. Ils tapent aussi dans «The Creeps», un vieux hit de Social Distorsion. Ils n’y vont pas de main morte. C’est explosé d’entrée de jeu. Les canards boiteux ? Espérons qu’ils ont réussi à se mettre à l’abri. Cette reprise du grand Ness est d’une indécence à peine croyable. Oh il faut aussi écouter cette merveille intitulée «Makes It Alright», car elle chevauche le beat de «Gimme Some Loving». Excellent initiative. Ça fait plaisir de voir des gens aussi dégourdis se lancer dans une telle opération. Ils montent ça en mayonnaise, une expression qui, rappelons-le, sert surtout de métaphore pour illustrer la montée du plaisir. Cette montée s’accompagne bien sûr d’une pointe de fièvre à la Wayne Kramer et c’est épouvantablement bon. Avec «Killing Alan», ils reviennent aux sources, c’est-à-dire au pur blast, chauffé à blanc et ponctué d’ouhs d’uppercut dans l’undergut. Ils sonnent ici comme les Damned de «Fan Club». Infernal ! Encore du ravagé de presbytère avec «Misanthropic High», joué au fucking blow des USA. Ils ne sortent plus du pré-carré du MC5, c’est-à-dire le get out de shit up incendié par les nettoyeurs de tranchées. Tout ici est systématiquement porté à incandescence. Tiens, encore de l’explosé d’entrée de jeu avec «1995». Ils célèbrent probablement un anniversaire.

On trouve d’autres reprises géniales sur Cream of The Crap Volume 2. Comme par exemple «Low Down Skakin’ Chills» des Nomads, effarant blast garagiste amené au scream et embarqué sur les accords de Gloria - Don’t you dare ! - Ils tapent aussi dans Love avec «A House Is Not A Motel», puis dans Scott avec «Slow Down (Take A Look)». Ils en font de la charpie et jouent ça au plus blast de Detroit. Ils reprennent aussi le fameux «16 With A Bullet» des Scott Pirates. Rien ne peut les endiguer. Nicke part en raid dévastateur. On trouve aussi une magistrale reprise de «Time To Fall» des Radio Birdman. Oh on le sait, les compos des Birdmen sont moins spectaculaires. Elles sont même un peu âpres, ce qui semble logique car composées par un étudiant en médecine. Mais Nicke et son gang transforment ça en brasier. On se régalera aussi d’«(It’s Not A) Long Way Down», pur jus de glam à la Sweet. Ça produit un effet qui atomise la cervelle. Eh oui, les Hellacopters subliment l’énergie du glam, ils reviennent par vagues et c’est aussi imparable que la botte de Nevers. On tombe plus loin sur «Who Are You», pur jus de garage punk coptérien explosé aux clameurs de pilleurs. Dregen carbonise tout à coups de saillies. Il n’existe aucun équivalent dans l’histoire du rock. Ils tapent aussi dans les Dead Boys avec «Ain’t Nothin’ To Do». Leur version est si brûlante qu’elle vaut vraiment le déplacement. Ces mecs décrochent toutes les timbales inimaginables. Avec «Kick This One Slow», Nicke plonge dans un enfer de wha-wha. On se retrouve une fois de plus au cœur d’une belle énormité. Ils tapent aussi dans les Misfits avec «Bullet», mais c’est trop punk et sans espoir de retour. Avec «Master Race Rock», on a une cover plus intéressante, car il s’agit bien sûr des Dictators. Ils étendent une fois de plus le domaine de la lutte, avant de taper dans Sabbath avec «Dirty Women». On l’aura bien compris, ce disque n’est pas de tout repos.

Le vol des Copters aura quand même duré quatorze ans. Un bail, comme on dit chez les notaires ! Nicke avoue que ça devenait une routine, et donc il fallait arrêter les frais - To be honest we weren’t the happiest of bands by the end.

Autre épisode d’importance dans la vie de Nicke : les Hydromatics. En 1999, Nicke et Tony Slug voulaient monter un cover-band du Sonic’s Rendezvous et, miracle, Scott Morgan accepta de chanter avec eux. Nicke et Scott se connaissaient car les Hellacopters et le Sonic’s Rendezvous Band avaient tourné ensemble aux États-Unis. Et pouf, voilà qu’arrive l’album Parts Unknown qui remet le feu aux poudres, d’autant que Scott tape dans les vieux cuts du Sonic’s Rendezvous. Ça démarre en trombe avec une version fumante d’«Earthy». On retrouve toute la fournaise rythmique du MC5. D’ailleurs, on ne se demande même pas d’où sort une telle énergie, on connaît la réponse. Dans ce disk, tout est poussé au maximum des possibilités, comme sur Supershitty. Tiens, revoilà «Dangerous», yeah yeah it’s dangerous, toujours le même coup de blast derrière les oreilles de Dieu. Ils rendent aussi hommage aux esclaves marrons avec «Runaway Slaves» et restent dans l’effarance de la fournaise avec «Heaven» qui sonne comme une déflagration atomique, brroaarrr, enfin un truc dans le genre. Ils défoncent tout, ils passent à travers tout, avec la violence d’une charge de hussards. C’est un son unique au monde, un conglomérat d’accords battus comme plâtre. Tout est sur-saturé de puissance riffique et de blastiquage. Nick tente de surpasser Scott Asheton, mais il bat beaucoup plus technique. Tiens, encore une merveille abominable avec «Getting Here (Is Half The fun)» joué au heavy groove carabiné. C’est encore une fois excellent et même au-delà de toute espérance. Scott Morgan pourrait sauver l’humanité, si seulement l’humanité le connaissait. Il agit toujours dans l’intérêt de la fournaise. On retrouve encore l’esprit du MC5 dans «Nailed», explosé au cœur d’accords, joué ventre à terre et imputrescible. Tout l’album sent bon le brûlé. Mais Nicke a des obligations avec ses Hellacopters, et il doit céder la place à Andy Frost que Scott connaît bien : Andy battait le beurre dans Powertrane.

Nicke et Scott se retrouveront un peu plus tard pour monter un autre projet, The Solution. Cette fois, ils vont opter pour un autre genre de fournaise, celle de la Soul. Ils vont partir d’une idée simple : recréer la magie du studio FAME de Muscle Shoals, mais pas en Alabama, en Suède. Comme ces deux-là sont particulièrement doués, ils vont y parvenir. La preuve ? l’album Communicate paru en 2004. Scott y renoue avec le son des Rationals, quand il chantait du raw r’n’b dans les sixties. Il faut absolument écouter «Get On Back» si on aime le r’n’b surchauffé, car c’est digne de tout ce qui se faisait à l’âge d’or de Stax. La grosse viande se trouve en B, avec notamment «Phoenix», une autre énormité montée au beat de Fender bass. Scott y fait son white niggah et c’est saxé jusqu’à l’os du Stax. Attention, une autre merveille impitoyable vous guette, un plus loin : «Words», un magnifique balladif de hot Soul. Scott le prend à l’arracherie gutturale pure et avec un feeling hors normes. Encore un hit avec «End Of The Day», pur jus de r’n’b bien relayé par les filles. Quel extraordinaire cut de Soul dansante ! Scott chante ça avec une belle extravagance.

Ils récidivent trois ans plus tard avec The Solution Will Not Be Televised. Il s’agit là d’un album de groove de Soul qui au premier abord ne présente rien d’extraordinaire, sauf que c’est très chanté et littéralement explosé par des backing Sisters déchaînées. On se régale d’un «Somebody» claqué au shuffle de la Solution, bien hot et terriblement inspiré. Les filles montent vite au créneau, you baby you baby, et leurs backings dynamitent la paillasse du cut. Clarisse Muvemba duette avec Scott sur «Pickin’ Wild Mountain Berries». Les voilà au cœur du Muscle Shoals Sound System. Clarisse se bat comme une lionne et se montre fantastique de gueularderie. Scott réussit à transposer les vieilles dynamiques internes du Sonic’s dans la Soul, ce qui relève de l’exploit sportif. C’est frappant quand on écoute «You Never Liked Me Somehow», un cut de Soul agité de tempêtes intestines. Scott chante «Happiness» à la régalade, avec une voix de coffre éclatante, il fait son white niggah et les filles perdent la raison. Il faut voir comme il swingue son happiness ! Et on assiste en prime à un final de cut éblouissant. «Can’t Stop Looking For My Baby» sonne comme un hit de juke bien pulsatif et on revient au groove avec l’excellent «Hijackin’ Love», le vieux hit de Johnnie Taylor. Scott le prend à la gorge en feu et se lance dans une véritable débauche d’exaction. Il finit par l’exploser en le screamant jusqu’au trognon. Il tape ensuite dans les Staple Singers avec le vieux «Heavy Makes You Happy (Shana Boum Boum)». Il duette avec Linn Segelson. Scott la met à l’aise alors elle enfonce bien ses clous. Elle a de la chance de pouvoir chanter avec un génie comme Scott Morgan. Et ça se termine avec l’indescriptible «Funky Fever» qui va en ratiboiser plus d’un et plus d’une.

Le fleuron de la prestigieuse carrière de Nicke Andresson est sans nul doute Super$hit 666, le quatuor qu’il monta en 1999 avec Ginger Wildheart, Dregen et Tomas Skogsberg, le boss du studio Sunlight à Stockholm. Nicke bat le beurre et Tomas bassmatique. Ils n’enregistrèrent qu’un mini-album sobrement titré Super$hit 666 sur lequel palpitent trois véritables coups de génie orthodoxes, à commence par «Wire Out». Au niveau blastique, ça dépasse tout ce qu’on connaît. Ils jouent au-delà de ce qui est supportable et ça se termine sur un scream dégénéré. Pas la peine de chercher plus barré, ça n’existe pas. Ils re-dépassent les bornes avec «Dangermind», amené au riff sale à poil dru. C’est une infamie de plus à leur actif. Ça super$hite dans les brancards. Voilà le son le plus dévasté de l’intérieur qu’on ait jamais entendu ici bas. C’est complètement nagazaké du ciboulot. Question excès en tous genres, Ginger est le champion du monde. Il ne pouvait pas trouver de compères mieux assortis que Nicke et Dregen. Et paf, ça repart de plus belle avec «You Smell Canadian». Nicke le claque à la charley de défosse et ça part en mode waouuuh ! C’est une pure giclée de Stonesy. Comprenez qu’on est là dans l’un des albums les plus violents du l’histoire du sonic trash. On ne tarit plus d’éloges une fois qu’on a entendu ça. Ginger et ses amis détrônent tous les concurrents, ils explosent tous les cursus du cosmos et le solo d’harmo qui arrive sur le tard achève les survivants. On retrouve dans ce disque toute l’insolente explosivité de Supershitty To The Max. Ils vont même beaucoup plus loin, ils plongent leur hargne dans le sang du Christ, ils développent une mystique sonique complètement tordue, on a là une sorte de pain béni pour tous ceux qui détestent l’ordre établi et la beaufitude. Tout est hurlé à la relance, riffé avec la pire sauvagerie qui soit, tonitrué à la Villon de Montfaucon, c’est opéré à vif, blasté en plein dans la gueule de Dieu, c’est envoyé dans l’œil de la lune et méliessé sans aucune pitié. Ils terminent avec «Crank It Up», qui comme son nom l’indique, te cranke tout cru. T’es foutu d’avance. Une fois que tu es dans ce disque, t’es baisé. Ils te harponnent, tu finis comme ce pauvre Achab, attaché sur le dos du cachalot blanc qui va t’emporter vers le fond, et tu pourras gueuler, personne ne t’entendra. Alors tu vas boire la tasse, un bouillon de son que tu ne seras pas près d’oublier.

Avec Imperial State Electric, Nick Royale redevient Nicke Andersson et passe à autre chose. En 2010, il enregistre tout seul un premier album sobrement intitulé Imperial Static Electric. On s’attend plus ou moins à un résurgence des Hellacopters, mais Nicke opte pour un parti-pris plus consensuel. Il propose une pop-rock sans identité bien définie. Au dos de la pochette, Nicke pose avec ses guitares et une casquette d’officier de la Wehrmacht, histoire de sauver les apparences des clichés. On aura un mal fou à déterrer un cut excitant sur cet album. «Throwing Stones» plaira aux lapins blancs pour son côté pressé qui ne traîne pas en chemin, mais la pop règne sans partage ici et ça ne semble pas lui correspondre. Quand on écoute «I’ll Let You Down», on croirait entendre du Merseybeat de 1963, du genre Jerry & the Peacemakers, Garry & the Mindbinders, Quarrymen ou Searchers. C’est incroyablement ridicule. Il frôle même parfois le bubblegum. Il finit l’A avec un «I Got All Day Long» un brin garage, voire Mott, mais au fond, il ne fait que flatter l’esprit des seventies en cherchant une sorte d’ampleur. Oui, Nicke cherche à niquer le rock seventies et flirte avec le beau glam londonien. En B, il cède aux sirènes du garage avec «Deja Vu», c’est envoyé ad patres vite fait, avec un solo qui coule comme un camembert trop fait, mais ça reste très poppy quand même. Avec un cut comme «Alive», il va plus sur Kiss ou Mick Ralph. On a même l’impression d’entendre une pop qui ne saurait pas choisir son camp. Il boucle avec «Redemption Gone» joué aux clameurs des Heartbreakers, ceux de Johnny, bien sûr.

Sur la pochette de Pop War, Nicke chevauche un étalon, en chef de guerre, brandissant l’immense drapeau écarlate de son corps d’armée. Dès «Uh Huh», ils reviennent à cette pop noueuse un peu ennuyeuse qui rappelle les mauvais souvenirs des Cars et de tous ces groupes de rock FM. On croit même avoir un peu de glam avec «The Narrow Line», mais au fond, on en arrive à se dire qu’il vaut mieux aller réécouter Ziggy et Mick Ronson. On croit même entendre Cheap Trick dans «Can’t Seem To Shake Off My Mind». C’est assez courageux de leur part de vouloir jouer les popsters de haut rang. En B, on se régalera du refrain de «Sheltered In The Sand». Ils visent une sorte d’excellence poppy enfarinée, mais l’étincelle leur fait défaut. Ils reviennent enfin à la high energy des Copters avec un «Enough To Break Your Heart» chanté ventre à terre, avec du tonite en veux-tu en voilà et des petits accords à la T. Rex, mais ceux qui pressent la pas, car la nuit tombe et on entend hurler les loups. Nicke se fend de quelques beaux alrite pour ponctuer à la fois sa démarche et ses intentions.

Il semble vouloir améliorer la qualité des compos avec l’album Reptile Brain Music. Belle pochette illustrée en tous les cas, avec un design graphique au service d’un vieux cliché. Ils sonnent parfois comme Mott The Hoople («Underwhelmed») et comme Bad Co («Faustian Bargains») et ils arrondissent les angles du garage sur le morceau titre. On observe un regain d’intérêt chez le lapin blanc au moment où arrive «More Than Enough Of Your Love». La détermination finit par payer, d’autant qu’on entend bien la basse de Dolf de Borst dans le mix. Elle sonne fraîche comme un gardon et semble vouloir remonter les courant glacés des fleuves d’Écosse. La viande se trouve en B avec «Apologize», joué aux heavy riffs doublés au sableur. C’est du grand art, d’autant que Dolf rebondit derrière. Ils font une espèce de Bad Co d’inspiration divine. On aura encore de la belle pop inspiratoire avec «Eyes». Ils savent recycler toutes les vieilles ficelles de la grande pop américaine et passer des solos à la George Harrison. Leur «Born Again» est sacrément cavalé ventre à terre, voilà le tagada le plus rapide de l’Ouest. Ces mecs pourraient bien être des virtuoses de la contre-façon. Et puis on retrouve les gros accords à la Mott dans «Nothing Like You Said It Would Be». On est au cœur du rock’n’roll platform boots à l’Anglaise.

L’impression d’une nette amélioration se précise avec l’album suivant intitulé Honk Machine. Ils tapent en plein dans Mott pour «Let Me Throw My Life Away», avec de gros accords joués à la cantonade. C’est dingue ce que ces mecs adorent revenir en arrière ! Avec «Guard Down», ils s’énervent un peu, mais leur écart de conduite n’aura rassurez-vous aucune incidence sur l’avenir du genre humain. On salue ce cut uniquement parce qu’il est monté sur une belle bassline de Dorf. Il fouette ses cordes à une vitesse supersonique. Un cut comme «Maybe You’re Right» requiert aussi l’attention du lapin blanc, car swingué léger et admirable à certains petits égards. On les sent plus à l’aise sur des formules plus swinguy. En B, Nicke s’amuse à passer en force avec «Lost In Losing You», mais il le fait à l’ancienne. Sa pop se veut plus élégiaque avec «Just Let Me Know». Ils adorent exploser les genres, voyez-vous. L’ami Nicke sait se glisser dans la peau des gros balladifs qui ont fière allure. C’est même d’ailleurs la première fois qu’un de ses cuts sonne comme un hit. Ils bouclent avec un «It Ain’t What You Think» riffé sévèrement et qui pourrait aussi sonner comme un vieux hit pop-rock des seventies, grâce à son aimable verdeur. Ils jouent sur un éventail de possibilités assez large et ça ne fait que nous conforter dans l’idée qu’ils peuvent être excellents.

Leur dernier album All Throught The Night vient de sortir. Nick Tesco est allé rencontrer Nicke en Suède pour Vive le Rock. Il profite de la parution du nouvel album pour faire sa connaissance. Il commence par le complimenter sur la qualité du son. Ça sort d’où ? Un grand studio ? Nicke rigole et lui répond : ma cave. Il explique qu’avec la dernière tournée des Hellacopters, il a réussi à mettre assez de blé à gauche pour équiper un studio. Nicke voulait aller enregistrer chez ToeRag à Londres, mais il n’avait pas le blé nécessaire.

Il ne jure que par le son de Muscle Shoals, le drum sound, a dry up-front sound qui pour lui a disparu. Et Kiss, qu’il a toujours adoré. Il avoue même que Kiss est son first love. Puis il évoque le blues, Toumani Diabaté et ces chordal structures qui traversèrent l’Atlantique pour chroniquer l’abomination de l’esclavage. Il évoque aussi le punk-rock qu’il découvrit ado grâce au père de son pote Kenny qui collectionnait les Damned et les Ramones. Alors bienvenue dans le seventies sound d’All Throught The Night avec «Empire Of Fire». L’ami Nicke s’englue dans le heavy rock typique des années de braise, c’est joué au gras double, avec des paroles qui collent au papier du charcutier. On retrouve dans cette mise en bouche tous les vieux réflexes de John Du Caan et des autres graisseux de l’âge d’or. On est hélas obligé de supporter quelques mauvais cuts qui sonnent comme ceux d’Aerosmith ou des Eagles et il faut attendre la fin de l’A pour retrouver du Copters sound avec «Over And Over Again». En B, on peut essayer de se régaler de «Read Me Wrong», une sorte de country-rock mélodique assez dense, pas très loin de ce que font les Teenage Fanclub. Ils prennent «Get Off The Boo Hoo Train» au boogie de la hurlette. Pauvre Nicke, il se fourvoie dans toutes les botaniques. Pour se remonter le moral, il faut prêter l’oreille à «Would You Lie», un joli shoot de high energy.

Signé : Cazengler, Andersson of a bitch

 

 

Imperial State Electric. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 13 mai 2017

Hellacopters. Supershitty To The Max. White jazz Records 1996

Hellacopters. Payin’ The Dues. White Jazz Records 1997

Hellacopters. Disapointment Blues. White Jazz Records 1998

Hellacopters. Grande Rock. White Jazz Records 1999

Hellacopters. High Visibility. Psychout Records 2000

Hellacopters & The Flaming Sideburns. White Trash Soul. Bad Afro Records 2001

Hellacopters. By The Grace Of God. Universal. 2002

Hellacopters. Rock & Roll Is Dead. Psychout Records 2005

Hellacopters. Head Off. Psychout Records 2008

Hellacopters. Cream of The Crap Volume 1. Psychout Records 2002

Hellacopters. Cream of The Crap Volume 2. Universal 2004

Hydromatics. Parts Unknown. White Jazz Records 1999

The Solution. Communicate. Wild Kingdom 2004

The Solution. Will Not Be Televised. Wild Kingdom 2007

Supershit 666. Infernal Records 1999

Imperial State Electric. Imperial Static Electric. Psychout Records 2010

Imperial State Electric. Pop War. Psychout Records 2012

Imperial State Electric. Reptile Brain Music. Psychout Records 2013

Imperial State Electric. Honk Machine. Psychout Records 2015

Imperial State Electric. All Throught The Night. Psychout Records 2016

Nick Tesco : High Voltage. Vive le Rock #39 - 2016

 

SAVIGNY-LE-TEMPLE / L'EMPREINTE /

16 -09 – 2017 - LODEX PARTY

BELLY RAGE / LEAVING PASSENGER / FIN ALTERNATIVE /

GATHER NO MOSS / ELEVENZ / ABSTRACT MINDED /

FALLEN EIGHT / INSANE CAMP / WILD MIGHTY FREAKS

 

Font fort à L'Empreinte pour l'ouverture de la saison, neuf groupes d'un coup, un teaming réglé à la minute, une demi-heure par combo, en alternance, une fois dans la petite salle, l'autre dans la grande. Pas de temps à perdre, début des festivités à dix-neuf heures, arrêt à minuit, ce qui permet aux visiteurs qui viennent de loin de rattraper le RER, station à deux cents mètres du local.

BELLY RAGE

Sympathiques. Juste un problème, ont oublié à la maison cette rage au ventre qu'ils projettent dans leur appellation. Jeune femme à la longue chevelure bouclée devant au micro, trio de mecs derrière. Elle a ce charme un peu maladroit qui vous interdit de quitter la salle. D'autant plus qu'elle prend de l'assurance au cours du set. L'arrive à supprimer ces moments d'hésitation peuplé de silence entre deux morceaux qui vous détruisent la mécanique de la mayonnaise qui essaie de cristalliser. L'on a envie de crier aux messieurs derrière d'appuyer un peu plus, nous servent un hard trop incolore, sans trop de saveur, donnent l'impression d'une toute nouvelle formation qui n'a pas encore effectuer les réglages nécessaires. Du boulot en perspective, n'empêche que l'on n'a pas envie de les accabler. C'est en forgeant que l'on devient forgeron.

 

LEAVING PASSENGER

Nous ont pas fait le coup du passager abandonné sur une île déserte. Nous ont emmené avec eux. Doucement par la main au début puis l'avion a pris de la vitesse et l'on a voyagé dans un beau pays. L'on avait enfourché l'oiseau en toute confiance, nous les avions vus pour la première fois au Chaudron du Mée-sur-Seine ( voir KR'TNT ! 263 du 07 / 01 / 16 ). Z'ont salement progressé. Dans leur genre, hard mélodique appuyé, formule qui repose avant tout sur le chanteur. Z'en ont un, et un bon, Julien, collier de barbe qui lui allonge et poétise le visage, m'évoque je ne sais pourquoi la figure d'un renard, pas du tout l'animal rigolard du roman moyenâgeux, mais la bête fauve et inquiétante que l'on retrouve sur certains tableaux des préraphaélites. Scream, Running, Lies on the Floor, trois titres qui se succèdent en prenant à chaque fois de l'ampleur, Vince s'active à la batterie, met la pression, un peu comme les murs de la cellule dans laquelle l'on vous a enfermé qui se rapprochent inéluctablement afin de vous écraser, Jumar à la basse promulgue des climats oppressants d'humidité et à la guitare PC tisse d'épaisses toiles d'araignées équatoriales, lourde musique qui converge vers Julien, l'en apparaît comme l'exsudation phénoménale. Ses camarades le poussent en avant mais lui il les emporte plus loin dans sa voix. L'emmène aussi le public, le subjugue, ne bouge pratiquement pas, mais les regards ne quittent pas ses lèvres qui se posent sur le micro. When it's done, Where to Begin, Dead Inside, clôtureront le set. C'est dommage, l'on serait resté plus longtemps envoûtés, encroûtés dans cette tiède et onctueuse pâte à modeler les âmes, englués comme des mouches qui se seraient fatidiquement posées sur une matière inconnue, mortelle mais qui vous susurrerait aux oreilles une mort si douce que vous en redemanderiez encore. Un instant d'étrange beauté dans notre monde d'aveugles. Mais peut-être est-il plus prudent de ne pas s'exposer trop longtemps à ses radiations venues d'ailleurs.

 

FIN ALTERNATIVE

Exactement tout ce que je n'aime pas. Un mal fou à supporter le rock alternatif français. Que voulez-vous à chacun ses préventions. Trouve ce genre démagogique. N'aime guère que l'on fasse copain-copain avec moi. Pense que le la scène du monde ressemble plutôt aux théâtres de la cruauté à la Antonin Artaud. Et pourtant ne savent pas quoi faire pour convaincre l'assistance. Huit sur scène, deux choristes, un clavier, un batteur qui frappe fort, un guitariste pas idiot, un bassiste et un grand escogriffe à la dégaine accrocheuse, muni d'un violon électrique, et une chanteuse ( chante en français ) convaincue qui se donne à fond pour vous emmener dans son sillage. Un peu comme ces filles inopportunes qui vous retiennent par les basques alors que vous avez affaire ailleurs. Me suis sauvé au milieu du deuxième morceau, en ai profité pour engloutir une barquette de frites au bar, tenaillé par ma conscience professionnelle j'y suis revenu par deux fois, pour me retirer au plus vite. Ce qui n'est pas facile car ils ont un public qui adore et qui fait masse. Franc succès, je le reconnais. Ensuite je n'y suis plus retourné. Parfois il faut savoir mettre fin aux alternatives.

 

GATHER NO MOSS

Exactement tout ce que j'aime. Un groupe de rock'n'roll. Un vrai. Deux guitares, basse et batterie. N'amassent pas la mousse comme ils se présentent. Ils ont raison, car avec eux inutile de penser que vous pourrez vous raccrocher aux petites herbes. Mykeul est au chant et à la guitare. Une belle retrouvaille, nous l'avons déjà vu en tant que lead-vocal avec One Dollar Quartet ( voir livraisons 239 et 278 ), mais là ce n'est pas pareil, bye-bye les reprises des pionniers, Gather No Moss est d'une toute autre dissemblable formule, bien plus électrique. L'on ne tarde pas à s'en apercevoir, Mykeul envoie le chant et le riff, c'est parti et bien enlevé et c'est là que le miracle se produit. Par-dessous, en-dessous. Le coupable est aux premières loges. Très grand, mince, peinturluré de toutes les couleurs – notamment ce froufrou orange qui lui entaille la gorge comme s'il venait de se faire égorger, et les bras qui ressemblent à des peaux de serpents venimeux, des tatouages qui ressortent d'autant plus sur sa beau ultra-blanche, l'a une dégaine qui n'est pas sans rappeler la silhouette maladive de Sid Vicious. A part que lui il sait jouer. Avant de venir, je m'étais demandé s'il n'aurait pas mieux valu voir Iggy Pop à la Fête de l'Huma, mais là plus question de regretter, car le son stoogien je l'ai à cinquante centimètres de moi. Ah mes amis quelle décoction, mandragore et nitroglycérine, vous savez quand le son s'infiltre partout, qu'il s'empare de vous et vous lamine jusqu'à la pointe des pieds, z'avez l'impression que l'on vous passe à la gégène, c'est délicieux et vous n'avez même pas besoin d'en redemander, parce que les Gather No Moss, ils ne connaissent que ça. Ne sont pas du genre à s'enfermer trois mois dans un ashram sur les pentes enneigées du Thibet pour donner un titre à leur dernier morceau - ont le bon réflexe des originaux - font au plus immédiat, New Rock Song, difficile de trouver une meilleure définition. Evidemment le contenu est à la hauteur. Côté section rythmique ça ne chôme pas, vous poussent la débroussailleuse à grands rendements. Mykeul assure comme un pro, étaient pressés de commencer, l'on n'était que deux pèlerins aux premiers accords, ça n'a pas fini de s'agglutiner avec de ces applaudissements de plus en plus touffus et approbateurs à chaque morceau. Perso la soirée se serait arrêtée là, je serais parti content. Avec les Gather No Moss vous avez tout ce vous pouvez désirer en ce bas monde. L'essentiel reptilien du rock, la force brute de l'électricité. Pouvez vous coucher tranquille dans votre cercueil. Bande de vampires. Lorsque la nuit sera revenue vous irez boire encore une fois le sang électrique des Gather No Moss. Car c'est ainsi que nous survivons.

 

ELEVENZ

Ne sont que trois mais ont décidé de faire du bruit pour onze. Y réussissent parfaitement nos trois grands gaillards. Pas du genre à chipoter pour un quart de sucre dans la tasse à thé. Vous avalent directement la théière de décoction au piment de cayenne porcelaine comprise, d'une seule lampée. Si vous vous en tenez aux titres, vous êtes dans l'erreur. Se présentent comme des adeptes du surfer-metal. Summers, Holyday, Surfer, Teenagers, un prospectus de rêve, z'êtes des zèbres prêts à filer sur les plages de sable fin de la Californie. Ils ont juste oublié de vous préciser que vous surfez sur des planches à clous tétanosiques rouillés entouré de requins faméliques aux dents dégoulinantes de sang. Rock primaire. Martelé hardiquement. Font penser aux premiers punks qui vous arrêtaient les morceaux dès qu'ils feignaient de dépasser les deux minutes douze secondes. Le batteur a son truc. D'une simplicité biblique. Toutes les deux secondes il abat son bras gauche sur la caisse claire. La colère de dieu qui tonitrue sur Sodome et Gomorrhe. Circulez il n'y a plus rien à voir. De toutes les manières pour ceux qui n'ont rien compris il recommence dans une seconde. Le bras droit est pour les cymbales. Doivent être contentes les malheureuses quand le set touche à sa fin, je préfère ne pas vous parler du traitement réservé à la grosse caisse, vous n'en dormiriez pas cette nuit. Après un tel cauchemar il n'est point besoin de désespérer, le chanteur a de l'humour, rhinocérosique, ne se prend pas aux sérieux, fait particulièrement gaffe à la fin des morceaux qu'il n'hésite pas à faire recommencer s'ils ne sont pas assez grandiloquents. Assène aussi les riffs à coups de marteaux, vaillamment secondé par le bassiste qui tricote des armures dans son coin. Très fruste. Mais quand l'on n'a rien à boire l'on avale sans râler la bouteille d'alcool à quatre-vingt dix degrés sans sourciller. Alors de quoi vous plaindrez vous ? Ce qui ne vous a pas tué vous a rendu plus fort.

 

INTRODUCTION A ABSTRACT MINDED

C'est comme dans les grands cataclysmes. Ceux qui en sont revenus n'arrivent pas à en parler. A la télé vous voyez les lueurs d'angoisse horrifiées qui brûlent leurs yeux mais il leur est impossible de rendre compte des évènements. En tant que rescapé je vais toutefois tenter de vous donner une idée, certes imparfaite du maelström, mais qui je crois suffira pour définitivement dissuader toute personne censée de se rendre à la moindre des futures apparitions publiques d'Abstract Minded. Notez que connaissant la pernicieuse purulence de la nature humaine je ne me fais guère d'illusion, mes propos alarmistes auront sûrement pour effet d'inciter amateurs et chercheurs de sensations fortes à se précipiter vers le phénomène. J'en décline à l'avance toute responsabilité morale et amorale.

Rien que le nom est problématique. Avez-vous seulement pensé une fois à cette curieuse notion de rock abstrait induit par le nom du groupe ? Voici le genre d'objet mental non identifié qui ne se laisse pas saisir facilement. A première intuition ce genre de concept semble sortir tout droit d'un esprit malade. Votre inquiétude s'accroîtra lorsque vous vous apercevrez que deux éléments de cet étrange quinconce se sont échappés tout droit de l'asile de Klaustrophobia. Rappelez-vous ce groupe de jeunes gens en colère avec la chanteuse Youki, l'avait un regard si méchant quand elle se saisissait d'un micro que vous aviez envie de courir à Lourdes pour allumer un cierge à la Sainte Vierge. Les trois autres pour le moment je ne ne possède aucune information quant à leur provenance. Donc Alexis Ally Godefroy ( dans le dos ) et Zivan Iddy Rasalofo issus d'un des groupes les plus prometteurs de sa génération, aujourd'hui dissous, j'ai entendu ce dernier tenir à un ami des propos qui sembleront étrangement familiers aux habitués des théories gnostiques, suite à une longue période kaotique, Abstract Minded se serait mis au vert toute une année, le temps de se reconstituer au calme, mais cette accalmie se serait révélée encore plus kaotique que l'époque précédente si charivarique qui en avait suscité le besoin, toutefois ce serait au milieu de ce kaos à la puissance 10 que le groupe aurait reconstitué ses forces et sa vitalité créatrices comme s'il avait accédé, grâce cette nouvelle tornade de grande violence, au centre d'annulation des contraires de l'œil de l'ouragan...

 

ABSTRACT MINDED

Et maintenant sont sur la petite scène. Trop exigüe. Sont cinq, et la colossale stature de Joey Bash Baudrier mange toute la place. Un peu comme ce soir maudit où une souris était entrée par l'oreille dans votre cerveau et s'était emparée de tous vos centres de commandements. Dans la matière grises de vos cellules vos synapses s'étaient mises à tournoyer à toute vitesse. Ainsi réagissent les quatre autres membres du groupe. Bougent sans fin, tournent sur eux-mêmes, s'entremêlent en une ronde effrénée, vous ne savez plus qui est qui, mais ce n'est pas grave car dans le parterre la foule est devenue folle, et vous-mêmes êtes emportés dans le même tourbillon impétueux, les corps se frottent, se cognent, se choquent, s'entrechoquent, vous n'êtes plus qu'une hystérie collective, votre moi se balade de tête en tête, une espèce de capillarité mentale qui trimballe votre esprit de boîte crânienne en boîte crânienne. Attention, vous avez l'image, j'ajoute le son. Musique forte, colérique, composée de noyaux accélératifs qui se succèdent sans arrêt. A peine l'un explose-t-il qu'il est poussé hors du spectre sonore par un nouveau encore plus irique que le précédent. Des boules de feu qui naissent spontanément, des espèces d'étoiles filantes sonores qui s'auto-détruisent à peine nées. Abstract Minded nous délivre un métal neuronal. Nous ne sommes pas loin de certaines outrances de la musique classique d'avant garde, mais ici l'expérience phonique ne se module pas en laboratoire à forte tension technologique, se déroule en vivo, musiciens et spectateurs servent de cobayes. Peut-être dans un futur proche cela tournera-t-il en orgie métaphysique, je n'en veux pour preuve que toutes ces filles qui ont assailli la scène sur le morceau final et se sont mêlées au tournoiement infini des guitaristes. Joey Bash Baudry n'est pas que chanteur. L'a une présence opérative. Dans les deux sens du terme. Dans sa redingote grise il donne l'apparence d'un chanteur d'opéra, le Pavarotti du rock, mais aussi le meneur du rituel qui tente la translation magique des âmes. C'est lui qui pousse le public et l'orchestre au bout d'eux-mêmes, il donne de la voix, il génère l'accélération fabuleuse celle qui déplace non pas les objets et les corps mais leur âme inanimée, porte la tension a son comble. Les deux derniers morceaux seront consacrées à la redescente en soi. Se tient debout, bouche fermée, silencieux, ses bras levés dessinant une coupe de réception, zen terriblement zen. Le bouddha debout qui n'a pas mené l'intrusion collective dans le nirvana et qui agit par sa seule présence pour que les briques mentales du monde reprennent leur place. Abstract Minded nous laisse brisés, pantelants, chancelants, décérébrés. Nous ont promis qu'un jour nous n'aurons plus besoin de catharsis.

 

FALLEN EIGHT

Heureusement qu'il y a eu Fallen Eight juste après. Nous fallait un médicament fort. Nous l'ont administré illico. Fallen Eight c'est comme le définit exactement le titre de leur dernier CD, Rise and Grow, la rosée étincelante de l'aurore et l'intumescence majestueuse du déploiement sonore jusqu'au fracas métallique des forges des Nubelingen. Ce soir nous ont offert le gros du grow. Une musique âpre, remuée, concassée, un gruau d'avoine folle que l'on donne aux chevaux fourbus après l'effort. Sans concession, juste le rock, sans ajout digestif. Servi chaud et de main de maître. Plusieurs mois que nous ne les avions revus sur scène. Le groupe a gagné en cohérence, l'est comme un poing fermé, chacun des cinq doigts ayant augmenté en force et en souplesse. Cela s'appelle une leçon. Rien à dire de plus. Si ce n'est que s'incliner.

 

INSANE COMP

Trois sur scène. Vice à la guitare, Valentin Henry à la batterie. Peu de monde, ce qui explique la nécessité de nombreux samplers qui viennent compléter le magma phonique des musiciens. A moins que ce soit le contraire, les musicos qui accompagnent et commentent le trailer d'un film sonore sur Vitaphone. Beaucoup d'espace libre sur la scène pour Vincent Blaster. Micro en main et voix pas dans sa poche. Le set repose sur lui. Parvient à captiver l'auditoire. Rauque organe. Qui jamais ne se casse et dont il joue avec dextérité. Musique dure et qui donne impression de dépouillement malgré l'habillage électronique. Se bat bien, image d'un guerrier infatigable qui ne quitte jamais la ligne de front. Ont laissé sur les tables d'entrée une centaine de CD à disposition du public. Un geste qui dénote un esprit que nous aimons. Nous le chroniquons dans la livraison prochaine.

 

WILD MIGTHY FREE

Le dernier groupe de la soirée. Bénéficieront d'un public encore nombreux. Nous les avions vus à la troisième session du Wild Pig festival ( voir livraison 296 du 29 / 09 / 16 ). Nous la préférons à cette prestation-ci. Ce n'est pas qu'ils aient été plus mauvais, le show a même gagné en professionnalisme. Sont doués. Crazy Joe évolue dans sa veste et sous un chapeau d'un rose grenat du meilleur aloi qui lui confère une silhouette des plus stylées. Sait s'adresser au public, l'a un jeu de scène ad hoc et sans hic qui se prête à merveille au hip-hop. Un peu gentleman, un peu charlatan. Voici quelques mois j'ai été obligé d'accompagner une amie à un concert de Kery James, pas le genre de truc dont je me suis vanté, j'avais tout de même été déçu par la prestation du rapper numéro 1, extrêmement variétoche et ennuyeuse, très en deçà de sa réputation plus ou moins sulfureuse, Crazy Joe est à mille crans au-dessus. L'a la classe. Américaine serais-je tenté de dire. Trop bien huilée, sans faille, sans faute. Yabby s'occupe des samplers, en dehors du réglage des machines qui ne lui prennent que quelques secondes il ne fait rien, promène son indolence avec décontraction. Flex et sa guitare s'en viennent tourner autour de lui, ce n'est pas son masque blanc de macchabée qui effraiera notre chevronné machiniste. Yabbi présente cette coupe inimitable des employés de bureau débonnaire qui en ont trop vu et que rien ne saurait déranger et émouvoir même la visite inopinée d'un chef de service. Préfère laisser le boulot aux autres. Notamment à Tonton qui arbore au bas du visage un masque de mandibule opératoire qui lui prête un air de cadavre que l'on vient de sortir de la fosse commune et dont toutes les chairs n'ont pas encore fini de se putréfier. En tout cas nos deux morts-vivants pètent la forme, matraquent leurs instruments comme CRS en jour de manifestation. Ce n'est pas ce que j'appelle un set - qui d'après moi se doit de renouer instinctivement avec la dramaturgie du théâtre grec - mais plutôt un spectacle. Une manifestation réussie qui appartient au registre du délassement. Entertainment qui soulage mais ne vous libère pas de vos entailles. En tout cas, nos quatre freaks s'en tirent d'une manière fort agréable. Sont ovationnés par le public. Deux jeunes filles me regardent bizarrement, se demandent pourquoi je ne participe pas au contentement collectif. Désolé, mes demoiselles, comme disait Saint John Perse, à plus amer vont nos songes.

Damie Chad.

GENERATION NEANT

F. J. OSSANG

( Blockhaus & Warvillers / 1993 )

 

Le dernier film de F. J. Ossang, 9 Doigts, fut programmé ce mardi 12 septembre 2017 à L'Etrange Festival Paris. Mais nous préférons revenir sur une oeuvre ancienne du cinéaste, le roman Génération Néant sorti aux éditions Blockhaus en 1993. L'était temps d'ailleurs, le tapuscrit datait de plus de dix ans, et les éditeurs tout en reconnaissant l'originalité de l'écriture ne s'étaient pas précipités pour le publier... Facile de présenter le bouquin, Génération Néant est au No Future des Sex Pistols – rappelons fort opportunément que F J Ossang fut aussi le leader du groupe MKB ( Messageros Killer Boys ) - ce qu'un porte-avions de combat est à un radeau perdu au-milieu de l'Océan. Quatre cent pages face à un slogan de deux mots ! Victoire par KO technique pour le petit David face au géant Goliath à la première seconde du first round. Soyons juste, les anglais avaient la rage au ventre et les français vous ont toujours un petit air prétentieux intello qui les dessert bien souvent.

Un conseil si vous vous lancez à l'abordage du navire amiral. Prenez tout votre temps, restez un max collé sur les quatre premières pages. Dès la phrase initiale vous êtes en pays connu, polar noir sans sucre, vous avez compris à la cinquième ligne que le petit douanier du Panama ne sera pas à l'heure au taf. Elémentaire, cher Watson ! Mais le titre du chapitre suivant vous avertit : La profondeur de l'énigme. Puits sans fond. Attention un mort peut en cacher un autre. Surtout s'il est vivant. Enfin on ne sait pas trop. Heureusement qu'Eurydice perdue s'en vient chercher son Orphée. N'en est pas pour autant sorti de l'enfer. Ce qui n'est pas le plus grave. C'est au niveau de la comptabilité qu'il est difficile de suivre. Notre héros va mourir treize mille fois. L'anti-gang qui ne prend pas de gants est à ses trousses. Entendez les services secrets de l'ordre noir. Attention, dimension internationale. Mais les Messageros Killer Boys sont des apatrides transeuropéens. A peine en avez-vous abattu un qu'un autre prend sa place. Arthur Strike est immortel. Faut bien qu'il soit vivant puisqu'il n'en finit pas de mourir.

N'empêche que l'intrigue avance. Jusqu'à... à peu près la cent cinquantième page. Après vous n'en saurez pas davantage. Normal parce que résolue elle n'est plus intrigante. Ce qui ne veut pas dire que le lecteur s'ennuie. Oh non, n'en a pas le temps. Dans les puits sans fond voyez-vous ce qui est important c'est le puits puisqu'il n'y a pas de fond. Au fond de tout cela, l'est un mystérieux minerai aux infinies propriétés. Pas le genre de joujou à mettre entre toutes les mains. Quand vous avez la puissance infinie vous tenez à la garder secrète. Surtout que c'est un peu dangereux. Certaines manipulations risquent d'ouvrir une faille dans la croûte terrestre et révéler un monde plus creux que votre cervelle. Si vous voyez dans ce scénario une géniale intuition de l'extraction du gaz de schiste autant que vous arrêtiez la lecture. Vous n'avez rien compris. Z'êtes pas du genre à pénétrer dans la cité interdite de Markan. Ne cherchez pas sur une carte. Non ce n'est pas une invention de l'auteur. C'est simplement qu'elle n'est pas détectable. Si l'analogie avec Le Mont Analogue de René Daumal vous saute aux yeux c'est que vous avez pigé que ce pseudo-galimatias politico-policio-prospectif est un roman métaphysique et vous connaissez le moyen de percer le rideau des rayons protectifs qui vous empêchent de pénétrer dans la ville maudite. Je suis bon prince. Je vous refile le code d'entrée. D'une simplicité enfantine. Vous aurez beau essayer de vous y glisser subreptice, jamais vous n'y parviendrez. Pour une simple et bonne raison. Vous y êtes déjà, dedans. Tout se passe dans la tête. Ce qui n'est peut-être pas la bonne solution. Car tout ce qui sort de vous n'est pas obligatoirement du meilleur effet, l'araignée qui tisse son fil de soie n'en est pas moins un monstre prédateur. Et le problème c'est que si vous vous prenez dans la trame de vos phantasmes bonjour l'angoisse, vous n'êtes pas sorti de l'auberge tauromachique des cauchemars. Z'avez intérêt à analyser la situation au plus profond. Déduction totalement partagée par le héros de notre livre. Pour son identité vous avez le choix entre treize mille noms anonymes. Mais Ossang ne vous laisse pas dans l'expectative. Vous dévoile le fin mot de l'histoire. L'est un mélange d'os et de sang. Remarquez comme cela est croquignol, nous sommes tous faits de ces deux matières. Mais ce n'est pas si simple. Parce que c'est plus compliqué. Genre de révélation qui jette davantage un nuage d'encre noire – l'autre côté de l'os blanc de seiche - qu'une grande lumière. C'est que voyez-vous la trace noirâtre porte un nom, elle s'appelle littérature. Pas celle qui s'écrit à la petite semaine, mais celle qui se conçoit comme alchimie, métamorphose du vécu en objectivation littéraire, à l'Antonin Artaud, à la Ezra Pound, à la Stanilas Rodanski... L'oeuvre au rouge du sang de la vie régressée en oeuvre au noir de l'écriture. Génération Néant transforme la vie en caca. Transgression. Oui mais transeuropéenne. Car si there is no future in english dreams ce n'est guère mieux pour toute l'Europe. Montée du nililisme dixit Nietzsche. En plein dedans. Dans la merde noire jusqu'au cou ! Ouille, ça fait mal ! Oui jusqu'aux couilles. Car le serpent du sexe n'est jamais bien loin. La femme ne l'écrasera pas de son talon. Soyons un tantinet plus romantique. Orphée se penche sur Eurydice endormie. Est-il la vipère qui désire lui inoculer la seringue de la mort minérale, ou le poète qui s'interroge sur le mystère androgynique de l'union du mâle et de la femelle ? La mort ne serait-elle pas un absolu bien plus fort que l'amour ? Regardez comment se termine Tristan et Iseut. Toutefois maldonne si les héros meurent à la fin du livre. Cette génération n'engendrera-t-elle que le néant ? Roman métaphysique et donc métapolitique aurait dit Jean Parvuleco. Les Messageros Killer Boys tels un ordre de chevalerie auto-chargée de la regénérescence d'une Europe perdue. Génération vouée à l'échec. Génération du vide. La jaquette intérieure se termine sur la citation de Richard Hell : « I'm the blank generation / and I take it or I leave it each time / I belong to the ------ generation / but I can take it or leave it each time ». Le No Future nous renvoie-t-il au présent éternel de notre dépérissement générationnel ? Au sens aristotélicien de ce dernier terme. Selon cette formule ambiguë nous pouvons espérer du désespoir. Roman Noir. Très noir. Pas étonnant que la génération punk ne se soit emparée de ce livre que du bout des doigts, que du bout des lèvres. Ce qui est dommage. Ecrit électrique de haute poésie. Qui dépasse tout ce qui a été produit en le genre. Livre de chevet des légions destriennes.

Damie Chad.

LES VAGABONDS DE LA FAIM

TOM KROMER

( Christian Bourgois Editeur / 2000 )

 

Trouvé au fond de ma bibliothèque. Récupéré, voici une dizaine d'années, dans une bibliothèque municipale qui s'en débarrassait. C'est la dernière mode dans les bibliothèques publiques – qui va s'accélérant – l'on offre à l'étal du servez-vous-librement-s'il-vous-plaît les livres sur lesquels les lecteurs ne se sont pas jetés afin de faire place aux fatras de nouveautés affligeantes qui encombrent les rayonnages de plus en plus consacrés aux ouvrages à charges neuronales équivalentes à zéro, au détriment de ceux qui poussent un tant soit peu à réfléchir. Politique de décervelage menée avec tant d'obstination qu'elle ne saurait correspondre à un plan froidement réfléchi d'idiotisation des populations ! Le titre qui puait la chaussette de hobo pas lavée depuis deux mois et la préface de Philippe Garnier, correspondant de Rock & Folk aux States, voilà des arguments de récupération immédiate ! Pas un hasard que Philippe Garnier se soit intéressé à Tom Kromer lui qui a traduit et présenté John Fante au public français. Sans omettre pour autant le travail de fond de Brice Mathieussent. Tom Kromer c'est un peu l'anti-John Fante ou pour être plus précis, un John Fante qui n'aurait pas réussi à se tirer de la gangue de la misère et à atteindre les feux de la rampe de la célébrité. Tom Kromer abandonnera le combat littéraire. Par dégoût, l'en avait trop vu pour espérer une quelconque salvation individuelle. S'éteindra en 1963, mais l'a depuis longtemps renoncé à son deuxième roman, à la rédaction de ses mémoires et à sa carrière de journaliste. Rejoint l'anonymat des sans-grades, le corps usé, l'esprit las, vaincu sans gloire. L'a gravité autour du groupe de jeunes loups affamés réunis autour d'Upton Sinclair ( que ma grand-mère révérait ), mais s'en est détaché tout seul comme un fruit qui tomberait de l'arbre auquel il se serait rattaché par erreur.

Le syndicat Industrial Workers of the World commence à faire parler de lui en 1906, année de naissance de Tom Kromer. Nous sommes une génération après, l'on ne parle plus de hobos mais de stiffs. La Grande Dépression est passée par là. Le ressort de l'espoir est cassé. Rares sont les esprits lucides qui s'aperçoivent que l'on ne sortira de la crise que par l'entrée dans la guerre... Dans Waiting For Nothing, Kromer raconte ses années de faim et de misère. Le scénario nous l'avons déjà rencontré plusieurs fois, une vie de fuite, la montée clandestine dans des trains qui ne vont nulle part, la mendicité, le vol, le chapardage, les combines minables, la violence des flics, les juges impitoyables, les prisons pouilleuses... tout cela Kromer le décline à son tour. Ne rajoute rien. Rabote tout. Dénude jusqu'à l'os. Manger et dormir. Un point c'est tout. L'a tué les mythes. Celui des grands espaces, celui de la camaraderie, celui des jungles accueillantes. Cause du froid et de la pluie. Des souliers sans semelles, du ventre empli de faim et de peur. Les stiffs ne sont pas une variable d'ajustement. Sont de trop. Ont intérêt à disparaître au plus vite. Sont le rebut d'une société qui ne veut pas les voir et qui les chasse de partout. Coups, menaces et insultes sont les seules rations quotidiennes ( toute coïncidence avec l'accueil réservé aujourd'hui aux migrants ne saurait être une erreur de votre réflexion ). Un récit de cruauté. La faim excuse tous les compromis, prostitution homosexuelle, abandon d'enfant dans les jardins publics, et le pire de tout, ces heures à passer à écouter d'interminables sermons et prières dans les missions de charité chrétienne en échange d'une banquette de bois infestée de vermine et d'une soupe à l'eau claire à la rondelle de carotte pourrie. La mort est une grande délivrance. Suicide, roues de train, lotions diverses ( non-garanties bio ), baston, flic qui assure sa prime, un bon stiff est un stiff mort. Ceux qui n'ont ni le courage ni la chance de crever ne s'en prennent qu'à eux-mêmes. Même pas du masochisme, un constat froid comme la mort, comme la neige, comme la pluie, comme la faim, comme la peur. Cercle vicié. Le train qui part vers l'Est et celui qui se dirige vers l'Ouest sont équivalents, ne vous mènent pas jusqu'au bout du rêve que vous ne poursuivez pas. Bouquin tronqué, sans fin. Même pas cent quatre-vingts pages et le lettrage n'est pas des plus minuscules. Kromer l'a griffonné sur des bouts de prospectus. L'a cru un temps qu'il pourrait porter témoignage, mais l'évidence des faits sont têtus. Il n'y a pas de porte de sortie. Inutile de rajouter à l'ampleur du désastre. La coupe est vide. Désespérément vide. La vie qui s'accroche à vous beaucoup plus que vous ne vous accrochez à elle s'avère sans intérêt. Littérature de la misère et misère de la littérature. Impuissance humaine.

Bizarrement le livre a été édité en France en 1936 à peine deux ans après sa parution aux Etats-Unis et puis oublié. L'on comprend pourquoi, l'est des choses qu'il vaut mieux ne pas trop regarder en face. Merci à Philippe Garnier de nous permettre d'ouvrir les yeux. L'on n'est jamais trop prévoyant.

Damie Chad.

BOP TILL YOU DROP

EIGHTBALL BOPPERS

( 8BB Records / 2005 )

 

THE DENTIST / THE HOUSE OF ROCKIN' / GHOSTRIDER / FLEA BRAIN / T-BIRD TAMMY / GOING DOWN TO BIG MARY'S / THE CRODOC / LET'S SURF / MAKE WITH THE LOVIN' / SHUT THE DOOR / BOYS & GIRLS / HOT ROD ROCKIN' / REBEL WITHOUT A CAUSE / SLIP, SLOP, SLIPPIN' / MAKE MY DAY

 

The dentist : guitare qui surfe sur vos vieux os, cinglerie de cymbales et l'on part chez le dentiste en chef qui vocalise dans le style cochranesque, les autres font les choeurs juste au moment où il vous arrache les incisives, la guitare gronde pour les molaires, vous repartez contents de vous. Vous reste les incisives pour mordre. The house is rockin' : un titre de Stevie Ray Vaughan, qui ronfle comme les Flamin' Groovies, avec en médaillon un choral a capella estampillage pur style rockabilly, et l'on repart sur les guitares grondantes. Ghostrider : fantôme ou pas ça galope dur, un petit écho à la Rawhide, goserie creuse du début qui s'amplifie et se fait plus vindicative, guitares en force qui taillent la route sans ralentir. Les chœurs qui hurlent, la big mama qui bisonne à l'infini. Flea Brain : retour au bop classique déchiré, des vocaux très Blue Caps, faut être solide et croire en soi pour marcher sur les traces de Gene Vincent, y réussissent parfaitement. T-Bird Tammy : une rythmique échevelée, des appuis à la Jordanaires très middle of the road, la voix qui mène le bal et la contrebasse qui dégomme à la machette, pas le temps de s'ennuyer, il y a toujours un qui se dévoue pour appuyer sur l'accélérateur. Going down to big Mary's : très beau avec ces guitares en même temps sonnantes et fondantes, un truc des Paladins repris à la perfection, un peu de nostalgie sound et la batterie qui empile les frappes, la basse qui résonne, et le singer qui raconte le film. Un aqueduc instrumental monumental, l'on se croirait sur la route de Madison. Attention aux fils de fer barbelés du dernier solo. The crodoc : facétie rockabilesque, la vocalise farceuse et la contrebasse qui remue comme une queue d'alligator en colère, le Doc Crodoc, est à la fête tout le bayou saurien tambourine à sa porte. Connaît tous les plans, un récapitulatif de tout ce qu'il faut savoir faire si vous désirez maîtriser le rockab avant de mourir. Let's surf : milieu du disque, surf-rumble du meilleur effet, la guitare emporte tout, même pas la peine de chanter, l'on se contentera des interventions fragmentaires des choristes, un peu d'Espagne et un solo électrique dévastateur à tuer le taureau, la batterie vous le coupe en tranches saignantes, les guitares le font rôtir et vous l'enfilent dans la gueule tout brûlant. Excellent. Nous reprendrons une dizaine de brochettes. Make with the lovin' : sont allés piocher cette merveille chez Dennis Herold, une surprise électrique toutes les quinze secondes, la batterie qui marque le rythme imperturbable, le vocal qui s'impose, les cordes qui épicent la viande fraîche, l'oesophage minaude son contentement, c'est dans la poche. Emballé, c'est pesé. Shut the door : vous la jette en plein sur le museau, s'y mettent à tous pour vous intimer de la fermer et la guitare vous saupoudre de coups de poings pour vous faire comprendre que vous feriez mieux de le claquer le plus vite possible le satané battant de cette maudite porte. Ne demandez pas pourquoi, ils y tiennent méchamment. Et c'est urgent. Boys and Girls : claquements de mains, z'avez intérêt à tenir le rythme car eux ils n'arrêtent pas. Martin Willems fait le disc-jokey, l'on achève bien les filles et les garçons. En plus ils aiment ça. Accélérons la cadence, plus vite, la musique a trois tours d'avance sur vous. Vous n'êtes pas prêts à la rattraper. Irrespirable ! Hot rod rockin' : encore une pépite des Paladins, l'art du hot rod est d'une simplicité enfantine, droit devant et ne vous inquiétez pas des tournants, filez les yeux fermés et suivez la voiture de tête, pas d'illusion vous ne la rattraperez pas, ils vont trop vite. La caisse claire pistonne, les guitares klaxonnent, la big mama michtonne, la rythmique tronçonne. C'est la faute à personne s'ils sont trop bons. Rebel with a cause : guitares mélodramatiques les rockers en veulent toujours plus, sont pressés, rien ne les arrête, même pas la mort, décrochez vos ceintures et suivez le précipice. Solo à la tôle froissée. L'art immortel de vivre vite. Slip, slip, slippin' : un des premiers morceaux d'Eddie Bond en 1956, du pur rockab bop dont les Eighball se goinfrent sans vergogne. Chacun y va de son petit ouragan, accrochez-vous, ça ne décoiffe pas, ça décapite. Make my day : dernier morceau, pas le moment de faiblir, vous soufflent dans les bronches sans défaillir, ce doit être Willy qui glapit le chant, un renard pris au piège qui préfère se ronger la patte qu'abdiquer sa liberté. Rockabilly libératoire et grande claque.

 

Respirez, c'est terminé. Pas une seconde de repos avec ces diables de Boppers. Ils ont opté pour la formule électrique et les chœurs de tueurs à l'ancienne, qu'ils vous assènent à tout bout de champ comme si votre vie en dépendait. Eighball Boppers réussit l'alliance des contraires. Vocaux tout droit sorti des années cinquante, et torrents de guitares à grands flots.

En même temps, scrupuleusement fidèles à une certaine pureté anthologique du rockab et modernisme outrancier de la masse sonore qui emporte tout sur son passage. Deux aspects si bien entremêlés que vous ne pouvez rien leur reprocher, ni un purisme excessif, ni vous plaindre d'une suspecte trahison. Sont parvenus à stabiliser le mélange détonnant sans lui ôter sa force de frappe. En ont même doublé les effets. Une réussite parfaite.

Damie Chad.

 

13/09/2017

KR'TNT ! ¤ 339 : WILDFIRE WILLIE + BETHUNE / SHEL TLMY / EIGHTBALL BOPPERS / JAKE CALYPSO / OSCAR ALLEMAN / JIM MORRISON

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 339

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

14 / 09 / 2017

 

WILDFIRE WILLIE + BETHUNE / SHEL TALMY /

EIGHTBALL BOPPERs / JAKE CALYPSO /

OSCAR ALEMAN / JIM MORRISON

 

TEXTE + PHOTOS SUR :

  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Wildfire Willie fout le feu

 

On l’annonçait comme le messie et il est arrivé sur la grande scène du Rétro avec des allures non pas de messie, mais de vétéran de toutes les guerres. Ah il faut avoir vu le vieux Wildfire Willie bopper le rockab sauvage. On devrait l’appeler Willie la classe. Bon d’accord, il n’est plus tout jeune mais il croque son rockab à belles dents, on voit que ce mec est heureux de monter sur scène pour claquer quelques vieux beignets de crevettes. Comme tous les autres, il gratte une acou serrée sur la poitrine, avec le manche pointé vers le sol, mais il met une telle intensité dans son jeu qu’il parvient à échapper aux clichés. Wildfire Willie ne vit que d’authenticité et d’eau fraîche, il boppe avec ferveur et répand la bonne parole du rockab dans toute l’Europe. Heureusement qu’il existe encore des Suédois comme lui pour propager le fléau du rockab par delà les frontières. Il put his cat clothes on et son petit pote le stand-up man assure un pulsatif vraiment digne de l’âge d’or. Wildfire danse un peu, les frissons l’émoustillent, il relance toujours sa machine avec l’énergie d’un géant. Il te dog son cat avec brio et n’hésite pas à se rouler par terre, pour offrir du spectacle au petit peuple, il fait ses vieux pas de danse d’Elvis, il te visse le set et boppe son cut de cat comme un crack, il te crashe même du party en souvenir de Benny Joy. Wow, Wildfire ne se prive d’aucun éclat. Et comme Sonny Burgess vient de monter au ciel, Wildfire lui rend un ultime hommage avec une version stupéfiante d’«Ain’t Got A Thing» ! Toute la place tressaute en rythme - I got a car/ Ain’t got no gas - On se retourne et que voit-on ? Un beffroi qui twiste le bop - I got a clock/ Ain’t got no hands - Ce démon de Willie rallume tous les vieux brasiers. Il est bien certain que Sonny aurait été ravi de voir son vieux hit fourrager ainsi le cul d’une vieille ville.

Toute cette énergie, on la retrouve sur les disques, évidemment. À commencer par cette énorme slap-machine qu’est Rarin’ To Go, un album paru en 2004 sur un petit label suédois. Rarin’ To Go est tellement bien foutu qu’on se relèverait la nuit pour le réécouter. Willie embarque tous ses cuts un par un au pur jus de western swing, «Cool Curves» vaut pour un heavy jive de rockab. Ces mecs sont indiscutablement doués pour la quête du Graal. C’est en tous les cas ce que montre ce «Come Back Baby» finement amené au minimalisme militant. Ce diable de Willie joue la carte du doux rockab. Tiens, voilà une magnifique pièce de country bop enjouée : «I Dig You The Most». Puis ils passent au pur jus de kabykab avec «Get Carried Away». Le festin se poursuit en B avec «Speakin’ Of My Heart», excellent shoot de rockab boppé bon esprit et harangué à la pure traînasse du Tennessee. Et puis tiens, encore du pur jus de juke avec «Cut It Out», bien enragé et presque sauvage. Willie finit son album en apothéose avec un enchaînement de cuts terribles : «Tease Me Baby» (heavy rockab admirablement dosé au chant), «Killer Diller Pills» (joué dans les règles de l’art du meilleur kabykab de cool cat), «If You’ll Be A Baby To Me» (boppé au beat pur, ces mecs jouent comme des dieux du stade) et ça se termine avec l’effarant «Great Cooga Mooga», un cut de bop pour lequel on vendrait sans hésiter son âme au diable. Rrraaaahhhhh !

Wildfire Willie passait en début d’après-midi, le dimanche. La veille au soir, les Ramblers et lui accompagnaient le légendaire batteur Jimmy Van Eaton, mais, curieusement, pas sur la grande scène. Le vieux Jimmy atteint les quatre-vingt piges, mais il semble conserver un goût pour la frappe sèche, enfin c’est très spécial. On comprend cependant qu’il ait pu faire partie du house-band de Sun Records. Il raconte bien sûr quelques anecdotes. Les gens sont là pour ça.

La grosse surprise du Rétro vient de deux groupes européens : l’un est belge (Shorty Jetson), et l’autre portugais (Roy Dee & the Spitfires). Deux groupes réellement excellents, chacun dans son style, mais diable, comme cette scène peut être vivante ! Shorty Jetson passait le dimanche après-midi. Ce petit brun au physique de jeune premier grattait son acou comme les autres, accompagné de la formation classique, stand-up/drums/guitare. Au premier abord, le guitariste n’attirait pas l’œil. Il jouait sur Tele et n’avait pas de look, mais il se mit à jouer des descentes de gammes vertigineuses en picking et là, ça devint extrêmement intéressant. Sorti de nulle part, ce mec rivalisait de fluidité avec James Burton. Oui, il tapait carrément dans la véracité de la vélocité. Ça semblait donner des ailes à Shorty Jestson qui, cut après cut, finissait par s’imposer, comme une sorte de petite star. Il chantait son rockab à la revoyure, la mèche dans les yeux. Il y avait du Vince Taylor en lui, mais aussi quelque chose qui relevait d’un mélange d’early Jack Palance, d’Indien d’Amérique, de petite arsouille et de branleur. Comme son guitariste Jo la fulgure, ce petit mec brillait comme un sou neuf. Il sortait de nulle part et régalait les amateurs entassés au pied de la scène. Il jouait tout simplement l’un des meilleurs rockabs qu’on pût espérer entendre à l’ombre du vieux beffroi de Béthune. Franchement, ce genre de set relève de l’irrationnel : comment quatre petits mecs sortis du néant parviennent-ils à recréer la magie du rockab, un art éminemment difficile ? Mille fois plus difficile que le garage ou toute autre forme de musique moderne. Pour que ça marche, il faut une vraie voix, une diction parfaite, un vrai look, un sens de l’équilibre et une passion ardente, pas une passion du samedi soir. Le rockab relève plus de la vocation, c’est en tous les cas ce qu’on comprend lorsqu’on voit Shorty ou Wildfire Willie arriver sur scène. Shorty Jetson shakait son shook en rigolant, tellement il semblait heureux de se retrouver sur une grande scène. Sans doute beaucoup trop grande. Il fit tomber la chemise et continua de rocker torse nu. Un immense trois-mâts ornait sa poitrine. Oui, en prime, ce mec arborait des tatouages de cité à l’ancienne, il poussait le sens de la classe jusque-là. Son rockab jubilait et crachait des flammes, comme le pot d’échappement d’un moteur mal réglé, ils osèrent même jouer «Get A Grip», un cut qui se brise comme une coque sur une cassure de rythme et qui repart comme par enchantement. C’est à ça qu’on reconnaît les bons. Après son set, Shorty Jetson vint se balader torse nu dans le public. Il lui restait six exemplaires d’un CD 4 titres sans doute édité à compte d’auteur. Il les offrait. On retrouve sur ce CD toute sa hargne et toute sa classe. Dès «Cry Baby Boogy», il jette sa foi dans le pâté de foie. Ça swingue à la démence et ça rocke jusqu’à l’os à moelle - This kid is soooo gooood ! Puis il fourre «Rocket In Your Pocket» sous le boisseau et le guitariste en profite pour enfiler un coup de driving de dingue. Il ne reste plus qu’à se poster à la fenêtre pour guetter l’arrivée d’un hypothétique album.

Roy Dee & the Spitfires viennent du Portugal. C’est l’autre révélation du festival. Wild Records vient de les signer, mais leur album n’est hélas pas encore paru. Il n’avaient que leur talent à offrir. Alors attention, ils pourraient bien devenir aussi énormes que les Wise Guyz, mais dans un genre différent. Alors que les Ukrainiens jonglent avec l’ultra-swing et un look à la Cochran, les Portugais vont plus sur le rockab wildy-wildo et le look marlou, celui des Bouges de Pierre Mac Orlan. Ces mecs sortent tout droit d’une taverne borgne du port, surtout le chanteur et le stand-up man, deux petits formats courts sur pattes, râblés, épais, coiffés de casquettes de gavroches, et pour la chanteur, maillot rayé et bras couverts de tatouages de matelot. Oh et des gueules ! Ils ont ces fabuleuses trognes dignes des collections de gueules cassées qu’on achetait autrefois à Saint-Malo, les fameux portraits d’Étienne Blandin. Le stand-up man porte d’immenses anneaux aux oreilles, il ne fait pas semblant. Si tu veux voir un frère de la côte, c’est lui ! Et puis le son ! Ces mecs-là se spécialisent dans les violentes montées et puissance, c’est-à-dire l’essence même du rockab. Le stand-up cat les génère de tout son corps, c’est hallucinant, il a en lui toute la hargne motrice d’un Johnny Powers, il fait la loco du train de Johnny Burnette, bah-boom bah-boom, il donne des coups sur ses cordes et tortille du cul en cadence. On sent battre le vrai cœur du rockab sauvage. C’est imparable. Roy Dee pique lui aussi de crises de folie furieuse, il part en vrille de Saint-Guy et s’en va zigzaguer au moment où tout menace d’exploser, mais chaque fois, leur train se remet dans les rails et repart comme si de rien n’était. Ces mecs dégagent une énergie bien plus sauvage que n’en dégagent les chevaux de la Brigade Légère, celle de Tony Richardson, bien sûr. Ça plait tellement au public du 73e qu’ils obtiennent deux rappels. Eh oui, on ne trouve pas des hot cats comme ça sous le sabot d’un cheval.

Signé : Cazengler, Wildfire mouillé

 

Wildfire Willie & The Ramblers. Béthune Retro. Béthune (62). 27 août 2017

Wildfire Willie & The Ramblers. Rarin’ To Go. Tessy Records 2004

Shorty Jetson & The Racketeers. No label.

 

Talmy ça où ?

 

Et puis comme un miracle n’arrive jamais seul, Record Collector propose à la suite du panorama d’Oregano sur les Creation un article de Bill Kopp sur Shel Talmy. C’est dans ces occasions qu’on loue le seigneur pour de vrai. Comme l’indique le cat Kopp, Shel Talmy devint à l’époque une star, à l’instar de Phil Spector et de George Martin, ce qui était encore assez rare, pour les producteurs. À Londres, les plus connus étaient Mickie Most et bien sûr George Martin qui lui était associé aux Beatles. Mais comme Joe Meek, Shel Talmy avait la particularité d’être à la fois ingénieur du son et producteur. Technical expert with artistic focus. Et comme Andy Warhol avec le Velvet, il veillait au full control over the project.

Shel Talmy ne se contentait pas de produire, il découvrait. Hormis les Who, les Kinks et les Creation, il produisit aussi les Easybeats, Bowie et Roy Harper. Excusez du peu. Et comme Eddie Phillips, il ne rajeunit pas, puisqu’il va sur ses quatre-vingt ans. Mais apparemment, il est toujours en activité.

Au début des années soixante, Shel se fit les dents à Los Angeles. Boss de Conway Recorders, Phil Yeend lui donna sa chance et le petit Shel enregistra des cuts de surf et de r’n’b. Il devint pote avec l’un des personnages clés de l’époque, le fameux Nick Venet qui bossait chez Capitol. Nick lui disait le plus grand bien de l’Angleterre, alors Shel eut l’idée d’y passer six semaines de vacances pour y tâter le terrain. Nick lui donna des acétates : tu peux t’en servir et dire que ce sont les tiens. Oh merci Nick ! C’était pas n’importe quoi : Nick lui filait carrément des acetates des Beach Boys et de Lou Rawls. Arrivé à Londres, Shel prit des rendez-vous. Il commença par demander à voir Dick Rowe chez Decca. Il y alla au flanc : «Je suis le truc le plus génial qu’on ait inventé depuis le fil à couper le beurre !» Intrigué, Dick écouta les acetates de Nick. Bingo ! Dick embaucha Shel sur le champ comme producteur. Son séjour de six semaines allait durer 17 ans.

Son premier job consistait à produire les Bachelors. Shel rappelle qu’en 1962 British music was very polite, very precise, restrained and without much feel - oui, c’est encore à l’époque une musique bien polie et bien lisse qui ne fait pas de vagues. C’est justement ce qui ne plaisait pas à Shel. Il décida de faire à sa manière - So I chose to do it my way - Il devint producteur indépendant et comptait bien sûr Decca parmi ses clients. Il se fit vite un renom en tant que Famous American record producer et reçut la visite d’Andrew Loog Oldham. Il préférait monter sa boîte et vivre de royalties plutôt que d’être salarié par une grosse maison de disques comme Decca. Il faut dire que Decca battait tous les records de connerie. Souvenez-vous, ils avaient refusé de signer les Beatles. Quand Shel proposa Georgie Fame et Manfred Mann à Decca, ils déclinèrent. Decca allait aussi rater les Who que Shel leur amenait sur un plateau - Faut pas parler aux cons, ça les instruit - S’appuyant sur ce vieil adage, Shel cessa donc d’aller perdre son temps chez Decca et fila démarcher Pye.

C’est dans une boutique de Denmark Street qu’il rencontra Robert Wace, un mec qui manageait les Ravens. Wace lui fit écouter une démo. Shel flasha sur ce groupe qui allait changer de nom pour devenir les Kinks. Ce fut donc le premier groupe que Shel présenta à Louis Benjamin, le boss de Pye. Louis fit d’une pierre deux coups : il signa immédiatement les Kinks et prit Shel comme producteur indépendant. «Long Tall Sally», premier single des Kinks, parut chez Pye. Shel allait y produire cinq albums et une bonne douzaine de singles des Kinks.

Il avait des techniques de prise de son inconnues des techniciens britanniques : il voulait douze micros sur la batterie et trois sur l’ampli guitare, un tout près, un à quelques mètres et un autre dans la pièce pour choper le feedback - I wanted my records to be the loudest thing out there - Le rock n’en était encore qu’à ses débuts et Shel sentait qu’il avait the great good fortune of setting the standards. Il fallait donc tout inventer. Il fit travailler des gens comme Bobby Graham, Jimmy Page, Nicky Hopkins et l’arrangeur David Whitaker. Shel était alors ce qu’on appelait un «Hands-on» producer, un producteur clés en mains : il choisissait les chansons, faisait répéter le groupe, faisait les arrangements, enregistrait, overdubbait, mixait et mastérisait. Il voyait Ray Davies chaque semaine pour faire le point sur ses compos. Un jour, Ray commença à lui jouer «Sunny Afternoon» et après seulement quatre mesures, Shel lui dit : «That’s our next #1 !».

Puis il découvrit les Who via une gonzesse qui fréquentait Kit Lambert. Elle réussit à convaincre Shel de venir voir les Who répéter dans une église, quelque part dans Londres. À peine eut-il entendu huit mesures qu’il voulut les signer. Il venait de flairer le gros coup. Aucun groupe à Londres ne sonnait comme eux. Et pouf ! «I Can’t Expain», puis le premier album et une demi-douzaine de singles ahurissants ! Shel avait tout simplement réussi à capturer le chaos du groupe. Il tient toutefois à préciser que ce son ne sort pas de la cuisse de Jupiter - Pete and I did spend a lot of time in the studio on our own, trying various mic positions in order to wind up with the sounds you hear on the record - Puis une brouille juridique brisa cette belle union. En 1965, Shel produisit l’«I PityThe Fool» du jeune David Jones qui allait devenir David Bowie. Shel flaira le talent, évidemment - I thought he absolutely was going to make it - Mais David et Shel étaient beaucoup trop en avance sur leur époque.

Puis il découvrit les Creation, qui furent ses préférés - His major regret - They were coming on great - Mais des tensions énormes déchiraient le groupe et Shel passait son temps à leur rappeler qu’ils étaient en studio pour enregistrer et non pour se taper dessus. Eddie Phillips et Kenny Pickett étaient en conflit avec Bob Garner qui avait une fâcheuse tendance à vouloir se mettre en avant. Shel est d’autant plus amer qu’il avait l’accord d’Ahmet Ertegun pour que l’album sorte sur Atlantic. Strat ne réussit pas non plus à éviter le gâchis. Shel les voyait déjà comme des stars. Ils étaient en tête des charts en Allemagne et un peu partout en Europe - I was going to put them over the top. And I think they would have succeeded. It didn’t happen and I regret it to this day - Si les cuts des Creation sonnent aussi divinement aujourd’hui, c’est bien grâce à Shel Talmy.

Il produisit aussi un single des Damned, et des gens aussi divers que Lee Hazlewood, Amen Corner, Blues Project, les Small Faces, Goldie & The Gingerbreads et Chad & Jeremy. Et même l’album In Heat des Fuzztones en 1989. Son dernier coup de cœur est un London-based group, the Hidden Charms, dont le son lui rappelle les Kinks et les Who. On ne se refait pas.

Shel Talmy aura passé sa vie à répéter : A lousy band with a great song will have a hit, but the reverse to that is not true (un mauvais groupe avec une grande chanson aura du succès, mais l’inverse est faux). Il est encore temps d’en prendre de la graine.

Et puis voilà qu’Ace propose un petit panorama du business productiviste de Shel Talmy, sous le titre de Making Time. A Shel Talmy Production. Alors oui, on saute dessus. On y trouve évidemment les Who («Anything Anywho Anywhere» - sheer excitement to tape - Les Who qui après Shel ne retrouveront jamais ce degré de perception dingoïde), les Kinks («Tired Of Waiting For You» - Shel is in charge of the visceral violent noise of early Kinks), les Creation («Making Time» - noyé de son dans le limon de Tin Pan, basse pulmonaire et same old song, pure démence de l’outrance), mais aussi des choses bien moins connues mais très spectaculaires, qui contribuent si bien à l’édification du génie productiviste de Shel Talmy, à commencer par l’infernal «Daddy Long Legs» de Lindsay Muir’s Untamed, un hit complètement inconnu au bataillon, monté sur un drive hors d’âge, pure giclée de concomitance suprême, parfait accouplement du talent de Lindsay et du productivisme latent du Talmy. La frangine de Lindsay s’appelle Mary Langley et on trouve sur la compile «Surrender», un hit de Mary ‘Perpetual’ Langley véritablement digne du Brill, elle chante comme une baby doll de rêve et, inexplicablement, elle est passée à la trappe de Père Ubu. Autre surprise de taille : les Sneekers avec «Bald Headed Woman», un rave-up monstrueux digne des Pretties. Le chanteur s’appelle Brian Howard. Il se livre ici à un joyeux trashy trash-out. On a là un pur wild bash-out à l’Anglaise qui sonne comme une fabuleuse explosivité multi-directionnelle, l’un des meilleurs garage-freakout d’Angleterre et Shel le tient bien en laisse. Tout aussi spectaculaire, voilà «Night Comes Down» des Mickey Finn, pur jus de savage beat, bardé de son. Le chanteur s’appelle Alan Mark et franchement, on se demande pourquoi ce groupe n’a pas explosé dans l’inconscient collectif. On passe aux groupes plus connus comme les Nashville Teens, amenés chez Shel par Don Arden. Alors oui, cette version d’«I’m Coming Home» est un petit chef-d’œuvre d’excitation, avec la double attaque de Ray Phillips/Art Sharp et ce killer solo en feedback ! C’est encore une fois bardé de son, incompressible, sauvage et glorieux. C’est là qu’on mesure une fois encore la hauteur du génie de Shel Talmy. L’un de ses gros espoirs était les Rockin’ Vickers de Blackpool. Si on connaît leur nom, c’est sans doute parce que Lemmy y fit ses débuts en tant que Ian Willis. Autre poulain de Shel : Oliver Norman, un black horriblement maigre qui chante «Drowning In My Own Despair» sur le beat de «Bernadette». On a là du pur Tamla Sound, c’est dire si Shel est bon. Même les cuts de Tim Rose et de Trini Lopez passent comme des lettres à la poste. Shel Talmy est une sorte de touche-à-tout de génie. Ses folkeux accrochent un petit peu moins bien. Il faut vraiment aimer le folk anglais pour écouter Pentangle, par exemple. Le duo Chad & Jeremy est beaucoup plus accessible : «A Summer Song» sonne comme un pur chef-d’œuvre de pop stellaire montée aux harmonies vocales subliminales. Ça vibre de beauté. Voilà encore une combinaison fatale de surdoués : même niveau que le team Righteous Brothers/Phil Spector, on est là dans l’ultimate etheric of it all. Au dessus, il n’existe plus rien. Shel dit aussi avoir énormément aimé les Easybeats, il suffit d’écouter «Lisa» pour comprendre ce qu’il veut dire, et Steve Wright reste un shouter exceptionnel. Puisqu’on est dans les Aussies, Shel aurait dû produire les Bee Gees, mais Robert Stigwood, lui-même Aussie, lui brûla la politesse. Autre épisode de taille : le pré-Bowie qui s’appelait encore Davy Jones et dont Shel produisit l’effarant «You’ve Got A Habit Of Leavin’», un slab de Mod pop entrelardé de shoots de freakout à la Talmy. C’est très spectaculaire ! Tiens, encore une merveilleuse surprise : The First Gear avec «A Certain Girl». British sound de 1964, très daté, mais on sent la patte du chef, on entend le travail indubitable du bassliner d’époque, on bouffe du son murky, comme dans les Creation et le son de guitare incroyablement agressif vaut pour une nouvelle preuve de l’existence de Dieu. Shel Talmy avait tout compris. Oh il faut aussi écouter le «Semi-Detached Suburban Mr Jones» de Manfred Mann, car c’est de la pop anglaise dotée d’une profondeur d’écho et d’allant inégalable. Ce fantastique Shel fait aussi du Brill avec Goldie & the Gingerbreads : «That’s Why I Love You» sonne comme un hit, avec ce fantastique trafic de prod prude.

Signé : Cazengler, Talmygondis

Making Time. A Shel Talmy Production. Ace Records 2017

Bill Kopp : A Well Respected Talent. Record Collector #465 - April 2017

 

TROYES / 08 – 09 – 2017

3B

EIGHTBALL BOPPERS

 

Sont baths les bataves, connaissent les bonnes adresses. Même là-bas dans leur pays au-dessous du niveau de la mer z'avaient entendu parler du 3 B de Troyes. Ce n'est pas Béatrice la patronne qui aurait laissé passer l'aubaine, les a plombés en plein vol ces hollandais volants qui avaient besoin d'une ville étape dans leur parcours vers le festival Rock'n'Road Stomp de La Souterraine. Une bien belle manière d'inaugurer la saison 2017-2018. Premier concert, apparemment tous les habitués ne sont pas rentrés mais il ne manque pas de têtes nouvelles. N'y a plus qu'à attendre que les Eightball Boppers finissent leurs repas pour que les festivités commencent.

PREMIER SET

Suffit de savoir lire les signes. Surtout ceux qui ne trompent pas. Exemple : ces trois cymbales, cette caisse claire toute seulette avec cet unique long fut de grosse caisse dressé verticalement tel le premier étage d'une fusée sur son pas de tir, en robe zèbre démarquée du motif de la fastueuse veste onagrienne de Gene Vincent à Sidney – quoique à la réflexion ces traits noirs ondoyants sur fond blanc ne soient pas sans évoquer la frisotienne implantation pubienne d'une jeune fille, mais je m'égare, d'autant plus que Rat Rod se glisse derrière cette batterie rudimentaire dont il tient à nous démontrer tout le long de la soirée la redoutable efficacité. Ont bien choisi leur nom, des boppers de la mort, et Rat Ros qui officie debout à la Dickie Harrell est le maître stompeur de la huitième balle. J'entrevois une question qui lève le doigt au fond de la cohorte des lecteurs, vénérable Damie pourriez-vous rappeler à nos ignorances profondément infinies la définition du Bop ? Ultra-simple, cher ami. Le bop c'est le swing. Mais le swing auquel vous prenez bien soin d'enlever au préalable le swing. C'est que voyez-vous le swing ronronne comme un moteur à quatre temps, une fois que c'est parti vous êtes tranquille pour la soirée. Le bop c'est itou, mais en plus fort, et de temps en temps – surtout sur un impair et gagne – vous assène un méchante beigne, toujours dans le rythme, mais genre coup de massue qui vous écrabouille. Hop ! Hop ! Hop ! Hop ! BOP ! Le bop c'est la saccade du coup de pied au cul qui vous éjecte du saloon juste au moment où vous croyiez recevoir sur l'épaule un discret effleurement d'éventail de la belle Lola pour vous inviter à monter au premier étage. Vous avez beau vous y attendre, savoir que le danger du mari jaloux vous guette, vous vous laissez prendre à chaque fois, disons toutes les huit secondes. Certains assurent que le bop est issu des tambours indiens, transbahuté par le rythme claudiquant du blues. Peut-être n'est-ce qu'un mythe fabriqué par un ethnologue qui voulait se faire remarquer. Ce qui est sûr c'est qu'il existe un étrange rapport entre le bop et le galop heurté d'un poney comanche sur le sentier de la guerre. Mais je vois que les 8BB ne m'ont pas attendu. C'est Willy Cornelissen sous son chapeau gris qui a poussé de sa fender stratocaster une soufflante chalumique de dragon déchaîné, vous nettoie en cinq secondes l'œsophage pour le restant de votre vie, vous n'avez d'oreilles que pour ses giclées de fanfare fanfaronnante. Grave erreur, ce n'est pas lui le plus dangereux. Sachez identifier votre ennemi, surtout s'il vous veut du bien. Certes on ne le voit pas bien, se cache un pas en arrière, entre le tronc d'arbre de la grosse caisse et la contrebasse de Henk Haning. Décorée façon char d'assaut. Imitation blindage. Fortes tôles tenues par les rivets style Nautilus de Jules Verne, pin up en écusson, et les flancs à damier jaune et noir comme les cuisines carrelées des années cinquante. L'est à son affaire, tire sur une corde et vous lâche une torpille chaque fois que Rat abat le bop sur son enclume. Revenons à l'homme invisible Bert Damink - c'est son nom - qui joue au modeste, feutre noir aplati sur sa tête et yeux baissés sur sa Gretsch. Orange crochranien, un sacré indice mon cher Watson. Oui foi de Sherlock, n'est pas là pour faire le charlot. Dressez l'oreille, dans le déluge de Willy, ces petites notes, toutes fluides, toutes grêles qui s'insinuent l'air de rien et qui jouent le rôle de l'amorce sur les cocktails molotov, c'est lui. Sacré loustic. Quand vous apercevez que vous avez un couteau entre les omoplates, vous êtes déjà mort depuis longtemps. Aucun regret, passent leur temps à se marrer, échangent des mots incompréhensibles, sourient, rigolent, et enchaînent sans préavis un Flea Brain de Gene Vincent ou un Reelin' and rockin' de Chuck Berry. Le courant passe, Rat Rod possède quelques rudiments de français, coupe un peu les mots, mais établit une sympathique complicité avec l'assistance. Est plus souvent qu'à son tour au vocal. Vous l'assène sèchement sans fioriture ni friture. Une loi de base du rockab, les instrus se taillent la part du lion, mais c'est le singer qui découpe les morceaux. Faut avoir la voix acérée comme une machette, fait la partition, délimite le terrain pour chacun des soutiers, l'est le poteau qui délimite les intervalles, faut une sacrée complicité pour se retrouver tous ensemble pile-poil, les Eightball s'en amusent, il y en a toujours un qui commence quand les autres ne sont pas prêts mais deux secondes plus tard sont tous sur la même ligne. Du grand art. Je n'en veux pour preuve qu'une de leurs compositions. Commencent par répéter trois ou quatre fois Dentist avec la mine lugubre de celui qui va se faire arracher trois molaires sans anesthésie et tout de suite après c'est le paradis, le miracle, du pur Cochran, la guitare de Bert qui slalome entre les étocs et la voix de Rat qui enflent et diminuent tour à tour comme les vagues sur la mer, la contrebasse de Henk qui descend et remonte les escaliers en trombe, et la guitare de Willy qui vous claque une rythmique impitoyable comme une lanière de fouet ondulante. Même les Stay Cats ne nous ont jamais expliqué si clairement le lien structurel et séminal qui relie le bop de Gene à la rythmique d'Eddie. Eddie a raboté la rudesse du Bop, l'a transformé en inflexion, mais cet infléchissement n'est pas un adoucissement, rajoute de le courant électrique continu là où il n'y avait que tohu-bohu des ruptures rythmiques. La voix n'a plus besoin de se déchirer sur les éclats de verre brisé de l'instrumentation, c'est elle qui désormais mène le jeu et renforce de ses nuances sinusoïdales l'expressivité du morceau. Le set s'achève sous les applaudissements. La démonstration des Eightball Boppers est sans bavure. En une quinzaine de titres, ils ont montré qu'ils maîtrisaient parfaitement leur sujet.

DEUXIEME SET

On ne se méfie jamais assez. L'on avait reçu une leçon de rockabilly. L'on croyait que c'était terminé que l'on allait se retrouver en territoire connu. Que nenni. Après la leçon, la raclée. Sur les deux premiers morceaux on n'y a pas fait gaffe, bien sûr il y avait cette façon de Bert de faire sonner ses cordes hautes de plus en plus fort. Un régal, un ronronnement de gros matou qui se pelotonne sur son coussin et qui s'apprête à passer à une nuit agréable après une fructueuse chasse aux souris. Puis il y a eu le sourire en coin de Rat Rot nous annonçant un titre en français. Enfin en belge. Et ploum, nous envoient un Ça Plane pour Moi, peu convaincant, genre de facétie qui n'apporte rien de neuf, OK, savent jouer aussi vite que des punks mais on le savait déjà. Z'ont décidé de nous faire perdre tous nos repères, voici These Boots are Made for Walkin', vous le troussent fort joliment le hit de Nancy, mais où veulent-ils en venir au juste ? Pas de panique, nous présentent un hit en dialecte – comprenez chanté en néerlandais – ne me demandez pas le titre par trop imprononçable pour nos gosiers gaulois – marqué pré-early sixtie, ça ressemble à nos premiers groupes français à la Chat Sauvage. Nous ont un peu menés par le bout du nez, mais c'était juste une tactique pour nous déstabiliser, car voici la guitare de Bert qui enfle, enfle, enfle comme un tsunami, ce coup-ci le temps des questions est passé, nous entrons dans l'ère des évidences. Formation rockabilly au carré, partie dans un rumble d'enfer, et ensuite faut suivre, car ça dépiaute sauvage et rapide, adieu le bop, voici les riffs rock qui s'enchaînent et se déchaînent, Raw Hide et le troupeau des long-horns déboule sur nous, l'on va être piétiné par ce millier de bisons qui foncent, quand la rythmique sautille narquoisement, serait-ce Louie-Louie ? pas le temps de lui serrer la main, quinze secondes de Satisfaction immédiatement suivi de Paint it Black qui s'accélère comme une loco qui quitte les rails, normal c'est Highway To Hell, arrêt en gare tout le monde descend sur les deux derniers vers de Stairway Heaven, pour repartir aussitôt sur Born to be Wild, mais j'arrête la liste, elle cache la guitare de Bert, plus de chat qui coucouche dans son panier, rugissement de tigres mangeurs d'hommes, et manque de peau nous faisons partie de l'espèce humaine ! Nous bouffe tout cru ! Diabolique cette succession de plans qui se métamorphosent à l'infini, et le combo qui suit comme   highlanders troupe derrière cornemuses, quand on enfonce les clous du rock'n'roll dans la croix, il faut que ça saigne un max, sinon, cela n'a pas d'intérêt. Une belle rouste rock'n'roll comme on aime en recevoir. Une apothéose.

TROISIEME SET

Il se fait tard. N'ont plus rien à prouver. Batifolent entre Stray Cats et classiques à la Tutti Frutti. De la belle ouvrage. Ni l'authenticité de la première partie, ni l'ouragan de la deuxième. Mais le hall des beaux modèles d'exposition que l'on ne se lasse pas d'admirer. Démonstration sur circuit avec dérapages incontrôlés sans faute. Finissent sous les acclamations, et les remerciements, écoulent une valise de CD et signent les affiches à tire larigrock. Pour l'ouverture de sa nouvelle saison Béatrice la patronne a frappé fort. Nous a offert une merveille. Merci les Eightball Boppers ! Une soirée diabolique !

Damie Chad.

 

100 MILES

JAKE CALYPSO

( Rock Paradise / Chickens Records )

( Sortie : 16 août 2017 )

KISMET / HOME IS WHERE THE HEART IS / I WILL BE HOME AGAIN / SUPPOSE / FLAMING STAR / I'LL REMEMBER YOU / POCKETFUL OF RAINBOWS / WILD IN THE COUNTRY / TODAY TOMORROW & FOREVER / IN MY WAY / MILKY WHITE WAY / THEY REMIND ME TOO MUCH OF YOU

Jake Calypso : chant + guitars / Christophe Gillet : guitars + choeurs / Hubert Letombe : acoustic guitar + manettes / Didier Bourlon : guitar / Viktor Huganet : guitar + choeurs / Mehdi Wayball : guitar / Thierry Sellier : drums / Alexandre Letombe : drums / Guillaume Durieux : contrebasse / Ben D. Driver : Contrebasse / Serge Renard Bouzouki : violoncelles + accordéon + mandoline + bouzouki / Nick Anderson : piano / Fabrice Mailly : harmonica / Bernard Leblond : percussions / Jean-Charles Thibaut : choeurs.

A lire la liste des participants l'on pourrait croire que Hervé Loison avait décidé de convoquer l'entière tribu des derniers mohicans pour un grand pow-how d'enfer rock'n'rollien. N'en est rien. N'y a pas de disque plus solitaire que celui-là dans toute la production française. Un rêve de rocker. Forever. Comme personne n'oserait en faire. Une folie douce. Le type qui plante une pelouse pour les coccinelles en plein milieu de la jungle infesté de tigres sanguinaires. Remarquez l'on aurait pu s'y attendre. Des indices qui ne trompent pas : dans les premiers temps de son parcours : ce groupe nommé Mystery Train ou cet album enregistré à Memphis dans les studios Sun voici à peine deux ans, ne sont-ce point poinçons presleysiens à foison chez Loison ? Donc un disque dédié à Elvis cela tombe sous le sens pour quelqu'un qui vient de rééditer celui dédicated to Gene Vincent et qui a enregistré par ailleurs des albums consacrés à Little Richard et Johnny Burnette. L'on peut déjà dresser la set list, les incontournables comme Heartbreak Hotel, Hound Dog, Don't Be Cruel, tiens ce Milkcow Blues rugueux à souhait et... ramenons les vaches à lait à l'étable, Hervé ne mange pas de ce pain blanc de la facilité attendue. L'est un rocker, un vrai, un pur, à la dure caboche qui n'en fait qu'à sa tête. Faut toujours surprendre l'ennemi du côté par lequel il ne vous attend pas. Vous rêvez du Pelvis frénétique, erreur sur tous les sillons, ce sera le roucoulard des demoiselles, l'Elvis des plus ignobles ballades, celles qui vous font larmoyer de honte à l'idée qu'elles pourraient vous donner envie de pleurer car il est bien connu qu'un rocker au coeur de pierre ne pleure jamais... Pourrait se trouver au moins une excuse l'oison tapageur : morceaux immémoriaux de la mélancolie populaire que les cowboys chantaient le soir venu autour du feu, mais non fait exprès de puiser dans le répertoire le plus inavouable de l'enfant de Tupelo, quand il troque - à l'instigation dollarophile du colonel Parker - l'herbe bleue du Kentucky pour les champs de navets cinématographiques. Z'oui, mais pour Loison chez Elvis tout est bon. N'est-il pas le roi du rock ? Faut pas grand chose pour le prouver. Un petit magnéto et un billet d'avion. L'aéroplane c'est pour se rendre à Memphis, et le mini-cassette pour enregistrer, à mi-voix et parfois en cachette, et souvent à la sauvette, douze pépites d'Elvis dans les endroits où il a vécu : Tupelo, Graceland, Nashville... poussera le vice jusqu'en Allemagne. C'est de retour à la maison que Loison a rameuté les amis, faut habiller l'émotion de cette voix dénudée, lui tisser un habit transparent de cristal et de diamants.

Me suis posé la question : comment rendre compte d'un tel disque ? En même temps totalement hommagial et extrêmement personnel. Après avoir hésité me suis décidé pour l'épreuve ordalique. Par le feu. Morceau par morceau. Version Elvis. Version Jake Calypso. Méthode un peu traître. Nos deux lascars ne sont pas à armes égales. Confort du studio pour l'un, et enregistrement quasi-clandestin pour l'autre. Pas un match, Elvis hors catégorie de par son statut historial et Calypso qui ne se présente pas comme un challenger.

Kismet : annonce fort la couleur Loison, dès le premier morceau. Perso, Kismet n'a jamais été qu'un morceau au mieux purement anecdotique de la discographie du King, extrait d'un film qui n'a pas laissé un souvenir impérissable dans l'histoire du cinéma. Et c'est-là que l'on se rend compte de l'habileté diabolique du projet. Ne s'agit pas d'une reconstitution à l'identique. Calypso dénude le chant, en accentue la limpide fragilité, donne à sa voix un tremblé que la mature facilité elvisienne a laissé de côté. Même parti-pris pour l'instrumentation qui accompagne plus en douceur qu'elle ne souligne chez Presley. Home is where the heart is : un morceau un peu moins rose ( même si l'héroïne de Kid Galahad s'appelle Rose ) que le précédent, davantage ballade country pour dire vite, Elvis y use sans abus de l'obus de son inflexion barytonnienne. Loison y susurre délicieusement, là où Elvis pousse au drame Calypso tire vers une taquinerie plus délicate. L'air de l'amoureux transi à première oreille, mais qui sait y faire pour embobiner les demoiselles... Moins sûr de lui que le chat des collines mais peut-être plus finaud. I will be home again : un titre de circonstance pour le premier album d'Elvis de retour à l'armée. Elvis met le paquet, voix doublée par celle de Charlie Hodge et derrière la musique balance et tangue comme dans une salle de ball. The Pelvis a les mains sur les hanches de la belle et l'est sûr qu'après l'assaillira et la sallira à la hache d'abordage sur la banquette arrière... Loison ne se dérobe pas. L'attaque lui aussi bille en tête, guitares un tantinet un peu plus rustiques et des choeurs qui s'en donnent à coeur joie. Va encore y avoir des taches suspectes sur les sièges et Jake en rajoute au final, la voix qui éclate en trompette comme un coup de klaxon triomphal. Elvis n'y avait pas pensé, tant pis pour lui. Suppose : Elvis n'y va pas de voix morte, à l'écouter z'avez l'impression qu'il annonce l'imminence de la fin du monde, heureusement qu'il devient tout tendrou dès qu'il parle d'amour. Pas fou l'oison laisse le violoncelle de Serge Renard se charger de la promotion de la catastrophe, la voix reste à hauteur de demoiselle, la frôle, la cajole comme pas un. Je suppose qu'elle préfèrera l'homme de chair au super héros, même si avec les filles on ne sait jamais. Flaming star : générique d'un des films les plus aboutis Elvis. N'a pas peur Loison de s'attaquer à une de ces pépites du Maître. Genre de titre original dont l'interprétation d'une facilité déconcertante s'impose que aimiez ou non. Indépassable, mais Loison et son gang ont trouvé la parade. Tous ensemble. Une cavalcade digne du meilleur des westerns. Même que celui qui tire de l'accordéon, Serge Renard, joue plus vite que l'homme de main presleysien commis à cette même fonction, et Loison entraîne la troupe en galopant un cran au-dessus. S'en tire avec les honneurs de la guerre. I'll remember you : celui-ci Calypso est allé le chercher sur la dernière piste de la deuxième face de Spinout, Elvis devait l'aimer l'a souvent repris en public, guitare hawaïenne qui picore comme des tourterelles et voix de velours inimitable. Difficile d'être plus langoureux, Jake pose sa voix sur un fil angulaire, la rend plus fragile, plus blanche, le gars qui se déclare la peur au ventre, guitare qui grince en équilibre et traînées d'harmonica pour prendre courage. Pocketful of rainbows : Elvis lui file une allure de petit train d'interlude, le rythme trottine et la voix gambade en arrachant des touffes d'herbe, irrésistible. Coups de sabots sur la batterie, un petit coup d'accordéon pour emporter la décision, le timbre de Jake devient ardent, fouette cocher qui sera le premier à sortir un arc-en-ciel de sa poche ? Wild in the country : Sauvage est le country mais suave est la voix d'Elvis, des chœurs au loin chantonnent quelques cuillerées de miel, fermez les yeux vous êtes au paradis. La réalité doit être un peu plus rugueuse alors Calypso appuie un peu plus et les guitares cristallisent plus fort. Très convaincant. Deux dépliants touristiques alléchants. Today tomorrow & Foerever : Elvis triche, l'a le plus joli des jokers dans sa manche, la divine Ann Margret en personne – une de ses très rares conquêtes qui sera présente à ses obsèques – part avec un double handicap notre champion national si l'on pense à la débauche d'images en surimpression qui accompagnent la scène dans Viva Las Vegas, s'avance seul mais est très vite épaulé par son band d'amis, ce que vous ne voyez pas, vous l'entendrez, les guitares résonnent et bientôt vous marchez sur un tapis de mandoline. Bien joué ! In my way : Elvis. Tout doux, tout court. Sans fioriture. Le frottement des cordes comme comme de lointains pépiements de passereaux. Jake légèrement plus hésitant en sa déclaration. La voix plus nue, plus vulnérable aussi. Emotion pure. Le chant semble s'aventurer dans les orties de la parole. Pour donner plus de poids à la promesse éternelle. Milky white way : Ne s'agit plus pour Elvis de refermer dans sa patte de gentil méchant loup la menotte d'une fillette qu'il ne tardera pas à croquer mais de poser la sienne dans la paume de Dieu. Gospel chatoyant. Alors Jake se lâche. Nous donne les grandes orgues de sa voix qui résonne d'autant plus que l'accompagnement derrière est d'une tonalité plus authentiquement rupestre. They remind me too much of you : Les chœurs qui foncent sur la voix du King et puis qui fondent pour se mettre au diapason de ce mohair doucereux, Jake plus haut, plus affirmatif, avec parfois des clairières de repos et un piano qui laisse perler ses notes.

Calypso s'en tire mieux que bien. L'avait mis mis la barre haute. Mais son adversaire n'était pas Elvis. L'a tenté un pari contre lui-même. Crache mes tripes et montre-moi ce dont je suis capable. Fallait un sacré culot et une bonne dose de courage pour se lancer dans une telle entreprise. Et un sacré talent pour la réussir. Ce n'est pas qu'il chante aussi bien qu'Elvis – ce n'est pas la question – mais c'est qu'il se tient à ses côtés sans jamais faire un pas dans les sentiers du ridicule. Sans tricher. En lonely fugitive qui cesse de fuir et qui s'affronte au danger sans ciller. Ces douze morceaux sont les plus doux de toute sa discographie mais jamais il n'a su hausser le ton aussi fort. L'on ne s'en va pas houspiller le cobra dans son abri parce qu'il vous embête, mais pour se mesurer à ses rêves d'enfant. Ou de fan. Ne s'agit pas d'être le plus fort. Mais de combattre. Afin d'être digne de soi-même. A ses propres yeux. Parce qu'en certains moments importants de votre vie vous ne voyez plus les regards des autres. Et en cela Jake Calypso y a merveilleusement réussi.

Damie Chad.

 

LE ROI INVISIBLE

GANI JAKUPI

( Futuropolis / Mars 2009 )

 

Une guitare qui mange la couverture amarante, une gueule de nègre qui essaie de se trouver tant bien que mal une place, tiens une BD sur le blues, dans le bac à soldes, toute neuve, on dirait qu'elle sort des rotatives, un euro quatre-vingt dix neuf – j'adore ces prix psychiques – je prends d'office, sans même regarder à l'intérieur. C'est à la maison que je me suis aperçu que j'avais fait fausse route, un gratteur de tango argentin, un jazziste, au secours ! N'empêche qu'au premier coup d'œil, la mise en page est accrocheuse, les bulles sont rectangulaires ( ce qui n'est pas pour me déplaire ) et puis ces couleurs échec et mates, des bleus de nuits solitaires, des rouges sanguinaires, des jaunes dromadaires, des mauves mortuaires, et en dernière feuille des notes documentaires ( ce qui n'est pas sans me complaire ). Je lis, je me précipite sur You Tube pour vérifier, ce Gani Jakupi ne nous servirait-il pas un fake monstrueux ? Mais non, le sieur Oscar Aleman a bien existé ! Nombreux titres, photos à gogo et même extraits de scènes de film. Quant à ce Gani Ja-ne-sais-plus-qui, force est de reconnaître qu'il a une tronche sympathique et un pédigrée des plus foisonnants, vient du Kosovo, batifole entre la BD et une espèce non identifiée de big band de jazz interculturel, dirige une collection de disc-books sur les musicos oubliés, écrit, politise, enregistre, bref l'on subodore un agité tous azimuts qui essaie de vivre un tantinet plus intensément que la moyenne. L'a même reçu le prix Alexandre le Grand, mais je ne peux certifier que les mânes du Macédonien soient en accord avec l'attribution de cette distinction honorifique.

L'est temps de lever le rideau sur Oscar Aleman, illustre inconnu. L'avons toutefois croisé quatre ou cinq fois dans Kr'tnt ! - sans le voir ni le nommer. Un de ces personnages de l'ombre mangé par les brouillards de la grande ( et petite ) Histoire. L'a été dans les années trente le chef d'orchestre de Joséphine Baker et a refilé quelques plans de guitare à Django Reinhart, le tout à Paris bien sûr. Capitale culturelle du monde à l'époque. L'a fréquenté les milieux artistes, rencontré entre autres Cocteau et Van Donguen, tapé le boeuf avec Duke Ellington et Louis Armstrong, genre d'activités et de fréquentations mal vues par les occupants allemands qui lui lui feront vite comprendre qu'il vaudrait mieux qu'il disparût au plus vite. Ce sera pour lui le retour à la case départ, Amérique du Sud. N'y est pas un inconnu, en sa jeunesse l'avait été approché par Carlos Gardel le roi du tango, argentin comme il se doit ( né à Toulouse ), mais l'entourage du chanteur l'avait dissuadé de se passer de ce virtuose de la guitare qui aurait pu lui voler la vedette sur scène... Sa deuxième carrière en son pays natal se déroulera sous les auspices du swing et du jazz... Se retirera peu à peu du devant de la scène et finira par mourir en 1980 oublié de tout le monde... Son nom émergera des cendres du souvenir à l'orée du vingt-et-unième siècle, l'album de Gani Jakupi précéda même de quelques années le livre Hommage à Oscar Aleman qui apportera les éléments biographiques indispensables à la naissance d'une légende...

La BD de Gani Japuki est un véritable chef-d'oeuvre de composition narrative, sait nous rendre le tourbillon effréné que fut la vie d'Oscar Aleman, scènes chocs et introspections profondes, exploration des failles et des cimes. Oscar Aleman fut un danseur, suffit qu'il passe une jambe devant l'autre sur les images d'archive pour être subjugué, l'est le roi du tango sans saccade, sans ces arrêts brusques - et somme toute désopilants quand on y réfléchit - qui sont au fondement de l'ossature coq-régraphiques de ces combats de machos à l'origine dépourvus de partenaires féminines, y introduit une fluidité swinguante d'une modernité dévastatrice. L'a déployé sa vie selon la dialectique des seconds couteaux, misère originelle, longs ponts de joie débordante, amertume finale. Un triptyque conventionnel. Le lot de la commune humanité ( car tout le monde n'est pas Alexandre ). Mais encore faut-il l'habiter avec la grâce du talent et quelques étincelles de génie. Ce qui vous donne l'impression d'être une étoile dans l'azur noir de votre existence. Mais filante.

A découvrir.

Damie Chad.

 

JIM MORRISON, LE ROI LEZARD

JERRY HOPKINS

( 10 / 181994 )

 

Douze ans après sa première biographie de Jim Morrison qui reste un incontournable pour tous les admirateurs du chanteur Jerry Hopkins éprouva la nécessité de revenir sur le personnage qui entre temps avait acquis un statut légendaire auprès de la jeunesse occidentale. Le livre évite le piège de la redite, le texte est moins touffu, beaucoup plus nerveux, si rapide que que pour étoffer le bouquin notre auteur le fit suivre des grandes interviewes accordées par Morrison tout au long de sa carrière. Mais nous sommes loin d'un travail bâclé qui aurait voulu profiter de l'intérêt suscité par le film d'Oliver Stone sorti en 1991 un an avant la parution de The Lizard King, The Essential Morrison. Qui porte bien son titre. En seulement sept chapitres Hopkins parvient à circonscrire le parcours existentiel de James Douglas Morrison d'une manière fort étonnante puisqu'il dessine d'une main sûre le tracé parabolique de cet embrasement météoritique que fut la vie du poëte.

Un gamin attachant. Dans le livre. Car au quotidien ce ne dut pas être une partie de plaisir pour les parents que de tenter d'inculquer les bonnes manières à ce garnement. Le canard sauvage né par inadvertance au coeur de la sagesse poulaillère. Plus tard devait se révéler être le cygne noir de la portée familiale mais pour le moment il n'est qu'un gamin qui épidermiquement ne supporte pas l'autorité. Ce qui est dommageable quand on naît dans une famille de militaires. Ne suivra pas le sillage paternel, ne finira pas amiral. N'est pas idiot. Est même superbement intelligent. Adopte très vite une ligne de conduite qui semble répondre au titre du premier album d'un de ses fabuleux contemporains. Le Are You Experienced ? de Jimi Hendrix. Très tôt Morrison suit une conduite de vie des plus dérangeantes : toute rencontre avec un tiers humain n'est pas vécu comme une ouverture à l'autre mais comme une expérience. Pas scientifique. Poétique. Sachez entrevoir la différence ! N'est pas méchant, mais avant de vous admettre dans son intimité vous fait subir un examen de passage. Dont la validité permanente nécessite de temps à autre de nouveaux tests intempestifs de remise à niveau. L'est un expérimentateur. Vous pousse dans vos retranchements. Etudie vos réactions. Vous pose des défis. Mais il faut comprendre que lui-même se soumet à ce même genre de discipline. Ne demande pas plus de vous moins qu'il n'exige de lui-même. Paul Valéry – ô combien apollinien par rapport au dionysiaque Morrison - a conceptualisé dans sa jeunesse cette façon d'être sous le concept de Gladiator. Celui qui descend dans l'arène mais qui sait que le plus grand des adversaires ne se trouve pas parmi la fourmilière des myrmidons qui gravitent autour de lui à l'extérieur du monde, réside en lui-même. L'on ne comprend rien à Jim Morrison si l'on oublie cette figure agissante de l'Expérimentateur – autre figure tarotique du bourreau - qui le mènera jusqu'au bord du gouffre.

La musique n'était pas sa première passion. L'avait compris que la civilisation moderne était celle de l'image, et sous sa forme dévoyée, de la communication. Voulait être cinéaste. James Dean et Marlon Brando furent les premiers rebelles, bien avant Elvis Presley. La collusion rock and roll-cinéma est des plus flagrantes. Le rock and roll possède un avantage indépassable, nécessite peu de mise de fond, trois amplis et deux micros et c'est parti mon kiki. Pas besoin dans un premier temps de se lancer à la recherche de millions et d'une société de production. Jim Morrison s'adonna au rock and roll comme ces alchimistes qui pratiquent la voie sèche infiniment plus rapide que la voie humide mais extrêmement plus dangereuse. Le creuset foudroyant vous pète plus facilement à la gueule que l'alambic qui mijote sur le coin du feu.

La collusion des Doors est unique dans l'histoire du rock. Trois musiciens qui ne sont pas faits pour jouer ensemble. Davantage des concertistes venus d'horizons musicaux différents qui par la force des choses se retrouvent... à jouer ensemble. N'y parviendront jamais, mais ils trouveront la parade ( pas du tout douce ), seront à côté, chacun dans son coin mais sans aménité envers les deux autres. Sont merveilleusement aidés par Jim, l'improvisateur, le cap est là, faut mettre en musique les lyrics, les accompagner, suivre les effets induits par les textes et si possible les préparer. Car Jim fidèle à lui-même expérimente ses poèmes. Les met en voix, les réécrit, supprime une strophe par ci, rajoute une stance par là. La musique des Doors est une peau de léopard, taches noires morrisoniennes, pourtours fauves du récitatif musical. Le son des Doors pourtant si bien étiquetable grâce aux opulentes sonorités de l'orgue si datées n'est pas plus démodée que le son maigrichon des premières grattes originelles du blues. C'est ainsi que l'on s'aperçoit en quoi les Doors sont profondément un groupe de blues et sans vouloir entamer un inutile débat, peut-être celui qui s'est davantage réinstallé au plus profond du sillon originel que ceux que l'on nommerait d'instinct avant eux, tel le Paul Butterfield Blues Band...

Mais il ne s'agit pas de s'arrêter au premier des ingrédients constitutifs de la structure tripartite du rock'n'roll. Morrison sera un grand consommateur de psychotropes. Pour ces derniers après les avoir tous essayés en prenant bien soin de dépasser les doses non prescrites il retournera à la denrée de base, facile à ingurgiter, en vente libre : l'alcool... S'en explique très bien dans ses interviewes, l'alcool est une expérimentation infinie, décapsuler un goulot équivaut à ouvrir une porte, à passer de l'autre côté. L'ivresse en tant qu'art de vivre, en tant que perpétuelle expérimentation. Un courant qui s'empare du bateau ivre de votre conscience. Un mode de connaissance de l'univers et des hommes embarqués sur la même nef des fous. Pas de panique le capitaine garde le contrôle. C'est là le but ultime. Le jeu qui vous emmène au coeur de l'ouragan. Sourcier indien qui suscite ou éloigne les pluies diluviennes.

Cela c'est la théorie, car une fois que les orages désirés se sont rués sur vous il convient de ne pas être emporté par les torrentielles ondées que votre désir a appelées. Le grand Expérimentateur se présente comme le grand Manipulateur. Morrison est allé jusqu'au bout. La scène lui enjoindra d'étendre son champ d'action. Elle lui permet de jouer à l'apprenti sorcier. Ne s'agit plus de faire tourner votre entourage en bourrique, genre chef de bureau pervers narcissique qui rend chèvres ses trois dactylos, son champ d'investigation est des plus grands, l'a affaire à des milliers de personnes. Les kids qui crient et qui s'époumonent il sait en jouer, mais le cercle des impétrants s'élargit, le chaman n'est qu'un showman, peut compter sur l'approbation du public acquis à sa cause, mais son succès réveille bien des haines, policiers et ligues de vertu voient d'un très mauvais oeil ce trublion anarchiste qui tourne trop facilement la tête des adolescent(e)s. Après le concert de Miami – sera accusé d'exhibition de ses libidineuses parties – ce n'est pas la maîtrise de la foule qui lui échappe mais ce sont les ennemis de cette libération sexuelle et des esprits qu'il représente qui s'emparent des ficelles. Le voici devenu marionnette. Durant un an et demi la menace de la case prison pèsera sur lui. Le jeu n'en vaut plus la chandelle. Il cherchait ses limites il les a trouvées. Désormais il les connaît. Ce n'est pas une surprise, mais une confirmation. N'était peut-être pas le Roi Lézard mais il pouvait tout faire. Du moins se permettre beaucoup plus que la plupart de ses contemporains, son argent, sa notoriété, son statut de rockstar étaient de sacrés boucliers corybantiques. Possédait l'arme ultime, la foudre jupitérienne. Mais une fois cette puissance acquise, le rêve réalisé était terminé. Rock is dead avait-il l'habitude de dire. Comme pour beaucoup d'artistes le succès s'était insidieusement métamorphosé en dépression. Resta longtemps larvée chez Morrison, mais finit par être incapacitante. Mais il possédait une porte de sortie. Une carte joker que beaucoup d'autres n'ont pas. La poésie.

Car ce qui sépare Jim Morrison, ce qui le met à part, c'est la puissance dreamique de ses textes. Résonances ouraniennes qui le portent en avant à mille lieues de tous les autres. Son destin est ailleurs pressent-il. Dès la fin de l'enregistrement de LA Woman – symbolique adieu crépusculaire à la démence américaine - il s'envole pour l'Europe. Le continent de cette vieille culture littéraire dont la puissance prophétique a irradié ses textes. Remonte à la source. Le Roi Lézard entre en hibernation. Tourne la page. N'aura pas le temps d'écrire grand-chose sur la suivante. La mort le rattrape. A moins que ce ne soit lui qui l'attrape par la queue. Expression des mieux venues puisque l'alcool a diminué ses capacités érotiques, porte en lui à son corps défendant un germe inconscient de volonté d'impuissance. La fin reste obscure. Non pas en le sens où l'on ne sait pas exactement comment cela s'est passé mais parce qu'elle mêle et entremêle deux principes vitaux d'illimitation de la vie qui ne sauraient être maniés sans précaution. L'exaltation troubadourienne se brise sur le rocher de l'héroïne. Le serpent bifide possédait bien deux têtes. L'on ne saura jamais laquelle des deux aura porté le coup mortel. Rock is dead. Définitivement. Ce n'est pas grave le toast-blues survit. Le Grand Imprécateur de nos faiblesses n'en finit pas de tonner dans ses poèmes.

Les interviewes rejetées en fin de volume sont à lire. Elles nous montrent un Jim Morrison des plus lucides. Sait que les formules qu'il jette à la presse ne sont pas de vieux os pourris où il ne reste rien à ronger, mais des mantras synthétiques et évocatoires aux résonances infinies. Des formules magiques. Au sens noble de ce terme. Raymond Abellio a théorisé l'apparition de la grande lyrique romantique comme l'expression du phénomène de dévoilement des connaissances ésotériques. En bout de ce cycle la geste morrisonnienne apparaît comme la finalisation et la destruction de la naïve légende ( pour esprits faibles ) des supérieurs inconnus au profit des activistes poétiques. Un conseil méfiez-vous davantage de ces derniers.

Damie Chad.