13/09/2017
KR'TNT ! ¤ 339 : WILDFIRE WILLIE + BETHUNE / SHEL TLMY / EIGHTBALL BOPPERS / JAKE CALYPSO / OSCAR ALLEMAN / JIM MORRISON
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 339
A ROCKLIT PRODUCTION
14 / 09 / 2017
WILDFIRE WILLIE + BETHUNE / SHEL TALMY / EIGHTBALL BOPPERs / JAKE CALYPSO / OSCAR ALEMAN / JIM MORRISON |
TEXTE + PHOTOS SUR :
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Wildfire Willie fout le feu
On l’annonçait comme le messie et il est arrivé sur la grande scène du Rétro avec des allures non pas de messie, mais de vétéran de toutes les guerres. Ah il faut avoir vu le vieux Wildfire Willie bopper le rockab sauvage. On devrait l’appeler Willie la classe. Bon d’accord, il n’est plus tout jeune mais il croque son rockab à belles dents, on voit que ce mec est heureux de monter sur scène pour claquer quelques vieux beignets de crevettes. Comme tous les autres, il gratte une acou serrée sur la poitrine, avec le manche pointé vers le sol, mais il met une telle intensité dans son jeu qu’il parvient à échapper aux clichés. Wildfire Willie ne vit que d’authenticité et d’eau fraîche, il boppe avec ferveur et répand la bonne parole du rockab dans toute l’Europe. Heureusement qu’il existe encore des Suédois comme lui pour propager le fléau du rockab par delà les frontières. Il put his cat clothes on et son petit pote le stand-up man assure un pulsatif vraiment digne de l’âge d’or. Wildfire danse un peu, les frissons l’émoustillent, il relance toujours sa machine avec l’énergie d’un géant. Il te dog son cat avec brio et n’hésite pas à se rouler par terre, pour offrir du spectacle au petit peuple, il fait ses vieux pas de danse d’Elvis, il te visse le set et boppe son cut de cat comme un crack, il te crashe même du party en souvenir de Benny Joy. Wow, Wildfire ne se prive d’aucun éclat. Et comme Sonny Burgess vient de monter au ciel, Wildfire lui rend un ultime hommage avec une version stupéfiante d’«Ain’t Got A Thing» ! Toute la place tressaute en rythme - I got a car/ Ain’t got no gas - On se retourne et que voit-on ? Un beffroi qui twiste le bop - I got a clock/ Ain’t got no hands - Ce démon de Willie rallume tous les vieux brasiers. Il est bien certain que Sonny aurait été ravi de voir son vieux hit fourrager ainsi le cul d’une vieille ville.
Toute cette énergie, on la retrouve sur les disques, évidemment. À commencer par cette énorme slap-machine qu’est Rarin’ To Go, un album paru en 2004 sur un petit label suédois. Rarin’ To Go est tellement bien foutu qu’on se relèverait la nuit pour le réécouter. Willie embarque tous ses cuts un par un au pur jus de western swing, «Cool Curves» vaut pour un heavy jive de rockab. Ces mecs sont indiscutablement doués pour la quête du Graal. C’est en tous les cas ce que montre ce «Come Back Baby» finement amené au minimalisme militant. Ce diable de Willie joue la carte du doux rockab. Tiens, voilà une magnifique pièce de country bop enjouée : «I Dig You The Most». Puis ils passent au pur jus de kabykab avec «Get Carried Away». Le festin se poursuit en B avec «Speakin’ Of My Heart», excellent shoot de rockab boppé bon esprit et harangué à la pure traînasse du Tennessee. Et puis tiens, encore du pur jus de juke avec «Cut It Out», bien enragé et presque sauvage. Willie finit son album en apothéose avec un enchaînement de cuts terribles : «Tease Me Baby» (heavy rockab admirablement dosé au chant), «Killer Diller Pills» (joué dans les règles de l’art du meilleur kabykab de cool cat), «If You’ll Be A Baby To Me» (boppé au beat pur, ces mecs jouent comme des dieux du stade) et ça se termine avec l’effarant «Great Cooga Mooga», un cut de bop pour lequel on vendrait sans hésiter son âme au diable. Rrraaaahhhhh !
Wildfire Willie passait en début d’après-midi, le dimanche. La veille au soir, les Ramblers et lui accompagnaient le légendaire batteur Jimmy Van Eaton, mais, curieusement, pas sur la grande scène. Le vieux Jimmy atteint les quatre-vingt piges, mais il semble conserver un goût pour la frappe sèche, enfin c’est très spécial. On comprend cependant qu’il ait pu faire partie du house-band de Sun Records. Il raconte bien sûr quelques anecdotes. Les gens sont là pour ça.
La grosse surprise du Rétro vient de deux groupes européens : l’un est belge (Shorty Jetson), et l’autre portugais (Roy Dee & the Spitfires). Deux groupes réellement excellents, chacun dans son style, mais diable, comme cette scène peut être vivante ! Shorty Jetson passait le dimanche après-midi. Ce petit brun au physique de jeune premier grattait son acou comme les autres, accompagné de la formation classique, stand-up/drums/guitare. Au premier abord, le guitariste n’attirait pas l’œil. Il jouait sur Tele et n’avait pas de look, mais il se mit à jouer des descentes de gammes vertigineuses en picking et là, ça devint extrêmement intéressant. Sorti de nulle part, ce mec rivalisait de fluidité avec James Burton. Oui, il tapait carrément dans la véracité de la vélocité. Ça semblait donner des ailes à Shorty Jestson qui, cut après cut, finissait par s’imposer, comme une sorte de petite star. Il chantait son rockab à la revoyure, la mèche dans les yeux. Il y avait du Vince Taylor en lui, mais aussi quelque chose qui relevait d’un mélange d’early Jack Palance, d’Indien d’Amérique, de petite arsouille et de branleur. Comme son guitariste Jo la fulgure, ce petit mec brillait comme un sou neuf. Il sortait de nulle part et régalait les amateurs entassés au pied de la scène. Il jouait tout simplement l’un des meilleurs rockabs qu’on pût espérer entendre à l’ombre du vieux beffroi de Béthune. Franchement, ce genre de set relève de l’irrationnel : comment quatre petits mecs sortis du néant parviennent-ils à recréer la magie du rockab, un art éminemment difficile ? Mille fois plus difficile que le garage ou toute autre forme de musique moderne. Pour que ça marche, il faut une vraie voix, une diction parfaite, un vrai look, un sens de l’équilibre et une passion ardente, pas une passion du samedi soir. Le rockab relève plus de la vocation, c’est en tous les cas ce qu’on comprend lorsqu’on voit Shorty ou Wildfire Willie arriver sur scène. Shorty Jetson shakait son shook en rigolant, tellement il semblait heureux de se retrouver sur une grande scène. Sans doute beaucoup trop grande. Il fit tomber la chemise et continua de rocker torse nu. Un immense trois-mâts ornait sa poitrine. Oui, en prime, ce mec arborait des tatouages de cité à l’ancienne, il poussait le sens de la classe jusque-là. Son rockab jubilait et crachait des flammes, comme le pot d’échappement d’un moteur mal réglé, ils osèrent même jouer «Get A Grip», un cut qui se brise comme une coque sur une cassure de rythme et qui repart comme par enchantement. C’est à ça qu’on reconnaît les bons. Après son set, Shorty Jetson vint se balader torse nu dans le public. Il lui restait six exemplaires d’un CD 4 titres sans doute édité à compte d’auteur. Il les offrait. On retrouve sur ce CD toute sa hargne et toute sa classe. Dès «Cry Baby Boogy», il jette sa foi dans le pâté de foie. Ça swingue à la démence et ça rocke jusqu’à l’os à moelle - This kid is soooo gooood ! Puis il fourre «Rocket In Your Pocket» sous le boisseau et le guitariste en profite pour enfiler un coup de driving de dingue. Il ne reste plus qu’à se poster à la fenêtre pour guetter l’arrivée d’un hypothétique album.
Roy Dee & the Spitfires viennent du Portugal. C’est l’autre révélation du festival. Wild Records vient de les signer, mais leur album n’est hélas pas encore paru. Il n’avaient que leur talent à offrir. Alors attention, ils pourraient bien devenir aussi énormes que les Wise Guyz, mais dans un genre différent. Alors que les Ukrainiens jonglent avec l’ultra-swing et un look à la Cochran, les Portugais vont plus sur le rockab wildy-wildo et le look marlou, celui des Bouges de Pierre Mac Orlan. Ces mecs sortent tout droit d’une taverne borgne du port, surtout le chanteur et le stand-up man, deux petits formats courts sur pattes, râblés, épais, coiffés de casquettes de gavroches, et pour la chanteur, maillot rayé et bras couverts de tatouages de matelot. Oh et des gueules ! Ils ont ces fabuleuses trognes dignes des collections de gueules cassées qu’on achetait autrefois à Saint-Malo, les fameux portraits d’Étienne Blandin. Le stand-up man porte d’immenses anneaux aux oreilles, il ne fait pas semblant. Si tu veux voir un frère de la côte, c’est lui ! Et puis le son ! Ces mecs-là se spécialisent dans les violentes montées et puissance, c’est-à-dire l’essence même du rockab. Le stand-up cat les génère de tout son corps, c’est hallucinant, il a en lui toute la hargne motrice d’un Johnny Powers, il fait la loco du train de Johnny Burnette, bah-boom bah-boom, il donne des coups sur ses cordes et tortille du cul en cadence. On sent battre le vrai cœur du rockab sauvage. C’est imparable. Roy Dee pique lui aussi de crises de folie furieuse, il part en vrille de Saint-Guy et s’en va zigzaguer au moment où tout menace d’exploser, mais chaque fois, leur train se remet dans les rails et repart comme si de rien n’était. Ces mecs dégagent une énergie bien plus sauvage que n’en dégagent les chevaux de la Brigade Légère, celle de Tony Richardson, bien sûr. Ça plait tellement au public du 73e qu’ils obtiennent deux rappels. Eh oui, on ne trouve pas des hot cats comme ça sous le sabot d’un cheval.
Signé : Cazengler, Wildfire mouillé
Wildfire Willie & The Ramblers. Béthune Retro. Béthune (62). 27 août 2017
Wildfire Willie & The Ramblers. Rarin’ To Go. Tessy Records 2004
Shorty Jetson & The Racketeers. No label.
Talmy ça où ?
Et puis comme un miracle n’arrive jamais seul, Record Collector propose à la suite du panorama d’Oregano sur les Creation un article de Bill Kopp sur Shel Talmy. C’est dans ces occasions qu’on loue le seigneur pour de vrai. Comme l’indique le cat Kopp, Shel Talmy devint à l’époque une star, à l’instar de Phil Spector et de George Martin, ce qui était encore assez rare, pour les producteurs. À Londres, les plus connus étaient Mickie Most et bien sûr George Martin qui lui était associé aux Beatles. Mais comme Joe Meek, Shel Talmy avait la particularité d’être à la fois ingénieur du son et producteur. Technical expert with artistic focus. Et comme Andy Warhol avec le Velvet, il veillait au full control over the project.
Shel Talmy ne se contentait pas de produire, il découvrait. Hormis les Who, les Kinks et les Creation, il produisit aussi les Easybeats, Bowie et Roy Harper. Excusez du peu. Et comme Eddie Phillips, il ne rajeunit pas, puisqu’il va sur ses quatre-vingt ans. Mais apparemment, il est toujours en activité.
Au début des années soixante, Shel se fit les dents à Los Angeles. Boss de Conway Recorders, Phil Yeend lui donna sa chance et le petit Shel enregistra des cuts de surf et de r’n’b. Il devint pote avec l’un des personnages clés de l’époque, le fameux Nick Venet qui bossait chez Capitol. Nick lui disait le plus grand bien de l’Angleterre, alors Shel eut l’idée d’y passer six semaines de vacances pour y tâter le terrain. Nick lui donna des acétates : tu peux t’en servir et dire que ce sont les tiens. Oh merci Nick ! C’était pas n’importe quoi : Nick lui filait carrément des acetates des Beach Boys et de Lou Rawls. Arrivé à Londres, Shel prit des rendez-vous. Il commença par demander à voir Dick Rowe chez Decca. Il y alla au flanc : «Je suis le truc le plus génial qu’on ait inventé depuis le fil à couper le beurre !» Intrigué, Dick écouta les acetates de Nick. Bingo ! Dick embaucha Shel sur le champ comme producteur. Son séjour de six semaines allait durer 17 ans.
Son premier job consistait à produire les Bachelors. Shel rappelle qu’en 1962 British music was very polite, very precise, restrained and without much feel - oui, c’est encore à l’époque une musique bien polie et bien lisse qui ne fait pas de vagues. C’est justement ce qui ne plaisait pas à Shel. Il décida de faire à sa manière - So I chose to do it my way - Il devint producteur indépendant et comptait bien sûr Decca parmi ses clients. Il se fit vite un renom en tant que Famous American record producer et reçut la visite d’Andrew Loog Oldham. Il préférait monter sa boîte et vivre de royalties plutôt que d’être salarié par une grosse maison de disques comme Decca. Il faut dire que Decca battait tous les records de connerie. Souvenez-vous, ils avaient refusé de signer les Beatles. Quand Shel proposa Georgie Fame et Manfred Mann à Decca, ils déclinèrent. Decca allait aussi rater les Who que Shel leur amenait sur un plateau - Faut pas parler aux cons, ça les instruit - S’appuyant sur ce vieil adage, Shel cessa donc d’aller perdre son temps chez Decca et fila démarcher Pye.
C’est dans une boutique de Denmark Street qu’il rencontra Robert Wace, un mec qui manageait les Ravens. Wace lui fit écouter une démo. Shel flasha sur ce groupe qui allait changer de nom pour devenir les Kinks. Ce fut donc le premier groupe que Shel présenta à Louis Benjamin, le boss de Pye. Louis fit d’une pierre deux coups : il signa immédiatement les Kinks et prit Shel comme producteur indépendant. «Long Tall Sally», premier single des Kinks, parut chez Pye. Shel allait y produire cinq albums et une bonne douzaine de singles des Kinks.
Il avait des techniques de prise de son inconnues des techniciens britanniques : il voulait douze micros sur la batterie et trois sur l’ampli guitare, un tout près, un à quelques mètres et un autre dans la pièce pour choper le feedback - I wanted my records to be the loudest thing out there - Le rock n’en était encore qu’à ses débuts et Shel sentait qu’il avait the great good fortune of setting the standards. Il fallait donc tout inventer. Il fit travailler des gens comme Bobby Graham, Jimmy Page, Nicky Hopkins et l’arrangeur David Whitaker. Shel était alors ce qu’on appelait un «Hands-on» producer, un producteur clés en mains : il choisissait les chansons, faisait répéter le groupe, faisait les arrangements, enregistrait, overdubbait, mixait et mastérisait. Il voyait Ray Davies chaque semaine pour faire le point sur ses compos. Un jour, Ray commença à lui jouer «Sunny Afternoon» et après seulement quatre mesures, Shel lui dit : «That’s our next #1 !».
Puis il découvrit les Who via une gonzesse qui fréquentait Kit Lambert. Elle réussit à convaincre Shel de venir voir les Who répéter dans une église, quelque part dans Londres. À peine eut-il entendu huit mesures qu’il voulut les signer. Il venait de flairer le gros coup. Aucun groupe à Londres ne sonnait comme eux. Et pouf ! «I Can’t Expain», puis le premier album et une demi-douzaine de singles ahurissants ! Shel avait tout simplement réussi à capturer le chaos du groupe. Il tient toutefois à préciser que ce son ne sort pas de la cuisse de Jupiter - Pete and I did spend a lot of time in the studio on our own, trying various mic positions in order to wind up with the sounds you hear on the record - Puis une brouille juridique brisa cette belle union. En 1965, Shel produisit l’«I PityThe Fool» du jeune David Jones qui allait devenir David Bowie. Shel flaira le talent, évidemment - I thought he absolutely was going to make it - Mais David et Shel étaient beaucoup trop en avance sur leur époque.
Puis il découvrit les Creation, qui furent ses préférés - His major regret - They were coming on great - Mais des tensions énormes déchiraient le groupe et Shel passait son temps à leur rappeler qu’ils étaient en studio pour enregistrer et non pour se taper dessus. Eddie Phillips et Kenny Pickett étaient en conflit avec Bob Garner qui avait une fâcheuse tendance à vouloir se mettre en avant. Shel est d’autant plus amer qu’il avait l’accord d’Ahmet Ertegun pour que l’album sorte sur Atlantic. Strat ne réussit pas non plus à éviter le gâchis. Shel les voyait déjà comme des stars. Ils étaient en tête des charts en Allemagne et un peu partout en Europe - I was going to put them over the top. And I think they would have succeeded. It didn’t happen and I regret it to this day - Si les cuts des Creation sonnent aussi divinement aujourd’hui, c’est bien grâce à Shel Talmy.
Il produisit aussi un single des Damned, et des gens aussi divers que Lee Hazlewood, Amen Corner, Blues Project, les Small Faces, Goldie & The Gingerbreads et Chad & Jeremy. Et même l’album In Heat des Fuzztones en 1989. Son dernier coup de cœur est un London-based group, the Hidden Charms, dont le son lui rappelle les Kinks et les Who. On ne se refait pas.
Shel Talmy aura passé sa vie à répéter : A lousy band with a great song will have a hit, but the reverse to that is not true (un mauvais groupe avec une grande chanson aura du succès, mais l’inverse est faux). Il est encore temps d’en prendre de la graine.
Et puis voilà qu’Ace propose un petit panorama du business productiviste de Shel Talmy, sous le titre de Making Time. A Shel Talmy Production. Alors oui, on saute dessus. On y trouve évidemment les Who («Anything Anywho Anywhere» - sheer excitement to tape - Les Who qui après Shel ne retrouveront jamais ce degré de perception dingoïde), les Kinks («Tired Of Waiting For You» - Shel is in charge of the visceral violent noise of early Kinks), les Creation («Making Time» - noyé de son dans le limon de Tin Pan, basse pulmonaire et same old song, pure démence de l’outrance), mais aussi des choses bien moins connues mais très spectaculaires, qui contribuent si bien à l’édification du génie productiviste de Shel Talmy, à commencer par l’infernal «Daddy Long Legs» de Lindsay Muir’s Untamed, un hit complètement inconnu au bataillon, monté sur un drive hors d’âge, pure giclée de concomitance suprême, parfait accouplement du talent de Lindsay et du productivisme latent du Talmy. La frangine de Lindsay s’appelle Mary Langley et on trouve sur la compile «Surrender», un hit de Mary ‘Perpetual’ Langley véritablement digne du Brill, elle chante comme une baby doll de rêve et, inexplicablement, elle est passée à la trappe de Père Ubu. Autre surprise de taille : les Sneekers avec «Bald Headed Woman», un rave-up monstrueux digne des Pretties. Le chanteur s’appelle Brian Howard. Il se livre ici à un joyeux trashy trash-out. On a là un pur wild bash-out à l’Anglaise qui sonne comme une fabuleuse explosivité multi-directionnelle, l’un des meilleurs garage-freakout d’Angleterre et Shel le tient bien en laisse. Tout aussi spectaculaire, voilà «Night Comes Down» des Mickey Finn, pur jus de savage beat, bardé de son. Le chanteur s’appelle Alan Mark et franchement, on se demande pourquoi ce groupe n’a pas explosé dans l’inconscient collectif. On passe aux groupes plus connus comme les Nashville Teens, amenés chez Shel par Don Arden. Alors oui, cette version d’«I’m Coming Home» est un petit chef-d’œuvre d’excitation, avec la double attaque de Ray Phillips/Art Sharp et ce killer solo en feedback ! C’est encore une fois bardé de son, incompressible, sauvage et glorieux. C’est là qu’on mesure une fois encore la hauteur du génie de Shel Talmy. L’un de ses gros espoirs était les Rockin’ Vickers de Blackpool. Si on connaît leur nom, c’est sans doute parce que Lemmy y fit ses débuts en tant que Ian Willis. Autre poulain de Shel : Oliver Norman, un black horriblement maigre qui chante «Drowning In My Own Despair» sur le beat de «Bernadette». On a là du pur Tamla Sound, c’est dire si Shel est bon. Même les cuts de Tim Rose et de Trini Lopez passent comme des lettres à la poste. Shel Talmy est une sorte de touche-à-tout de génie. Ses folkeux accrochent un petit peu moins bien. Il faut vraiment aimer le folk anglais pour écouter Pentangle, par exemple. Le duo Chad & Jeremy est beaucoup plus accessible : «A Summer Song» sonne comme un pur chef-d’œuvre de pop stellaire montée aux harmonies vocales subliminales. Ça vibre de beauté. Voilà encore une combinaison fatale de surdoués : même niveau que le team Righteous Brothers/Phil Spector, on est là dans l’ultimate etheric of it all. Au dessus, il n’existe plus rien. Shel dit aussi avoir énormément aimé les Easybeats, il suffit d’écouter «Lisa» pour comprendre ce qu’il veut dire, et Steve Wright reste un shouter exceptionnel. Puisqu’on est dans les Aussies, Shel aurait dû produire les Bee Gees, mais Robert Stigwood, lui-même Aussie, lui brûla la politesse. Autre épisode de taille : le pré-Bowie qui s’appelait encore Davy Jones et dont Shel produisit l’effarant «You’ve Got A Habit Of Leavin’», un slab de Mod pop entrelardé de shoots de freakout à la Talmy. C’est très spectaculaire ! Tiens, encore une merveilleuse surprise : The First Gear avec «A Certain Girl». British sound de 1964, très daté, mais on sent la patte du chef, on entend le travail indubitable du bassliner d’époque, on bouffe du son murky, comme dans les Creation et le son de guitare incroyablement agressif vaut pour une nouvelle preuve de l’existence de Dieu. Shel Talmy avait tout compris. Oh il faut aussi écouter le «Semi-Detached Suburban Mr Jones» de Manfred Mann, car c’est de la pop anglaise dotée d’une profondeur d’écho et d’allant inégalable. Ce fantastique Shel fait aussi du Brill avec Goldie & the Gingerbreads : «That’s Why I Love You» sonne comme un hit, avec ce fantastique trafic de prod prude.
Signé : Cazengler, Talmygondis
Making Time. A Shel Talmy Production. Ace Records 2017
Bill Kopp : A Well Respected Talent. Record Collector #465 - April 2017
TROYES / 08 – 09 – 2017
3B
EIGHTBALL BOPPERS
Sont baths les bataves, connaissent les bonnes adresses. Même là-bas dans leur pays au-dessous du niveau de la mer z'avaient entendu parler du 3 B de Troyes. Ce n'est pas Béatrice la patronne qui aurait laissé passer l'aubaine, les a plombés en plein vol ces hollandais volants qui avaient besoin d'une ville étape dans leur parcours vers le festival Rock'n'Road Stomp de La Souterraine. Une bien belle manière d'inaugurer la saison 2017-2018. Premier concert, apparemment tous les habitués ne sont pas rentrés mais il ne manque pas de têtes nouvelles. N'y a plus qu'à attendre que les Eightball Boppers finissent leurs repas pour que les festivités commencent.
PREMIER SET
Suffit de savoir lire les signes. Surtout ceux qui ne trompent pas. Exemple : ces trois cymbales, cette caisse claire toute seulette avec cet unique long fut de grosse caisse dressé verticalement tel le premier étage d'une fusée sur son pas de tir, en robe zèbre démarquée du motif de la fastueuse veste onagrienne de Gene Vincent à Sidney – quoique à la réflexion ces traits noirs ondoyants sur fond blanc ne soient pas sans évoquer la frisotienne implantation pubienne d'une jeune fille, mais je m'égare, d'autant plus que Rat Rod se glisse derrière cette batterie rudimentaire dont il tient à nous démontrer tout le long de la soirée la redoutable efficacité. Ont bien choisi leur nom, des boppers de la mort, et Rat Ros qui officie debout à la Dickie Harrell est le maître stompeur de la huitième balle. J'entrevois une question qui lève le doigt au fond de la cohorte des lecteurs, vénérable Damie pourriez-vous rappeler à nos ignorances profondément infinies la définition du Bop ? Ultra-simple, cher ami. Le bop c'est le swing. Mais le swing auquel vous prenez bien soin d'enlever au préalable le swing. C'est que voyez-vous le swing ronronne comme un moteur à quatre temps, une fois que c'est parti vous êtes tranquille pour la soirée. Le bop c'est itou, mais en plus fort, et de temps en temps – surtout sur un impair et gagne – vous assène un méchante beigne, toujours dans le rythme, mais genre coup de massue qui vous écrabouille. Hop ! Hop ! Hop ! Hop ! BOP ! Le bop c'est la saccade du coup de pied au cul qui vous éjecte du saloon juste au moment où vous croyiez recevoir sur l'épaule un discret effleurement d'éventail de la belle Lola pour vous inviter à monter au premier étage. Vous avez beau vous y attendre, savoir que le danger du mari jaloux vous guette, vous vous laissez prendre à chaque fois, disons toutes les huit secondes. Certains assurent que le bop est issu des tambours indiens, transbahuté par le rythme claudiquant du blues. Peut-être n'est-ce qu'un mythe fabriqué par un ethnologue qui voulait se faire remarquer. Ce qui est sûr c'est qu'il existe un étrange rapport entre le bop et le galop heurté d'un poney comanche sur le sentier de la guerre. Mais je vois que les 8BB ne m'ont pas attendu. C'est Willy Cornelissen sous son chapeau gris qui a poussé de sa fender stratocaster une soufflante chalumique de dragon déchaîné, vous nettoie en cinq secondes l'œsophage pour le restant de votre vie, vous n'avez d'oreilles que pour ses giclées de fanfare fanfaronnante. Grave erreur, ce n'est pas lui le plus dangereux. Sachez identifier votre ennemi, surtout s'il vous veut du bien. Certes on ne le voit pas bien, se cache un pas en arrière, entre le tronc d'arbre de la grosse caisse et la contrebasse de Henk Haning. Décorée façon char d'assaut. Imitation blindage. Fortes tôles tenues par les rivets style Nautilus de Jules Verne, pin up en écusson, et les flancs à damier jaune et noir comme les cuisines carrelées des années cinquante. L'est à son affaire, tire sur une corde et vous lâche une torpille chaque fois que Rat abat le bop sur son enclume. Revenons à l'homme invisible Bert Damink - c'est son nom - qui joue au modeste, feutre noir aplati sur sa tête et yeux baissés sur sa Gretsch. Orange crochranien, un sacré indice mon cher Watson. Oui foi de Sherlock, n'est pas là pour faire le charlot. Dressez l'oreille, dans le déluge de Willy, ces petites notes, toutes fluides, toutes grêles qui s'insinuent l'air de rien et qui jouent le rôle de l'amorce sur les cocktails molotov, c'est lui. Sacré loustic. Quand vous apercevez que vous avez un couteau entre les omoplates, vous êtes déjà mort depuis longtemps. Aucun regret, passent leur temps à se marrer, échangent des mots incompréhensibles, sourient, rigolent, et enchaînent sans préavis un Flea Brain de Gene Vincent ou un Reelin' and rockin' de Chuck Berry. Le courant passe, Rat Rod possède quelques rudiments de français, coupe un peu les mots, mais établit une sympathique complicité avec l'assistance. Est plus souvent qu'à son tour au vocal. Vous l'assène sèchement sans fioriture ni friture. Une loi de base du rockab, les instrus se taillent la part du lion, mais c'est le singer qui découpe les morceaux. Faut avoir la voix acérée comme une machette, fait la partition, délimite le terrain pour chacun des soutiers, l'est le poteau qui délimite les intervalles, faut une sacrée complicité pour se retrouver tous ensemble pile-poil, les Eightball s'en amusent, il y en a toujours un qui commence quand les autres ne sont pas prêts mais deux secondes plus tard sont tous sur la même ligne. Du grand art. Je n'en veux pour preuve qu'une de leurs compositions. Commencent par répéter trois ou quatre fois Dentist avec la mine lugubre de celui qui va se faire arracher trois molaires sans anesthésie et tout de suite après c'est le paradis, le miracle, du pur Cochran, la guitare de Bert qui slalome entre les étocs et la voix de Rat qui enflent et diminuent tour à tour comme les vagues sur la mer, la contrebasse de Henk qui descend et remonte les escaliers en trombe, et la guitare de Willy qui vous claque une rythmique impitoyable comme une lanière de fouet ondulante. Même les Stay Cats ne nous ont jamais expliqué si clairement le lien structurel et séminal qui relie le bop de Gene à la rythmique d'Eddie. Eddie a raboté la rudesse du Bop, l'a transformé en inflexion, mais cet infléchissement n'est pas un adoucissement, rajoute de le courant électrique continu là où il n'y avait que tohu-bohu des ruptures rythmiques. La voix n'a plus besoin de se déchirer sur les éclats de verre brisé de l'instrumentation, c'est elle qui désormais mène le jeu et renforce de ses nuances sinusoïdales l'expressivité du morceau. Le set s'achève sous les applaudissements. La démonstration des Eightball Boppers est sans bavure. En une quinzaine de titres, ils ont montré qu'ils maîtrisaient parfaitement leur sujet.
DEUXIEME SET
On ne se méfie jamais assez. L'on avait reçu une leçon de rockabilly. L'on croyait que c'était terminé que l'on allait se retrouver en territoire connu. Que nenni. Après la leçon, la raclée. Sur les deux premiers morceaux on n'y a pas fait gaffe, bien sûr il y avait cette façon de Bert de faire sonner ses cordes hautes de plus en plus fort. Un régal, un ronronnement de gros matou qui se pelotonne sur son coussin et qui s'apprête à passer à une nuit agréable après une fructueuse chasse aux souris. Puis il y a eu le sourire en coin de Rat Rot nous annonçant un titre en français. Enfin en belge. Et ploum, nous envoient un Ça Plane pour Moi, peu convaincant, genre de facétie qui n'apporte rien de neuf, OK, savent jouer aussi vite que des punks mais on le savait déjà. Z'ont décidé de nous faire perdre tous nos repères, voici These Boots are Made for Walkin', vous le troussent fort joliment le hit de Nancy, mais où veulent-ils en venir au juste ? Pas de panique, nous présentent un hit en dialecte – comprenez chanté en néerlandais – ne me demandez pas le titre par trop imprononçable pour nos gosiers gaulois – marqué pré-early sixtie, ça ressemble à nos premiers groupes français à la Chat Sauvage. Nous ont un peu menés par le bout du nez, mais c'était juste une tactique pour nous déstabiliser, car voici la guitare de Bert qui enfle, enfle, enfle comme un tsunami, ce coup-ci le temps des questions est passé, nous entrons dans l'ère des évidences. Formation rockabilly au carré, partie dans un rumble d'enfer, et ensuite faut suivre, car ça dépiaute sauvage et rapide, adieu le bop, voici les riffs rock qui s'enchaînent et se déchaînent, Raw Hide et le troupeau des long-horns déboule sur nous, l'on va être piétiné par ce millier de bisons qui foncent, quand la rythmique sautille narquoisement, serait-ce Louie-Louie ? pas le temps de lui serrer la main, quinze secondes de Satisfaction immédiatement suivi de Paint it Black qui s'accélère comme une loco qui quitte les rails, normal c'est Highway To Hell, arrêt en gare tout le monde descend sur les deux derniers vers de Stairway Heaven, pour repartir aussitôt sur Born to be Wild, mais j'arrête la liste, elle cache la guitare de Bert, plus de chat qui coucouche dans son panier, rugissement de tigres mangeurs d'hommes, et manque de peau nous faisons partie de l'espèce humaine ! Nous bouffe tout cru ! Diabolique cette succession de plans qui se métamorphosent à l'infini, et le combo qui suit comme highlanders troupe derrière cornemuses, quand on enfonce les clous du rock'n'roll dans la croix, il faut que ça saigne un max, sinon, cela n'a pas d'intérêt. Une belle rouste rock'n'roll comme on aime en recevoir. Une apothéose.
TROISIEME SET
Il se fait tard. N'ont plus rien à prouver. Batifolent entre Stray Cats et classiques à la Tutti Frutti. De la belle ouvrage. Ni l'authenticité de la première partie, ni l'ouragan de la deuxième. Mais le hall des beaux modèles d'exposition que l'on ne se lasse pas d'admirer. Démonstration sur circuit avec dérapages incontrôlés sans faute. Finissent sous les acclamations, et les remerciements, écoulent une valise de CD et signent les affiches à tire larigrock. Pour l'ouverture de sa nouvelle saison Béatrice la patronne a frappé fort. Nous a offert une merveille. Merci les Eightball Boppers ! Une soirée diabolique !
Damie Chad.
100 MILES
JAKE CALYPSO
( Rock Paradise / Chickens Records )
( Sortie : 16 août 2017 )
KISMET / HOME IS WHERE THE HEART IS / I WILL BE HOME AGAIN / SUPPOSE / FLAMING STAR / I'LL REMEMBER YOU / POCKETFUL OF RAINBOWS / WILD IN THE COUNTRY / TODAY TOMORROW & FOREVER / IN MY WAY / MILKY WHITE WAY / THEY REMIND ME TOO MUCH OF YOU
Jake Calypso : chant + guitars / Christophe Gillet : guitars + choeurs / Hubert Letombe : acoustic guitar + manettes / Didier Bourlon : guitar / Viktor Huganet : guitar + choeurs / Mehdi Wayball : guitar / Thierry Sellier : drums / Alexandre Letombe : drums / Guillaume Durieux : contrebasse / Ben D. Driver : Contrebasse / Serge Renard Bouzouki : violoncelles + accordéon + mandoline + bouzouki / Nick Anderson : piano / Fabrice Mailly : harmonica / Bernard Leblond : percussions / Jean-Charles Thibaut : choeurs.
A lire la liste des participants l'on pourrait croire que Hervé Loison avait décidé de convoquer l'entière tribu des derniers mohicans pour un grand pow-how d'enfer rock'n'rollien. N'en est rien. N'y a pas de disque plus solitaire que celui-là dans toute la production française. Un rêve de rocker. Forever. Comme personne n'oserait en faire. Une folie douce. Le type qui plante une pelouse pour les coccinelles en plein milieu de la jungle infesté de tigres sanguinaires. Remarquez l'on aurait pu s'y attendre. Des indices qui ne trompent pas : dans les premiers temps de son parcours : ce groupe nommé Mystery Train ou cet album enregistré à Memphis dans les studios Sun voici à peine deux ans, ne sont-ce point poinçons presleysiens à foison chez Loison ? Donc un disque dédié à Elvis cela tombe sous le sens pour quelqu'un qui vient de rééditer celui dédicated to Gene Vincent et qui a enregistré par ailleurs des albums consacrés à Little Richard et Johnny Burnette. L'on peut déjà dresser la set list, les incontournables comme Heartbreak Hotel, Hound Dog, Don't Be Cruel, tiens ce Milkcow Blues rugueux à souhait et... ramenons les vaches à lait à l'étable, Hervé ne mange pas de ce pain blanc de la facilité attendue. L'est un rocker, un vrai, un pur, à la dure caboche qui n'en fait qu'à sa tête. Faut toujours surprendre l'ennemi du côté par lequel il ne vous attend pas. Vous rêvez du Pelvis frénétique, erreur sur tous les sillons, ce sera le roucoulard des demoiselles, l'Elvis des plus ignobles ballades, celles qui vous font larmoyer de honte à l'idée qu'elles pourraient vous donner envie de pleurer car il est bien connu qu'un rocker au coeur de pierre ne pleure jamais... Pourrait se trouver au moins une excuse l'oison tapageur : morceaux immémoriaux de la mélancolie populaire que les cowboys chantaient le soir venu autour du feu, mais non fait exprès de puiser dans le répertoire le plus inavouable de l'enfant de Tupelo, quand il troque - à l'instigation dollarophile du colonel Parker - l'herbe bleue du Kentucky pour les champs de navets cinématographiques. Z'oui, mais pour Loison chez Elvis tout est bon. N'est-il pas le roi du rock ? Faut pas grand chose pour le prouver. Un petit magnéto et un billet d'avion. L'aéroplane c'est pour se rendre à Memphis, et le mini-cassette pour enregistrer, à mi-voix et parfois en cachette, et souvent à la sauvette, douze pépites d'Elvis dans les endroits où il a vécu : Tupelo, Graceland, Nashville... poussera le vice jusqu'en Allemagne. C'est de retour à la maison que Loison a rameuté les amis, faut habiller l'émotion de cette voix dénudée, lui tisser un habit transparent de cristal et de diamants.
Me suis posé la question : comment rendre compte d'un tel disque ? En même temps totalement hommagial et extrêmement personnel. Après avoir hésité me suis décidé pour l'épreuve ordalique. Par le feu. Morceau par morceau. Version Elvis. Version Jake Calypso. Méthode un peu traître. Nos deux lascars ne sont pas à armes égales. Confort du studio pour l'un, et enregistrement quasi-clandestin pour l'autre. Pas un match, Elvis hors catégorie de par son statut historial et Calypso qui ne se présente pas comme un challenger.
Kismet : annonce fort la couleur Loison, dès le premier morceau. Perso, Kismet n'a jamais été qu'un morceau au mieux purement anecdotique de la discographie du King, extrait d'un film qui n'a pas laissé un souvenir impérissable dans l'histoire du cinéma. Et c'est-là que l'on se rend compte de l'habileté diabolique du projet. Ne s'agit pas d'une reconstitution à l'identique. Calypso dénude le chant, en accentue la limpide fragilité, donne à sa voix un tremblé que la mature facilité elvisienne a laissé de côté. Même parti-pris pour l'instrumentation qui accompagne plus en douceur qu'elle ne souligne chez Presley. Home is where the heart is : un morceau un peu moins rose ( même si l'héroïne de Kid Galahad s'appelle Rose ) que le précédent, davantage ballade country pour dire vite, Elvis y use sans abus de l'obus de son inflexion barytonnienne. Loison y susurre délicieusement, là où Elvis pousse au drame Calypso tire vers une taquinerie plus délicate. L'air de l'amoureux transi à première oreille, mais qui sait y faire pour embobiner les demoiselles... Moins sûr de lui que le chat des collines mais peut-être plus finaud. I will be home again : un titre de circonstance pour le premier album d'Elvis de retour à l'armée. Elvis met le paquet, voix doublée par celle de Charlie Hodge et derrière la musique balance et tangue comme dans une salle de ball. The Pelvis a les mains sur les hanches de la belle et l'est sûr qu'après l'assaillira et la sallira à la hache d'abordage sur la banquette arrière... Loison ne se dérobe pas. L'attaque lui aussi bille en tête, guitares un tantinet un peu plus rustiques et des choeurs qui s'en donnent à coeur joie. Va encore y avoir des taches suspectes sur les sièges et Jake en rajoute au final, la voix qui éclate en trompette comme un coup de klaxon triomphal. Elvis n'y avait pas pensé, tant pis pour lui. Suppose : Elvis n'y va pas de voix morte, à l'écouter z'avez l'impression qu'il annonce l'imminence de la fin du monde, heureusement qu'il devient tout tendrou dès qu'il parle d'amour. Pas fou l'oison laisse le violoncelle de Serge Renard se charger de la promotion de la catastrophe, la voix reste à hauteur de demoiselle, la frôle, la cajole comme pas un. Je suppose qu'elle préfèrera l'homme de chair au super héros, même si avec les filles on ne sait jamais. Flaming star : générique d'un des films les plus aboutis Elvis. N'a pas peur Loison de s'attaquer à une de ces pépites du Maître. Genre de titre original dont l'interprétation d'une facilité déconcertante s'impose que aimiez ou non. Indépassable, mais Loison et son gang ont trouvé la parade. Tous ensemble. Une cavalcade digne du meilleur des westerns. Même que celui qui tire de l'accordéon, Serge Renard, joue plus vite que l'homme de main presleysien commis à cette même fonction, et Loison entraîne la troupe en galopant un cran au-dessus. S'en tire avec les honneurs de la guerre. I'll remember you : celui-ci Calypso est allé le chercher sur la dernière piste de la deuxième face de Spinout, Elvis devait l'aimer l'a souvent repris en public, guitare hawaïenne qui picore comme des tourterelles et voix de velours inimitable. Difficile d'être plus langoureux, Jake pose sa voix sur un fil angulaire, la rend plus fragile, plus blanche, le gars qui se déclare la peur au ventre, guitare qui grince en équilibre et traînées d'harmonica pour prendre courage. Pocketful of rainbows : Elvis lui file une allure de petit train d'interlude, le rythme trottine et la voix gambade en arrachant des touffes d'herbe, irrésistible. Coups de sabots sur la batterie, un petit coup d'accordéon pour emporter la décision, le timbre de Jake devient ardent, fouette cocher qui sera le premier à sortir un arc-en-ciel de sa poche ? Wild in the country : Sauvage est le country mais suave est la voix d'Elvis, des chœurs au loin chantonnent quelques cuillerées de miel, fermez les yeux vous êtes au paradis. La réalité doit être un peu plus rugueuse alors Calypso appuie un peu plus et les guitares cristallisent plus fort. Très convaincant. Deux dépliants touristiques alléchants. Today tomorrow & Foerever : Elvis triche, l'a le plus joli des jokers dans sa manche, la divine Ann Margret en personne – une de ses très rares conquêtes qui sera présente à ses obsèques – part avec un double handicap notre champion national si l'on pense à la débauche d'images en surimpression qui accompagnent la scène dans Viva Las Vegas, s'avance seul mais est très vite épaulé par son band d'amis, ce que vous ne voyez pas, vous l'entendrez, les guitares résonnent et bientôt vous marchez sur un tapis de mandoline. Bien joué ! In my way : Elvis. Tout doux, tout court. Sans fioriture. Le frottement des cordes comme comme de lointains pépiements de passereaux. Jake légèrement plus hésitant en sa déclaration. La voix plus nue, plus vulnérable aussi. Emotion pure. Le chant semble s'aventurer dans les orties de la parole. Pour donner plus de poids à la promesse éternelle. Milky white way : Ne s'agit plus pour Elvis de refermer dans sa patte de gentil méchant loup la menotte d'une fillette qu'il ne tardera pas à croquer mais de poser la sienne dans la paume de Dieu. Gospel chatoyant. Alors Jake se lâche. Nous donne les grandes orgues de sa voix qui résonne d'autant plus que l'accompagnement derrière est d'une tonalité plus authentiquement rupestre. They remind me too much of you : Les chœurs qui foncent sur la voix du King et puis qui fondent pour se mettre au diapason de ce mohair doucereux, Jake plus haut, plus affirmatif, avec parfois des clairières de repos et un piano qui laisse perler ses notes.
Calypso s'en tire mieux que bien. L'avait mis mis la barre haute. Mais son adversaire n'était pas Elvis. L'a tenté un pari contre lui-même. Crache mes tripes et montre-moi ce dont je suis capable. Fallait un sacré culot et une bonne dose de courage pour se lancer dans une telle entreprise. Et un sacré talent pour la réussir. Ce n'est pas qu'il chante aussi bien qu'Elvis – ce n'est pas la question – mais c'est qu'il se tient à ses côtés sans jamais faire un pas dans les sentiers du ridicule. Sans tricher. En lonely fugitive qui cesse de fuir et qui s'affronte au danger sans ciller. Ces douze morceaux sont les plus doux de toute sa discographie mais jamais il n'a su hausser le ton aussi fort. L'on ne s'en va pas houspiller le cobra dans son abri parce qu'il vous embête, mais pour se mesurer à ses rêves d'enfant. Ou de fan. Ne s'agit pas d'être le plus fort. Mais de combattre. Afin d'être digne de soi-même. A ses propres yeux. Parce qu'en certains moments importants de votre vie vous ne voyez plus les regards des autres. Et en cela Jake Calypso y a merveilleusement réussi.
Damie Chad.
LE ROI INVISIBLE
GANI JAKUPI
( Futuropolis / Mars 2009 )
Une guitare qui mange la couverture amarante, une gueule de nègre qui essaie de se trouver tant bien que mal une place, tiens une BD sur le blues, dans le bac à soldes, toute neuve, on dirait qu'elle sort des rotatives, un euro quatre-vingt dix neuf – j'adore ces prix psychiques – je prends d'office, sans même regarder à l'intérieur. C'est à la maison que je me suis aperçu que j'avais fait fausse route, un gratteur de tango argentin, un jazziste, au secours ! N'empêche qu'au premier coup d'œil, la mise en page est accrocheuse, les bulles sont rectangulaires ( ce qui n'est pas pour me déplaire ) et puis ces couleurs échec et mates, des bleus de nuits solitaires, des rouges sanguinaires, des jaunes dromadaires, des mauves mortuaires, et en dernière feuille des notes documentaires ( ce qui n'est pas sans me complaire ). Je lis, je me précipite sur You Tube pour vérifier, ce Gani Jakupi ne nous servirait-il pas un fake monstrueux ? Mais non, le sieur Oscar Aleman a bien existé ! Nombreux titres, photos à gogo et même extraits de scènes de film. Quant à ce Gani Ja-ne-sais-plus-qui, force est de reconnaître qu'il a une tronche sympathique et un pédigrée des plus foisonnants, vient du Kosovo, batifole entre la BD et une espèce non identifiée de big band de jazz interculturel, dirige une collection de disc-books sur les musicos oubliés, écrit, politise, enregistre, bref l'on subodore un agité tous azimuts qui essaie de vivre un tantinet plus intensément que la moyenne. L'a même reçu le prix Alexandre le Grand, mais je ne peux certifier que les mânes du Macédonien soient en accord avec l'attribution de cette distinction honorifique.
L'est temps de lever le rideau sur Oscar Aleman, illustre inconnu. L'avons toutefois croisé quatre ou cinq fois dans Kr'tnt ! - sans le voir ni le nommer. Un de ces personnages de l'ombre mangé par les brouillards de la grande ( et petite ) Histoire. L'a été dans les années trente le chef d'orchestre de Joséphine Baker et a refilé quelques plans de guitare à Django Reinhart, le tout à Paris bien sûr. Capitale culturelle du monde à l'époque. L'a fréquenté les milieux artistes, rencontré entre autres Cocteau et Van Donguen, tapé le boeuf avec Duke Ellington et Louis Armstrong, genre d'activités et de fréquentations mal vues par les occupants allemands qui lui lui feront vite comprendre qu'il vaudrait mieux qu'il disparût au plus vite. Ce sera pour lui le retour à la case départ, Amérique du Sud. N'y est pas un inconnu, en sa jeunesse l'avait été approché par Carlos Gardel le roi du tango, argentin comme il se doit ( né à Toulouse ), mais l'entourage du chanteur l'avait dissuadé de se passer de ce virtuose de la guitare qui aurait pu lui voler la vedette sur scène... Sa deuxième carrière en son pays natal se déroulera sous les auspices du swing et du jazz... Se retirera peu à peu du devant de la scène et finira par mourir en 1980 oublié de tout le monde... Son nom émergera des cendres du souvenir à l'orée du vingt-et-unième siècle, l'album de Gani Jakupi précéda même de quelques années le livre Hommage à Oscar Aleman qui apportera les éléments biographiques indispensables à la naissance d'une légende...
La BD de Gani Japuki est un véritable chef-d'oeuvre de composition narrative, sait nous rendre le tourbillon effréné que fut la vie d'Oscar Aleman, scènes chocs et introspections profondes, exploration des failles et des cimes. Oscar Aleman fut un danseur, suffit qu'il passe une jambe devant l'autre sur les images d'archive pour être subjugué, l'est le roi du tango sans saccade, sans ces arrêts brusques - et somme toute désopilants quand on y réfléchit - qui sont au fondement de l'ossature coq-régraphiques de ces combats de machos à l'origine dépourvus de partenaires féminines, y introduit une fluidité swinguante d'une modernité dévastatrice. L'a déployé sa vie selon la dialectique des seconds couteaux, misère originelle, longs ponts de joie débordante, amertume finale. Un triptyque conventionnel. Le lot de la commune humanité ( car tout le monde n'est pas Alexandre ). Mais encore faut-il l'habiter avec la grâce du talent et quelques étincelles de génie. Ce qui vous donne l'impression d'être une étoile dans l'azur noir de votre existence. Mais filante.
A découvrir.
Damie Chad.
JIM MORRISON, LE ROI LEZARD
JERRY HOPKINS
( 10 / 18 – 1994 )
Douze ans après sa première biographie de Jim Morrison qui reste un incontournable pour tous les admirateurs du chanteur Jerry Hopkins éprouva la nécessité de revenir sur le personnage qui entre temps avait acquis un statut légendaire auprès de la jeunesse occidentale. Le livre évite le piège de la redite, le texte est moins touffu, beaucoup plus nerveux, si rapide que que pour étoffer le bouquin notre auteur le fit suivre des grandes interviewes accordées par Morrison tout au long de sa carrière. Mais nous sommes loin d'un travail bâclé qui aurait voulu profiter de l'intérêt suscité par le film d'Oliver Stone sorti en 1991 un an avant la parution de The Lizard King, The Essential Morrison. Qui porte bien son titre. En seulement sept chapitres Hopkins parvient à circonscrire le parcours existentiel de James Douglas Morrison d'une manière fort étonnante puisqu'il dessine d'une main sûre le tracé parabolique de cet embrasement météoritique que fut la vie du poëte.
Un gamin attachant. Dans le livre. Car au quotidien ce ne dut pas être une partie de plaisir pour les parents que de tenter d'inculquer les bonnes manières à ce garnement. Le canard sauvage né par inadvertance au coeur de la sagesse poulaillère. Plus tard devait se révéler être le cygne noir de la portée familiale mais pour le moment il n'est qu'un gamin qui épidermiquement ne supporte pas l'autorité. Ce qui est dommageable quand on naît dans une famille de militaires. Ne suivra pas le sillage paternel, ne finira pas amiral. N'est pas idiot. Est même superbement intelligent. Adopte très vite une ligne de conduite qui semble répondre au titre du premier album d'un de ses fabuleux contemporains. Le Are You Experienced ? de Jimi Hendrix. Très tôt Morrison suit une conduite de vie des plus dérangeantes : toute rencontre avec un tiers humain n'est pas vécu comme une ouverture à l'autre mais comme une expérience. Pas scientifique. Poétique. Sachez entrevoir la différence ! N'est pas méchant, mais avant de vous admettre dans son intimité vous fait subir un examen de passage. Dont la validité permanente nécessite de temps à autre de nouveaux tests intempestifs de remise à niveau. L'est un expérimentateur. Vous pousse dans vos retranchements. Etudie vos réactions. Vous pose des défis. Mais il faut comprendre que lui-même se soumet à ce même genre de discipline. Ne demande pas plus de vous moins qu'il n'exige de lui-même. Paul Valéry – ô combien apollinien par rapport au dionysiaque Morrison - a conceptualisé dans sa jeunesse cette façon d'être sous le concept de Gladiator. Celui qui descend dans l'arène mais qui sait que le plus grand des adversaires ne se trouve pas parmi la fourmilière des myrmidons qui gravitent autour de lui à l'extérieur du monde, réside en lui-même. L'on ne comprend rien à Jim Morrison si l'on oublie cette figure agissante de l'Expérimentateur – autre figure tarotique du bourreau - qui le mènera jusqu'au bord du gouffre.
La musique n'était pas sa première passion. L'avait compris que la civilisation moderne était celle de l'image, et sous sa forme dévoyée, de la communication. Voulait être cinéaste. James Dean et Marlon Brando furent les premiers rebelles, bien avant Elvis Presley. La collusion rock and roll-cinéma est des plus flagrantes. Le rock and roll possède un avantage indépassable, nécessite peu de mise de fond, trois amplis et deux micros et c'est parti mon kiki. Pas besoin dans un premier temps de se lancer à la recherche de millions et d'une société de production. Jim Morrison s'adonna au rock and roll comme ces alchimistes qui pratiquent la voie sèche infiniment plus rapide que la voie humide mais extrêmement plus dangereuse. Le creuset foudroyant vous pète plus facilement à la gueule que l'alambic qui mijote sur le coin du feu.
La collusion des Doors est unique dans l'histoire du rock. Trois musiciens qui ne sont pas faits pour jouer ensemble. Davantage des concertistes venus d'horizons musicaux différents qui par la force des choses se retrouvent... à jouer ensemble. N'y parviendront jamais, mais ils trouveront la parade ( pas du tout douce ), seront à côté, chacun dans son coin mais sans aménité envers les deux autres. Sont merveilleusement aidés par Jim, l'improvisateur, le cap est là, faut mettre en musique les lyrics, les accompagner, suivre les effets induits par les textes et si possible les préparer. Car Jim fidèle à lui-même expérimente ses poèmes. Les met en voix, les réécrit, supprime une strophe par ci, rajoute une stance par là. La musique des Doors est une peau de léopard, taches noires morrisoniennes, pourtours fauves du récitatif musical. Le son des Doors pourtant si bien étiquetable grâce aux opulentes sonorités de l'orgue si datées n'est pas plus démodée que le son maigrichon des premières grattes originelles du blues. C'est ainsi que l'on s'aperçoit en quoi les Doors sont profondément un groupe de blues et sans vouloir entamer un inutile débat, peut-être celui qui s'est davantage réinstallé au plus profond du sillon originel que ceux que l'on nommerait d'instinct avant eux, tel le Paul Butterfield Blues Band...
Mais il ne s'agit pas de s'arrêter au premier des ingrédients constitutifs de la structure tripartite du rock'n'roll. Morrison sera un grand consommateur de psychotropes. Pour ces derniers après les avoir tous essayés en prenant bien soin de dépasser les doses non prescrites il retournera à la denrée de base, facile à ingurgiter, en vente libre : l'alcool... S'en explique très bien dans ses interviewes, l'alcool est une expérimentation infinie, décapsuler un goulot équivaut à ouvrir une porte, à passer de l'autre côté. L'ivresse en tant qu'art de vivre, en tant que perpétuelle expérimentation. Un courant qui s'empare du bateau ivre de votre conscience. Un mode de connaissance de l'univers et des hommes embarqués sur la même nef des fous. Pas de panique le capitaine garde le contrôle. C'est là le but ultime. Le jeu qui vous emmène au coeur de l'ouragan. Sourcier indien qui suscite ou éloigne les pluies diluviennes.
Cela c'est la théorie, car une fois que les orages désirés se sont rués sur vous il convient de ne pas être emporté par les torrentielles ondées que votre désir a appelées. Le grand Expérimentateur se présente comme le grand Manipulateur. Morrison est allé jusqu'au bout. La scène lui enjoindra d'étendre son champ d'action. Elle lui permet de jouer à l'apprenti sorcier. Ne s'agit plus de faire tourner votre entourage en bourrique, genre chef de bureau pervers narcissique qui rend chèvres ses trois dactylos, son champ d'investigation est des plus grands, l'a affaire à des milliers de personnes. Les kids qui crient et qui s'époumonent il sait en jouer, mais le cercle des impétrants s'élargit, le chaman n'est qu'un showman, peut compter sur l'approbation du public acquis à sa cause, mais son succès réveille bien des haines, policiers et ligues de vertu voient d'un très mauvais oeil ce trublion anarchiste qui tourne trop facilement la tête des adolescent(e)s. Après le concert de Miami – sera accusé d'exhibition de ses libidineuses parties – ce n'est pas la maîtrise de la foule qui lui échappe mais ce sont les ennemis de cette libération sexuelle et des esprits qu'il représente qui s'emparent des ficelles. Le voici devenu marionnette. Durant un an et demi la menace de la case prison pèsera sur lui. Le jeu n'en vaut plus la chandelle. Il cherchait ses limites il les a trouvées. Désormais il les connaît. Ce n'est pas une surprise, mais une confirmation. N'était peut-être pas le Roi Lézard mais il pouvait tout faire. Du moins se permettre beaucoup plus que la plupart de ses contemporains, son argent, sa notoriété, son statut de rockstar étaient de sacrés boucliers corybantiques. Possédait l'arme ultime, la foudre jupitérienne. Mais une fois cette puissance acquise, le rêve réalisé était terminé. Rock is dead avait-il l'habitude de dire. Comme pour beaucoup d'artistes le succès s'était insidieusement métamorphosé en dépression. Resta longtemps larvée chez Morrison, mais finit par être incapacitante. Mais il possédait une porte de sortie. Une carte joker que beaucoup d'autres n'ont pas. La poésie.
Car ce qui sépare Jim Morrison, ce qui le met à part, c'est la puissance dreamique de ses textes. Résonances ouraniennes qui le portent en avant à mille lieues de tous les autres. Son destin est ailleurs pressent-il. Dès la fin de l'enregistrement de LA Woman – symbolique adieu crépusculaire à la démence américaine - il s'envole pour l'Europe. Le continent de cette vieille culture littéraire dont la puissance prophétique a irradié ses textes. Remonte à la source. Le Roi Lézard entre en hibernation. Tourne la page. N'aura pas le temps d'écrire grand-chose sur la suivante. La mort le rattrape. A moins que ce ne soit lui qui l'attrape par la queue. Expression des mieux venues puisque l'alcool a diminué ses capacités érotiques, porte en lui à son corps défendant un germe inconscient de volonté d'impuissance. La fin reste obscure. Non pas en le sens où l'on ne sait pas exactement comment cela s'est passé mais parce qu'elle mêle et entremêle deux principes vitaux d'illimitation de la vie qui ne sauraient être maniés sans précaution. L'exaltation troubadourienne se brise sur le rocher de l'héroïne. Le serpent bifide possédait bien deux têtes. L'on ne saura jamais laquelle des deux aura porté le coup mortel. Rock is dead. Définitivement. Ce n'est pas grave le toast-blues survit. Le Grand Imprécateur de nos faiblesses n'en finit pas de tonner dans ses poèmes.
Les interviewes rejetées en fin de volume sont à lire. Elles nous montrent un Jim Morrison des plus lucides. Sait que les formules qu'il jette à la presse ne sont pas de vieux os pourris où il ne reste rien à ronger, mais des mantras synthétiques et évocatoires aux résonances infinies. Des formules magiques. Au sens noble de ce terme. Raymond Abellio a théorisé l'apparition de la grande lyrique romantique comme l'expression du phénomène de dévoilement des connaissances ésotériques. En bout de ce cycle la geste morrisonnienne apparaît comme la finalisation et la destruction de la naïve légende ( pour esprits faibles ) des supérieurs inconnus au profit des activistes poétiques. Un conseil méfiez-vous davantage de ces derniers.
Damie Chad.
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