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31/05/2017

KR'TNT ! ¤ 331 : MOONLANDINGZ / LEE FIELDS / CALICE / MALADROIT / POLICE ON TV / GUERILLA POUBELLE / DISORDER / LIFE REPORTS / BEAST / NEGUS

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 331

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

01 / 06 / 2017

MOONLANDINGZ / LEE FIELDS / CALICE

MALADROIT / POLICE ON TV / GUERILLA POUBELLE

DISORDER / LIFE REPORTS / BEAST / NEGUS

TEXTE + PHOTOS SUR :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Moaning
at the Moonlandingz

Lias Saoudi a tout compris : il réinstalle la théâtralité au cœur du rock anglais. Il va même encore plus loin : il insuffle de la démesure dans sa théâtralité. Alors, forcément, Moonlandingz devient pendant une heure le meilleur groupe de rock du monde, tous mots bien pesés.
Il débarque sur scène transformé en grotesque de le commedia dell’arte, torse nu et rembourré d’un faux ventre proéminent, le visage étrangement maquillé de bleu, les yeux masqués par des lunettes de proxo porto-ricain et les cheveux collés à la graisse derrière les oreilles. On a là une sorte de Ratzo échappé du Grand Guignol. Par sa démesure ubuesque, il échapperait presque à tous les genres. C’est l’exact anti-Ziggy Stardust, la spectaculaire ré-invention d’un mythe qu’on croyait presque éteint, celui de la théâtralité du rock scénique. Mais Lias Saoudi a décidé d’en faire un jeu à son image, comme le firent jadis les Cramps. Souvenez-vous, Tav Falco qualifiait les Cramps de «groupe de rockabilly post-moderne qui par sa grandeur incarna le Théâtre de la Cruauté, tel que défini par Antonin Artaud». On entre ici dans le temple des dieux.
Si on évoque ce chapitre sacré qu’est la théâtralité du rock scénique, il faut en plus des Cramps et de Ziggy Stardust citer les noms de Captain Beefheart, Screamin’ Jay Hawkins, Mac Rebennack, Vince Taylor, mais aussi ceux des Mummies, des Damned, de Sam The Sham, sans oublier les grands glamsters britanniques dont la prestance fait encore aujourd’hui rêver les nostalgiques. Lias Saoudi entre tout naturellement dans cette caste. S’il appartient à cette aristocratie, ce n’est ni par l’anoblissement ni par la naissance mais bien par ce degré de fantaisie volatile qu’on appelle aussi le génie. Ce petit mec pourrait se vautrer et rater son coup, mais l’énergie vif-argent d’Alfred Jarry bouillonne dans ses veines et s’il monte sur scène, c’est pour faire un éclat. Comme Jarry et comme Artaud, Lias Saoudi maîtrise à la perfection l’art des éclats. Pour rompre la glace, Alfred Jarry tirait des coups de feu dans les miroirs des brasseries et de son côté, Artaud imitait la hyène lubrique pour en finir avec le jugement de Dieu. Eh bien, Lias Saoudi nous donne la lune sans qu’on la lui demande. Et comme il fait du rock, ça nous arrange bien, car c’est un langage beaucoup plus accessible que tous ces vieux livres passés de mode. Mais là où il est très fort, c’est qu’il nous démontre que rien n’est plus simple que de créer l’événement : un, il suffit de savoir chanter, deux, de considérer le trash comme une religion et trois, de trouver les bonnes personnes pour partager cette passion des excès et de la liberté à tout crin. Dès lors, tout devient possible. Ou plus exactement, Lias Saoudi rend tout possible. Il boit ses bières, on lui ramène sa bouteille de scotch sur scène, il s’arrose la queue, pas de frontières, rien que du moonlandingz, cette pulsion dévastatrice stompée au meilleur des beats d’Angleterre. Autour de Lias s’agite le gang le plus excitant qu’on ait vu sur scène depuis les Cramps : un drum-boy de powerhouse extrême, un bassmatic hanté par la prescience de sa puissance, un petit gros derrière les claviers qui se met à twister sans prévenir et au beau milieu de cet effarant numéro croquignolesque, se tient une petite Baby Doll au regard fixe qui gratte sa guitare tout en dodelinant sur le beat. Fascinant ! Utterly awsome ! Le rock anglais renaît enfin de ses cendres ! L’énergie du groupe est palpable dès le premier cut. Ça surprend agréablement, car on a perdu l’habitude. Avec Moonlandingz, le wait and see d’usage n’est pas de mise. C’est un peu comme s’ils rentraient dans le vif du sujet sans attendre, avec un son qui surprend par son punch et son immédiateté. Des couples se mettent à jerker. On sait tout de suite qu’on assiste à un concert exceptionnel. Les cuts accrochent, le groupe tourne comme un gros moulin, Lias arpente la scène et harangue la populace avec une niaque de méthodiste napolitain, c’est un showman exceptionnel. Il awsomise la salle, sauve la mise du rock, il somme le move, il mate le raw du son, shoote ses mannes, une heure durant il règne sur son empire. Il le fait avec un catégorisme qui laisse coi, avec un m’enfoutisme qui empapaouterait même Oum Pah Pah, il gros-jeante comme devant, il percute l’art moderne de plein fouet et rend au rock sa fonction sacrée : faire danser les moutons du troupeau d’Épicure. Quelle leçon de son ! Quelle rejuvénation de la nation ! Quelle saillie saillante ! Voilà que dansent de nouveau les points d’exclamation, eux qu’on croyait devenus inutiles.
Oh vous n’avez pas pu les voir sur scène ? Pas gave, il vous reste l’album, l’étonnant Interplanetary Class Classics. D’autres personnes accompagnent Lias Saoudi en studio, mais on s’en fout, car voilà qu’arrive de l’espace «Vessels», un glam de la désaille de destroy-oh-boy d’I’ve got nothing to hide. Si on ferme les yeux, on voit dodeliner la tête de Baby Doll et Lias arpenter la voie lactée en gueulant qu’il veut un vessel back home. Depuis Jook et Earl Brutus, on n’avait pas entendu de glam aussi dévastateur. Et le sabbat inter-galactique se poursuit avec «Sweet Saturn Mine» monté sur un beat rebondi, puissant et âpre comme un jour sans pain, et ce démon de Lias feel alrite, il le clame et le reclame avec l’insistance pathologique d’une pensionnaire de Sainte-Anne, il va même jusqu’à le hurler pour battre tous les records d’exaction cataclysmique. On sent poindre une fantastique ampleur avec l’arrivée de «Black Hanz». Dans le livret, l’image qui illustre le cut montre le joli ventre nu d’une jeune femme, alors le groupe sort le beat le plus turgescent d’Angleterre. Sade rôde, Lias le sait. Sade prince des sens et somme des cendres, Lias l’assume. On l’a vu, sur scène, Lias Saoudi transcende même la notion de sexe, comme le fit Lou Reed au temps de l’Exploding Plastic Inevitable. Avec «Black Hanz», il entreprend un pieux travail de déconstructivisme et entre de plein fouet dans la gueule des temps modernes ! Wow ! Le cut palpite du beat pilon des forges noires de crasse du Creusot. Tout ici semble déterminé à vaincre. Tout ici se remplit de son à ras-bord. Tout ici se veut clameur d’Elseneur et ce démon de Lias braille dans le rougeoiement d’une ville en flammes. «The Strangle Of Anna’s» pourrait bien être le hit de ce diable d’album. Une certaine Rebecca Taylor vient duetter avec Lias l’as des as - C’est la vie ma belle - La mélodie rougit comme une tomate. Ils prennent ensemble ce refrain magique - The strangle of Anna’s got me unwell - et glissent comme des mains caressantes vers la chute des reins - C’est la vie ma belle - Voilà encore un cut qui laisse hagard, comme lorsqu’on ressort de chez une pute à Stalingrad. Ils tâtent aussi de l’electro, avec des choses comme «IDS» (très Ministry dans l’esprit de Seltz) et «The Babies Are Back», mais ils reviennent aux choses sérieuses avec un coup de Châteauneuf-du-Pape - Is that blood or neuf du pape ? - tout ça sur un bon beat salace bien tendu vers l’avenir. Chez Lias Saoudi, tout n’est que luxe, cul et volupté. Il n’en demeure pas moins que leur vrai cheval de bataille reste le glam. La preuve ? «Glory Hole». Vous vous demandez ce qu’est un glory hole ? C’est pourtant facile à deviner. Lias nous explique que tout le monde en possède un, y compris Paul McCartney, Bob Geldorf et Sigmund Freud. Il tape dans tout, il ne respecte rien ni personne, il chante même son glam avec des accents rockab, et puis avec «The Cities Undone», il revient à une pop, mais pas n’importe quelle pop, une pop de niveau infiniment supérieur, oui, car c’est joué au groove de l’incroyable devenir du rock anglais. Lias et ses amis prennent des libertés avec le son, ils se taillent des voies dans la jungle des possibilités, et ces voies deviennent soudain des avenues comme les rêvait le baron Hausmann. Lias et ses amis ne vivent que de ré-invention, ils pelotent l’aura des possibilités et vont au-delà du monde connu, ils mixent la délinquance sonique d’Earl Brutus avec ces visions de promontoires chères à Caspar David Friedrich, ils en deviennent même visionnaires à en loucher. «The Cities Undone» sonne exactement comme un cut dévasté de l’intérieur, poussé d’un violent coup d’épaule dans ses retranchements, c’est même claqué aux congas de Congo Square et ça s’étrangle d’apoplexie tétanique. Moonlandingz sort un son qui ne veut même plus dire son nom. Lias se consume dans la fournaise et finit enfin par débander.

Signé : Cazengler, Moonlambda

Moonlandingz. Le 106. Rouen (76). 20 avril 2017
Moonlandingz. Interplanetary Class Classics. Transgressive Records 2017

 


Battle Fields - Part two

 

— Mister Brown ?
— Yo ! James Brown speaking !
— Je vous rappelle comme convenu...
— Hell !
— Mission accomplie. Je suis allé voir le concert de Lee Fields à l’Élysée Montmartre et j’ai une bonne nouvelle pour vous.
— Get down to it !
— Eh bien figurez-vous Mister Brown que ce concert était complètement foireux ! Vous n’avez plus de concurrence !
— Ain’t it funky !
— Vous n’avez pas idée. Était-ce le fait de jouer à Paris devant l’élite du peuple ? Était-ce le fait d’accéder enfin aux pages de Télérama ? Était-ce le fait de se sentir porté par le bienfaisant mainstream ? Était-ce le fait de voir son cachet grossir comme la grenouille qui veut ressembler au bœuf ? En tous les cas, il s’est mis dès les premier cuts à faire du Charles Bradley bien sirupeux.
— Get on the good foot !
— Dommage que vous n’ayez pu assister à cette bérézina ! Vous vous seriez drôlement régalé. Mon lieutenant et moi n’avons tenu que le temps de quatre cuts. À la fin du quatrième, on s’est échangé un regard consterné et d’un commun accord tacite, nous sommes allés au salon qui jouxte la salle pour nous asseoir et attendre la fin du set. Il ne servait à rien de rester dans la salle, plantés comme des piquets, à s’emmerder comme des rats morts. Je vous recommande les fauteuils de ce salon, Mister Brown, franchement, ils sont extrêmement confortables. Alors nous nous mîmes à discuter de tout et de rien, tout en continuant de prêter l’oreille. On entendait le pauvre Lee Fields céder aux sirènes de la gloire. Ça semblait lui monter directement au cerveau. Vous n’allez pas le croire : il se livrait à des pratiques innommables...
— Bring it on !
— Eh bien figurez-vous Mister Brown que Lee Field s’arrêtait de chanter pour demander au bon peuple de Paris de chanter en chœur avec lui ! On craignait qu’il n’en vînt à entonner la Marseillaise, tellement le public réagissait bien ! On se serait presque crus dans un stade de foot ! On aurait dit que les gens en voulaient pour leur argent... Quarante euros, ça ne se trouve pas sous le sabot d’une mule, Mister Brown !
— Baby you’re right !
— Franchement, vous n’avez pas idée des ravages que peut provoquer l’osmose collégiale. L’homme qu’on entendait haranguer le peuple de Paris n’avait plus rien à voir avec celui qui avait shaké le 106 quelques temps auparavant. Je n’ai pas songé à m’approcher pour vérifier qu’il s’agissait du même homme, mais j’aurais dû, car avec un peu de recul, cette dégradation paraît un peu louche. Excusez-moi, Mister Brown, je réfléchis à voix haute. J’espère que vous apprécierez mon honnêteté intellectuelle. Vous le savez bien vous aussi, rien n’est plus difficile que de résister aux tentations de la subjectivité. Quand on prétend faire le métier d’espion, il faut savoir se gendarmer pour éviter les ravages de la partialité, car comme le mildiou gâte la vigne, la partialité gâte le rapport. Tout ceci pour vous dire qu’avant de vous appeler, j’ai vraiment pris le temps de faire la part des choses. Je tiens par dessus tout à ce que mes clients soient servis sur un plateau d’argent...
— You’ve got the power !
— Donc vous savez à peu près tout ce qu’il faut savoir de ce lamentable concert. Pour être tout à fait franc avec vous, nous nous sommes esquivés avant le rappel, car nous ne souhaitions pas nous trouver pris dans le tourbillon de sortie de centaines de fêtards exaltés, qui pour la plupart n’avaient jamais entendu parler de Lee Fields auparavant. Eh oui, Mister Brown, nous sommes entrés dans l’ère de la consommation aveugle, dans cette internettisation à outrance des choses qui finira par ramollir définitivement le beat du funk, comme on vient de le constater avec ce concert du pauvre Lee Fields...
— I’ll go crazy !
— Nous nous dirigeons tout droit vers un monde inconnu, loin de nos vieux repères. Si le funk moderne ressemble à ce concert raté, il vaut mieux s’intéresser à autre chose, vous ne croyez pas ?
— Have mercy baby !
— Alors voilà, je ne vais pas m’étendre sur le chapitre de la mutation socio-culturelle, car nous en aurions pour des heures et je suppose que vous aussi avez des choses plus intéressantes à faire. Mon lieutenant et moi sommes donc partis casser la croûte. En redescendant ce grand escalier mythique, nous nous étonnâmes de le trouver non gardé. Figurez-vous qu’il était complètement désert ! Ouvert sur le boulevard ! On aurait dit une auberge espagnole. Un commando armé jusqu’aux dents aurait pu s’y engouffrer, mais encore une fois, chacun son business. Nous nous dirigeâmes vers un endroit que je vous recommande si vous revenez un jour à Paris, un restaurant de cuisine traditionnelle situé à deux pas et qui fut nous dit-on créé en 1857. Oh ce n’est pas comme Chez Paul, au temps de la rue de Lappe, dans les années quatre-vingt dix, où on sentait les pommes de terre rissolées à l’ail en entrant, c’est un autre style, mais les recettes y sont sérieuses et vraiment traditionnelles. L’endroit se veut chaleureux et aux murs trônent des myriades de toiles de petits maîtres qui comme Toulouse Lautrec fréquentaient le Moulin Rouge situé un peu plus loin sur le boulevard Rochechouart. Comment vous dire... Il semble que ce vieux parfum XIXe aiguise l’appétit. C’est un endroit où on se sent culturellement en sécurité. C’est aussi bête que ça. Et je vous assure que ce n’est pas un piège à touristes, comme ces immondes caboulots qu’on découvre lorsqu’on remonte la rue de Steinkerque, jusqu’à la Halle Saint-Pierre, au pied du Sacré-Cœur.
— It’s a man’s man’s man’s world !
— Si vous appréciez un bon tartare, vous serez ravi. Par contre, je ne sais pas si le mobilier est d’origine, mais cela se pourrait fort bien. Alors de là à penser que ces bancs ont vu se poser les fesses de Maurice Rollinat ou d’Edgard Degas, vous comprenez qu’on franchit allégrement le pas ! Que voulez-vous, on se remonte le moral comme on peut, et souvent, avec les moyens du bord. Vous allez commencer à croire que je noie le poisson, comme si je cherchais à vous cacher quelque chose, n’est-il pas vrai ?
— Let yourself go !
— J’ai commencé par la bonne nouvelle, mais il y a aussi une mauvaise nouvelle...
— Say it loud !
— Je suis vraiment navré de devoir vous l’apprendre, Mister Brown.
— Get up !
— Figurez-vous que par acquis de conscience, d’une part, et par conscience professionnelle, d’autre part, je suis allé acheter le nouvel album de Lee Fields. Je voulais vérifier que votre challenger était bien sur la voie du déclin. Eh bien pas du tout ! Cet album est une sorte de miracle qui contredit tout ce que je viens de vous expliquer. C’est une situation extrêmement difficile à gérer, je peux vous l’assurer. Un esprit cartésien comme le mien ne se résigne pas à devoir contredire un discours patiemment élaboré, et pourtant, il faut bien s’y résoudre. Autant le concert de l’Élysée était pitoyable, autant ce disque est, sans vouloir vous offenser, celui d’un géant.
— Cold sweat !
— Oui, Mister Brown, vous avez raison de transpirer, car Special Night vaut tout l’or de cet El Dorado que chercha en vain Lope de Aguirre, d’après ce que nous raconte Gaspar de Carvajal dans ses chroniques. Vous devriez écouter cet album, ne serait-ce que par simple curiosité. Allez directement en B, et là vous allez tomber sur l’El Dorado du funk, «Make The World», monté sur un gros beat coriace et opiniâtre qui semble venir de chez vous, Mister Brown - Oh you better watch out ! - C’est pilonné comme dans un rêve de révolution industrielle. Vous serez d’accord avec moi, c’est un hit, l’un de ceux qui ne lâchent pas la rampe. Vous trouverez une autre énormité plus loin, un truc qui s’appelle «How I Like It», et là Lee sent qu’il redevient le temps d’un cut le roi du monde, car il faut l’entendre pulser son I just like it like it like it de ouuuh-ouuuh sur un groove de gros popotin. Il prend son beat à bras le corps et franchement ça sonne comme le meilleur heavy beat de soul que vous entendrez sur cette terre, sans vouloir offenser votre suprématie, oui, Lee Fields pousse son beat dans la cuisse de Jupiter et ses yeah se font aussi déclamatoires que ceux de Saint-Just à la Convention ! Vous trouverez aussi pas mal de belles choses en A, comme ce «Never Be Another You», un groove joué aux percus et aux trompettes de la renommée qui sont mal embouchées, vous noterez l’excellence du beat retenu, bien harnaché, docile et parfaitement maîtrisé. On appelle ça la classe groovytale, celle qui transforme la souffrance amoureuse en pur bonheur. Le grand-père de Lee Fields devait s’appeler Mandrake le Magicien. Vous serez estomaqué par le morceau titre qui ouvre le bal de l’A, car voilà ce qu’il faut bien appeler un vrai groove d’attaque frontale, et il chante ça avec des accents qui rappellent les vôtres, Mister Brown, c’est dire si ce petit monsieur aime à vous provoquer ! Il chante avec le même genre de timbre fêté, mais, comment dire, il va plus loin, oui, beaucoup plus loin, là-bas, vers l’horizon, par delà les océans. C’est très impressionnant, sinon, vous vous doutez bien que je ne vous ferais pas perdre votre temps avec ça. Vous serez aussi très surpris par «I’m Coming Home», car avec ce groove d’ambition plus modérée, Lee Fields crée quand même ses propres conditions. Il n’obéit qu’à lui-même et vous êtes bien placé pour le savoir : c’est à ça qu’on reconnaît les grands artistes. Comme vous, Lee Fields sait gérer ses affaires. Et puis encore un petit conseil : ne prenez pas un cut comme «Work To Do» par dessus la jambe car vous commettriez une grave erreur. Lee Fields y trouve la voie de la rédemption sentimentale. Il donne la priorité à l’expression de ses sentiments, et c’est sans doute ce qui l’a plombé l’autre soir, à l’Élysée. Vous vous goinfrerez aussi de «Lover Man» qui boucle le bal de l’A, un cut encore une fois très attachant, tendu et stylé. Lee Fields est un styliste, il profile son groove du funk avec une certaine ampleur du geste. Voilà pourquoi il entre dans cette caste des grands seigneurs de la black. Croyez-moi, c’est l’insistance qui fait toute sa force. Il maîtrise aussi l’art du jive versatile, comme on le constate à l’écoute de «Where Is The Love» et le «Precious Love» qui referme la marche confirme la haute toxicité de l’ensemble, car Lee Fields chante ça à la glotte chargée et, l’air de rien, redore le blason de la good time music. Quel admirable artiste !
— Superbad !


Signé : Cazengler, Lee figue, Lee raisin

Lee Fields. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 3 février 2017
Lee Fields & The Expressions. Special Night. Big Crown Records 2016


*


Provins, la belle endormie. Tu parles, quatre hélicoptères bourdonnent au-dessus de la maison, les fourgons de police qui passent dans la rue toutes sirènes hurlantes, les pompiers à toute blinde carrillonnante, et les saintes huiles qui se radinent fissa, préfet, député, maire, plus les gendarmeries de deux départements, plus les unités spéciales du raid, les voisins tétanisés qui courageusement par peur des balles perdues envoient leur femme dans le jardin rentrer le chien qui batifolait joyeusement dans les plate-bandes, l'instant est grave, prise d'otages au super-marché à cent mètres de mon igloo, quel pays ! on ne peut vraiment plus écouter du rock'n'roll sereinement à fond la caisse de bon matin, sans être dérangé, ne bougez pas c'est un hold up, ont réussi à s'enfuir, sans la caisse, sans sang, sans blessé, sans mort, tout se perd ma bonne dame, on a frôlé la tragédie racinienne et l'on se retrouve avec la grosse farce médiévale du cocu détrompé.
Remettons-nous de nos émotions, la ville est en état de siège ( à WC ) mais la route de l'Est reste accessible, les Dieux ont choisi, ce sera grand large vers les horizons campagnards, là-bas où l'herbe du rock'n'roll est la plus verte...

FESTIVAL ROCK'EN PLEURS

Non ce n'est pas ce à quoi vous rêvez, le retour des zombies du rock, Eddie Cochran, Gene Vincent, Jim Morrison, Jimmy Hendrix, sortis de leurs tombes pour donner un ultime concert, devant des milliers de fans en pleurs. Pleurs c'est un village. Vous trouvez facile, juste à côté de Moeurs. ( Z'ont des noms charmants dans le 51 ! ). Pour y arriver, c'est plein champs, juste après le dernier passage à niveau de France encore dépourvu de barrières – attention un train qui ne passe pas peut en cacher un autre - un gros village, des chevaux dans les près, des chats qui jouent dans les rues, moins de mille habitants et un festival de deux jours, gratuit. Z'ont mobilisé toute la jeunesse du patelin et l'ont baptisée bénévole, ambiance familiale, entre saucisses cuites et champagne frais. Pour la programmation n'y vont pas avec la sapienciale cuillère de la retenue provinciale, carrément rock'n'roll. Avec scène et sono digne de ce nom. A faire les choses autant les faire bien. La France profonde réserve bien des surprises. Jusqu'à cette jeune fille qui me fixe intensément avec un regard admiratif, je suis le premier à commander une assiette de frites ! La gloire vous déboule toujours sur le coin du museau au moment où vous vous y attendiez le moins.

CALICE


Jusqu'à la lie, sans problème. Déjà bien aimé le sound-check. Y avait Chinois qui s'amusait à tonitruer sa guitare de belle façon et le demi-morceau qu'ils ont joué cinq ou six fois était méchamment en place. Ne doit pas être le seul à avoir apprécié, puisque juste après ça se bousculait au stand pour se procurer leur premier EP.
Calice ce n'est pas au choix, vous offre et l'outrancière parfum des atmosphères romantiques et la corolle vénéneuse dont les crocs se referment sur vous pour vous déchirer. Usent de samples qui vous délivrent belles orchestrations lyriques, s'y greffent dessus doucement, Ju caresse avec volupté, une de ses huit cymbales, Tony et Chinois jouent à la harpe sur leurs guitares, égrènent des notes comme des gouttes de rosée, de la basse de Shin s'échappent de longues laisses moelleuses envoûtantes, ne fermez pas les yeux, ne vous laissez pas endormir par l'impression de paisible quiétude qui émane de l'ensemble, la batterie éclate et se fragmente au moment même où John se saisit du micro, dans sa voix déboulent les hordes barbares, sanglante ruée sur l'innocence d'un pays merveilleux que la sauvagerie du combo va rayer de la carte. Une Illusion rien de plus, rien de plus fragile, rien de plus évanescent, mais la furie se calme, l'ouragan s'apaise, et les fragments du rêve brisé se reconstituent, un puzzle de patience qui rassemble pièce par pièce les morceaux éparpillés, souriez rien, ne se perd, tout se transforme et de nouveau la tempête se déchaîne, pulvérise tous vos espoirs, les hiémales froidures les plus rudes succèdent aux rousseurs moelleuses de l'automne, et les verdoyantes brises du printemps seront asséchées par les simouns les plus torrides... un cycle chasse l'autre et cette succession est envoûtante, Shin se révèle l'oiseau de mauvais augure, se rapproche du micro et vous djente un aboiement de reptile qui déchaîne les hostilités, c'est le signal qu'attendait John pour libérer les hyènes imprécatives de ses cordes vocales porteuses des plus grandes dévastations. Guitares grinçantes et la batterie coassante, tel un crapaud géant qui du fond de la scène prophétise pustules fracturantes, bave de fiel et crachats agoniques à la princesse qui viendrait l'embrasser pour le délivrer. Les titres illustrent à merveille cette succession de cycles qui soufflent mort et vie, éveil et engloutissement. Glad, Shadow, Reward, A World, Hope, Alice aux pays des merveilles et des horreurs. Calice vous effeuille les pétales d'un monde cruel voué à sa destruction. Très belle prestation.

CALICE


INTRO / ILLUSION / SHADOW / GLAD TO HAVE / HOPE

JONATHAN BIDELOT : vocals / ANTHONY GOFFARD : guitars / CLEMENT LUCIEN : guitars / SÜKRÜ YIRIK : bass / JULIEN STAUDER : Drums

Pochette qui attire l'oeil et la main, signée par CRAPULE PROD, le sigle du groupe sur une espèce de camaïeu de bleu géométrique – un véritable sigil opératoire au sens où l'entendait Austin Osman Spare ( voir notre livraison 330 précédente ) - qui n'est pas sans évoquer la croix de Saturne adoptée par Blue Öyster Cult – rides de cercles et arêtes urticantes du carré, deux figures symbole de la perfection, dévoyées, pour nous annoncer que Calice n'est pas groupe de grande naïveté qui s'esbaudit de la beauté des fleurs.

Intro : pianotements qui sonnent comme cloches annonciatrices, guitares et batterie en gradation continue qui pourtant à aucun moment ne parviennent à recouvrir ces notes obstinées qui prédominent, et s'imposent en final comme un comminatoire avertissement. Illusion : pour ceux qui croiraient être les maîtres de leur destinée Calice vous édicte les rudiments de la triste réalité, musique sombre et dramatique, l'ennemi est au-dedans de vous, a pris les commandes de votre cellule mentale, vous ne vous appartenez plus, vous n'êtes que des pantins, pour les durs de la comprenette l'on vous passe le discours à la Nation de J. F. Kenedy, savait de quoi il parlait. La voix de John rugit le sinistre glouglou qu'émettrait un poisson venu des profondeurs océanes pour vous avertir au cas où vous seriez encore capable d'entendre le message des Atlantides englouties dans les abysses. Ne vous faites plus d'illusion. Mortelles sont nos civilisations. Shadow : murmures mortels et grondements de terreurs prophétiques englobés en une orchestration qui se densifie au fur et à mesure que la voix devient une condamnation auto-accusatoire, vous êtes dans le mauvais couloir du labyrinthe, l'issue de secours bloquée, et vous n'avez plus le courage de faire marche arrière. Ne vous en prenez qu'à vous-même. Glad To Have : la carte empoisonnée. Vous êtes encore pire que vous ne pensiez. Totalement contaminé. Peut-être faites-vous le mal sans le vouloir car vous êtes la pomme gangrénée, celle qui doit être rejetée, mais c'est vous qui portez le panier, vous êtes le poison et le messager de la menace. Musique ample et mélodramatique tissée de toutes les contradictions humaines. Vous englue comme la toile de l'araignée. Hope : roulements de tambours, méfiez-vous des ambiguïtés, celles des autres comme des vôtres. L'est sûr que la musique déroule le tapis rouge des belles orchestrations tout juste si l'on n'entend pas les castagnettes et un pupitre de cent violons, une voix parle en vous, à moins qu'elle ne résonne à vos oreilles, méfiez-vous. La voix de John comme les aboiements d'un chien derrière la porte. Quelques notes de piano pour la décision finale, tirerez-vous la chevillette ?

Un disque sombre qui plane comme l'aile d'une grande prédation. Sont bien jeunes mais trahissent une maturité étonnante. Une oeuvre aussi noire que Great Expectations de Dickens. Très anglaise dans son déploiement. Un groupe à suivre.
Viennent de Nancy.

MALADROIT


Changement d'ambiance. Ils sont maladroits, du moins le proclament-ils. L'on ne saura jamais s'ils le sont vraiment. C'est que ces quatre gaillards ne s'embarrassent pas de subtilité, le rock dans sa dimension la plus primaire, pédale au plancher, point à la ligne. L'on coupe les virages et l'on ne s'arrête pas aux feux rouges. Se revendiquent d'un rock brut – mais c'est ainsi que l'on trouve les diamants dans la nature - sans concession. De cimetière. Le rock c'est la vie, brûlée par les deux bouts du bâton. Cela évite les bien connus dommageables effets de retour. Till est aux commandes, guitare et chant. Maladroit est une émanation de Guerilla Poubelle. Ressemble un peu à ces groupes de roadies qui une fois le matos installé, se font le plaisir d'un petit gig en solitaires, just for fun, pour se persuader qu'ils ne sont pas là uniquement pour décharger les amplis du camion et se charger des branchements électriques. Le plaisir d'être ensemble et de prendre du bon temps. Morceaux courts, l'on appuie Till aux vocaux, histoire de montrer cette empathie quasi-fraternelle, qui lie le combo.
Bien reçu par le public qui toutefois reste étrangement calme.

POLICE ON TV


Dans la série I support my local band, le public s'agglutine en masse devant la scène. Sont du coin, de Romilly-sur-Seine pour les obsédés de la géographie. Se définissent eux-mêmes sur leur dernier CD de New Punk à l'ancienne. Perso, je les cataloguerais plutôt dans le registre rock festif – et vous connaissez mes préventions – en tout cas ils assument leur vision dérisoire et néanmoins critique quant à l'état ( déplorable ) de la société. Se sont barbouillés au gros feutre noir de tatouages abstraits du meilleur effet. Ont le mérite de ne pas se prendre au sérieux et d'être en communion avec leur fan qui dès le premier morceau se mettent à remuer à qui mieux-mieux. Grand gaillard aux cheveux bouclés et au micro Flo, tire le groupe. Derrière lui, ça bourre le mou au maximum. En lot de consolation pour ceux qui se lassent un peu trop vite de cette musique primaire et néanmoins populaire, vous avez deux danseuses, l'une pleine de grâce et de nerf, et l'autre qui se répand en enfantillage du genre pistolets à eau, langues de belle-mère et lancers de confetti... Le rock serait-il un remède infantilisant ou un adjuvant à cette notion de fête tant soit peu franchouillarde sous nos latitudes ? En tout cas sont infatigables Jean Boule tape comme un maboule sur sa batterie, Danone yaourte du petit lait sur sa basse, et Raphale tire sur sa guitare comme si sa vie en dépendait. S'amusent comme des fous, des gamins qui appuient pour la centième fois sur les sonnettes et qui s'écroulent de rire incontinent sur le devant de la porte des propriétaires ulcérés. Des gars sympas qui ne se prennent pas la tête, parfaits pour mettre de l'ambiance dans les apéros. Font un tabac, que dis-je une manufacture. Fin du set, tombent tous morts, allongés sur la scène, mais leur repos éternel ne durera pas, le public les rappelle à l'ordre et c'est reparti pour une nouvelle salve de quatre titres ravageurs. Des quatre groupes de la soirée, seront les plus acclamés. Correspondent parfaitement à cet état d'esprit de toute une partie des couches de la population. Ce sentiment d'exaspération et d'impuissance qui agite et incapacitorise les volontés. Quand la situation est grave et que l'on n'y peut pas grand chose beaucoup se réfugient dans le rire pour ne pas pleurer. Une manière de se démarquer, d'exprimer son désaccord, mais en restant circonscrit dans les rets du nihilisme, l'humour anthracite, reste une arme ambigüe, davantage dirigé contre soi que contre l'ennemi. Une espèce d'auto-déculpabilisation qui est aussi un grillage auto-protectif.

GUERILLA POUBELLE


Beaucoup entendu parler mais jamais vu. La base idéologique du combo n'est pas très différente de Police On TV. Remarquons toutefois la signifiance des titres, les uns déclarent la guerre et les autres dénoncent le formatage médiatique. Maintenant chez les partisans de la guerilla il semble que l'on ne se fasse guère d'illusion, les temps des confrontations directes sont passés, l'on ne se prépare plus à de grandes batailles, l'on se contente des escarmouches d'usure. Les guerres indiennes se sont mal terminées, surtout pour les indiens. Et puis il y a cette poubelle inquiétante. L'on ne sait pas trop ce qu'il y a dedans. Contient-elle la saleté de notre vieux monde ou est-elle là pour une fois la fête terminée y verser nos utopies chancelantes en faisant bien attention de remettre le couvercle dessus pour qu'elles ne puissent plus s'échapper.
Guerilla Poubelle est plus qu'un groupe. Un état d'esprit. De révolte. Contre la société et mieux encore contre l'apathie généralisée des consciences. Guerilla Poubelle sont des adeptes du Diy, Do It Yourself, du prends-toi en main, et si l'on veut peaufiner la traduction, du fous-toi un coup de pied au cul et n'attend plus pour te bouger les fesses et te manier le popotin. Donc un groupe, et une association qui organise des concerts et fédère toute cette mouvance alternative néo-punk française, ainsi ne proposent pas sur leur stand de marchandising que leurs propres CD, mais aussi des albums de toute une nuée de groupes de l'ombre.
Véhicule une certaine idée du rock contestataire. Qui préfère les commandos de choc à l'unification des consensus mous. Cela se vérifie sur scène. Ne sont que trois. L'essentiel. Guitare-chant, batterie, basse. Un dépouillement qui jure avec le casting de Police On TV. Idem au niveau musical. Rock basique mais pas simpliste. Efficace mais pas consensuel. Dans la foule ça va pogoter à donfe, moins de monde mais beaucoup plus de speed.
L'on retrouve Till de Maladroit. Prend le temps d'invectiver le public. Commence par signifier à la sécurité qu'elle n'a rien à faire au milieu de l'entrechoquement en folie des spectateurs, que les gens sont assez responsables pour ne pas se retourner agressivement les uns contre les autres, la suite lui donnera raison. Reprends un spectateur qui hurle spasmodiquement A Poil ! toutes les trois secondes, en l'invitant à réfléchir sur l'inanité de cette interjection, et l'heure de clôturer le set étant venue, il renvoie la jeunesse à la décision préfectorale des limitations temporelles.
Rassurez-vous ne passent pas leur temps à pérorer. Jouent aussi de la musique et plutôt bien. Un son beaucoup moins fruste que Maladroit, le même genre mais la couleur et les fragrances ne sont plus considérées comme des options interdites aux économiquement faibles. A fond les gamelles mais beaucoup plus explosif. Une batterie omniprésente et une basse dont les interventions des plus pointues démontrent à l'envie combien toute cette mécanique est agencée au millimètre. Morceaux courts mais efficaces à souhait. Le riff n'est pas le roi chamarré de la fête, ce qui ne l'empêche pas de mener le bal mais à égalité avec les deux autres chanceliers de la rythmique. Power rock trio, triumvirat démocratique, un instrument, une voix, trois gars qui naviguent de conserve, enchaînent les titres à la queue ébouriffée du loup, les crocs solides et sanglants, le rock n'est pas une fête plutôt un rituel destiné à faire pleuvoir les décibels comme des balles de mitraillettes dans les westerns mexicains qui mettent en scène les cavalcades révolutionnaires d'Emiliano Zapata. Le set s'arrête sur un dernier morceau aussi bref qu'un coup de fusil. Guerrilla Poubelle ne joue pas les prolongations interminables qui vous mettent le public dans la poche. Rappelez-vous le début de ce compte-rendu, si vous en voulez davantage, faites en sorte que votre existence en soit le principal acteur. N'attendez pas des autres ce que vous pouvez faire vous-mêmes. Restent sur scène à discuter entre eux et à débrancher le matos. Le public se disloque à regret. L'aurait bien ingurgité deux ou trois louches de bonne soupe énergétique supplémentaires. Mais il faut prendre l'habitude de sortir de table sans être rassasié. C'est ainsi que l'on est au mieux, lorsque la faim vous pousse au crime de vivre plus intensément.

DEUXIEME JOUR


Point allé. Mieux à faire ailleurs. Voir chronique suivante. Programmation Rock Celtique, trop vu de fest-noz bretons dans ma jeunesse... Cette cinquième édition de Rock'en Pleurs agrémenté d'un beau soleil et se déroulant dans une ambiance des plus amicales est le genre d'initiatives locales à généraliser.


Damie Chad.

LE MEE-SUR-SEINE - 27 / 05 / 2017
LE CHAUDRON
WILD PIG MUSIC
DISORDER / LIFE REPORTS
BEAST

Le Chaudron n'aura jamais aussi bien porté son nom. Une fournaise. Faut voir à la fin de chaque set la ruée en masse vers les escaliers afin de rejoindre la fraîcheur – euphémisme des plus relatifs - de l'extérieur. Une centaine de fans – on aurait espéré mieux - ont toutefois bravé la chaleur de ce week end prolongé pour encourager les forges métallifères en présence.

DISORDER


Difficile dans la pénombre rougeoyante de reconnaître Elie Biratelle ( ex-Scores ) à la basse, l'a exagéré le désordre de sa chevelure tout comme à ses côtés Armand Tormo et Paul Dedenin aux guitares, Lucas Maciniak restera pratiquement indiscernable au fond derrière ses tonneaux. Indubitable, il a la niaque Marciniak, l'est comme ses vieilles sorcières qui ont toujours une deuxième fricot de cervelles de chats sur le coin du fourneau, l'est en train de vous mener un break qu'il a déjà le suivant en préparation, la musique de Disorder est un peu comme ces gros rochers de mille tonnes en équilibre précaire, suffirait d'une chiquenaude pour précipiter l'éboulement. On les sent toujours prêts à parfaire le déséquilibre kaotique du monde. En plus il y a Biratelle, partout ailleurs il se ferait remonter les bretelles pour délit impardonnable – Laurent bassiste de son état m'expliquera après le set que c'est à cause de la sursaturation – mais je n'ai jamais entendu une basse monter dans les aigus comme cela, un effet novateur des plus déstabilisants vous déporte le métal vers les alliages les plus performants. Mais est-ce du métal ? Il est sûr que les catégories sont faites comme les âmes trop pures pour être perverties. Dans Disorder subsiste encore la vieille tradition primordiale et originaire du rock'n'roll. Des guitares qui ripent les vieux riffs empaillés afin de les mieux préserver, et la voix qui scande le chant. Le serpent qui articule n'est pas moins dangereux que celui qui siffle. Disorder nous emmène dans un hard-métal des plus inhabituels, sont prêts à explorer des sentes que la majorité dédaigne. Sont plus qu'applaudis. L'on sent poindre la surprise, l'estime et l'intérêt sous les acclamations. Disorder un de ces jeunes groupes, porteurs d'idées nouvelles. Une promesse.

 

REVENGER / DISORDER

GURGULUK / SUFFER IN NOISE / BULUK / SPIRITUAL DAMNATION

ARMAND TORMO : guitare / ELIE BIRATELLE : basse / PAUL DEFENIN : guitare. LUCAS MARCINIAK : batterie.

Superbe pochette due à Emilie Raoul. Face blanche : indien pectoraux pointus et maculé de sang sur le sentier de la guerre dans un paysage de neige – la vengeance est un plat qui se mange froid - et de sapins aux aiguilles tranchantes. Face noire : traces sanglantes d'une main prémonitoire des noirceurs que vous réserve la piste sauvage de la vie dangereuse. Beau logo runique, tranchant comme une hache d'abordage viking.

Gurguluk : volapuk insondable quant à la signification du titre, longue introduction musicale, les guitares tracent une route aventureuse, la basse émet de ces bulles inquiétantes, qui effleure l'eau croupissante des tourbières, légion romaine perdue dans l'hiver des forêts germaniques, marche haletante dans la glaise engloutissante, la vie est un cauchemar qui surgit de votre sommeil et qui se précipite sur vous et vous dévore le visage jusqu'à l'os, Suffer in Noise : vous croyiez en avoir fini, vous en être tiré à bon compte avec votre profil décharné, erreur funeste, vous entrez dans le deuxième épisode de l'histoire de la souffrance infinie, vocal comme des flèches d'animalcules tentaculaires prédateurs qui fracturent la rotondité de votre crâne et qui aspirent doucement votre substance neuronique, le rythme haletant, la musique aussi massive que des coups de hachoirs n'est cependant pas sans vous procurer un étrange plaisir masochiste. C'est dans les situations extrêmes que l'on se permet de découvrir qui on est réellement. Buluk : nerver mind the buluk, troisième épisode, dans lequel on n'essaie pas de vous mentir, le rythme s'emballe et vous voici happé par vos tripes éviscérées. Disorder ne fait pas de quartier, vocal braillé comme des ordres de mise à mort, la batterie tape comme si vous deviez vous enfoncez cela dans le crâne que vous n'avez plus, scie mécanique de guitare en vue d'une prochaine vivisection. Méfiez-vous, cela n'est guère agréable. Spiritual Damnation : épisode quatre, l'on vous repasse le générique du début au cas où vous auriez espéré vous retrouver dans un autre film style la petite maison dans la prairie. Mais non, la boucherie continue. Maintenant c'est à votre âme qu'ils s'en prennent. Vous la dissèquent sans plus de préparation. La guitare vous la découpe en rondelle et la batterie n'en finit pas de la clouer sur la porte des granges. Fin brutale. Ne cherchez pas à comprendre. Vous êtes mort.

Quatre morceaux. C'est ce qu'ils essaient de vous faire croire. Plutôt un récit d'un seul tenant, une espèce d'opéra d'hard-mental-art en quatre actes dont vous êtes le héros. Malheureux. N'écoutez pas, laissez de côté, oubliez que vous l'avez acheté. Disorder veut vous du mal. Rien que la pochette est une insulte à ceux qui pensent que la vie est comme un long fleuve tranquille. Par contre si vous êtes de ces personnes qui pensent que le rock a été inventé pour ajouter du désordre dans l'univers, vous adorerez. En plus c'est tout beau, tout brûlant, vient tout juste de sortir. Soyez prudent, rangez-le dans l'enfer secret des tentations de l'enfer de votre cédéthèque.

 

LIFE REPORT


Fait encore plus chaud. Faut voir le visage cramoisi et ruisselant de sueur de Julien au micro. Dans la salle ce n'est guère mieux, mais Life Report arrivera à galvaniser les troupes et à susciter de grandes tessitures d'entremêlements désordonnés parmi les spectateurs. Bien en place, parviendront à surmonter sans dégâts la pédale de la grosse caisse de Charla qui le lâche ( lâchement ) en début du quatrième morceau. Nous délivrent un métal puissant et somme toute non dépourvu d'un fond mélodique en contraste avec les rauques glapissements de Julien, un véritable chanteur qui donne sens à la musique, en appuie les contrastes, met en exergue la somptuosité des guitares de Julien ( numéro 2 ) et de Renaud qui étincellent sur les lourdeurs de la basse de Quentin. Disenchated Kids, Castle Build in Sand, Who Said I Want to Be Saved ?, Life Reports conte ce que Thomas Hardy appelait les petites ironies de la vie, l'existence des individus anonymes, les drames intimes et les situations quotidiennes des gens de seconde zone qui nous ressemblent. Atmosphère émotionnelle, exprime les tourments et les gouffres qui se gisent dans tout être humain que nous croisons chaque jour. Plaies purulentes que l'on porte au fond de soi. Micro en main, jambe reposant sur un des retours Julien adopte souvent cette position du guetteur à l'affût, du scrutateur des abysses intérieurs, celui qui voit et qui révèle. Musique dense et accomplie, comme un rideau de théâtre qui se lève pour délivrer les scénettes de la cruauté de la vie humaine. Un métal qui n'évite ni le bruit et la fureur et qui se complaît dans les terreurs tues et les illusions perdues. Longuement applaudis.

BEAST


The last but the Beast. M'attendait pas à ça. Naturellement Beast a été fidèle à sa légende red bull qui tue et fonce. Sont bien là, dans leur tenue de footballeurs américains, et nous ont livré le show impeccable que l'on attendait. Blank Page, Do You Think, The Village, Unit, On the Fields, les titres s'enchaînent comme à la parade, peut-être Cédric un peu plus prolixe que d'habitude entre les morceaux, nous vend des craques à deux euros qu'il s'empresse de démentir aussitôt, Rémi à la guitare, Robin à la basse, et Maxime aux drums assurent comme des pros. Sept ans qu'ils jouent ensemble... justement c'est là où le bât blesse, Cédric annonce que c'est le dernier concert – reste bien une date au mois de juillet, mais celle-là ne compte pas – c'est ici au Chaudron qu'ils ont commencé et c'est ici qu'ils viennent dire au revoir et merci à leurs fans et à Danny de Nakht qui est venu emplir le micro du tonnerre de sa voix. Pas de dissension amicale, mais la vie qui avance. Deuxième fois en moins d'une semaine qu'un groupe se sépare. Question de génération, une partie de la jeunesse qui s'achève – à son pas de lieuse de gerbes s'en va la vie, sans haine, ni rançon, dixit Saint-John Perse – certes nous n'en sommes pas encore là mais c'est un morceau de vie, un fragment de la fenêtre de l'existence qui vole en éclats, la mort de la bête ne nous fait pas sourire même si elle était en gestation au premier jour de sa naissance. Mais Beast reste impassible, ne cède à aucune tristesse, Legacy, Supporters, Shut the Fuck Up, Like a Blood, Under Pressure, finissent leur set en beauté sous une pluie de t-shirts et de stickers qu'ils nous jettent en offrande, Under Pressure, une dernière farandole se bouscule dans la salle, et c'est la fin irrémédiable.

GONE WITH THE WIND


Je rejoins la teuf-teuf un goût un peu amer dans la bouche... One, two, three , four, Five, Rock'n'roll is still alive. Merci Beast. Beast wishes !


Damie Chad.

NEGUS N° 3

Negus en kiosque. Sont tout heureux, sont désormais maîtres de leur propre distribution, en accord parfait avec l'idéologie d'indépendance communautariste qui s'affirme dans ce numéro. L'est logiquement bon de mettre ses idées en pratique. Faut toutefois se méfier de ce repli sur soi, des meilleures intentions peuvent naître les pires contradictions. Sûr qu'il est inutile d'engraisser ceux qui forgent les chaînes de votre dépendance, mais l'instauration d'une économie noire c'est aussi le danger de s'éloigner de toute remédiation politique. La naissance d'un entreprenariat noir à petite échelle est de prime abord sympathique, mais une trop grande immixtion dans le capitalisme risque aussi à moyen terme de déboucher sur la naissance d'un embryon d'une bourgeoisie noire qui sera davantage un facteur de division de la communauté qu'un outil de libération... Les petits Bolloré aux dents longues n'ont qu'une couleur : celle de l'argent. Exemple à méditer pour Bao qui rêve de créer une chaîne de supermarchés de produits alimentaires noirs : les militants qui dans les années 70 ont créé les premières et rudimentaires et sympathiques échoppes bio en France ont été remplacés par des franchisés financés par des banques qui les poussent de plus en plus à adopter les stratégies de la grande distribution...
L'est vrai qu'il est râlant de voir que les richesses de l'Afrique profitent aux multi-nationales, de même pour la culture noire qui a inspiré et enrichit des compagnies discographiques et des artistes blancs. Un paragraphe un peu hâtif consacré au rock'n'roll genre musical qui nous semble devoir autant à ses racines blues que country, à la fougue libératoire du rhythm and blues qu'à la frustration explosive des adolescents blancs...
Longue interview de Mickaël Mancée porte-parole du collectif des 500 frères guyannais. Intéressante, vraisemblablement vieille de quelques semaines – il serait bon de préciser la date – explique les données du problème mais reste des plus évasives quant aux prolongations de la lutte... Remarquons que l'on retrouve les gauches alternatives et radicales de la métropole dans des perspectives aussi tâtonnantes...
Deux poèmes de Maya Angelou, mais sans doute aurait-il été nécessaire d'agrémenter sa photo d'une notule biographique rappelant son engagement pour la cause de son peuple et qui devint aux Etats Unis une voix aussi reconnue que celles de Malcom X, Martin Luther King et James Baldwin.
La partie culturelle de ce troisième magazine est plus étendue, cinéma panafricain de Sylvestre Amoussou, interview du millionnaire Sindika Donkolo collectionneur d'art africain, histoire des révoltes noires très documentée, chroniques de livres, et nouvelle de Nicolas Zeiler sur la vie et la mort de Bheki Moyo, Negus nous ouvre des perspectives et fomente curiosités et interrogations...
Ce numéro 3 de Negus nous plonge dans la nébuleuse noire, faudrait que ce bimestriel en gestation avancée finisse par devenir un mensuel, donne de la tête un peu partout, l'étendue planétaire et historiale de la diaspora noire le nécessite. Avec ce troisième numéro Negus définit ses angles d'exposition et d'attaques - politique, économie, culture – ce qui n'est pas sans contradictions internes inhérentes à toute prise de parole. Dans un premier temps l'on définit ses aires d'envol, dans un deuxième on élabore une stratégie d'extension du domaine de la lutte. La parution mensuelle permettrait d'avancer plus vite. Mais Negus semble vouloir compter sur ses propres forces, une sage précaution. A suivre. Une aventure éditoriale passionnante.


Damie Chad.

 

 

24/05/2017

KR'TNT ! ¤ 330 : THEE OH SEES / T-SHIRT / POGO CAR CRASH CONTROL / SCORES / '77 / NEW ROSES / HOWLIN' JAWS / AUSTIN OSMAN SPARE

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 330

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

25 / 05 / 2017

 

THEE OH SEES / T-SHIRT

POGO CAR CRASH CONTROL

SCORES / SEVENTY SEVEN / NEW ROSES

HOWLIN' JAWS / AUSTIN OSMAN SPARE

 

TEXTES + PHOTOS SUR  

 http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

I can see Thee Oh Sees
(for miles and miles)

 

Sur scène, Zi Oh Sees développent une telle énergie qu’on pense aux Who. Tous ceux qui ont vu les Who sur scène le savent : aucune équivalence dans l’histoire du rock, aux plans présence et niveau sonore. Pas même Motörhead. Avec sa nouvelle formule de powerhouse à deux batteurs, John Dwyer renoue avec la démesure du Baba O’Rhum cataclysmique qui nous avait explosé les tympans à la fête de l’Huma en 1972.
Tiens, encore un point commun avec les Who : John Dwyer joue sur une bête à cornes, comme Pete Townshend, sauf que la sienne est transparente. Et comme Pete Townshend, John Dwyer multiplie sur scène ce que les Anglais appellent the antics. Dwyer ne saute pas en moulinant comme Townshend, mais il exécute des pas de danse abyssiniens, ceux du Nijinski de l’Après-Midi d’Un Faune, très graphiques et joliment dingoïdes, pour bien ponctuer l’envoi des violentes rafales de chaos sonique. Il va très loin, bien au-delà du spectaculaire. Comme les Who, il échappe à tous les formats, parce qu’il a su bâtir un monde à son image, celle d’un blaster quasi-incontrôlable.
Tous ceux qui ont vu les Dirtbombs et les Monsters le savent : sur scène, la double batterie démultiplie l’impact du groupe. Mais on a l’impression que les mighty Oh Sees atteignent un niveau encore supérieur de démesure, car rien de ce qu’ils jouent n’est prévisible. Leurs albums produisent exactement le même effet. Ils sont à la fois tellement libres et tellement puissants qu’ils échappent à toutes les conjectures, et sur scène, l’imprévisibilité des choses fait tout le charme du groupe. Ça veut dire en clair que John Dwyer nous emmène exactement là où il veut. Il manie une sorte de chaméléonisme impénitent qui lui permet de créer la surprise en permanence. D’où l’I can see for miles and miles and miles and miles, d’où cette facilité psychédélique à pulvériser les attentes, d’où cet immoralisme sonique qui se moque des lois de la République, d’où cette volcanisation des thèmes que les instituts de recherche ne parviennent toujours pas à interpréter, d’où cette exubérance intempestive qui ridiculise les tempêtes du Cap Horn, d’où cette manie des irruptions insoupçonnables qu’on accueille à bras ouverts, d’où cette facilité dégueulasse à réinventer le rock, et même pire, à rocker la ré-invention. John Dwyer est un homme à mille facettes. On imagine aisément que les êtres qu’on déifiait dans l’antiquité devaient lui ressembler. Il s’impose par une sorte de charisme à la fois bon enfant et mèche dans l’œil, mais une sorte de rigueur monastique semble charpenter le personnage. Il est bien évident que l’infernale qualité de son jeu de guitare ne sort pas de la cuisse de Jupiter. Il joue exactement ce qu’il faut jouer, sans en rajouter. John Dwyer n’est pas l’un de ces Raymond la science qui s’affichent en couverture des magazines de rock qui ont depuis longtemps sombré dans la vulgarité. Tout le contraire. Il arrive sur scène comme s’il revenait de la plage, après une partie de surf à Malibu. Chez lui, pas la moindre trace de rock-starisation. Juste un homme en bermuda avec sa guitare, des idées et trois bons amis (extrêmement brillants, et qui eux non plus ne la ramènent pas).
Justement, on regarde jouer ces deux batteurs et on régale de leur spectacle, de la grâce de leur jeu et de la combinaison de leurs puissances de frappe respectives. Ils jouent tout en parfaite synchronicité, c’est un effarant ballet qui provoque par moments des hallucinations. Ces deux mecs sont beaux comme des apôtres, et de là à voir un Christ en John Dwyer, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse dans le feu de l’action. Quand je dis : ces mecs sont beaux, cela veut dire beaux au sens iconique, car les inclinations des visages, le ruissellement des sueurs, les expressions de béatitude, tout cela nous renvoie aux portraits d’apôtres signés par les peintres de la Renaissance italienne. Ces deux batteurs développent une sorte du mysticisme du beat et ne s’accordent aucun repos. John Dwyer veille à ce que leurs batteries soient installées au premier rang. Dès lors, Paul Quattrone et Daniel Rincone jouent à jeu égal avec les deux autres.
Puisqu’on est dans les parallèles, quelque chose chez John Dwyer rappelle Kim Fowley. Sans doute par le dessin très carré du visage, par la carrure, par le fait qu’il soit lui aussi californien, mais surtout par l’ampleur de sa personnalité. Il y a autant de génie chez John Dwyer qu’il y en avait chez Kim Fowley. Ils mettent tous les deux leurs vies et leurs intelligences respectives au service d’une seule forme d’art : le rock. Et on réalise un peu plus facilement que pour parvenir à ce niveau, il faut ce qu’il est convenu d’appeler une prédisposition. Devenir Kim Fowley ou John Dwyer n’est tout simplement pas à la portée de tout le monde. Le rock est un art suprêmement difficile, ne l’oublions pas.
Les débuts du groupe n’auguraient pourtant rien de bon. Essayez d’écouter l’album Sucks Blood paru en 2007 jusqu’au bout, vous verrez, ce n’est pas facile. On trouvait alors ces albums dans le bac garage du Born Bad de la rue Keller et les pochettes piquaient la curiosité.
Une sorte de vampire à six dents ornait la pochette de The Master’s Bedroom Is Worth Spending A Night In paru l’année suivante et on y voyait se développer une tendance intéressante, une façon de penser le rock autrement. En entrant dans cet univers musical, il fallait abandonner tout espoir de rationalité. Sur ce disque, tout n’était que luxe arty, calme incongru et volupté désordonnée. Quand on écoutait un cut comme «Grease 2», on se demandait vraiment pourquoi on écoutait ça. On se demandait aussi à quoi pouvait servir ce groupe inclassable. On les voyait explorer toutes les figures de style inimaginables. En fait, ils nous aidaient à sortir du carcan garage qui finit par appauvrir le rock pour le transformer en peau de chagrin. Avec cet album, Zi Oh Sees se comportaient comme d’impavides stylistes soucieux de diversité. On trouvait en B un commencement de début de hit avec «Adult Acid», un hit de pop rocké du ciboulot. Avec «The Coconut», ils passaient au heavy rock en développant dans les textes une bien belle tendance surréaliste et le «Maria Stacks» d’après finissait par captiver grâce à son Maria Maria you dig a hole with words in there. John Dwyer achevait sa B en beauté avec un «Poison Finger» bien vu, puisque monté sur le riff de «Gimme Some Loving», suivi d’un «You Will See This Dog» gorgé d’I want my fun to be free and out of sight. On ne pouvait qu’admirer la diversité de leurs paysages musicaux. C’est là que John Dwyer commença à façonner le monde à son image de tatouage de main percée et de marcel rayé.
Un jour, on vit une chauve-souris clouée sur la pochette d’un album. Il s’agissait du fameux Help paru un an plus tard sur In The Red qui était alors LE label de référence, comme l’avait été Crypt auparavant. Dès «Ennemy Destruct» on savait à quoi s’en tenir : John Dwyer cherchait à créer l’événement. Il agissait ni plus ni moins comme un bâtisseur d’empire libre, vous savez, ces empires qu’on bâtit pour jouer, un empire d’Everybody dig in everybody clam up et le mythe du monde libre remontait à la surface, sous la forme d’une nouvelle vision du rock, loin du m’as-tu-vu des solistes grimaceurs et des Stong à la mormoille. John Dwyer donnait le champ libre à sa liberté. On entrait alors dans le tourbillon magique de «Ruby Go Home», John y répétait en boucle son Hey tambourine what that you’re saying d’argent gris joué sur un mood de groove garage assez convaincu de sa légitimité. S’ensuivait une belle gerbe d’espoir nouveau avec «Meat Step Lively» gratté à l’insistance typique. Aussitôt après, avec «A Flag In The Court», il réinventait cette belle ferveur surréaliste qui pour son malheur tomba un jour sous la coupe du dictateur Alfred Breton. John Dwyer racontait n’importe quoi, usant de la liberté comme d’un prétexte à toute forme d’expansion du domaine de la lutte. Et la B s’ouvrait comme un horizon, avec «Rainbow», joli coup de mood garage on the move avec les ba ba ba des Troggs dans un refrain scintillant d’arpèges de SG. S’ensuivait un «Go Meet The Seed» solide et terriblement bien intentionné, avec du I wanna hang way up in a tree arrosé de chœurs des Who, et toujours cette manie simplificatrice de répéter en boucle d’argent gris le même couplet en forme d’objet-prétexte. Avec «Soda St#1», il exacerbait encore plus les choses, on avait là un cut élancé, gratté, chant, œuvré, véritablement inspiré par les trous de nez, une sorte de power-pop luminescente. Attention, le festin continuait avec «Destroyed Fortress Reapers», fantastique progéniture picabiesque d’un rainbow qui n’avait pas le droit de dire non, puis tout s’arrêtait brutalement avec «Peanut Butter Oven». On avait là dans les pattes un disque qui sortait de l’ordinaire, un véritable festin d’idées, une gerbe d’éclats protéiformes, on avait la preuve qu’il existait encore un espace pour le libertarisme dadaïsant et tombouctique. Alors, amis des bêtes et de Tzara, du lama rouge et d’Ornicar, jetez-vous sur ce miroir aux alouettes.
John Dwyer confirmait sa pente Dada avec Dog Poison paru la même année. Comme notre homme devenait prolifique, il valait mieux avoir un portefeuille bien garni. Il attaquait avec un «The River Rushes» bien alambiqué et comme toujours sans aucune prétention. Il se payait même de luxe de balancer un solo de flûte complètement délabré. Notons qu’il jouait au seulâbre invétéré sur cet album un peu plus austère que le précédent. Il récompensait la fidélité de ses admirateurs avec «The Fizz», une pop sautillée qui non seulement puait la fuzz, qui avait en plus trouvé l’adresse et qui fell face first at the front door. Cette façon baroque d’amener les choses rappelait bien sûr celle des Holy Moundal Rounders. Avec «Sugar Boat», il fonçait droit sur le ludique barrettien. Mais le Dada se nichait en B avec notamment «I Can’t Pay You To Disappear», un solide romp de pop de so you can do it for free. On ne pouvait pas imaginer plus Dada dans l’esprit. Même chose avec «Voice In The Mirror», pur slab de Dada strut. John stroumphait son Dada stack avec la pire des impénitences ce qui nous permettait d’affirmer à l’époque qu’impénitence et impétuosité constituaient les deux mamelles de John Dwyer. Il enchaînait ce tour de force avec «Dead Energy» joué au processionnaire des fourmis rouges un jour de deuil national. Ça tintinnabulait sous le soleil de Satan.
La pochette abstraite de Warm Slime interloquait. On entrait dans ce monde délicieusement hirsute et créatif par la grande porte, c’est-à-dire le morceau titre, sur une face entière. On entendant la délicieuse Brigid chanter au fond d’un cut qui virait en jam de gym nasty, véritable pied de nez à l’ampoulé du prog. John Dwyer révélait là une passion pour Can, traversant avec nous des paysages chantants et variés. Il jouait littéralement la carte de la face, grâce à un hypno de fête à nœud-nœud, où l’on pêche le canard pour gagner un pingouin. On tombait ensuite sur le festin pantagruélique de la B et cet «I Was Denied» assez comique d’I flew away with a friend of mine et d’I got fucked up suffice to say joué à la ritournelle insistante bien vue, oh see bien vue. Encore plus dingue, cet «Everything Went Black» parfaitement décousu, d’un baroque sans queue ni tête, véritable stomp capable d’envoûter une légion romaine, suivi d’un «Castiatic Tackle» joué au pire strut de garage qui fut - What did she ask ?/ Are we good ?/ Yeah I think - Extrêmement solide et parfaitement cognitif au plan textuel. Il bouclait cet album effarant avec «Mega-Feast», véritable coup d’exacerbation trapézoïdale, et «MT Work», joué à la pure énergie créative. Ce groupe fonctionnait alors comme un geyser galactique.
On trouvait un redoutable écorché sur la pochette du Carrion Crawler/ The Dream EP paru en 2011. C’était encore une fois foutu d’avance, on sentait dès le morceau titre d’ouverture que l’album allait nous emporter la bouche. Il attaquait ça à la dégringolade d’eat meat/ Fill with holes. Il jouait ça avec un pugnacité illicite qui favorisait l’apparition d’hallucinations. En écoutant «Contraception/Soul Desert», John Dwyer établissait en peu plus clairement sa réputation de créatif illimité. Il emmenait son cut ventre à terre, à la petite exacerbation cadencée, the jewel of a song. Avec un tel homme, on se sentait vraiment en sécurité. En fait, il reprenait le «Soul Desert» de Malcolm Mooney, l’un des chanteurs de Can. Mais il pouvait aussi se faire presque passer pour la réincarnation de Picabia et piloter une Delage coiffé d’un bonnet de cuir. On avait aussi un instro cinglant nommé «Chem-Farmer» et en écoutant cette merveille on savait John parfaitement incapable de décevoir les thuriféraires. Zi Oh Sees redoublaient d’une pratique abusive de la liberté à tout crin. Et la dynamique reprenait de plus belle avec un «Opposition» monté sur un beat de pétarade pète-sec et un clair de son qui permettait de distinguer ces deux choses différentes que sont les cartilages du concept et l’élancé d’une démarche d’accompagnement cérébral. Ah mais le pire était à venir, car en B se nichait «The Dream», doté d’une fabuleuse vélocité de team intime. Ces gens-là savaient compulser dans le même sens et se passionner comme des vierges rouges pour mieux embrasser l’univers. Une fois de plus, ils tapaient dans l’essence de Can, à la bonne franquette hypno. Ils retrouvaient ce sens du panache d’effluve mythique et de plumes d’autruche, on sentait battre le pouls d’une machine de mouvement perpétuel, une véritable tinguelynade d’eau fraîche et d’amour de Sainte-Phalle. On tombait plus loin sur un nouveau trésor ali-babique intitulé «Crushed Grass», joué à la cocotte véloce d’under car et de moon beam, très proche du «Locomotive Breath» de Jethro Tull. Ils y rebattaient les cartes d’une belote de belettes. Une fois de plus, on avait dans les pattes un album créativement rempli jusqu’à la gueule, ce qui devient aussi rare qu’un cheveu sur la tête à Mathieu. Ça repartait de plus belle avec «Crack In Your Eye», extraordinaire fragrance d’univers intermédiaire et constamment visité par des idées de rafles riffales, de grattés dauphinois ou encore d’espolettes pimentées. En prime, John Dwyer s’amusait à screamer ici et là, histoire de nous rappeler la fortitude de son émancipation. On retrouvait dans «Heavy Doctor» les accords que joue Robert Quine dans l’intro de «Blank Generation». Il s’amusait à virevolter dans les trapèzes d’un Barnum post-punk et il ah-ahtait sur des descentes de gamme fuligineuses - It’s just a breeze upon a blood-rich sea - Encore un album dont on sortait à quatre pattes.
Une horrible main décrochait un téléphone sur la pochette de Castlemania, un double album qui se jouait en 45 tours. John Dwyer embarquait l’«I Need Seed» au beat pop mod d’I need to throw up the grass. Son beat sautillait dans la prairie, et un vent de liberté soufflait sur le pays. Une fois de plus, il défiait toutes les lois de la physique et ne respectait rien, pas même le vieux principe de gravitation universelle si cher à Newton. Avec «Corprohangist», John Dwyer cherchait un fouet pour se faire battre et traitait sa chanson de tous les noms - Oh yeah this song is sung/ This song is shit - Il sortait la meilleure fuzz de son chapeau de magicien pour un «A Wall A Century» heavy et solidement dérangé, comme ébahi à Tahiti. Il nous faisait le coup de la B qui tue avec une série invraisemblable de smash-cuts, à commencer par un «Spider Cider» joué au prog protubérant, juste pour exprimer ce qu’est le blaze, suivi de «The Whipping Continues», petite heavyness plombée au LSD et relativement pompeuse, au sens de l’Oracle des Zombies de Delphe. Ah, mais il n’allait pas s’arrêter en si bon chemin car voilà qu’arrivait «Blood On The Dock» une pop de pirates, avec un dark ship foating after me, oh no no no et il poussait le bouchon encore plus loin en passant un solo oriental de Mahabarata digne du Barabajagal, ce qui semblait logique vu qu’on retrouvait Donovan dans l’histoire. Il lançait «A Warm Breeze» à coups d’harmo sixties et recréait l’illusion d’une incommensurable diversité des genres, un peu comme si son éventail s’étendait à l’infini, telle l’une de ces japoniaiseries chères à Stéphane Mallarmé qui, souvenez-vous, fut le pape de la rue de Rome.
L’homme à tête de chien qu’on voit dans un cercueil au dos de Putrifiers II EP n’est autre que John Dwyer. Putrifiers II EP fut aussi le dernier album des Oh Sees paru sur In The Red. Il attaquait «Waw Face» à coup d’Oh wite ! Quel dingue, ce mec ! On le voyait tirer son son avec opiniâtreté et comme il visait la mad psychedelia, il créait les conditions d’une sévère lactose pariétale. Ses cris relevaient de l’organique et on sentait un mouvement indicible, pareil à celui d’une armée en marche dans un univers en ordre, une troupe compacte et bien gardée sur ses flancs. Il passait à la pop tétanique, et même très tétanique, avec «Hang A Picture». Cet homme n’en finissait plus de se vouloir complet, il tâtait de tous les genres avec un égal bonheur et dressait une nouvelle typologie du rock, d’une manière qu’il voulait exhaustive, sachant bien que l’exhaustivité ne compte pas dans l’absolu de la relativité. Il revenait à un format plus garage avec un «Flood’s New Light» bien martelé et chanté à l’ersatz de voix. En B, il nous régalait de «Lupine Dominus», une pop joliment enveloppée, montée sur un thème de guitare bien gras qui pouvait à la limite sonner comme une trompette wha-wha, ce qui ne manquait de nous galvaniser.
Avec Floating Coffin et sa pochette sucrée aux fraises, John Dwyer ouvrait l’ère Castle Face, un label aventureux au logo protéiforme. Il donnait le la avec un coup de grisou garage, «I Come From The Mountain», bien cavalé à travers les hautes plaines. Et toujours ces wow ! suivis de plongées en enfer. Comme dans ses autres chansons, il shootait un couplet en boucle d’argent gris - Girls like to smile half the time/ Boys are the trouble all the time - On avait là un vrai hit sauvage. Il en ramenait un autre à la suite, le fameux «Toe Cutter/Thumb Buster», épais et mélodieux, magnifique d’élévation spirituelle. Il le revisitait au thème gras et altérée. On avait là un cut incroyablement beau et paisible et il n’en finissait plus de relancer son équipage. Il revenait à sa vieille passion pour Can avec «No Spell», hypno à gogo ponctué de wow de la Wells Fargo. Et puis il bouclait l’A avec «Strawberries One & Two», une mélasse lysergique à l’étique raréfiée, mais il n’en cherchait pas moins l’espace du promontoire prométhéen, ainsi que des avances sur recettes. Oh et puis en B, il exultait avec «Maze Pancer» - No brains inside of me ha !/ Nothing inside of me ha ! - Il s’esclaffait alors que son char filait à train d’enfer à travers la morne plaine de Mésopotamie. Son attelage étincelait sous le soleil. Il jouait plus loin un «Sweets Helicopter» en mood de mode Pinder sous la voûte étoilée d’un chapiteau, avec des accords voltigeurs et des animaux en peluche.
Avec Drop, John Dwyer inaugurait la série des pochettes ratées, au nom de la liberté, bien sûr. Il attaquait avec un «Penatrating Eye» joué au heavy bulbique, une histoire d’œil volé. On se retrouvait confronté une fois de plus à la réalité d’un mec comme John Dwyer, incapable de se prendre au sérieux. Il chantait ensuite «Encrypted Bounce» d’une voix d’ange de miséricorde, sur un joli beat de rase motte. Il y avait encore là de quoi nous fasciner jusqu’à l’os du genou. Il s’agissait en effet d’un cut monté à l’idée pure, conçu dans un esprit de maniaquerie invétérée, digne d’une vestale vénale. Et en B ? Eh bien, il s’y passait des choses pour le moins intéressantes, comme ce morceau titre amené en forme de garage pop d’I don’t expect to see you again oh yeah, avec de la fuzz plein la bouche. Il enchaînait ça avec un «Camera» chargé de mad desire, celui de porter les visages des autres hommes. Pas facile. S’il fallait s’appesantir sur un cut, ça ne pouvait être que «Transparent World», joué au groove ambigu de fusion saxée sur une belle bassline de Chris Woodhouse.
Un drôle de monstre armé d’un flingue spongieux orne la pochette de Mutilator Defeated At Last. On était tout de suite frappé de plein fouet par l’énorme «Whitered Hand» qu’il joue encore aujourd’hui sur scène, un hit athlétique et complètement fascinant, sur lequel il bondit de droite et de gauche comme un Nijinski devenu apoplectique. Par contre, «Poor Queen» allait plus sur la pop. Il jouait ça aux accords byzantins de cristal d’apothicaire du Carrefour de Buci, d’autant qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle - the queen willl live/ To see another day - Il enchaînait avec un «Turned Out The Light» presque glammy dans l’essence, un cut admirable et juteux comme un fruit trop mur. Et puis il bouclait l’A avec «Lupine Ossuary», un instro joué à la virtuosité paganinique. Franchement, ce mec pouvait tout se permettre, comme le montrait encore «Holy Smoke», un hit de B, une sorte de carpaccio d’arpèges frelatés et servi sur une fine couche d’ambre jaune.
L’an passé sont sortis trois albums des Oh Sees, à commencer par l’un des plus beaux albums live de tous les temps, Live In San Francisco. Ça démarre avec l’effarant «I Come From The Mountain» tiré de Floating Coffin, traité ici en violent mode garage californien, joué à la tonne de son et savamment vrillé de solos. Et c’est là qu’on retrouve la powerhouse des deux batteurs, et croyez-moi, ça change tout. Ils enchaînent avec «The Dream» tiré du Carrion Crawler/ The Dream EP. Derrière John Dwyer, ça bat comme chez les Pink Fairies, ça joue à l’extrême clameur d’Elseneur. Ils embarquent «Tunnel Time» au beat de ventre à terre, au pulsatif compulsif. Tim Hellman gratte du bassmatic à flots continus. Heureusement qu’il joue sur Ricken. Ils attaquent la B avec un «Web» tapé au groove anglican et les Oh Sees suent sur «Man In A Suitcase». Oh les Oh Sees savent ! Ils jouent l’organique à l’état le plus pur. Tiens, revoilà l’excellent «Toe Cutter/Thumb Buster» tiré de Floating Coffin et riffé à la Teddy Bear, mais complètement dérangé au plan sonique. John Dwyer barde son art de son et crée les conditions de l’extravagance. Il ramène le souffle d’un Abel Gance dans le rock moderne. Ils attaquent la C avec l’infernal «Withered Hand» tiré de l’album précédent, véritable blast de powerhouse, une branle se met en branle, alors si ça n’est pas du blast, qu’est-ce donc ? Rien de plus déterminant qu’une powerhouse décidée à en découdre. Avec «Gelatinous Cube», John Dwyer claque ses chœurs et profite de la moindre étincelle de frénésie pour sombrer dans le chaos. Il joue la carte des frénétiques de l’Avant siècle. Ils bouclent en D avec un «Contraption» survolté que vient concasser un chorus spatial et aventureux. John Dwyer a mis au point une formule infaillible. On se régale de cette énorme jam entreprenante. On parle de cette face cachée comme on parlerait de l’œuvre de toute une vie.
Pochette à la Chirico pour A Weird Exits paru la même année, mais un Chirico qui irait mal. Ça commence par une belle énormité, «Dead Man’s Gun» tarabusté vite fait et fracassé par un solo signé Dwyer. C’est joué à l’hypno fatidique et Brigid Dawson vient faire des voix de Bogus Man avec cette bête de John. On trouve en fin d’A un «Jammed Entrance», c’est-à-dire un instro tendancieux. On s’y perd en conjectures, tant l’automatisme prévaut. Picabia aurait adoré cette dynamique interne de piston polyglotte à poil dru. On retrouve l’hypno magique des Oh Sees en B avec un «Plastic Plant» chanté à la voix blanche et ils enchaînent avec le faramineux «Gelatinous Cube» qu’on trouve aussi sur l’album live. John Dwyer file en mode garage punk, avec cette façon exclusive de trousser des petits éclats de solos, pendant que la bassline ondule comme le ventre d’Oum Kalsoum sous le satin des draps du Cheik en blanc.
John Dwyer explique que l’album An Odd Entrances paru lui aussi en 2016 est le petit frère du précédent - An appendix, if you will - On s’y régale d’un «The Poem» joué au bel arpeggio de Giotto. Ce sacré John Dwyer semble même se prélasser dans la coquille de Boticelli. On retrouve son appétence pour la pop en B avec «At The End Of The Stairs». On sent chez lui le pape de plage, le ponte du peuple. La pop n’a plus de secret pour cet homme. Et puis on tombe sur une merveille, «Nervous Tech», joué sur un tapis de brousse de basse, très Can dans l’esprit. John Dwyer continue de repousser les frontières du possible. C’est un acharné de l’acharnement, il veut absolument ne rien devoir à personne. Son instro tentaculaire en laissera plus d’un grosjean comme devant. Ah, il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie si on veut mourir moins bête, d’autant que ça s’inspire du «Go Ahead John» de Miles Davis. Pas de meilleure source ici bas.
Alors, au point où on en est, on peut aussi aller fureter dans les compiles des Oh Sees, tiens par exemple le volume 3 des Singles Collections. On y trouve des démos, des inédits et des reprises. Quand on sait de quoi est capable John Dwyer, on ne risque rien. On trouve dans ce volume 3 une fantastique démo de «Crushed Grass» montée sur une bassline brontosaurique, une vraie monstruosité lovecraftienne. John y couine comme l’orfraie d’Alfred de Vigny. Ils font aussi une reprise de «Burning Spear», un cut de Sonic Youth, mais John Dwyer l’allume aux lampions de la folie expressionniste, et ça déferle comme des paquets de mer sur nos hures de pauvres ères. Aucun égard pour la mansuétude ! Avec «What You Need», John Dwyer retourne dans la pampa pousser des woo ! et des yooo ! Il adore ça. En B, on tombe sur le processionnaire «Always Flying», sur un «Devil Again» sautillé comme chez les Vibrators et un fantastique «Block Of Ice» live joué au groove profilé sous le boisseau d’argent. C’est une fois de plus l’épitôme du renlentless, l’apologie du jusqu’au-boutisme de Jean Grosjean comme devant, petit neveu du célèbre bagnard échappé de l’île du Diable à la nage.


Signé : Cazengler, pas Oh See mais Ah See (à table)

 

Thee Oh Sees. Sucks Blood. Castle Face 2007
Thee Oh Sees. The Master’s Bedroom Is Worth Spending A Night In. Tomlab 2008
Thee Oh Sees. Help. In The Red Recordings 2009
Thee Oh Sees. Dog Poison. Captured Tracks 2009
Thee Oh Sees. Warm Slime. In The Red Recordings 2010
Thee Oh Sees. Carrion Crawler/ The Dream EP. In The Red Recordings 2011
Thee Oh Sees. Castlemania. In The Red Recordings 2011
Thee Oh Sees. Putrifiers II EP. In The Red Recordings 2012
Thee Oh Sees. Floating Coffin. Castle Face 2013
Thee Oh Sees. Drop. Castle Face 2014
Thee Oh Sees. Mutilator Defeated At Last. Castle Face 2014
Thee Oh Sees. Live In San Francisco. Castle Face 2016
Thee Oh Sees. A Weird Exits. Castle Face 2016
Thee Oh Sees. An Odd Entrances. Castle Face 2016
Thee Oh Sees. Singles Collection Volume Three. Castle Face 2013

 

17 / 05 / 2017PARIS
NOUVEAU CASINO


T-SHIRT / POGO CAR CRASH CONTROL

Jamais mis les pieds au Nouveau Casino. A l'ancien non plus. Une appellation qui empeste un peu trop l'hypermarché, mais non, pas d' assimilation hâtive et hasardeuse, une véritable salle de concert au plafond capitonné qui doit pouvoir accueillir près de trois cents personnes. Une programmation longue comme un jour sans rock'n'roll, et la file des fans qui attendent devant la porte. Salut à Marie arrivée la première à dix-huit heures trente tapante dans son T-shirt au logo assassin de Pogo Car Crash Control.

 

T-SHIRT


Personne ne les connaît. Prétendront que c'est leur premier concert – du moins dans un lieu moins exigu que leur appartement - même si l'on retrouve des traces d'antérieures apparitions dans la mémoire inquisitoriale du Net. De toutes les manières on les sent un peu tendus. Mais l'assistance ne sera pas cruelle. C'est qu'ils vont prendre de l'assurance au fil des morceaux et arriver à établir le contact.
Groupe mixte mais sans parité, une fille deux garçons. Difficile de définir le style, les deux premières entrées en matière, Mide and Hyper, flirtent avec le white rock, guitare filante et rapidité du drummin', mais ces caractéristiques vont s'effilocher au fil des morceaux. Léa se cache derrière ses lunettes et le micro de sa voix exigerait que l'on hausse le ton, la guitare surfe mais deviendra de plus en plus affirmée tout le long du set. Première caractéristique, les fins impromptues qui vous laissent sur votre faim. Les morceaux sont aussi courts que leurs titre : Heaven, Dates,Triton, Razor, Cold, Sloan... Serait-ce l'indication d'une allégeance vertueuse à l'esthétique des Ramones ?
Rien de novateur, T-Shirt joue un rock basique sans surprise mais bien balancé, tout compte fait agréable à écouter. Des murmures d'approbation monteront de la foule au fur et à mesure que Toma appuie de plus en plus sur ses toms et que Luc à la basse double la voix de Léa. A moins que je n'aie inverti les deux prénoms. L'est sûr que l'appétit vient en mangeant et notre trio prend du poil de la bête au fur et à mesure qu'il déroule sa set-list. Z'ont encore le problème de l'ampleur du son à résoudre. Faut lui donner une couleur et une tessiture qui deviennent marque de fabrique à part entière, ce qui est sûr c'est qu'un jour ou l'autre nous repasserons sur notre torse velu le même T-Shirt.
Sortent de scène sous les applaudissements ce qui n'était pas donné de la part d'une assistance venue pour les P3C...

POGO CAR CRASH CONTROL


En attendant Pogo... noir absolu parcouru de glauques luminescences... la tension monte de douze crans en moins d'une seconde, de la sono émerge un glas fatidique et irréversible, ce qui s'avance vers vous dans le lent égrenage de cette lourde ponctuation sonore, c'est la statue du Commandeur qui s'en vient demander sa ration d'âmes, les nôtres, tremblantes d'excitation à l'idée que dans quelques secondes débutera le grand transbordement énergétique.
Déchirure. La salle explose. Jusqu'à la fin du set ce ne sera plus qu'un horrible pandémonium de corps agités et entremêlés. Les Pogo ont frappé. Ne sont en rien des adeptes de la montée en puissance. Donnent tout et tout de suite. Sans attendre. Sans pitié. D'abord la voix, ce rut de colère, cette vomissure sanglante, qui défèque du plus profond des entrailles de la révolte métaphysique adolescente, le non définitif jeté en défi à la platitude du monde, le veto bestial s'opposant à la tristesse des existences, la condamnation excrémentielle de nos conditions de survie, tout ce crachat de haine et de rage amalgamé dans le rugissement royal des déglutitions vocales d'Olivier, il n'ouvre pas la bouche, il lâche les fauves dans l'arène néronienne de nos frustrations, et puis le reste, toute la musique que je déteste psalmodie Tante Agathe, ce déluge scansique, cette transe diluvienne, cette boule de foudre et de flamme noire comme la nuit qui détruit tout sur son passage, vous percute, vous traverse, vous éparpille, vous cendrifie, qui ne vous lâche plus, qui sans cesse revient sur vous, s'acharne, vous piétine, vous disperse, vous poudroie et vous rend à la poussière de vos égotistes petitesses.
Une seule consolation dans cette humiliation, c'est qu'ils ne sont pas mieux lotis que vous, ne font pas le show, sont eux-mêmes dans le froid de la tourmente de leur radicalité, le rock en tant qu'ascèse orgiaque, Dionysos à tout instant démembré en un rituel ultime cent fois recommencé. Jouer à perdre haleine, à puisqu'à chaque fois c'est le sort du monde qui est en jeu, que la guitare se désaccorde que le venin s'épaissit en une gangue de matière noire, l'étron fécal alchimique qui se doit d'être transfiguré en le grès rouge de tous les triomphes, Alexandre forçant les rives du Granique, entraînant ses compagnons dans les escarpements du surpassement de soi-même et des autres.
Même Lola. La douce Lola. La frêle blondeur de Lola. Désormais guerrière provocatrice. Ponctue d'un triple coup de poing définitif, les soubassements néandertaliens, ces rafales sismiques de secousses telluriques dont les soubresauts répétitifs parsèment de cataractes géantes le long torrent tumultueux qu'est l'échevellement musical, le scalp trombinoscopique des Pogo. S'avance au bord de la scène, darde ses yeux sur vous, de longs traits de haine qui vous fusillent à bout portant, et puis recule avec ce sourire roué et en même temps naïf qui parcourt le visage des douze princesses des mortifères ballades de Maeterlinck, celles qui vous rongent l'âme, l'air de rien mais plus gloutonnes que le serpent Apophis qui vous attend dans la barque de votre éternité compromise... Petite fille cruelle qui arrache méthodiquement d'un sourire angélique les ailes des abeilles, juste pour leur apprendre à ne pas voler.
Torse nu, d'une pâleur qui n'est pas sans rappeler la terrible bancheur cahalotique de Moby Dick, Louis à la batterie, sabote notre ouïe. L'on n'aperçoit que ses bras sémaphoriques, sémaphoniques, levés très haut – comme des signes d'appel et d'invocation des divinités du mal. Doit bien les rabaisser de temps en temps sur ses toms pour leur faire la peau comme le prouve le roulement continu des huit sabots de Sleipnir le coursier frénétique qui galope et tournoie sans fin dans un ébranlement rythmique infini.
Flash sur la salle. Des corps sont portés à bout de bras comme des victimes expiatoires que dans un enthousiasme délirant l'on emmène en offertoire devant la scène afin qu'elles soient honorés d'un regard approbatif d'Olivier qui n'en continue pas moins de violer sa guitare et d'éructer le chant tribal des hordes fratricides. Certaines sont déversées sans ménagement sur la scène, s'enroulent dans les fils, mouches engluées dans la toile de l'aragne, s'écroulent par terre entraînant avec elles dans leurs efforts reptatifs de délivrance les pieds de micros. Inutile de s'inquiéter, Royaume de la Douleur, Hypofhèse Mort, Paroles M'assassinent, Rire et Pleurs, toute cette folie est inscrite et préfigurée dans les paroles du groupe. Jusqu'à ce quidam qui s'empare du pied du micro, ne le lâche plus et en tape résolument le sol comme s'il voulait écraser les serpents du désespoir de la chevelure vipérine de Méduse qui chaque matin nous sert de miroir. Olivier agonise sur le sol, mais tel le phénix se relèvera et renaîtra à plusieurs reprises de ses flammes auto-combustatoires.
Apocalypse finale, débâcle, carnage, carambolage, Olivier lance les hostilités, prophétise notre futur injonctif, Crève hurle-t-il et la sarabande de la démence s'empare des esprits. Difficile d'en relater un compte-rendu objectif, les deux guitaristes sont dans la salle et Simon se lâche, lui qui avait été particulièrement brutal envers sa guitare durant tout le set, lui qui s'était lancé dans des vocaux astringents comme des tentacules de pieuvre ne se retient plus. Slide sur les cordes avec le cromi, obtient ainsi une espèce de vomi grésilique de crocodile des plus délicieusement alligatoriens. Et c'est fini. Tout s'arrête. Vous savez bien que cela finirait ainsi mais la pierre froide du tombeau s'est refermée sur vous et vous êtes définitivement seul. Tout le monde se regarde, l'on touche un peu son voisin pour savoir s'il est bien vivant. Malaise général. Comment se raccorder à la réalité après une telle effulgence. Une seule échappatoire, un rappel, retournent enfin sur scène, dégoulinants de sueur et d'eau dont ils se sont abondamment aspergés dans les coulisses pour éteindre le feu inextinguible du rock noise qui court encore dans leurs veines. Reviennent épuisés mais le sourire de la victoire aux lèvres. Olivier nous traite d'américains puisque l'on demande more à mort. Et ajoute qu'il est a lonely guy. Toutefois adulé rajouterons-nous. Un dernier Crash Test. Dantesque. Démentiel. Et nous les laissons partir.
Pogo Car Crash Control. Souvenez-vous de ce nom. Ce n'est pas seulement un bon groupe. Ces jeunes gens sont en train de construire une légende.

( Photo : Guendalina Flamini )


Damie Chad.


21 / 05 / 2017SAVIGNY-LE-TEMPLE
L'EMPREINTE


SCORES / SEVENTY SEVEN
THE NEW ROSES

Dimanche après-midi, L'Empreinte, Savigny-le-Temple, dix-huit heures, horaire un peu inaccoutumé pour un concert, mais à ne pas manquer, trois groupes, j'ignore tout des deux derniers, mais ce n'est pas pareil pour le premier, The Scores, un concert pas tout-à-fait comme les autres, le groupe a annoncé sa dissolution, deux ans et demi que nous les suivions sur KR'TNT !

SCORES


Sont là tous les quatre, Elie Biratelle à la basse, Léopold Leroy et Simon Biratelle aux guitares, Nicolas Marillot engoncé dans sa batterie, lancés dans une intro tonitruante lorsque de derrière les amplis où il s'était tapi surgit Benjamin Biot-André, s'empare du micro comme d'une hache d'abordage et entame autour de sa hampe une danse scalpique des plus sauvages, les Scores nous livrent le set définitif, seulement sept titres mais sans une once de graisse, sept épures magistrales, parfaites, l'essence d'un rock'n'roll qui flirte avec le hard sans jamais s'appesantir en des clichés par trop appuyés, trois guitares inspirées poussées grand vent par la frappe multiplicatrice de Nicolas, Good Night, Naughty Angel, Leave me Now nous tombent dessus, énergie à l'arrache au service d'une architecture mûrement maîtrisée, trois traînées d'or ruisselantes telle la semençale pluie de Zeus entre les cuisses de Danaé, et puis Ben prend la parole, explique que c'est le dernier set, à l'Empreinte, là où ils avaient débuté, évoque en mots simples ces cinq années d'amitié fraternelle et toutes ces rencontres que l'existence du groupe a générées, phrases émouvantes qui bénéficient de l'attentive compréhension du public qui pour une grande partie les découvre, et qui se demande le pourquoi de cette séparation, alors que le groupe fait preuve d'une cohésion exceptionnelle. L'on sent la salle touchée, mais Scores repart avec Forget About It – il est des moments de sincérité qui ne s'oublient pas, Take a New Turn – titre prophétique – mais le meilleur est à venir, une version de Born To Be Wild d'une justesse bouleversante, les Scores se sont appropriés le morceau, y ont imprimé leur marque, l'ont customisé à leur manière, en ont saisi le balancement particulier créé par cette ligne de basse et ces riffs de guitare qui ont l'air de se marcher dessus, Ben magistral au chant, pas de criaillerie, mais sa voix évoque le moutonnement infini de l'asphalte et ce désir fou de liberté et cette appétence pour le goût sauvage de la vie qui reste une des vertus cardinales du rock'n'roll, public subjugué, longs applaudissements, et puis le plus amer, Hammer of Life, le dernier morceau, la philosophie à coups de marteaux, ce besoin irrépressible proprement humain de casser les plus beaux jouets que l'on a soi-même fabriqués, la musique nous remplit et nous transporte, mais l'impression que plus personne n'écoute, l'assistance stupéfaite, silencieuse, chacun renfermé en soi-même à méditer sur la réalité des songes qui ne collent à vos doigts qu'un bien court moment et puis s'enfuient l'on ne sait pas trop pourquoi, le chef d'oeuvre s'achève, Ben nous remercie, des mots de braise et de feu, évoque la fin d'un cycle qui se termine sans haine et sans tension et d'un autre qui ne manquera pas de s'ouvrir, Scores est arrivé au bout de son sillon, l'oeuvre est accomplie, la boucle est en train de se refermer, et c'est tout, et les applaudissements éclatent, chaleureux, infinis, ils sont sortis depuis longtemps de scène que le crépitement des remerciements continue... Un instant de grâce et de gratitude. Le concert aurait pu s'arrêter là que rien n'aurait manqué, il est des moments d'une telle intensité qu'ils se suffisent à eux-mêmes, merci SCORES pour tout ce que vous avez accompli, et ce set de toute beauté qui sut accrocher un reflet d'éternité.

SEVENTY SEVEN


The show must go on... scène vide, retentit une musique western d'Ennio Morricone, l'on ira jusqu'à la fin du morceau avant que '77 n'investisse le plateau, trois grands gaillards devant – à croire qu'il faut passer sous la toise pour entrer dans le groupe - mais non le quatrième est d'un gabarit bien plus modeste, un freluquet quand on le compare à ses acolytes, Andy Cobo s'installe à la batterie. Etonnant. L'est comme ces boxeurs qui ne connaissent que deux parades, le crochet du droit et le crochet du gauche. Vous refile cent fois de suite le même plan, légèrement de profil, orienté selon sa caisse claire, idem pour le break, la même distribution à chaque fois. Mais, il y a un mais. Cela pourrait être monotone. Pas du tout, vous dégage un train d'enfer, une machine gun inépuisable, une pêche infernale, d'une efficacité exemplaire, un plaisir extraordinaire à le voir jouer, avec sa coupe de cheveux à la P. J. Proby, son allure de gamin, et sa manière de bomber le torse, de lever le poing et d'exhiber fièrement les muscles de ses bras après chaque folle exagération rythmique, il pousse le groupe d'une façon insensée. D'autant plus folle que les trois tueurs de devant n'ont pas besoin qu'on leur donne le mauvais exemple. Arnaud Valeta et LG Valeta sont aux guitares, pas de la valetaille de dernière zone, vieille Gretch écaillée pour Arnaud et Gibson guère en meilleur état pour LG, viennent de Barcelone, sont comme tout Espagnol qui se respecte donnent l'impression d'avoir toujours une paella sur le feu et un taureau à tuer. Un bicho trucidé chasse l'autre vitesse grand V. Vous envoient de ces estocades de riffs à vous transpercer le corps, de l'acier de Tolède trempé, flexible et imparable. A la basse Guillem Martinez ne s'en laisse pas compter. Vous coupe les oreilles et vous hache la queue cent coups férir. A eux trois ils vous tissent un rideau de fer hardique impénétrable, et avec Andy par derrière qui vous bat la sangria à l'agua ardente, vous avez intérêt à vous faire du souci. Ses congénères le laissent tout seul pour un petit ( en stylistique cela s'appelle de l'antiphrase ) solo, nous montre tout ce que l'on subodorait qu'il devait savoir faire, nous expose à loisir, son truc à lui pour dézinguer le zinc des zimballes, l'on dirait qu'il les crisse avec des griffes de chats, vous scratche la crash et vous ride la ride, un gamin instable qui ne peut s'empêcher de taper de-ci de-là, l'on ne sait pas pourquoi, les baguettes en vadrouille, la pédale qui tamponne la grosse caisse, arrêt-buffet, en profite pour gonfler le biscoto de son bras droit à la Popeye voulant impressionner Olive et brusquement c'est la fixette sur el cencerro, je vous sers le terme hispanique, en français ce serait cloche à vache, heureusement d'ailleurs que la bovidette n'est pas là, sinon elle vous prendrait une de ces dégelées à mériter l'urgente intervention de la SPA, bref la cowbell il vous la fait meugler à faire trembler les loups les plus féroces de peur dans les alpages, l'anarchie totale et une miraculeuse architecture, de quoi flanquer une jaunisse sidérante ( et une leçon d'harmonie transgressive ) à tous les timbaliers du London Symphonic Orchestra, en tout cas l'assistance applaudit à tout rompre, tandis que ses compagnons reviennent opérer une dernière razzia de guitares sans retard. Quittent la scène sous les acclamations. Seventy Seven, pure jouissance rock'n'roll.

THE NEW ROSES


Faudra quatre morceaux pour entrer dans les corolles carnivores des Nouvelles Roses. Après la tornade des Seventies, la tâche me paraissait quasi-impossible. Mais vont y réussir complètement. Efficacité allemande. Vitesse et confort. En douce, vous enveloppent l'air de rien, s'entendent comme des larrons en foire de Berlin, normal viennent d'outre-Rhin, vous enfonce dans la meilleure ouate astringente que vous trouverez sur le marché. Hardy est aux drums et Urban Berg à la basse, vous filent le chewing-gum de base, malléable à volonté et d'une élasticité à toute épreuve, refuse de se désintégrer, de se réduire à quelques filaments filandreux qui vous prennent les amygdales au lasso, une section rythmique de rêve sur laquelle vous pouvez tout vous permettre. Cela tombe bien car les deux ostrogoths restants profitent largement de l'aubaine, Norman Bites et sa Gibson en V, vous la manie comme vous un pique-date pour attraper les olives lors de l'apéritif, une dextérité, une habileté confondante, l'en fait ce qu'il veut et il lui demande le maximum, déjà de sonner juste durant qu'il joue, les esprits chagrins avanceront que c'est la moindre des choses, absolument d'accord mais Norman n'est pas homme à perdre le nord, profite du fait qu'il soit sur scène pour parfaire son parcours santé, déambule comme un dératé de long en large, exercices d'assouplissements divers, enchaînement de vertigineuses postures dignes de l'atha yoga, s'arque-boute le dos en arrière à s'en faire péter la moelle épinière, saute, bondit, s'enveloppe la tête de ses longs cheveux, un mélange détonnant de narcissisme et d'attention aux autres, immobilise ses doigts en plein milieu d'un solo pour que le photographe puisse réussir son cliché, surveille attentivement du coin de l'oeil les trois gaminos tout devant leur scène, leur sourit, leur serre la main, leur refile ses médiators, entre temps il joue, et plutôt mieux que bien, à peine touche-t-il ses cordes que cela s'entend, de la haute précision, vous envoie de ces riffs à l'indolence de panthère, à la royal tiger, tachetés à la léopard, l'est chamanisé, habité de l'aisance majestueuse des félins... Timon Rough est au centre, le grand sorcier c'est lui, guitare d'appoint et de pointe, accompagnement et notes qui vous transpercent et vous déchirent, mais au bout d'un moment vous n'y prenez plus garde, vous envoûte de sa voix, épine acérée et suavité des roses, légèrement éraillée, style expérience du baroudeur à qui on ne la fait pas qui a tout connu et tout vécu, la module savamment, l'en profite pour vous engranger dans ballades envoûtantes, les guitares pleurent et votre coeur saigne, vous hypnotise, vous emmène où il veut, commence tout doux mais très vite la machine s'emballe et ça prend une ampleur majestueuse, technicolor et coucher de soleil, le vent courbe les épis de blé, subitement la tempête déboule et déracine les arbres, et enfin un soleil mélancolique baigne le paysage, mais inutile de recourir au suicide il existe des remèdes à tout explique-t-il, une fille perdue et dix dives bouteilles de whisky retrouvées, ivresse joyeuse, et voici un boogie d'enfer qui vous déboule dessus pour vous entraîner dans une course folle... Reviendront pour un rappel de quatre morceaux, deux trip ballades à vous faire gémir sur les morts de Roncevaux et deux hard songs qu'ils ont dû mal à terminer, remettant à chaque fois que le moteur s'arrête de la gazoline dans le réservoir et c'est reparti pour un tour de piste à fond de train, sortent sous les acclamations du public dont une grosse partie est manifestement composé de fans avertis.

BEAUTIFUL FRIENDS


Les Scores sont dans le hall, possèdent et vibrent de l'indéfectible beauté de la vingtaine, viennent d'offrir et de partager le reliquat de leurs deux disques et de leurs t-shirts, sont maintenant maintenant réunis en cercle – ring of fire - restent soudés entre eux, même s'ils se séparent, chacun ira son chemin, encore incertain, mais mille pistes d'intensité inexplorées les attendent. Rock'n'roll can never die !


Damie Chad.


CONSEIL / CLIP
POGO CAR CRASH CONTROL

TEASER


Savent faire monter la sauce les Pogo d'abord un teaser pour annoncer la parution immédiate du Clip. Tête totémique de mort sanglante qui se décharne vitesse grand V jusqu'au squelette final en neuf secondes. Plus la mâchoire inférieure qui rigole. Bientôt un nouveau clip en lettres rouges s'inscrit sur l'écran. Grand guignol pré-néolithique. Esthétique sauvage écriront plus tard les ethnologues.

CONSEIL


Hall blancheur aseptisée d'hôpital. Psychiatrique. Inutile de préciser, vous vous en doutiez. Nouvelle méthode, thérapeutique douce, on laisse les pensionnaires vaquer à leurs occupations habituelles. Afin de ne pas provoquer le stress supplémentaire que ne manque pas d'induire une coupure par trop brutale avec les comportements existentiels antérieurs à l'enfermement. Me permettrai pas de condamner cette cure médicale d'un genre nouveau, me contenterai d'en juger sur pièce au vu des résultats. Que nous devons avouer déplorables.
Certes l'on a remplacé la bonne vieille camisole de force par un t-shirt d'un blanc immaculé et d'un futal noir ébène, et on leur a refilé leurs instruments. Les pauvres, par un réflexe pavlonien du pire effet se sont précipités dessus et se sont lancés dans une répétition, peut-être même se croient-ils en leur cerveau dévasté en plein concert. Le document que nous communique si aimablement le docteur Romain Perno est des plus intéressants. Réalisé avec un scanner des plus révolutionnaires. Le principe en est simple. Au lieu de vous refiler des coupes gélatineuses de synapses en pleine action, totalement incompréhensibles pour tout individu dépourvu d'un diplôme d'ingénierie scanique, la bécane traduit l'activité mentale des neurones en les donnant à lire comme ces réactions émotionnelles qui affectent votre visage lorsque vous recevez un courrier de votre percepteur vous réclamant cinq ans d'arriéré-d'impôts.
Terrible et effarant spectacle. La caméra se fige sur le visages de nos P3C, les images se bousculent et se coagulent, un cauchemar épileptique, les plans se succèdent et s'entremêlent, ruptures schizophréniques et fractures paranoïaques se chevauchent, rien de stable, tsunami de rictus démoniaques, éclats du miroir de l'âme fragmentée, brisée, éparpillée, tous atteints, irrémédiablement, accrochez-vous c'est la réalité du monde qui se fragmente, je n'ai jamais vu ça grommelle le docteur Perno, et j'ai bien peur que ce ne soit transmissible, une espèce de virus mental qui affecte ceux qui se trouveront pris dans les rayons de leurs yeux globuleux d'un bleu si pur, une catastrophe, je crains de rester dans la mémoire de l'humanité comme l'inventeur du bacille de Perno, le plus répugnant qui soit, vous rendez-vous compte cher Damie, encore quelques mois de recherche et j'aurai isolé le microbe de la folie. Une espèce de fibrome méningé dont la propagation se révèlera cent mille fois plus dangereux que le virus du sida. Je prévois une pandémie qui risque d'éradiquer l'espèce humaine de la planète.
Je me hâte de répondre : certes cher Doctor Perno, c'est parti pour un sale pastis mais il y a tout de même un bon côté à ce phénomène, ce qui est mauvais pour l'humanité est visiblement et auditivement très bon pour le rock'n'roll ! Evidemment rétorque-t-il, si vous le prenez ainsi, mais restons sérieux, je vous en conjure interdisez-vous de révéler à vos lecteurs l'existence de cette vidéo. Vous risquez de déclencher l'apocalypse cérébrale générale. Je me demande même si je ne devrais pas vous interner sur l'heure. Quatre armoires d'infirmiers s'approchent de moi matraque plombée en main, je hurle, ne me touchez pas bande de brutes, mais il est déjà trop tard... Effet rédhibitoire soupire tristement le Doctor Perno.


Damie Chad.

THE HOWLIN' JAWS

COMIN' HOME / I'M HOWLIN'

DJIVAN ABKARIAN : double basse – vocal / BAPTISTE LEON : Drums / LUCAS HUMBERT : guitar

Comin'Home : la voix devant comme jamais sur un enregistrement des Jaws, derrière big mama et la guitare de Lucas sonnent le tocsin, mauvais augure qui se concrétise très vite, Djivan plus pressant que jamais, la batterie de Baptiste qui s'effondre en une dégringolade de fin de monde, Lucas qui finit la catastrophe d'un solo au couteau de commando et Djivan qui vous jette le vitriol de son vocal à la figure, tout cela pour fêter son retour. Vous n'en espériez pas tant ! I'm howlin' : lycanthropie aigüe. Djivan vous susurre un hululement à la douceur d'autant plus inquiétante, et les deux autres loups-cerviers enfuis tout droit du poème d'Alfred de Vigny, vous mijotent un de ces accompagnements de brindille foulée dans le piétinement de pattes peu bruiteuses, le genre de menace insidieuse qui ne saurait durer, vous tombe tous les trois sur un paisible troupeaux de brebis que tour à tour, basse, guitare, batterie entreprennent d'égorger méthodiquement. Le sang frais leur refile une fièvre pulsative, et Djivan clame son contentement à tous les échos. Le désir de chair fraîche n'attend pas. Un morceau à écouter comme la face obscure du petit chaperon rouge.

Les Howlin' deviennent les serial killers du single. Troisième de la série. Les chasseurs de trésor sont sur les dents. Ces trois petits rectangles colorés risquent de devenir des pièces de collection extrêmement prisées par tous ceux qui ont la désagréable manie d'arriver après les batailles ou que leur maman auront éjectés de leurs ventres bien après le déroulement de l'aventure. Quand on pense à tous ces millions d'imbéciles qui n'étaient pas nés alors que l'on construisait les Pyramides ! Tout y est. Z'ont tout compris. Pochettes esthétiques et morceaux d'une imparable efficacité, développent un style et un son qui n'appartiennent qu'à eux. Un des groupes français actuels les plus essentiels. Alors qu'il y a plein de britanic guys qui ne font pas preuve d'autant de pertinence imaginative et refondatrice...


Damie Chad.

AUSTIN OSMAN SPARE
OEUVRES / Tome I

Trad : PHILIPPE PISSIER 

( Collection ANIMA / Mars 2017 )

Je vous chronique ce bouquin, je vous sauve la vie. Ne me remerciez pas, envoyez-moi plutôt un chèque. Prochain dîner en ville, coup de Trafalgar, vous vous retrouvez assis en face de Jimmy Page, vous vous sentez mal, que lui dire qu'il ne sache déjà ? Page ce n'est pas la petite voisine du troisième qui ouvre des yeux émerveillés lorsque vous lui montrez votre collection de pirates de Led Zeppe. Ce n'est pas à lui que question rock vous allez lui en remontrer. Il existe bien une sortie de secours. Mais elle est fermée à clef, barricadée de l'intérieur avec des blocs de béton de dix tonnes. Jardin secret de Monsieur Page. Depuis des années, les journaleux n'osent plus évoquer le sujet. Secret défense, à la moindre ombre d'un semblant de fausse allusion Page devient muet comme une tombe. Son visage se ferme, une ange aux ailes cassées passe... ( voir le logo de Swan Song Records ). Ce bouquin est le cheval de Troie qui va vous permettre de pénétrer dans la citadelle. Attention, une fois que vous serez dans la forteresse, faudra assurer, avec ce diable de Page, c'est le grand jeu qui commence. C'est que dans sa vie Page ne s'intéresse qu'à deux choses : la réédition des oeuvres complètes de Led Zeppelin, et Aleister Crowley. La Grande Bête de l'Apocalypse, the king of the road 666, voici votre angle d'attaque, plein feu sur le maître du Dirigeable, Austin Osman Spare est l'anti-Crowley par excellence. Maintenant que vous avez déclaré la guerre, je ne vous laisse pas tomber, vous fournis quelques biscuits, la discussion risque d'être animée.
Austin et Aleister se sont connus, de près. Se sont fâchés aussi. Spare ne pouvait supporter cette grande folle de Crowley. Trop de clinquant, trop de baratin, grotesque et irritant. Le cérémonial, les rituels alambiqués, les formules magicques secrètes révélées par une mystérieuse entité de l'outre-monde, Spare n'en avait rien à faire. Charlatanisme. Lui aussi pratiquait la Magie. Selon un autre mode.
Voici donc le premier volume de ses oeuvres. Vincent Capes et Philippe Pissier ont rajouté aux quatre livres écrits et dessiné par Spare, une introduction d'Alan Moore, et un essai de Julian Moguillansky, manière de vous éviter de perdre pied à la troisième page... Spare naquit en 1886, très tôt il se fait remarquer par ses dessins qui rivalisent avec ceux de Aubrey Beardsley. Une carrière d'artiste reconnu s'ouvre devant lui, mais peu à peu il s'en détournera et finira par y renoncer. Une tâche bien plus étrange l'accapare...
L'est de ces hommes qui cherchent au-delà du vernis de la réussite sociale à réaliser leur moi profond, afin d'en éprouver les modalités les plus opératives. Il ne s'agit pas de faire quelque chose ( de bien ou de mal ) de sa vie, le dernier imbécile venu y parvient sans difficulté, mais d'acquérir une intime compréhension de la réalité afin de pouvoir l'acter selon sa volonté.
Le lecteur ne sera pas sans penser au concept de volonté de puissance de Nietzsche, mais le travail d'un Spare est davantage redevable de la tradition ésotérique que de la philosophie occidentale proprement dite. D'où l'emploi d'un vocabulaire qui n'est pas spécifiquement défini. A la place de concepts il use de vocables utilisés en tant que points de fixation et de globalisation sémantique, le mot envisagé en sa puissance poétique imaginale, ce qui laisse évidemment libre-cours à maintes indéterminations.
Le vecteur de base sparien est le Moi. Rien à voir avec l'égo ou le cogito. Simplement mon appréhension du monde. Premier piège à éviter : ne pas penser que vous détenez la vérité. Si vous trouvez que le paysage est beau, n'oubliez pas que quelqu'un d'autre le trouvera laid. Pire, même si tout le monde se pâme, la possibilité qu'il soit empreint de laideur n'en demeure pas moins. Ni beau, ni laid. Ni-Ni exclut le nihilisme tout comme moins par moins induit la positivité mathématique. Ni-Ni signifie les deux à la fois, en le sens que toute présence objectale s'inscrit dans la dualité de sa non-existence. Deuxième piège à éviter : ne pas céder au doute. Choisissez. Assumez, en toute connaissance de cause. Remarquez en passant que la non-existence de Dieu n'est guère plus importante que l'absence causale aristotélicienne... Bizarrement nous sommes sur une route qui n'est pas sans parallèle avec la démarche kantienne !
Maintenant que vous avez réduit le champ des possibles de l'univers à la non-existence de sa possibilité impossible, il vous reste à agir dans cette espèce de zone de haute neutralité qu'est la réalité. Austin Osman Spare possède sa méthode : les sigils. Les sceaux. S'agit de se fabriquer un signe qui vous permette d'oeuvrer au sens quasi-alchimique de ce terme. Ne vous trompez pas, la réalité extérieure n'offre guère d'intérêt. Elle n'est qu'une interprétation infinie. Ma représentation selon Schopenhauer. L'autre versant de votre volonté élective. Les strates du monde sont à l'intérieur de vous. Freud appellera cela l'inconscient. Mais ne l'imaginez pas comme la poubelle de vos interdits et de vos peurs de laquelle vous ne pouvez de temps en temps vous empêcher de soulever le couvercle. Non, considérez plutôt le gouffre abject de vos immondices phantasmatiques en tant que matrice des temps perdus – qui sont donc aussi conservés – je vous laisse à vos explorations archéologiques. C'est ainsi dans ce mémoriel terreau temporel que l'induction magique de la subjectivité s'objectivise.
Les sceaux sont comme des symboles, des signes simplifiés à l'extrême que vous griffonnez à tâtons sur un morceau de papier dans le but de les mentaliser facilement. Les tenir toujours en représentation dans votre esprit durant votre vie quotidienne. Vous serviront au moment idoine, un peu à l'instar de ce couteau suisse que vous trimballez depuis deux ans dans votre poche mais qui à l'instant précis et critique se révèle l'outil idéal qui vous permet de vous tirer d'une situation difficile... Les quatre espèces de runes zodiacales qui ornent la pochette du Zeppelin IV ne seraient-ils pas des sceaux spariens ?... Profitez-en pour accuser Page de haute trahison. Autre piste de recherche : cette mode des monogrammes dans les milieux artistiques à la fin du dix-neuvième siècle desquels les doctes chercheurs universitaires ne se sont jamais enquis... Et pourtant que de réflexions à mener lorsque l'on considère l'analogie graphique de l'entrelacement serpentaire mallarméen avec la constellation finale du Coup de Dés...
Spare s'est aussi intéressé à la technique du dessin inconscient. Dessiner sans réfléchir, pour ensuite réfléchir à ce que vous avez dessiné. L'écriture automatique des surréalistes n'est pas loin, mais les buts poursuivis ne sont pas les mêmes. Le surréalisme c'est encore le Connais-toi toi-même de la sentence inscrite sur le fronton du temple de Delphes, Spare c'est la deuxième partie de la devise, celle qui établit la nature des Dieux... Le livre présente de nombreux dessins de ce type. Qui ne sont pas très esthétiques, du moins à mon goût, mais ce n'est pas la recherche de cette qualité qui a présidé à leur élaboration, à leur menstruation psychique. En ajout des travaux graphiques de l'artiste, notamment des projets d'Ex-Libris, ces petits rectangles de papier, autant marque d'appropriation hommagiale qu'exaltation hiéroglyphique de soi-même que les bibliophiles se faisaient un devoir de coller sur les pages de garde de leurs exemplaires, tradition qui s'est quelque peu perdue mais qui d'après moi survit étrangement dans ces flyers que les groupes de rock distribuent pour annoncer leurs concerts... Quand on aura rajouté que le sexe semble être pour Austin Osman Spare un moyen initiatique et destructeur des plus essentiels, le lecteur se retrouve en pays de connaissance. Notons que Spare emploie souvent le mot femme quand il veut signifier sexe... Soyez déductifs.
Les recherches de Spare sont relatives, pour ne pas dire absolument relatives – à l'obtention d'une vie de plaisir. Il ne s'agit pas de copuler à outrance. Mais c'est ici que nous voyons s'inscrire en filigrane une des faiblesses de la pensée ésotérique. Celle-ci est fortement marquée par la culture chrétienne qui a accompagné sa naissance et son déploiement. Bien entendu elle possède aussi ses racines païennes, mais elle s'est avant tout pour ce qui nous concerne développée en des siècles éminemment christianophiles. Si bien que Spare et Crowley nés et élevés dans l'Angleterre protestante ont érigé leurs oeuvres impénitentes à l'encontre du puritanisme anglo-saxon. Mais culturellement imprégnés d'un substrat biblique ils ont tenté de pervertir ce legs nauséabond de l'intérieur. Leur vision de la sexualité n'est pas libératoire telle que notre modernité la conçoit, ils effectuent un travail de sape en la présentant comme un retour aux temps édéniques. Perfection de la nudité éveillante d'Eve. Effraction des portes originelles. Au siècle précédent, Les Chants d'Innocence et d'Expérience de William Blake s'aventuraient déjà en de telles et semblables extrémités. Spare est vraisemblablement plus près de Blake que Crowley attiré par l'exemple communautaire de l'abbaye de Thélème. Le fait que Blake et Spare aient été avant tout des artistes – alors que Crowley s'inscrit par devers ses qualités intrinsèques d'homme de lettres et de poète dans le registre des grands communicants – explique la filiation en quelque sorte naturelle entre Spare et Blake qui illustrait ses propres textes.
Austin Osman Spare finit sa vie dans un relatif anonymat. Entouré de ses chats dans le Londres populaire. L'homme s'effaça de lui-même. En notre pays, son nom a disparu de la mémoire collective. Il n'en est pas de même en Angleterre où il ne fut jamais entièrement oublié et où son oeuvre graphique et sa trajectoire individuelle fascinent de nouvelles générations. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des générateurs de la Magie du Kaos... Pour les lecteurs sceptiques quant au sérieux des élucubrations de type sparien et crowleyen, emplis de doute cartésien, nous conseillerons de lire Vision de Yeats, ils ne trouveront pas meilleure introduction, issue du répertoire estampillé «  Littérature sérieuse, grand écrivain », à ce type de démarche intellectuelle des plus borderline. Si le Christ a marché sur l'eau pourquoi l'homme s'interdirait-il de s'aventurer au-dessus de l'abîme !
Les esprits curieux ne manqueront pas de se procurer ce premier volume, grand format, papier Bouffant, impression exemplaire, couverture d'un orange philosophal rehaussé d'une titulature d'un jaune aussi dorée qu'une aube, 290 pages, pour la modique somme de 23 euros. Pas cher. Mais le chiffre de l'Eris. Certains comprendront. Mais un lecteur averti en vaut deux.
En tout cas, Jimmy Page connaît tout cela.


Damie Chad.

P. S. : lire aussi notre chronique sur Magick d'Aleister Crowley in KR'TNT ! 162 du 07 / 11 / 2013. Vous y retrouverez en ses oeuvres les plus figuratives Philippe Pissier qui s'impose de plus en plus comme l'un des activistes ésotéristes les plus germinatifs de notre temps. Une figure essentielle à découvrir.

 

17/05/2017

KR'TNT ! ¤ 329 : JIM JONES & THE RIGHTEOUS MIND / THE INFERNAL / THAT'5 ALL / HOWLIN' JAWS / BIG BOSS MAN /THE GRYS-GRYS / WHO

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 329

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

18 / 05 / 2017

 

JIM JONES & THE RIGHTEOUS MIND /

THE INFERNAL / THAT'5 ALL / HOWLIN' JAWS

BIG BOSS MAN / LES GRYS-GRYS / WHO

MÊME TEXTE + PHOTOS SUR :http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Me and Mr Jones

Ce Mister Jones ne sort pas d’une chanson de Billy Paul mais du sérail londonien, certainement la meilleure école de rock au monde. Non seulement Jim Jones affiche un sacré pedigree, il semble en plus atteindre une sorte de maturité cabalistique, au sens du boogaloo du terme, bien entendu.
En réalité, cette forte impression de maturation émane d’une remise à plat du système Jim-Jonien. Après s’être livré à quelques stoogeries au temps des Hypnotics, il s’est ensuite amusé à ré-inventer la dynamique du blues-rock défenestrateur avec Black Moses. Puis il s’est cru autorisé à penser qu’il pouvait rivaliser avec Little Richard, ce qui fut bien sûr une grave erreur, car personne ne peut rivaliser avec Little Richard, surtout pas un petit cul blanc, aussi bien intentionné soit-il. C’est même une aberration que d’avoir cru ça possible. Alors, pour sortir de cette impasse et se débarrasser des oripeaux qui l’empêchaient de redevenir Jim Jones, il fallait refondre le bronze des statues. Enfin débarrassé de ce pianiste qui figeait la formule, Jim Jones put reprendre son élan. Exit the Jim Jones Revue.
Son nouveau groupe s’appelle The Righteous Mind. Ça doit bien faire la troisième fois qu’on les voit sur scène : un premier set gratuit à Beauvais, un deuxième à l’Abordage et un troisième au Petit Bain qui coïncide avec la parution d’un premier album très attendu, et même extrêmement attendu, car les deux sets pré-cités en firent baver plus d’un.
Le son du nouveau groupe n’a plus rien à voir avec celui de la Revue. Jim Jones met le paquet sur les ambiances et va sur des choses beaucoup plus sombres, mais diablement captivantes. S’il ne tombe pas dans le piège de la formule Nick Cave, c’est parce qu’il s’appelle Jim Jones et que ses racines stoogiennes remontent à la surface, notamment dans ce fabuleux «Alpha Shit» de fin de set qui n’est même pas sur le nouvel album. Jim Jones semble enfin être redevenu Jim Jones, c’est-à-dire un rocker londonien dont on attend des miracles, et dont la crédibilité repose sur sa réputation de cult-rocker londonien underground.
Si on veut vraiment pouvoir apprécier cet album qui s’intitule Super Natural, il est souhaitable d’aller voir le groupe sur scène auparavant. Jim Jones reste avant toute chose un fantastique performer, l’une de ces bêtes de scène qui maîtrisent l’art de chauffer une salle. C’est un régal que de le voir haranguer le public et mettre le feu aux poudres en claquant le beignet de ses accords. Dans les moments d’intensité maximaliste, le groupe entre dans une dynamique qui rappelle celle du MC5 : ils sont trois à circuler et à sauter, ils vont très vite, ils avancent et reculent à tour de rôle et créent les conditions d’un parfait chaos sonique. Jim Jones a cette manie de faire des petits bonds et de retomber sur ses deux pieds, comme s’il voulait encore enfoncer des clous. La scène tremble, car il saute avec force. Avec le temps, il n’a rien perdu de son énergie, il semble même affiner son profil de soul shaker. Il est tellement parfait qu’il semble en voie de starisation, mais qu’on se rassure, nous ne sommes pas encore à Bercy et le Petit Bain n’a pas fait le plein, loin de là. Au fond, Jim Jones n’intéresse pas grand monde.
Comme ce mec adore son public, il vient toujours papoter après le concert. Il sait qu’il est bon, mais il apprécie vraiment qu’on le lui redise. Son mot d’ordre est «Spread it, spread it !». Alors on spread. Jim Jones par ci, Jim Jones par là. Mais on le sait, les Français préfèrent la politique. Par contre, les gens de Vive le Rock préfèrent Jim Jones : fait rarissime dans la presse anglaise, Jim Jones décroche un 10 sur 10 pour son nouvel album. Rich Deakin multiplie les formules ronflantes qu’on adore, du genre «hi-octane brand of rock action», ou encore «high-energy punk rock blues outfit» pour évoquer le passé, et «mind-melting brain blasters» pour évoquer le présent. Oui, car quelques épisodes de ce nouvel album plongent des racines tentaculaires dans la légende des Hypnotics. Rich Deakin va même jusqu’à écrire que certains cuts pulvérisent l’auditeur, mais bon, il exagère un peu. Disons que le «Dream» d’ouverture du bal secoue bien la paillasse, car le pianiste Matt Milleship joue le riff de fuzz assis derrière son meuble et un beau geyser d’énergie jaillit sous nos yeux globuleux - Real pain takes/ The color out of everything - Voilà une pure merveille atmosphérique, Jim Jones chante comme un damné perdu dans les corridors glacés de sa folie. Sur scène, «Dream» se trouve en milieu de set, ce qui semble logique vu s’il s’agit d’un cut réellement intense. Il vaut mieux qu’il soit pris en tenaille entre des choses plus dociles.
Lorsqu’un album démarre ainsi, il y a deux façons de réagir : soit on s’éponge le front en se disait qu’on va encore en baver, comme avec tous les très gros albums, soit on se frotte les mains, car les très bons disques commencent à se raréfier. On tombe un peu plus loin sur un «Something’s Gonna Get It Hands» joué au Diddley beat et plongé dans l’épaisseur cauchemardesque d’une danse du scalp. Jim Jones y joue la pire des insistances avec I know I know et le cut bascule dans une ambiance délétère de type twilight zone. On n’avait pas revu une telle absence de mansuétude depuis les early Saints. Le climat continue de se détériorer avec un «No Fool» chargé de son comme une mule, et qui sonnerait presque comme un Chant des Partisans macabre, ou si vous préférez, le battement des tambours qui accompagne une montée du condamné à l’échafaud, sur une place du beffroi noire de monde. C’est d’une noirceur qui pourrait perturber. De là à penser que c’est fait exprès, c’est un pas qu’on franchit sans même réfléchir. Jim Jones cultive une sorte de gothique baroque et entre en osmose avec la pochette de l’album, qui est excessivement troublante : on a là un gros mélange de collages retravaillés, du Clovis Trouille sans humour, de l’hermétisme de pacotille à tendance sataniste et sournoisement érotique. Assise au premier plan, une courtisane nue capte bien le regard. Elle sort d’un jeu de tarot la carte de la mort et derrière elle, une sorte de Raymond Roussel au yeux bandés tient dans le creux de sa paume le feu sacré du vif-argent. C’est une œuvre qu’on examine avec le plus grand soin, car elle pullule de détails onirico-démonologiques dignes d’un Max Ernst, mais pas celui du mouvement surréaliste, non, disons plutôt un Max Ernst qui serait possédé par le diable. En réalité, l’auteur s’appelle Jean-Luc Navette, ce qui a le don de calmer les esprits.
Puisqu’on vient d’effleurer l’incantatoire, profitons-en pour écouter le «Boil Yer Blood» qui ouvre le bal des vampires de la B. Voilà un cut sombre dont les chœurs mâles résonnent sous les voûtes de pierre d’une salle de garde, alors que sous les fenêtres fument encore les corps des hérétiques brûlés vifs. Jim Jones passe à la riche complainte exacerbée avec «Heavy Lounge #1» - Kiss me my darling/ Oh yeah you take the pain - Jim Jones n’est plus que dark pain, yeux crevés et soleil transpercé. Rich Deakin trouve que le cut dégage un vieux relent Led-Zeepy d’«Immigant Song». Par contre, le hit de l’album pourrait bien être «Til It’s All Gone», chanté à l’épique grandiose et soutenu une fois de plus par une rumeur de chœurs mâles d’essence tribale. Jim Jones s’y arrache bien la glotte - Just gotta live it/ Live it/ Til it’s all done - un cut qu’ils jouent dans le début du set et qui sur scène passe comme un lettre à la poste. Il faut dire que Jim Jones est extrêmement bien entouré. Avec sa pedal steel guitar, Malcolm Troon enrichit considérablement les ambiances. Il joue une bonne moitié des cuts assis derrière son crin-crin, mais quand il se lève pour passer la bandoulière de sa Grestsh rouge, c’est uniquement pour en découdre et jouer au twin guitar attack avec Jim Jones. Leur numéro est tout simplement spectaculaire. Ils cultivent tous les deux un goût prononcé pour la furie. Il faut aussi saluer bien bas le bassman Gavin Jay, seul rescapé de la Revue. Il joue sur une belle Ricken et adore participer aux séances de folie collective. De la même manière que Jim Jones, il adore danser la Saint-Guy des catacombes.
En guise de conclusion, Rich Deakin prévient qu’on aura du mal à trouver quelque chose d’aussi parfait d’ici la fin de l’année - You’ll be hard pushed to find anything as perfect anywhere else all year - Il exagère peut-être encore un tout petit peu.

Signé : Cazengler, the Devious Mind

Jim Jones & the Righteous Mind. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 10 mai 2017
Jim Jones. Super Natural. Masonic Records 2017
Vive le Rock # 44. Chronique de l’album par Rich Deakin

13 / 05 / 2017 - HERMé
DIXIEME ANNIVERSAIRE
SIGVALD'S MC SEINE ET MARNE

THE INFERNAL / THAT'5 ALL

La teuf-teuf n'en mène pas large, sur la route d'Hermé elle voit le doute s'immiscer en elle, gros J7 couché sur le flanc en travers de la chaussée, et voiture à soixante mètre en plein champ au milieu d'une pluie de bouts de ferraille, retournée sur le toit, camion de pompier et voiture de police qui règle la circulation... Brrr ! Mais il en faut davantage pour faire peur à un rocker, c'est qu'aujourd'hui le Sigwald's Motor Club fête son anniversaire, le genre d'amicales festivités qu'il serait malséant d'oublier.
Une centaine de motocyclettes garées devant le local, une grande cour encombrée de stands et de tables, baraque à paella et camion pizza, les moto-club de l'Aube et de la Seine-et-Marne se sont donnés rendez-vous, 1% + 1%+ 1%+... ça commence à faire du monde... Beaucoup de figures connues, les Loners de Lagny-sur-Marne, délégation du 3 B de Troyes, mais aussi les Farfadets, les Templiers, Ghost's Road, Boyans Choppers, Metal Crew, les Wanahawks, les Hammers, tous chevaliers de l'asphalte...

THE INFERNAL


Trio rock'n'roll. Se sont formés dans leur jeunesse. Ne se sont plus revus durant quinze ans. Et puis lors d'une rencontre festive se sont retrouvés à interpréter Johnny Be Goode pour faire plaisir à l'assistance. N'auraient pas dû. La tarentule du rock'n'roll les a mordus une deuxième fois, se sont reformés just for fun. Et les voici sur scène dans la grande salle du local des Sigvald's. Beaucoup sont restés au soleil dehors à écluser des litres de bière, mais les passionnés de rock sont là, notamment Karine, la bassiste d'Hellefty qui ne participera pas à la fête ce soir. Dommage !
Ne se prennent pas la tête, ne touchent pas aux compos originales des temps perdus, prennent leur pied dans le répertoire des reprises de Foxy Lady, la renarde mordorée d'Hendrix, à l'autoroute goudronnée des mauvaises intentions de l'Enfer d'AC / DC. Tout de suite le son est là. Le gros, le méchant, le speedé, l'électrique à mort, le diable vous prend par la main et vous emmène cueillir les mandragores exaltées sur le sentier de la perdition. Leader maximo Gibson guitar et basse Fender, ça claque dur et ça cloque énorme comme de la lave de volcan en fusion, un régal de roi, que dis-je le dîner des quatre empereurs à Rome, les festins de Lucullus et les orgies de Sardanapale, le batteur réalise la synesthésie du son et de la couleur, fûts de cet ocre marron-orange du pelage du tigre rehaussé de petites touches de noir-panthère, une frappe qui donc allie grâce féline et jungle férocité, pas le temps de s'ennuyer avec Infernal, basse grave et voix légèrement haut-perchée, les riffs défilent et enfilent vos oreilles comme des frelons géants qui tournent sans fin dans votre cerveau. Vous ne pouvez pas savoir comment ça fait du bien d'avoir les neurones ensanglantées, z'avez l'impression qu'un pic-vert vous picore les méninges et vous gobe en un tour de bec les obsédantes grappes d'idées noires et bleues.
En plus, s'excusent presque de jouer pour leur plaisir – qui devient instantanément le nôtre - lorsqu'ils présentent les morceaux, vous transportent en un fragment temporel d'innocence et de pureté rock'n'roll comme les habitués des concerts en rencontrent peu. Infernal et paradisiaque.


THAT'5 ALL
( 1 )


Cinq sur scène. Nous préviennent d'entrée. Ne font que des covers. Mais tirent la couverture à eux. Font leur mix, ne proviennent pas du même lieu. Mais au lieu de se prendre la tête, mélangent toutes leur provenances dans la tambouille, rock'n'roll, hardcore, glam, métal, djent, mais attention feu violent sous la cocote minute. Surtout ne jamais l'ouvrir, attendre simplement qu'elle explose. Le problème c'est qu'elle explose très vite. Mais ce n'est jamais trop tôt parce les That'5 All détestent attendre.
Une mécanique huilée. Une stratégie mûrement réfléchie. Formation de base, un derrière, un devant, trois au milieu. Donc au fond Helder à la batterie. N'en concluez pas qu'il joue de la batterie. Non pas du tout, il joue à la batterie. Saisissez la nuance prépositive. Pas le genre d'hurluberlu primitif qui tape sur ses peaux comme le premier venu, ses baguettes n'ont pas encore effleuré la moindre caisse, qu'il se charge d'énergie, il l'aspire, elle descend dans son corps, et d'un seul coup il la projette hors de lui, la propulse, la crache sur ses toms et c'est le retour de l'hurricane qui balaie les sequoias devant lui comme des fétus de paille.
Heureusement. Parce que devant, il y a Olivier. Tout seul avec son micro. On devrait le lui supprimer. N'en a pas besoin. Le concassage drumique, l'a intérêt à ne pas faiblir un milliardième de seconde sans quoi on ne l'entendrait plus, c'est que l'Olivier il vous le surmonte avec une telle aisance que cela en devient indécent. Pensez à des radiations sonores qui s'enfuiraient de l'explosion de Tchernobyl, rien ne les arrêterait, eh bien maître Olivier il vous balance son vocal comme la bombe atomique sur Hiroshima. Avec une désinvolture révoltante. En plus il se permet de pogoter, de gigoter, de marcher dans tous les sens, de descendre dans le public, de lui tourner le dos, bref de n'en faire qu'à sa tête. Peut être essoufflé entre deux morceaux mais il vous ressort illico sa voix aussi épaisse qu'un porte-avions.
J'entends votre questionnement. Mais que font les trois autres, sagement alignés avec leur guitare comme des boîtes petits pois sur leur étagère ? Je reconnais qu'à première vue ils ont l'air de tirer au flanc, genre puisque les deux madurles de devant et de derrière se chargent du boulot, surtout ne les contrarions pas. Bandes d'ignorants ! Analpha très bêtes du rock'n'roll, ouvrez vos yeux et vos oreilles. Oui ils donnent l'impression de paisibles bergers mollement couchés dans l'herbe sicilienne d'un poème de Théocrite, mais non, reportez-vous à la fin de la République de Platon lorsqu'il entame la description des trois plus terribles divinités que la terre ait jamais engendrées, les Moires sans pitié qui tissent le fil de votre existence humaine.
Sont ainsi. Mais eux ils tressent le barbelé de quelque chose de bien plus importante que votre misérable biographie, c'est le filin du rock'n'roll qu'ils tissent. A droite voici Anthony, extrait de sa basse de longs filaments sans fin qui n'en finissent pas de se dérouler, des notes graves et profondes qu'il repasse à ses voisins, sans leur jeter un seul regard, derrière ses lunettes à la Buddy Holly, ses yeux se perdent en un long rêve d'attente frissonnante... Au centre, de sa guitare rythmique Christophe inflige scansions et étirements divers à cette longue longe qui s'entremêle entre ses cordes, c'est lui qui donne la vie, la couleur et les saccades nécessaires à l'épanouissement vif-argent des modulations outrancières, mais voici Silvio, souvent ses doigts restent immobiles, il guette le moment décisif où il devra trancher le riff, définitivement d'un coup sec, le renvoyer au néant tombal, se contente d'un frôlement, laisse perler une ou deux notes assassines, et se remet aux aguets, ou alors il se lance dans un solo dévastateur, des coups de hache qu'il assène violemment comme si le serpent musical ne voulait pas mourir et qu'il fallait l'achever de brusques tapes acérées, tranchantes comme un couperet de guillotine, prend soin tout de même que ce ne soit pas trop rapide, que l'on puisse entendre ses crissements de souffrance.
Dix titres. Avec l'excuse du morceau lent – ce sera So Far Away d' Avenged Sevenfold – avec la gradation attendue qui se termine par un ramdam de tous les diables car That'5 All ne sait pas rester calme, d'ailleurs après un Sex on Fire ( King of Leon ), un Nightrain ( Guns and Roses ) et the Trooper ( Iron Maiden ) ils promettent de revenir dans un quart d'heure avec un set un peu plus enlevé. On ne s'était pas aperçu que celui-ci avait été particulièrement tempéré.



INTERMEDE ( A )


Diable que se passe-t-il ? La salle se remplit de plus en plus. Etrange que des cohortes de bikers restés à discuter dans la cour s'en viennent squatter les premiers rangs alors que le set vient de se terminer. Ne voilà-t-il pas qu'ils entreprennent de vider la scène de tous ses micros et que les éléments de la batterie sont démontés et poussés au-dehors. Un virus anti-rock'n'roll aurait-il sévi ? D'autant plus que sur l'estrade l'on se hâte de disposer une chaise et d'y asseoir un jeune impétrant qui attend placidement la suite de l'aventure.
Mais la voici. Les ligues féministes peuvent se dispenser de la lecture des paragraphes suivants. Ce n'est un secret pour personne la culture biker touche quelque peu au domaine de l'affirmation virile. En voici donc une de ses représentations des plus phantasmatiques. Si vous êtes d'âme délicate qui n'aimez point que l'on vous souligne d'un gros trait rouge les éléments essentiels de la vie rabattez-vous sur la lecture de La Motocyclette d'André Piyere de Mandiargues, mais si vous tenez à assister au rituel sachez que la réalité est parfois aussi évanescente que les tendresses les plus platoniques.
Toute belle, toute en chair. Nue dans votre tête mais gainée de cuir en ce monde de regrets, Miss pin up s'avance vers vous. Non, elle n'est pas pour vous, la femme araignée se contentera de la victime offerte sur sa chaise. Provocation et frustration sont les deux mamelles de son art. Les siennes propres sont deux merveilleuses rondeurs, deux globes majestueux dignes des coupoles de Sainte-Sophie et du Panthéon romain. Les dévoilera d'abord au seul jeune homme comme un secret échangé entre eux deux, puis à nous tous, mais ce sera les deux uniques fragments de beauté qui seront révélés, pas pour très longtemps, s'enveloppera vite d'un drapeau italien avant de sortir de scène. Mais ce n'est pas tout, avant nous aurons eu droit à toute la mimétique de l'acte amoureux, les poses lascives et les ondulations suggestives, un croupion que l'on agite indécemment sous votre nez, mais tout est faux, tout est toc, se vautre sur le jeune homme, l'entoure du coussin d'air de la ventouse de sa chair, esquisse les gestes de la fellation, imite le soixante neuf, et puis se retire, nous prive de sa simulation... Ni érotique. Ni pornographique. L'art figuratif des esquisses perdues. Le viol du cygne qui n'a pas eu lieu. Inutile de tirer la langue elle n'atteindra jamais son sexe. Perfide et cruelle ambiguïté de ce qui se donne à voir sans s'offrir.

INTERMEDE ( B )


Retrouvons nos esprits. That'5 All s'attelle à la tâche de nous faire recoller au rock'n'roll. Rien de tel qu'un électro-choc pour vous remettre les idées en place. Mais ils n'iront pas plus loin que le quatrième morceau. Ordre leur est communiqué de d'arrêter les frais. Les Sigvald's nous ont offert un premier cadeau, rien de tel qu'une légère collation pour reprendre des forces après de telles émotions, et nous assistons au découpage de deux énormes gâteaux – anniversaire oblige - emplis de crème, de pâte d'amande et de pistache, la queue s'allonge ( inutile de voir en cette simple notule descriptive une allusion à l'intermède précédent ) assiette plastique en main chacun attend sa portion succulente. Certains tricheurs repasseront plusieurs fois. Je ne donnerai pas la liste de peur d'y apercevoir mon propre nom.

THAT'5 ALL ( 2 )


Reprenons notre récit à l'endroit exact où nous avons été par deux fois si tragiquement interrompus. Z'avaient ouvert le deuxième set avec Season in the Abyss de Slayer mais nous irons tout droit après l'interruption pâtissière à leur interprétation de Nothing Else Matters. Font merveille sur la structure métallique. Cet empilement prodigieux d'excroissances sonores qui ne s'achèvent que par la naissance d'une nouvelle architecture leur sied à merveille. Un feu qui ne s'éteint jamais, même si l'on voit chaque flamme grandir, se déployer comme un incendie géant et puis rétrécir et agoniser de sa belle mort qui s'en vient se perdre dans l'advenue d'une autre vague aussi violente que la précédente. That'5 All a compris la quintessence de Metallica qui refuse d'exposer chronologiquement la montée en puissance d'un riff et puis son anéantissement, le band écoule deux phases de deux cycles en même temps, l'une s'en vient mourir dans le moment même ou une nouvelle l'entraîne dans son déferlement, cette dualité qui propose et mort et naissance de deux riffs concomitants évite les dangers successifs du pompiérisme métallifère, un effet chasse l'autre mais ne le tue pas, l'emmène avec lui, en la course du morceau jamais de fin intermédiaire, jamais de véritable reprise, mais torride accumulation d'énergie, Helder parcourt ses toms en trombes, Sylvio se déchaîne – plus le temps de laisser Christophe se dépatouiller tout seul, tous deux tricotent de concert l'énorme vague qui nous submerge, Olivier est en verve, chante et commente, instaure le dialogue avec le public qui se réduit pour le troisième set qui n'en sera que plus fort car davantage porté par des passionnés. Un Sweet Child o' Mine aux fusils pétaradants saupoudrés d'épines de roses empoisonnées, un Antisocial démentiel et un killer medley de Metallica stratosphérique. N'en jetons plus. Mais comme nous en redemandons un chouïa de plus ils nous horrifient d'un reggae.... qui tourne vite à la purée hardique dynamytée.
C'est tout.
Mais amplement suffisant.

Ne reste plus qu'à remercier les Sigvald's pour l'organisation, l'ambiance et la chaleureuse simplicité de l'accueil. Un anniversaire dont on se souviendra.


Damie Chad.

15 – 05 – 2017 / LA MAROQUINERIE
VERTE EST LA NUIT
LOIRE VALLEY CALYPSOS
HOWLIN JAWS / BIG BOSS MAN
LES GRYS - GRYS

De bon matin je surfe sur internet, lorsque je reçois un message personnel de Dieu – ça m'arrive, pas tous les jours, quelquefois seulement – ventrebleu saint Grys Grys moi qui encore la veille me désespérais de n'avoir aucune nouvelle des Grys Grys, voici leur nom sur le coin du flyer, en plein Paris, et en plus les Howlin Jaws, décidément je suis gâté, et encore mieux, c'est gratuit si vous vous inscrivez, sur ce coup-là il faudra brûler une chandelle romaine de remerciement à Nique Ta Mére, pardon je voulais dire la Sainte Vierge, bref lundi soir, direction la Maroquinerie.

CHARTREUSE SANS PARME, CHARTREUSE SANS CHARME


L'entrée vous donne droit gratis à une chartreuse – infâme ramassis de plantes médicinales rehaussé de pulpe de citron - plus un orchestre d'ambiance pour aspirer en toute quiétude votre poison-maison.
Le groupe s'installe sur la scène à côté du bar, une petite foule quitte la cour ensoleillée pour les écouter. Banjo, contrebasse, percussion, guitare et chant. Dommage la sono nous offrait Bo Diddley et Muddy Waters, la relève risque d'être difficile... Se débrouillent bien en leur style, un peu plus rugueux que Julien Clerc et plus sérieux que Dario Moreno. C'est sympa, le public apprécie, mais moi le caca-lypso à haute dose je n'ai rien contre mais à partir du moment où l'on réduit à un demi-cachet tous les deux ans. Mais là, je m'en enquille quinze d'un sel coup. En plus ils promettent de revenir entre les groupes, mais comment se fait-il qu'il existe tant de cruauté en ce bas monde ? Non je ne suis pas sectaire, la preuve, je n'aime que le rock'n'roll. Ce n'est tout de même pas de ma faute si sciemment je participe à l'injustice de ce monde. En tout cas, je sais au moins que pour mes prochaines vacances j'éviterai la vallée de la Loire.
Direction les enfers. Suffit de descendre les escaliers pour pénétrer le cube bétonné de la salle de concert, look spartiate de mini arène de ciment, je m'aperçois que toute une flopée de jeunes gens préfèrent les tempêtes de sable du désert aux oasis ensoleillées.

HOWLIN' JAWS


Les Howlin' sont là. Bons doctors Feelgood qui nous administrent un rock'n'roll shoot comme on n'en fait plus. Sont beaux comme des anges tant qu'ils restent immobiles, trois secondes et demie. Avant de déclencher l'apocalypse. Les Jaws plus anglais que jamais, bye-bye le rockab des familles, ne gardent de cette vieille poudre si facilement inflammable que l'habitude des solos qui ne durent pas plus de quinze secondes, autant dire que leur set est un entremêlement incessant de mini soli qui sans merci se font et se défont la nique et la niaque, à vouloir toujours prendre la place de tête, une mécanique de hautes précisions, il ne s'agit pas de garder la pôle position du début à la fin, mais au contraire de laisser passer en tête de course l'un des deux autres co-pilotes en lui offrant l'ouverture salvatrice par un magnifique dérapage contrôlé qui vous permet de brouter l'herbe des bas-côtés et d'entendre les pneus crisser sur les gravillons.
Contrebasse en travelingue et vocal à la déglingue Djivan Abkarian, batterie aux aguets et frappe instinctive Baptiste Léon, guitare en feu et visage enfiévré Lucas Humbert, trois chats enfermés depuis huit jour dans une carton exigus, sautent en l'air comme des diables et se mettent en chasse de la souris rock'n'roll, l'on sent que la bestiole va passer un mauvais quart d'heure, l'a beau courir de toutes ses pattes dans tous les coins à la vitesse d'un guépard, l'est sûr qu'ils ne vont pas tarder à la rattraper et à vous la déchirer en confettis de chair sanglante.
Le combo avance par giclées spermatozoïdales. Des bouffées de sperme de cachalot qui vous brouillent les neurones. Sont tous les trois partout à la fois. Indispensables. Des matelots qui courent dans la cale pour boucher les quatre-vingts voies d'eau mortelles qui condamnent le navire à couler lamentablement. Mais non, réussissent sans faille à colmater cent failles. Une musique de l'urgence. Rien n'est gagné d'avance. Ne pas perdre une miette. Guitare à l'emporte-pièce, batterie bouchon de champagne, contrebasse kahotique, vitesse d'exécution maximale, pas de répit pour Baptiste, un break à servir brûlant quand l'autre n'est pas encore fini, une ponctuation de guitare qui déboule comme par surprise et Djivan au chant qui presse le débit nitroglycérinique.
Célia Formica bondit au milieu de notre torchère, vêtue de gaze verte comme la nuit ou la jument de Marcel Aymé, qui retombe très haut sur ses jambes à la Marie Quant, pompons de mousse à l'endroit des poupous, chevelure d'un fauve qui tire sur le mauve, se démène des quatre jambes, l'est bien belle et mignonnettes, réussit le prodige de s'agiter sans vous ennuyer – elle reviendra par intermittence dans tous les autres sets – mais j'ai beau mettre des moufles pour ne pas passer pour un mufle, franchement très vite on l'oublie, les Jaws sont trop beaux, trop péremptoires, trop pétris d'attitudes définitives pour perdre du temps à la regarder. Semble superfétatoire, la cerise sur le clafoutis qui en regorge, Lucas ses cheveux blonds, ses mimiques de terreur chaque fois qu'il tronçonne une cascade de trois riffs explosifs – ce qui lui arrive toutes les cinq secondes – son ballet endiablé, ne fait plus qu'un avec sa guitare, à croire qu'il s'est planté le jack dans un cathéter censé drainer une maligne tumeur de son cerveau ravagé par un électrochoc continu, le corps agité des mêmes soubresauts instinctifs des condamnés à la chaise électrique, vous fait des sauts de requins hors de son aquarium dans le but avoué de croquer une dizaine de spectateurs ahuris, dans la salle c'est l'exultation à chacun de ces décochements, de ces décrochements de flèches phoniques dont il transperce le coeur de l'auditoire, Baptiste un mélange d'efficacité et de flegme éhonté, les compos sont si serrées qu'au moindre retard, c'est le vide assuré, le blanc, le trou noir, le silence dans la bande-son, la pellicule qui se coupe au moment où l'assassin lève son couteau pour égorger la jeune vierge innocente, mais non, l'est comme ses joueurs d'échecs qui ont trente-trois coups d'avance sur leurs adversaires, le deux ex-machina qui dénoue l'imbroglio, qui rétablit par miracle la situation, Djivan ne se prélasse pas sur le divan des commodités, alimente sa big-mama comme s'il jetait des briquettes dans le foyer d'une locomotive à vapeur qui assurerait la liaison New-York Los Angeles, sans arrêt, tender inépuisable et tension en courant continu. Le rock est sur le rail, Baptiste se charge des aiguillages et Lucas des déraillements et des attaques des peaux-rouges lors de la traversée des territoires sacrés du rock'n'roll.
Ne regardez pas dans la salle. Cyclone force 10. Lorsque les Howlin' s'arrêtent, ils n'ont pas remporté la victoire. Une de plus. Ils ont simplement convaincu le public que le rock'n'roll n'était pas mort.

BIG BOSS MAN


Big Boss Man. Inconnu au bataillon. J'en avais déduit à partir du seul nom reedien que c'était un groupe de blues. Des doutes quand ils ont trimballé sur le devant de la scène un pachyderme aussi encombrant qu'un bahut Louis XIII, un vrai, un vénérable orgue Hammond, un vétéran des sixties, donc tout faux. Un colosse herculéen noir – répond à la trop courte appellation de Des qui ne préfigure en rien sa gigantesque stature – arrive à se caser entre le mur et sa batterie qui du coup ressemble à un jouet de gamin. N'a pas saisi une baguette que déjà l'on a compris que la frappe sera lourde, onctueuse et grasse à souhait – aux petits oignions verts. Bongolian Nass, drapé dans sa veste d'officier s'assied derrière le clavier. Wah Wah Trev accroche sa guitare et The Haw Scott se saisit de sa basse. C'est parti pour une heure de soul.
Buste droit, rejeté en arrière, en des des raidissements qui sont comme autant de clins d'oeil à Ray Charles martyrise son appareil, puissamment, n'effleure pas une touche, en écrase sept ou huit avec la vigueur d'une patte d'éléphant qui s'appesantit sur le dôme d'une fourmilière cannibale, vous beurre la tartine en y empilant trois tablettes dessus, sans même retirer l'emballage, mais ce n'est pas assez, lui reste un trop plein d'énergie, alors il se lève et s'en va taper sur de pauvres percussions qui ne lui ont rien fait mais qui doivent penser que leur dernière heure est en train de sonner. Le genre de close-combat qui enchante Des, l'en remet sept ou huit couches sur sa caisse claire plus une vingtaine de dégelées sur le reste de la quincaillerie, en plus parfois ils s'énervent tous les deux et jouent à qui azimutera le premier le Titanic du groove. Z'a côté, les guitareux ne mouftent pas, l'on aurait tendance à les oublier, mais ce ne sont pas des manchots du bulbe rachidien, comparés aux Big Man ils bossent par en-dessous, mais double bosse comme le chameau, vous envoient le coussin d'air qui permet à l'air-craft de voler sur les eaux. Sont des malins, sur le dernier morceau ils saupoudreront d'un peu de funk mais rien de ce répétitif ennuyeux qui monotonise trop de formations ces temps-ci. Juste la gousse d'ail qui embaume le gigot ou celle de vanille qui apporte une haleine sucrée aux gumbos les plus saturés d'épices. Seule, la soul vous saoule.
Ça ne les empêche pas de rajouter en douce un peu de rock, leur Big Boss Man ressemble à s'y méprendre à une version organisée de Louie Louie, quant à leur Party 7 – si j'ai bon souvenir – regarde d'un peu trop près le Land of Thousand Dances version Pickett des hannetons. En tout cas dans la salle, c'est la joie, ça ondule gentiment et les applaudissement crépitent comme des mitraillettes. Enthousiasme général.
J'apprécie, rien à reprocher, leur Everybody Boogaloo est aussi entraînant qu'une ronde de zombies et de mongoliens atteints de délirium tremens, mais de la musique de danse, avant tout entertainment. L'on se croirait dans un club dans un quartier noir aux USA en 1967, mais il manque l'atmosphère de révolte fervique qui accompagnait le rising sun des Black Panthers... Font un tabac. L'on se presse autour du stand de disques. Sont sympas, vous refilent un Ep en plus... Une partie du public se retire après leur passage. Etait venu pour eux. Un peu de rock'n'roll en hors d'oeuvre, l'on veut bien supporter, mais pour le plat de consistance qui suit, l'on préfère décrocher. Sage précaution car le temps des Grys Grys approche.

LES GRYS - GRYS


J'espère que vous avez activé l'interdiction parentale sur votre ordinateur, que cette chronique ne tombe jamais sous les yeux de vos enfants, sans quoi leur avenir est perdu. Définitivement. En quelques minutes, vous ne les reconnaîtrez plus, traîneront tard dans la nuit en des bars louches, des bouges insalubres, s'adonneront à des activités musicales et extra-musicales – les plus dangereuses – dont je préfère ne pas vos égrener la liste afin que vos cheveux ne blanchissent en une seule nuit. Car les Grys - Grys sont sur scène et vous n'y pouvez plus rien.
Dès le début, un truc vous turlupine, quel est le rôle exact du cinquième homme, exilé sur notre gauche, ses camarades lui ont laissé un micro, c'est tout. L'arbore le profil du gosse malheureux auquel ses parents n'achètent pas de jouets, s'amuse avec ce qu'il ramasse par ci par là, l'est à terre, en train de rafistoler des maracas plus ou moins démantibulées, votre coeur se serre, vous le plaignez secrètement. Attendez pour voir. Estéban est au centre, imposant derrière sa batterie, une gueule patibulaire de gardien de cimetière, quand il cloue un cercueil le macchabée a intérêt à se tenir coi, sans quoi se prend un coup direct sur la gueule, le genre de souveraine médicamentation qui vous calme. Ressemble un peu à Bonham ce qui pour un batteur est assez prometteur. Bassiste blond et cheveux bouclés. La même chevelure pour le guitariste, mais nuance corbeau. L'a la Rickenbacker qui frétille. Vous laisse échapper de ces pétarades d'impatience à provoquer des avalanches. Un teigneux, un insatiable, vous lui montrez un riff et il défonce les portes du toril, l'est comme le taureau qui a envie d'encorner quatre ou cinq toreros en apéritif. Un look un peu dégingandé à la Cyril Jordan, la gratte en embuscade, notre maître-chanteur squatte le micro tel un indolent vautour qui surveille une charogne. N'ont pas encore commencé que l'on sent que la situation devient grave. Sombre pressentiment. Pire que ce que l'on imagine. Même moi je serai surpris. De ma faute. Je m'extasie bêtement aux premières notes de Milko Poor Boy vieille huile de vidange de garage faisandé, je m'esbaudis joyeusement sur I'm Ready, je grimpe sur mon petit nuage estampillé pure rock'n'roll, cent pour cent R'n'B, je suis ailleurs, je plane dans le fracas des dieux, les Grys - Grys dégainent le tonnerre de Zeus, je suis tout ouïe, je vole dans la tempête, je chevauche les éclairs qui tuent, je suis heureux. Ne l'ai pas vu venir. C'est de ma faute, je le répète. Le plus pitoyable des stratèges ne manque pas de se méfier. Faut surveiller ses arrières et moi je ne zieute que le combo. Un choc violent, mes genoux qui heurtent le devant de la scène, je me retourne, totalement ahuri. N'y a pas que sur moi que les Grys - Grys provoquent un effet mammouth, mais alors que je suis emporté jusqu'au septième ciel, le reste du public est atteint d'une folie aigüe, crise de nerf généralisée, tout le monde s'agite dans tous les sens, ça crue, ça hurle, ça tonitrue, ça se remue, ça se transmue en tohu-bohu, une houle de foule humaine force douze, vous ne savez plus s'il vaut mieux regarder la salle ou la scène, de toutes les manières des deux côtés c'est la même féérie. Un grand escogriffe bondit sur la scène et se rejette dans la fosse en un magnifique salto arrière, l'est rattrapé par miracle, promené à bout de bras puis jeté au sol sans ménagement. J'ai le temps de reconnaître Djivan. L'a suscité des vocations, la scène devient un lieu d'auto-catapultage, on se croirait sur un porte-avions en plein milieu de la bataille de Midway, vol libre et atterrissage catastrophe, sur scène ce s'est guère mieux. Les Grys - Grys sont des pousse-au-crime vous déverse du kérosène sur l'incendie, Hot Wind, You Mistreat Me, Got Love, aucune envie de modérer la situation, en ce moment ne sont plus sur scène, les deux guitaristes traîne dans la salle, et l'autre le gamin, je le cherche sans le voir, trompe bien son monde, l'est juché sur les baffles, agite ses maracas rouges comme s'il venait de castrer un étalon, saute, revient vers le micro, se plante un harmonica dans la bouche comme s'il fumait un Davidoff Oro Blanco, souffle hors des trous tout en passant le manche de sa percu le long du clavier tout fier comme s'il était en train d'inventer la manière de jouer de l'harmo en slide, plus tard sera allongé et tapera frénétiquement sur le plancher un tambourin qui ne sait plus ce qui lui arrive. Nous non plus. La salle est devenue un ring de massage corporel généralisé, des masses humaines s'abattent sur vous venues d'ailleurs, vous télescopent avant de reprendre leur orbite désordonnée comme des comètes folles, un lit de mains tendues appellent le guitariste, le voici couché sur ces paumes ferventes qui le transportent tandis qu'il continue son solo, à croire qu'il se balance mollement dans un hamac entre deux palmiers, il pleut de la bière et le chanteur en profite pour nous verser des bouteilles d'eau sur la tête. C'est fini. Non, ils reprennent leurs instruments, ils en veulent encore, Q 65, Thor's Hammer, You Said, le bassiste a perdu une corde, et le public la raison. Des tueurs. Des sadiques. Incapables de s'arrêter. Folie pure. Une gig gigantesque, dantesque, rock'n'rollesque.

DRING ! DRING !


Le téléphone pleure.
- Allo, ici l'ALCBK, l'Amicale des Lecteurs Catholiques du Blog Kr'tnt !
- Super, le club cahotique, je ne savais pas qu'il existait ! Je vous félicite !
- Non ca-Tho-li–ques ! Nous venons voir si vous avez honoré votre promesse de cierge à Marie, notre Sainte Mère de Dieu.
Ah, bien non, au dernier moment je me suis ravisé, j'ai préféré douze grandes libations de Tennessee Jack aux douze Olympiens, et pour être sûr de n'avoir oublié personne par acquis de conscience j'en ai rajouté trois en l'honneur d'Alexandre le Grand, de Julien l'Apostat et du divin Néron.
- Damie, songez à votre âme de rocker pénitent, nous craignons que vous ne soyez perdu !
- Que la paix stérile du Seigneur continue à vous emberlificoter mes bonnes soeurs, n'ayez crainte le rock'n'roll m'a déjà pardonné ! »


Damie Chad.

THE WHO
LE GROUPE MOD
PHILIPPE MARGOTIN
( Editions de la Lagune )

Philippe Margotin nous raconte la saga des Who. Je n'ai pas dit la survie des Who, même pas cinq pages pour les vingt années – le bouquin date de 2007 - qui suivirent la mort de Keith Moon. Un livre qui vise à l'essentiel, bien fait, documenté, et qui se révèlera être pour un jeune lecteur qui n'aura pas connu la fabuleuse époque de la british explosion une parfaite introduction à l'un de ses groupes les plus symboliques. Les Who sont un scotch double à double-face. Sont comme ces rouleaux qui par n'importe quel bout que vous tentez de les prendre vous collent aux mains et dont il est impossible de se défaire. Tour à tour, et en même temps, citronnade vitriolée et orangeade sanguine. Ultra-rock et infra-intello. Brutal et intuitif. Des mousquetaires qui ne s'embarrassent guère d'une chaude camaraderie, chacun pour soi quand ils sont sur scène et tous contre les autres quand ils sont en studio. Ces rapports humains peuvent surprendre mais les Beatles de Hambourg et les Rolling Stones de toujours ont connu à des stades diversement avancés de semblables émulsions.

DU ROCK'N'ROLL AU RHYTHM'N'BLUES


Pete Townshend, John Entwistle et Roger Daltrey se rencontrent dans le même collège de Chiswick, nous cataloguerons les deux premiers parmi les grands timides, qui se soigne et fait des efforts pour Townshend, définitivement invétéré et introverti pour Entwistle, le troisième c'est déjà le premier trublion, la boule dans le jeu de quilles – en attendant que ne débarque ce chien fou de Keith Moon – Daltrey c'est le prolo égaré dans la toute petite bourgeoisie. Ses deux camarades n'ont pas grand chose de plus dans le porte-feuille des parents mais des idées par milliers fermentent dans leur caboche. La seule richesse de Daltrey est instinctive. Certains jouent en bourse, mais Daltrey saura toujours placer sa voix au bon endroit, dans les plus fines harmoniques comme dans les plus chaotiques chevauchées. L'est capable de tout, des plus grandes fureurs et des plus suaves douceurs. Un éventail versatile qui se prêtera à tous les vents contraires de ses compagnons. Même aux ouragans tumultueux de Keith.
C'est que nos quatre matelots ont du souci à se faire. Naviguent en mers inconnues. Ne sont pas les seuls. La jeunesse anglaise se cherche, en trois ans les évolutions vont brûler les étapes. L'apparition des Beatles indique le premier cap. Minimum rock'n'roll. Le rock ou rien d'autre. Parfait pour nos lascars. Viennent de là. Buddy Holly, Eddie Cochran, Gene Vincent, ils connaissent par coeur. Z'ont taquiné le jazz-trad, caressé le skiffle, joué du banjo, gratté des guitares shadowiennes, bref sont arrivés à cette conclusion que pour calmer leurs impatiences adolescentes le bon vieux rock'n'roll était le meilleur antidote à la sinistrose sociale. A part que les Beatles ils apportaient un son différent, plus rapide, plus enthousiasmant, ne faisaient pas de la copie conforme, osaient s'éloigner des maîtres. Un malheur n'arrive jamais seul, voici les Rolling Stones, jouent un blues plus noir que bleu. Ne se perdent pas en plaintives jérémiades, le blues ils l'ont survitaminé à l'aide d'écoutes forcenées de Muddy Waters de Chuck Berry, de Bo Diddley, ce n'est plus du blues, mais du rhythm'n'blues. Ils ont déniché le truc. Plus méchant que les Beatles. Mais il leur manque la formule. Les Who la trouveront, résolvent l'équation en deux mots magiques qu'ils inscriront sur leurs affiches : Maximum Rhythm'n'blues.
Faut être honnête le slogan n'est pas d'eux mais de leur command-staff, Kit Lambers et Chris Stamp, car Londres grouille de jeunes loups aux dents aussi longues que des sabres d'abordage, ceux qui ne savent pas tenir une guitare s'inventent des boulots d'hommes de l'ombre, avancent un peu de blé ou s'improvisent imprésarios, directeurs, tourneurs... C'est qu'en deux ans le ciel s'est dégagé, adieu aux rockers, bienvenue dans le monde des mods. Les jeunes gens de ces temps-là sont définitivement modernes, aiment la sape pas flashante mais qui vous différencie, roulent en scooter et écoutent du R'n'B !
Les Who seront mods ou ne seront pas. Pas d'alternative ! Ils le seront. Daltrey rocker dans l'âme râle, mais en silence, la fièvre des concerts, le succès qui pointe le bout de ses effluves, l'argent facile qui n'a pas d'odeur, sont de solides et trébuchant arguments...

MUSIQUE


Une véritable révolution culturelle agite Londres, l'Angleterre, gagne les rivages européens et met les pieds dans le plat la mythique Amérique, les Who en sont l'un des principaux fers de lance. Pour le moment ils ne se posent pas trop de question. Foncent dans le tas sans retenue. Concerts tous azimuts. Maximum flamboyance. Son énorme, micro tournoyant, guitare stridente, batterie écumante, basse grondante, moulinets de bras, sauts en hauteur, rituel de la guitare fracassée, les Who empochent à chaque fois la mise. D'autant plus que Townshend qui s'agite sur scène comme un diable échappé des souterrains infernaux réussit un coup de génie. Compose un morceau philosophique. Plus question de raconter comment vous prenez la main de votre petite copine, parle au nom de toute sa Generation, mal-être, colère, frustration, rajoutez la violence sonique d'un combo lancé à fond et vous obtenez l'élixir de venin de crotale en moins de trois minutes. Beaucoup plus virulent et moins ennuyeux qu'un bouquin de Kierkegaard...

L'EPISODE MEHER BABA


De quoi rester baba. Avec ou sans rhum. Meher ne se prenait pas pour la moitié d'un cageot de moules-frites avariées. S'était déclaré lui-même l'avatar de son époque. Même si cela vous semble une pitrerie ne confondez pas avec Achille Zavatta. L'avatar ce n'est ni plus ni même que dieu en personne qui s'en vient faire un petit tour sur notre terre. Grosso modo une fois tous les dix siècles. Pas très fatigant comme boulot. Surtout qu'il ne se donnait même pas la peine de parler. Communiquait avec l'aide de l'alphabet ou par signes. Message brumeux. Abstenez-vous de faire de mauvaises actions qui retarderaient le moment où votre âme rejoindra le grand tout divin. L'a tout de même réalisé un miracle : l'a réussi à regrouper autour de lui des centaines de disciples en Inde, aux Etats-Unis où il voyagea par deux fois, et un peu partout dans le monde... L'était né en 1894 et se rendit célèbre auprès de la jeunesse hippie d'obédience orientalisante en 1967 en la mettant en garde contre les drogues. Non le LSD n'était pas un starway to heaven vers le nirvana ! Comme toujours les prescriptions divines furent mal interprétées, la jeunesse occidentale reconnut la sage sainteté de Baba mais continua allègrement à gober ses pastilles valda multicolores sans défaillir. Faut dire que si son message avait été reçu cinq sur cinq c'est qu'il était dans l'air du temps, l'on connaît les déboires des Beatles partis en colonie de vacances auprès du Maharishi Mahesh Yogi qui se termina abruptement le jour où le saint homme entreprit de pénétrer de force dans le temple vulvaire de Mia Farrow. Cela ne se fait pas certes, toutefois cette tentative effractive reste la preuve indubitable que des années de méditation transcendantale avait permis au saint homme pétri d'une infinie sagesse d'accéder aux portes édéniques de la beauté souveraine.
A notre connaissance Meher Baba ne devait pas être aussi avancé sur les chemins de la beauté divine puisque l'on ne relate aucune tentative tantrique de ce type dans les deux années qui suivirent et au bout desquelles il regagna - aidés par les séquelles de deux anciens accidents de voiture - ses pénates, en mourant stupidement, comme tout un chacun. Quoique ses biographes ne s'étendent guère sur ce stage d'initiation ( d'union yogique avec le divin ) réservé aux femmes occidentale dans les années trente durant lequel il organisa une tournée en autocar, dénommé le Blue Bus Tour qui nous semble prémonitoire du Magic Bus des Who... Quoi qu'il en soit Pete Townshend n'a jamais remis en question l'influence bénéfique de la vision - qu'il faut bien qualifier d'intermittente – de cette paix de l'âme qui lui aurait été dévoilée lors d'un entretien avec le dernier messie en date...

EXPLOSION MENTALE


L' épisode Baba survenu en 1967 n'est pas dû au hasard. Tout est allé trop vite. En deux ans nos jeunes gens sont devenus des stars. L'argent, les filles, l'alcool, les excitants divers et les émollients variés coulent à flots, la fatigue des concerts, les tournées en Amérique, tout cela vous rétame un individu en cinq sept. Vous êtes happés dans un tourbillon, au début vous prenez votre pied, à la fin cela devient harassant, et pire que tout cette impression de ne plus avoir de temps à vous, de ne plus rien contrôler, de ne plus avoir le loisir de vous poser dans un coin et de faire le point, dans votre tête...
D'abord autour de vous dans votre musique. Les Who c'est en même temps maximum de sauvagerie – sur scène n'en parlons pas, c'est carrément les hordes d'Attila – et dans le même panier-repas maximum mélodique. Prenez des morceaux comme Picture of Lily, Anyway, Anyhow, Anywhere..., I Can See For Miles, certes ça défile vite, ça pulse fort, mais selon une ligne mélodique qui doit bien vouloir signifier autre chose... Maintenant Townshend se livre à une introspection généralisée, certes ses paroles décrivent bien attitudes et perversions individuelles induites par l'état de la société, mais n'y aurait-il pas là-dessous l'expression d'un drame personnel et encore plus, n'hésitons pas à employer les grands mots, d'une réalité quasi-métaphysique de la condition humaine ?
Jusqu'à lors les Who n'ont fait que s'amuser comme des gamins excités d'attraper toutes les conneries qui s'offraient à eux, peut-être serait-il temps de passer à quelque chose de plus sérieux. Le rock ne mérite-t-il pas mieux que quelques bijoux pop et toc ? De la pacotille quand il compare ces premières pépites au rêve grandiose de l'oeuvre magistrale dont il rêve.

OPERA ROCK


De toutes ces intenses cogitations sortiront Tommy. N'ai pas osé le retirer de mes cartons pour le réécouter avant d'écrire cette chronique. La peur d'être déçu. De ne pouvoir me remettre dans la peau de mes dix-huit ans lorsque j'ai entendu à la radio les Who l'interpréter en Live en Angleterre, sacré moment. La frousse de n'y trouver qu'une énorme boursoufflure des plus regrettables. En tout cas à l'époque ce fut un choc, les Who s'imposaient comme novateurs. Donnaient ses lettres de noblesse au rock'n'roll, l'inscrivaient parmi les arts majeurs. Et pour qu'il n'y ait point de réclamation au guichet sortait l'année suivante, le Live at Leeds – la version CD vous double le concert – ce n'est pas un enregistrement public parmi tant d'autres mais un magistral coup de cravache sur la croupe du rock'n'roll pur-sang, un déluge métallique qui portait en lui les germinations futures du hard rock.
N'empêche que Tommy n'est guère joyeux. Autisme, perversions sexuelles, solitudes, sont ses thématiques principales, un disque noir, à l'opposé du rêve lysergique californien, une errance éperdue dans une continuelle remontée des traumatismes incapacitants de l'enfance, l'affirmation de l'engluement de l'esprit en soi-même, pire que le no future à venir des punks, Tommy c'est le présent impossible.

THE LAST BUT NOT THE LEAST


Townshend sera la première victime de sa créature. Docteur Pete a créé son Frankenstein, ne le tuera point, fera comme l'ours qui ne touche pas aux abeilles mais qui se délecte des rayons du miel. Le monstre lui sucera les neurones de son génie créateur. Au début il parviendra à cacher sa stérilité indécisive. L'a encore de beaux restes. Sur Who's Next il possède quelques ingrédients de choc dans son sac secret, lui qui depuis quelques temps bricole de petites trouvailles musicales sur ses ordinateurs se déchaîne durant l'enregistrement. Fignole le son, fait entendre des masses de pianotements subsidiaires qui apparaissent comme totalement nouveaux et téméraires. Et comme chacun de ses acolytes donne le meilleur de lui-même l'album est considéré comme un chef d'oeuvre.
Il aimerait créer un autre Tommy, mais le projet mirifique, Lifehouse, auquel il consacre des mois et des mois de travail, par trop ambitieux, n'aboutira point, toutefois notre creator-man sera sauvé par ses fondamentaux existentiels, Quadrophenia sera le résultat de ce retour vers les années fastueuses de sa jeunesse mod, le double album se présente comme l'épopée électrique d'un jeune mod passant par tous les rituels qui permettent d'accéder au stade - non pas adulte ce qui équivaudrait à un reniement anal régressif – mais de l'affirmation de soi... Ce sera le dernier coup d'éclat des Who...

THE LEAST


Me souviens des copains fans des Who qui essayaient de défendre leur groupe favori en jetant des coups d'oeil réprobateurs sur Odds and Sods et By Numbers, certes il y a du bon disaient-ils en hochant la tête, la défense manquait de conviction, pour Who Are You, la conversation abordait d'autres sujets...
C'est Keith Moon qui un soir de septembre 1978 mit fin le point final à l'anabase. Encore plus fort et plus idiot que les chiottes qu'il prenait plaisir à dynamiter dans les hôtels. Ne s'est pas réveillé. Ne trouvant pas le sommeil, il avait dépassé la dose sédative prescrite... L'erreur fatale est humaine. Keith le plus facétieux réussit ainsi à fracturer à son insu l'issue de secours, celle qui vous permet de ne pas vieillir et de rester éternellement jeune. Cette porte dérobée au pied de laquelle laquelle Pete Townshend l'intello éternel gratte depuis un demi-siècle en douce, comme ces chats méditatifs qui sur le seuil pluvieux hésitent, et finissent par renoncer à quitter la maison de peur de se mouiller les pattes.

Une triste histoire quand on y songe, mais la splendeur des débuts vous oblige à en réécouter les échos les plus fougueux.


Damie Chad.