10/05/2017
KR'TNT ! ¤ 328 : JERRY RAGOVOY / HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE /HEADCHARGER / FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE / NAKHT / CLAUDE BOLLING
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 328
A ROCKLIT PRODUCTION
11 / 05 / 2017
JERRY RAGOVOY HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE / HEACHARGER / FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE / NAKHT CLAUDE BOLLING |
TEXTE + PHOTOS SUR :
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Les ragots de Ragovoy
Les ragots de Jerry Ragovoy valent leur pesant d’or. Dans son numéro d’avril, Record Collector publie une interview inédite de ce géant du Brill qui eut la chance de travailler avec Bert Berns, en tant que co-auteur et co-producteur. Voilà bien ce qu’il faut appeler un duo de choc. Oui, car avec Jerry et Bert, nous nous trouvons au cœur du mythe de la grande pop américaine, ou pour être plus précis, aux racines du cœur de mythe. Comme le rappelle Al Kooper, Jerry and Bert were known as white kings of soul music. Oui, les rois blancs de la Soul music, ni plus ni moins.
Le premier hit qu’ils composent ensemble est le fameux «Cry Baby» popularisé par Garnet Mimms & the Enchanters, un quatuor black new-yorkais. Mais Garnet chante d’une voix trop puissante. On sent en lui le vétéran des gospels choirs, il explore les cimes et redescend avec un timbre terreux de boogaloo qui frise le Howlin’ Wolf. Malgré toute la puissance de ce hit obscur, ça ne pouvait pas marcher. Apparemment, Jerry misait lourd sur Garnet car il enregistra d’autres obscurités frénétiques, comme cet «As Long As I Love You» qu’on trouve sur la belle compile qu’Ace consacre à Jerry. Garnet chante à la poigne de fer, il sort du pur jus de r’n’b new-yorkais des early sixties, on sent une incroyable présence et on se pose la question habituelle : pourquoi diable est-il tombé dans l’oubli ? Son «Thinkin’» relève du pur jus de raw r’n’b, celui que nous affectionnons particulièrement.
Bert avait un sens «commercial» beaucoup plus développé que celui de Jerry. Il savait flairer les très gros coups. Il signa Erma, la grande sœur d’Aretha, sur son label Shout et co-écrivit le fameux «Piece Of My Heart» avec Jerry. Ce fut le smash que l’on sait, popularisé plus tard par Janis Joplin, comme chacun sait. Il est important de préciser ici que Janis raffolait des chansons de Jerry. Après «Piece Of My Heart» (qu’on trouve sur Cheap Thrills), elle tapa dans «Try (Just A Little Bit Harder)» pour Kosmic Blues. Jerry fut tellement touché par ces brûlants hommages qu’il composa «I’m Gonna Rock My Way To Heaven» pour elle, mais la pauvre Janis cassa sa pipe avant de pouvoir l’enregistrer. On trouve trois autres hits de Jerry sur Pearl, l’album posthume de Janis : «Cry Baby», «My Baby» et le Tatien «Get It While You Can». C’est dire si Janis avait bon goût !
Quand Dan Nooger qui mène l’interview demande à Jerry si Bert n’était pas un peu trop directif en studio, Jerry rigole. Bien sûr que si ! Phil Spector, Shadow Morton, Leiber & Stoller, c’est-à-dire tous le grands producteurs de l’époque, étaient des gens intraitables. Ils donnaient des indications très précises aux interprètes, ils voulaient que les chansons qu’ils avaient composées soient chantées d’une façon extrêmement précise. Ils répétaient énormément avant d’enregistrer. L’interprète n’avait qu’une seule marge de manœuvre, son feeling.
Howard Tate était aussi l’un des chouchous de Jerry. Ancien collègue de Garnet Mimms dans les Belairs, Howard adorait travailler avec Jerry - We were too good a team - C’est vrai, mais Jerry rappelle aussi qu’Howard était un homme perturbé - a troubled person - Et quand Howard refit surface en 2003 après vingt-sept ans d’absence, qui fut son producteur ? Mais Jerry, bien sûr. Il faut situer le team Ragovoy/Tate au même niveau que le team Bacharach/Warwick, ou encore Berns/Franklin. Voilà ce que les habitués du PMU de la rue Saint-Hilaire appellent des doublets gagnants. Jerry rappelle que l’album Get It While You Can est devenu culte. Il faut entendre l’archange Tate swinguer «You’re Looking Good» d’une voix délicate et partir en piqué vrillé. Tate tâte bien le terrain et des trompettes arrosent ses chutes grandioses. Par contre, il oublie toute forme de sophistication pour chanter «Get It While You Can». Jerry rappelle aussi que tous ces hits étaient enregistrés live, avec l’orchestre au grand complet - no overdubs.
Et puis il rend hommage à Lorraine Ellison, qui figure parmi les plus brillantes Soul Sisters d’Amérique. En Europe, on connaît «Stay With Me» grâce à Sharon Tandy, mais la version originale vaut son pesant d’or. Lorraine cœur d’acier percute son hit du petit doigt et l’envoie valdinguer au noooow d’exaction maximaliste. Elle grimpe son can’t believe si haut qu’on le perd de vue. Cette folle atteint les zones érogènes d’un feeling atrocement pur - Remember ! Remember ! - Elle ouh-ouhte sa spectaculaire percée stratosphérique. L’histoire de cette session est assez marrante : un jour, le patron de Warner appelle Jerry et lui demande s’il connaît quelqu’un qui saurait chanter avec un orchestre. Quel orchestre ? Le boss lui explique qu’il a sur les bras un orchestre de 46 personnes payé pour une session de trois jours que vient d’annuler Frank Sinatra. Jerry saute sur l’occasion et dit qu’il connaît quelqu’un. Ça se passe un lundi, et la session débute le mercredi soir. Il contacte Lorraine aussitôt, lui compose un hit vite fait, écrit les arrangements pour les 46 musiciens, deux nuits sans sommeil, et pouf ! C’est «Stay With Me» ! Lorraine chante en direct avec tout l’orchestre ! La version qu’on entend sur le disque est la version stéréo de l’époque, enregistrée en une seule prise, même pas mixée - I didn’t even have to mix - Jerry rend hommage à Phil Ramone, l’ingénieur du son qui enregistra ce monster hit sur un huit pistes. Magie pure de la Soul. Mais il y eut à la suite un léger problème, car de la même manière qu’Aretha, Lorraine refusait de monter dans un avion, pas question de quitter Philadelphie, ce qui coula sa carrière et fâcha Jerry qui voulait faire de la promo. À l’époque, c’était la règle. Pour promouvoir un hit, il fallait tourner.
L’un des hits les plus célèbres de Jerry est certainement «Time Is On My Side», popularisé par Irma Thomas, puis les Stones. Jerry l’enregistra en 1963 avec un tromboniste de jazz danois nommé Kai Winding, soutenu par un trio de backing girls de choc : Cissy Houston, Dionne Warwick et sa frangine Dee Dee. Il faut entendre cette énorme version jouée aux trompettes de la renommée et chauffée à blanc par les clameurs des filles devenues folles. Pure démence de la partance ! Irma reprit le hit à Hollywood en 1964 et les Stones un peu plus tard la même année. Tiens justement, puisqu’on parle d’Irma : après le succès de «Time Is On My Side», elle voulut absolument enregistrer une session avec Jerry et vint à New York pour enregistrer quatre titres dont «The Hurt’s All Gone» qu’on trouve sur la compile Ace et qui n’est pas si bon, car elle tente de passer en force. Dommage. Jerry tenta aussi de faire décoller Estelle Brown, l’un des choristes new-yorkaises les plus demandées avec les trois pré-citées et d’autres encore comme Doris Troy et Myrna Smith. Mais son «You Just Get What You Asked For» à la fois captivant, si maladroit et sur-produit refuse de décoller. Estelle voit une girl dans un looking glass who is crying - And this girl is me - On retrouvera Estelle dans les mighty Sweet Inspirations avec Cissy Houston, Sylvia Shemwell et Myrna Smith.
L’une des grandes révélations de la compile Ace, c’est Pat Thomas qui chante «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face». C’est emmené d’une voix mûre d’Africana à la revoyure, sur fond de groove magique. Jerry crée pour Pat les conditions de l’excellence. Le cut est si bon que Dionne Warwick le reprendra dix ans plus tard sur son album Then Came You, dont la pochette s’orne de son portrait peint. Jerry produisit cet album en 1975, mais il avoue pleurer chaque fois qu’il le réécoute, car il le dit over-orchestrated. Il dit même avoir voulu péter plus haut que son cul - je me prenais pour Burt Bacharach qui, ajoute-t-il, ne sur-produit jamais. Jerry pense que c’est son plus grave échec et confie dans la foulée qu’il aimerait bien pouvoir s’excuser auprès de Dionne. Et pourtant quand on écoute «Move Me No Mountain», on frémit, car Dionne explose ce groove digne de nos rêves les plus humides. C’est atrocement bon. Bizarrement, Then Came You compte parmi les meilleurs albums de Dionne. Jerry pêche sûrement par excès de modestie.
On retrouve aussi le fameux «Good Lovin’» des Olympics sur cette belle compile Ace, un hit sixties qui sera popularisé un peu plus tard par les Young Rascals. C’est un pur hit de juke, irréprochable et idéal pour jerker au coin du chrome. L’autre hit universaliste que composa Jerry fut bien sûr «Pata Pata» pour Miriam Makeba. Quand Jerry la reçoit dans son bureau, Miriam lui dit : «What I wanna do Jerry is American ballads !». Wow ! Jerry s’enthousiasme immédiatement. Facile, des American ballads, il en a plein ses tiroirs. Mais comme il est très pro et qu’il ne la connaît pas, il va la voir chanter dans un club et paf, il tombe carrément de sa chaise ! Eh oui, il découvre une reine africaine, un univers musical qui lui est inconnu et qui le fascine. Alors, il laisse tomber les American ballads et demande à Miriam de revenir dans son bureau et de lui chanter des chansons africaines. Miriam est ravie de ce revirement. Elle chante a capella et Jerry l’enregistre. Il écoute la cassette chez lui et Jerry flashe comme un dingue sur «Pata Pata». Il demande à Miriam de l’aider à transcrire le texte en Anglais. «Pata Pata» devient le hit que l’on sait. Miriam chante comme une géante et ne la ramène pas. C’est toute la différence avec Stong. On monte encore d’un cran avec Dusty chérie. Comme Irma, Dusty chérie voulait absolument travailler avec Jerry car il bénéficiait d’une aura de rêve - A r’n’b icon - Pour elle, Jerry co-écrit «What’s It Gonna Be» avec Morty Shuman. Dusty est une bonne, elle ramène là-dedans tout le foncier d’Angleterre et tout le chien de sa chienne - I can’t face it - Encore un pur hit de juke, Jack.
Carl Hall est l’autre grande révélation de cette compile. Jerry n’enregistra que quatre singles avec Carl dont l’effarant «What About You». C’est lui la véritable star du Jerry Sound System. Jerry lui fournit le background orchestral de la légende. Carl combine le meilleur groove du monde avec le scream impénitent - What about you mister - Il chante à l’énergétique pur et dur. Tiens, encore un fabuleux coup de Jarnac avec «You Don’t Know Nothing About Love», un softah sirupeux qu’il traite à l’égosillée purulente, il s’y monte impitoyable - One day my friend it’s gonna be your turn - et il développe une fascinante ambiance perfide. Selon, Jerry, Carl Hall est un géant - One of the most mind-blowing vocalists who ever lived - un artiste capable de chanter du gospel, de la Soul et du Broadway, et qu’on retrouve dans les chœurs derrière Bonnie Raitt sur l’album Streetlights.
Jerry monta son label Rags Records pour promouvoir les disques de Lou Courtney, un mec qu’il aimait bien - I think Lou Courney was a great talent - En effet, quand on écoute «What Do You Want Me To Do», on entend un séducteur croasser dans son micro. Cette fois, Jerry va sur un son plus funky, mais ça reste extrêmement produit. Il connaît bien ses artistes. Il les produit avec les mains d’un cordonnier, comme dirait Léo. Jerry veille aussi sur le destin de Major Harris, un vétéran de la Soul qui fit partie des Delfonics. Avec «Pretty Red Lips», ce bon Major nous croone un groove d’une classe infiniment supérieure, c’est indubitable, et la question de savoir si ce groover est humain ne se pose même pas, puisqu’il groove comme un dieu de l’Olympe. D’où cette réputation non usurpée de divin groover.
Signé : Cazengler, Jerry rat d’égout
Roll With The Punches. Interview Jerry Ragovoy par Dan Nooger. Record Collector #465/April 2017
The Jerry Ragovoy Story. Love Is On My Side 1953-2003. Ace Records 2008
PETIT-BAIN / PARIS / 04 – 05 – 2017
HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE
HEADCHARGER
Retour au Petit-Bain. Brrrr ! Le frisson dans le dos quand me revient le froid de loup qui sévissait fin janvier sur Paris, heureusement que Pogo Car Trash Control avait salement relevé la température. Ce soir c'est mieux, seulement la pluie – remarquez de l'eau au Petit-Bain ce n'est pas étonnant – sont sympas nous ouvrent les portes un peu avant l'heure. Pour le voyage pas de problème, la teuf-teuf a tenu la distance en un temps record. A croire qu'ils avaient vidé Champigny de sa population pour nous laisser passer. Bref nous voici au chaud, dans les flancs du navire, le temps de discuter avec un photographe en mission commandé fan de métal à mort.
HOWLIN' MACHINES
Sont trois tout jeunes. N'ont pas de beaucoup dépassé la vingtaine. Basse, guitare et batterie. Et un chanteur. Seulement besoin d'ouvrir la bouche pour que l'on se rende à l'évidence. Une voix. Une vraie. De celles qui s'imposent sans forcer. Noire à souhait. Du moins au début du set trop court. Car elle passera sans effort de la pulsion rhythm 'n' bluesy au phrasé rock'n'rollien avec de temps en temps ce léger décalage qui claque en écho non sans faire penser aux décrochements répétitifs de Robert Plant. Tient entre ses mains une basse Rickenbaker . De Lemmy à Metallica, cette bébête monstrueuse au sustain inimitable, suffit de la mettre au galop pour qu'elle vous garde sans faillir la même allure, pouvez jouer du cimeterre sans souci et éparpiller les têtes sur votre passage en toute tranquillité, genre d'engin de chantier idéal pour un chanteur occupé aux vocales manœuvres. C'est qu'à ses côtés ses deux acolytes ne chôment pas. Tambour battant pour l'un et riff hifi pour l'autre sur les cordes. Les machines hurlantes ne connaissent pas l'immobilité, une fois démarrées rien ne saurait les ralentir. Ne prennent même pas le temps de finir les morceaux. Leur tronçonnent la queue sans préavis d'un coup de hachoir définitif. Un peu comme quand vous terminez votre livre trente pages avant la fin, d'un claquement sec et rédhibitoire, afin de vous emparer au plus vite du tome 2. Sont des adeptes du stoner de Brest, une frégate de soixante canons qui vous court dessus à l'abordage toutes voiles dehors portée par un vent arrière de soixante nœuds. Nous sortent tout de même un blues au milieu de set, The Lies About, mais tellement surchargé d'impédance énergétique qu'il vous roborative les neurones davantage qu'il ne vous éreinte l'âme. Se livrent à une OPA sans défaut sur l'assistance qui se laisse subjuguer et maltraiter avec un plaisir évident.
Dernier morceau. Les cris de déception fusent. Cette fusée étincelante nous l'aurions bien gardée encore un bon moment. Ils emporteront nos regrets. Une trajectoire éblouissante. Courbe harmonieuse et élégante. Du bas vers le haut. Missile sol-air. Ces jeunes gens sont partis pour atteindre des régions situées dans les stratosphères interdites aux vaches molles du rock'n'roll. Down 'n' Higher proclament-ils, mais définitivement higher.
THE DISTANCE
Se touchent du poing, tous les quatre, tel un rituel vaudique, avant d'égorger le blue red rooster du rock'n'roll. Et tout de suite après c'est la montée en puissance de la fournaise. Le son est là, vous saisit de son ampleur, la lave de Pompéi débordant du cratère assassin et refermant sa gangue mortuaire sur les habitants englués dans un fleuve de feu. Avec un avantage, c'est que vous ne mourrez pas, au contraire c'est une force sonique qui s'insinue en vous, vous porte et vous transcende.
Trois devant et Hervé tout seul derrière. N'est pas abandonné. Duff lui rend souvent visite, un pied sur l'estrade où repose la batterie. C'est qu'Hervé est attelé à ce que Roger Gilbert Lecomte appelait un horrible travail révélatif. Du tramage forgique de poésie. L'enclume et le marteau. Casser la carapace des rêves pour en extraire l'élixir souverain de la réalité agissante. Œuvre alchimique par excellence. Une large cadence – en ses débuts comme le ressac incessant et millénaire de la mer qui s'écrase sur le rivage – qui peu à peu, insensiblement, s'accélère tout en montant en mouvance sonore. Tout à l'heure finira en fou épileptique, en possédé du démon rythmique, les cent bras de Shiva parcourant les toms sans une seconde d'interruption - un personnage de dessin animé passé à la chaise électrique, vous ne voyez plus, vous n'entendez plus que cette frappe qui passe et repasse, ces bras levés qui s'abattent sans fin, un tambour de machine à laver directement branchée sur une ligne à haute tension - qui tournent et retournent comme les ailes rouges de la guerre des poèmes de Verhaeren.
Et les trois devant qui insidieusement alimentent le foyer. Duff à la base, les cheveux qui coulent sur ses épaules dissimulent son visage, se plante au bord de la scène pour lâcher sur vous les chiens de chasse de ses lignes de basse. N'est plus qu'un émetteur phonique, un dispensateur de noirceur ondulante, qui induit les transes intérieures les plus meurtrières, doit parvenir à certains points d'acmé énergétique indépassables, des chakras d'intensité opératifs, car parfois il se redresse, regarde le public et un rapide sourire énigmatique éclaire ses lèvres.
Mike est au micro. Utilise sa voix comme un second instrument. Ne domine pas les autres mais la module comme un cinquième élément éthérique dont l'apport se révèle indispensable à la cohésion du groupe. Joue de la guitare. Non pas tout comme Sylvain mais avec Sylvain. Certes ils n'en ont pas une pour deux mais c'est tout comme. Pour sûr il y a des moments où chacun tricote de son côté, mais si j'ose dire cela ne compte pas. Sont comme des jumeaux. Des géants siamois. Plus le set avancera, plus on les verra se rapprocher, corps contre corps, et guitares face à face, emportées dans un tunnel infini d'égrenage grêle de notes fuyantes, l'impression de deux cavaliers galopant de conserve mais perdant leur sang jusqu'à l'évanouissement final, en ces moments la batterie n'en accélère pas moins le tempo, mais moteur coupé, une voiture dévalant un col de montagne sans frein, Duff qui met sa basse en brasse coulée, en apnée, et brutalement alors que l'on croit que le feu va s'éteindre et mourir d'asphyxie l'incendie embrase la forêt, ah ! Ces coups de reins brutaux et fastueux du quatuor qui repart comme un seul homme ! Répétitifs en plus. Car le rock'n'roll est avant tout un art de l'excès, il est strictement recommandé de dépasser la dose prescrite. Et d'en reprendre à foison tout en ayant soin de cambrioler la pharmacie. Pas question de demander poliment et de payer son dû.
Alors ils nous font la distribution gratuite. Vous en aurez plus que vous ne voulez. Sur les trois derniers morceaux, ils sont devenus fous. Mike et Sylvain ne sont plus que des marionnettes saccadées hantées par de mauvais génies vipérins. Sont cambrés, des automates en délire, opèrent une espèce de parade de paralytiques tétanisés qui marchent en tous sens, la bave du rock'n'roll aux lèvres et leurs guitares atteintes d'une fureur de berserker. Duff ne tarde pas à subir lui aussi les effets de cette transe hypnotique et tous trois se croisent comme des trains fantômes échappés de leur rail. Exultation dans la salle. Sylvain projette sa guitare sur le sol – la fureur de la destruction n'est que l'autre versant de la démesure des dieux - et sur une dernière razzia drumique le combat cessa faute de combattants. Pas de rappel. C'est la stricte application de la réglementation de la salle. Les lumières se rallument. Les meilleures choses ont une fin. Même les sets de The Distance.
HEACHARGER
Distribué à l'entrée du concert, Flyer-Zine Musikoeye N° 33, papier glacé, quatre pages, révélant interview sur l'enregistrement d'Hexagram, leur sixième album, et les voici maintenant sur scène. Sûrs d'eux, l'on sent les vieux routiers rompus – formés en 2004 – qui ne s'en laissent pas compter et qui escomptent bien satisfaire le public manifestement acquis à l'avance. Nous livrent un show impeccable, millimétré, j'aurais toutefois aimé que fût un tantinet plus forte la tonalité du micro sur lequel Sébastien Pierre bondit alors qu'un mur de guitares déferle sur nous. Ne s'économise pas, agite sa grande silhouette dans tous les sens, visière de casquette en avant et bras sémaphoriques qui moulinent l'espace.
Headcharger charge, un régiment de blindés qui écrase tout sur son passage, juste le temps de ré-accorder entre deux morceaux, l'offensive ne s'arrête jamais. David Rocka et Antony Josse sont aux guitares, ne laissent subsister aucun interstice sonique, aucun répit, aucun essoufflement, aucune fêlure, au taquet, toujours là au moment où il faut y être, les doigts qui filent et l'attitude attendue. Cheveux hirsutes, barbes et visages dégoulinent de sueur, ils donnent plus qu'ils ne prennent. Amassent et dispensent le son, mais c'est Sébastien qui établit la communication avec le public qui s'agite à sa demande, manifestement ravi de s'entrechoquer même si l'étroitesse du lieu canalise quelque peu son exubérance.
Les guitares filent loin devant, et à la batterie Rudy Lecocq pousse tout près derrière, ne nous dispense pas de simples rudiments, les coups pleuvent sur ses peaux comme giboulées de Mars et grésils de tempête, heavy-stoner-sound, tambours de sable et ronds de feu. Un son qui cherche le point de fuite mais ne s'y engouffre pas sans emmener tout l'orchestre avec lui. Pas question de batifoler en chemin pour compter les pétales des coquelicots, l'on attrape le loup par la queue et on ne le lâche pas d'une seconde. Romain Neveu à la basse doit avoir un sacré boulot, n'aimerais pas être à sa place, c'est à lui qu'échoit le sale boulot, de maintenir la cohérence du groupe et de l'empêcher d'éclater en mille directions et de se disjoindre dans une course éperdue.
Headcharger garde le contrôle, de Land of Sunshine qui ouvre le set à Wanna Dance qui le clôt, ils vous tondent la pelouse sans jamais oublier le moindre brin d'herbe, tout en préservant les fragiles corolles des pâquerettes, déboulent sans frémir au cœur de taillis de ronces à la All Night Long ou à la Dirty Like Your Memorie et vous en ressortent sans une égratignure. Vous déchiquettent bien de leurs lames acérées quelques grasses couleuvres alanguies qui dormaient dans les hautes herbes mais personne ne s'en inquiète. Surtout pas le public si j'en crois les regards extatiques de mes voisines qui ne quittent pas des yeux les garçons sauvages magnifiés en pose héroïques de guitar-héros, jambes écartés, corps penchés en avant, statures iconiques du rock'n'roll.
Une heure, pendule accrochée au mur faisant fois de l'exactitude de ce décompte temporel, l'on ne sait trop pourquoi, tout s'arrête, n'est même pas onze heures, faut pourtant boire le fameux bouillon, qui coupe court à toutes les effulgences de la vie. Headcharger quitte la scène sans rémission. De la belle ouvrage.
RETOUR
La teuf-teuf trottine, de vastes pensées s'amassent sous mon front, une découverte : Howlin'Machines, une tuerie : The Distance, et Headcharger de bons combattants mais perso leur trouve un petit côté un peu trop chevalier blanc sans peur ni reproche. Gimme Danger comme dit Iggy. L'auto-radio se bloque sur Ouï FM et diffuse les douces romances de Bring The Noise, arrivé à Provins – hertzienne zone maudite - les ondes décrochent. Tant pis, j'ai eu le temps d'entendre Paroles M'assomment de Pogo Car Crash Control. La boucle est bouclée.
Damie Chad.
06 / 05 / 2017 / LE MEE-SUR-SEINE
LE CHAUDRON
RELEASE PARTY NEW EP CHAKRA
NAKHT
FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE
Savigny-le-Temple. La teuf-teuf longe l'Empreinte. Etrange, parvis désert à quinze minutes de l'ouverture officielle des portes. Y aurait-il un lézard dans l'horloge ou un homard dans la cuvette WC ? Nécessité absolue d'improviser et d'appliquer un plan B. Inutile de me reprocher d'avoir mal lu le flyer. A vue de nez, Le Mée-sur-Seine n'est pas loin. Essayons Le Chaudron. Presto & bingo ! N'ont même pas commencé. Ça papote à loisir devant l'ustensile à popote.
FRCTRD
Noir. Lumière infranchissable pourriture disait Joë Bousquet. FRCTRD va s'adonner à son jeu favori de dissociation de nos photons mentaux. Sample d'entrée, et dès les primes notes ils vous présentent la fracture avec la TVA adjacente du Tout Voulu Atomisé. Musique brutale, happée par elle-même, qui à chaque pas en avant s'écroule dans la fosse commune des pseudo-illusions qu'elle n'arrête pas de creuser. Une tranchée rectiligne qui s'engouffre dans la brisure de sa propre rectitude.
Cinq guerriers du néant illuminatif. Anneaux de caraque aux oreilles, zigomatiques saillants, et une voix d'onagre en rut, Vincent Hanulak annule tout, cavale crache et cravache le carnage du grain moulu de sa voix. Remarquez que derrière sa guitare d'une sombreur luisante de lampadophobe, avec ses yeux de braise et sa barbe de prédicateur fou d'évangéliste atterré, Filip Stanic n'a rien à lui à envier... impossible d'apercevoir le visage interdit de Clément Treligieuse, le dissimule avec une obstination derrière le rideau d'une blonde touffeur, à croire qu'il s'agit d'une attentatoire terreur religieuse qui lui interdit de quitter l'absence de toute présence, Maxime Rodrigues penché sur sa basse, une patience d'insecte, de ceux qui savent que leur race immonde finira par supplanter l'espèce humaine, et Gregory Louzon concentré sur ses fûts à la recherche de l'impossible formule de la dilution finale.
Tout juste quelques titres. Une poignée de grenades entrouvertes jetées à la face de l'intermittence du monde. Mais assez pour signifier le clignotement du néant dévorateur que tout un chacun feint de ne pas apercevoir. Par sa musique, épurée jusqu'à l'os, qui se dévore elle-même, qui se phagocyte de sa propre viduité, FRCTRD vous plonge le nez dans la vacuité absolue de votre existence, ce filet entrecroisé de cordes emmêlées, ce réseau arachnéen de toutes vos fragilités qu'un coup de vent glacial projettera un jour ou l'autre au fond du gouffre.
L'on ne peut exprimer le silence que par des bruits implosifs nous rappelle FRCTRD, des pétarades mouillées, des eaux suintantes de la morbidité malfaisante de nos petitesses humaines. Des hachis de guitare et des purées parmentières de batterie qui crapaude en batracien que l'on fait fumer et qui explose en nuage artificiel de fumée létale. Le combo ne nous ménage pas, fait le ménage, passe le délabré plumeau poesque aux plumes de corbeau plutonien sur la toile de nos démissionnaires exigences.
Un set magnifique. D'amer constat des dégâts occasionnés par l'erreur de vivre. Musique métaphysique. Fractured but no captured.
ACROSS THE DIVIDE
Encore des partisans cumulatifs des fissions nucléatiques. Musique à trous taillés à pic dans l'intumescence lyrique des samples omniprésents. Across the Divide découpe au plus court. Sont les adeptes de la fragmentation fractale. Un riff ne saurait aller plus loin que lui-même. Même répété, compressé coup sur coup une dizaine de fois, asséné comme des fureurs de fouets, cinglé comme comme des salves de sangles sur les épaules d'un supplicié, très vite tout se déstructure. Effondrement final. La musique d'Acroos The Divide est une suite dramatique interrompue de points de suspension. Mais le silence ne s'intercale pas entre les abruptifs sonores. Sont remplis par les grandes orgues des samples de toute pompeuse noirceur, un peu comme ces musiques d'enterrement que l'on passe pour cacher en vain le gouffre vital enfermé dans le tabernacle du cercueil.
Axel Biodore est à la guitare. Un beau jeu mais pas du tout bio. Martyrise ses cordes à la manière de ces épandages d'insecticides meurtriers qui vous pulvérisent la végétation en quinze secondes et vous provoquent des mues géantes chez les coléoptères venimeux dispensateur de pustules purulentes. Alexandre Lhéritier n'en a guère besoin, sa voix d'écorcheur de chats faméliques se suffit elle-même, vous agonise de ces chuintements boueux de lamentin échoué, pourtant Axel ne peut résister à agrémenter les reptations gosierâles de son chanteur d'une espèce de beuglement caverneux qui diffracte encore plus cette sensation de vertigineux malaise qui s'exsude des découpes rampantes opérées par Maxime Weber sur ses cymbales atonisées. Parfois Jonathan Lefeuvre aussitôt imité par Axel, arrête de jouer de sa guitare, vous donnent l'impression de chuinter les interstices qui séparent les cordes, de glisser leurs doigts comme des chirurgiens qui hantent de leurs assassines phalanges les entrailles d'un patient opéré à vif sans anesthésie, et la basse de Régis Sainte Rose adopte alors la douceur funèbre d'une rapsodie maladive. Et tout cela vole aussitôt en éclats, en tôles de coques d'obus dispersées au moment le plus meurtrier de son impact.
Auront droit au set le plus long. Se livreront à un concassage sonique méthodiquement chaotique, l'on sent qu'ils cherchent la fissure ultime, leur musique achoppe la réalité du monde tel un trépan mû par un infatigable et monstrueux balancier qui cherche à s'immiscer dans la matière la plus noire de l'univers.
NAKHT
Les rois de la fête mortelle. Qui pousseront l'élégance jusqu'à se contenter d'un set à notre goût un peu trop court. Nous savons bien qu'indénombrables sont les anneaux d'Apophis, L'assistance aurait bien voulu que l'on en déroulât trois ou quatre de plus...
Lourdeurs sonores. Trois projecteurs tournoient leurs trois pinceaux de lumière blanche qui n'ont d'autre but que d'aviver la pénombre. Chacun des musiciens, encore invisibles, regagne sa place. L'on entend Danny Louzon qui depuis les coulisses poussent un hurlement rauque de bête traquée. Embrasement de lueurs d'hémoglobine, son sursaturé des guitares qui déchirent les tympans, les têtes des guerriers guitaristes tournent sans fin telles des ailes de libellules rilkéennes folles tandis qu'à la batterie Damien Homet broie le noir des espérances diluées, Danny, déjà si grand, se juche sur le piédestal de fer central, sa tête touche presque les tubulures centrales qui soutiennent les projecteurs, se courbe, s'incline vers nous, brasse l'air de ses bras comme s'il nous faisait signe de s'approcher pour mieux entendre les grognements caverneux qui émanent des profondeurs de ses poumons. Gestes impérieux et déluge sonore. Ronde des guitares qui changent de place, marche des ombres, le temps de recevoir la commotion en pleine figure que Danny nous prédit Our Destiny qui se s'annonce que sous les pires auspices du bruit et de la fureur, faut le voir saisir son micro à deux mains, ponctuer d'un bras impérieux les segments monstrueux de la prophétie, tandis qu'aux guitares, Alexis Marquet et Christopher Maigret sabotent les règles de la sainte harmonie de leur kaotiques giclées cordiques, Clément Bogaert reste perdu dans la transe enivrée d'une danse barbare inachevable. La musique gronde et emplit l'univers pour fêter le réveil d'Apophis le maudit. La musique de Nakht prolifère comme l'infinie reproduction protozoairique de brontosaures géants qui accoupleraient leurs fétides corpulences en des noces de tonnerre et de foudre, sans cesser de piétiner les géantes forêts ante-préhistoriales... La scène est déchirée d'éclairs de lumières blanches plus pâles que des aubes blafardes de fin du monde sur choral de requiems noirs engoncés dans une pachydermique rythmique, une espèce d'halètements syncopés dont on ne perçoit que les brisures mais pas le souffle nauséabond qui pourtant pulvérise les rochers. Béance mortifère, symbolisée par le falzar noir de Danny aux deux jambes soigneusement lacérées d'une large entaille dont on voit s'ouvrir et se refermer les lèvres mouvantes, jumelles bouches muettes d'une pythie delphique qui révèlerait par ce bâillement de batracien inaudible les ultimes malédictions de la future désintégration de la race humaine. Grouillements d'égosillements, martelages titanesques, points d'ogres en ouverture de précipitations nocturnes, Nakht bouscule les montagnes et patauge dans les failles océaniques. Les cités flambent sous les pas des conquérants et la musique brûle, Nakht est un dragon engendré par nos phantasmes les plus masochistes qui n'ayant plus rien à dire finit par s'incendier lui-même pour ne pas être victime de la froideur impie du silence qui corrompt et gangrène l'univers. Grondements antédiluviens pour conjurer nos faiblesses. Nakht dépose la rosée mortifère de sa musique comme un feu atomique, il est la nacre préservatrice qui se forme à la surface des roches et le chancre purpural de nos âmes. Cette ambroisie mortelle détient le secret de l'immortalité. C'est pour cela que nous l'écoutons. Epoustouflant.
RETOUR
Après une telle soirée il est difficile de rejoindre le monde vide de nos contemporains. Trois groupes réunis en une seule unité tonale. Toutefois distincts et dissemblables. Nakht a méchamment réussi sa Realease Party. Nakht a rouvert nos chakras encrassés. Evidemment si vous n'aimez pas, vous pouvez vous inscrire à un centre de méditation zen. Ce serait même préférable pour vos fragilités. Ce qui vous tue ne vous rend pas plus fort.
Damie Chad.
CHAKRA / NAKHT
INTRO / WALKING SHADES / THE MESSENGERS / HALL OF DESIRE / LXXVII / MIND'S JAIL /
DANNY LOUZON : vocal / DAMIEN HOMET : drums / Clément BOGAERT : bass / ALEXIS MARQUES : guitar / CHRISTOPHER MAIGRET : guitar.
On avait beaucoup aimé la brutalité d'Artefact le premier EP de Nakht, autant dire que l'on attendait le deuxième avec intérêt.
Intro : grondements annonciateurs de fureur, chants védiques venus d'ailleurs, des gouttes d'eau lourde clapotent, des serpents venimeux rampent dans les canalisations. Frottent leur ventres écailleux sur le plomb saturnien. Arrosages dulcimériques et cymbales qui s'affaissent. Walking Shades : sons sursaturés, instrumentaux phrasés cithariques, la voix de Danny qui s'amplifie et domine le tout, une radio mal réglée qui diffuse des guitares d'orage et la batterie qui compresse les tympans des temples détruits. The Messengers : générique musical, guitares grondantes presque sixties entremêlées de mélopées orientalisantes, oasis d'optimisme vite balayée par le vent froid et mordant des nappées nakhtiques, et le grondement rhinocérique de Danny qui bouscule les palmiers du désir, grandiloquences orchestratives et Danny qui hache le persil des illusions d'un timbre implacable. Les Messengers ne semblent pas apporter de bonnes nouvelles, malgré la danse des guitares à laquelle se mêlent les soubassements saccadés d'une batterie embrochée. Lyrisme concassé. Très fort. Parviennent à rendre le rut de l'inaudible audible. Apophys : poussée de batterie. Corruption de guitares et montée in abrupto de tout l'ensemble, des cordes qui sonnent comme les trompettes du jugement dernier, Danny semble en bégayer comme s'il avait trop de sons à déglutir, Nakht écrase tout. Le serpent Apophys gît désormais dans votre hypophyse. Hall of Desire : des notes de piano trop fortes pour être vraies, reviendront de temps en temps comme des ponctuations ensoleillées pour mieux approfondir le noir de la nuit définitive, les guitares barrissent, la batterie se trémousse en une indécente orgie sonore, et Danny rajoute du gros sel sur les blessures comme l'on passe un rouleau compresseur sur des cadavres putréfiés. Délirium trémens instrumental final. LXXVII : le vent se lève sur les sables du désert et balaie les bribes de votre entendement. Ritournelle du pire annoncé. Mind's Jail : trop tard, vous n'échapperez au courroux des Dieux qui s'offrent une fricassée de cervelles humaines pendant que Cléopâtre essaie de charmer les aspics de la mort afin que leur venin soit encore plus efficace. Elle y réussit parfaitement. Nakht vous assassine à coups de marteaux. Dites merci. Vous n'en avez jamais espéré autant.
Nakht a réussi l'impossible : se métamorphoser sans se trahir. Changer pour accentuer son idiosyncrasie primale. Continuer sur sa lancée sans se répéter. Se renouveler sans se trahir. Être encore plus violent. Plus insidieux. Le scorpion maléfique à deux dards. Le cobra à deux têtes qui rampe sur le dos. L'horreur cent noms.
Une démarche qui n'est pas sans rappeler celle du Zeppelin qui cherchait du nouveau dans les sonorités de l'Orient, mais ici il s'agit d'une autre filiation, d'une autre djentry, davantage métallique. Se tiennent du côté obscur de la force. Foudroyant.
Damie Chad.
MIND'S JAIL / NAKHT
( vidéoclip réalisé par : )
ALEK GARBOWSKI / YANN GUENOT
PICTURES & NOISED ABROAD PRODUCTION
Figure imposée, combo métal dans un studio, filmez et servez brûlant. Des vidéos de cet acabit l'en existe des milliers, la difficulté consiste à sortir du lot. Sûr qu'il vaut mieux partir avec un groupe et un morceau qui percutent les oreilles, mais une fois ce premier obstacle franchi, faut mettre en scène, intuiter la chorégraphie, et diriger la valse des séquences. En plus, il y a une petite clause, non écrite, en bas du cahier des charges que chaque réalisateur porte en sa tête, éviter à tout prix le piège de l'illustration musicale, fuir comme la peste les images redondantes, la paraphrase cinématographique qui ne sera qu'une redite sans intérêt. Construire un scénario graphique, qui apporte un sens, qui donne davantage de force et d'expressivité à la musique, tel est le but.
Plongée dans le sombre bleutée d'une nuit spectrale. D'incertaines silhouettes se dessinent dans le vide. Que votre oeil soit aussi rapide que la flèche qui court vers la cible dans les éclats d'un soleil noir. Travelling sur Danny, pose de taureau, corps courbé vers le sol, vous vomit littéralement le chant dessus, entrecoupé des images virevoltantes de la chevelure blonde que Clément agite en tous sens comme s'il exhibait à la terre entière son propre scalp. Des fragments de guitaristes tournoient dans les images. A chaque fois plan serré, corps à corps des représentations avec leurs propres négations, ne jamais montrer l'intégralité d'une attitude, seulement en exposer des nano-secondes de tronçons iconiques, apparition-disparition, la caméra ne se fixe pas, elle enregistre des pièces d'un puzzle qui vous sont présentés une à une mais en un tel écartèlement d'espaces temporels si brefs qu'il vous est impossible d'en reconstituer une image mentale satisfaisante, happé que vous êtes par ce morcellement incessant. La batterie fracassée, pourtant dominée par le grondement de la voix de Danny, un grognement de bête empêtrée dans un combat mortel. Nous conte en d'affreux borborygmes les images cachées dans les tanières de l'inconscient humain. Visions d'horreurs sans nom et de désirs sans frein libérés de leurs gouffres qui remontent comme du fond des mers intérieures, de grosses bulles de suint qui éclatent à la surface et nous éclaboussent de leurs viscosités gluantes. Avec cette apparition d'une silhouette féminine qui s'en vient au travers des champs d'angoisse de la folie. Crispation de flashs fugitifs. Rencontre finale. La parole se fait chair et se retrouve en face de son cauchemar. Rêve et ramdam reconstitués. Androgynie du son et de l'image.
Magnifique. Original. Figure imposée renouvelée. Réussite totale due à Alek Garbowski et Yann Guenot.
Damie Chad.
BOLLING STORY
CLAUDE BOLLING
+ JEAN-PIERRE DAUBRESSE
Ce n'est pas que j'apprécie Claude Bolling, et j'avoue même que je me suis pas mal ennuyé durant au moins les trois-quarts du bouquin que je ne vous conseille pas de lire. A moins que vous ne soyez comme moi, turlupiné par une insidieuse question. Et je dois avouer que je n'ai pas trouvé la réponse dans ces trois-cents vingt pages – réjouissons-nous, près de soixante sont dévolues à la discographie de notre impétrant – et que je n'en suis pas plus avancé... Mais peut-être vaut-il mieux commencer par les faits eux-mêmes. D'autant plus que ceux-ci sont nombreux. Bolling se raconte, dans un ordre à peu près chronologique, l'on sent que le rôle de Jean-Pierre Daubresse a dû se réduire à celui de poseur de questions et vraisemblablement de transcripteur d'entretiens oraux. Un genre d'exercice peu propice à la réflexion, qui privilégie les dates, les anecdotes et les circonstances et qui se refuse à toute introspection historiale.
Bolling est né en 1930, suis surpris par le fait que ce patronyme n'est en rien un pseudonyme, son père était un véritable américain dont sa mère divorça relativement vite. Pas un drame. Nous sommes en milieu aisé et Claude aura droit à une enfance choyée et protégée. Entre Paris et la Côte d'Azur. Dessin et aquarelle seront ses premiers hobbies mais il se met comme les jeunes filles de bonne famille au piano, dans lequel il se révèle très vite assez doué. Evoluera de piano en piano, de professeur en professeur, apprendra à déchiffrer, à lire et à écrire la musique. L'on est chez des gens sérieux, pas question de se contenter d'une éducation à l'oreille, travaillera ses partitions de Debussy comme tout élève bien élevé qui se respecte. N'empêche qu'il n'est pas sourd, et qu'il laisse entrer dans ses pavillons largement ouverts les bruits musicaux qui traînent aux terrasses des cafés et à la radio. Le jazz est là, s'insinue en lui en contre-bande et finira par être élu roi... Il a tout juste douze ans lorsque son oncle lui refile un disque de Fats Waller. Illumination ! Il existe donc une autre manière de jouer du piano que l'académique !
C'est ici que les questions me poussent dans le cerveau comme des bubons dans le pli de l'aine des pestiférés. Voici une génération favorisée des dieux. Ce n'est pas la première qui arrive dans le monde du jazz. Il existe déjà dans notre pays un milieu jazz non négligeable, l'a débarqué chez nous dans les fourgons de l'armée américaine en 1917, le Hot Club de France naît en 1932 et bientôt apparaît Django Reinhardt un musicien exceptionnel de classe internationale, un deuxième étage de la fusée américaine sera mis à feu avec la libération de Paris en 1944, le jazz est étiqueté musique de la liberté retrouvée...
Mais ce n'est pas tout. Se produit un miracle auquel le rock'n'roll national n'a pas eu droit. Les musiciens noirs débarquent à Paris. Des mythes vivants, l'occasion de les voir, de les entendre, de les écouter. Mieux, de les approcher, de discuter avec eux, de jouer avec eux... et beaucoup plus si affinités qui s'établissent rapidement. Faut lire le récit de la rencontre avec Earl Hines au cours de laquelle le pianiste lui apprend tous ses trucs et la manière d'étirer ses doigts sur l'empan du clavier alors que l'on possède de petites mains. Mais il y aura plus, Bolling entretiendra une véritable amitié avec Duke Ellington in person et même Louis Armstrong. Le Duke l'invite sur scène à ses côtés et se sert de son savoir musical pour la transcription de nouveaux arrangements. Dans le même ordre d'idée l'on pensera à Sidney Bechet s'adjoignant l'orchestre de Claude Luter...
Certes l'on me rétorquera que faute de grives l'on se contente de merles ( en l'occurrence ici blancs )... Ou alors on insistera sur le ravissement de ces musiciens noirs considérés et fêtés en France comme des génies, une attitude qui devait les changer des continuelles rebuffades subies en leur pays. Là n'est pas mon propos. Lorsque l'on regarde la suite de la carrière de Claude Bolling, l'on reste surpris. On s'imagine que boosté par une telle reconnaissance de figures mythiques du jazz, notre héros allait se propulser en une démarche musicale de haut niveau. Or il n'en fut rien. Ses activités se déployèrent selon deux directions, rémunératrice pour la première et fort honorifiquement agréable pour la deuxième. Bolling écrivit près de quatre-vingt musiques de film, de quoi faire bouillir la marmite, l'est particulièrement fier de Borsalino, cela se peut comprendre. Mais il possède aussi son grand orchestre. L'occasion de donner de multiples concerts en France et dans le monde entier. Et Bolling tout en portant l'accent sur ses talents de compositeur et d'arrangeur de haut-niveau, de son éclectisme qui court de la musique classique à la variétoche la plus franchouillarde, en passant par le jazz le plus pur, tire sur la grosse ficelle du respect que l'on se doit de porter à la musique populaire... Sa contribution jazzistique se réduit à des adaptations grand-public des grandes figures tutélaires du jazz, quand il les aura toutes passées en revue il s'attaquera aux sous-genres ragtime, boogie-woogie, blues...
Une clef peut-être pour comprendre un tel cheminement. Se livre davantage dans les quinze dernières pages, d'abord sa passion pour le modélisme ferroviaire, et nous sert enfin sa vision du jazz. N'est guère éloigné de la rétrograde position d'Hugues Panassié resté bloqué et crispé en une attitude des plus puristes sur le New Orleans, Bolling regrette que cette musique de danse se soit fourvoyée à partir de la naissance du Bebop dans l'intellectualisme... Le livre s'arrête brutalement sur l'évocation de sa prescience écologique... Très symptomatique de ces gens qui courent après l'histoire et qui restent enfermés dans le bon temps de leur jeunesse. Par contre son témoignage sur le recul de la musique vivante nous agrée, il évoque avec regret cette lointaine époque où la duplication sonore était interdite en tous lieux publics, sur les plateaux radio et à la télévision, cette loi que l'on pourrait juger de draconienne avait pour corollaire la multiplication des formations de tous genres...
Le livre est entrecoupé de témoignages de divers compagnons de route de Claude Bolling comme Jean-Christophe Averty ou Jacques Deray, la plupart d'entre eux sonnent un peu nostalgeo-ringards, difficile d'avoir été et de n'être plus, le temps dévore tout, l'oubli triomphe des gloires passées, l'acrimonie de la célébrité enfuie ronge les caractères...
Enfin les rockers seront heureux de savoir que Claude Bolling évite soigneusement de prononcer le mot rock'n'roll, ne le lâche que par trois fois du bout des lèvres, parce que les situations rapportées l'obligent, mais l'on sent le mépris sous-jacent sous l'ignorance affectée.
Damie Chad.
11:16 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jerry ragovoy, howlin' machines, the distance, headcharger, frctrd, across the divide, nakht, claude bolling
03/05/2017
KR'TNT ! ¤ 327 : JESUS & MARY CHAIN / HELLEFTY / KRIMEN & KASTIGO / THELONIOUS MONK
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 327
A ROCKLIT PRODUCTION
04 / 05 / 2017
JESUS & MARY CHAIN / HELLEFTY / KRIMEN & KASTIGO / THELONIOUS MONK |
TEXTE + PHOTOS SUR :
:http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
The wind cries Mary Chain
Avec ceux qu’on appelle familièrement les petits Jésus, on aura vu éclater au grand jour le génie du rock anglais. Si on prend un peu de recul, on constate qu’avec seulement six albums, Jim et William Reid ont dit tout ce qu’il y avait à dire en matière de son, de mélodie, d’attitude et d’inventivité. Rien qu’en transcendant leurs principales influences (Beach Boys, Phil Spector et carnage sonique), ils nous ont servi la mélasse sonique dont nous rêvions tous.
Ils sont arrivés en plein cœur des années quatre-vingt avec Psychocandy et pour beaucoup de gens, ce fut une délivrance, comme si le feedback de William Reid nettoyait toute cette horreur synthétique que déversaient alors les radios et les Thénardiers du disque. William Reid sortait de nulle part et de la pointe de son épée signait d’un Z qui voulait dire Zorro. On s’en souvient nettement : c’était complètement inespéré. Aussi inespéré que les Cramps. On était conquis dès «Just Like Honey», un cut pop parfait joué à l’écho du temps, bee honey, judicieux et apaisé. Ils enchaînaient avec «The Living End», le groove le plus rampant de l’histoire du rock, d’une violence incomparable, du pur jus d’exaction paraplégique balayé par des vents de fuzz, alors que pouvait-on faire d’autre que de crier absalon absalon ? Et ça continuait avec un «Taste The Floor» noyé de son. En entendant ça, Phil Spector a dû hocher la tête. William Reid imprégnait le son jusqu’au trognon, les nappes rôdaient comme des essaims d’abeilles métalliques horriblement inquiétantes et soudain, ce monstre visionnaire enfonçait dans le lard de son cut un solo désintégré et complètement vérolé de distorse, tellement pourri qu’il disparaissait en fumée ! On n’avait encore jamais entendu un truc pareil. Jamais. William Reid devenait avec ce coup de Jarnac le nouveau guitar hero d’Angleterre. Il rééditait cet exploit dans «In A Hole», construit sur le principe d’une pure furie sonique. C’est là que se situait alors l’avenir du rock, au cœur de ce blast sonique incomparable. William Reid transcendait la notion même de violence en tirant d’effroyables coups d’overdrive de fuzz. On croyait pouvoir trouver un peu de répit en B. Fatale erreur ! Ils repartaient dans ce genre qu’ils étaient en train d’inventer, l’urgence sonique, avec «Never Understand», hanté par les meilleures couches de feedback du monde. Ils redéfinissaient même le psychédélisme. S’ensuivait un «Inside Me» fouillé de l’intérieur, infectueux, une sorte de plaie ouverte gorgée de pus et ça coulait tellement que tous les espoirs se noyaient dans ce pus de fuzz extraordinaire. Mais quand avec «Sowy Seeds», ils optaient pour la mélodie, alors l’éclat de l’azur pouvait aveugler. On avait là un cut doté d’une effarante pureté d’intention, une véritable expression de la béatitude, la réponse d’un dieu redevenu miséricordieux aux pauvres pêcheurs. Et puis Jim et William Reid profitaient de «My Little Underground» pour rendre un hommage spectaculaire à Phil Spector. Ils basculaient ensuite dans l’évanescence démoniaque avec un «You Trip Me Up» absolument dément. Avec ce premier album, Jim et William Reid venaient de créer un monde.
William Reid avoue qu’il paniquait après Psychocandy. Il ne savait plus comment avancer - It would be hard to make another move - Et pourtant, Darklands ne compte pas moins de six coups de génie. Là on peut dire qu’ils exagèrent. Mais justement, la surenchère fait partie de leur arsenal. Il faut simplement en avoir les moyens disons intellectuels. C’est exactement ce qu’on comprend à l’écoute du morceau titre, qui reste pour beaucoup de gens une merveille intemporelle - I’m going to the darklands/ To talk in rhyme/ With my chaotic soul - William chante. Tous ceux qui ont joué «Darklands» dans un groupe savent qu’il s’agit un cut purement shamanique. On reste dans le génie mélodique avec «Deep One Perfect Morning», un cut qui relève du spirituel intimiste. On tombe plus loin sur un fabuleux ramassis de cauchemars psychomoteurs intitulé «Nine Million Rainy Days» - All my time in hell/ Is spent with you - et le génie stratégique de ces Clausewitz de la pop consiste à injecter sur le tard du cut les chœurs de «Sympathy For The Devil». Et puis en B, tout explose, tout entre en osmose avec le cosmos, à commencer par «April Skies», qui monte comme une vague de plaisir, doté d’un raffinement mélodique suprême, Jim et William Reid sont de fabuleux magiciens, under the april sky, elle ne reviendra pas - And a broken heart/ And a screaming head - dynamique glorieuse, William claque de grands accords rayonnants. Ils rendent hommage aux Beach Boys avec «Cherry Came Too». Eh oui, on retrouve là-dedans certains accents d’«American Saga», c’est infernal, car juste - Oh Cherry be bad/ Come on and kiss my head. Les fans du groupe se sont sans doute précipités sur la réédition Edsel de Darklands, qui propose trois disks, dont un disk complet de bonus et un DVD. Le petit conseil qu’on peut donner, c’est de ne pas prendre les bonus des Mary Chain à la légère. Quoi que fasse William Reid, ça tourne toujours à l’émeute. Il fait littéralement preuve de génie sonique dans «Kill Surf City» et on trouve à la suite deux hommages à Bo Diddley : «Bo Diddley Is Jesus» et un «Who Do You Love» ultra-saturé de trash et hanté par les chœurs d’un mec qui va atrocement mal. S’ensuit un «Everything’s Alright When You’re Down» absolument perclus de son. En écoutant ça, on se dit que Jim a de la chance d’avoir un frère comme William. Ils rendent aussi hommage à Hooky avec «Shake» et on retrouve le heavy Mary Chain sound dans un «Happy Place» bousculé par des accélérations de particules. Fantastique coup de «Rider» - I’ve got nothing to lose - qui pourrait bien être la clé du mystère de l’univers. On a un bel outtake avec «Surfin USA», doté du son le plus killer de l’histoire du rock anglais, William est bel et bien the sonic trash king of it all. Il fait encore le dingue sur «Here it Comes Again», joué à la folie de la belle espérance et voilà d’autres outtakes avec «Walk And Crawl» explosé au sonic trash et noyé d’écho, pur wall of sound, monté en mayo à la Thompson et d’un ampleur impardonnable. On trouve plus loin un autre hit jésuistique, «The Hardest Walk», que William joue aux accords de pop suprême et son solo entre en force, bien sûr. Et puis «Don’t Ever Change» sonne comme une pop magique éclairée de l’intérieur. Par contre, les clips vidéo de l’époque vieillissent assez mal. On leur demandait de frimer, et on sait qu’ils détestaient ça, surtout William qui ne supportait pas les gens du business et encore moins ceux de la presse. Il explique que les gens de Warner ont essayé de les mettre dans les pattes des producteurs de Tears For Fear et bien sûr, ça ne pouvait pas marcher. William tient à rappeler qu’avant l’arrivée du succès, il était très pauvre, mais il ajoute qu’il n’est pas devenu riche. On les voit jouer «April Skies» à Top Of The Pops, et là, ils sont les rois du monde. William porte des lunettes noires et passe ses accords ravagés par la malaria. Il dit aussi dans une interview qu’on ne les a jamais ré-invités à Top Of The Pops, car ils tiraient trop la gueule.
Leur troisième album s’appelle Automatic. Le soufflé retombe un peu, mais on donnerait son âme au diable pour un cut comme «Gimme Hell» - So c’mon - On retrouve l’excellente bouillasse sonique des débuts et les chœurs des Stones - So come on little sugar/ let me get your soul - L’autre monster cut du disk s’appelle «Here Comes Alice», monté sur un fabuleux beat de drone. Tout vibre à bord, c’est encore une fois mélodiquement imparable, une pure mary-chiennerie. On entend William partir en vadrouille sur le tard du cut et il fait toujours autant de ravages. On a aussi un fabuleux shake de shook avec «Between Planets», un sacré battage de beat, ils vont vite, toujours avec cette grandeur que confère l’arrogance lorsqu’elle repose sur une forme de génie - Baby you drive me crazy/ Don’t come around no me - Tiens, voilà encore un joli coup de Jarnac jésuistique : «Head On», planqué en B, un joli hit que Frank Black va d’ailleurs bouffer tout cru. Les paroles figurent parmi les plus réussies de l’histoire du rock - And I take myself/ To the dirty part of town/ Where all my troubles/ Can’t be found - Le pire c’est que ça se joue sur trois accords.
Le quatrième album Honey’s Dead renoue avec la grandeur tutélaire de Darklands. Tout est bon, là-dessus, à commencer par «Reverence», monté sur un beat ultra-agressif - I wanna die just like Jesus Christ - visité par d’horribles spectres soniques et rempli de clameurs de la révolution industrielle, c’est le groove rampant des remparts dans une ignoble atmosphère de crépuscule menaçant et Jim n’en finit plus de dire qu’il wanna die. Retour des chœurs fantômes dans «Teenage Lust», on croit entendre les Stones sur l’arrière de ce beat macabre, et des nappes de son malade transitent ici et là. On se goinfre aussi de «Sugar Ray» et de ses dynamiques imparables - All I want/ Is you - Nous voilà de nouveau au sommet de la pop anglaise. Jim et William Reid intègrent tout le souffle de la pop du Brill et lui donnent une sale vigueur punkoïde. En B, ça se corse avec «Catch Fire», un groove d’une rare férocité, rampant comme ce n’est pas permis. Sur chaque cut, Jim et William Reid jouent avec le feu et finissent dans l’apothéose. Encore un hit démoniaque avec «Rollercoaster», à la fois pop et punk, pop dans l’essence et punk dans l’incandescence. Ce monstre de William joue même ça aux petites notes de retenue. Encore une supercherie jésuistique : «Can’t Get Enough» - Gimme a quick - Et William transperce ça au solo vrilleur - You’re so cool - Quel fabuleux guitariste, ses notes ondulent de plaisir dans la white light et dans la white heat.
Avec leur cinquième album, le fameux Stoned & Dethroned, Jim et William Reid passent à l’acou. Ils proposent une série de balladifs souvent teintés de désespoir. Le hit de l’album s’appelle «Sometimes Always», que chantent en duo Jim Reid et Hope Sandoval, qui est alors la poule de William. Elle éclaire le crépuscule des dieux - I won’t get on my knees - Elle chante à l’ingénue génuflexe - Aw you’re a lucky son of a gun - C’est charmant et mordoré à souhait. Avec «She», on a de la jolie pop sixties admirablement équilibrée, juteuse, fruitée et comme lumineuse. En B, on tombe sur «Save Me», visité par un solo extrêmement beau de classicisme éhonté. «Till It Shines» effare par la qualité de sa tenue et Jim semble souffrir mille morts en chantant «God Help Me». Et si on a un faible pour l’inertie, alors il faut écouter «These Days», car même s’il se sent un peu mieux, Jim décide qu’il ne va rien faire - I could take a walk/ I’ll just stay where I am.
Pour faire patienter les fans, les Mary Chain font paraître en 1995 un mini-album intitulé The Jesus And Mary Chain Hate Rock ‘N’ Roll. S’il fallait définir le morceau titre, on pourrait dire qu’il s’agit du rock ultime, un rock complètement blasté du ciboulot de la BBC et arrosé au pissing on me. William gicle littéralement. Le premier solo qu’il passe est beau comme une éjaculation. Jim revient au cœur du maelström sonique avec du rock’n’roll is me. Tiens, encore un cut explosif avec «Something I Can’t Have», c’est explosé au Brill sixties de you’re in my face et de you’re in my house, ça spectorise dans la gueule des dieux avec des too-too-too-too-too qui roulent sur des descentes d’accords infernales. Pas de pire génie sixties que celui-là. C’est du Darklands explosé à la dégringolade d’accords imprévisibles, ça éclate au grand jour, mais à un point qu’on ne parvient même plus à imaginer, et pendant que ça percute le pinball neuronique, ça persiste dans l’excellence du sixties spiritus sanctus, revu et corrigé par deux branleurs de Glasgow. Ce sont les histoires qu’on préfère, celles des gueux de la terre qui se taillent une loge au firmament. Il reste encore une pure énormité sur ce disque : «I’m In With The Out Crowd», guettée au coin du bois par l’affreux William et sa guitare. Il coince les couplets de son frère et les réduit en cendres. Il s’arrange toujours pour déclencher l’incendie en fin de cut. C’est pour ça qu’ils finissent toujours par se retrouver seuls au monde, détestés par les pompiers, les bonnes sœurs et les rabat-joie.
Leur sixième album studio s’appelle Munki, et à sa parution, ce fut pour les fans une bénédiction. Pourquoi ? parce qu’on croyait le groupe disparu. Warner ne voulait même pas sortir l’album. À cette époque, les Mary Chain n’intéressaient plus personne. Jim et William se sentaient baisés. Et pourtant, dès «Birthday», ils nous livrent l’une de ces puissantes marychienneries dont ils ont le secret - It’s Christmas time again and again - Bien lourd de conséquences et épais comme un fog glasgowan - In my head/ Am I dead - Attention à «Fuzzy», c’est un hit pop digne de ceux des Move et de tout ce qui fit la grandeur de la pop anglaise. Jim et William Reid jouent ça ventre à terre, avec une sorte de ferveur mélodique imbattable et des passages délicats joués au note à note. On assiste à de fantastiques jaillissements de beauté pop, il s’agit là de l’une de leurs pires énormités. Hope Sandoval revient duetter sur «Perfume». Quelle atmosphère ! Ils repartent en jive de marychiennerie comme au temps de Sidewalk avec «Virtually Unreal», une furiosa sonique tourbillonnante. Et soudain éclate «Degenerate», amené sur un riff du Thirteen Floor Elevator. Pur génie ! Ça se fond dans l’effarance sonique des marychiens de Baskerville, William joue ça à l’alerte rouge. Voilà encore une calamité déterminante, un message du dieu du rock maudit, la masse rampante tant désirée, c’est l’épandage d’une jouissance évanescente, la venue du sauveur, la réponse d’un Odin des terres glacées, la manifestation du divin, l’arborescence des guitares électriques, la violence softée et murmurée à l’oreille du genre humain, plie-toi au jeu, amigo. Les guitares électriques danseront pour nous jusqu’à la fin des temps. Elles ne connaîtront de répit que dans l’écroulement définitif du monde des hommes. Avec «Cracking Up», William nous sort un riffing plus élaboré, mais on retrouve toute l’ampleur jésuistique catégoricienne. Il joue ça au note à note et ça semble joliment désiré de l’intérieur. Vaguement infectueux, mais ça se laisse avaler. Avec «Supertramp», on retrouve la pure pop des petites Jésus - I’m a real believer - Et ça vomit du son à torrents entiers. Quelle fabuleuse dégelée. Voilà bien de la pop unique au monde, pleine d’allant, noyée de son, tellement bien réinventée et nourrie d’idéaux si purs. Sur la face 4 de l’édition vinyle, on trouve un choix de cuts intéressants, comme par exemple ce «I Can’t Find The Time For Times», un sacré mid-tempo joué aux maracas, le sixties sound hanté par tout le pathos de Glasgow. S’ensuit un «Man On The Moon» fantastiquement inspiré et qui explose au deuxième couplet, comme ça, sans prévenir. Toute la décadence de la vieille Angleterre rapplique au rendez-vous. C’est d’une insupportable perfection. Mine de rien, avec «Dream Lover», ils créent un genre unique : la heavy pop de rêve. Et puis voilà le coup fatal : «I Hate Rock’n’Roll». Dès l’accord d’intro, William est enragé, il attaque à la note salée, on a là les Mary Chain à l’apogée du sonic trash. Pur génie - I love the BBC/ I love when they’re pissin’ on me/ I Love MTV/ I love when they’re shittin’ on me - Et pour arroser cette incartade, William livre un solo dégueulasse qui transperce les murailles et les époques. Avec ce hit destructeur, les frères Reid règlent leurs comptes. Jim : «There’s a lot of little fucking arseholes that you have to deal with on a daily basis in the music business.» Ce démon détruit tout. On peut aussi se jeter sur la réédition Edsel de Munky, car le disk de bonus est du genre explosif. C’est une nouvelle plongée dans le génie de ce groupe sur-puissant, oui, car voilà un coup de Jarnac intitulé «33 1/3», un pur sonic blast, on n’avait encore jamais vu un truc pareil, ni dans la Bible, ni dans le Necronomicon. William entre là-dedans comme un éléphant dans un jeu de quilles, c’est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, au-delà du bon goût et du bon chic bon genre, ça file comme une torpille nucléaire et William pète la rondelle du cut avec une bravado infinitésimale. Encore de l’ultra-violence avec «Rocket», une vraie attaque en ligne avec une sorte d’intrusion définitive qui réduit le langage en cendres. Encore de la délinquance sonique dans «40,000k», ça hey-hey-heyte et William balaye tout à coups de tornades viscérales. On tombe plus loin sur une session à la BBC qu’ils allument à coups de wanna die on a sunny day/ Just like JFK in the USA. Et la version d’«I Love Rock’n’roll» qui suit explose sans prévenir, voilà le rock de gants noirs et noyé de guitares - Jim : «Before we had the band we were just a couple of nutcases living in the middle of nowhere and that’s what ‘I Love Rock‘n’Roll’ is all about - it gave us our lives» - On a aussi un «Degenerate» pilonné sans pitié. Voilà des gens qui ne s’embarrassent pas avec les conventions de Genève. William gratte ses notes avec une certaine aménité, il faut bien le reconnaître. Et il n’est pas avare de napalm. Et Mo chante sur «Mo Tucker». Tiens un petit coup de live à l’Electric Ballroom en 1995, pour finir ce disk fumant. Tout est affreusement bon, le «Snakedriver» emporte la bouche, de même que le «Crackin’ Up» qui suit, joué à un très niveau de riff alambiqué, c’est gratté à la cocote live. Effarant ! William joue comme un démon. «Head On» vire au tourbillon apocalyptique. Et sur le DVD, on voit William chanter «Crackin’ Up». Il porte les même lunettes que celles de Brian Jones dans le clip de «Jumping Jack Flash».
Encore une fois, le petit conseil qu’on peut donner, comme ça en passant, c’est de ne pas négliger les produits dérivés. Car ça grouille. En 1988 est parue une compile intitulée Barbed Wire Kisses (B-sides and more) sur laquelle figurent des merveilles indispensables, comme «Head», un groove souverainement souterrain porté par un riff de basse têtu comme une mule, qui revient incessamment, buté, un peu borné et le laid-back en fait le charme toxique. Encore une grosse surprise avec «Rider», puis avec «Just Out Of Reach», sacrément bien joué sous le boisseau, comme tenu mystérieusement en laisse, hypnotique et insistant. S’ensuit un «Happy Place» effarant d’élan mélodique. La B démarre en fanfare avec «Sidewalking», valeureux coup de blast de blitz, c’est du Ministry à la sauce écossaise. Ils rendent hommage aux Beach Boys avec une puissante cover de «Surfin’ USA». Ils sont gonflé de s’attaquer à un truc aussi intouchable. Mais Jim et Williams Reid ne ratent jamais leur cible. Et on a aussi un «Upside Down» viscéralement vrillé à la feedbackerie purulente. William chante et vrille à la vie à la mort. L’autre grosse compile indispensable à tout adorateur les Mary Chain s’intitule The Sound Of Speed. On trouve là-dessus des trucs dont les gens n’ont pas idée, à commencer par «Reverence», un véritable déflagration sonique, ça gicle dans tous les coins de l’univers avec des accents stoogiens, car on entend les accords de Ron Asheton. On a aussi un «Heat» terrifiant d’insanité sonique et un «Guitar Man» revu et visité par les punks de Glagow, avec un killer solo flash à la clé. Ils terminent l’A avec «Something I Can’t Have», une fabuleuse attaque de pop royale. Ne cherchez plus qui sont les rois d’Écosse ! Ils attaquent la B avec un «Sometimes» hanté par les meilleurs killer solos de l’histoire du rock anglais. Ce dingue de William revient par derrière et illumine la vie des lapins blancs. Il fait trois interventions démentes et déverse chaque fois une pluie de lumière sonique. Et on atteint encore des sommets avec l’extraordinaire «Write Records Released Blues», certainement le cut le plus explosif des petits Jésus - If that phone keeps ringing/ I’m gonna lose some cool - C’est le meilleur son d’Angleterre, avec des couplets hallucinants de qualité - If that scum keeps rising/ I’m gonna jump this ship - Jim règle ses comptes, dans ce heavy blues convulsif à peine tenu en laisse - I won’t get on my knees for you/ I won’t be a record business whore - C’est une déclaration d’intention, toute l’éthique des frères Reid se trouve dans le dernier couplet de ce hit fulgurant. Puisqu’on parle de blues, ils font aussi une cover du «Little Red Rooster» de Big Dix. William sait le jouer et surtout lui faire rendre gorge. Alors ça devient bougrement intéressant. Ils terminent avec un «Lowlife» bardé de son, comme on peut l’imaginer. Ils jouent ça sur le riff de «1969» des Stooges. Joli clin d’œil. On a l’impression de voir la boucle se boucler.
Dans la série des annexes indispensables, on a The Complete Peel Sessions. On y entend un préhistorique «In A Hole» enregistré avant le premier single. Fresh & chaotic. Ça monte directement au cerveau. S’ensuit un «You Trip Me Up» ravagé par la lèpre et William entre dans le lard du cut comme un chirurgien devenu fou à lier. Ils font ensuite exploser les intestins de «Never Understand». Aucun espoir d’en sortir indemne. Il s’agit là de la pire virulence connue dans l’histoire du rock. Ce mec William joue comme un vrai dingue, tout le son rissole dans du feedback, ça fume et c’est bon. Si on reste dans les métaphores à la con, on peut dire que «Taste The Floor» sonne comme le concept du rejet d’organe définitif. C’est une horreur. William sature tout à l’extrême, aucun organisme ne peut supporter ça. Encore plus violent, voilà «The Living End». On croit que William va épargner les canards boiteux. Ha ha ha ! Non, il tombe du ciel comme l’ange exterminateur et tout en grattant des cling-cling par derrière, il commence à fomenter d’atroces complots soniques. Cut après cut, le génie de William Reid se répand sur la terre. Il faut avoir écouté ce disque au moins une fois dans sa vie. Avec «Just Like Honey», il balancent tout simplement le hit pop définitif. C’est joué au meilleur matelas rythmique de Londres. Pas la peine d’aller chercher ailleurs, ça ne sert à rien. Avec «Fall», ils reviennent au down down down de l’apocalypse et William en profite pour revenir tâter la gueuse. Plus loin, on le voit aussi venir visiter «Coast To Coast» avec un solo dément. On s’épuise à écouter des disques aussi bons. On pourrait dire la même chose du Live In Barrowlands paru il y a peu. Ils jouaient ce soir-là l’intégrale de Psychocandy. On s’y tape encore une version incandescente de «The Living End». Rien de tel que de voir la fuzz tout balayer. Mais c’est encore pire avec «Taste The Floor» qui est tout simplement implosé de son. Voilà le secret du bonheur : William et sa purée. Quand il intervient dans un cut, c’est toujours à la manière d’un dieu d’Égypte planqué dans l’ombre. Quelque chose brûle. Il semble même parfois partir en expédition, mais en enfer, oui directement en enfer, comme avec «The Hardest Walk». Si on s’intéresse à un phénomène physique assez rare qu’on appelle l’horreur horizontale, alors il faut ré-écouter «In A Hole». Il s’agit là d’une véritable fuite en avant, de celles qu’on vénère. William y joue à merveille son rôle de dieu d’Égypte planqué dans l’ombre.
Tout aussi indispensable que les albums officiels et les annexes, voici The Power Of Negative Thinking, un coffret quatre disks auréolé de légende. Écho et sifflements sont au rendez-vous, soyez-en sûrs. Et ce dès «Upside Down», noyé au fond du Nil. Et ce «Suck» joué à l’écho du temps cadavérique ! On voit aussi «Ambition» exploser en plein ciel. William s’attaque à l’atome du son, de toute évidence, il cherche la fission, l’ersatz de nucléus délibéré. C’est le son, le dernier son de l’univers connu. On réalise soudain que grâce à William Reid, il existe une mer de possibilités par-delà les limites de l’univers. Avec «Just Out Of Reach», il se met hors de portée. Soit le son troue le cul, soit il dépasse l’entendement, c’est comme on veut. Quand on écoute «Boyfriend’s Dead», on sent bien que c’est hurlé dans la mort. On a là le dernier émolument de lucre molle. Tiens, et cette carpet of serrated noise qu’est «Head» ! A-t-on déjà entendu un truc pareil ? Non. On y lèche les orteils de Dieu. Les Mary Chain résument mieux que personne l’effarant devastating sludge, c’est en tous les cas ce qu’on pense à l’écoute de «Cracked». À part eux, personne n’est capable de sortir un tel son - inbedded sheets of distorded feedback howls - Débrouille-toi avec ça. On retrouve un «Never Understand» visité par des vents violents - feedback drenched pop hell - William y déclenche l’horreur sonique. Il persécute le béni oui oui. Leur truc, c’est l’apanage des pages du self-destruct. Ils honorent l’oreille humaine comme personne n’a osé le faire avant eux. Ils s’élèvent au-delà de tout, dans une aura intentionnelle hors d’âge et hors d’atteinte, une sorte d’exemplarité définitive. Jim et William ont écouté les bons disques, voilà leur secret. On retrouve sensiblement la même intensité sur le disk 2. On les voit ramper comme des cadavres mécaniques dans la nuit glacée de Glasgow. On tombe sur une vieille démo d’«Happy When It Rains», mélodiquement impérissable. Et plus loin sur «Rider», pur coup d’in the face, put gut rock, intentionnellement violent, saute au paf, télescopeur d’accords, stroboscopé dans la gueule de Dieu. Qui saura dire la violence des vauriens d’Écosse ? On trouve aussi un «Here It Comes Again» d’une grande violence intrinsèque et d’une belle virulence viscérale, tout est construit pour être détruit et ils vont si loin qu’on les perd de vue. Attention au «Deviant Slice» qu’on trouve sur le disk 3, car c’est du Ministry Sound que William reprend en mains. C’est un coup de génie, un de plus. On reste dans la marychienneie magique avec «Silverblade» et un «Low Life» joué aux accords des Stooges de «1969», all across your face et William y pulse un solo des enfers. Avec bien sûr du feedback de destruction massive. Ils font une reprise de «Guitarman» qu’ils plongent dans la violence de Glasgow et pour bien enfoncer le clou punk, William y passe un solo d’une ampleur catastrophique. Le killer solo qu’il passe dans «Sometimes» est certainement le pire killer solo de l’histoire du rock. Bel hommage au 13th Floor avec «Reverberation» et retour au génie pop avec «Something I Can’t Have». L’autre raison de rapatrier ce coffret est la présence de l’infernal «Write Record Release Blues» que William secoue au glou-glou psychotique. Au moins, pendant qu’on écoute les Mary Chain, on ne fait pas de conneries. Et sur le disk 4, on retrouve l’infernal «I’m In With The Out Crowd», un cut trashé jusqu’au trognon, avec du gaz à tous les étages. On frise la nausée, mais comme on adore la nausée, alors on continue jusqu’à «Alphabet Street» secoué par des killer solos de William. Il joue avec une sauvagerie jusque-là inconnue. Il faut l’entendre yeah-yeahter sur l’océan de son de «Coast To Coast». Il pousse même des petits cris bienvenus. Encore une révélation avec «Till I Found You» traversé par un solo étrangement beau. C’est d’une splendeur intraveineuse sans commune mesure. On retrouve aussi sur ce disk 4 le fameux «Rocket» explosé au coin du bois et même carrément exacerbé. Cette brute de William ne peut pas s’empêcher de vriller les choses. Encore de la magie pure avec «Easy Life Easy Love» et puis on reprend en pleine gueule ce «40,000k» joué sous le boisseau dévastateur.
Comme tous le monde le sait, Jim et William ne pouvaient plus se supporter et William quitta le groupe en pleine tournée américaine. Les deux frères ont alors démarré des carrières solo. William a enregistré deux albums solo sous le nom de Lazycame : Saturday The Fourteenth et Finbegin. On n’y sent pas vraiment de volonté compositale. Ce sont des albums qu’on écoute si et seulement si on considère William comme un génie. Mais l’écoute risque de décevoir car tout y est irrémédiablement privé d’avenir. William fait le con et saborde le navire. Il fait son fucking sucker. On entend à un moment un «Kissaround» gratté au coin du feu chez les hippies. William avait tout simplement décidé de nous faire chier et même quand on a compris ça, on continue de l’écouter. Avec «Tired Of Fucking», il fait claquer ses vieux accords de Stonesy dans un lointain d’absurdité congénitale. Quelle belle arnaque ! Cet abruti est très fort. C’est un génie de la crotte de nez. Il se croit même autorisé à faire du Schönberg. Quant à Finbegin, c’est encore pire. Il gratte à coups d’acou et coupe à travers champs. Il tente un petit retour à l’électraque de la détraque avec «Rokit» et fait du bruitisme à la petite semaine dans «Fornicate». Il cherche les petites ambiances délétères et se veut assez oriental dans l’essence. Par contre, son frère Jim n’a pas déçu les lapins blancs. Il s’est dépêché de remonter Freeheat avec Ben Lurie, Nick Sanderson d’Earl Brutus et l’ancienne petite poule japonaise de Jeffrey Lee Pierce, Romi Mori. Ils n’ont enregistré qu’un EP et un mini-album, mais ils valent largement le détour, à commencer par Don’t Worry Be Happy sur lequel se niche l’excellent «Nobody’s Gonna Trip My Wire» et sa belle violence riffée à la vie à la mort, bien chevillée au corps et délibérément spasmatique ! Voilà une pure stoogerie, jouée dans les clameurs et les solos d’alerte rouge. Jim retrouve les voies du seigneur de l’indicible, les riffs gouttent de gras. Le mini-album Retox est une perle noire, un véritable chef-d’œuvre inconnu. Dès «The Two Of Us», on retrouve le drive les Mary Chain, avec de la folie dans le son. S’ensuit un «Facing Up The Facts» effarant d’adversité, joué à la pire punkitude d’heavyness d’Écosse. Ces gens-là sont dans le son, c’est-à-dire dans une autre dimension. Jim joue la carte de la heavyness maximaliste. Les solos de Ben Lurie sont aussi allumés que ceux de William, on rôtit dans le même enfer, c’est absolument dévasté de l’intérieur, on voit vraiment brûler la carcasse de la paillasse. Ils font aussi subir à «Shining On Little Star» les pires sévices de la marychiennerie. C’est claqué dans la douceur d’une chaude journée de violence urbaine, fabuleusement infectueux et ravagé jusqu’à la racine du thème. Jim chante cette horreur gluante avec une délectation morose et sauve l’honneur des Mary Chain. Le jus coule comme du venin le long de son cou.
Par miracle, le groupe s’est reformé. Jim et William ont réussi à se réconcilier. Du coup, voilà un nouvel album, Damage And Joy, avec une belle assiette de soupe à la tomate sur la pochette et des lettres qui flottent à la surface. Miam miam. Il pèse bien son poids, c’est un double album. Dès «Amputation», on voit que c’est comme d’habitude, c’est-à-dire joué aux accords platoniques de la tectonique sonique. En dépit des apparences, ce battement d’accords reste d’une grande précision. On trouve pas mal de duos intéressants sur le premier album, à commencer par «Always Said» qui Jim chante avec une nommée Bernadette Denning. Ils tentent de nous refaire le coup de «Sometimes Always», sur Stoned & Dethroned. En B, c’est Isobel Campbell qui vient duetter à deux reprises avec Jim sur «Song For A Secret», puis «The Two Of Us». Isobel tente de faire sa Hope. Le cut envoûte, car l’art suprême des Mary Chain est de savoir rendre la pop magique. Les hits purs sont sur l’autre disque, à commencer par «Facing Up The Facts», repêché sur Retox et monté sur un gros dum-dumming de bassmatic. Puis de l’autre côté, on tombe sur une sorte de pop mirifique intitulée «Black And Blues». L’air de rien, William Reid continue d’éclairer le monde.
Et comme un miracle n’arrive jamais seul, voilà le groupe de retour sur scène à l’Élysée Montmartre par un beau soir frisquet d’avril. Faut-il parler de concert magique ? Oui. La salle est pleine comme un œuf. Les deux frères arrivent sur scène pour disparaître dans un épais voile de fumigènes. Comme à son habitude, Jim - alias Mr Shy - s’agrippe à son micro et à sa gauche, William s’applique à jouer ses marychienneries, écrasant ici et là une pédale d’effet et de volume dont le secret est paraît-il bien gardé. Ils tapent au mieux des possibilités du mythe Mary Chain, mixant les cuts du nouvel album avec les vieux standards, dont une version de «Head On» qui fait tourner la tête, aussitôt après cette vieille pop de rêve qu’est «April Skies». Dans les premiers rangs, on voit petites gonzesses ponctuer le beat de la tête et tirer sur des pétards. Ils font un autre enchaînement de luxe avec «Teenage Lust», «Cherry Came Too» et «The Hardest Walk». On vit ça comme une sorte de bombardement bénéfique. William ne bouge pas d’un centimètre. Fini le temps où il tournait le dos au public. Comme d’ailleurs le temps où Jim titubait sur scène. Il dit dans un interview avoir cessé de boire en 2005. Difficile pour lui de monter sur scène à sec - So to go on stage sober was a bit weird - Mais finalement, il dit s’en accommoder, in a strange way. Ils bouclent leur set avec l’imparable wanna die on a sunny day/Just like JFK in the USA et un troisième miracle s’accomplit, puisqu’ils reviennent pour un rappel, et quel rappel, good lord ! C’est tout simplement du double concentré de marychiennerie, avec «Just Like Honey», «You Trip Me Up», «The Living End» et «Taste Of Cindy». C’est à ne pas croire, car le son est tellement plein que ça tourne au blast mythico-galactique. On les croyait calmés, eh bien pas du tout. Et ce n’est pas fini, car il reviennent pour un deuxième rappel avec un enchaînement fatal en forme de coup du lapin : «Never Understand» suivi du fatal mayen sonique d’«I Hate Rock’n’Roll». La messe est dite, amen.
Signé : Cazengler, fort marri Chain
Jesus & Mary Chain. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 27 avril 2017
Jesus & Mary Chain. Psychocandy. Blanco Y Negro 1985
Jesus & Mary Chain. Darklands. Blanco Y Negro 1987
Jesus & Mary Chain. Barbed Wire Kisses. Blanco Y Negro 1988
Jesus & Mary Chain. Automatic. Blanco Y Negro 1989
Jesus & Mary Chain. Honey’s Dead. Blanco Y Negro 1992
Jesus & Mary Chain. The Sound Of Speed. Blanco Y Negro 1992
Jesus & Mary Chain. Stoned & Dethroned. Blanco Y Negro 1994
Jesus & Mary Chain. Hate Rock ‘N’ Roll. American Recordings 1995
Jesus & Mary Chain. Munki. Creation Records 1998
Jesus & Mary Chain. The Complete John Peel Sessions. Strange Fruit 2000
Jesus & Mary Chain. Barrowlands Live. Demons Records 2003
Jesus & Mary Chain. Damage & Joy. Artificial Plastic Records 2017
Jesus & Mary Chain. The Power Of Negative Thinking. B-sides & Rarities. Rhino 2008
Freeheat. Don’t Worry Be Happy. Hall Of Records 2000
Freeheat. Retox. Outafocus Recordings 2001
Lazycame. Saturday The Fourteenth. Hot Tam 2000
Lazycame. Finbegin. Hall Of Records 2001
HERME ( 77 ) - 29 / 04 / 2017
MC SIGWALD'S
HELLEFTY
Souvenez-vous, c'était à la fête de la musique de l'an passé. Copieusement arrosée. Pas dans le bon sens. Prenez l'expression au pied de la lettre mouillée. Le temps était incertain. Mais Hellefty avait tout de même consciencieusement installé tout le matos sur le podium. Devant l'Eglise. Le bon dieu n'avait pas dû aimer l'infernale provocation, n'ont même pas eu le temps de se placer derrière leurs instrus que la pluie avait commencé à tomber et la sécurité avait déclaré qu'il fallait arrêter les frais. Exit Hellefty ! M'étais juré qu'à leur prochain concert, je serai là, et les voici annoncés au local des Sigwald's. Dix kilomètres de la maison, une broutille pour la teut-teuf qui m'y mène en cinq minutes.
Facile de repérer la ruche à Sigwald's, à l'entrée du village, tout près du passage à niveau, bikers en nombre qui discutent devant l'entrée. Accueil sympathique, un véritable comptoir de bar à gauche, deux stands face à face, pintstriping et aérographe, présentent casques de motos bellement imagés et sculptures de bites aussi écarlates que des canards laqués qui ne sont pas sans évoquer ces phallus de pierre géants que l'on exhibait fièrement lors des antiques processions printanières... La tête protégée et le sexe en présentoir, un parfait résumé des attributs essentiels de l'homo sapiens quand on y pense.
Une large ouverture permet d'accéder à une deuxième pièce plus petite, c'est là qu'Hellefty a élu domicile, l'on n'attend plus qu'eux, sont un peu nerveux, nouvelle formation et premier concert depuis 2013, vont nous démontrer qu'ils n'avaient pas à s'inquiéter.
ONE SHOT
La force froide et le charme glaçant. Un seul set d'une demi-heure qui vous tombe dessus comme une glaciation soudaine. Mais brûlante au dernier degré. Deux hommes, deux femmes. Une tribu néolithique dans une tempête de neige noire qui raconte l'odyssée de la survie. Au fond Vincent derrière ses fûts arbore l'insigne du clan sur sa grosse caisse, c'est lui qui pousse et martèle le chemin. Un son mat et puissant comme je n'en ai jamais entendu. La frappe lourde et sèche, sans résonance. Ni rêve, ni espoir, la marche seule en avant. Sur sa gauche Florent éventre les blocs de glace de sa guitare étrangement découpée en un triangle maléfiquement écartelé qui semble être une réplique de la faux de la Mort. Jette bas à ras de terre des riffs mambas qui s'engouffrent dans la moindre des fissures du sol gelé. Karine est à la basse, cheveux de feu qui coupent son visage, joue refermée sur elle-même comme si ne comptait pour elle que ses lignes de notes froides qui se déploient derrière elle comme les sillons roides du désespoir.
Tatiana devant. Longs cheveux noirs, bras blancs dénudés, et moue dédaigneuse. Elle est la grande prêtresse qui invective et vomit la longue litanie des âges farouches. Elle ne chante pas, elle crie, elle screame, elle growle, elle djente. Elle lance les malédictions élémentaires, elle énonce les prophéties rudimentaires des rêves perdus. C'est elle qui mène la danse des soleils évanouis. Pas une plainte, un râle de survivance. Parfois elle se met de côté le temps que l'on entende le piétinement incessant de la horde derrière elle qui amasse la colère et la violence des déterminations inébranlables. La meule de pierre qui tourne et broie tout tout ce qui ne courbe pas la tête sur son passage. Parfois l'on a l'impression que la musique s'arrête comme brutalement bloquée et bute sur un obstacle insurmontable, Vincent conjure les forces ignorées de deux coups de baguettes aussi secs que des silex que l'on cogne l'un contre l'autre pour appeler une étincelle de feu froid, et en écho Florent découpe de nouvelles runes sonores encore plus imparables qu'un vol de vautours à la recherche d'une charogne appétissante. Alors émerge un énigmatique sourire sur les lèvres de Karine et elle nous délecte de quelques lames de basse longues comme une mer de glace qui s'en vont se figer dans le magma glaciaire d'une fournaise aux flammes rigidifiantes. Hellefty en guerre n'offre guère de compatissantes promesses.
Tatiana continue son conte. Une longue descente dans les souterrains oubliés de cités lovecraftiennes. Mais les anciens dieux sont morts, ne sont plus que les icebergs de nos regrets qui encombrent la banquise de nos remords. Tatiana éructe, elle glapit telle la renarde du désir prise au piège des froideurs nocturnes, sa voix crache la malédiction de la mort et nous enveloppe d'un linceul de soufre et de plomb. Nous mène jusqu'au bout du tunnel qui s'ouvre sur une aube aussi grise que la vacuité de nos âmes.
Helllefty n'ira pas plus loin. Un set de toute beauté. Sûr que l'on n'en aurait bien pris un second. Mais celui-ci était si beau, si pur, si condensé, qu'il nous a rassasiés. Imaginez un cube parfait. Qui soit aussi global qu'une sphère de volume identique. Aux arêtes tranchantes dimensionnées et ordonnées selon un nombre qui ne serait pas d'or mais de cet orichalque mystérieux dont le secret reposerait englouti dans les couches souterraines de la neige carbonique des strates atlantidéennes de notre cerveau.
Hellefty nous a appris qu'il faut battre le métal tant qu'il est froid. Une leçon de poésie métallifère que nous n'oublierons pas.
Damie Chad.
( Photos : FB : Enagrom clichés désaxés )
EPIPHYSIS / HELLEFTY
OPPRESSION /SYMPTOM / THERAPY / CATHARSIS
TATANIA MAZANO-BENGOU : vocals / FLORIAN GOUJON : guitar / LOUIS GUFFOND : bass / VINCENT FORRESTIER : drums.
Cube 999 /2016.
Quelle pochette ! D'un rouge malsain. Un arbre que la tempête échevèle. Vent froid et homme debout. Minuscule, perdu dans le paysage. Gatefold en trois volets. Moine diabolique encapuchonné sur le premier contrevent. Le groupe au centre – retirez le CD pour apercevoir les visages – la sauvage beauté de Tatiana, deuxième rabat. N'oubliez pas de retourner la pochette, si vous n'y faites pas attention apparaît la silhouette d'une trombe mortelle sur l'horizon de ce rose glauque ponctué d'un vol d'oiseaux maléfiques, mais en y regardant de plus près, l'impression rétinienne par trop rapide, laisse place à un bulbe de clocher - surgi d'un horizon de ras de terre - sur lequel se serait posé la statue d'un ange – de rédemption ou de désolation – auréolé d'un vol d'aigles annonciateurs de sombres et poussiéreuses nuées das le lointain... Cela vous a la force de ces retables apocalyptiques que dont on ornait le maître-autel des églises au moyen-âge en signe d'avertissement et de promesse . Hellefty n'est pas un groupe domicilié par hasard dans la cité par excellence médiévale de Provins. Magnifique art-work dû à Florian Goujon.
Oppression : si vous êtes de santé fragile vous n'irez pas plus loin que les treize premières secondes, une pulsation qui vous retient encore dans le monde connu, après c'est trop tard, la chose prend la parole. Un souffle de loup-cervier venu d'ailleurs, et la musique derrière qui accentue la menace, des battements lourds d'ailes de batteries et de lentes strangulations funérales de guitares. Il est temps de vous éveiller de la vie. Oppressant. Symptom : définitivement de l'autre côté du rock and roll. C'est la voix des millions de morts que renferme la terre qui s'en vient hurler à votre oreille. En plus vos proches vous ont fait une dernière plaisanterie. Vous ont enterré à l'Eglise et vous percevez encore dans la conque évidée de de votre tête les échos du requiem final. Etrange, cela ne vous fait pas rire. Vous avancez en des cryptes innombrablement innommables. Une musique grandiose vous enveloppe de ses suaires dégoulinants d'angoisse et de la lymphe putride des trépassés. Le mélodramatique récitatif appuie à l'endroit où cela vous crève le coeur. Si vous n'avez pas compris l'on vous repasse le râle des macchabées et la drumerie enfonce les clous vampiriques dans votre occiput. Symptomatique. Therapy : Troisième station du calvaire. La batterie martèle les degrés d'un escalier infini. Les guitares vous poussent dans le dos. Vous ne savez si vous remontez ou si vous descendez l'infernal colimaçon. La voix s'est juchée dans votre sternum, vous sentez comme des serres monstrueuses de mots terrifiants qui s'infiltrent en votre chair, ils prophétisent votre agonie antérieure et dévident l'écheveau du désespoir. Que se passera-t-il lorsque l'on arrivera au bout de la bobine ? Horreur du choc thérapique ! Catharsis : ce mot signifie-t-il vraiment soulagement ? La voix stygienne se fait douce, ensorcelante comme celle des sirènes d'Ulysse ou des goules immondes qui hantent les cimetières. Intermède, l'on perçoit le bruit des forges de l'enfer. Vous avez pris le couloir de gauche. Fatale erreur. C'est fini.
Une splendeur. Un diamant noir. Face de cadavre et lumière infinie.
Damie Chad.
HELLEFTY VIDEOS
OPPRESSION
Maintenant la même chose en plus glaçant. La vidéo officielle visible sur You Tube. Le son, c'est bien, l'image c'est mieux. A condition qu'elle ne bavarde pas. Lui suffit d'évoquer. Mini film et scénario cauchemardesque. Tatiana, seule actrice. Plus une silhouette inquiétante. A peine entrevue. Même pas cinq secondes sur les trois cent vingt deux. Juste le temps de d'entrevoir vos phantasmes dans votre boîte crânienne. Les sortir du puits où vous les tenez enfermés. Parce que les libérer consisterait à admettre qu'ils s'emparent des manettes de commandement de votre existence. Mais ici tout se réalise. Tatiana en voiture qui court vers son destin. Maso-shisme fractural. Sommes-nous le jouet des autres ou de nous-mêmes ? L'oppression vient-elle de l'extérieur ou provient-elle de l'intérieur ? Zone grise des interrogations à laquelle le noir et blanc des images ne répond pas. La vie n'est pas un long fleuve tranquille. Juste un long hurlement de terreur agonique qui paralysera celui qui l'entend. Est-ce celui que nous entendrons lorsque nous emprunterons le dernier couloir ? Malgré le soleil de la porte poussée, il n'est pas de retour possible. Nous abordons seulement le viseur rectangulaire d'une autre menace qui se fixe sur nous.
SYMPTOM
La même chose, l'on recommence le film. Chant grégorien à l'appui. Sommes-nous morts ou dans le rêve prophétique de notre mort. Donjons médiévaux et cimetières abandonnés. Car tout meurt, même les jardins funéraires. Nous poursuivons en avant notre fragile marche d'insecte. De curieux entomologistes nous observent. Ils font partie de notre paysage végétal. Sont autant nous que nous sommes eux. Tout se brouille, un vol de mygale et une chouette amicale perchée sur l'épaule – the growl of the howl - nous avançons dans notre enfermement. Nous marchons dans le monde autant que nous le déplaçons à chaque fois que nous faisons un pas. Nous sommes en plein-chant de la caméra que nous portons sur nous. Le monde n'est-il que la projection des images mentales que nous portons en nous ? Peut-être notre réalité n'est-elle qu'une image... Notre paranoïa est notre première victime.
Deux clips d'une saisissante beauté qui dévoilent plus qu'ils ne montrent.
Damie Chad.
VIVOS MURIENTOS
KRIMEN & KASTIGOS
( HAMARECORDS / 2014 )
INTRO / ANSIEDAD / LA MAQUINA / GOSE ASEEZINA / PARASITOS / JUAN CARLOS ! VIENEM TIEMPOS / FALSA REBELDA / REKALDE 23 - 9 - 11 / ETKETIC IRTEN / NI NOS MATAN NI NOS HACEN MAS FUERTES / LA PARANOIA ES CORDURA / VIVOS MURIENTES / PARECES MENTIRA /
MIGUEL 'KILAMA' : basse et choeurs / TXINARO : guitare et vocal / ASIER 'MUFFIN' : batterie / J GARCIA 'TXINO' : guitare et voix principale.
M'étonnerais que vous l'ayez, l'ai pécho dans une improbable librairie anarchiste dans un sympathique quartier chaud de Barcelone, l'ai pris pour la couverture qui n'est pas sans un clignement d'oeil du dernier homme nietzschéen à la pochette de Teenage Depression d'Eddie and the Hot Rods. Krimen y Kastigo fondé en 2006, encore en activité, et originaire du pays basque, est un groupe de la mouvance punk, même sans trop comprendre l'espagnol à la simple lecture des titres vous subodorez avec raison qu'ils sont un tantinet engagés, pardon, enragés...
Intro : basse inquiétante et son plein, voix prémonitoire prophétisant ruines et misères. La musique serre les coudes, l'on est loin du punk anguleux et criard. La guitare bourdonne comme un frelon redoutable. Ansiedad : voix colérique mais le fond musical reste le même, pressé et condensé. La batterie s'emballe mais les guitares gardent la même vitesse. La maquina : musique qui file mais qui garde le pied sur l'accélérateur à l'approche du mur qui clôture l'autoroute, encastrés dans le béton vous en ressortez, conformes, remoulés à l'identique. Vous êtes sous contrôle. Inutile de prier la machine, elle ne tolère aucune déviance. Gose aseezfina : la même chose dans le moule basque. Un peu plus de colère, un peu plus de mordant, mais n'est-ce pas le combat de la dernière chance ? Parasitos : adresse et dénonciation. A tous ceux qui profitent du système. Qui s'en enorgueillissent. Qui marchent tout droit vers leur propre auto-destruction. Fascisme et bourgeoisie les deux faces de la bête immonde. Juan Carlos ! : ritournelle démente en l'honneur du roi qui s'en est allé tuer l'éléphant en Afrique. La bestiole lui est retombée sur le pied. Lui a cassé la jambe. Et l'honneur. Le roi s'excuse en trois mots. Vienen Tiempos : les temps arrivent, ceux de la déperdition humaine, quand vous ne serez plus que des ilotes sans âmes qui auront perdu jusqu'à la mémoire des mots oubliés. Si vous ne faites pas un effort, n'espérez nul réconfort. Ce monde d'ombres creuses est sans pitié. Falsa Rebeldia : ne cherche pas à fuir. Les issues de secours sont des pièges. Tu te crois libre. Mais c'est la drogue qui a pris le contrôle. Tu n'es qu'un rebelle de pacotille. Rekalde 29 / 9 / 11 : la note d'espoir, une nouvelle culture est en train d'émerger, environnée d'ennemis. D'abord libérer la parole, puis libérer les rues. La guerre ne fait que commencer. Message radio. Jingles anti jungle. Etxetik Irten : méchamment envoyé musique à fond de train, et martelage exacerbé. Comme des slogans. No nos Matan, ni nos Hacen mas Fuertes : rupture, douceur d'une valse acoustico-folk. L'urgence revient. Gardez-vous à droite et gardez-vous à gauche. L'ennemi est autour de toi. Pas de quoi inquiéter un esclave. L'en a vu et l'en verra d'autres. La paranoia es cordura : Erreur l'ennemi ne te suit pas pas à pas, il est en toi, tu as assimilé tous ses messages publicitaires. Tu n'es plus que le décalque d'une réalité qui n'est plus toi. Mais depuis quand ? Les voix se rejoignent, la situation est beaucoup plus critique que tu ne le croies. Vivos Murientes : constat amer. Les morts-vivants consomment chaque jour leur propre mort. Se nourrissent de leur propre absence. Sont heureux. Pareces Mentira : en tout cas plus heureux que moi sous la viduité du ciel qui ne suis qu'une solitude démembrée. Peut-être ne proféré-je que des stupidités. Une bêtise qui se mord la queue.
L'ensemble se présente sous la forme d'un récitatif nihiliste. Guitares mélodiques à fond et ronflantes, batterie éruptive et la voix emportée qui délivre le message des horreurs ultimes. Noire modernité. Sombre présent. Eternel. Le no future dont on aurait barré le second mot. Ne reste que le no initial, le négatif primal et terminal. Ne pas dépasser la dose non prescrite.
Damie Chad.
MONK
LAURENT DE WILDE
( Folio 3009 / 1997 )
Beau livre, belle écriture qui vise à l'intelligence du style, celui de l'écriture se donnant à lire comme l'équivalence scripturale des sonores émulsions jazzistiques. Laurent de Wilde est lui-même musicien de jazz. De ceux qui au tournant des années quatre-vingt dix ont tenté de le sortir de la répétitive ornière dans laquelle il avait tendance à s'ossifier. S'est adonné à quelques thérapies de choc pour lui faire recoller le train de la modernité en flirtant avec l'informatique, l'électronique, le rap, le reggae... Je vous laisse juge tant au niveau théorique qu'aux résultats pratiques de ces diverses tentatives. En tout état de cause Laurent de Wilde est un chercheur d'introuvable, son livre sur Thelonious Monk ( 1917 – 1982 ) en sus de retracer la vie d'un des pianistes les plus importants de cette musique s'inscrit dans une démarche analytique de l'instrumentation jazz qui n'est pas dépourvu d'intérêt pour les amateurs de rockabilly. Nettement moins pour les adeptes du rock classique sixties-seventies dans lequel prédomine une électrification outrancière qui a une certaine tendance à effacer la pulsation originelle du furet rythmique qui du coup court un peu moins vite. Ceci n'est pas une critique, seulement un constat.
L'enfance et l'adolescence de Thelonious Monk ne correspondent pas à l'image d'Epinal. Pas d'enfance misérable et sordide. N'est pas non plus né avec une cuillère d'argent enfoncée au plus profond de la gorge. Le père disparaît mystérieusement – nous en reparlerons – mais la mère maintient la famille à l'abri de la grande pauvreté. Monk grandit en territoire affectif protégé, assurance maternelle et garde rapprochée d'une grande soeur attentive. Travaille bien à l'école, un enfant sans histoire intégré dans la vie sociale de son quartier – rien à voir avec un voyou en recherche de son quatre-cent et unième tours de vice – touche à la trompette mais jette son dévolu sur le piano après l'arrivée au domicile familial d'un piano mécanique... Fait son éducation musicale comme tout le monde, à l'église. Chant et harmonium, le gospel possède un oeil qui louche sur la musique classique européenne et l'autre qui brille de tous ses feux vers les lointaines assises rythmiques africaines. Le jeune homme ne se dessale pas. A dix-sept ans il part en tournée pour deux ans. Derrière une prédicatrice évangélique. Une petite formation chargée de faire passer l'amère pilule des sermons qui vous appellent à la rédemption en mettant un peu de boogie-woogie - Monk utilisera les mots de rhythmn and blues et de rock'n'roll - entre les prêches.
Ici s'intercale une belle histoire d'amour. Et de fidélité. C'est la petite soeur du copain de sa soeur. Elle a douze ans, elle s'appelle Nellie. L'on est presque dans une chanson des Poppys. C'est elle qui est amoureuse. Il attendra qu'elle grandisse un peu. Et puis ils ne se quitteront plus. Monk n'ira jamais voir ailleurs. Plus qu'une compagne, une protectrice. Douce et patiente. Travaille, se charge des gosses et de la maison. Lui, il joue du piano. Ne s'occupe que de son instrument. Ne rapporte que peu d'argent. Elle pousse l'abnégation jusqu'à s'occuper de la belle-mère qui vient habiter à demeure.
Bien sûr il y a une faille dans ce conte de fée. Une lézarde, invisible à l'oeil nu mais qui ira s'agrandissant d'année en année. Ne cherchez pas ailleurs que dans le cerveau de Monk. Un abîme géant. Qui grignote, happe, dévore, et engloutit sans fin toute la réalité de la vie qui passe à sa portée. Bête immonde et insatiable. Quand elle aura avalé le monde, elle finira par bouffer la seule chose qui reste, Monk lui-même. Une petite bébête qui monte, qui monte, qui monte et qui vous veut du mal. Les docteurs l'ont répertoriée depuis l'aube de l'humanité, elle possède un nom. S'appelle la folie. Chez Monk, elle arbore la douceur cruelle de la panthère. Tant qu'elle vaque à ses affaires, elle le laisse tranquille. Mais quand elle s'endort sur le canapé de sa cervelle, bonjour les dégâts. Un gros chat inoffensif roulé en boule dont le profond sommeil paralyse Monk. Ici la terre et le monde des vivants, alerte rouge, la sonde Monk ne répond plus ! Tout s'arrête. A n'importe quel moment. A la maison, dans un bar, en pleine rue. Parfois pour quelques minutes. Parfois pour plusieurs heures. Nellie, les amis, les musiciens connaissent, veillent au grain, sont compréhensifs, la police qui le ramasse sur un trottoir un peu moins. Une espèce d'autisme schizophrénique inguérissable. A work in progress. Constant.
Une force aussi. Quand vous avez une entreprise de démolition qui vous sabre sans répit les méninges, vous comprenez vite que votre temps est limité. Vous n'avez pas une minute de votre vie à perdre. Evitez les conversations inutiles. Ne pas chercher à convaincre votre interlocuteur. Trois accords de piano parlent davantage qu'une oiseuse conversation. Monk sera un taiseux. Rien à dire, rien à déclarer. Trop occupé pour se lancer dans de longues explications. Se contente de quelques mots sibyllins. Héraclitéen. Obscur. Ne fournit pas la notice qui marche avec.
Question musique c'est parti pour les petits boulots. Pendant dix ans, il courra le cacheton, derrière les autres. On l'apprécie, une valeur sûre. Le mec qui comprend ce dont vous avez besoin, vite et bien. Surtout pas le gars qui se met en avant, qui profite de la moindre occasion pour afficher son museau quand on ne l'attend pas. Le side-man parfait. L'anonyme du boulot bien fait. Par contre si vous savez prêter l'oreille, vous entendez la différence. Ça se passe à trois pas de l'Apollo, après le job, au Minton's, le club laisse les musiciens jouer ce qu'ils veulent. Une manière de se créer une fidèle clientèle d'amateurs en recherche de nouveauté. C'est là que l'on rencontre Charlie Christian et sa guitare électrifiée. Charlie dans un grand orchestre même avec l'amplification ce n'est pas le roi de la fête, mais en petit comité, en train de taper sauvagement un boeuf avec deux ou trois autres matadors, c'est une autre bistouille. La grande mutation. Révolution, la guitare s'affranchit de son rôle subalterne. N'est plus un instrument d'accompagnement. Un gratèlement cordique de trois mesures qui reposait les conduits auditifs entre deux tonitruances de cuivre. Le groom qui ouvre la porte du restaurant et qui continue à se la geler dehors pendant que l'on boustifaille à l'intérieur. Charlie c'est le solo, tout seul, à égalité avec tous les autres premiers de la classe. L'est aussi plus doué que la moyenne des autres guitaristes ce qui explique qu'une fois qu'il aura débarrassé le plancher à moins de trente ans, n'y aura pratiquement personne pour la relève. Mais Charlie, c'est l'exemple à suivre, le symbole opératif. N'est pas le seul musicien à vouloir se glisser devant. De tous les côtés, ça bouillonne. Le jazz is changin'. Les jeunes en ont marre de se plier dans le moule huilée à la margarine du déjà-dit, du déjà-fait. Plus question de suivre le boeuf. Chacun veut prendre la tête du troupeau. C'est à qui fera le plus de bruit. Batterie et cuivres se déchaînent. Moi d'abord, écoutez-moi, admirez-moi, vous allez entendre ce que vous allez entendre. Et l'on en prend plein les feuilles. Sont doués les jeunes gars. Z'ont le top et z'ont le bop, et pas frits à l'huile de palme. Vous redéfinissent le jazz à papa de fond en comble à coup de trompettes et de saxophones. Dizzy Gillepsie et Charlie Parker sont les rois de ce remue-ménage. Bebop en avant toute ! Des nègres qui ouvrent les cuivres aussi large qu'un dentier de caïman. Les canines qui rayent le plancher. Prêts à croquer le monde. Des séducteurs. Les filles ne résistent pas, mais ce n'est que de la chair à sexophon, ont jeté leur dévolu sur les intellos et les journaleux, vous croquent un critique à chaque interview, leur donnent à foison de quoi remplir les colonnes des journaux, du dorique et du corinthien à volonté. Sont leur propres publicistes. De grands communicants.
Evidemment the Monk est de tous les combats. Mais motus et bouche cousue. La parole n'est pas son fort. Alors il passe après les autres. Vous dicte pas du début à la fin l'article que vous n'avez plus qu'à transcrire, en plus son jeu n'est pas d'accès facile. C'est qu'il n'est pas du genre à ravaler les façades à grandes traînées de ripolin flashy qui vous attire les curieux en moins de deux. Non lui son genre, c'est le bulldozer placide. Vous détruit la bicoque de fond en comble, ensuite il vous édifie une nouvelle baraque, ne paye pas vraiment de mine au premier abord, un peu rébarbative, vous faudrait y loger cinq ou six ans pour piger l'agencement diabolique du plan, le confort des pièces, la solidité à toute épreuve des matériaux, et cette agréable sensation de bien-être qui vous habite si vous décidez d'y résider...
Pendant longtemps l'on n'a trouvé des pianos que dans les salles de concert classique et dans les bordels. Trop chic d'un côté, trop choc de l'autre. C'est déjà difficile de se trimballer une contrebasse, mais essayer de vous balader avec ne serait-ce qu'un demi-queue sur le dos. ( Bien plus difficile qu'avec une queue entière par devant ). Mais les boppers commencent à envahir des clubs un tantinet plus huppés. Ont des caprices. Ont besoin d'un piano. Pourquoi les nègres n'auraient-ils pas droit à un piano comme tout orchestre de blanc qui se respecte ? On a cédé à leur caprice. Des enfants qui font la comédie pour avoir le plus gros jouet de la vitrine et une fois qu'ils l'ont, ne savent plus quoi en faire, le laissent dans le coin de leur chambre sans plus jamais y toucher. L'a bien fallu trouver un rôle à cet encombrant. Pas question que le pachyderme se campe aux avant-postes, sous le projecteur. On vous l'a proprement relégué dans la section rythmique. Z'étaient deux, seront trois. Batterie et contrebasse l'ont vu arriver sans trop de plaisir. S'entendaient comme des larrons en foire. Zétaient le moteur et le kérosène de l'avion. Sans eux, pas de sauts démonstratifs de parachute des solistes. Des seconds couteaux, mais indispensables. Simple noblesse de robe mais c'est eux qui fournissaient l'argent rythmique, le nerf des guerres jazzistiques. Tout compte fait le troisième compère s'est révélé précieux et utile, trois pour faire le boulot de deux, c'est reposant, de temps en temps y en a un qui peut se rouler un joint pénardos pendant que les deux copains continuent à ramer dans la soute.
Voudrais pas être désagréable mais filer un piano à la section rythmique c'est donner de la confiture aux cochons. Un stradivarius en goguette autour d'un feu de camp dans la grande prairie. Un contre-emploi. Un sous-emploi. Pourquoi pas demander à Einstein de balayer les bureaux tant qu'on y est ! C'est que le piano, c'est un orchestre à lui tout seul. Un piano chez vous équivaut à un philharmonique in-extenso dans votre salon. Le couteau suisse musical. Le pupitre des violons et le gémissement des vents dans les haut-bois, le tintamarre des timbales et le tintannibulement du triangle. Un piano contient à lui tout seul toutes les larmes de Chopin, toutes les symphonies de Beethoven et toutes les orchestrations de Wagner. Alors le cantonner à gauche au fond de la rythmique c'est dommage.
Monk le monstre va se charger de le remettre en pôle position. Commence comme tous les autres pianistes. Par faire du bruit pour se faire entendre. Joue en stride. Le stride, c'est le pumpin'piano de Jerry lee, le boogie des clandés et puis ce dynamique balancement roulé boulé ( rock'n'roll en anlais ) des maisons closes aux sexes grand ouverts. Vite et fort. Et je te répète toujours la même chose. De l'énergie en barre chocolatée. De quoi refiler une santé d'airain aux bites avachies au fond des bouges de la New Orleans. Un truc vachement efficace. Et puis facile. Suffit d'une seule main. Un seul ennui, au bout d'un moment l'on s'ennuie. On se fume une clope, on tapote négligemment les fesses rebondies de la serveuse, et en désespoir de cause on pianote de la dextre, des petits trucs, des fantaisies, des fioritures, chacun y va de son tic à soi. Jerry Lou pour les fadaises, il n'y va pas de main morte, de temps en temps il utilise ses deux battoirs ensemble, vous casse la baraque en moins de deux. Mais Monk lui il refuse d'utiliser un grossier subterfuge de cet acabit. L'a sa tactique. Juste l'inverse. C'est les deux mains qui s'adonnent au stride. Mais attention, accrochez-vous, pas comme tous les autres qui se la jouent concours TGV sur la piste inclinée d'Indianapolis. Non, révolutionne le concept du stride, l'invente la montagne plate, l'eau sèche, le serpent à pattes, le stride lent. Jusque là tout va bien, maintenant ça se gâte, le stride lent n'en n'est pas moins rapide. C'est que Monk fonce doucement. Chez lui il bosse tout seul comme un grand. Mais dehors il n'est pas fou ( enfin si ) sait que de l'eau s'écoulera sous le pont Mirabeau avant que l'on vienne l'écouter lui tout seul, alors il commence à deux ou trois, finira plus tard avec un grand orchestre. Se bat d'abord avec la batterie. Kenny Clarke joue la partie avec lui. Plus tard Elvin Jones héritera du boulot entrepris. Ne s'agit plus de taper, mais de feuler. Un poum de grosse caisse pour cent pchfeut de cymbales, à tout instant soyons subtils. La plus belle fille ne peut donner que ce qu'elle a. Idem pour Monk, l'est en train de définir l'ontologie du piano dans le jazz, mais il le fait à sa manière. Pas de grands discours. L'autonomie de l'autiste. Construit son style à partir de quelques notes. Vous prend une chansonnette, vous en élague la structure, coupe au début, érode le milieu et lime la fin, ponctionne le résultat et vous vous le ratatine une fois de plus, le mec qui s'achète un eskimau géant, qui vire la crème gélifiée et qui se contente de mâchonner le bâtonnet du bout des dents, tout juste s'il ne s'excuse pas d'être si glouton. Monk qui s'empare d'un thème n'emprunte que les raccourcis. De temps en temps vous reconnaissez une note, c'est votre jour de chance, d'habitude il change le mode, la tonalité, la hauteur, vous la rabote par dessous ou vous la transmue par-dessus d'un seizième de demi-ton. Faut suivre. L'adore les dissonances et les mesures en nombre impair.
Pas une once d'arrogance, serviable et attentif. Pouvez lui proposer de jouer n'importe quoi, il connaît, vous dépoussière le truc en trois touches de piano, vous le rénove, vous sertit votre solo d'une monture d'or fin. Evidemment vous avez intérêt à piger immediatly, car le Monk il ne manque pas de vous juger, les grands ne s'y trompent pas, aiment l'avoir avec eux, le gars qui dégage le terrain et vous éveille le public dans la bonne direction, vous le mène à l'endroit exact où vous désirez le cueillir. D'une précision extrême. Ne court qu'à l'essentiel, c'est en cela que réside sa rapidité. Emmenez-le en studio, l'a toujours quelque chose de neuf à proposer. Met plus de temps à trouver le titre qu'à vous pondre un morceau.
Le revers de la médaille existe. Musique exigeante. Faudra dix ans avant qu'une compagnie de disques se décide à l'enregistrer sous son nom. Lion le patron de Blue Note s'y risquera en premier. N'en sera pas récompensé. Monk grave des chefs-d'oeuvre et fait la preuve de ses talents de compositeur. Qui ne se vendront pas. Pourtant l'on avait pris ses précautions. On n'avait pas lâché le fauve taciturne tout seul dans le studio. On l'avait entouré de ses amis. Même scénario chez Prestige. Des disques qui font le régal des musiciens mais qui ne touchent pas le public. Ce n'est qu'en 1962 qu'un gros label, Columbia, se chargera de le produire, preuve qu'il sera devenu une vedette économiquement rentable... .
Lui aura fallu attendre 1953 pour que le ciel s'éclaircisse. L'histoire commence sous de mauvais auspices. Aux States Monk jouait dans un milieu protégé. N'était pas compris mais toute l'intelligentsia des musiciens lui servait de garde rapprochée, on ne l'aimait pas mais on le respectait. Bénéficiait de ces succès déprimants dit d'estime. Ses concerts parisiens seront des fiascos. Sifflé, hué, conspué. Mais le miracle se produit, on l'enregistre lui tout seul pour la première fois, sur un mauvais piano, pour une ultérieure diffusion radio. Son originalité éclate. Les oreilles s'ouvrent et s'écarquillent, l'on est bien en face d'un génie.
Un véritable conte de fée parisien. Malgré son existence de tâcheron appointé du jazz, n'avait jamais douté de son génie. Une deuxième bonne sorcière vient à sa rencontre. Un personnage de légende. Non pas issue de la cuisse de Jupiter, mais de beaucoup mieux en ce bas monde englué dans les économiques valeurs bourgeoises, sortie tout droit de la famille Rothschild, mariée sous le nom de Pannonica de Koenigswarter, divorcée de son diplomate de mari. Très belle et amoureuse, mais qui aux Etats Unis où il est en poste, s'est entichée d'une étrange passion pour la musique nègre. Ne se contente pas d'écouter les disques en catimini chez elle, elle court les concerts, discute avec les musiciens, les défend, les aide, s'entremet pour eux, intervient auprès des autorités, use de son entregent pour les tirer des mains des policiers retors... C'est chez elle que Charlie Parker dévoré par l'héroïne s'en viendra clamser à bout de force, durant six ans elle logera dans sa maison Nellie aux abois et Monk dont l'esprit a définitivement sombré dans une folie mutique...
Les dernières années de la vie de Monk mêleront soleil de la reconnaissance et giboulées de la folie. Les flics lui retireront pour détention de dope durant plusieurs années la carte professionnelle qui lui permettrait de jouer à New York. Devra s'épuiser en incessantes tournées américaines puis européennes. Enregistre désormais chez Columbia, mais au débuts des années soixante-dix le jazz prend un coup de vieux. La musique rock draine les foules. Ceux qui sauront évoluer vers le jazz-rock comme Miles Davis ou les petits jeunes comme Herbie Hancock, tireront leur épingle du jeu. Mais Thelonious Monk est trop enfermé dans son monde, dans le branlant château de son âme, n'en voit pas l'intérêt. Le succès survenu trop tard, ne l'avait pas déjà comblé, n'était pas du genre à s'adapter, choisira de se taire, ne touchera plus un piano durant six ans, jusqu'à sa mort. Retrait et folie, héritée de son père que la famille expulsera mystérieusement de son sein, Monk préféra agir en solitaire, s'exfiltra tout seul de la musique et de la vie.
Un livre à lire. Une vie à vivre.
Damie Chad.
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