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21/12/2014

KR'TNT ! ¤ 215. MIRACULOUS MULE / JALLIES / NATURAL RESPECT / RONNIE BIRD / POP MUSIC IN FRANCE 1968 - 1975

 

KR'TNT ! ¤ 215

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

25 / 12 / 2014

 

 

 

AVIS A LA POPULATION ROCK

L'on est vraiment trop gentils. L'on vous permet d'ouvrir votre cadeau de Noël 215, dès ce dimanche 21, au lieu d'attendre le jeudi 25. N'en profitez pas pour oublier de lire la livraison 214 ! Pour la 216, qui normalement devrait arriver le jeudi 01 janvier 2015, comme l'on ne se fait aucune illusion sur votre éthylique état comateux, vous le retrouverez le vendredi 02 et peut-être même le samedi 03 car nous vous laisserons le temps de reprendre des forces.

N'oubliez pas que selon les prévisions conjuguées de toutes les plus grandes voyantes l'année 2015 sera ROCK AND ROLL. Sans quoi, elle n'aurait aucune raison d'être !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

 

 

MIRACULOUS MULE

JALLIES / FLO / NATURAL RESPECT

RONNIE BIRD / POP FRANCAISE

 

 

 

LE KALIF / 30 – 10 – 14 / ROUEN ( 76 )

 

MIRACULOUS MULE

 

LE MIRACLE DE LA MULE

 

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On avait tout entendu. Qu’ils chantaient comme Captain Beefheart. Qu’ils faisaient un showcase. Qu’ils avaient un article huppé dans Libé et que Libé venait de couler. Que le peuple allait bientôt descendre dans la rue. Que Chihi avait déjà chanté dans des groupes. Qu’on ne pouvait plus se garer sur les quais à cause de la foire Saint-Romain. Qu’ils faisaient du blues possédé par le diable. Qu’ils craignaient l’eau bénite. Qu’ils étaient américains. Qu’ils avaient déjà enregistré des disques. Que le Vatican les avait à l’œil.

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Intrigué par autant de rumeurs propagatoires, on est allé voir. Et on a vu. Comme dirait Howard Phillips Lovecraft, on a vu de nos yeux vu l’indicibilité des choses, ce qu’on ne peut décrire, l’envers du tangible, l’abstraction à quatre pattes, celle qui fait hi-han au plus profond de nos cauchemars psychotropes. Jamais Lovecraft n’aurait pensé rencontrer une mule au détour d’une page du fameux grimoire de l’Arabe fou, le Necronomicon. L’indicibilité des choses régnait d’autant plus que le concert de Miraculous Mule se tenait dans un endroit sacré - tout au moins pour les musiciens de la scène rouennaise - le Kalif, un endroit qui au fil du temps a su conserver l’essentiel, c’est-à-dire la patine trash des salles où les groupes s’entraînent à faire trembler les colonnes du temple.

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C’est là, dans une grande salle du Kalif aménagée pour recevoir les groupes en concert, que s’est produit le miracle de la mule. On a vu jouer pendant une heure un trio de blues-rock exceptionnellement doué. Miraculous Mule, retenez bien ce nom, car ils n’ont absolument aucune chance. Pour deux raisons. Un, le blues-rock n’intéresse plus personne. Deux, ils sont trop bons et par les temps qui courent, le talent ne nourrit plus son homme. Ils sont donc condamnés à errer dans les ténèbres de l’underground britannique jusqu’à la fin des temps. Un sort que personne n’ira leur envier. Brrrrrr. Fâcheux destin.

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Et quand je dis exceptionnellement doué, c’est un doux euphémisme. Ces trois-là sont dans une énergie qui est celle des puissants de cette terre, c’est-à-dire les artistes convaincus de leur force. Demandez à un écrivain s’il doute de lui lorsqu’il tient son idée et qu’il avance dans son travail de gribouillerie. Bien sûr que non ! Il avance comme une locomotive et rien ni personne ne saurait l’arrêter. Ses veines charrient de l’énergie bouillonnante. C’est cette assurance qui porte Miraculous Mule. Ils savent qu’ils sonnent, alors ils nous sonnent les cloches. Ces trois mecs basés à Londres - Camden Town pour être plus précis - redonnent vie au légendaire blues-rock anglo-irlandais que jouaient des power-trios comme Taste ou les Groundhogs au temps jadis, mais avec une touche plus mûre, plus originale, plus sombre, plus vaseuse et même littéralement princière. Miraculous Mule a un son, un vrai son d’atmosphère pesante et tendue. Ils cultivent l’art des blues de train fantôme, montés dans la meilleure tradition des conneries qu’on raconte dans les mauvais articles, mais ils jouent ça avec un brio extravagant. C’est de la balle. Dès le premier morceau, on est happé par le jeu du bassman Patrick McCarthy. Il crée la tension et tarpouille avec le drummer Ian Burns un beat hypnotique sur lequel Michael J. Sheehy va poser ses embrouilles de gammes de blues. McCarthy sort un son terrible de sa basse, il va chercher des télescopages de bas de manche et par l’extraordinaire présence de son jeu, il évoque ces rois du pétrole que sont Jack Bruce ou John Entwistle. Sous son petit chapeau cabossé, l’ami Sheehy joue ses chorus avec un faux air calme, et place souvent ses figures de style acariâtres sous le joug d’un barré. Son purisme outrancier le conduit même à changer régulièrement de guitare. Il collectionne les belles demi-caisses blanches ou sunburnt et il ne semble jouer que pour cautionner l’ineffable big bass blast de son bras droit Patrick McCarthy. Franchement, ce mec ne semble vivre que pour la bassline. Il joue des thèmes du pouce et de l’index et peut rocker n’importe quel ballroom. McCarthy est un véritable hanteur de morceau. Ses lignes traversent les couplets, remontent les fleuves et plongent dans des cascades de tension épouvantablement grandioses. Il dégouline de sueur et le pouls d’un beat mortel lui bat les tempes. C’est lui qui mène ce bal des vampires, il lui arrive même de prendre le micro pour pousser une vilaine rengaine dans le précipice. Il sait créer les conditions d’un bel enfer, celui d’un blues-rock à l’Anglaise, terriblement puritain et encouenné à l’ancienne, comme si les Anglo-Irlandais étaient les seuls à connaître le secret du grand-œuvre. Ils sont d’autant plus fascinants qu’ils ne singent pas les rois du trash-blues américain, de type Knoxville Girls, Porch Ghouls, Blanche ou Bassholes. Les trois Miraculous Mule vont bien au-delà des convenances, des références et des appétences, des ingérences, des obédiences et des luminescences. Ils vont même au-delà des appartenances, des jouvences et des latences, ils transfigurent les nécronomiconneries, les johnny-casheries et les ambivalences de la pertinence. Ils roulent le blues dans leur farine et le font rôtir vivant dans l’âtre. Ça fume, comme sur le bûcher d’Urbain Grandier, dans les Possédés de Loudun. Ils dégagent beaucoup trop d’intensité pour une époque comme la nôtre. Ils dégagent quelque chose qui ne relève pas seulement de la puissance pure, mais aussi du cinétisme. Il règne dans leur set un relent grand-guignolesque. Des squelettes dansent derrière le rideau noir et l’ombre de Jean Lorrain court sur la muraille. Peut-être eût-il été préférable de les voir jouer devant un petit cénacle de lycanthropes au premier rang desquels se fût pavané Pétrus Borel ? Mais non, le Kalif était l’endroit idéal, un écrin de béton au creux duquel luisait l’âme mourante du blues anglais.

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Curieusement, on ne retrouve pas le son heavy blues sur les deux albums du groupe (sauf sur un titre, ««I Don’t Do Nobody Nothin’»). On y retrouve une autre énergie qui est celle du gospel. Écoutez l’album «Deep Fried» et vous verrez trente-six chandelles. C’est sur cet album que se trouve l’extraordinaire «Satisfied» (qu’on peut écouter en ligne). C’est le cut de canne idéal pour clouer le bec d’un set. La bassline hante le cut comme l’asticot hante la jambe gangrenée - I’ve never been - Dommage que la basse ne soit pas plus avancée dans le mix comme elle l’est sur scène. Ce cut fascine par sa seule tension, par le rampant de la menace, par l’énergie du gospel sous-jacent - Oh no - Ils sont dans le vrai, dans le boogaloo blast. On retrouve ce beat épais dans «Dangerous Blues», voodoo camdenique de bas-fonds brumeux. Patrick McCarthy chante comme un crucifié du blues, il se coule dans le torrent de la miséricorde des origines du monde, il va chercher au fond de sa voix des accents rageurs et blessés par le gravier. Ça vire à la charogne baudelairienne, ca vire au bagne sans espoir, têtu et profond, malsain et âpre, jaune et noir. Depuis Wolf, on n’avait plus revu un Evil comme celui qui rôde dans «Evil On My Mind» - Evil all the time - C’est chargé de tous les remugles du boogaloo, ça sort directement des cervelles endommagées de sorciers guinéens entassés dans la soute d’un vaisseau négrier. On entend cliqueter des choses dans le son, ça rampe dans l’ombre, ça rampe sous le manteau, derrière le rideau, dans le secret des alcôves. Le feu sacré du gospel est omniprésent sur cet album. «Run On» et «Early In The Morning» sont scellés comme un destin. Il coule dans les veines anglicanes de ces trois mecs l’énergie du gospel et des chants de chain-gangs qu’entonnaient les forçats noirs sous les coups des blancs sadiques et syphilitiques. Le beat est celui des cadences de bagnards, celui d’une horreur inventée par les blancs, l’esclave dans l’esclavage. De ce fumant fumier s’échappe un art. Nouvel objet de stupéfaction avec «Bald Headed Woman», nouvelle ode au gospel interjectée de courts-circuits de têtes d’amplis à l’agonie - I don’t want no sugar in my coffee - Voilà une hanterie de plus. Ces trois mecs possèdent l’art de posséder les possédables, c’est-à-dire les bienheureux, tous les crédules de la terre et tous les esprits faibles. Il s’élève de ce disque une aube grisâtre chargée de toute la grandeur du gospel et des chants de travail. On se croirait parfois chez Alan Lomax. Un peu plus loin, on entend la bassline de Patrick McCarthy se promener en liberté sur «Country Circuit Preacher». Avec «I’m A Soldier», ils restent dans la sur-puissance du débordement d’énergie et appellent les chœurs à l’émeute. Et ça termine en apothéose avec - Oh ! Ah ! - «Prettiest Train», monté sur le plus menaçant des beats, et ce cut faramineux se termine en jam explosée de descentes de basse infernales qui renvoient à l’âge d’or du blues-rock anglais. Au tapis.

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L’album suivant s’appelle «Blues Uzi». On ne sait pas pourquoi ils délirent sur les armes et au fond, on s’en fout. Tout ce qu’on leur demande c’est de ramener le doom du gros pathos. Alors ils titillent le zizi de «Blues Uzi» qui du coup prend la tournure d’une grosse saucisse bluesy. Avec «I Don’t Do Nobody Nothin’», on retrouve enfin la veine blues rock du concert. On revient au grand palais d’antan, et ça devient TRÈS sérieux. Ils outrepassent le battage éhonté du Cream sound, ils transcendent le blues rock anglais des early seventies. C’est un pur chef-d’œuvre grandiloquent de génie ambulatoire. Ils sonnent dans la cité. Ils passent au groove avec le rampant de la bienséance. Ils savent partir à la dérive du heavy rock, ils savent rompre les amarres et laisser les courants œuvrer. Puis Patrick McCarthy lance «City Of Refuse» sur un riff de basse et ça tourne très vite à la monstruosité. Ils tâtent un peu du carnage des couches inférieures de l’enfer. Toute cette énergie est portée par la basse. Voilà ce qu’il faut bien appeler un beat dressé vers l’avenir. Ça ressemble à une citadelle tombée aux mains de l’ennemi.

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Espérons qu’on reverra Miraculous Mule un jour sur scène, mais en attendant, prions dieu que tous nous veuille absoudre. Pendu pour pendu, autant prier.

 

Signé : Cazengler, tête de Mule

 

Miraculous Mule. Le Kalif. Rouen (76). 30 octobre 2014

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Miraculous Mule. Deep Fried. Bronzerat Records 2013

 

Miraculous Mule. Blues Uzi. Bronzerat Records 2014

 



 

SAMOIS – SUR – SEINE / 19 – 12 – 2014

 

SALLE POLYVALENTE

 

JALLIES / FLO / NATURAL RESPECT

 

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Vous ne devinerez jamais ce que j'ai fait samedi soir ! J'ai participé à l'enregistrement d'un disque. Ne me regardez pas avec des yeux de merlan frit comme si la plus grande rock and roll star du monde écrivait à votre misérable personne de fan admiratif et agenouillé une petite bafouille sympathique. Je le confesse à ma grande honte, ce n'était pas un disque de rock and roll. Non un truc innommable, une espèce de mélange sans nom de reggae, de rap, et de hip-hop. Je sais, ce n'est pas bien. Mais je vous promets de ne pas recommencer. Plus jamais de ma vie. Enfin pas de si tôt.

 

Ce n'est pas de ma faute. C'est le grand Phil qui m'y a traîné. La teuf-teuf mobile ayant refusé de participer à ce sacrilège, l'on est partis dans la toto-trinette. En plus quand la copine a appris qu'il y avait les Jallies, l'a à tout prix voulu m'accompagner, comme si elle n'avait pas confiance en moi.

 

D'autant plus que je n'y allais pas spécialement pour les zoizelles ( enfin, si un peu ) mais pour un gars. En tout bien, tout honneur. Je vous rassure. Dernier show de l'année sur la région pour Julien, le grand Phil et moi, l'on tenait à y témoigner notre amitié, pour tous ces concerts fabuleux qu'il a soutenus de sa contrebasse, et aussi pour ce qu'il est, un de ces êtres humains qui vous font chaud au coeur par leur manière d'être dans le monde.

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La seule maison éclairée de Samois est la salle polyvalente. Je crois rêver, elle est bâtie sur le même modèle que celle du tremplin rock présenté par Ady ancienne guitariste et chanteuse des Jallies ( voir KR'TNT 205 du 15 / 10 / 2014 ) dans le patelin voisin de Chartrettes que Nakht avait brillamment remporté : escalier d'accès bétonné similaire et même architecture d'intérieur.

 

Droit d'entrée deux euros – non ce n'est pas une erreur de transcription – en plus l'on se précipite pour nous apporter un café brûlant. Gratuit, bien entendu. Y a même une navette ( encore ) gratuite pour les jeunes d'Avon, la ville voisine, qui auraient envie de se rendre au concert. L'on ne va tout de même pas aller vous chercher chez vous en pointant un revolver sur votre tempe ! Peut-être devrait-on adopter cette manière forte puisque il n'y aura au final qu'une petite centaine de spectateurs.

 

JALLIES

 

Les samedis se suivent et ne se ressemblent pas. Un plateau grand comme la moitié du Sahara, les Jallies en occupent le centre, vous pourriez garer deux caravanes de trente dromadaires de chaque côté de la scène qu'il resterait encore de la place. Thomas et Julien sont derrière mais pour une fois on les voit parfaitement. Les chipies ont beau essayé de faire barrage à notre vue en s'interposant entre eux et nous, rien n'y fait les demoiselles du public pourront admirer sans réserve les deux beaux boys.

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Les trois plus belles sont devant. Rayonnantes. Trois soleils pétillants de joie et de grâce. Je passe sous silence, l'incessant ballet ponctué de rire qui les emmène à changer de place tous les deux morceaux. Un, deux, trois, c'est parti comme sur du papier ( celui des cadeaux de Noël ) à musique. Un set unique. Profitez-en elles ne reviendront pas. N'ont pas fini leur premier morceau que tout le monde est devant la scène, totalement subjugué. La magie Jaillies a encore frappé. Même moi, qui leur pardonne d'avoir sauté Be Bop A Lula, un crime inexpiable, mais avec leurs sourires enjôleurs et leur entremêlements de voix envoûtant, vous cédez à tous leurs caprices.

 

Honneur aux boys sur qui les trois cruelles mégères s'amusent à décocher des petites phrases assassines totalement injustes. Sous son chapeau – l'a gardé pour se protéger des traits empoisonnés, Thomas répond par des intros meurtrières qui laissent à notre trio de sorcière tout juste le temps de cavaler derrière leurs micros et Julien se lance en des soli de démonstration qui vous coupent les jambes. Alors les filles, vous croyez être les reines du swing, écoutez un peu my big mama et retenez la leçon. Et tout le monde applaudit en hurlant de toures ses forces.

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Le plus terrible c'est que ce genre d'argument ne les émeut guère. Thomas leur brode sur sa six cordes des petites merveilles qu'il glisse adroitement entre les coups qu'elles portent à tour de rôle sur la caisse claire, ou alors il vous tricote une longue écharpe de notes fuselées pour faire la jonction entre les reprises ou les chavirements des choeurs, les trois pestes n'en ont cure, ce sont elles qui retiennent le public captif dans les barreaux mordorés de la cage d'or de leurs vocalises. Vous êtes prisonnier comme un Merlin pas malin ensorcelé par trois Viviane.

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Céline a ajouté une corde à son arc, un nouvel instrument à sa panoplie, au cas où vous ne le sauriez pas, c'est un kazoo, au son nasillard comme pour souligner l'impertinence de son sourire mutin, quinze secondes, pas plus, même pas, mais assez pour attirer toute l'attention sur elle, comme si elle avait besoin de cela avec sa voix qui circonflexe sur les arpèges en se jouant des difficultés. De ces égéries qui marchent en tête des troupes qu'elles mènent à l'assaut.

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Vaness, aux yeux d'innocence sous la blondeur de ses cheveux, mais aux réparties canailles et à la voix de cailloux roulés par les torrents de montagnes altières, elle est le feu qui brûle et qui consume. Une torche indisciplinée au sourire incendiaire. Cavale sauvage et indomptable qui se lance à l'assaut des standards pour les plier à sa démesure outrancière.

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Leslie, sourire suave et tambourin d'acier qu'elle manie comme l'égide d'Athéna. Capable de tout, du slow langoureux de Tunel of Love aux galops effrénés d'Imelda May ou de Johnny Burnette. La troupe d'élite que l'on n'engage que pour les coups de mains audacieux où se joue le sort de la bataille.

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Trois filles d'aujourd'hui, souveraines, libres de leur âme. Elles swinguent et rockabillisent à merveille, sans affectation, par jeu et par plaisir. Vous redonnent confiance en le futur de l'humanité par leur simple présence. Le show se termine sur un Jump, Giggles and Shout – Gene toujours là – dévastateur. Mais ce n'est pas fini. Alex et Nico de Natural Respect sont au micro. Ils ne viennent pas demander un rappel. Non, simplement rendre un hommage, celui de la jeune génération à la précédente, rappellent comment ceux et celles qui sont devenu(e)s les Jallies ont été un modèle pour les moins de vingt ans. Des mots venus du coeur, sincères et émouvants. Le plus beau moment du set. Mais l'on ne récolte que ce que l'on a semé.

 

FLO

 

N'était pas prévu sur l'affiche mais Natural Respect lui laisse la place le temps de peaufiner l'installation de leur matos. L'est tout seul avec son sampler et sa guimbarde. Les gens sont au fond de la salle, près du bar et des plats à crêpes ( succulentes ). Ce n'est pas gagné d'avance. Ne chante pas, fait des bruits de bouche. Les lèvres enchâssés sur le micro. Les conversations s'arrêtent, les regards se tournent vers cet étrange bruiteur qui ne joue d'aucun instrument mais qui crée sa propre musique. Et doucement tout le monde se regroupe devant la scène. Les premières minutes ont surpris leur monde, les suivante ont conquis les méfiances les plus rétives. Nous sommes loin du rock mais respect à ceux qui osent frayer d'autres voies quand bien même s'éloigneraient-elles de nos ères de prédilection. Un garçon à suivre.

 

NATURAL RESPECT

 

Déjà rencontrés au mois d'octobre. Je ne serais pas revenu les voir ce soir, s'il n'y avait eu les Jallies. Naturellement je respecte, même si je ne partage pas leur style musical. Certes je ne suis pas sectaire mais je n'aime que le rock and roll. Ceci étant posé, force est de reconnaître qu'ils ont du talent et qu'ils savent être fidèles à eux-mêmes. Et à leurs idées. Chose rare en ce monde où les gens n'ont que des préférences. Beaucoup plus facile de faire semblant de croire que la liberté réside en l'exercice de votre choix entre les différents produits que l'on vous propose. Que ce soit sur les rayons de votre supermarché préféré ou dans le prêt à porter des pensées démocratiquement correctes.

 

En plus ils ne vous prennent pas en traître. Avancent derrière leur drapeau. Ce soir ils sont là pour enregistrer leur nouvel album au titre significatif : Anartiste. Difficile d'être plus clair dans le noir profond. Jeunesse en colère au regard lucide. Chantent en français, ou plutôt Alex scande en notre langue. Un peu rap, un peu chant. Mais une diction claire et nette. Vous ne pourrez pas dire que vous n'avez pas entendu. Pour débuter un morceau sur l'état du monde, sans concession. Les nantis et les pauvres. Lutte des classes. Ce sont les riches qui ont remporté le match. Le démontage des discours foireux dont les médias gavent leurs ouailles consentantes. Il n'est de pire esclave que celui qui fait semblant de ne pas comprendre. Pour sortir de la nasse, n'y a que la trente-sixième solution, celle des anarchistes espagnols qui à Barcelone ont pris le fusil. C'était en 1936, presque un siècle. Mais la situation n'a pas changé entre temps. En fait si, elle a empiré.

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Six sur scène. Nail a reçu du renfort. La section de cuivre s'est étoffée de Jérémy. C'est fou comme l'adjonction d'un seul instrument peut changer la donne. Pourtant il ne prend pas des soli dévastateurs, se contente d'accompagner, presque discrètement, mais la trompette de Nail se meut beaucoup plus aisément sur ce tapis continu. Très jeune et plein d'énergie le Nailhouse Groove, n'arrête pas de danser comme s'il était dans les Famous Flames de James Brown. C'est que Natural Respect joue très funk. Affichent rap et reggae, mais s'en démarquent avec brio et humour. Vous aimez le reggae demande Alex et le public répond oui. Eh bien, nous on n'en joue pas. Même plaisanterie sur le rap. Manière de faire prendre conscience aux adeptes d'une admiration trop parcellairement fanatique que le style de musique n'est pas une fin en soi mais le vecteur de leur révolte.

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Natural Respect ne confisque pas la musique, un des plus beaux passages du set sera cette impro autour de Flo rappelé sur scène, qui permet à chacun de faire preuve de sa virtuosité. Tristan à la batterie mène un tohu-bohu d'enfer, dessine le rythme que sur sa guitare Nico émiette sans fin jusqu'à le réduire en charpie. Clément se joint avec sa basse à ces deux forgerons du beat afin de renforcer leur frappe incessante. Deux blackoss sont montés sur scène – j'ignore leurs prénoms – l'un danse et l'autre se partage le micro avec Alex. Possède un bel organe vocal, sonore et viril qui ne dépare en rien les interventions d'Alex. Si l'on n'y prend pas garde, si l'on laisse les yeux s'attarder sur les autres musiciens, ou si les deux chanteurs échappent à notre vue car ils bougent beaucoup, l'on peut confondre les deux voix, tellement l'osmose rythmique est parfaite. Nail abandonne sa trompette et s'en vient rapper. Jeune, mais doué. A le groove dans la peau, mélangé à son sang qui pulse sans fin.

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Une belle prestation, peut-être un peu trop longue et répétitive sur la fin. Mais quitte à enregistrer autant avoir un maximum de matos pour opérer une sélection. Natural Respect ont assuré grave et groove. S'ils repassent dans les environs je ne les bouderai plus.

 

DERNIER CONCERT ( snif ! snif ! )

 

C'était le dernier concert de l'année. Il y a bien quatre groupes ( tous genres déclinés, pop, rock, punk ) prévus le lendemain au même endroit et avec la même organisation de rêve, mais le devoir familial m'appelle en Ariège sur mes hautes terres natales. Et ces fainéants d'autochtones ariégeois qui, vus d'ici par la lorgnette du net, ne sont même pas capables d'organiser un petit concert dans cette festive période ! Natural Respect a raison : la fourmilière a besoin d'un bon coup de pied au derrière ! Même que des fois, une bonne rafale de kalachnikov sur le vieux monde croupissant... Enfin je vous laisse juges... En attendant, une dernière bise aux Jallies pour nous protéger de la cruauté du monde.

 

Damie Chad.

( Les photos issues des FB des artistes ne correspondent pas au concert )

 

RONNIE BIRD

 

in JUKEBOX N° 337

 

( Janvier 2015 )

 

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Le Pivert est de retour ! De quoi égayer notre hiver ! L'a pris un coup de vieux. Nous aussi. Des lunettes à la main – mauvais signe – mais une silhouette de jeune homme. Pose devant des affiches de sa jeunesse. Quand il était une promesse du rock français. Un petit sourire désabusé, comme le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui. 1964 – 1969, six années fabuleuses, et puis plus rien, Ronnie s'éloigne du rock, de la France, et de nous. Satellite perdu en terre américaine dont ne nous arrive que de rares signaux, une interview dans Rock and Folk, un live en 1983, un disque vorld calamiteux en 1992... tout cela sans donner l'impression d'y croire vraiment. Ronnie a tourné la page, relit parfois les premiers chapitres, mais sait très bien que sur le livre de la vie on ne peut changer un seul mot de ce qui est écrit.

 

Une longue interview dans laquelle il se livre un peu, mais point trop. Explique tout de même son éloignement. Un accident de voiture dont il est judiciairement responsable et dont il devient la victime – lui-même n'emploie pas ce mot – en devant en assumer les retombées financières. Comme toujours le fric est le nerf de la guerre et Ronnie ne vend pas assez pour satisfaire ses deux maisons de disques successives qui rognent sur les budgets et les royalties. Ronnie est à l'endroit où ça se passe, il a compris que le rock est en train de changer, mais il bricole, court partout, fait au mieux, mais s'épuise vite. De guerre lasse pour se renflouer il accepte de jouer le rôle de Barrabas dans Jésus Christ Super Star... Finira par partir aux States comme preneur de son pour Antenne 2. Change de vie pour ne pas s'écrouler sous le poids des désillusions.

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Un fils perdu de la bourgeoisie. Peut-être trop velléitaire pour réussir. N'a pas la rage de vivre ni l'envie de vaincre chevillée au corps. Le milieu musical français ne l'a pas aidé. Fait partie d'une génération sacrifiée. Celle d'un Noël Deschamps et d'un Thierry Vincent. Un pied chez les pionniers et l'autre parmi ces nouveaux groupes anglais qui possèdent un son extraordinaire. Mais il reste le chantre de ce rock électrique qu'il fut le premier à maîtriser en France avec des titres comme Elle M'Attend, Fais Attention, et Où Va-t-elle ? Et puis le tournant vers le Rhythm and Blues et ce merveilleux titre que fut Sad Soul sur son dernier simple.

 

De l'histoire ancienne et dépassée. Ronnie s'est fait une raison. Ce n'est pas à soixante-huit ans que l'on rattrape le temps perdu, même si Jukebox sort un nouvel album 25 centimètres En Direct ! ( JBM 027 ) de l'intéressé avec des titres rares, des directs télé, une alternate take, et mirifique surprise un titre inédit, une curiosité tirée à trois cents exemplaires. Just for Fans. Ne se plaint pas de sa vie. Une belle jeunesse, et quand la mer s'est retirée, l'est parvenu à rester debout. L'aurait pu s'effondrer. L'a survécu. En est fier. Comme un rocker. Revenu de l'Enfer.

 

Damie Chad.

 

JUKEBOX

 

HORS-SERIE N° 28 / JANVIER 2015

 

SPECIAL POP FRANCE - 1968 – 1975

 

ALICE / AU BONHEUR DES DAMES

 

ALAN JACK CIVILIZATION / JACKY CHALARD

 

JOËL DAYDé / DYNASTIE CRISIS + JACQUES MERCIER

 

/ MAGMA / TOTAL ISSUE / OPHIUCUS

 

/ SYSTEME CRAPOUTCHICK / TRIANGLE

 

VARIATIONS / ZOO

 

Un numéro à conserver précieusement. Quand on y regarde de près l'on s'aperçoit qu'il n'y a point trop d'ouvrages sur la question. Le Rocorico de Christian-Louis Eclimont paru en 2012 ( voir KR'TNT ! 126 du 10 / 01 / 2012 ) et c'est à peu près tout si l'on excepte quelques monographies pas toujours accessibles. C'est la troisième génération du rock français – quatrième si l'on tient compte des galéjades autour de Boris Vian et consorts – celle qui suit la deuxième, celle de Ronnie Bird et de Noël Deschamps qui court de 1964 à 1969.

 

Le monde était en train de changer. Les évènements de Mai 68 avaient ouverts les yeux et surtout les oreilles de toute une jeunesse qui malgré son sempiternel renouvellement générationnel ne s'était dans sa grande majorité – hormis les couches des milieux populaires – que très peu intéressée à cette musique de voyous que l'on appelait rock and roll. D'ailleurs en cette nouvelle ère qui s'annonçait l'on préféra user du terme Pop-Music d'apparence plus neutre et comme ayant symboliquement effectué une coupure avec la vieille imagerie très négative des blousons noirs.

 

La France étant un pays traditionaliste, pas question de s'en laisser compter par les capitalistes américains et le conservatisme des grands bretons. Fille de la Révolution Française, de la Commune, toute une partie – la plus remuante et la plus audacieuse - de la jeune génération se proclama héritière du Mouvement Ouvrier. La révolution était à l'ordre du jour. L'accompagnement musical de l'épopée en gestation l'on s'en moquait comme de la division du travail entre chasseurs et cueilleurs chez les tribus ante-néolithiques dans le bassin méridional de l'Eupphrate. Le mouvement gauchiste ne comprit que trop tard avec l'émergence de groupes comme VLR ( Vive La Révolution ) que la révolution en marche qui résulterait de la grande commotion soixante-huitarde serait beaucoup plus sociétale que politique.

 

L'herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin. Une autre fraction de notre saine jeunesse en accord parfait avec l'idéologie libérale des nouvelles élites industrielles et intellectuelles n'eurent d'yeux que pour la Grande Amérique et la perfide Albion. Certes ils n'admiraient pas les mêmes éléments. Ne s'intéressaient qu'à la production musicale de ces deux nations. En vinrent à dénigrer tout ce qui pointait son museau sur le sol national. Axiome de base : le meilleur des groupes français n'est qu'un étron de moucheron comparé au dernier des combos saxons.

 

Statutairement parlant le rock français partait avec un grave handicap. Un cheval à qui vous coupez d'office les quatre pattes a très peu de chance de remporter le derby d'Epsom. Maintenant faut être juste : l'existe comme un fossé - pour ne pas dire un gouffre abyssal - entre Martin Circus et Led Zeppelin. Retournez les galettes respectives dans tous les sens, le constat même avec trois cents kilos de mauvaise foi cocardière est accablant. Ce qui est étonnant chez Jukebox c'est leur parti-pris hautement revendiqué. On y traite tout objet d'étude avec le même sérieux et la même rigueur. Que l'on s'étende sur les Rolling Stones ou Triangle, l'on utilise la même méthode, les dates, les faits, les statistiques, les classements. Tout relevé est élaboré avec le même soin maniaque. Un extra-terrestre tombant sur un numéro de Jukebox pourrait en déduire que les Stones et Triangle firent preuve d'une égale créativité.

 

Reste que malgré ses soixante-huit pages bien tassées mais non extensibles le choix des artistes évoqués n'a pas dû être facile. Quoique chez Jukebox, pour les numéros spéciaux l'on ne s'enquiquine pas. L'on refourgue pas mal d'articles déjà parus dans le mensuel. L'est sûr que rapprocher de ses alter égos une formation quelconque aide celle-ci à acquérir une signifiance historique beaucoup plus pertinente. Mais c'est aussi le moyen de vous faire cracher au bassinet vos maigres pépites pour entrer en possession d'informations que vous possédez déjà. Pour faire passer la pilule l'on agrémente le plat principal d'interviews souvent passionnantes. C'est un art à part entière que de savoir accommoder les restes.

 

PREMIERS CONSTATS

 

A première lecture ou en consultant ses propres souvenirs l'on a l'impression d'un foisonnement innombrable. Mais dès que l'on s'amuse à retracer les arbres généalogiques l'on s'aperçoit que souvent ce sont les mêmes noms qui reviennent. Les musiciens passent de groupe en groupe comme un billet de dix euros change de poche. L'on peut facilement identifier trois poches séminales, ou trois plaques-tournantes essentielles : Les Pingouins, Les Cinq Gentlemen, et Alan Jack Civilzation. Dans l'ordre chronologique : les palmipèdes de la banquise étant représentatifs de la première génération rock and twist du tout début des sixties, le quintet de la mid-sixties au parfum britannique indéniable entretenant de la douceur électrique du folk rock tout en flirtant avec le rêve illusoire d'une variété nationale de qualité, et la nouvelle civilisation des utopies underground de la décennie 70 se cristallisant dans les expériences tant musicales que communautaires de cet improbable rêve hippie d'une nouvelle manière de vivre...

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Les musiciens sont soumis à dure épreuve. Les plus doués sont ceux qui savent d'où ils viennent. Du jazz, de la musique classique, et pour une petite minorité du rock des pionniers. Tous les autres prennent le train en marche. C'est beaucoup mieux que de rester sur le quai. Mais ils sont confrontés à une problématique exaspérante. Ne venant de nulle part, ils n'ont aucune idée de l'endroit vers lequel se diriger. Faut qu'en quelques années ils fassent le chemin que les englishes ont mis dix ans à parcourir. En sont réduits à refaire le trajet à l'envers alors que le train va de l'avant. Sont partis pour jouer du rock guitar, du boogie rock électrifié à mort, mais certains sont tentés par les racines du blues et d'autres attirés par les sirènes du rhythm and blues. Ce dernier est une véritable valise magique, tout ce qui y rentre fait ventre. Des cuivres tonitruants de l'écurie Stax à la folie meurtrière des groupes mods qui à partir de la matrice noire réinventent le rock and roll blanc, il y a de quoi en perdre sa boussole.

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Les années soixante-dix furent aussi celle de la suprématie du progressive rock. Fallut attendre la tornade punk pour renvoyer la boursouflure progressive dans le bourbier des modes dépassées. Emerson Lake and Palmer, Yes, Genesis, étaient les groupes favoris des jeunes français, vous étiez un béotien si vous vous réclamiez de Mountain ou du Blue Öyster Cult. Aujourd'hui l'étiquette progressive a été préservée de la disparition, l'on a pris l'habitude de l'accoler à un courant, le hard rock, qui était sa bête noire. L'on parle sans sourciller de progressive hard, voire de progressive metal. Lorsque le rock veut péter plus haut que son cul, lorsque les killers guitar heroes meurtriers s'achètent une conduite, ils s'affublent de cette contre-marque nauséabonde. Au début des seventies nombre de musiciens étaient victimes d'un complexe d'infériorité. Dans leurs rêves les plus fous ils s'identifiaient aux compositeurs classiques. Pays de haute culture la France n'a pas échappé à cette rétro-jalousie. Je me souviens d'une interview – ce doit être dans Special Pop - d'Alice dans laquelle le groupe affirmait que le nom avait été choisi pour conquérir le marché américain puisqu'il était facile de l'écrire ALL ICE. La glace se mariant parfaitement avec la musique cérébrale du quartet... Z'auraient jamais dû enregistrer Je Voudrais Habiter Le Soleil car le glaçon a fondu en laissant une marre pas plus grosse qu'un pipi de chat. Tout le monde n'a pas la dimension de King Crimson.

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Alice n'est pas ressortie vivante du terrier dans lequel elle s'était imprudemment fourvoyée. S'est faite doubler par un Ange. Qui lave plus blanc que deux barils de n'importe quelle autre lavasse. Ce n'est pas moi qui le dit, mais Dieu le Père, son créateur Christian Descamps qui commente toute la longue carrière de son orchestre. Difficile de lire jusqu'à la fin. Dix pages d'auto-satisfaction proclamée. Même manière de penser que John Lyddon dans sa dernière autobiographie. A les lire nos deux bonshommes n'ont enregistré que des disques essentiels tout au long de leurs carrières respectives. Un des dangers les plus courants du succès s'avère être l'hypercatastrophiesation de l'égo. Encore que tout est relatif. Entre Emile Jacotey et Never Mind The Bollcks, immense est la différence d'amplitude.

 

COURANT ROCK

 

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Rien de plus gênant que le melon qui enfle. Vaut mieux ne pas se prendre au sérieux et s'appuyer sur des valeurs sûres. Intellectuellement parlant le retour au twist ne pèse pas lourd face à ceux qui recherchent la sagesse supra-musicale. Au Bonheur Des Dames fut perçu comme une galéjade, une désopilante plaisanterie d'une bande de copains qui se lance dans un concours de pets après les haricots de la cantine. Quand l'histoire foira, il ne resta d'ailleurs que les mauvaises Odeurs. Oser se réclamer de Johnny Hallyday, de Dick Rivers et d'Eddy Mitchell alors que le moindre pékin pleure des larmes de sang en entendant un disque du Pink Floyd, fallait être singulièrement stupide et hors du coup ! Les has-been ont la vie plus dure qu'on ne le croit. On qualifia Au Bonheur Des Dames d'abominables passéistes, n'étaient que les précurseurs d'un mouvement auquel personne ne s'attendait, le retour du rock. Au Bonheur Des Dames ne faisait que rembobiner les toutes dernières images du film. Ce retour en arrière était un appel à un grand bond en avant. L'on rigolait en se remémorant le bon temps du twist pour mieux déblayer le chemin à l'explosion punk qui ne tarderait pas à survenir.

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C'est à la même époque que Jacky Chalard bassiste de Dynastie Crisis en vint à monter le label Big Beat Records pour donner un coup de main aux Alligators et à Jezebel Rock deux groupes venus d'une autre planète que l'on croyait perdue à tout jamais, le rock des pionniers. Le label fut à l'initiative de la renaissance du mouvement rockabilly en France et par ricochets eut quelque influence notable sur le redémarrage de carrières mises en veilleuse de chanteurs américains de la grande époque.

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Mais le grand groupe rock de l'époque fut en France les sublimes Variations. Comme beaucoup de prophètes qui se respectent ils commencèrent par être reconnus à l'étranger, en Belgique, au Danemark, en Suède où ils enregistrèrent leur premier single, en Allemagne... En France ils eurent le statut de groupe de province. Pas d'une unique région, mais de toutes les tranches de l'hexagone. Intelligentsia parisienne les ignora. La presse rock les bouda. Des espèces de métèques venus du Maroc qui se permettaient de faire un boucan de tous les diables dans leur concert quand l'heure était au recueillement quasi-religieux devant le tintement d'une clochette agitée avec componction par les batteurs des grands groupes dignes de ce nom, c'était plus que de chastes oreilles d'esthètes ne pouvaient humainement supporter. Sans compter que toutes les jolies filles leur couraient après. Ah ces pauvres délurées prêtes à se donner à la première brute séminale qui passe, quelle horreur ! Mais leur crime de lèse majesté fut surtout d'être sur scène aussi bons ( et parfois même meilleurs ) que la crème anglaise. L'est des interdits à ne pas dépasser. Celui qui possède le statut de cancre ne peut prétendre remporter le premier prix de version latine. Les variations en moururent d'épuisement. Trente après leur aura légendaire ne cesse de monter au firmament du rock français.

 

N'y a pas que le rock dans la vie. Il y a aussi le blues. Alan Jack n'aura pas fondé la civilization blues dont il rêvait. L'est parti trop tôt. L'est mort en 1995, trente ans après la formation de ce qui n'est pas son premier groupe, mais qui porte déjà son nom, l'Alan Jack Group. Un tiers de siècle cela vous permet de faire œuvre, encore faut-il baigner dans une réalité porteuse. Alan Jack souffrira de la même addiction à la drogue que Paul Butterfield. Mais il n'est pas né au pays du blues comme son frère d'ombre américain. N'a pas connu le même environnement. N'est pas un héritier. Plutôt un fondateur puisque il fut accompagné par Patrick Verbeke et Benoit Blues Boy. Higelin le côtoya aussi, ce qui explique pourquoi et comment le grand Jacques abandonna un moment son statut de chanteur à textes mouvance dadao-rive gauche pour se métamorphoser le temps de trois à quatre albums en parfait rocker français.

 

D'UN AUTRE MONDE

 

Finirai par Magma et l'extraordinaire interview de Klaus Blasquiz qui resta dix longues années avec le groupe le plus étonnant de tout le rock français. Un parcours unique, jazz, rhythm and blues, Kobaïa. L'on peut ne pas aimer Christian Vander. Penser que ces derniers temps, il se répète beaucoup, que l'aventure Magma n'aura duré que cinq ans, que par la suite l'intérêt se dilue. Peut-être, mais en ses premières années Magma édifie une oeuvre colossale à la jonction du jazz suprême de John Coltrane, des torsades rythmiques de la musique classique du vingtième siècle, et de l'énergie haut-voltage du rock and roll. Klauz cause de Magma sans effusion sentimentale, simplement, les pieds sur terre mais la tête dans Kobaïa. La planète si follement inventée qu'elle en acquiert une existence mythique qui jouxte la réalité la plus prosaïque. Ne parle pas de musique mais de musiciens, de leurs talents et de leurs limites. De leur passage dans Magma, de leurs traces, et sans acrimonies de la suite de leur carrière que l'on pourrait souvent juger contraire à la haute prétention éthique de Magma. Donne aussi avec une très grande sérénité une explication psychologique de la première dissolution de Magma. Un peu incompréhensible à l'époque. Malgré les explications somme toute peu explicites de Vander dans une longue interview accordée à Rock & Folk. Christian Vander casse le beau jouet qu'il vient d'achever de construire et dont il rêvait depuis toujours. Un comportement d'apparence aberrant, mais que l'on retrouve chez une foultitude d'êtres humains qui s'interdisent la jouissance prolongée de tout bonheur, même chèrement acquis. L'enfant abandonné par sa mère parvenu à l'âge adulte ne peut qu'endosser la culpabilité dont il refuse d'accuser la marâtre adorée. Un transfert autodestructeur dont il reste incapable de s'abstraire. La rock music comme une ascèse intellectuelle qui refuse les douillettes consolations psychanalytiques de Docteur Freud.

 

1968 - 1975

 

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Une époque fabuleuse. L'on sentait les coutures du vieux monde craquer sous la montée de la sève virulente d'une jeunesse occidentale décidée à bousculer les vieilles idées. Les promesses espérées n'ont pas été tenues. Dès la fin de la décennie ce fut le commencement de la régression, et l'instauration de cette chape de plomb puritano-libérale, économico-politique, qui nous étouffe et nous asservit. Le rock dans toute ses contradictions fut la bande-son de cette tentative prométhéenne de renversement de l'ordre social. Aujourd'hui, il a perdu de sa faconde, il suit les trottoirs et traverse entre les clous des passages protégés.

 

Qui rallumera le feu ?

 

Damie Chad.

 



 

17/12/2014

KR'TNT ! ¤ 214. MATTY JAMES / JALLIES / MEGATONS / GHOST HIGHWAY / ROBERT JOHNSON / SCREAMIN' JAY HAWKINS

 

KR'TNT ! ¤ 213

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

18 / 12 / 2014

 

 

MATTY JAMES / JALLIES

GHOST HIGHWAY / MEGATONS / ROBERT JOHNSON / SCREAMIN' JAY HAWKINS

 

 

LA MIRABELLE / PONT-AUDEMER ( 27 )

 

08 - 11 - 2014 / MATTY JAMES

 

MATTY A DU MATOS

 

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Quel piège ! Le concert de Matty James était organisé dans un petit restaurant de Pont-Audemer, à cinquante bornes de Rouen, un samedi soir ! Comme il fallait prendre la bagnole, ça voulait dire en clair qu’on devait choisir entre l’apéro, la bouteille de vin au repas, le pousse-café renouvelable ou les bières après le repas. Pire que le Choix de Sophie. En outre, traverser une partie de la Normandie à cette heure-là, c’était quasiment la même chose que de traverser la Sierra Nevada au temps des guerres menées par cette immonde canaille de George Crook contre les Apaches. Non seulement on risquait l’embuscade, mais bien pire, on risquait aussi la déshydratation. De la même façon que McClure, on redoutait mille fois plus le parcheminage du larynx que de tomber vivant aux mains des guerriers apaches. Dans la bulle au-dessus de la tête - la même que celle qu’on voit au-dessus de la tête du Capitaine Haddock - le combat faisait rage entre l’ange gardien et le petit diable rouge qui disait : Vas-y mon gars ! L’ange gardien prônait plutôt la prudence et recommandait de rester assis bien au chaud près de la barrique de rhum.

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Rien n’est plus radical qu’un bon verre de rhum pour s’éclaircir les idées. On fit alors une synthèse du combat idéologique entre les forces du bien et du mal et décision fut prise de gagner le charmant village de Pont-Audemer et de se livrer à tous les excès. Comme ça au moins, on ne fâchait personne. On découvrit en outre qu’il existait une autoroute entre Rouen et ce charmant village qu’on surnommait la Venise blanche parce qu’elle fut à une époque la «plaque tournante» d’un intense commerce d’héro (allez savoir pourquoi les plaques tournent). La Venise blanche ne figure pas dans les dépliants que distribue l’office du tourisme local. Ce genre d’info circule sous le manteau et rend la localité beaucoup plus pittoresque qu’elle ne paraît. On arrive effectivement dans un endroit charmant et ce qui frappe le plus l’étranger, disons que c’est le calme. Mais un calme étrange qui doit remonter à l’époque de Gustave Flaubert. À 20 heures, les ruelles sont désertes et de fort belles demeures cossues n’attendent que la visite d’Arsène Lupin ou d’un trio de cambrioleurs à casquettes.

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Matty James se produisait à La Mirabelle, un petit restaurant du centre-ville. Il s’agissait en fait d’une minuscule auberge dans laquelle s’entassait une bonne vingtaine de personnes. Au premier coup d’œil, on vit Matty James et son tourneur attablés autour d’un bon repas. Les rockers d’outre-Manche s’arrangent toujours pour se faire remarquer, mais au fond, ils ne le font pas exprès. Ils se distinguent du commun du mortel par une sorte de classe naturelle. On les reconnaît immédiatement, de la même façon qu’on identifiait au temps de Flaubert un saltimbanque par sa seule allure. Matty James portait un petit chapeau noir. De longues mèches de cheveux noirs de jais s’en échappaient et des rouflaquettes épaisses lui dévoraient les joues jusqu’au bas des mâchoires. Il portait des habits sombres et des médailles tintinnabulaient autour de son cou. Mais le détail physiologique qui frappait le plus chez lui était la grosseur de la tête. Il avait le visage massif et vaguement inquiétant d’un capitaine de flibuste, une tête encore jeune mais comme bosselée par le nez et le front et sous les arcades scintillait un regard d’une extrême vivacité. Matty James était infiniment plus crédible que Johnny Depp. Il n’avait pas besoin de souligner son regard au khôl pour se donner un air romantico-féroce. Matty James semblait naturellement romantico-féroce. En plus, le rencontrer dans une auberge, c’était comme de rencontrer Long John Silver à l’auberge de l’Amiral Benbow ou le mystérieux Petit Radet dans un caboulot enfumé de Brest. En outre, l’intrigue se déroulait à terre, comme chez Mac Orlan.

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On fit rouler les apéros et la patronne nous dressa une petite table juste en face du coin où devait chanter Matty James. Nous n’étions qu’à deux mètres du pied de micro. Nous saucions encore nos assiettes lorsque Matty vint se poster derrière son micro avec une belle guitare noire. Il attaqua aussitôt son set acoustique. Nous fûmes donc pris dans la nasse : devant nous le chanteur et dans notre dos le maigre public qui acclamait. Continuer à se goinfrer devant un artiste qui chantait était parfaitement incongru. Les bruits de fourchettes et de mastication ne pouvaient que nuire à la qualité du spectacle. Matty chantait debout et il grattait ses accords avec l’assurance d’un vrai loup de mer. Il sortait un son plein et dense de sa caisse et son œil perçant semblait parfois nous harponner. Entre deux couplets il éloignait la tête du micro pour gratter quelques brassées d’accords, puis il revenait brusquement se caler face au micro. Il balançait son grand corps au vent du beat. On l’aurait cru posté sur un gaillard arrière. Il avait cette silhouette haute et massive du hardi capitaine lancé à la poursuite de l’Espagnol. Quel personnage fantasque ! Vous n’en verrez pas souvent d’un tel calibre. Il chantait d’une belle voix grave et affichait une fière allure. Il ne portait pas de bottes à grands rabats graissés à l’huile de phoque, mais de simples creepers noires. Il semblait connaître les limites de la prestation acoustique et tentait du mieux qu’il le pouvait de compenser l’austérité du set par de l’intensité expressive, mais rien n’est plus périlleux que cet exercice. Alors bien sûr, les gens discutaient, buvaient, s’agitaient, s’embrassaient, on voyait passer des plats et des filles virevoltantes et faciles d’accès nous bousculaient gentiment. Au milieu de tout ce fatras, Matty James poursuivait son périple acoustique et promenait son œil perçant sur les alentours. Il savait rester imperturbable et hermétique aux tentations de défaitisme. Il mit la petite auberge en fête avec une reprise de «Dirty Old Town». Toute l’assistance se mit à chanter en chœur avec lui, comme si elle s’était trouvée sur le pont d’une frégate après le partage du butin, au moment où on met les barriques de rhum en perce. Il régnait là le genre d’ambiance dont on n’ose même plus rêver. Les filles gueulaient à tue-tête, les hommes rigolaient en se tenant la bedaine à deux mains, on remplissait des verres, on tirait sur des bouffardes, et la vie redevenait facile. Matty James proposa de faire «a little break» puis il revint chanter quelques classiques des Stones, du type «Sweet Virginia» et «Dead Flowers» que tout le monde reprit évidemment en cœur - I know you think you’re the queen of the underground/ And you can send me dead flowers every morning - Il n’en fallut pas davantage pour créer une sorte de magie de l’instant. Michel Butor aurait même surenchéri en invoquant le génie du lieu.

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Matty James avait commencé une petite tournée en France, pour assurer la promo de son album «Last One To Die», récemment paru. Le set de Pont-Audemer était sa troisième date. Le peu d’affluence ne semblait pas l’affecter. Il devait ensuite gagner d’autres villes et jouer en tout une bonne quinzaine de fois à travers notre doux pays. Il bénéficiait du soutien de Tyla, le leader des Dogs d’Amour, crédité sur l’un des titres de l’album. Mais pour le reste, Matty se débrouillait tout seul. En lisant les informations contenues dans le booklet de l’album, on vit qu’il jouait de tous les instruments. Comme Todd Rundgren ou J. Mascis, Matty James était capable d’enregistrer un album tout seul. Et quel album ! Et pour compléter cet insolent palmarès, Matty James avait créé son label à seule fin de pouvoir naviguer librement dans les eaux troubles du music-business. Et comment s’appelle son label ? On vous le donne en mille : Pirate Heart. S’il est un mec qui pratique l’art de la cohérence avec fermeté, c’est bien Matty James l’Irlandais. Voilà un nom avec lequel il va falloir compter et dont la réputation va gagner tous les océans, n’en doutons pas.

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Dès le premier monceau de l’album, on est frappé par la qualité du son. «Leaving» sonne comme un rock classique de haut rang. On sent chez l’Irlandais un goût des profondeurs et des aurores boréales, un goût affirmé pour le son rugueux et sourd. Avec «Up In Smoke», il révèle un appétit démesuré pour le rock anglais bien enraciné dans la stonesy et claqué à l’accord sédentaire. Quelle prestance ! En écoutant le disque, on revoit le mouvement de son poignet droit, cet automatisme fascinant qui évoque le mouvement perpétuel et qui nous renvoie directement à certaines œuvres de Jean Tinguely. Matty James est à la fois surprenant et élégant. Il injecte un solo d’harmo dans le son plein, puis il enchaîne avec un chorus à la Johnny Thunders et des chœurs dignes des Dolls. Il y a là de quoi affoler les plus blasés d’entre-nous. Matty semble savoir combiner toutes les bonnes influences. «Never Learn» est un balladif bien joué, c’est vrai. Ce mec y croit dur comme fer. Il dispose de la voix et du culte des grands crus. Il s’inscrit dans la meilleure tradition qui est celle du rock classique anglais. Il ne cherche pas à épater la galerie où à suivre les modes comme Primal Scream. Il sait exactement ce qu’il veut. Il claque ensuite une belle intro à l’accord pour «Same Old Me» et va plus sur la pop. On sent chez lui le grand écouteur de disques, car on a déjà entendu cette pop bien chevillée mille et mille fois. Tyla des Dogs d’Amour joue du bottleneck sur «Last One To Die». Alors, Matty James et le légendaire Tyla nous plongent au cœur de la pétaudière des pubs anglais. L’irlandais semble gagner encore de l’assurance, d’autant que Tyla fait de beaux backings. Leur numéro est admirable de tenue. Matty James sait monter des expéditions, c’est évident. Il semble que le distributeur Cargo Records ait conditionné Matty comme rocker sombre irlandais à connotation Dogs d’Amour pour tenter de le vendre en Europe, mais Matty James n’a pas besoin de ces petites combines de marketing pour exister artistiquement. Il va de soi que ce mec est doué. Quand on le voit gratter sa guitare, on sent bien qu’il est dessus. «Better Days» sonne aussi comme un gros hit power-poppy. Dommage que Matty n’ait pas pu mettre la gomme dans la petite auberge, car on sent bien l’amateur de gros son. Il a du tirant d’eau. Il boucle son frichti avec un admirable «This One’s For» et voilà le travail.

 

Signé : Cazengler, démâté par Matty

 

Matty James. La Mirabelle. Pont-Audemer (27). 8 novembre 2014

 

Matty James. Last One To Die. Pirate Heart Records 2014

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12 / 12 / 2014MONTEREAU-FAULT-YONNE

 

L'ANATOLIE / THE JALLIES

 

 

La teuf-teuf fait la gueule. Aller en Anatolie, elle refuse. Trop loin pour ses soupapes. Tant pis, on prendra la toto-trinette du Grand Phil. Dès qu'il y a les Jallies qui passent, le Grand Phil est toujours partant. Jusqu'à l'autre bout du monde. Je n'ai jamais compris pourquoi. En plus l'Anatolie, ce n'est pas si loin qu'il n'y paraît. En plein centre de Montereau. Si vous n'êtes pas capable de trouver c'est que vous êtes en fault.

 

Rue couverte. Café turc. Des gars qui tiennent le mur. En plein centre ville, pas le coin le mieux famé de la cité. Peu de monde à l'intérieur, à part les Jallies au grand complet en train de dévorer de somptueuses brochettes au poulet. Nous ne tarderons pas les imiter tout en reluquant les lieux. Le bar dans le prolongement de la porte d'entrée qui occupe tout un mur, les parois peintes en un rouge sang de bœuf éclatant, plafond bas stratifié de noir. Les instrus de nos idoles posés à terre entassés dans un coin du restaurant. Heureusement que les filles arborent de fines tailles de guêpe et non pas l'embonpoint graisseux des poulardes du Gers. La mise en scène ne sera pas des plus faciles, se glisser entre les trois micros sans les faire vaciller se révèlera une mission impossible. Les garçons relégués derrière entre les amplis ne sont guère mieux lotis. Certes il y a de la gêne, mais ne vous inquiétez pas dès les premières notes le plaisir sera aux avant-postes et l'on part sans s'en douter pour une furieuse soirée rock and roll.

 

POUR COMMENCER

 

Sont coincés dans la vitrine, malgré cette surface vitrée peu phonique toute la soirée le son sera d'une limpidité extraordinaire. Comme quoi il ne faut jamais désespérer des circonstances. Trois morceaux n'en faut pas plus pour atteindre le paroxysme. Le café s'est miraculeusement empli. Ça déborde dans la rue, toute la soirée ce sera un défilé permanent de curieux qui s'en viennent soutenir le groupe, qui repartent au-dehors boire un coup et qui reviennent admirer le show. C'est que devant l'orchestre ça ne chôme pas. Les danseurs sont là. Les dames s'y risquent un peu mais s'en lassent vite. Ce sont les hommes qui mènent la danse. Se démènent comme s'ils étaient atteints de la danse de Saint Gui. J'ignorais cette flagrante spécificité du peuple turc : ils aiment s'amuser et ne font pas semblant. Des forcenés, des fauves lâchés dans l'arène, infatigables, qui s'en viennent chercher régulièrement les convives encore assis pour les faire entrer dans leur tourbillon chaotique. Point de première jeunesse, l'on sent que le rock and roll et son déchaînement musical est perçu comme l'exutoire attendu et rêvé de bien des frustrations sociales. Une ambiance de rêve, c'est ainsi que l'on devait s'amuser dans les juke joints du Mississippi et les bals de campagne dans les granges des Appalaches. Le rock and roll plonge ses racines dans la sève brute des milieux populaires. Le public rock quelque peu vieillissant et devenu révérenciel quant aux artistes du genre a adopté des conduites de connaisseurs patentés un peu trop téléguidées. Ce soir ce sera la résurgence de la force brute des premiers défoulements libérateurs qui dans les années cinquante choqua tant la bien-pensance des adultes et des autorités emmitouflés dans les vieux dogmes de l'acceptation servile des hiérarchies sociales et des morales religieuses étriquées.

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Et les Jallies sauront instinctivement s'adapter à cette ambiance âpre et chaude comme une gorgée de venin de crotale. A l'arrière garde Thomas fait sonner comme jamais sa guitare, pas un interstice dans lequel il ne glisse la note poivrée de ses accords. Julien n'a pas le temps de s'attarder à rêvasser sur sa contrebasse. Faut que sa double-bass fournisse deux fois plus de swing que d'habitude. Et il s'y emploie avec célérité. Tire sur ses cordes à les arracher ou les frappe à les rompre, produit un roulement, un grondement continu qui sert d'assise à tout le groupe. La première ligne des amazones tient merveilleusement le choc. Elles ne chantent pas, elles survolent. Mouettes rieuses qui se fondent dans l'écume de la vague déferlante. Pas question de céder un pouce de terrain. Elles ne contiennent pas, elles titillent, elles provoquent, elles jouent les pies jacassantes qui viennent arracher l'anneau d'or qui orne votre oreille de pirate. Vous en voulez encore, et bien en voici et Leslie nous offre un Tunnel Of Love à exciter l'exploration vénéneuse de tous les souterrains de velours de la création. Avec en prime ce train de Johnny Burnette que vous n'arrêterez jamais dans aucune des gares de votre vie. Le rock vous rappelle souvent vos échecs les plus cuisants pour mieux vous inoculer la rage de vivre. Inutile de tricher la vie n'est pas rose, mais la fureur de vivre d'un rouge écarlate.

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POUR FINIR

 

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L'inter set sera assez court. Ce qui réjouit tout le monde. Faut battre le fer tant qu'il est chaud et les danseurs ne demandent qu'à reprendre la piste de leur mise en scène égotiste. Ce n'est pas une communion, un contact furtif d'épidermes comme un frottement d'allumettes et une promesse d'une flambée future ou possible que nos acteurs recherchent. Se défont très vite des rares postulantes pour retrouver leur solitaire exhibition. L'on ne danse pas qu'avec son corps, mais surtout à l'intérieur de soi, l'on quitte sa chemise, l'on se pavane fièrement en exhibant la blancheur de sa peau et les contours bleutés de ses tatouages, mais le plus important est ce qui se joue dans votre tête, l'expression de votre désir que vous dramaturgez à loisir et à foison. Nos danseurs ne sont pas pétris des règles de l'amour de grande courtoisie, se permettent des gestes et des mots que l'on pourrait juger un tantinet déplacés. Vanessa la blondinette, n'a pas la langue dans sa poche. Vous apostrophe les zigotos déviationnistes et les refourgue dans le droit chemin de quatre petits mots bien sentis. Ne tourne pas sept fois sa langue avant d'invectiver. Interpelle et ramène les aiguilles de la pendule à l'heure idoine avant que la situation ne devienne incontrôlable. Et elle se remet à chanter la voix encore plus rauque et débordante de gouaille. Maîtresse oiselle qui ne s'en laisse pas conter. L'est des limites à frôler – cela fait partie du jeu – mais à ne pas franchir. Le rock and roll est aussi un art de la corde raide.

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Et chploum ! un individu non identifié, enveloppé dans son manteau s'immisce en plein milieu du groupe. Rassurons-nous, c'est Jérôme qui arrive juste à temps pour son solo, sort sa trompette de son étui parvient à trouver un semblant de place, de biais, son cornet juste sous le manche de guitare de Céline, pousse sa goualante et sa tâche terminée il s'aperçoit qu'il est entré dans un brasier vivant. Le genre de situation qui ne se renouvelle pas souvent. D'habitude il vient pousser un ou deux solo puis repart tranquillement, ce soir pas question de rater une seule miette du festin. Restera jusqu'à la fin, en instrument d'accompagnement qu'il fera rugir comme des barrissements d'éléphant, façon de rajouter de l'huile brûlante sur les flammes déjà hautes.

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Les demoiselles ne perdent pas le nord. En profitent pour présenter deux nouveautés, une dans le premier set – excusez-moi, j'ai demandé le titre mais l'ai oublié – un truc hyper swinguant destiné à guérir les paralytiques coincés dans leurs fauteuils roulants – et un Communication, une véritable tronçonneuse musicale pour entrer en osmose avec les publics frénétiques. Ce soir c'est vraiment bien choisi. Céline s'en donne à coeur joie en meneuse de revue tambour battant. Entre temps l'ambiance est encore repartie à la hausse. Les danseurs recouverts de sueurs, le bar assiégés de buveurs impénitents qui toutes les trente secondes hurlent Be Bop A Lula She's my baby ! comme cri de guerre...

 

Le rappel se termine, noyé par une interminable pluie de mercis que les frénétiques danseurs lancent aux trois filles avec autant de ferveur qu'une bénédiction papale. L'on a l'impression que pour beaucoup ce fut la soirée de leur vie. Elles ont gagné une rude bataille, elles passent comme souveraines, et les voix de remerciement sont pleines de respect. Les gars préposés aux cordages n'ont pas démérité mais l'enjeu était ailleurs. Peuvent être fières d'elles, elles nous ont donné une véritable soirée de rock and roll. Après cela, beaucoup de concerts risquent d'avoir un goût un peu fade, un peu aseptisé.

 

Damie Chad.

( Photos FB des artistes prises le lendemain au Club 931 de Chavin )

 

 

13 / 12/ 14LE GIBUS CAFE / PARIS

 

MEGATONSGHOST HIGHWAY

 

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Les provinciaux à Paris, ce n'est pas de la balle. L'on arrive tout fiers, tout farauds devant le Gibus cinq minutes avant le commencement des festivités. Impossible de passer la porte d'entrée, le Gibus nous fait le coup du magicien qui sort quarante lapins à la queue leu leu de son chapeau. Une tripotée d'ados qui défilent devant nous en rangs épais, une marée humaine interminable. L'on arrive tout de même à se glisser jusqu'à la caisse. Mon oeil exercé et quelque peu suspicieux lorgne sur un bout de papier. Fait sombre comme quand vous tentez de vous suicider dans votre congélateur et que vous avez rabattu le couvercle, je ne peux pas lire, mais de visu, le programme semble avoir été changé. Les Ghost Highway ? C'est bien ici ? S'avèrera que non. Faisions fausse route et mauvaise adresse. C'est au Gibus Café, au métro Parmentier. Eh va donc patate, faut s'extirper de cette masse gélatineuse d'adolescents – que des garçons, pas la moindre souris – et galoper vers le filtre à caféine au plus vite.

 

Huit heures vingt, l'on déboule tout essoufflés devant la devanture espérée. Respirons, pas d'affolement, Mister Jull flâne encore sur le trottoir. L'on a tout notre temps pour saluer les habitués – les rockers ne sont peut-être pas fidèles en amour, mais question concerts, seraient-ils à l'article de la mort, qu'ils ne sont pas prêts à rater un rendez-vous – Jull nous présente l'adorable Marion qui tient une boutique Tattoo à Figeac.

 

J'imaginions un club ou une boîte, mais non c'est un simple café avec un comptoir des plus banals mais au fond l'on a dégagé les chaises et installé une petite scène. Rien à voir avec les Arènes de Nîmes. Pas très grand, mais pas exigu non plus.

 

MEGATONS

 

L'on n'est pas méchants, si ça ne tenait qu'à nous l'on aurait poussé les murs, car les trois guitares tiennent tout juste. Jerry est par derrière avec son sax, et Lulu en quarantaine dans le coin. Pour ceux qui suivent nos pérégrinations, c'est bien le même Lulu qui officie chez les Barfly que nous sommes allés voir la semaine dernière. Comme par hasard, Manu le contrebassiste des piliers de bar est au premier rang, pour apporter son soutien moral aux copains.

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C'est parti. Ce qu'il y a de bien avec les Megatons c'est que l'on est sûr que la soirée va rocker comme sur des roulettes. Plein pot et plein gaz. Ne s'arrêtent jamais en route pour rafistoler le pot d'échappement avec du fil de fer. Groupe garage, mais qui ne bricole pas. Peuvent remplacer la gazoline par du kérosène et multiplier par huit le nombre de chevaux, mais ce sont des pros attentifs à la belle ouvrage. Faut que ça glisse sans bruit, comme une corvette qui file sur la mer déchaînée. C'est qu'ils sont partisans de la vitesse pure. Jerry enfourne une lampée d'air dans les poumons et se met à souffler sans discontinuer dans son saxophone. Peut tenir des minutes entières sans donner l'impression de s'étoffer. L'a de la réserve. Et les autres embrayent sur le tapis rutilant du sax sans crier gare. Lulu, une frappe moins dure que pour les Barfly, plus souple, plus coulante, les guitares de Charlie et de Didac en roue libre, mais qui appuient sans qu'on s'en aperçoive sur l'accélérateur pour rajouter un peu de speed dans la machine, et Steph qui soutient le tout sur sa basse électrique coulissante.

 

Le rock des Megatons ne donne pas dans la métaphysique. Hymne à la jeunesse éternelle qui prend le temps de vivre vite et de rire à tout berzingue. Aucune envie de faire un beau cadavre et de basculer dans la fosse finale. C'est du rock and roll qui caracole sur la joie de vivre et l'insouciance des parties adolescentes. Take a good time. Le programme est limité mais agréable à suivre. Fun à fond. Une philosophie facile mais dont on se dépêche de mettre en pratique les préceptes si peu contraignants. Rock hédoniste de sybarites convaincus.

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Attention les Megatons adorent négocier – en position de force – les virages en épingles à cheveux et n'hésitent jamais devant une sortie de route qui vous émoustille les écoutilles. Ne se présentent pas comme un wild wild rockin' band pour rien. Sixties road. Sous l'impeccable beauté de la carrosserie, il y a des centaines de mustangs sauvages qui piaffent d'excitation. Ce qu'il y a de terrible avec les Megatons, c'est que l'on se demande pourquoi ils arrêtent. Nous l'on aurait continué tout droit jusqu'au bout de la nuit, jusqu'à la prochaine plage de sable blond de Californie, mais non ils ont coupé le contact et nous ont laissé en rade sur le bord de la highway. Réveillons-nous, faut finir le chemin à pieds. Nous ont fait croire pendant plus d'une heure que l'on était immortellement jeunes et beaux, et il nous faut retourner dans notre déplorable présent.

 

GHOST HIGHWAY

 

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Objection votre honneur. Ce ne sont pas les Ghost Highway au grand complet. Pour Jull Gretschy et Phil, pas de problème, ce sont bien les membres originaux. Mais les deux autres, on ne dira rien parce qu'on les aime beaucoup et qu'ils sont du genre surdoués, mais Thierry et Eddie, sont avant tout les deux cinquièmes des Ol' Bry. Z'ont compris la recette du pudding anglais. Prenez deux musiciens par ici, deux autres par là, et hop en moins de cinq vous avez formé un super-groupe. Ce n'est pas tout. Faut encore que la pâte prenne, sans quoi ça risque de claudiquer dur. Pas de panique ce soir ce sera l'osmose parfaite.

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Arno absent, Jull se chargera de la plus grande partie des vocals. L'est aussi à la guitare. Pardon, c'est une erreur. L'est le préposé à la finesse et au doigté. Un petit bail que je n'avais écouté les Ghost. C'est somptueux, Phil derrière qui cadre les morceaux et Jull qui peaufine. Chaque note jouée comme un solo. Mise en évidence. Comme soulignée, attendue, caressée, flattée, une demi-seconde peut-être, mais de gloire absolue. S'agit pas de la dégager au plus vite, pousse-toi de là qu'une autre prenne ta place. L'on n'a pas dépassé les trente secondes sur Snatch It & Grab It que l'on comprend que ce soir l'on voyage au pays de la beauté et de la subtilité. Ce soir l'on revisite l'histoire du rockabilly, mais on a le guide adéquat qui nous explique les origines agrestes et campagnardes de cette musique, pas encore électrifiée à outrance. L'on n'assène pas, l'on nuance.

 

Petite rectification, tout en douceur certes, mais le swing est là. Les sabots ne s'enlisent pas dans le fumier non plus. Y en a deux qui pressent le mouvement. Le père et le fils. En continu pour Thierry. Par saccades pour Eddie. Thierry assure un boulot prodigieux. Faut pas que la basse s'en vienne brouter dans le pré carré de Mister Jull, tout en aidant Phil à planter les clôtures. Doucement la basse par devant, et au marteau-piqueur par derrière. Une corde pour la tendresse et une autre pour la rudesse. Partition participative. Suis dans la totale incapacité d'expliquer comment il s'y prend, mais il réussit son affaire avec une constance exemplaire. Une bi-latéralisation schizophrénique. Peut-être a-t-il mis au point son jeu de basse coulée lorsque les Ol Bry en leur début louchaient un peu vers le style plus harmonieux du Doo wop. Pour le claquement de closure je pense que question slap rockab il pourrait nous en apprendre jusqu'à demain matin.

 

Mais jetons-nous sur le rejeton. Une grosse acoustique qu'il tient à hauteur du coeur comme Elvis. Justement Burning Love se profile à l'horizon, juste après le Cheatin' Heart d'Hank Williams. Eddie, tout ému de jouer avec les Ghost. Ne tient pas en place. Ça lui vient comme des bouffées délirantes. Se lance dans des rythmiques de fou. Laboure les cordes de son engin avec frénésie. Flirte avec le cabanon et la douche froide. Mais non, se calme aussi inexplicablement qu'il vient de se comporter comme ces forcenés que l'on est obligé d'abattre au fusil à pompe pour leur faire entendre raison. Un jeune garçon sage, beau gentil et poli, vous lui laisseriez même emmener votre fille au bal. Mais non voici que ça lui reprend. Cycle d'auto-destruction programmé. Un véritable danger public. Un électron libre du rockab en pleine éruption. Et après la crise, la séquence apaisement qui recommence.

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L'est temps de dire bonjour à Marylou. Pas de jaloux, chacun son couplet, Jull, Eddie et Phil qu'il ne faut pas oublier sur sa batterie. Je le soupçonne même d'avoir un penchant particulier pour la demoiselle ainsi nommée. Son morceau fétiche en quelque sorte. Plus tard ce sera sa partie sifflée – attention les lourdauds, c'est lui qui siffle pas le public qui le siffle - sur Country Heroes, d'autant plus nécessaire que l'harmonica d'Arno n'est pas là pour assurer l'atmosphère nostalgie.

 

Etrangement le fait d'avoir à assurer les vocaux semble avoir libéré Mister Jull, sort davantage sa voix, on le sent très à l'aise, il en veut, il ne se débarrasse pas du boulot, articule et interprète, l'est dans le morceau, descend dans le tréfonds de ses moelles, le vit à fond, et le charge d'intensité dramatique. Tous les titres issus du dernier disque sont donnés au public avec une force et un aplomb considérables.

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N'est pas monopolisateur le Jull, laisse aussi le micro à Eddie qui démontre que ce n'est pas par hasard qu'il est le chanteur attitré des Ol'Bry. L'appelle aussi Lucas et Baptiste – respectivement guitariste et batteur des Howlin' Jaws – à la rescousse pour qu'ils nous montrent ce qu'ils savent faire. En deux morceaux ils ont convaincu l'assistance. A peine vingt titres et c'est la fin. Jull aperçoit Thibaut Chopin au fond du bar. L'est prié de venir taper le bœuf ( pauvre bête ) pour deux derniers morceaux. Se saisit de la contrebasse de Thierry – n'est pas un manchot non plus – mais c'est sa voix traînante et qui imite à la perfection l'accent légèrement nasillard du Sud profond que je préfère. Voudrais pas passer pour l'enfant gâté de la soirée, mais enfin, Jull aurait pu terminer sur un petit Eddie Cochran. Je lui aurais laissé le choix du titre. Je ne suis pas difficile, moi. Juste un peu gourmand. Et j'ai l'impression à ne pas avoir été le seul de l'assistance à avoir eu un petit creux.

 

Damie Chad.

( Photo Megatons ne correspond pas au concert )

 

LE DIABLE ET MOI

 

MICHEL LAUWERS

 

( Editions Murmures Des Soirs / 324 pp )

 

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Un livre qui parle de Robert Johnson ne peut pas être tout à fait mauvais, m'étais-je dit en passant commande du volume sur la foi de quelques critiques élogieuses parues dans différentes publications spécialisées en blues. Et puis le nom de la maison d'édition qui vaut son pesant de frites – ce sont des Belges – Murmures Des Soirs, tout de suite vous avez envie que l'on vous susurre des gentillesses dans le creux de l'oreille. Méfiez-vous s'ils ont une collection érotique, ils en possèdent une autre, fantastique – n'est-il pas d'ineffables secrets secrets dont la révélation n'apporte aucune joie – mais aussi celle homophoniquement intitulée Soirs Noirs, riche uniquement, à ce jour, de deux titres, L'Arme Blanche – ce qui s'appelle jouer avec les contrastes – et Ce Diable et Moi de Michel Lauwers.

 

Le Diable et Moi est un roman. Hanté par la sombre figure de Robert Johnson et donc par la logique même de son sujet enté sur une réalité historiale, sinon objective, du moins objectale. Raconter la vie d'un personnage ayant réellement existé et dont on connaîtrait tous les actes importants et essentiels de son existence n'offre guère de surface jubilatoire d'envol à un romancier. Par une chance extraordinaire, l'on ignore presque tout de Robert Johnson, et surtout de ce moment paroxystique de la vie, sa mort. Laissez votre portable dans votre poche et épargnez-vous le prix de la communication. Tout autant que vous je peux vous blablater la version communément admise de la triste fin de notre héros empoisonné par un mari jaloux. Comme quoi, en matière de mœurs, débrouillez-vous pour toujours agir en toute discrétion, méditez cette sordide aventure et prenez-en de la graine avant de la planter dans la première bouche d'ombre entrouverte qui passerait à portée de votre sexe...

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Michel Lauwers ne se laisse pas entraîner par la légende johnsonienne. Il est un écrivain doué d'un esprit positiviste qui prend bien soin de ne pas marcher sur les serpents à sornettes qui pullulent dans la biographie de Robert Johnson. Commence par se débarrasser de ce qu'il met au premier plan de son titre. Exit le grand Satan. Un bon coup de pied au cul de votre intellect et hop il bazarde le méchant croquemitaine dans les poubelles de l'historiographie des contes à dormir debout, icelui du diable rencontré au carrefour. Autant croire au Père Noël ! Soyons sérieux. A la fin du bouquin, il ne se montre pas plus bête que vous, vous explique l'importance symbolique des croisements dans les anciennes civilisations sans crier au savoir perdu, par miracle retrouvé en notre modernité... De même il n'est pas plus tendre avec les partisans des études sociologiques qui tiennent compte de la magique opérativité civilisationnelle des pratiques cultuelles étrangères à notre legs cartésien convaincu de l'inanité des forces spirituelles. Le vaudou, bon pour les vieilles femmes et les âmes simples insensibles au ver rongeur du doute, n'est qu'un vain simulacre démontre-t-il dans un des chapitres les plus jouissifs de son récit.

 

Nous dresse un portrait peu sympathique de l'étoile morte du blues. L'on reçoit encore sa lumière dans la première partie du bouquin mais elle s'avère blafarde et point illuminante. Un gars peu conciliant, qui vous regarde de haut, prend de vous tout ce qu'il peut tirer, et vous rejette ensuite comme la peau de l'orange qu'il viendrait de vider de sa chair. Particulièrement malappris et profiteur avec ces dames. Un charme indéniable mais une attitude sans vergogne.

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Un gars pressé. A peine arrivé, déjà reparti. Ne s'attarde pas à réparer le mal que son égoïsme a causé. Ne l'excusez pas en élevant sa stature au niveau byronien d'un Don Juan mythique, les pactes faustiens n'engagent que ceux qui croient à de telles fariboles. Alain Malox – ce n'est pas le nom d'un médicament mais un clin d'oeil à un Alan Lomax le folkloriste plusieurs fois croisé en nos chroniques, ne serait-ce que dans la livraison précédente consacrée à Muddy Waters – petit dessinateur sans envergure de pochettes de disques de blues de la compagnie Vocamount – bonjour Vocalion - sise à Chicago, est envoyé dans les états du Sud afin de tirer au crayon le portrait d'un certain Robert Johnson dans le but strictement commercial de posséder un document iconographique de première main à apposer sur la proximale parution de ses enregistrements.

 

Evidemment Alain Malox ne mettra jamais la main sur Robert Johnson. Lui faudra plusieurs mois avant de le localiser, mais il arrivera trop tard. L'est déjà mort et enterré depuis trois jours. La longue enquête se termine sur un échec frustrant au bord de la tombe refermée. Il y a un deuxième cadavre. Parfaitement vivant, je vous surprends. Celui de notre Malox pour qui la vraie vie ne fait que commencer. Va enfin être confronté à la noirceur bêtifiante de l'Homme animal et à la blancheur réconfortante de la déesse Femme. Jeu de couleur pas du tout subtil : les policiers porcins qui représentent la noirceur humaine sont des blancs racistes qui se moquent des lois de protection des citoyens dont ils sont censés veiller à la vertueuse application, et l'égérie féminine du livre est une belle prostituée noire. L'incarnation parfaite de ce que les alchimistes appellent le vitriol ardent. A ne manipuler qu'avec précaution. Faut d'ailleurs viser d'abord à une métamorphose personnelle avant de s'attaquer à une telle entreprise. Alain Malox ne s'en doute pas. Fonce sans réfléchir. L'est vrai que l'amour est aveugle, mais il faut ensuite assumer. Les mentalités mississipiennes ne sont pas prêtes à accepter les rencontres inter-raciales. L'aura davantage de chance avec la force brute de la bêtise policière. Lorsque les coups arrivent ils vous font mal, mais ils vous apprennent aussi à vivre. Rien de mieux qu'une bonne raclée pour comprendre que l'on ne survit dans la jungle humaine qu'en acceptant le combat. Rien ne sert de fuir et de ramper. L'on ne se défile pas en douce. L'on fait front et ce que l'on désire, on n'hésite pas aller le chercher.

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Pour l'histoire d'amour, Michel Lauwers vous laisse le champ libre. Selon que vous êtes un indécrottable optimiste ou un forcené pessimiste. Pour Robert Johnson je reste beaucoup plus dubitatif. La question soulevée par le livre est des plus simples. Elle peut s'énoncer clairement : quel est le nom de l'assassin de Robert Johnson ? Faudra en corolaire rajouter une explication si l'on écarte la rage d'un mari cocu. Michel Lauwers nous livre le coupable à la fin du bouquin, ligoté comme un saucisson dans les rets de la bonne conscience. Ne vous donnerai pas son nom. Si vous voulez le savoir, lisez le livre. Non ce n'est pas de la cruauté mentale de ma part, c'est surtout parce qu'il ne vous dirait rien. C'est que dans son pseudo-docu-fiction notre auteur a quelque peu biaisé avec la vérité historique, il change les patronymes des personnages ayant réellement existé. N'a aucune envie d'accuser d'un crime avéré des personnes qui lui furent parfaitement étrangères. Difficile d'ancrer le récit de la mort du malheureux Johnson dans le terreau de son existence familière sans attenter à la respectabilité de ses proches. Mais Michel Lauwers a plus d'un tour dans sa plume de romancier. Il ressuscite le mort. Non pas Robert Johnson, faites preuve d'un peu d'imagination nom de Dieu. Celui qu'il a lui-même envoyé ad patres, le pauvre diable in person relégué dans l'enfer idéologique des vieux racontars, le fameux mythe du carrefour, qui ne fonctionne que si on lui adjoint en filigrane son contraire angélique, le gentil bon dieu des fois naïves. Celle du charbonnier dont se prévalait le pieu Paul Claudel.

 

Retour aux racines du blues. Le bon chemin de l'Eglise ou le mauvais sentier du juke joint. En des temps anciens la seule liberté de choix offerte au peuple noir. Encore que ces descendants d'esclaves, habitués à la moindre resquille dès que les maîtres avaient le dos tourné, ont quelque peu triché. Beaucoup ont passé le meilleur de leur vie dans les barrel houses les plus mal famés à boire de l'alcool de contre-bande et à lutiner d'accortes mamas pour opérer une stratégique retraite dans les chapelles du Seigneur lorsque la vieillesse se profilait à l'horizon avec son cortège de misères tant physiques que morales. Faut bien faire une fin.

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Pour Alain Malox, ce sera un début. La larve humaine de l'employé modèle perce enfin le cocon des existences grisâtres. Robert Johnson peut rester enrubanné dans les ligaments momifiant du mythe, Alain Malox lui se prépare à se colleter avec le réel de son inscription sociale. Entre le Diable et Moi, l'a compris que puisque l'on ne vit qu'une fois, l'a intérêt à s'occuper en priorité de sa propre personne. Les mythes peuvent vous aider à vivre. Surtout par procuration. Attention danger ! Michel Lauwers nous donne une bonne leçon existentielle. Les morts avec les morts. Les vivants avec les vivants.

 

Damie Chad.

( Tableaux de Pascale Lauwers )

 

SCREAMIN' JAY HAWKINS

 

THE SINGLES COLLECTION

 

THE ORIGINAL HIT SINGLES + BONUS ALBUM

 

Disc One : I PUT A SPELL ON YOU / LITTLE DEMON / YELLOW COAT / PERSON TO PERSON / I HEAR VOICES / THIS IS ALL /SHE PUT THE WHAMEE ON ME / FRENZY / ASHES / JUST DON'T CARE / YOU'RE ALL MY LIFE TO ME / EVEN THOUGH / NOT ANYMORE / PLEASE TRY TO UNDERSTAND / I IS / YOU MAKE ME LOVE YOU ( I DIDN'T WANT TO DO IT ) / TALK ABOUT ME / WELL I TRIED / I FOUND MY WAY TO WINE / BAPTIZE ME ON WINE

 

Disc Two : THERE'S SOMETHING WRONG WITH YOU / ALLIGATOR WINE / THE PAST / ORANGE COLOURED SKY / AMPIT N° 6 / DARLING, PLEASE, FORGIVE ME / TAKE ME BACK / HONG KONG / WHY DID YOU WASTE MY TIME ( with TINY GRIMES ) / NITTY GRITTY ( with SHOUTIN' PAT ) / TAKE ME BACK TO MY BOOTS / + Bonus Tracks : TEMPTATION / IF YOU ARE BUT A DREAM / OL' MAN RIVER / I LOVE PARIS / SWING LOW, SWEET CHARIOT / DEEP PURPLE.

 

NOT NOW MUSIC 2013.

 

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Une petite notice accompagnatrice qui n'apporte que quelques maigres renseignements et pas grand-chose sur les dates d'enregistrement. Dommage Screamin' Jay Hawkins méritait mieux. Ses héritiers directs ont fait pire. Ont viré à la poubelle tous ces costumes de scène et une foultitude d'objets. De quoi remplir un musée. Les dieux du rock ont été cléments, ont guidé un fouineur de bennes à ordures vers le coffre à merveille dont le contenu s'est retrouvé aux enchères en ce ce début d'année. Les collectionneurs argentés auront limité le désastre. Cette triste anecdote a eu l'avantage de ramener le projecteur sur cet incomparable artiste qui s'est éteint à Paris au tournant du millénaire, en l'an deux mille.

 

Screamin' Jay Hawkins fit une deuxième carrière en Europe, les USA qui furent pourtant le pays qui introduisit la notion de burlesque, par l'entremise des premiers spectacles de Black Faces, dans la musique noire - assez fortement pour finir par instiller le blues d'une dimension comique qui peut paraître surprenante quand on n'y réfléchit pas assez - l'ont très vite oublié. C'est que le rire de la dérision en plus d'être le propre de l'homme comme l'affirma Rabelais est une aussi une arme d'autodéfense des plus efficaces. Remarquons que les européens jetèrent très vite un voile pudique sur les premières manifestations du grotesque, telle qu'elles apparurent lors de l'édification de la Maison Dorée de Néron. Il fallut que ce soit Edgar Allan Poe qui recueillit ce chat noir mal-aimé dans ses Tales Of The Grotesque And Arabesque pour que la monstruosité insinuante fit son chemin dans l'imaginaire interdit des amerloques.

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Le CD n'adopte pas l'ordre chronologique. Pour des raisons commerciales évidentes l'on a placé I Put A Spell On You en pole-position. Nous préférons pour notre part suivre la courbe temporelle. Nous ajouterons que si le mouvement rock a très vite classé Screamin Jay Hawkins dans le lot informel des pionniers, il procède avant tout des racines noires de ce même rock and roll, ayant d'abord travaillé – saxophone et piano - avec Fats Domino et des pointures trop méconnues telles que Wynonie Harris. Sur ses premiers titres l'on retrouvera la guitare de Mickey Baker qui lui aussi finit par s'installer en France. Il y est mort en novembre 2012 voici déjà deux années, et nous rappellerons toujours avec plaisir qu'il donna un sérieux coup de main à un des french rockers des plus émérites, Ronnie Bird.

 

1954 : I Found My Way To Wine, l'intro évoque irrésistiblement le Goin'Home de Gene Vincent – lui-même inspiré de Bo Diddley – mais l'on retombe dans un blues que j'appellerai orchestral, la charge émotive de la voix étant mangée par l'instrumentation, le Please Try To Understand de la face B bascule dans la supplication amoureuse, faut suivre le piano et la voix pour trouver la sauvagerie, les cuivres nappant le tout de sucre candi.

 

1955 : Well I Tried, toujours la même dichotomie, un côté âpre et mélodramatique dont la voix et un sax solo se gargarisent tandis que piano et sax baryton nous livrent un enrobage quasi grand public que le You're All My Life To Me accentue, pas tout à fait les gémissements de l'adolescent frustré, mais le vieux beau qui voit ses proies habituelles s'éloigner.

 

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1956 : This Is All, la bête se réveille. N'est pas encore sorti de sa caverne d'hivernage, mais le ton se fait plus tranchant et vindicatif. Les cuivres ont beau faire des ronds de jambe, l'on sent que le dégel arrive. She Put The Whammeee On Me : la situation se tend. L'on n'est pas là pour plaisanter. La gent femelle produit de drôles d'effets sur le gazier. Commencez à numéroter vos abatis, l'on sent qu'il n'en faut pas beaucoup pour renverser le vase de nitroglycérine. Les cuivres se la jouent modeste et baissent le ton.

 

1956 : Even Though, tout va mieux, l'on calme le jeu. On se croirait chez Frank Sinatra. Le même style variéto-jazzeux mais avec une voix d'ours mal léché. A du mal à rester dans sa boîte. Ça dépasse dans tous les coins. Talk About Me, la même salade, une musique guillerette, mais des appuyés de voix à la Little Richard prometteurs. Ne vous laissez pas abuser par l'insouciance du vibraphone, ce n'est pas mal du tout.

 

1956 : I Put A Spell On You, l'on n'y peut plus rien. Rien ne l'arrêterait. Le rock Shouter est né. Enregistré au cours d'une biture monstre. Tous pétés comme des coings, un sax qui rampe vers vous comme un anaconda affamé et le Jay qui pique une crise délirium tremens. Z'ont préféré couper les micros à la fin avant que ça ne devienne incontrôlable. Little Demon, sorti de sa coquille, danse sur tous les sommets du monde. Bouffe les mots et les recrache aussitôt.

 

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1957 : You Made Me Love You, les cuivres essaient de pousser la chansonnette, il s'en fout le Jay leur passe dessus à contre-chant. Cause à sa minette et plus rien ne compte. Rugissement de rut en prime. Darling Please Forgive Me, un moine fou se masturbe en hurlant sous les voûtes séculaire de la chapelle, un pieux organiste essaie de la recouvrir avec son harmonium, c'est une erreur.

 

 

1957 : Frenzy, les shadows en fond de transistor et un vieux dégueulasse qui cavale après les nymphettes, vous imaginez la scène, l'après-midi d'un faune shouter qui a envie de s'amuser. Sacrément rock and Roll. Person To Person, une intro à la Platters et une explication au téléphone. Fait le méchant, mais l'on n'y croit plus. Après les douteux agissements de la face A, il fait profil bas. Le naturel au galop dans les dix dernières secondes.

 

1958 : Alligator Wine : c'est comme Frenzy mais en pire. Certains ont le vin triste. Ce n'est pas le cas de notre Silène qui barbote dans la cuve tel un alligator dans un poulailler. There's Something Wrong With You, la même chose que I Put A Spell On You, légèrement plus délayé, un démarquage, vous me ferez le plaisir de préférer l'original. Une mention spéciale toutefois au sax qui pète longuement à la fin du morceau.

 

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1958 : Armpit # 6 : entre les pileux dessous pas très ragoûtants et les voix de dessins animés. Il vaudrait mieux ne pas chercher à savoir. Cela sent trop mauvais. The Past, l'hypocrite à grosse voix qui fait semblant de regretter mais qui n'a pas d'autre personne sous la main pour tirer un coup.

 

1962 : I Hear Voices, ça ne s'est pas arrangé avec le temps. Folie dure et film d'horreur. Je comprends pourquoi il existe des asiles psychiatriques. Just Don't Care : fallait réparer les dégâts, l'on a fait au plus vite avec ce qui traînait dans les studios, faute de demoiselles l'on a pris un choeur de mecs, on a préféré ne pas trop l'énerver.

 

1962 : Ashes, sixties, cette fois on lui a glissé un choeur de poulettes, il fait le joli coeur et prend une voix mélodramatique, tu sais poupée j'ai beaucoup vécu, avec le ton sur lequel lui répond la fillette, ça n'a pas l'air de beaucoup marcher. Nitty Gritty : sympathique mais pas essentiel, la décennie fabuleuse s'achève.

 

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Pour le reste du disque ils ont puisé un peu partout sans souci de date et de cohérence. Yellow Cat, un vrai faux blues, avec des déchirements forcené de coeur. I Is du même tonneau que le précédent. Baptize Me In Wine, les vignes du Seigneur vendangées par le diable, un gong Hong Kong, une très belle illustration de yaourt chinois nécessaire à votre ouverture culturelle personnelle. Temptation, un véritable générique de film, If You're But A Dream, le genre de croonerie que Presley réussissait sans faillir, mais tout le monde n'est pas Elvis. Respectabilité noire : Ol' Man River, des larmes d'alligator qui sonnent plus faux que faux. En plus il le fait exprès. Ne respecte même pas l'esclavage, un iconoclaste qui se fout de tout. Tant pis pour les pète-sec qui n'ont jamais admis son Constipation Blues, absent de cette compilation. I Love Paris, entre Les Frères Jacques et le jazznavour. N'y tient pas longtemps. Trop grosse voix. Un truc qui a dû inspirer certains des derniers errements d' Iggy l'Iguane. Swing Low, Sweet Chariot, vous écouterez de préférence la version de Pétula Clark. Deep Purple, vous êtes sûr que c'est Screamin Jay Hawkins ? En tout cas un parfait comédien du rock and roll. Mais que peut-on attendre d'un gars qui a passé la moitié de sa vie dans un cercueil à se tordre de rire ! L'est sûr que s'il y en a un aujourd'hui qui se retourne dans sa tombe, c'est bien lui, Screamin' Jay Hawkins. L'incomparable. N'avait pas un seul défaut. L'était le défaut à lui tout seul.

 

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Pour résumer : un objet incontrôlable dans votre discothèque, mais indispensable.

 

Damie Chad.

 

 

10/12/2014

KR'TNT ! ¤ 213. LORDS OF ALTAMONT / BARFLY / MUDDY WATERS / LITTLE RICHARD

 

KR'TNT ! ¤ 213

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

11 / 12 / 2014

 

 

LORDS OF ALTAMONT / BARFLY / MUDDY WATERS

LITTLE RICHARD

 

 

CAEN ( 14 ) / 15 - 10 - 2014

 

BIG BAND CAFE / LORDS OF ALTAMONT

 

ALTAMONT LA-DESSUS

 

ET TU VERRAS MONTMARTRE

 

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Les Lords Of Altamont avaient pourtant tout ce qu’il fallait pour rendre un homme heureux. À commencer par un leader prestigieux, Jake Caveliere surnommé The Preacher, ex-écumeur de maisons de corrections et ex-membre des Fuzztones, qui affiche une image soigneusement travaillée de biker tatoué satanique et de hellraiser du Farfisa. Ensuite un bon label, puisque leur premier album paru en 2002 sur Sympathy For The Record Industry fit sensation dans le Clochemerle des garagistes. Long Gone John gérait alors son label en parfait visionnaire. S’il donnait sa chance à un groupe en publiant un premier album, il fallait dresser l’oreille vite fait.

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C’est vrai, la pochette de «To Hell With The Lords Of Altamont» se distinguait du lot. Les Lords voulaient s’enraciner dans la mythologie des Hells Angels. Alors là bravo ! En plein dans le mille ! À l’époque, on a gobé ça sans discuter. Les Lords semblaient vouloir prendre la suite de Steppenwolf et des Stones qui firent un temps joujou avec la fumante mythologie des gangs de bikers californiens.

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The Preacher conduit des grosses motos. Allez voir les interviews qui sont en ligne, vous verrez, il en parle savamment. La moto et le rock ont toujours fait bon ménage. Mais là, il entre dans un domaine qui était traditionnellement réservé au Grateful Dead, à Blue Cheer et à Canned Heat, qui étaient les groupes favoris des Angels californiens. Les Lords semblent vouloir réactualiser cette tradition disparue comme par enchantement dans les années 80. On avait presque oublié ce bel épisode de la saga du rock californien, les photos de Bob Hite et de Henry Vestine grimpés sur des Harleys et coiffés de casques allemands, celles de Dickie Peterson en compagnie de son manager Gut, Angel de son état, le livre de Hunter S. Thompson et les mémoires de Sonny Barger. Les films de Kenneth Anger, ces ouvrages et ces images constituaient les fondements du fameux Californian Hell. Avec la parution du premier album des Lords et l’arrivée de la série «Sons Of Anarchy», cette mythologie sembla connaître un certain regain d’intérêt. «Sons Of Anarchy» propose en effet un astucieux mélange de pseudo-Barger (à travers le personnage de Clay, interprété par Ron Perlman - qui fut aussi le savoureux Salvatore possédé par le diable dans «Le Nom de la Rose», tiré du roman d’Umberto Eco) et de Kurt Cobain (à travers le personnage de Jax).

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Dans un cas comme dans l’autre, on est assez loin des réalités du mythe, telles que les décrit Hunter S. Thompson. Les Lords font du garage et tentent de vendre des albums de rock en exploitant une imagerie, et la série américaine recycle (avec pas mal de brio) un vieux fleuron de la sub-culture américaine. Le seul problème, c’est que les Hells Angels n’ont jamais été un phénomène de mode. Loin de là. Ils se voulaient simplement les héritiers d’un mode de vie. Ils n’inventaient rien. Pendant plus d’un siècle, l’Ouest américain a grouillé d’aventuriers qui méprisaient les lois et les juges. Les Hells Angels revendiquaient exactement le même genre de liberté. C’est ce qui fit leur grandeur. Mais comme le dit si bien William Burroughs dans «The Thanksgiving Prayer», l’American Dream est mort - Thanks for the last and greatest betrayal of the last and greatest of human dreams (merci d’avoir trahi le dernier et le plus grand rêve de l’humanité) - Les Angels connurent les pires ennuis. Le pouvoir américain s’acharna sur eux - comme il s’acharna sur les Black Panthers - et leur refusa ce droit fondamental à la liberté, alors que la constitution américaine est précisément fondée sur cet idéal de liberté. Voilà ce qu’on appelle dans le jargon des philosophes de comptoir une impasse paradoxale.

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Notons au passage que les grands capitaines de piraterie s’inspirèrent du même idéal de liberté absolue. Traqués par les marines de guerre anglaise et espagnole, les derniers capitaines de piraterie durent aller se réfugier à Madagascar où ils fondèrent une colonie nommé Libertalia.

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Mais avec «To Hell With The Lords Of Altamont», on était loin de tout ça. L’album tenait bien la route, c’est vrai, mais il manquait le petit quelque chose qui fait la différence, la fameuse étincelle qui met le feu eux poudres dans les albums des Gories et des Mummies, par exemple. Deux morceaux des Lords sonnent comme des classiques des Cramps («Too Old To Die» monté sur le même beat que «Garbage Man» et «Three», beat crampsy noyé d’orgue, ce qui amène un brin de grandeur pharaonique). The Preacher chante «Come On» avec une belle hargne pressée - la même que celle d’Iggy dans «Search And Destroy» - On trouve en face B un gros r’n’b sixties nommé «Come On Up», un truc capable de rendre n’importe quel jukebox heureux. Les deux énormités des Lords se trouvent en fin de face B. «Stripped Down» est embarqué à l’énergie, mais c’est une énergie peu commune, quasiment surhumaine, une énergie de guerrier tatoué échappé d’une saga de Tolkien. Et «Born To Lose», heavy groove qui se hisse sur la croupe d’une grosse bassline et dont le poids pèse comme une malédiction. Leur retour de groove vient de loin, certainement de «I’m A Man» du Chicago Transit Authority. C’est dire si ce groupe est attachant, car il est comme la dinde de Noël, farci des meilleures influences. Et ils tirent une fabuleuse énergie des profondeurs de la terre.

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L’album suivant, «Lords Have Mercy», est nettement meilleur. Il s’ouvre sur une belle dégelée de psycho-fuzz intitulée «Cyclone», embarquée à la moutarde qui monte au nez du riff. Jake The Preacher harangue comme s’il emmenait une armée à l’assaut d’une forteresse imprenable. Et quasiment tout l’album va danser sur des charbons ardents. Ce disque est bourré d’une énergie spectaculaire. On le sent en écoutant «Burried From The Knees Down». Le cut explose dans sa coque. Ces gens-là ne savent faire qu’une seule chose dans la vie : pulser le beat jusqu’à plus soif. Ils sont la réincarnation de Vulcain occupé à marteler ses enclumes jour et nuit, sans jamais s’accorder le moindre répit. Ils sont au garage ce que le marteau-pilon du Creusot fut à la métallurgie technoïde du XIXe siècle : un monstre productiviste noyé dans les fumerolles. Nouvelle attaque à la fuzz pour «Action». Ce genre de riff cisaille le concept même du riff à la base. Le cut fonctionne comme un retour de manivelle. Quel choc - Action ! Action ! - Ça sonne comme un hit famélique, digne des hauts faits d’un Godefroy garagiste de bouillon intemporel, car grandiose et nappé d’orgue. Ces gens-là ne vivent que pour l’Action ! Plus loin, ils lâchent une belle purée d’orgue pour lancer «She Cried», reprise d’un vieux hit de Jay & The Americans. S’ensuit un «Velvet» vachard et violent, beaucoup trop explosif, beaucoup trop garage. Même trop parfait. Trop chanté. Trop riffé. C’est le cut idéal pour l’amateur extraverti. Retour à la violence de bon aloi avec «Project Blue». Ça nous piétine la tirelire et franchement, on adore ça. Autant le dire franchement. Gandhi nous enseignait de tendre l’autre joue, alors on tend l’autre joue. C’est dire à quel point ces gens-là sont brillants. Et la fête se poursuit avec «Live Fast», une énormité cabalistique digne de Question Mark & The Mysterians. C’est un hit garage de première importance. En somme, ce n’est pas compliqué : tout est bon sur cet album. Autant se faire une raison. Ils tapent dans un bon vieux beat anglais avec «Tough As Nails» et allument une reprise de «Time Has Come Today» des Chamber Brothers, mais il serait bon de rappeler, Nathanaël, que des gens-là sont des démons.

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Encore pas mal de dégâts à déplorer avec «The Altamont Sin». La moto est revenue sur la pochette, chevauchée par une dame. C’est l’album des killer solos, du style de celui qui traverse «Gods & Monsters». Les Lords sont devenus avec ce troisième album de vrais forçats du garage. Ils ont su créer leur propre orthodoxie. Il leur manque juste l’élégance compositale. On pourrait presque les accuser de vouloir rester dans l’obscurantisme garage des vieux volumes de Peebles, ceux qui craquent. «Going No Where Fast» est une belle pièce excédentaire du commerce ferrailleur. C’est poundé à la vie à la mort. Le drumbeater porte tout le cut à bout de bras. Ils expédient tout ça en enfer sans discussion. Joli solo à l’ancienne, avec coulée de notes fumantes, killerique à souhait. On reste dans le glouglou inflammatoire avec «Lightning Strikes». Les Lords ont parfois de sacrés éclairs de génie. Le couleur de bronze s’appelle Siggs De Villa. Il joue un solo de rêve en suspension. Rien que pour ça, il faut écouter cet album. Grâce à ce solo, il opère une mise en perspective du son. Pas mal, non ? Retour à la manie de frappadingue avec «Hold Fast». On en ravale sa salive. Les Lords disposent d’énormes stocks de répondant. Il ne faut pas essayer de leur expliquer ce qu’est le garage. Et voilà un nouveau killer solo qui ne pardonne pas. On en trouvera un autre dans «Driving Too Fast». Chez eux, c’est génétique. Ils solotent de la même façon qu’ils tirent sur la poignée de gaz. Vroaaaarrr ! «Living Hell» est carrément stoogy. Ils sortent le son de «1969». Oh la la, c’est à tomber. Et ils finissent avec une belle reprise de Roky, «Don’t Slander Me». Pleurésie garantie.

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«Midnight To 666» fait aussi partie des grands disques de garage exacerbé. Attention à la saturation du son. Les Lords dépassent un peu les normes. «FFTS» explose un peu les oreilles. Si on aime bien le bon garage, alors ce disque est idéal. Dans «Get In The Car», on se régalera d’un beau solo liquide. Ils passent tous les poncifs du genre à la moulinette et c’est précisément la raison pour laquelle on les admire. Belle drug-song que ce «Gettin High (On My Mystery Plane)», titillé dès l’assaut par un ingrat vibrillonnage psyché. Voilà ce qu’on pourrait appeler un joli coup de freakbeat envoyé dans la barbe du marché de Wall Street. «Save Me (From Myself)» est transpercé au lance-flammes. Floooofff ! Les Lords ont acquis une sorte de maturité dans la brutalité. Une sorte de maîtrise du radicalisme. Un goût prononcé pour l’exécution sans jugement. Une expertise de la poigne. Ils savent jouer des épaules et des climats. Leur ronde infernale finit par bien virevolter. Fantastique cut que ce «Soul For Sale», bâti sur la menace d’un grand broutage de motte. Lâchez les moutons ! C’est nappé d’orgue et heurté au petit gimmick. Sur la face B, on trouve une héroïque reprise de Tommy James, «I’m Alive», une power-pop à gros biscotos. Ils mériteraient presque une décoration pour cet exploit. The Preacher sait prêcher dans le désert, n’en doutons pas un seul instant. Avec «Turn Me Down», ils sonnent un peu comme les Pistols, ce qui les met en danger, car on pourrait les accuser d’embourgeoisement et pire encore, d’exotisme. Puis ils reviennent pounder à fond de beat «Bury Me Alive». Oh, ça se passe dans un graveyard. Ils font une reprise des Dead Boys, «Ain’t It Fun» et si on aime la purée de fuzz définitive, alors on se régalera avec «Synanon Kids», cut idéal pour allumer une cave remplie de teenagers défoncés. Jake The Preacher hurle dans le désastre de ses nappes d’orgue et un effroyable killer solo vient le mordre à la gorge, alors forcément il s’écroule sur son clavier en bavant de l’écume blanchâtre.

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Leur dernier album qui vient de paraître est un véritable coup de maître. Avec «Lords Take Altamont», ils rendent hommage aux groupes qui ont joué au fameux festival gratuit d’Altamont, en 1969 : Flying Burrito Brothers, Stones, Santana, CSN&Y et Jefferson Airplane. On trouve sept reprises des Stones sur cet album et ce sont sept véritables coups de génie. Personne mieux que les Lords ne sait endiabler une reprise des Stones. Il suffit juste d’écouter «Live With Me» et on sera fixé. C’est tellement puissant qu’on prendrait presque ça pour une anomalie. Tout vibre dans l’anormalité du contexte d’écroulement para-sismique. C’est la pire version qui se puisse imaginer sur cette pauvre terre. Elle est tout simplement hallucinante d’explosivité abyssale. On tombe un peu plus loin sur une version apoplectique de «Stray Cat Blues». La version rôtit en enfer. Les Lords tournent la broche. Ça rissole. C’est absolument grandiloquent. Le jus dégouline dans les fondements de la raison. Quand les Lords tapent dans les Stones, ils deviennent tout simplement des géants du rock. Mais ce n’est pas tout. Ils font aussi subir les pires outrages à «Love In Vain». Voilà une version exemplaire qui balaye celle des Stones. Attention à «Gimme Shelter». On sent bien que le Preacher adore les Stones. Il lui faut ce jus de Stones pour resplendir au sommet des montagnes. Pas de hit plus faramineux que «Gimme Shelter». Pure magie. Ils font bien évidemment une version exceptionnelle de «Sympathy For The Devil». Jake Caveliere peut chanter comme Jagger, pas de problème. Ce cut est considéré comme intouchable, mais les Lords le bouffent tout cru. Ils font aussi une version absolument démente de «Monkey Man» et expédient le petit «Jingo» de Santana au firmament des reprises. Mais comment osent-ils ?

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On voit les Lords assez régulièrement en France. Les concerts parisiens n’avaient pas laissé de souvenirs impérissables. Sans doute y avait-il à cette époque trop de bons groupes garage de type Dirtbombs, Soundtracks Of Our Lives ou Flamin’ Sideburns. Les concerts rouennais n’avaient pas non plus provoqué d’extase. Pourtant, Jake Caveliere est excellent sur scène. C’est la raison pour laquelle on retourne toujours le voir jouer. Si on se met à snobber ce genre de mec, c’est foutu. En allant à Caen, on espérait secrètement le voir jouer les superbes reprises des Stones qui se trouvent sur son dernier album. Raté. Jake tape dans tous ses albums pour monter son set. Il retourne chercher «Cyclone», Buried», «Action» «Velvet», «$4.95» et «Live Fast» sur «Lords Have Mercy», «Hold Fast» et la reprise de Roky (avec laquelle il boucle les rappels) sur «The Altamont Sin» et «Getting High» sur «Midnight To 666». Les deux seuls cuts qui sortent du dernier album sont «Black Queen» (CSN&Y) et le fantastique «3/5 Of A Mile In Ten Seconds» de l’Airplane. Sur scène, il est entouré par une nouvelle équipe, mais ça ne change rien au son. C’est Jake qui incarne le groupe, de la même façon que Chrissie Hynde incarnait et incarne toujours les Pretenders. Une fois arrivé sur scène, il refait tout son cirque, il shoote, il screame, il blaste, il pulse son shuffle, il grimpe sur son clavier, il joue les locos et il en donne au public pour son argent. Ah tu voulais du garage ? Tiens, voilà du garage ! Et du gros ! Du bien nappé d’orgue ! Comme Jim Jones, il prend les cervelles d’assaut, au sens où on l’entendait au Moyen-âge. Alors que la scène rougeoie, une clameur s’élève et les oreilles sifflent.

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Signé : Cazengler, Altamonté sur ses grands chevaux

 

Lords of Altamont. Big Band Café. Caen (14). 15 octobre 2014

 

Lords of Altamont. To Hell With The Lords of Altamont. Sympathy For The Record Industry 2002

 

Lords of Altamont. Lords Have Mercy. Fargo 2005

 

Lords of Altamont. The Altamont Sin. Gearhead Records 2008

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Lords of Altamont. Midnight To 666. Fargo 2011

 

Lords of Altamont. Lords Take Altamont. Gearhead Records 2014

 

LAGNY-SUR-MARNE / 05 – 12 - 14

 

local des loners

 

BARFLY

 

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J'ai vérifié. Au moins deux ans que l'envie de les revoir me tenaillait. Tout cela pour vous dire combien je les avais appréciés dans cette zone industrielle perdue de Beauvais. Oui mais ces sales mouches bourdonnaient en des endroits improbables à des dates impossibles. Mais bon, comme disait ce bon vieux Albert la perception du temps est toute relative, et je dois me rendre à l'évidence objectivale du calendrier, c'était à peine au mois de mars dernier ( Voir KR'TNT ! 179 du 06 / 03 / 14 ) ! Aussi quand je les ai localisés au local des Loners, à Lagny-sur-Marne, la teuf-teuf a traversé à toute blinde la Brie pluvieuse. Tellement rapidement que l'on est arrivé dix minutes avant l'ouverture des portes. Je sais que cela fait un peu pilier de bar, mais l'on est reparti à leur fermeture.

 

SET ONE

 

 

 

Il y un piano électrique posé devant la scène, mais il ne servira pas de tout le set. Charlie reste obstinément devant son micro ; parfois il pose sa Gretsch rouge sur son support, mais non c'est pour avoir les mains plus libres. A sa droite c'est son oncle, uncle Gilles, le guitariste. Une génération de plus. L'expérience de la vie lui appris qu'il n'y a pas de temps à perdre. Alors il va directement à l'essentiel. Ne s'embête pas avec les entremets. L'a fait table rase des fioritures. L'est comme ces gourmets qui dans les langoustes farcies au caviar ne se préoccupent que des oeufs de l'esturgeon. Pourquoi s'embêter avec la pâte du choux quand la crème est si savoureuse ! Des guitaristes j'en ai vus quelques uns, ces kronics peuvent en témoigner. Mais comme lui jamais. C'est le lead guitar. Vous entendez, pas un rythmique. Non un guitariste rithffique. C'est plus rare. Le seul que je connaisse. S'est délesté de toute la carrosserie. Tout ce qui n'est pas riff, il l'a porté à la déchetterie. Oui mais que met-il entre deux riffs. Un autre riff. Et entre ce dernier et le suivant. Rien. Rien ? Si un autre riff. Le genre d'architecte qui bâtit les tours du château-fort mais pas les courtines qui les relie. A la place il construit un donjon. Conséquence d'un tel parti-pris. Elémentaire mon cher rifftson, les Barfly déménagent sec. Pas de temps mort. Ni pause, ni soupir. Dégomment les morceaux à une vitesse folle. On ne s'appesantit pas sur les malheurs de l'humanité. Une volée de bois vert. Une pluie de gifles. N'a point trop de place, sur cette mini scène pour les grandes manœuvres, mais n'arrête pas de tourner sur lui-même, le Gilles agile. Lui faut faire deux pas sur le côté pour lancer le riff, et une fois celui-ci parti il volte sur lui-même comme un boomerang qui revient se nicher dans les doigts qui l'ont projeté et qui tout de go le réexpédient. Méchamment efficace.

 

Avec un tel moulin à vent par devant, vous avez intérêt à ce que derrière les meules tournent sans anicroche. Lulu se charge de cette difficile tâche. Pas question de tapoter en touriste sur la caisse claire. Faut y aller franco de port. Et Lulu s'en donne à cœur joie. Pas de répit. Comment fait-il le dos collé contre le mur, droit comme un I pour frapper si sec et avec une telle force ? Prolixe et inventif. Jamais le même tour. Une passe en plus, une passe en moins, mais la frappe juste. Tambourinades indiennes et claquements secs de colts de cow-boys. Un véritable western. La prairie sans loi et la loi de la prairie. Gilles peut lancer ses riffs à gogo, Lulu les retient prisonnier dans un corral sonore. Pas de panique, c'est du rock et c'est du roll, et voici le rock and roll si vous n'aviez pas compris où l'on voulait en venir. The big beat.

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Fut un temps dans la préhistoire du rockabilly où la basse tenait lieu de batterie. Mais avec un frappa-dingue aussi performatif que Lulu l'on pourrait subodorer qu'il ne reste plus à Manu qu'à jouer les plantes vertes. Pas du tout, mais alors pas du tout son avis. N'y a pas que la rythmique dans la vie. La contrebasse c'est aussi la reine du swing. Attention, n'allons pas nous perdre dans les jazzeries sans fin. Slappe peu Manu, mais il crochète les cordes. Un jeu qui permet d'ouvrir les portes. Il s'insinue le Manu, comme ces couteaux qui se plantent dans votre chair alors que vous n'en demandez pas tant. Entre la faucille du riff et le marteau du drum, Manu se fraie son chemin. Chaque note comme un drapeau noir que l'on agite les jours de grande colère. Moins de bruit. Mais aussi persuasif.

 

Bref un trio démoniaque. Plus Charlie qui s'en vient rajouter de temps en temps la fraise rouge de sa Gretsch. Uncle Gilles, le riffeur fou, ne lui laisse pas beaucoup d'espace mais il est assez malin pour jouer en contrepoint de Manu, et ruse subtile avec lui-même. Les autres peuvent mener la grande farandole du scalp, le Charlie joue tout seul. C'est ce que l'on croit. Mais en fait, il est aussi coupable que les autres. Peut-être même que c'est lui qui est à l'origine du ramdam. L'est comme le tigre altéré de sang qui ne peut pas voir une douce gazelle sans se jeter dessus pour l'égorger. Montrez-lui deux lignes de lyric quelconque et il s'en empare, et les avale en une fraction de seconde. C'est pour mieux vous les recracher comme s'il avait dans sa précipitation fourré en sa bouche un serpent venimeux. Il ne chante pas. Il vous agresse. Vous déverse un trop plein d'énergie en forme de déluge. Ne croyez pas qu'il va se calmer, qu'après l'intro il vous prendra une petite allure pépère qui nous mènera en clopinant à la fin du morceau. C'est qu'avec Tonton Gilles qui vous bazarde un riff toutes les six secondes, le Charlie l'a intérêt à ne pas faire le charlot et à rester sur la brèche. Du vent dans les voiles, et ce n'est pas prêt de mollir. Charlie il vous balance le rock comme un capitaine pirate hurle dans son porte-voix lors d'un abordage. Pourrait porter une croix rouge avec un panneau clignotant marqué «  Urgence Rock And Roll ».

 

C'est cela les Barfly en action. Et le public qui n'est pas rassasié, et qui en redemande.

 

SET TWO

 

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Il y a toujours ce piano électrique devant la scène et les Barfly debout sur leur piédestal qui poussent la chansonnette. Mais assaisonnée à leur goût. Very hot and speed. Wildest in the garage. Un must of rock and roll. Et pourtant l'on n'a encore rien vu. Même si l'on a déjà beaucoup entendu. Enfin Charlie cuts across shorty. Descend de l'estrade pour s'installer devant la bête. Brrrr ! Personne n'a froid, c'est seulement le feulement du killer who is comin' home. Enfin pas tout à fait. Charlie a compris que rien ne sert de vouloir imiter l'enfant terrible de Ferriday. Certes il est difficile de s'asseoir devant un clavier sans penser à Jerry Lou, ce serait suicidaire, mais il faut savoir se démarquer sans s'interdire quelques citations. Mais je parle, je parle et il y a déjà longtemps que les doigts de Charlie font la course entre eux.

 

Ne croyez surtout pas que les trois autres en profitent pour siroter une bière les orteils des panards en éventail. Turbinent toujours autant même si on les zieute un peu moins. Ce sont les Barfly sur scène, et ils ne sont pas prêt à baisser le son. Mes yeux cherchent les mains de Charlie, en constants mouvements, et je comprends pourquoi il joue si sauvagement bien. N'a aucun mérite. Des doigts d'une longueur démesurée, de véritables serres d'aigles qui n'ont aucune difficulté à couvrir les touches et à voler par-dessus. La vie est injuste quand je regarde mes moignons de lilliputien. En plus il vous bazarde du bout des lèvres de ces chahuts à damner tous les saints du paradis.

 

Remontera sur scène après un long intermède pianistique étourdissant. Les Barfly ne quittent pas le comptoir du rock de bon gré. Arrêtent quand ils n'en peuvent plus. Sauf Lulu qui me paraît frais comme un gardon.

 

SET THREE

 

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Et ils reviennent, le sourire aux lèvres et le riff toujours aussi coupant. Sont un peu moins performants. Mais uniquement entre les morceaux. Car les six secondes passées en courts conciliabules pour choisir un titre sur la set list, ils reprennent la charge comme un troupeau de bisons piqués par un essaim de taons voraces. Droit devant et le rock and roll en ligne de mire. Avec piano. Sans piano. Sont toujours les Barfly. Un sacré combo de rock'n'roll. Seulement rock and roll. Mais nous n'en avons jamais demandé autant. On n'aurait pas osé. Oui, mais les Barfly l'ont fait.

 

Damie Chad.

 

BARFLY : FLYING TO THE BAR.

 

FRANKIE CALLS US. LION OF ROCK'N'ROLL. SCREAMIN' AND SHOUTIN. CHARLIE'S MY NAME. LEAVE, LEAVE, LEAVE. CRAZY LITTLE MAMA. LITTLE PRINCESS. ROCKIN' FAMILY. UNCLE GILLES. FLYIN' IN A BAR. BLOODY HELL ( I LOVE YOU ). BARFLY.

 

GILLES : lead guitar. LULU : drums. CHARLIE : singer. MANU : Bass.

 

Guest : JERRY des Megatons sur trois pistes.

 

Recorded at BLR studio by Mister Jull.

 

On : Rock'n'Roll Rhythm Records

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Plum ! Plum ! Plum ! Nous volent dans les plumes dès les trois premières secondes, Charlie maltraite son piano dès le premier morceau, l'est vite rejoint par les trois autres sur le second. Lion Of The rock, un pareil programme vous donne des ailes dans le dos. Chacun a décidé de montrer ce qu'il sait faire, Charlie qui miaule comme un vieux greffier énamouré on a tin heat roof, Lulu qui festivalise son savoir-faire, et la guitare de Gilles qui sonne comme celle de Buddy Holly. Charlie's My Name, une batterie équatoriale, un riff démoniaque et Charlie qui se prend pour une corne de brume. Manu qui remet le couvert de trois entailles profondes chaque fois que vous croyez que ça va s'arrêter. Je ne vous mentionne même pas les singes qui piaillent sur les lianes. Screamin' and Shoutin', Charlie chante du rock and roll, vous avertit en vous fracassant la tête contre les murs, mais les Barfly, ils sont comme cela, et il faut avouer que se faire remettre les idées en place ne peut pas faire du mal. Leave, Leave, Leave, retour – n'ayez pas peur on ne l'a jamais quitté - au pur rock'n'roll, le piano entame une course de côtes avec le saxophone de Jerry des megatons, le feu qui dévore et la trompe de la mort qui appelle du renfort. Si vous en sortez vivant ce n'est pas de votre faute. Le hasard qui vous a épargné. Crazy Little Mama, manquait plus qu'une fille pour semer l'hystérie dans les coins. Quant à Charlie, sûr que le stupre lui monte à la tête. Mais ne doit pas être le seul à la manière dont les autres boutent le feu en chœur. Little Princess, décidément les filles les enfièvrent. Au début du morceau savent encore se tenir mais quand il s'agit de passer le pont, ils s'énervent salement. Rien à faire, c'est de famille, ce n'est pas sur Rockin' Family qu'ils ont décidé de se calmer. Tapent à votre porte comme si c'était la Saint-Barthélémy. Insistent au prochain morceau. Boom Boom, petite crise de folie collective. Désolé mais ça ne se soigne pas. L'on n'a pas encore trouvé la molécule qui pourrait les remettre dans le droit chemin de la triste normalité. Second portrait de famille : Uncle Gilles - le neveu a de qui tenir - un sacré lascar cet oncle Gilles, l'en profite pour balancer des riffs meurtriers comme d'autres des grenades dans les tranchées de 14. Et le sax qui souligne toutes les mauvaises embrouilles dont il s'est rendu coupable, au moins depuis le ventre de sa mère, vu le profil de l'artiste. Quatre secondes de répit, Charlie imite Elvis le croonw-gospeller de nos rêves, mettez-vous à l'aise afin de signer votre testament car les Barffly ignorent le sens des mots pause et respiration dès qu'ils Put A Record. Z'en profitent pour nous refiler tout de suite après leur hymne national : Flyin' In A bar, écoutez les mouches voler en escadrille et vous comprendrez qu'elles ne carburent pas au sirop de grenadine sans colorant. Rajoutez une pin up qui se radine et Bloody Hell ( I Love You ) vous serez en état de comprendre que la lave sort du volcan. Pour un peu le Charlie en glousserait comme Charlie Feathers, mais non, il préfère faire le cake pour avoir le droit de dévorer le cookie. Deuxième hymne emblématique au cas où vous ne vous en seriez pas aperçu - serait temps quand même que vous fassiez un effort, c'est le dernier - que vous chevauchez une tempête qui se nomme Barfly.

 

Mille pour mille rock and roll !

 

Une médecine dont on ne se passe pas. Ne comptez pas sur moi pour que je vous prête le scud. L'est trop précieux. N'insistez pas, même pas la pochette qui est une parfaite réussite. Des rockers et en plus des esthètes. Ne le commandez pas au Père Noël, serait capable de le garder pour lui. Et il aurait raison !

 

Damie Chad

 

 

MUDDY WATERS

 

MISTER ROLLIN'STONE

 

DU DELTA DU MISSISSIPI

 

AUX CLUBS DE CHICAGO

 

ROBERT GORDON

 

 

( RIVAGE ROUGE/ Novembre 2014 )

 

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Introduction de Keith Richards, décidément se débrouille toujours pour glisser son petit lick de guitar hero chaque fois que l'occasion se fait sentir. Et même là où on ne l'attend pas comme dans la livraison précédente ( la 212 ). Vous allez me dire que le bouquin est consacré à Muddy Waters et pas à Keith Richards. Sans doute avez-vous raison, mais qu'aurait été le british Blues si Muddy Waters était resté coincé par les caprices d'un cruel destin dans le delta toute sa vie ? L'est sûr qu'avec des « si » l'on mettrait toute l'eau du Mississippi en une seule bouteille, mais je crains qu'il n'en aurait que plus vite crevé cette digue de verre. Le titre américain pour être moins accrocheur n'en est pas moins très allusif : Can't Be Satisfied, The Life and Times of Muddy Waters : pour les petits français l'éditeur Rivage Rouge a préféré souligner au feutre rouge la parenté évidente.

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Robert Gordon – vous ne confondrez pas avec son homonyme le chanteur qui participa au renouveau du rockabilly dans les années 80, notamment en enregistrant avec Link Wray – est un écrivain ami de Peter Guralnick - duquel nous avons chroniqué, entre autres, les deux volumes sur le blues et le country parus dans la même collection Rivage Rouge - a beaucoup écrit sur Elvis Presley et la musique sortie du chaudron bouillonnant de Memphis, tant au niveau du rockabilly que de la soul. L'était temps que son Muddy Waters sorti en 2002 aux Etats-Unis soit enfin traduit en français en ce millésime finissant de 2014.

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MUDDY WATERS

 

A priori Muddy Waters, l'on connaît. Facile à ranger. Rayon blues, deuxième tiroir. Chicagoan blues. Electrifié à mort. Juste au-dessus du premier casier, blues rural. Le titre est assez éloquent : du delta à Chicago. Merci à la géographie qui nous permet de visualiser les deux endroits mythiques avec précision. Plusieurs milliers de kilomètres entre les deux. Il est impossible de prétendre imiter l'éléphant qui se trompe. Hélas les apparences sont trompeuses. Les novateurs ne sont souvent que des héritiers. Il n'est pas difficile de démêler l'écheveau des fils entremêlés. Robert Gordon n'a pas connu Muddy Waters, c'est un livre basé sur les témoignages en quelque sorte de seconde main de ceux qui ont peu ou prou côtoyé le musicien, d'autre part Muddy n'était qu'un pauvre noir, l'on se souciait peu, en ses époques de grande ségrégation, d'amasser des documents sur ce genre de citoyen de troisième zone. Les noirs étaient alors considérés à la façon des intouchables. Devaient se faire oublier. S'écraser, s'applatir, ne pas parler haut ni chanter trop fort. Même si la symbolique noirceur de leurs visages crevaient la neige de l'écran du réel. Le bon nègre était invisible, inodore et inaudible. Par contre, disponible dans les parages immédiats afin, de répondre sans hésitation à tout besoin de réquisition. L'on se souvient de la surprise des Stones, en visite dans les locaux Chess, lors de leur premier voyage aux USA, s'apercevant que l'ouvrier qui était en train de repeindre le plafond n'était autre que leur idole : Muddy Waters. L'anecdote répandue par l'escogriffe Keith, visiblement sous produit, est sujette à caution, mais si signifiante !

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Mais Robert Gordon en rajoute une couche. Plutôt du noir que du blanc. Le livre s'ouvre par la scène qui permettra à Muddy Waters de faire décoller sa carrière. Alan Lomax, le mythique Alan Lomax ( voir notre kronic 119 du 22 / 11 / 12 ) qui s'en vient, alerté par la rumeur publique, enregistrer ce chanteur de blues inconnu dont il ignorait tout avant que son nom ne revienne systématiquement sur les lèvres de ses semblables. Lomax le sauveur, l'archange justicier qui grâce à ses pérégrinations dans le Sud a permis de conserver nombre d'enregistrements d'inconnus dont le souvenir de l'existence serait définitivement perdu aujourd'hui, s'il n'avait effectué cet inouï travail de collectage au travers des états du delta... Lomax a lié bien des amitiés avec des bluesmen, pourtant il ne serait jamais arrivé, à cause de l'étroite surveillance des police locales, à entrer en contact avec la communauté noire, de surcroît par instinct méfiante, sans JoHn Work ce professeur de l'université noire de Memphis qui lui sert de caution introductive colorée et qui en théorie partage à égalité la réalisation du projet. Lomax le traite de haut, ne le citera qu'une seule fois en cinq cents pages, tel un personnage secondaire, anecdotique et superfétatoire. La gloire ne retiendra qu'un seul nom sur son carnet... Indécrottable mentalité paternaliste de la suffisance blanche !

 

VIE POURRIE

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Au vu des canons de l'époque Muddy Waters n'a pas eu à se plaindre. L'aurait plutôt été gâté par la vie. Le père planta la graine et disparut... La mère s'en fut à Stovall. Le jeune McKinley Morganfield y retrouvera un oncle, des cousins, sa grand-mère. Une grande plantation de treize cents hectares. C'était un bon choix. Le travail était dur, mais le patron, le Colonel Stovall, veillait à ce que ses métayers puissent manger tous les jours. Cela nous semble un minimum vital, dans beaucoup d'autres endroits ce n'était pas le cas, les ardoises au magasin local se devaient de ne pas dépasser le prix de vos futurs bénéfices réalisés sur la prochaine récolte de coton... La corde au cou du pendu pour la vie...

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Enfant, il trainait dans les eaux des marécages, d'où le boueux surnom de Muddy qui lui fut attribué. Devint un jeune gars costaud et débrouillard. Capable de bosser sans rechigner dans les champs de coton toute la journée et d'être encore plein d'énergie une fois le soleil couché. Sut très vite s'y faire avec les filles, trafique de l'alcool clandestin. Mais l'essentiel est ailleurs. A commencé comme tous les gamins à se fabriquer une guitare à partir d'une boîte comme caisse de résonance. Le blues est là. Il ne le quittera blues jamais de sa vie.

 

COUNTRY BLUES

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Muddy Waters les a tous rencontrés. Un jour ou l'autre sa route a croisé celle d'un Son House ou d'un Charley Patton. Immergé dans le rural blues jusqu'à plus soif. Regarde, admire, pique quelques plans, est subjugué. N'en prend pas pour autant la route. Tourne dans les bals de campagne et les juke joints perdus mais il ne s'envole pas plus loin que son ère naturelle d'habitation. Connaît ses limites psychiques et musicales. N'est qu'un pauvre noir illettré. La ville lui fait peur. L'est devenu le seul soutien financier de sa grand-mère. Puis ce Robert Johnson sur qui il tombe un jour par hasard. Un attroupement s'est formé. Muddy se retrouve au premier rang. Mais il n'y reste pas. S'enfuit, traverse la masse agglutinée autour de l'aède. Ce type joue trop bien de la guitare. L'est déjà tout ce qu'il n'est pas encore. Une légende vivante.

 

Mais l'on n'échappe à Robert Johnson. Si vous refusez d'aller à lui, c'est lui qui vient à vous. Depuis sa tombe. Entre chez vous sans prévenir. Je ne vous roule pas dans la farine. L'émission King Biscuit Time sur la radio KFFA – crée en 1941, spécialement conçue pour capter le public noir – diffuse le blues, pour la première fois sur toute l'étendue du delta. Elle est menée de main de maîtres par Sonny Boy Willamson II, Rice Miller, et Robert Lockwood Junior. Ce dernier fut le beau-fils de Robert Johnson et reçut des leçons de guitare de son beau-père... Le monde du blues est plus petit qu'on ne le croit.

 

Muddy Water fut invité à venir jouer en direct à King Biscuit Time, sa popularité en fut accrue, mais il a compris qu'en stagnant à Stovall, il resterait jusqu'à la fin de sa vie un second couteau. Le delta n'est plus le seul réceptacle du blues. Le centre de gravité du blues s'est déplacé à Chicago.

 

CHICAGO

 

Ce n'est pas un hasard. C'est à Chicago que les noirs du Sud profond émigrent en masse. Les salaires y sont deux fois plus élevés que dans le delta qui subit sa révolution agraire imposée par la mécanisation intensive. Un tracteur remplace avantageusement une cinquantaine d'ouvriers... Dans la grande ville industrielle, le racisme revêt aussi une apparence moins frontale, moins humiliante.

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Mais à Chicago, Muddy Waters n'est qu'un parfait inconnu. C'est dans la ville des abattoirs géants qu'il va bouffer – artistiquement parlant – de la vache enragée. Personne ne l'attend. Dans les bars et les salles de spectacle, les bonnes places sont prises depuis longtemps. L'on y joue un blues rapide, carré, peu émotionnel, lisse et superficiel... La musique émotive chargée des angoisses et des brûlures du delta que joue Muddy rappelle trop de mauvais souvenirs à une population qui veut oublier ses racines serviles et s'enivrer de cette factice liberté qui lui paraît une pure merveille... Tout nouveau, tout beau.

 

Muddy travaille dur toute la journée, c'est le soir et la nuit qu'il sacrifie aux démons du blues. Un combo se réunit autour de lui. Rencontre un double de lui-même au parcours étrangement similaire, le guitariste Jimmy Rogers. L'a déjà frayé avec des pointures comme Bukka White et Robert Lookwood, un véritable musicien qui saura rester en retrait, à Muddy les glissandi en chute libre au bottleneck, lui par derrière il ouvre les parachutes harmoniques au bon moment. Blue Smithy arrive à point nommé, une espèce de pionnier de la guitare électrique, une oreille sur Charlie Christian et la deuxième tendue vers Arthur Crudup – celui-là même dont le jeune Elvis reprendra le That's All Right ( Mama ) – un technicien hors pair capable non pas de régler tous les problèmes que doit affronter un guitariste, mais de proposer une solution et surtout d'expliquer le surgissement de toute problématique... Apportera sa précieuse expérience à Muddy Waters qui vient d'abandonner la guitare acoustique typique du delta blues au profit d'une électrique qui deviendra l'instrument emblématique de ce city blues qu'il est en train, avec quelques autres, de mettre au point. Refus d'une virtuosité jazzistique au profit d'une plus grande violence, d'une plus grande force. Ne pas se perdre dans de stériles exhibitions, transmuer le feu rampant du delta en incendie identitaire. Désormais le serpent endormi du blues dans la moiteur étouffante du Sud relèvera la tête à la moindre approche. Blue Smity qui ne fera pas partie de la formation régulière de Muddy aura été un parfait initiateur.

 

Muddy participe à ses premières sessions d'enregistrement en tant que musicien accompagnateur. Pour la seconde il n'osera jouer en slide. Ce n'est pas dans l'air du temps. Cela rappellerait trop les origines paysannes d'une musique qui se veut moderne. Quitte à y perdre son âme.

 

L'ESSOR

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Muddy s'est acheté une voiture avec l'héritage de sa grand-mère qui vient de mourir. Avec Baby Face Leroy à la batterie le combo possède une assise rythmique incandescente. Leroy ne laisse jamais mourir l'ambiance. Mais c'est l'arrivée de Little Walter qui fera monter la mayonnaise. Un cheval fou de l'harmonica. Faudra que Muddy et Rogers lui apprennent à maîtriser sa fougue naturelle. L'est déjà un maestro mais a tout à apprendre. Toute sa vie il restera un étalon indomptable. Sont désormais le groupe attitré du Zanzibar, bar reconnu pour la qualité de ses prestations. Muddy y restera de 1946 à 1954. L'ambiance est survoltée, l'écoute est loin d'être religieuse, les bagarres sont fréquentes, l'alcool coule à flots mais les amplis des musicos recouvrent le tapage.

 

Avoir un bar, une boîte de nuit, est un moyen de s'enrichir. La famille Chess des juifs venus d'Europe de l'Est l'ont vite compris. Les deux fils, Phil et Leonard secondent leur père avec intelligence. De redoutables organisateurs qui gagnent suffisamment d'argent pour être un jour en mesure de penser à l'investir. Se décideront pour Aristocrat une mini compagnie de disques locale qui marche bien et dont ils deviennent les principaux actionnaires. Aristocrat n'enregistre que de la musique blanche mais les frères Chess sont des pragmatiques. Ils côtoient dans leur boîte de nuit des tas de groupes noirs qui ne demandent qu'à être enregistrés... quand la matière première est abondante, pas chère et disponible et que vous possédez l'industrie de transformation adéquate, faudrait être idiots pour ne pas tenter sa chance. Mais Phil et Leonard sont prudents, inutile de produire du tout venant, autant chercher la qualité et la nouveauté. Sommy Golderg le talent-scout noir embauché par les frères Chess ne tarde pas à entrer en contact avec Muddy Waters qui au pied levé se voit demander de montrer ce qu'il sait faire sur une guitare. Pour la petite histoire la démonstration se fera sur la guitare de Lonnie Johnson.

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Premier enregistrement abracadabrant Muddy choppé en son boulot se retrouve seul au studio avec les musiciens maisons de Sunny Land Slim avec qui il avait déjà jammé. Leonard qui n'y connaît pas grand-chose en country blues – ce qui ne l'empêche pas d'avoir quelques idées sur son évolution citadine - impose la mise en avant du pianiste au détriment de la guitare de Muddy. Le single qui sortira en avril 1948 n'est pas un chef d'oeuvre mais Gipsy Woman et Little Anna Mae suffiront à attirer l'attention des amateurs sur Muddy.

 

Pour sa deuxième session, Muddy impose sa guitare, Leonard ne comprend pas, I can't be Satisfied ne le satisfait pas du tout et quant Feel Like Goin' Home il le renverrait bien chez lui, mais c'est une femme qui sauve la situation, Evelyn Aron, l'associée des frères Chess pousse à la roue. Le disque sort du jour au lendemain, et le tirage est épuisé le soir même... Le disque percute, sera un catalyseur pour B.B. King encore dans sa ferme et un magnifique accélérateur de la carrière de Muddy, désormais lui et son band sont demandés par tous les clubs, et partageront la tête d'affiche avec les stars reconnues comme Big Bill Bronzy et Memphis Minnie.

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Leonard n'attachant pas ses dollars avec des saucisses, Muddy et son groupe font des extra sur de petits labels... Mais Muddy tient à sa revanche sur le destin. Une tournée dans le delta qui passe obligatoirement par Stovall où il est reçu avec tous les honneurs. Enregistre tous les jours pour King Biscuit Time et donne une session historique de huit morceaux pour le label Parkway. C'est là qu'il enregistre pour la première fois Rumblin' and Tumblin'. Que Chess se dépêchera de lui refaire réenregistrer avec un autre morceau appelé à devenir célèbre, un certain Rollin Stone...

 

LES ANNEES FASTES

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Entre 1951 et 1955 le groupe de Muddy se trouve à l'épicentre du blues. Les musiciens vont et viennent; Otis Spann apporte son piano, Junior Wells remplace Little Walter qui entame en solitaire une carrière météorique, mais la place de l'harmoniciste reviendra finalement à James Cotton. Muddy ne retient pas ses musiciens et les laisse tenter leur chance ailleurs, c'est la rançon de la gloire.

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Muddy acquiert une maison qui devient un centre névralgique du blues, loue des chambres à ses musiciens qui jamment sur de nouveaux morceaux... que Muddy finit par signer. Agit comme Willie Dixon, monstrueux contrebassiste qui recycle sous son propre nom le répertoire du vieux Sud... Pratique courante, la débrouille individuelle flirte sans cesse avec une certaine malhonnêteté intellectuelle du droit d'appropriation.

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C'est la saison des morceaux d'anthologie, le Such A Fool, le Hoochie Coochie Man, le Manish Boy, tous ces titres qui mettent en avant la sexualité accaparatrice de Muddy qui ne se gêne jamais pour sauter sur la femme des autres. Il a la bite conquérante et un comportement que les ligues féministes jugeraient machiste. Mais Muddy est toujours prêt pour le bon temps. Ce blues ardent colle parfaitement à la nouvelle sensibilité noire qui s'installe in the black communauty. Rien de révolutionnaire, peu de revendication sociale, mais la fierté revendiquée de personnalités qui prennent conscience de leur droit au bonheur.

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C'est de Memphis et d'un certain Sam Phillips que proviendra le premier concurrent de Muddy, le redoutable Howlin' Wolf, dont Leonard Chess rachètera le contrat aux disques Sun. Il y avait de la place pour deux à Chicago mais l'égo d'Howlin' ne supportera pas le succès de Muddy. Le monde est en train de changer et Muddy ne s'en aperçoit pas. Le danger ne vient pas du loup ombrageux mais de ce qui est en train de se concocter dans les marmites noires de Sun et aussi avec un certain Bo Diddley. Le blues électrifié de Muddy Waters qui commence à mordre sur le public blanc est en train de faire un bâtard dans le dos de la musique, il s'appellera le rock and roll.

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LE TROU BLEU

 

Les années suivantes furent décevantes pour le blues en général et Muddy Waters en particulier. Chess mise tout sur un nouveau venu qui était venu le voir sur la recommandation de Muddy lui-même. Lorsque Chess vendait 50 000 exemplaires d'un disque de blues c'était un super succès. Mais titres de Chuck Berry se comptaient en centaines de mille. Le rock accapara les premières places. Tout allait trop vite pour Muddy surtout les guitares rock. Durant deux ans il n'osa plus en jouer sur scène. Dut embaucher un autre guitariste Pat Hare car Rogers le quitta aussi. Se contenta de chanter dans les clubs de Chicago qui bradaient les prix d'entrée...

 

Faute de mieux et en désespoir de cause il accepta de partir en tournée en Angleterre. Autant dire pour une planète inconnue. L'invraisemblable se produisit, les salles étaient pleines, des passionnés de blues envahissaient les coulisses afin de lui poser des questions de spécialistes en mal d'infos. Muddy et Otis Spann jouaient avec Chris Baker, pionnier émérite du blues anglais. C'est au sortir d'un de ces shows qu'Eric Burdon décida de former les Animals...

 

RICOCHETS MULTIPLES

 

Si the white british people avait plébiscité Muddy, pourquoi les américains ne feraient-ils pas de même ? C'est au festival de jazz de Newport que la consécration eut lieu. Le public folk formé d'intellos et d'étudiants réservèrent un accueil enthousiaste à John Lee Hooker et Otis Spann. Mais Muddy Waters fit éclater toutes les barrières. Muddy apportait sur un plateau les salaces cochonneries que tous les intellectuels rêvent de faire sans oser l'avouer publiquement. Muddy agita son mojo frénétiquement, sans équivoque sur un fond d'électricité crépitante.

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Aux States, le jeune public noir délaisse le blues lui préférant la soul. Muddy compense cette désaffection par l'arrivée de plus en plus nombreuse de jeunes blancs. Le milieu folk se passionne pour le premier Waters, celui des premiers enregistrements réalisés à Stovall par Lomax et les premières pistes chez Chess. L'on recherche la pureté originelle du blues. Ce qui ne rentre pas dans les vues de Leonard décidé d'atteindre encore une fraction plus importante du public blanc en rajoutant une section de cuivres sur ce qui deviendra la partie la plus mauvaise de la discographie de l'artiste.

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A chacun son Muddy Waters. Ce qui paraît le plus important c'est ce surgissement d'un blues blanc américain autour du musicien Paul Butterfield. Ce qui amènera Marshall le fils de Leonard à faire enregistrer Electric Mud, un disque rempli de pédale wha-wha destiné aux oreilles des hippies. Descendu par la critique l'album qui était bien parti n'ira plus bien loin. D'autres essais suivront, mieux réussis comme celui enregistré avec Paul Butterfield. Mais les coups durs viennent toujours d'où on les attend pas. Leonard ne sait refuser les six millions et demi de rachat de la compagnie Chess offerts par GRT, il désire investir dans le cinéma. Les Black Panthers ne sont pas étrangers à ce choix. Pressions discrètes mais ils misent davantage sur le film que sur le vieux blues pour sensibiliser les black people... Leonard ne verra pas son projet se concrétiser. Une crise cardiaque l'emporte à cinquante deux ans. Phil est débarqué de la compagnie, Marshall reste en place mais GRT malgré toutes ses promesses de continuation entreprend de gérer l'entreprise comme des comptables plus soucieux de profits que de musique...

 

Le groupe achève sa tournée lorsqu'une voiture percute le véhicule des musiciens. Deux morts, deux blessés graves Muddy passera trois mois à l'hôpital...

 

TIL THE END

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Le vieux lion se relèvera. C'est un petit homme mais un grand monsieur qui viendra tirer Muddy de la panade. S'appelle Scott Cameron et restera avec le vétéran jusqu'à la fin. Scott changera de braquet. Fini les concerts dans les clubs miteux du bas Chicago. Beaux hôtels et grandes salles. Scott l'emmène en Angleterre pour les London Sessions ( 1971 ) qui relanceront sa carrière. Muddy bénéficie de la reconnaissance et de l'estime de bien de jeunes musiciens blancs qui ont appris à jouer sur ses disques. Scott lui met les points sur les I en lui expliquant les malhonnêtes contrats que les nouveaux patrons d'Arc la maison d'édition de Chess lui ont fait signer... En 1975, Muddy profite du fait que RTS revende la compagnie pour s'en aller.

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Sa carrière remonte la pente, Muddy s'occupe de sa vie d'homme. Sa femme morte il se préoccupe des enfants naturels qu'il a semés de ci, de là, les adopte et les fait venir chez lui. La cohabitation avec sa progéniture officielle tourne parfois à l'aigre. Muddy donne l'impression de régler le passif d'une vie dissolue... Des regrets qui selon les principaux intéressés viennent un peu tard...

 

Mais le plus beau reste à venir. Hard Again enregistré avec son groupe sous la houlette de Johnny Winter. Dix ans, nous sommes en 1975, que Muddy n'a pas sonné aussi fort. Winter a su respecter le vieux maître en le poussant dans ses retranchements. C'est le chant du cygne. Ce qui suivra sera de qualité mais pas du même tonneau. Quelques tournées, le groupe toujours aussi mal payé alors que l'argent coule à flots le quitte. Muddy le remplace illico... Les récompenses affluent, le président Carter l'invite à la Maison Blanche, les Grammies Awards pleuvent... Mais c'est déjà la fin. Atteint d'un cancer des poumons Muddy s'éteint doucement chez lui le 30 avril 1983. Une page de la musique moderne se tourne...

 

UN BEAU BOOK

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Rempli jusqu'à la gueule d'anecdotes et de renseignements. Ne vous contentez pas des notes de bas de page, il y en a près de deux cents feuillets, relégués après les appendices. Robert Gordon cite ses sources en recopiant des pleines feuilles de témoignages. Petit défaut, c'est sans doute l'aspect musical de l'oeuvre qui est un peu laissé dans les marges. Mais vous vous en moquez, vous avez tout Muddy Waters dans votre discothèque personnelle.

 

Damie Chad.

 

LITTLE RICHARD

 

SELECTED SINGLES 51 – 56

 

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TAXI BLUES / EVERY HOUR / GET RICK QUICK / THINKIN' 'BOUT MY MOTHER / WHY DID YOU LEAVE ME ? / AIN'T NOTHIN' HAPPENIN' / I BROUGHT IT ALL ON MYSELF / PLEASE HAVE MERCY ON ME / ALWAYS / RICE, RED BEANS, AND TURNIP GREENS / DIRECTLY FROM MY HEART TO YOU / LITTLE RICHARD'S BOOGIE / I'M JUST A LONELY GUY / TUTTI FRUTTI / SLIPPIN' AND SLIDIN' / LONG TALL SALLY.

 

SAGA : ALL STARS SERIES. Record : NO. 984 061-0

 

Here's Little Richard est le premier album de Little Richard paru en 1957. M'a toujours estomaqué. Pas moins de six classiques du rock dessus : Tutti Frutti, Ready Teddy, Slipin' and Slidin', Long Tall Sally, Rip It Up, et Jenny Jenny. Proposez-mieux si vous pouvez. En plus le petit Richard cosigne cinq des six morceaux. Semental, comme disent les Espagnols pour désigner un étalon. Et en prime, se cachent deux petites merveilles, True Fine Mama et She's Got it, que j'adore.

 

En des âges lointains d'innocence rock and roll, on a longtemps cru que c'était les premiers morceaux enregistrés par Mister Penniman. N'en n'était rien. Entre 1951 et 1956, vingt-quatre titres furent pressés et commercialisés sous la forme de douze singles. Ce CD - l''ai trouvé l'année dernière en Espagne - Tutti Frutti, Selected Singles 51-56, en présente seize. En manquent dix qui aurait permis de posséder l'intégrale 51-56. Ne rêvons pas, l'eût été plus judicieux d'y inclure les deux seuls morceaux mis en boîte en l'an de grâce 1953 ( Ain't That Good News / Fool At The Wheel ) et ne mettre que les deux premières pistes gravées en mars 1956. Mais chez Saga l'on ne vise pas à l'exhaustivité. L'on préfère consacrer un CD ( voire un double ) à chaque grande figure du jazz, du blues et du rock. L'on y mêle grands succès et titres plus rares, pour attirer autant le grand public que l'amateur éclairé.

 

Méchamment instructif. Le king du rock and roll n'a pas commencé par des rocks torrides à se jeter par la fenêtre. Les titres rapides ne sonnent pas comme du rock. Même pas du proto-rock. Sont les derniers rejetons du swing, un peu malingres et décadents. La voix de Richard en est la principale cause, ne rebondit pas comme une balle de ping-pong selon les courbes de l'orchestration, a été taillée trop grande. Ecrase tout. L'éléphant qui se sent de trop dans la cage de l'ours. Quand il s'essaie à imiter Louis Jordan, prend une voix fluette comme si son gosier s'était brusquement rétréci.

 

La majorité des titres proposés sont des morceaux lents. Ça la fout un peu mal pour un futur prince du rock. Tout de suite s'insinue l'insidieuse question. Pourquoi flirter de si loin avec le blues ? Qui croira que Little Richard n'avait pas assez de feeling pour chanter le blues ? Prenez par exemple le début de Why did You Leave Me ? C'est presque aussi beau que de l'Eric Burdon, mais ensuite vous pataugez dans un passage qui fleure pas bon l'eau de rose et vous terminez sur une bluette à la Platters. A croire que déjà à l'époque l'on visait le tendre coeur d'artichaut des ménagères de plus de quarante ans.

 

Ce flirt quasi variétoche nous pourfend l'âme. L'on essaie d'accuser des arrière-fonds de tonneau jazz pas nettoyés, mais c'est une fausse piste. Peut essayer de nous égarer le smallito Richardo avec sa voix de femme larmoyante sur cette parodie de blues qu'est Please Have Mercy On Me. Pour un peu on en chialerait d'émotion si ce n'était ce saxophone qui tirebouchonne dans les coins. Always nous révèle le pot aux roses, cela ne vient pas du blues, ça provient du gospel, d'un côté le tourment et le désespoir du pauvre pêcheur et de l'autre les mamas qui font les jolies chœurs pour vous soutenir le moral. Après l'office la fièvre du samedi soir. Mais faut tout de même se taper l'harmonium sur Rice, Red Plans and Turnip Greens.

 

L'on arrive vers la fin du disque. Little Richard trouve enfin la porte de sortie. Le boogie-woogie, tout est là le swing se métamorphose en balancement, et les choeurs masculins ont manifestement écouté Bill Haley. Un petit faux pas de Johnny qui se paye un petit solo de vibraphone bon à jeter à la poubelle mais furieusement à la mode à l'époque. I'm Just A Lonely Guy, un slow mais Richard a compris, on ne chantonne pas pour séduire les filles, on crie et on leur gueule dessus pour qu'elles comprennent vite qui est le patron.

 

Qui en douterait après avoir écouté les trois deniers morceaux ? Métamorphose accomplie. A rock and roll king est né. Total respect.

 

Damie Chad.