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21/12/2014

KR'TNT ! ¤ 215. MIRACULOUS MULE / JALLIES / NATURAL RESPECT / RONNIE BIRD / POP MUSIC IN FRANCE 1968 - 1975

 

KR'TNT ! ¤ 215

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

25 / 12 / 2014

 

 

 

AVIS A LA POPULATION ROCK

L'on est vraiment trop gentils. L'on vous permet d'ouvrir votre cadeau de Noël 215, dès ce dimanche 21, au lieu d'attendre le jeudi 25. N'en profitez pas pour oublier de lire la livraison 214 ! Pour la 216, qui normalement devrait arriver le jeudi 01 janvier 2015, comme l'on ne se fait aucune illusion sur votre éthylique état comateux, vous le retrouverez le vendredi 02 et peut-être même le samedi 03 car nous vous laisserons le temps de reprendre des forces.

N'oubliez pas que selon les prévisions conjuguées de toutes les plus grandes voyantes l'année 2015 sera ROCK AND ROLL. Sans quoi, elle n'aurait aucune raison d'être !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

 

 

MIRACULOUS MULE

JALLIES / FLO / NATURAL RESPECT

RONNIE BIRD / POP FRANCAISE

 

 

 

LE KALIF / 30 – 10 – 14 / ROUEN ( 76 )

 

MIRACULOUS MULE

 

LE MIRACLE DE LA MULE

 

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On avait tout entendu. Qu’ils chantaient comme Captain Beefheart. Qu’ils faisaient un showcase. Qu’ils avaient un article huppé dans Libé et que Libé venait de couler. Que le peuple allait bientôt descendre dans la rue. Que Chihi avait déjà chanté dans des groupes. Qu’on ne pouvait plus se garer sur les quais à cause de la foire Saint-Romain. Qu’ils faisaient du blues possédé par le diable. Qu’ils craignaient l’eau bénite. Qu’ils étaient américains. Qu’ils avaient déjà enregistré des disques. Que le Vatican les avait à l’œil.

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Intrigué par autant de rumeurs propagatoires, on est allé voir. Et on a vu. Comme dirait Howard Phillips Lovecraft, on a vu de nos yeux vu l’indicibilité des choses, ce qu’on ne peut décrire, l’envers du tangible, l’abstraction à quatre pattes, celle qui fait hi-han au plus profond de nos cauchemars psychotropes. Jamais Lovecraft n’aurait pensé rencontrer une mule au détour d’une page du fameux grimoire de l’Arabe fou, le Necronomicon. L’indicibilité des choses régnait d’autant plus que le concert de Miraculous Mule se tenait dans un endroit sacré - tout au moins pour les musiciens de la scène rouennaise - le Kalif, un endroit qui au fil du temps a su conserver l’essentiel, c’est-à-dire la patine trash des salles où les groupes s’entraînent à faire trembler les colonnes du temple.

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C’est là, dans une grande salle du Kalif aménagée pour recevoir les groupes en concert, que s’est produit le miracle de la mule. On a vu jouer pendant une heure un trio de blues-rock exceptionnellement doué. Miraculous Mule, retenez bien ce nom, car ils n’ont absolument aucune chance. Pour deux raisons. Un, le blues-rock n’intéresse plus personne. Deux, ils sont trop bons et par les temps qui courent, le talent ne nourrit plus son homme. Ils sont donc condamnés à errer dans les ténèbres de l’underground britannique jusqu’à la fin des temps. Un sort que personne n’ira leur envier. Brrrrrr. Fâcheux destin.

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Et quand je dis exceptionnellement doué, c’est un doux euphémisme. Ces trois-là sont dans une énergie qui est celle des puissants de cette terre, c’est-à-dire les artistes convaincus de leur force. Demandez à un écrivain s’il doute de lui lorsqu’il tient son idée et qu’il avance dans son travail de gribouillerie. Bien sûr que non ! Il avance comme une locomotive et rien ni personne ne saurait l’arrêter. Ses veines charrient de l’énergie bouillonnante. C’est cette assurance qui porte Miraculous Mule. Ils savent qu’ils sonnent, alors ils nous sonnent les cloches. Ces trois mecs basés à Londres - Camden Town pour être plus précis - redonnent vie au légendaire blues-rock anglo-irlandais que jouaient des power-trios comme Taste ou les Groundhogs au temps jadis, mais avec une touche plus mûre, plus originale, plus sombre, plus vaseuse et même littéralement princière. Miraculous Mule a un son, un vrai son d’atmosphère pesante et tendue. Ils cultivent l’art des blues de train fantôme, montés dans la meilleure tradition des conneries qu’on raconte dans les mauvais articles, mais ils jouent ça avec un brio extravagant. C’est de la balle. Dès le premier morceau, on est happé par le jeu du bassman Patrick McCarthy. Il crée la tension et tarpouille avec le drummer Ian Burns un beat hypnotique sur lequel Michael J. Sheehy va poser ses embrouilles de gammes de blues. McCarthy sort un son terrible de sa basse, il va chercher des télescopages de bas de manche et par l’extraordinaire présence de son jeu, il évoque ces rois du pétrole que sont Jack Bruce ou John Entwistle. Sous son petit chapeau cabossé, l’ami Sheehy joue ses chorus avec un faux air calme, et place souvent ses figures de style acariâtres sous le joug d’un barré. Son purisme outrancier le conduit même à changer régulièrement de guitare. Il collectionne les belles demi-caisses blanches ou sunburnt et il ne semble jouer que pour cautionner l’ineffable big bass blast de son bras droit Patrick McCarthy. Franchement, ce mec ne semble vivre que pour la bassline. Il joue des thèmes du pouce et de l’index et peut rocker n’importe quel ballroom. McCarthy est un véritable hanteur de morceau. Ses lignes traversent les couplets, remontent les fleuves et plongent dans des cascades de tension épouvantablement grandioses. Il dégouline de sueur et le pouls d’un beat mortel lui bat les tempes. C’est lui qui mène ce bal des vampires, il lui arrive même de prendre le micro pour pousser une vilaine rengaine dans le précipice. Il sait créer les conditions d’un bel enfer, celui d’un blues-rock à l’Anglaise, terriblement puritain et encouenné à l’ancienne, comme si les Anglo-Irlandais étaient les seuls à connaître le secret du grand-œuvre. Ils sont d’autant plus fascinants qu’ils ne singent pas les rois du trash-blues américain, de type Knoxville Girls, Porch Ghouls, Blanche ou Bassholes. Les trois Miraculous Mule vont bien au-delà des convenances, des références et des appétences, des ingérences, des obédiences et des luminescences. Ils vont même au-delà des appartenances, des jouvences et des latences, ils transfigurent les nécronomiconneries, les johnny-casheries et les ambivalences de la pertinence. Ils roulent le blues dans leur farine et le font rôtir vivant dans l’âtre. Ça fume, comme sur le bûcher d’Urbain Grandier, dans les Possédés de Loudun. Ils dégagent beaucoup trop d’intensité pour une époque comme la nôtre. Ils dégagent quelque chose qui ne relève pas seulement de la puissance pure, mais aussi du cinétisme. Il règne dans leur set un relent grand-guignolesque. Des squelettes dansent derrière le rideau noir et l’ombre de Jean Lorrain court sur la muraille. Peut-être eût-il été préférable de les voir jouer devant un petit cénacle de lycanthropes au premier rang desquels se fût pavané Pétrus Borel ? Mais non, le Kalif était l’endroit idéal, un écrin de béton au creux duquel luisait l’âme mourante du blues anglais.

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Curieusement, on ne retrouve pas le son heavy blues sur les deux albums du groupe (sauf sur un titre, ««I Don’t Do Nobody Nothin’»). On y retrouve une autre énergie qui est celle du gospel. Écoutez l’album «Deep Fried» et vous verrez trente-six chandelles. C’est sur cet album que se trouve l’extraordinaire «Satisfied» (qu’on peut écouter en ligne). C’est le cut de canne idéal pour clouer le bec d’un set. La bassline hante le cut comme l’asticot hante la jambe gangrenée - I’ve never been - Dommage que la basse ne soit pas plus avancée dans le mix comme elle l’est sur scène. Ce cut fascine par sa seule tension, par le rampant de la menace, par l’énergie du gospel sous-jacent - Oh no - Ils sont dans le vrai, dans le boogaloo blast. On retrouve ce beat épais dans «Dangerous Blues», voodoo camdenique de bas-fonds brumeux. Patrick McCarthy chante comme un crucifié du blues, il se coule dans le torrent de la miséricorde des origines du monde, il va chercher au fond de sa voix des accents rageurs et blessés par le gravier. Ça vire à la charogne baudelairienne, ca vire au bagne sans espoir, têtu et profond, malsain et âpre, jaune et noir. Depuis Wolf, on n’avait plus revu un Evil comme celui qui rôde dans «Evil On My Mind» - Evil all the time - C’est chargé de tous les remugles du boogaloo, ça sort directement des cervelles endommagées de sorciers guinéens entassés dans la soute d’un vaisseau négrier. On entend cliqueter des choses dans le son, ça rampe dans l’ombre, ça rampe sous le manteau, derrière le rideau, dans le secret des alcôves. Le feu sacré du gospel est omniprésent sur cet album. «Run On» et «Early In The Morning» sont scellés comme un destin. Il coule dans les veines anglicanes de ces trois mecs l’énergie du gospel et des chants de chain-gangs qu’entonnaient les forçats noirs sous les coups des blancs sadiques et syphilitiques. Le beat est celui des cadences de bagnards, celui d’une horreur inventée par les blancs, l’esclave dans l’esclavage. De ce fumant fumier s’échappe un art. Nouvel objet de stupéfaction avec «Bald Headed Woman», nouvelle ode au gospel interjectée de courts-circuits de têtes d’amplis à l’agonie - I don’t want no sugar in my coffee - Voilà une hanterie de plus. Ces trois mecs possèdent l’art de posséder les possédables, c’est-à-dire les bienheureux, tous les crédules de la terre et tous les esprits faibles. Il s’élève de ce disque une aube grisâtre chargée de toute la grandeur du gospel et des chants de travail. On se croirait parfois chez Alan Lomax. Un peu plus loin, on entend la bassline de Patrick McCarthy se promener en liberté sur «Country Circuit Preacher». Avec «I’m A Soldier», ils restent dans la sur-puissance du débordement d’énergie et appellent les chœurs à l’émeute. Et ça termine en apothéose avec - Oh ! Ah ! - «Prettiest Train», monté sur le plus menaçant des beats, et ce cut faramineux se termine en jam explosée de descentes de basse infernales qui renvoient à l’âge d’or du blues-rock anglais. Au tapis.

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L’album suivant s’appelle «Blues Uzi». On ne sait pas pourquoi ils délirent sur les armes et au fond, on s’en fout. Tout ce qu’on leur demande c’est de ramener le doom du gros pathos. Alors ils titillent le zizi de «Blues Uzi» qui du coup prend la tournure d’une grosse saucisse bluesy. Avec «I Don’t Do Nobody Nothin’», on retrouve enfin la veine blues rock du concert. On revient au grand palais d’antan, et ça devient TRÈS sérieux. Ils outrepassent le battage éhonté du Cream sound, ils transcendent le blues rock anglais des early seventies. C’est un pur chef-d’œuvre grandiloquent de génie ambulatoire. Ils sonnent dans la cité. Ils passent au groove avec le rampant de la bienséance. Ils savent partir à la dérive du heavy rock, ils savent rompre les amarres et laisser les courants œuvrer. Puis Patrick McCarthy lance «City Of Refuse» sur un riff de basse et ça tourne très vite à la monstruosité. Ils tâtent un peu du carnage des couches inférieures de l’enfer. Toute cette énergie est portée par la basse. Voilà ce qu’il faut bien appeler un beat dressé vers l’avenir. Ça ressemble à une citadelle tombée aux mains de l’ennemi.

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Espérons qu’on reverra Miraculous Mule un jour sur scène, mais en attendant, prions dieu que tous nous veuille absoudre. Pendu pour pendu, autant prier.

 

Signé : Cazengler, tête de Mule

 

Miraculous Mule. Le Kalif. Rouen (76). 30 octobre 2014

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Miraculous Mule. Deep Fried. Bronzerat Records 2013

 

Miraculous Mule. Blues Uzi. Bronzerat Records 2014

 



 

SAMOIS – SUR – SEINE / 19 – 12 – 2014

 

SALLE POLYVALENTE

 

JALLIES / FLO / NATURAL RESPECT

 

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Vous ne devinerez jamais ce que j'ai fait samedi soir ! J'ai participé à l'enregistrement d'un disque. Ne me regardez pas avec des yeux de merlan frit comme si la plus grande rock and roll star du monde écrivait à votre misérable personne de fan admiratif et agenouillé une petite bafouille sympathique. Je le confesse à ma grande honte, ce n'était pas un disque de rock and roll. Non un truc innommable, une espèce de mélange sans nom de reggae, de rap, et de hip-hop. Je sais, ce n'est pas bien. Mais je vous promets de ne pas recommencer. Plus jamais de ma vie. Enfin pas de si tôt.

 

Ce n'est pas de ma faute. C'est le grand Phil qui m'y a traîné. La teuf-teuf mobile ayant refusé de participer à ce sacrilège, l'on est partis dans la toto-trinette. En plus quand la copine a appris qu'il y avait les Jallies, l'a à tout prix voulu m'accompagner, comme si elle n'avait pas confiance en moi.

 

D'autant plus que je n'y allais pas spécialement pour les zoizelles ( enfin, si un peu ) mais pour un gars. En tout bien, tout honneur. Je vous rassure. Dernier show de l'année sur la région pour Julien, le grand Phil et moi, l'on tenait à y témoigner notre amitié, pour tous ces concerts fabuleux qu'il a soutenus de sa contrebasse, et aussi pour ce qu'il est, un de ces êtres humains qui vous font chaud au coeur par leur manière d'être dans le monde.

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La seule maison éclairée de Samois est la salle polyvalente. Je crois rêver, elle est bâtie sur le même modèle que celle du tremplin rock présenté par Ady ancienne guitariste et chanteuse des Jallies ( voir KR'TNT 205 du 15 / 10 / 2014 ) dans le patelin voisin de Chartrettes que Nakht avait brillamment remporté : escalier d'accès bétonné similaire et même architecture d'intérieur.

 

Droit d'entrée deux euros – non ce n'est pas une erreur de transcription – en plus l'on se précipite pour nous apporter un café brûlant. Gratuit, bien entendu. Y a même une navette ( encore ) gratuite pour les jeunes d'Avon, la ville voisine, qui auraient envie de se rendre au concert. L'on ne va tout de même pas aller vous chercher chez vous en pointant un revolver sur votre tempe ! Peut-être devrait-on adopter cette manière forte puisque il n'y aura au final qu'une petite centaine de spectateurs.

 

JALLIES

 

Les samedis se suivent et ne se ressemblent pas. Un plateau grand comme la moitié du Sahara, les Jallies en occupent le centre, vous pourriez garer deux caravanes de trente dromadaires de chaque côté de la scène qu'il resterait encore de la place. Thomas et Julien sont derrière mais pour une fois on les voit parfaitement. Les chipies ont beau essayé de faire barrage à notre vue en s'interposant entre eux et nous, rien n'y fait les demoiselles du public pourront admirer sans réserve les deux beaux boys.

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Les trois plus belles sont devant. Rayonnantes. Trois soleils pétillants de joie et de grâce. Je passe sous silence, l'incessant ballet ponctué de rire qui les emmène à changer de place tous les deux morceaux. Un, deux, trois, c'est parti comme sur du papier ( celui des cadeaux de Noël ) à musique. Un set unique. Profitez-en elles ne reviendront pas. N'ont pas fini leur premier morceau que tout le monde est devant la scène, totalement subjugué. La magie Jaillies a encore frappé. Même moi, qui leur pardonne d'avoir sauté Be Bop A Lula, un crime inexpiable, mais avec leurs sourires enjôleurs et leur entremêlements de voix envoûtant, vous cédez à tous leurs caprices.

 

Honneur aux boys sur qui les trois cruelles mégères s'amusent à décocher des petites phrases assassines totalement injustes. Sous son chapeau – l'a gardé pour se protéger des traits empoisonnés, Thomas répond par des intros meurtrières qui laissent à notre trio de sorcière tout juste le temps de cavaler derrière leurs micros et Julien se lance en des soli de démonstration qui vous coupent les jambes. Alors les filles, vous croyez être les reines du swing, écoutez un peu my big mama et retenez la leçon. Et tout le monde applaudit en hurlant de toures ses forces.

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Le plus terrible c'est que ce genre d'argument ne les émeut guère. Thomas leur brode sur sa six cordes des petites merveilles qu'il glisse adroitement entre les coups qu'elles portent à tour de rôle sur la caisse claire, ou alors il vous tricote une longue écharpe de notes fuselées pour faire la jonction entre les reprises ou les chavirements des choeurs, les trois pestes n'en ont cure, ce sont elles qui retiennent le public captif dans les barreaux mordorés de la cage d'or de leurs vocalises. Vous êtes prisonnier comme un Merlin pas malin ensorcelé par trois Viviane.

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Céline a ajouté une corde à son arc, un nouvel instrument à sa panoplie, au cas où vous ne le sauriez pas, c'est un kazoo, au son nasillard comme pour souligner l'impertinence de son sourire mutin, quinze secondes, pas plus, même pas, mais assez pour attirer toute l'attention sur elle, comme si elle avait besoin de cela avec sa voix qui circonflexe sur les arpèges en se jouant des difficultés. De ces égéries qui marchent en tête des troupes qu'elles mènent à l'assaut.

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Vaness, aux yeux d'innocence sous la blondeur de ses cheveux, mais aux réparties canailles et à la voix de cailloux roulés par les torrents de montagnes altières, elle est le feu qui brûle et qui consume. Une torche indisciplinée au sourire incendiaire. Cavale sauvage et indomptable qui se lance à l'assaut des standards pour les plier à sa démesure outrancière.

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Leslie, sourire suave et tambourin d'acier qu'elle manie comme l'égide d'Athéna. Capable de tout, du slow langoureux de Tunel of Love aux galops effrénés d'Imelda May ou de Johnny Burnette. La troupe d'élite que l'on n'engage que pour les coups de mains audacieux où se joue le sort de la bataille.

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Trois filles d'aujourd'hui, souveraines, libres de leur âme. Elles swinguent et rockabillisent à merveille, sans affectation, par jeu et par plaisir. Vous redonnent confiance en le futur de l'humanité par leur simple présence. Le show se termine sur un Jump, Giggles and Shout – Gene toujours là – dévastateur. Mais ce n'est pas fini. Alex et Nico de Natural Respect sont au micro. Ils ne viennent pas demander un rappel. Non, simplement rendre un hommage, celui de la jeune génération à la précédente, rappellent comment ceux et celles qui sont devenu(e)s les Jallies ont été un modèle pour les moins de vingt ans. Des mots venus du coeur, sincères et émouvants. Le plus beau moment du set. Mais l'on ne récolte que ce que l'on a semé.

 

FLO

 

N'était pas prévu sur l'affiche mais Natural Respect lui laisse la place le temps de peaufiner l'installation de leur matos. L'est tout seul avec son sampler et sa guimbarde. Les gens sont au fond de la salle, près du bar et des plats à crêpes ( succulentes ). Ce n'est pas gagné d'avance. Ne chante pas, fait des bruits de bouche. Les lèvres enchâssés sur le micro. Les conversations s'arrêtent, les regards se tournent vers cet étrange bruiteur qui ne joue d'aucun instrument mais qui crée sa propre musique. Et doucement tout le monde se regroupe devant la scène. Les premières minutes ont surpris leur monde, les suivante ont conquis les méfiances les plus rétives. Nous sommes loin du rock mais respect à ceux qui osent frayer d'autres voies quand bien même s'éloigneraient-elles de nos ères de prédilection. Un garçon à suivre.

 

NATURAL RESPECT

 

Déjà rencontrés au mois d'octobre. Je ne serais pas revenu les voir ce soir, s'il n'y avait eu les Jallies. Naturellement je respecte, même si je ne partage pas leur style musical. Certes je ne suis pas sectaire mais je n'aime que le rock and roll. Ceci étant posé, force est de reconnaître qu'ils ont du talent et qu'ils savent être fidèles à eux-mêmes. Et à leurs idées. Chose rare en ce monde où les gens n'ont que des préférences. Beaucoup plus facile de faire semblant de croire que la liberté réside en l'exercice de votre choix entre les différents produits que l'on vous propose. Que ce soit sur les rayons de votre supermarché préféré ou dans le prêt à porter des pensées démocratiquement correctes.

 

En plus ils ne vous prennent pas en traître. Avancent derrière leur drapeau. Ce soir ils sont là pour enregistrer leur nouvel album au titre significatif : Anartiste. Difficile d'être plus clair dans le noir profond. Jeunesse en colère au regard lucide. Chantent en français, ou plutôt Alex scande en notre langue. Un peu rap, un peu chant. Mais une diction claire et nette. Vous ne pourrez pas dire que vous n'avez pas entendu. Pour débuter un morceau sur l'état du monde, sans concession. Les nantis et les pauvres. Lutte des classes. Ce sont les riches qui ont remporté le match. Le démontage des discours foireux dont les médias gavent leurs ouailles consentantes. Il n'est de pire esclave que celui qui fait semblant de ne pas comprendre. Pour sortir de la nasse, n'y a que la trente-sixième solution, celle des anarchistes espagnols qui à Barcelone ont pris le fusil. C'était en 1936, presque un siècle. Mais la situation n'a pas changé entre temps. En fait si, elle a empiré.

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Six sur scène. Nail a reçu du renfort. La section de cuivre s'est étoffée de Jérémy. C'est fou comme l'adjonction d'un seul instrument peut changer la donne. Pourtant il ne prend pas des soli dévastateurs, se contente d'accompagner, presque discrètement, mais la trompette de Nail se meut beaucoup plus aisément sur ce tapis continu. Très jeune et plein d'énergie le Nailhouse Groove, n'arrête pas de danser comme s'il était dans les Famous Flames de James Brown. C'est que Natural Respect joue très funk. Affichent rap et reggae, mais s'en démarquent avec brio et humour. Vous aimez le reggae demande Alex et le public répond oui. Eh bien, nous on n'en joue pas. Même plaisanterie sur le rap. Manière de faire prendre conscience aux adeptes d'une admiration trop parcellairement fanatique que le style de musique n'est pas une fin en soi mais le vecteur de leur révolte.

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Natural Respect ne confisque pas la musique, un des plus beaux passages du set sera cette impro autour de Flo rappelé sur scène, qui permet à chacun de faire preuve de sa virtuosité. Tristan à la batterie mène un tohu-bohu d'enfer, dessine le rythme que sur sa guitare Nico émiette sans fin jusqu'à le réduire en charpie. Clément se joint avec sa basse à ces deux forgerons du beat afin de renforcer leur frappe incessante. Deux blackoss sont montés sur scène – j'ignore leurs prénoms – l'un danse et l'autre se partage le micro avec Alex. Possède un bel organe vocal, sonore et viril qui ne dépare en rien les interventions d'Alex. Si l'on n'y prend pas garde, si l'on laisse les yeux s'attarder sur les autres musiciens, ou si les deux chanteurs échappent à notre vue car ils bougent beaucoup, l'on peut confondre les deux voix, tellement l'osmose rythmique est parfaite. Nail abandonne sa trompette et s'en vient rapper. Jeune, mais doué. A le groove dans la peau, mélangé à son sang qui pulse sans fin.

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Une belle prestation, peut-être un peu trop longue et répétitive sur la fin. Mais quitte à enregistrer autant avoir un maximum de matos pour opérer une sélection. Natural Respect ont assuré grave et groove. S'ils repassent dans les environs je ne les bouderai plus.

 

DERNIER CONCERT ( snif ! snif ! )

 

C'était le dernier concert de l'année. Il y a bien quatre groupes ( tous genres déclinés, pop, rock, punk ) prévus le lendemain au même endroit et avec la même organisation de rêve, mais le devoir familial m'appelle en Ariège sur mes hautes terres natales. Et ces fainéants d'autochtones ariégeois qui, vus d'ici par la lorgnette du net, ne sont même pas capables d'organiser un petit concert dans cette festive période ! Natural Respect a raison : la fourmilière a besoin d'un bon coup de pied au derrière ! Même que des fois, une bonne rafale de kalachnikov sur le vieux monde croupissant... Enfin je vous laisse juges... En attendant, une dernière bise aux Jallies pour nous protéger de la cruauté du monde.

 

Damie Chad.

( Les photos issues des FB des artistes ne correspondent pas au concert )

 

RONNIE BIRD

 

in JUKEBOX N° 337

 

( Janvier 2015 )

 

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Le Pivert est de retour ! De quoi égayer notre hiver ! L'a pris un coup de vieux. Nous aussi. Des lunettes à la main – mauvais signe – mais une silhouette de jeune homme. Pose devant des affiches de sa jeunesse. Quand il était une promesse du rock français. Un petit sourire désabusé, comme le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui. 1964 – 1969, six années fabuleuses, et puis plus rien, Ronnie s'éloigne du rock, de la France, et de nous. Satellite perdu en terre américaine dont ne nous arrive que de rares signaux, une interview dans Rock and Folk, un live en 1983, un disque vorld calamiteux en 1992... tout cela sans donner l'impression d'y croire vraiment. Ronnie a tourné la page, relit parfois les premiers chapitres, mais sait très bien que sur le livre de la vie on ne peut changer un seul mot de ce qui est écrit.

 

Une longue interview dans laquelle il se livre un peu, mais point trop. Explique tout de même son éloignement. Un accident de voiture dont il est judiciairement responsable et dont il devient la victime – lui-même n'emploie pas ce mot – en devant en assumer les retombées financières. Comme toujours le fric est le nerf de la guerre et Ronnie ne vend pas assez pour satisfaire ses deux maisons de disques successives qui rognent sur les budgets et les royalties. Ronnie est à l'endroit où ça se passe, il a compris que le rock est en train de changer, mais il bricole, court partout, fait au mieux, mais s'épuise vite. De guerre lasse pour se renflouer il accepte de jouer le rôle de Barrabas dans Jésus Christ Super Star... Finira par partir aux States comme preneur de son pour Antenne 2. Change de vie pour ne pas s'écrouler sous le poids des désillusions.

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Un fils perdu de la bourgeoisie. Peut-être trop velléitaire pour réussir. N'a pas la rage de vivre ni l'envie de vaincre chevillée au corps. Le milieu musical français ne l'a pas aidé. Fait partie d'une génération sacrifiée. Celle d'un Noël Deschamps et d'un Thierry Vincent. Un pied chez les pionniers et l'autre parmi ces nouveaux groupes anglais qui possèdent un son extraordinaire. Mais il reste le chantre de ce rock électrique qu'il fut le premier à maîtriser en France avec des titres comme Elle M'Attend, Fais Attention, et Où Va-t-elle ? Et puis le tournant vers le Rhythm and Blues et ce merveilleux titre que fut Sad Soul sur son dernier simple.

 

De l'histoire ancienne et dépassée. Ronnie s'est fait une raison. Ce n'est pas à soixante-huit ans que l'on rattrape le temps perdu, même si Jukebox sort un nouvel album 25 centimètres En Direct ! ( JBM 027 ) de l'intéressé avec des titres rares, des directs télé, une alternate take, et mirifique surprise un titre inédit, une curiosité tirée à trois cents exemplaires. Just for Fans. Ne se plaint pas de sa vie. Une belle jeunesse, et quand la mer s'est retirée, l'est parvenu à rester debout. L'aurait pu s'effondrer. L'a survécu. En est fier. Comme un rocker. Revenu de l'Enfer.

 

Damie Chad.

 

JUKEBOX

 

HORS-SERIE N° 28 / JANVIER 2015

 

SPECIAL POP FRANCE - 1968 – 1975

 

ALICE / AU BONHEUR DES DAMES

 

ALAN JACK CIVILIZATION / JACKY CHALARD

 

JOËL DAYDé / DYNASTIE CRISIS + JACQUES MERCIER

 

/ MAGMA / TOTAL ISSUE / OPHIUCUS

 

/ SYSTEME CRAPOUTCHICK / TRIANGLE

 

VARIATIONS / ZOO

 

Un numéro à conserver précieusement. Quand on y regarde de près l'on s'aperçoit qu'il n'y a point trop d'ouvrages sur la question. Le Rocorico de Christian-Louis Eclimont paru en 2012 ( voir KR'TNT ! 126 du 10 / 01 / 2012 ) et c'est à peu près tout si l'on excepte quelques monographies pas toujours accessibles. C'est la troisième génération du rock français – quatrième si l'on tient compte des galéjades autour de Boris Vian et consorts – celle qui suit la deuxième, celle de Ronnie Bird et de Noël Deschamps qui court de 1964 à 1969.

 

Le monde était en train de changer. Les évènements de Mai 68 avaient ouverts les yeux et surtout les oreilles de toute une jeunesse qui malgré son sempiternel renouvellement générationnel ne s'était dans sa grande majorité – hormis les couches des milieux populaires – que très peu intéressée à cette musique de voyous que l'on appelait rock and roll. D'ailleurs en cette nouvelle ère qui s'annonçait l'on préféra user du terme Pop-Music d'apparence plus neutre et comme ayant symboliquement effectué une coupure avec la vieille imagerie très négative des blousons noirs.

 

La France étant un pays traditionaliste, pas question de s'en laisser compter par les capitalistes américains et le conservatisme des grands bretons. Fille de la Révolution Française, de la Commune, toute une partie – la plus remuante et la plus audacieuse - de la jeune génération se proclama héritière du Mouvement Ouvrier. La révolution était à l'ordre du jour. L'accompagnement musical de l'épopée en gestation l'on s'en moquait comme de la division du travail entre chasseurs et cueilleurs chez les tribus ante-néolithiques dans le bassin méridional de l'Eupphrate. Le mouvement gauchiste ne comprit que trop tard avec l'émergence de groupes comme VLR ( Vive La Révolution ) que la révolution en marche qui résulterait de la grande commotion soixante-huitarde serait beaucoup plus sociétale que politique.

 

L'herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin. Une autre fraction de notre saine jeunesse en accord parfait avec l'idéologie libérale des nouvelles élites industrielles et intellectuelles n'eurent d'yeux que pour la Grande Amérique et la perfide Albion. Certes ils n'admiraient pas les mêmes éléments. Ne s'intéressaient qu'à la production musicale de ces deux nations. En vinrent à dénigrer tout ce qui pointait son museau sur le sol national. Axiome de base : le meilleur des groupes français n'est qu'un étron de moucheron comparé au dernier des combos saxons.

 

Statutairement parlant le rock français partait avec un grave handicap. Un cheval à qui vous coupez d'office les quatre pattes a très peu de chance de remporter le derby d'Epsom. Maintenant faut être juste : l'existe comme un fossé - pour ne pas dire un gouffre abyssal - entre Martin Circus et Led Zeppelin. Retournez les galettes respectives dans tous les sens, le constat même avec trois cents kilos de mauvaise foi cocardière est accablant. Ce qui est étonnant chez Jukebox c'est leur parti-pris hautement revendiqué. On y traite tout objet d'étude avec le même sérieux et la même rigueur. Que l'on s'étende sur les Rolling Stones ou Triangle, l'on utilise la même méthode, les dates, les faits, les statistiques, les classements. Tout relevé est élaboré avec le même soin maniaque. Un extra-terrestre tombant sur un numéro de Jukebox pourrait en déduire que les Stones et Triangle firent preuve d'une égale créativité.

 

Reste que malgré ses soixante-huit pages bien tassées mais non extensibles le choix des artistes évoqués n'a pas dû être facile. Quoique chez Jukebox, pour les numéros spéciaux l'on ne s'enquiquine pas. L'on refourgue pas mal d'articles déjà parus dans le mensuel. L'est sûr que rapprocher de ses alter égos une formation quelconque aide celle-ci à acquérir une signifiance historique beaucoup plus pertinente. Mais c'est aussi le moyen de vous faire cracher au bassinet vos maigres pépites pour entrer en possession d'informations que vous possédez déjà. Pour faire passer la pilule l'on agrémente le plat principal d'interviews souvent passionnantes. C'est un art à part entière que de savoir accommoder les restes.

 

PREMIERS CONSTATS

 

A première lecture ou en consultant ses propres souvenirs l'on a l'impression d'un foisonnement innombrable. Mais dès que l'on s'amuse à retracer les arbres généalogiques l'on s'aperçoit que souvent ce sont les mêmes noms qui reviennent. Les musiciens passent de groupe en groupe comme un billet de dix euros change de poche. L'on peut facilement identifier trois poches séminales, ou trois plaques-tournantes essentielles : Les Pingouins, Les Cinq Gentlemen, et Alan Jack Civilzation. Dans l'ordre chronologique : les palmipèdes de la banquise étant représentatifs de la première génération rock and twist du tout début des sixties, le quintet de la mid-sixties au parfum britannique indéniable entretenant de la douceur électrique du folk rock tout en flirtant avec le rêve illusoire d'une variété nationale de qualité, et la nouvelle civilisation des utopies underground de la décennie 70 se cristallisant dans les expériences tant musicales que communautaires de cet improbable rêve hippie d'une nouvelle manière de vivre...

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Les musiciens sont soumis à dure épreuve. Les plus doués sont ceux qui savent d'où ils viennent. Du jazz, de la musique classique, et pour une petite minorité du rock des pionniers. Tous les autres prennent le train en marche. C'est beaucoup mieux que de rester sur le quai. Mais ils sont confrontés à une problématique exaspérante. Ne venant de nulle part, ils n'ont aucune idée de l'endroit vers lequel se diriger. Faut qu'en quelques années ils fassent le chemin que les englishes ont mis dix ans à parcourir. En sont réduits à refaire le trajet à l'envers alors que le train va de l'avant. Sont partis pour jouer du rock guitar, du boogie rock électrifié à mort, mais certains sont tentés par les racines du blues et d'autres attirés par les sirènes du rhythm and blues. Ce dernier est une véritable valise magique, tout ce qui y rentre fait ventre. Des cuivres tonitruants de l'écurie Stax à la folie meurtrière des groupes mods qui à partir de la matrice noire réinventent le rock and roll blanc, il y a de quoi en perdre sa boussole.

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Les années soixante-dix furent aussi celle de la suprématie du progressive rock. Fallut attendre la tornade punk pour renvoyer la boursouflure progressive dans le bourbier des modes dépassées. Emerson Lake and Palmer, Yes, Genesis, étaient les groupes favoris des jeunes français, vous étiez un béotien si vous vous réclamiez de Mountain ou du Blue Öyster Cult. Aujourd'hui l'étiquette progressive a été préservée de la disparition, l'on a pris l'habitude de l'accoler à un courant, le hard rock, qui était sa bête noire. L'on parle sans sourciller de progressive hard, voire de progressive metal. Lorsque le rock veut péter plus haut que son cul, lorsque les killers guitar heroes meurtriers s'achètent une conduite, ils s'affublent de cette contre-marque nauséabonde. Au début des seventies nombre de musiciens étaient victimes d'un complexe d'infériorité. Dans leurs rêves les plus fous ils s'identifiaient aux compositeurs classiques. Pays de haute culture la France n'a pas échappé à cette rétro-jalousie. Je me souviens d'une interview – ce doit être dans Special Pop - d'Alice dans laquelle le groupe affirmait que le nom avait été choisi pour conquérir le marché américain puisqu'il était facile de l'écrire ALL ICE. La glace se mariant parfaitement avec la musique cérébrale du quartet... Z'auraient jamais dû enregistrer Je Voudrais Habiter Le Soleil car le glaçon a fondu en laissant une marre pas plus grosse qu'un pipi de chat. Tout le monde n'a pas la dimension de King Crimson.

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Alice n'est pas ressortie vivante du terrier dans lequel elle s'était imprudemment fourvoyée. S'est faite doubler par un Ange. Qui lave plus blanc que deux barils de n'importe quelle autre lavasse. Ce n'est pas moi qui le dit, mais Dieu le Père, son créateur Christian Descamps qui commente toute la longue carrière de son orchestre. Difficile de lire jusqu'à la fin. Dix pages d'auto-satisfaction proclamée. Même manière de penser que John Lyddon dans sa dernière autobiographie. A les lire nos deux bonshommes n'ont enregistré que des disques essentiels tout au long de leurs carrières respectives. Un des dangers les plus courants du succès s'avère être l'hypercatastrophiesation de l'égo. Encore que tout est relatif. Entre Emile Jacotey et Never Mind The Bollcks, immense est la différence d'amplitude.

 

COURANT ROCK

 

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Rien de plus gênant que le melon qui enfle. Vaut mieux ne pas se prendre au sérieux et s'appuyer sur des valeurs sûres. Intellectuellement parlant le retour au twist ne pèse pas lourd face à ceux qui recherchent la sagesse supra-musicale. Au Bonheur Des Dames fut perçu comme une galéjade, une désopilante plaisanterie d'une bande de copains qui se lance dans un concours de pets après les haricots de la cantine. Quand l'histoire foira, il ne resta d'ailleurs que les mauvaises Odeurs. Oser se réclamer de Johnny Hallyday, de Dick Rivers et d'Eddy Mitchell alors que le moindre pékin pleure des larmes de sang en entendant un disque du Pink Floyd, fallait être singulièrement stupide et hors du coup ! Les has-been ont la vie plus dure qu'on ne le croit. On qualifia Au Bonheur Des Dames d'abominables passéistes, n'étaient que les précurseurs d'un mouvement auquel personne ne s'attendait, le retour du rock. Au Bonheur Des Dames ne faisait que rembobiner les toutes dernières images du film. Ce retour en arrière était un appel à un grand bond en avant. L'on rigolait en se remémorant le bon temps du twist pour mieux déblayer le chemin à l'explosion punk qui ne tarderait pas à survenir.

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C'est à la même époque que Jacky Chalard bassiste de Dynastie Crisis en vint à monter le label Big Beat Records pour donner un coup de main aux Alligators et à Jezebel Rock deux groupes venus d'une autre planète que l'on croyait perdue à tout jamais, le rock des pionniers. Le label fut à l'initiative de la renaissance du mouvement rockabilly en France et par ricochets eut quelque influence notable sur le redémarrage de carrières mises en veilleuse de chanteurs américains de la grande époque.

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Mais le grand groupe rock de l'époque fut en France les sublimes Variations. Comme beaucoup de prophètes qui se respectent ils commencèrent par être reconnus à l'étranger, en Belgique, au Danemark, en Suède où ils enregistrèrent leur premier single, en Allemagne... En France ils eurent le statut de groupe de province. Pas d'une unique région, mais de toutes les tranches de l'hexagone. Intelligentsia parisienne les ignora. La presse rock les bouda. Des espèces de métèques venus du Maroc qui se permettaient de faire un boucan de tous les diables dans leur concert quand l'heure était au recueillement quasi-religieux devant le tintement d'une clochette agitée avec componction par les batteurs des grands groupes dignes de ce nom, c'était plus que de chastes oreilles d'esthètes ne pouvaient humainement supporter. Sans compter que toutes les jolies filles leur couraient après. Ah ces pauvres délurées prêtes à se donner à la première brute séminale qui passe, quelle horreur ! Mais leur crime de lèse majesté fut surtout d'être sur scène aussi bons ( et parfois même meilleurs ) que la crème anglaise. L'est des interdits à ne pas dépasser. Celui qui possède le statut de cancre ne peut prétendre remporter le premier prix de version latine. Les variations en moururent d'épuisement. Trente après leur aura légendaire ne cesse de monter au firmament du rock français.

 

N'y a pas que le rock dans la vie. Il y a aussi le blues. Alan Jack n'aura pas fondé la civilization blues dont il rêvait. L'est parti trop tôt. L'est mort en 1995, trente ans après la formation de ce qui n'est pas son premier groupe, mais qui porte déjà son nom, l'Alan Jack Group. Un tiers de siècle cela vous permet de faire œuvre, encore faut-il baigner dans une réalité porteuse. Alan Jack souffrira de la même addiction à la drogue que Paul Butterfield. Mais il n'est pas né au pays du blues comme son frère d'ombre américain. N'a pas connu le même environnement. N'est pas un héritier. Plutôt un fondateur puisque il fut accompagné par Patrick Verbeke et Benoit Blues Boy. Higelin le côtoya aussi, ce qui explique pourquoi et comment le grand Jacques abandonna un moment son statut de chanteur à textes mouvance dadao-rive gauche pour se métamorphoser le temps de trois à quatre albums en parfait rocker français.

 

D'UN AUTRE MONDE

 

Finirai par Magma et l'extraordinaire interview de Klaus Blasquiz qui resta dix longues années avec le groupe le plus étonnant de tout le rock français. Un parcours unique, jazz, rhythm and blues, Kobaïa. L'on peut ne pas aimer Christian Vander. Penser que ces derniers temps, il se répète beaucoup, que l'aventure Magma n'aura duré que cinq ans, que par la suite l'intérêt se dilue. Peut-être, mais en ses premières années Magma édifie une oeuvre colossale à la jonction du jazz suprême de John Coltrane, des torsades rythmiques de la musique classique du vingtième siècle, et de l'énergie haut-voltage du rock and roll. Klauz cause de Magma sans effusion sentimentale, simplement, les pieds sur terre mais la tête dans Kobaïa. La planète si follement inventée qu'elle en acquiert une existence mythique qui jouxte la réalité la plus prosaïque. Ne parle pas de musique mais de musiciens, de leurs talents et de leurs limites. De leur passage dans Magma, de leurs traces, et sans acrimonies de la suite de leur carrière que l'on pourrait souvent juger contraire à la haute prétention éthique de Magma. Donne aussi avec une très grande sérénité une explication psychologique de la première dissolution de Magma. Un peu incompréhensible à l'époque. Malgré les explications somme toute peu explicites de Vander dans une longue interview accordée à Rock & Folk. Christian Vander casse le beau jouet qu'il vient d'achever de construire et dont il rêvait depuis toujours. Un comportement d'apparence aberrant, mais que l'on retrouve chez une foultitude d'êtres humains qui s'interdisent la jouissance prolongée de tout bonheur, même chèrement acquis. L'enfant abandonné par sa mère parvenu à l'âge adulte ne peut qu'endosser la culpabilité dont il refuse d'accuser la marâtre adorée. Un transfert autodestructeur dont il reste incapable de s'abstraire. La rock music comme une ascèse intellectuelle qui refuse les douillettes consolations psychanalytiques de Docteur Freud.

 

1968 - 1975

 

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Une époque fabuleuse. L'on sentait les coutures du vieux monde craquer sous la montée de la sève virulente d'une jeunesse occidentale décidée à bousculer les vieilles idées. Les promesses espérées n'ont pas été tenues. Dès la fin de la décennie ce fut le commencement de la régression, et l'instauration de cette chape de plomb puritano-libérale, économico-politique, qui nous étouffe et nous asservit. Le rock dans toute ses contradictions fut la bande-son de cette tentative prométhéenne de renversement de l'ordre social. Aujourd'hui, il a perdu de sa faconde, il suit les trottoirs et traverse entre les clous des passages protégés.

 

Qui rallumera le feu ?

 

Damie Chad.

 



 

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