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26/06/2014

KR'TNT ! ¤ 195 : DeRELLAS / L'ARAIGNEE AU PLAFOND / LOREANN' / JALLIES / PATRICK EUDELINE

 

KR'TNT ! ¤ 195

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

26 / 06 / 2014

 

 

DERELLAS / L'ARAIGNEE AU PLAFOND / LOREANN'

JALLIES / PATRICK EUDELINE

 

 

L'ESCALE / LE HAVRE ( 76 )

 

derellas : 16 – 05 14

 

LE DELURE DES DERELLAS

 

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Retour à l’Escale, au Havre, pour un set fantastique des DeRellas. On arrive juste au moment où ils claquent leur premier accord. Slam Bam ! Sur la scène minuscule s’entassent quatre sleaziers britanniques de qualité supérieure : à droite, un guitariste coiffé comme Johnny Ramone sort un gros son sur une Gibson SG. À gauche, un bassman coiffé à l’épi comme Sid Vicious trépigne et envoie une jambe en l’air comme s’il dansait au Moulin Rouge. Derrière, un drummer coiffé comme Adonis bat le beurre avec une certaine célérité. Et au beau milieu de ce barouf intense se dresse un personnage extraordinaire, une sorte d’ogre à profil de Tiny Tim, avec un regard souligné au khôl et une Epiphone lookée comme une Les Paul blanche dans les pattes. Il promène sur la petite assemblée un regard d’empereur romain décadent et chante d’une grosse voix de glamster chevronné. Les DeRellas sonnent comme leurs héros. Ils sortent un glam-punk digne des Ramones et des Dolls, des Dead Boys et de T Rex. Ils alignent une série de morceaux glorieux, souvent montés sur des mid-tempos bardés d’accords bien gras. Ils perpétuent la tradition bien anglaise d’un rock classique, bien charpenté et imparablement décadent. Ils ont l’énergie des Wildhearts, la classe des Vibrators, l’envergure des Hollywood Brats et la prestance de Generation X.

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L’ogre s’appelle Robbie Tart. Une vraie force de la nature. Il pose sa voix sur le gros tapis d’accords et ne force jamais. Mieux encore, il module les intonations et ne rate pas une seule occasion de glisser dans l’expressionnisme perverti. C’est ce qu’on appelle une voix. On sait toujours quand il manque une voix dans un groupe, mais on ne sait pas toujours reconnaître la force d’une voix parce qu’elle devient une évidence. Le fait que Robbie Tart sache vraiment chanter paraît normal. C’est bien là le drame des évidences. Quand on a vu des mauvais chanteurs comme celui des Datsuns ou encore James Williamson, on est bien content de tomber sur un mec franchement doué comme Robbie Tart. Et ça va même beaucoup plus loin. L’ogre est timide. Il n’est pas du genre à la ramener. Quand cette armoire à glace vient signer ses disques après le set, il reste très en retrait derrière Timmy, le bassman, qui est le porte-parole du groupe. Timmy assure la vente des disques et range les rares billets qu’il parvient à grapiller dans son petit porte-monnaie. Ces mecs n’ont pas un rond et ça se voit. Ils vendent leurs disques dix euros. C’est presque un cadeau.

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Quand on demande à Timmy d’où sort le nom du groupe, il explique que ça vient de Lou Reed. Il avait fabriqué un surnom pour Warhol, Drella, en mélangeant les noms de Cruella DeVil et de Dracula. Mais pour Robbie et Timmy, Drella ne sonnait pas très bien. Alors, ils lui ont donné un petit côté mafieux-new-yorkais et c’est devenu les DeRellas, en route pour la gloire, comme les Ramones, quarante ans avant eux. Ils se présentent comme Timmy DeRella, Tommy DeRella et Luca DeRella (guitare). Le seul qui garde son nom, c’est Robbie, car il dispose d’une petite notoriété qui se révèle assez utile au groupe : Robbie a joué de la basse dans les Vibrators, à l’époque de l’album «Energize».

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Comme Nikki Sudden, Robbie est un fan de glam. Le premier single qu’il s’est acheté fut «Can The Can» de Suzi Quatro, qu’il continue d’adorer. Il devenait dingue quand il voyait Sweet à Top Of The Pops, puis il est tombé sous le charme de Marc Bolan. Quand le mouvement punk a explosé en Angleterre, sa préférence est allée à Generation X.

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N’oublions pas que le glam anglais a généré pas mal de vocations : Wildhearts, Quireboys et Dogs d’Amour en Angleterre, Hanoi Rocks en Finlande, Kiss, D-Generation, Motley Crüe et tout un tas de cloches tatouées aux États-Unis.

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Le seul canard anglais qui consacre un peu de place aux DeRellas, c’est Vive le Rock. Coup de chapeau quand ils montent sur scène à Londres et chronique flatteuse de leur deuxième album, «Slam! Bam!». C’est vrai que l’album accroche bien, à condition toutefois de bien aimer le sleaze rock. La pochette est un joli montage de bouts de comix américains. Si on s’étonne de la qualité du son, ce n’est pas par hasard. Pat Collier (membre fondateur des Vibrators devenu producteur de renom à Londres) a produit l’album. Côté son, les douze titres sont absolument superbes, bien gras et bien ronflants, de construction classique mais la production est si bien foutue qu’on se régale du panaché de riffs. Le génie de Pat Collier, c’est d’avoir réussi à poser la voix de Robbie Tart sur ce tapis bien gras pour qu’elle y rayonne comme une perle sur le satin rouge d’un écrin. Ils ouvrent le bal avec «Rock N Rollercoaster», insolente petite pièce de glam punk amenée avec des accents canaille et chaloupée par le gras du jeu de Luca Derella. Il émane de ce cut à l’odeur forte une certaine grâce. Oh, de toute évidence, les DeRellas n’inventent pas le fil à couper le beurre. Ils laissent ça à d’autres qui vont essayer de faire les malins. Les DeRellas préfèrent s’amuser et c’est exactement pour cette raison qu’on les apprécie. «Kids Wanna Slam» reste dans la veine du premier cut, ils l’emmènent au cocotage et lui donnent une vraie couleur glam. Hey ho ! On a même une belle percée incendiaire de Luca DeRella dans le milieu du cut. On y retrouve le panache du grand glam anglais des années de braise et de paillettes, comme dirait l’ami Tahar. Comme les 1990s de Glasgow, ils tentent de rallumer le brasier du pur glam, mais ça ne va pas être facile en Angleterre, car les gens se sont un peu dispersés. Dommage, car le bon glam reste un genre imparable et magistral, une sorte de recette miracle. Robbie chante «Don’t Go» avec ce qu’il faut de décadence dans le ton du cru. En écoutant l’album, on le revoit chanter à l’Escale. C’est une présence extraordinaire. Probablement l’un des grands showmen britanniques actuels mais il est à craindre que la renommée des DeRellas ne reste confidentielle. Leur gros hit pourrait bien être «London A Go-Go», un morceau dont le refrain mélodique ensorcelle - baby let’s dance - le genre de morceau qui traîne sur une face d’album et qui tout à coup prend une importance considérable. Un peu comme «All This And More» sur le premier album des Dead Boys, qu’on revenait écouter inlassablement, même si n’aimait pas ce groupe et ce qu’il cherchait à incarner. Quelque chose dans le ton du morceau, dans la mélodie et dans le son plaît terriblement et pouf on décide que c’est lui l’élu. «London A Go-Go» se distingue des autres morceaux de l’album par une réelle élégance et les oreilles de lapin se redressent aussitôt, comme des bites. On sent un vrai potentiel. On se croirait chez les mighty Wildhearts. En face B, ils renouent avec l’énergie dévastatrice du glam pour balancer «Stick It To The Man», bien traversé de descentes de manche à la T Rex, et en plus, c’est stompé dans les règles de l’art. Que demande le peuple ? Ces mecs sont très forts. Ils s’appuient sur les deux gosses mamelles du rock anglais : le glam et le punk. Au moins, personne ne pourra les accuser de médiocrité. Ils sont comme protégés. Toujours autant de panache dans «She Kissed The Gun», où ils frôlent leur perfection, car enfin que peut-on espérer de mieux, dans le genre ? Ils ont tout : le son, la compo, l’éthique et la foi. Robbie Tart chante son glam à la perfection de la perversion. Et la température continue de grimper avec leur reprise du «Be My baby» des Ronettes, avec laquelle ils ont fait un malheur pendant le set. Leur énorme reprise corrompue dit bien toute la puissance du genre, car la mélodie se retrouve sertie sur un son dévastateur. Une sorte d’effarance alambiquée donne à leur panache une dimension éclatante et établit définitivement la suprématie des glamsters anglais sur le reste de l’univers. Personne n’osera jamais prétendre le contraire.

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Pour finir leur set, ils reprenaient un autre classique imparable, «Baby Baby» des Vibrators et l’ogre nous chantait cette merveille avec un sourire gourmand. C’était sa façon de lier les époques et de dire que la magie n’avait pas disparu.

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Les DeRellas n’en étaient pas à leur coup d’essai. Leur premier album paru en 2009 s’appelait «Hollywood Monters» et il contenait lui aussi son lot d’énormités. Dès «Crash & Burn», on est saisi par la qualité du son, plus rude, et embarqué par le tempo. Robbie Tart prend bien le chant dans le gras de la glotte et il va chercher des effets bien néfastes. Fidèle au poste, Luca sort un solo vitriolique. Ils nous balancent ensuite un petit glam rock à la Dictators, avec un côté jus de juke très comique et très sérieux en même temps. Ils y vont de bon cœur, comme d’usage, c’est leur force. Au fond, ils ne font que convaincre les amateurs de continuer à les écouter, ce qui est de bonne guerre. Et c’est le genre de bonne guerre dont on finit par devenir friand. Attention à «Freakshow» ! Ça pourrait bien être l’autre monster hit des DeRellas - a wow-wow - Robbie chante le glamour avec l’extrême affectation des grands seigneurs de la décadence et derrière, c’est claqué à l’accord, et même sévèrement cocoté - a wow-wow - Franchement, Robbie incarne bien cette décadence à l’anglaise dont on raffole depuis plus de quarante ans. Peu de chanteurs ont ce pointu glam perverti au chant. Il y a principalement du Peter Perrett chez lui. Dans sa façon de chanter, on retrouve aussi celle de gens comme Michael Des Barres, Brett Smiley et Stiv Bators, qui - avoue-t-il - est l’une de ses idoles. Dans «Everything’s Jaded», les DeRellas renouent avec un son qui a quasiment disparu de l’actualité du rock anglais. Yeah Yeah, c’est délicieusement perverti. Robbie chante comme le Néron du glam, depuis sa terrasse, il domine les ruines de la scène anglaise. Puis ils nous cocotent «Something To Say» à la mort du petit cheval, ils nous tartinent ça outrageusement et Robbie n’en finit plus de chanter dans la tradition de l’art. Nouvelle reprise de choc avec «You’re So Vain», le vieux tube FM de Carly Simon dont on nous rabattait les oreilles à une autre époque. Robbie et ses amis la cuisinent à leur sauce, à la grosse cocoterie et ils retombent sur les beaux échos FM avec le renfort d’une fille qui fait les chœurs. Admirable. Le son reste plein comme un œuf de tyrannosaure. Ils font de cette reprise une belle pièce vivante et même palpitante de sleaze-rock à l’anglaise. C’est un franc succès. Du coup, ils pourraient bien devenir des héros mythologiques, en Angleterre, comme le sont devenus les Wildhearts. Ce petit groupe sans horizon ni moyens sonne comme l’un des meilleurs groupes de glam de l’histoire du rock. Alors ? Ils envoient «Kill Me Kill You» rouler dans les orties. C’est chanté et solide. Robbie reste calme. Le son reste le délectatif. Luca balance ses solos classiques. Et ils sont tellement bons qu’ils rajoutent une petite stoogerie, histoire de montrer leur capacité. «Auto Destructed» pourrait très bien se trouver sur le premier album des Stooges. Why not ? Et ils finissent avec un classique glam épouvantable qui sonne comme du T Rex ultra-vitaminé : «Yeah !» Pas de cadeau, ils envoient leur giclée de sleaze dans l’œil du diable qui s’enfuit en poussant des gémissements de plaisir. Robbie Tart manie le paradoxe avec un doigté de tatoué.

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Signé : Cazengler, le derellaconique

 

Derellas. L’Escale. Le Havre (76). 16 mai 2014

 

DeRellas. Hollywood Monsters. Crushworld Records 2009

 

DeRellas. Slam! Bam! Key Production 2014

 

De gauche à droite sur l’illustration : Timmy DeRella, Robbie Tart et Luca DeRella.

 



 

FÊTE DE LA MUSIQUE / PROVINS / 21 -06 - 14

 

L'ARAIGNEE AU PLAFOND

 

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Trop tard pour monter sur Paris, je resterai donc sur Provins. Ca ne promet rien de bon. J'ai des souvenirs à vous tordre de rire ou à pleurer de désespoir. Quand je pense à tous les groupes de rockab dans les HD Diners... Commençons par un tour de la ville, gustatif. D'emblée j'élimine toutes les sonos devant les cafés. Certains s'imaginent faire de la musique, j'appelle cela passer des discs. Trop souvent très mauvais.

 

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Je n'ai rien contre les amateurs, mais quand la balance dure et qu'au bout de quinze minutes l'on n'a pas encore réussi à trouver la prise où est branché le fil du micro... j'entraîne ma gerce un peu plus loin. Remarquable initiative. Nous voici avec Fenimore Cooper au pays des iroquois, des crêtes partout, multicolores et flamboyantes, nous sommes chez les Drunker, des punkers de la dernière génération. Drunker ça déchire grave, ça cogne fort et vous avez un soliste qui tire des riffs à la mitrailleuse lourde. Ca dépiaute sec, les chiens refusent de passer devant l'estrade, faut que leurs maîtres les poussent, les tirent et menacent de les abandonner à la SPA pour qu'ils acceptent de traverser en rampant la zone rouge. Pas trop d'imagination, un peu convenu, mais moi je serais bien resté. Pas la copine qui devient toute blanche à chaque fois que Drunker secoue le cocotier un peu trop fort, comptez un tsunami toutes les quinze secondes. Sont de Nangis, le bled à côté, on les reverra plus longuement.

 

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Place Honoré de Balzac. C'est ici que l'illustrissime auteur de la Comédie Humaine venait se retirer lorsque les huissiers parisiens assiégeaient d'un peu trop près son domicile parisien. Si je ne m'abuse il y a un groupe sur scène ! Triple buse ça tombe mal dans mon oreille, c'est Buse. Ornithologiquement parlant un bel oiseau, mais je n'aime guère que l'on abuse de ma patience musicale, Buse c'est un mix entre du sous-sous-Téléphone ( je parle des lyrics ) et la chanson française à texte qui se prend pour de la poésie. La copine papote avec un groupe de jeunes mais je l'arrache des griffes de l'infâme cacatoès qui depuis son perchoir me donne envie de me faire ara qui rit.

 

L'on refait un tour de ville : je vous épargne le thé dansant, quatre blaireaux entourés par trente couples de taupes branlantes qui ont réservé leur dernière danse avant l'arrêt final au cimetière, un truc qui vous fait regretter de ne pas être né cul-de-jatte, je ne moufterai pas un mot sur l'estrade zouk, une prestation encore plus déplorable que les années précédentes, bref devant le désastre annoncé, la mort dans l'âme mais grand seigneur, je laisse la copine choisir notre lieu de perdition. Veux retourner sur la place Balzac, qu'elle dit, je connais une des chanteuses, elle va chanter bientôt. Elle était avec les jeunes avec qui je discutais tout à l'heure. Tu vas voir, je suis sûr que ça va être bien !

 

L'ARAIGNEE AU PLAFOND

 

Demoiselles, inutile de vous jeter en hurlant dans mes bras protecteurs, je vous promets qu'à la fin de cette kronic vous considèrerez les araignées d'une manière plus apaisée. Je dis « les » parce qu'en plus de celle dessinée qui squatte la grosse caisse, il y en a toute une famille sur scène. Six en tout, je n'ose pas dire des petites et des grosses parce qu'elles sont toutes minces et ma foi de mine fort avenante.

 

Tellement jolie que je pensais que c'était la grande soeur, mais non c'est la maman qui tient la basse, l'a mis son riquiqui de neuf ans au clavier, et le cadet de treize ans au saxophone. Ce dernier a invité son meilleur copain sur la batterie. Crâne lisse et barbe de hard rocker, c'est le père à la guitare. Un véritable jeu des sept familles. Tout à l'heure c'est la grand-mère qui sortira des coulisses pour venir jouer du trombone. A coulisse comme il se doit. Comme cela, alors qu'ils sont en train de s'installer l'on se demande si c'est la famille tuyau de poêle ou un gag. Mais lorsque Mildred s'approche du micro, un miracle s'opère, l'on se croyait face à un assemblage hétéroclite juste rameuté pour le fun, mais tout de suite le puzzle désordonné prend l'apparence d'un véritable groupe. C'est qu'elle a du chien Mildred, les bras serrés contre son trois-quart, ses cheveux blonds en cascade sur ses épaules, une présence indiscutable. Quinze ans, toute belle, du charme et de l'aisance. Elle n'a rien à reprocher aux dieux qui se sont penchés sur son berceau.

 

Un, deux, trois, c'est parti. Pas vraiment en place, mais c'est génial. Le sax est un peu trop haut et la batterie manque de profondeur – à treize ans l'on n'a pas obligatoirement les biscotos nécessaires. L'on a l'impression que le roudoudou sur ses synthés s'emploie à masquer les trous et que les parents ne se mêlent pas tout à fait au jeu. Aux gamins de se débrouiller tout seuls. Ce qu'ils font comme des grands. Car tout compte fait il appert assez vite que le batteur tient la cadence sans faillir, sur les claviers l'on agit avec à-propos, et le sax souffle sans interruption.

 

Et puis Mildred. Une voix claire encore juvénile, en même temps harmonieuse et criarde, aigüe et ondoyante. Une seconde elle dérange et en deux secondes elle vous ouvre la porte de la chorale des anges. C'est elle qui mène et vous suivez. Faut voir la facilité avec laquelle elle s'applique. Une guerrière, elle transcende et elle subjugue. Elle tend le bras et le monde se met en mouvement.

 

Tempo rapide et morceaux courts. Des sucreries pop mais point de rhubarbe mélodieuse engluante, un peu french eighties survitaminées mais une reprise de Louie Louie – l'hymne garage par excellence - indique que L'Araignée Au Plafond ne donne pas dans la mièvrerie. C'est elle qui manie le balai dont on détruit les toiles.

 

D'ailleurs au bout d'une demi-heure Mildred annonce que le concert va «  vraiment commencer » avec le morceau qui suit. Et splang ! Un petit AC / DC de derrière les fagots pour se rincer la bouche. Suivez mon regard : qui donc s'agite sur sa guitare par derrière ? Mais l'heureux papa subitement en terre de connaissance qui vous colle des accords à rallonge manière de faire monter la pression. Par la suite il y aura Siouxie and the Banshees, Johnny Cash, Cure, Metallica et tous les autres. Pas des morceaux spécialement sortis d'usine pour le larynx de Mildred. Qu'importe, elle sait s'adapter, elle n'essaie pas d'imiter, elle a compris qu'il lui faut s'approprier les titres, leur imposer sa marque personnelle, les traiter à sa manière, les prendre et les rendre estampillés de son propre sceau. Et elle le fait avec subtilité.

 

Devant les deux étages de ses claviers le benjamin est sérieux comme un pape, tranquille comme John Paul Jones dans son coin, vous joue du honky tonk sur les country side, et pour le reste ne vous inquiétez pas pour lui il connaît tout le bastringue. Fera même un peu de percu djembé pour se dégourdir les bras. Quant au sax il soufflera plus de deux heures pratiquement sans break, n'aboie pas de solo, mais il impose sa patte sur l'ensemble qu'il colorise d'une rondeur cuivrée et urticante. Sacré boulot. Notamment sur I Put A Spell On You que Mildred a annoncé comme sa chanson préférée. Comme quoi il ne faut jamais désespérer de la jeunesse. Les os de Screamin Jay Hawkins ont dû s'entrechoquer d'aise dans son cercueil.

 

La foule qui passe s'arrête et ne repart pas. Cinquante personnes au départ et dix fois plus à l'arrivée. Mildred fascine. Naturelle et rouée, elle plaisante, rit, sourit, et se lance dans un dernier morceau qu'elle enlève au triple galop. Longs applaudissements et réclamations d'un petit supplément. Mildred reprend le micro : «  Merci, mais Buse refait son set tout de suite après nous. » Et plus personne n'ose élever la voix. Autorité innée. Un léger sourire et tout le monde acquiesce.

 

Un concert superbe. Plein de fougue et d'entrain. A suivre. A ne pas lâcher de l'oreille. Prometteur. Si vous voyez une aragne aux cheveux blonds qui squatte votre plafond, ne l'écrasez pas. Surtout si elle s'appelle Mildred.

 

Damie Chad.

 

Ps : pour Buse on a pris le bus.

 

 

LE CESAR / PROVINS / 21 – 06 – 14

 

LOREANN'

 

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Dans la série I Support My Local Folkler le samedi matin, ça me dit toujours d'aller voir Loreann' faire son show sur la terrasse du César. Ave, regaluturus te salutat. Je ne suis pas le seul apparemment. Je suis vite rejoint par l'ami Richard qui se laissera cette fois-ci amadouer à tel point que triomphant de ses démons intérieurs il en viendra après le concert – alors que nous discutions longuement – à s'emparer de la guitare de Loréann' et à esquisser quelques bossas. Depuis le temps que je lui dis qu'il est temps qu'il se remette à bosser sa gratte, il m'a enfin entendu. D'ici quelques semaines j'imagine un set de Lorreann' avec Richard en accompagnateur pour quelques morceaux. Je vous rassure il se débrouille aussi très bien sur le versant rock. And Folk.

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Je râle, Loreann' joue à dix-huit heures dans à La Galerie du Dragon de Verre – Isabelle Flores, vitrailliste en invité d'honneur - avec un autre guitariste et des morceaux qui ne font pas partie de son répertoire habituel au César. Peu de chance que je puisse m'y pointer, toutes les probabilités pour que je sois retenu à cette heure fatidique par ma fille. Mais le bouche à oreilles commence à produire ses effets, Loreann' passe sur la scène du Festiv'Eté de Provins les 28 ( 12 heures ) et 29 ( 11 heures ) juin.

 

Bon, en attendant, tout le plaisir fut pour nous. La voix suave de Loreann' qui susurre dans le micro, sa silhouette à contre-jour dans le soleil, son sourire timide, le répertoire high standarts folk-rock, les clients qui restent debout sur le côté pour mieux l'écouter, tout se conjugue pour créer un cercle enchanté et enchanteur dans lequel il est doux de venir ressourcer nos coeurs d'acier de rockers subjugués. Par sa seule présence, par la sourde profération charnelle de son chant, Loreann institue un espace isolé et protecteur comme coupé du reste du monde. Comme la mince lueur d'une lampe à huile posée sur le rebord de la fenêtre afin de guider les égarés et les voyageurs solitaires qui traversent la vie sans se douter que quelque part la beauté existe.

 

Damie Chad.

 

 

LA GRANDE PAROISSE / 22 – 06 – 14

 

Exo 77 : THE JALLIES

 

 

Ne lisez pas cette chronique vous allez vous faire du mal. Le temps perdu ne se rattrape jamais. Ainsi tenez, moi par exemple, j'ai raté la fête des Jallies à Dormelles, et d'après les échos que j'en ai eus ce fut très chaud. Par contre à l'inverse de vous j'étais à l'Exo 77. Je me range à votre avis : l'appellation fait un peu hall d'exposition bétonné, mais une fois sur place vous changez votre fusil d'épaule.

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Premièrement c'est tout près de la maison, trois petits quarts d'heure en voiture. Juste à côté de Montereau, au coeur du fief historique des Jallies. Un petit coin sympa ? Vous voulez rire ! A mon avis une réplique exacte de l'entrée du Paradis. Peut-être même la véritable entrée du jardin de l'Eden. Mais là je m'avance un peu. Toujours est-il que les endroits où les chiens peuvent courir en liberté, ou vous pouvez fumer et boire en toute quiétude commencent à se faire rare en douce France. De nos enfances perdues.

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J'ai particulièrement apprécié notre arrivée, Be Bop A Lula en bande son, des jolies filles en tenue légère un peu partout. Si vous avez mieux à me proposer, téléphonez-moi. J'en oublie de mentionner les beaux garçons bronzés et musclés, l'île assoupie au milieu de la retenue d'eau, les adeptes de ski nautique qui glissent sans bruit sur les lacustres vaguelettes, le sable, le gazon, les rires, la joie, et cerise, fraise et framboise sur le gâteau, ces demoiselles Jallies jaillisantes de sous leur grand parasol.

 

SUPER SOIREE

 

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Sont les seules à travailler. Deux cents personnes couchées dans l'herbe ou vautrées sur des serviettes, à leurs pieds. La caisse claire du soleil frappe sans compter, imaginez un petit vingt-huit degrés à dix-neuf heures tapantes. Du coup les Jallies nous la jouent à la Sandie Shaw, elles ont délaissé leurs célèbres talons rouges, et marquent le rythme de leurs pieds dénudés. Ô terre sacrée qui a reçu l'empreinte de leurs ravissants orteils !

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Pour le son vous excuserez, un léger vent capricieux, un terrain en pente, ce n'est pas l'idéal pour équaliser les instruments. Parfois la guitare est trop forte et parfois un peu faible. Mais qu'est-ce qu'on s'en moque, l'ambiance est si détendue que personne n'y trouve à redire. L'on sent que tout le monde, public et musicien a dignement marqué la fête de la musique avec force libations...

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Trois Iseult devant, il est normal que l'on trouve au moins un Tristan derrière. Remplace Thomas, qui arrivera d'un autre concert pour le deuxième set, grosse guitare, petites rouflaquettes, Tristan assure. Ne connaît pas le répertoire par coeur mais il sait quand il doit intervenir. Lance son groove à bon escient, un style un peu resserré, mais que la brise se plaira surtout sur les premiers morceaux à éparpiller quelque peu. Ses interventions se feront de plus en plus vindicatives au cours de la soirée.

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Julio, Julios, Julien est là. Fidèle au poste collé à sa contrebasse comme un timbre sur une lettre d'amour adressée aux trois grâces qui s'amusent comme des petites véroles. Un peu fatiguées, mais montées sur pile dès qu'il s'agit de chanter à leur tour. Développent des stratégies d'ensemble, tu chantes un couplet, je prends le deuxième, et moi je mets le rotor sur le wap doo wap suivant. Ce qui me permet d'apprécier des mariages de voix auxquels je n'avais pas accordé l'attention nécessaire les fois auparavant. Leslie-Vanessa pêche et abricot, pêche et cerise Céline-Leslie. Des fragrances synesthétiques auxquelles nous n'avions pas encore goûtées.

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Super Jé-Jé ne résiste pas, il sort sa trompette magique de son étui et se lâche complètement sur les morceaux, un peu rythm'n'blues, une touche de jazz, des prolongations de notes soutenues semi-mariachi-semi-Davis, mais en plein dans le Miles. Restera sur scène toute la fin du concert, avec Vaness qui lui plante le micro dans son embouchure comme un couteau dans la plaie. Saignant.

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Thomas est revenu. Quatre pour les garçons, trois pour les filles. Ca coupe le monde en deux. Ca valdingue de tous les côtés. Ambiance un peu delirium tremens, Leslie on the rocks, Céline au bord de la crise de nerf, Vaness imperiale, plus les discs jokeys de l'après-midi qui avec leur micro baladeur squattent la sono et interviennent parfois fort à propos sur les lyrics. C'est la chienlit, se serait exclamé le général de la Gaule profonde. Non, c'est la folie Jaillies qui déteint sur le monde.

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Un dernier morceau. Dixit Vanessa brusquement illuminée de sagesse socratique. Et paf, ils doublent la mise. Juste un de plus pour la route. Sortent de sous leur parasol, exténués mais heureux, le soleil s'apprête à plonger dans les eaux du lac afin de se régénérer. A La Grande Paroisse, le concert a un peu pris des airs de festivité païenne. Pas très catholique je vous l'accorde, mais ceux qui y étaient ne sont pas prêts d'oublier ces deux heures de joie enfiévrée. Merci les Jallies.

 

Damie Chad.

( Quatre photos du concert de Dormelles )

 

VENENEUSE / PATRICK EUDELINE

 

FLAMMARION / Janvier 2013

 

 

 

J'ai bien aimé Ce Siècle Aura Ta peau ( voir KR'TNT ! 192 do 06 / 06 / 14 ) alors je me suis procuré son dernier livre, Vénéneuse. Je suis atteint de cette maladie qui consiste à lire tout ce que je peux trouver d'un auteur quelle que soit la raison, ici rock'n'rollienne, qui m'agit. Autant Ce Siècle Aura Ta Peau peut être considéré comme un roman symbolique visant à exprimer au travers de ses personnages la vision archétypale d'une époque, autant Vénéneuse est un récit autobiographique à peine détourné.

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L'intrigue est des plus simples : deux années de passion amoureuse, rencontre, tumultes, séparation(s), souffrances. Tout le monde a connu cela. Sans nécessairement éprouver le besoin d'en écrire un bouquin. Oui, mais certains ont besoin de commenter ce qu'ils ont vécu pour en mieux comprendre le sens, comme si l'intellectualisation appropriative de l'acte amoureux n'était effective qu'une fois revisitée par le miroir des mots. les écrivains sont comme l'araignée ils tissent leur toile en empruntant le fil dont ils bâtissent leur oeuvre à la trame de leur propre existence.

 

A chacun son rôle : Lui ( pour reprendre la terminologie d'Alfred de Musset ) : l'intello, la cinquantaine – les dix lustres qui ont tout vu, tout vécu, tout compris – qui vit de sa plume. Rien à voir avec un poëte maudit. N'a toutefois jamais pondu un best-seller. Assez d'entregent germanopratin pour vivre sa bohème de dandy chic relativement à l'aise. Elle : très jeune, très belle, très riche. Enfin ses parents, qui savent entre autre que l'on ne retient une gamine à la maison qu'en tirant sur le cordon de la bourse et sur l'autre, l'ombilical, celui qui la relie à la mère que de nombreuses fiffilles ont du mal à couper...

 

Un couple mal assorti. Une sagesse acquise de la main gauche et une post-adolescente de vingt-trois ans en totale confusion de sentiments. Quand ils sont au lit, avant et après les galipettes astrales, l'on a l'impression d'être sur le divan du psychanalyste, mais l'interminable séance d'auto-confession terminée c'est au praticien de faire claquer sa carte bleue. C'est que les gosses de riche, ça ne s'habille pas chez Véti-Marché. Lui, dit oui à tout. Pour ne pas la perdre. La caresse dans le sens du poil de sa chatte rasée. Faut dire qu'il a le profil idéologique de la victime consentante. Dandy, qui ne suit pas la mode mais attentif à la griffe et aux marques. Elégant, mais une certaine conformité luxueuse... Beau Brummell de Paris qui ne piffe pas la province.

 

La Capitale, miroir aux alouettes pour jeunes filles dégrossies. Avec sa taille de guêpe et sa blondeur Elle n'a pas de souci à se faire. Tout Paris serait à ses pieds. Celui des rock stars, celui des producteurs. Mais il ne suffit pas de posséder le plus beau corps du monde. Tout se passe dans la tête. Et celle de la demoiselle est un tohu-bohu invraisemblable. Finira par regagner sa Nîmes natale, Maman, Papa et la respectabilité bourgeoise... Une romance qui s'achève stupidement en queue de crocodile. Loi physique : l'eau la plus vive qui tombe du haut des plus hautes montagnes rejoint toujours le bassin des platitudes dormantes. Au grand désarroi de Lui. Sa barbie de rêve n'était qu'une poupée gonflable. Quand le matelas pneumatique est crevé il est difficile de reposer en paix. Disputes, caprices, absences, jalousies rien ne lui aura été épargné. De quoi vous enlever le goût de recommencer.

 

Une histoire singulière. Mais au travers de la description de l'état psychique de Camille c'est à une subtile analyse de la psyché féminine que se livre Patrick Eudeuline. Beaucoup y retrouveront des résonances dans les réactions de leurs compagnes plus ou moins occasionnelles. Rarement femme aura été aussi complètement mise à nue. Je ne parle pas de petites culottes voltigeantes. Mais de l'intérieur. Rentrer dans le sexe est permis à tout un chacun. Mais dans la tête. Beaucoup plus difficile de s'y glisser. L'unicité masculine du rêve ne s'accorde jamais parfaitement à la multiplicité opérative de la chair femelle.

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Vous avez déjà vécu tout cela. Le livre ne vous apprendra rien que vous n'ayez déjà traversé. A chacun son décor, son milieu sociologique, son idéal féminin ou sexuel. La même comédie, la même tragédie depuis les hommes ( et les femmes ) préhistoriques. Oui mais entre ce que vous rapportez et la manière dont vous le racontez, parfois il existe un gouffre. Ici de beauté. Patrick Eudeline se résume en deux mots : un dandy rock. Vous pouvez détester ce genre de personnage. Oui, mais un dandy rock qui s'est penché dès son adolescence sur une des sources les plus pures de la littérature française, cette période symboliste qui clôt si souverainement le romantisme nervalien. Et cela transparaît, et dans les passages d'éblouissances descriptives, et les analyses quasi-valéryennes des états d'âme des deux personnages. Avec en plus cette incise imparable dans la cruauté de notre modernité incantatoire.

 

Damie Chad.

 

PS : Un point très négatif : que Nîmes soit l'incarnation de l'abomination aux yeux du Narrateur je le puis comprendre selon la logique interne du récit. Mais que penser de celui qui arpente les rues de l'antique Nemausus sans sentir battre en sourdine, mais bien plus fort que dans la ville même de Rome, en-dessous de la lourdeur de l'air et dans le filigrane de ses songes, le pouls auguste de l'Imperium Romanum ! Nîmes est l'exemple type de ces Cités Suspendues chères à Luc-Olivier d'Algange, duquel nous chroniquerons très bientôt son dernier livre Au Seul Nom d'une Déesse Phénicienne.

 

 

 

19/06/2014

KR'TNT ! ¤ 194 : DUFFY POWER / KEITH RICHARDS / FRENCH SIXTIES / ROCKY ROAD BLUES

 

KR'TNT ! ¤ 194

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

19 / 06 / 2014

 

 

DUFFY POWER / KEITH RICHARDS / FRENCH SIXTIES /

ROCKY ROAD BLUES !

 

 

LE POWER DE DUFFY

 

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En février, Duffy Power a tiré sa révérence dans la plus parfaite discrétion, au terme de cinquante ans de bons et loyaux services pour le compte de la légende du rock anglais. Duffy Power n’a jamais fait la une des magazines. Pourtant, John McLaughin, Jack Bruce, Ginger Baker, Danny Thompson et Terry Cox l’ont tous accompagné. De tous ces gens-là, Duffy est le seul qui soit resté dans l’ombre. Si «Innovation» paru en 1970 fut le seul album à succès de Duffy Power, c’est parce que les musiciens qui l’accompagnaient étaient connus. Comme l’indique si justement Colin Harper dans le texte qu’il a rédigé pour présenter la compile RPM «Vampers And Champers», Duffy avait les chansons, la passion, l’instinct, les bons musiciens, mais pas la chance.

 

Cette chance qui fit aussi défaut à Jesse Hector et aux Pretty Things. Rien qu’avec ces trois noms (Jesse, Pretties & Duffy), on a une sorte de trilogie royale du rock anglais. Car ce sont des gens qui disposent des trois atouts majeurs : la classe, le talent et la vision. Au moins ces gens-là peuvent se vanter d’une chose certaine : ils sont passés à deux doigts du superstardom. Ils méritaient eux aussi de rouler grand train, Rolls et manoirs, comme ceux qu’on voit à longueur des pages des magazines de rock arpenter leurs terres déguisés en gentlemen farmers. La morale de cette histoire est qu’il ne suffit pas d’avoir du talent pour devenir une rock-star. On peut très bien devenir célèbre sans avoir aucun talent. Des exemples ? Vous les connaissez.

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Il faut remonter au début des années soixante et donc aux origines de la scène anglaise pour suivre John McLaughin dans ses pérégrinations. Il joue de la guitare dans Georgie Fame & the Blue Flames, puis avec Jet Harris et Tony Meehan. Il fait ensuite un stage dans le Graham Bond ORGANization, de janvier à septembre 1963. Et c’est là qu’il rencontre un jeune Duffy Power engagé par Graham Bond pour chanter quelques reprises explosives de Ray Charles et d’autres classiques du rock. Avec Jack Bruce à la contrebasse et Ginger Baker derrière les fûts, on a là le meilleur groupe anglais de tous les temps. La preuve ? Elle se trouve dans le coffret quatre disques du Graham Bond ORGANization paru en 2012, «Wade in The Water». Duffy Power mène le bal d’une voix de soulman. Si on veut vraiment savoir qui est Duffy Power et ce qu’il a dans le ventre, le mieux est de commencer par écouter le disque 1 de ce coffret magique.

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Ce mec immensément doué savait tout faire. Il pouvait chanter le blues, le jazz, le rock et le folk avec la même détermination. Il avait la voix pour ça. Et c’est précisément cette diversification des styles qui fait l’incroyable richesse de sa discographie. En compagnie de Duffy Power, on ne s’ennuie jamais. Bien au contraire. On a même l’impression de découvrir un continent.

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C’est Larry Parnes qui le baptise Duffy Power, comme il a baptisé Billy Fury, Georgie Fame et Marty Wilde. Duffy s’appelait Ray Howard. Il commença à s’intéresser à Leadbelly - à cause de la reprise de «Rock Island Line» par Lonnie Donegan - et à Arthur Big Boy Crudup, à cause d’Elvis. Quand il découvrit «Rosie» chanté par les taulards d’Angola State Prison, il s’écria : «I want to do that !» Duffy fut aussi fasciné par Muddy Waters et par Nina Simone dont il parvint à imiter le style dans certaines dérives groovy. Andrew Loog Oldham - qui avait déjà Steve Marriott et Chris Farlowe sous contrat - l’avait repéré et le voulait sur Immediate. Mais Immediate commençait à battre de l’aile. Andrew Loog Oldham avait très bien compris que Duffy Power naviguait au même niveau que ses poulains Steve Marriott et Chris Farlowe. Si Immediate n’avait pas fait faillite, Duffy Power serait sans nul doute devenu superstar.

 

Les gens de RPM ont rassemblé toutes les bricoles enregistrées à droite et à gauche par Duffy Power dans deux compiles, «Leapers And Sleepers», puis «Vampers And Champers», quatre disques en tout qui constituent une vraie caverne d’Ali-Baba. Plus de soixante titres qui permettent de mesurer la hauteur de ce géant de la scène anglaise.

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On trouvera quelques merveilles surnaturelles sur le disque 1 de «Leapers And Sleepers», comme par exemple «There You Go Again» (à cheval sur Chet Baker), «I Saw Her Standing There» (c’est la version originale rejetée par les Beatles, parce qu’elle swinguait trop, pas assez pop - Duffy était accompagné par McLaughin et Graham Bond qui avaient tous les deux le diable dans le corps - et donc il dut refaire une version plus convenable qui reçut l’assentiment des Beatles), «Farewell Baby» (véritable hit Mod, l’un des tout premiers à s’inscrire au panthéon Mod - Duffy est toujours accompagné par Graham Bond et c’est shufflé jusqu’à la moelle des os), puis deux reprises de Ray Charles, «What’d I Say» et «I Got A Woman» (on entend là un shouter d’exception qui peut grimper très haut), «Hey Girl» (hit de Gerry Goffin et Carole King, l’excellence mélodique emmenée là-haut sur la montagne, mais pas la petite montagne des Vosges, non, celle de l’Himalaya), «Parchman Farm» (reprise démente de Mose Allison, sur laquelle Duffy est accompagné par les Paramounts, futurs Procol Harum - Duffy se dit d’ailleurs influencé par la version de Georgie Fame, mais c’est lui qui fit connaître Mose Allison à Georgie. On entend Robin Trower fracasser un solo éclair - la version est complètement secouée du cocotier), «Tired Broke And Busted» (blues rock dans l’eau bleue de l’excellence et Robin Trower joue comme un dieu en devenir), «I Don’t Care» (heavy blues à la Yardbirds, embarqué à l’harmo - Jack Bruce se dira principalement influencé par le jeu d’harmo de Duffy), «Money Honey» (reprise des Drifters swinguée par Ginger Baker) et «Lawdy Miss Clawdy» (version spectaculaire qu’il prend de très haut). Rien qu’avec ce premier disque, on situe le niveau de Duffy et le pedigree de ses accompagnateurs. Autant dire qu’on a la crème de la crème. Aucun groupe anglais n’est jamais arrivé à la cheville de cette équipe-là. Ces gens venaient du jazz, ce qui leur donnait une aisance terrible et comme en plus ils avaient une sorte de génie énergétique, l’avenir ne pouvait que leur appartenir, ce qui se vérifiera au moins pour deux d’entre eux, Jack & Ginger.

 

Le disque 2 de «Leapers And Sleepers» saute à la gueule. Littéralement. Quand il ne peut pas faire appel à McLaughin, Duffy demande à Big Jim Sullivan de l’accompagner. C’est lui qu’on entend jouer dans «Love’s Gonna Go». Big Jim est un vrai fantôme qui vient hanter le morceau. Grandeur et break d’harmo. Duffy peut aussi pondre des classiques du r’n’b comme «She Don’t Know», il fait son white niggah de haut vol - she comes when I call her name - elle jouit quand je prononce son nom, Duffy y va fort. Sur «I’m So Glad You’re Mine», c’est Phil Seaman, le drummer-mentor de Ginger Baker, qui vient jouer le beat vaudou. On sent l’incroyable puissance des jazzmen passés au r’n’b. Ils peuvent tout se permettre et c’est exactement ça qui faisait l’écrasante supériorité du Graham Bond ORGANization. Jack Bruce joue sur «Dollar Mamie». En fait, avec McLaughin et Phil Seaman, Duffy a constitué le premier super-groupe de l’histoire du rock anglais. Jack joue de la stand-up. On entend du jazz battu par Seaman, drummer junkie qui vivait le jazz de l’intérieur, à travers l’héro, comme la plupart de ses collègues américains. Sur «Little Boy Blue», Jack Bruce et Ginger Baker font du proto-Cream - fast & furious - heavy bass duty du géant Jack et razor sharp guitar de McLaughnin. Terrible. Duffy passe à l’harmo, c’est un vrai dingue. On peut baiser les pieds de RPM, rien que pour avoir sorti ce cut de la cave. On entend McLaughin jouer comme un démon au fond du studio, ce qui ne lui ressemble pas. On sait qu’après cette période, il va s’orienter sur des choses beaucoup plus éthérées, avec son Mahavishnu Orchestra. On retrouve la même équipe sur «Little Girl», avec des tambourins, des chœurs et des cuivres en plus. On bascule ensuite dans une horreur staxée et on en reste bouche bée. Avec «Mary Open The Door», Duffy devient l’un des plus grands singers d’Angleterre, niveau Chris Farlowe. Il va très haut et il est écœurant de feeling. Berk. Il chante «Rags Old Iron» comme le ferait Nina Simone. C’est dire l’empire de son étendue. Il sonne exactement comme la prêtresse du jazz. Ce mec peut rivaliser avec les plus grosses pointures. Il ne se connaît pas de limites. Si on aime bien se faire méduser, alors il faut écouter Duffy Power. «Just Stay Blue» est aussi jazzé à l’orgue, mais de façon encore plus stupéfiante. Ça déborde de swing élémentaire, au-delà de toute expectative. On a là un morceau superbe d’allant et beaucoup trop bon pour l’époque. En fait c’est ça le problème : beaucoup trop bon. Les gens se méfient des artistes beaucoup trop bons, comme Roland Kirk ou Sun Ra. Duffy pouvait aussi sonner pop comme les Beatles, pas de problème, comme on le voit en écoutant «Davy O’Brien», trompetté et digne des productions de George Martin.

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Dans «Vampers And Champers», on va trouver beaucoup de blues. Jack Bruce l’accompagne à la stand-up sur pas mal de morceaux et notamment «Leaving Blues», un cut électrique et électrisant, aussi cuisant qu’une chaise électrique. «God Bless The Child» est une belle pièce jazzy un peu laid-back à la Bessie Smith. Un peu plus loin se trouve une version seigneuriale de «Help Me», aussi repris par Ten Years After. Duffy en fait un frichti solide, car il a la voix pour. Son beat est plus soutenu que celui d’Alvin Lee, mais on reste dans le même genre de fournaise. Avec «Louisiana Blues», il tape dans le Muddy, l’une de ses idoles. Il tape ça seul avec sa guitare acoustique et on l’entend tirer sur ses cordes comme un dingue. Retour au heavy blues magistral avec «One Night», effarant de puissance équatoriale - «Just call my name and I’ll be by your side» - c’est le heavy rampage de rêve, transe de blues à la clé. Il a co-écrit «There You Go» avec son copain McLaughin, compo ambitieuse et enragée, bardée d’harmo, somptueuse et claquée du beignet, plaquée d’accords de jazz inconnus au son timbré. C’est dingue ce que ces cuts sont bons. Éclat supérieur et final de voûte céleste chauffé à l’harmo. Puis on a un «Red White & Blue» jazzé jusqu’à la racine des dents et embarqué par un beat de stand-up terrible. Harmo barré. Duffy en mettait plein la vue.

 

Pas mal d’autres goodies sur le disque 2 de Vampers. Il tape un «Midnight Special» tout seul avec sa guitare acoustique et il embarque son «Gin House Blues» à l’harmo, tout seul comme un grand. Duffy reste seul au monde pour «Fox And Geese» et fait une belle démo d’arpèges dans sa reprise de «Fixing A Hole» des Beatles. Il fait aussi une version en solitaire de «Roll Over Beethoven» histoire de montrer qu’il n’est pas manchot et qu’il a du courage. Puis il passe au latent jazzé à la sèche avec «Little Man You’ve Had A Busy Day». Là, il effare car il va chercher le contre-alto timbré à l’étain de la blue note. En gros, il refait sa Nina Simone. On reste dans le très haut niveau avec «City Woman», qu’il prend en one-man band hypertrophié de talent. La seule chose qui puisse intéresser un mec comme Duffy Power, c’est l’inspiration. Le reste doit le laisser froid. Visiblement, ce mec ne vit que pour le haut de gamme. Ce qui se passe en bas ne l’intéresse pas. Non seulement ça ne l’intéresse pas, mais ÇA NE PEUT PAS l’intéresser. Impensable. Il n’en fait pas un jeu. Ce goût pour la classe est quelque chose d’inné chez lui, on le sent bien, et d’ailleurs, ça crève tellement les yeux qu’on a même pas besoin de l’expliquer. Duffy Power va là où sa fibre le mène et si on s’intéresse un tant soit peu aux choses de qualité, il est recommandé de le suivre à la trace. Pour étayer cette rhétorique de bas-étage, on pourrait ajouter que Duffy Power est absolument incapable d’enregistrer une mauvaise chanson. Il ne faut pas confondre une star discrète comme Duffy Power avec une star pas discrète Michael Jackson qui nous a pourri la vie pendant des semaines avec ses obsèques. Et on ne parle même pas de ses disques vendus à des millions d’exemplaires, laissons cela à ceux qui ont eu le courage de les écouter et de trouver ça intéressant.

 

S’il fallait comparer le talent de Duffy Power avec celui d’un autre personnage, on pourrait citer les noms de Nick Drake (lui aussi incapable de chanter une mauvaise chanson), de Fred Neil et pourquoi pas de David Crosby, des gens dont le parcours est irréprochable.

 

Revenons à notre mouton noir et à «Dr Love», toujours sur le disk 2 de Vampers, un soul rock à la mode de Londres, encore un prodige de white-niggahrisme. Duffy sait swinguer sa note. Joe Cocker devrait prendre cette supercherie comme modèle. Duffy va chercher sa note par dessous, comme s’il s’introduisait dans les ténèbres de l’intimité d’une petite fiancée. Et «Holiday» ? Énorme ! Dick Heckstall-Smith nous secoue le cocotier du cut avec un solo de trompette qui fera date. Chant, son, production : tout est là. Avec «Love Song», Duffy se coule dans le groove de l’amour physique. Ce diable protéiforme est tellement doué qu’on finit par ne plus savoir quoi dire. À un certain moment, trop c’est trop. On grimpe dans les étages de la surenchère et à un moment, il faut bien revenir à la raison et se demander ce qu’on fera une fois arrivé sur le toit. Inventer un langage. Parler une autre langue ? Le mieux est encore de se jeter dans le vide métaphorique puisqu’il nous tend les bras. On ne fait rien si on craint la mort.

 

Et puis on revient inlassablement au disk 2 de Vampers et on voit Duffy allumer la chaudière de «Halfway», un slow groovy proche du cœur. Duffy rivalise de génie avec les géants de la soul américaine. Il est le gendre idéal pour les rombières qui préfèrent la qualité supérieure à la qualité inférieure. Un gros bourdon bourdonne derrière Duffy et la classe s’installe dans le crépuscule magique, on jette l’ancre au port du Power et le bourdon nous hante délicieusement. Grosse costauderie encore avec «Corinna», qu’il transforme en groove swampy et définitif. Voilà le vrai son. Duffy Power n’en finit plus d’ajouter du grand cru au grand cru. Il va finir par nous écœurer pour de bon avec «Lovers Prayer», jumpé d’harmo swing de fin de parcours. Quelle insolence. Ce type a trop de talent. Il n’a aucune pitié pour la concurrence. Et on pense aux mauvais chanteurs et à ce qu’ils ont dû endurer en entendant ça. Comme ils ont dû souffrir devant un tel brio élégiaque.

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Duffy fit un bout de chemin avec Alexis Korner en 1965 et fit paraître l’album «Sky High». Sur «Every Day Since You Been Gone», il est tout seul avec sa guitare et il martyrise ses cordes. On entend rarement des pincements de corde aussi exacerbés. En plus, il chante avec la patate chaude. C’est un dingue du blues. Il joue aussi «Halfway Blues» à l’arpège des fins de vies solitaires. Et il tape ensuite une version de «That’s All Right Mama» en vrai finisseur de cordages. Il bat ça avec une rage assez rare.

 

RPM a réédité l’album de Duffy Power qui s’appelle «Duffy Power», sorti en 1972. Duffy est dans sa période folky, une soupe dont les Britanniques sont particulièrement friands. On peut dire qu’il sonne un peu comme Slim Chance, le groupe que monta Ronnie Lane après avoir quitté les Faces et le monde des paillettes. Mais Duffy fait du folk avec une voix de soulman et beaucoup d’harmo. Cet album le piégera puisqu’il finira plus ou moins catalogué comme folkeux, alors qu’il peut explorer tous les mondes et rivaliser avec des géants comme Tom Jones et Chris Farlowe. On retrouve cette prodigieuse disposition au groove latent avec «Love Is Shelter», une pièce suspendue à la Crosby. «Halfway» est un peu plus musclé, mais on reste dans l’extrême finesse. Un léger envoûtement se met en place au fil des morceaux. Duffy Power sait mener sa barque. Mais l’album n’offre rien de déterminant, au sens où on l’entendait à l’époque.

 

Ils sont tellement gentils chez RPM qu’ils nous font cadeau de trois bonus, et quels bonus ! Duffy fait un petit coup de heavy rock avec «Dusty Road». Heavy et franc comme l’or. Excellence de la partance. On va droit au limon des intentions. Un certain Graham Quinton Jones joue de la guitare. Par contre, «Love’s Gonna Go» sonne exactement comme un morceau des Faces. Oh quelle coïncidence ! Tout est là, le riff, l’harmo, la désaille et l’aspect facien du chant. Duffy détient le power suprême. Il peut tout chauffer à blanc.

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Duffy Power souffrait de dépression et comme il prenait pas mal de drogues, ça n’a pas arrangé les choses. Il avait réussi à monter un super-groupe en 1967, Duffy’s Nucleus avec McLaughin et la rythmique Danny Thompson/Terry Cox qui allait un peu plus tard devenir celle de Pentangle. Andrew Loog Oldham était sur le coup, forcément. Le groupe avait un son unique en Angleterre, un son basé sur le sharp blues et la sophistication jazz. Mais Duffy fit le con et le groupe se désintégra.

 

Tout au long de sa vie, Duffy a défendu une idée du son. Il n’aimait pas la basse électrique. Il lui préférait le son de la stand-up. Il n’a jamais compris pourquoi Jack Bruce était passé à la basse électrique. Duffy voyait Cream comme un énorme gâchis. Il fit même un bout de chemin avec Rod Argent, l’ex-Zombies. Il reviendra dans l’actualité grâce à Mary Costello et fera quelques apparitions en compagnie de son vieux complice Dick Heckstall-Smith.

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En 2012, Duffy a refait surface une dernière fois avec un album intitulé «Tigers». La voix est toujours là, mais le ton général de l’album est un peu trop calme. Seuls quelques morceaux comme «Whenever» ou «To My Guitar» se distinguent du lot par leurs vertus groovy. Duffy jazze sa voix dans le soir éperdu de sa vie. Il revient inlassablement à Nina Simone et à Chet Baker. Son truc, c’est la puissance intrinsèque. Il prend le voile d’une voix intimiste pour nous glisser «Once Upon A Time» dans l’oreille et on sent chez lui la présence d’une incommensurable mélancolie, celle qu’éprouvent tous les gens arrivés au soir d’une vie trop vite écoulée.

 

On a vu ici et là quelques articles dans la rubrique funéraire désormais bien fournie des magazines de rock anglais de type Mojo ou Uncut. Chez Record Collector, ils n’ont pas osé consacrer quatre pages à Duffy Power, mais ils ont confié à Colin Harper (le mec qui signe le texte de Vampers) le soin de lui rendre un bel hommage funèbre sur une demi-page. C’est comme ça qu’on traite les malchanceux en Angleterre. Au moins, en France, on fait les choses plus proprement : on évite tout simplement d’en parler. Colin Harper conclut ainsi son maigre panégyrique : «He was one of the greats, every bit the equal of the illustrious company that he once kept» (Il était l’un des grands, en tous points l’égal de ses illustres compagnons de route). Amen. Et que le diable emporte les wannabees.

 

Signé : Cazengler, Beauffi Power

 

Plutôt que de rechercher les vinyles officiels qui coûtent maintenant la peau de fesses (alors que personne n’en voulait dans les seventies) et qui engraissent les spéculateurs, il vaut mieux se rabattre sur les red RPM, sachant que ces gens-là font un travail remarquable, à la fois au niveau de l’information et du son, ce qui, pour la découverte d’un artiste majeur comme Duffy Power, est l’idéal.

 

Duffy Power. Leapers And Sleepers. RPM 2002

 

Duffy Power. Sky Blues. BBC. Hux Records 2002

 

Duffy Power. Vampers And Champers. RPM 2006

 

Duffy Power. ST. RPM 2007

 

Graham Bond ORGANization. Wade in The Water. Repertoire 2012

 

Duffy Power. Tigers. Dusk Fire Records 2012

 

Disparu le 19 février 2014

 

KEITH RICHARDS

 

Jamais eu une grande admiration pour Keith Richards, de la sympathie oui, mais rien à voir avec ce que j'éprouve pour Charlie Wats, l'incomparable batteur. Pourtant contrairement à bien des copains du milieu rockab qui leur préfèrent les Beatles, j'ai toujours aimé les Stones. Enfin ceux de la grande époque. Depuis ils se sont transformés en ramasse-miettes – l'autre nom de l'aspirateur à dollars – que l'on passe sur la nappe plus très blanche après le festin des mendiants. Mais il faut leur reconnaître que même dans leur dérive commerciale ils ont su rester foutrement rock'n'roll. Ou du moins ils sont assez malins pour arriver à nous le faire croire. Ce doit être un super job qu'attaché de presse des Rolling, rien à faire de toute la journée, le mythe fonctionne à plein. Même pas besoin de lever le petit doigt de votre pied gauche pour donner l'illusion que vous êtes en train de travailler. La légende s'auto-régénère toute seule tous les six mois.

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Bon les Stones à Paris ce samedi 14 juin. Je n'y suis point allé, engagé par ailleurs, depuis longtemps. Aurais-je eu mon week end de libre que je me serais plutôt rendu à Troyes voir les No Hit Makers, ou à la Mécanique Ondulatoire regarder les Whacks, ou au Festival de Voulx supporter Météore. Ce n'est pas que ces trois groupes soient les futurs Stones du vingt-et-unième siècle, loin de là – l'âge d'or du rock'n'roll est terminé depuis longtemps – mais à retourner les cendres froides du passé - fussent-elles constituées de poussière d'or – autant le faire en compagnie de ceux qui y croient plus ou moins encore quelque peu – et non de conserve avec de vieux briscards cyniques qui ont davantage besoin du contenu de votre porte-feuille que de votre admiration.

 

Tout de même les Stones étant les Stones et étant donné que l'on ne prête qu'aux riches suis descendu fouiner dans ma cave à la recherche d'un gros bouquin sur le groupe... que je n'ai pas trouvé. Par contre suis tombé sur deux babioles que je qualifierai d'adjacentes consacrées au maestro de l'open tuning. Le Keith, il est quand même pour quelque chose dans le succès des Stones, alors je me suis mis au boulot.

 

QU'EN PENSE KEITH RICHARDS

 

MARK BLAKE

 

( Traduction NICOLAS RICHARD )

 

( SONATINE / Mars 2010 )

 

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M'ont un peu déçu chez Sonatine lorsqu'ils avaient sorti le book. Jusque là, ils avaient un super catalogue, beaucoup de titres américains, des policiers, des thrillers, des trucs à vous empêcher de dormir la nuit. Nous en avons chroniqué quelques uns dans Kr'tnt. Pas obligatoirement rock'n'roll, mais une vision de l'Amérique proche de notre musique. Moins de cent-vingt pages en gros caractères, beaucoup de blanc; l'on sent le livre sorti à toute vitesse pour surfer sur la vague. Celle suscitée par chez nous par la mise en vente en cette même année 2010 de l'autobiographie de Keith Richards. Sobrement intitulée Life, mais qui s'étend sur six cents pages grand format. Bref – c'est le cas de le dire – un succédané, un reader digest pour les lecteurs qui veulent tout savoir et ne rien lire. N'ont pas eu le temps d'en confectionner un par eux-mêmes, ils ont préféré traduire le Stone Me, The Witt and Wisdom of Keith Richards, paru en 2008, de Mark Blake journaliste british qui a autant publié sur le punk que sur les Pink Floyd... Quand mon bouquiniste préféré me l'avait présenté, je l'avais refusé, cela sentait trop le coup ( le coût ) éditorial, mais comme vos amis sont les premiers à vous vouloir du mal, il me l'a offert ! Illico à la cave, d'où je le ressors pour l'occasion.

 

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Le livre se présente comme un ramassis de déclaration du guitariste du plus grand groupe de rock'n'roll du monde faites à des journalistes, avides de gros titres ronflants et fracassants, tout au long des cinquante années de la vie des Stones. Futé le Keith, il sait à qui il parle et il sert la soupe que désire le client. Ne se gêne pas, l'est sûr de son impunité, peut déclarer ce qu'il veut, le scandale et la vérité il s'en moque. La bave des crapauds n'atteint plus le blanc léopard là-haut parmi les étoiles.

 

Un patchwork, un montage de citations – connues depuis longtemps par les fans – divisées en neuf chapitres du genre Keith à propos des femmes et des guitares. Ou pire, Keith et la philosophie de la vie. N'a tout de même pas pas osé Keith, Platon, Aristote et les autres. Mais l'envie a dû le démanger. Reconnaissons que rien n'aurait été moins richardsien. C'est que Keith, de la philosophie il s'en tamponne le coquillard avec une choucroute mal cuite. Faut lui reconnaître son honnêteté intellectuelle. Il ne parle que de ce qu'il connaît. Et à part Keith Richards il ne connaît rien. Un peu les Stones, par la force des choses, ses acolytes deux ou trois gentilles vacheries – n'ayez pas peur il ne prendra pas le risque de tuer la poule aux oeufs d'or - sur chacun des membres du groupe, et sa famille. Grand-père, parents, épouses, enfants. Un peu de musique mais sans trop, un peu comme vous qui ne vous attardez jamais à décrire ce que vous avez trastégé au travail.

 

Très sympa. Si vous adorez Keith Richards. L'on peut refiler les mêmes bonbons sucés aux fans de base, ils y repasseront la langue ( admirez le logo-symbole ) dessus sans hésiter tout en déclarant qu'ils n'ont jamais lu d'opuscule si profond, si poignant, si intéressant... Mais gardons la tête froide et réservons-nous pour d'autres cunilingus plus prometteurs. Une fois le bouquin refermé en êtes-vous devenu plus intelligent ? Pas vraiment. Qu'avez-vous donc appris même pas obligatoirement de transcendantal ? Rien. Si un détail : Keith Richards est un grand résistant.

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Non, il n'a pas été parachuté en France pour faire sauter les trains. Ce n'est pas de sa faute il est né en 1943. Non, il n'est pas resté insensible à la mode. L'a su mettre un peu de disco et un peu de reggae dans son blues d'origine lorsqu'il a fallu suivre les goûts douteux des nouvelles générations qui s'écartaient du rock. Lui il a résisté à la drogue. N'allez pas tout joyeux brûler un cierge à l'église en l'honneur du chevalier blanc plus pur que tous les autres. Vous auriez tout faux. C'est juste le contraire. A ingurgité à lui tout seul davantage de produits illicites que la moitié de la population du département de l'Ardèche, mais en est ressorti indemne. Essayez de l'imiter et dans les huit jours qui suivent sous serez en train de confectionner et d'envoyer à votre entourage vos propres cartons d'avis de décès. Et chacun des lecteurs est censé de s'esbaudir devant un tel fait d'armes. Keith Richards l'indestructible. Le héros d'un jeu vidéo que vous ne parviendrez pas à battre. Faut pas non plus nous prendre pour des enfançons : à voir la gueule parcheminée du Keith, l'on n'a pas l'impression que cela ne lui ait fait que du bien non plus. Tronche romantique de pirate, oui mais il arbore tout de même pas mal de cicatrices.

 

Mark Blake essaie de battre en brèche une idée reçue : tous les six mois le grand Keith jouerait aux vampires : il se ferait changer le sang de fond en comble. Ne faut pas le croire qu'il dit. L'on veut bien mais comme dirait l'autre, le doute profite à l'accusé. Dans Life, Keith règle le problème autrement : a très vite gagné assez d'argent pour s'acheter la meilleure dope qui soit. De la bio, garantie cent pour cent.

 

Dans la sainte trilogie Sex, drugs and rock'n'roll, Keith offre ses meilleures dévotions au deuxième terme. Question sexe, il ne se présente pas comme un acharné de la baise. Des filles bien sûr dont on oublie le prénom, mais ce n'est pas le plus important. Recherche autre chose que la quantité ( confer : Bill Wyman ) ou la prouesse technique ( suspicions quant aux exploits de Jagger Mick ), respecte l'individu femelle affirme-t-il. Les guitares ont la forme d'un corps de femme – surtout les espagnoles, mais il joue de l'électrique – toutefois avec des cordes en plus, qu'il ne se lasse pas de caresser.

 

Mais venons-en au rock'n'roll. Rapidement. L'en parle peu, ou plutôt Mark Blake ne s'attarde guère sur ces aspects peu croustillants de sa personnalité comme si cela n'en valait pas la peine. Outre le fait qu'il a composé le riff de Satisfaction pratiquement en dormant – ce que tout le monde sait depuis 1965 – vous n'apprendrez rien. Enfin presque. Keith Richards aime les Rolling Stones. Pas obligatoirement les meilleurs mais ils correspondent à la musique qu'il sait jouer. Alors il fait durer. Sans quoi il s'ennuierait et ne saurait plus quoi faire de son existence.

 

Nous non plus.

 

Damie Chad.

 

KEITH ME

 

AMANDA STHERS

 

( Livre de poche / 2010 )

 

 

Encore un que j'avais remisé à la cave. J'avais entendu à l'époque de sa première parution, en 2008, une interview de la dame qui ne m'avait guère convaincu... Le journaleux pérorait sans fin sur son identification avec Keith Richards, alliance qui à l'aune de ses réponses me semblait aussi incongrue que celle de la carpe et du lapin. Plus tard je m'aperçus que c'était la même personne qui avait aidé Johnny Hallyday à écrire ses mémoires Dans Mes Yeux.

 

L'ai donc lu cette après-midi. Un peu embêté aux premières pages par ses phrases ultra-courtes, mais elle parvient petit à petit à trouver son rythme et l'écriture atteint bientôt une certaine fluidité plutôt agréable. Le début est assez déroutant. L'on ne sait plus qui est qui. C'est que l'héroïne, Andréa – un double transparent d'Amanda – emprunte par l'entremise du pronom « je » sans prévenir le personnage de Keith Richards, avec tant de constance, que parfois l'on a du mal à savoir si c'est Keith qui se prend pour Andréa ou Andréa qui souffre de bipolarité avancée.

 

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Sans doute Amanda Sthers avait-elle entrepris d'écrire une simple biographie de Keith Richards lorsque son divorce – elle vivait alors avec le chanteur Patrick Bruel - s'est immiscé dans son écriture, et s'est transformé en une sorte d'auto-rassurance-thérapeutique... Auto-persuasion propédeutique : je me sépare mais j'assure comme une bête, mes enfants d'abord, mon mal-être ensuite. Si l'on voulait être méchant nous parlerions de réflexe bourgeois d'auto-protection. Le bateau coule mais l'on sauve les meubles. D'ailleurs une fois qu'elle aura retrouvé son équilibre – vraisemblablement son auto-suffisance pécuniaire – elle s'éclipse du livre et le dernier tiers du roman – car l'intrusion des tourments de la narratrice a métamorphosé la bio de Keith en véritable récit existentiel – s'intéresse exclusivement au guitar heros. Keith and Me sont dans un bateau, Me échappe au naufrage, qui reste-t-il sur la mer déchaînée ?

 

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Donc Amanda Sthers raconte la vie de Keith Richards. Une histoire de boys. Et les filles ont du mal à comprendre la psychologie des groupes de garçons. Même quand elles entrent dans la bande, elles ont toujours l'impression que les jeunes hommes bandent davantage pour les copains que pour elles. Jalousie du manque phallique typiquement féminine. L'est donc obligée de sous-entendre le corps des groupies ou des épouses comme exutoire du désir homosexuel jamais totalement accompli, jamais totalement refoulé. Le lieu neutre et suraffectif d'échange. Mais l'on ne va jamais très loin avec de telles analyses : la rivalité, l'amour-haine que se portent Jagger et Richards est trop bien connue de tous pour que sa mise en évidence apparaisse aux yeux du moindre amateur des Stones comme une révélation époustouflante.

 

Pioche donc ailleurs. Dans la psychanalyse de base, celle à deux balles. Le conflit avec le père. Que le fils n'arrive pas à tuer. Ni symboliquement, ni en baisant sa mère. N'est pas Oedipe de Thèbes qui veut. Même si l'affaire n'est pas aussi complexe qu'il n'y paraît. Le Keith n'est pas homme à s'allonger sur un divan. Préfère Robert Johnson à Doctor Freud. Pas intello pour deux sous. Un ciboulot de prolo. Un fainéant de la vallée fertile cher à Cossery, mais qui a réussi. Est devenu millionnaire en refusant de se salir les doigts à tourner les pages du code du travail. Un comble, aux antipodes des valeurs et bourgeoises et marxistes. Le rocker hors de tout schéma. Faut le faire entrer dans les clous le plus vite possible. Un mauvais exemple. Pas étonnant qu'il arbore un look de pirate et la tête de mort nacrée sur la Fender noire.

 

Suffit de remonter à la scène originelle pour que tout s'ordonne et que toutes les pièces du puzzle s'encastrent à merveille. L'embêtant avec Keith c'est que le début ne se trouve pas au commencement. Au mitan de sa vie, mais à la fin du livre puisqu'une fois celle-ci repérée il est inutile de continuer à forcer la serrure puisque l'on a découvert la clé. La nodalité agissante est archie-connue. C'est Keith lui-même qui l'a révélé, en toute innocence. L'a mélangé les cendres de son père à de la coke et s'est préparé deux rails, two hot rails to hell qu'il n'a pas manqué de sniffer.

 

Reconnaissance du père ! Le papa dans le ventre du fils. Le phantasme des femmes qui sont biologiquement destinées à tomber enceinte. La groupie peut être heureuse. Qu'importe si Keith ne la remarque même pas ; il n'est plus ce noir continent que la psyché féminine a du mal à appréhender. Love me / don't love me. Là n'est plus le problème. Le même en version masculine. Miroir idôlatrique d'unicité. Andréa retourne chez elle. Keith peut vaquer à ses occupations. Amanda est guérie. Amanda est soignée. Par auto-médicamen(s)tation. Maintenant elle entrevoit son corps de fan, son corps de femme, comme le lieu de conjonction idéale entre Keith et Elle. L'est restée de l'ordre du fan-tasme. Mais la transgression oedipienne a eu lieu. L'est sûr que le mari se trompait puisqu'il la trompait. Le vide de sa solitude à elle s'auréole de la plénitude de Keith. Transfert réussi. Fin du récit.

 

Beaucoup plus une histoire d'Amanda Sthers qu'un livre sur Keith Richards. Très belle couverture, un manche de guitare dont on aimerait qu'il se faufile sous la jupe contre laquelle il repose. Mais il n'en faut pas trop demander à Keith, c'est quand même lui qui doit avoir le mot de la faim femelle.

 

Damie «  freud-freud débile » Chad.

 

 

 

ROCK MADE IN FRANCE

 

PATRICK MAHE

 

 

( Hachette EPA – Editions Du Chêne / 2010 )

 

 

Pour Mumu et Billy, en souvenir d'Henri,

 

 

C'est la teuf-teuf qui m'y a mené tout droit. L'avait parcouru six cent cinquante kilomètres d'une traite et avait eu besoin d'un picotin de kérosène. A la caisse de la station-service, la couverture rouge avec ROCK qui se détachait en grosses lettres m'a interpellé, un peu comme Dieu a appelé Paul Claudel derrière le pilier de Notre-Dame de Paris. Mais j'ai eu davantage de chance, ce n'est pas le petit Jésus qui m'a refilé sa camelote foireuse, j'étais face au présentoir des invendus aux prix cassés, l'ai eu pour cinq euros au lieu de trente-cinq, tout neuf, tout propre.

 

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De Patrick Mahé, nous avions déjà chroniqué Elvis et les Femmes ( livraison 125 du 03 / 01 / 13 ), l'est né en 1943, ce qui explique son intérêt pour Presley et Hallyday. N'est pas un historien du rock, plutôt un polygraphe, qui peut se targuer d'une belle carrière dans le journalisme, aux commandes de Paris-Match durant une quinzaine d'années, directeur de collection aux Editions du Chêne, et divers autres postes de responsabilités médiatiques... un habitué du haut du panier. Dans sa jeunesse il a milité à Occident, mais l'âge adulte survenant l'a préféré pantouflé bien au chaud, dans les groupes de presse. Gramsci l'avait théorisé dès les années trente, si vous désirez le pouvoir politique, assurez-vous d'abord d'être maître de l'hégémonie culturelle. Il s'agit de proposer aux masses populaires, non pas ce qui leur permettrait de prendre leur destin en main, mais au contraire ce qui leur donnera assez de satisfaction pour qu'ils n'éprouvent plus le besoin de l'urgence d'une telle mutation sociale. L'en faut pour tous les goûts. Formule passe-partout qu'il est préférable de substituer à l'expression « état de conscience ». C'est que si les préférences égotistes qui ne se discutent pas aident au maintien de tout conservatisme, les niveaux de conscience eux par contre peuvent s'élever. Pour les imbéciles l'on distribuera de l'eau de rose, pour les plus vindicatifs de l'eau de rock. Navigation en eaux troubles, les récifs de la rébellion sont aussi dangereux que les bancs de sable de l'acceptation béate. Le rock aide-t-il à supporter le système ou à le détruire ?

 

 

SANS SURPRISE

 

 

Rock en France, yes but only in the sixties. Et encore plutôt le début, les années 60 à 64. Nos pionniers à nous, Johnny ( beaucoup ), Eddy ( un peu ), and Dick ( à peine ), mais surtout cette myriade de groupes éclos de nulle part. Certains n'hésitent pas à affirmer qu'il y en eut plus en France qu'en Angleterre, je veux bien, mais je n'y crois guère. En tous les cas Patrick Mahé ne s'aventure point en de telles hypothèses. Reste classique. Peu de textes, beaucoup de photos. Agréablement mises en pages. Rien de bien neuf dans les documents. Toujours les mêmes qui reviennent depuis trente ans dès qu'on évoque cette époque. L'est sûr qu'en ces temps-là tout le monde ne se baladait pas avec son portable à la main. Aujourd'hui dans certains concerts, vous avez l'impression que les gens sont venus pour tirer le portrait des artistes, mais surtout pas pour les écouter. Arrêtons de jouer au grincheux de service.

 

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L'ensemble est assez bien fait et couvre les différents aspects du phénomène rock. Rock et Yé-yé car en France le mouvement sera très vite récupéré. Se dégonflera de lui-même. Les mésaventures survenues à Vince Taylor, serviront de signal. Il est des limites qu'il ne faut pas franchir. Beaucoup mettront de l'eau dans leur rock... L'histoire se terminera avant d'avoir commencé. Et le combat cessa faute de combattants. Les rockers ont raté leur rendez-vous. Sont venus trop tard. Car ils sont sortis de l'oeuf après la bataille. Et quand ils sont arrivés l'on n'avait plus besoin d'eux. Les faiseurs squattaient les bonnes places. Sont devenus des marginaux du système discographique et il faudra attendre plus de vingt ans avant que ne se développe un réseau parallèle. Beaucoup de casse. Et les saisons de l'oubli sont passées par dessus...

 

 

NOSTALGIE

 

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De tout cela, le livre ne cause point. Se contente de nous ramener au bon vieux temps. L'on dresse le bilan avant que le rideau ne tombe. Dans la tombe. Une génération essaie de passer le flambeau à celles qui arrivent. Vision optimiste des choses. Se repasse plutôt une dernière fois le film qui n'intéressera bientôt plus personne. La folie des années soixante, tu parles comme disait le grand Charles, en 2030 n'y aura plus beaucoup de survivants pour s'en rappeler. On les aura enfermés dans les maisons de retraite pour être sûrs qu'ils ne reviendront plus ramener en public leur sale gueule d'anciens combattants. N'ont même pas été capables de la gagner leur guéguérock et si on les écoutait, ils en remettraient une couche une fois de plus. Le monde aura évolué.

 

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Faut être honnêtes, quand on regarde derrière les idoles, que l'on mate les anonymes perdus dans de rares arrière-plans, il y en a beaucoup qui paraissent godiches, surtout les filles. La choucroute sur leur tête leur confère une lourdeur teutonne peu avenante. Me souviens pourtant que certaines copines de ma soeur étaient très jolies. Comme quoi nos goûts évoluent ou alors c'est que la chair juvénile et l'os de la réalité sont plus avenants que le papier glacé des photographies. De l'autre côté beaucoup de garçons ont l'air trop sages. Comme par hasard, seuls Gene Vincent et Vince Taylor présentent une virilité digne de ce nom. Encore sont-ils des pièces rapportées. Made in USA. Relookés in Great-Britain. Les deux nations mères du rock.

 

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Le seul français – encore qu'il ne vaudrait pas mieux remonter très haut dans son arbre généalogique - qui s'en tire le mieux c'est Johnny, le chouchou de Patrick Mahé et de Salut Les Copains. Une meute de photographes sans cesse à ses trousses, sur le nombre il est sûr que l'on parvient à profiler quelques très bons clichés. L'était tout de même beau, avec sa mine boudeuse et sa peau musclée toute bronzée. Sensuel.

 

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Glissons une larme pour Henri Leproux, qui vient de nous quitter ce jeudi 12 juin 2014 à l'âge de quatre-vingt-six ans, entre Johnny et Eddy, une photo prise en 1974 – surtout remarquable pour la chemise country de Mitchell - issue d'une série dont on a depuis trente ans pris l'habitude d'illustrer tout article évoquant la personnalité du père fondateur du Golf-Drouot. C'est fou ce que je deviens nécrophile ces derniers temps !

 

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Le temps de feuilleter et c'est déjà fini. Patrick Mahé n'a pas dû attraper une grosse céphalée à écrire le book. Parce que pour la récolte des photos ce sont les petites mains qui ont dû s'y mettre, c'est à croire qu'il ne possède pas d'archives personnelles. Rien d'exceptionnel, faites comme la teuf-teuf, même si dans certaines revues et librairies on vous le présente au prix fort, dirigez-vous du côté des soldeurs. Gardez votre argent pour plus substantiel et davantage érudit. Le rock grand-public est une hérésie. C'est plutôt une affaire d'hérésiarques.

 

Damie Chad.

 

 

 

ROCKY ROAD BLUES

 

 

J'avertis les aficionados, peu rocky et beaucoup bluesy. C'est une histoire vraie. Qui est arrivée à un copain. A sa soeur pour être exact, mais c'est tout de même un peu de sa faute à lui. Avant d'expliquer, pointez-vous sur le facebook d'Hervé Loison alias Jake Calypso. Vous en crèverez de jalousie. Les photos de son voyage in the South, la route du blues, le portail de Graceland, l'enregistrement dans le studio Sun, la tombe de Son House, bref la totale...

 

 

 

Ben le copain il n'est pas parti aux States, sa soeur oui. Et la grande soeur, elle a pensé à son petit frère, avant de prendre l'avion elle est passée chez lui pour qu'il lui remette une liste de disques, car elle voudrait lui faire un petit cadeau, mais la musique de sauvage qu'il écoute ce n'est pas tout à fait son truc, une liste avec quelques titres, ce serait l'idéal.

 

 

 

Le frérot il aurait pu lui dresser un rouleau de trois kilomètres de long, mais il ne veut pas importuner sa soeur ni lui occasionner de longues et difficiles recherches du genre un original de 1959 de Faron Young, I Hear You Talkin, que tout amateur de rockab possède en trois exemplaires dans sa collection. Non, il se contente de griffonner trois noms, en précisant que peu lui importe les titres, qu'elle prenne n'importe quel disque ou CD d'un des trois chanteurs, lui il sera heureux, même avec un greatest hits paru en 2014... Pourvu que ce soit un pressage américain qu'il pourra tendre l'air de rien aux copains : «  Tiens j'ai la dernière sortie de Tartempion aux States, rien de mirifique, but directly from the USA... »...

 

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Ici un grand blanc de plus de quinze jours, le temps que la soeurette arpente le pays de Thomas Jefferson... Enfin un coup de téléphone... elle n'a pas raccroché qu'il sonne déjà à la porte piaffant d'impatience. Mais c'est un garçon poli qui en règle générale n'aime pas brusquer les gens, alors la frangine il lui laisse le temps de raconter ses émerveillements.

 

 

C'est un peu long. Surtout la série des cinq cents quatre-vingt trois clichés du Grand Canyon, avec les commentaires exaltés de la grande soeur... Deux heures plus tard, il sent que l'on se rapproche du but, il vient de passer les frontières de la Californie et sa soeur arpente les avenues de Los Angeles lorsque brutalement elle tombe sur un magasin de disques, trois étages, chacun cinq fois plus grand que la Fnac.

 

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L'est un peu déroutée dans le labyrinthe, alors sagement elle sort le papier soigneusement calligraphié par le copain et s'adresse à un vendeur. «  What's Carl Perkins ! I don't know it ! I' m looking for, on the computer ». Des milliers de références déboulent sur l'ordinateur, mais après une demi-heure de recherche, il n'a rien trouvé. En son for intérieur elle fulmine contre son petit-frère mais son regard est si triste, que le vendeur s'apitoie, et puis l'on ne va pas laisser a french girl in the caca, il s'enquiert auprès des collègues qui manifestement n'ont jamais entendu parler de Carl Perkins, mais il lui reste encore une arme absolue, the big boss in person qui accourt, qui se lance dans une discussion animée avec son employé et qui après s'être plongé un grand moment dans l'ordi doit convenir que lui non plus ne connaît pas Carl Perkins.

 

 

Mais le boss a la bosse du commerce. Le genre de gars qui vous vendrait un cerveau d'appoint à Einstein. Peut-être que la french dame aurait un autre artiste à proposer. Oui bien sûr, elle déchiffre la seconde ligne : ce sera plus facile, tout le monde connaît Hank Williams. A la mine consternée des deux hommes, elle comprend qu'il aurait mieux valu qu'un avion surchargé de terroristes s'écrasât sur la Maison Blanche, parce que Hank Williams ils sont sûr d'une chose, jamais de leur vie ils n'en ont entendu parler ! Est-elle vraiment certaine qu'il existe vraiment ? Ne se serait-elle pas trompée en copiant le nom ?

 

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En dernier ressort, toute désespérée, elle balbutie le dernier nom inscrit par le copain : «  Johnny Cash ». La figure des deux hommes s'illumine. Bien sûr qu'ils connaissent Johnny Cash, et tous deux se ruent sur l'ordinateur dont ils ressortent navrés : ils ont regardé par acquis de conscience, ils en étaient sûrs, ils n'avaient pas de Johnny Cash dans leurs bacs. Ils prononcent cela d'un ton définitif comme s'ils disaient «  J'aimerais bien savoir quel genre de magasins doit posséder des disques de Johnny Cash en ce bas-monde ! ».

 

 

Le big boss est un parfait gentleman, il accompagne la soeurette jusqu'à la porte...

 

 

C'était une histoire vraie pour l'édification morale des fans français. Sommes-nous le futur ou le passé du rock'n'roll ?

 

Damie Chad.

 

 

 

13/06/2014

KR'TNT ! ¤ 193 : KID CONGO / JALLIES / LOREANN' / LE MONDE DU BLUES/

 

KR'TNT ! ¤ 193

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

A ROCK LIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

13 / 06 / 2014

KID CONGO / JALLIES ( + simple minds ! ) / LOREANN'

/ LE MONDE DU BLUES /

 

COSMIC TRIP FESTIVAL / 31 - 05 - 14

BOURGE / KID CONGO

 

CONGO A GOGO

Petit à petit, Kid Congo se transforme en Dada vaudou. Francis Picabia aurait adoré ses grooves lubriques et sa prestance ludique. Les gens qui écoutent ses disques en espérant trouver la suite des Cramps ou du Gun Club vont être un peu déçus. Avec ses derniers albums, Kid Congo est passé à autre chose, comme on dit dans le milieu des pompes funèbres.

Il a raison, car on ne peut pas singer les Cramps et le Gun Club ad vitam æternam. S’il est deux groupes qui ne se prêtent pas à ça, ce sont bien les Cramps et le Gun Club. Les Anglais s’amusent avec Ten Years After ou Thin Lizzy, mais c’est de l’humour anglais au énième degré. Nous autres pauvres français retardataires ne comprendront jamais rien à rien. Et c’est encore pire pour les populations du Sud de l’Europe.

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Kid Congo a bien réfléchi. Il faut savoir prendre du temps lorsque vient le moment de prendre une décision importante. Il s’est certainement dit ceci :

— Alors, je suis un rocker légendaire et les gens attendent de moi que je refasse du Cramps ou du Gun Club ! Pire encore : du Bad Seeds. Berk. Non, non, non et non ! Je dois réagir intelligemment sinon je vais finir coincé au fond d’une impasse et ça finira mal, comme on dit chez les éducateurs en milieu ouvert. Puisque je suis un grand sorcier, je vais inventer un nouveau genre musical. Facile avec mes gris-gris, mon JuJu et mon Kiki !

Il jeta alors de la poudre dans le feu et agita des maracas sacrés. Une semaine plus tard, il entrait en studio avec ses copains pour enregistrer «Philosophy And Underwear» qui passa délicieusement inaperçu dans les bouges de Macao. Avec «The Historia Of French Cuisine», le Kid avait décidé de faire du bon groove. L’idéal pour bien poser sa voix. Si on aime le bon groove et la voix bien posée, alors on se régale. Le Kid chante comme un charmeur. Il intoxique. On a droit un peu plus loin à une fantastique pièce de heavy rock intitulée «Even Though Your Leather Is Cliché», qui restera dans les annales. Voilà ce qu’il faut bien appeler du garage vaudou, et c’est une invention congolaise. Puis il croasse «The Weather The War» et partage le micro avec une nommée Little Annie. Les duos lui vont comme un gant. Il adore aller au plus bas de son baryton, comme on le voit à l’écoute de «House Of Cards», mais on s’ennuie un peu. Il nous réveille en sursaut avec «The Last Word», un petit garage bousculé et éminemment sympathique. Comme toujours, il recherche le bon esprit. Et forcément, il le trouve.

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Quatre ans plus tard, il enregistrait «Dracula Boots», en hommage à un copain vampire qui battait tous les records de kitsch dans les Carpathes.

Voilà un album qui défie toutes les attentes. Comme il sort sur In The Red, on s’attend à du trash-garage fatal. Ce n’est pas du trash-garage fatal. Un horrible vampire rit sur la pochette, alors on se frotte les mains. Pas la peine de se frotter les mains. On se félicite d’avoir investi dans une valeur sûre, alors on allume un cigare. Pas la peine d’allumer un cigare. Kid Congo et ses drôles d’oiseaux roses tapent dans un registre inconnu.

Du coup, ça devient intéressant. Car il faut écouter tous les morceaux pour se faire une idée de la prouesse, comme on dit chez la duchesse de Guermantes. Si on rate un morceau, on passe à côté. Kid Congo s’appuie sur le bien-fondé d’un principe psychédélique pour chanter «I Found A Peanut». Quand il joue ce morceau en concert, il le présente en racontant qu’en 1965, des chicanos from East LA ont pris des acides et ils ont trouvé un peanut, c’est-à-dire une cacahuète. Alors, il nous embarque dans une belle pièce de tex-mex jive de la frontière. On goûte à l’excellence du jerk des bas-fonds de San Antonio, ce qui nous réconcilie avec l’immanence des hits de juke. S’ensuit un «Hitchhiking» plus serein, gras du riff, très linéaire, bien battu par le Pink Monkey Bird Ron Miller. Alors on commence à comprendre que Kid Congo cherche le groove de l’espace américain, le groove des trajets interminables à travers des terres abandonnées de Dieu et des hommes. Idéal pour passer des jours entiers à s’aimer, comme dirait Julien Clerc. Et puis on voit Kiki lancer quasiment tous les morceaux sur ses petits riffs de basse impeccables et bien secs : «Funny Fly» et surtout «Black Santa» pour lequel il s’est fendu d’un très beau riff vaudou. «Black Santa» est un morceau qu’on peut voir avancer d’un pas décidé vers son destin. En face B, on trouve de futurs classiques comme «Pumkin Pie» et «Bobo Boogie», puis un hommage à Tintin au Tibet, «Rare As The Yeti», plus rocky que les cuts d’avant. Kid Congo le prend d’une voix de maître chicano, le tout sur un déroulé parfaitement linéaire et minimaliste. Les fans les plus endurcis jugeront ce disque inutile.

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Mais les fans les plus curieux feront l’effort d’écouter l’album suivant qui s’appelle «Gorilla Rose». Et là, bingo, car ça démarre avec «Bo Bo Boogaloo», belle musique de danse amenée par un petit groove de basse signé Kiki. Kid Congo et ses amis s’amusent avec le boogaloo comme des gosses qui font fumer un crapaud. «Goldin Browne» est un plus resserré, et c’est toujours Kiki qui mène le bal. Le Kid reste en voix off. C’est cousu de fil blanc mais ça intrigue. Kid Congo titille le groove et cherche l’hypnose vaudou. Avec «Bunner Mentality», il se rapproche de Mark E Smith dans sa façon de chanter, ce qui donne un résultat étrange et déroutant. Par contre «At The Ruin Of Others» vire plus joyeux, c’est une chanson à boire et de belles poussées de groove remontent à la surface. Kiki lance la machine de «Bubble Trouble» et nous embarque dans un instru hypnotique. Voilà une chose sauvagement bien embarquée. Sur la face B, Kid Congo secoue le cocotier du groove punk avec l’excellent «Our Other World» où il raconte son histoire de street-punk et il enchaîne avec un «Hills Of Pills» très laid-back, solidement accroché à la loco d’une rythmique impeccable.

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Si on veut choper «Tahitian Holidays», il faut le commander directement chez In The Red. On y retrouve l’ambiance du merveilleux concert de la Boule Noire et on se régale des commentaires de Kid Congo entre chaque morceau. Ils font une version droite et franche de «Goldin Browne», puis le bel hommage au tex-mex de la frontière («I Found A Peanut»), le clin d’œil à Tintin («Rare As The Yeti» - Beauty is as rare as the Yeti, lance Kid Congo d’une voix gourmande - you’re rare as the Yeti/ but not quite as pretty). Kiki lance le groove congolais de «Pumpkin Pie», puis c’est «La Historia De Un Amour», où le Kid parle plusieurs langues, comme un démon surgi d’un vieux bréviaire. Ils rendent ensuite hommage à Depeche Mode - People have their all personal Jesus, so we have our Kris Kringle JuJu - et Kiki kicke le groove de «Kris Kringle JuJu». En face B, Kid Congo revient au vaudou avec «Black Santa» et donne une leçon de French Cuisine, riffée avec une violence qui en dit long sur sa goinfrerie. Puis il rend hommage à Lux Interior - My friend now departed but not far away Lux Interior - avec une version classique de «I’m Cramped» suivie d’un coup de chapeau à son autre copain Jeffrey Lee Pierce - You’re just looking like an Elvis from hell - pour une version magistrale de «For The Love Of Ivy» - Aw... I’m gonna buy a graveyard of my own !

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Le dernier album de Kid Congo s’appelle «Haunted Head». Belle pochette glamour et dérangeante. Un morceau titré «Lurch» nous plonge aussi sec dans un cimetière au beat pressé, pour deux minutes d’étrangeté hantée et honteuse. On s’incline devant tant de prestance, comme dirait le Bossu. On retrouve le petit beat alerte de Kiki sur «Su Su» - Ahhh miss Su Su they say you’re cuckoo - ils s’amusent bien - Ohhh miss Su Su you spread the JuJu. Et c’est là qu’on comprend l’originalité de la démarche. «Killer Diller» est beaucoup plus musclé, c’est un petit rock exacerbé aux paroles étranges - You know water seeks it’s own level. «Haunted Head» est encore l’un de ces morceaux étranges, habités et attachants dont Kid Congo s’est fait une spécialité. «Let’s Go» est une pièce d’exotica montée sur des noms de gens comme Elvis, les Supremes, Argento, the Meek, The Cap’n the Kiki, The Jesse & the Kid. Ils s’amusent comme des gosses. Pur dada. Et puis il y a aussi cette pièce gluante de fin qui s’appelle «Dance Me Swampy» aux paroles bien glauques - We’re smashed together in your little room/ Lots of bones, bad attitude/ Dangerous, funny, scarry and smart/ Stupid gorgeous ecstatic art.

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Entre l’âge d’or Cramps/Gun Club et le Dada vaudou, Kid Congo a pondu pas mal de d’œufs en chocolat, et notamment un EP vaudou de Fur Bible sur New Rose. Dans le spectaculaire boogaloo intitulé «Plunder The Tombs», on entend la basse grondante de Patricia Morrison créer une sorte d’ambiance gothique moderne et incroyablement envoûtante. Le morceau se montre digne du fameux «Death Party» du Gun Club. On sent déjà chez le Kid un goût prononcé pour la basse devant dans le mix.

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Il enregistra aussi un album avec Sally Norvell en 1994, mais ce fut une amère déception. On eut beau pleurer, ça ne changea pas grand-chose. Kid Congo ne chantait qu’un seul morceau en duo avec elle, «Mercy Mine» et le reste nous faisait bâiller aux corneilles.

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Si on veut du très gros Congo, alors il faut aller écouter dare dare les trois albums des Knoxville Girls. Contrairement à ce qu’indique le nom du groupe, ce sont des garçons. Rien que des gros bras du rock américain, comme Bob Bert au beurre et Jerry Teel à la basse, plus deux autres mecs qui s’appellent Jack Martin et Barry London. Une fois de plus, notre Congolais préféré se retrouve dans un super-groupe : Cramps, Gun Club, Bad Seeds et maintenant Knoxville Girls. Le premier album des Girls est une monstruosité lovecraftienne. «Sixty Five Days Ago» qui ouvre le bal tape dans le Memphis swing. Ça grouille de notes de slide échappées. On est frappé par la démence de la démarche ! On ne réunit pas une équipe pareille sans qu’il y ait de lourdes conséquences sur l’équilibre géopolitique du rock américain. «I Feel Better All Over» est encore plus diabolique. C’est avalé comme du macadam sous un bolide et ça surpasse tout ce qu’on connaît. Appelons ça de la country swinguée à mort, ou du trash-country punko-psychotique, celui que jouent les mecs tatoués et dévorés par des soifs innommables. «Two Time Girl» est atroce de punkitude. Berk ! On reçoit ce truc spongieux et puant dans la figure. Attention, on est là chez les punks de la frontière, rois de l’abomination expéditive. «NYC Briefcase Blues» est trashé d’avance. Bob bat le Bert. C’est un fou. On devrait l’enfermer. Ces types sont les meilleurs connaisseurs du rootsy trash punko-bronco d’Amérique. On peut faire confiance à Jerry Teel. Ils font du Dylan avant la lettre et le troussent à la Quantrill. Encore du country-rock des enfers avec «Warm And Tender Love», en plein dans le mille de l’intensité. Surpuissance carabinée. Une rythmique qui ne pardonne pas. Tout est complètement sourd, dingue, ébréché, traité au gros son, gonflé d’énergie rockab, atteint d’une démence de l’excellence. Pas d’échappatoire. Un modèle pour tous les casseurs de baraque. Ils nous font le coup du heavy blues avec «I Had A Dream», clin d’œil à Muddy balancé à la va-vite, ça trombone derrière avec les chœurs les plus dévastés de l’histoire des chœurs. Ça poisse de partout. On voit bien que tout est réinventable, même le doo-wop. Ils nous servent un trash d’omelette de mégot et de gerbe. Une nouvelle horreur surgit avec «One Solid Love», scream sublime, agression divine, battue par Bert, plongée dans une mare d’insanité atroce. Appelons ça le genius tender trash.

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«In A Paper Suit», second album studio des Knoxville Girls, est du même niveau. Album épais zébré d’éclairs de génie trash. Ils font du Dylan à la cave avec «(Any Other) Loving Cup» et le bardent de coups de slide fantomatiques. «Oh Baby What You Gonna Do Now» est du garage haut de gamme, traité au coin de la rue et rencontré par un harmo, une slide et une nappe d’orgue. Le groove tient à la fois du souterrain et du dylanex, pulsé à l’harmo et jeté dans les orties. Jerry Teel nous chante ça aux petits oignons. Puis Kid Congo chante «Sophisticated Boom Boom», il fait ses manières avec une diction traînante et ça devient vite explosif, bubblegum boo boom, le Kid sait faire le con, solo étranglé, pure trasherie, atrocité incroyable de modernité. Le groove du siècle ? Allez savoir... Nouveau cut des enfers avec «In A Paper Suit» joué à l’envers au piano et par les guitares et poundé par Bob Bert. On revient au trash-country avec «Baby Wedding Bell Blues», avec son secoué. Nouvelle virée dans la stupéfaction. Rythmique rockab pour «That’s Alright With Me», génie pur, on voit passer le fantôme du Bengale, les Knoxville Girls trashent tout même l’esclandre. C’est tapé dans l’épaisseur d’un son de rêve. Jerry Teel prend «Butcher Knife» au chant, il stompe ça dans le marécage, au milieu des nappes d’orgue. On voit la température grimper aussitôt. Nouvelle pièce somptueuse et définitive. Le Kid chante comme un ogre dans «Drop Dead Gorgeous». Il traîne ses syllabes dans la boue. Pure décadence et solo d’une saleté impressionnante.

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Évidemment, c’est sur l’album live «In The Woodshed» qu’on goûte le jus du groupe, un jus brun et épais. Si on veut avoir une idée de ce qu’est la modernité du trash, alors il faut écouter «Armadillo Roadkill Blues/I Feel Better». Si on veut avoir une idée de ce qu’est le swing à fond de train, alors il faut écouter «Sixty Five Days Ago». Si on veut ré-entendre le meilleur traînard de la décadence congolaise, alors il faut s’envoyer la version live de «Drop Dead Gorgeous». Si on ne vit que pour le trash nappé d’orgue et la fuzz de derrière les fagots, alors il faut écouter «My New Dinner». Si on ne sait pas ce qu’est un heavy blues dans l’excellence de la démarche chargé de chœurs de dingues, alors il suffit d’écouter la version live de «I Had A Dream». Si on veut aller voir à quoi ressemble le fond de la folie trash, c’est facile. Il suffit simplement d’écouter la version live de «NYC Briefcase Blues». Si on rêve de tomber dans un potager, d’écraser les courgettes et de se faire décoiffer par un vent de slide, il suffit d’écouter «Country Song (One More Thing)». Et pour ceux qui voudront tremper dans un complot trash fomenté contre la raison, le plus direct sera d’aller écouter «Truck Drivin’ Man».

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Il existe une très jolie petite compile sortie en 2005, «Solo Cholo», sur laquelle on retrouve des pièces improbables parues ici et là, comme ces duos avec Lydia Lunch ou Jerry Teel. On ne retrouve qu’un seul titre de l’époque Knoxville Girls, «Sophisticated Boom Boom», et une magnifique reprise du «Virginia Avenue» (Tom Waits) que Kid Congo partage au chant avec Jerry Teel. Ils en font un groove puissant et hanté, un groove qui déraille, ivre de poison mortel. On retrouve aussi le fameux «La Historia de Un Amour» tirée du premier Pink Monkey Birds et un cut de cabaret vaudou, «Power», que Kid Congo traite à la Kurt Weil. C’est sans doute l’exacte merveille, il chante ça sous le manteau rugueux, d’une voix de baryton de velours. Le Kid se fait profond, bas et chaud. Ce cut se veut constitutif d’un univers réel, établi et généreux. Idéal pour mesurer la portée d’une vision comme celle de Kid Congo. Duo d’enfer avec Lydia Lunch pour «Parts Unknown», cut chauffé à blanc, ils se chantent l’un sur l’autre, se confrontent, Lydia veut le leadership, le Kid s’accroche. Il boucle cette belle compile avec «Plunder The Tombs», cette énormité qui date du temps de Fur Bible.

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On en revient toujours à la même conclusion : l’idéal est de voir le groupe sur scène. En ce qui concerne Kig Congo, c’est flagrant. Alors, le voilà sur scène au Cosmic Trip Festival de Bourges. Il n’est pas tête d’affiche. Quoi ? On a réservé cet honneur aux Fleshtones ? Eh oui, le monde est ainsi fait. Mais le Kid a suffisamment de grandeur d’âme pour s’en moquer. On le voit installer son matériel sur scène. Il porte sa casquette de cuir noir et ses grosses lunettes de bigleux. Chez lui, pas de délire de roadies à la con, comme chez le Brian Jonestown Massacre. Il fait rapidement les réglages de sa petite Fender noire.

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Lumière et les Pink Monkey Birds débarquent. Kid Congo incarne le cool américain mieux que personne. Il cultive l’art suprême de la présentation des morceaux. Il joue en rigolant comme un bossu et fait d’atroces grimaces de gamin déluré. Il est absolument sidérant de présence. Il danse sur les grooves, la bras en l’air. Sa tête dodeline. Kid Congo est devenu une véritable bête de scène, mais toujours dans ce qui l’intéresse, le bon esprit. Son parcours impose le plus grand respect et on le respecte d’autant plus qu’il semble tracer la voie du garage de l’an 3000. Il semble avoir inventé un style et son set impressionne au plus haut point. Ses grooves passent comme des lettres à la poste. Ce mec est incapable de la moindre frime. Attention, on n’est pas chez les Clash. Quand le Kid attaque son set avec sa petite casquette de cuir noir et ses grosses lunettes, on sent bien qu’il va casser la baraque. Et il la casse, plutôt dix fois qu’une, rien qu’avec ses trois reprises du Gun Club. La carnage commence avec «Ghost On The Highway» qu’il introduit avec une formule fantomatique. Puis il coupe la chique à tout le monde en passant aux Cramps pour balancer une version infernale de «Garbage Man» que Ron Miller frappe comme s’il était le batteur des galères. Retour au Gun Club avec une version hallucinante de «She’s Like Heroin To Me». Le garage ? Mais c’est Kid Congo. Inutile d’aller voir les autres groupes du festival. Ça pogote sec au pied de la scène. Alors, le Kid calme le jeu et s’adresse au meneur d’émeute torse nu : «You look just like... an Elvis from hell !» C’est l’apocalypse. La salle explose. On frise l’insurrection. Les Pink Monkey Birds surchauffent. Puis le Kid lève un bras pour ramener le calme et, hilare, il s’adresse à Dieu : «Gonna buy me a graveyard... of my own !» C’est à nouveau l’apocalypse. Une houle digne du Cap Horn balaye la foule. Des corps volent à la surface. L’animal n’en reste pas là. Il lève le bras et ramène le calme une troisième fois : «Well, jawbone eat... and jawbone talk !» Ça devient orgasmique. Ça gicle au plafond. Kid Congo règne sur la terre comme au ciel. Parmi les nappes de fumée artificielle, il sourit comme un crocodile, il dodeline, il bave même un peu. Il se réjouit et s’abreuve du chaos. Kid Congo est un personnage miraculeux. L’un des ultimes géants du rock.

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Signé : Cazengler, gogo et gaga

Cosmic Trip Festival. The Wild’n’Crazy Rock’n’Roll Festival. 31 mai 2014. Bourges (18)

Fur Bible. Plunder The Tombs. New Rose Records 1985

Congo Norvell. Music To Remeber Him Back. Priority Records 1994

Knoxville Girls. Knoxville Girls. In The Red Records 1999

Knoxville Girls. In The Woodshed. In The Red Records 2000

Knoxville Girls. In A Paper Suit. In The Red Records 2000

Kid Congo Powers. Solo Cholo. Trans Solar Records 2005

Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Philosophy And Underwear. Trans Solar Records 2005

Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Dracula Boots. In The Red Records 2009

Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Gorilla Rose. In The Red Records 2011

Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Tahitian Holiday. In The Red Records 2011

Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Haunted Head. In The Red Records 2013

De gauche à droite sur l’illustration : Ron Miller, Jesse Roberts, Kiki Solis et Kid Congo

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FESTIVAL CONFLUENCES / MONTEREAU

 

06 – 06 – 14 / THE JALLIES

Plus d’un mois que je n’avais pas vu les Jallies. Le manque commence à se faire sentir. Et voici qu’arrive LA nouvelle. Elles jouent au off du festival Confluences de Montereau. Je saute, je bondis sur l’occasion. Je vais, je cours, je vole sur la route en ce vendredi soir prêt à débarquer sur les bords de la Seine. Les dieux du rock’n’roll sont avec moi, ont libéré une place au bord de l’eau pour que je puisse parquer mon char.

Il est 19h30 et les Jallies ne jouent qu’à 21h00. Je parcours les pelouses du parc des Noues pour prendre la température du festival. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est bien moins élevée que celle que le soleil déverse à flots sur nos épaules. Juste le temps d’apercevoir nos belles qu’elles s’éclipsent pour aller se préparer, se maquiller, se faire belles qu’elles disent. Bien plutôt pour se faire désirer.

Enfin l’heure approche. Le jazz band qui occupe la scène lance son dernier morceau, quitte les lieux. Elles se mettent en place. Et c’est parti. Tout de suite, malgré les aléas de réglage de la sono, le public est prévenu : they are the Jallies.

L’énergie est au rendez-vous. Les spectateurs ne s’y trompent pas. Ils étaient venus pour d’autres concerts ; ils se rassemblent, s’agglomèrent à l’entrée devant cette petite scène où Leslie se lance dans un Be bop a lula qui commence à donner des fourmis dans les jambes de la foule.

Energie donc. Plaisir aussi. La joie de nos musiciens se transmet à l’ensemble du public. Une véritable communion. Les titres s’enchaînent, entre reprises et compositions des Jallies, la température monte de plus en plus. L’ambiance n’a plus rien à voir avec celle de kermesse qui était celle du festival plus tôt. De même que virevoltent de guitare en caisse claire nos trois grâces, le public crie, hurle son bonheur, son plaisir d’être là plutôt que devant les grandes scènes. C’mon everybody. C’est bien ici qu’il faut être.

Si Céline, Vaness et Leslie peuvent si bien voler de micro en micro, c’est parce qu’elles sont toujours soulevées par le fil, électrique bien sûr, de la guitare de Thomas qui les emmène vers les cimes, mais qu’elles restent reliées à la terre par la puissance tranquillement ravageuse de la contrebasse de Julio.

Tout le monde est happé par la musique. Vaness se lance dans Crazy legs. Les jambes s’affolent. Les danseurs montent sur les baffles. L’atmosphère s’électrise. La température monte encore au point que deux danseurs se lancent dans un strip-tease improvisé. Nous sommes partis pour écouter les Jallies jusqu’au bout de la nuit.

Par malheur, on vient les avertir qu’elles n’en n’ont plus que pour cinq minutes. Déjà une heure qu’elles sont là, que cela passe vite une heure, trop vite. Tout le monde est déçu, mais l’organisation est intransigeante. Il faut s’arrêter. Heureusement, avant de quitter la scène, elles nous remplissent d’espoir. Nous parvenons à réprimer le désespoir qui nous poussait vers le fleuve. Elles passent ce dimanche à Flagy. Ouf. La frustration ne permettra que d’aviver le désir.

Pour la suite de la soirée, nous ne pouvons que regretter qu’elle n’ait pas été à la hauteur de ce moment. Il fallait être bien simple d’esprit pour espérer retrouver le même plaisir avec Simple Minds.

Philippe Guérin.

08 – 06 – 14 / FLAGY

LES JALLIES

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Ce n’est pas parce qu’on les a vues rapidement, trop rapidement, deux jours auparavant que l’on va bouder notre plaisir. Pleine d’admirateurs, la voiture survole l’asphalte surchauffé par ce brûlant soleil dominical. Dès que nous arrivons sur la place, les notes des Jallies se font entendre pour les difficiles réglages de la sono. Elles passeront outre ces aléatdéboires pour nous offrir encore une fois un concert d’une énergie folle.

Tout le village est en fête et les Jallies viennent couronner le tout. Comme les habitants du village ont de la chance. Le temps d’un verre et les voilà qui arrivent pour nous livrer un premier set. Rapide, le set ; le temps de l’apéritif et c’est déjà fini. Mais déjà toutes les Jallies dans ces quelques morceaux. Elles nous prennent, elles nous cueillent, elles nous nous attrapent, elles nous emmènent, elles nous enlèvent, elles nous ravissent. Et on en redemande. Encore et encore. Heureusement, nous n’aurons pas trop longtemps à attendre le deuxième set. Elle nous l’ont promis. Il sera plus long. Nous sommes sauvés.

Comme à leur habitude, elles passent de micro en micro. Elles étaient ici, on les retrouve là. Elles ne tiennent pas en place. Leur public non plus. Le devant de la scène se couvre de danseurs. A l’image du madison endiablé lancé par Céline avec Goodbye Bessie Mae.

L’ambiance monte, s’électrise. Il n’y a pas à dire, le courant passe, court des Jallies à l’ensemble du village. Que viens-je de dire ? Il passe. Non ! elles se retrouvent privées d’électricité. Tout a sauté. C’est là un coup à vouloir faire sauter tous les ingénieurs. Heureusement, tout revient vite, même pas le temps de fumer une cigarette notera Vaness. Cela ne les a pas déstabilisées pour deux sous. Elles recommencent à nous secouer comme si de rien n’était.

Elles puisent la force de leur musique dans l’énergie tellurique de la contrebasse de Julio. Celui-ci vient chercher au cœur de la Terre la puissance magmatique qui va provoquer l’explosion, l’éruption de ces forces primales dans leurs voix qui nous uppercutent de plein fouet. Les Jallies sont un volcan qui nous ensevelit avec délices sous les flots du rock’n’roll. Le Fujiyama mama asséné par Leslie avait déjà annoncé la couleur.

You’d better be good, répètent-elles à leurs souffre-douleur préférés. Ils n’ont pas de micro. La belle affaire ! ils répondront à chaque fois par la voix de leur instrument. Rien ne leur aura été épargné lors de cette soirée. Thomas devra même changer de guitare après avoir cassé une corde. Thats’s all right : they was good.

Heureusement pour eux, ils reçoivent du renfort : Nico monte sur scène et s’empare d’une guitare pour un dialogue musical avec Thomas. Ils sont bientôt rejoint par Alain au saxophone. Vont-elles crouler sous le nombre ? C’est bien mal les connaître. Loin d’être accablées par le nombre, elles en profitent pour s’élever encore plus haut.ce n’est plus l’éruption volcanique, c’est l’explosion solaire. Elles sont bien the Queens of Rock’nRoll.

Après près de deux heures, le set arrive à sa fin. Elles viennent de faire swinguer tout un village qui vient sauter et crier dans la reprise finale de Jumps, giggles and shouts que personne ne veut voir s’arrêter.

Il est de notre devoir d’avertir la population. Les Jallies sont, pour notre plus grand plaisir, une drogue dure avec accoutumance rapide. A consommer sans modération. We love them so.

PHILIPPE GUERIN

( PS : les photos du Grand Phil ont refusé de passer ! )

08 – 06 – 14 / FLAGY

LES JALLIES

 

Moi aussi j'étais à Flagy. Peut-être n'aurais-je pas dû. Car jusqu'à lors j'étais comme vous, un imbécile heureux. Ne le prenez pas mal. A la fin du deuxième paragraphe je sais que vous me donnerez raison. Sans les Jallies je ne serais jamais allé à Flagy. Ne savais pas qu'il existait un patelin de ce nom dans notre Brie bien-aimée. Un coin perdu. Même Christophe Colomb ne l'a jamais découvert, bref le bled introuvable par définition. Heureusement que le grand Phil possède son GPS, facile pour vous y rendre : vous délaissez Mortery – la mort s'y rit de vous - sur votre gauche et foncez à tombeau ouvert vers La Tombe. Les villages de France portent des noms charmants. Cinquante kilomètres en lignes droite au fin fond de la plaine briarde plate comme une limande, et vous tombez pile sur Flagy. Premier émerveillement, j'ignore comment ils s'y sont pris mais les Flagiens ont réussi à construire leur antre tutélaire sur une colline. Sacrément en pente, pas tout-à-fait l'a-pic des Grandes Jorasses, mais une très forte déclivité.

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Flagy, six cent cinquante habitants, sept rues, une rivière et une église. Un trou, un rien, un néant. Méritent toutefois notre estime puisque en ce dimanche après-midi, ils reçoivent les Jallies pour l'apéro. Z'ont du goût, et si z'ont pas l'oseille z'ont l'oreille. Mais c'est lorsque l'on m'a distribué le prospectus que j'ai douté de la santé mentale des Flagiens. Les Jallies oui, mais ce n'est pas tout, du 6 juin au 25 juillet, tous les vendredis soirs, apéro-concert, avec chaque fois un groupe. De fieffés soiffards qui n'écoutent pas de l'accordéon et du flon-flon, tiens le 20 juin il y a les Shotguns LTD... pour le reste de la programmation wwwflagy.com, quand je pense qu'avec ses 12 000 habitants Provins ne nous offre que de la musique religieuse du dix-septième siècle... Ah ! si dans toutes les communes de France... ne rêvez pas, vous risquez d'y perdre votre sérénité !

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AVANT-CONCERT

Le grand Phil arrête sa pfeut-pfeut voiture – c'est ainsi que la surnomme notre teuf-teuf mobile – sur la grand place du village. Nous sommes accueillis par les aériennes vocalises de nos trois précieuses. En pleine balance avec un méchant larsen qui se niche on ne sait où. Dix huit heures, trente-cinq degrés à l'ombre, la population s'est réfugiée sous les tilleuls devant l'Eglise. Sa porte est bien ouverte mais j'ai le regret de vous l'annoncer la gent flagienne me paraît fort mécréante, elle déserte les vêpres pour mieux rôder autour des marmites emplies à ras-bord d'un liquide punchy du meilleur aloi. Beaucoup de monde, des jeunes, des adultes, des familles, des célibataires, des grands-mères qui trottinent, des gamins qui courent partout, un véritable échantillon représentatif de la faune nationale, avec évidemment les rockers du coin qui ne manqueraient pas un set des Jallies pour rien au monde, Muriel et Billy drapé dans une chemise hawaïenne à rendre jaloux le King himself, Jean-Luc Fifties à qui j'ai chipé les photos pour illustrer l'article.

PETIT SET

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Set à dix chansons. Une misère. But already in the pocket, n'ont pas entamé leur troisième morceau que déjà ça se masse devant l'estrade. Trois jolies brins de filles qui pétaradent, l'en faut pas plus pour égayer une escouade de village. Avec derrière deux gars pas manchots prêts à leur passer dans l'euphorie générale les cordes au cou, laissez-moi vous dire que ça ratiboise sec. Céline, Vaness, Leslie, difficile de donner le tiercé dans l'ordre, ce qui est sûr c'est qu'à toutes les combinaisons vous jouez gagnant. Régal des yeux et des oreilles, mais c'est déjà fini. Les organisateurs doivent être des admirateurs du divin Marquis de Sade, affiliés à la secte des adeptes de la cruauté mentale généralisée. C'est comme si vous repreniez à votre matou-cat les trois craquantes souris que vous venez de lui offrir. Elles promettent de revenir, le temps d'éponger l'apéro.

GRAND CONCERT

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En plus elles ne nous ont pas menti, les revoici. Et c'est reparti pour une heure et demie. Sans interruption. Enfin presque, puisqu'elles font sauter l'électricité. Qui sera vite rétablie. Mais arrêtez de frétiller d'allégresse devant nos trois pimprenelles. Les Jallies c'est comme les anciens bateaux à vapeurs, tout beaux, tout propres, qui filaient par-dessus les flots azuréens, mais à l'intérieur dans les bas-fonds il y a les soutiers qui s'activent et n'arrêtent pas de jeter le combustible dans la fournaise. Deux souffre-douleurs qui n'en peuvent mais. Julio qui plante dans le granit du rock les poteaux sur lesquels reposent l'édifice. Et Thomas qui n'en finit pas de jeter des tonnes de TNT pour en éprouver la solidité. Guitare turbine qui fait éclater les vieilles cloisons rythmiques du swing et les speede à fond de course. Et Julios qui en rajoute, se sert de sa contrebasse comme d'une arbalète. Il pleut de partout des carreaux de mort dans l'architecture sonore maltraitée, elles peuvent danser la gigue par devant, les boys sont en train de dynamiter la basilique, et tous avec le sourire. Car c'est une fête. La passion de la destruction n'est-elle pas une création comme s'écriait avec une si juste raison le grand Bakounine ?

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Vous dis pas le public. Ca batifole, ça rocke, ça rolle, ça strolle et ça madisonne, y a même un chien loup qui pose ses pattes sur les avant-bras de son maître et qui se permet quelques entrechats. Carnaval des animaux. Nos trois mignonnes se lancent dans un Shave Your Pussy des plus torrides immédiatement suivi d'un Stray Cat Strut en chasse. On ne les retient plus, les chats sont là et les souris dansent de plus belle. De plus en plus belles. Céline déchaînée qui tape l'assaut comme une forcenée sur la caisse claire, Vanessa qui jumpe jusque en haut des cocotiers avec sa voix enrauquée, Leslie qui arrache des dents d'alligator chaque fois qu'elle claironne un rock tonitruant, Vannes au micro, Leslie au tambourin, Céline partout à la fois qui bondit comme un feu follet, vous ne savez plus qui est qui, et puis durant deux fractions de seconde toutes les trois immobiles comme des jeunes filles sages de bonne famille qui vous font les choeurs style sixties nostalgie, avant de nous entraîner une fois encore dans leur tarentelle endiablée. Seraient-elles comme l'incarnation d'un rêve de Jean Lorrain, princesses d'ivoires et d'ivresse, fragiles, extatiques, cruelles, apparues sur cette terre pour nous faire oublier la décrépitude de nos existences ?

 

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Plus on est de fous, plus on rit. Le sieur Nico est prié de se ramener dare-dare sur la scène. Nico là ! Et on lui fourre entre les mains la fender blanche de Céline. Sait s'en servir, joue plus aigu que Thomas, un style un peu plus insinuatif, qui se faufile entre les filles afin de leur insuffler que la force fidèle du rock ne s'enfuit jamais. Ce n'est pas tout, un certain Alain perdu dans l'assistance se fait apostropher. Julios lui intime l'ordre d'aller chercher son sax. Deux minutes ne se sont pas écoulées que le dénommé Alain apparaît en haut des marches et s'en va se planter à côté de Julios. Tranquille, pas affolé pour deux sous, les six autres engagés dans un rock de la mort ne s'intéressent plus à lui, et lui après avoir souffloté dans son bec, il vous commet deux longues traînées aboyantes de sax à la Bill Haley, puis s'apercevant que le morceau est trop bop, trop cadenassé sur lui-même, pour qu'il puisse déployer une telle fanfare triomphante, il change illico de mode d'intervention et vous expulse systématiquement entre deux syncopes de ces petites goualantes revigorantes qui vous feraient sauter au plafond si l'on n'était pas en plein air. En voilà un qui n'est pas né de la dernière pluie. Quarante ans de métier derrière lui, sur toutes les scènes françaises, a joué avec à peu près tout le monde depuis les premiers temps des Chaussettes Noires jusqu'aux Jallies d'aujourd'hui.

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Que voulez-vous de plus ! Le show se termine en bacchanales, les filles frétillantes qui s'égosillent et les quatre musicos qui se repassent le solo à tour de rock and rôle. Alain n'a pas de micro – ce qui ne l'empêche pas de se faire entendre – mais Vaness lui braque le cromi jusqu'au fond du sax et il en sort de terribles râles de jouissances. Le brame du cerf le soir au fond du cuivre. Ca valdingue de tous les côtés, le public est aux anges ( les noirs, ceux de l'enfer ). Terminent en apothéose sur le Jumps Giggles and Shouts de Gene Vincent. Il y a des soirs comme cela où la vie vous offre ce qu'elle a de meilleur.

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Damie Chad.

07 – 06 – 14 / LE CESAR / PROVINS

LOREANN'

Je suis à cent mètres du César, et la voix de Loreann' résonne comme si elle était à côté de moi. Allez savoir par quel mystère mais la halle couverte s'est transformée en caisse de résonance et inconsciemment marchands et acheteurs, bateleurs et badauds, ont baissé d'un ton, ils croient entendre mais ils sont déjà en train d'écouter.

Ne suis pas en avance. Midi passé et le set se termine à treize heures. Soixante petites minutes, oui mais des plus délicieuses, dont on garde longtemps le souvenir comme une fleur séchée entre les pages d'un livre. Le folk dans toute sa splendeur, comme des petites gouttes d'eau qui font floc floc sur les herbages du rêve. Les copains me parlent, m'interrogent, me questionnent mais je suis ailleurs emporté par la brise printanière loreannéenne en un autre monde de douceur, de calme. Je suis l'aigle qui plane et je suis l'escargot qui bave. Je suis un atome de mère nature. Je suis le tout et je suis le rien. Je ne suis plus un rocker ! Enfer et damnation, j'allais me perdre mais une voix me demande et m'ordonne de foutre le camp d'ici. Frère Jack m'a sauvé, merci Ray Charles et merci Loreann' qui a su et m'envoûter et me réveiller.

Un peu sorcière, un peu magicienne, Loreann', une simple guitare lui suffit pour prononcer ses incantations. C'est le rendez-vous du samedi, le rituel musical de la semaine. Une fille, une voix, un sourire. Avec ces trois seuls ingrédients vous pouvez composer un rock des plus terribles. Mais non, c'est du folk. Du folkloréann' !

Damie Chad.

 

LE MONDE DU BLUES

PAUL OLIVER

Traduction : HENRY KNOBIL / MAX ROTH

Préface : SIM COPANS

( Arthaud / 1962 )

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Plus d'un demi-siècle s'est écoulé depuis la parution de ce livre. 1962, en Angleterre le british blues est encore en incubation, l'oeuf est fendu mais le poussin pas encore sorti de sa coquille, en France c'est une musique qui appartient encore aux aficionados du jazz, nos premiers rockers ne voient pas plus loin que le nez d'Elvis... La discographie française due à Jacques Demêtre est éloquente, c'est bien celle d'une autre génération. L'on y retrouve Memphis Slim et Champion Jack Dupree – qui avaient tous deux fait le choix de notre pays qui leur offrait des conditions de vie paradisiaques comparées à celles de leur patrie d'origine – mais point de BB King, point d'Howlin' Wolf, point de Muddy Waters, point de Robert Johnson, le rhinocérock n'avait pas encore poussé sa corne dans la mythologie électrique du blues.

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Maintenant n'allez pas cracher sur Jacques Demêtre, il fut un pionnier, peut-être le véritable introducteur du blues par chez nous, explorant ce continent obscur que Charles Delaunay et Hugues Panassié avaient mentionné comme les sources perdues et taries du jazz... Un seul exemple pour donner une idée de l'importance de l'individu: il fut le découvreur de John Lee Hooker. Reconnaissance absolue.

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Sim Copans, encore un américain de Paris, est arrivé avec the american troops qui débarquèrent en Normandie, vu sa connaissance du français – il fut étudiant à la Sorbonne – il est très vite affecté à la radio La Voix de l'Amérique... Résidant souvent dans le sud de la France il fut le créateur du festival de jazz de Souilhac, sa voix n'était pas inconnue des auditeurs, il présenta plusieurs milliers d'émissions sur le musiques populaires américaines sur les ondes françaises entre 1946 et 1973. Dans son introduction il nous met au fait de la personnalité de l'auteur : Paul Oliver. Né en 1927 en Angleterre, professeur d'université spécialiste d'architecture vernaculaire et spécialiste reconnu de... blues.

 

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Encore que l'aspect purement musical du blues n'est que très peu évoqué dans le livre. Davantage un bouquin de sociologie que de musicologue. L'existence du blues est un pré-requis aux trois cents pages en petits caractères qui s'attachent à décrire avec minutie les conditions d'apparition du blues dans la communauté noire des USA. Blues Fell This Morning est paru en 1959, rappelons que Barack Obama naquit en 1961, que Malcolm X fut assassiné en 1965, Martin Luther King en 1968, et que donc au moment de l'écriture comme à celui de sa traduction la lutte pour les Droits Civiques est loin d'être terminée...

NAISSANCE DU BLUES

Vient de loin. D'Afrique. Tout le monde sait cela. Paul Oliver ne s'attarde guère sur ses racines originelles. Se concentre sur le sol américain. Se contente de citer une ancienne enquête menée au début du siècle précédent auprès de noirs nés au plus tard en 1860 qui sont tous d'accord pour affirmer que le blues existait déjà, en tant que forme constituée, avant leur naissance et ce depuis longtemps. Ce qui remet à sa juste place chronologique, l'invention officielle du blues par W. C. Andy né en 1873.

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Le blues provient de l'esclavage comme le blé de sa semence. Il naît de la souffrance accumulée, de l'exil tout autant intérieur qu'extérieur, de cette déculturation accélérée que subirent les premiers esclaves ravalés au rang de bête de somme. Peut-être vaudrait-il parler de déshumanisation. Le blues naît à côté de l'évangélisation. En dehors des églises et des congrégations. Il est tout de suite reconnu par ce que l'on ne peut pas encore, vu son éparpillement géographique appeler la communauté noire, comme la musique du péché. Pas sciemment. Ce sont toujours les autres qui vous définissent comme un rebelle. L'esclave chante naturellement comme l'oiseau sur sa branche. C'est un moyen de communiquer avec les autres. De faire circuler des messages que les maîtres ne doivent pas saisir. Marmonnement des peines quotidiennes et cris d'appel, les hollers seront autant des cris de rage sourde que d'affirmation de soi.

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La fin de l'esclavage ne sera pas le radieux matin espéré. L'esclave est libre. Il change de statut, il endosse un costume de torture nouvelle : du jour au lendemain il est devenu un pauvre. Dans le Sud on lui fera payer très cher sa pauvreté. L'on peut rester ou devenir riche sans posséder un seul esclave mais sans pauvre qui accepte de travailler pour une bouchée de pain, ce n'est pas possible. L'exploitation éhontée de son semblable est la condition sine qua non de création de richesse en économie libérale de capitalisme avancé. Les noirs pauvres possèdent un double avantage, ils acceptent de bosser pour encore moins cher que les blancs pauvres. Du coup cette catégorie sociale s'en trouve rehaussée : leur standing n'augmente pas d'un cent, mais il y a désormais plus pauvre qu'eux. La white trash people – vous traduirez par la saloperie blanche, car c'est ainsi qu'on désignait les basses classes – acquiert un subtil statut de quasi-gentry. Fauchés comme les blés certes, mais d'un niveau ontologiquement supérieur à ces maudits nègres, puisque blancs. De la couleur de Jésus Christ. L'idéologie raciste s'enracine très facilement dans les consciences populaires car elle vous octroie automatiquement et à moindre frais une supériorité théorique des plus flatteuses.

 

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Attention, il ne faudrait pas que les choses changeassent trop vite. Tout sera fait pour maintenir les noirs dans une misère docile. Un bon nègre est un nègre qui travaille. Tous les autres n'ont aucune utilité sociale. Qu'ils disparaissent au plus vite. Qu'ils ne se fassent pas remarquer, qu'ils descendent du trottoir quand ils croisent une blanche femelle, que leurs gamins ne reçoivent aucune éducation, qu'ils se calfeutrent dans leur taudis, et même mieux qu'ils n'habitent nulle part, qu'ils errent loin de nos yeux, la police qui veille sur la sécurité des citoyens intègres aura ainsi l'occasion de les arrêter pour vagabondage. Une manière des plus légales pour s'adjuger une main d'oeuvre gratuite pour construire des routes, ensemencer les champs et consolider les digues. Beaucoup de travail et peu de nourriture, ces maudits nègres n'en finissent pas de rendre l'âme un peu trop promptement.

 

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Dans le nord c'est un peu mieux. Mais pas beaucoup. Les usines ont besoin de beaucoup de bras, aussi les salaires sont-ils un peu plus élevés. Mais à la première récession on licencie d'abord les ouvriers noirs. Charité bien ordonnée commence toujours par les blancs. Lorsque viendra la grande crise, je vous laisse imaginer la panade dans laquelle se retrouveront les noirs...

INTERIORITE DU BLUES

 

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Le blues vient du dehors mais il germe à l'intérieur. Il est la résultante de toutes les humiliations endurées depuis l'enfance, c'est le seul héritage que vous transmettent vos parents. Jour après jour la société vous rappelle à vos limites. Ce ne sont pas des couleuvres que vous avalez mais des anacondas géants. Certains s'étonnent que le blues n'ait véhiculé que très très peu de chant de révolte. Entre parenthèses, remarquons que de l'autre côté des péquenots blanc, le répertoire country n'est pas une pépinière de chants de colère. Ce qui est sûr c'est qu'un sale nègre n'avait pas intérêt à l'ouvrir en grand et tout haut. Valait mieux miser petit. Viol, pendaison, torture, meurtre, castration, brûlure, accident, éviscération, les policemen fermaient les yeux sur tout ce qui pouvait vous advenir. De toutes les manières c'était obligatoirement vous qui étiez en faute. Pour les blanc la justice faisait sans cesse preuve d'une magnifique compréhension, d'une indulgence sans limite... Le blanc n'est-il pas la couleur de l'innocence ? N'est-ce pas la Bible et Dieu qui l'affirment.

 

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Le blues sera goguenard. Avance à mots couvert. Comme les légionnaires romains sous la carapace des boucliers de la tortue. L'on proclame une chose. Une fois. L'on se hâte de la répéter. Deux fois. On explicite quelque peu. Pas beaucoup. Et pif, l'on jette le contraire. Vite fait, bien fait. Une moitié de vers, un hémistiche maigrelet, pas plus. Vite l'on revient à ce que l'on était en train de dire. A vous de comprendre. De saisir l'essentiel du message. Ne vous trompez pas, ne tombez pas dans le panneau. Une vieille habitude de ne jamais crier la vérité haut et fort, de ne jamais répondre clairement ce que l'on pense. Parler pour soi. S'adresser à soi-même. Nettement suffisant. Evidemment vos congénères vous comprennent. Agissent de même. Connaissent toutes les ficelles. Pas besoin d'en écrire aussi gros qu'un dictionnaire. Quelques mots soulignés par ce qui pourrait passer pour un sourire idiot. Les nègres sont toujours contents. Oui missieu, bien missieu. A croire qu'ils n'ont jamais appris à dire non. Ce n'est pas de leur faute, les pauvres ils appartiennent à une race si inférieure.

 

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Le blues du désespoir, et le sourire aux lèvres. Très sarcastiques. Mais pour en sentir la cruauté, il faut être au courant. Ce sont des mots qui ne s'élèvent jamais au-dessus de la réalité qu'ils décrivent. Le blues est par essence naturaliste. Parfois vous lisez les paroles et vous ne comprenez pas de quoi ça cause. Quelle est la situation de départ ? Vous faut relire quatre ou cinq fois mais les phrases vous paraissent obscures. C'est un rien déroutant. Vocabulaire d'une extrême simplicité, construction des phrases des plus banales, et vous n'y entravez que couic. Le réalisme rural d'une nouvelle de Maupassant aussi difficile à décrypter qu'un sonnet de Mallarmé. La musique aide et dévoile des intentions enfouies, mais dans le livre sans le jeu musical qui vibre et colorie, le blues est d'une teinte foncée.

 

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Notons le défaut majeur du bouquin : beaucoup de paroles traduites mais peu de textes attribués. L'on ne sait d'où ils proviennent, qui les a interprétés et enregistrés. Difficile à situer, d'autant plus qu'en leur grande majorité ils ne sont ni donnés en langue originale, ni attribués.

EXTERIORITE DU BLUES

 

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C'est une histoire sans fin que raconte Paul Oliver. Pas de porte de sortie. Et celles du paradis sont fermées pour toujours. Nous conte un enfermement. La tour d'ébène dont nul ne s'échappera. Le peuple noir semble livré à un malheur irrémissible. Oliver n'a pas senti les craquements, la sourde colère qui se levait dans les ghettos. Toute révolte lui paraît d'emblée vouée à l'échec. Prononce un réquisitoire implacable à l'encontre de la société américaine, mais il dénie à la collectivité noire la possibilité de s'émanciper par une lutte radicale. Reste le nez trop près de son sujet. Nous peint une situation terrible, une analyse digne des marxistes les plus chevronnés, la sujétion des noirs en tant que guerre de classes. Mais il laisse soigneusement de côté l'aspect prophétique et révolutionnaire d'une telle description. De même il n'aborde pratiquement jamais les circonvolutions que le Capital est prêt à opérer pour circonscrire toute problématique porteuse de désordre. Il parle de classe noire aisée mais ne pousse pas le projecteur sur l'émergence d'une économie noire et d'une bourgeoisie noire ( Obama en étant un de ses représentants les plus notoires ) déjà en voie de constitution dans les années cinquante. De même il passe sous silence l'émergence d'une intelligentzia noire qui de Richard Wright à Langston Hughes a beaucoup oeuvré pour la reconnaissance culturelle du blues par les élites blanches.

 

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Le livre narre une histoire qui n'est pas encore terminée mais dont nous connaissons la suite. Il n'est pas rare de lire dans de récentes interviewes de blues(wo)men actuels comme Shemekia Copeland reconnus par certains pour être les plus intègres continuateurs du genre que le blues d'aujourd'hui ne saurait avoir une force d'expressivité aussi forte que celle produite par les grands ancêtres. La condition des afro-américains s'est considérablement améliorée depuis les temps héroïques reconnaissent-ils. Il reste encore beaucoup à faire se dépêchent-ils d'ajouter même si le plus dur est derrière eux. Le blues n'est plus soumis aux mêmes pressions sociales, il est déserté par les jeunes noirs qui le jugent pleurnichards et lui reprochent son manque de fierté. L'a été récupéré par les petits blancs européens, les fils adolescents gâtés et pourris de la middle class occidentale. L'ont transformé, l'ont électrifié à outrance, l'ont dévergondé, l'ont hard rocké à mort. Incapables qu'ils ont été de créer leur propre musique, leurs propres formes de rébellion. Cet épisode nous concerne de près, et nous ne sommes pas prêts d'en voir la fin.

 

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Quoi qu'il en soit, Le Monde du Blues est un beau livre qui ne peut que passionner les amateurs de rock'n'roll. Ce damné bâtard du blues. Qui a parfois du mal à reconnaître son père.

Damie Chad.