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10/07/2014

KR'TNT ! ¤ 197 : HIPBONE SLIM & the KNEE TREMBLERS / MARIANNE / WASHINGTON DEAD CATS / RHESUS HK / T.A.N.K. / GHOST HIGHWAY / HOWLIN'JAWS / 80 OUTSIDERS / ARPEGGIO OSCURO /

 

KR'TNT ! ¤ 197

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

10 / 07 / 2014

 

 

Cette 197 ième livraison de KR'TNT sera la dernière de la saison. KR'TNT prend des vacances après quarante-cinq épisodes sans interruption. Nous savons qu'il vous sera très dur de survivre sans votre dose de KR'TNT hebdomadaire mais il est inutile de songer au suicide puisque nous serons de retour le dernier jeudi du mois d'Août.

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

 

 

HIPBONE SLIM & THE KNEE TREMBLERS / MARIANNE WASHINGTON DEAD CATS / RHESUS HK / T.A.N.K /

GHOST HIHWAY / HOWLIN' JAWS /

80 OUTSIDERS / ARPEGGIO OSCURO

 

 

30 mai 2014 / Bourges (18) / Cosmic Trip Festival

 

The Wild’n’Crazy Rock’n’Roll Festival

 

HIPBONE SLIM & THE KNEE TREMBLERS

 

HIPBONE FRANQUETTE

 

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Sir Bald Diddley, alias Hipbone Slim, est certainement le mec le plus drôle et le plus doué de sa génération. Qu’il touche au garage ou au rockab, il tape chaque fois en plein dans le mille. Et les paroles de ses chansons sont généralement tordantes. Dans «Bald Head Hairy Guitar», il lance : «Baldhead I don’t care/ I ain’t got no use for hair» - il n’a pas besoin de cheveux, par conséquent il s’en fout d’être chauve. La tournure de langue est tellement bonne qu’elle est quasiment intraduisible. Chez Sir Bald, on se marre et on claque des doigts. Pas mal d’albums au compteur et pas un seul déchet. Comme Wild Billy Childish ou le Révérend Beat Man, il grenouille activement dans les circuits underground et remplit les bacs des disquaires spécialisés, souvent au rythme de plusieurs albums par an. Et quand on a compris que ce mec est très fort, alors on le suit à la trace. Après une série d’albums faramineux sortis sur son label Alopecia Records, il est passé sur Voodoo Rhythm, le label du puissant Révérend Beat Man, pour une série d’albums encore plus terribles. Et depuis 2010, d’autres albums du même acabit sortent sur Beast Records, LE label français par excellence.

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Alors, on est allés le voir jouer sur scène au Cosmic Trip Festival de Bourges, le gros rassemblement annuel de tous les garagistes de France et de Navarre. Même endroit, mêmes canards dans la rivière, mêmes silhouettes incertaines de Rubemprés dans les rues pavées, mêmes spécialités à la cantine berrichonne et même ambiance dans la grande salle où passaient les gros bonnets du garage. Tête d’affiche du vendredi soir : les Swingin’ Neckbreakers. Tête d’affiche du samedi soir : les Fleshtones. Les programmateurs avaient dû se tromper. Hipbone Slim jouait en ouverture de soirée le vendredi, devant un maigre public. Le samedi, Kid Congo se retrouvait pris en sandwich entre un groupe grec improbable et les Fleshtones. L’ordre de passage des groupes était un peu bizarre, pour ne pas dire farfelu. Swingin’ Neckbreakers : on a réussi à tenir deux morceaux. Même ennui avec les Fleshtones. J’avais fait avec eux un dernier essai en 2009 au Nouveau Casino. Et quand ils sont montés sur le bar pour danser comme les filles des Folies Bergères, j’ai bien senti qu’on était loin du bon vieux garage, celui des Gories, de BBQ et de Momo Man. Alors à Bourges, ça a été vite réglé et ça s’est terminé au bar, où curieusement il y avait foule. Nous n’étions donc pas les seuls à trouver les Fleshtones un peu ringards.

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Par contre, Hipbone Slim et Kid Congo ont en quelque sorte sauvé l’honneur d’un festival qui comme bien d’autres, semble être en passe de devenir l’ombre de lui-même. Les bars de Rouen ou du Havre se montrent beaucoup plus audacieux sur les choix de programmation et ça paye. Les gens qui se déplacent dans ces bars voient de vrais groupes, pas du garage de Télérama. À Bourges, on aurait bien aimé voir des groupes de garage pur comme les Masonics, The Len Price 3 ou Graham Day. Pour ne parler que des Anglais.

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Sir Bald est arrivé sur scène accompagné de Gez et de Bruce Bash, the cream of the crop. Ils avaient une allure de groupe rockab, sans doute à cause de la vieille contrebasse qui sentait le vécu. Plus de guitare carrée ni de moustache pour Sir Bald. Il jouait sur une Gisbson SG, avec un son sec. Quelle classe. Ce mec avait de quoi faire sauter dix fois le toit du ballroom. Il essayait constamment d’impliquer un public un peu mou du genou et faisait pas mal d’efforts pour parler en Français. Il annonçait ses titres et précisait chaque fois que le disque correspondant était en vente over there. Il nous a balancé «Trainwreck» tiré de son tout dernier album, «Baldhead» tiré de «Ugly Mobile», «Warpath» tiré de «Square Guitar» et l’effarant «Primitive Rock» qui fit bien rire les chanceux qui comprenaient l’Anglais. Son set était un bel exemple de mélange réussi de garage, de rockab et de boogaloo. Il était moins explosif que le Révérend Beat Man, mais sa prestation valait cent fois le déplacement. Sans lui, le festival n’aurait eu quasiment aucun sens. On lui reproche d’être à cheval sur plusieurs genres, mais c’est justement ça qui fait sa force, car il est bon partout, que ce soit en garage sixties de type Pretty Things ou rockab à la Meteor. Et on a sous les yeux un petit bonhomme qui reste concentré et qui joue comme un beau diable. Par ses fringues, son chapeau, sa petite corpulence et sa façon de se déplacer, il évoque ces vieux potes gitans qu’on a tous eus. Il a ce côté enfant de la balle tombé de la roulotte, ce côté guitariste manouche qui joue comme un dieu parce qu’un grand-père lui a mis un guitare dans les pattes et un mégot dans la bouche à l’âge de trois ans. Un veinard.

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Pour chanter son dernier cut, «Baldhead», il enleva son chapeau. C’était un peu comme s’il se mettait à nu. Et tout à coup, il devint incroyablement vulnérable. Il n’est pas certain que ça ait plu, car si on ne comprend pas les paroles qui sont hilarantes (ain’t got no use of hair - je n’ai pas besoin de cheveux), l’image du petit bonhomme chauve peut se retourner contre lui. Surtout que le public se déplace pour voir des rock stars. Pas un Zanini en chemisette qui fait un peu de rockab.

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Et pourtant, c’est l’homme du sans-faute, aussi bien sur scène que dans sa discographie cavalante. Dans les années 90, l’animal commença à sortir des disques de surf et de garage assez monstrueux sur son label Alopecia. Sir Bald Diddley And His Right Honourable Big Wigs faisaient claquer l’étendard sanglant de la révolte.

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«Surfin’ With» parut en 1992. Recommandé à tous les amateurs de surf-garage. Tout est instro sauf deux titres, «Sally Mae» qu’il passe à la moulinette surf-garage, mais qu’il rend bien bourbeux et raclé dans la dégaine, et «Snake Eyed Woman», qu’il embroche au dessus des flammes de l’enfer du rock’n’roll de carton-pâte. Il fait aussi du garage sleazy avec «Fiery Eyes», pure ramasse et Liam Watson enregistre tout ça chez lui à Toe Rag.

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«What’s In Your Fridge ?» parut dans la foulée. On y retrouve ces instros surf-garage chauffés à blanc. Dans le morceau titre, Sir Bald prend un beau solo killer qui annonce un avenir radieux. On a même du scream en fin de cut. Ils font une jolie parodie de «Surfin’ Bird» avec «Bird Dance Beat» et font du groove crampsy avec «Untamed Love». Ils semblent vraiment fascinés par le hit culte des Trashmen car ils refont une autre mouture de «Surfin’ Bird» intitulée «Don’t You Know It» où on entend Sir Bald hurler comme un démon de train fantôme. Raaaahhhh ! Alors que sur la pochette, il ressemble à Tintin, avec sa houppette.

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Attention ! «Nitrous Peroxyde» est un gros disque garage bardé d’énormités. Après un instro surf d’intronisation, un truc appelé «Somethin’ Don’t Add Up» nous saute à la gorge. On roule à terre. Rude combat. Impossible de le décrocher. Trop puissant. Digne des trogglos des sixties, ceux qu’on voyait jouer dans des cavernes en plastique. Pour se débarrasser de ce groove vénéneux et poilu, il faut s’appeler Hercule. Si ce n’est pas le cas, c’est foutu. Arghhhhh ! Malédiction ! Puis Sir Bald nous fait le petit coup de Link Wray classique de ces années-là, histoire de nous montrer qu’il a reçu une solide éducation. Et paf ! On se reprend une terrible tarte avec «Shake A Keg». Avec ce garage vitupérant, Sir Bald se donne la voix et les moyens d’écraser le son comme un vieux mégot pour que gicle le jus de nicotine le plus abject qui soit. Baldie est tout simplement exemplaire. Pire encore, il balance un solo glou-glou à la Dave Davies. Wow Sir Bald, fais-moi mal ! Wow Sir Bald, t’es bald as love ! Wow Sir Bald, tu bardes sec ! Nouvelle tarte dans la ‘djueule - comme dirait notre héros national - avec «Don’t Badmouth Me», pièce de garage crasseux, poisseux et tout ce qu’on veut, avec de l’harmo rance et des gros accords fritonneux dont le gras traverse le papier du charcutier. Ah le cochon ! On patauge dans l’excellence de la mouvance. Encore une bombe sur la face B avec «Fell For You», l’un des garage cuts les plus dirty du monde - pas darty, mais dirty - doté de toute l’agressivité des Pretties, et c’est même encore plus rude, comme si les élèves dépassaient les maîtres. Ah quelle joie irréelle que de retrouver ce riffage cisaillé ! Des accents lamartiniens nous emportent la bouche. Rien qu’avec cet album pantelant, Sir Bald mérite la couronne de roi du garage anglais. Et il ne va pas en rester là, le bougre.

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En l’an 2000, Sir Bald Diddley & His Wigs Outs sont en plein boum. Ils sortent «The Baldy Go», un album terrible sur Sympathy For The Record Industry, le meilleur label de l’époque avec Crypt. Grosse pochette rouge et Sir Bald porte un toque en peau de panthère. Ça part en trombe avec «Self Destruct», un garage agressif à l’anglaise, avec le chant mauvais comme pas deux et l’harmo, une ambiance Pretties abominable. Le morceau suivant est aussi diabolique. «Handsome Beast» flirte avec le Diddley Beat et en plein morceau, il lance la dynamique des Pretties. Sir Bald réanime l’esprit garage des sixties, le vrai, celui des caves humides des banlieues de Londres, quand tous ces fils de dockers avaient le feu sacré. Puis il tape dans le registre des early Kinks pour lancer «Overplayed Your Hand», salement riffé et monté sur un gros beat turgescent. Sir Bald s’en vient trouer le cul du cut avec un solo au vitriol. C’est sa grande spécialité. Il troue tout ce qu’il veut. On se croirait chez les Kinks, mais avec un chanteur délinquant. Pour «Flattered To Deceive», il part en mad psyché avec un gros thème gras qu’il monte en doublon sur le mid-tempo. Belle ambiance, sauce harmo, pur jus freakbeat acid test de toast de thé brit d’âge d’or. Quel album ! On comprend que Long Gone John ait flashé sur Sir Bald. «Eyes Bigger Than Your Belly» est encore une belle cochonnerie animée des pires intentions. Chez Sir Bald, tout est très dense, bien joué et prodigieusement inspiré. Il va même conclure avec un punk-rock à l’harmo, «You Do My Head In», très yardbirdsien dans l’esprit.

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L’album suivant s’appelle «The Man With Two Left Hands». Grosse pochette bleue. Cette fois, il porte une casquette. Encore un album assez dévastateur. Il commence par faire du gros Memphis sound avec «Where’s McComb» et il passe à la pop anglaise avec «Bad Times». Il se montre digne des géants du freakbeat anglais, du style de ceux qu’on retrouve dans les vingt volumes de Rubbles. Sa pop est de la race de celles qui s’accrochent, de celles qui refusent d’être emportées par le vent. C’est de la pop de souche anglaise. Et voilà la bombe : «She’s So Illusive», une sorte de mad psyché à la fois arrogante et terrifiée, sertie sur un gimmickage au long, comme n’ont jamais su en jouer les Anglais. C’est à cet instant précis qu’on constate que Sir Bald dégouline de génie. Avec ses deux mains gauches, il se permet toutes les audaces. Chacun de ses disques sonne comme une bénédiction, un antre de la mesure pleine, un palais de la découverte, un refuge pour chiens sans colliers, un repaire encore frais. Il attaque son «Snake Eyed Woman» avec une classe effarante. Il s’y montre digne des pionniers du rock. Les accords de «I Fell Off The Wagon» sont ceux de «Louie Louie», et il les gratte avec une ostensibilité confondante. Nouvelle pétaudière avec «Third Eye» - Awite now ! - Toujours ce gimmickage prédateur, il entre dans le biseau du biz-biz avec un mordant inadmissible. Il chante son truc avec des accents merveilleusement corrompus. Il dit qu’il voit avec son troisième œil. Il crie et part en solo, un solo qui affole les moineaux et il claque les notes martelles de Charles Mortel.

 

La série d’albums de Hipbone Slim sortis sur Voodoo Rhythm est ahurissante de modernité et de rage rockab. Sir Bald joue en trio avec deux légendes à roulettes, Bruce Brand, drums, et John Gibbs, double bass. Pas plus légendaires que ces deux mecs, en Angleterre. Ils ont fait partie de tous les coups fumants : Milkshakes, Masonics, Kaisers, Wildebeasts, Headcoats, Mighty Caesars, Holly Golightly, vous voyez le genre ?

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Curieusement, «Snake Pit» qui sort en 2003, n’est pas le meilleur de la série. On sent que Sir Bald cherche sa voie. On a une version de «Fiery Eyes» slappée sec et un «Close My Eyes» qui sonne comme du Elvis. Oui il peut le faire. On passe au rockab crampsy avec «Ain’t Nobody Else», qu’il chante d’une voix de trembling boogaloo. En face B, il envoie une pièce épaisse et bien rampante, «You Done This», montée sur du slap bien sourd et des congas et on finit par tomber sur une véritable perle, un vrai hit rockab, «When You Do The Things You Do». C’est d’une authenticité effarante et c’est là qu’on comprend que ce mec n’est pas un amateur. «When You Do The Things You Do» aurait très bien pu être enregistré au Texas en 1956. Alors avis aux amateurs.

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Le texte qui accompagne l’album suivant, «Have Knee Will Tremble», reste un modèle d’humour rococo. Beat Man - sûrement lui - raconte l’histoire des Kneetremblers, un gang chicano qui s’installa à El Paso dans les années 50 pour y semer la terreur. «Si tienes rodillas, temblaras», tes genoux vont trembler, mon coco. Pour une fois qu’une pochette est drôle, il faut en profiter. Mais ce n’est pas tout. L’album révèle l’éclatant génie de Sir Bald. Si on aime bien le son du bon slap, alors c’est un album de rêve. Dans les deux premiers cuts, «Blind Eye» et «One Way Street», Sir Bald met le slap en avant toute. Monstrueux ! À se damner pour l’éternité ! On se croirait chez Lew Williams ! On entre dans le disque d’Hipbone Slim comme dans l’eau bleue d’un lagon rockab tropical. C’est un immense réconfort pour les oreilles et pour le bulbe rachidien. En plus, l’animal plante un solo offensif en plein cœur du cut-vampire. Rhhhaaaaaaaaaaa ! Disque après disque, Sir Bald reste passionnément étourdissant. Il est vraiment doué. «One Way Street» est un mid-tempo de classe supérieure complètement délinquant et slappé avec la pire malveillance. D’autres éclats de génie hipbonien se nichent sur la face B, et notamment «I Fell Off The Wagon», pied de nez aux mythiques hobos, avec un son rockab classique et un slap en devanture. C’est tapé profond dans l’inconscient collectif de la banane sacrée. Sir Bald n’a pas de banane, mais il incarne l’esprit de la banane. Il fait bander le rockab. Son trio vaut tout l’or du monde. Encore un magnifique mid-tempo rockab avec «Lonesome And Loathsome», cuisiné à la sauce du Deep Sud avec un chant bien perché. Sir Bald va chercher des accents de désolation et ça reste admirable de pureté institutionnelle. Démence dans la slappance avec «What Enough Happenin’», un vrai hit rockab. Sir Bald amène une contre-mélodie dans le contre-courant de la stand-up. On se croirait vraiment chez Meteor en 1956, avec Charlie Feathers dans les parages. Puis il fait son Gene Vincent avec «If Only» et rebascule dans la sauvagerie rockab avec «Man With A Plan», où l’on voit Sir Bald tirer le diable par la queue. Ah ! le diable adore ça.

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Les choses se corsent encore avec «The Sheik Said Shake», l’album suivant. Sir Bald rend un hommage fulgurant à son héros Bo avec «We All Got Somebody That We Want To Kill» - Hey Bo Diddley ! Pur Diddley beat. Admirable et sans prétention. Puis il nous sort de sa manche l’un de ses hits planétaires, «I Hear An Echo», espèce de petit rock tagada qui se profile à l’horizon. Un truc digne de «Brand New Cadillac», quant au filigrane. Dans le morceau titre de l’album, Sir Bald nous gratifie d’une grande variété de climats. Voilà encore un cut admirable d’orientalisme larvé. Derrière, ça joue berbère, avec, évidemment, du Diddley beat en fond de trame. On pense à l’époque où Bo jouait sur un gros bouzouki. Sir Bald renoue allègrement avec l’immense transe berbère de Rachid Taha, le Sheik des Batignolles. Puis John Gibbs nous slappe «Dead Man’s Shoes» à l’ancienne. Magnifique d’essence rapide. C’est à la fois Sonny Boy Williamson et Pat Cupp, riffé sévère et léché d’accolade - Dead man shoes don’t fit so good - une belle régalade d’enfilage de perles, tout est du pur vintage caressé, dans l’éthique de l’esthétique psychotique. Brillant, comme dirait Dizzy Detour. Puis Sir Bald sous offre une gros cut boogaloo sur un plateau : «Brand New Head». On y sent la décontraction du fantasme à la croisée de tous les garages et c’est une bouffée d’air considérable. Sur la face B se nichent d’autres perles rares, comme «Diddley Squat» (grosse présence de la basse qui avance comme une main baladeuse), «Buried Next To You» (dans l’esprit des Cramps et strummé rockab, excellence de la tempérance, c’est l’un des grands éclats rockab des temps modernes, véritablement accrocheur, balade bananée à col ouvert par un soir d’été grandiose), et «Pempelem» (reprise rockab, solide et exotique, avec un son plein comme un œuf, l’intention est pure, Sir Bald is the cat, il fait swinguer son Pempelem avec une incroyable gourmandise, dans le respect des dramaturgies du texte originel).

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Sir Bald multiplie les projets, comme le fait Wild Billy Childish. On l’a reconnu en 2008 sur la pochette de l’album «The Electrifying Sounds Of The Kneejerk Reactions». Bruce Brand et Gez Gerrard sont là, eux aussi. Cet album est un classique du garage moderne. Après avoir rendu des hommages fabuleux à ses héros rockab et à son dieu Bo, Sir Bald rend hommage aux early Kinks et aux Pretty Things. Attention, cet album est une bombe atomique. On est sonné dès l’intro avec «Self Destruct», un garage indiscutable d’authenticité. Garage impavide en qui tout est comme en un tigre aussi subtil que carnassier. Sir Bald ne plaisante pas avec le binarisme et les solos déboîtés. Encore une belle pièce à la Bo avec «Handsome Beast». Le Diddley beat y prévaut comme une bête. Puis il monte son «You Electrify Me» sur le «Oh Yeah» des Shadows Of Knight et fait preuve d’un stoïcisme à toute épreuve. Clin d’œil faramineux aux Stones et aux sixties boomers d’Amérique avec «Who’s The Ostrich Now». Sir Bald va chercher ses réflexes dans le pot commun de l’inconscient collectif. Attention à la face B, car ils passent aux Pretties avec «Fell For You». Non seulement il faut oser le faire, mais il faut surtout savoir le faire. Pretties for ya, du pur Sir Bald, comme une évidence. Puis il passe au pur jus Kinky avec «Don’t Underestimate My Love», reprise déguisée, - Girl ta ta ta you really got me now - et c’est là où Sir Bald est très fort, c’est qu’il réussit à aller chercher des accents à la Ray Davies. Il reste branché sur les Kinks pour «Won’t Let You Down», sixties punk so far, dirty et bas du front, et solo à la Dave Davies, ouch. Il nous envoie directement au tapis.

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Quatrième album de Hipbone Slim sur Voodoo Rhythm : «The Kneeanderthal Sounds Of», le pire de tous. Pur Diddley beat avec «Eye Of The Storm», salubre et salutaire, effarant d’énergie. Sit Bald jette du rockab dans son Diddley beat. Encore de l’énergie à revendre avec «Hung Drawn and Quartered» qui est secoué au slap. On se croirait une fois de plus au Texas en 56. Ce mec est un dingue doué de tous les dons du diable. Encore une énormité explosée au slap : «Whatever Happened To My Love». Coup de génie, un de plus, il passe à l’extrême barbarie secouée et déviante, et défonce la rondelle des annales. On trouve un brin de boogaloo en face B avec l’immense «Dig That Grave», hanté par des zombies. Puis on tombe sur l’un des plus beaux hommages jamais rendus au dieu Bo : «Primitive Rock» - «When the sun goes down I rock around/ Doing a primitive stomp to primitive sound» - c’est apocalyptique de qualité supérieure, n’allez pas perdre votre temps ailleurs, Hipbone Slim c’est comme la Samaritaine, on y trouve tout ce qu’on cherche. Et surtout la classe - «Grab my baby by the hair/ We’re gonna rock it everywhere» (j’attrape ma femme par les cheveux, on va s’éclater dans la cambuse) - comique et sérieux, real primitive. À tomber. Encore un coup de Trafalgar fulgurant avec «I’m The Leg» où il fait son Slim Harpo. C’est complètement dingue de virtualité cabalistique - «When I got a movin’ baby you don’t stand a chance» - Ce mec affole. Il n’arrête pas de déconner - «I got a leg bone, I got a knee bone, I got a hipbone, I got a trombone, yeah ! - C’est comme ça du début à la fin. D’ailleurs, c’est là où Sir Bald dépasse les bornes. Cet humour ravageur qu’il distille à longueur de morceaux s’inspire directement de celui de Bo Diddley.

 

Bo raconte qu’un jour à Chicago son batteur Billy Drowning et son bassiste Jesse James Johnson sont entrés dans un magasin de jouets pour s’acheter des revolvers de cow-boys. Ils sont ressortis du magasin harnachés comme des desperados, portant leurs flingues à la hanche. Évidemment, au coin de la rue ils sont tombés sur des flics. «Come here boy, what’s your name ?» Jesse répondit «Jesse James», puisque c’était son nom. Alors, l’œil mauvais, le flic s’est tourné vers Billy : «Toi, si tu me dis que tu t’appelles Billy the Kid, ça va barder !» Et Billy répondit d’une voix blanche : «My name is Billy». Cette histoire se trouve dans la bio de Bo, l’un des livres les plus drôles et les plus vivants qui soient. L’auteur George T. White eut l’intelligence suprême de s’effacer pour donner la parole à Bo.

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En 2010, Sir Bald et ses copains se sont retrouvés sur Beast Records, le petit label rennais qui grimpe dans les estimes. «Square Guitar» est le premier album Beast et ça démarre avec du pur Bo. Non, franchement, on ne peut pas espérer plus Boyen que «Square Guitar», avec un solo en hoquet au mal de mer et un backing inventif à couper le souffle. Jungle jingle avec «Hindin’ To Nothing» et un joli son de stand-up. Sir Bald chante vraiment comme un dieu. Il va chercher des accents américains à la frontière. Justement, il passe à l’indienne avec «Warpath», et c’est sa poule qui est sur le sentier de la guerre et qui veut le scalper - «I’m in a heap big trouble man, I better pray/ She’s gonna have my scalp today» - et c’est d’autant plus hilarant qu’il est chauve. Il reste dans le grand Bo et il a tout compris. Encore du gros balancé comique avec «Bullnoose», où il se retrouve au volant de sa Cadillac dans un champ face au museau d’un taureau - «I said bull noose daddy can’t you see/ Three’s a crowd, two is company» - fabuleux et inspiré comme pas deux. Puis il passe au Sonics Sound avec «Birdman». Boogaloo voodoo en face B avec «Snake Dancer», beat jungle, admirable à bien des égards, mystérieux et percé d’un solo oriental. Et Sir Bald recoiffe sa couronne de rockab king pour un hallucinant «Half Crazed Daddy», nerveux et sec, dans le pur esprit - «Half crazed daddy, let’s have some fun» - Renversant. Toujours cette distance humoristique avec «One Eyed Monkey» : Sir Bald nous emmène dans la jungle rencontrer un singe borgne et il traite ça au slap - «Way down in the jungle is a coconut tree/ There’s a one-eyed monkey tellin’ how it should be» - magnifique, une vraie histoire en trois couplets coconut jungle et si tu n’es pas d’accord avec le singe, tu vas devoir te battre avec lui. Nouvel hommage spectaculaire au dieu Bo avec «Why Ain’t Bo On My TV ?», aussi fulgurant que ceux d’Eric Burdon - «Let me tell you the story of Ed and Bo» et Sir Bald fait frissonner sa guitare carrée.

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On reste dans les histoires de guitares carrées et chevelues avec l’album «Sir Bald’s Hairy Guitar», sorti lui aussi sur Beast. Et c’est une bête. Quatre énormités s’entassent sur ce disque. «Hold On Here I Come», belle pièce de rockab mid-tempered battu jungle et chanté à la rockalama des grandes heures des dudes d’antan. Sacré chanteur que ce bon Sir Bald. Des spécimens comme lui, vous n’en verrez pas beaucoup dans les parages. Il faut l’entendre lancer son solo avec des cris de bête. Il a tout compris au film. «Run Me Ragged» est aussi embarqué au petit riff rockab, avec une belle profondeur. Un vrai hit de juke. Le son, toujours le son, rien que le son. Il balance un solo de malade mental. Ah, on peut dire qu’il sait fournir l’avoine aux rockers de banlieue. Sur la face B, «What I Gotta Do» guette le promeneur inconscient comme un vautour. Puis on retrouve le fameux «Birdman», pétri dans le binaire d’antan, le côté sale du grand garage de Baldie, avec le solo pourri de génie à la clé - «My mama told me you’re a big bird now/ Jump out of the tree» - Ahhhh ! Gros clin d’œil aux Cramps, évidemment. Puis c’est l’uppercut fatal avec «Tide Gonna Turn», garage métabolique serti d’un solo de notes tirées et d’un riffage de basse de rêve. Quel son !

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Sur la pochette de «Ugly Mobile», Sir Bald brandit sa square guitar comme une hache. C’est là qu’il se vante d’être chauve - «I’m the baldhead shiny man ! Baldhead baby !» - et ça swingue. On a encore du so-solid stuff avec «Sally Mae», énorme, chanté et drôle, avec des chœurs bien swingués. Le coup de génie se trouve en face B et il s’appelle «Indestructible Love». Sir Bald raconte à sa poule qu’elle peut le jeter aux lions, lui attacher une pierre au pied et le jeter à l’eau, l’asperger d’essence et le faire brûler, mais jamais elle ne pourra détruire cet indestructible amour - «Hate me, cremate me, burry me way down deep/ Don’t you know that I’ll come back and I’ll haunt you in your sleep !» - tordant et sacrément bien foutu. Il revient à l’énergie rockab avec «Number One Son». C’est d’une classe insolente, comme toujours. Il chante ça comme un Texan, d’une voix de nez perchée.

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Sur «Sir Bald’s Battle Of The Bands» sorti en 2013, on retrouve des morceaux enregistrés avec des formations diverses et variées, comme Louies & the Louies, en trio avec deux Espagnols qui ont accompagné sur scène des géants comme Ronnie Dawson. On trouve aussi deux morceaux des Kneejerk Reactions, avec Gez et Bruce, et donc du garage énorme comme en témoigne ce «Things Are Turning Ugly», de base Kinks et soloté à la Dave Davies. Sir Bald est l’incarnation du garage anglais. Il en a l’esprit et le son. Il fait un autre groupe qui s’appelle les Beat Seeking Missiles et «Drive Like An Italian» vaut sacrément le détour. C’est le romp de rêve, le vieux hit qu’on adore sans savoir d’où il sort. Dans ce groupe, on retrouve un mec de Supergrass. Apparemment, un album est en cours de réalisation chez Dirty Water Records. Encore un autre groupe avec Sir Bald & the Crowntoppers, encore du garage haut la main. Sir Bald fait très exactement ce qu’il veut. Tu veux du garage, du vrai ? Tiens en voilà. Il perpétue la meilleure tradition, celle qui vient des Pretty Things et des frères Davies. Killer solo, évidemment. Puis ça part en shuffle. Incroyable mais vrai. Ça chauffe bien aussi avec les Legs. C’est même du gros sérieux. Ce serait une grave erreur que de prendre cet album à la légère. Il donne une nouvelle indication du niveau auquel navigue notre Sir Bald chéri.

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Hipbone Slim & The Knee Tremblers sortaient l’an passé «Go Hog Wild», un 25 cm sur un petit label nommé Folc Records. On retrouve sur ce disque dense le mélange habituel de rockab, de boogaloo et de garage auquel l’indicible Sir Bald nous habitue depuis vingt ans. «Crawl Back To Me» tape au cœur du standard rockab, sourd et pulsé. Uns fois de plus, on se croirait chez Meteor en 1956. Et les violentes montées en puissance n’arrangent rien. Sir Bald tape dans le rockab crabe, celui qui avance de travers sur un inexorable mid-tempo. Il passe ensuite au John Lee Hooker jive pour «Shrunken Head». On croit toujours avoir fait le tour du boogie, et Sir Bald se pointe pour nous montrer qu’on se trompe, avec une belle démonstration de boogie-boogah d’une élégance qui dépasse toutes les bornes, absolument toutes. Sir Bald est une sorte de touche-à-tout de génie, comme le fut Kim Fowley pendant quatre ou cinq décennies. Sir Bald mène à bien toutes ses entreprises et ses disques sont là pour en témoigner. Il faut l’entendre chanter «Good For Nothin’». Ce qu’on entend là, c’est tout simplement la meilleure voix de Memphis. Il revient à son boogaloo chéri avec «Onga Bonga Rock». Il adore se balader dans la fête foraine et s’amuser à faire le goo-goo muck pour effaroucher les jeunes filles. L’exotica de pacotille est sa religion. Comme on l’a vu sur scène au Cosmic, il adore Gene Vincent et le rock’n’roll. Alors on se régalera de «Food Man Chew» où en plus il vante les mérites du cannibalisme - Miam Miam, fait-il, en mastiquant un mollet. Et le coup fatal s’appelle «The Twitch», un rockab dément à la Charlie Feathers en partance pour Byzance, avec le gros slap de Gez derrière. Sir Bald revient au second couplet en frissonnant de froid. Il reste incroyablement pur dans son attaque rockab. Il sait tout de la grandeur de l’expressionnisme rockab qu’a si bien incarné Charlie Feathers. On voit bien que ce mec a le feu sacré. Son rockab balaie tout le spectre du genre et il multiplie à l’infini le bop de langue.

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«The Out Of This World Sounds Of Hipbone Slim» vient tout juste de sortir. Pas le temps de souffler, avec cet exterminateur d’oreilles. Nous avons pour commencer une parfaite mise en bouche avec «Sabretooth» et son slap bourbeux. Sir Bald tire ça à l’énergie de la voix. Excellent. Il fait le tigre, évidemment. Roarrrrr ! «Eary On The Eye» est savamment slappé. Pur jus rockab, une fois de plus. Magnifique de déviance éprouvée. Gez slappe ça sourd. Sir Bald chante avec une belle hargne d’anthologie. Dans «Wig Wam», il raconte l’histoire de Bald Eagle et de ses braves. Aigle Chauve, ça va de soi. On entend même voler les tomahawks. Il invente un nouveau genre, le mambo garage, pour «Pretty Plaid Skirt (And Long Black Sox)». C’est possédé par le diable - yeah yeah - avec à la clé un solo de fou échappé de l’asile de Rodez. Sir Bald promène ses doigts sur son manche comme d’autres promènent leur cul sur les remparts de Varsovie. Il sait marier le Bo avec le Screamin’ Jay. Il est à la croisée de tous les bons plans. Il faut bien admettre que ce mec a une vision. Le dernier morceau de l’album est un chef-d’œuvre de heavy blues chanté à l’arrache : «The Wolf Is At Your Door». Ce fourbe génial glisse des wolferies dans le groove du slap. Avant lui, personne n’avait osé faire une chose pareille. Et pour corser l’affaire, Bash nous bat ça rockab à la ramasse. C’est une pièce qui pantèle et qui fume, un pur hit hipbonien, une véritable bénédiction fatale. Dans ce morceau, on retrouve absolument tout ce qu’on aime dans le rock. Fréquenter Sir Bald, c’est une façon d’entrer en osmose avec le cosmos.

 

Signé : Cazengler, Sir Bof

 

Cosmic Trip Festival. The Wild’n’Crazy Rock’n’Roll Festival. 30 mai 2014. Bourges (18)

 

Sir Bald Diddley And His Right Honourable Big Wigs. Surfin’ With. Alopecia Records 1992

 

Sir Bald Diddley And His Right Honourable Big Wigs. What’s In Your fridge ? Alopecia Records 1994

 

Sir Bald Diddley & His Wigs Outs. Nitrous Peroxyde. Alopecia Records 1996

 

Sir Bald Diddley & His Wigs Outs. The Baldy Go. Sympathy For The Record Industry 2000

 

Sir Bald Diddley & His Wigs Outs. The Man With Two Left Hands. Corduroy Records 2001

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. Snake Pit. Voodoo Rhythm 2003

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. Have Knees Will Tremble. Voodoo Rhythm 2004

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. The Sheik Said Shake. Voodoo Rhythm 2008

 

The Kneejerk Reactions. The Electrifying Sounds Of. Screaming Apple 2008

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. The Kneeanderthal Sounds Of. Voodoo Rhythm 2010

 

Sir Bald’ Hairy Guitar. Beast Records 2010

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. Square Guitar. Dirty Water Records 2011

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Hipbone Slim & The Knee Tremblers. Ugly Mobile. Beast Records 2013

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. Sir Bald’s Battle Of The Bands. Beast Records 2013

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. Go Hog Wild. Folc Records 2013

 

Hipbone Slim & The Knee Tremblers. The Out Of This World Sounds Of. Beast Records 2014

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De gauche à droite sur l’illustration : Sil Bald, Gez Gerrard et Bash Brand.

 

FESTIVAL MELOMANIES / ROMILLY SUR SEINE

 

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La teuf-teuf erre un peu dans l'antique cité gallo-romaine de Romulius. Faut dire que Romilly-Sur-Seine est construite toute en longueur et que les organisateurs se sont contentés d'un panneau à l'entrée de la ville et d'un autre, quatre kilomètres plus loin, juste à la sortie. Pour le reste débrouillez-vous. C'est un peu de ma faute, vingt-quatrième édition du festival et c'est la première fois que je m'y rends. Pourtant ce n'est même pas à quarante kilomètres de la maison. Oui mais c'est dans le département voisin, et L'Aube et la Seine & Marne s'ignorent consciencieusement, une frontière morale encore plus infranchissable que le Mur de Berlin, avant la fin de la Guerre Froide. J'avoue aussi que la programmation des années précédentes n'était point trop à mon goût.

 

Ouverture des portes à vingt heures trente qu'ils annoncent sur le prospect, faudra poireauter trois bons quarts d'heures avant que l'on nous laisse investir le lieu. Une grande scène, toute noire et bourrée de matos, tout de suite ça sent l'orga respectueuse des musicos et du public. J'ai oublié de préciser que le festoche est gratuit et qu'il s'étend sur cinq soirées. Pour la boisson, la bouffe et les bonbons – c'est gentil de penser aux enfants – les prix sont plus que modiques, pas de stress, ambiances sympathique et populaire. L'est sûr qu'à ce tarif les jeunes du cru ont compris qu'ils n'ont pas à bouder leur plaisir. Sont venus en nombre et l'enceinte se remplit d'une foule sereine et souriante.

 

 

01 - 07- 2014

 

MARIANNE / WASHINGTON DEAD CATS

 

 

MARIANNE

 

 

Non, excusez-moi de vous décevoir, contrairement à ce que l'on aurait pu supposer Marianne n'est pas une jolie fille, mais un groupe de garçons. Cinq pour être précis. Les régionaux de l'étape du jour. Alex au chant, c'est Flo à la batterie et pas les deux Thom qui sont préposés à la rythmique et à la basse, David est le roi de la lead guitar. Formation classique. Rock français, comprenez que les paroles ne sont pas en anglais. Un peu de rébellion et pas mal de critique sociale. Marianne regarde un peu trop Noir Désir. Quelques injections de poésie en moins. Sympathiques, mais pas mon sirop préféré. N'auront droit qu'à une dizaine de titres. Auraient doublé la mise qu'ils ne m'auraient pas davantage convaincu. Trop l'impression que pour eux le rock est né en France dans les années 80, racines trop courtes.

 

 

WASHINGTON DEAD CATS

 

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C'est pour eux que je suis venu. Sont dans le métier depuis trente ans, mais pas encore l'occasion de les voir. Le groupe psychobilly le plus célèbre du pays, ce qui ne veut pas dire le meilleur. Sont de la mouvance Béruriers Noirs, des alternatifs inter zones mordant aussi bien sur le punk, le rockab, le ska, et autres facettes. Un peu anarchisants et antifachistes, surtout connus pour les homériques batailles de légumes qu'ils provoquaient durant leurs concerts, du temps de leur folle jeunesse. C'est sûr qu'un jet d'artichauts c'est moins dégoûtant qu'un glaviot de fond de gorge et nettement plus écolo-destroy dans l'esprit. Bref des allumés de première qui se définissent comme punkabilly.

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Trois devant, trois derrière. Première ligne au centre Mat dans une chemise country à frange que n'aurait pas renié Roy Rogers, à sa droite Lord Fester, gentilhomme de fortune, arborant couvre-chef de pirate homologué cent pour cent Caraïbe, à sa gauche Carlos et sa basse. Deuxième ligne. A l'extrême gauche Seaweedyo, pas un marin d'eau douce de la batterie, en fait avec Mat et Fester ils forment à eux trois le triangle maudit des Bermudes. Dispensateurs d'énergie infinie. Sur sa droite, The Molls est à la trompette et Kallhim au saxophone, les autres font tellement de boucan que l'on a du mal à saisir leurs interventions, semblent un relégués au bruit de fond.

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Mat mène le bal dans sa chemise rouge. Chante et saute. Saute et chante. Une voix infatigable, peut crier et hurler tout son soul sans que les cordes vocales cassent. Pour les bonds en hauteur reportez-vous au genre d'acrobaties auxquelles se livrait Pete Townshend avec les Who. La guitare en moins. Car celle-ci c'est le Lord festin d'amirauté qui s'en charge. Vous bazarde des riffs qui ressemblent à des bordées de canon. Et il ne tire pas à blanc. Un équipage de vieux pirates qui n'ont pas froid aux yeux. Z'ont l'habitude des coups de vent et des abordages.

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La section cuivre parvient maintenant à se faire entendre. Jouent rarement ensemble. A toi mon vieux pour ce coup-ci, c'est moi qui prendrai le chorus suivant, le sax semble vouloir avaler le micro et la trompette souligne les moments décisifs. Sur un des morceaux le trompettiste s'emparera d'une acoustique et se débrouillera mieux que bien, apportant un parfum rhum-raisin très particulier dans le magma sonore. Tous deux délimitent la base d'un second triangle dont Carlos est le sommet. Très remuant d'ailleurs. Tête folle et mouvante. L'élément incontrôlable qui intervient à volonté. Quelques grenades sur la tête de l'ennemi ne peuvent pas vous faire de mal.

 

Les frères de la côte ont le sourire aux lèvres. Seaweedyo martèle un rythme incessant. Le public danse sur place et leur est tout acquis. C'est huilé à la perfection avec tout ce qu'il faut de semblant de spontanéité et de fraîcheur pour plaire. Des loups de mer qui sont revenus de tous les naufrages et qui n'entendent pas s'en laisser conter. Terriblement entraînant. Très festif. Trop festif. Quelques accélérations punks pour rester fidèles à leur légende, deux titres vaguement rockabilly, quant à la folie psycho elle s'est transformée en bonne humeur généralisée. De la belle ouvrage, mais le navire navigue en eau calme et ne s'approche pas des récifs par trop aiguisés. Ce n'est pas ce soir que la coque and roll s'ouvrira en deux comme la quille du bateau ivre d'Arthur Rimbaud. Hélas ! L'on pensait chercher fortune au bout du monde en des contrées inexplorées et tout se déroule, comme une croisière programmée, à la bonne franquette.

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Un moment de joie et de défoulement. Sur le dernier morceau Mat s'affuble d'une défroque de léopard qu'il jette sur son épaule comme une toge romaine. Mais il ne suffit pas de se draper de la peau du guépard pour l'avoir tué. Les cats ont en général la vie plus dure que cela. Les Washington Dead Cats ronronnent un peu trop sur le canapé du bien-être. Reçoivent toutes les caresses du monde, mais nous les préférons plus faméliques.

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02 - 07 – 2014

 

RHESUS HK / T.A.N.K

 

 

Soirée métal. Comme par hasard la copine prétexte d'une grande fatigue. La veille pour les chatons facétieux de Washington elle s'était montrée très enthousiaste, mais les filles n'aiment pas s'amuser avec les chars d'assaut. Elles regardent les grands gamins que nous sommes avec commisération, et soupirent avec condescendance... L'enceinte est remplie à ras bord. Beaucoup de fans, mais tout le monde a fait un effort, c'est une incroyable collection de T-shirts qui s'offrent au regard. Toute l'histoire du hard sur mannequins, de Deep Purple à Trivium. Le métal décline ses divisions. Mais déjà Rhesus HK monte sur scène.

 

RHESUS HK

 

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Human Karactéristics de Rhesus : assez difficiles à définir, un combo qui n'a pas encore parfaitement modelé son image mais qui possède de sérieux atouts. Apparaissent de prime abord comme des gars sympathiques mais un groupe de métal se doit avant tout de correspondre à sa propre auto-mythologie. Il ne suffit pas de bien jouer, il faut proposer du rêve, du cauchemar et de l'angoisse à l'imaginaire des fans. L'homme ne se nourrit pas seulement du pain, lui faut aussi la violence idéographiée et scénarisée des jeux du cirque. Les politiciens sont parfaitement au courant de cette double postulation, même si à notre époque les foules anonymes se contentent d'ersatz frelatés. Le succès du métal en tant que genre réside justement en ces emblématiques engrammes musicaux que les grands groupes parviennent à créer. Dans nos sociétés marchandes l'emballage est le premier et principal vecteur publicitaire du produit. Si le métal en ses nombreuses déclinaisons séduit tant d'adolescents et de jeunes en révolte, plus ou moins conscientisée, contre l'existence unidimensionnelle et préfabriquée qui les attend, c'est qu'il s'est paré des couleurs fascinantes des écailles du serpent. Dans la scène primitive du jardin paradisiaque ses yeux ne se sont pas portés sur le sexe dénudé d'Eve – rompant ainsi la sainte trinité du rock'n'roll – mais sur la promesse de mort du reptile originel. Aux roses épineuses de l'éros le métal a préféré la sombre noirceur de thanatos. Ont été ainsi ressuscitées les danses macabres médiévales, ces charrettes rituelliques du passage de la grande faucheuse suivie son cortège de zombies assoiffés de notre sang et de monstres répugnants qui ne sont que les prophétiques dessins grossièrement coloriés des emprisonnements divers qui nous guettent afin de nous maintenir dans le carcan des vies serviles que la modernité nous réserve. Alors quand Vincent nous salue d'une manière par trop débonnaire, nous promettant une super soirée, l'on préfèrerait une entrée en matière beaucoup plus rentre-dedans. L'on aimerait mieux entendre se soulever les pierres tombales des vieux cimetières sous la lune chers à Lovecraft ou au moins ouïr dans les bas-fonds nauséeux de notre inconscient le miaulement sinistre, annonciateur du désastre, du chat noir d'Egard Poe.

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Pourtant Vincent est un poème à lui tout seul, ajoutez-en quatre comme moi et vous aurez une idée du gabarit de la bête sous ses cheveux bouclés. Arbore un immense t-shirt noir de Motorhead comme une déclaration de guerre. Sûr qu'ils ne vont pas nous jouer de la musique de premiers communiants. L'a pas saisi le micro que l'eau des bénitiers a dû croupir instantanément dans les églises à dix kilomètres à la ronde. Une voix de sulfure, un glapissement hypnotiseur, un raquèlement de reptile en rut, et la musique derrière qui vous tombe dessus comme une chape de plomb liquide. La batterie lourde comme une moiteur d'orage qui part en Flèche, la basse de Geoffrey qui déploie les bannières noires du désespoir, et les deux guitares de Marcus et de Blake qui vous hachent le tout menu, menu. Les séquences sonores se succèdent, pas trop vite, l'on perçoit très bien la pulsation binaire de base qui nécessite des plans relativement longs pour dresser les décors mentaux.

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Public un peu mou qui va s'y mettre peu à peu pour finir en un pogo d'enfer. Trois ou quatre fois Vincent interrompt la montée en puissance du show pour faire la promo de T.A.N.K., c'est très bien de penser aux copains mais pour le moment c'est le sang du Rhesus HK que l'on aimerait voir couler à flots. Lorsque Sénèque s'est ouvert les veines, n'a pas passé son temps à prédire ce qui se passerait après lui, s'est contenté de jouir de la mise en scène de son propre trépas, n'interrompez pas notre petite mort extatique de coureur de concerts pour nous signaler que celle qui vient après sera encore meilleure.

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Parfois maladroits, leur manque une vision d'ensemble, un projet architectural sonore et imaginal, mais les fondations sont solides. Une prestation qui finira par emporter l'adhésion du public, davantage métal rock que métal death à mon humble avis, définition qui a son importance car c'est sur la réalité de ce que l'on est que l'on construit les plus belles machines de guerre et non pas sur la fantômatique matière dont on s'imagine être constitué. Genre de groupe dont un producteur pygmalion aimerait s'occuper. Empli de possibles qui ne demandent qu'à se matérialiser. Encore faut-il reconnaître dans la couvée les oeufs de feu et de dragon.

 

Rhesus HK, bon sang ne saurait mentir. Laissez-lui le temps de coaguler.

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T.A.N.K

 

THINK OF A NEW KIND

 

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L'acronyme est un programme à lui tout seul. Les chenilles du blindés sont une chrysalide. Le métal conçu comme un augure d'annonce nouvelle. Le volume sonore vous submerge mais tout se passe dans la tête. Derrière les parois étanches de la boîte crânienne, les écoutilles sensorielles fermées à tout jamais, que l'on appelle aussi les portes de la perception. Deux images sont dressées sur la scène. Un scaphandrier qui semble sorti tout droit des illustrations de Vingt Milles lieues Sous La Mer, l'homme dans son aquarium de verre, réduit à ses seules forces, et sur le second panneau une espèce de mutant, silhouette humaine encore mais dont la langue est une longue queue de reptile, un horrible travailleur, un destructeur d'anciennes stèles, un forgeron wagnérien qui n'en finit pas de battre le fer tant qu'il est poussière agglomérée de foudre. La tétralogie comme l'anneau de feu et du métal le plus précieux et oeuf originel de tous les groupes de métal. La musique comme la philosophie s'expérimente à coups de marteaux.

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Trois en lignes longues chevelures tourbillonnantes et guitare à fond la caisse. Et sur les caisses derrière Clem caché par une forêt de cymbales dressées comme des totems claniques. N'ont pas commencé depuis quarante secondes que l'on est transporté dans un autre univers. Bye ! Bye ! Romilly et les copains, nous vivons une expérience de transformation génétique. Nous sommes des mutants. C'est désormais du métal liquide et mercuriel qui coule dans nos veines. La violence peut être aussi régénératrice. Le rock conçu comme un véhicule de délocalisation. Ces chaînes du cerveau que l'on abat pour le bûcher d'Hercule.

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A la guitare Symheris, cheveux blonds de sirène, ces oiseaux de malheur au chant mélodieux qui s'emparent de vous pour mieux concasser la moelle de vos os sur les blancs rochers de son repaire. L'est accroché à son instrument comme le naufragé sur son radeau. Parfois ses deux mains montent sur le manche, ses doigts s'accrochent aux cordes comme des pattes d'araignées et dans la tempête sonore qui submerge tout l'on entend comme des notes féériques, des perles de cristal qui tombent une à une dans la fournaise et l'on a l'impression d'un chant d'alcyon qui suspend pour quelques secondes la colère de l'orage, un leurre pour que le tsunami redouble d'efforts et emporte à jamais les frêles coquilles de nos âmes vers d'épouvantables naufrages.

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Raf est au chant. Frêle comme une aile de goéland que l'on aperçoit de temps en temps battre selon les reflets de la lune noire dans le maelström barbare qu'est devenu l'espace. S'avance et recule. Ne prend le micro que le temps d'injurier les dieux de l'abîme en un étrange sabir guttural, qui résonne comme des fragmences de rêves éteints. Cendres d'empires et pires que cendres. Puis il se retire au fond de la scène, mais revient fidèle au rendez-vous des flots qui recouvrent le monde de leur haine salée.

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Le jumeau démoniaque de Symhéris se nomme Oliv. Noires sont ses lignes de basse, ne ponctue pas le halètement incessant de la batterie de Clem, tout comme Edd à la rythmique, donnent l'illusion – mais en est-ce vraiment une ? vu la richesse du son, de jouer en solo. Une prestation impeccable, du début à la fin. Pogos déclinés sous toutes ses formes de la bourrade amicale aux deux camps qui s'affrontent avec des mineaux d'une dizaine d'années qui traversent ces champs de forte amplitude chaotique pour mieux sentir l'ivresse du danger, Raf qui passe en rafale porté sur le dos à bouts de bras, T.A.N.K. soulève l'enthousiasme. De grande classe. Un set haletant. Un grand groupe.

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Many t(h)ank(s).

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( Somptueueuses photos signées LOR prises sur le facebook de Rhesus hk )

 

MELOMANIES

 

Y avait trois autres journées, un lundi ludique dénommée soirée humour ( !!! ) avec Radio Vitriol et Andreas et Nicolas, le genre de truc qui ne me fait pas rire, rock celtique et festif le jeudi avec les Ramoneurs de Menhirs et Seagulls Are Drunk, je ne me prononcerai pas même sous la torture, le doute de l'ignorance devant être porté au bénéfice de l'accusé, et reggae le jour du poisson en compagnie de The Riots et Isow, un style de musique qui m'a toujours coupé l'herbe sous les pieds.

 

Pour tous les goûts. Z'auraient quand même pu rajouter un dimanche rockab !

 

Damie Chad.

 

 

03 – 07 – 2014 / HD DINER OPERA / PARIS

 

GHOST HIGHWAY

 

Que se passe-t-il ? Attroupement devant les cafés. Paris serait-il en train de glisser vers un soulèvement populaire ? Hélas ! Non ! Ce ne sont que les fous du foot qui attendent la victoire de la France comme si leur sort allait s'en trouver subitement amélioré ! Le sport est devenu le second opium du peuple, d'autant plus dangereux que le premier, l'ancienne religion et son cortège de conservatismes et d'asservissements sociaux et culturels n'en finissent pas de relever la tête. Le temps de garer la teuf-teuf et la grande parousie nationale s'est dégonflée comme une baudruche crevée. Têtes baissées les supporters déçus regagnent tristement leur logis ramenées à l'étroitesse rabougrie de leur existence... Le coeur n'est plus à la fête.

 

Assistance parsemée dans le HD Diner Opéra qui a préféré miser sur le rockabilly que sur le grand écran footballistique. Quatre juillet, fête nationale américaine, rien à faire, ce soir l'on n'échappe pas aux pavillons parcellaires, vivement que la grande étamine noire de l'Anarchie triomphante recouvre les haillons colorés des différences identitaires à sinistre dessein savamment entretenues et cornaquées par les oligarchies financières qui gouvernent le monde. En attendant une femme et son enfant assis au bas d'un arbre juste en face de l'entrée du Diner mendient leur pain dans une indifférence quasi générale. La misère nous souhaite bon appétit.

 

GHOST HIGHWAY

 

Les Ghost sont en place quand Mister B and I pénétrons dans le bar. Nous sommes accueillis par That's Alright Mama joliment balancé. Sont dans leur coin, Phil dans l'encoignure, Jull serré contre le mur, Arno à ses côtés et surprise c'est Djivan des Howlin qui officie à la contrebasse. D'ailleurs ses deux complices des Canines Hurlantes sont venus le supporter. Ambiance décontractée, les Ghost filochent droit sans embardée. Un magnifique 'Cause I Forgot une compo de Mister Jull, un Hello Mary Lou qui permet à Phil de se charger de toute une partie du vocal, et pour le final un Folsom Prison Blues des mieux envoyés bientôt suivi d'un Flyin' Saucers Rock'n'roll à vous faire croire que les martiens sont en train de descendre de leur soucoupe sur le champ de Mars.

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Fin du premier set. Les Ghost passent à table, chacun vaque à ses connaissances personnelles, cigarettes sur le trottoir, discussions diverses... Deuxième service, j'ai la chance d'avoir le nez à quatre-vingt centimètres de la guitare de Jull. Situation idéale pour lui piquer tous ses plans, le problème c'est que je suis incapable de faire vibrer correctement une seule corde. Pourquoi les Dieux ont-ils été si cruels envers ma modeste personne ? Pour Mister Jull, c'est le contraire, à vous faire crever de jalousie. Tant de facilité c'est à vous dégoûter. Jamais pressé et toujours sûr de lui. Comment vous dire ? Ne court pas après l'accord, pas le genre de gigolo à piquer un cent mètres après le bus, attend placidement sous l'abribus qu'il s'arrête juste devant lui et que les portes s'ouvrent en grand pour le laisser monter. Suffit de saisir l'instant. Concept philosophique du kairos longuement mis au point par les penseurs de la Grèce antique. L'instant K des sophistes – si l'étude des écrits de Gorgias et Protagoras vous rebute, servez-vous de la théorie du point G censé vous faire parvenir au summum de l'orgasme féminin, tout de suite je m'aperçois que votre intérêt se réveille – il ne s'agit ni de partir à temps ni d'éjaculer précocement, mais après une fine analyse de la situation initiée par les pairs du combo ou la partenaire en recherche d'absolu, d'intervenir au meilleur escient pour transcender une banale position de départ. Vous avez noté que cette façon d'entrevoir les ou la chose est en totale différenciation avec les théories restreinte ou généralisée de la relativité tant einstenienne que quantique. Bref pour Mister Jull l'accord riffique parfait est avant tout propice. D'où ce son très particulier des Ghost qui n'appartient qu'à eux.

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Phil est en grande forme, son petit espace de survie il l'agrandit en augmentant le volume sonore de sa frappe, vous ne me voyez pas, eh bien vous m'entendrez. Djivan se retient, n'est pas avec ses frères des Howlin, ici pas question de passer en force, il s'applique consciencieusement tout en prenant son air matois de cool cat qui n'attend que la première occasion pour se laisser aller à de plus sauvages chevauchées. Arno soulève l'enthousiasme de la salle et reçoit force applaudissements d'encouragement, s'y reprend à plus de dix fois pour parvenir à chanter l'intro de That's What Daddy Wants, étranglé d'un rire inextinguible dès les quatre premiers mots.

 

Lucas des Crocs Criants prend la gretsch de Jull sur Country Heroes tandis que Arno officie à l'harmonica. L'en profite le Lucas pour recréer la partie guitare à sa guise, nous gratouille une espèce de polyphonie intermittente des plus savoureuses, joue exactement ce à quoi l'on ne s'attend pas mais l'on est obligé de reconnaître la diabolique finesse de son interprétation. Il y a ceux qui suivent les recettes et ceux qui innovent pour relever les saveur.

 

Rien n'est à jeter dans ce second set qui débute par Matchbox et se termine par Johnny Law. Un Cherokee Boogie que l'on crédite souvent à Johnny Horton mais que pour ma part j'attribuerais plutôt à Moon Mullican, un des rares maîtres que ce soit reconnu Jerry Lee Lewis. Un Nervous Wolfman plus que réussi - les Ghost sont au mieux de leur forme sur leurs propres compos – et un Tired & Sleepy qui fit l'unanimité.

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C'est fini. Et c'est là que survient l'amère déception : l'on croyait que les Howlin' Jaws allaient se mettre au boulot, mais la direction ne leur accordera pas la permission d'après-minuit. Heureusement que Phil possède l'antidote à mon chagrin. «  Tu ne voudrais pas cela ? » me demande-t-il et il sort d'une boite en carton une dizaine d'exemplaires du nouveau 45 tours des Hawlin !

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Les Ghost remballent leur matériel, dimanche Phil, Jull et Eddie et Thierry des Ol' Bry accompagnent Wanda Jackson sur scène à Tours. Adoubés par la légende.

 

 

THE HOWLIN' JAWS

 

SLEEPWALKIN' / BUMBLEBEE BOP

 

 

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SPARKLY DESIGN / BLR STUDIO

 

Recorded Live At BLR STUDIO / 45 R.P.M

 

Belle pochette, style anglais, les trois Hawlin' vous regardent et dardent une moue de sourire franchement peu appuyé, blazers à glissières et cravates. Sobre, sur le fond moutarde de fines raies blanches comme une lointaine réminiscence du logo Sun. En banderolle noire, tout en bas une profession de foi : This some kind of stereophobic rock'n'roll sound. Tout un programme. Un bel objet digne des incunables du rock.

 

SLEEPWALKIN' : face A : ça devrait être interdit de laisser les somnambules courir sur les toits à cette vitesse. Accrochez-vous aux cheminées car les Hawlin' ne vous lâcheront plus, rien que les Ah ! Ah ! persifleurs de Lucas sont une invitation programmée au suicide. Aucun répit, de solo de guitare en break de batterie, font tous ce qu'ils peuvent pour précipiter un funeste trébuchement. Des garnements incorrigibles. Je ne parle pas des slaps de contrebasse, à croire que Djivan s'amuse au karaté à casser les tuiles et Baptiste qui suit immédiatement en portant le coup de grâce. Quant à Lucas il a la gratte expéditive, le premier à vous pousser sur la gouttière branlante. Des assassins en puissance. Le pire c'est qu'on le repasse dix fois de suite. On a toujours une petite préférence pour les seria kikllers rock'n'roll.

 

BUMBLEBEE BOP : face B : z'ont été punis de leur méchanceté, transformés en vilains bourdons. A eux de montrer comment ils savent s'y prendre. Ce n'est pas de tout repos. Des aviateurs fous qui ne maîtrisent leur appareil qu'avec difficulté. Une piste cahotante, parviennent à s'élever au-dessus de la cime des arbres, font les fiérots, pensent maîtriser l'univers, hélas en prenant davantage de l'altitude ils s'aperçoivent que ca tangue méchant. S'embarquent dans un piqué à vous oublier dans votre culotte. Redressent la situation on ne sait comment mais faut entendre les cris dans le cockpit pour comprendre que rien ne s'arrange et que tout s'aggrave. Se termine trop brutalement pour que l'on ose espérer un atterrissage en douceur. Quoique ces fous furieux soient encore capables de s'en tirer vivants et de nous refourguer dans trois mois un second 45 du même acabit.

 

Vous avez compris : accrochez-vous aux petites herbes car ce 45 tours risque de vous refiler le vertige jusqu'à la fin de vos jours. Médecine pas douce du tout. Mais très efficace au niveau rock'n'roll.

 

Damie Chad.

 

Nota : un petit test marrant : faites tourner le S(p)leepwalkin en trente-trois tours et vous croirez entendre un disque de british blues, entre Stones et Animals. Des petits gars vraiment pas sérieux, normal des rockers !

 

OUTSIDERS

 

80 FRANC-TIREURS DU ROCK

 

ET DE SES ENVIRONS

 

GUY DAROL

 

( CastorMusic ) / Juin 2014 / 450 pp )

 

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Chez Castor ( la dénomination complète se lit Le Castor Astral ) ils ont commencé dans les années soixante-dix par des recueils de poésie de parfaits inconnus, de vingt pages dactylographiées et ronéotées + couverture en carton coloré montée sur agrafes branlantes, quarante ans plus tard ils publient de véritables bibles de cinq cents pages en tout petits caractères. J'aurais beaucoup de choses à redire sur leurs choix poétiques qui privilégient des formes d'écriture selon mes propres présupposés esthétiques un peu trop faciles mais par contre leur collection musique me paraît nettement plus diversifiée et engageante.

 

Guy Darol un fan de Zappa, je vous conseille de visiter son blogue sur le net, des dizaines d'ouvrages chroniqués depuis des années sur différents journaux. Musique bien sûr mais aussi beaucoup de littérature et pas nécessairement ceux que l'on trouve en tête de gondole dans les grandes surfaces et malheureusement aussi de plus en plus souvent chez les petits libraires obligés de suivre le mouvement... je ne partage pas toujours ses choix mais je m'incline devant sa curiosité d'esprit et ses analyses pénétrantes.

 

Avis aux fans de rockabilly, tout surpris de retrouver l'ancêtre du psychobilly en première page. C'est uniquement parce que Hasil Adkins s'est mécaniquement imposé selon l'ordre alphabétique. Car par la suite les purs rockers se font un peu rares, un bel article sur Screamin' Lord Sutch en fin de parcours, avec au milieu une monographie sur Kim Fowley qui présida à la naissance du I'm Back, I'm Proud de Gene Vincent, et grosso modo c'est à peu près tout. C'est que Guy Darol est beaucoup plus attiré par cette mouvance qui s'est cristallisée autour de Captain Beefheart pour se perdre aujourd'hui dans l'estuaire du Noise. Evidemment si votre esthétique culmine avec les solo de Hank Marvin, vous êtes vite déçus. N'est pas non plus un monomaniaque, éprouve une tendresse toute particulière pour les réprouvés du folk et les dérangés du psychedelic.

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A mon humble avis, l'aurait dû ranger par ordre chronologique de date de naissance, l'aurait ainsi permis de mieux cartographier toute une génération née dans les années de la deuxième guerre mondiale, avec les précurseurs des années trente et les derniers arrivant des glorieuses sixties.

 

Reste à se demander pourquoi tous ces héros sont restés sur les bas-côtés de l'Avenue de la gloire. Facile de répondre qu'ils ne correspondaient pas au goût du public. Le livre permet de comprendre combien celui-ci est façonné par les intérêts pécuniaires des compagnies de disques qui préfèrent vendre des disques que prendre des risques. Ne sont pas des associations humanitaires à buts non lucratifs dont la fin ultime serait l'amélioration de l'espèce humaine. Mais ce n'est pas tout, que l'individu ne se décharge pas systématiquement sur le système.

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L'existe trois types de victimes plus ou moins consentantes. Ceux qui en toute connaissance de cause refusent la célébrité, qui préfèrent vivre dans un anonymat qui leur laisse toute liberté de circuler à leur guise sans être poursuivis par des hordes de fans en furie. Ceux qui depuis qu'ils sont tout petits sont déjà frappés de la cafetière, des paranoïaques congénitaux qui s'imaginent qu'à trois ans un monstre est sorti de la télévision pour les dévorer, des skizoïdes à double inconstance, gentil garçon côté pile et déglingué notoire côté face. Vous ne pouvez pas faire grand chose pour eux. Même la médecine se révèle impuissante. Enfin le gros du bataillon, ont eu vingt ans autour de Woodstock, l'abus de LSD, de petites fumées et diverses autres substances hallucinogènes les a implacablement détruits. Pour un Hendrix étouffé dans son propre vomi combien d'illustres inconnus obligés de se retrouver en asile psychiatrique pour comportement erratique. On a cru que l'on ouvrait les fameuses portes des perceptions chères à Jim Morrison quand souvent on ne faisait que refermer sur soi les portes de l'enfer du manque et de la pleine folie.

 

Difficile de gérer de tels types d'artistes. Guy Darol se contente de les disséquer, avec tendresse. Ne porte à leur encontre aucun jugement moral. Déroule les faits mais ne se pose pas en pépé-la-morale. Souligne avant tout leur contribution à la saga du rock'n'roll. Certains inconnus sont bien plus dignes d'estime que des vedettes mondialement reconnues. Beaucoup sont venus trop tôt pour être compris et les autres trop tard pour être jugés avec bienveillance. Le dictat des modes est un couperet aussi tranchant que la guillotine. Toutes les chroniques sont bâties sur le même modèle : commencent par une évocation poétique de la trajectoire et finissent par une courte discographie, souvent de récentes rééditions. Car la vraie vie de ces existences ratées ne se résument pas en une monographie centrale constituées de lettres et de mots, ils ont avant tout produit des musiques, curieuses, novatrices, oubliées... Le mieux est de lire en farfouillant dans sa bibliothèque à la recherche des disques perdus, et les oreilles surfantes sur le net via YouTube et consorts.

 

Guy Darol nous apprend – qu'il en soit remercié - à être modestes : nous sommes loin de tout connaître, nous dessine la cartographie de continents auditifs sur lesquels nous n'avons jamais abordé, nous remet en perspective des faits auxquels nous n'avions prêté que peu d'importance, bref il chamboule quelque peu la représentation d'une histoire du rock que nous croyions définitives et inamovibles. Le bouquin est un peu trop épais pour l'avoir sans cesse sur soi, dans la poche revolver entre votre fiole de whiskies et vos bank-notes en papier de monnaie de singe. Dommage. Car c'est de l'or en barre.

 

Damie Chad.

 

 

L'ARPEGGIO OSCURO

 

www.arpeggio-oscuro.fr

 

Suivez avec nous chaque semaine le nouveau roman-feuilleton imaginé par Hervé Picart, l’auteur de L’Arcamonde. Accompagnez le musicologue londonien Vernon Gabriel, amateur de rock patiné et d’instruments millésimés, dans l’étrange enquête qu’il doit entreprendre sans l’avoir souhaité. Découvrez le lien improbable qui unit d’idéalistes musiciens du Siècle des Lumières et les membres d’un groupe de heavy metal tarabiscoté, disparus les uns après les autres, tous victimes de leur quête d’un schéma harmonique périlleux. Pénétrez au cœur du mystère de L’Arpeggio Oscuro.

 



 

Est-il besoin de spécifier que le dénommé Hervé Picart tenait la rubrique des disques de Hard-Rock dans la légendaire revue BEST ?

 

Mis en ligne toutes les semaines depuis la fin 2013, 33 épisodes déjà parus.

 

Bonne lecture !

 

03/07/2014

KR'TNT ! ¤ 196 : BRIAN JONESTOWN MASSACRE / SPUNYBOYS / HOOP'S 45 / LOREANN'

 

KR'TNT ! ¤ 196

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

03 / 07 / 2014

 

 

BRIAN JONESTOWN MASSACRE / SPUNYBOYS

HOOP'S 45 / LOREANN' /

 

 

Le 106 / ROUEN (76 ) / 22 – 05 – 14

 

 

BRIAN JONESTOWN MASSACRE

 

 

MASSACRE A LA RONRONNEUSE

 

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Pour entrer dans l’univers psyché-sixties du Brian Jonestown Massacre par la grande porte, l’idéal est de voir (ou de revoir) «Dig !», l’excellent docu d’Ondi Timoner sorti en 2004.

 

Étrange idée qu’a eue cette étudiante de tourner des centaines d’heures de rushes sur ces deux groupes américains, les Dandy Warhols et le Brian Jonestown Massacre. Avec sa caméra, elle a suivi les deux groupes pendant sept ans. Pendant la première demi-heure du film, on patauge dans la gadouille. On voit trop de personnages aux identités incertaines. Le Brian Jonestown Massacre tape dans le revival sixties, comme les Chesterfield Kings. Ils cultivent eux aussi le mythe de Brian Jones : rouflaquettes énormes, guitares Vox, tambourins, coupes frangées et grosse énergie psyché. Ondi recentre vite son docu sur deux personnalités : le chanteur guitariste Anton Newcombe et son tambouriniste fidèle, Joel Gion. Si Anton Newcombe est la bête, Joel Gion est la star. Grâce à la ténacité d’Ondi, Anton Newcombe va sortir de l’ombre et révéler au monde sa stature de rock’n’roll animal de premier niveau. C’est un brun aux cheveux raides et à grosses rouflaquettes. Il écrit des centaines de chansons, joue de tous les instruments, ne pense qu’à la musique et frappe ses musiciens quand ils font des fausses notes. Anton Newcombe, c’est l’œil du cyclone. La progression du film est si bien faite qu’on découvre peu à peu son envergure. Anton Newcombe n’a rien, pas d’argent, pas de maison. C’est un SDF. Ondi mène l’enquête et retrouve ses parents. Le père s’est barré quand Anton avait un an. Il se suicidera peu après la visite d’Ondi. La mère est une grosse salope qui dénonçait Anton à la police quand, petit, il faisait pousser de l’herbe. Avec des vieux comme ceux-là, il était plutôt mal barré, pas vrai ?

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Puis on voit des extraits de concerts californiens extravagants. Anton Newcombe n’hésite pas à se présenter comme the Next Big Thing. Sur scène, la ligne de front est très dense : trois guitaristes et Joel Gion au tambourin. Ils ont le power. Leur son est raunchy, on sent la patte du gros groupe américain bourré de talent. Pour un concert au Viper Room de Los Angeles, le business afflue, attiré par le fromage. Mais Anton fout une merde terrible, il vire ses guitaristes. Joel Gion avoue en rigolant qu’il a quitté le groupe 21 fois. Pour Anton, c’est le chaos sinon rien. Pas question de vendre son âme au diable, c’est-à-dire aux majors. Il répétera à plusieurs reprises «I’m not on sale !». Il se pourrait fort bien que ce mec soit l’un des derniers grands rockers américains vivants. En tous les cas, il finit par intéresser Greg Shaw, légende à deux pattes et fondateur de Bomp. Pour Greg Shaw, Anton Newcombe est une sorte de prophète, pas un jerk. Anton accepte d’enregistrer son prochain disque sur Bomp. En échange, Greg loue une maison à Los Angeles pour le groupe. L’épisode de la maison ravive tous les vieux mythes : la villa des Stones à Villefranche-sur-Mer, la maison du MC5 à Ann Arbor, la maison du Magic Band à Woodland Hills. Ondi va rentrer dans cette maison avec sa caméra et ramener les plus grandes images de l’histoire du cinéma rock. Elle surprend les musiciens au réveil et on les voit s’emparer aussitôt de leurs guitares avant même d’avoir bu un café. On voit traîner de drôles de lascars. Ondi n’insiste pas. Jeff Davies, par exemple, guitariste génial qui sort de détox. De cette bande hirsute sortiront des membres des Warlocks et du Black Rebel Motorcycle Club. La maison du Brian Jonestown Massacre devient un lieu culte où les fêtes se succèdent. On y voit passer des gens comme Harry Dean Stanton. C’est dans cette maison que le Brian Jonestown Massacre enregistre l’album «Give It Back». Attirés par un tel parfum de légende, les Dandy Warhols viennent y faire une séance photo. Voilà tout le paradoxe du film : les Dandy Warhols et le Brian Jonestown Massacre sont amis mais tout les sépare. Chaque fois qu’Anton Newcombe écrit une chanson, il écrase l’autre moule à gaufres de Courtney Taylor par son génie de songwriter. Les Dandys Warhols sont dans le carriérisme et le Brian Jonestown Massacre dans le no sell out. Anton Newcombe a une classe que Courtney Taylor n’aura jamais. Il faut voir Anton coiffé de sa toque en fourrure, les joues mangées par d’énormes rouflaquettes, déambuler dans les rues de New York en patins à roulettes et se casser la gueule. Il a la dégaine d’un Elvis trash, ainsi vêtu de blanc avec ses immenses lunettes à verres jaunes. Ondi va nous montrer tout le côté putassier des Dandy Warhols, avec leurs clips MTV qui coûtent des fortunes, leur contrat chez Capitol, leurs disques qui ne marchent pas, la faiblesse de leurs chansons, alors que Courtney Taylor pense qu’il écrit des hits. Ondi nous montre toute cette mascarade, le succès des Dandy Warhols en Grèce et dans les festivals européens. Mais leur musique est définitivement insignifiante. Ils tentent même de réinventer la Factory à Portland parce qu’ils ont Warhol dans le nom de leur groupe. Ondi nous montrera aussi leurs mariages et on entendra les musiciens dire qu’il vaut mieux avoir la tête sur les épaules pour pouvoir payer les loyers et acheter ces grosses voitures dont les Américains sont si friands. Il est évident que le conformisme des Dandy Warhols sert à mettre en valeur le génie trashy du Brian Jonestown Massacre. Le clou de «Dig !», c’est la tournée américaine d’Anton et de son groupe. Ils partent en van à travers les USA et donnent des concerts improbables. À Cleveland, ils jouent dans le local du parti communiste. C’est le sommet du trash. On voit des mecs taper sur les musiciens. Ils embarquent Joel Gion dans un coin pour le tabasser. C’est le chaos total.

 

Sur la route, le groupe est incontrôlable. Anton fume de l’herbe et de l’héro pour se maintenir éveillé et pouvoir conduire. Les officiels racontent à Ondi qu’ils aiment bien le Brian Jonestown Massacre, mais qu’il est impossible de bosser avec eux. Le groupe arrive à New York par miracle et repart vers les états du Sud pour la suite de la tournée. Mais le voyage s’arrête à Homer, en Georgie. Contrôle routier. Des gros flics dégueulasses trouvent de l’herbe dans le van. Ondi filme. Joel Gion se marre. Il ne fait que ça tout au long du film, se marrer. Il porte les mêmes lunettes que celles de Brian Jones dans le clip de «Jumping Jack Flash». Anton Newcombe va au trou. Heureusement, Greg Shaw le fait sortir, mais le groupe explose.

 

Finalement, le Brian Jonestown décroche un contrat chez TVT Records, le plus gros label indé américain. Ce n’est pas Anton qui va à New York signer le contrat, on a trop peur qu’il fasse tout foirer, mais Joel Gion, avec des lunettes démentes d’extra-terrestre. Joel Gion se fend la pipe. Dès qu’il apparaît, quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise, la salle est pliée de rire.

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«Not If You Were The Last Dandy On Earth» est l’un des gros hits d’Anton, composé en réponse au «Not If You Were The Last Junkie On Earth» des Dandy Warhols. Il le fait écouter à Courtney Taylor dans une voiture. Taylor est écrasé. Anton ajoute : «C’est psycho !» Le Brian Jonestown Massacre part au Japon et Anton passe à l’héro. Il a une tête de zombie et ses rouflaquettes poussent de façon démesurée. Il compose encore et encore. Il s’enfonce dans un maelström musical, comme Brian Wilson. C’est l’époque de l’album «Strung Out In Heaven». Anton vire tous les musiciens. Il part en tournée avec sa sœur qui chante comme une casserole. Un mec du public insulte la casserole. Anton lui dit de s’approcher, s’il a du courage. Le mec arrive et Anton lui envoie un coup de pompe en pleine gueule. La police arrête Anton pour agression. Suite et jamais fin du chaos. Anton crache sur le music business, sur tous ces fucking assholes qui ruinent l’esprit du rock. Affalé au fond de son canapé de ringard opportuniste, Courtney Taylor explique nonchalamment qu’Anton sera toujours «ahead of his time».

 

Et le vertige continue avec les albums. Une palanquée d’albums. Anton passe sa vie à composer des classiques garage ou psyché. Pour le suivre, il faut des moyens. Ses albums sont tous très beaux, tous des gros vinyles, et ils coûtent la peau des fesses. Pendant un temps, il fut impossible de le voir sur scène : les places des concerts parisiens s’envolaient en deux heures. Anton est devenu une espèce de superstar underground et sa renommée continue de faire boule de neige. Pour ceux qui n’ont ni le temps ni les moyens d’entrer de plain-pied dans l’œuvre d’Anton Newcombe, le plus radical est d’écouter une fabuleuse rétrospective, «Tepid Peppermint Wonderland», parue en 2004 et qui en plus vient tout juste d’être rééditée. Anton a tiré des morceaux de tous ses albums et ça permet de voyager avec lui à travers les époques et de constater une chose : il reste constamment dans le haut de gamme. Ce double album regorge d’énormités. «Who» est un fantastique hommage druggy à Brian Jones, le dandy du XXe siècle. On se régale du beat descendant de «Servo», une prophetic-song donavanesque, groove malsain de Californie, à la fois violent et enchanteur, la mort et le soleil, un doux rêve près de l’horreur sanglante, pas de contraste plus dangereux. Il faut se souvenir que tous les satanistes allaient se faire dorer la pilule en Californie et devenaient ainsi la honte du diable. «If Love Is The Drug» est un psyché-beat doom de tambourin doté d’une belle ambiance cauchemardesque. On reste dans le très lourd avec de la fuzz distante, des voix de filles défoncées et des voix d’hommes atrophiées. Ça monte en puissance, voilà la force du collectif. Salutaire et clinquant, «Straight Up And Down» claque aux accords du diable. C’est une psyché californienne extravagante de puissance traversière. Ça pue les drogues à dix kilomètres à la ronde. C’est monté sur une mélodie défoncée digne des Stones, s’ils avaient osé aller jusque là. Brian Jones aurait osé. Alors Anton donne la main à son héros Brian Jones, la main dont il rêvait, et cette débauche psyché qu’il a incarnée avec tellement, oh tellement de flamboyance. Que les maudits connards qui ont osé critiquer Brian Jones aillent rôtir en enfer. Et ça part en solo en l’honneur du grand Brian Jones. «Anemone» s’installe dans le lent et le beau. On s’est grillé la cervelle, alors on a le temps de déconner et de laisser couler des accords pour jouer le groove de la ramasse. Voilà encore une pièce fabuleuse de décadence qui tombe vers l’avant - you should have picked me up - elle parle au ralenti, on est dans le break rouge d’un trip avancé, la raison échappe au regard, on ne sait plus où poser le pied, et c’est monstrueux de toxicité.

 

Le disk 2 est encore plus secouant. Anton nous chante «That Girl Suicide» perché puis ça part dans les impudeurs, avec de belles virées dans la violence. C’est admirable de fourberie psyché. Anton a des idées fantastiques. Il redouble d’inspiration sauvage, avec un solo dégueulasse qui traverses les couches comme le ver traverse la pomme. Heavy psyché avec «Evergreen», somptueux, emmêlé des crayons, rampant et même rampé, plus aucune trace d’élégance. Encore un hit fabuleux accroché à la gloire du quotidien avec «In My Life», plombé d’énormité et de riffs gluants. Rien qu’avec ça, il mérite sa couronne de superstar. Son rock est naturellement trashy. Il n’a pas besoin d’en rajouter. Avec «Mary Please», il s’amuse à sonner comme Oasis, dans le descendant et le druggy. C’est fabuleusement écroulé contre le mur, dément, lazy et pas pressé. On avance, on sait bien que quand on est défoncé, on y va doucement. Voilà ce que raconte la musique d’Anton Newcombe : le vertige sublime de la défonce. Comme Lou Reed, il en fait de l’art. Mais pas de l’art à la petite semaine. Puissance pure avec «Talk Action Shit», tambourin, sale garage, pur génie. Tout est là. Le rampage. Sourd et terrible. Il peut aussi sonner comme les Byrds si ça lui chante, et il le fait avec «This Is Why You Love Me» et on retombe sur l’un des hits du siècle, «Not If You Were The last Dandy On Earth», la clameur - and you look good - suivi par une guitare aux abois, rien que la partie de guitare, c’est de la folie douloureuse, une pure giclée d’héro dans le bras. Sur ce disk, tout est énorme, comme ce «Feel So Good», avec sa progression démente sur des violons, encore un hit psychédélique, encore une idée qui fait le moine. Anton Newcombe est un géant. Une voix ingénue se perd sur une violonnade à la «Walk On The Wild Side», et un solo suit comme un chien fidèle. Anton reprend la barre, aussi défoncé qu’elle. L’ambiance reste mortellement bonne, on s’habitue - I want to feel so good - à s’en faire péter la cervelle plutôt que le ventre. Et puis arrive ce solo-chien malade de distorse. Et ça monte encore.

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«Spacegirl & Other Favorites» est le premier album du groupe sorti en 1995. Dès «Crushed», le premier morceau, on plonge dans le heavy psychout. La caravane s’ébranle à travers les sables verts de Zabriskie, jusqu’à l’horizon où flotte le rond du soleil levant. Mystère des sables et puissance de la résonance, avec des lignes de basse errantes, magnificence crépusculée d’avance. Cette basse caoutchouteuse rôde comme une hyène, alors on l’observe avec l’air neutre qu’il faut toujours afficher, pour ne pas effrayer les hommes de la patrouille. Le souffle du Massacre est tellement puissant que le sable se ride en surface comme la peau d’une vieille pensionnaire de harem. Basse hyène de rêve dont la silhouette court sur l’horizon. On glisse assurément vers les lointaines régions de non-retour. C’est sur cet album que ce trouve «That Girl Suicide», monté comme un standard des Byrds, avec cette même insistance du son sacré. «When I Was Yesterday» est un autre groove à la Masssacre, amené doucement et versé dans des lacs tièdes, en amont des fourches caudines, là où nul humain n’est encore jamais allé, là où la perception atteint les limites de la transversalité, là où l’embellissement devient purement latéral.

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«Methodrome» sort la même année. Dès «Wisdom», on assiste à une belle montée en masse des accords sur le front de l’Est. Voilà encore un groove d’une rare puissance. Greg Shaw devait être ravi d’entendre ça. Ils font du Spacemen 3 avec «Hyperventilation», du groove méchant et sournois. Anton chante ça l’œil mauvais, il geint comme un voyou pasolinien qui prépare un mauvais coup, et puis ça explose. Des éclairs zèbrent le background du morceau. Le hit du disque s’appelle «She’s Gone», qui est une pièce de groove éléphant, celui qui écrase les plates-bandes. Il commence par traverser les jardins et puis deveniez ce qu’il fait ensuite ? Oui, il entre dans le magasin de porcelaine, mais comme il est raffiné, il ne casse rien. Il se glisse comme un chat entre les neurones de porcelaine.

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«Their Satanic Majesties Second Request» sort l’année suivante. Cet album est rempli à ras bord de grooves infectueux comme «All Around You» ou «Cold On The Couch». Ils adorent groover lentement et sûrement. C’est le vrai groove californien, bien huilé sous le soleil ardent et qui ne vit que d’hallucinations. Les drogues sont bien meilleures sous le soleil californien, tout le monde le sait. Avec «Jesus», ils renouent avec le groove du Dandy, beau et dramatique, un peu hanté et même très ralenti. Anton prend un solo en note à note, l’archétype de la drug-song parabolique, l’idéal druggy absolu. «Anemone» se niche sur cet album, et on retrouve la violence du groove doomy secoué au tambourin provençal. Extraordinaire pièce d’à-propos dans laquelle Anton demande quelque chose à sa copine, mais il ne se souvient plus quoi. Il essaye d’atteindre un objet de la main, mais il ne se souvient plus quel objet ni quelle main. Alors il écoute ce qu’elle dit, mais il ne sait pas de quoi elle parle. On est dans le groove de la vape.

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«Take It From The Man» sort la même année. Anton jure que le fantôme de Brian Jones est venu le trouver dans le studio pour lui demander de faire cet album. Brian lui a aussi demandé d’aller casser la gueule à Keef et à Mick parce qu’ils lui ont piqué son groupe, sa musique, sa fiancée et son pognon. En prime, ils l’ont fait buter. «Who» est cette merveille psyché rendue sauvage par des youihhh jetés en l’air et doublée d’un riff incroyablement classieux. On reste au paradis du garage psyché avec «Caress», on reste au centre du cercle des dolmens sacrés de la tradition écarlate. C’est d’une précieuse véracité, du pur jus de juke, on reste dans la quadrature du cercle magique Bomp. On voit bien qu’une belle dose de génie coule dans les veines d’Anton Newcombe. Il passe au garage sévère avec «Take It From The Man». Il chante ça avec du venin et derrière on entend des chœurs incroyablement défaits, des ouh-yeah incertains, posés au hasard des pulsions libidinales et ça continue pendant le solo d’harmo. «Monkey Puzzle» est une autre pièce de garage ardu qui prend la gorge. C’est d’une actualité mordante et ils nous saupoudrent tout ça à la vieille mode des Byrds. Si on cherche du fascinant, on est servi.

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«Give It Back» s’ouvre sur «Supersonic», un groove psyché de haut vol orientalisant. Ils tapent dans les Byrds pour «This Is Why You Love Me» et pondent un beau hit sixties joliment fileté à la mélodie et arpéggié en moderato subliminal. Excellence de l’apparence. Puis ils riffent salement «Satellite» pour en faire un coup d’éclat malsain. Ce mec peut vraiment hanter les esprits. Il va se nicher là où ne vont pas les autres. C’est un tuteur d’aisance malodorante à la Maldoror. Pourquoi est-ce un vrai hit pop sale ? Parce qu’il traîne des pieds. Et on retombe dans la magie du Last Dandy On Earth, le hit imparable amené à la hurlante de guitare, chanté à l’essoufflement, construit comme une lente montée inexorable vers une explosion en pah-pah-pah doublée de petits chœurs de Sioux - She’s like a sixties movie/ You know what I mean/ And you look so good/ And you look so wasted/ And baby I know why. L’autre hit du groupe se trouve à la suite. Avec «Servo», le Massacre la joue pop, dans l’esprit des plus grands hits californiens.

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Autre très gros disk du groupe d’Anton, «Thank God For The Mental Illness» et un joli clin d’œil à Dylan avec un «13» digne de «Highway 61», bourré de gros gimmicks bloomiques à la sauce Newcombe. Franchement, c’est une énormité qui vaut le détour. «Ballad Of Jim Jones» est encore plus dylanesque. Lancé à l’harmo des enfers, il revisite par son épaisseur le mythe du folk-rock revisited à la Dylan, avec un son grandiose. Anton Newcombe renoue avec l’éclat des sixties compatissantes. Heavy groove sacrément joué avec «Too Crazy To Care» au regard encore embué de druggy motion, harmo dans la mélasse, le groove titube, il avance d’un pas hésitant en s’appuyant contre le mur. Now next one, lance-t-il d’un ton sec. Justement, ça tombe bien : une jolie pièce de garage californien, «Talk Action Shit» arrive, violente et malsaine. Anton fait sa carne et derrière ça claque du tambourin. Anton fait les Stones en plus violent et c’est vraiment tout ce qu’on demande au garage : sonner comme ça. Juste sonner comme ça. C’est pourtant pas compliqué, non ? Album d’autant plus admirable qu’on lit ceci sur la pochette : «Enregistré live le 11 juillet 1996 à la maison pour un coût total de 17,36 $. Pas de shit. Si vous n’appréciez pas, Pas de pelle non plus pour ramasser le shit.» Non, Anton Newcombe ne fournit pas la pelle à merde. C’est sa façon de vous dire d’aller vous faire voir ailleurs si vous n’aimez pas sa musique.

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Quand l’album «Strung Out In Heaven» est sorti en 1998, on faisait la fine bouche. Et pourtant, trois ou quatre bombes se nichent sur ce disque. «Going To Hell» est un gros hit psyché qui, bizarrement, ne figure pas sur la rétrospective. C’est un cut flamboyant remué par des explosions d’accords acides sous le soleil - I live in a dream but you’re living in hell - et ça enchaîne avec un solo en note à note, ça coule des cuisses, ça explose à l’horizon, c’est toujours du druggy rock conquérant sans concurrence. Belle intro à la note hurlante pour «Got My Eye On You», bien battu au beat, hommage aux diables dorés de Californie. Anton y va de bon cœur, son groove provoque toujours l’admiration et on entend un mec pianoter à l’envers. Vraiment dingue, comme si les flammes du brasier avaient des yeux bleus. «Love» est une bluesy love song lysergique à la Spiritualized avec un départ de fin de journée compliquée, poussif et lourd, ah non pas envie, péniblement poussé au beat et le morceau se remplit comme la baignoire de la mort. Et puis on a cette pièce de doom californien, «Wisdom», heavy en diable, l’autre hit de l’album, un rock qui descend en longueur et qu’Anton partage avec une fille. Alors ça devient sérieux, car elle amène de la sensualité psyché à cette affaire qui prend une ampleur fantasmagorique particulière. C’est claqué d’accords ralentis qui tombent tous les uns après les autres du haut de la falaise de marbre et Anton reprend la main d’une voix ferme - but he said there’s no way - c’est puissant et dramatique - don’t you kill you - Effarant. C’est pas si compliqué d’effarer. Il pousse le bouchon, comme d’usage et il embarque les brebis égarées chez notre vieil ami le cornu. Sex drugs and rock’n’roll, baby.

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Dans «Bravery Repetition & Noise», on trouve le groove le plus druggy de la troisième dimension : «Open Eye Surgery». On voit rarement des grooves qui ont autant de mal à marcher droit. Celui-là titube. Son pas hésite. Il ne sait pas dans quelle direction aller. Le riff si adroitement joué semble lui aussi en décalage total. Mais le reste de l’album refuse obstinément de décoller.

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Pas mal de bonnes choses sur «And This Is Our Music», paru en 2002, et notamment «Geezers» qui évoque les Stones de Satanic Majesties : même ambiance, mêmes bouquets de chœurs, tout nous renvoie à cet album maudit. L’ardeur groovy d’Anton Newcombe ne connaît pas de limites. «Here It Comes» est un balladif heavy et ralenti du bulbe. Anton Newcombe va chercher ses frissons dans la gélatine du paradoxe. Le reste ne l’intéresse pas. C’est un égaré qui adore s’égarer. Une sorte de torpeur règne sur cet album et c’est pour cette raison qu’on le respecte et qu’on l’admire. C’est un pourvoyeur de non-lieux, un fabuleux diseur de non-aventure. «A New Low In Getting High» est digne de Buffalo Springfield. Bon beat, sévèrement embarqué, chant à la ramasse intestine. On retrouve la chaleur du californian hell. Voilà encore une petite merveille de groove dégingandé, parfaitement capable de sauver un album peu soigneux.

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«My Bloody Underground» commence mal. Anton demande qu’on lui apporte la tête de Paul McCartney. «Bring Me The Head Of Paul McCartney» est encore du psyché à la ramasse, bien pentu et très fumeux. Anton erre parmi les tournesols et les azurs marmoréens. Il coule une belle cascade psyché mirobolante. Retour à la mad psyché avec «Infinite Wisdom Tooth», allez les gars, tapez dans le pink du gras. C’est à fois embarqué et embarquant. Jolie pièce de groove perturbé, avec une sorte de précipitation au niveau de la circulation sanguine, un vrai rush folâtre et brumâtre. On ne sait pas trop quoi penser. Tous les morceaux sont longs sur ce bloody disk, Anton est un mec qui a le temps. Pour lui rien ne presse, il n’est pas comme les autres, ceux qui sont en prod. Belle pièce de piano chopinée et étalée dans le temps avec «We Are The Niagara Of The World». Anton tient ses fans par la barbichette. Pour les filles, on ne sait pas. Psyché toujours avec «Who Cares Why», vraie apologie des drogues et de la druggy motion, pas loin de l’exotisme hypnotique, bande-son du bon vieux trip, on la reconnaît dès les premières mesures. On entend son cœur battre. Le trip reste certainement l’expérience la plus insolite qu’on puisse faire dans une vie. God comme on adorait ça. La cervelle est faite pour la surchauffe et pour la chimie. Elle s’y prête bien. Anton a tout compris. Garage violent et grosse basse effervescente dans «Golden Frost», monstrueux space-rock à décrocher la lune. Et retour insolent à la mad psychedelia avec «Just Like Kicking Jesus», pièce extravagante et énorme, verte et mauve, à la ramasse de la mélasse, univers d’absorption, drug-song évanescente qui te coule dans le cerveau comme la speed-dance des dieux, une mer de bénédiction esquintée au LSD, la plus belle drug-song de tous les temps. Plus la peine de prendre un acide, il suffit juste d’écouter ce cut pour partir en compagnie d’Anton le diable vert du diable vauvert. Digne de Spiritualized. Et puis quoi encore ? «Monkey Powder», nouvel univers, invitation au voyage en calèche à travers les Carpathes psychédéliques sous un ciel rouge de sang.

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«Who Killed Sergent Pepper» s’ouvre sur tempo jive de zone B allumé qui s’appelle «Tempo 116.7 (reaching for dangerous levels of sobriety)», dans une ambiance de studio abandonné des dieux. Pire encore, «Hunger Hnifur» semble chanté depuis le fond de ce même studio. On ne sait pas qui joue sur cet album et on s’en fout éperdument. «Let’s Go Fucking Mental» reste dans les mêmes eaux : jam heavy qui met un temps fou à gagner la surface. Anton va chercher des grooves druggy toujours aussi exceptionnels. Au moins il ne fait pas semblant. Let’s go fucking mental, la la la. Et puis on tombe sur «This Is The First Of Your Last Warnings», druggy groove arabisant de la médina de la soute du souk à la dérive des derviches sulfureux. On assiste à l’arrivée de grosses notes de basse soutenues par des claquages d’accords acoustiques - eh oh - Comme Jim Dickinson avec les Trashed Romeos, Anton Newcombe sait faire monter une grosse note de basse au moment opportun. Comme son nom l’indique, «Super Fucked» est un groove hypnotique à la ramasse chanté d’une voix pâteuse, idéale pour célébrer la grandeur de la décadence.

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«Aufheben» va continuer le travail de sape commencé depuis bientôt vingt ans. Orientalisme groovitant («Panic In Babylon»), groove de machine à la noix de coco («Gaz Hilarant»), et groove Massacre pur avec «I Want To Hold Your Hand». Anton ne se casse pas la tête. Il sort son groove habituel. On reste en terrain de connaissance. Pas de surprise. C’est le vieux groove détaché du rivage qui part doucement à la dérive, monté sur le même vieux plan d’échappée et chanté à la voix mal réveillée d’une descente de trip. Retour à la stonesy avec «Stairway To The Party In The Universe», car on y entend poindre le thème de «Paint It Black» d’une manière fabuleusement subtile. C’est là où l’ami Newcombe est très fort. Il suggère. Dans «Seven Kinds Of Wonderful», on entend chanter des femmes de l’Irak antique. Quelle étonnante foison d’exotisme psyché ! Le joli groove de «Waking Up To Hand Grenades» se met en route pour le bonheur des petits et des grands. Il semble qu’Anton Newcombe soit entré dans un univers de rêveries hermétiques dignes de Paracelse.

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Tiens ! Son dernier album vient tout juste de sortir dans les magasins. Belle pochette bleue et photo-montage psychédélique. On se retrouve une fois de plus avec un gros double vinyle dans les pattes. Anton de lésine pas. Il veut que ses fans aient des beaux objets dans leur collection de disques, alors il fait travailler des artisans sérieux. Sur ce nouvel album, on trouve pas mal de bonnes choses et notamment «What You Isn’t», bien poundé, bien marqué en termes de territoire. Anton nous propose une pop qui prend de l’envol. Alors attention. C’est un hit. Un de plus. Oh, il n’est plus à ça près. On entend rôder une belle ligne de basse. Elle descend et elle remonte. On appelle ça une bassline de rêve. On entend les mêmes chez The Bevis Frond et chez Baby Woodrose. Un hasard ? Mais non, il n’y a pas de hasard, Balthazar. Tous ces gens-là savent faire du bon psyché et de très bons disques. Rien à voir avec les Black Angels et tous les autres honteux pompeurs de Thirteen Floor Elevators. Anton Newcombe vit le rock psyché de l’intérieur depuis plus de vingt ans et après autant de bons disques, il n’a vraiment plus rien à prouver. La seule chose qui l’intéresse, en plus de Brian Jones, c’est l’art suprême du groove. C’est ce qu’on comprend en entendant cette grosse basse lourde voyager dans le fond du cut. Bien sûr, il faut aussi un thème musical lancinant, comme c’est ici le cas. Son groove est tellement bien foutu qu’on souhaiterait qu’il se déroule à l’infini et qu’il ne s’arrête jamais. «Memory Camp» est aussi une pièce de groove à la ramasse. Anton travaille ses beaux thèmes au doigt. Il gratte ses notes de bas en haut, contrairement à ce que font tous les autres guitaristes, qui grattent du haut vers le bas. Il est passé maître dans cet art-là. Il continue d’explorer les arcanes de l’âtre suprême, celui qui ronfle en la demeure, avec des montées de pâleur dans l’éclat des flammes. Ce grand œuvre psyché-philosophal n’appartient qu’à lui. Il est le maître des châteaux d’Espagne, riche comme mille rois de Perse et perclus de magies insolentes. Il revient au thème de Dandy pour «Fool For Clouds». C’est de bonne guerre. Quand on dispose d’un si beau thème, autant en profiter et l’utiliser dans d’autres variations. Et puis il conclut son affaire avec un nouveau clin d’œil magistral aux Stones : «Goodbye (Buterfly)». Anton Newcombe manie une fois de plus l’excellence avec brio. Ses copains envoient les chœurs de «Sympathy For The Devil» et dans sa chanson, il envisage de mourir, mais il risque de continuer à vivre pour l’éternité, comme son cousin Dracula. Son adieu aux armes est d’une classe terrible.

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Nos amis groovers étaient de passage à Rouen par un beau soir de mai. Quatre guitaristes, un batteur, un bassman et Joel Gion au tambourin, ça fait beaucoup de monde sur scène. Anton Newcombe se met un peu en retrait sur la gauche et laisse la pole-position à un gros ventru en maillot rayé. Ce qui frappe chez Newcombe, c’est la prestance de son immobilisme. Il ne porte que du denim et gratte une antique demi-caisse rouge. D’ailleurs, les quatre guitares sont toutes des demi-caisses. Inutile de dire que le son est particulièrement bon. Newcombe se tient de profil, il ne regarde pas le public. Il ne regarde rien. Des lunettes à verres fumés abritent son regard du monde extérieur. De longues mèches effilées couvrent en partie son visage. Par son attitude déhanchée, il rappelle Skip Battin des Byrds. Tout en lui sent le rock’n’roll animal. Coiffé d’un bonnet de laine de docker et portant des lunettes noires, Joel Gion fait son numéro habituel, le nez en l’air et le tambourin en main. Il fait penser au Jack Nicholson de «Vol Au Dessus d’un Nid de Coucous», mais avec des rouflaquettes énormes. Le groupe embarque le public dans le ronron des grooves d’usage et le réveille de temps en temps en sursaut avec des champignons atomiques comme «Not If You Were The Last Dandy On Earth». Grâce à sa folle allure, à son esthétique de la défonce, à son absence totale de prétention et à son goût pour les violentes montées en température, le Brian Jonestown Massacre reste d’une brûlante actualité. Il régnait d’ailleurs quelque chose de particulier dans la salle. Appelons ça sorte de plénitude qu’un jeu de l’imagination pouvait presque rendre palpable. Il semblait que le public était repu, comme au sortir d’un festin gargantuesque, ce qui paraissait logique, étant donné qu’il venait d’assister au show de la dernière grande superstar de l’underground américain.

 

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Signé : Cazengler, gluant Jonestown maussade

 

Brian Jonestown Massacre. Le 106. Rouen (76). 22 mai 2014

 

Brian Jonestown Massacre. Spacegirl & Other Favorites. Candy Floss 1995

 

Brian Jonestown Massacre. Methodrone. Bomp 1995

 

Brian Jonestown Massacre. Their Satanic Majesties Second Request. Tangible 1996

 

Brian Jonestown Massacre. Take It From The Man. Bomp 1996

 

Brian Jonestown Massacre. Thank God For Mental Illness. Bomp 1997

 

Brian Jonestown Massacre. Give It Back. Bomp 1997

 

Brian Jonestown Massacre. Strung Out In Heaven. TVT Records 1998

 

Brian Jonestown Massacre. Bravery Repetition & Noise. Commettee To Keep Music Evil 2001

 

Brian Jonestown Massacre. And This Is Our Music. Tee Pee Records 2002

 

Brian Jonestown Massacre. My Bloody Underground. A Records 2007

 

Brian Jonestown Massacre. Who Killed Sergent Pepper. A Records 2010

 

Brian Jonestown Massacre. Aufheben. A Records 2012

 

Brian Jonestown Massacre. Revelation. A Records 2014

 

Brian Jonestown Massacre. Tepid Peppermint Wonderland : A Retrospective. Tee Pee Records 2004

 

Dig ! Ondi Timoner. DVD 2004

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FONTAINEBLEAU / LE GLASGOW

 

26 - 06 – 14 / SPUNYBOYS

 

 

Je ne suis pas très content des lecteurs de KR'TNT !, au dernier recensement il paraîtrait que 62, 47 % d'entre eux seraient persuadés que si j'ai mis en ligne la livraison 195 le mercredi à 14 heures de l'après-midi et non sur les deux heures du matin du jeudi, ce serait parce que je suis rentré en un tel état du concert des Jallies que trois jours après je ne savais pas encore faire la différence entre le jour et la nuit. Elève des corbeaux et ils t'arracheront les yeux comme disent les espagnols de l'autre côté des Pyrénées. Alors que dès vingt heures, ce jeudi 26, le grand Phil et Moi étions en service commandé, pour que vous ayez tout fraîche, toute chaude, la kronic du concert des SpunyBoys sur votre blogrock préféré. Ingratitude humaine !

 

Donc à Bleau à l'heure et même en avance. Ne soyez pas ploucs, dire à Fontainebleau est d'un vulgaire échevelé. Le Glasgow est facile à trouver. Rue du Coq Gris. N'y a pas que les coqs qui sont gris dans cette ruelle. Sympathique, bordée d'établissements de boissons, de préférence alcoolisées, dans lesquelles se retrouve la jeunesse – souvent dorée – de la ville impériale. Vous ne pouvez pas la manquer, grouille de monde tard dans la nuit.

 

Les Spuny sont un peu comme chez eux au Glasgow puisqu'ils se préparent à y donner leur dixième concert, preuve arithmétique irréfutable selon laquelle j'ai raté les neufs premiers. Beaucoup de monde sur les longues tables placées en épi pour profiter de la fraîcheur toute relative de la soirée. L'intérieur est quasi-désert à part un petit groupe de bikers venus de Bretagne en train de discuter avec Rémi. Mais lorsque les images muettes de la Coupe du Monde sur grand écran s'éteindront, la salle se remplira en quelques secondes. Pas très grande, mais Rémi disposera tout de même de deux mètres carrés et demi pour son jeu de scène.

 

SPUNYBOYS

 

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Formation minimale. Avec laquelle il est impossible de tricher. Guillaume à la batterie, Eddie à la guitare, Rémi au chant et à la contrebasse. A quatre, il y en a toujours un pour ramener les autres à la maison. A deux devant l'ampleur de la tache, il vous sera beaucoup pardonné. Vous pouvez vous planter, oui mais ils n'étaient que deux. Même les gens qui ne vous aiment pas se sentent obligés de vous porter secours. Mais à trois, vous avez intérêt à assurer. Z'avez tout ce qu'il faut pour réussir et l'on vous attend au tournant. Le genre de situation qui n'a pas l'air d'émouvoir nos gaillards. Pressés d'en découdre.

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Rémi attire les regards, banane géante, contrebasse blanche, c'est lui qui tchache, qui présente les morceaux et qui chante. Beaucoup pour un même homme mais il s'acquitte de sa charge avec aisance et sympathie. Cela pour la galerie. Les Spuny ont un fonctionnement moins simple qu'il n'y paraît. Premier principe : quoi qu'il se passe, quoi qu'il arrive, chacun se charge de dégager le même volume sonore que s'ils étaient trois à filocher sur la grand-route. Sans feu rouge, sans crevaison, sans panne d'essence. Un set des Spuny c'est le pied à fond sur l'accélérateur, plein pot et les mégaphones au maximum. Parfois Rémi se permet une petite blague : un morceau lent, un slow, explique-t-il et l'orchestre vous exécute une faena d'enfer qu'aucune radio du service public ou privé n'accepteront de passer sur l'antenne pour ne pas incommoder leurs auditeurs. Ce qui nous permet de parvenir au deuxième principe : rock'n'roll sans concession. Les Spuny ne cherchent pas à plaire. Si vous n'aimez pas le rock'n'roll, changez de café.

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C'était la théorie. Mais en pratique cela donne quoi ? Facile de répondre. En premier lieu, Guillaume, des rouflaquettes qui touchent presque le plancher et une grosse caisse aussi longue et massive qu'un corps de canon. Ne marque pas le rythme, il l'impose. Une frappe sèche et lourde, sans écho mais massive. A répétition et infatigable. Mène l'attaque. N'annonce pas les morceaux, se contente d'en indiquer la cellule rythmique de base, trois secondes, et hop fondu-enchaîné il embraye sur l'intro. Ne laisse aucun repos à ses acolytes. Faut rappeler que les Spuny roulent très vite, l'arrêt en douceur n'existe pas. L'on est toujours surpris par le coup de patin final. L'on s'est immobilisé contre la corniche, pas le temps de respirer, Guillaume redémarre et a déjà remis les gaz. La carrosserie n'est pas l'atout principal des hot-rods, l'important c'est le moteur qui continue à tourner quelles que soient les circonstances.

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Vous ne m'écoutez plus. Vous n'avez d'yeux, vous n'avez dieu, que pour Rémi. Encore un qui shoote sa double-bass au propergol. Elle ne supporte pas trop. Ca lui donne le tournis. L'en devient folle de rage et tourbillonne comme un frelon en furie. Plutôt un petit gabarit d'ailleurs, taille poney blanc et pas étalon noir. Alors Rémi n'hésite pas, passe davantage de temps sur sa monture qu'à côté comme tout contrebassiste qui se respecte. Heureusement qu'il ne joue pas dans un orchestre symphonique. Quel remue-ménage il occasionnerait. Finirait sa nuit à l'asile ou au violon ( ce qui est le comble du contrebassiste ), mais chance pour lui, il virevolte dans un combo rock'n'roll et dans le rock'n'roll tout est permis sauf la mauvaise musique. Rémi, l'est un peu comme Côme, le Baron Perché d'Italo Calvino, mais lui c'est pas de son arbre qu'il ne veut plus redescendre c'est de sa contrebasse, ou alors c'est le contraire c'est elle qui ne veut plus toucher terre et la maintenant tendue à bout de bras il est de temps en temps obligé de poser son gros cul sur la tête de ses deux complices. Centaure d'un nouveau genre, il devient l'homme-contrebasse, parfois pris d'une extrême folie ils s'enfuient tous les deux dans la rue et ils sautent de table en table, par la fenêtre leur silhouette bondissante prend des allures d'ET sur son vélo ou d'une sorcière sur son balai. L'on ne peut même pas dire qu'il rentre tout assagi car quand il revient et qu'il reprend sa place il est tout aussi excité et se livre sans fin à des sauts de cabri épileptique. Un petit détail qui a son importance : durant ces danses de saint-gui, Rémi n'arrête pas une seconde de jouer ses notes.

 

Reposons-nous avec Eddie. Tranquille dans son coin, sa fender blanche télécaster en bandoulière, vous donne l'impression d'être le pépère tranquille qui poursuit son bonhomme de chemin sans se soucier de ses voisins. Fausse image. L'oeil aux aguets et sans cesse sur le qui-vive. Guillaume peut tirer au canon, et Rémi lancer la charge sur sa monture endiablée, c'est Eddie qui prend tous les risques. Et les assume sans faillir. Le gars qui se glisse dans les rangs ennemis et vous égorge les sentinelles une à une sans bruit, c'est lui. Enfin sans bruit avec les Spuny c'est malvenu et d'autant plus avec Eddie. Faut le suivre. C'est sûr que les deux autres ne lui laissent pas des espaces de trente minutes non-stop pour ses soli, se contente de trois fois moins de temps que Cliff Gallup, pas plus de sept secondes mais alors il vous shoote de ses ponctuations assassines de toute beauté. Solo winchester à répétitions, pas plus de dix balles mais toutes entre les deux yeux. C'est lui qui donne la couleur de chaque morceau. Sans lui tout se ressemblerait, mais Eddie définit le genre et le style, des riffs d'une brièveté à vous couper le souffle, une fois que l'essentiel est noté tout le reste s'inscrit dans le superfétatoire. Et le reste du temps ? Ne pensez pas qu'il baille aux corneilles, se lance dans des chevauchées de feu si rapides que les deux autres sont obligés de s'accrocher pour ne pas perdre la cadence.

 

Trois, et chaque morceau est différent. Jamais de redite. Joueront plus de deux heures et à aucun moment vous ne vous ennuyez. Surprise et innovation à chaque titre. Que ce soit sur leurs compos ou sur les reprises, Johnny Horton, Gene Vincent, Buddy Holly, Eddie Cochran, et beaucoup de british des Flyin' Saucers à Crazy Cavan, les Spunyboys ne se répètent jamais. One, two, three, for, five, Rock'n'roll is stil alive et dans la salle tout le monde s'accorde sur ce programme maximaliste. Une ambiance de fou, des filles qui dansent, des boys qui hurlent, communion rock'n'roll intégrale. Un set, deux set, et des rappels qui brûlent, les Spuny sont sur scène et ne veulent plus la quitter. Lorsqu'ils arrêteront, tout le monde se regarde, le silence nous fait mal aux oreilles. L'on ne sort pas sans surprise de la réalité d'un rêve. Mais ce soir, nous avons vu le futur du rock'n'roll.

 

Damie Chad.

 

 

MONTREUIL-SOUS-BOIS / HUGO CAFE

 

27 – 06 – 14 / HOOP'S 45

 

 

Suis fier comme Artaban. A tous ceux qui s'enquièrent si j'ai trouvé facilement et sans encombre, je réponds par un sourire, savent pas que ma fille m'a guidé jusqu'à cent mètres du troquet jusqu'à une place de stationnement où vous auriez pu mouiller un chalutier de Concarneau. Maintenant pour être tout à fait franc, je ne reconnais plus la ville, j'y ai travaillé plusieurs années, z'ont dû attendre que j'ai le dos tourné pour construire des centres commerciaux un peu partout, comme cet énorme blockhaus monolithique baptisé – allez savoir pourquoi – Grand Angle, petit bout de la lorgnette économique conviendrait mieux, dans le prolongement de la place de la mairie. Tout un symbole politique, ces dernières années la citadelle rouge est passé au vert commercial.

 

M'attendais au vieux bar franchouillard aux banquettes usées et aux alcoolos agrippés au comptoir et à leur verre de blanc, mais la modernité s'acharne à détruire les vieux clichés d'un passé révolu. A peine ai-je tourné l'angle du bâtiment que la noire banderole verticale du Hugo Café m'arrache les yeux. Chaises, tables et parasols au milieu d'une vaste esplanade déserte – le matin cela doit grouiller de monde – ceux qui vendent leur force de travail et ceux qui achètent leurs rêves plastifiés en solde – à neuf heures du soir, en ces heures d'opium footbalistique mondialisé, le soleil darde en vain ses derniers rayons.

 

Les Hoop's 45, sont déjà sur place et entament leur set. C'est tout beau, tout neuf dedans. Déco pas vraiment rock, plutôt sixties-mode d'aujourd'hui ( Madame ) Profond mais pas assez large surtout à l'endroit qu'ils ont réservé au combo, au centre certes, mais dans l'espace le plus étroit, entre deux murs trop rapprochés. Faire la balance avec cette muraille devant soi n'a pas dû être facile, en tout cas toute la soirée le son sera d'une très grande limpidité. Mais il faudra y repenser à l'avenir. Car Karène, l'organisatrice compte bien programmer très régulièrement des groupes de rockabilly dans ce nouveau local. Accueil souriant, cette déférence asiatique, cette discrète gentillesse de façade qui surprend toujours nos mentalités d'occidentaux beaucoup plus rentre-dedans.

 

Karène fait d'une pierre deux coups, elle fête son anniversaire – punch et tapas à volonté, plus ses copines qui viennent lui faire la bise. Peu de rockers, suis accueilli par Chris, que vous remercierez pour ses photos, tout heureux de retrouver un habitué des concerts. Ce ne sera pas la foule des grands jours, mais au cours de la soirée se formera un groupe d'amateurs arrivés de l'extérieur par hasard qui attirés par la musique se chargeront de l'ambiance. Et de faire danser les copines de Karène. Peut-être avez-vous envie d'écouter les Hoop's. Un, deux, trois... quarante-trois, quarante-quatre, quarante-cinq, c'est parti !

 

HOOP'S 45

 

Un grhoop's original. A première vue, rien ne les dissocie de tous les autres groupes de rockabilly de la planète. A part peut-être Richard qui n'a pas de contrebasse. Joue de la basse électrique. Un signe. Qui passe inaperçu, lorsque l'on s'attarde sur Steph à la rythmique dans sa chemise country noire à motif blanc, Kevin à la batterie sous son chapeau, et Max à la lead-guitar. Si vous désirez rester sur cette impression de déjà vu, déjà connu, n'ouvrez point vos oreilles. Les Hoop's ont un son, un allant, qui n'appartient qu'à eux.

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Il existe une énergie Hoop's. Ne jouent pas vite, mais rapide. La différence n'est pas minime. C'est celle par exemple qui distingue le punk et le rockabilly. Vite c'est courir après le temps, rapide c'est l'emporter avec soi. Un clipper toute voile dehors sur l'océan déchaîné. C'était une image. Mathématiquement c'est plus complexe, ne s'agit pas de glisser sur la mer, mais de l'emporter avec soi, de créer un continuum espace-temps qui possède ses propres lois.

 

Les Hoop's revendiquent, et ce n'est pas un hasard, de jouer les classiques - pas les mini-hits oubliés, enregistrés par exemple en mai 1954 dans un studio hypothétique au fin-fond du Missouri par un inconnu notoire dont on a perdu la trace depuis plus d'un demi-siècle - mais les morceaux phares du rock'n'roll que tout le monde connaît, que tous les musiciens ont repris en fin de concert et que épuisés on donne au public comme on jette, faute de mieux, un os pour rassasier un chien errant, bref de ces gros calibres qui tachent et tuent comme Blue Suede Shoes ou Johnny B. Good. Reprendre de tels morceaux c'est comme transporter l'histoire du rock'n'roll dans ses cales. La marchandise est trop précieuse pour être abandonnée sur un quai à la portée de tout le monde. Autant que ce soit de véritables rockers qui en fassent leur miel.

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Beaucoup de Presley, de Mystery Train à Little Sister, Steph ne cherche en aucune manière à imiter le ténor-baryton si mélodieux d'Elvis, là où la voix du premier des rockers crooners sculpte le son, Steph fuse. Force de conviction et chien courant. Hound dog en anglais. Richard passe les lignes de basse par en-dessous comme aboiements lointains de la meute qui se rapproche, Kevin rythme sur ses caisses le piétinement continu et affolé des pattes, et à la guitare Max sonne la curée. Il tient le rôle du piqueur qui attise la charge. A courre.

 

Difficile d'écouter les Hoop's sans bouger. Durant le premier set, assez court, l'audience a essayé de bien se tenir. Mais au deuxième set, impossible de se contrôler, des filles qui sautent de tous les côtés, des boys qui essaient sans succès de guider les pas de ces ménades en folie, vu l'espace, cela donne un mélange de jerk-rock déjanté des plus trépidants. Et les Hoop's qui accélèrent à chaque titre. Reprises ou compos personnelles, tout y passe, au moulinet électrique de la guitare de Max. L'utilise comme un lance-flammes, étrange sensation l'on dirait qu'il pleut du rock.

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Terriblement électrique. Les Hoop's ont écouté la leçon setzerienne, mais sont en train de la dépasser en donnant davantage d'espace à la guitare. Ne s'agit plus de casser le rythme par de brusques brisures qui stompent et délimitent des séquences clairement identifiables comme les maillons de fer brûlants que l'on ajouterait à une lourde chaîne d'ancrage dans le but d'accrocher le fond ultime de l'océan. Mais au contraire tout l'équipage au guindeau pour la hisser le plus rapidement possible afin de se glisser parmi les crêtes écumantes des lames farouches. Les Hoop's voilier corsaire.

 

Il faut regarder les photos des Hoop's sur les trottoirs de Paris lors de la dernière fête de la musique, cette frénésie hallucinée qui transparaît sur les visages du flots de spectateurs qui entourent le groupe. Ici moins de monde mais pareille ronde sauvage, je terminerai la chemise trempée de champagne – sale tangage pour les serveurs – et les Hoop's sous les vivats des convives qui n'étaient pas spécialement venus pour un repas au rock'n'roll. L'ont reçu servi très chaud, heavy hot, et ils l'ont dégusté les lèvres gourmandes.

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Le show se termine trop tôt. Ce fut un grand concert. Les Hoop's bousculent le rockabilly et le forcent à aller de l'avant. Ont toutes les chances de devenir un groupe de référence. Karène s'est offert un superbe cadeau d'anniversaire. Vous pouvez être jaloux. Les Hoop's travaillent sur leur prochain disque. Probabilité de cuisson : saignant, hémorragique. Merci beauc'Hoop's. Quarante cinq fois.

 

Damie Chad.

 

FESTIV'ETE PROVINS

 

28 – 07 – 14 / LOREANN'

 

 

 

Eté pluvieux, été heureux, c'est ce que l'on dit pour se consoler. Deux jours qu'il pleut à verse sur Provins. Pour sa première déclinaison le Festiv'Eté organisé par l'Amicale des Commerçants prend eau de toutes parts. Pas de chance pour les organisateurs, mais ils devraient en profiter pour prendre quelques leçons : organiser une scène ouverte c'est bien, mais s'inspirer de ce temps de chien pour arroser un tout petit peu les musiciens qui se sont inscrits ce serait mieux. Redynamiser le commerce en centre ville est peut-être une intention louable, ce n'est pas pour autant qu'il faille oublier de donner l'exemple en mettant la main au portefeuille. Ne serait-ce qu'offrir une boisson chaude pour réchauffer les cordes vocales soumises à une humidité ambiante peu agréable !

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LOREANN'

 

Onze heures. Loreann' ouvre le bal. L'après-midi elle a un autre engagement à Esternay, chante dans un concours hippique. Pas de chance à onze heures pile, la pluie se met à tomber. Peu de monde mais un noyau d'admirateurs qui bravera les intempéries jusqu'à la fin renforcés de temps en temps par des badauds séduits durant les brèves apparitions d'un soleil frileux.

 

Veste noire, pantalon noir, bottes marron et long foulard fauve qui souligne ses cheveux châtaigne et la blonde rousseur de ses éphélides, Loreann' arbore la tenue type du chanteur folk. N'est pas seule. Didier tout sourire sous sa chevelure blanche l'accompagne pour la première fois, caisse claire et deux cymbales, juste pour marquer le rythme. S'est tenu un peu trop dans l'ombre, ne s'est permis que de minuscules soli qui sont passés quasi-inaperçus. L'est vrai qu'ils n'avaient répété que quatre morceaux et qu'il ne connaissait pas tous les titres.

 

Pas de circulation, peu de bruits, et une sono beaucoup moins confidentielle que celle utilisée au café. Impression de la redécouvrir. Un peu plus lointaine sur sa grande estrade, moins accessible, presque star, la voix qui susurre moins à votre oreille mais qui tombe sur vous et vous enveloppe de ses vibrations infinies. Semble plus à l'aise, plus confiante en sa guitare qu'elle paraît moins surveiller que d'habitude.

 

Deux heures de spectacle, sans interruption, répertoire égrené titre par titre, comme les trappeurs de Jack London qui tiraient les pépites d'or de leur corne de poudre, lentement, sûrs de produire leur effet à chaque fois. Un Fever de Peggy Lee joliment envoyé, moins jazzy et virevoltant que le modèle mais comme enfiévré, cette sensation de désir poisseux qui vous étreint et ne vous lâche plus. Un Hit The Road Jack, ni la morgue mordande des Realets, ni la fausse et hypocrite incompréhension de Ray Charles, mais quelque chose de plus inquiétant comme une sourde menace indéfinissable qui plane. Pareil pour The House of the Rising Sun trop bien chantée par Joan Baez pour être authentique et trop plaintivement proférée par Nina Simone porteuse de la souffrance du peuple noir pour être repris sur le même tempo par une jeune européenne de notre modernité, Loreann' en donne une interprétation convaincante, loin des clandés de la Nouvelle Orleans mais au plus prés du poids du déterminisme social qui pèse encore aujourd'hui sur les épaules de beaucoup.

 

C'est pour cela que nous attendons avec impatience les prochaines compositions de Loreann' parce que nous la sentons capable d'accrocher dans ses rimes quelques aspects de la réalité qui nous entoure, le folk entrevu comme un rayon laser décapant qui met à vif les plaies purulentes de nos sociétés en voie de déliquescence. Pas du tout un hasard aussi si elle a été pressentie pour chanter dans un groupe de rock. Une voix de brume et une touche de vent.

 

Loreann' redescend de scène, toute tranquille, sereine, heureuse d'avoir pu chanter. Elle sait qu'il faut en passer par là, par ses matinées trop fraîches et ce public trop parsemé, qu'à chaque fois elle progresse, qu'elle acquiert ainsi une expérience irremplaçable et qu'à chaque fois des inconnus viennent lui témoigner reconnaissance pour la ferveur de son don, sympathie pour son courage et que les propositions d'apparition publiques s'enchaînent presque mécaniquement.

 

Elle est sur le bon chemin, et nous ne manquerons pas de la suivre.

 

Damie Chad.

 

( Passage des photos extrêmement capricieux ce soir... )