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19/06/2014

KR'TNT ! ¤ 194 : DUFFY POWER / KEITH RICHARDS / FRENCH SIXTIES / ROCKY ROAD BLUES

 

KR'TNT ! ¤ 194

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

19 / 06 / 2014

 

 

DUFFY POWER / KEITH RICHARDS / FRENCH SIXTIES /

ROCKY ROAD BLUES !

 

 

LE POWER DE DUFFY

 

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En février, Duffy Power a tiré sa révérence dans la plus parfaite discrétion, au terme de cinquante ans de bons et loyaux services pour le compte de la légende du rock anglais. Duffy Power n’a jamais fait la une des magazines. Pourtant, John McLaughin, Jack Bruce, Ginger Baker, Danny Thompson et Terry Cox l’ont tous accompagné. De tous ces gens-là, Duffy est le seul qui soit resté dans l’ombre. Si «Innovation» paru en 1970 fut le seul album à succès de Duffy Power, c’est parce que les musiciens qui l’accompagnaient étaient connus. Comme l’indique si justement Colin Harper dans le texte qu’il a rédigé pour présenter la compile RPM «Vampers And Champers», Duffy avait les chansons, la passion, l’instinct, les bons musiciens, mais pas la chance.

 

Cette chance qui fit aussi défaut à Jesse Hector et aux Pretty Things. Rien qu’avec ces trois noms (Jesse, Pretties & Duffy), on a une sorte de trilogie royale du rock anglais. Car ce sont des gens qui disposent des trois atouts majeurs : la classe, le talent et la vision. Au moins ces gens-là peuvent se vanter d’une chose certaine : ils sont passés à deux doigts du superstardom. Ils méritaient eux aussi de rouler grand train, Rolls et manoirs, comme ceux qu’on voit à longueur des pages des magazines de rock arpenter leurs terres déguisés en gentlemen farmers. La morale de cette histoire est qu’il ne suffit pas d’avoir du talent pour devenir une rock-star. On peut très bien devenir célèbre sans avoir aucun talent. Des exemples ? Vous les connaissez.

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Il faut remonter au début des années soixante et donc aux origines de la scène anglaise pour suivre John McLaughin dans ses pérégrinations. Il joue de la guitare dans Georgie Fame & the Blue Flames, puis avec Jet Harris et Tony Meehan. Il fait ensuite un stage dans le Graham Bond ORGANization, de janvier à septembre 1963. Et c’est là qu’il rencontre un jeune Duffy Power engagé par Graham Bond pour chanter quelques reprises explosives de Ray Charles et d’autres classiques du rock. Avec Jack Bruce à la contrebasse et Ginger Baker derrière les fûts, on a là le meilleur groupe anglais de tous les temps. La preuve ? Elle se trouve dans le coffret quatre disques du Graham Bond ORGANization paru en 2012, «Wade in The Water». Duffy Power mène le bal d’une voix de soulman. Si on veut vraiment savoir qui est Duffy Power et ce qu’il a dans le ventre, le mieux est de commencer par écouter le disque 1 de ce coffret magique.

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Ce mec immensément doué savait tout faire. Il pouvait chanter le blues, le jazz, le rock et le folk avec la même détermination. Il avait la voix pour ça. Et c’est précisément cette diversification des styles qui fait l’incroyable richesse de sa discographie. En compagnie de Duffy Power, on ne s’ennuie jamais. Bien au contraire. On a même l’impression de découvrir un continent.

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C’est Larry Parnes qui le baptise Duffy Power, comme il a baptisé Billy Fury, Georgie Fame et Marty Wilde. Duffy s’appelait Ray Howard. Il commença à s’intéresser à Leadbelly - à cause de la reprise de «Rock Island Line» par Lonnie Donegan - et à Arthur Big Boy Crudup, à cause d’Elvis. Quand il découvrit «Rosie» chanté par les taulards d’Angola State Prison, il s’écria : «I want to do that !» Duffy fut aussi fasciné par Muddy Waters et par Nina Simone dont il parvint à imiter le style dans certaines dérives groovy. Andrew Loog Oldham - qui avait déjà Steve Marriott et Chris Farlowe sous contrat - l’avait repéré et le voulait sur Immediate. Mais Immediate commençait à battre de l’aile. Andrew Loog Oldham avait très bien compris que Duffy Power naviguait au même niveau que ses poulains Steve Marriott et Chris Farlowe. Si Immediate n’avait pas fait faillite, Duffy Power serait sans nul doute devenu superstar.

 

Les gens de RPM ont rassemblé toutes les bricoles enregistrées à droite et à gauche par Duffy Power dans deux compiles, «Leapers And Sleepers», puis «Vampers And Champers», quatre disques en tout qui constituent une vraie caverne d’Ali-Baba. Plus de soixante titres qui permettent de mesurer la hauteur de ce géant de la scène anglaise.

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On trouvera quelques merveilles surnaturelles sur le disque 1 de «Leapers And Sleepers», comme par exemple «There You Go Again» (à cheval sur Chet Baker), «I Saw Her Standing There» (c’est la version originale rejetée par les Beatles, parce qu’elle swinguait trop, pas assez pop - Duffy était accompagné par McLaughin et Graham Bond qui avaient tous les deux le diable dans le corps - et donc il dut refaire une version plus convenable qui reçut l’assentiment des Beatles), «Farewell Baby» (véritable hit Mod, l’un des tout premiers à s’inscrire au panthéon Mod - Duffy est toujours accompagné par Graham Bond et c’est shufflé jusqu’à la moelle des os), puis deux reprises de Ray Charles, «What’d I Say» et «I Got A Woman» (on entend là un shouter d’exception qui peut grimper très haut), «Hey Girl» (hit de Gerry Goffin et Carole King, l’excellence mélodique emmenée là-haut sur la montagne, mais pas la petite montagne des Vosges, non, celle de l’Himalaya), «Parchman Farm» (reprise démente de Mose Allison, sur laquelle Duffy est accompagné par les Paramounts, futurs Procol Harum - Duffy se dit d’ailleurs influencé par la version de Georgie Fame, mais c’est lui qui fit connaître Mose Allison à Georgie. On entend Robin Trower fracasser un solo éclair - la version est complètement secouée du cocotier), «Tired Broke And Busted» (blues rock dans l’eau bleue de l’excellence et Robin Trower joue comme un dieu en devenir), «I Don’t Care» (heavy blues à la Yardbirds, embarqué à l’harmo - Jack Bruce se dira principalement influencé par le jeu d’harmo de Duffy), «Money Honey» (reprise des Drifters swinguée par Ginger Baker) et «Lawdy Miss Clawdy» (version spectaculaire qu’il prend de très haut). Rien qu’avec ce premier disque, on situe le niveau de Duffy et le pedigree de ses accompagnateurs. Autant dire qu’on a la crème de la crème. Aucun groupe anglais n’est jamais arrivé à la cheville de cette équipe-là. Ces gens venaient du jazz, ce qui leur donnait une aisance terrible et comme en plus ils avaient une sorte de génie énergétique, l’avenir ne pouvait que leur appartenir, ce qui se vérifiera au moins pour deux d’entre eux, Jack & Ginger.

 

Le disque 2 de «Leapers And Sleepers» saute à la gueule. Littéralement. Quand il ne peut pas faire appel à McLaughin, Duffy demande à Big Jim Sullivan de l’accompagner. C’est lui qu’on entend jouer dans «Love’s Gonna Go». Big Jim est un vrai fantôme qui vient hanter le morceau. Grandeur et break d’harmo. Duffy peut aussi pondre des classiques du r’n’b comme «She Don’t Know», il fait son white niggah de haut vol - she comes when I call her name - elle jouit quand je prononce son nom, Duffy y va fort. Sur «I’m So Glad You’re Mine», c’est Phil Seaman, le drummer-mentor de Ginger Baker, qui vient jouer le beat vaudou. On sent l’incroyable puissance des jazzmen passés au r’n’b. Ils peuvent tout se permettre et c’est exactement ça qui faisait l’écrasante supériorité du Graham Bond ORGANization. Jack Bruce joue sur «Dollar Mamie». En fait, avec McLaughin et Phil Seaman, Duffy a constitué le premier super-groupe de l’histoire du rock anglais. Jack joue de la stand-up. On entend du jazz battu par Seaman, drummer junkie qui vivait le jazz de l’intérieur, à travers l’héro, comme la plupart de ses collègues américains. Sur «Little Boy Blue», Jack Bruce et Ginger Baker font du proto-Cream - fast & furious - heavy bass duty du géant Jack et razor sharp guitar de McLaughnin. Terrible. Duffy passe à l’harmo, c’est un vrai dingue. On peut baiser les pieds de RPM, rien que pour avoir sorti ce cut de la cave. On entend McLaughin jouer comme un démon au fond du studio, ce qui ne lui ressemble pas. On sait qu’après cette période, il va s’orienter sur des choses beaucoup plus éthérées, avec son Mahavishnu Orchestra. On retrouve la même équipe sur «Little Girl», avec des tambourins, des chœurs et des cuivres en plus. On bascule ensuite dans une horreur staxée et on en reste bouche bée. Avec «Mary Open The Door», Duffy devient l’un des plus grands singers d’Angleterre, niveau Chris Farlowe. Il va très haut et il est écœurant de feeling. Berk. Il chante «Rags Old Iron» comme le ferait Nina Simone. C’est dire l’empire de son étendue. Il sonne exactement comme la prêtresse du jazz. Ce mec peut rivaliser avec les plus grosses pointures. Il ne se connaît pas de limites. Si on aime bien se faire méduser, alors il faut écouter Duffy Power. «Just Stay Blue» est aussi jazzé à l’orgue, mais de façon encore plus stupéfiante. Ça déborde de swing élémentaire, au-delà de toute expectative. On a là un morceau superbe d’allant et beaucoup trop bon pour l’époque. En fait c’est ça le problème : beaucoup trop bon. Les gens se méfient des artistes beaucoup trop bons, comme Roland Kirk ou Sun Ra. Duffy pouvait aussi sonner pop comme les Beatles, pas de problème, comme on le voit en écoutant «Davy O’Brien», trompetté et digne des productions de George Martin.

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Dans «Vampers And Champers», on va trouver beaucoup de blues. Jack Bruce l’accompagne à la stand-up sur pas mal de morceaux et notamment «Leaving Blues», un cut électrique et électrisant, aussi cuisant qu’une chaise électrique. «God Bless The Child» est une belle pièce jazzy un peu laid-back à la Bessie Smith. Un peu plus loin se trouve une version seigneuriale de «Help Me», aussi repris par Ten Years After. Duffy en fait un frichti solide, car il a la voix pour. Son beat est plus soutenu que celui d’Alvin Lee, mais on reste dans le même genre de fournaise. Avec «Louisiana Blues», il tape dans le Muddy, l’une de ses idoles. Il tape ça seul avec sa guitare acoustique et on l’entend tirer sur ses cordes comme un dingue. Retour au heavy blues magistral avec «One Night», effarant de puissance équatoriale - «Just call my name and I’ll be by your side» - c’est le heavy rampage de rêve, transe de blues à la clé. Il a co-écrit «There You Go» avec son copain McLaughin, compo ambitieuse et enragée, bardée d’harmo, somptueuse et claquée du beignet, plaquée d’accords de jazz inconnus au son timbré. C’est dingue ce que ces cuts sont bons. Éclat supérieur et final de voûte céleste chauffé à l’harmo. Puis on a un «Red White & Blue» jazzé jusqu’à la racine des dents et embarqué par un beat de stand-up terrible. Harmo barré. Duffy en mettait plein la vue.

 

Pas mal d’autres goodies sur le disque 2 de Vampers. Il tape un «Midnight Special» tout seul avec sa guitare acoustique et il embarque son «Gin House Blues» à l’harmo, tout seul comme un grand. Duffy reste seul au monde pour «Fox And Geese» et fait une belle démo d’arpèges dans sa reprise de «Fixing A Hole» des Beatles. Il fait aussi une version en solitaire de «Roll Over Beethoven» histoire de montrer qu’il n’est pas manchot et qu’il a du courage. Puis il passe au latent jazzé à la sèche avec «Little Man You’ve Had A Busy Day». Là, il effare car il va chercher le contre-alto timbré à l’étain de la blue note. En gros, il refait sa Nina Simone. On reste dans le très haut niveau avec «City Woman», qu’il prend en one-man band hypertrophié de talent. La seule chose qui puisse intéresser un mec comme Duffy Power, c’est l’inspiration. Le reste doit le laisser froid. Visiblement, ce mec ne vit que pour le haut de gamme. Ce qui se passe en bas ne l’intéresse pas. Non seulement ça ne l’intéresse pas, mais ÇA NE PEUT PAS l’intéresser. Impensable. Il n’en fait pas un jeu. Ce goût pour la classe est quelque chose d’inné chez lui, on le sent bien, et d’ailleurs, ça crève tellement les yeux qu’on a même pas besoin de l’expliquer. Duffy Power va là où sa fibre le mène et si on s’intéresse un tant soit peu aux choses de qualité, il est recommandé de le suivre à la trace. Pour étayer cette rhétorique de bas-étage, on pourrait ajouter que Duffy Power est absolument incapable d’enregistrer une mauvaise chanson. Il ne faut pas confondre une star discrète comme Duffy Power avec une star pas discrète Michael Jackson qui nous a pourri la vie pendant des semaines avec ses obsèques. Et on ne parle même pas de ses disques vendus à des millions d’exemplaires, laissons cela à ceux qui ont eu le courage de les écouter et de trouver ça intéressant.

 

S’il fallait comparer le talent de Duffy Power avec celui d’un autre personnage, on pourrait citer les noms de Nick Drake (lui aussi incapable de chanter une mauvaise chanson), de Fred Neil et pourquoi pas de David Crosby, des gens dont le parcours est irréprochable.

 

Revenons à notre mouton noir et à «Dr Love», toujours sur le disk 2 de Vampers, un soul rock à la mode de Londres, encore un prodige de white-niggahrisme. Duffy sait swinguer sa note. Joe Cocker devrait prendre cette supercherie comme modèle. Duffy va chercher sa note par dessous, comme s’il s’introduisait dans les ténèbres de l’intimité d’une petite fiancée. Et «Holiday» ? Énorme ! Dick Heckstall-Smith nous secoue le cocotier du cut avec un solo de trompette qui fera date. Chant, son, production : tout est là. Avec «Love Song», Duffy se coule dans le groove de l’amour physique. Ce diable protéiforme est tellement doué qu’on finit par ne plus savoir quoi dire. À un certain moment, trop c’est trop. On grimpe dans les étages de la surenchère et à un moment, il faut bien revenir à la raison et se demander ce qu’on fera une fois arrivé sur le toit. Inventer un langage. Parler une autre langue ? Le mieux est encore de se jeter dans le vide métaphorique puisqu’il nous tend les bras. On ne fait rien si on craint la mort.

 

Et puis on revient inlassablement au disk 2 de Vampers et on voit Duffy allumer la chaudière de «Halfway», un slow groovy proche du cœur. Duffy rivalise de génie avec les géants de la soul américaine. Il est le gendre idéal pour les rombières qui préfèrent la qualité supérieure à la qualité inférieure. Un gros bourdon bourdonne derrière Duffy et la classe s’installe dans le crépuscule magique, on jette l’ancre au port du Power et le bourdon nous hante délicieusement. Grosse costauderie encore avec «Corinna», qu’il transforme en groove swampy et définitif. Voilà le vrai son. Duffy Power n’en finit plus d’ajouter du grand cru au grand cru. Il va finir par nous écœurer pour de bon avec «Lovers Prayer», jumpé d’harmo swing de fin de parcours. Quelle insolence. Ce type a trop de talent. Il n’a aucune pitié pour la concurrence. Et on pense aux mauvais chanteurs et à ce qu’ils ont dû endurer en entendant ça. Comme ils ont dû souffrir devant un tel brio élégiaque.

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Duffy fit un bout de chemin avec Alexis Korner en 1965 et fit paraître l’album «Sky High». Sur «Every Day Since You Been Gone», il est tout seul avec sa guitare et il martyrise ses cordes. On entend rarement des pincements de corde aussi exacerbés. En plus, il chante avec la patate chaude. C’est un dingue du blues. Il joue aussi «Halfway Blues» à l’arpège des fins de vies solitaires. Et il tape ensuite une version de «That’s All Right Mama» en vrai finisseur de cordages. Il bat ça avec une rage assez rare.

 

RPM a réédité l’album de Duffy Power qui s’appelle «Duffy Power», sorti en 1972. Duffy est dans sa période folky, une soupe dont les Britanniques sont particulièrement friands. On peut dire qu’il sonne un peu comme Slim Chance, le groupe que monta Ronnie Lane après avoir quitté les Faces et le monde des paillettes. Mais Duffy fait du folk avec une voix de soulman et beaucoup d’harmo. Cet album le piégera puisqu’il finira plus ou moins catalogué comme folkeux, alors qu’il peut explorer tous les mondes et rivaliser avec des géants comme Tom Jones et Chris Farlowe. On retrouve cette prodigieuse disposition au groove latent avec «Love Is Shelter», une pièce suspendue à la Crosby. «Halfway» est un peu plus musclé, mais on reste dans l’extrême finesse. Un léger envoûtement se met en place au fil des morceaux. Duffy Power sait mener sa barque. Mais l’album n’offre rien de déterminant, au sens où on l’entendait à l’époque.

 

Ils sont tellement gentils chez RPM qu’ils nous font cadeau de trois bonus, et quels bonus ! Duffy fait un petit coup de heavy rock avec «Dusty Road». Heavy et franc comme l’or. Excellence de la partance. On va droit au limon des intentions. Un certain Graham Quinton Jones joue de la guitare. Par contre, «Love’s Gonna Go» sonne exactement comme un morceau des Faces. Oh quelle coïncidence ! Tout est là, le riff, l’harmo, la désaille et l’aspect facien du chant. Duffy détient le power suprême. Il peut tout chauffer à blanc.

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Duffy Power souffrait de dépression et comme il prenait pas mal de drogues, ça n’a pas arrangé les choses. Il avait réussi à monter un super-groupe en 1967, Duffy’s Nucleus avec McLaughin et la rythmique Danny Thompson/Terry Cox qui allait un peu plus tard devenir celle de Pentangle. Andrew Loog Oldham était sur le coup, forcément. Le groupe avait un son unique en Angleterre, un son basé sur le sharp blues et la sophistication jazz. Mais Duffy fit le con et le groupe se désintégra.

 

Tout au long de sa vie, Duffy a défendu une idée du son. Il n’aimait pas la basse électrique. Il lui préférait le son de la stand-up. Il n’a jamais compris pourquoi Jack Bruce était passé à la basse électrique. Duffy voyait Cream comme un énorme gâchis. Il fit même un bout de chemin avec Rod Argent, l’ex-Zombies. Il reviendra dans l’actualité grâce à Mary Costello et fera quelques apparitions en compagnie de son vieux complice Dick Heckstall-Smith.

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En 2012, Duffy a refait surface une dernière fois avec un album intitulé «Tigers». La voix est toujours là, mais le ton général de l’album est un peu trop calme. Seuls quelques morceaux comme «Whenever» ou «To My Guitar» se distinguent du lot par leurs vertus groovy. Duffy jazze sa voix dans le soir éperdu de sa vie. Il revient inlassablement à Nina Simone et à Chet Baker. Son truc, c’est la puissance intrinsèque. Il prend le voile d’une voix intimiste pour nous glisser «Once Upon A Time» dans l’oreille et on sent chez lui la présence d’une incommensurable mélancolie, celle qu’éprouvent tous les gens arrivés au soir d’une vie trop vite écoulée.

 

On a vu ici et là quelques articles dans la rubrique funéraire désormais bien fournie des magazines de rock anglais de type Mojo ou Uncut. Chez Record Collector, ils n’ont pas osé consacrer quatre pages à Duffy Power, mais ils ont confié à Colin Harper (le mec qui signe le texte de Vampers) le soin de lui rendre un bel hommage funèbre sur une demi-page. C’est comme ça qu’on traite les malchanceux en Angleterre. Au moins, en France, on fait les choses plus proprement : on évite tout simplement d’en parler. Colin Harper conclut ainsi son maigre panégyrique : «He was one of the greats, every bit the equal of the illustrious company that he once kept» (Il était l’un des grands, en tous points l’égal de ses illustres compagnons de route). Amen. Et que le diable emporte les wannabees.

 

Signé : Cazengler, Beauffi Power

 

Plutôt que de rechercher les vinyles officiels qui coûtent maintenant la peau de fesses (alors que personne n’en voulait dans les seventies) et qui engraissent les spéculateurs, il vaut mieux se rabattre sur les red RPM, sachant que ces gens-là font un travail remarquable, à la fois au niveau de l’information et du son, ce qui, pour la découverte d’un artiste majeur comme Duffy Power, est l’idéal.

 

Duffy Power. Leapers And Sleepers. RPM 2002

 

Duffy Power. Sky Blues. BBC. Hux Records 2002

 

Duffy Power. Vampers And Champers. RPM 2006

 

Duffy Power. ST. RPM 2007

 

Graham Bond ORGANization. Wade in The Water. Repertoire 2012

 

Duffy Power. Tigers. Dusk Fire Records 2012

 

Disparu le 19 février 2014

 

KEITH RICHARDS

 

Jamais eu une grande admiration pour Keith Richards, de la sympathie oui, mais rien à voir avec ce que j'éprouve pour Charlie Wats, l'incomparable batteur. Pourtant contrairement à bien des copains du milieu rockab qui leur préfèrent les Beatles, j'ai toujours aimé les Stones. Enfin ceux de la grande époque. Depuis ils se sont transformés en ramasse-miettes – l'autre nom de l'aspirateur à dollars – que l'on passe sur la nappe plus très blanche après le festin des mendiants. Mais il faut leur reconnaître que même dans leur dérive commerciale ils ont su rester foutrement rock'n'roll. Ou du moins ils sont assez malins pour arriver à nous le faire croire. Ce doit être un super job qu'attaché de presse des Rolling, rien à faire de toute la journée, le mythe fonctionne à plein. Même pas besoin de lever le petit doigt de votre pied gauche pour donner l'illusion que vous êtes en train de travailler. La légende s'auto-régénère toute seule tous les six mois.

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Bon les Stones à Paris ce samedi 14 juin. Je n'y suis point allé, engagé par ailleurs, depuis longtemps. Aurais-je eu mon week end de libre que je me serais plutôt rendu à Troyes voir les No Hit Makers, ou à la Mécanique Ondulatoire regarder les Whacks, ou au Festival de Voulx supporter Météore. Ce n'est pas que ces trois groupes soient les futurs Stones du vingt-et-unième siècle, loin de là – l'âge d'or du rock'n'roll est terminé depuis longtemps – mais à retourner les cendres froides du passé - fussent-elles constituées de poussière d'or – autant le faire en compagnie de ceux qui y croient plus ou moins encore quelque peu – et non de conserve avec de vieux briscards cyniques qui ont davantage besoin du contenu de votre porte-feuille que de votre admiration.

 

Tout de même les Stones étant les Stones et étant donné que l'on ne prête qu'aux riches suis descendu fouiner dans ma cave à la recherche d'un gros bouquin sur le groupe... que je n'ai pas trouvé. Par contre suis tombé sur deux babioles que je qualifierai d'adjacentes consacrées au maestro de l'open tuning. Le Keith, il est quand même pour quelque chose dans le succès des Stones, alors je me suis mis au boulot.

 

QU'EN PENSE KEITH RICHARDS

 

MARK BLAKE

 

( Traduction NICOLAS RICHARD )

 

( SONATINE / Mars 2010 )

 

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M'ont un peu déçu chez Sonatine lorsqu'ils avaient sorti le book. Jusque là, ils avaient un super catalogue, beaucoup de titres américains, des policiers, des thrillers, des trucs à vous empêcher de dormir la nuit. Nous en avons chroniqué quelques uns dans Kr'tnt. Pas obligatoirement rock'n'roll, mais une vision de l'Amérique proche de notre musique. Moins de cent-vingt pages en gros caractères, beaucoup de blanc; l'on sent le livre sorti à toute vitesse pour surfer sur la vague. Celle suscitée par chez nous par la mise en vente en cette même année 2010 de l'autobiographie de Keith Richards. Sobrement intitulée Life, mais qui s'étend sur six cents pages grand format. Bref – c'est le cas de le dire – un succédané, un reader digest pour les lecteurs qui veulent tout savoir et ne rien lire. N'ont pas eu le temps d'en confectionner un par eux-mêmes, ils ont préféré traduire le Stone Me, The Witt and Wisdom of Keith Richards, paru en 2008, de Mark Blake journaliste british qui a autant publié sur le punk que sur les Pink Floyd... Quand mon bouquiniste préféré me l'avait présenté, je l'avais refusé, cela sentait trop le coup ( le coût ) éditorial, mais comme vos amis sont les premiers à vous vouloir du mal, il me l'a offert ! Illico à la cave, d'où je le ressors pour l'occasion.

 

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Le livre se présente comme un ramassis de déclaration du guitariste du plus grand groupe de rock'n'roll du monde faites à des journalistes, avides de gros titres ronflants et fracassants, tout au long des cinquante années de la vie des Stones. Futé le Keith, il sait à qui il parle et il sert la soupe que désire le client. Ne se gêne pas, l'est sûr de son impunité, peut déclarer ce qu'il veut, le scandale et la vérité il s'en moque. La bave des crapauds n'atteint plus le blanc léopard là-haut parmi les étoiles.

 

Un patchwork, un montage de citations – connues depuis longtemps par les fans – divisées en neuf chapitres du genre Keith à propos des femmes et des guitares. Ou pire, Keith et la philosophie de la vie. N'a tout de même pas pas osé Keith, Platon, Aristote et les autres. Mais l'envie a dû le démanger. Reconnaissons que rien n'aurait été moins richardsien. C'est que Keith, de la philosophie il s'en tamponne le coquillard avec une choucroute mal cuite. Faut lui reconnaître son honnêteté intellectuelle. Il ne parle que de ce qu'il connaît. Et à part Keith Richards il ne connaît rien. Un peu les Stones, par la force des choses, ses acolytes deux ou trois gentilles vacheries – n'ayez pas peur il ne prendra pas le risque de tuer la poule aux oeufs d'or - sur chacun des membres du groupe, et sa famille. Grand-père, parents, épouses, enfants. Un peu de musique mais sans trop, un peu comme vous qui ne vous attardez jamais à décrire ce que vous avez trastégé au travail.

 

Très sympa. Si vous adorez Keith Richards. L'on peut refiler les mêmes bonbons sucés aux fans de base, ils y repasseront la langue ( admirez le logo-symbole ) dessus sans hésiter tout en déclarant qu'ils n'ont jamais lu d'opuscule si profond, si poignant, si intéressant... Mais gardons la tête froide et réservons-nous pour d'autres cunilingus plus prometteurs. Une fois le bouquin refermé en êtes-vous devenu plus intelligent ? Pas vraiment. Qu'avez-vous donc appris même pas obligatoirement de transcendantal ? Rien. Si un détail : Keith Richards est un grand résistant.

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Non, il n'a pas été parachuté en France pour faire sauter les trains. Ce n'est pas de sa faute il est né en 1943. Non, il n'est pas resté insensible à la mode. L'a su mettre un peu de disco et un peu de reggae dans son blues d'origine lorsqu'il a fallu suivre les goûts douteux des nouvelles générations qui s'écartaient du rock. Lui il a résisté à la drogue. N'allez pas tout joyeux brûler un cierge à l'église en l'honneur du chevalier blanc plus pur que tous les autres. Vous auriez tout faux. C'est juste le contraire. A ingurgité à lui tout seul davantage de produits illicites que la moitié de la population du département de l'Ardèche, mais en est ressorti indemne. Essayez de l'imiter et dans les huit jours qui suivent sous serez en train de confectionner et d'envoyer à votre entourage vos propres cartons d'avis de décès. Et chacun des lecteurs est censé de s'esbaudir devant un tel fait d'armes. Keith Richards l'indestructible. Le héros d'un jeu vidéo que vous ne parviendrez pas à battre. Faut pas non plus nous prendre pour des enfançons : à voir la gueule parcheminée du Keith, l'on n'a pas l'impression que cela ne lui ait fait que du bien non plus. Tronche romantique de pirate, oui mais il arbore tout de même pas mal de cicatrices.

 

Mark Blake essaie de battre en brèche une idée reçue : tous les six mois le grand Keith jouerait aux vampires : il se ferait changer le sang de fond en comble. Ne faut pas le croire qu'il dit. L'on veut bien mais comme dirait l'autre, le doute profite à l'accusé. Dans Life, Keith règle le problème autrement : a très vite gagné assez d'argent pour s'acheter la meilleure dope qui soit. De la bio, garantie cent pour cent.

 

Dans la sainte trilogie Sex, drugs and rock'n'roll, Keith offre ses meilleures dévotions au deuxième terme. Question sexe, il ne se présente pas comme un acharné de la baise. Des filles bien sûr dont on oublie le prénom, mais ce n'est pas le plus important. Recherche autre chose que la quantité ( confer : Bill Wyman ) ou la prouesse technique ( suspicions quant aux exploits de Jagger Mick ), respecte l'individu femelle affirme-t-il. Les guitares ont la forme d'un corps de femme – surtout les espagnoles, mais il joue de l'électrique – toutefois avec des cordes en plus, qu'il ne se lasse pas de caresser.

 

Mais venons-en au rock'n'roll. Rapidement. L'en parle peu, ou plutôt Mark Blake ne s'attarde guère sur ces aspects peu croustillants de sa personnalité comme si cela n'en valait pas la peine. Outre le fait qu'il a composé le riff de Satisfaction pratiquement en dormant – ce que tout le monde sait depuis 1965 – vous n'apprendrez rien. Enfin presque. Keith Richards aime les Rolling Stones. Pas obligatoirement les meilleurs mais ils correspondent à la musique qu'il sait jouer. Alors il fait durer. Sans quoi il s'ennuierait et ne saurait plus quoi faire de son existence.

 

Nous non plus.

 

Damie Chad.

 

KEITH ME

 

AMANDA STHERS

 

( Livre de poche / 2010 )

 

 

Encore un que j'avais remisé à la cave. J'avais entendu à l'époque de sa première parution, en 2008, une interview de la dame qui ne m'avait guère convaincu... Le journaleux pérorait sans fin sur son identification avec Keith Richards, alliance qui à l'aune de ses réponses me semblait aussi incongrue que celle de la carpe et du lapin. Plus tard je m'aperçus que c'était la même personne qui avait aidé Johnny Hallyday à écrire ses mémoires Dans Mes Yeux.

 

L'ai donc lu cette après-midi. Un peu embêté aux premières pages par ses phrases ultra-courtes, mais elle parvient petit à petit à trouver son rythme et l'écriture atteint bientôt une certaine fluidité plutôt agréable. Le début est assez déroutant. L'on ne sait plus qui est qui. C'est que l'héroïne, Andréa – un double transparent d'Amanda – emprunte par l'entremise du pronom « je » sans prévenir le personnage de Keith Richards, avec tant de constance, que parfois l'on a du mal à savoir si c'est Keith qui se prend pour Andréa ou Andréa qui souffre de bipolarité avancée.

 

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Sans doute Amanda Sthers avait-elle entrepris d'écrire une simple biographie de Keith Richards lorsque son divorce – elle vivait alors avec le chanteur Patrick Bruel - s'est immiscé dans son écriture, et s'est transformé en une sorte d'auto-rassurance-thérapeutique... Auto-persuasion propédeutique : je me sépare mais j'assure comme une bête, mes enfants d'abord, mon mal-être ensuite. Si l'on voulait être méchant nous parlerions de réflexe bourgeois d'auto-protection. Le bateau coule mais l'on sauve les meubles. D'ailleurs une fois qu'elle aura retrouvé son équilibre – vraisemblablement son auto-suffisance pécuniaire – elle s'éclipse du livre et le dernier tiers du roman – car l'intrusion des tourments de la narratrice a métamorphosé la bio de Keith en véritable récit existentiel – s'intéresse exclusivement au guitar heros. Keith and Me sont dans un bateau, Me échappe au naufrage, qui reste-t-il sur la mer déchaînée ?

 

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Donc Amanda Sthers raconte la vie de Keith Richards. Une histoire de boys. Et les filles ont du mal à comprendre la psychologie des groupes de garçons. Même quand elles entrent dans la bande, elles ont toujours l'impression que les jeunes hommes bandent davantage pour les copains que pour elles. Jalousie du manque phallique typiquement féminine. L'est donc obligée de sous-entendre le corps des groupies ou des épouses comme exutoire du désir homosexuel jamais totalement accompli, jamais totalement refoulé. Le lieu neutre et suraffectif d'échange. Mais l'on ne va jamais très loin avec de telles analyses : la rivalité, l'amour-haine que se portent Jagger et Richards est trop bien connue de tous pour que sa mise en évidence apparaisse aux yeux du moindre amateur des Stones comme une révélation époustouflante.

 

Pioche donc ailleurs. Dans la psychanalyse de base, celle à deux balles. Le conflit avec le père. Que le fils n'arrive pas à tuer. Ni symboliquement, ni en baisant sa mère. N'est pas Oedipe de Thèbes qui veut. Même si l'affaire n'est pas aussi complexe qu'il n'y paraît. Le Keith n'est pas homme à s'allonger sur un divan. Préfère Robert Johnson à Doctor Freud. Pas intello pour deux sous. Un ciboulot de prolo. Un fainéant de la vallée fertile cher à Cossery, mais qui a réussi. Est devenu millionnaire en refusant de se salir les doigts à tourner les pages du code du travail. Un comble, aux antipodes des valeurs et bourgeoises et marxistes. Le rocker hors de tout schéma. Faut le faire entrer dans les clous le plus vite possible. Un mauvais exemple. Pas étonnant qu'il arbore un look de pirate et la tête de mort nacrée sur la Fender noire.

 

Suffit de remonter à la scène originelle pour que tout s'ordonne et que toutes les pièces du puzzle s'encastrent à merveille. L'embêtant avec Keith c'est que le début ne se trouve pas au commencement. Au mitan de sa vie, mais à la fin du livre puisqu'une fois celle-ci repérée il est inutile de continuer à forcer la serrure puisque l'on a découvert la clé. La nodalité agissante est archie-connue. C'est Keith lui-même qui l'a révélé, en toute innocence. L'a mélangé les cendres de son père à de la coke et s'est préparé deux rails, two hot rails to hell qu'il n'a pas manqué de sniffer.

 

Reconnaissance du père ! Le papa dans le ventre du fils. Le phantasme des femmes qui sont biologiquement destinées à tomber enceinte. La groupie peut être heureuse. Qu'importe si Keith ne la remarque même pas ; il n'est plus ce noir continent que la psyché féminine a du mal à appréhender. Love me / don't love me. Là n'est plus le problème. Le même en version masculine. Miroir idôlatrique d'unicité. Andréa retourne chez elle. Keith peut vaquer à ses occupations. Amanda est guérie. Amanda est soignée. Par auto-médicamen(s)tation. Maintenant elle entrevoit son corps de fan, son corps de femme, comme le lieu de conjonction idéale entre Keith et Elle. L'est restée de l'ordre du fan-tasme. Mais la transgression oedipienne a eu lieu. L'est sûr que le mari se trompait puisqu'il la trompait. Le vide de sa solitude à elle s'auréole de la plénitude de Keith. Transfert réussi. Fin du récit.

 

Beaucoup plus une histoire d'Amanda Sthers qu'un livre sur Keith Richards. Très belle couverture, un manche de guitare dont on aimerait qu'il se faufile sous la jupe contre laquelle il repose. Mais il n'en faut pas trop demander à Keith, c'est quand même lui qui doit avoir le mot de la faim femelle.

 

Damie «  freud-freud débile » Chad.

 

 

 

ROCK MADE IN FRANCE

 

PATRICK MAHE

 

 

( Hachette EPA – Editions Du Chêne / 2010 )

 

 

Pour Mumu et Billy, en souvenir d'Henri,

 

 

C'est la teuf-teuf qui m'y a mené tout droit. L'avait parcouru six cent cinquante kilomètres d'une traite et avait eu besoin d'un picotin de kérosène. A la caisse de la station-service, la couverture rouge avec ROCK qui se détachait en grosses lettres m'a interpellé, un peu comme Dieu a appelé Paul Claudel derrière le pilier de Notre-Dame de Paris. Mais j'ai eu davantage de chance, ce n'est pas le petit Jésus qui m'a refilé sa camelote foireuse, j'étais face au présentoir des invendus aux prix cassés, l'ai eu pour cinq euros au lieu de trente-cinq, tout neuf, tout propre.

 

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De Patrick Mahé, nous avions déjà chroniqué Elvis et les Femmes ( livraison 125 du 03 / 01 / 13 ), l'est né en 1943, ce qui explique son intérêt pour Presley et Hallyday. N'est pas un historien du rock, plutôt un polygraphe, qui peut se targuer d'une belle carrière dans le journalisme, aux commandes de Paris-Match durant une quinzaine d'années, directeur de collection aux Editions du Chêne, et divers autres postes de responsabilités médiatiques... un habitué du haut du panier. Dans sa jeunesse il a milité à Occident, mais l'âge adulte survenant l'a préféré pantouflé bien au chaud, dans les groupes de presse. Gramsci l'avait théorisé dès les années trente, si vous désirez le pouvoir politique, assurez-vous d'abord d'être maître de l'hégémonie culturelle. Il s'agit de proposer aux masses populaires, non pas ce qui leur permettrait de prendre leur destin en main, mais au contraire ce qui leur donnera assez de satisfaction pour qu'ils n'éprouvent plus le besoin de l'urgence d'une telle mutation sociale. L'en faut pour tous les goûts. Formule passe-partout qu'il est préférable de substituer à l'expression « état de conscience ». C'est que si les préférences égotistes qui ne se discutent pas aident au maintien de tout conservatisme, les niveaux de conscience eux par contre peuvent s'élever. Pour les imbéciles l'on distribuera de l'eau de rose, pour les plus vindicatifs de l'eau de rock. Navigation en eaux troubles, les récifs de la rébellion sont aussi dangereux que les bancs de sable de l'acceptation béate. Le rock aide-t-il à supporter le système ou à le détruire ?

 

 

SANS SURPRISE

 

 

Rock en France, yes but only in the sixties. Et encore plutôt le début, les années 60 à 64. Nos pionniers à nous, Johnny ( beaucoup ), Eddy ( un peu ), and Dick ( à peine ), mais surtout cette myriade de groupes éclos de nulle part. Certains n'hésitent pas à affirmer qu'il y en eut plus en France qu'en Angleterre, je veux bien, mais je n'y crois guère. En tous les cas Patrick Mahé ne s'aventure point en de telles hypothèses. Reste classique. Peu de textes, beaucoup de photos. Agréablement mises en pages. Rien de bien neuf dans les documents. Toujours les mêmes qui reviennent depuis trente ans dès qu'on évoque cette époque. L'est sûr qu'en ces temps-là tout le monde ne se baladait pas avec son portable à la main. Aujourd'hui dans certains concerts, vous avez l'impression que les gens sont venus pour tirer le portrait des artistes, mais surtout pas pour les écouter. Arrêtons de jouer au grincheux de service.

 

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L'ensemble est assez bien fait et couvre les différents aspects du phénomène rock. Rock et Yé-yé car en France le mouvement sera très vite récupéré. Se dégonflera de lui-même. Les mésaventures survenues à Vince Taylor, serviront de signal. Il est des limites qu'il ne faut pas franchir. Beaucoup mettront de l'eau dans leur rock... L'histoire se terminera avant d'avoir commencé. Et le combat cessa faute de combattants. Les rockers ont raté leur rendez-vous. Sont venus trop tard. Car ils sont sortis de l'oeuf après la bataille. Et quand ils sont arrivés l'on n'avait plus besoin d'eux. Les faiseurs squattaient les bonnes places. Sont devenus des marginaux du système discographique et il faudra attendre plus de vingt ans avant que ne se développe un réseau parallèle. Beaucoup de casse. Et les saisons de l'oubli sont passées par dessus...

 

 

NOSTALGIE

 

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De tout cela, le livre ne cause point. Se contente de nous ramener au bon vieux temps. L'on dresse le bilan avant que le rideau ne tombe. Dans la tombe. Une génération essaie de passer le flambeau à celles qui arrivent. Vision optimiste des choses. Se repasse plutôt une dernière fois le film qui n'intéressera bientôt plus personne. La folie des années soixante, tu parles comme disait le grand Charles, en 2030 n'y aura plus beaucoup de survivants pour s'en rappeler. On les aura enfermés dans les maisons de retraite pour être sûrs qu'ils ne reviendront plus ramener en public leur sale gueule d'anciens combattants. N'ont même pas été capables de la gagner leur guéguérock et si on les écoutait, ils en remettraient une couche une fois de plus. Le monde aura évolué.

 

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Faut être honnêtes, quand on regarde derrière les idoles, que l'on mate les anonymes perdus dans de rares arrière-plans, il y en a beaucoup qui paraissent godiches, surtout les filles. La choucroute sur leur tête leur confère une lourdeur teutonne peu avenante. Me souviens pourtant que certaines copines de ma soeur étaient très jolies. Comme quoi nos goûts évoluent ou alors c'est que la chair juvénile et l'os de la réalité sont plus avenants que le papier glacé des photographies. De l'autre côté beaucoup de garçons ont l'air trop sages. Comme par hasard, seuls Gene Vincent et Vince Taylor présentent une virilité digne de ce nom. Encore sont-ils des pièces rapportées. Made in USA. Relookés in Great-Britain. Les deux nations mères du rock.

 

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Le seul français – encore qu'il ne vaudrait pas mieux remonter très haut dans son arbre généalogique - qui s'en tire le mieux c'est Johnny, le chouchou de Patrick Mahé et de Salut Les Copains. Une meute de photographes sans cesse à ses trousses, sur le nombre il est sûr que l'on parvient à profiler quelques très bons clichés. L'était tout de même beau, avec sa mine boudeuse et sa peau musclée toute bronzée. Sensuel.

 

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Glissons une larme pour Henri Leproux, qui vient de nous quitter ce jeudi 12 juin 2014 à l'âge de quatre-vingt-six ans, entre Johnny et Eddy, une photo prise en 1974 – surtout remarquable pour la chemise country de Mitchell - issue d'une série dont on a depuis trente ans pris l'habitude d'illustrer tout article évoquant la personnalité du père fondateur du Golf-Drouot. C'est fou ce que je deviens nécrophile ces derniers temps !

 

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Le temps de feuilleter et c'est déjà fini. Patrick Mahé n'a pas dû attraper une grosse céphalée à écrire le book. Parce que pour la récolte des photos ce sont les petites mains qui ont dû s'y mettre, c'est à croire qu'il ne possède pas d'archives personnelles. Rien d'exceptionnel, faites comme la teuf-teuf, même si dans certaines revues et librairies on vous le présente au prix fort, dirigez-vous du côté des soldeurs. Gardez votre argent pour plus substantiel et davantage érudit. Le rock grand-public est une hérésie. C'est plutôt une affaire d'hérésiarques.

 

Damie Chad.

 

 

 

ROCKY ROAD BLUES

 

 

J'avertis les aficionados, peu rocky et beaucoup bluesy. C'est une histoire vraie. Qui est arrivée à un copain. A sa soeur pour être exact, mais c'est tout de même un peu de sa faute à lui. Avant d'expliquer, pointez-vous sur le facebook d'Hervé Loison alias Jake Calypso. Vous en crèverez de jalousie. Les photos de son voyage in the South, la route du blues, le portail de Graceland, l'enregistrement dans le studio Sun, la tombe de Son House, bref la totale...

 

 

 

Ben le copain il n'est pas parti aux States, sa soeur oui. Et la grande soeur, elle a pensé à son petit frère, avant de prendre l'avion elle est passée chez lui pour qu'il lui remette une liste de disques, car elle voudrait lui faire un petit cadeau, mais la musique de sauvage qu'il écoute ce n'est pas tout à fait son truc, une liste avec quelques titres, ce serait l'idéal.

 

 

 

Le frérot il aurait pu lui dresser un rouleau de trois kilomètres de long, mais il ne veut pas importuner sa soeur ni lui occasionner de longues et difficiles recherches du genre un original de 1959 de Faron Young, I Hear You Talkin, que tout amateur de rockab possède en trois exemplaires dans sa collection. Non, il se contente de griffonner trois noms, en précisant que peu lui importe les titres, qu'elle prenne n'importe quel disque ou CD d'un des trois chanteurs, lui il sera heureux, même avec un greatest hits paru en 2014... Pourvu que ce soit un pressage américain qu'il pourra tendre l'air de rien aux copains : «  Tiens j'ai la dernière sortie de Tartempion aux States, rien de mirifique, but directly from the USA... »...

 

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Ici un grand blanc de plus de quinze jours, le temps que la soeurette arpente le pays de Thomas Jefferson... Enfin un coup de téléphone... elle n'a pas raccroché qu'il sonne déjà à la porte piaffant d'impatience. Mais c'est un garçon poli qui en règle générale n'aime pas brusquer les gens, alors la frangine il lui laisse le temps de raconter ses émerveillements.

 

 

C'est un peu long. Surtout la série des cinq cents quatre-vingt trois clichés du Grand Canyon, avec les commentaires exaltés de la grande soeur... Deux heures plus tard, il sent que l'on se rapproche du but, il vient de passer les frontières de la Californie et sa soeur arpente les avenues de Los Angeles lorsque brutalement elle tombe sur un magasin de disques, trois étages, chacun cinq fois plus grand que la Fnac.

 

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L'est un peu déroutée dans le labyrinthe, alors sagement elle sort le papier soigneusement calligraphié par le copain et s'adresse à un vendeur. «  What's Carl Perkins ! I don't know it ! I' m looking for, on the computer ». Des milliers de références déboulent sur l'ordinateur, mais après une demi-heure de recherche, il n'a rien trouvé. En son for intérieur elle fulmine contre son petit-frère mais son regard est si triste, que le vendeur s'apitoie, et puis l'on ne va pas laisser a french girl in the caca, il s'enquiert auprès des collègues qui manifestement n'ont jamais entendu parler de Carl Perkins, mais il lui reste encore une arme absolue, the big boss in person qui accourt, qui se lance dans une discussion animée avec son employé et qui après s'être plongé un grand moment dans l'ordi doit convenir que lui non plus ne connaît pas Carl Perkins.

 

 

Mais le boss a la bosse du commerce. Le genre de gars qui vous vendrait un cerveau d'appoint à Einstein. Peut-être que la french dame aurait un autre artiste à proposer. Oui bien sûr, elle déchiffre la seconde ligne : ce sera plus facile, tout le monde connaît Hank Williams. A la mine consternée des deux hommes, elle comprend qu'il aurait mieux valu qu'un avion surchargé de terroristes s'écrasât sur la Maison Blanche, parce que Hank Williams ils sont sûr d'une chose, jamais de leur vie ils n'en ont entendu parler ! Est-elle vraiment certaine qu'il existe vraiment ? Ne se serait-elle pas trompée en copiant le nom ?

 

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En dernier ressort, toute désespérée, elle balbutie le dernier nom inscrit par le copain : «  Johnny Cash ». La figure des deux hommes s'illumine. Bien sûr qu'ils connaissent Johnny Cash, et tous deux se ruent sur l'ordinateur dont ils ressortent navrés : ils ont regardé par acquis de conscience, ils en étaient sûrs, ils n'avaient pas de Johnny Cash dans leurs bacs. Ils prononcent cela d'un ton définitif comme s'ils disaient «  J'aimerais bien savoir quel genre de magasins doit posséder des disques de Johnny Cash en ce bas-monde ! ».

 

 

Le big boss est un parfait gentleman, il accompagne la soeurette jusqu'à la porte...

 

 

C'était une histoire vraie pour l'édification morale des fans français. Sommes-nous le futur ou le passé du rock'n'roll ?

 

Damie Chad.

 

 

 

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