26/06/2014
KR'TNT ! ¤ 195 : DeRELLAS / L'ARAIGNEE AU PLAFOND / LOREANN' / JALLIES / PATRICK EUDELINE
KR'TNT ! ¤ 195
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
26 / 06 / 2014
DERELLAS / L'ARAIGNEE AU PLAFOND / LOREANN' JALLIES / PATRICK EUDELINE |
L'ESCALE / LE HAVRE ( 76 )
derellas : 16 – 05 14
LE DELURE DES DERELLAS
Retour à l’Escale, au Havre, pour un set fantastique des DeRellas. On arrive juste au moment où ils claquent leur premier accord. Slam Bam ! Sur la scène minuscule s’entassent quatre sleaziers britanniques de qualité supérieure : à droite, un guitariste coiffé comme Johnny Ramone sort un gros son sur une Gibson SG. À gauche, un bassman coiffé à l’épi comme Sid Vicious trépigne et envoie une jambe en l’air comme s’il dansait au Moulin Rouge. Derrière, un drummer coiffé comme Adonis bat le beurre avec une certaine célérité. Et au beau milieu de ce barouf intense se dresse un personnage extraordinaire, une sorte d’ogre à profil de Tiny Tim, avec un regard souligné au khôl et une Epiphone lookée comme une Les Paul blanche dans les pattes. Il promène sur la petite assemblée un regard d’empereur romain décadent et chante d’une grosse voix de glamster chevronné. Les DeRellas sonnent comme leurs héros. Ils sortent un glam-punk digne des Ramones et des Dolls, des Dead Boys et de T Rex. Ils alignent une série de morceaux glorieux, souvent montés sur des mid-tempos bardés d’accords bien gras. Ils perpétuent la tradition bien anglaise d’un rock classique, bien charpenté et imparablement décadent. Ils ont l’énergie des Wildhearts, la classe des Vibrators, l’envergure des Hollywood Brats et la prestance de Generation X.
L’ogre s’appelle Robbie Tart. Une vraie force de la nature. Il pose sa voix sur le gros tapis d’accords et ne force jamais. Mieux encore, il module les intonations et ne rate pas une seule occasion de glisser dans l’expressionnisme perverti. C’est ce qu’on appelle une voix. On sait toujours quand il manque une voix dans un groupe, mais on ne sait pas toujours reconnaître la force d’une voix parce qu’elle devient une évidence. Le fait que Robbie Tart sache vraiment chanter paraît normal. C’est bien là le drame des évidences. Quand on a vu des mauvais chanteurs comme celui des Datsuns ou encore James Williamson, on est bien content de tomber sur un mec franchement doué comme Robbie Tart. Et ça va même beaucoup plus loin. L’ogre est timide. Il n’est pas du genre à la ramener. Quand cette armoire à glace vient signer ses disques après le set, il reste très en retrait derrière Timmy, le bassman, qui est le porte-parole du groupe. Timmy assure la vente des disques et range les rares billets qu’il parvient à grapiller dans son petit porte-monnaie. Ces mecs n’ont pas un rond et ça se voit. Ils vendent leurs disques dix euros. C’est presque un cadeau.
Quand on demande à Timmy d’où sort le nom du groupe, il explique que ça vient de Lou Reed. Il avait fabriqué un surnom pour Warhol, Drella, en mélangeant les noms de Cruella DeVil et de Dracula. Mais pour Robbie et Timmy, Drella ne sonnait pas très bien. Alors, ils lui ont donné un petit côté mafieux-new-yorkais et c’est devenu les DeRellas, en route pour la gloire, comme les Ramones, quarante ans avant eux. Ils se présentent comme Timmy DeRella, Tommy DeRella et Luca DeRella (guitare). Le seul qui garde son nom, c’est Robbie, car il dispose d’une petite notoriété qui se révèle assez utile au groupe : Robbie a joué de la basse dans les Vibrators, à l’époque de l’album «Energize».
Comme Nikki Sudden, Robbie est un fan de glam. Le premier single qu’il s’est acheté fut «Can The Can» de Suzi Quatro, qu’il continue d’adorer. Il devenait dingue quand il voyait Sweet à Top Of The Pops, puis il est tombé sous le charme de Marc Bolan. Quand le mouvement punk a explosé en Angleterre, sa préférence est allée à Generation X.
N’oublions pas que le glam anglais a généré pas mal de vocations : Wildhearts, Quireboys et Dogs d’Amour en Angleterre, Hanoi Rocks en Finlande, Kiss, D-Generation, Motley Crüe et tout un tas de cloches tatouées aux États-Unis.
Le seul canard anglais qui consacre un peu de place aux DeRellas, c’est Vive le Rock. Coup de chapeau quand ils montent sur scène à Londres et chronique flatteuse de leur deuxième album, «Slam! Bam!». C’est vrai que l’album accroche bien, à condition toutefois de bien aimer le sleaze rock. La pochette est un joli montage de bouts de comix américains. Si on s’étonne de la qualité du son, ce n’est pas par hasard. Pat Collier (membre fondateur des Vibrators devenu producteur de renom à Londres) a produit l’album. Côté son, les douze titres sont absolument superbes, bien gras et bien ronflants, de construction classique mais la production est si bien foutue qu’on se régale du panaché de riffs. Le génie de Pat Collier, c’est d’avoir réussi à poser la voix de Robbie Tart sur ce tapis bien gras pour qu’elle y rayonne comme une perle sur le satin rouge d’un écrin. Ils ouvrent le bal avec «Rock N Rollercoaster», insolente petite pièce de glam punk amenée avec des accents canaille et chaloupée par le gras du jeu de Luca Derella. Il émane de ce cut à l’odeur forte une certaine grâce. Oh, de toute évidence, les DeRellas n’inventent pas le fil à couper le beurre. Ils laissent ça à d’autres qui vont essayer de faire les malins. Les DeRellas préfèrent s’amuser et c’est exactement pour cette raison qu’on les apprécie. «Kids Wanna Slam» reste dans la veine du premier cut, ils l’emmènent au cocotage et lui donnent une vraie couleur glam. Hey ho ! On a même une belle percée incendiaire de Luca DeRella dans le milieu du cut. On y retrouve le panache du grand glam anglais des années de braise et de paillettes, comme dirait l’ami Tahar. Comme les 1990s de Glasgow, ils tentent de rallumer le brasier du pur glam, mais ça ne va pas être facile en Angleterre, car les gens se sont un peu dispersés. Dommage, car le bon glam reste un genre imparable et magistral, une sorte de recette miracle. Robbie chante «Don’t Go» avec ce qu’il faut de décadence dans le ton du cru. En écoutant l’album, on le revoit chanter à l’Escale. C’est une présence extraordinaire. Probablement l’un des grands showmen britanniques actuels mais il est à craindre que la renommée des DeRellas ne reste confidentielle. Leur gros hit pourrait bien être «London A Go-Go», un morceau dont le refrain mélodique ensorcelle - baby let’s dance - le genre de morceau qui traîne sur une face d’album et qui tout à coup prend une importance considérable. Un peu comme «All This And More» sur le premier album des Dead Boys, qu’on revenait écouter inlassablement, même si n’aimait pas ce groupe et ce qu’il cherchait à incarner. Quelque chose dans le ton du morceau, dans la mélodie et dans le son plaît terriblement et pouf on décide que c’est lui l’élu. «London A Go-Go» se distingue des autres morceaux de l’album par une réelle élégance et les oreilles de lapin se redressent aussitôt, comme des bites. On sent un vrai potentiel. On se croirait chez les mighty Wildhearts. En face B, ils renouent avec l’énergie dévastatrice du glam pour balancer «Stick It To The Man», bien traversé de descentes de manche à la T Rex, et en plus, c’est stompé dans les règles de l’art. Que demande le peuple ? Ces mecs sont très forts. Ils s’appuient sur les deux gosses mamelles du rock anglais : le glam et le punk. Au moins, personne ne pourra les accuser de médiocrité. Ils sont comme protégés. Toujours autant de panache dans «She Kissed The Gun», où ils frôlent leur perfection, car enfin que peut-on espérer de mieux, dans le genre ? Ils ont tout : le son, la compo, l’éthique et la foi. Robbie Tart chante son glam à la perfection de la perversion. Et la température continue de grimper avec leur reprise du «Be My baby» des Ronettes, avec laquelle ils ont fait un malheur pendant le set. Leur énorme reprise corrompue dit bien toute la puissance du genre, car la mélodie se retrouve sertie sur un son dévastateur. Une sorte d’effarance alambiquée donne à leur panache une dimension éclatante et établit définitivement la suprématie des glamsters anglais sur le reste de l’univers. Personne n’osera jamais prétendre le contraire.
Pour finir leur set, ils reprenaient un autre classique imparable, «Baby Baby» des Vibrators et l’ogre nous chantait cette merveille avec un sourire gourmand. C’était sa façon de lier les époques et de dire que la magie n’avait pas disparu.
Les DeRellas n’en étaient pas à leur coup d’essai. Leur premier album paru en 2009 s’appelait «Hollywood Monters» et il contenait lui aussi son lot d’énormités. Dès «Crash & Burn», on est saisi par la qualité du son, plus rude, et embarqué par le tempo. Robbie Tart prend bien le chant dans le gras de la glotte et il va chercher des effets bien néfastes. Fidèle au poste, Luca sort un solo vitriolique. Ils nous balancent ensuite un petit glam rock à la Dictators, avec un côté jus de juke très comique et très sérieux en même temps. Ils y vont de bon cœur, comme d’usage, c’est leur force. Au fond, ils ne font que convaincre les amateurs de continuer à les écouter, ce qui est de bonne guerre. Et c’est le genre de bonne guerre dont on finit par devenir friand. Attention à «Freakshow» ! Ça pourrait bien être l’autre monster hit des DeRellas - a wow-wow - Robbie chante le glamour avec l’extrême affectation des grands seigneurs de la décadence et derrière, c’est claqué à l’accord, et même sévèrement cocoté - a wow-wow - Franchement, Robbie incarne bien cette décadence à l’anglaise dont on raffole depuis plus de quarante ans. Peu de chanteurs ont ce pointu glam perverti au chant. Il y a principalement du Peter Perrett chez lui. Dans sa façon de chanter, on retrouve aussi celle de gens comme Michael Des Barres, Brett Smiley et Stiv Bators, qui - avoue-t-il - est l’une de ses idoles. Dans «Everything’s Jaded», les DeRellas renouent avec un son qui a quasiment disparu de l’actualité du rock anglais. Yeah Yeah, c’est délicieusement perverti. Robbie chante comme le Néron du glam, depuis sa terrasse, il domine les ruines de la scène anglaise. Puis ils nous cocotent «Something To Say» à la mort du petit cheval, ils nous tartinent ça outrageusement et Robbie n’en finit plus de chanter dans la tradition de l’art. Nouvelle reprise de choc avec «You’re So Vain», le vieux tube FM de Carly Simon dont on nous rabattait les oreilles à une autre époque. Robbie et ses amis la cuisinent à leur sauce, à la grosse cocoterie et ils retombent sur les beaux échos FM avec le renfort d’une fille qui fait les chœurs. Admirable. Le son reste plein comme un œuf de tyrannosaure. Ils font de cette reprise une belle pièce vivante et même palpitante de sleaze-rock à l’anglaise. C’est un franc succès. Du coup, ils pourraient bien devenir des héros mythologiques, en Angleterre, comme le sont devenus les Wildhearts. Ce petit groupe sans horizon ni moyens sonne comme l’un des meilleurs groupes de glam de l’histoire du rock. Alors ? Ils envoient «Kill Me Kill You» rouler dans les orties. C’est chanté et solide. Robbie reste calme. Le son reste le délectatif. Luca balance ses solos classiques. Et ils sont tellement bons qu’ils rajoutent une petite stoogerie, histoire de montrer leur capacité. «Auto Destructed» pourrait très bien se trouver sur le premier album des Stooges. Why not ? Et ils finissent avec un classique glam épouvantable qui sonne comme du T Rex ultra-vitaminé : «Yeah !» Pas de cadeau, ils envoient leur giclée de sleaze dans l’œil du diable qui s’enfuit en poussant des gémissements de plaisir. Robbie Tart manie le paradoxe avec un doigté de tatoué.
Signé : Cazengler, le derellaconique
Derellas. L’Escale. Le Havre (76). 16 mai 2014
DeRellas. Hollywood Monsters. Crushworld Records 2009
DeRellas. Slam! Bam! Key Production 2014
De gauche à droite sur l’illustration : Timmy DeRella, Robbie Tart et Luca DeRella.
FÊTE DE LA MUSIQUE / PROVINS / 21 -06 - 14
L'ARAIGNEE AU PLAFOND
Trop tard pour monter sur Paris, je resterai donc sur Provins. Ca ne promet rien de bon. J'ai des souvenirs à vous tordre de rire ou à pleurer de désespoir. Quand je pense à tous les groupes de rockab dans les HD Diners... Commençons par un tour de la ville, gustatif. D'emblée j'élimine toutes les sonos devant les cafés. Certains s'imaginent faire de la musique, j'appelle cela passer des discs. Trop souvent très mauvais.
Je n'ai rien contre les amateurs, mais quand la balance dure et qu'au bout de quinze minutes l'on n'a pas encore réussi à trouver la prise où est branché le fil du micro... j'entraîne ma gerce un peu plus loin. Remarquable initiative. Nous voici avec Fenimore Cooper au pays des iroquois, des crêtes partout, multicolores et flamboyantes, nous sommes chez les Drunker, des punkers de la dernière génération. Drunker ça déchire grave, ça cogne fort et vous avez un soliste qui tire des riffs à la mitrailleuse lourde. Ca dépiaute sec, les chiens refusent de passer devant l'estrade, faut que leurs maîtres les poussent, les tirent et menacent de les abandonner à la SPA pour qu'ils acceptent de traverser en rampant la zone rouge. Pas trop d'imagination, un peu convenu, mais moi je serais bien resté. Pas la copine qui devient toute blanche à chaque fois que Drunker secoue le cocotier un peu trop fort, comptez un tsunami toutes les quinze secondes. Sont de Nangis, le bled à côté, on les reverra plus longuement.
Place Honoré de Balzac. C'est ici que l'illustrissime auteur de la Comédie Humaine venait se retirer lorsque les huissiers parisiens assiégeaient d'un peu trop près son domicile parisien. Si je ne m'abuse il y a un groupe sur scène ! Triple buse ça tombe mal dans mon oreille, c'est Buse. Ornithologiquement parlant un bel oiseau, mais je n'aime guère que l'on abuse de ma patience musicale, Buse c'est un mix entre du sous-sous-Téléphone ( je parle des lyrics ) et la chanson française à texte qui se prend pour de la poésie. La copine papote avec un groupe de jeunes mais je l'arrache des griffes de l'infâme cacatoès qui depuis son perchoir me donne envie de me faire ara qui rit.
L'on refait un tour de ville : je vous épargne le thé dansant, quatre blaireaux entourés par trente couples de taupes branlantes qui ont réservé leur dernière danse avant l'arrêt final au cimetière, un truc qui vous fait regretter de ne pas être né cul-de-jatte, je ne moufterai pas un mot sur l'estrade zouk, une prestation encore plus déplorable que les années précédentes, bref devant le désastre annoncé, la mort dans l'âme mais grand seigneur, je laisse la copine choisir notre lieu de perdition. Veux retourner sur la place Balzac, qu'elle dit, je connais une des chanteuses, elle va chanter bientôt. Elle était avec les jeunes avec qui je discutais tout à l'heure. Tu vas voir, je suis sûr que ça va être bien !
L'ARAIGNEE AU PLAFOND
Demoiselles, inutile de vous jeter en hurlant dans mes bras protecteurs, je vous promets qu'à la fin de cette kronic vous considèrerez les araignées d'une manière plus apaisée. Je dis « les » parce qu'en plus de celle dessinée qui squatte la grosse caisse, il y en a toute une famille sur scène. Six en tout, je n'ose pas dire des petites et des grosses parce qu'elles sont toutes minces et ma foi de mine fort avenante.
Tellement jolie que je pensais que c'était la grande soeur, mais non c'est la maman qui tient la basse, l'a mis son riquiqui de neuf ans au clavier, et le cadet de treize ans au saxophone. Ce dernier a invité son meilleur copain sur la batterie. Crâne lisse et barbe de hard rocker, c'est le père à la guitare. Un véritable jeu des sept familles. Tout à l'heure c'est la grand-mère qui sortira des coulisses pour venir jouer du trombone. A coulisse comme il se doit. Comme cela, alors qu'ils sont en train de s'installer l'on se demande si c'est la famille tuyau de poêle ou un gag. Mais lorsque Mildred s'approche du micro, un miracle s'opère, l'on se croyait face à un assemblage hétéroclite juste rameuté pour le fun, mais tout de suite le puzzle désordonné prend l'apparence d'un véritable groupe. C'est qu'elle a du chien Mildred, les bras serrés contre son trois-quart, ses cheveux blonds en cascade sur ses épaules, une présence indiscutable. Quinze ans, toute belle, du charme et de l'aisance. Elle n'a rien à reprocher aux dieux qui se sont penchés sur son berceau.
Un, deux, trois, c'est parti. Pas vraiment en place, mais c'est génial. Le sax est un peu trop haut et la batterie manque de profondeur – à treize ans l'on n'a pas obligatoirement les biscotos nécessaires. L'on a l'impression que le roudoudou sur ses synthés s'emploie à masquer les trous et que les parents ne se mêlent pas tout à fait au jeu. Aux gamins de se débrouiller tout seuls. Ce qu'ils font comme des grands. Car tout compte fait il appert assez vite que le batteur tient la cadence sans faillir, sur les claviers l'on agit avec à-propos, et le sax souffle sans interruption.
Et puis Mildred. Une voix claire encore juvénile, en même temps harmonieuse et criarde, aigüe et ondoyante. Une seconde elle dérange et en deux secondes elle vous ouvre la porte de la chorale des anges. C'est elle qui mène et vous suivez. Faut voir la facilité avec laquelle elle s'applique. Une guerrière, elle transcende et elle subjugue. Elle tend le bras et le monde se met en mouvement.
Tempo rapide et morceaux courts. Des sucreries pop mais point de rhubarbe mélodieuse engluante, un peu french eighties survitaminées mais une reprise de Louie Louie – l'hymne garage par excellence - indique que L'Araignée Au Plafond ne donne pas dans la mièvrerie. C'est elle qui manie le balai dont on détruit les toiles.
D'ailleurs au bout d'une demi-heure Mildred annonce que le concert va « vraiment commencer » avec le morceau qui suit. Et splang ! Un petit AC / DC de derrière les fagots pour se rincer la bouche. Suivez mon regard : qui donc s'agite sur sa guitare par derrière ? Mais l'heureux papa subitement en terre de connaissance qui vous colle des accords à rallonge manière de faire monter la pression. Par la suite il y aura Siouxie and the Banshees, Johnny Cash, Cure, Metallica et tous les autres. Pas des morceaux spécialement sortis d'usine pour le larynx de Mildred. Qu'importe, elle sait s'adapter, elle n'essaie pas d'imiter, elle a compris qu'il lui faut s'approprier les titres, leur imposer sa marque personnelle, les traiter à sa manière, les prendre et les rendre estampillés de son propre sceau. Et elle le fait avec subtilité.
Devant les deux étages de ses claviers le benjamin est sérieux comme un pape, tranquille comme John Paul Jones dans son coin, vous joue du honky tonk sur les country side, et pour le reste ne vous inquiétez pas pour lui il connaît tout le bastringue. Fera même un peu de percu djembé pour se dégourdir les bras. Quant au sax il soufflera plus de deux heures pratiquement sans break, n'aboie pas de solo, mais il impose sa patte sur l'ensemble qu'il colorise d'une rondeur cuivrée et urticante. Sacré boulot. Notamment sur I Put A Spell On You que Mildred a annoncé comme sa chanson préférée. Comme quoi il ne faut jamais désespérer de la jeunesse. Les os de Screamin Jay Hawkins ont dû s'entrechoquer d'aise dans son cercueil.
La foule qui passe s'arrête et ne repart pas. Cinquante personnes au départ et dix fois plus à l'arrivée. Mildred fascine. Naturelle et rouée, elle plaisante, rit, sourit, et se lance dans un dernier morceau qu'elle enlève au triple galop. Longs applaudissements et réclamations d'un petit supplément. Mildred reprend le micro : « Merci, mais Buse refait son set tout de suite après nous. » Et plus personne n'ose élever la voix. Autorité innée. Un léger sourire et tout le monde acquiesce.
Un concert superbe. Plein de fougue et d'entrain. A suivre. A ne pas lâcher de l'oreille. Prometteur. Si vous voyez une aragne aux cheveux blonds qui squatte votre plafond, ne l'écrasez pas. Surtout si elle s'appelle Mildred.
Damie Chad.
Ps : pour Buse on a pris le bus.
LE CESAR / PROVINS / 21 – 06 – 14
LOREANN'
Dans la série I Support My Local Folkler le samedi matin, ça me dit toujours d'aller voir Loreann' faire son show sur la terrasse du César. Ave, regaluturus te salutat. Je ne suis pas le seul apparemment. Je suis vite rejoint par l'ami Richard qui se laissera cette fois-ci amadouer à tel point que triomphant de ses démons intérieurs il en viendra après le concert – alors que nous discutions longuement – à s'emparer de la guitare de Loréann' et à esquisser quelques bossas. Depuis le temps que je lui dis qu'il est temps qu'il se remette à bosser sa gratte, il m'a enfin entendu. D'ici quelques semaines j'imagine un set de Lorreann' avec Richard en accompagnateur pour quelques morceaux. Je vous rassure il se débrouille aussi très bien sur le versant rock. And Folk.
Je râle, Loreann' joue à dix-huit heures dans à La Galerie du Dragon de Verre – Isabelle Flores, vitrailliste en invité d'honneur - avec un autre guitariste et des morceaux qui ne font pas partie de son répertoire habituel au César. Peu de chance que je puisse m'y pointer, toutes les probabilités pour que je sois retenu à cette heure fatidique par ma fille. Mais le bouche à oreilles commence à produire ses effets, Loreann' passe sur la scène du Festiv'Eté de Provins les 28 ( 12 heures ) et 29 ( 11 heures ) juin.
Bon, en attendant, tout le plaisir fut pour nous. La voix suave de Loreann' qui susurre dans le micro, sa silhouette à contre-jour dans le soleil, son sourire timide, le répertoire high standarts folk-rock, les clients qui restent debout sur le côté pour mieux l'écouter, tout se conjugue pour créer un cercle enchanté et enchanteur dans lequel il est doux de venir ressourcer nos coeurs d'acier de rockers subjugués. Par sa seule présence, par la sourde profération charnelle de son chant, Loreann institue un espace isolé et protecteur comme coupé du reste du monde. Comme la mince lueur d'une lampe à huile posée sur le rebord de la fenêtre afin de guider les égarés et les voyageurs solitaires qui traversent la vie sans se douter que quelque part la beauté existe.
Damie Chad.
LA GRANDE PAROISSE / 22 – 06 – 14
Exo 77 : THE JALLIES
Ne lisez pas cette chronique vous allez vous faire du mal. Le temps perdu ne se rattrape jamais. Ainsi tenez, moi par exemple, j'ai raté la fête des Jallies à Dormelles, et d'après les échos que j'en ai eus ce fut très chaud. Par contre à l'inverse de vous j'étais à l'Exo 77. Je me range à votre avis : l'appellation fait un peu hall d'exposition bétonné, mais une fois sur place vous changez votre fusil d'épaule.
Premièrement c'est tout près de la maison, trois petits quarts d'heure en voiture. Juste à côté de Montereau, au coeur du fief historique des Jallies. Un petit coin sympa ? Vous voulez rire ! A mon avis une réplique exacte de l'entrée du Paradis. Peut-être même la véritable entrée du jardin de l'Eden. Mais là je m'avance un peu. Toujours est-il que les endroits où les chiens peuvent courir en liberté, ou vous pouvez fumer et boire en toute quiétude commencent à se faire rare en douce France. De nos enfances perdues.
J'ai particulièrement apprécié notre arrivée, Be Bop A Lula en bande son, des jolies filles en tenue légère un peu partout. Si vous avez mieux à me proposer, téléphonez-moi. J'en oublie de mentionner les beaux garçons bronzés et musclés, l'île assoupie au milieu de la retenue d'eau, les adeptes de ski nautique qui glissent sans bruit sur les lacustres vaguelettes, le sable, le gazon, les rires, la joie, et cerise, fraise et framboise sur le gâteau, ces demoiselles Jallies jaillisantes de sous leur grand parasol.
SUPER SOIREE
Sont les seules à travailler. Deux cents personnes couchées dans l'herbe ou vautrées sur des serviettes, à leurs pieds. La caisse claire du soleil frappe sans compter, imaginez un petit vingt-huit degrés à dix-neuf heures tapantes. Du coup les Jallies nous la jouent à la Sandie Shaw, elles ont délaissé leurs célèbres talons rouges, et marquent le rythme de leurs pieds dénudés. Ô terre sacrée qui a reçu l'empreinte de leurs ravissants orteils !
Pour le son vous excuserez, un léger vent capricieux, un terrain en pente, ce n'est pas l'idéal pour équaliser les instruments. Parfois la guitare est trop forte et parfois un peu faible. Mais qu'est-ce qu'on s'en moque, l'ambiance est si détendue que personne n'y trouve à redire. L'on sent que tout le monde, public et musicien a dignement marqué la fête de la musique avec force libations...
Trois Iseult devant, il est normal que l'on trouve au moins un Tristan derrière. Remplace Thomas, qui arrivera d'un autre concert pour le deuxième set, grosse guitare, petites rouflaquettes, Tristan assure. Ne connaît pas le répertoire par coeur mais il sait quand il doit intervenir. Lance son groove à bon escient, un style un peu resserré, mais que la brise se plaira surtout sur les premiers morceaux à éparpiller quelque peu. Ses interventions se feront de plus en plus vindicatives au cours de la soirée.
Julio, Julios, Julien est là. Fidèle au poste collé à sa contrebasse comme un timbre sur une lettre d'amour adressée aux trois grâces qui s'amusent comme des petites véroles. Un peu fatiguées, mais montées sur pile dès qu'il s'agit de chanter à leur tour. Développent des stratégies d'ensemble, tu chantes un couplet, je prends le deuxième, et moi je mets le rotor sur le wap doo wap suivant. Ce qui me permet d'apprécier des mariages de voix auxquels je n'avais pas accordé l'attention nécessaire les fois auparavant. Leslie-Vanessa pêche et abricot, pêche et cerise Céline-Leslie. Des fragrances synesthétiques auxquelles nous n'avions pas encore goûtées.
Super Jé-Jé ne résiste pas, il sort sa trompette magique de son étui et se lâche complètement sur les morceaux, un peu rythm'n'blues, une touche de jazz, des prolongations de notes soutenues semi-mariachi-semi-Davis, mais en plein dans le Miles. Restera sur scène toute la fin du concert, avec Vaness qui lui plante le micro dans son embouchure comme un couteau dans la plaie. Saignant.
Thomas est revenu. Quatre pour les garçons, trois pour les filles. Ca coupe le monde en deux. Ca valdingue de tous les côtés. Ambiance un peu delirium tremens, Leslie on the rocks, Céline au bord de la crise de nerf, Vaness imperiale, plus les discs jokeys de l'après-midi qui avec leur micro baladeur squattent la sono et interviennent parfois fort à propos sur les lyrics. C'est la chienlit, se serait exclamé le général de la Gaule profonde. Non, c'est la folie Jaillies qui déteint sur le monde.
Un dernier morceau. Dixit Vanessa brusquement illuminée de sagesse socratique. Et paf, ils doublent la mise. Juste un de plus pour la route. Sortent de sous leur parasol, exténués mais heureux, le soleil s'apprête à plonger dans les eaux du lac afin de se régénérer. A La Grande Paroisse, le concert a un peu pris des airs de festivité païenne. Pas très catholique je vous l'accorde, mais ceux qui y étaient ne sont pas prêts d'oublier ces deux heures de joie enfiévrée. Merci les Jallies.
Damie Chad.
( Quatre photos du concert de Dormelles )
VENENEUSE / PATRICK EUDELINE
FLAMMARION / Janvier 2013
J'ai bien aimé Ce Siècle Aura Ta peau ( voir KR'TNT ! 192 do 06 / 06 / 14 ) alors je me suis procuré son dernier livre, Vénéneuse. Je suis atteint de cette maladie qui consiste à lire tout ce que je peux trouver d'un auteur quelle que soit la raison, ici rock'n'rollienne, qui m'agit. Autant Ce Siècle Aura Ta Peau peut être considéré comme un roman symbolique visant à exprimer au travers de ses personnages la vision archétypale d'une époque, autant Vénéneuse est un récit autobiographique à peine détourné.
L'intrigue est des plus simples : deux années de passion amoureuse, rencontre, tumultes, séparation(s), souffrances. Tout le monde a connu cela. Sans nécessairement éprouver le besoin d'en écrire un bouquin. Oui, mais certains ont besoin de commenter ce qu'ils ont vécu pour en mieux comprendre le sens, comme si l'intellectualisation appropriative de l'acte amoureux n'était effective qu'une fois revisitée par le miroir des mots. les écrivains sont comme l'araignée ils tissent leur toile en empruntant le fil dont ils bâtissent leur oeuvre à la trame de leur propre existence.
A chacun son rôle : Lui ( pour reprendre la terminologie d'Alfred de Musset ) : l'intello, la cinquantaine – les dix lustres qui ont tout vu, tout vécu, tout compris – qui vit de sa plume. Rien à voir avec un poëte maudit. N'a toutefois jamais pondu un best-seller. Assez d'entregent germanopratin pour vivre sa bohème de dandy chic relativement à l'aise. Elle : très jeune, très belle, très riche. Enfin ses parents, qui savent entre autre que l'on ne retient une gamine à la maison qu'en tirant sur le cordon de la bourse et sur l'autre, l'ombilical, celui qui la relie à la mère que de nombreuses fiffilles ont du mal à couper...
Un couple mal assorti. Une sagesse acquise de la main gauche et une post-adolescente de vingt-trois ans en totale confusion de sentiments. Quand ils sont au lit, avant et après les galipettes astrales, l'on a l'impression d'être sur le divan du psychanalyste, mais l'interminable séance d'auto-confession terminée c'est au praticien de faire claquer sa carte bleue. C'est que les gosses de riche, ça ne s'habille pas chez Véti-Marché. Lui, dit oui à tout. Pour ne pas la perdre. La caresse dans le sens du poil de sa chatte rasée. Faut dire qu'il a le profil idéologique de la victime consentante. Dandy, qui ne suit pas la mode mais attentif à la griffe et aux marques. Elégant, mais une certaine conformité luxueuse... Beau Brummell de Paris qui ne piffe pas la province.
La Capitale, miroir aux alouettes pour jeunes filles dégrossies. Avec sa taille de guêpe et sa blondeur Elle n'a pas de souci à se faire. Tout Paris serait à ses pieds. Celui des rock stars, celui des producteurs. Mais il ne suffit pas de posséder le plus beau corps du monde. Tout se passe dans la tête. Et celle de la demoiselle est un tohu-bohu invraisemblable. Finira par regagner sa Nîmes natale, Maman, Papa et la respectabilité bourgeoise... Une romance qui s'achève stupidement en queue de crocodile. Loi physique : l'eau la plus vive qui tombe du haut des plus hautes montagnes rejoint toujours le bassin des platitudes dormantes. Au grand désarroi de Lui. Sa barbie de rêve n'était qu'une poupée gonflable. Quand le matelas pneumatique est crevé il est difficile de reposer en paix. Disputes, caprices, absences, jalousies rien ne lui aura été épargné. De quoi vous enlever le goût de recommencer.
Une histoire singulière. Mais au travers de la description de l'état psychique de Camille c'est à une subtile analyse de la psyché féminine que se livre Patrick Eudeuline. Beaucoup y retrouveront des résonances dans les réactions de leurs compagnes plus ou moins occasionnelles. Rarement femme aura été aussi complètement mise à nue. Je ne parle pas de petites culottes voltigeantes. Mais de l'intérieur. Rentrer dans le sexe est permis à tout un chacun. Mais dans la tête. Beaucoup plus difficile de s'y glisser. L'unicité masculine du rêve ne s'accorde jamais parfaitement à la multiplicité opérative de la chair femelle.
Vous avez déjà vécu tout cela. Le livre ne vous apprendra rien que vous n'ayez déjà traversé. A chacun son décor, son milieu sociologique, son idéal féminin ou sexuel. La même comédie, la même tragédie depuis les hommes ( et les femmes ) préhistoriques. Oui mais entre ce que vous rapportez et la manière dont vous le racontez, parfois il existe un gouffre. Ici de beauté. Patrick Eudeline se résume en deux mots : un dandy rock. Vous pouvez détester ce genre de personnage. Oui, mais un dandy rock qui s'est penché dès son adolescence sur une des sources les plus pures de la littérature française, cette période symboliste qui clôt si souverainement le romantisme nervalien. Et cela transparaît, et dans les passages d'éblouissances descriptives, et les analyses quasi-valéryennes des états d'âme des deux personnages. Avec en plus cette incise imparable dans la cruauté de notre modernité incantatoire.
Damie Chad.
PS : Un point très négatif : que Nîmes soit l'incarnation de l'abomination aux yeux du Narrateur je le puis comprendre selon la logique interne du récit. Mais que penser de celui qui arpente les rues de l'antique Nemausus sans sentir battre en sourdine, mais bien plus fort que dans la ville même de Rome, en-dessous de la lourdeur de l'air et dans le filigrane de ses songes, le pouls auguste de l'Imperium Romanum ! Nîmes est l'exemple type de ces Cités Suspendues chères à Luc-Olivier d'Algange, duquel nous chroniquerons très bientôt son dernier livre Au Seul Nom d'une Déesse Phénicienne.
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