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24/04/2014

KR'TNT ! ¤ 186 : DAVY O'LIST / BARFLY / YARDBIRDS / SPYKERS

 

KR'TNT ! ¤ 186

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

A ROCK LIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

24 / 04 / 2014

DAVY O' LIST / BARFLY / YARDBIRDS / SPYKERS

 

DAVY EST SUR O'LIST ROUGE

 

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Depuis quelques années, le frétillant détective Bill Boquet s’était spécialisé dans l’élucidation des mystères du rock britannique. L’un de ses clients, journaliste pour le compte du magazine Uncut, venait tout juste de lui demander de retrouver la trace d’un certain Davy O’List, guitariste légendaire du Swingin’ London. Wow ! Pas évident. Boquet rouspétait :

— Holy shit ! Ça va être la croix et la bannière !

Effectivement, il ne disposait que de très peu d’indices. Ce petit monsieur O’List partageait apparemment le même sort que Syd Barrett, qui fut porté aux nues et qui disparut soudainement sans laisser de traces. Enfin, pas tout à fait. On savait Barrett de retour chez sa mom à Cambridge, et pour couper court à toute spéculation, il était entré dans une sorte de réclusion.

Bill Boquet n’avait aucune raison d’aller à Cambridge. Un, le pauvre Barrett avait fini par s’éteindre dans son lit, comme un notable du XIXe siècle. Et deux, ce parallèle avec Syd Barrett ne servait qu’à huiler une transition. Il fallait bien entretenir le tic tac de la raison mère...

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La seule piste sérieuse dont il disposait était celle de Richard Shirman, le chanteur de The Attack, qu’on avait aperçu quelque part dans l’Est de Londres. Bill Boquet mit ses plus fins limiers sur l’affaire et l’un d’eux finit par loger Shirman dans une fumerie d’opium de Whitechapel.

Bill Boquet bondit hors de son bureau, dévala l’escalier et courut héler un taxi.

— Mulberry Street ! Hâtez-vous car je suis pressé !

Le chauffeur ne répondit pas. Il lança son gros moteur Austin et alla se fondre dans le flot de véhicules qui alimentait l’incessant tournoiement de Charing Cross.

Bill Boquet arriva à l’adresse indiquée à la nuit tombante. Il frappa plusieurs coups à la porte vernie et une petite trappe à hauteur de visage s’ouvrit de l’intérieur. Bill indiqua au Chinois apparu dans le rectangle de la lucarne qu’il souhaitait voir Richard Shirman de toute urgence. Le Chinois hocha la tête et défit un gros verrou pour entrouvrir la porte.

— Vous me suivre, sir.

Bill Boquet emboîta le pas rapide du portier. Ils remontèrent un long couloir mal éclairé et débouchèrent dans une immense salle. Des centaines de fumeurs d’opium goûtaient l’ivresse des paradis perdus, allongés à même le sol sur des nattes. Des jeunes chinois veillaient à l’intendance, alimentant les flammes des lampes et bourrant les pipes à longs becs de boulettes soigneusement préparées. Le portier indiqua une niche dans un recoin obscur.

— Sir Shirman, là !

Bill Boquet approcha de la niche et vit Shirman, du moins ce qu’il en restait. Cet homme qui fut l’un des étalons les plus fringants du Swingin’ London n’était plus que l’ombre de lui-même. Physiquement, on l’avait à l’époque comparé à Jagger. Shirman eut le cran de tenir tête à Don Arden et il tomba plus de filles que n’en tombèrent Michael Caine et Terence Stamp réunis.

— Vous êtes bien Richard Shirman ?

L’homme ouvrit un œil. Il mit plusieurs minutes à réaliser qu’on lui adressait la parole.

— Pardonnez-moi de vous déranger dans un moment aussi précieux. Mon nom est Boquet, Bill Boquet. Ce nom ne vous dira rien. Mais vous pouvez peut-être m’aider. Je cherche des informations concernant votre ancien guitariste prodige, Davy O’List.

 

Un éclair de lumière traversa la rétine dilatée de Shirman.

— Aidez-moi à me redresser... Mettez-ces deux coussins... là... sous ma nuque... Merci.

Shirman parlait d’une voix extrêmement faible. Il fallait tendre l’oreille pour l’entendre.

— Vous arrivez à temps... car je vais sans doute mourir... dans les heures qui viennent... Je suis atteint de la même... maladie que Plonk Lane... cette fucking sclerosis... Donnez-moi ce verre... j’ai la gorge en feu...

Shirman vida son verre lentement. Il leva un doigt osseux et un jeune chinois accourut avec une outre et remplit le verre de Shirman.

— Merci... Tchang... et ça, maintenant... fit-il en lui tendant la pipe.

Tchang s’agenouilla pour préparer une nouvelle pipe. Il officiait avec des gestes de prélat. Il fit dorer la boulette sur la flamme et l’installa au fond du fourneau. Il souffla deux fois dans le bec pour amorcer la combustion et tendit ensuite la pipe à Shirman qui la prit en tremblant violemment.

Il tira une très longue bouffée et inhala la fumée en fermant les yeux. Son visage sembla s’adoucir.

— Je suis même... peut-être déjà mort...

 

— Pas à ma connaissance, Shirman. Regardez-moi, ai-je l’air du diable ?

 

— Let me please... introduce... myself...

Et il se mit à tousser si violemment qu’il perdit connaissance.

— By Jove ! Comment vais-je faire s’il meurt sous mon nez ?

Bill Boquet se pencha sur le visage de Shirman et se mit à lui tapoter doucement le menton.

— Shirman ! Shirman ! Revenez à vous, je vous en conjure !

Une poigne d’acier saisit le poignet du détective et l’immobilisa.

— Pas frapper mort-vivant. Interdit par règlement ! Compris ?

Bill Boquet leva la tête et découvrit le spectacle ahurissant d’un garde chiourme mongol torse nu au crâne rasé. Boquet resta figé comme une statue de sel. Cette apparition le médusait.

Par miracle, Shirman revint à lui. Il cligna des paupières. D’une main tremblante, il dirigea le long bec de la pipe vers ses lèvres et tira une interminable bouffée. Puis il ouvrit la bouche pour reprendre la parole :

— Davy, oui je l’ai connu en... 1964. Il apprenait... la trompette et le piano... au Conservatoire... Quand il a vu les Rolling... Stones, il a voulu... jouer de la guitare...

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Richard Shirman parlait d’une voix d’outre-tombe. Il était à l’agonie. Ses paroles semblaient venir dans un dernier souffle. Bill Boquet tendit un peu plus l’oreille.

— On a monté un groupe... tous les deux... Il fallait un nom... The Attack... à cause de The Action... The Creation... ils avaient tous des... noms modernes... on a pensé s’appeler Evil Ankle... mais on voulait sonner... comme les Who... on a passé des annonces... Melody Maker... on a eu Alan Whitehead de Marmelade... batteur... et Bob Hodges... claviers... et Don Arden... comme manager... il cherchait un groupe... pour remplacer les Small Faces... qui voulaient le quitter...

Bill Boquet notait tout sur son calepin.

— Vous aviez aussi John Du Cann dans le groupe, non ?

— Ohhh, John est arrivé... après le départ de... Davy... On a fait deux singles... avec Davy... Puis Mayall a voulu... l’embaucher... pour remplacer Clapton et... Peter Green... Davy a dit non... mais comme nos singles... ne marchaient pas... il est parti jouer... dans The Nice... ils accompagnaient... PP Arnold sur scène...

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— Vous souvenez-vous des titres des chansons enregistrées avec Davy ?

— Je... Je... ahhhh my God...

Il fit un effort considérable pour continuer à respirer.

— R... P... argghhh !

Et sa tête roula de côté.

— C’est vraiment la croix et la bannière ! Qu’a-t-il voulu dire ? RP ? RP mon cul, oui !

Discrètement, Bill Boquet palpa les poches de Shirman. Il sentit la présence d’un objet dans la poche de sa veste. Il s’en empara et quitta les lieux aussitôt.

Il décida de regagner la station de métro à pieds. Il avait besoin de marcher. Il sortit l’objet récupéré sur Shirman et l’examina à la lumière d’un réverbère. Il s’agissait d’un CD de The Attack. Il sursauta en voyant le logo du label au dos du boiter :

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— RPM ! By Jove ! Quel âne je fais ! J’aurais dû y penser !

Aussitôt rentré chez lui, il mit le disque de Shirman dans le lecteur de CD et écouta les quatre titres enregistrés par Davy avec The Attack. «Any More Than I Do» pulsait comme un hit freakbeat et on entendait Davy placer ses chorus piquants. Il y avait aussi une version moddish du fabuleux «Try It» des Standells qui aurait dû exploser en Angleterre. Et leur «Hi Ho Siver Lining» fut pris de vitesse par celui que Mickie Most fit enregistrer à Jeff Beck. Le festival s’achevait avec «We Don’t Know» un gros r’n’b secoué par les notes de guitare de Davy.

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Comme c’était Chris Welch qui signait le texte du booklet, Bill Boquet prit rendez-vous avec lui dès le lendemain. Le vieux journaliste - authentique vétéran de la scène anglaise - le reçut dans le capharnaüm qui lui servait de bureau. Des piles de disques et de livres menaçaient de s’écrouler sur les visiteurs et il semblait qu’il restait à peine assez d’espace pour respirer. Personne n’avait dû faire le ménage dans cette pièce depuis un demi-siècle. Bill Boquet se mit à tousser.

— Désirez-vous une bière bien fraîche, sir Boquet ?

— Ah ce n’est pas de refus, merci, sir Welch !

Et il se remit à tousser de plus belle. Ce fut une quinte terrible. Il tressauta violemment dans son fauteuil et finit par cogner de l’épaule une pile d’environ trois mètres de haut qui s’écroula, entraînant dans sa chute d’autres piles, le tout dans un nuage de poussière apocalyptique. Bill Boquet parvint à dégager un passage pour respirer l’air saturé de poussière. Il toussa encore et tenta de se dégager en déchirant des pochettes d’albums qui devaient valoir des fortunes. Il y parvint au prix d’efforts surhumains. Il se hissa sur le sommet d’un épouvantable tas d’objets en vrac et rampa vers la porte. Il vit la main du pauvre Chris Welch qui sortait de l’amoncellement.

— Help ! Help !

Bill Boquet tenta de dégager le malheureux journaliste, mais ça semblait impossible.

— Sir Welch, je m’en vais quérir des secours !

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— Non... il sera trop... tard... je suffoque... O’List était... mon ami... Emerson lui a volé... The Nice... qui était le groupe de... Davy... comme il lui a volé... le chapeau de Judy... Garland... un cadeau qu’elle lui... avait fait... à New York... arghhhh.... il l’a viré comme... un chien... Davy ne s’en est.... jamais remis...

— Il s’est arrêté de jouer du rock ?

— Ohhh pas du tout... Brian Ferry l’a choisi pour... fonder Roxy Music... mais le management... du groupe l’a viré... c’est pour ça qu’on... ne l’entend pas... sur le premier album... de Rox... arrghhhh...

— Je cours chercher les pompiers !

— Noooon ! Argghhhhh ! Jet ! Jet ! Arrrrr....

La main agrippa le collet du veston de Bill Boquet. Il eut toutes les peines du monde à la décrocher.

— Décidément, cette histoire, c’est vraiment la croix et la bannière ! Jet ? Qu’est-ce qu’il a voulu dire par Jet ?

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Bill Boquet n’était pas homme à renoncer. Le lendemain, il prit rendez-vous avec Mark Stratford, le boss de RPM.

— Sit down, Boquet !

— Thanx, mate !

En parfait caméléon d’investigation, Bill Boquet savait s’adapter à tous les styles d’interlocuteurs. Il rappela brièvement le but de sa visite et relata les derniers épisodes de ses pérégrinations. Stratford siffla longuement en haussant les sourcils.

— Blimey ! Ça ressemble en effet à une malédiction. Tu dois être le prochain sur la liste, non ? Ha ha ha ! Avec ta moustache, ton chapeau de baltringue et ton costume à rayures, tu me fais penser à Lord Carnavon ! Mais Davy, c’est quand même plus intéressant que les fucking pharaons ! Tiens écoute ça, c’est le groupe qu’il a monté avec Andy Ellison en 75. Tu vois qui c’est, Andy Ellison ?

— Celui qui a inventé l’électricité ?

— Ou t’es un sacré farceur, ou t’es un sacré blaireau ! C’est le chanteur des John’s Children et des Radio Stars !

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Stratford glissa une rondelle dans le lecteur et mit le volume à fond.

— Ho, c’est du bon glam ! s’écria Bill Boquet d’une voix de stentor, pour couvrir le ramdam.

— ‘Coute le solo de Davy, le morceau s’appelle «Brain Damage» ! Pur glam à la Bowie ! ‘Coute ce solo fulgurant !

— Pas mal, Stratford, mais c’est pas aussi bon que Jook...

— Tu connais Jook, toi ?

— Oui, grâce à une récente enquête. Un client m’avait demandé de retrouver la trace de Ian Kimmet, mais j’ai dû renoncer, car c’était vraiment la croix et la bannière.

— ‘Coute celui-là, c’est «Nothing To Do With Us», le cut n’est pas bon, c’est une compo de Martin Gordon. Il avait subi l’influence des Sparks qu’il accompagnait depuis leur arrivée en Angleterre, mais là, tu vas voir ce que tu vas voir...

Effectivement, on entendit un nouveau solo d’une rare démence. S’ensuivit «Tittle-Tattle» à nouveau perforé par un solo monstrueux signé O’List.

— Oh, l’incroyable folie liquide de ses interventions ! Un vrai paradis glam, avec les lignes de basse de Martin Gordon qui remontent sans cesse au front, le fabuleux drumming de Chris Towson et l’énorme talent d’Andy Ellison. «My River» est une compo de David, ‘coute sa belle saignée. Il est encore plus vindicatif que Luther Grosvenor, tu ne trouves pas ? Ça c’est «Cover Girl», tu entends le travail de dingue de Davy au fond ? Ce mec est un dieu du glougloutage psychédélique ! J’ai même récupéré des démos et cette version monstrueuse de «Desdemoda» qu’ils jouaient au temps de John’s Children. Ces mecs auraient dû tout casser, avec les solos liquides de Davy. T’entends ça ? Quel fluctuateur, ce Davy ! J’ai même des cuts qui étaient prévus pour le second album - jamais sorti - comme ce truc, «Around The World in 80 Minutes», encore plus glam que le glam de nos rêves les plus humides, un beau glam nerveux, perverti, aussi musclé des cuisses que Ziggy. Et ce gros solo de Davy ! Tiens ‘coute ça, «We Love Noise», avec un son plein qui dépasse l’entendement et le tourbillon de Davy ! Aw !

— Je peux voir la pochette, mate ?

— Attends, je vais t’en donner un neuf, comme ça tu pourras l’écouter chez toi. Les disques neufs sont rangés sur l’étagère, là-haut...

Stratford posa une chaise sur son bureau et il commença à se hisser laborieusement vers l’étagère du haut. Depuis le début de cette affaire, Bill Boquet était devenu superstitieux, et voyant son hôte prendre de tels risques, il s’écria :

— Non ! Redescends ! Je l’ai déjà !

Stratford se tenait en équilibre, perché sur le dossier de sa chaise. Il tourna la tête.

— Hein ?

Il perdit l’équilibre et tomba à la renverse à travers la fenêtre, dans un énorme vacarme de verre brisé. Par miracle, il réussit à s’accrocher du bout des doigts au rebord de béton de la fenêtre.

— Ne crains rien Stratford, je vais te sortir de là !

Bill Boquet agrippa les manches de Stratford et essaya de le tirer vers lui. Humpf ! Avez-vous déjà essayé de tirer quelqu’un vers vous à la force des bras ? C’est impossible. On ne voit ça que dans les films.

— Stratford, t’es trop lourd ! Je n’y arrive pas !

— Je... je... vais lâcher... aide... moi... Bo-bo-bo... quet...

— Stratford ! Accroche-toi ! Tiens bon ! Courage !

— Awww... je... vais... lâcher...

— Stratford, comment s’appelle ce groupe que tu viens de me faire écouter ?

— Dj’.... Dj’... Jet... ARRRRRRRR !

Et le malheureux lâcha prise. Bill Boquet le vit s’écraser au sol avec un plok déplorable.

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Le lendemain matin, Bill Boquet arriva au bureau avant la secrétaire. Il jeta trois bûches dans la cheminée et mit le feu en route. Puis il sortit le dossier O’List de la pile et le jeta dans les flammes, ainsi qu’une copie de «The Thoughts of Emerlist Davjack» des Nice qu’il avait acquise à prix d’or pour la verser au dossier. Il remplit ensuite un chèque, le signa et le glissa dans une enveloppe qu’il cacheta avant de la poser sur le bureau de la secrétaire, avec d’autres plis à poster. Bill Boquet remboursait toujours les clients qu’il ne pouvait satisfaire. Il avait toujours su distinguer la ténacité de l’obstination.

Signé : Cazengler, O‘Listérique.

Uncut #201 - Février 2014 - Davy O’List, story de David Cavanagh

The Attack. About Time ! RPM Records 2006

The Nice. The Thoughts of Emerlist Davjack. Immediate 1967

Jet. Jet/Even More Light Than Shade. RPM Records 2010

Nota bene : Bill Boquet aurait dû écouter l’album des Nice, par simple conscience professionnelle. Il se serait régalé du groovy «Bonnie K», une pièce furieuse et élégante digne de Jeff Beck. Et il serait tombé de sa chaise en écoutant «Rondo», car Davy y joue un solo qui est une véritable horreur de distorse, un insulte aux lois de la bienséance. Même chose avec «War & Piece», où Davy balance un solo affolant de modernité. À l’époque de ce premier album, Keith Emerson claquait le fouet sur scène et plantait des poignards dans le bois de son orgue Hammond.

18 – 04 – 14 / MONTREUIL

CROSS DINER / BARFLY

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Les mouches ne sont pas toujours accoudées au comptoir, même celles qui se revendiquent d'être des piliers de bistrot, la preuve dès que l'on pousse ( mais peut-être se tire-t-elle ) la porte du Cross Diner, nous faut nous résigner à l'évidence, les maudits cyclorrhaphes ne nous ont pas attendus, sont en plein boulot, viennent d'entamer leur premier set, le temps de nous glisser à une table et il ne nous reste plus qu'à jouir du spectacle.

PREMIER SET / ALONE

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Je n'ai envie de parler que de lui. Les autres ne sont pas pour autant des ousiders , bien loin de là au contraire, mais Eric Levet, le drummer m'a frappé en premier. Les Barfly on connaît un peu on les a déjà vus à Beauvais ( voir Kr'tnt ! 179 du 05 – 03 – 2014 ) et ce n'est pas un hasard si nous revenons ce soir, Billy and Me, on a même raflé Mumu au passage, mais là tout près de nous, dans cette scène exiguë comparée au vaste plateau de la Convention Tattoo, c'est une autre paire de moufles, on pourrait les toucher de la main, on les voit tous les quatre en action, de très près, et on en prend plein les mirettes. Enfin, surtout les oreilles, car Eric Levet percute très sec. Un batteur comme je les aime. Pas de rodomontades. Le coup et c'est tout. Pas besoin d'écrire un poème après. Ni d'espérer que le clapotis sonique cessera bien un jour. Ne joue pas au yo-yo vibraphonique. Simplement le coup suivant qui précède le prochain. Mais un monde en soi à chaque fois. Auto-suffisant. De l'achevé. De l'accompli. Pas une dégringolade chaotique et tumultueuse, qui n'en finit pas de rouler sur elle-même afin de trouver sa place. Affûte sans tergiverser Eric. Faut le voir, l'est dans le mouvement, enchaîne les uppercuts sans mollir. Bat ses tambours comme s'il cognait dans une bagarre de western. Le mec dangereux que l'on évite de prendre tout seul, car il distribue sans discontinuer. N'a pas l'air méchant de loin, mais de près c'est une machine qui calcule froidement la trajectoire la plus opératoire et qui vous envoie un boulet de canon sur votre arcade sourcilière – là où ca saigne le plus - pour que votre figure ressemble très vite à un steak tartare qu'il vous sert avec des petits oignons piquants.

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Avec un tel moteur à l'arrière qui vous pousse la carrosserie, les Barfly filochent sans demander leur reste. Le problème c'est qu'ils en ont aussi disposé un rotor sous le capot avant. Pour le moment, d'appoint. S'appelle Charlie, c'est pas un papa puisqu'il est tout jeune – vingt-deux ans - et ce n'est pas non plus du tango qu'il joue. Méchamment rock. L'est au micro et vous déglingue les titres à toute vitesse comme un russe qui vous descend douze litres de vodka en guise de pré-apéritif. Et comme il n'est pas manchot, il s'active aussi à la rythmique. La vie est injuste, il y a des gars qui sont naturellement doués. Vous ne pouvez rien y faire. En pointe, entraîne les autres, et ne tolère aucun retard. Mais ce premier set s'achève un peu trop vite. Crazy Little Mama, Pressy Missy, Betty Ann et Rockin' Family pour clôturer les festivités. L'on serait bien resté un petit moment supplémentaire à bavarder avec les membres de cette famille, mais comme ils promettent de revenir, on les laisse partir. Avec acclamation et prix spécial du jury.

DEUXIEME SET + PIANO

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Pas un demi-queue avec caisse de résonance de vingt mètres de long, un simple Roland sans pédale mais avec électricité. Aussi plat qu'une planche à repasser, et structure un peu maigrichonne. Solide, nous pouvons le certifier. Car ce sale gosse de Charlie va le maltraiter. Que dis-je le tyranniser, et même le martyriser. Commence par s'éclaircir la voix, caresse doucement deux ou trois touches, lorsque subitement le voici terrassé par une crise de folie furieuse. Terrasser n'est pas vraiment le mot, car il semble ne pas toucher terre une forme extraordinaire. Rire de hyène hystérique à la Jerry Lou dans son micro et il se lance dans une série rock'n'roll high voltage avec trombe pumpin' piano et hurricane ricanant en accompagnement. L'emporte la salle au septième ciel et même plus haut, dans l'empyrée du rock'n'roll. Les Barfly sont comme des mouches ivres enfermées dans une bouteille de Southern Comfort dont quelqu'un aurait refermé le goulot. Vrombissent comme des guêpes en colère, le dard en avant.

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N'y a que Manu sur sa contrebasse qui garde son calme. Ne vous apitoyez pas, je vous parle de la manière dont il maltraite son instrument, s'en tire très bien, avec une efficacité rare et croyez moi avec Eric qui ponctue le rythme si sèchement, ce ne doit pas être facile de faire pousser des plantes grimpantes sur des bambous plantés si serrés. Mais Manu vous glisse des slaps acérés comme des lames de couteau qui vous traversent la colonne vertébrale entre les cartilages disquaires sans effleurer la moelle épinière. Horlogerie et chirurgie de précision. Grand siècle. D'ailleurs ce soir, il garde une attitude très digne, très straight, très smart, l'on se croirait dans un salon sous Louis XV, avec les réparties acidulées. Du haut des vingt centimètres de l'estrade il domine Charly accroupi sur son piano. Alors il en profite, entre les quatre secondes qui séparent deux morceaux il laisse tomber une petite remarque si perfidement empoisonnée qu'elle vous détruit une réputation pour vingt ans. Que des compliments, mais si bien tournés qu'ils vous étranglent de rire, et Charlie coupe court, he cuts accross shorty pour le dire à l'amerloque, et redémarre aussi follement. Quand le set est terminé, une évidence s'impose : l'on tient là un super bon groupe de rock and roll.

TROISIEME SET + SAX

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Les Barfly c'est comme les mousquetaires, ils sont quatre. Mais voici le cinquième. Quand il est rentré, l'on s'est douté de quelque chose. Jerry des Megatons ne se trimballe pas avec un étui pour cigarettes d'un mètre soixante de long, comme à notre connaissance il n'est pas non plus un tueur appointé de la mafia, ce ne devait pas être une mitraillette qu'il transportait dans sa valise. Banco, c'était son sax. Ne se fait pas prier lorsque les Barfly l'appellent pour les rejoindre. «  Tant que vous voulez, j'adore jouer » déclare-t-il et c'est-là qu'il nous étonne et nous séduit. Faudra même après le premier morceau lui conseiller de hausser le ton. Ne prend ni la grosse tête ni la vedette. Par un coup de sax magique le son Barfly reste le son Barfly ne se colorise pas en Megatons sound. Jery accompagne, il n'accapare pas. N'impose pas son instrument, s'abstient de prédominance sonore. Il apporte un plus, mais n'efface pas le reste de la compagnie. Respect.

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Nous n'en oublions pas pour autant d'Artagnan. Me tourne souvent le dos quand il joue mais je sais reconnaître un bon guitariste, les yeux fermés. Bon sang ne saurait mentir c'est l'uncle Gill de Charlie. Pourquoi certaines familles sont-elles prédestinées au rock'n'roll ? Je vous donnerai pas la réponse ce soir, suis trop occupé à écouter. On ne peut pas dire qu'il joue, il intervient. Ne suit pas une partition intérieure, il écoute les autres et il leur répond. Vous pouvez y aller les gars, posez-moi le problème et je le résous. Devrait ajouter qu'à ce petit jeu il est infaillible. Comparé à tous les autres guitaristes vus sur scène, il possède un truc en plus : on dirait qu'il joue en direct. Plus live que les autres. Ses trois comparses foncent comme des madurles et vous posent la Rosalie sans frein devant le tournant. C'est réglé comme du papier à musique, droit dans le mur, vont capoter comme une pub pour le sida, ben non, parce que l'oncle Gill il vous négocie le virage à sa manière, avec aqua-planning contrôlé de bout en bout mais toujours en accélération. Leur communique le péchon. Faut voir comment à chaque reprise Eric re-beurre les biscottes des deux côtés, plus rapide et plus sec, dans la foulée grandissante du tempo. Manu qui ne perd jamais son flegme, se remet dans la balance comme vous boutonnez chaque soir depuis vingt ans votre veste de pyjama. Mais le jeune Charlie, ça l'émoustille. Quand il était sur son piano l'on voyait que la façon dont la guitare répondait à ses chorus le galvanisait. Comment je pompe comme un shadock sous cocaïne sur mes 188 touches et il passe en trombe devant moi avec ses cordelettes ! Et vlang il repartait pour un tour. Mais maintenant qu'il a repris sa rhythm guitar et qu'ils sont à égalité, il ferraille dur. Le disciple ne dépasse pas le maître, mais le duel amical le charge encore plus de hargne.

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Le septième homme n'est pas loin. C'est le chanteur des Megatons, s'appelle aussi Charlie, a du mal à quitter son verre de bière qu'il emmène jusqu'au micro. L'en profite pour faire comme Charlie, y va piano, laisse le jeune rocker se charger avec brio de la moitié du vocal. C'est la fin. Une soirée d'enfer. Le facebook des Barfly se nomme Barfly Rock N Roll. N'a pas volé son nom.

Damie Chad.

( Photos prises sur le facebook des artistes : au piano concert à Chavin, les autres au bar L'Excuse à Longjumeau )

THE YARDBIRDS

GREG RUSSO

( Camion Blanc / Mai 2010 )

 

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Un pavé, digne des barricades de 68. Cinq cents quatre vingt deux pages. Je rassure tout de suite ceux qui n'aiment pas lire. Le texte proprement dit s'arrête à la page 331. La seconde moitié du bouquin est réservé pour les super-fans qui veulent tout savoir, la liste des concerts, la disco de A à Z, et celle des volatiles de la basse cour est des plus complexes, avec les pochettes, les titres, les notes et les photos qui changent selon le pays d'édition, mais avec aussi la composition des morceaux, ici l'on rajoute une intro, là on supprime un solo, souvent l'on jongle avec les numéros des alternate takes, parfois on laisse les dialogues des musicos, souvent on les remplace par un autre fragment... c'est un peu comment devenir schizophrène en trente minutes... Mais que ne ferait-on pas pour les Yardbirds !

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Greg Russo lui-même n'a pas su résister à la pression. A très vite été atteint du syndrome maniaco-dépressif du gars qui ne veut rien oublier. Le détail est l'arbre mort derrière lequel se cache la sylve de l'essentiel. Le genre de type qui vous indique le numéro de la porte des studios tout en ayant l'humilité de préciser qu'il est hélas incapable de dire s'il faut tourner à droite ou à gauche au fond du couloir. Bref, tout ce que vous n'avez jamais voulu savoir sur les Yardbirds il vous le note scrupuleusement afin de parfaire votre culture générale de cloporte alzheimérisé. Je ne voudrais pas paraître un cuistre à la recherche de la plus minimale des erreurs mais j'ai tout de même relevé une omission. Trois fois rien, j'ai presque honte d'en parler, il manque à mon humble avis un tout petit quelque chose à ce squelette dont il a numéroté, sérié et radiographié les os un par un avec une exemplaire minutie. C'est un peu comme dans La Montagne Magique de Thomas Mann lorsque sa copine de sanatorium lui refile sa photo, la radiographie de ses poumons. L'aurait préféré un portrait de son minois ( peut-être même de son minou ), parce que les Yardbirds ce fut tout de même un groupe de rock music, et cet aspect du phénomène Greg Russo n'en parle point. C'est un peu dommage. Connaît tout et ne dévoile rien. Un exemple des plus significatifs : dans la dernière partie il passe en revue l'oeuvre des quatre ( oui quatre ! ) guitaristes qui se sont succédés dans le groupe, pas une seule ligne dans laquelle il essaierait d'analyser et de comparer le style de ces virtuoses du manche. Pourraient jouer au handball ou collectionner les timbres poste que l'on n'en saurait pas plus sur leur personnalité. L'on sort de cet opuscule un peu déçu, Greg Russo n'a pas su nous faire vibrer, s'est abstenu d'allumer la torche de la poésie.

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YARDBIRDS !

Nos contemporains citent volontiers les Kinks, les Animals, les Pretty Things, les Stones, voire même les Beatles, et relativement peu souvent les Yardbirds. J'en connais même qui poussent le vice jusqu'à connaître les Hollies et les Creation mais qui marquent un temps d'incertitude quand on cite les emplumés. Faut leur filer les quatre points cardinaux ( Clapton, Beck, Page, Led Zeppe, enfoncez-vous ça dans la tête comme les quatre pointes dans les membres du corpus-christi, pas Agatha, l'autre ) pour qu'ils comprennent l'importance du bestiaux.

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J'ai passé tout un dimanche après-midi de 1965 à monter la garde à côté du transistor pour réentendre une deuxième fois le For Your Love des Yardbirds sur Europe 1, j'avais subodoré, avec raison, qu'il y aurait quelque chance pour que les programmateurs le remettent à l'antenne, quatre heures de résultats sportifs pour moins de trois minutes de bonheur intense et absolu, c'était cher payé, mais à l'époque ce genre de considération n'était pas de mise, du coup je n'ai même pas jeté un la moitié d'un oeil de taupe sur la compo de sciences naturelles du lundi matin, oui mais j'avais entendu les Yardbirds. Dans le vie, je peux me vanter d'avoir de temps en temps effectué les bons choix.

BRITISH BLUES

Il est des mystères insondables. Pourquoi à l'aube des années 60, un embryon de la jeunesse anglaise – plutôt d'origine petite-bourgeoise – se passionne-t-elle pour le rural country blues américain ? Pourraient directement se brancher sur le rock'n'roll des pionniers, mais non, ils se rabattent sur le côté noir de la force. Certains se branchent directement sur le rhythm'n'blues saisissant d'instinct la puissance brute qui se dégage de ces brûlots, cette génération a les dents longues, elle est pressée, elle n'entend pas perdre son temps dans l'apprentissage douloureux du jazz devenu avec les génies du bop une musique trop évoluée pour des musiciens qui sortent à peine de l'oeuf de l'adolescence. Mais beaucoup d'autres ne s'arrêtent pas en si bon chemin, descendent beaucoup plus bas, quelque part entre Chicago et le delta. Je ne crois pas au mythe de la remontée vers l'origine. L'explication me paraît beaucoup plus pragmatique. Qu'est-ce que l'on entend dans le blues ? Le chanteur, oui bien sûr, mais surtout la guitare qui grince atrocement. C'est elle qui descend la gamme pentatonique et la remonte aussitôt. Pas la peine de savoir déchiffrer le solfège. Suffit de tendre l'oreille. Tout est donné, pas d'embrouille. Tu reproduis tel quel et tu obtiens le produit idoine. Tu suis la recette. Plutôt celle des oeufs brouillés, que celle du cassoulet que Jean Parvulesco appréhendait comme un véritable traité d'alchimie secret accessible aux seuls initiés. Simple comme bonjour. Faut aussi que les doigts traficotent un max, car si les vieux bluesmen trituraient de drôles de tacots d'occasion, ils savaient négocier les épingles à cheveux les yeux fermés. Avec un Big Bill Broonsy ou un Robert Johnson comme maîtres vous n'avez pas besoin de dépenser votre argent de poche en leçons de guitare. Avec un simple tourne-disques, vous devenez aussi performant, côté espionnage industriel, que les services les plus sophistiqués de l'Intelligence Service.

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Y avait un piment supplémentaire. La rareté des disques. Fallait se lever pour les trouver. Cela vous donnait l'impression de faire partie d'une mouvance séparée du reste de la société, une élite quasi-clandestine, à chacun sa manière pour se procurer son sauf-conduit. Tout le monde n'est pas comme le jeune Top Topham dont le père possède possède une formidable collection de disques de blues... Ce qui ne l'empêche pas de prêter une attentive esgourde aux guitares de Buddy Holly et de Gene Vincent. Même lorsqu'ils commenceront à enregistrer les Yardbirds continueront à fouiner dans le bleu rayon de papa Topham. Beaucoup des morceaux des Yards seront de fait des démarquages de vieux blues.

Les fans de blues fréquentent les sections que nous qualifierons d'arty. S'y regroupent les élèves que l'école ennuie, leur est dispensé un enseignement un peu moins étouffant et disciplinairement plus ouvert. Mais la vraie vie se déroule ailleurs que dans les cours. Ceux qui sont attirés par la musique ont tendance à former des orchestres. Formations instables qui se côtoient et s'entremêlent. Selon les affinités électives les groupes se font et se défont. Souvent l'on marche en tandem, si le copain change de crèmerie on le suit. Petit monde, où tout le monde se connaît. Chis Dreja est le copain de Top Topham. Un camarade d'école porte le nom d'Eric Clapton... Nos deux inséparables montent un groupe, parfois ils sont rejoints sur scène par un certain Jimmy Page... Plus loin Paul Samwell-Smith et Jim McCarthy naviguent de groupe en groupe, sont passionnés de blues, mais écoutent aussi Shadows et Buddy Holly... Seront rejoints par le dénommé Keith Relf... A ce petit jeu de chaises musicales, les futurs Yardbirds auraient pu se croiser sans cesse sans se rencontrer réellement, d'autant qu'autour d'eux vibrionnent quantités de musiciens en herbe, plus ou moins haute... toujours est-il que dans l'été 1963, le groupe prend forme. Se nommera les Yardbirds, un synonyme de hoboes, ces chemineaux qui couraient les routes et les trains au temps de la grande récession. Clochards en vadrouille ou en geôle, les Yardbirds qu'ils soient en liberté ou en cage, sont des oiseaux de mauvais augure pour les assis et les repus.

L'ENVOL

Les Yardbirds ne sont pas des oisillons tombés du nid avant de savoir voler. Ils ont cumulé les expériences, ils savent jouer et au milieu des autres groupes ils tirent assez bien leur épingle du jeu. Mais ils souffrent d'un terrible handicap. Ne sont pas arrivés les premiers. Les Rolling Stones sont descendus en trombe du cocotier du Rhythm and Blues. Ils auront toujours un couloir de retard sur les hommes de Brian Jones. Cela pèsera très lourd dans leur carrière, surtout que dans le peloton de tête l'on trouve des grosses pointures comme les Animals et les Kinks. La concurrence est rude.

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Mais comme toujours notre principal défaut est aussi notre meilleure qualité. Les Yardbirds ne produisent pas une musique qui puisse être estampillée Yardbirds. Ne proposent pas du produit fini, léché comme un chaton par sa maman. Ils donnent du béton armé, mais brut de décoffrage. En fait ils décoffrent devant vous. Pas plus que vous ils ne savent l'aspect final que prendra la chose. A découvrir in situ. Les Yardbirds sont un groupe de scène. Ils ne rejouent pas deux fois le même morceau. Ils expérimentent. Varient les détails à l'infini. Se moquent du définitif. Vous pouvez les voir dix fois de suite, vous aurez chaque soir votre surprise empaquetée avec soin. Un groupe excitant qui ne se repose pas sur ses lauriers. Aussi lorsque les Stones décident de prendre Andrew Loog Oldham pour manager, Giorgio Gomelsky qui se retrouve le bec dans l'eau du jour au lendemain jette son dévolu sur les Yards sans hésiter. Seront désormais le groupe résident du Craw Daddy, le club Rhythm and Blues le plus branché de la capitale. C'est parti pour la grande aventure. Mais papa Top Topham – grand amateur de blues devant l'éternel – craque, pas question que son fils se transforme en saltimbanque. Lui confisque sa guitare et lui enjoint de choisir un métier d'avenir... Sera remplacé par Eric Clapton. La légende est en marche.

YARDBIRDS WITH CLAPTON

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Clapton reçoit un superbe cadeau, qui se révèlera vite empoisonné, pour son entrée dans les Yardbirds, le groupe accompagnera Sonny Boy Williamson II en concert. Il est même prévu d'enregistrer un disque sur scène avec l'harmoniciste dès décembre 1963. Le trente-trois tours sortira en 1966. Notons que les Animals produiront aussi le leur. Qui me semble supérieur, mais je ne voudrais pas ouvrir une guerre civile parmi les fans. La réalité est parfois plus rugueuse que le rêve. La confrontation entre les jeunes blancs becs et la légende noire n'est pas toujours évidente, les premiers sont à l'aube d'une carrière prometteuse, Rice Miller a roulé et cabossé sa bosse dans bien des galères. Ne portent pas le même regard sur la vie. Les Yards ont les doigts sur la couture de l'harmonica – celui de Sonny, pas celui de Keith Relf – Miller est à la déjante, en a vu beaucoup d'autres, ne prépare rien et improvise sa set list in progress action. Est beaucoup plus branché sur la sape et l'alcool. L'est le vieux rooster au milieu des tendres poulets, les subjugue davantage par son verbe que par son implication musicale. Clapton le roi du blues, laissez-moi rire. Un amoureux transi qui ne sera jamais capable de lui sauter dessus et de le copuler avec vaillance. Un sacré guitariste, oui. Mais qui fait dans la dentelle. Le maître de la fluidité. Capable de riffs monstrueux, mais tout de suite si impeccablement maîtrisés qu'ils perdent toute leur saveur séminale. Ne croyez pas que je n'aime pas, j'ai été plus tard féru des Cream, mais le style Clapton me paraît comme sa voix, trop haut perché, un poste idéal pour voir le paysage, mais comme le corbeau de la fable il laisse tomber le fromage lorsque le renard du rock'n'roll pointe son museau. Face à Rice Miller, Clapton ne saura pas s'imposer. Reste dans l'ombre se replie dans le rôle de l'accompagnateur rythmique sans imagination ni énergie.

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Dès le mois de février 1965, Clapton quittera les Yardbirds déplorant l'évolution par trop commerciale du groupe. Je n'y crois guère. Plutôt des problèmes d'égo auxquels Clapton ne saura jamais faire face. Préfère se démettre que l'affrontement. Se retire dans sa tour de blues ivoirin. Mais surtout l'évolution naturelle de la musique rock qui devient de plus en plus violente. D'abord parce que les groupes de plus en plus nombreux doivent à tout prix se singulariser par rapport aux concurrents, ensuite parce que les innovations techniques apportées par les fabricants de guitares et d'amplis, ouvrent des possibilités qui ne demandent qu'à être explorées. La course au bruit est ouverte ! Et le sieur Eric préfère les climats tempérés. Plus tard quand il tuera le shérif ce sera avec des balles molles.

YARDBIRDS WITH BECK

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En fait les Yardbirds souffrent d'un problème qu'ils auront du mal à surmonter. L'arrivée de Beck recommandée par l'ami Jimmy Page va résoudre la problématique d'une étrange manière, en prenant le taureau par la queue. Puisque le groupe n'est pas au mieux dans les studios, autant mettre encore plus le paquet sur scène. Les Yards qui étaient renommés pour leurs prestations vont développer une esthétique rock qui influencera toutes les seventies.

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Dès les premiers concerts Jeff Beck fait la différence. Vous voulez du riff, eh bien en voilà, rififi on stage et à gogo, du découpé spécialement pour vous à la pédale ouah-ouah – celle qui fait miauler les guitares comme des chats – ou distordu à la main et au chalumeau et la fuzz-tone – celle qui fuse et qui détone – et qui permet d'en faire des tonnes. Possède le dernier cri des gadgets électroniques. Jeff le grand chef. Vous mène le combo sur le sentier de la guerre, de la première à la dernière note.

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Sur la guitare Beck et ongles. N'est pas un fan de Gene Vincent et des Blue Caps pour rien, le nouveau guitariste. Triture sa gratte comme Cliff Gallup, mais la donne est changée. C'était la voix de Gene qui était au centre du tableau. Les casquettes bleues opéraient sous forme de commando, on pose la dynamite et on se retire pour laisser au Screamin' Kid toute la place, l'on revient pour refaire monter la mayonnaise mais c'est le lead-singer qui termine le boulot. Désormais ce sera l'inverse, de temps en temps Keith Relf intervient, juste le temps de laisser le guitariste reprendre souffle, et puis il s'éclipse pour que le festival puisse commencer. Des notes qui volent et qui pleuvent de tous côté sur le champ de bataille. A la batterie Jim McCarthy décompose les breaks, là où trois coups de baguettes magiques suffiraient il vous en colle trente à la suite sur un rythme légèrement décalé par rapport à lui-même, le moindre morceau vous prend des allures d'infinitude, l'auditeur est en voyage vers les limites de l'univers qui reculent à chaque fois qu'il se rapproche de son but qu'il n'atteindra jamais, trace la ligne d'horizon sonique. Inutile de lui intimer doucement la basse, car Paul Samwell-Smith a compris qu'il n'existera dans un tel tintamarre que si son instrument s'impose aux autres. Vous croyiez que je resterais en retrait me contentant de tisser l'ombre dans laquelle votre intention est de me reléguer, c'est raté, c'est moi qui ratiboise gratis, je patauge avec mes pataugas, flac-flac dans les flaques, ça gicle de partout et j'asperge tout le monde, faite gaffe, c'est de l'eau lourde. Au cas où vous ne seriez pas convaincu, l'on a encore le cheval-léger Chris Dreja à jeter dans la mêlée. Seconde guitare, comme les deuxièmes couteaux dans les westerns, qui passent par derrière pour vous trancher la gorge.

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Les Yardbirds révolutionnent le rock. Alors que la plupart des groupes se retrouvent la verge flapie après avoir tiré deux ou trois coups, alors que les Beatles s'enferment dans la joliesse des arrangements et que les Rolling qui ont trouvé la quadrature du cercle rythmique ne changeront plus jamais leur formule, les Yardbirds défrichent de nouveaux territoires. Sont un peu trop en avant pour le public qui adore les voir en concert mais qui n'achète pas leurs disques. C'est que bizarrement ce rock haché cru menu demande à l'auditeur une certaine réceptivité intellectuelle. Certes de temps en temps vous reconnaissez un couplet et un refrain, mais les meubles ne sont plus à leur place habituelle. Des architectes fous ont inventé le plan mouvant, la disposition des pièces change sans arrêt, faut avoir une sacrée boussole intérieure pour savoir où vous êtes exactement.

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Des ventes qui ne crèvent pas le plafond et des tournées incessantes pour remédier au manque des royalties. De quoi fatiguer les meilleurs. Paul Samwell-Smith met les bouts en 1966. Chris Dreja prend la basse, laisse sa place à une vieille connaissance, un certain Jimmy Page.

YARDBIRDS WITH JIMMY PAGE

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Deux superbes guitaristes dans un groupe, c'est toujours un de trop. Jeff Beck s'en va. Fatigué par les incessantes tournées aux States où le le groupe reçoit un accueil plus chaleureux qu'en sa patrie natale. Et puis surtout dans sa tête des idées toutes nouvelles sur le futur du rock. Ce qu'il ne sait pas, c'est que le nouveau compère rumine à peu près les mêmes dans son cerveau. Mais pour le moment, l'est plein d'élan et d'enthousiasme. N'a pas chômé entre temps. Musicien de studio aguerri et renommé. Connaît beaucoup de monde, et s'est confronté aux multiples et contradictoires desiderata de ses clients. Le nouveau chef cuisinier a touché à tous les plats et goûté toutes les épices.

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Etrange groupe qui s'améliore chaque fois que le meilleur de ses éléments le quitte. Le groupe continue sur sa lancée, ne vend pas davantage de disques, tourne tout autant si ce n'est plus, mais il gagne davantage d'argent. Grâce au nouveau manager, un géant nommé Peter Grant ( voir KR'TNT 14 du 21 / 01 2010 ). Un ancien qui a travaillé avec Gene Vincent pour le compte de Don Arden et qui a compris comment les musiciens se font arnaquer et qui pense que l'on peut distribuer les cartes d'une autre manière...

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L'on est toujours trahi par soi-même. En 1968, Jim McCarthy et Keith Relf jettent l'éponge. Ont besoin de repos. Décident de quitter le navire. Un peu amers, se sont battus pendant des années pour imposer une certaine idée du rock et c'est Jimmy Hendrix qui est en train de récolter les graines distordues qu'ils ont semées... Sans oublier Clapton qui fait un malheur avec les Cream, la même chose que les Yards mais en plus coulant, avec le vieux beurre des Yards il a fabriqué une crème fraîche avec ajout de sucre pour faire passer l'amertume du blues...

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Jimmy Page reste aux commandes pour honorer les contrats. Pour les derniers concerts, l'équipage tout entier s'étant fait porter pâle, il déniche trois autres musicos, John Paul Jones, Robert Plant et John Bonham... N'a pas spécialement envie de changer de nom mais Keith Relf commet l'erreur de sa vie... Les nouveaux Yardbirds prendront le nom de Led Zeppelin...

LES HERITIERS

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En 1969, Led Zeppelin n'est que la suite directe des Yards. Page reprend Dazed and Confused longuement mis au point avec les Yards, n'oublie pas non plus son archet qui faisait déjà chavirer les salles, mais très vite il s'aperçoit qu'il a dénichés les bons numéros, un arrangeur de premier ordre avec Jones qui tout de suite saura trouver dans les studios la recette magique de reproduction de la puissance du son scénique dans des sillons du disque, un batteur qui frappe plus fort que n'importe qui et un hurleur qui possède une étendue vocale bien plus grande que Keith Relf. The last but not the least, Peter Grant est là : poigne de fer dans un gantelet d'acier : il apporte au groupe trois éléments indispensables qui lui ont toujours manqué : une autonomie sécuritaire autarcique, une liberté artistique totale, une indépendance financière. Pour la première fois un groupe de rock'n'roll n'est plus dépendant de sa maison de disque. Ce que les Beatles et les Stones mettront des années à acquérir, Led Zeppelin l'obtiendra en quelques mois.

L'HERITAGE

Les Yardbirds auront posé les fondements du hard rock, l'on pourrait appeler leur style le yard rock. Ne sont pas les seuls, mais l'on ne prête qu'aux riches. Même s'il est de bon ton aujourd'hui de faire la fine bouche devant ce genre musical et ses dérivés métalliques et de lui préférer le bon vieux rock'n'roll des familles mis au point par les Stooges, MC 5 et New York Dolls. Il y avait une démesure phonique en gestation chez les Yards qui fut totalement réalisé par le Zeppelin durant les seventies. Même si au final le Dirigeable s'est écrasé sous la lourdeur de son propre poids. Peut-être même heureusement avant de s'engloutir dans les sables mouvants du prog. Là où Jeff Beck s'est maintes fois enlisé après les flamboyances du Jeff Beck Group...

En 1992 Chris Dreja et Jim McCarthy ressuscitent les Yardbirds. S'entourent de bons musiciens et vogue la galère. Les musées m'ennuient, Radio Nostalgie aussi. Le but n'est pas de se survivre, mais de créer du nouveau. Ô Mort, vieux Capitaine !

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Dès 69, Jim McCarthy et Keith Relf fondèrent Renaissance qui eut ses heures de succès mais dont ils s'évadèrent assez vite. En 1976, Keith Relf meurt chez lui d'un méchant feedback électrique, alors qu'il travaillait à de nouveaux morceaux pour – ironie du sort – Renaissance. Mais peut-on trouver meilleure mort pour un rocker que d'être tué par sa guitare ?

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En tout cas, un véritable point d'orgue pour mettre une fin à cet hommage aux Yardbirds.

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Damie Chad.

KROCKROCKDISCS

Je connais Mimile, un gars a priori irréprochable ( comme vous et moi, surtout moi ) et ce soir-là quand je l'ai aperçu l'avait tout pour être heureux. C'était aux Bordes ( voir Kr'tnt ! 184 ), savait qu'il y avait quatre supers combos à passer, mais il avait une drôle d'attitude, marchait un peu courbé, comme s'il portait tous les péchés du monde sur son dos. Ce n'est pas son style, alors entre les groupes de fans qui discutaient je l'ai observé du coin des yeux. Ce n'était pas une souffrance morale qui lui donnait cette démarche un peu trop penchée en avant ou ramenée de temps en temps un peu trop en arrière pour être naturelle. Tenait une boîte sur ses avant-bras. Papillonnait de groupe en groupe sans vraiment s'arrêter, parfois il ouvrait son carton à secrets mais j'étais trop loin pour voir quelle illicite marchandise il transportait.

Je connais Mimile, plutôt le gars à trimballer un coffre de pirate qu'une boîte de chocolats. Je sais bien qu'on approchait de Pâques mais ce n'est pas une raison pour me prendre pour une cloche. J'ai profité de ce qu'il était en train de discuter avec Mumu et Billy pour me rapprocher l'air de rien – le même que prend Mortimer quand il s'apprête la main au collet de l'ombre jaune ( tome 4 page 42 ) – alors il a entrouvert le mystère, et m'a proposé le deal : cinq euros contre le disque des Spykers, le genre de proposition qui ne se refuse pas.

THE SPYKERS.

My Little Girl / Fast Car / You Don't Love Me / Big River

Texas Joe : lead vocal + rhythm guitar / Jorge : double bass / Seb : Drums & cajon / Eddie : lead guitar / Bruno : harmonica, rhythm guitar, vocal )

Jull Records – BLR Studio.

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Belle pochette, fond orange mordorée, le groupe en bas de pochette qui pose devant un hot rod customisé avec une fausse calandre de ( rock'n')rolls Royce à moins que ce ne soit de Bentley's. Au verso, les cinq tout en haut, instruments en main. Le compact reproduit le recto de la pochette. Belle ouvrage due à Thierry Varlet, Patrick de Rock Paradise et Mimile.

Vous ne connaissez pas les Spykers : un truc pour ne pas vous tromper, sur scène le batteur utilise un cajon sur lequel il est assis, et ils possèdent deux guitaristes rythmiques dont un qui joue de l'harmonica à la Little Walter. Un groupe de rockab qui cherche la difficulté tentant d'allier deux musiques cousines – le rock électrique des petits blancs au blues noir électrifié – mais qui de temps en temps s'ignorent... Racines communes mais co(rock'n')rolles séparées.

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Quatre titres, ne râlez pas en disant que vous auriez préféré un album entier, réalisez plutôt que vous êtes entrés en possession de deux singles. Les signatures des deux premiers morceaux vous y invitent : tous deux étant signés de Nelson Carrera et des Spykers.

My Little Girl – un rythme légèrement syncopé, un peu bousculé à la Buddy Holly – logique pour établir le lien avec le rhythm and blues noir, Holly s'étant beaucoup inspiré du jungle sound – ici transformé en jungle beat – de Bo Diddley. Bruno à l'harmo mais le pont se traverse à la manière rockabilly, l'harmo vient rouler dessus, deux passages, et puis s'éclipse au profit de la guitare, qui se pose exactement là où devrait se trouver l'orgue à bouche.

Fast Car déboule à toute vitesse. La voix s'amuse et fait le gros dos comme le font tous les cats depuis que le rockabilly existe. Originalité le morceau accroche presque les trois minutes sans jamais lasser.

Deuxième single : You Don't Love Me de Junior Wells, l'autre harmoniciste de Muddy Waters. Bruno s'en donne à coeur joie mais les Spykers réussissent l'improbable : ce pur morceau de blues électrique ne jure pas le moins du monde avec le titre suivant : le Big River, un des tout premiers de Johnny Cash enregistré chez Sun. Il y a de l'intelligence dans la coexistence pacifique de ces deux titres : la Big River est bien celle qui borde le Delta. N'oublions pas que les américains nomment le vieux blues, country blues rural. Une étiquette qui réunit les deux branches du fleuve séparées.

Sur You Don't Love Me, l'on dirait que l'harmonica vient à la rescousse de la guitare, sans qu'aucun des deux instruments ne lutte pour imposer sa prépondérance. C'est la voix qui établit le lien, qui passe le témoin. Big Rivers est noyé de guitares, l'on reconnaît la patte de Mister Jull sur la manière d'envoyer les riffs.

L'ensemble s'écoute bien, il y a plus de finesse là-dedans qu'une rapide audition ne le laisserait supposer. Deux ans que de concert en concert les Spykers peaufinent leur son. Ont réussi à trouver l'équilibre. Se sont installés sur la fourche de l'arbre au surgeon originel des deux branches maîtresses du rock and roll, et d'après moi ils ne sont pas près d'en redescendre. Depuis dix jours le disc revient systématiquement sur la platine. Un signe qui ne trompe pas. Une belle réussite.

Damie Chad.

 

23:51 | Lien permanent

18/04/2014

KR'TNT ! ¤ 185 : GALLON DRUNK / SOUTHERNERS / ROCKIN' HELLFIRE / TWANGMASTERS / JAGUARS / LOREANN' / GANGS STORY

 

KR'TNT ! ¤ 185

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

17 / 04 / 2014

 

 

GALLON DRUNK / LOREANN' / SOUTHERNERS

/ ROCKIN' HELLFIRE / TWANGMASTERS / JAGUARS /

/ GANGS STORY /

 

 

BATOLUNE / HONFLEUR ( 76 )

 

 

11 – 04 – 14 / GALLON DRUNK

 

 

GALLON DRUNK PREND DU GALON

 

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Souvenez-vous. Les Gallon Drunk sont arrivés dans la mouvance des Cramps et du Gun Club. Fin des années 80, James Johnston et Max Décharné décidèrent d’entrer en résistance et de continuer à jouer du rock vaudou, même si commercialement, ils se condamnaient aux ténèbres de l’underground pour l’éternité. Ils ne voulaient pas prendre part au petit ballet minable de la Britpop orchestré par un New Musical Express finissant. Comme tous les groupes installés dans le sombre panthéon de l’underground, les Gallon Drunk cherchaient à se distinguer du lot par un son et une attitude, exactement de la façon dont avaient procédé Lux Interior, Jeffrey Lee Pierce, Graham Day et Billy Childish.

 

Bien sûr, nous autres pauvres frenchies n’avions qu’une vision limitée de ce que représentait Gallon Drunk. Il aurait fallu vivre à Candem et fréquenter les mêmes pubs qu’eux pour se faire une idée un peu plus réaliste. Pour entrer dans leur monde, nous n’avions pas d’autre choix que d’écouter les disques.

 

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S’il est une chose qui frappe quand on les écoute, c’est bien l’âpreté du son et du propos. Ils naviguent quasiment dans les mêmes eaux que Nick Cave, mais avec une dimension voodoo en plus. Et les trois quarts de leurs morceaux sont montés sur des grooves de basse.

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Leur premier album ne vieillit pas trop mal. Sur la pochette, une belle tigresse se prélasse devant le Fujuyama, les pieds posés sur un tambour vaudou. Les quatre premiers morceaux présentent un intérêt anecdotique et puis «Ruby» finit par éveiller l’intérêt, grâce à un beau groove hypnotique et à quelques accents de folie. C’est battu par Max Décharné, le pire zombie de l’underground. La chose est relativement diabolique, il faut que vous soyez prévenus. On sent bien qu’ils cherchent la petite bête. L’autre mamelle des Gallon Drunk, c’est le trash. «Draggin’ Along» en est une belle illustration, avec sa basse pouet-pouet en avant et le trash qui sort par les trous de nez. Spectaculaire. C’est une vraie expérience sonique, pour qui veut bien s’y prêter. Si on apprécie le non-conformisme, on est servi. Ils posent les bases du boost. Voilà comment naît une légende. Ils reprennent aussi le fabuleux «Please Give me Something» de Bill Allen, qui est aussi un morceau fétiche de Tav Falco. Belle reprise, car poussive et trash. Le clou du spectacle est «Gallon Drunk», l’hymne des boozards, avec de belles parties de gratouille. James Johnston bleurke, il sait y faire, ça hic ici et là, ils sont véritablement cocasses. Même les guitares titubent. Il faut le voir pour le croire.

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Quatre ans plus tard sortait un second album, «You, The Night And The Music», qui reprenait dans les grandes lignes les déclarations d’intention du premier album : groove, exotisme et furibarderie à tous les étages. «Some Fool’s Mess» est certainement le morceau le plus connu du groupe. Pur groove voodoo emmené à la basse. Ils jouent ça accroupis dans l’ombre. «Two Wings Mambo» monte d’un cran dans le voodoo. Voilà le beat le plus jungle de Londres, bardé de coups de guitares cisaillées, tribal en diable. Le zombie Max bat comme un sorcier guinéen. Il sait converser avec l’esprit de la forêt primitive. Belle pièce d’exotica. Le groove est rond et froid comme ce python endormi à l’ombre du palétuvier. Le chant est quasiment un chant de guerre incantatoire. James Johnston laisse ses gênes s’exprimer. C’est somptueux et bien tendu sur la durée. Le fait que ce soit interminable ajoute encore au charme discret de la bourgeoisie. C’est une sacrée pièce, tenace et fourbe, elle nous observe à travers une petite lucarne. Heureusement, ils reviennent à des choses plus civilisées pour le morceau suivant, «You, The Night And The Music», jazzifié de main de maître, un peu Monky sur le pourtour. «Night Tide» et «The Tornado» accrochent bien et sèment le vent dont on récoltera les futures tempêtes.

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Ambiance nocturne pour «From The Heart Of Town». Belle pochette digne du Martin Scorsese de la grande époque (Taxi Driver et la bande-son de Bernard Herrmann). Ambiance enfumée et groove de basse pour «Arlington Road», éclats hébétés de fin de nuit alcoolisée. Nous avons tous connu ces moments sublimes et incertains, coiffés par un solo de sax. «Bedlam» est un big blast impérial. On sent chez eux une volonté de percer vers le ciel. Mais on reste dans le nocturne et l’urbain. Jolie ambiance éruptive avec l’arrivée des cuivres. Les Gallon Drunk cultivent la tension, ils sont comme la braise sous la cendre, au moindre souffle, ils prennent feu. Ils sont probablement les sournois greasers de cette époque. «Loving Alone» est une pièce de kitsch imposante, mambo de Candem, étrange métissage, mais recherche de la distinction à tout crin. Ça passe par des choix risqués, mais le résultat épate. Sur «Push The Beat Out», Max le zombie bat des breaks de la retape qu’il faudrait pouvoir qualifier d’historiques.

 

Mais pour Max, ça s’arrête là. Il quitte le groupe. Idem pour Mike Delanian. Ian White remplace Max à la batterie et Terry Edwards le sax-man fait son entrée comme membre permanent.

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«In The Still Long Night» comporte aussi son joli lot de bonnes surprises. On retrouve les sales grooves qui se faufilent sous le lit, avec des cuts comme «Up On Fire». Les gens normaux appellent ces grooves des sales bêtes. Il faut rester prudent avec ce genre de groove, car il n’en finirait plus de nous tourmenter la conscience. Avec «It’s All Mine», ils nous sortent la vieille recette de l’explosivité. Voilà un morceau étrangement collant, bien pulsé à la basse. Nappes d’orgue, sax étranglé et pulsation extrême de la basse qui gargouille dans son coin comme une oie décapitée. On sent de la férocité dans les ténèbres. James Johnston ne chante pas, il murmure dans le secret de la tombe, il suggère le glauque absolu. Il plante des c’mon dans son stuff comme on plante des pic-pics en bois dans les cubes de vache-qui-rit pour préparer l’apéro du samedi soir. On trouve d’autres morceaux intéressants sur ce disque, comme «Eternal Tide (propice à toute forme de dérive), «The Big Pay-Off» (joli groove de shuffle) et «Some Cast Fire» (sacrément dense), mais rien qui puisse marquer la mémoire au fer rouge.

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L’album «Black Milk» est en fait la bande son du film Black Milk tourné par un cinéaste grec, Nicholas Triandafyllidis. Voilà un disque étrange, dont les morceaux sont souvent longs et entreprenants, toujours basés sur des grooves de basse. Cinq morceaux se distinguent du lot : «Blood Is Red» (Vooddo is blue, sugar is sweet and revenge is sweeter, nous dit la voix et ça part sur un groove discoïde diablement inspiré), «Can You Feel It» (avec une pure accroche garage et on part sur un long groove electro-trash de la patate chaude, vraiment dansant, plein de wha-wha et de tribal, très bien travaillé sur la durée), «At My Side» (pur jus Gallon, chanté au premier degré du sol humide de la cave, c’est cherché et c’est trouvé, à condition de ramper, bien sûr), «Hypnotised» (bombé à la basse mambo, gras et gros comme un porc tatoué de Delvoye) et «One More Time» (belle pièce de balladif mélodique influent - and it’s gone gain - puissant et terrible - and there’s nothing left to say - bien grondant, avec l’effet du danger dans le dos).

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Quand «Fire Music» est sorti, on végétait en plein dans le début du millénaire. Ce disque rôti par les torrents de lave est bourré de grooves barbares, mais on sent une certaine baisse d’inspiration. Ce n’est pas qu’on s’ennuie, n’exagérons pas, mais les mets proposés manquent un peu de sel, ce fameux salt of the earth cher à nos vieux Rolling Stones. Dommage, car le disque s’ouvre sur un véritable hit interplanétaire, «Outside Of Love», une sorte de miracle mélodique inattendu qui ramène Gallon Drunk à son rang de très grand groupe anglais. Cette chanson monumentale, d’une absolue pureté mélodique, me hantait à l’époque. Chaque fois que je montais dans le métro, elle me revenait en écho et si j’avais été romantique, elle m’aurait certainement brisé le cœur. Ce genre de beauté touche les couches les plus profondes de l’émotion, et même si le reste du disque n’est pas à la hauteur de cette merveille, on se trouve largement dédommagé de l’emplette. D’autant plus que ce double album vinyle valait une petite fortune. C’est vrai qu’à la suite, on trouve des grooves balladifs assez intenses, souvent bardés de chœurs ou de parties de cuivres, mais ça s’arrête là. On sent nos amis lancés à la recherche de passages, comme le furent jadis les navigateurs, lorsqu’ils exploraient des mers inconnues. Les Gallon Drunk hispanisent un peu les choses, comme dans «Forget All You Know» et reviennent enfin au sortilège avec «Series Of Dreams», où James Johnston monte doucement sa petite mélodie à la Mary Chain comme une sorte de mayonnaise.

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On pourrait presque dire que «The Rotten Mile» est l’album de la maturité. On y trouve des chansons énormes et inquiétantes, comme le morceau titre, qui a quelque chose de moyen-âgeux dans la violence faite à l’homme. Enterré vivant. Temps noir et maudit, groove du supplicié, pouls malade, solo écartelé. La perle de ce disque est sans doute «Down At The Harbour», que James Johnston situe en 1823, les marins embarquent - six ans après, vous souviendrez-vous de nous ? - sacrément temporel, excellence du voodoo monté sur un riff entêtant, ambiance macaotique - à bord une fille dit de tuer le capitaine et d’envoyer un message à Londres disant que nous avons disparu au bout du monde - «that we’ve fallen off the edge of the world». «Grand Canal Union» est sacrément hoché du menton. Voilà une sacrée toupie abandonnée, une belle furie de sax, une sainte horreur brutale. Ils sont enragés. C’est encore pire que Grinderman. Jamais ils ne vont se calmer, c’est ce qu’on ressent à l’écoute de «On Ward 10». C’est l’horrible morceau subliminal qui monte par la jambe du pantalon. Le genre de morceau qui ne lâche pas sa proie, même mort. «Bad Servant», c’est le punch du glauque - «Here we are/ On a mess/ In a car/ You and I/ On this night/ A bad servant and a slave/ One passed out and one betrayed». Fantastique ambiance mortifère. Le morceau idéal pour accompagner un suicide. Et puis voilà «All Hands At Sea», encore une belle image de perdition, mais cette fois c’est une stoogerie broyeuse de gorges. Digne du Gun Club, saxé dans le vent brûlant, c’est du napalm en guise de brillantine, une coulée d’extrémisme purulent - «And there’s really nothing left to say» - le sax traîne, malaise intense et les dieux vomissent. La chose est complètement dévastée.

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Tous ceux qui ont vu Gallon Drunk en concert le savent bien : Gallon Drunk est avant tout un groupe de scène. Les grooves à climats sont propices aux explosions et James Johnston passe beaucoup de temps à se rouler par terre. C’est l’un des showmen les plus spectaculaires d’Angleterre.

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L’album live «Live At Klub 007» est l’album qui colle le mieux à la réalité de Gallon Drunk. Ça démarre avec une version explosive de «The Rotten Mile», ils poussent le jeu de l’exacerbation assez loin, comme s’il n’existait plus de limite. Ils cultivent la surchauffe et le goût des domaines inexplorés. Ils traitent de l’impossibilité des choses. Dans leur version de «Some Cast Fire», on sent l’aboutissement de tout un art de la tension extrême. Ils relancent encore et encore. Ils sont maintenant les seuls à cultiver cette folie du son et à développer une passion pour le concassage des atomes. La version de «Running Out Of Time» est un pur chef-d’œuvre d’explosivité de l’intensité. «Put The Bolt In The Door» devient un heavy blues gluant. Ils transforment «Bad Servant» en énormité séculaire, ils rendent le groove furieux et embarquent l’auditoire dans la démence. Ils semblent atteindre le sommet de leur art nécrosé. Mais quand arrive le stoogien «All Hands At Sea», on recommande son âme à Dieu. C’est vraiment la seule chose qui reste à faire. Ce morceau est à la fois dévasté de l’intérieur et de l’extérieur. C’est plein comme un œuf pourri. Pas de place pour la bricole. Ça pulse dans tous les coins, nappes d’orgue, sax, folie, drumbeat, incantations de comptoir. Pas de clémence dans la démence, pas d’échappatoire, on finit aplati sous une semelle, comme le mégot qui n’avait rien demandé à personne. Cette puissance quasi-industrielle relève des couches supérieures de l’infériorité. Alarmant, quant aux conséquences de cet assaut sur la libido des tympans.

 

Leur bassman Simon Wring a cassé sa pipe en 2012. Le groupe a décidé de continuer, mais en annonçant la couleur. Leur album s’appelait «The Road Gets Darker From Here», ce qui voulait dire en gros qu’à partir de là, le ciel s’assombrissait.

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L’album démarre avec du pur garage d’heavy doom, «You Made Me», qui sonne bien les cloches, gras et vaudou comme pas deux. En vieux fan de Gallon Drunk, on ne peut que se régaler de cette pièce fumante à la fois kitsch et criante de modernité mordante. Avec «A Thousand Years», James Johnston nous replonge dans la désespérance aggravée, dans le groove privé d’espoir. Il prend soin de fabriquer d’extraordinaires atmosphères vérolées qui nous inspirent une sorte de terreur douceâtre, et on s’y étend comme dans un cercueil, le cœur en marmelade et les yeux humides, regrettant pour de bon d’être venu au monde, car enfin, c’est prouvé, il n’est pas de vie qui vaille d’être vécue. Puis on retourne le disque pour écouter la face B et on tombe sur «Killing Time», une petite pièce tendue à l’extrême et où des péripéties soufflent sur la braise pour mieux défigurer le ciel noir de menace. La chose est encore une fois hautement atmosphérique, étrange et violente. Sax et chaos, harmonica par là-dessus, typical Gallon Drunk. Arrive enfin le groove vaudou tant attendu, «The Big Breakdown», monté sur un riff typique de John Lee Hooker. Ça ressemble à un vieux réflexe délinquant, un tic admirable de véracité combinante. Énorme et malencontreux. À se damner pour l’éternité. Écoutez ce truc, «The Big Breakdown», ça fout tout par terre. C’est incroyablement proche, dans l’esprit, de ce que bricolaient les vieux sorciers du North Mississipi Hill Country Blues. Hypnotique et vainqueur, emporté par l’harmo, dément et basique, totalement salvateur. On salue l’excellence de la démarche qui vaut toutes les surenchères du monde. La guitare sonne comme une trompette de l’apocalypse. Le joli riff se cale bien dans le mortier. On l’entend bruire d’éclats soniques. On sent l’art du fouillis dans le fouillé des fuyards. On trouve après ça un heavy-heavy blues nommé «I Just Can’t Help But Stare», plombé jusqu’à l’os. On ne s’en sortira pas. De l’autre côté de l’Atlantique, on a les Chrome Cranks. De ce côté-ci, c’est Gallon Drunk. Ils se partagent le royaume du chaos.

 

Leur dernier album vient tout juste de sortir. «The Soul Of The Hour» reste évidemment dans le même esprit que ses prédécesseurs. Ils démarrent doucement avec «Before The Fire», et une longue intro pianotée. Rien ne presse. Ils prennent leur temps. Ils ont raison, après tout. Il faut savoir donner du temps au temps. Mais ça sonne comme du Nick Cave, c’est trop sombre et trop statique. On sent qu’ils ne vont pas bien. Heureusement, ils reviennent au pouvoir avec «The Dumb Room», le heavy trash, le vrai, le blues du dirt hole. Ils veulent sonner comme les Chrome Cranks - «It’s endless, useless/ Quite our style/ Primeval/ Ice age/ Dumb.» James Johnston sait écrire des chansons. «The Exit Sign» est aussi une énormité. Ian White qui a remplacé Max Décharné bat le beurre bien droit. L’excellence de la méthode vaut tout l’or du monde. La chose se veut spectaculairement hypnotique, elle part dans le cyber-space hawkwindien à travers un nuage de zigouiguis à la Dikmik. Sur la face B, on trouve un morceau de belle pop têtue, «Over And Over», une pop revenue de tout, bien relayée par la scansion «over and over». On sent la belle allure et le port altier - «Wine on the sheets/ And the clothes on the floor» - et la chose s’enfonce dans le crépusculaire. Mais il semble au sortir de cet album que les crocs de nos amis londoniens se soient émoussés. On ne va quand même pas en faire une maladie, n’est-ce pas ?

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On se souvient de ce concert terrible à la Maroquinnerie en 2007, c’était une véritable révélation sonique. Rarement on avait vu un mec aussi démantibulé et aussi incontrôlable. Tous les morceaux étaient comme des torrents de lave qui rougeoyaient dans la nuit, comme sur la pochette de «Fire Music». James Johnston fouillait les entrailles de ses grooves et se jetait à terre pour y gratter des explosions de barrés distordus. Il passait de la guitare aux claviers, il tournoyait au cœur du cyclone, il jetait son pied de micro devant lui et le premier rang n’avait qu’à bien se tenir, il perdait son harmonica, retrouvait sa guitare, il rampait, frappait des accords ouverts à coups redoublés, il fomentait des complots contre la raison, il redonnait du sens au rock. Il réincarnait la sauvagerie du rock qu’on croyait perdue, il se noyait sous ses mèches devenues rebelles et gluantes, il encanaillait ses compos, il tirait tout le son vers le bord du gouffre. Rien ne pouvait l’arrêter. Il sombrait dans la folie, récupérait sèchement son pied de micro et il se jetait sur ses claviers comme s’il allait les détruire.

 

Un concert quelques années plus tard au Point Éphémère se révéla moins violent, mais tout aussi intense, infernal et groovy. Les parisiens ont toujours été friands de Gallon Drunk.

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Et l’atmosphère s’est encore épaissie au Batolune d’Honfleur par cette belle soirée de printemps. Ce fut pour le public clairsemé un shoot de groove d’une noirceur inconvenante, d’une intensité proche de la bestialité rituelle, celle qui provoque l’hypnose, voire la commotion. James Johnston et ses compagnons d’infortune ont ouvert leur bal des maudits avec l’interminable dérive malsaine de «Before The Fire» et refermé le chapitre de leur set brûlant avec un groove encore plus cuisant. Ils ont fait rissoler quelques titres du dernier album comme «The Exit Sign» et ce «Soul Of The Hour» totalement privé d’espoir, comme si l’espoir n’avait jamais servi à rien. Comme le groove d’ailleurs. Puis «Hanging On» et «KillingTime» tirés du dark album et surtout l’imparable «Bad Servant». Tout cela dans une spectaculaire atmosphère de fin du monde et de réinvention du rock, mais un rock plus noir et plus désespérant que jamais, gluant d’énergie malsaine et fier d’être condamné à errer jusqu’à la fin des temps dans les ténèbres de l’underground.

 

 

Signé : Cazengler, Drunk tout court

 

Gallon Drunk. Le Batolune. Honfleur (76). 11 avril 2014

 

Gallon Drunk. Gallon Drunk. Clawfist 1988

 

Gallon Drunk. You, The Night And The Music. Clawfist 1992

 

Gallon Drunk. From The Heart Of Town. Clawfist 1993

 

Gallon Drunk. In The Still Long Night. City Slang 1996

 

Gallon Drunk. Black Milk. Everlasting Records 2000

 

Gallon Drunk. Fire Music. Sweet Nothing 2002

 

Gallon Drunk. The Rotten Mile. Fred Label 2007

 

Gallon Drunk. Live At Klub 007. Sartorial Records 2008

 

Gallon Drunk. The Road Gets Darker From Here. Rough Trade 2012

 

Gallon Drunk. The Soul Of The Hour. Cloud Hill Recordings. 2014

 

De gauche à droite sur l’illustration : Terry Edwards, James Johnston, Leo Kurunis et Ian White

 

( Voir aussi : KR'TNT ! 139 : La Glorieuse Histoire du Rockabilly de Max Décharné. )

 

 

 

ROCK 'N' ROLL PARTY N° 6

 

LES BORDES ( 89 500 ) /

 

12 – 04 – 14 / FOYER RURAL

 

 

SOUTHERNERS / ROCKIN' HELL FIRE

 

TWANGMASTERS / JAGUARS

 

 

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Les campagnes françaises débordent de bordes : ces antiques fermes isolées, éparpillées très méthodiquement sur l'ancien quadrillage romain des terres divisées en carrés - à mettre en valeur, souvent distribués aux légionnaires à la retraite – ont parfois donné naissance à de gros hameaux ou à de maigres villages. Ce préambule pour vous expliquer qu'arriver aux Bordes, en plein milieu de nulle part, dans une incertaine cambrousse sise au loin du côté de la bonne ville de Sens, exige pour les parisiens une sacrée dose de courage et par-dessus tout d'avoir le rock chevillé au corps.

 

Pas si difficile que cela, puisque à peine quitté l'axe principal de nombreuses flèches jaunes dûment orientées vous amenaient en douceur jusqu'au Foyer Rural désiré. Une orga de pro, avec les Teds aux commandes pas de souci à se faire, la logistique est au-rendez-vous, le petit doigt sur la couture de la drape-jacket. N'empêche qu'il y aurait pu y avoir deux fois plus de monde... Dommage pour ceux qui ne sont pas venus, car ils ont raté un super-concert, et pour ceux qui sont venus aussi puisque Fifi, le responsable, un peu dépité, annonce que désormais il organisera ses Rock'n'Roll Parties en Allemagne... Espérons qu'il reviendra sur cette décision qui priverait le public français de multiples grosses pointures rockabilly européennes...

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Grande salle, bar au fond, scène en face – correcte mais on aurait pu souhaiter deux mètres de plus en profondeur – trois fournisseurs de disques, des sacs pour les ladies, des babioles à blouson pour tous, le bonheur du rocker à portée de la main sur les étalages. Tout cela ne serait rien sans tous les fans qui se retrouvent ou se découvrent venant d'horizons divers, du Nord, d'Espagne, et même de chez les Loners de Lagny-sur-Marne.

 

SOUTHERNERS

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Commencer par les Southerners, c'est d'entrée mettre la barre au maximum de sa hauteur. Drapeau anglais en fond de scène – l'Angleterre étant d'origine le pays d'incubation du mouvement ted – P'tit Loup en drape jacket bleu-royal, Pascal drapé dans un rouge princier éclatant, Yves, Thierry, Michel sanglés dans leur tunique rebelle, sont tous là, invités cadeau pour l'anniversaire de Fifi. Pour les présentations, nous arrêterons-là car ils sont déjà partis sur Motorbike. Pas plus de quinze secondes pour qu'ils s'installent dans leur scansion si particulière. N'y a plus qu'à écouter.

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Une musique et des voix. P'tit Loup entonne, Pascal répond, et le dialogue débute, Yves, Thierry et Michel, parfois seuls, ou à deux ou à trois, entrecoupent, véritable choeur de tragédie grecque qui souligne les moments cruciaux de l'action. Pascal appuyé sur sa contrebasse est le dieu tonitruant de l'Olympe, sans cesse en train de menacer, le verbe haut et l'intervention vindicative. P'tit Loup est le héros sur qui pleuvent les rafales colériques de la divinité. Se donne du mal pour échapper à son destin de rocker. Les chiens de l'enfer hurlent après lui et ne le lâchent pas. Au deuxième morceau – Eileen, le tour de chant est basé sur le disque que nous avons chroniqué dans notre précédente livraison – s'est déjà débarrassé de sa redingote et de sa sousjacket – très classe en sa chemise blanche. Trop de fils sur la scène trop encombrée ne lui permettent pas une gestuelle débridée, mais tous ses mouvements sont empreints d'une élégance féline. Nous offre le chant, et la danse. Le rock and roll vécu de l'intérieur entre beauté sauvage et trépidation rythmique. Pascal est venu nous visiter, nous les simples mortels, bientôt rejoint au milieu du public, par P'tit Loup qui s'en vient implorer le tonnerre de la contrebasse, en vain car la rebelle colère du rock'n'roll n'a pas de fin... Et tous deux remontent sur l'estrade pour continuer à libérer les forces du kaos...

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Le loup-cervier ne prend même pas le temps de retrouver son souffle entre deux morceaux. Derrière sa batterie Vivi relance sans arrêt la machine. L'orchestre embraye à la seconde mais P'tit Loup est déjà aux avant-postes, et c'est reparti pour un tour de fou. Sans doute pensaient-ils finir sur leur extraordinaire version de The Train Kept A Rollin, pour laisser la place aux autres groupes, mais il est hors de question de les laisser s'échapper au bout de dix malheureux – toutefois flamboyants – morceaux. Et le public et Fifi ne leur permettent pas de se défiler si rapidement. Nous entraînent alors dans la ronde des hymnes à la gloire des Teddies boys qui mettent le feu à la salle.

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Nous laissent estomaqués. Le groupe ted dans toute sa splendeur. Violence et retenue. Maîtrise et soumission. Un des premiers groupes français qui a su garder trente après intact l'impact de la fièvre adolescente. Un métier indéniable, une entente rodée au millimètre, mais recouverts par une envie folle de tout donner comme si c'était la première fois qu'ils montaient sur scène.

 

ROCKIN' HELLFIRE

 

Des montagnes sur scène. Imposants, dans leurs sombres habillements, statiques, nul sourire sur les lèvres de tout le set, les Rockin' Hellfire ne sont pas là pour rigoler ou passer du bon temps. Viennent d'Espagne, aussi austères qu'un tableau du Greco et aussi sérieux qu'un torero avant la mise à mort. Un germain dans le lot. Pas n'importe qui, le chef, Zlatko, l'ancien rythmique de Black Raven, un groupe culte encore en exercice. Malgré son costume trois pièces gris, l'a tout gardé de la noirceur du corbeau, pas le foutraque volatile de la fable, mais celui d'Edgar Poe aux yeux brûlants d'un feu éternel, perché sur le buste pallide de Pallas – selon la traduction de Stéphane Mallarmé.

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Electricité froide. Impassibles et impeccables. Une ambiance de feu glacé. Un son lourd comme une chape de plomb. Ils alignent les morceaux comme des cercueils un jour d'exécution générale. Doivent réveiller en nous nos instincts les plus hideux, car nous devons l'avouer, nous aimons cela. Ces sueurs de suaires qui coulent en larmes de gel le long de notre moelle épinière, nous adorons. Ca nous réchauffe le coeur. Même quand ils nous joueront Broken Heart.

 

Terriblement anglais dans leur répertoire. Des dignitaires qui reprennent du Vince Taylor et du Johnny Kidd ne peuvent pas être absolument mauvais. Et pourtant leur Brand New Cadillac avec la poupée qui ain't never (more ) comin' back sonne comme le glas funèbre qui annonce la nuit de votre enterrement. Slatko vous mâchonne les paroles du bout des lèvres comme s'il mastiquait un chewm-gum d'angoisse pure. Pour une simple minette impertinente qui vous plante sur le trottoir, le combo vous brosse un drame humanitaire encore plus tragique que le génocide du Ruanda. Même traitement pour Shakin' All Over, la partie de jambes en l'air, il vous la transforme en séance de cour martiale, aucun souci à vous faire, vous n'en réchapperez pas.

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Ne bougent pas d'un centimètre et vous vous apercevez que la grande menace vous enveloppe. Aucun indice auquel vous pourriez vous raccrochez, ni au feutre noir de David qui lui donne l'air inquiétant d'un agent secret, ni le Johnny Cash, the man in black, qui vous tire dessus avec sa guitare, sur le t-shirt de Mariano, ni l'étole léopard cruel sur la veste de Luis le guitariste, vos poils se hérissent lorsqu'ils abordent I Fought the Law, pour sûr vous n'avez pas affaire à de minables petites frappes de bas-quartiers. Ce sont des seigneurs, des saigneurs sans pitié qui vous transpercent le corps de leurs échardes électriques.

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Rockin'Hellfire vous joue le rock comme un oratorio de mort. Ne vous ont pas trompé sur la destination finale. Visent les profondeurs infernales. Et vous les suivez sans une hésitation, sans un regret. Voyage au bout de la nuit. Le rock conçu en tant que road movie on the 666 avenue. Leur Teddy boy Boogie est repris en choeur mais avec ces enchanteurs de Hamelin, on irait au cimetière en chantant. C'est cela le Hellfire Rock'n'roll et vous ne pouvez que crier après eux I'm Comin' Home.

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Superbe prestation.

 

TWANGMASTERS

 

Changement de décor et d'époque. Le drapeau anglais reste bien collé à sa place, sur le mur de fond de scène. C'est à l'intérieur de vous que vous enlevez les voiles noirs de crêpe et de deuil que votre imaginaire avait placardé sur votre cerveau durant le set des Rockin Hellfire. Les Twangmasters eux aussi sont habillés de noir, mais ce n'est pas la même chose, leurs blue-jeans nous le confirment. Ce n'est pas la teinte dont on se pare qui colorie la vie, mais notre volonté de la peindre d'une telle ou telle autre couleur. Il fut un temps où les Twangmasters étaient quatre, mais le batteur s'est retiré. Auraient pu arrêter l'histoire à cet instant-là, ou en embaucher un nouveau. Ont préféré compter sur leur propres forces et continuer à trois. Le rock n'est-il pas une musique en perpétuelle recomposition ?

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Vêtus de noir mais très premiers Blue Caps. Paul Barton est au four et au moulin. Au chant et à la batterie. Joue debout à la Dickie Harrel, caisse claire, un tom et les deux cymbales, desquelles il ne prolonge jamais les vibrations arrêtant de la main si nécessaire le ruissellement du métal. Un son très primitif, le même que vous trouvez sur les premières versions de Chuck Berry – avec en plus le piano en moins – ce n'est pas un hasard si le set débute par Too Much Monkey Business.

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Son primal, récuré jusqu'à l'os. Ne vous servent même pas le nécessaire, seulement l'indispensable. C'est peut-être pour cela que vous ne rejetez rien. Faut entendre leur All I Can Do is Cry, pas de trémolos romantiques dans la voix, adieu à la grandiloquence narcissique du chagrin, la douleur uniquement, la jouissance de la souffrance, rien de plus. L'essentiel. Sur Crazy Legs ils parviennent à découper juste l'ossature rythmique du morceau, de véritables hyènes carnassières, inutiles de repasser après, n'abandonnent tibias et fémurs qu'après en avoir extrait la substantifique moelle.

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Il y en a un pourtant que ça fait rigoler, c'est Carl Gunther, à dada sur sa contrebasse qui s'amuse comme un gamin. Un pitre sous ses cheveux blonds coupés rasibus qui cherche à établir le contact avec le public. N'en oublie pas de bosser pour autant, d'abord il envoie une giclée de notes rondes et swinguantes qui s'éparpillent dans toutes les directions, sa manière à lui de tresser le schéma rythmique du titre tout en laissant assez d'espace pour que le Barton puisse bastonner à sa guise dans les espaces ainsi délimités. Et puis il vous regarde et se marre comme un bossu. N'en oublie pas pour autant de faire péter le mur du son sur ses cordes qu'il triture comme des élastiques géants.

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Du coup l'on en oublierait presque, malgré son imposant gabarit, Alain Wilson qui s'active sue sa lead guitar. Pas le genre de jeu à épater le touriste. Se contente d'encercler et faire tenir ensemble la production des deux précédents. Fait le lien, pose la charpente et monte les murs, tandis que les deux autres passent le crépi et posent les tuiles. Mais le gros oeuvre indispensable, il s'en charge. Le rôle du berger qui rassemble le troupeau. Faut entendre son boulot sur le Maybeline et le Long Blond Hair de Johnny Powers.

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Les titres défilent vitesse grand V, servis par la voix chaude de Paul qui les expédie sans fioritures, un Cheatin' Heart sans naïf émerveillement, un Folsom Prison sans mélodramatisation, un Blues Stay Away From Me sans mélancolie. Nous ne sommes pas au Cours Florent, The Twangmasters ne surjouent pas leurs interprétations. Ils jouent du rock'n'roll, uniquement du pure rock'n'roll, et quand vous les écoutez vous comprenez qu'il ne vous manque plus rien pour être heureux dans votre misérable existence. Pas d'emballage, pas de papier fantaisie ni de petits rubans roses, le cadeau tout seul. Superbement suffisant.

 

THE JAGUARS

 

Cinq sur scène, dont quatre rangés en rang d'oignons par-devant et le batteur par derrière. Commencent si cool qu'on ne fait pas attention à la beauté du son. Sont à la parade, l'on se croirait dans un groupe de Do Woop, se balancent en rythme et en cadence, les trois guitares et le chanteur, et une fois l'on se tourne tous ensemble vers la gauche, et attention cette fois sur notre droite, bien, tous ensemble, maintenant on recommence, et derrière son micro Dave Rivers arbore son sourire dentifrice N° 1, c'est quoi ces blaireaux, se croient à la revue de l'Alcazar, pincez-moi, je rêve. Ces jaguars seraient-ils des fauves d'opérette ?

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C'est à cet instant que votre cerveau ne répond plus. Collapsus intégral. Vos neurones ne sont plus qu'un immense vortex qui tournoie sans rémission dans votre boîte crânienne. Inutile d'appeler le docteur. C'est sans remède. Ce phénomène attentatoire porte un nom, vous êtes une victime collatérale de ce terrible virus foudroyant dont on répète avec terreur le nom dans les laboratoires de recherche médicale qui luttent sans succès depuis soixante ans contre cette mortelle pandémie, c'est le R'n'R. Surtout évitez de fréquenter les cirques et les ménageries, la virale bactérie s'attaque d'abord aux félins, mais se transmet très facilement à l'homme.

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Vous servent très vite un instrumental pour que vous puissiez vous rendre compte de l'ampleur du désastre. Très sixties, un son à la Shadows comme les Shadows n'ont jamais été capables d'en fournir. Normal, l'ont légèrement survitaminé. Vous repérez très vite, sur votre gauche, le coupable, je vous donne son nom Andy Wren, non il ne joue pas de la lead guitar, il vibratophone à la folie, un véritable maniaco-bigsbryseur, vous fait avaler des couleuvres d'acier suédois par centaines, ces maudits reptiles s'échappent de sa guitare et s'en viennent pondre des myriades d'oeufs empoisonnés dans votre cerveau malade. Ah, vous vouliez du rock and roll, eh bien en voici. Et puis pour se foutre de votre gueule ils entonnent tous en choeur She-she-she Litlle Sheila pour soutenir Mister Dave Rivers qui les embarque dans une mélopée infernale, son sourire de Monsieur Loyal du Rock'n'roll toujours aussi épanoui sur ses lèvres.

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Les Jaguars s'amusent. Mais à coups de griffes. Vous déchirent tout du long, vous broient les os sous prétexte de vous mordiller amicalement, vous éviscèrent sans plus de prudence, vous laissent retomber tout pantelant, avant de revenir vous retaper à grands coups de barre de fer sur les incisives. Tous méchants. Même Eddy Gentry sur sa batterie. Une mine inquiète, toujours en train de s'assurer de ce que font les autres, mais un véritable psychopathe du caisson. Le gars têtu qui n'en démord jamais. Un méthodique. L'a divisé son champ d'action en quatre ou cinq secteurs. S'occupe de chacun d'eux, mais à chacun son tour. L'un après l'autre, change systématiquement de zone à chaque nouveau morceau, mais alors il ne la lâche plus, la bombarde et la pilonne sans pitié. Le genre Attila qui fait bien attention à ce qu'après un concert pas un poil de chacal ne repousse sur la peau de ses toms. N'épargne aucun centimètre carré. Comment voulez-vous que les guitares ne se sentent pas soutenues dans leurs méfaits harmoniques avec un tel exemple !

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Nick Grammon est à la rythmique, c'est le plus jeune, Dave le laissera chanter à deux reprises. Encore un à qui sa maman n'a jamais appris à dire s'il vous plaît, vous tisse des murs de flammes de quinze mètres, ratiboise sec et ne jette jamais d'eau sur l'incendie qu'il vient d'allumer. Tony Casey est à la basse. Soi-disant. Parce qu'il ne s'en sert pas pour planter un bulbe de tulipe tous les vingt centimètres. Serait plutôt du genre plante rampante et carnivore qui s'entrelace à tout ce que produisent ses trois congénères. Basse Fender à manche très long, comme un jour sans pain, et il a une faim à dévorer le monde.

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L'est vrai que sur sa lead, Andy Wren donne le mauvais exemple. Avec une leçon en prime. Démonstration gratuite. Ecoutez et vous comprendrez. Comment au tournant des années soixante le rock est-il passé du son guitare claire à la Hank Marvin à ce qui deviendra l'urgence métallique des premiers grands groupes anglais. Des Shadows aux Who, du surfin' à l'électricité. Ou comment l'on a scié les barreaux de la cage et lâché le fauve en liberté. Sans surveillance. Andy Wren n'a pas été le guitariste des Avengers pour rien. Ne devaient pas y avoir beaucoup de puristes dans l'assistance car je n'ai entendu personne crier au loup. Les Jaguars ont laminé le public. Et vous n'aviez pas intérêt à vous rendre car ces maudites bestioles n'étaient pas d'humeur à faire des prisonniers.

 

Little Sister, Matchbox, School of Rock'n'roll, Johnny B. Goode, les titres se succèdent, un déluge de feu et d'acier sans fin. Le moins effrayé de tous, c'est Dave River, un elfe, un feu follet qui survole les flammes de l'enfer avec une facilité démoniaque. Pas le moindre signe d' essoufflement, jerke autour du micro, se jette à terre tout en continuant à chanter comme s'il était assis dans une bergère Louis XV. Très british, en somme.

 

Des gentlemen ? Non beaucoup mieux, des rockers. Merci Fifi.

 

Damie Chad.

( des centaines de photos sur les facebooks d'Edonald Duck et Petite Grenouille )  

 

 

 

LE CESAR / PROVINS

 

12- 04 – 2014 / LOREANN'

 

 

Parfois la vie vous a un de un ces goûts de revenez-y, pas du tout vérolé. Me pointe de bonne heure – contrairement à mon habitude – sur le marché de Provins because ma journée est chargée en évènements divers lorsque, devinez le nom de la personne que j'aperçois en premier, avec sa guitare, sur la terrasse du César. Loreann' ! Pour ceux qui ne connaissent pas reportez-vous à la précédente livraison N° 184. Marx disait que l'histoire ne se répète pas mais que parfois elle bégaie. Me semble revenir dans le passé de l'Humanité, juste d'une semaine, ce n'est pas grand chose, mais c'est juste un début.

 

Bref Loreann', ses cheveux blonds, sa guitare folk, sa voix ensorceleuse, rien que pour moi. Des standards américains, rien que pour moi, par exemple une version de Mister Tambourine Man susurrée d'une manière à vous rendre jaloux. Et comme la dernière fois, le même phénomène de remplissage de la terrasse, les clients en veine de générosité qui lui offrent à boire et son chapeau qui n'arrête pas de recueillir les euroïques piécettes... Et l'ami Richard qui revient s'asseoir à mes côtés.

 

Nouveauté, Démocrite avait raison, l'on ne trempe jamais les lèvres dans le même verre de Jack. D'un deuxième étui, cette fois elle extrait une Epiphone – le modèle copié tout droit ( enfin presque ) sur la Gretsch d'Eddie Cochran. Tout de suite le récital vous prend une autre ampleur. Rien à dire, l'électricité est une découverte qui a plus fait pour le bonheur des hommes que l'invention des bombes à fragmentation. Du coup il y a même Jackie La Gratte, une figure folklorique de la cité, qui s'en vient fredonner J'avais Deux Amis du grand-père Schmall, dédié à Eddie Cochran et Buddy Holly. Décidément quand l'on prend les rockers par les sentiments...

 

Loreann' a repris son instrument et entreprend de ré-enchanter notre univers, le pire c'est qu'elle y réussit et que je dois me défiler, le devoir m'appelle, suis obligé de m'arracher après une ultime poignée de titres talentueux. Le lendemain Richard me raconte qu'il est resté et qu'ils ont beaucoup parlé guitare. Normal, il est prof de guitoune à ses heures gagnées sur la cruauté du monde. Un dernier coup d'oeil à la silhouette de Loreann', sûr qu'on la reverra, elle chante trop bellement pour ne pas l'écouter.

 

Damie Chad.

 

GANGS STORY

 

YAN MORVAN – KIZO

 

 

( La Manufacture de Livres – 2012 )

 

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Avant tout un gros et beau bouquin de photos. Qui était déjà paru au début du millénaire aux Editions Marval, spécialisées dans les livres ( évidemment ) photos. Les vues de Yan Morvan étaient-elles alors accompagnées de commentaires ? Nous n'en savons rien. Toujours est-il que cette nouvelle mouture est illustrée d'un récit de Kizo, ex-membre de la Mafia Z, gang de la ville de Grigny qui regroupait des jeunes du quartier de la Grande-Borne. Le mot récit semble un peu mal approprié – Kizo ne raconte ni hauts faits de guerres ni anecdotes significatives, il sait rester discret et ne nous livre que l'écume des apparences indéniables. Ses interventions se limitent à quatre introductions qui n'excèdent pas six pages pour la plus longue.

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On ne peut pas dire que Yan Morvan publie ce livre par hasard. C'est après avoir fortuitement rencontré Johnny, un rocker charismatique de Montreuil, qu'il s'est retrouvé voici près de quarante ans à photographier les rockers français dès 1975, à l'époque ses photographies étaient parues aux Editions Jean-Claude Simoëns en 1977 dans Le Cuir et Le Baston, avec un commentaire assez politico-moralisateur de Maurice Lemoine. Ce livre est aujourd'hui qualifié comme le premier ouvrage français qui s'intéressait aux rockers français. Ce qui n'est pas tout à fait vrai puisqu'en 1975 Ken Pate nous avait offert l'inoubliable Roquette Rockers... Quoi qu'il en soit Le Cuir et Le Baston ouvrit la porte de Paris-Match à Yan Morvan. Un grand professionnel, à la personnalité un peu borderline, se trouva ainsi mis sur les rails... Beaucoup de ces premières photos se retrouvent d'ailleurs dans Gangs Story.

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Car Gangs Story ne débute vraiment qu'en 1975. Certes, dans sa monographie Kizo remonte aux premiers Blousons Noirs des années 60 mais à cette époque là Yan Morvan était encore trop jeune...

 

ROCK' N' GANGS

 

Les mauvais garçons ont toujours fait phantasmer. Les jolies filles, mais aussi les petits bourgeois et les poules mouillées. Se présentent comme le rêve réalisé de multiples projections de volontés de puissances qui resteront soigneusement cadenassées à double-tour et avec chaînes ( à vélo ) dans la robinetterie intérieure de nos méandres cervicaux. Il ne reste que très peu de témoignages sur les premières bandes de blousons noirs en France, on ne les connaît pratiquement que par les reportages effectués par la grande presse d'époque, hostile bien entendu, à ces fils perdus du prolétariat. Ils avaient pourtant trouvé leur boussole, la musique - largement dispensée à tue-tête par les enceintes des auto-tampons et des chenilles des fêtes foraines, ils se reconnaîtront dans les idoles maudites du rock'n'roll - Gene Vincent, Vince Taylor, Eddie ( don't forget him on this April 4 th ) Cochran... Les bandes d'alors sont un délicieux ramassis exubérant d'enfants de prolétaires, gitans, narvalos et arabes, qui pressentent qu'ils seront les exclus des trente glorieuses qui se profilent à l'horizon... A peine nées elles vivent déjà dans la nostalgie d'un âge d'or américain qui ne durera pas longtemps et qui ne s'est pas vraiment déployé en France... D'un niveau social très limité elles seront assez fortes pour créer la première french-rock mythologie mais incapables de créer les codes écrits et artistiques facilement transmissibles d'une véritable contre-culture... Ces bandes fonctionnent en milieu clos, en réseau fermé d'auto-initiation individuelle et familiale.

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Le rock est une condition nécessaire de survie mais pas suffisante. Insensiblement l'on passera des bandes de blousons noirs aux rockers animés par un esprit de résistance à l'évolution d'une musique qui est déjà en train de changer et de brouiller ses propres codes. Les rockers seront d'instincts conservateurs, ce qui plus tard se transformera en l'adoption d'une idéologie réactionnaire. Mais il reste encore bien des étapes à franchir pour en arriver là : des faits significatif et quelque peu contradictoires se déroulent au milieu des années 60 aux USA.

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L'explosion hippie avec son idéologie petite fleur bleue – du moins telle qu'elle est présentée sur les médias nationaux est en totale opposition avec la violence revendiquée du premier rock'n'roll. Idées pas si courtes que cela pour qui prend la peine de s'y pencher, mais cheveux longs et tenues négligées. A mille lieues du bon goût gominé des rockers. Mais les hippies ne sont pas les seuls à arborer des looks hirsutes. Les reportages sur les Hells Angel's d'Amérique dont on causera de plus en plus à la fin de la décennie ( Atlamont, articles fascinés dans Match, Easy Riders ) apportent une nouvelle esthétique. Les Hell's Angels descendent tout droit de L'Equipée Sauvage – et il est difficile de refuser une telle caution originelle – ces anges de l'enfer sont bien les enfants du rock, ils en portent le blouson emblématique, même s'ils ne sont pas spécialement fixés sur les pionniers, ils ont une prédilection affichée pour un rock and roll hard et violent. Evidemment ne sont pas tout lisses sur eux, arborent des tignasses emmêlées et ont les mains souvent empreintes de cambouis... Le livre commence à cette époque lorsque la bande de Répu et celle de Crimée se fixent sur l'est de la capitale. Ces premiers Hells Français imposeront leur marque de fabrique sur tous les mouvements de jeunesse qui suivront : la multiplication des motos-clubs de bikers certes, mais surtout cette idée qu'une bande se doit de construire sa propre économie de survie... Les hippies sont de grands consommateurs de drogues, un marché libre de toute intrusion réglementaire est à la portée de main de qui saura s'en saisir.

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Les premiers rockers ont affaire à une forte concurrence. D'autant plus qu'une scission s'établit à l'intérieur du mouvement. Autour des années 76-77 arrivent sur le marché français des tas de compilations jusque-là introuvables. Au lieu de refourguer un inédit d'Eddie Cochran au milieu de onze titres que l'on possède déjà en six exemplaires, les majors, et puis de plus petits labels qui sautent sur l'opportunité, sortent des catalogues américains tous les petits pionniers dont on connaissait le nom mais que l'on n'avait pratiquement jamais entendus. Le mouvement rockabilly des années 80 prendra racine sur cette manne musicale inespérée. Sera dans un premier temps porté par les groupes de jeunes qui repassent la barre symbolique des sixties : les Fifties entendent montrer au monde entier qu'ils font une croix sur l'évolution du rock. Ne portent plus obligatoirement le blouson de cuir noir – tout de même un peu morbide – se vêtent de sweaters colorés, verts et rouges. Les mexicaines à talons biseautés et à bouts pointus sont délaissées en faveur des creepers two tones... Disques ou sapes, tout cela coûte de l'argent, les Fifties sont dans l'ensemble d'un milieu social plus élevés que les premiers rockers. Ce phénomène est aussi l'indice que le rock'n'roll est en train d'être adopté par des couches de plus en plus larges de la jeunesse...

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Mais l'époque est propice aux changements. En Angleterre le mouvement Teddy prend de plus en plus d'importance. Ne s'agit pas uniquement de fringues et de looks, de nombreux combos opèrent un retour vers le rock des pionniers et le rockabilly, ils en accélèrent légèrement la cadence jusqu'à créer un effet hypnotique qui plonge les auditeurs dans une nouvelle addiction... En France les milieux rock tendent de plus en plus l'oreille vers ce mouvement qui possède sa propre organisation, ses us et coutumes, ses signes de reconnaissance, ses réseaux, ses concerts...

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Mais les rockers n'en croient plus leurs yeux. Jusque alors s'ils étaient la dernière roue de la charrette sociale, ils détenaient au moins une place de premier, en commençant par la fin. Ce qu'il y a de pire n'équivaut-il pas à ce que le monde offre de meilleur ! A un niveau symbolique, sûrement. Et voici qu'ils se font doubler sur leur gauche. Grâce aux lois du regroupement familial promulguées par Valéry Giscard d'Estaing, les cités se remplissent de travailleurs africains... Une nouvelle génération de kids encore plus fracassée que le lumpen-prolétariat national commence à apparaître. Les bandes de rockers l'ont mauvaise. Ne font pas contre mauvaise fortune, bon coeur. Au contraire, elles se rétractent sur elles-mêmes et recherchent dans la seule histoire qu'elles connaissent des barrières de protection. Se définissent comme les petits-blancs américains du Sud qui subirent la concurrence déloyale des salaires allouées à la main d'oeuvre noire des esclaves libérés de la servitude. Vikings et Rebelles se ceignent de l'étamine sudiste et ne tardent pas à adopter une idéologie pour le moins racisante. La bourgeoisie peut continuer à dormir sur ses deux oreilles, tant que les pauvres se bastonnent entre eux, elle a encore de beaux jours à couler...

 

HIP'N'GANGS

 

Les gamins des cités ne sont pas plus bêtes que les autres. Même si la population s'est modifiée et provient en grande partie de l'Afrique Noire. Une nouveau style de bandes de jeunes est en train de proliférer. Encore une fois on copie l'Angleterre où des mouvements similaires à ceux qui viennent de se passer en France se sont déroulés. Dans les suburbs de London, les Skins à têtes rasées – un contre-courant du mouvement mods - ne supportent plus la forte prédominance de l'émigration étrangère – jamaïcaine notamment – dans leurs quartiers. Les fils de prolos, la boule à zéro, les Doc Martin aux pieds, organisent la chasse aux noirs ou aux pakistanais. Ratonnent sec à coups de battes de base-ball.

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Ici, autour du Golf-Drouot, des groupes informels de Black Panthers qui écoutent du rock'n'roll noir ( Little Richard, Esquerita, Rhythm'n'Blues, James Brown... ) se lancent à la poursuite des Rebelles... qui sont remplacés par une nouvelle génération de jeunes gens, des bandes de skins qui ne s'inscrivent plus dans la tradition d'écoute des pionniers... Mais très vite apparaissent de nouvelles troupes qui décident de chasser de Paris, les redoutables bandes de Skinheads français qui se sont rapidement accoquinées avec les groupuscules d'extrême-droite. Dans les années 80, la donne change, les bandes ethnicisées des cités délaissent totalement le rock au profit du Hip-Hop et du Rap. Ducky Boys, des Black Dragoons, pourchassent les skins et les obligent à raser les murs. Se surnomment les Redskins car en ces années-là le mythe de la révolution est encore vivace et positivement connoté. Ils ont gagné la guerre, même si les braises sont toujours brûlantes. La mort de Clément Méric en juin 2013 dans une bagarre opposant militants antifas et skins d'extrême-droite est là pour nous rappeler que l'incendie peut reprendre à tout moment.

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Kizo ne cache pas sa sympathie pour les Redskins, l'on peut dire qu'il fait partie de cette mouvance idéologique - antiraciste, antifasciste – même si son engagement ultérieur nous montre qu'il n'est pas dupe des travers de son propre camp. Car le combat ne cessa pas faute de combattants. Les bandes de redskins alliées dans leur lutte contre les skins se trouvèrent fort dépourvues après leur victoire. N'avaient plus qu'à rentrer chez elles... où elles s'ennuyèrent comme des rats morts. Quand on n'a plus d'ennemis, il faut vite s'en créer d'autres... Faute de mieux les bandes organisèrent la guerre des gangs. Au début just for fun, ensuite pour défendre leur territoire, ensuite pour réglementer tous les trafics imaginables sur la zone impartie...

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Kizo en sa prime jeunesse se donna sans compter dans la lutte fratricide qui opposa les bandes de Grigny de Corbeil et d'Evry. Il est revenu de cette violence gratuite – pas si gratuite que cela car les bénéfices engrangés ( drogues, prostitution, voitures volées, etc... ) forment de nos jours une véritable économie parallèle, dont on ne sait où se perdent les ramifications... Les quartiers tenus par les bandes sont aujourd'hui les plus calmes. Le commerce n'aime guère les affrontements qui obligent la police à intervenir et à fourrer son nez un peu partout... Imaginez que par hasard vous tombiez sur un flic et un journaliste intègres, jusqu'où remonterait le scandale ? Parviendrait-on à l'arrêter avant ? Le blanchiment d'argent sale demande tant de complicités ! Kizo déplore cette évolution, il essaie d'entraîner les jeunes de sa cité à pratiquer le sport...

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Le livre ne porte aucun jugement moral. Il égrène les faits. Ceux qui sont connus. Pour le reste ( tout le reste ) il les tait. Aujourd'hui histoire semble faire une pause. Mais l'eau qui dort est la plus menaçante. L'on se retrouve assez loin du début. Entre les bandes de blousons noirs désargentées des années 59 – 62, adeptes d'une petite délinquance qui n'a jamais été le moyen d'un véritable enrichissement personnel, et l'iceberg monétaire qui se profile sous les circuits parallèles des cités, il existe un véritable fossé. Pour la suite j'imagine que d'autres mafias doivent contempler le magot avec envie. Je ne pense pas par exemple que la série d'éliminations systématiques qui secoue actuellement les quartiers chauds de Marseille soient uniquement dues à de jeunes imbéciles qui jouent aux têtes brûlées. Combats de pieuvres redoutables et d'eaux profondes, les cervelles qui commandent les retors tentacules sont hors de portée. Du moins de la nôtre.

 

Yan Morvan est revenu à plusieurs reprises sur le sujet. Notamment en 1994, il fréquente ainsi Gui George sans se douter qu'il tient dans son viseur un des plus célèbres serial-killers français. Toutes ces photos sont dans le livre. Je vous laisse découvrir leur intransigeante netteté. A voir. Et à méditer.

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Cette guerre des Gangs raconte l'institutionnalisation – quelque part étatique pour ceux qui savent lire entre les lignes de nos deux antépénultièmes paragraphes – de la violence du rock'n'roll. Le système capitaliste est d'une très grande perversion. Vous retourne toujours le cran d'arrêt avec lequel vous l'agressiez dans le dos. En vous laissant croire que c'est vous qui avez porté le coup !

 

Damie Chad.

 

10/04/2014

KR'TNT ! ¤ 184 : BUZZCOCKS / LOREANN' / SHORTY TOM AND THE LONGSHOTS / TINSTARS / SOUTHERNERS

 

KR'TNT ! ¤ 184

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

10 / 04 / 2014

 

 

PETE SHELLEY + BUZZCOCKS / LOREANN'

/ SHORTY TOM AND THE LONGSHOTS /

TINSTARS / RUBY PEARL / SOUTHERNERS

 

 

 

LA CLEF / SAINT GERMAIN EN LAYE ( 78 )

 

 

02 - 04 - 2014 / BUZZCOCKS

 

 

LES HITS LECHES DE PETE SHELLEY

 

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Ah les Buzzcocks ! Comme on a pu les adorer pour leurs singles, et les détester à cause de leurs trois premiers albums ratés ! Ils font partie des survivants de la première vague punk de Manchester. Trente-sept ans après la bataille, ils sont toujours là, on ne va pas dire frais et roses comme des gardons, mais fidèles comme des paroissiens. Pete Shelley et Steve Diggle continuent de veiller au destin du groupe, épaulés par deux petits jeunes, Chris Remington (bass) et Danny Farrant (drums).

 

Pour remonter à la source du groupe, il faut entrer dans un collège technique bien sinistre de la banlieue de Manchester et filer droit au panneau d’affichage des petites annonces. Howard Trafford y a punaisé la sienne. Il cherche des gens pour monter un groupe, mais pas n’importe quels gens. Il faut qu’ils soient fans du Velvet et qu’ils écoutent «Sister Ray». Peter McNeish radine sa fraise et décroche l’annonce. Howard Trafford qui surveillait le panneau d’affichage à distance accourt et lui serre la pince. Il réussit à masquer sa déception car il aurait préféré voir arriver une petite gonzesse. Ils partent ensemble à l’aventure et montent un groupe qui va s’appeler les Buzzcocks. Ils n’ont absolument rien : pas de look, pas de chansons, pas de guitares, pas de rien. Ils trafiquent leurs noms, comme vont le faire quasiment tous les punk-rockers. Howard s’appellera désormais Devoto (il prend le nom d’un chauffeur de bus), et Peter prendra le nom que ses parents lui auraient donné s’il avait été une fille : Shelley. Avec deux autres compères, ils vont enregistrer le EP «Spiral Scratch» et entrer directement dans la légende. Tout simplement parce que «Spiral Scratch» est l’un des cinq meilleurs EPs de la première vague punk anglaise.

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Puis, de single en single, les Buzzcocks vont devenir l’un des groupes les plus mélodiques d’Angleterre. Sur scène, c’est imparable. Ils alignent des hits faramineux, tout le monde les connaît et les chante en chœur, on se croirait à un concert des Beatles ou de Slade. On chante, on saute, on crie.

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La Clef à Saint-Germain-en-Laye est une salle de rêve, on y descend comme en descend en enfer. Idéal pour recevoir cette poudrière à huit pattes que sont les Buzzcocks, ces lads de Manchester qui ont tout l’or du monde, c’est-à-dire les chansons. Sans les chansons, un groupe ne vaut pas grand-chose, comme nous le savons tous.

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Steve Diggle arrive sur scène goguenard. Il paraît sincèrement ému de retrouver un public d’admirateurs. C’est un mec qui rigole de bon cœur et qui envoie des petits saluts aux fans. Il a ce sourire irrépressible des gosses timides et ravis. Il porte une chemise blanche à pois noirs et il joue sur une Telecaster blanche décorée d’un petit Union Jack. C’est le rocker anglais par excellence, présent, scénique, classieux, pas frimeur, qui bouge, qui claque ses accords avec un bras en l’air, qui saute et qui bouge sans cesse. Steve Diggle n’est rien d’autre qu’un punk-rocker qui monte sur scène pour prendre du bon temps avec son public. Tous les oiseaux de mauvaise augure qui passent leur temps à cracher sur le rock ou à prédire sa fin devraient voir Steve Diggle sur scène. Ça leur couperait la chique et ça les remettrait dans le droit chemin.

 

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Par contre, Pete Shelley a pris un petit coup de vieux. Il porte une barbe blanche, il a rétréci mais il s’est épaissi. C’est une petite boule sur deux jambes fluettes. Il ne bouge pas. Il porte du noir, avec des mots imprimés sur la chemise, comme dans l’ancien temps des Punks de Manchester.

 

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Mais la voix est là, intacte, cette voix perchée qui va si bien chercher l’harmonie. Les hits sont eux aussi au rendez-vous. Et quand les Buzzcocks ouvrent leur bal, ils le font avec une version terrible de «Boredom», le hit punk tiré de «Spiral Scratch». C’est la folie. La salle explose aussitôt. Et pourtant, on est dans une ville spéciale - je veux dire par là qu’il vaut mieux être très riche pour y vivre. Saint-Germain n’est pas une banlieue de Glasgow ou de Manchester. Mais le public réagit au quart de tour. On voit Pete Shelley jouer l’incroyable solo de «Boredom» sur une seule note. Magnifique pied-de-nez aux virtuoses à la mormoille.

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Ceux qui ont vécu le punk anglais en direct en 1977 savent que les Buzzcocks faisaient jeu égal avec les Sex Pistols et les Damned. Il n’y avait rien de plus excitant qu’un concert des Buzzcocks à Londres. Et le miracle, c’est qu’ils sont toujours là et que des gens les acclament. Ils enchaînent avec «Fast Cars». C’est du délire. Ces hits punks mélodiques firent mouche en 77 et c’est toujours le cas aujourd’hui. Pete Shelley est l’un des grands compositeurs de pop anglaise, ne l’oublions pas. Niveau Lennon/McCartney. Le milieu de set est un peu moins volcanique, puis ça ré-explose vers la fin avec des hits fulgurants comme «Promises», «Love You More», «What Do I Get», et ils vont plonger la meute de fans dans la transe avec trois bombes en rappel : «Everybody», «Ever Fallen In Love» et «Orgasm Addict».

 

En 1977, pour beaucoup de gens, les Buzzcocks incarnaient l’avenir du rock anglais. Car ils composaient de véritables classiques, comme les Beatles et les Kinks avant eux. Ils s’inscrivaient dans la pure tradition de la british pop, riche en harmonies vocales et en mélodies imparables, même s’ils accéléraient le tempo. Howard Devoto quitta le groupe aussitôt après «Spiral Scratch» pour fonder Magazine. Pete Shelley poursuivit son petit bonhomme de chemin avec Steve Diggle. Comme ils travaillaient une image de modernité, ils s’adjoignirent les services d’un graphiste, comme Hawkwind le fit au début des seventies avec Barney Bubbles. Ils avaient déjà réussi à définir leur identité musicale, et ils sentaient qu’il fallait encore affiner leur spécificité avec une identité visuelle. D’où le graphisme très géométrique inspiré de Mondrian des pochettes des premiers albums et des chemises qu’ils portaient. S’ils avaient pu se transformer le visage pour ressembler à ceux que peignit Picasso dans sa période cubiste, ils l’auraient fait. La soif de modernité peut vous mener loin.

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Quand un groupe lâche dans la nature des singles magiques comme «Everybody’s Happy Nowadays», on attend le Pérou. Je me souviens très bien du jour où je suis rentré à la maison avec leur premier album «Another Music In A Different Kitchen» sous le bras. Comme si c’était hier. J’ai mis le disque sur la platine et me suis frotté les mains, comme Ténardier lorsqu’il voit entrer les clients dans son bouclard. Je n’attendais rien de moins qu’une succession de chansons mirobolantes qui allaient me mettre dans un état d’extase comparable à celui que j’avais éprouvé le jour où je découvris «Strawberry Fields Forever». Premier morceau, «Fast Cars», sympa, emmené à fond de train, mais il n’y avait pas de quoi casser une patte à un canard boiteux. Puis «No Reply» et trois autres morceaux terriblement médiocres. Fucking Buzzcocks ! Quelle arnaque ! On allait de déception en déception. Malgré leurs indéniables qualités, «I Don’t Mind» et «What Do I Get» ne parvenaient pas à sauver le reste de l’album. Du coup, je l’offris à mon frère qui fut ravi. Le second album - «Love Bites» - fut accueilli avec une méfiance de paysan corrézien. Je commençai par le flairer, snif snif snif, puis je le mis sur la platine. Ce fut exactement le même scénario, avec une succession toute aussi impressionnante de morceaux médiocres. Il fallait attendre la fin de l’album pour tomber sur les coups de génie. Voilà bien le paradoxe buzzcockien : ils sont capables du pire comme du meilleur. Le pire chez eux sera cette propension à pondre du post-punk insupportable. Rappelons que le post-punk exacerbé fut l’un des fléaux des années quatre-vingt. Le meilleur, ce sont des morceaux faramineux comme «Nothing Left» - Shelley attaque - «I’m on my own now» - avec une voix de teenager désaxé, il crée une énorme tension et on sent tout au long du morceau une vraie pulsation, accompagnée de bouquets d’accords claironnants et de ponts merveilleux jetés par dessus le vide de Manchester - ou ce hit dément qu’est «ESP» - doté d’une monstrueuse intro, joué dans l’urgence, monté sur une sorte de gimmick lumineux - «do you believe in ESP» - ondes transmises de cerveau à cerveau - «a magnetic kind» - et Pete Shelley nous embarque dans une pièce de mad psychedelia hypnotique, drive derrière et gimmick devant, petites notes jouées à l’arrache, véritable coup de génie - «I don’t know what to do» - c’est hallucinant de vérité cryogénique tellement ça fume - jamais on ne reverra ça à Manchester - ESP !

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En même temps que l’album sortaient sur single des morceaux magiques comme «Love You More», «Promises» - embarqué à la puissance des power-chords - «how can you ever let me down ?» Pete chante comme un dandy - et surtout «Lipstick», effarant, attaque perchée au chant puis ça vire sur les passages d’accords de «Shot By Both Sides», la classique de Magazine composé par devinez qui ? Pete Shelley, bien sûr. Après avoir découvert ces quelques morceaux, les amateurs de rock anglais réalisèrent que Pete Shelley avait du génie et qu’il était lui aussi capable d’embraser les imaginaires.

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Avec le troisième album qui s’appelle «A Different Kind Of Tension», on se retrouve confronté exactement au même problème qu’avec les deux albums précédents : il faut attendre la fin du disque pour tomber enfin sur un titre convenable. Pete Shelley chante «I Believe» avec son fort accent cockney et inscrit le morceau au panthéon de la petite pop décadente.

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Au même moment sort le single «Everybody’s Happy Nowadays» et c’est le serpent du Loch Ness qui resurgit, un hit affolant de tension, efféminé au chant, tiraillé à la folle note, franchement l’un des hits les plus juteux de l’histoire du rock, nouveau coup de génie de l’ami Shelley, okay okay et doté du slogan punk absolu : «I was so tired of being upset, always wanting something I never could get» (j’en avais marre d’être écœuré, je voulais toujours des choses que je ne pouvais pas avoir). Du coup, si on souhaite garder ce qui est vraiment bien des Buzzcocks, il faut se débarrasser de ces trois albums (comme je l’ai fait) et ne garder que les singles, ou mieux encore, un Best Of du genre «Operators Manual» où sont entassés tous les coups de génie de Pete Shelley. Mais attention, ce genre de disque est dangereux car une overdose émotionnelle peut affecter votre système nerveux et entraîner certaines formes de dégénérescence.

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En 1993, c’est-à-dire quinze ans plus tard, sortait un nouvel album intitulé «Trade Test Transmissions». Il présentait exactement les mêmes symptômes que ses prédécesseurs. Après deux premiers morceaux de bonne tenue («Do It» et «Innocent» - belle pop descendante à la Brian Wilson, troussée à la hussarde et chantée avec l’accent cockney, soulignée d’une fantastique partie de basse), le malheureux auditeur devait se taper une interminable série de morceaux médiocres. Mais sa patience était finalement récompensée par deux bonnes surprises. D’abord un vrai standard punk, «Energy», qui apportait la preuve de l’existence d’un dieu du punk-rock. Pete enfonçait le E de Energy et soignait ses chutes, pendant que derrière les autres faisaient oh-oh, le tout arrosé d’un killer-solo d’anthologie qui arrivait en dérapage contrôlé. Puis on tombait sur «Crystal Night», amené par une intro monstrueuse et chanté avec une morgue terrible. Morceau du même niveau que «ESP» ou «Everybody’s Happy Nowadays», épouvantable classique qu’on réécoutait plusieurs fois d’affilée pour faire durer l’extase le plus longtemps possible. Peu de gens savent provoquer une telle excitation. Eh bien, Pete Shelley détient ce pouvoir magique.

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Cinq ans plus tard, on se prenait «All Set» dans les dents, un petit album qui avait l’air de rien mais qui regorgeait de tubes shelleyiens. L’ami Pete envoyait les grosses guitares et chantait «Totally From The Heart» d’une voix riche, grasse et candide. «Without You» était encore plus dévastateur, on avait là du vrai Buzz, Cock ! De haut vol, taillé dans la viande de la pop et le génie du Pete éclatait une fois de plus - «since you left me/ I live the day by day eh oh» - fantastique poussée de fièvre juvénile, rose et poppy, teenage et sucrée, chantée dans le jus, magique et classique, bourrée de grosses passades d’accords. «Your Love» sonnait aussi comme un gros classique des Cocks, Buzz, c’était riffé à l’arrache, monté sur une ligne de basse qui courait comme le furet, on renouait avec les Buzz d’antan, Cock. Ils sonnaient vraiment comme le MC5 de «Tonight». Et Steve Diggle chantait ses compos, alors on dressait bien l’oreille, car ce vétéran de la scène de Manchester en imposait avec des trucs comme «What Am I Supposed To Do» ou «Playing For Time», compos classiques qui sonnaient comme du rock de pirate viking. Steve Diggle ne s’est jamais foutu de la gueule des gens. Il a toujours cru en ce qu’il faisait. On pourrait très bien le considérer comme le soldat inconnu du rock de Manchester, un héros méconnu dont les compos sont invariablement excellentes. Chanteur, soliste, bête de scène, compositeur, Steve Diggle appartient désormais à la caste des héros du rock anglais.

 

Les Buzzcocks tapaient aussi dans le Ministry sound avec «What You Mean To Me». La chose était à la fois salée, brutale et claquée de grosses nappes indus et ça finissait par sonner comme un classique underground. Mais on risquait de trouver la chose trop solide pour être honnête. L’honneur de boucler cet excellent disque revenait à Steve Diggle. Il le faisait avec «Back With You», en grattant une guitare sèche et il tenait ses engagements, car la suite du morceau tenait bien la grappe.

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Et pouf, trois ans plus tard ils reviennent avec un nouvel album, «Modern». On trouve là-dessus deux ou trois choses de très haut niveau, comme «Thunder Of Hearts», qui file à belle allure et avec une réelle ampleur. La power pop ? Pete Shelley s’y sent comme un poisson dans l’eau. Il y règne sans partage, tel un grand requin blanc. Il réédite l’exploit avec «Runaround», exemple parfait du hit pop porté par la diction du chanteur. Pete Shelley sait mâchouiller ses mots. «Under The Sun» va en épater plus d’un, c’est chaud dès l’intro, c’est même du pur jus de Buzz, Cock ! Une pure giclée de pop boutonneuse sevrée au drumbeat frénétique, un son unique au monde. Steve Diggle revient aux affaires avec un «Turn Of The Screw» battu à la diable et gimmické à la Johnny Thunders. Admirable. «Sneaky» est l’autre perle de ce disque. En voiture, c’est l’printemps !, pourrait dire Pete et vlan ! il nous balance un refrain miraculeux. On assiste une fois de plus à l’éclosion d’une power pop puissante et dégoulinante de jus. Pete Shelley donne tout simplement l’impression de sculpter son refrain pour en faire une œuvre d’art.

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Ils restent dans la veine des gros tubes inconnus pour l’album suivant. Il n’a pas de nom. On l’appelle donc «Buzzcocks». On sent qu’avec l’âge, ils gagnent en force. «Keep On» est un morceau symptomatique de cette évolution. Ils frisent désormais le Hüsker Dü. Le bassiste Tony Barber produit maintenant les albums du groupe et on sent bien qu’il mastérise jusqu’à la limite de saturation. «Keep On» est un morceau d’une rare puissance, qui semble par moments saturée. Steve Diggle renvoie sa sauce avec «Wake Up Call», toujours aussi classique et admirable, même s’il recycle des vieux coups de notes tirées de «Shot By Both Sides».

 

On prend des mauvaises habitudes avec un groupe comme les Buzzcocks. On écoute leurs disques avec l’espoir d’y trouver des hits planétaires, tellement on les sait capables d’en pondre. Du coup, les morceaux moyens nous agacent.

 

Et quand on tombe sur un morceau comme «Friends», on se sent grassement récompensé, car voilà bien ce qu’il faut appeler une énormité. On prend ce morceau bourré d’échos des Beach Boys et de distorse en pleine poire. C’est en effet une pure démence de Beach Boys flavor pilonnée de frais. «Morning After» est aussi un morceau puissant chanté à coups de menton, mais Tony Barber fait trop de glissés de basse. Tout repose une fois de plus sur l’indicible génie de Pete Shelley. Les Buzzcocks nous font le coup du lapin avec «Lester Sands». Ils jettent des petits chœurs dans la fournaise du punk-rock de Manchester. Les Cocks retrouvent leurs marques, Buzz. «Morning After» est franchement digne de «Spiral Scratch».

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Leur dernier album est un peu mou du genou. «Flat Pack Philosophy» n’aura quasiment aucune influence sur l’avenir du genre humain. On sent les Buzzcocks fatigués et ils entassent les morceaux de petite pop malencontreuse, comme ils l’avaient fait sur leurs trois premiers albums.Steve Diggle s’en sort mieux que Peter Shelley sur ce disque. Son «Big Brother Wheels» accroche bien. Il menace toujours la suprématie de brother Pete, mais en fait, il ne parvient jamais à faire exploser ses morceaux dans l’azur marmoréen. Ce privilège appartient à Pete et à Pete seul. Dommage, car sur cet album, les compos de Pete manquent de grandeur élégiaque. On s’ennuie un peu et l’écoutant mâchouiller ses mots. Ce disque semble aussi constipé que le sphincter d’un junkie. Il a beau pousser, oumf... Rien ne vient. Avec «Sound Of A Gun», Steve revient sur le chain gang. Attention, Steve Diggle est un dur de Manchester, question violence, il en connaît un rayon. Il adore se colleter aux gros durs des bars du port. Il adore le bruit du cuir frotté et adore sentir ses semelles coller dans la bière qui sèche.

 

Et puis sur scène, il a su conserver cette merveilleuse manie consistant à tourner la tête pour cracher par terre.

 

 

Signé : Cazengler, triplebuzz, cock !

 

Buzzcocks. Le Clef. Saint-Germain-en-Laye (78). 2 avril 2014

 

Buzzcocks. In A Different Kitchen. United Artists Records 1978

 

Buzzcocks. Love Bites. United Artists Records 1978

 

Buzzcocks. A Different Kind Of Tension. United Artists Records 1978

 

Buzzcocks. Trade Test Transmissions. Castle Communications 1993

 

Buzzcocks. Operators Manual - Buzzcocks Best. EMI 1991

 

Buzzcocks. All Set. I.R.S. Records 1996

 

Buzzcocks. Modern. Go-Kart Records 1999

 

Buzzcocks. Buzzcocks. Merge Records 2003

 

Buzzcocks. Flat-Pack Philosophy. Cooking Vinyl 2006

 

Sur l’illustration : de gauche à droite, Pete Shelley, Steve Diggle, Tony Barber et Danny Farrant

 

 

LE CESAR / PROVINS

 

05 - 04 - 14 / LORERANN'

 

Jour de marché à Provins. Du monde partout, je prends la sage décision de me réfugier dans mon troquet préféré, histoire de me jeter un petit noir – en réalité toute une tribu – dans le gosier. De loin je m'aperçois que j'aurai droit la totale, ils ont sorti la terrasse, le soleil, et les parasols. Mais quelle est cette silhouette qui s'agite en tenant dans ses mains, mais oui, par Zeus et Apollon, c'est une guitare, un objet aussi incongru dans les rues Provins qu'un sous-marin en goguette sur les sableuses dunes du Sahara ! Sans doute suis-je victime d'une insolation printanière, mais non, c'est bien une chanteuse avec micro, deux amplis et sa voix en bandoulière. En plus elle chante en anglais et je reconnais un vieux truc amerloque. M'assois illico et commande un double crachat de dieu pour me remettre de ma surprise.

 

LOREANN'

 

Loreann' – retenez bien ce nom – faut un sacré courage pour s'installer sur ces lattes de bois mal dégrossies, au ras des voitures qui n'en finissent pas de passer évitant de justesse de rouler sur les arpions fatigués des ménagères surchargées de paniers rebondis et empêtrées dans leurs encombrantes progénitures.

 

Malgré tout ce remue-ménage Loreann' affiche un calme olympien, elle est l'alcyon qui nidifie dans la tempête, insensible au brouhaha ambiant, créant par la seule magie de sa voix, une aire de tranquillité océane. Ne possède pas la puissance vocale d'un stentor. N'en a pas besoin. Elle a la finesse, la flexibilité et la subtilité, et cela suffit. Une fraîcheur extraordinaire qui roucoule comme l'oiseau que Joan Baez cache dans sa gorge. Se sert de son micro mais lorsqu'elle s'en éloigne je m'aperçois que son timbre n'en est que plus pur.

 

Des sets de vingt minutes entrecoupés de très courtes poses employées à avaler deux gorgées de bière et à répondre aux sollicitations diverses des clients séduits par sa prestation. Le patron a très vite ouvert la devanture du café pour qu'à l'intérieur les piliers de comptoir puissent eux aussi profiter de ces opportuns moments de grâce. Et pour une fois, ce n'est plus la foire d'empoigne et les vociférations habituelles qui prédominent...

 

Possède un répertoire varié, de Ray Charles à Bob Dylan, de Johnny Cash à Etta James. Touche folk dans son interprétation, guitare légère et un peu languissante, l'on décèle un tempérament méditatif que démentent en partie ses espiègles sourires. Plus elle chante, plus l'auditoire de hasard, un peu de bric et de broc, lui prête attention et se focalise sur ses interprétations. N'y aurait pas à chercher loin pour se laisser accaparer, le raffut des bagnoles, les interpellations qui se croisent d'un trottoir à l'autre, une course à faire, un ami qui passe, tout est réuni pour que chacun trouve motif à se distraire. Se passe exactement le contraire, son audience se fidélise et lui propose même quelques titres, souvent trop éloignés de son aire de prédilection. Anick et Richard de Corcova Duo ( voir KR'TNT 105 DU 05 / 07 / 12 ) se sont joints à moi et sont sous le charme.

 

Les deux derniers sets seront magnifiques, la voix s'est affermie mais maintenant Loreann' chante avec une conviction toute retenue, comme si elle nous chuchotait d'indicibles secrets. Les lignes mélodiques se chargent d'émotion, et l'attention du public se densifie. Cela se ressent dans la force des applaudissements qui suivent l'interruption des deux sets. On y perçoit le regret fervent que ces quart d'heures de toute beauté doivent s'achever... Il est quatorze heures, Loreann' remballe son matériel dans le coffre de la voiture... Nous la reverrons, nous la ré-entendrons.

 

Damie Chad.

 

CHÂTEAU DE CLOTAY / GRIGNY

 

ROCK'N'ROLL JAMBOREE IN ESSONE

 

05 - 04 – 14

 

SHORTY TOM & THE LONGSHOTS

 

 

Je m'attendais à une résidence royale. Rockabilly à Chambord ou à Azay-Le-Rideau, mais non c'est bien plus modeste, même si la teuf-teuf fait la fière, on lui bippe, rien que pour elle, le monumental monumental vert - les autres devront se contenter du parking communautaire de l'autre côté de la route - avec accès dans la cour d'honneur, juste devant une grande bâtisse, flanquée d'une salle de spectacle sur sa droite et d'une aile de logements – disons universitaires – sur sa gauche. L'ensemble est assez disparate, mais c'est rempli de jeunes gens accueillants. L'on m'explique que c'est une école de théâtre avec troupe d'apprentis artistes séjournant à demeure. Le tout sis près d'un lac, une manière très agréable de se laisser poursuivre par ses études...

 

L'endroit doit être connu comme le loup blanc par les jeunes de Grigny, quand j'ai demandé à tout un groupe attablé au fast-food local, dès que j'ai indiqué l'adresse, les sourires et les réparties ont fusé : «  Pour un concert ? alors c'est au Palais de Cristal ! » Pour le palais de cristal, vous repasserez, ça ressemble davantage à un Mille Club pompidolien agrémenté de quelques baies vitrées...

 

En tout cas pour l'acoustique sous les poutres vertes il n'y aura rien à redire. L'est vrai que Mister Jull officie au pupitre, et qu'il n'est pas qu'un sorcier de la guitare. Carlos à l'accueil, normal c'est l'organisateur et avec lui l'on est assuré de la qualité, n'a pas l'habitude de faire passer des brelles d'occasion... Suis en avance, le temps d'engloutir un sandwich américain aussi volumineux qu'un tanker de de 500 000 tonnes flottant sur un océan de frites, de farfouiller dans les bacs à disques de (www)rocking-all-life-long(.com)– un sacré choix - et de mettre la main sur un EP américain de Gene Vincent que je ne possédais point, puis de discuter le coup avec l'Association Regagner Les Plaines, quant au combat contre la signature du prochain accord commercial CEE-USA qui prévoit la mise en coupe réglée des derniers secteurs d'économie européenne qui échappent encore à la main-mise des multi-nationales du pouvoir oligarcho-démocratique... et le concert commence.

 

SHORTY TOM AND THE LONGSHOTS

Trois sur scène – a band without drums –, costume classe western pour Tom et chemise verte pour les acolytes. Dom est à la basse, énorme, envahissante, un long cou de girafe monté sur un cul d'éléphant, doit falloir une camionnette pour la transporter. Les guitares de Tom et Bruno en paraissent minuscules.

Ca faisait un moment qu'ils tournaient autour de leurs instruments, n'arrêtant pas de vérifier ceci ou cela, repartant, revenant, des perfectionnistes. Et maintenant qu'ils sont sur scène l'on comprendre le motif de ces illusoires inquiétudes. N'ont plus le temps. La voix nasale de Shorty Tom en avant et sa guitare rythmique emporte tout sur son passage. Public conquis au bout de trente secondes. Pas de batterie, autant dire aucun moment de repos, faut alimenter le feu sans arrêt, n'y aura pas de bruit de fond, de cognée de bûcheron par derrière pour masquer les moments où l'on reprend son souffle où l'on se secoue les doigts pour chasser les crampes, les Longshots ont choisi le crissement rythmique de la scie pour emporter le morceau. Musique rurale. De l'époque où l'on sciait les arbres des Appalaches pour les étayer les boyaux des mines de charbon.

 

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Les Longshots nous servent un rockabilly primal, du hillbilly de l'ancien temps mais sur un bop-tempo dévastateur. Enchainent les morceaux – déjà pas très longs - à une folle rapidité. La rythmique de Tom est si grêle et si speedée que parfois l'on a l'impression de percevoir le ring-ring fou d'un banjo de l'old time. Première fois que j'entends une partition de piano rag-time jouée à la gratte. Vitesse et célérité.

 

Faudrait pas perdre de vue, l'aile droite et l'aile gauche de la formation. Sous leurs chapeaux sont comme trois frères, le plus jeune en avant, haut sur patte mais pas très costaud, ni très épais, c'est pourtant lui qui déclenche les bagarres, et les deux autres sont obligés de le tirer de ce mauvais pas car sans eux il est sûr qu'il ne n'en reviendra pas vivant, mouline tellement de ses mains qu'il va perdre son souffle et s'asphyxier. Dom, le gars tranquille, un taiseux qui reste dans son coin, et qui ne cherche noise à personne mais quand le frérot a besoin d'aide, faut voir comment il aligne les claques sur les cordes. Le mec qui ne s'énerve pas, qui prend le temps de réfléchir un quart de seconde avant de frapper car il déteste le hasard, et il tombe toujours juste, pile à l'endroit où ça fait mal, ça vous descend sur le coin de la gueule, au moment où vous ne vous y attendiez plus. Et au cas où vous n'auriez pas compris, il vous rajoute en prime une double mourlane de derrière les fagots pour que vous vous enfonciez bien dans la tête qu'il est l'heure de rentrer à la maison.

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Reste l'aîné, celui-là vous le laissez aux copains si vous voulez que votre mère vous reconnaisse le lendemain matin. Sur sa guitare il tricote de la dentelle, vous n'y prenez pas garde au début, parce que le petit dernier se met toujours devant sur la photo, mais Bruno c'est un artiste, vous tisse des arabesques, ni vu ni connu, il se faufile par les côtés, emprunte les venelles de traverse qu'il est le seul à connaître et vous tombe dessus à bras raccourcis, vous n'avez pas le temps de dire ouf, qu'il n'est déjà plus là; il danse et virevolte loin de vous, mais c'est pour mieux revenir, un artiste, un guitariste hors-pair qui jongle avec ses cordes comme le trapéziste de la mort. Attention, c'est lui qui vous portera le coup de grâce. Le blanc-bec devant peut l'entraîner dans les pires maelströms, assurance tout-risque le grand-frère le sortira sans encombre du guêpier dans lequel il se sera fourré.

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Bruno doit être spécialiste en arts martiaux musicaux. Le voici devant sa steel guitar. Nouveau modèle, ressemble à un métier à tisser les bracelets de perles indiennes pour les enfants, rien à voir avec les anciennes version à pédale style machine à coudre Singer. La steel guitar reste par excellence le symbolique instrument de la country pleurnicharde qui transforme le glaçon de votre coeur en torrents de larmes chaudes. Shorty a précisé que c'était pour détendre l'atmosphère. Trois morceaux dont un instrumental Roadside Rag, un classique, qui subjugue l'assistance. Mais comment opère-t-il Bruno pour passer du plan vertical à l'horizontal sans se mélanger les doigts ! Doit être méchamment latéralisé. Nous enchante. Notons que Shorty adaptera sur les deux autres titres son phrasé à la nécessaire ampleur d'un chant moins rapide et que la contrebasse de Dom engendrera des harmonies d'une profonde nostalgie. Rien à voir avec l'urgence d'un Ramblin' on, d'un Candy Twist, d'un Beggin'Time ou d'un I've Got Just a Heart – s'ils continuent à le faire battre aussi fort, la crise cardiaque est pour bientôt - de la première partie du set.

 

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Retour à l'urgence métronimique avec You're so Dub, mais c'est presque la fin, deux tartines au piment de cayenne pour le rappel et c'est terminé. Un set bien trop court. Première fois que Shorty Tom and The Longshots s'en venaient tirer le bison dans le bassin parisien, mais il est sûr qu'ils y reviendront. Sont déjà prévus pour le mois de mai au Cross Diner de Montreuil, vu la séduction du public, le bouche à oreille va fonctionner et il risque d'y avoir du monde.

 

THE TINSTARS

 

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Chance pour nous, feront la balance durant l'entracte. De véritables pros. Sûrs d'eux mêmes, plaisantent entre eux, mais difficile de comprendre pourquoi, viennent de l'autre pays du fromage comme l'annoncera Edonald Duck, et j'ai laissé ma méthode Assimil du néerlandais facile à baragouiner à la maison. Reviennent très vite sur scène et le set démarre au quart de tour.

 

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Décidément ce soir nous jouons au triomino. Encore un trio, rangé comme les précédents mais du plus âgé au plus jeune. Un géant massif à la contrebasse qu'il dominerait presque, en tout cas elle n'en mène pas large entre ses mains, elle obéit à la claque et à l'oeil. Pas du tout la grosse brute qui tape jusqu'à plus faim, pas question qu'elle se contente de mugir comme un moteur d'avion, le rockabilly exige du swing et de la sveltesse, elle a intérêt à ne pas se tromper dans les entrechats the big mama, en mouvement et en rythme, s'il vous plaît, on ne déroge pas à la règle mais on l'interprète avec subtilité. Le slap d'Andre c'est de la godille sur une mer mouvementée, le courant emporte la barque droit devant, mais il sait surfer sur le travers des lames, sans sourciller il oscille sur le dos écumeux de la vague et plonge avec dextérité dans l'abîme des creux dont il s'échappe sans même un sourire de commisération victorieuse à notre adresse. Le capitaine a la main sûre et ce n'est pas le typhon déchaîné par le reste de l'équipage qui pourrait le surprendre. Anneau de pirate à l'oreille gauche.

 

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Anneau de pirate à l'oreille droite. Rick, blue eyed hansome man, doit attirer le regard des filles avec son regard azuréen et ses cheveux blonds rejetés en arrière, guitare acoustique à résonateurs portée haut devant, malmenée avec frénésie – deux jolies cordières se précipiteront pour remplacer un câble défaillant qui aura lâché dès le quatrième morceau. Il ne chante pas, il jette les lyrics à la pelle, à toute vitesse, les propulse et les enchaîne sans ménagement. Un homme pressé, non pas de nous quitter, mais d'entonner un nouveau morceau encore plus furieux que le précédent.

 

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Le plus jeune. Sans anneau, une guitare à cornes – pas une Fender à tête de vache débonnaire – non plutôt celles du diable, resserrées et frondeuses, mais ce qui fait le plus peur c'est la tête en forme de proue de drakkar menaçante. Un engin taillé pour la rapine en haute mer. Bigsby Grady Martin. Enfin une Magnatone ( 57 ). Une reine des guitares rockabilly. Pour vous en convaincre réécoutez le Johnny Burnette Trio. Le genre de trophée qui se mérite. Sinon c'est un peu comme si vous vous promeniez avec un canon à particules mais que vous ne saviez pas vous en servir. Vous auriez très vite l'air si ridicule. L'est tout jeune Dusty Ciggaar, mais la valeur n'attend pas toujours le nombre des années. A la fin du set Edonald Duck viendra signifier que côté guitare l'on aura assisté à un moment historique.

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C'est que Dusty nous aura offert un véritable festival de guitare rockabilly. La technique du léopard moucheté. D'abord je me tiens en réserve, tapi à même le sol, une véritable descente de lit inoffensive. Pour les regards distraits seulement, car je suis le fauve qui ne quitte pas sa proie du regard. Les muscles bandés, prêts à se relever au moment propice. J'exulte, je suis impatient, je me retiens avec peine, trop tard vous ne m'avez pas vu bondir, mes griffes déchiquètent un troupeau de gazelles sanglantes, mais déjà, ni vu ni connu, je suis retourné à mon poste d'observation, le regard braqué vers la suite du film, les doigts en suspend au plus bas des cordes, au plus près du chevalet, afin d'obtenir la plus grande puissance lorsqu'il s'agira de faire claquer le riff comme une étamine pourpre au milieu du carnage. Entre eux trois c'est un jeu. C'est une tuerie. Rick et André qui ne laissent pas un interstice de libre. A eux deux ils remplissent l'espace sonore, poussez-vous d'ici puisque nous y sommes et nous n'avons besoin de personne. Et puis entre deux respirations séquentielles se crée comme un vide d'un millionième de seconde et Dusty, la main gauche en haut du manche et la droite qui ne dépasse que très rarement le nombril de son instrument, s'engouffre dans la fente, la guitare en effraction qui se fraye un chemin comme l'on ouvre une porte à coups de pied de biche, le temps d'allumer en guise de signature un incendie flamboyant dans l'appartement visité. Il rajoute le bruit et la fureur, la foudre et le tonnerre.

 

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Very Wild. L'on a eu droit à Pretty Baby, à Worried 'bout You, à Blue Moon mais avec All I Can Do Is Crying la salle explose et les Tinstars passent sur l'orbite supérieure. Ambiance de fou, avec Manu des Barfly qui torse nu nous fait une tattoo-parade délirante pendant que Dusty en embuscade piétine sur place avant d'intervenir de plus en plus fréquemment. Encore quelques fournaises et le groupe quitte la scène. Reviennent aussitôt en compagnie d'une des belles cordières.

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Au chant et à la guitare, Ruby Pearl, robe rouge froufroutante, tatouage arabesque en bout de jambe gauche, longue chevelure brune dans le dos. Quart d'heure countrysant. Après la tornade qui vient de s'achever elle parvient à s'imposer sans peine. Belle voix et agréables inflexions. L'orchestre la soutient et lui brode de petits napperons d'amour pour chacun de ses trois morceaux. Rick et Ruby, dos à dos, nous la jouent mamours à la Johnny Cash in love with June Carter. Dans la vie, comme sur scène, ils forment un beau couple.

 

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Le petit chaperon rouge passe en coulisse et les trois méchants loups hurlent à la mort sur un dernier morceau d'anthologie. Les Tinstars nous ont sonné. Merci Carlos.

Damie Chad.

( Plus de 100 photos sur le facebook de Edonald Duck )

CROCKCROCKDISC

 

THE SOUTHERNERS : ' R BIKE !!

MOTORBIKE / OKLAOMA BABY / LET'S GET IT ON / LOVE ME / GET RHYTHM / EILEEN / YOU ARE MY BABY / THE TRAIN KEPT A ROLLIN'

Vocal : Pascal « P'titLoup » Grolier / Vocal, Upright Bass : Pascal Albrecht / Drums, Backing Vocals : Yves « Vivi » Selem / Lead Guitar : Thierry Paulet / Rhythm Guitar : Michel Frugier

 

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Bien sûr je me drogue. Tous les matins en me levant. Une injection ou un sachet en poudre. Par voie auditive. Je peux vous refiler le nom du produit. The Southerners, 'R Bike. Si votre dealer ne l'a pas, changez de fournisseur. Attention c'est dangereux, beaucoup plus performant que les cachets qu'avalait Johnny Cash dans sa jeunesse. Ne faites pas comme moi, souvent j'abuse, je m'enfile quatre doses d'affilée dans la cambuse avant de partir au boulot ou le soir avant d'honorer une gente demoiselle. Une seule prise et ça vous file du tonus érectus pour la semaine entière.

Vous reconnaîtrez facilement le flacon, rose comme l'aurore radieuse et noir comme la pénombre de la nuit. A l'intérieur, peau de léopard royal et logo pin up au nombril apparent et prometteur sur fond de drapeau sudiste. Provenance estampillée pure rock'n'roll. Huit cristaux à l'intérieur. Vous pouvez sucer voluptueusement, faites gaffe tout de même, ça arrache sec, parfumé au venin de crotale.

Moteur. Motorbike. A peine le temps d'enfourcher la bête qu'elle est déjà partie au trente-deuxième de tour. Im gonna leave this town to-nigth, perdent pas de temps pour expliquer le trajet. Accrochez-vous comme vous pouvez car ils se refilent le guidon à tour de chant, et ces reprises incessantes ne font que maintenir le rythme effréné. Montée d'adrénaline confirmée.

Oklahoma Baby, les mauvais garçons ont ouvert la cage aux oiseaux, en sort une une reprise de Johnny and The Jail bird - il y en aura une deuxième plus tard - balancée à la perfection. Les guitares s'en donnent à coeur joie. Entre parenthèses ces oiseaux d'englishes, couvée des années 80, sont revenus de leur migration - les rockers à la retraite s'ennuient très vite - sont en train de sortir un nouveau disque.

Reprise de Let's Get It On, un morceau d'Hershel Almond de 1959 – n'en a pas sorti beaucoup car il s'est par la suite lancé dans la politique – un véritable plaidoyer pour prendre la vie à pleine dents, les Southerners s'y affutent les canines et l'on peut se rendre compte qu'ils les ont longues, solides, tranchantes et bien aiguisées. Vous croquent le tout en deux minutes.

L'on quitte un peu la rythmique ted pour quelque chose qui au premier abord pourrait paraître plus reposant, normal c'est Love Me, du Buddy Holly, mais il suffit d'écouter l'entrelac des cordes pour s'apercevoir qu'ici les Southerners avancent avec davantage de subtilité. Jeux de voix, mais toutes ces articulations entre les péripéties vocales et les parties de guitare se révèlent être du transport de nitroglycérine.

Get Rhythm, la gymnastique reprend, le morceau casse-gueule par excellence qui ne tolère aucune défaillance. Si vous attendez le déraillement c'est raté. Les Southerners nous offrent une version impeccable. L'on aimerait qu'elle dure un peu plus, mais personne ne vous empêche d'actionner la touche re-play.

Eileen, très style sixties la jeune oiselle échappée de chez Johnny et ses drôles d'emplumés avec ses vap doo wap, les Southerners se laissent un peu mener par le bout du nez avant de la malmener dans le bon sens, l'on préfère de beaucoup la suivante, le You Are My Baby, you are my sugar, sure mais on le dissout dans un verre de viril bourbon, et tout de suite l'on s'aperçoit qui est le maître du jeu amoureux. Sexy ways.

Finissent en beauté, une version explosive du Train qui n'arrête pas de rouler de Johnny Bunette. Sauvage et démesurée. Un must.

Le problème avec ce CD c'est que c'est si bon, tonifiant comme un rail de cocaïne énergisante, que vous êtes obligé de le réentendre une fois de plus, et encore encore... Respectent la règle des trois unités, unité de son, unité de ton, unité de fond. Ces huit morceaux forment un tout, une production identique pour chacun, un parfait équilibrage entre voix et instruments aucune des deux parties n'empiétant sur le territoire du voisin, une grande cohérence entre le choix du répertoire et l'alternance des titres. Un tout indivisible. Une parfaite réussite.

Moi accro, vous voulez rire ! J'suis simplement accrock !

Damie Chad