Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/06/2013

KR'TNT ! ¤ 150. JALLIES / METEORE / J.C. SATAN / STONES

 

KR'TNT ! ¤ 150

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

27 / 06 / 2013

 

 

SWINGUM / JALLIES / METEORE / J. C. SATAN / ROLLING STONES / MIDNIGHT ROVERS / KING PHANTOM / LITTLE LOU

 

 

FÊTE DE LA MUSIQUE

 

21 / 06 / 2013

 

LE BE BOP / MONTEREAU

 

a585affiche.jpg

 

 

Avec l'autorité d'une cheftaine scout habituée à se faire obéir la teuf-teuf mobile se range en épi face à la Seine qui roule des flots aussi boueux que le Mississippi, ne reste plus qu'à regagner le Be Bop au travers du lacis de ruelles qui mènent au centre ville. Pour une fête de la musique, la cité est bien muette, à part une mémé qui promène son chien personne dans la rue. On ne peut pas dire que la municipalité ait investi dans l'évènement... Au détour d'une place platanophorienne déserte je dresse l'oreille ( la gauche ), ne serait-ce pas le lointain écho d'une rengaine jazz qui serait venu frapper ma membrane tympanique ? C'est alors que le miracle s'opérât.

 

 

Certes je possède l'esprit subtil d'Ulysse mais n'en partage point la profonde sagesse. Aussi lorsque soudainement éclata le chant de la sirène je me portai vivement en avant. Je puis certifier que les copines qui me suivaient, jalouses comme des poux, n'auraient pas refusé d'obtempérer, mais loin de suivre l'exemple du divin Odysseus, l'idée ne m'aurait jamais effleuré de demander à ce que l'on m'attachât au premier arbre venu pour ne point succomber aux redoutables charmes de la voluptueuse raucité de la voix de La - on emploie l'article comme pour les cantatrices enchanteresses – Vaness.

 

 

Non, nous n'étions point en retard pour le dernier des concerts de la saison des Jallies mais depuis trois mois Vanness la mutine se plaît à fredonner quelques standards avec Swingum un groupe de jazz ami. Sont d'ailleurs en train de se lancer dans un tutti ( pas frutti mais fruité ) lorsque nous parvenons devant le Be Bop. Bises à Ady, Céline, installées à une table juste en face de la scène. Nous les imitons aussitôt.

 

a579group.jpg

 

Le Be Bop a carrément squatté la rue, l'a installé des barrières, sorti tous ses meubles et monté un mini-barnum de toile blanche. L'est même pas vingt heures et le public est encore maigrelet, mais le bar ne va pas tarder à être pris d'assaut. Pour le moment nous écoutons Swingum.

 

 

SWINGUM

 

a577.jpg

 

 

Un quintet de mecs, rajoutez-y au milieu une super nana comme Vanessa et tout de suite c'est beaucoup plus sex...tet. Elle trône là-dedans comme une petite reine, tiens c'est moi qui chante maintenant, et encore une que j'aime bien, je vous laisse les deux autres, faut que j'aie le temps de jouer au ballon, je vous rassure, de rouge. Sont gentils les gars, lui passent tout, et assurent le tempo derrière.

 

a576alain.jpg

 

N'ont qu'un seul défaut, jouent du jazz. Nous les rockers... Ne soyons pas injustes, Alain à la guitare s'enfile de ces soli pas dégueulis, un jeu très clair que je qualifierais d'espacé, il y a du rythme et du rebond. Pas l'effervescence New Orleans ou le hachis phrasé manouche, plutôt l'élasticité à la Charlie Christian, qui se prolonge et s'étire dans l'entre-temps du beat sans jamais outrepasser le point de rupture qui le ferait basculer dans les explosions du bop.

 

a574guitars.jpg

 

Suis mal placé pour juger du jeu de Cyril sur sa guitare rythmique, mais quand il prendra un morceau en main je le pressens beaucoup plus direct, pas rock mais un peu roll. Fabrice est à la contrebasse, la fait claquer avec prestance. Met la gazoline dans le moteur du combo et ça gaze à fond les manettes. S'amuse à des duos à contrechamp avec Alain. L'on dirait qu'ils font la course dans des escaliers d'un HLM, toujours un étage de plus à rattraper sans jamais donner l'impression de tirer la langue. Avec le sourire fraternel d'accompagnement.

 

a578trom.jpg

 

Dans le coin l'en reste un qui nous en bouche un. Le jazz sans trompette c'est un peu comme une trompe sans éléphant. Ca buccine comme un cirque et ça tintamarre sans retard. Jérôme – Jéjé pour les intimes – en grande forme, dès qu'il peut glisser son cuivre dans un morceau il ne se gêne pas pour pousser sa fanfare. Le public doit aimer car il applaudit chacune de ses fracassantes irruptions. Fait autant de bruit à lui tout seul que trois bandas mexicaines.

 

a575bastromp.jpg

 

Parfois il se la joue modeste. Promis, pas plus de bruit qu'une souris et il empoigne le premier objet venu comme s'il voulait enfoncer un bouchon dans son pavillon de foire. Evidemment, au dernier moment il soulève le couvercle et telle une cocote minute qui relâcherait sa vapeur en douce il éructe d'infects glapissements de renard pris au piège. Un peu comme si vous aviez marché sur la queue d'un alligator dans un bayou de Louisiane. Couleur grand orchestre Ellington garanti.

 

 

Derrière Eric chalerstone sur sa caisse claire. La scène n'étant surélevée que de quelques centimètres, question voyeurisme, il passe un peu à la trappe. L'on entend tout de même ses ondulations rythmiques distendues si caractéristiques de la frappe trad jazz. Avec le jazz, même quand ça va très vite, il semble que les musicos en ont encore sous la pédale, tout un paquet de nerf qu'ils se retiennent de jeter.

 

 

Ce côté ne te pousse pas de là, je n'ai pas envie de m'y mettre est accentué par la nonchalance du vocal. C'est une musique qui est née dans la chaleur étouffante du Sud, l'est empreinte d'une sourde fainéantise, d'une lassitude infinie, dont rien ne viendra à bout. Ca peut swamper et jumper à souhait, surviennent sans cesse de grandes plages d'apaisement, des moments de plénitude stagnante qui vous enserrent la gorge à mourir de désespoir. Le vieux fonds de blues, la tâche sanglante inaltérable qui réapparaît sans cesse, auriez-vous cent fois lavé les lattes du parquet.

 

A573entier.jpg

 

Mais Vanessa se plante devant le micro. Poussez-vous les marlous, vous swinguez trop bluezy et sa voix canaille cingle l'auditoire comme la cruelle lanière du fouet qui s'abat sur le dos des esclaves. Le plus terrible c'est que tout le monde en redemande. Encore, encore ! Fais-nous mal, Vaness, l'on aime cela ! et Swingum explose comme un feu d'artifice. C'est vraiment la fête. Du jazz.

 

 

INTERMEDE

 

 

Petit entracte. J'en profite pour ravitailler ma tablée. Me suis pas accoudé sur le comptoir depuis quinze secondes pour passer ma commande qu'une douzaine de gamins entrent en force dans la pièce. Emmènent deux étuis mous à guitares qu'ils portent religieusement, à croire qu'ils transbahutent le Graal et la Sainte Lance, déposent le tout au fond de la salle et ressortent illico après avoir échangé quelques mots avec le patron. J'espère de tout mon coeur que ce ne sont pas de gentils folkleux qui sont venus s'assurer auprès du patron qu'après les Jallies ils pourraient jouer Santiano. Vous savez, mon bon Monsieur, avec cette jeunesse dépravée, il faut s'attendre à tout. Mais uniquement au pire.

 

 

Tiens, des figures connues, Mumu, Billy, et Jean-Luc que nous invitons à squatter notre table. Mumu donne dans la nostalgie du futur. Nous étions présents au premier revival des années 80, nous sommes en train d'assister au second, mais nous ne serons plus ici pour le troisième. En effet quand les Jallies seront bien vieilles... mais arrêtons ces projections de cauchemar, de toutes les façons elles seront toujours aussi belles dans notre coeur.

 

 

LES JALLIES

 

a581trois.jpg

 

Enfin les voili, les voiçà. Presque un mois que je ne les avais vues, et je suis arrivé à survivre. Incroyable miracle ! Sont alignées dans leurs petites chaussures rouge père Noël toutes les trois, Vanessa, Céline and Ady comme des madones. Mal donne, ne tardent pas à se transformer en furie pour entonner leur hymne introductif, We Are The Jallies. Dans le vif du sujet dès la première mesure.

 

 

Julien est derrière, placardisé. N'a qu'à bosser comme un chameau de caravane dans la terrible solitude infinie du désert stérile. Lui tournent le dos une bonne fois pour toutes et ne se préoccupent plus de lui. Ne le plaignez pas, mes copines le trouvent beau, il a l'air gentil, il est sympa, il joue comme un dieu sur sa contrebasse renchérissent-elles. Je commence à comprendre pourquoi les Jallies le cachent. Sont pas prêteuses pour deux sous nos fourmis rouges.

 

a580celvanes.jpg

 

En tout cas et en attendant les trois cigales s'en donnent à coeur joie. Elles chantent et elles dansent. Toujours l'irrésistible ballet des instruments – souvent femme varie, nous a avec raison prévenu le poète – les fofolles batifolent de guitares en caisse claire. Sur cette dernière chacune possède son propre style, Céline dans son fuseau de velours cerise frappe bas avec des sourires d'enfants heureux qui illuminent son visage comme étonnée et ravie de faire tant de bruit avec si peu matériel, Vanessa lève les bras vers le haut avant de les rabattre avec des gestes emplis de la gracieuse maladresse d'un chaton qui s'étire. Ady refuse de jouer au sergent major. La guitare ou rien. Et quand elle prend le micro et qu'elle nous envoie quelques rock'n'roll sur la figure comme des boules de pétanque chauffées à blanc, on perçoit que ce soir elle bouillonne de colère. Est-ce pour cela que son décolleté n'est pas aussi échancré que d'habitude ?

 

a586ady.jpg

 

A la fin du set, Ady ne se contentera pas des remerciements de rigueur. Fera remarquer que le Be Bop remplace en quelque sorte la municipalité peu empressée à offrir un spectacle gratuit à la population. Le monde qui s'est massé derrière les barrières applaudit à la mise au point. Pas besoin pourtant de colossales sommes d'argent pour s'amuser.

 

a587céline.jpg

 

Suffit pas de le dire, faut encore le prouver. Jéjé ne se fait pas prier pour ouvrir sa valise lorsque nos demoiselles font semblant de le supplier. Le rockabilly swing des Jallies supporte allègrement les deux chorus de trompette qu'il dispatche avec vigueur sur son instrument. Un deuxième larron s'empare d'autorité des balais pour marteler le tempo sur la boîte à peau. Lui vient l'originale idée de marquer la syncope en cognant de temps en temps sur l'armature métallique qui soutient la toile. Sur le Stray Cat Trust l'on imagine sans forcer un trio de chats en goguette tapant en rythme sur le zinc des gouttières.

 

a588céline.jpg

 

Me souviens plus du prénom de l'individu qui vient brancher sa guitare sur l'ampli et qui restera sur les trois derniers titres. Tout de suite l'ambiance prend une tonalité beaucoup plus rock. Je ne sais si c'est un amateur qui en connaît autant qu'un pro ou un pro qui a su garder la flamme de l'amateur, mais il se débrouille comme un chef. Il est inutile de préciser que les Jallies font un triomphe. Une fois de plus. La sono n'était pas merveilleuse mais devant la fougue qu'elles ont déployée on l'a vite oubliée. Beaucoup de morceaux originaux de leur futur CD, une version swing de Amy Winehouse quasi parfaite, et un Train Kept a Rollin qui fit rugir la foule de bonheur. Ont réussi à rendre les morceaux swing encore plus swingants que d'habitude et leur répertoire rock encore plus rock.

 

a589celine+jul.jpg

 

Elles ont du talent et savent s'adapter à la situation. Ce n'était pas un concert comme les autres mais une grande récréation festive que par leur énergies, leurs réparties et leur bonne humeur elles ont su rendre populaire, sans jamais baisser ne serait-ce que d'un cran leur prétention et leur identité musicale. La grande classe.

 

 

INTERLUDE

 

 

Suis allé au ravitaillement auprès du bar. L'on s'affaire autour de la scène, mais je n'y prête guère attention, ce sont les gamins de tout à l'heure qui installent leur matos. Je surveille le remplissage des gobelets en plastique lorsque un superbe vlan vindicatif de guitare me cloue sur place, ce n'est qu'un essai pour s'assurer de bonne marche de la sono, mais tellement prometteur que je laisse mes verres sur le comptoir pour zieuter d'un peu plus près les ostrogoths qui se permettent une si belle entrée en matière.

 

 

METEORE

 

a590méteor.jpg

 

Je comprends mon bonheur, trois guitaristes ( pas possible se prennent pour le Blue Oÿster Cult ! ), un à droite, deux à gauche avec un bassiste en prime, le batteur au centre, les retours ont été avancés sur la chaussée afin de libérer la place au chanteur. Cheveux blonds et un semi-pied de micro dans la main, il annonce la couleur : «  Nous sommes Météore et nous allons commencer par une compo ! ».

 

a593chanteur.jpg

 

L'a de la présence et du charisme le lead singer, s'incruste dans son texte et le ressort par tous les pores de sa peau, balance sur lui-même et ne tarde pas à trouver son propre rythme, n'est pas de trop quand il laisse la place à l'orchestre, ne s'aplatit pas, ne se fait pas tout petit, ne sait pas se faire discret, semble mener le groupe alors qu'il n'est plus sur la brèche en première ligne. L'a tout compris. Les visages du public convergent sur lui, durant ces temps morts où les guitares officient dans la pointe du son. Figure de proue, face aux embruns qui suit le mouvement ascendant des vagues sonores qui le portent en avant.

 

a594bass.jpg

 

Il ne crache pas ses lyrics, il les habite, les joue, les met en scène, les interprète, texte de colère et de condamnation. Campe sur les grands mots de la révolte adolescence – et je rappelle pour ceux qui s'y méprendraient que le rock'n'roll est par essence une musique adolescente, dont les plus doués ont su préserver la flamme et l'esprit d'intransigeance même lorsque l'âge les a rattrapés, voire dépassés. Cause en français de la démocratie et de la liberté qu'on ne lui a pas donnée, mais on comprend qu'il est déjà assez grand pour aller la prendre tout seul.

 

a592group.jpg

 

Reprise de Téléphone, nous voici transportés trente ans en arrière, plus tard pour enfoncer le clou ils offriront Antisocial de Trust. Des jeunes gens qui s'inscrivent dans une certaine tradition qui n'est pas pour nous déplaire. Nouvelle génération de rockers qui ne laissent pas aux rappeurs le monopole de la colère sociale. Pratiquement un morceau sur deux sera une composition originale. Ce n'est pas pour cela qu'ils ignorent l'anglais, nous donneront par exemple une très belle reprise de Saxon.

 

a591group.jpg

 

N'y a pas qu'un chanteur, ont aussi un superbe bassiste. Remarquez que ce genre de corbeau de mauvais augure est indispensable pour les ambiances lourdes. Faut tout surligner en noir. Chaque morceau se doit d'être entouré d'un sombre liseré comme un faire part de deuil. L'ombre ténébreus du danger qui plane sur les expériences borderline n'est que le sel de la vie. L'on appuie là où ça fait le plus mal. Bassiste mais qui fait jeu égal avec les solistes.

 

 

Sont trois dont un qui se détache, vous donnerai son prénom le jour où ils détailleront le personnel sur leur facebook, les deux autres jouant plutôt à contrepoint, essayant de s'immiscer partout où ils trouvent de l'espace plutôt que de tenir une véritable rythmique. Le résultat en est un mur de son compact mais pas monolithique. Peut-être grâce au batteur qui suit plus l'allant des copains qu'il ne crée son propre champ d'expérimentations. N'écrase pas tout sur son passage. N'est pas l'alter égo de la basse qui creuse le sillon, lui il claque et rebondit.

 

a595group.jpg

 

Ont drainé leur public à eux, ce qui est toujours un très bon signe pour un groupe. Une masse d'amis et de camarades stockés contre les barrières qui ne ménage pas ses encouragements. Sont vite rejoints dans leur ferveur par toux ceux qui ne les connaissaient pas, comme moi, et qui en redemandent. Trois rappels. Un triomphe.

 

 

Prometteur ce Météore. Espérons qu'ils continueront sur cette lancée. Ont la jeunesse et la fougue. Groupe local de hard rock'n'roll qui devrait en toute logique monter les échelons territoriaux.

 

Damie Chad

 

( Pour les photos de Swigum l'on a pris sur leur facebook, les photos des Jallies sur le facebook des Swingum pour les deux  premières et sur celui des Jallies pour les dernières qui ont été prises la veille au Gambrinus ; pour Météore photos de répétitions sur leur facebook + photos d'un précédent concert au Be Bop, le 06 avril 2012 )

 

 

ROCK'n'ROLL CIRCUS

 

IL FAUT SAUVER LE SOLDAT BRIAN

 

 

S'il est un document légendaire pour lequel des millions de kids se disaient prêts à vendre leur âme, c'est bien « The Rolling Stones Rock And Roll Circus», spectacle filmé le 11 décembre 1968, époque où les Stones - faut-il le rappeler ? - régnaient sans partage sur la planète rock.

 

Pendant presque trente ans, il fut impossible de voir ce film. Les Stones s'opposaient à sa commercialisation. Ils prétextaient qu'il régnait une mauvaise ambiance au sein du groupe et que leur prestation était médiocre.

a599boîtier.jpg

 

«The Rolling Stones Rock And Roll Circus» obsédait les fans des Stones. Ils en connaissaient la trame et le casting de rêve, car les journalistes avaient évidemment tout révélé : Jethro Tull, les Who, Clapton, Lennon et les Stones. À cette époque, tous ces artistes étaient encore particulièrement excitants. Jethro Tull venait de créer l'événement avec son premier single, «A Song For Jeffrey», les Who étaient encore un groupe à singles magiques, Clapton venait tout juste de quitter Cream et John Lennon n'avait pas encore pris ses quatre balles dans le buffet.

 

Les Stones bloquaient donc l'accès au film. Blessés tant de cruauté, nombre de fans transis sombrèrent dans l'alcool et finirent avec de gros nez rouges. D'autres, tout autant affectés, cessèrent brutalement toute relation avec le rock pour se réfugier dans le football. Les plus endurants prirent leur mal en patience, attendant qu'une décision favorable leur permît de voir enfin «The Rolling Stones Rock And Roll Circus». Grand bien leur en prit. Les Stones finirent par céder et le film parut sur VHS en 1996. Ce fut la seconde ruée vers l'or. Dans toutes les plaines du monde, les fans furent invités à se ranger derrière des lignes de départ. Au coup de feu, il fallait écraser le champignon. Les premiers arrivés obtenaient non pas une concession, mais une VHS, et ils rentraient chez eux avec le précieux boîtier serré contre leur cœur.

a596circusaffiche.jpg

 

Ça valait vraiment la peine d'attendre trente ans ?

 

Indubitablement, mon cher Watson, même si le film avait pris un coup de vieux. Mais il nous plongeait au cœur de la période la plus prolifique du rock anglais. Ce film avait sensiblement le même impact que Woodstock, car il permettait de mesurer la réalité de ce que furent tous ces grands artistes au faîte de leur gloire.

 

L'honneur de présenter ce spectacle mythifié revient au trublion du rock anglais, Mick Jagger : «This is the Rolling Stones Rock And Roll Circus. You've got sight and sounds to delight your ears and eyes !» En gros, il annonce qu'on va bien se régaler. Le premier groupe à faire feu de tous bois, c'est Jethro Tull, avec justement «A Song For Jeffrey», premier single de ce groupe atypique à cheveux blancs (leur premier album s'intitulait «Living In The Past» - rappelons que nos quatre amis n'avaient rien trouvé de mieux à faire pour se distinguer que de se grimer en vieillards - concept entièrement original que personne d'autre n'osera réutiliser). «A Song For Jeffrey» en accrocha plus d'un à sa parution. Même s'il avait un petit côté beefheartien, ce single semblait sortir de nulle part. Un parfum de mystère capiteux se dégageait de ce morceau trépidant et saturé de slide-guitar. Le côté rocailleux rappelait l'imparable «Sure Nuff n' Yes I Do» de Captain Beefheart.

a603anderson.jpg

 

Jethro Tull est le groupe idéal pour démarrer un tel spectacle. On connaît tous les frasques de Ian Anderson drapé dans son grand manteau de clochard, se perchant comme le héron sur une patte et crachant dans sa flûte comme un vieux pervers. Mais qui se souvient de la prestation effarante de Glenn Cornick, ce hippie surexcité qui fouette sauvagement les cordes d'une basse inversée ? Il souffle en plus dans un harmonica monté sur un support, à la manière du Dylan de la période électrique. Au moment du tournage de «The Rolling Stones Rock And Roll Circus», Jethro Tull n'a plus de guitariste. Martin Barre n'est pas encore arrivé dans le groupe. Mick Abrahams vient de quitter Jethro Tull pour monter Blodwyng Pig. Tony Iommi (guitariste du groupe Earth qui va devenir Black Sabbath) et Davy O'List (Nice) sont testés, mais c'est Tony Iommi qui fera l'affaire. On lui enfoncera un chapeau cloche en feutre sur la tête pour dissimuler son visage et le tour sera joué.

 

Keith Richards apparaît alors à l'écran, un patch de pirate sur l'œil. «And naow, dig the Who !»  On voit tous ces Who aux yeux bleus se démener, mais on entend surtout la basse de John Entwistle. Daltrey porte déjà l'une de ses affreuses chemises en daim à franges. Pour le malheur des amateurs, ils jouent «A Quick One While He's Away», un mini-opéra dont la mauvaiseté est impardonnable. Ils sont déjà trop ambitieux et perdent ce qui faisait leur charme, la spontanéité explosive. Quel gâchis ! Il n'y a que le final qui bouge un peu, «You're Forgiven». Keith Moon bat dans l'eau. Bientôt, il fera sauter des bombes.

a605éléphant.jpg

 

Taj Mahal prend la suite, accompagné d'un petit orchestre sage comme une image. Il se fend d'un «Ain't That A Lot Of Love» (tiré de son premier album) qui sonne exactement comme «Gimme Some Loving». Dommage qu'il ne joue pas le «Statesboro Blues» qui donne son titre à son second album, un disque absolument remarquable édité en plein cœur du british blues boom.

 

Perdu dans les gradins, Charlie Watts annonce Mariane Faithfull, puis Keef présente un cracheur de feu, assisté par la lovely Luna. En fait, le cracheur de feu avale le feu.

a601public.jpg

 

On arrive enfin à l'objet de toutes les attentes : The Dirty Mac, le super-groupe composé de Mitch Mitchell au battage, Keef à la basse, Clapton période Cream à la guitare, et John Lennon, belle demi-caisse Gibson blanche et chant. Lennon tape dans «Yer Blues», un des titres phares de l'album Blanc (qui ne contient que des titres phares). C'est l'occasion de voir jouer cet immense guitariste qu'est Lennon. Mais les choses vont se dégrader considérablement avec l'arrivée de la fée Yoko Carabosse sur scène. Les pauvres musiciens vont devoir accompagner cette poufiasse pendant dix bonnes minutes. L'immonde prestation s'intitule «Whole Lotta Yoko». Elle ne chante pas, non, pas du tout, elle pousse des espèces de cris perçants qui sont une véritable atteinte à l'intégrité intellectuelle de l'auditeur. On ne comprend pas pourquoi un personnage aussi brillant que Lennon est allé se fourvoyer dans cette incurie. Le violoniste Ivry Gitlis se joint au festin et nous glace d'épouvante.

a602lenon.jpg

 

Les Stones se sont réservé la part du lion. Jagger se présente à la caméra en tunique rouge. Il est encore au cœur de sa période androgyne. Voici enfin Brian Jones, l'incarnation des sixties, l'égal des dieux ! Il porte un trois-quart de velours mauve et un pantalon jaune bouffant passé dans des bottes. Il joue sur une Gibson Les Paul dorée. On sent la star.Son visage paraît glabre. Il porte du rouge à lèvres. Les Stones démarrent leur set avec «Parachute Woman». Le son est étrangement plat. On détecte un léger flottement dans les enthousiasmes. Brian Jones semble totalement absent.Il sourit bizarrement. Keef prend le solo en bas du manche. On ne voit pas du tout ce que fait Brian. Comme si on avait donné des consignes au cameraman. Brian change de guitare pour le morceau suivant, «No Expectation». Il s'empare d'une Gibson Firebird inversée. Il joue la mélodie au bottleneck pendant que Keef bâtit une solide rythmique sur une guitare acoustique. Brian assure, mais on voit qu'il se limite au minimum syndical. C'est à ce moment-là qu'on sort les billets pour parier :

 

-- 500 euros qu'il est complètement défoncé !

 

-- Tu crois ? 

 

-- Tu veux parier ? T'as combien sur toi ?

 

-- C'est vrai qu'il a les yeux en trous de pine !

 

-- Au moins, avec toi, on ne risque pas de sombrer dans l'excès de délicatesse.

 

Brian sent sur lui les regards obliques des autres Stones. Quelle épreuve ! Gérer à la fois la défonce et l'hostilité. Ces quelques plans révélateurs nous donnent une petite idée de ce que Brian Jones a dû subir. Ni assez costaud, ni assez cynique, Brian ne pouvait affronter ses persécuteurs.

a605dessinbrian.gif

 

Les Stones sont gonflés. Ils s'attaquent à «You Can't Always Get What You Want», un morceau phare et très orchestré de «Let It Bleed». Et pourtant, ça a l'air de marcher. «Je l'ai vue aujourd'hui à la réception/ Elle tenait un verre de vin/ Je savais qu'elle devait rencontrer son dealer/ Le mec était aux petits soins pour elle/ On ne peut pas toujours avoir ce qu'on veut, baby/ Mais si tu cherches/ Tu finiras par trouver ce que tu veux».La rythmique est sacrément nerveuse. Brian Jones remue un peu, voilà qui rassure ses admirateurs. Keef fait un boulot énorme sur sa Les Paul noire. Il est au four et au moulin, l'animal. Il n'a pas usurpé sa réputation. Wow ! et voilà «Sympathy For The Devil» ! Brian Jones démarre aux maracas, mais d'une façon qu'on pourra juger aléatoire. Un gros plan sur son visage montre que ça ne va pas bien du tout. Dans le monde entier, des millions de kids se sont levés d'un bond à cet instant précis : pourquoi ne lui vient-on pas en aide ? Les percussions arrivent derrière, comme un régiment de cavalerie accourant au secours du pauvre soldat Brian. Le morceau tient avec très peu choses : Charlie Watts sur les bas-flancs, le percu black, Keef sur sa Les Paul, Nicky Hopkins au piano. Pauvre Brian, il ne sert plus à grand-chose. Il s'en va au vent mauvais qui l'emporte deçà delà, pareil à une feuille morte. Keef nous sort son killer solo exacerbé de légende, l'un des plus hargneux de tous les temps, sachez-le bien. Soudain, Jagger ôte sa tunique, exhibe son torse d'androgyne et pique sa petite crise, oooh-oooh, ooooh-ooooh ! Le morceau devient hypnotique. C'est vrai qu'à cette époque-là, les Stones sont encore le plus grand groupe de rock du monde, ils brassent les atouts, Satan, les guitares, les outrages, les bracelets de cuir cloutés. Jagger explose le dernier couplet avec un numéro de screamer hystérique ! Il embarque tout le monde dans un délire épileptique. Il est tout simplement renversant de puissance démoniaque.

a600brian.jpg

 

Pour conclure, on retrouve les Stones dans les gradins, mélangés au public. Keef chante «Salt Of The Earth». C'est limite. Tout le monde sait que Keef chante faux. Par chance, Jagger prend le relais. La caméra cadre le pauvre Brian. Avec son regard éteint, il paraît frappé de décadence shakespearienne. Quelle horrible tragédie ! Il sait qu'il va être viré du groupe qu'il a fondé.

 

Même shooté à mort et haï par ses collègues, Brian Jones restait un Rolling Stone jusqu'au bout des ongles. On le haïssait tellement que sa mort fut certainement très appréciée. Mais sa disparition ne portera pas chance aux Stones qui entamèrent alors leur interminable déclin. Comment n'avaient-ils pas compris que sans lui, les Stones allaient perdre tout leur éclat.

a604brianyoko.jpg

 

Croyant bien faire, Andrew Loog Oldham raconte dans ses mémoires comment il avait œuvré pour écarter Brian Jones du devant de la scène. Il voulait re-centrer le groupe sur Keef et Jagger. Il ne pouvait pas supporter Brian. Fatale erreur, puisque Brian Jones ÉTAIT les Rolling Stones. Deux autres épisodes montrent à quel point les Stones furent odieux avec le pauvre Brian. Keef lui piqua sa fiancée (Anita Pallenberg) en 1967. Et dans «One Plus One», Godard filme les Stones en studio pour l'enregistrement de «Sympathy For The Devil». Non seulement, Brian est mis au rencart dans un box avec sa guitare acoustique, mais quand il demande une clope à Keef, il reçoit quasiment le paquet dans la figure.

 

Le concert des Stones à Hyde Park organisé pour saluer la mémoire de Brian fut l'un des sommets de l'histoire de l'hypocrisie anglaise. Ni Keef ni Jagger n'avaient daigné se présenter à l'enterrement. Seuls Charlie Watts et Bill Wyman assistèrent à la cérémonie.

 

Après ces épouvantables péripéties, nombre de fans (dont je fais partie) ont décroché des Stones pour aller traîner dans des zones plus respirables.

 

Signé : Cazengler l'inconsolable

 

 

The Rolling Stones Rock And Roll Circus. Michael Lindsay-Hogg. DVD Re-mastered 2004

 

 

J. C. SATAN

 

THEIR SATANIC MAJESTIES

 

Dans le temps, il fallait armer une frégate pour aller à l'Abordage. On trucidait l'Espagnol et on plongeait ensuite les bras dans des coffres remplis de doublons et de pierreries. De nos jours, on va à l'Abordage en teuf teuf mobile (encore merci Damie pour ce mot-valise digne de Raymond Roussel). On ne trucide plus l'Espagnol et on paie des impôts.

 

Eh oui, les amateurs de piraterie se sont motorisés.

 

L'Abordage est une petite salle de concert dont le seul défaut est de se trouver à Évreux, à la fois proche et loin de tout, c'est-à-dire de Paris (ou de Rouen). Pendant un temps, la qualité de la programmation y était telle qu'on y cavalait couramment. Frank Black, Jon Spencer, Andre Williams et les Demolition Doll Rods sont tous venus honorer les planches de cette petite salle paumée au fond du département de l'Eure, l'une des contrées les plus mal dégrossies de notre beau pays.

a614abordage.jpg

 

Puis les temps ont changé, la programmation aussi. On déplie chaque trimestre le joli dépliant programmatique de l'Abordage dans l'espoir d'y trouver de la substance, et on tombe systématiquement sur des choses qui semblent destinées aux lecteurs des Inrocks, c'est-à-dire les autres, pas nous. C'est un peu comme le New Musical Express. Jusqu'à une certaine époque, on le dévorait chaque semaine, de la première à la dernière ligne. Et chose alors impensable, le canard a changé de format et surtout de teneur, il y a de cela quelques années. Il s'est pour ainsi dire vidé, comme s'il avait chopé la colique. Pour survivre, un organe de presse doit dit-on viser large, et en visant toujours plus large on tombe fatalement dans le bourbier de la médiocrité. Le NME (Zi Ènêmi, on le bêlait ainsi, avec un petit zeste de gourmandise dans le ton) s'est auto-parodié, avec des couvertures exhibant des groupes tous plus insignifiants les uns que les autres. Intrigué, j'étais allé voir les Razorlight en concert, à cause du buzz entretenu par la nouvelle formule - ils en faisaient tout un plat de la crêpe Johnny Borrell - et j'étais ressorti du Nouveau Casino en courant, effrayé par l'affreux spectacle que je venais de voir. Ce groupe n'avait absolument rien à dire. Les malheureux puaient l'ennui et l'indigence. Comme le NME d'aujourd'hui.

 

Il existe pourtant d'excellents groupes de l'autre côté de la Manche, comme par exemple les 1990s, un trio glammy de Glasgow, ou encore les Len Price 3 de Medway qui ont vraiment l'air de bien aimer les early Who. Ces deux groupes pris au hasard auraient semble-t-il le tort d'enregistrer d'excellents albums (3 pour les Len Price 3 et deux pour les 1990s) (D'ailleurs on ne sait même pas s'ils existent encore).

 

À une époque, des gens comme Greg Shaw, Yves Adrien ou John Peel avaient sans doute mis la barre très haut. Simplement, ça nous convenait. Ce qui ne nous convient pas, c'est qu'on mette la barre très bas, comme c'est le cas dans la rockitude contemporaine, celle qui a pignon sur rue (les fanzines ont réussi à conserver leurs défauts de jeunesse, ce qui les sauve de l'académisme, cette sclérose qui s'attaque à un art pourtant vivant, le rock).

 

Un exemple. Pourquoi J.C. Satàn n'est pas en couverture de tous les magazines, à la place de Neil Young ou des Stones qui de toute manière vont bientôt disparaître ? J'ai un autre exemple, avec un groupe que l'indifférence a réussi à couler, corps et biens : les Klim de Rouen. Ils méritaient au moins une couverture et des grands articles dans la presse. Pourquoi ? Parce que sur leur premier album certains morceaux sonnaient comme des outtakes de l'Album Blanc des Beatles. Je n'exagère pas. Leur disparition est une injustice terrible. (J'y reviendrai) Ils avaient un potentiel dont ne disposent malheureusement pas les groupes français de la scène actuelle : ils savaient écrire ce qu'on appelle des chansons.

a606dessin satan.gif

 

L'autre exception de la scène française, c'est J.C. Satàn, bien sûr. Voilà un groupe bien franchouillard (même plutôt franco-italien) qui sait écrire des chansons et qui vient d'enregistrer trois albums en trois ans. Bonne vitesse de croisière. Ce qui surprend le plus chez eux, indépendamment de la jeunesse des effectifs, c'est l'aisance naturelle. Ils dégagent cette candeur qu'on retrouve dans les photos des Pixies à l'époque de leurs débuts. Et ce n'est pas un hasard si j'évoque les Pixies. On retrouve dans certains morceaux des petits Satàn la même ardeur novatrice, le même sens de l'escalade vers des pics vertigineux, le même goût pour les petites virées dans les zones mélodiques encore inexplorées. Ils savent aussi très bien marier les voix d'homme et de femme pour provoquer l'éclosion de brouets incestueux, prendre l'amateur au dépourvu, épicer une pièce de sensualité ou de pure insanité. Ils connaissent toutes ces arcanes du baroquisme impavide, ils flairent le tortueux des jeux interdits, ils percent les secrets d'alcôves de très longues notes effilées, ils fabriquent des univers de mots lunes. Chose troublante, les Pixies étaient à l'époque de leur zénith le seul groupe capable d'autant de prodiges. «Faraway Land» tiré du troisième album pourrait très bien sortir du cerveau en dérangement perpétuel de Frank Black. Eh non, il sort du cerveau tout aussi dérangé d'Arthur Larregle, chanteur et guitariste du groupe. Puissance mélodique et fracas des armes sont au rendez-vous, soyez-en sûr. On plonge avec eux dans une mer de félicité. Quand ils jouent «Faraway Land» sur scène, on sent très nettement un souffle. Sur le disque, le morceau est plus scintillant, comme s'il se constituait de mille facettes octogonales clignant chacune à leur tour comme des yeux noyés dans l'ombre et puis, outrage suprême, c'est arrosé d'une purée de solo absolument répugnante.

a607gropscene.jpg

 

J.C. Satàn jouait à l'Abordage, en février dernier. Non pas dans la grande salle, mais dans la petite, en haut. Il faudra patienter, les gars, pour la grande salle. Mais qu'on se rassure, Frank Black a fini par remplir l'Olympia avec les Pixies, qui n'étaient pas le groupe le plus commercial du monde. Simplement, ils avaient des chansons, et certaines sont devenues des hits aux États-Unis. C'est exactement ce qui pend au nez des petits Satàn.

 

C'est dans Dig It ! qu'on a commencé à dire le plus grand bien d'eux, avec une chronique de concert particulièrement élogieuse. Puis leur réputation a grossi très rapidement. Chez Born Bad, les deux premiers albums frétillaient dans les bacs et le troisième, «Faraway Land», trônait au mur, parmi les nouveautés. Séduit par la pochette (reproduction d'une toile quasi-expressionniste qui rappelle les heures noires de Christian Schad et qui montre une brune capiteuse au regard dur et mystérieux caressant la tête d'un galant-pendu posée sur ses genoux) et intrigué par le bien qu'en disait Dig It !, j'ai acheté «Faraway Land» et là j'ai vu trente-six chandelles. Enfin un album de rock français digne des grands albums de rock US. Ce disque s'ouvre avec une horreur heavy qui s'appelle «Legion». Un vrai bloc de Stoner. Ils démarrent aussi leur set avec cette abomination rampante. Dante n'aurait jamais pu imaginer une telle horreur. Tony Iommi non plus. C'est comme enfoncé à coups de pilon (basse et grosse caisse). Puis ça se met en route comme une machine de guerre moyenâgeuse, avec des riffs de basse qui pèsent des tonnes. S'il vivait encore, Dickie Peterson aurait adoré ça.

a611faraday.jpg

 

C'est Ali, une petite blonde d'origine italienne, qui ponctue cette horreur tentaculaire de notes de basse. Comme les autres membres du groupe, elle raffole des tatouages et elle a plutôt fière allure sur scène, bien campée sur ses jambes, multipliant les glissés de manche et cognant ses cordes avec la régularité d'un soudard occupé à défoncer le crâne d'un ennemi.

 

L'autre fille du groupe, Paula Horror, vient aussi d'Italie. Brune, tatouée, elle aussi petit rock'n'roll animal parfait, Paula partage le chant avec Arthur. On ne la quitte pas des yeux, car elle semble transfigurée dans les moments d'apocalypse. Tout au moins sourit-elle au cœur de la tourmente et c'est quasiment sans effort qu'elle grimpe au sommet de son registre pour aller chercher des contre-chants sublimes. Elle est incroyablement juste. On voit rarement des chanteurs ou des chanteuses se percher aussi aisément.

 

Arthur se trouve au centre. Petit et présent. Il a cette dégaine de lycéen qu'avait Frank Black avant de doubler de volume. Derrière eux se trouvent Romain aux fûts et Dorian aux claviers.

 

Sur l'album «Faraway Land», les morceaux se visitent comme les objets d'un cabinet de curiosités : «Dragons» salement offensif, lancé comme un toupie et fuselé comme un affront, «Damnation», satanisme orientalisé digne de Rosemary's Baby et pour les accès de fureur contrôlée, digne du Frank Black de «Debaser». Sur «Psalm 6», on entend rouler sous la peau du morceau une belle ligne de basse hendrixienne, sertie de notes doublées à certains endroits névralgiques. Avec «Faraway Land II» qui ouvre le bal des vampires de la face B, Arthur nous jette dans la tourmente d'une insanité digne d'une autre époque, celle des clameurs issues des caves de la Sainte Inquisition, une horreur digne du temps où courraient sous les voûtes de corridors humides et noircis par la fumée des torches les ululements des victimes de démonologues passés maîtres dans l'art d'arracher de faux aveux. Pour «Men Power», Arthur nous fait la grâce de chanter par dessous un riff garage fuzzy. Le morceau est parsemé d'explosions infimes et de petites giclées innocentes. Avec «Song», un morceau qu'ils reprennent aussi sur scène, ils montrent qu'ils savent très bien jouer sur les deux tableaux, le chaud et le froid, l'impact et l'impie, le corsage et le corset, le trépied et le tripode, ils combinent tout cela avec malice et sans malice. Ils savent monter les mélodies comme des pièces montées chantées à l'unisson et qui n'ont pas d'autre fonction que celle d'embraser la plaine de notre imaginaire. On redevient fébrile, comme on l'était au temps des très grands albums. Ils referment le bal de cet album interpellateur avec un morceau intitulé «The Last Paradise». Paula Horror sait faire miroiter le paradis, avec le même charme insolite que Kim Deal. Le parallèle, une fois de plus, n'est pas innocent. Rien ne vaut cette molle échappée biaisée par tant d'espoir incertain. L'opacité s'opiace alors qu'au loin s'organise un orgasme.

a609.jpg

 

Sur scène, ils donnent à la plupart de ces morceaux une seconde vie. C'est ce qu'on pourrait appeler la dimension organique des superbes chansons de J.C. Satàn. Ils n'hésitent jamais à nous plonger dans des vertiges, comme par exemple avec cette version de «Hell Death Samba», morceau tiré de leur second album. Ils nous emmènent dans leur volcan. Paula chante mais Arthur hurle comme un damné, alors que s'écroulent les falaises de marbre, dans un épouvantable fracas. On croit assister à une absolution méphistophélique, bardée de grattages d'accords intermédiaires, enfer sonique de sang et de péché mêlé de cris et de bave et de croix et de boue et de crasse et de bris d'os et de craintes et d'éclats de bois. Ils vont aussi nous balancer une merveille nichée sur leur premier album, «Adventure Boat», une chanson singulièrement ensorcelante chantée à deux voix et vraiment digne du Velvet de «The Murder Mystery» et là on ne rigole plus. On tape dans le haut de gamme. Arthur et Paula (qui écrit les textes) ne se connaissent pas de limites. Arthur chante qu'il veut voyager avec Paula, aller dans la jungle avec elle pour rencontrer les cannibales. Tous ceux qui écouteront ce morceau tomberont sous le charme. Même quand on se croit blasé, on crie au génie. Il suffit simplement d'entendre Paula placer d'une voix indécente de nonchalance ses «Together on the boat» dans le refrain, juste au cul du I wanna See/wanna go/wanna be d'Arthur. Voilà un morceau d'une élégance imparable. Il existe encore une place au sommet des charts pour des groupes de ce calibre.

a610verso.jpg

 

Du coup, on a rapatrié les deux premiers albums, le premier grâce à un revendeur espagnol qui heureusement l'avait encore en stock, et le second, juste après le concert. Il se trouvait sur la petite table qu'Arthur et Paula avaient installée dans le hall. À l'écoute de ces deux disques, les soupçons se sont confirmés. «Sick Of Love» (leur tout premier album et donc pour eux saut dans l'inconnu, avec une pochette dessinée par Paula) est bourré de chansons vraiment dignes du Velvet, comme «Your Place», qui a le charme subtil d'un standard comme «Pale Blue Eyes». Avec «You Are Good», on sent l'étoffe des héros, car avec son beat heavy, le morceau se révèle terriblement persuasif. La face B grouille de serpents mortels, comme «Superhero» ou encore «Endless Fall», dont le venin monte directement au cerveau. Mais le vrai choc vient de ces deux merveilles, «Together After Love» et «Adventure Boat», grâce auxquels ils semblent renouer avec la magie du Velvet. Rien de moins. Ceux qui ont adoré les ambiances intimistes et légèrement déviantes des morceaux lents qu'on trouve sur les trois premiers albums du Velvet («The Gift» et «The Murder Mystery», en particulier) vont se régaler. Rien n'est plus difficile que de créer de telles ambiances. Depuis le Velvet, peu de gens se sont risqués dans ces zones ténébreuses. En duo avec Isobel Campbell, Mark Lanegan s'y est aventuré. Par contre, les Only Ones n'épiçaient pas leurs rengaines envoûtantes de voix féminines et les Pixies naviguaient dans d'autres régions de l'espace sonique.

a612sicoflove.jpg

 

On retrouve cette veine velvetienne sur le second album des petits Satàn, «Hell Death Samba», notamment avec un morceau intitulé «Dear Dark J», insidieux et taillé en biseau comme «The Murder Mystery». Alors que «Misunderstood» renvoie, par le chemin biscornu serpentant au pied du gibet de Montfaucon, aux manies du grand Frelaté, c'est-à-dire Frank Black. «Blasted» évoque la trogne d'un démon colérique, cette peau noire, luisante et chiffonnée par mille courroux inavouables. Avec «In The Light», on constate une fois de plus qu'Arthur maîtrise à la perfection l'art de concocter d'atroces musicalités essentielles comme le sont les huiles de palmes olivâtres bercées d'alizés zoophiles. La chose coule sur la peau comme une poisseuse bénédiction, comme une langue d'octave perlée d'azur marmoréen. Avec cette véritable punkisherie ahanante qu'est «The Crystal Snake», et les clameurs de soudards qui l'accompagnent, les petits Satàn stompent dans le flic et le floc de la viande hachée d'après bataille. Avec cette pièce fulminante de trash, on a une nouvelle fois l'occasion de penser aux Pixies. Avanie dégringolée, degrés glissants vers des gouffres...

 

Dans «Abandon», Arthur explore des corridors chimériques. Comme Frank Black et Robert Pollard, il y rencontre sans cesse de belles idées ingénues et seyantes à demi nues et impubères qu'il féconde délicatement de ses dix doigts. Le tempo est si décontracté qu'on songe aux Byrds de la cinquième dimension. Avec «Junkie Knight», Arthur s'amuse à rentrer dans le lard du morceau, sans crier gare. Il se délecte du texte et trafique sa petite mélodie biscornue.

 

Ils referment le cortège de cet impressionnant album avec un truc qui s'appelle «Rhythm Of Sex» et qui sonne comme un long chemin de croix, comme une progression malaisée vers des gouffres de paradigmes parangonniques. Survient une éruption de crème chantilly qui s'arrête brutalement.

a608pêcheur.jpg

 

Les semaines se sont écoulées depuis, mais je garde un souvenir très vivant de ce concert. Le public assez peu nombreux s'était montré chaleureux. Une dame d'origine africaine s'était même risquée a essayer quelques pas de danse, juste devant la scène. C'était assez courageux de sa part, vu la teneur du set. Sur scène, Arthur et ses amis densifiaient systématiquement les ambiances et savaient faire exploser certains morceaux. Sur le moment, je me disais que je n'avais pas vu un vrai groupe de rock depuis une éternité. Celui-ci dégageait une vraie animalité. On sentait qu'ils avaient du répondant et puis la qualité des chansons ne trompait pas. Ils ne jouaient pas de reprises, comme allait nous le confirmer Arthur après le concert. Paula s'est quelques fois retrouvée à genoux, et Arthur réussissait miraculeusement à garder le contrôle de sa guitare malgré ses contorsions. C'est là qu'on voit les grands groupes. Vous avez ceux qui savent plonger dans l'enfer de la fournaise et ceux qui restent plantés sur scène comme des figures de mode.

 

Comme Kid Congo ou King Khan, Arthur établit assez facilement le contact avec le public. Il a très bien compris qu'il était nécessaire de parler aux gens. Allez le voir après le concert, vous verrez, c'est quelqu'un de charmant et de très simple. On peut discuter de musique, de projets avec lui. On le sent extrêmement motivé.

 

Un grand reporter de Dig It ! avait fait le déplacement, lui aussi intrigué par cette réputation grandissante qu'on voyait courir comme le furet. Il profita de cette conversation à bâtons rompus d'après concert pour poser les bases d'une interview à paraître dans le prochain numéro de Dig It ! Et comme ce fanzine sait vraiment coller à l'air du temps, il n'est pas impossible que nos petits Satàn se retrouvent en couverture de ce prochain numéro. Et là les choses reprendraient tout leur sens.

 

Pour finir en beauté, nous allâmes au Mata-Hari siffler de capiteuses Carmélites avant de nous jeter tous phares éteints dans les ténèbres de la campagne normande.

 

 

Signé : Cazengler, le possédé de Loudun

 

 

J.C. Satàn. Sick Of Love. Slovenly 2010

 

J.C. Satàn. Hell Death Samba. Slovenky 2011

 

J.C. Satàn. Faraway Land. Teenage Menopause Records 2012

 

Sur l'illustration de gauche à droite : Paula, Romain, Arthur, Ali et Dorian.

 

 

 

CROCKROCKDISC

 

 

MIDNIGHT ROVERS

 

ROCKIN'CLASS

 

 

Nico Liner ( Chant / Harmonica / Guitare Folk ) / Cidou Basta ( Guitare / choeurs ) / Manu Billy ( Contrebasse / choeurs ) / Torz Rovers ( Batterie / choeurs )

 

 

JUNGLE ROCKABILLY / LOST SOLDIER / A MAN IN HARMONY / HONEY DON'T / ELLE / BE A GOOD GIRL / CRUEL LIFE / TATTOOS / SUBURB OF PAIN / BLVD VINCENT AURIOL /

 

a618rovers.jpg

 

Pas besoin de chercher le Harrap's pour traduire le titre. Mais si vous n'êtes pas habitué aux mots à doubles entrées la pochette vous aide à comprendre : un Hot Rod avec un rocker gominé appuyé dessus au premier plan pour la classe rock, et des cheminées d'usines fumantes par derrière pour la classe des exploités. Le tout est dessiné avec de gros a-plats rouges et noirs pour annoncer la couleur. Un parfait résumé des Midnight Rovers un pied dans le rockabilly et l'autre dans la conscience sociale.

 

 

Jungle Rockabilly, peut-être pour vous rappeler que le monde est une jungle sans pitié mais que les combos de rockabilly sont là pour panser les plaies et vous redonner de l'énergie. Un instrumental, superbe avec les cris d'animaux en fond sonore et la guitare de Cidou qui tisse des lianes de riffs entre les branches et tout le reste du combo qui scie les arbres à coups d'harmonica et les abats à coups de section rythmique. Si bellement touffu que vous aurez du mal à passer sur le morceau suivant.

 

 

Ce serait dommage d'en rester là surtout que pour Lost Soldier ils restent dans la même harmonie musicale, l'harmonica à peine un poil plus bluesy mais le tout enlevé au pas de course. L'histoire d'un black GI qui s'en va crever pour son pays. N'en rajoutent pas à vous de réfléchir sur la valeur du possessif. A Man in Harmony débute par un vocal rap pour verser rapidement dans une pure orchestration rockab, mais dans les toutes les cités la vengeance est un plat qui se mange froid et aux cris de joies que l'on entend l'on comprend que l'on va en redemander une assiette pleine. Voix de clergyman et rafale de bastos pour conclure. Le morceau le plus féministe du record.

 

N'ont pas peur d'afficher leurs goûts musicaux. Honey Don't de Carl Perkins, un classique du rock de Memphis. A se faire traiter de réactionnaire par les imbéciles. Le moment de goûter au son, de fermer les yeux et d'écouter, équilibre parfait de l'orchestration, parti pris d'une couleur musicale qui sera tenue sans tergiverser d'un bout à l'autre du disque. L'on termine la face A sur un titre en français. Encore un tabou rockab ( et même rock ) que beaucoup de groupes français n'osent briser par les temps qui courent. C'est Elle la fautive. Peut-être pas celle à qui vous pensez mais chacun rencontre la sienne comme un reflet de ses propres faiblesses.

 

a619inter.jpg


 

 

Be a Good Girl, commence doucement mais le malheur accélère les choses et vieillit les petites filles avant l'heure. Rythme entraînant et thème à vous gélifier sur place. Le morceau joue sur cette ambiguïté qui est l'exact reflet de notre quotidien, vitrine sourire par devant et réalité sordide par derrière. Les Midnight Rovers utilisent le rockabilly comme un produit d'exploration médicale que l'on vous injecte dans le dos. Moins brutal qu'un scalpel, mais plus insidieux. Cruel Life, le constat vire au noir. Pas celui de l'anarchie, mais du désespoir. Difficile de sortir de soi-même lorsque la guitare limite votre espace vital et que l'harmonica condamne les sorties de secours. Avec Tattoos le rythme bondissant vous peint le jour selon des teintes plus vives. Affichez vos propres mots d'ordre, mais n'oubliez pas qu'un jour tout cela ternira. Subburb Of Pain, les Midnight Rovers ont définitivement décidé de vous casser le moral, la contrebasse et la guitare grimpent sur les murs, mais ce sont ceux de nos prisons citadines. A chaque instant la société de consommation vous offre la cigarette du condamné. Pour vous échapper suffit d'escalader l'arbre de la liberté rock'n'roll. Boulevard Vincent Auriol, en plein Paris-misère, Paris-révolte-dérisoire, à des milliers de kilomètres de la patrie du rockabilly, et vous n'avez que votre rébellion intérieure à opposer au rouleau compresseur du Système qui vous broie.

 

 

Pas gai si l'on y réfléchit, mais les Midnight Rovers ont compris que soixante après l'on ne peut pas continuer à pleurer sur la baby qui vous a quitté ou à s'acheter une cadillac rose pour draguer les filles. Inoculent des hormones de croissance au vieux rockab des familles pour lui procurer une cure de jouvence. Malmènent les mythes et ouvrent les portes en grand à des thématiques sociales d'aujourd'hui.

 

 

Evidemment les puristes les attendent au tournant. Pas pour rien qu'ils reprennent du Carl Perkins, une façon de s'approprier les chasses gardées – qui entre parenthèses appartiennent à tout le monde – ils ne cherchent pas à restituer le son d'origine. Essaient avant tout d'en extraire l'énergie dans le but de s'en servir en faveur de causes actuelles. Auraient pu imiter les Angry Cats, qui sont un peu sur les mêmes traverses idéologiques, en gonflant le son afin de lui donner une ampleur pratiquement pro hard rock. Mais ils ont préféré jouer plus finement, rester plus près de l'original – et chacun d'eux y concourt en faisant attention de ne pas trop s'éloigner des tables de la loi tout en n'hésitant pas à les manier sans ménagement.

 

 

Z'auraient pu tomber dans une certaine naïveté qui aurait consisté à interpréter, voire à orchestrer, chaque morceau selon le thème traité. Ont eu l'intelligence de procéder autrement : ont créé d'abord leur son – prédominance d'une guitare claire, présence de l'harmonica – auquel les sujets abordés ont dû s'adapter et se couler. Au lead singer de se débrouiller pour ne pas se complaire dans un pseudo yaourt approximatif mais d'afficher chaque mot pour en faire reluire la signification. Nico a su trouver la voie étroite et y poser la voix juste, nécessaire à cette acrockbatie vocale qui n'était pas donnée d'avance. En contre-partie la contrebasse de Manu Billy a servi de point rockabillien d'ancrage non fixe, alors que Torz sur sa batterie prend soin de systématiquement de pulser avec force le début et de clore en redondance la fin de toutes les séquences rythmiques dont un morceau est composé.

 

 

Le résultat est à la hauteur des prétentions. Les titres défilent à vitesse grand V et s'enchaînent sans accroc. C'est un album que l'on prend plaisir à remettre du début à la fin. Point de plage malvenue qui s'en vient heurter le rythme et qui vous oblige à manoeuvrer le bras du tourne-disque. Un disque de rockbellion rockabilly. Une pièce rare sur le marché national. ( et international aussi ).

 

 

PS : Le vinyl ( pochette intérieure photos couleur ) est livré avec le CD, douze euros. Avec de telles pratiques, ils ne vont pas enrichir les actionnaires.

 

Contacts : www.facebook.com / TheMidnightRovers

 

www.facebook.com / AppelAuxLuttes

 

www.ladistroy.net

 

 

 

LITTLE LOU

 

HOLY MACK'REL / BIG ROCK INN

 

( Rydell's Records )

 

 

Bastien Alzuria ( Lead Guitar ) / Pascal Freyche ( Upright Bass ) / Jean-Pierre Cardot ( Piano ) / Gaël Pétetin ( drums )

 

 

ROCKABILLY QUEENS SERIE ( III )

 

a616pochette.jpg

 

Maniaquerie de collectionneur, me suis dépêché de mettre la troisième reine sur l'étagère à côté des deux autres, puis je l'ai oubliée. Durant trois semaines, pas très poli sur ce coup-là, je me hâte de présenter mes hommages et mes excuses aux pieds de la Little Lou. Surtout qu'elle n'a pas choisi la facilité, Holy Mackerel est un de mes titres préférés de Little Richard ( Part I et Part II ), alors quand je l'entends cracher son vocal à la manière du petit gars de Macon, les tripes en avant, les nerfs en boule et l'énergie en jet continue, je craque. Bien sûr elle s'inspire plutôt de la version de Prentice Moreland – plus richardienne que ce qu'en fera plus tard notre grande folle préférée – mais elle déménage si bien que l'on en oublie d'écouter Jean-Pierre Cardot sur son piano.

 

 

Vais sûrement passer mes vacances à l'auberge du gros rocher dès que j'aurais trouvé l'adresse parce que sa reprise de Big Rock Inn ( interprétée par Dolly Cooper en 1956 ) ne vaut pas le détour mais une station prolongée. Encore une fois Cardot pète les cardans et les trois autres le suivent les yeux fermés mais la voix de Little Lou ricoche sur les murs et effrite le crépi des façades. Hélas voici un disque qui s'usera trop vite, car qui trop passe trépasse. Le meilleur de la série. Et pourtant les deux autres sont loin d'être mauvais.

 

 

Little Lou, mais grande dame. Je regarde sur rockaroky par où elle passe près d'ici.

 

Damie Chad

 

 

Livré avec un sticker et flyer pub pour la production des Rydell's Records / 14 Rue de la Gare / 37 110 Le Boulay /

 

 

KING PHANTOM

 

GHOST RIDER / DESTROY AT SIGHT

 

GOLDSEEKERS / CRAZY GIRL

 

( Perkins Records / 2012 )

 

 

 

Johnny Rival ( guitar, vocals ) / Rumble Tom ( drums ) / Patclash ( basse ) / Jay Holster ( guitar )

 

 

A écouter les fenêtres fermées pour le seul plaisir de faire éclater le double vitrage. Le roi fantôme est sur la route et ça fait mal. Ricane méchamment dès les premières notes de Destroy At sight, préfère ne pas vous dire ce qu'il a fait sur la première plage. C'est comme dans un manga mais sans couleur avec le scénario en accéléré. Quant à l'autre face l'on a l'impression que les Goldseekers cherchent plutôt le carnage. Crazy Girl pourrait être encore plus folle et le morceau un peu plus long.

 

 

Sacré boulot de Rumble Tom sur tout le disque, les guitares remplissent les vides opérées par chaque break et Johnny vous offre l'explication de texte. Commentaires non autorisés exclusivement. A vous de vous faire votre propre film, dans votre tête. Si votre cerveau a résisté à l'électro-choc. Si ce n'est pas le cas, King Phantom ne peut plus rien faire pour vous. Nous non plus.

 

Damie Chad.

 

 

20/06/2013

KR'TNT ! ¤ 149. MIDNIGHT ROVERS / KING PHANTOM / KOFFIN' KATZ

 

KR'TNT ! ¤ 149

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

2 0 / 0 6 / 2 0 1 3

 

 

MIDNIGHT ROVERS / KING PHANTOM / KOFFIN' KATS / ORVILLE NASH /

NICK TOSHES / PERMAFROST / IN ALBERT LEA

 

 

LA MIROITERIE / PARIS / 18 - 06 - 2013
MIDNIGHT ROVERS / KING PHANTOM /
KOFFIN' KATS

a529affich.jpg

Rue de Ménilmontant, c'est tout en haut et avec la chaleur écrasante l'on préfèrerait que ce soit vers le bas. La Miroiterie, en ai entendu beaucoup parlé par Frédéric Atlan alias Sonic Surgeon ( voir notre livraison N° 25 du 25 / 11 / 10 ) qui y a eu pendant des années son atelier de peintre. C'est un des tout premiers squats arty-punky, s'y déroulent très souvent des concerts – les parisiens ont de la chance de pouvoir fréquenter de tels lieux de vie et de création. La Mairie ne l'entend pas de la même oreille qui se débarrasserait volontiers de cette pustule par trop folâtre. Un projet d'expropriation survole depuis quelques mois les locaux, un peu comme ces vols de vautours de mauvais augure dans les westerns. Gageons qu'un jour ou l'autre les charognards finiront par l'emporter.

a519mir.jpg

L'est sûr que ce n'est pas tout neuf, suffira de mettre le bulldozer en marche pour que tout s'effondre, mais ce n'est pas l'état des locaux qui pose problème, ce sont les pratiques de vie peu conformistes qui gênent. C'est fou comme le libéralisme n'est pas vraiment libéral avec ceux qui s'essaient à des modes d'existence parallèles et qui tentent de se libérer du carcan de l'exploitation salariées au rabais.
Passez la grille, longez la voie d'accès, les bâtiments sont tout en longueur. Ressemble un peu à l'architecture des typiques longères de notre Brie post-natale. Suis pas venu pour faire le guide mais pour voir les Midnight Rovers. Juste avant de partir m'aperçois en quêtant quelques renseignements sur le net qu'ils passent en première partie devant Koffin' Kats, et comme sur une table l'on vend le 45 tours des King Phantom, j'en déduis que pour notre plus grande satisfaction nous aurons droit à trois groupes, plus on est de fous, plus on rit.

a521mir.jpg

Deux ou trois stands de disques et de badges. Modèles boutons de chemises, ce serait bien de relancer comme dans les années 70, la mode des cinq centimètres de diamètre qui permettaient d'arborer beaucoup plus fortement choix esthétiques et goûts musicaux intempestifs à la face du monde.
MIDNIGHT ROVERS
L'est temps de renter surtout qu'ils sont en train d'achever le deuxième morceau. La salle n'est pas grande, mais la scène n'est pas exiguë. Un parallélépipède assez haut de plafond, les murs couverts d'inscriptions, derrière les musiciens un visage turgescent nous contemple. Au fond, une galerie surélevée abrite la sono. Autant le dire tout de suite, l'acoustique n'est pas merveilleuse, le son s'écrase sur les parois, et ne rebondit pas. Sur le plateau, les retours doivent être une énorme marmelade de sons compressés et congelés. Pour les trois groupes, ce sont surtout les parties vocales qui souffriront d'un tel phénomène. Pour les instrus c'est moins grave, il passent en force.

a526group.jpg

Premier régal, avant même de jeter un regard c'est le marteau de Torz qui vous fracasse les oreilles. Une frappe comme je les aime, puissante, lourde mais trop en prise d'énergie pour devenir lassante. Au centre, au fond, comme tout batteur qui se respecte, on ne l'entrevoit que par intermittence, par contre je peux vous jurer qu'il envoie en continue. Pourrez jamais dire mieux vaut Torz que jamais, car il omni-présent sur tous les coups.

a525nevers.jpg

De loin avec Manu et sa contrebasse et la gretsch orange de Cidou ca ressemble à un groupe de rockab des plus trads, mais au bout de douze secondes ( pour les esprits lents ) vous les classez vite dans les adeptes du psychobilly, eux-mêmes se définissent comme un groupe de suburb rock. Oui mais sachez ouïr la différence, de temps en temps au détour d'une séquence rentre dedans vous percevez la ligne claire d'un riff, c'est Cidou qui nous la joue quinze secondes à la Hank Marvin mais tout de suite après ce sont toutes les tribus indiennes qui jettent leurs cris de guerre à Little Big Horn, et pas du tout si doux que cela, il nous pulse des flèches d'acier qui nous transpercent sur place.

a527greno.jpg

Nico est au micro. Ou plutôt aux micros, car à certain moment il double sa voix sur un deuxième appareil. Me demande dans ma tête si c'est un plan piqué à Eric Burdon quand il imite par un tel stratagème la CB des voitures de police poursuivant un présumé tueur... Pour les paroles voir plus haut, mais la voix est belle et sonore, assez ample pour s'éviter de crier et de s'égosiller. Sort aussi son harmonica, assez frénétiquement bluesy, là-haut au mixage, z'auraient pu le mettre plus en avant.

a523suburb.jpg

J'aurais aimé vous parler plus longuement de Manu et de son slappin'game mais juste au moment où je vais me concentrer sur lui, le set se termine. Même qu'ils ont déjà passé en force leur deux derniers morceaux. Trop tard, trop court, juste au moment où les doigts commencent vraiment à se dévérouiller, la voix à se chauffer et l'énergie à circuler, faut qu'ils arrêtent, nous laissant sur notre faim comme des orphelins abandonnés.

a524angry.jpg

Vous aurez un lot de consolation, la semaine prochaine, la chronique de leur vinyl. On essaiera de mieux cerner leurs implications projectales. En tout cas ce qui est sûr c'est que c'était bien parti, et que s'ils repassent dans le quartier je serai au rendez-vous et pas pour une demi-part de gâteau.

a522affic.jpg

KING PHANTOM
Ne les connaissais pas, mais j'ai vite appris. Pas plutôt sorti, suis allé rafler leur record, la kronic comme pour les Midnight Rovers, la semaine prochaine. Sont pas nés de la dernière pluie, chacun traîne un pédigrée à rendre un chien jaloux. Johnny Rival a même longtemps joué aux States avec The Evils d'Atlanta.

a530group.jpg

Des tatouages partout, batteur torse poil, casquette camouflage pour le chanteur, les trois guitares en première ligne, le tambour derrière qui fragmente à la Bo Diddley. Ne font pas dans la dentelle, construisent un mur, et comme ils auront tout le temps nécessaire vont nous édifier une muraille de Chine.

a532batteu.jpg

Dès les premières notes c'est déjà très bien ce qui ne les empêche pas de s'améliorer à chaque morceau. En rajoutent à chaque fois, vous surprennent toujours, simple et efficace mais pas le genre à vous répéter deux fois les mêmes structures. Innovent, ne vous ennuient jamais. Jay et Johnny sont à la guitare, ne vous amusez pas à savoir qui est le lead. Ce n'est manifestement pas comme cela qu'ils posent le problème. Entremêlent leurs propositions, foncent à toute allure, distribuent l'énergie à tout venant. Ca crépite d'électricité. Le public commence à pogoter gentiment, mais sûrement.

a528king.jpg

Patclass ne joue pas de la basse électrique mais de la guitare si vous voyez ce que je veux dire. Le truc n'est pas pour lui de ponctuer une assise rythmique mais d'amener tout le speed nécessaire à ses coreligionnaires. Derrière ses futs Rumble Tom concourt au même challenge. Ne construit pas une assise mais une ligne de feu qui se déplace à la même vitesse que la trajectoire des guitares. Avec tout de même des breaks incessants qui éclatent comme des morceaux d'écorces trop sèches jetées dans une fournaise.

a531king.jpg


Généreux, ont sans arrêt un titre en rabe à caser. Parfois l'on se dit cette fois ce sera le dernier, ne pourront pas filer plus loin, plus fort. Et blang vous en refilent trois de suite en constante gradation. Oublié de dire qu'ils sont les champions de la fausse fin. Vous n'imaginez même pas qu'après tel plan de crème fouettée l'on puisse apporter une suite au morceau en cours, vous pensez que c'est la fin coda, tout le monde s'arrête, mais non eux ils repartent à l'assaut et vous démontrent que le champ des possibles n'a pas encore été totalement labouré. Sortent épuisés, sous les applaudissements.
Rien à redire. Tout à admirer.
KOFFIN' KATS
Si vous traduisez par petits chats mignons endormis dans leur couffin, c'est une erreur. Prenez plutôt trois tigres enfermés dans un cercueil et qui vous défoncent les planches à coups de griffes. Sont des Américains, vous n'aimez peut-être pas mais faut reconnaître qu'ils ne trichent pas sur la qualité de la marchandise. Les amerloques qu'ils vous envoient un obus Tomahawk sur votre quartier ou qu'ils délèguent un groupe de psychobilly, dans les deux cas, après le passage de l'ouragan faudra penser à numéroter vos abattis. Bande d'abêtis.

a534concert.jpg

Des mecs cools, sont restés deux heures assis pénardos à une table à vendre leurs T-shirts, parlent un sabir incompréhensible que mes profs d'anglais ne m'ont jamais appris, heureusement qu'il y avait trois américaines à l'accent aussi prononcé qu'eux pour discuter avec, mais quand ils sont montés sur scène, l'on a tout de suite vu que l'on avait affaire à des seigneurs. Rien qu'à la manière de diriger la balance, l'était certain qu'ils connaissaient la musique.

a536kats.jpg

Les States c'est grand, mais eux ils ne viennent pas du Sud Rural Profond, le rockabilly des bouseux, très peu pour eux. Traînent pas leur contrebasse dans le crottin de cheval. Eux ce sont les flaques d'huile visqueuses, les carburateurs kramés et le moteur en feu. Viennent de Detroit. Motor City. Z'ont attapé des gènes stoogiennes dans leur biberon. Et ça s'entend.

a538kats.jpg


Au début, l'on a l'impression d'une cocote minute qui explose. Même pas des morceaux. Des plans de feu d'enfer que l'on bazarde à la tête du public. A côté les titres des Ramones s'inscrivent dans une longueur symphonique. Le batteur s'en donne à coeur joie. Dommage que par la suite il se soit contenté d'un beat ultra violent mais trop métronomique.

a539katscig.jpg

Ensuite l'on ne peut pas dire que ça s'assagisse. Oh que non, ça gagne en dureté et en brutalité. Des morceaux plus longs mais d'une telle inventivité qu'ils passent comme un bâton de dynamite dans une poudrière. Le public se lance dans un pogo, sans sournoise volonté de faire mal à son voisin mais qui suivra une courbe exponentielle durant tout le set. Corps porté à bout de bras, embruns de bière, fièvres et emballements.
Psychobilly si vous voulez, mais il y a de tout dans cette tornade, parfois ça brûle comme du Iggy, parfois ça bastonne comme du Rammstein, ça fond comme du blues, ça cavale comme du rock'n'roll, empruntent ce qu'il y a de plus intense dans chaque genre, et vous le rendent en dix fois plus méchant.

a535kats.jpg


Eric est comme cloué sur sa caisse claire, jamais un beat de retard, jamais une demi-seconde de trop. Implacable, imbattable. Vic brandit sa contrebasse et la fait tournoyer. Plus tard Tommy entreprendra de l'escalader tout en nous délivrant une marée de lave qui s'écoule de sa guitare comme d'un volcan. Pas le temps de s'arrêter. Tous deux échangent leurs instruments en plein vol comme des pilotes de chasse qui sauterait de cockpick en cockpick. Vic tire sur les cordes du bas de la double bass tandis qu'en haut du manche Tommy se sert de sa guitare comme d'un archer. Mais ne vous laissez pas séduire par les acrobaties.
Toujours à fond la caisse, intraitables. Je commence à comprendre pourquoi j'ai toujours préféré le rock américain au son anglais. Ne tournent pas autour du rock pour arriver à l'heure. Sont d'une efficacité ouranienne. Sont partout à la fois. Ne laissent rien au hasard. Ces ripées de métal sur la guitare, difficile de trouver mieux, et chaque fois Johnny vous en redonne une mouture supérieure. Jouent longtemps, sans temps morts, sans respiration. Pas du genre à économiser les cartouches. Des tueurs qui vous découpent en rondelles au hachoir.
En plus ils osent nous demander si l'on aime le rock'n'roll. Pas du tout, nous ce que l'on aime c'est les Koffin' Kats. Et le jour où je mourrai offrez-moi un cercueil de ce bois-là.
Splendide.
Damie Chad.
La salle est emplie de buée et de fumées diverses. Près de moi une jolie maman attrape ses deux filles dans ses bras protecteurs et se dépêche d'entraîner les deux sweet little lycéennes sixteen vers la sortie. «  Comment peut-on faire tant de bruit en un tel lieu ? » demande-t-elle les yeux baignés d'angoisse. Voudrais bien lui expliquer, mais elle est décidément trop vieille. Dans sa tête.
( pour les documents iconographiques voir le facebook des artistes. Seule photo du concert la première qui illustre Koffin Katz, elle est signée de Carnage Punk Rock, qui ont aussi un facebook )

LE BATEAU IVRE
 ROUEN / 02 - 06 - 2012

 

LE PANACHE D'ORVILLE NASH

 

 

Nous avions naguère à Rouen un lieu saint, le Bateau Ivre. Saint aux yeux des noctambules, des amateurs de musique vivante et des ivrognes, faut-il le préciser ? Chaque fin de repas aviné s'achevait sur le même cri de ralliement : «Une mousse au bateau !» Pratique, car ça fermait à 4 heures du matin. Le patron s'appelait Michel. Grand, tête de boxeur, un physique à la Tom Jones, cet homme pouvait vous réciter d'un trait La Chanson du Mal-Aimé de Guillaume Apollinaire en vous fixant dans le blanc des yeux. J'y eus droit le soir où je lui avouais un faible pour le Flâneur des Deux Rives. Faut-il qu'il m'en souvienne.

 

a540batoivre.jpg

 

Michel programmait des groupes pour tous les publics. Groupes de reggae pour les lycéens, métal pour les métaleux locaux, garage pour les garagistes locaux, goguette le mercredi soir pour les amateurs de chanson française, soirées blues et même du rockabilly. Eh oui, il existe encore une petite scène rockab à Rouen et un public de puristes.

 

C'est lors d'une de ces soirées rockab que j'échouai au bar du Bateau, flof, aussi flasque qu'un veau marin. Accoudé dans une mare de bière, parfaitement disposé à fanfaronner, j'entamai la conversation avec mon voisin, un pépère coiffé d'un chapeau de cow-boy. Il ne pouvait être qu'Orville Nash, programmé ce soir-là. Aucun rouennais n'aurait osé porter un tel chapeau de cow-boy. Je me crus obligé d'attaquer en anglais, forcément, mais j'éprouvais d'immenses difficultés à donner l'illusion de la fluidité. Je cherchais mes mots en vain, par contre, je voyais bien deux Orville. On a causé rockab pendant un temps qui m'a semblé infini. Jusqu'au moment où Michel lui demanda s'il voulait un autre verre de vin et ils échangèrent tous les deux quelques mots en français, une langue qu'Orville Nash parlait couramment. Il m'a salué en rigolant et il s'est dirigé vers la petite scène où l'attendaient les musiciens.

 

a541nash.jpg

 

Orville Nash attaqua ce soir-là avec, je crois bien, «Tongue Tied Jill». Fini de rigoler, on avait sous les yeux une légende du rockab, un fabuleux survivant, capable de chanter à la demande. Quand on réclamait «One Hand Loose», il le prenait au débotté. Une vraie voix. On sentait que le bonhomme avait du métier. Il avait ce truc que les musiciens locaux n'auront jamais : cette aisance scénique, une sorte de classe innée, une façon de bouger les pieds, et les radiations. Sur scène, Orville Nash dégage quelque chose de très spécial : sous les apparences country se tapissent les vieux réflexes d'un bopper de premier choix.

 

a542river.jpg

 

Peut-être avez-vous la chance de posséder l'album qu'il enregistra jadis pour Rolling Rock, «Nashin' Around». J'en ai déniché une copie d'occasion chez Born Bad peu de temps après le concert et là, je dois dire que je suis tombé de la chaise en l'écoutant. C'est l'un des classiques obscurs du genre, un rockab atmosphérique, hanté et pour ainsi dire moite (si on veut pousser la métaphore marécageuse), mâtiné de swamp-blues. D'ailleurs, le premier morceau s'intitule «Swamp Blues». On entre dans ce disque comme on entre dans un lieu chargé de mystère : le cœur battant et tous les sens en alerte. Il vaut mieux être sur ses gardes parce que le second morceau, «Hot Dog», vous cueille au menton. Bing ! Un rockab swingué jusqu'à la moelle des os. Du bopping haut de gamme qui semble rôder par derrière. Excellent, au delà de toute conjecture. Deux fantastiques musiciens accompagnent Orville Nash : Mitch Vogel à la guitare et Frank Gadotti, «Dog House Bass», comme l'indique la pochette. Avec «New Orleans Woman», Orville boppe le chant comme le faisait si bien Charlie Feathers.

 

a500alig.gif

 

Sur ce disque, tout est savamment calibré, comme les seraient les éléments d'un art secret. On tombe ensuite sur la septième merveille du monde : «Austin City Limits». Riffage fantomatique. L'un des accompagnements les plus crépusculaires de l'histoire du rock. Orville Nash pose sa voix sur un tapis de magie swampy. C'est du pur voodoobilly. Appelons ça un coup de génie fatidique, si vous voulez bien.

 

a345disc.jpg

 

La face B réserve elle aussi son lot de bonnes surprises. Orville Nash met une pincée de sauvagerie dans le titre qui donne son titre à l'album. Puis il prend «Sweet Rockin' Mama» par en-dessous, avec des Hello baby d'anthologie. «I'm Out» sonne comme un classique intemporel. Orville Nash est vraiment le roi des atmosphères étranges. Il lance un «Hey Guitar !» et on entend une espèce de solo mou et duveteux, monté sur une ligne de basse ouatée. Tout cela dans le respect des traditions du laid-back tel qu'on le pratique dans les zones reculées du bayou. «Heart Breakin' Mama» est un rockab pur et dur, Orville le boppe à outrance. Tout y est, comme chez Charlie Feathers ou les frères Burnette. Quand on entend «Willing And Ready», on réalise enfin qu'Orville Nash est une vraie star. Dans «Bootlegger», il se permet toutes les audaces vocales, et il ferme ce bal des vampires avec un stupéfiant «Dr Jekyll & Mr Hyde», chef-d'œuvre boogaloo. Mais d'où sort ce type ?

 

Tout s'éclaire lorsqu'on lit les notes au dos de la pochette : il fréquentait Huey P. Meaux dans les années soixante. Et là, on ne rigole plus.

 

 

a550meaux.jpg

 

Huey P. Meaux est l'un des personnages légendaires de la scène texane. Il exerçait ses talents de découvreur, de producteur et d'escroc dans une région marécageuse située au Sud du Texas appelée le Triangle d'Or, une contrée hérissée de puits de pétrole et de raffineries. Meaux tenta de lancer les frères Winter sous le nom de The Great Believers, mais dans la région, les gens craignaient encore les Albinos et la manœuvre échoua. Il se tailla une réputation en produisant des groupes cajun qui chantaient en patois français, ce qu'on appelait le zydeco. On baptisa son style «swamp pop» (pop du bayou) et parmi les artistes qu'il produisait, on trouvait Big Mama Thornton, Clifton Chenier et Lightnin' Hopkins. Il lança la carrière de Doug Sahm. Huey recevait les candidats au succès dans son salon de coiffure de Winnie, un patelin situé entre Port Arthur et Beaumont, au Texas. Il sortait un 45 tours d'une petite caisse couverte de mèches de cheveux coupés et disait au candidat : «Écoute ça et reviens me voir dans six mois !». Quand les Beatles déferlèrent sur l'Amérique, Huey P. Meaux déguisa le Sir Douglas Quintet en groupe anglais et leur donna l'ordre de ne pas parler entre les chansons. Le public devait croire qu'ils étaient anglais. Et ça a fonctionné. Ils partageaient l'affiche avec les Stones, James Brown ou les Beach Boys et, pendant un petits laps de temps, le public est tombé dans le panneau.

 

a549douglas.jpg

 

Surnommé the Crazy Cajun, Huey P. Meaux aura pas mal d'ennuis avec la justice américaine. Il fera quelques stages au ballon et il sera très fier, en 1967, d'être blanchi par le président Jimmy Carter. Il connaîtra par la suite d'autres ennuis judiciaires. Augie Meyers (organiste du Sir Douglas Quintet) et Jerry Wexler (tête pensante du label Atlantic) feront partie de ses fidèles correspondants et jusqu'au bout, Huey P. Meaux restera un découvreur de talents. En 1998, atteint d'un cancer de la gorge, il affirmait avoir découvert le nouveau Freddy Fender.

 

En  1964, Orville Nash enregistra des démos pour Huey P. Meaux. Au dos de la pochette de «Nashin' Around», on nous dit que ces démos sont restées inédites mais qu'elles risquaient de réapparaître un jour.

 

a552early.jpg

 

Apparemment, c'est chose faite, sur un CD intitulé «The Early Years». Deux des fameuses démos enregistrées au Goldstar studio de Huey P. Meaux à Houston s'y trouvent. Il démarre justement avec une reprise de Charlie Feathers, «Tongue Tied Jill». Orville boppe comme un fou et Johnny Jaxon envoie ses gimmicks avec l'ardeur d'un cueilleur de coton. «Awite JJ !» Dans «Let's Go Boppin' Tonight», on savourera la parfaite rondeur du slap. Orville sonne comme un petit Elvis, il respecte l'esprit du rockab Sun à la lettre. Rien qu'avec ces deux titres, on grimpe directement au paradis.

 

a344group.jpg

 

Mais là encore, d'autres surprises guettent le badaud. Avec «Hillbilly Boogie Stomp», on change d'époque et de son. Orville lâche sa bombe boogie bardée d'entrain, il y a là de quoi faire sauter toutes les bananes du Texas. Train d'enfer et coups de violon ici et là. L'animal n'en finit plus de nous surprendre. Il pompe l'intro de «Folsom Prison Blues» pour son «Wells Fargo Trail» et «Tombstone Gun» sonne comme un magistral clin d'œil à Johnny Cash. Pour Orville, pas de problème : il a le bon timbre. Nash fait du Cash. C'est carrément du cinémascope. On sent la dramaturgie de la frontière, le poids de la violence et de la solitude, sous l'immense voûte étoilée. «Boogie Woogie Cajun Girl» est, comme son nom l'indique, un boogie violent, serré, malsain et vénéneux, superbe et hargneux, Orville se montre digne des plus crasseux péquenots venus enregistrer chez Meteor. Quand il lance «Awite Bobby !», le Bobby en question décoche un chorus meurtrier. Comme Jerry Lee, Orville Nash sait déterrer la hache de guerre au bon moment. Avec un titre comme «Hollywood Glamour Girl», Orville montre qu'il sait faire le crooner et ça passe plutôt bien, grâce au gras de l'accent américain. «Bourbon Street Belle» est solide comme ce n'est pas permis. C'est du garage-punkillbilly des enfers. Orville chevauche son riff sauvage à travers la plaine immense. Il sait faire monter la température. On a là un truc admirable, digne des grands hits d'Eddie Cochran. Orville envoie ça avec une sourde assurance. Il plonge au plus profond de sa glotte pour évoquer les bas-fonds de la Nouvelle Orleans. Avec ses quelques accents à la Jerry Lee et ses coups de baryton, Orville Nash casse la baraque. Aouh ! Il embarque «Warning Shadows» avec le tacotac de Johnny Cash et fait autorité. «Montana Wildcat» est digne de tous les juke-boxes de Tupelo : «I'm the Montana wildcat, I don't wanna seduce. You'd better treat me good, but since I met you honey, I wanna compromise !» Absolument génial. Pur jus. Un bopping trié sur le volet. Irrémédiablement brillant. «Bayou Beast» est une pièce rampante digne des Cramps. Dommage que Lux n'ait pas chopé cette abominable merveille de swamp pop. Good Lord ! Le festival se poursuit avec «Everyday Has His Day», un boogie blues violent et des plus spectaculaires. Vous ferez comme moi, vous vous pincerez pour être sûr que ce n'est pas un rêve.

 

Ce disque d'une incroyable qualité ne vous lâchera pas. À chaque réécoute, il mord encore plus profond dans le gras du mollet.

 

a553sweden.jpg

 

Les admirateurs d'Orville Nash sont gâtés, puisqu'il existe aussi un show filmé en Suède disponible sur DVD, «Live In Sweden». Ne vous fiez pas aux apparences. En voyant la photo ornant la pochette, on croit tomber sur un concert de country insipide. Orville tape dans son répertoire de reprises rockab, avec «Tongue Tied Jill», «Let's Go Bopping Tonight» d'Al Ferrier et «If I Had A Woman» de Mac Curtis, «from the King label», comme il le précise en guise d'introduction. Il tape aussi dans des merveilles du style «His Latest Flame» de Mort Shuman, rendu célèbre par Elvis et il s'en sort admirablement bien. L'animal sait crooner et on peut même dire qu'il excelle dans le genre. Orville Nash est un artiste complet. Avec ses syllabes mouillées et ses dérapages à la Jerry Lee, sa version d'«Ubangui Stomp» est probablement l'une des meilleures qui soient.

 

Héritier d'un passé prestigieux, cet homme sait se rendre accessible puisqu'il tourne partout en France. Si par chance il vient jouer par chez vous, allez l'applaudir. Vous goûterez au privilège de voir un très grand artiste, vous pourrez même discuter le bout de gras (en Français) avec lui après le set et vous lui ferez plaisir en lui achetant son CD et son DVD. Il vous les dédicacera et, un sourire malicieux au coin des lèvres, il dessinera un petit bonhomme dans le O d'Orville.

 

Signé : Le Marécageux Cazengler

 

 

Orville Nash. The Early Years. CD. www.orvillenash.com

 

Orville Nash & the High Jacks. Live In Sweden. DVD. www.orvillenash.com

 

Orville Nash with Mitch & Frank. Nashin' Around. LP Rolling Rock (Switzerland) 1990

 

 

C O U N T R Y

 

L E S  R A C I N E S  T O R D U E S

 

D U   R O C K ' N ' R O L L

 

 

 

N I C K  T O S C H E S

 

 

( A L L I A / 2 0 0 8 )

 

a555book.jpg

 

Avec ce premier livre de Nick Tosches, y a un truc qui cloche. Ce qui est sûr c'est que le bouquin est aussi tordu que les fameuses racines qu'il recherche. Part dans tous les sens. Rebondissement à chaque chapitre. Déjà un mal de coyote à fixer la ligne de départ. Commence par les premiers colons débarqués d'Angleterre. Mais il abandonne vite le tableau idyllique. 1607, paraît une bonne date, manifestement le millésime ne lui suffit pas. Si vous croyez en être quitte avec les vieux crin-crins d'Irlande, vous êtes loin de vous douter de ce qui va vous tomber sur le coin de la figure.

On se calme, l'on se retrouve en eaux connues, tous les groupes rockab l'ont à leur répertoire, Black Jack David de Waren Smith. Un pionnier, un vrai, de chez Sun, la reverbe, Sam Phillips, etc... vous connaissez la musique. Dommage, c'est les paroles qui sont importantes. Sont un peu moins bâclée que Baby, I love You, Baby I want you. Black Jack David invite une jeune femme mariée à délaisser son mari et ses petitous pour le suivre. Jusqu'où ? Jusqu'au bout. Dans les bois, dans la tombe.

a556livre.jpg

Snif ! Snif ! Waren Smith avoue qu'il a bâclé le titre sur un coin de table, au dernier moment. Comme beaucoup. Ce qui explique pourquoi de nombreux morceaux de rock'n'roll sont un peu mous du texte. Mais le Black Jack David se défend dans le lot. Normal nous dit Nick Tosches, l'a sorti de son cerveau le Waren mais l'était imbibé de tas de chansons populaires, anglaises et irlandaises et même américaines qui véhiculaient le même thème. Le problème c'est que les auteurs anonymes de ces ballades avaient eux-mêmes un peu trop démarqué les poètes romantiques de la grande culture british. Zoui, mais les Keats, Shelley, Byron, Lamb et toute la sainte famille étaient fortement influencés par les auteurs latins et grecs... Et que les aèdes Hellènes s'inspiraient de la figure originelle et mythologique d'Orphée... L'on ne peut pas accuser Nick Tosches de ne pas remonter assez loin dans son étude généalogique !

HONKY TONK

C'est après que ça se met à tanguer salement. L'on s'encanaille dans les Honky Tonk, Tosches batifole un peu dans l'étymologie. Pour honky je ne m'aventurerai pas, mais pour tonk du haut de ma profonde méconnaissance de l'argot américain je proposerais une allitération du mot tank, réservoir, ce qui me semble en harmonie connotative avec ce que l'on peut attendre d'un bar. Quoi qu'il en soit c'est Al Dexter qui composa en 1937 Honky Tonk Blues avec un certain James B. Paris. Plus tard Al Dexter composera tout seul, Pistol Packin Mama que reprendra Gene Vincent. Ne brûlons pas les étapes. Tout est question d'ambiance - dans les honky tonk, dans les années 30 et 40, on ne jouait pas du rock'n'roll, mais l'on avait déjà les deux premiers termes de l'équation, les filles un peu trop chaudes et l'alcool un peu trop raide. Ne fallait pas en conter aux marloufs qui fréquentaient ce genre de boîte, depuis les années 20 les chansons étaient déjà pleines de my baby rocks me, et croyez-moi qu'elles tricotaient surtout en-dessous de la ceinture...

a558al dexter.jpg

Tout le monde s'y mit, même le gospel connut ses réunions de Holy Rollers qui en proie à sainte transe chrétienne se roulaient par terre. L'histoire ne dit pas ce qu'ils faisaient exactement avec leurs soeurs après leurs cérémonies expiatoires, mais on peut supputer que les feux de l'amour divin devaient exacerber bien des frénésies... Surtout que ces fidèles n'hésitaient pas à saisir à pleines main des reptiles venimeux. Tonton Freud n'aurait pas hésité à parler de manipulations phalliques, les Holy Rollers eux déclaraient que leur foi les préservait de toute morsure intempestive. Même en leur accordant notre confiance nous ne pouvons nous empêcher de penser que dès que ça rolle un peu dans les coins, la queue du diable n'est pas très loin.

a559fats.jpg

L'on n'a pas encore hissé les couleurs. Indéniablement ce fut la population noire davantage délurée que la blanche un peu puritainement coincée du postérieur qui mit du rock'n'roll dans sa musique. Ensuite c'est un peu la couse à l'échalote, Fats Domino dès 1949, devancé de peu par Hank Williams en 1947, des titres épars certes mais en avance sur l'imminence de la nouvelle ère qui allait s'ouvrir : celle du rock'n'roll.

a560hank.jpg

Tosches n'est pas un fervent de Bill Haley, mais il fut la première star du rock'n'roll blanc, même s'il lui en coûte de l'avouer. En 1954, Rock Around the Clock passe inaperçu, l'aura droit à sa session de rattrapage lorsque son compositeur parviendra à le faire adopter pour le film Blackboard Jungle. C'est aussi en 1954 qu'Alan Freed baptise son émission de radio Rock and roll Party, l'année même où un certain Elvis Presley entre dans le studio Sun... Vous raconte pas la suite.

a561haley.jpg

Tosches s'attarde sur Jerry Lee... une trentaine de pages pour une biographie non-autorisée sur le Killer, je ne résume même pas, puisque j'ai dans les cartons le compte-rendu sur Hellfire le livre que notre auteur lui a consacré. Vous refilerai cela prochainement sur le site. Disons que nous avons droit ici à la première mouture de ce brûlot sorti tout droit de l'enfer. L'on termine en beauté avec l'évocation de Gene Vincent et la mort de Buddy Holly et les enregistrements d'un certain Thumper Jones. Cela devrait vous rappeler la dernière livraison ( N° 149 ) que l'inaltérable Cazengler a nécrologisée en l'honneur de George Jones, l'autre grand nom du country avec Johnny Cash et Lefty Frizzell... Le rock and roll vient de vivre ses meilleures années. Les ligues de vertu auront sa peau. En 1959, ce sera déjà la fin. L'est temps de remonter à ses racines.

a562jerry.jpg

OBSESSION

a563miller.jpg

Ce que c'est que de ne pas suivre l'ordre chronologique. Tosches s'attaque à une énigme qu'il résoudra dans un futur livre, Blackface, que nous avons chroniqué dans notre cent quarante-troisième livraison, sur la piste d' Emmett Miller le yodeleur fantôme qui influença Jimmie Rodgers... Nous ne sommes plus sur les racines tordues du rock'n'roll, l'aiguilleur Rodgers nous a mis sur la ligne qui conduit vers les sources de la country music. L'on repasse par des stations déjà visitées, Jerry Lee Lewis and Hank Williams. Pas pour rien que ces deux-là sont des monuments de la musique populaire américaine, soit ils ont crée, soit ils ont recréé, soit ils ont tout revisité.

L'ESPRIT ET LA LETTRE

 

a564davis.jpg

Dans la série plus-rock'n'roll-que-moi-tu-meurs ou la-country-a-tout-inventé, Nick Tosches redécouvre quelques chanteurs oubliés de par chez nous. Commence par Jimmie Davis, contemporain de Jimmie Rodgers qui ne se contentait pas de siffler les filles, regardaient de près dans leurs petites culottes et étaient un expert autorisé pour commenter les traces suspectes par de salaces lyrics à double-sens. Le sexe fut bien la première mamelle de la country.

Sur ses vieux jours Jimmie Davis se refit une nouvelle virginité en se croisant de la ceinture de chasteté de la religion. N'est pas le seul à se revendiquer d'une nouvelle naissance. Reportez-vous aux errements christologiques de Johnny Cash. La dérive de Roy Acuff n'est pas à dédaigner non plus. Mystique à ses débuts, religieux, républicain, rétrograde, raciste, anticommuniste, et j'en passe. Le chantre de l'idéologie arriérée qui présida aux destinées du Grand Ole Opry. C'est avec Roy Acuff que la country music se teinta d'une coloration idéologique white trash people qui pour beaucoup lui colle encore à la peau, même si depuis et avant elle a su se couvrir de bien d'autres oripeaux.

a565acuf.jpg

Faudrait pas que l'arbre de la morale cachât la forêt des sexes dressés et des buissons ardents de l'entrejambe féminine, dieu merci il existe tout un fonds de morceaux pornographiques des mieux lotis. Dans les années cinquante l'on assistera au retour du refoulé culpabilisateur, je suis triste j'ai trompé ma femme. Remarquez dans la vie il n'y a pas que le sexe, il y a aussi la drogue. Je vous rassure, les vedettes country ne sont pas restées insensibles aux séduction de la benzédrine. Et autres dérivés.

a566spade.jpg

Un dernier petit chapitre pour nous rassurer tout à fait. En 1961 Spade Cooley le roi du western swing force sa fille à le regarder tuer – lentement mais sûrement – sa femme qui le trompait... Nous sommes soulagés par ce merveilleux exemple. Tout comme le rock'n'roll, la country music charrie son lot de violence...

BLACK AND WHITE

Retour à la case départ. Ménestrel et Black Face. Durant tout le dix-neuvième siècle le violon est l'instrument roi. L'on retrouve dès 1737 la mention d'esclaves noirs jouant de l'instrument. L'on entend le roi de l'orchestre symphonique sur les premiers disques de blues, de Charlie Patton à Muddy Watters. De même les premiers groupes de jazz privilégient le violon avant le banjo et la trompette.

Ce sont les prédicateurs noirs qui firent reculer l'emprise du violon. Le jeu de l'archet sur le corps hanché et les miaulements obtenus devaient leur rappeler le pêché de chair, c'est pour cela que l'on commença par utiliser dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle la guitare dite hawaïenne dont on frotte les cordes avec un peigne. C'est que les mauvaises habitudes ne se perdent pas facilement. A l'archet turgescent l'on substitua le goulot de bouteille ou le tube de métal plus discrets mais qui permettaient toutefois de reproduire les bienheureux gémissements de la femelle en rut.

a567bob.jpg

Bottleneck pour les noirs, steel guitar pour les blancs, certains jouent assis en tenant la guitare couchée à plat sur leurs genoux. De cette pratique naîtra la pedal-steel guitar si caractéristique du son d'une certaine country grand public. Au début blues et country marchent ensemble, pas vraiment main dans la main, mais l'on s'inspire les uns et les autres et le hasard et la nécessité font qu'un chanteur blanc comme Al Dexter peut se faire accompagner par des noirs. Mais il ne faut pas exagérer, un jour de grande cuite Bob Wills embaucha un trompettiste noir qu'il congédia le lendemain matin sitôt les vapeurs de l'alcool dissipées. L'était plus facile pour un musicien blanc d'accompagner un chanteur noir. Rappelons-nous la surprise d'Eddy Mitchell lors de sa première session en 1967 au Muscle Shoals à Memphis, tous les musicos sont des blancs. L'avait pourtant engagé les session-men les plus réputés du Rhythm and Blues, à la Otis Redding.

a568mitchel.jpg

Encore un chapitre sur l'industrie phonographique, du cylindre au 78 tours à la création en 1947 d'Atlantic par Herp Abramson et Ahmet Ertegun et d'Aristocrat que les frères Chess rebaptiseront de leur patronyme en 1950... Plus un retour sur Emmett Miller, ce chanteur blanc au phrasé si noir...

BILAN

Si vous ne connaissez rien au Country, ce livre vous fascinera. L'est tout de même un peu fouillis, regorge de mille anecdotes passionnantes mais est construit un peu en dépit du bon sens. Est constitué de morceaux de bravoure qui ne s'articulent pas vraiment ensemble. Nick Tosches s'y cherche plus qu'il ne trouve. Work in progress.

A sûrement ouvert lors de sa première parution en 1977 une brèche dans la représentation iconologique que les amerloques se faisaient de la country music en tant qu'institution nationale. En ce sens-là, il a vieilli car nombreux furent ceux qui s'engouffrèrent par la suite dans l'ouverture. Mais pas toujours avec la même dévotion, et par trop souvent politiquement schématiques, du style le bon blues opposé à la mauvaise country.

Vaudrait mieux s'en référer à la version de How I Love Them, Old Songs de Gene Vincent sur son dernier trente-trois tours... En trois minutes toute la poignante beauté de cette musique est exhumée et jetée à la face du monde assoupi en ses stupides certitudes.

Damie Chad

REVUES

 

PERMAFROST. N° 1

NO EXIT / TOMAHAWK / HOBOES & WOBBLIES / CARYL FEREY / ALBERTINE SARRAZIN / PLUS QUE DES MOTS / VOL A L'ETALAGE / VIRGIL FINLAY / PUSTAKA SEMESTA / Zr / 4HCI... / ROCK AGAINST POLICE / SINGE DES RUES.

a569perma.jpg

Nom de Zeus, ils nous ont piraté deux articles, ah ! les infames capitalos, ah ! les dignes représentants de la bourgeoisie qui détroussent le travailleur inorganisé, Keep Rockin' Till The Next Time victime d'une OPA boursière, détroussé de plein fouet par un Hedge Fund de rédacteurs sans scrupules, mais que font les masses, pourquoi ne sont-elles pas dans la rue en train de brûler les coupables, mais où sont passés Bakounine et Ravachol ?

Calmez-vous cher Damie Chad, ce n'est pas ce que vous croyez, ce n'est pas le Grand Capital qui vous attaque, au contraire ce sont les gentils anarchistes, les sympathiques militants, les placides autonomes, qui diffusent gratuitement et sans contrepartie le contenu de vos colonnes ( du temple ) ( du rock'n'roll ).

Diantre, vous me rassurez, peuvent prendre tout ce qu'ils veulent, même que que je vais faire l'effort de tout lire. Cent pages, un pavé parisien en quelque sorte. Couverture en sérigraphie, et pagination à l'offset. Ne mettent même pas de prix dessus. Un vrai fanzine, une philosophie du non-profit très peu libérale.

 

N'ont pas le discours policé du Grand Orient mais sont franchement orientés. Dans le bon sens. Celui de la révolte et de la colère. Des lascars qui n'aiment rien, ni les prisons, ni les cages dorées ni les délices de la propriété privée. Ecoutent de la musique peu harmonique, entre punk et rap, lisent des romans policiers très noirs et sans sucre, mirent des images pas du tout sages, se préoccupent des démarches collectives, ont le souci du social, et parlent à tout moment de réappropriation.

Z'ont tout de même quelques beaux défauts. Qui jettent un froid. Pas pour rien qu'ils s'appellent Permafrost. Piaffent d'impatience. Ne théorisent pas. Sont pour l'expérimentation. N'aiment guère ceux qui se mettent sur leur chemin. Seraient du genre à se méfier de la police, à médire de la mentalité d'ilote des braves citoyens en route pour l'abattoir de l'école de Chicago, ne même pas mine de croire à la justice de classe. Des rebelles. Du front culturel. Car la pensée doit marcher main dans la main avec l'action.

A lire. Esprit rock & roll.

BLUES MAGAZINE. N° 69

Juillet-Août-Septembre 2013.

Petit format, moins de cent pages, bien illustré, se débrouillent tout de même pour donner un aperçu de l'actualité blues nationale. Pas cent pour cent franchouillarde car ils ne ratent jamais le bluesman venu d'ailleurs qui pose ses boots sur notre sol. Ce que j'apprécie chez eux, c'est la qualité des interviews, rien à voir avec ces pensums répétitifs qui sont le lot commun de toutes les revues de hard rock aux questions et réponses tellement interchangeables que j'ai de plus en plus de mal à finir leur numéro. Un peu comme si l'expérience blues laissait subsister une plus grande part d'individualité chez des artistes qui ne sont pas métallisés à la chaîne.

a570blues.jpg

Ceci dit, j'avoue avoir surtout tripé sur le troisième et dernier volet de la trilogie : Du blues dans le Rock'n'roll en Arkansas. Après Billy Riley et Sonny Burgess, un troisième pionnier est passé au détecteur. Ronnie Hawkins, nous vous en avons parlé dans notre livraison N° 145. Contents de nous, n'avions pas fait de boulette car la recension est assez fouillée, nous y relevons la figure initiatrice de l'oncle violoniste Delmar. Heureux homme – un peu trop porté sur la bouteille mais qui inspira à lui tout seul deux de nos pionniers, son fils Dale Hawkins, immortel créateur de Suzie Q, et Ronnie. Insiste un peu sur le travail de Ronnie chez Sun en tant que musicien de session, notamment pour Johnny Cash, Charlie Rich, Conway Twitty, jamais crédité car trop jeune. Et donne le numéro Roulette 4228 pour l'enregistrement de Bo Diddley en 1959, mais cette reprise ne peut être la création originale du morceau revendiquée par Ronnie Hawkins.

Les amateurs de blues ne manqueront pas Taj Mahal qui eut son heure de gloire dans les années soixante-dix, il raconte son parcours de bluesman qui s'en fut fricoter avec ses racines africaines.

SOUL BAG. N° 211

Juillet – Août – septeembre 2013.

Muddy Waters en couverture. Superbe article de Gérard Herzhaft. Huit pages irremplaçables. La carrière et surtout la personnalité de Muddy Waters résumée avec une élégance inégalable. Chaque phrase amène son lot de connaissances. Au passage notre auteur réhabilite la figure de John Work qui accompagna ( Voir KR'TNT N° 119 ) Alan Lomax dans ses pérégrinations dans le Sud et qui fut l'irremplaçable interface entre le petit blanc curieux et la communauté noire. Est-il utile de préciser qu'en plus de ses talents de musicologue John Work était noir ? Le vilain Lomax dans un souci de gloriole toute personnelle aurait mis l'étouffoir sur le rapport de son collègue qui ne sera publié qu'en 2005, juste soixante ans de retard !

a571soul.jpg

Quatrième ou cinquième chronique du coffret The Sun Blue Box que je vois passer ces jours-ci, mais celle de Christophe Mourot est la seule à apporter quelques connaissances. Ainsi, Sam Phillips n'aurait pas arrêté du jour au lendemain d'enregistrer des bluesmen sur son label, dès sa découverte de Presley. L'ai entendu dans une interview sur une radio déclarer que c'était-là son plus grand regret. Mourot explique entre autre que ce n'est pas une partie secondaire voire négligeable du travail entrepris par Phillips. L'a autant apporté par ses techniques d'enregistrement et son intelligence de la musique populaire au blues qu' au rock, même si ce sont les frères Chess qui hériteront de ses efforts. Le gros défaut de Sam Phillips – et cela nous le rend sympathique – aurait été son manque d'appétence pour les aspects financiers de son entreprise. Ne crachait pas sur l'argent mais était tellement obsédé par la dimension artistique qu'il aurait laissé passer bien des opportunités d'enrichissement. Notre homme d'affaires n'était point avisé.

Ai abordé avec circonspection l'article suivant : Le Blues en 100 Albums. Tiens coco, on a un trou si on se faisait une petite récapitulation discographique. Peu d'investissement et ça bouffe des pages à remplir quatre numéros. Mais non, ont bossé avec sérieux, pas moins de quinze collaborateurs qui nous ont pondu une véritable histoire chronologique du blues que nous avons droit de Bessie Smith à Shemekia Copeland.

Avec ces trois contributions nous sommes devant un numéro de référence, et nous n'avons feuilleté qu'un quart du gâteau. Je vous laisse découvrir le reste et les chroniques habituelles. Pour vous mettre une dernière fois l'eau à la bouche : deux pages, extraites d'un livre à paraître à la rentrée de septembre, sur Otis Redding à Paris. Salivez !

Damie Chad.

 

 

F r o m t h e A U S T I N D A I L Y H E R A L D

 

 

Sister of Ritchie Valens to perform with DC Drifters

 

in Albert Lea Saturday

 

Published 5:29am Tuesday, June 4, 2013

 

 

The relatives of a rock ‘n’ roll pioneer will bring the music of the 1950s back to life in an area town.Bird

 

Connie Valens — the sister of Ritchie Valens — will perform with the Austin-based Denny Charnecki and the DC Drifters at Eddie Cochran Days in Albert Lea. The concert starts at 7:30 p.m. June 8 at the Marion Ross Performing Arts Center.

 

The music will be mostly music from the 1950s, including classics from Valens and Eddie Cochran performed in 50s attire.

 

I’m just thinking it would be a great, great time for anybody,” Charnecki said.

 

Charnecki said he sees Valens’ participation as a stamp of approval on the band and its performances.

 

It’s really cool,” he said.

 

This year will be the 27th Eddie Cochran Days held in honor of the Albert Lea-born musician, who died at 21 of a car accident in 1960. Ritchie Valens also died young at age 17 in a plane crash with Buddy Holly in Iowa at 17 in 1959.

 

According to Charnecki, the Cochran and Valens families knew each other, and relatives from each attended the others’ funeral.

 

Charnecki said Connie Valens doesn’t answer many requests for performances, but she performed with Charnecki and the DC Drifters at the Surf Ballroom in February at the show marking her brother’s and Holly’s deaths.

 

Charnecki said this will be a special show for the band.

 

Every now and then, we get these special, special events,” he said.

 

Not only will the show offer a trip down memory lane to the hits of the 1950s, but Charnecki said she will also tell about being on set of the film “La Bamba.”

 

She’s got stories that are incredible about the ‘La Bamba’ movie,” he said.

 

 

ADAPTATION PROPOSEE PAR THOMER

 

 

LA SOEUR DE RITCHIE VALENS VA JOUER AVEC LES DC DRIFTERS

 

SAMEDI A ALBERT LEA

 

 

Publié dans le ''Austin Daily Herald'' le 04 juin 2013

 

 

Des proches d'un des pionniers du rock'n'roll s'apprête à redonner vie à la musique des fifties dans une ville de la région [ndtm: le Minnesota].

 

 

Connie Valens (la soeur de Ritchie Valens) accompagnera le groupe d'Austin Denny Charnecki et les DC Drifters pendant les ''Journées d'Eddie Cochran'' qui se déroulent à Albert Lea. Le concert débutera à 19h30 le 08 juin au Marion Ross Performing Arts Center.

 

Sera jouée principalement de la musique des fifties, dont des grands classiques de Valens et d'Eddie Cochran chantés en tenues d'époque.

 

« Je pense que ce sera un grand moment pour tout le monde », précise Charnecki.

 

Charnecki ajoute que le fait que Connie Valens participe à l'évènement représente pour lui l'approbation de la famille Valens sur ce que fait son groupe.

 

« C'est vraiment cool ! »

 

 

Cette année auront lieu les 27ème ''Journées d'Eddie Cochran'' en l'honneur du musicien né à Albert Lea, décédé en 1960 à l'âge de 21 ans dans un accident de voiture. Ritchie Valens également est mort jeune : d'un accident d'avion dans l'Iowa en 1959, en compagnie de Buddy Holly. Il avait 17 ans.

 

 

Selon Charnecki, les familles Valens et Cochran se connaissaient, et des membres de chaque famille ont assisté aux deux enterrements.

 

 

Connie Valens ne répond pas à énormément de demandes de spectacle, selon Charnecki, mais elle a chanté au Surf Ballroom en février dernier avec les DC Drifters, durant un show en mémoire de son frère et de Buddy Holly.

 

 

Le show à venir sera très spécial pour le groupe de Charnecki.

 

 

« De temps à autre, on fait ce genre d'évènement vraiment, vraiment spécial. »

 

 

Le concert offrira non seulement un voyage au cœur des hits des années cinquante, mais Connie parlera également de son expérience sur le plateau du film ''La Bamba''.

 

 

 

« Elle a des histoires incroyables à raconter sur le film ''La Bamba''. »

 

 

 

 

13/06/2013

KR'TNT ! ¤ 148. GEORGE JONES / UNDERSTONES / KING BAKERS COMBO

 

KR'TNT ! ¤ 148

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

13 / 06 / 2013

 

 

GEORGE JONES / UNDERSTONES / KING BAKERS COMBO

HEROS OUBLIE DU ROCK'N'ROLL / BOOKS

 

 

G O R G E O U S   G E O R G E

 

a468jones.jpg

 

Peut-être vous souvenez-vous de ce road movie très particulier intitulé «Une Histoire Vraie» («The Straight Story», tiré pour le coup d'une histoire vraie), et tourné par David Lynch en 1999. Particulier, oui, car pendant deux bonnes heures, on voit un papy de soixante-dix ans nommé Alvin Straight rouler en tondeuse à gazon sur les routes américaines et franchir plusieurs frontières d'États. Grosso modo, c'est dans le même esprit que «Easy Rider», came, vitesse, cuir et violence en moins.

 

Alvin Straight entreprend ce périple, car il doit aller voir son frère tombé gravement malade avant qu'il ne disparaisse. Comme il n'a pas de teuf teuf, il remet sa tondeuse en état. Tirant derrière lui une remorque, Alvin Straight parcourt cinq cents bornes sur sa bécane, serrant au mieux le bord des routes et tout le monde le double, évidemment. Il n'avance vraiment pas vite. Aussi doit-il souvent s'arrêter la nuit pour bivouaquer. Et là on rentre dans la petite mythologie des bivouacs d'Alvin Straight. On entre là dans ces moments cinématographiques tellement marquants qu'on s'empresse chaque fois que l'occasion se présente de les reproduire. La moindre occasion est bonne pour bivouaquer sous les étoiles et trinquer à la santé d'Alvin Straight.

 

a465jones.jpg

 

George Jones roulait lui aussi en tondeuse à gazon, mais il n'a pas dû croiser Alvin Straight car ils ne vivaient pas dans la même région. Quand madame Jones en avait assez de voir son mari pompette du matin au soir, elle planquait les clés des voitures pour l'empêcher d'aller picoler au rade local situé à plusieurs kilomètres. Comme tous les ivrognes, George grouillait d'idées tordues et il quand il vit que son épouse avait omis d'enlever la clé sur la tondeuse, une petite ampoule s'alluma au dessus de sa tête.

 

Voilà pour l'anecdote. Hélas, l'histoire retiendra surtout une chose de George Jones : sa consommation gargantuesque d'alcool. Mais fort heureusement, le grand George brille au firmament des amateurs de rockab pour des raisons plus intéressantes.

 

a466.jpg

 

Il fait partie des rares chanteurs blancs que respectait Jerry Lee. Comme Jerry Lee appartient à la caste des seigneurs de l'histoire du rock américain, on en déduira que Georges Jones appartient lui aussi à cette caste, et il suffit de l'écouter chanter (même sur l'un de ses innombrables albums country) pour s'en convaincre définitivement.

 

Comme tous les petits mecs de sa génération, le jeune George est vite démangé par le rock et il commence sa carrière chez Starday, pas moins. Craig Morrison (l'auteur de «Go Cat Go !») pense que le jeune George commença à chanter du rockab lors d'une tournée avec Buddy Holly en 1956 (accompagné sur scène par Buddy et son gang, pas moins).

 

a467cimetière.jpg

 

Doté d'un organe superbe, George Jones va rapidement devenir une star de la country, à Nashville. Mais comme d'autres country-singers nashvillais, il s'intéressait de près au rockab et ne voulant pas perturber son public country (et surtout ne pas se griller - À Nashville, on n'appréciait pas trop la musique des bouseux du Tennessee - Johnny Cash explique à quel point il a eu du mal à se faire accepter à Nashville, lui le péquenot de Memphis), il se fit appeler Thumper Jones pour enregistrer l'un des meilleurs singles rockab de tous les temps (Max Décharné et Craig Morrison sont catégoriques sur ce point) : «How Come It/Rock It». Mais hormis la voix qui déjà impressionne par sa qualité, le jeune Jones fout le paquet : il démarre «Rock It» sur de beaux chapeaux de roues, on le voit nettement hocher le menton et secouer les épaules. Et cette rage ! Un vrai punk avant l'heure. Il sait sonner la charge. On le sent beaucoup plus énervé qu'Elvis ou Carl Perkins. «How Come It» est encore plus racé. Voilà ce qu'on appelle la pure élégance rockab. Il sait hurler et plaquer de grands accords secoués de reverb.

 

a470country.jpg

 

Pourtant, avec sa bobine, il n'avait quasiment aucune chance de plaire aux filles. C'est même le contraire. Berk. Il ressemble à un capitaine de gendarmerie coiffé à la brosse, le même que ceux qui hantent les reportages des télés régionales. Il a des oreilles énormes et l'air un peu placide. On est aux antipodes du glamour d'Elvis ou d'Eddie Cochran. Il semble que son allure cautionne la dimension anecdotique du personnage. Trombine, patronyme, il semble avoir tout faux. Un peu comme Jacques Brel à l'époque de ses débuts en France. Zavez pas vu la gueule de la brêle ? Comme les gens sont méchants...

 

george_jones_petit.gif

 

Grâce à Crypt, j'ai eu la chance à une époque de mettre le grappin sur une espèce de compile intitulée «Rock It» et parue sur Encore. Désormais basée à Hambourg, l'équipe de Crypt propose depuis pas mal de temps un choix de disques triés sur le volet et classés par genres (D'ailleurs on retrouve toutes leurs nouveautés chez Born Bad). Quand on va dans le bac rockabilly, on tombe sur ce genre de merveille qu'est la compile rockab de George Jones

 

a469rockit.jpg

 

Et là, comme dirait Gide, des nourritures délicieuses attendaient que nous eussions faim. Et d'autres termes, des surprises de taille guettent les curieux.

 

Aussitôt après «Rock It» et «How Come It», «Maybe Little Baby» saute à la gorge. George Jones a la même classe que Charlie Feathers. Certains iront penser que c'est kif kif bourricot. Grossière méprise, Jiving George a un style bien défini. Il enrichit considérablement le son de ses morceaux. En plus du slap, il fait jouer un pianiste diabolique, alors que la messe est déjà dite, puisque tout repose sur sa voix et sur son jeu de guitare, comme chez Carl Perkins.

 

a471whithe.jpg

 

En entendant sa reprise du «White Lightning» de Big Bopper, on comprend pourquoi Gene Vincent et Eddie Cochran ont flashé sur ce morceau. La chanson est une ode aux bouilleurs de cru clandestins, comme toujours planqués dans les collines, cette fois en Caroline du Nord (les Drive-By Truckers rendent des hommages similaires aux bouilleurs clandestins de l'Alabama). «Mighty, mighty pleasin, pappy's corn squeezin'/Wshooh ! white lightnin' !» (c'est l'histoire de Papa qui fabrique son alcool de maïs, un puissant remontant). C'est construit comme «Whole Lotta Shakin'», mais ça fonctionne. Jumping George met le paquet. Il est LA VOIX. Il peut créer des climats. Ce genre de morceau n'a rien de novateur, mais c'est bien ficelé, admirable de mise en place, un peu sucré et tout en relief. Quand on examine la bandoulière de sa guitare, telle qu'elle apparaît sur la photo en noir et blanc à l'intérieur de la pochette, on voit à la suite de son nom gravé dans le cuir deux grands éclairs blancs. Aucun doute, là-dessus, Jolly George ne chantait pas ce morceau par hasard. «Who Shot Sam» sonne comme un hit de Chuck Berry. Jovial George ressort le coup du baryton après le break, comme dans «Summertime Blues». Il raconte l'histoire de Silly Milly qui bute Sammy d'un coup de forty-four, un samedi soir dans un honky-tonk de la Nouvelle Orléans. Normal, puisqu'ils avaient sifflé du white lightning. Qu'on se rassure, ce genre d'incident rock'n'rollesque n'est pas spécifique au Sud des États-Unis. On a eu les mêmes dans nos bonnes vieilles campagnes, au bal du samedi soir, quand le gros Jojo allumé au calva de derrière les fagots allait récupérer sa serpette planquée dans la sacoche de sa mobylette pour régler le compte du petit rabouin qui draguait la Giselle.

 

a473cad.jpg

 

Avec sa reprise de «Heartbreak Hotel», Jubilant George s'attaque à un gros poisson. Il s'en sort avec brio. Il se révèle aussi vénéneux qu'Elvis et même peut-être plus insidieux. Glorious George devient un héros. Sur certains passages, il manque de profondeur, mais sa voix couvre une palette plus étendue que celle d'Elvis. Il envoie ensuite «Boogie Woogie Mexican Boy», une jolie pièce d'americana tex-mex, à faire pâlir d'envie Doug Sahm. Genius George s'y révèle un fantastique guitariste. Sur «Root Beer», il démarre avec des po-po-po-pom extravagants. Il bascule dans le kitsch. Il nous régale d'une belle chanson à boire digne des Coasters et il balance un solo d'une simplicité enfantine, presque maladroit, puis il reprend le fil de sa péroraison. Il hoquette comme s'il était soul. Generous George étend son registre vocal à l'infini. Il y a quelque chose de sidérant chez ce type. Il semble ne pas pouvoir contrôler son exubérance. Et lorsqu'on découvre un artiste, c'est vraiment le genre de constat qu'on adore pondre, car il faut bien avouer que ce genre de phénomène se produit rarement. George Jones est un rocker excitant, qui se renouvelle à chaque morceau et qui n'en finit plus d'épater, un peu comme savent le faire dans leurs registres respectifs  les Rivingtons ou Bo Diddley, ou dans un genre totalement différent, Robert Pollard. Si on voulait tenter de qualifier cette forme d'exubérance innovante, on pourrait employer le terme de modernité.

 

Il tape à nouveau dans le répertoire de Big Bopper, avec «Running Dear», une pièce superbement swinguée, bien emmenée, jouissive et même rockab par endroits. Il souligne son chant d'un gimmick de guitare mélodique. Il sous-tend son affaire, il reste admirable de conscience professionnelle. «Little Boy Blue» sonne comme un énorme classique du slap. La guitare suit le chant avec un son élastique absolument fantastique. Même Liam Watson, le célèbre patron du Toe Rag Studio à Londres, ne pourrait pas reproduire un son pareil. George Jones se révèle de plus en plus surprenant, et même fantastique. Si on osait, on pourrait le surnommer le Mac Orlan du rockab.

 

a472race.jpg

 

«Revenoover Man» sonne les cloches à la volée. Voilà un rockab parfait, monté sur des petites descentes structurelles à la Eddie Cochran. Gadjo George pose sa voix avec une aisance ahurissante. Il est le prototype de l'artiste complet. Il interprète chacune de ses chansons à la perfection. On a autant de plaisir à l'écouter qu'on en a à écouter Johnny Horton ou Charlie Rich. «Slave Lover» sonne comme un hit de Gene Vincent. Pour l'occasion, Juicy George sort sa voix rauque. Slave love, that's what I am ! Le message passe bien. Attention, «Gonna Come Get To You» s'envole sur des tapis de violons pour une séquence de pure americana, avec un joli brin de slap dans le fond du décor. L'espace d'un instant, George Jones devient le roi du Texas des westerns, une sorte de Tom Mix coiffé d'un balai brosse. Il pousse le bouchon très loin, plus loin que les autres Texans, notamment Buddy Holly, qui n'était pas avare de modernisme. George Jones est un rocker brillant, ça finit par crever les yeux. On sent chez lui la mâle assurance de Jerry Lee et un goût immodéré pour le kitsch hollywoodien du western, mais un goût qui serait authentifié par l'appartenance à la culture sudiste. Impossible de trouver un mauvais morceau sur ce disque. Les morceaux lents sont de purs régals d'interprétation, un peu comme le sont les morceaux que reprend Johnny Cash sur ses quatre derniers albums, sortis ces dernières années sur American Recordings, le label de Rick Rubin.

 

a474lost.jpg

 

Malgré sa bouille d'ingénieur polytechnicien, George Jones inspire confiance. Pour «You Gotta Be My Baby», il fait à nouveau envoyer des violons grinçants dignes du «Heaven's Gates» de Michael Cimino et il ressort les petites ficelles d'Eddie Cochran. Avec «Eskimo Pie», on maintient le cap du rockab exotique.

 

«No Money In This Deal» sonne dès la première note comme un immense classique (un de plus !), arrosé de nappes de violon spectaculaires et soutenu par un riff de guitare que nous qualifierons d'historique, suivi d'un jeu de piano à la Duke Ellington. De quoi s'effarer pour de bon. Et comme si cela ne suffisait pas, il balance dans cette merveille absolue un solo de guitare hawaïen. Franchement, on n'en croit pas ses oreilles. «Done Gone» est du pur rockab, même un peu énervé. Il place au chœur de cette nouvelle dinguerie un solo de guitare dévastateur. Et ça continue comme ça jusqu'à la fin. Inutile de compter sur une pause.

 

a475lone.jpg

 

Pauvre George. Il vient de casser sa pipe. Alors, pour saluer la mémoire de ce bougre de Texan, écoutez l'un de ses disques et vous ne serez pas surpris de constater que ses interprétations font de lui l'un des artistes les plus fascinants de son époque.

 

 

Signé : Cazengler, endeuillé comme pas deux

 

 

T H E   U N D E R S T O N E S

 

 

L A  M A R O Q U I N E R I E / P A R I S X X

 

2 9 / 0 5 / 2 0 1 3

 

 

L E S  U N D E R S T O N E S  E N  F O N T  D E S   T O N N E S

 

 

Pour les gens qui avaient entre 15 et 25 ans en 1978, quel était le hit le plus fédérateur, le plus digne d'incarner la flamboyance de la jeunesse éternelle, le hit rock auquel tous les kids des deux côtés de la Manche pouvaient s'identifier ? «No fun» ? «New Rose» ? «Kick Out The Jams Motherfuckers» ? «Blank Generation» ? «God Save The Queen» ? «Born To Lose» ? «Shake Some Action» ? «White Riot» ? Jolis morceaux, certes, mais celui qui emportait le cœur, la bouche et tous les suffrages, c'était bien entendu «Teenage Kicks» des Undertones.

undertones_petit.gif

 

Nous possédions encore à cette époque des postes de radio qu'on pouvait trimballer partout. Quasiment identiques à ceux qui nous permettaient d'écouter treize ans plus tôt le hit-parade de SLC aussitôt rentré à la maison pour y choper «The Last Time», ce tube des Stones qui nous donnait le frisson mortel, ou encore «My Generation» des Who qui nous faisait croire qu'on était les rois du monde. Il fallait savoir bégayer pour chanter ce truc-là : People try to put us d-d-d-down...

 

Pourquoi treize ans (plus tôt) ? Parce que cette période de l'histoire du rock est tellement prolifique qu'il faut rester précis. Comme dirait Antoine Blondin, ça dégueulait de partout. C'est aussi l'époque où toute l'information rock (la seule qui pouvait nous intéresser, est-il utile de le préciser ?) transitait par le transistor.

a485kickep.jpg

 

Et en 1978, on réglait encore délicatement les fréquences sur ces postes de radio. L'idéal était de capter Radio One pour y choper John Peel. Pas facile, il était sur les ondes moyennes. Ça craquotait, mais on dressait nos oreilles de lapins pour récupérer le son de sa voix le mieux possible et surtout essayer de comprendre ce qu'il baragouinait. John Peel était le grand découvreur devant l'Éternel. Tous ceux qui prétendent posséder une vraie culture rock avouent humblement qu'ils lui doivent tout. Gedge, le chanteur du Wedding Present, raconte quelque part qu'il n'aurait jamais pensé à monter un groupe s'il n'avait pas découvert l'émission radio de John Peel. Aucun autre homme de radio n'est jamais arrivé à la cheville de Peely et aucune émission de radio n'a eu un tel retentissement auprès des fans de rock. On a eu cette chance incroyable de pouvoir l'écouter chaque soir pendant des années. On parle ici d'une forme de dévotion. Quand le premier album des Ramones est sorti en 1976, Peely l'a diffusé dans son intégralité, d'un trait, ce que personne n'avait jamais osé faire avant lui. On idolâtrait littéralement John Peel. On le savait proche de Captain Beefheart et de Marc Bolan. On le savait curieux de reggae et de rock allemand. On le savait fan des Misunderstood et de Gene Vincent, de Mark E. Smith et de Medecine Head.

a481kick.jpg

 

La presse anglaise proposait les paroles et John Peel offrait la musique. Grâce à lui, on mettait un son sur ce que racontaient les journalistes. Ils avaient drôlement intérêt à faire gaffe. Et puis John Peel savait trancher. Il avait un flair infaillible. Il était tout bonnement impossible de rater son émission. Je me souviens du soir, où avec sa morgue habituelle, il présenta d'une voix monotone les quatre titres d'un nouveau groupe de morpions. And now, the Undertones, from Derry...

a516und.jpg

 

Intro guitare, voix suraiguë : «C'est vraiment pas facile d'être ado. Chaque fois que je vois cette fille marcher dans la rue, je veux l'avoir. C'est dingue ce qu'elle me plait.» Puis ils attaquent le refrain : «Je voudrais te serrer, ouais, te serrer très fort contre moi. J'en ai la trique la nuit entière.»

 

Ils vont attaquer le deuxième couplet et déjà on brame à tue-tête. «I wanna hold you wanna hold you tight !» L'histoire de la jeunesse n'est qu'une interminable histoire d'amour charnel à l'état le plus pur. Le rock n'a d'autre fonction que de nous ramener à cette évidence.

a517und.jpg

 

Comme Iggy dans «No Fun», Feargal décroche son téléphone : «Je vais l'appeler au téléphone. Je vais lui demander de venir chez moi car je suis tout seul. Elle m'excite, c'est dingue ce qu'elle m'excite, c'est la plus belle fille que j'ai jamais eue !» Et là, le refrain nous retombe sur la gueule, comme un déluge divin. On se retrouve secoué de frissons, à bramer par la fenêtre : «I wanna hold you wanna hold you tight !» Jusqu'à la fin des temps, on voudrait continuer de bramer I wanna hold you wanna hold you tight et bander comme un âne en pensant à celle qui fut à une époque notre véritable amour de jeunesse.

 

«I wanna hold you wanna hold you tight !» C'est exactement ce qu'on bramait l'autre soir à la Maroquinerie. Les Undertones l'ont même joué deux fois. La petite foule hurlait comme un seule homme : «I wanna hold you wanna hold you tight !» «I wanna hold you wanna hold you tight !». On partage rarement des moments d'une telle intensité, dans une salle de concert. Quelque chose de très pur se mêlait au paganisme ambiant. C'était très différent de l'ambiance qui régnait aux concerts des Stooges, où le public reprenait en chœur tous les classiques jadis composés par Ron Asheton. Avec les Undertones, on se trouvait dans un monde magique, celui que ces petits mecs d'Irlande du Nord avaient créé de toutes pièces avec leurs petits doigts, leurs petites têtes et leurs petites guitares. Et quand on a la chance de les voir jouer sur scène, on ne peut faire qu'une seule chose, excepté bramer à la lune : les adorer. Ils sont tout simplement stupéfiants de simplicité, alors qu'ils ont largement de quoi rivaliser avec Chuck Berry, car ils sont eux aussi une véritable usine à tubes. Pendant deux heures, ils alignent les uns après les autres des hits planétaires tous plus acidulés les uns que les autres, et on croyait que ce privilège était réservé au grand Chuck, celui qu'affectueusement on surnomme le juke-box à deux pattes. Les Undertones font claquer au vent l'étendard de leur modernité, ils démarrent leur set avec «Jimmy Jimmy», un hit que tout le monde connaît puis ils enfilent les perles une par une, «Here Comes the Summer» (radieusement juvénile), «Jump Boys» (avec un accent qui fait penser à un bonbon exotique), puis plus tard «You Got My Number» (pulsé comme pas deux à coups de wanna-wanna-wanna), «Family Entertainment» (rutilant comme un jouet chromé) «My Perfect Cousin» (parfaite trépidance), «Much Too Late» (pépite garage effarante), «Listening In» (tressauté jusqu'à l'overdose), «When Saturday Comes» (qui rappelle étrangement «Paint It Black»), «Runaround» (trop sucré pour être honnête), «Get Over You» (un classicisme infaillible qui rappelle les Heartbreakers) et comme si cela ne suffisait pas, ils firent deux rappels, histoire de bien enfoncer leurs petits clous inoffensifs (on est aux antipodes des gros clous utilisés par les Romains pour crucifier leurs victimes). On a eu du rab avec des versions mirobolantes de «Male Model» (train qui fonce dans la nuit, sous des arches de chœurs fluorescentes), de «True Confessions» (sec et aride comme la biscotte post-punk), de «Hypnotized» (presque arrogant par le chant, tout juste un hymne, enfin quelque chose d'irrésistible, dans la plus pure veine undertonienne), de «Let's Talk About Girls» (leur reprise pétrie d'ingénuité). Pour le second rappel, nous fûmes une nouvelle fois conviés à bramer «I wanna hold you wanna hold you tight !» et ce n'est rien de dire que l'émotion finissait par bouleverser les plus coriaces d'entre nous. 

a518und.jpg

 

Ces cinq mecs sont restés les morpions d'il y a 35 ans, en tous les cas est-ce ainsi qu'il faut les voir. De la même façon qu'on se voit toujours comme un ado dans la glace de la salle de bains. Et pour une fois, la réalité ne nous fait pas mentir : les deux frères O'Neill sont restés exactement les mêmes, Damian à droite de la scène et John de l'autre côté sur la gauche, encadrant le reste du groupe comme les deux piverts d'un conte magique, le nez pointu, des petites lunettes à verres fumés, des petites corpulences, des petits cheveux, une petite Gibson Les Paul jaune pour Damian, une petite Gibson SG rouge pour John, des petites fringues ordinaires, des petits jeans noirs au noir passé à force de lavages, des clarks bien propres aux pieds, un polo noir pour John et une chemise ouverte sur un t-shirt noir pour Damian, et ils ont dans les pattes le meilleur riffage d'Irlande, et très certainement l'un des plus joyeux du monde. Ils se complètent comme seuls des frères peuvent se compléter. Ils conservent le même entrain qu'à leurs débuts, ils sont là pour jouer les chansons qu'ils ont composé dans leur chambre et ils ne se doutent même pas que ce sont des tubes, tellement ils sont inoffensifs. Mais le public chante avec eux, alors, ils doivent bien se rendre à l'évidence. On comprend que pour eux, ce n'est pas simple. Chez eux, la pureté revêt l'apparence de la timidité.

a488story.jpg

 

Derrière se démène Billy Doherty, rouge comme un tomate, avec l'épi de cheveux raides tombé sur le front, qui fait penser au petit gros qu'on oblige à courir sur le terrain de football et qui dit tout le temps qu'il n'en peut plus et qui souffle comme un bœuf, mais Billy continue de battre comme un chef, à sa façon, jazz-punk à cause de sa main droite tournée à l'envers comme celle de Gene Krupa, il joue à fond la caisse, soutenant un rythme aussi insoutenable que celui des Ramones, jamais un morceau lent pour souffler, on observe Billy et on se demande combien de temps il va tenir, on craint pour son petit cœur, mais Billy joue dans les Undertones et il ne lâchera pas l'affaire comme ça. Il revient pour les deux rappel et c'est lui qui va saluer le public le plus chaleureusement. On n'en revient pas de voir des morpions aussi gentils et aussi talentueux.

a487cousin.jpg

 

Il reste les deux plus grands. Les grands dadais du groupe, d'abord Michael Bradley, le bassiste, qui ne quittera pas sa veste en jean de tout le concert. Il joue sur une belle basse Rickenbacker et il n'en fait pas trop, il joue les mêmes dominantes depuis toujours et il ressent lui aussi une fierté inavouable à jouer les morceaux composés par les deux frangins piverts. Michael a un faux air de Jerry Lewis, il fait tout son possible pour se faire passer pour un gamin décontracté mais quelque chose de très sombre prend le dessus. Il fait parfois des commentaires en prenant bien soin d'accentuer son accent irlandais et pour se faire pardonner, il cherche à fabriquer quelques phrases en français. Admirable de sobriété, dans son jeu comme dans sa présence scénique, il montre à ceux que ça intéresse comment on fait pour jouer dans un groupe : jouer les chansons, rien que les chansons. Tout le reste n'est que littérature, comme disait Verlaine.

a486affich.jpg

 

L'autre grand dadais, c'est la pièce rapportée. Comme Feargal faisait son boudin et qu'il ne voulait pas revenir jouer dans le groupe avec ses copains d'enfance, alors les autres ont fait signe à Paul McLoone. Curieusement, Paul peut chanter comme Feargal, d'une voix souvent suraiguë et puissante, une belle voix pop parfaitement adaptée aux hits que pondent les deux piverts de génie. Alors Paul arrive sur scène en jean moulant et en petit blouson de sky noir, celui qu'on met pour rouler en mobylette. Et il prend son rôle de remplaçant très au sérieux, il bouge énormément, secoue les épaules et les hanches, il fait parfois son Travolta puis saute en l'air comme Pete Townshend, mais pas aussi haut, et met dans l'interprétation des chansons toute la rage adolescente dont il est capable. Et il finit par faire oublier cette petite teigne de Feargal, ce qui est en soi un véritable exploit. Le public l'adopte et Paul lui retourne la politesse en mettant toujours plus d'enthousiasme dans son chant. Il finit même par être aussi rouge que Billy la tomate, qui bat le beurre derrière lui, et il emmène les Undertones au firmament pop, avec une admirable constance de pièce rapportée. Il s'investit tellement qu'on finit par le trouver excellent, alors qu'au début du set, on s'agaçait de ses manières. Il se révèle sous son vrai jour, inspiré, et même porteur de flambeau patenté. Il finira par nous mettre définitivement dans sa poche avec la seconde version de «Teenage Kicks», épaulé pour les chœurs par Damian et de Michael, eux aussi bien conscients de vivre un moment clé de l'histoire de l'humanité.

 

 

Signé : Cazengler, adolescent attardé.

 

 

 

The Undertones. Teenage Kicks - The Very Best of the Undertones. Salvo 2010

 

L'illustration : de gauche à droite : John, Damian, Feargal, Billy et Michael.

 

PARIS 11 / BROC'N'ROLL

 

 

espace Vintage Swing / 09 – 06 – 13

 

 

KING BAKER'S COMBO

 

a496affiche.jpg

 

Pas vraiment la foule des grands jours au Cour Debille. C'est que les rockers sont fatigués. Se sont couchés tard, pardon très tôt. A mes côtés Mister B marche comme un zombie, est rentré à six heures du mat et je l'ai réveillé à douze heures tapantes pour lui proposer la sortie parisienne. N'avait qu'à pas aller à l'autre bout de la planète, à La Chapelle Serval, assister au 4° Rockabilly Festival, et en plus il me fait râler “ Y avait plein de monde, et plein de supers groupes anglais”. Désolé petit père mais moi j'étais ailleurs sur scène, avec un cheval qui jouait les mustangs sauvages des westerns, alors tes britishs... Bref ce dimanche après-midi, les cats ronronnent sous la couette douillette, à cinq heures du soir l'on n'en compte qu'une infinitésimale poignée aussi frais que des gardons sortis de l'eau depuis quinze jours.

 

a490turky.jpg

 

 

Je vous épargne la visite des étalages. Déjà qu'une broc sans stand de disques c'est un peu comme une Harley Davidson sans roues, même un épouvantail à moineaux refuserait de se vêtir avec les frusques censées réveiller nos concupiscentes pulsions de consommateurs frénétiques. Enfin, l'en faut pour tous les goûts... Ma fille – eh oui bande de chacals j'ai une fille belle et intelligente comme son père – en profite pour féliciter Turky – l'organisateur – de son petit mot à l'adresse des nazillons sur son facebook suite à l'assassinat de Clément Méric. Si les rockers se mettent à faire de la politique, où allons-nous ma bonne dame ?...

 

 

THE KING BAKER'S COMBO

 

a497affiche.jpg

 

Le King Baker's Combo prend place en l' exigu espace imparti au concert. Deux figures connues, Vince qui officie aussi dans Hoochie Coochies et Burnin' Dust, Jim de Jim and The Beans, Carlito l'ancien gérant des Indians à Montreuil, et Blanco que je découvre.

 

 

Carlito officie à la batterie. Mais la messe est déjà dite. Marque la mesure, mais n'en fait pas plus. Assure le minimum syndical. Encore un qui a dû passer une nuit agitée. Heureusement que les trois autres bossent pour six. Vince astique sa double bass avec beaucoup plus de frénésie. Pas de soli à proprement parler mais de délicieux moments où l'on n'entend plus que lui avec les cordes qui rebondissent comme des balles de tennis. Souque ferme. Donne l'assise rythmique et propulse le combo en avant.

 

a491blanco.jpg

 

Pour les guitares c'est un vrai régal. Jim à la sèche électrifiée et Blanco sans cable, en acoustique. Doivent assurer un max pour donner une épaisseur au son. Jim, l'esprit un peu ailleurs, fermerait les yeux avec plaisir, semble tenir debout par la grâce de ses doigts qui s'appuient sur les cordes. Mais jamais au même endroit, s'agitent et gigotent de tous les côtés. Et comme Blanco n'est pas en reste non plus, à eux deux ils mènent un boucan d'enfer. Parfois ils se regardent, du genre “ Ah ! Je t'ai eu coco, tu ne t'y attendais pas à celle-là” et ils repartent avec encore plus de fougue. Tension roots à toute épreuve.

 

a492blanco.jpg

 

Mais la grenade sur le gâteau, c'est la voix de Blanco. Un mélange de hargne et de rage. Après son Long Blond Hair de Johnny Powers impossible de s'amouracher d'une brunette aux cheveux courts, en donne un vocal que l'on peut dire définitif tant sa voix colle à son jeu de guitare. C'est là un des grands secrets du rock, l'important ce n'est pas de faire mieux que, mais de trouver d'instinct la plus parfaite adéquation entre l'idée que l'on se fait d'un morceau et son interprétation personnelle.

 

a493jim.jpg

 

Un Long Black Train de Conway Twitty sec et nerveux comme un crépitement de winchesters et une superbe reprise de Tired and Sleepy d'Eddie Cochran que je qualifierai d'intelligente tant on sent que Blanco se l'est appropriée. Font vite l'unanimité, auprès des danseurs comme des amateurs.

 

a494nous.jpg

 

Plouf ! Dix superbes petites pépites et le set est déjà terminé. Heureusement qu'ils rajoutent très vite qu'un deuxième passage est prévu. L'on a frôlé la prise d'otages. Faut pas habituer le public aux trop bonnes choses, il s'y habitue très vite. L'intermède sera un peu trop long ( mais pas du tout blond hair ) à notre goût. Enfin ils reprennent leurs instrus.

 

a495king.jpg

 

Sont encore meilleurs qu'au premier set. Davantage rentre dedans et vitesse rapide. Nous envoient pour commencer un Rock Crazy Baby d'Art Adams entre les dents et ne baissent plus la garde jusqu'à la fin. Somptueuses parties de grattes sur All I Can Do Is Cry qui donne davantage envie de sauter au plafond que de pleurer. Le chant de Blanco est bien plus rockabilly que celui de Wayne Walker trop entaché de proximités countrisantes. Suivront un Blue Jean & A Boy Shirt de Glen Glenn à vous rendre zinzin et un Gone, Gone, Gone vers la fin pour nous avertir qu'ils vont eux aussi partir. Turky implore un rappel. Nous l'aurons, mais les rockers sont fatigués. Ne nous donneront pas plus.

 

 

Enfin on garde le souvenir de deux sets magistraux habités par la grâce, l'unique soleil de ce dimanche pluvieux.

 

Damie Chad.

 

( Photos récupérées sur le Facbook de King Baker's Combo )

 

 

 

HEROS OUBLIES DU ROCKNROLL

 

 

LES ANNEES SAUVAGES DU ROCK AVANT ELVIS

 

 

NICK TOSCHES

 

 

( Traduction de Jean-Marc Mandosio )

 

 

( Editions ALLIA / 2008 )

 

 

Avec Nick Tosches, cest dans la poche. Enfin, il y a matière à discussion. A lorigine ce sont des chroniques rédigées en 1979 pour le magazine américain Creem. Sagissait alors de parfaire la culture des jeunes ricains tout juste sortis de lœuf qui abordaient les rivages du rock un peu après la bataille. Autant dire quils ne connaissaient rien étant pour la plupart issus de la petite-bourgeoisie blanche besogneuse et bien-pensante. Quil ait pu exister un avant-Presley a dû leur apparaître comme un nouveau concept dune radicalité absolue.

 

a498livre.jpg

 

Pour un amateur averti de rockabilly, nous dirons quil ny a pas beaucoup à boire et très peu à manger. Nous saluerons donc en premier Jean-Luc Mandosio qui a pris son rôle de traducteur au sérieux et qui ne peut voir traîner un mot danglais - serait-ce le titre dune chanson ou lappellation dun label - sans en donner à la seconde même un équivalent en notre humble patois franchouillard.

 

 

DE CELEBRES INCONNUS

 

a499book.jpg

 

Jugez par vous-même : Bill Haley et Screamin Jay Hawkins parmi les inconnus faut oser. Lest sûr que Nick Tosches a ses têtes, il déteste le gros Bill, et a essayé de retrouver les survivants avant de les couler dans le marbre de sa prose moqueuse. Jay Hawkins, laurait pas dû lui rendre visite. Lon naime guère les gars qui se renient eux-mêmes. Le grand Jay noir nous fait son petit numéro de pleurnicheur : pour le monde entier il est le clown augustule de service qui sort de son cercueil en hurlant alors quil aurait été prêt à chanter de lopéra si nous le lui avions demandé. Heureusement cette idée saugrenue ne nous a jamais traversé lesprit, zétaient peut-être tous pétés comme des coings dans le studio quand il a enregistré I Put A Spell On You, mais si Freud avait pu entendre ses beuglements de gorets énamourés jamais il naurait pensé que le désir primitif des animaux sexués que nous sommes puisse être jugulé par les retenues anti-éjaculatoires de notre inconscient.

 

a500screamin.jpg

 

Pour Bill, Nickie sen tire par une pirouette, ne parle que des ses premiers disques avant le rock autour de la pendule. Dans les trois dernières lignes lest bien obligé de reconnaître que sans lui, Presley Na pas osé écrire un chapitre sur Elvis avant RCA, alors il se rabat sur le frère jumeau, Aaron qui aurait été recueilli par la cousine de sa mère et qui aurait enregistré deux disques force du mythe qui happe lécrivain qui promet de ne point sy intéresser dans son titre Preuve que les chemins du rock qui ne partent pas de Presley y mènent tout droit quon le veuille ou non.

 

 

THESE ET ANTITHESE

 

 

Cétait mieux avant. En 1956, le rock est mort et enterré. Lidéal serait darrêter le processus en cinquante-quatre, juste avant que le natif de Tupelo ne franchisse le seuil de Sun, Cest que Nick Tosches possède sa propre chronologie de lhistoire du monde. 1939-1945 : commencement et fin de la seconde guerre mondiale. 1945-1955 : naissance et mort du rockroll. 1956 - 2000 ( date du dernier ajout ) : circulez, il ny a plus rien à voir.

 

 

Ce qui est fou cest le nombre de témoins qui se bousculent au portillon pour revendiquer léminence de leur rôle dans linvention du rock and roll. Pour ceux qui ont eu le mauvais goût de passer larme à gauche avant que Tosches ne les choppe en interview, ne vous inquiétez pas Nick sait faire parler les morts. Mais cest comme pour le venin des serpents. Notre auteur vous inocule lantidote avant la morsure. Prend soin de vous rappeler que lexpression rock and roll est aussi vieille que lAmérique, que personne na jamais été assez malin pour déclarer quil faisait du rock and roll à linstant même où il en faisait.

 

 

Pour cela tous les témoignages concordent : «  Ah ! Si on mavait dit que je faisais du rock, à lheure actuelle je serais plus riche que Presley, plus célèbre quElvis ! ». Tout le monde a le droit de saccrocher à son rêve. Quoique ceux réalisés à postériori relèvent daprès nous de laffabulation schizoprhénique. En plus, dans la plupart des cas lon devine en sourdine le ressentiment des artistes noirs qui savent très bien quils ne jouaient pas dans la même division que les petits blancs souvent ( mais pas toujours ) pas très doués.

 

a501distone.jpg

 

Pas besoin de foncer très loin dans le bouquin : le premier des vingt-huit portraits nest pas terminé que Jesse Stone complice dAhmet Ertegun - fondateur dAtlantic - se vante davoir inventé la rythmique rock : je cite : «  Doo, da-doo, dum ; doo, da-doo, dum » à lui tout seul, pour les besoins de la cause : nécessité adolescente dun beat de base et de danse qui soit ultra swinguant Pas étonnant que lon retrouve aussi les monographies de Louis Jordan et de Louis Prima. Lon comprend mieux pourquoi dans les décennies suivantes la musique noire sest affadie en dance-music.

 

a502atlantic.jpg

 

Dans léphéméride final qui couvre les années 1945-1955 est à peine mentionné en bout de course Bo Diddley auquel il nest fait aucune allusion dans les deux cents pages de texte qui précèdent. Little Richard nest même pas pris en compte et Chuck Berry est cité une seule fois, que ces trois rockers noirs soient hors-jeu du contenu de ce volume démontre que nous ne sommes pas en présence de héros oubliés du rock and roll mais à la recherche de précurseurs. Ce qui nenlève rien à leurs talents ni à leurs mérites.

 

 

Ce qui est en jeu dans nos remarques précédentes cest lessence même du rock and roll perçu par beaucoup comme un simple exutoire dune jeunesse à la recherche damusements joyeux et insouciants et par dautres - dont nous nous réclamons - comme lexpression dune rébellion métaphysique beaucoup plus profonde.

 

 

ACE DE PIQUE

 

a503ace.jpg

 

La dernière livraison - car la vingt-huitième sur Aaron Presley est hors-concours - est dévolue à Johnny Ace. Qui se souviendrait de lui de nos jours sil navait eu la merveilleuse idée de se tirer une balle dans la tête le soir de Noël 1954 avant de passer sur scène ? Pouvait pas soffrir un meilleur cadeau quant à sa postérité. Erreur tragique ou crime mystérieux ? Lon a évoqué de nombreuses hypothèses, de dettes non remboursées à une roulette russe qui aurait mal tourné. Nick Tosches avance une autre solution, mais il se rétracte aussitôt sous prétexte quil ne veut pas de procès Quand on nen dit pas assez, il vaudrait mieux se taire Nous serions plutôt partisan dun certain déséquilibre engendré par un succès répétitif et ultra-rapide. Cette disparition nest pas sen rappeler les franges dombre qui entoureront quelques années plus tard le meurtre de Sam Cooke. Le rock and roll nest pas une partie de plaisir.

 

a505ace.jpg

 

INNOCENCE

 

 

Et pourtant que de sexe ! Ne pensent quà cela. Même les gamines bien élevées comme Wanda Jakson qui déclare avoir le minou en éruption. Tout est prétexte à sous-entendus explicites. Salades salaces. Cramponnez-vous à ce qui dépasse car ça va secouer sec. Je vous passe les images romantiques à lorientale du genre jai le nem tout ramollo Vous rassure tout de suite, il ny a pas que le sexe dans la vie. Il y a aussi lalcool. Nos proto-rockers ne sont pas du genre à laisser les bouteilles à moitié pleines ou à moitié vides. Comme deux sur trois sortent de familles ultra-religieuses avec le papa prêtre ou pasteur, lon se dit que les chemins de foi ardente qui débouchent sur tous les péchés ne sont pas si terribles que cela et que les voies du Seigneur sont bien plus pénétrables quon ne le croit.

 

 

QUI DE QUI ?

 

a506logsdon.jpg

 

Débutons par celui dont le morceau - vous gouterez lambivalence de ce terme en en lisant la fin de cette phrase - I Got A Rocket In My Pocket fut le titre original de La Glorieuse Histoire du Rockabily de Max Décharné ( KRTNT 139 du 11 / 04 / 13 ), Jimmie Logsdon fan absolu de Hank Williams qui enregistra ses plus célèbres rockabilly sous le nom de Jimmie Lloyd, cétait en 1957, après Elvis donc, qui il est vrai à lépoque navalait pas autant de médicaments que lui. Un précurseur en quelque sorte. En plus Jimmie possédait la déplorable habitude de boire plus que de raison et davoir lalcool triste, bluesy en sa jeunesse et plus tard country-tire-larmes.

 

a507harris.jpg

 

Pour Wyonnie Harris, né en 1915 - vingt ans avant the Pelvis - il ny a pas photo, cest bien qui a publié chez King - cétait prémonitoire ! - Good Rockin To Night quElvis reprit sur son deuxième single Sun. Les témoins de lépoque et les mauvaises langues daujourdhui prétendent que cest à lui quElvis a emprunté son jeu de jambes inimitables. En tout cas il est des similitudes étranges entre les deux carrières, Gros cachets, cadillac frime, amateurs de gent féminine, danseur, chanteur dorchestre, vedette de film mais rien à voir avec la bonne éducation de petit blanc du Sud. Cest un gros noir, sans complexe, arrogant, bagarreur, insulteur toujours prêt à traiter les femmes de salopes avant de les passer à casserole. Entre 1945 et 1955 il est le roi du rhythm and Blues et se permet de créer un classique du rock and roll - la fameuse DrinkinWine, Spo-0-Dee-O-Dee. Une personnalité encombrante, le showbiz se hâta de loublier dès que la relève blanche fut en ordre de marche sur le marché. Alcoolique et malade il décède en 1969, on se hâta denterrer son souvenir. Le pionnier des pionniers.

 

a508harris.jpg

 

Par la suite Elvis préféra imiter la fin de carrière de Nat King Cole que celle de Wyonnie Harris. Discographiquement parlant car pour le reste Du sirop de glucose avec une voix romantique à donner le sexe féminin à tous les anges du paradis. Avec parfois une goutte de whisky pour ne pas rejeter ceux qui auraient cédé aux joies infernales. Mais cest le Nat King Cole du début qui est intéressant. Historiquement parlant parce quau seul point de vue musical vous avez le droit de ne pas opiner. Nat Cole est un pianiste remarquable, mais il agit en tant quadoucisseur : prend la folie du ragtime et la fureur du boogie-woogie, les assimile pour mieux les brider. Cétaient des chevaux sauvages, il leur enseigne le trot attelé et la marche au pas. Lélégance en plus, car la Cole attitude cest presque la cool préservation. Un talent certain, il atonnifie le bleu indigo du blues en bleu lavandasse de Klein, agréable à lœil et marque déposée pour éviter les imitations du produit formaté. Nat King Cole cest le moment où le jazz se retourne vers ses origines pour les revisiter et les rendres plus lisses. Acceptables en un mot.

 

a509harris.jpg

 

Cest un combat incessant. Certains à la Wyonnie Harris essaient de retrouver une sauvagerie originelle et dautres comme Nat King Cole tentent de toucher un plus large public - comprenez blanc - en versant beaucoup deau dans leur whisky. Le rock and roll porte en lui ces deux postulations contradictoires. Joue tour à tour la pute aguichante et la vierge intègre. Mais tant quon peut y enfoncer son morceau, personne ne se plaint.

 

 

Ces héros oubliés du rock and roll de Nick Tosches nous aide à nous rappeler lincontournable leçon de McKinley Morganfield, plus vous remontez vers la source dun fleuve profond, plus leau devient boueuse. Et cette muddy water sera la seule qui étanchera votre soif. De connaissance.

 

 

Damie Chad.

 

LOOK BOOKS !

 

 

LA CITADELLE DES VIERGES NOIRES

 

 

MARC-LOUIS QUESTIN

 

 

Illustrations : Tiffanie Uldry / Préface : Pierre Brulhet

 

 

( Editions Unicité / Décembre 2012 )

 

a510citadelle.jpg

 

Un truc à gothiques. J'entends vos dédaigneuses paroles et je vois votre moue sarcastique. Vous avez beau dormir la fenêtre ouverte jamais un méchant vampire ne vous a laissé la trace sanguinolente de son suçon sur votre cou. Vous êtes un esprit fort, vous n'y croyez pas. Mais vous êtes-vous demandé si les goules de la nuit croyaient en votre existence ? C'est une manière différente de poser le problème. De toutes les façons ce n'est pas le sujet du livre mais puisqu'il fait froid dehors, que votre électrophone est en panne, que votre copine s'est décommandée, bref parce que vous n'avez rien de mieux ou de pire à trastéger, en poussant un profond soupir de commisération, un verre de sky à la main vous vous installez dans votre fauteuil, et ouvrez le livre.

 

 

La nouvelle fantastique vous connaissez sur le bout des doigts. Vous en pondriez par dizaines si vous le vouliez vraiment. Un peu de peur, un peu de noir, un peu de sang, un peu de sexe, un peu de mystère, l'important c'est avant tout l'atmosphère inquiétante, cela s'obtient par le velouté du style. Vous ricanez une dernière fois, Marc-Louis Questin, ce n'est ni Edgar Allan Poe, ni Villiers de l'Isle Adam, ni Jean Lorrain, alors il a intérêt à avoir affûter son porte-plume s'il veut vous étonner.

 

a511marc.jpg

 

Vous jubilez. Ah ! le blaireau ! Mais il ne sait même pas bâtir une intrigue qui tienne debout. Abandonne ses personnages au bout de quatre paragraphes, se soucie d'eux comme d'une guigne, part de tous les côtés. Personne ne lui a sussuré le grand secret de la nouvelle : un début, un milieu, une fin. Unité d'action, de temps et de lieu. Mais c'est quoi, c'est qui, ce mec ? Sait pas lire, sait pas écrire, on devrait lui interdire de tenir un stylo. Touche pas une bille. Doit être frappé du calot. Cela pour les dix premières pages.

 

 

Ceci pour les dix pages suivantes. Mais qu'est-ce qu'il nous fait ? Il est à cent pour cent cinoque. Mais où il est allé cherché ce binz ? Ce n'est pas possible ! Et il croit que je vais marcher dans la combine. Alors là, ça devient étrange. Evidemment pris sous cet angle. Il exagère un peu, mais n'a peut-être pas tout à fait tort. Va finir par m'en boucher un coin, s'il continue. En plus il persévère sévère, n'a pas froid aux yeux le pépère. Les conventions littéraires ce n'est pas trop son truc, mais c'est tout de même bien foutu.

 

a512osiris.jpg

 

Faudra vous y faire. Vous aviez raison Marc-Louis Questin ce n'est ni Edgar Allan Poe, ni Villiers de l'Isle Adam, ni Jean Lorrain. Ni tous les autres que vous avez lus. Ce n'est pas mieux. Ce n'est pas moins bien. C'est différent. Vous raconte pas une histoire à la Lord Arthur Machen ( chose ) ou à la Lovecraft, non il n'imite pas les maîtres. Il propose un nouveau modèle. Un nouvel étalon. Or. D'abord il ne raconte pas une histoire. Pour la simple raison qu'il n'y a pas d'histoire. Et je ne dis pas cela parce qu'il y a vingt-trois nouvelles ( le chiffre de l'Eris) dans le volume.

 

 

Vous vous êtes levé de votre fauteuil et vous avez marché sur le plancher de votre chambre pour vous resservir un deuxième verre de sky. Crétinoïde ambulant ! Si je vous demande ce que vous êtes en train de faire vous me répondrez la bouche en coeur de boeuf, je marche sur le plancher de ma chambre. Et vous pensez que vous êtes en train d'arpenter la réalité du monde. A me dégoûter de l'espèce humaine !

 

 

Il est peut-être vrai que vous ayez commencé par marcher sur le plancher de votre chambre mais peut-être à un certain moment avez-vous marché sur la pensée du plancher que l'ancien locataire de votre chambre a projetée dans le monde. Pourquoi l'univers ne serait-il pas composé de courbes mathématiques, mentales et matérielles qui s'entrecroisent, s'emmêlent et s'entremêlent tel un noeud de serpents à mille têtes ? Dèjà Cantor avait entrevuu le problème avec sa théorie des alephs.

 

a512vampire.jpg

 

Evidemment cela change tout. Ce n'est pas seulement qu'à tout moment vous passez d'un plan à un autre c'est que vous êtes constituté de ces mille plans qui s'interpénêtrent en vous. En votre corps et en votre esprit. Actant et acté. Marionnette et marionettiste. Vous êtes ici et ailleurs. Vous êtes vous et d'autres. Alors maintenant, imaginez que vous écrivez une histoire de vampire. Vous aurez un mal fou à isoler l'unicité de votre personnage. Je est un autre a dit Rimbaud. Marc-Louis Questin raconte l'histoire de ce labyrinthe dont nous sommes constitués et de notre chair et de notre esprit et du rêve des autres, et des enseignements des mythologies et des cauchemars du monde et des batailles de montres antédilluviens et de bien d'autres choses encore. Mille chemins ouverts disaient Julien Green. Vous ne les parcourez pas, ce sont eux qui viennent à vous. Husserl lui-même dégoûté par le tollé général soulevé dans les milieux philosophiques par l'esquisse de sa théorie de l'intercommunicabilité des consciences l'avait sévèrement mise en veilleuse. Marc-Louis Questin en use comme d'un point de départ, a généralisé et unifié la pensée à tous les univers possibles et inimaginables.

 

 

Présent, passé, futur, mythes et modernités tout se mélange et se métamorphose en l'autre tout en gardant sa propre essence ontologique. A chaque pas vous empruntez un nouveau pont. Et poutant Marc-Louis Questin ne nous laisse pas dans cette incertitude généralisée. Nous prend par la main et nous guide. Thésée et le fil d'Ariane, mais plutôt comme Virgile vers l'Enfer de Dante, et Beatrix vers le paradis. La nature est un temple aux vivants pilliers nous a dit Baudelaire.

 

 

Je vous laisse à votre lecture. Marc-Louis Questin nous ouvre une des portes d'ivoire et de corne du rêve chère à Gérard de Nerval. Ce frère aîné de George Trakl. Grâce à lui vous entreverrez du Nouveau. Chef-d'oeuvre. Poésie absolue.

 

 

Ce livre est appelé à féconder bien des univers rock. La preuve on y entrevoit Ronnie Bird.

 

 

Damie Chad.

 

 

PASCAL ULRICH

 

 

( LES EDITIONS DU CONTENTIEUX / 30 pp / 15 E )

 

( Robert Roman / Lieu-dit- Bourdet

 

31 470 / France )

 

a513ulrich.jpg

 

Pas vraiment un livre. Un signe aux vivants et au mort. Voici quatre ans que Pascal Ulrich a sauté la ligne. Par la fenêtre. N'a rien laissé derrière lui sinon des centaines d'enveloppes multicolores éparpillées aux quatre coins du monde. Va te faire feutre disait-il à son courrier et vous receviez chez vous des dizaines de visages grimaçants et torturés. Vous souriaient pas mais vous engageaient à les suivre. Artistiquement c'était un peu comme le visage du Cri d'Edward Munch repeint avec les couleurs psychédéliques de l'été de l'amour. Mais l'amour chez Pascal épousait souvent les formes de l'ironie pour ses contemporains et les traits de la haine pour nos pauvres institutions humaines.

 

 

Vous envoyait souvent des poèmes à l'intérieur. Me souviendrai toujours d'une lecture opérée lors d'un spectacle culturel dans une petite commune de la Brie. Le Conseil Municipal tout fier de son initiative était rassemblé au premier rang sur les inconfortables chaises du Foyer Rural Communal. Cela avait commencé très fort par un groupe d'handicapés mentaux qui avaient joué une pièce... Un vieux fond humaniste de charité chrétienne avait poussé la population locale effarée rassemblée en ce lieu à tout de même applaudir...

 

 

Ensuite j'ai déclamé quelques poèmes de Pascal Ulrich. Du genre – je cite de mémoire – ce matin je me suis levé de bonne heure et je ne suis pas digne de vivre : je n'ai pas encore tué mon maire, je n'ai pas encore tué mon député – stupeur dans l'assistance à dominance social-démocrate tempérée... Pascal ne faisait pas dans la dentelle libertaire. Une autre fois dans une église voisine profitant d'une autre manifestation à prétention hautement culturelle j'ai lu sa visite à la Cathédrâle de Strasbourg qui suscita bien des interrogations ravacholiennes chez les fidèles atterrés...

 

a514ulrich.jpg

 

Robert Roman fut un des amis les plus proches de Pascal, a décidé de lui consacrer un ouvrage bio(pas du tout dégradable)graphique. Rassemble les documents. Cette plaquette constituée en majeure partie de reproductions couleur d'enveloppes colorées de Pascal est comme un prélude destiné à raviver le souvenir d'Ulrich, auprès des personnes qui l'ont connu et à donner un aperçu de son talent à ceux qui ne le connaissent pas encore.

 

 

Ne vous la procurez pas pour en faire un objet de collection. Ce serait trahir le cheminement de Pascal Ulrich qui s'efforçait de défoncer les portes afin d'élargir les horizons et d'ouvrir les fenêtres car il redoutait de se trouver enfermé, ne serait-ce qu'en lui-même.

 

 

Damie Chad.

 

 

TEQUILA BLUES

 

 

JEAN-MARIE GALLIAND

 

 

( Livre de Poche / N° 14 578 / 1998 )

 

a514tequila.jpg

 

J'ai flashé sur le titre. Le blues et la téquila - deux des superbes consolations que le bon dieu a donné aux hommes pour s'excuser de les avoir virés comme des mal-propres du paradis terrestre - comme accroche coeur ce n'est pas mal du tout. En plus si sur la quatrième de couve l'on explique qu'au début des annézes 70, l'héroïne s'en est allé aux States jouer du saxophone, l'on prend les yeux fermés. Surtout que l'illustration d'Isabelle Dejoy nous a colorié une nénette genre un peu vulgaire, un peu trop grosse. Pas vraiment la joie jolie.

 

 

Pour la musique, faudra repasser. Ce n'est pas l'intérêt principal de Jean-Marie Galliand, à part quelques titres de standars de jazz éparpillés dans le texte, n'y a rien. Vous y apprendrez que l'on souffle dans un sax, et puis n'en demandez pas plus. Ce qui titille Galliand ce n'est pas le rock, mais le sexe. Ouf ! Nous sommes sauvés.

 

 

Ne criez pas victoire trop tôt. Rien de bien révolutionnaire. Ni même pornographique. Béatrice fait son éducation sentimentale : baisotte par ci par là, pas le genre nymphomane de service. Elle assume sa sexualité de jeune fille, les mauvais coups comme les bons. Reconnaît ses erreurs et évite de mentir sur la réalité de ses sentiments. Tombe amoureuse d'un voyou. Mais comme la morale est sauve, il terminera le road-movie en prison. Ce qu'il y a de terrible c'est que l'on a surtout envie de plaindre Zézette la chienne recueillie, au destin tragique. Le plus beau personnage du roman, nettement plus authentique que les clones de Woody Allen avec qui la demoiselle traîne un bon tiers du bouquin.

 

 

Béatrice retournera-t-elle à Paris ou continuera-t-elle en stop jusqu'au Brésil ? Le livre ne répond pas à cette angoissante question, tant mieux car il y avait longtemps que l'on avait envie de tourner la page.

 

 

Damie Chad.

 

 

EN UN COMBAT DOUTEUX

 

 

JOHN STEINBECK

 

 

( Livre de Poche / N° 262 – 263 )

 

 

Hyper-rock'n'roll. Pourtant c'est tout juste si on aperçoit durant une demi-ligne la forme d'une guitare. Tout les grévistes ne sont pas Woody Guthrie. Parce que la défaite en chantant... Sont mal barrés nos cueilleurs de pommes. Les propriétaires ont baissé la paye et la grève n'est pas au mieux de sa forme. Elle avait bien commencé mais les patrons ne sont pas nés de la dernière pluie. Savent se défendre bien mieux que ceux qui les attaquent. Ont la loi, le fric, la presse, et les milices fascisantes avec eux. Les autres, à part leurs colères passagères et leurs ventres creux n'ont pas grand-chose à offrir.

 

 

Nous sommes au lendemain de la crise de vingt-neuf. Les wooblies ( voir notre livraison 114 du 18 / 10 / 12 ) sont remplacés par les agitateurs communistes. Inutile d'appeler MacArthur à la rescousse, ne sont que deux. Décidés à tout pour réussir. Le combat est douteux car manipulatoire. Ne suffit pas d'expliquer aux prolétaires qu'ils sont des exploités. Le savent déjà et n'en sont pas pour autant en train de dépaver les rues. Faut créer la situation et profiter de toutes les occasions. Partie d'échecs avec le capitalisme qui vous mate.

 

 

Pas tout à fait seuls, non plus. Quelques leaders naturels – les doigts d'une unique main - un tout petit peu plus conscients que leurs camarade sur qui ils ont une certaine emprise. Et puis c'est tout, même si vous comptez cette foule d'ouvriers indécis et versatiles qui oscillent perpétuellement entre crises de rage et néfastes accablements. Autant vouloir pousser une montagne d'un coup d'épaule. Le combat est douteux car perdu d'avance.

 

 

Beau livre, mais guère jubilatoire. Aussi impitoyable qu'un western de Clint Eastwood. La violence n'est pas une solution mais une nécessité. Si vous ne voulez pas le combat, c'est le combat qui vient à vous. Inéluctable fatalité, Steinbeck ne se cache pas derrière des pauses romantiques. Juste derrière son titre. Mais qui doute de la réalité de la lutte des riches contre les pauvres ?

 

 

N'allez surtout pas inverser les termes de l'équation ainsi posée.

 

 

Damie Chad.