Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/06/2013

KR'TNT ! ¤ 148. GEORGE JONES / UNDERSTONES / KING BAKERS COMBO

 

KR'TNT ! ¤ 148

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

13 / 06 / 2013

 

 

GEORGE JONES / UNDERSTONES / KING BAKERS COMBO

HEROS OUBLIE DU ROCK'N'ROLL / BOOKS

 

 

G O R G E O U S   G E O R G E

 

a468jones.jpg

 

Peut-être vous souvenez-vous de ce road movie très particulier intitulé «Une Histoire Vraie» («The Straight Story», tiré pour le coup d'une histoire vraie), et tourné par David Lynch en 1999. Particulier, oui, car pendant deux bonnes heures, on voit un papy de soixante-dix ans nommé Alvin Straight rouler en tondeuse à gazon sur les routes américaines et franchir plusieurs frontières d'États. Grosso modo, c'est dans le même esprit que «Easy Rider», came, vitesse, cuir et violence en moins.

 

Alvin Straight entreprend ce périple, car il doit aller voir son frère tombé gravement malade avant qu'il ne disparaisse. Comme il n'a pas de teuf teuf, il remet sa tondeuse en état. Tirant derrière lui une remorque, Alvin Straight parcourt cinq cents bornes sur sa bécane, serrant au mieux le bord des routes et tout le monde le double, évidemment. Il n'avance vraiment pas vite. Aussi doit-il souvent s'arrêter la nuit pour bivouaquer. Et là on rentre dans la petite mythologie des bivouacs d'Alvin Straight. On entre là dans ces moments cinématographiques tellement marquants qu'on s'empresse chaque fois que l'occasion se présente de les reproduire. La moindre occasion est bonne pour bivouaquer sous les étoiles et trinquer à la santé d'Alvin Straight.

 

a465jones.jpg

 

George Jones roulait lui aussi en tondeuse à gazon, mais il n'a pas dû croiser Alvin Straight car ils ne vivaient pas dans la même région. Quand madame Jones en avait assez de voir son mari pompette du matin au soir, elle planquait les clés des voitures pour l'empêcher d'aller picoler au rade local situé à plusieurs kilomètres. Comme tous les ivrognes, George grouillait d'idées tordues et il quand il vit que son épouse avait omis d'enlever la clé sur la tondeuse, une petite ampoule s'alluma au dessus de sa tête.

 

Voilà pour l'anecdote. Hélas, l'histoire retiendra surtout une chose de George Jones : sa consommation gargantuesque d'alcool. Mais fort heureusement, le grand George brille au firmament des amateurs de rockab pour des raisons plus intéressantes.

 

a466.jpg

 

Il fait partie des rares chanteurs blancs que respectait Jerry Lee. Comme Jerry Lee appartient à la caste des seigneurs de l'histoire du rock américain, on en déduira que Georges Jones appartient lui aussi à cette caste, et il suffit de l'écouter chanter (même sur l'un de ses innombrables albums country) pour s'en convaincre définitivement.

 

Comme tous les petits mecs de sa génération, le jeune George est vite démangé par le rock et il commence sa carrière chez Starday, pas moins. Craig Morrison (l'auteur de «Go Cat Go !») pense que le jeune George commença à chanter du rockab lors d'une tournée avec Buddy Holly en 1956 (accompagné sur scène par Buddy et son gang, pas moins).

 

a467cimetière.jpg

 

Doté d'un organe superbe, George Jones va rapidement devenir une star de la country, à Nashville. Mais comme d'autres country-singers nashvillais, il s'intéressait de près au rockab et ne voulant pas perturber son public country (et surtout ne pas se griller - À Nashville, on n'appréciait pas trop la musique des bouseux du Tennessee - Johnny Cash explique à quel point il a eu du mal à se faire accepter à Nashville, lui le péquenot de Memphis), il se fit appeler Thumper Jones pour enregistrer l'un des meilleurs singles rockab de tous les temps (Max Décharné et Craig Morrison sont catégoriques sur ce point) : «How Come It/Rock It». Mais hormis la voix qui déjà impressionne par sa qualité, le jeune Jones fout le paquet : il démarre «Rock It» sur de beaux chapeaux de roues, on le voit nettement hocher le menton et secouer les épaules. Et cette rage ! Un vrai punk avant l'heure. Il sait sonner la charge. On le sent beaucoup plus énervé qu'Elvis ou Carl Perkins. «How Come It» est encore plus racé. Voilà ce qu'on appelle la pure élégance rockab. Il sait hurler et plaquer de grands accords secoués de reverb.

 

a470country.jpg

 

Pourtant, avec sa bobine, il n'avait quasiment aucune chance de plaire aux filles. C'est même le contraire. Berk. Il ressemble à un capitaine de gendarmerie coiffé à la brosse, le même que ceux qui hantent les reportages des télés régionales. Il a des oreilles énormes et l'air un peu placide. On est aux antipodes du glamour d'Elvis ou d'Eddie Cochran. Il semble que son allure cautionne la dimension anecdotique du personnage. Trombine, patronyme, il semble avoir tout faux. Un peu comme Jacques Brel à l'époque de ses débuts en France. Zavez pas vu la gueule de la brêle ? Comme les gens sont méchants...

 

george_jones_petit.gif

 

Grâce à Crypt, j'ai eu la chance à une époque de mettre le grappin sur une espèce de compile intitulée «Rock It» et parue sur Encore. Désormais basée à Hambourg, l'équipe de Crypt propose depuis pas mal de temps un choix de disques triés sur le volet et classés par genres (D'ailleurs on retrouve toutes leurs nouveautés chez Born Bad). Quand on va dans le bac rockabilly, on tombe sur ce genre de merveille qu'est la compile rockab de George Jones

 

a469rockit.jpg

 

Et là, comme dirait Gide, des nourritures délicieuses attendaient que nous eussions faim. Et d'autres termes, des surprises de taille guettent les curieux.

 

Aussitôt après «Rock It» et «How Come It», «Maybe Little Baby» saute à la gorge. George Jones a la même classe que Charlie Feathers. Certains iront penser que c'est kif kif bourricot. Grossière méprise, Jiving George a un style bien défini. Il enrichit considérablement le son de ses morceaux. En plus du slap, il fait jouer un pianiste diabolique, alors que la messe est déjà dite, puisque tout repose sur sa voix et sur son jeu de guitare, comme chez Carl Perkins.

 

a471whithe.jpg

 

En entendant sa reprise du «White Lightning» de Big Bopper, on comprend pourquoi Gene Vincent et Eddie Cochran ont flashé sur ce morceau. La chanson est une ode aux bouilleurs de cru clandestins, comme toujours planqués dans les collines, cette fois en Caroline du Nord (les Drive-By Truckers rendent des hommages similaires aux bouilleurs clandestins de l'Alabama). «Mighty, mighty pleasin, pappy's corn squeezin'/Wshooh ! white lightnin' !» (c'est l'histoire de Papa qui fabrique son alcool de maïs, un puissant remontant). C'est construit comme «Whole Lotta Shakin'», mais ça fonctionne. Jumping George met le paquet. Il est LA VOIX. Il peut créer des climats. Ce genre de morceau n'a rien de novateur, mais c'est bien ficelé, admirable de mise en place, un peu sucré et tout en relief. Quand on examine la bandoulière de sa guitare, telle qu'elle apparaît sur la photo en noir et blanc à l'intérieur de la pochette, on voit à la suite de son nom gravé dans le cuir deux grands éclairs blancs. Aucun doute, là-dessus, Jolly George ne chantait pas ce morceau par hasard. «Who Shot Sam» sonne comme un hit de Chuck Berry. Jovial George ressort le coup du baryton après le break, comme dans «Summertime Blues». Il raconte l'histoire de Silly Milly qui bute Sammy d'un coup de forty-four, un samedi soir dans un honky-tonk de la Nouvelle Orléans. Normal, puisqu'ils avaient sifflé du white lightning. Qu'on se rassure, ce genre d'incident rock'n'rollesque n'est pas spécifique au Sud des États-Unis. On a eu les mêmes dans nos bonnes vieilles campagnes, au bal du samedi soir, quand le gros Jojo allumé au calva de derrière les fagots allait récupérer sa serpette planquée dans la sacoche de sa mobylette pour régler le compte du petit rabouin qui draguait la Giselle.

 

a473cad.jpg

 

Avec sa reprise de «Heartbreak Hotel», Jubilant George s'attaque à un gros poisson. Il s'en sort avec brio. Il se révèle aussi vénéneux qu'Elvis et même peut-être plus insidieux. Glorious George devient un héros. Sur certains passages, il manque de profondeur, mais sa voix couvre une palette plus étendue que celle d'Elvis. Il envoie ensuite «Boogie Woogie Mexican Boy», une jolie pièce d'americana tex-mex, à faire pâlir d'envie Doug Sahm. Genius George s'y révèle un fantastique guitariste. Sur «Root Beer», il démarre avec des po-po-po-pom extravagants. Il bascule dans le kitsch. Il nous régale d'une belle chanson à boire digne des Coasters et il balance un solo d'une simplicité enfantine, presque maladroit, puis il reprend le fil de sa péroraison. Il hoquette comme s'il était soul. Generous George étend son registre vocal à l'infini. Il y a quelque chose de sidérant chez ce type. Il semble ne pas pouvoir contrôler son exubérance. Et lorsqu'on découvre un artiste, c'est vraiment le genre de constat qu'on adore pondre, car il faut bien avouer que ce genre de phénomène se produit rarement. George Jones est un rocker excitant, qui se renouvelle à chaque morceau et qui n'en finit plus d'épater, un peu comme savent le faire dans leurs registres respectifs  les Rivingtons ou Bo Diddley, ou dans un genre totalement différent, Robert Pollard. Si on voulait tenter de qualifier cette forme d'exubérance innovante, on pourrait employer le terme de modernité.

 

Il tape à nouveau dans le répertoire de Big Bopper, avec «Running Dear», une pièce superbement swinguée, bien emmenée, jouissive et même rockab par endroits. Il souligne son chant d'un gimmick de guitare mélodique. Il sous-tend son affaire, il reste admirable de conscience professionnelle. «Little Boy Blue» sonne comme un énorme classique du slap. La guitare suit le chant avec un son élastique absolument fantastique. Même Liam Watson, le célèbre patron du Toe Rag Studio à Londres, ne pourrait pas reproduire un son pareil. George Jones se révèle de plus en plus surprenant, et même fantastique. Si on osait, on pourrait le surnommer le Mac Orlan du rockab.

 

a472race.jpg

 

«Revenoover Man» sonne les cloches à la volée. Voilà un rockab parfait, monté sur des petites descentes structurelles à la Eddie Cochran. Gadjo George pose sa voix avec une aisance ahurissante. Il est le prototype de l'artiste complet. Il interprète chacune de ses chansons à la perfection. On a autant de plaisir à l'écouter qu'on en a à écouter Johnny Horton ou Charlie Rich. «Slave Lover» sonne comme un hit de Gene Vincent. Pour l'occasion, Juicy George sort sa voix rauque. Slave love, that's what I am ! Le message passe bien. Attention, «Gonna Come Get To You» s'envole sur des tapis de violons pour une séquence de pure americana, avec un joli brin de slap dans le fond du décor. L'espace d'un instant, George Jones devient le roi du Texas des westerns, une sorte de Tom Mix coiffé d'un balai brosse. Il pousse le bouchon très loin, plus loin que les autres Texans, notamment Buddy Holly, qui n'était pas avare de modernisme. George Jones est un rocker brillant, ça finit par crever les yeux. On sent chez lui la mâle assurance de Jerry Lee et un goût immodéré pour le kitsch hollywoodien du western, mais un goût qui serait authentifié par l'appartenance à la culture sudiste. Impossible de trouver un mauvais morceau sur ce disque. Les morceaux lents sont de purs régals d'interprétation, un peu comme le sont les morceaux que reprend Johnny Cash sur ses quatre derniers albums, sortis ces dernières années sur American Recordings, le label de Rick Rubin.

 

a474lost.jpg

 

Malgré sa bouille d'ingénieur polytechnicien, George Jones inspire confiance. Pour «You Gotta Be My Baby», il fait à nouveau envoyer des violons grinçants dignes du «Heaven's Gates» de Michael Cimino et il ressort les petites ficelles d'Eddie Cochran. Avec «Eskimo Pie», on maintient le cap du rockab exotique.

 

«No Money In This Deal» sonne dès la première note comme un immense classique (un de plus !), arrosé de nappes de violon spectaculaires et soutenu par un riff de guitare que nous qualifierons d'historique, suivi d'un jeu de piano à la Duke Ellington. De quoi s'effarer pour de bon. Et comme si cela ne suffisait pas, il balance dans cette merveille absolue un solo de guitare hawaïen. Franchement, on n'en croit pas ses oreilles. «Done Gone» est du pur rockab, même un peu énervé. Il place au chœur de cette nouvelle dinguerie un solo de guitare dévastateur. Et ça continue comme ça jusqu'à la fin. Inutile de compter sur une pause.

 

a475lone.jpg

 

Pauvre George. Il vient de casser sa pipe. Alors, pour saluer la mémoire de ce bougre de Texan, écoutez l'un de ses disques et vous ne serez pas surpris de constater que ses interprétations font de lui l'un des artistes les plus fascinants de son époque.

 

 

Signé : Cazengler, endeuillé comme pas deux

 

 

T H E   U N D E R S T O N E S

 

 

L A  M A R O Q U I N E R I E / P A R I S X X

 

2 9 / 0 5 / 2 0 1 3

 

 

L E S  U N D E R S T O N E S  E N  F O N T  D E S   T O N N E S

 

 

Pour les gens qui avaient entre 15 et 25 ans en 1978, quel était le hit le plus fédérateur, le plus digne d'incarner la flamboyance de la jeunesse éternelle, le hit rock auquel tous les kids des deux côtés de la Manche pouvaient s'identifier ? «No fun» ? «New Rose» ? «Kick Out The Jams Motherfuckers» ? «Blank Generation» ? «God Save The Queen» ? «Born To Lose» ? «Shake Some Action» ? «White Riot» ? Jolis morceaux, certes, mais celui qui emportait le cœur, la bouche et tous les suffrages, c'était bien entendu «Teenage Kicks» des Undertones.

undertones_petit.gif

 

Nous possédions encore à cette époque des postes de radio qu'on pouvait trimballer partout. Quasiment identiques à ceux qui nous permettaient d'écouter treize ans plus tôt le hit-parade de SLC aussitôt rentré à la maison pour y choper «The Last Time», ce tube des Stones qui nous donnait le frisson mortel, ou encore «My Generation» des Who qui nous faisait croire qu'on était les rois du monde. Il fallait savoir bégayer pour chanter ce truc-là : People try to put us d-d-d-down...

 

Pourquoi treize ans (plus tôt) ? Parce que cette période de l'histoire du rock est tellement prolifique qu'il faut rester précis. Comme dirait Antoine Blondin, ça dégueulait de partout. C'est aussi l'époque où toute l'information rock (la seule qui pouvait nous intéresser, est-il utile de le préciser ?) transitait par le transistor.

a485kickep.jpg

 

Et en 1978, on réglait encore délicatement les fréquences sur ces postes de radio. L'idéal était de capter Radio One pour y choper John Peel. Pas facile, il était sur les ondes moyennes. Ça craquotait, mais on dressait nos oreilles de lapins pour récupérer le son de sa voix le mieux possible et surtout essayer de comprendre ce qu'il baragouinait. John Peel était le grand découvreur devant l'Éternel. Tous ceux qui prétendent posséder une vraie culture rock avouent humblement qu'ils lui doivent tout. Gedge, le chanteur du Wedding Present, raconte quelque part qu'il n'aurait jamais pensé à monter un groupe s'il n'avait pas découvert l'émission radio de John Peel. Aucun autre homme de radio n'est jamais arrivé à la cheville de Peely et aucune émission de radio n'a eu un tel retentissement auprès des fans de rock. On a eu cette chance incroyable de pouvoir l'écouter chaque soir pendant des années. On parle ici d'une forme de dévotion. Quand le premier album des Ramones est sorti en 1976, Peely l'a diffusé dans son intégralité, d'un trait, ce que personne n'avait jamais osé faire avant lui. On idolâtrait littéralement John Peel. On le savait proche de Captain Beefheart et de Marc Bolan. On le savait curieux de reggae et de rock allemand. On le savait fan des Misunderstood et de Gene Vincent, de Mark E. Smith et de Medecine Head.

a481kick.jpg

 

La presse anglaise proposait les paroles et John Peel offrait la musique. Grâce à lui, on mettait un son sur ce que racontaient les journalistes. Ils avaient drôlement intérêt à faire gaffe. Et puis John Peel savait trancher. Il avait un flair infaillible. Il était tout bonnement impossible de rater son émission. Je me souviens du soir, où avec sa morgue habituelle, il présenta d'une voix monotone les quatre titres d'un nouveau groupe de morpions. And now, the Undertones, from Derry...

a516und.jpg

 

Intro guitare, voix suraiguë : «C'est vraiment pas facile d'être ado. Chaque fois que je vois cette fille marcher dans la rue, je veux l'avoir. C'est dingue ce qu'elle me plait.» Puis ils attaquent le refrain : «Je voudrais te serrer, ouais, te serrer très fort contre moi. J'en ai la trique la nuit entière.»

 

Ils vont attaquer le deuxième couplet et déjà on brame à tue-tête. «I wanna hold you wanna hold you tight !» L'histoire de la jeunesse n'est qu'une interminable histoire d'amour charnel à l'état le plus pur. Le rock n'a d'autre fonction que de nous ramener à cette évidence.

a517und.jpg

 

Comme Iggy dans «No Fun», Feargal décroche son téléphone : «Je vais l'appeler au téléphone. Je vais lui demander de venir chez moi car je suis tout seul. Elle m'excite, c'est dingue ce qu'elle m'excite, c'est la plus belle fille que j'ai jamais eue !» Et là, le refrain nous retombe sur la gueule, comme un déluge divin. On se retrouve secoué de frissons, à bramer par la fenêtre : «I wanna hold you wanna hold you tight !» Jusqu'à la fin des temps, on voudrait continuer de bramer I wanna hold you wanna hold you tight et bander comme un âne en pensant à celle qui fut à une époque notre véritable amour de jeunesse.

 

«I wanna hold you wanna hold you tight !» C'est exactement ce qu'on bramait l'autre soir à la Maroquinerie. Les Undertones l'ont même joué deux fois. La petite foule hurlait comme un seule homme : «I wanna hold you wanna hold you tight !» «I wanna hold you wanna hold you tight !». On partage rarement des moments d'une telle intensité, dans une salle de concert. Quelque chose de très pur se mêlait au paganisme ambiant. C'était très différent de l'ambiance qui régnait aux concerts des Stooges, où le public reprenait en chœur tous les classiques jadis composés par Ron Asheton. Avec les Undertones, on se trouvait dans un monde magique, celui que ces petits mecs d'Irlande du Nord avaient créé de toutes pièces avec leurs petits doigts, leurs petites têtes et leurs petites guitares. Et quand on a la chance de les voir jouer sur scène, on ne peut faire qu'une seule chose, excepté bramer à la lune : les adorer. Ils sont tout simplement stupéfiants de simplicité, alors qu'ils ont largement de quoi rivaliser avec Chuck Berry, car ils sont eux aussi une véritable usine à tubes. Pendant deux heures, ils alignent les uns après les autres des hits planétaires tous plus acidulés les uns que les autres, et on croyait que ce privilège était réservé au grand Chuck, celui qu'affectueusement on surnomme le juke-box à deux pattes. Les Undertones font claquer au vent l'étendard de leur modernité, ils démarrent leur set avec «Jimmy Jimmy», un hit que tout le monde connaît puis ils enfilent les perles une par une, «Here Comes the Summer» (radieusement juvénile), «Jump Boys» (avec un accent qui fait penser à un bonbon exotique), puis plus tard «You Got My Number» (pulsé comme pas deux à coups de wanna-wanna-wanna), «Family Entertainment» (rutilant comme un jouet chromé) «My Perfect Cousin» (parfaite trépidance), «Much Too Late» (pépite garage effarante), «Listening In» (tressauté jusqu'à l'overdose), «When Saturday Comes» (qui rappelle étrangement «Paint It Black»), «Runaround» (trop sucré pour être honnête), «Get Over You» (un classicisme infaillible qui rappelle les Heartbreakers) et comme si cela ne suffisait pas, ils firent deux rappels, histoire de bien enfoncer leurs petits clous inoffensifs (on est aux antipodes des gros clous utilisés par les Romains pour crucifier leurs victimes). On a eu du rab avec des versions mirobolantes de «Male Model» (train qui fonce dans la nuit, sous des arches de chœurs fluorescentes), de «True Confessions» (sec et aride comme la biscotte post-punk), de «Hypnotized» (presque arrogant par le chant, tout juste un hymne, enfin quelque chose d'irrésistible, dans la plus pure veine undertonienne), de «Let's Talk About Girls» (leur reprise pétrie d'ingénuité). Pour le second rappel, nous fûmes une nouvelle fois conviés à bramer «I wanna hold you wanna hold you tight !» et ce n'est rien de dire que l'émotion finissait par bouleverser les plus coriaces d'entre nous. 

a518und.jpg

 

Ces cinq mecs sont restés les morpions d'il y a 35 ans, en tous les cas est-ce ainsi qu'il faut les voir. De la même façon qu'on se voit toujours comme un ado dans la glace de la salle de bains. Et pour une fois, la réalité ne nous fait pas mentir : les deux frères O'Neill sont restés exactement les mêmes, Damian à droite de la scène et John de l'autre côté sur la gauche, encadrant le reste du groupe comme les deux piverts d'un conte magique, le nez pointu, des petites lunettes à verres fumés, des petites corpulences, des petits cheveux, une petite Gibson Les Paul jaune pour Damian, une petite Gibson SG rouge pour John, des petites fringues ordinaires, des petits jeans noirs au noir passé à force de lavages, des clarks bien propres aux pieds, un polo noir pour John et une chemise ouverte sur un t-shirt noir pour Damian, et ils ont dans les pattes le meilleur riffage d'Irlande, et très certainement l'un des plus joyeux du monde. Ils se complètent comme seuls des frères peuvent se compléter. Ils conservent le même entrain qu'à leurs débuts, ils sont là pour jouer les chansons qu'ils ont composé dans leur chambre et ils ne se doutent même pas que ce sont des tubes, tellement ils sont inoffensifs. Mais le public chante avec eux, alors, ils doivent bien se rendre à l'évidence. On comprend que pour eux, ce n'est pas simple. Chez eux, la pureté revêt l'apparence de la timidité.

a488story.jpg

 

Derrière se démène Billy Doherty, rouge comme un tomate, avec l'épi de cheveux raides tombé sur le front, qui fait penser au petit gros qu'on oblige à courir sur le terrain de football et qui dit tout le temps qu'il n'en peut plus et qui souffle comme un bœuf, mais Billy continue de battre comme un chef, à sa façon, jazz-punk à cause de sa main droite tournée à l'envers comme celle de Gene Krupa, il joue à fond la caisse, soutenant un rythme aussi insoutenable que celui des Ramones, jamais un morceau lent pour souffler, on observe Billy et on se demande combien de temps il va tenir, on craint pour son petit cœur, mais Billy joue dans les Undertones et il ne lâchera pas l'affaire comme ça. Il revient pour les deux rappel et c'est lui qui va saluer le public le plus chaleureusement. On n'en revient pas de voir des morpions aussi gentils et aussi talentueux.

a487cousin.jpg

 

Il reste les deux plus grands. Les grands dadais du groupe, d'abord Michael Bradley, le bassiste, qui ne quittera pas sa veste en jean de tout le concert. Il joue sur une belle basse Rickenbacker et il n'en fait pas trop, il joue les mêmes dominantes depuis toujours et il ressent lui aussi une fierté inavouable à jouer les morceaux composés par les deux frangins piverts. Michael a un faux air de Jerry Lewis, il fait tout son possible pour se faire passer pour un gamin décontracté mais quelque chose de très sombre prend le dessus. Il fait parfois des commentaires en prenant bien soin d'accentuer son accent irlandais et pour se faire pardonner, il cherche à fabriquer quelques phrases en français. Admirable de sobriété, dans son jeu comme dans sa présence scénique, il montre à ceux que ça intéresse comment on fait pour jouer dans un groupe : jouer les chansons, rien que les chansons. Tout le reste n'est que littérature, comme disait Verlaine.

a486affich.jpg

 

L'autre grand dadais, c'est la pièce rapportée. Comme Feargal faisait son boudin et qu'il ne voulait pas revenir jouer dans le groupe avec ses copains d'enfance, alors les autres ont fait signe à Paul McLoone. Curieusement, Paul peut chanter comme Feargal, d'une voix souvent suraiguë et puissante, une belle voix pop parfaitement adaptée aux hits que pondent les deux piverts de génie. Alors Paul arrive sur scène en jean moulant et en petit blouson de sky noir, celui qu'on met pour rouler en mobylette. Et il prend son rôle de remplaçant très au sérieux, il bouge énormément, secoue les épaules et les hanches, il fait parfois son Travolta puis saute en l'air comme Pete Townshend, mais pas aussi haut, et met dans l'interprétation des chansons toute la rage adolescente dont il est capable. Et il finit par faire oublier cette petite teigne de Feargal, ce qui est en soi un véritable exploit. Le public l'adopte et Paul lui retourne la politesse en mettant toujours plus d'enthousiasme dans son chant. Il finit même par être aussi rouge que Billy la tomate, qui bat le beurre derrière lui, et il emmène les Undertones au firmament pop, avec une admirable constance de pièce rapportée. Il s'investit tellement qu'on finit par le trouver excellent, alors qu'au début du set, on s'agaçait de ses manières. Il se révèle sous son vrai jour, inspiré, et même porteur de flambeau patenté. Il finira par nous mettre définitivement dans sa poche avec la seconde version de «Teenage Kicks», épaulé pour les chœurs par Damian et de Michael, eux aussi bien conscients de vivre un moment clé de l'histoire de l'humanité.

 

 

Signé : Cazengler, adolescent attardé.

 

 

 

The Undertones. Teenage Kicks - The Very Best of the Undertones. Salvo 2010

 

L'illustration : de gauche à droite : John, Damian, Feargal, Billy et Michael.

 

PARIS 11 / BROC'N'ROLL

 

 

espace Vintage Swing / 09 – 06 – 13

 

 

KING BAKER'S COMBO

 

a496affiche.jpg

 

Pas vraiment la foule des grands jours au Cour Debille. C'est que les rockers sont fatigués. Se sont couchés tard, pardon très tôt. A mes côtés Mister B marche comme un zombie, est rentré à six heures du mat et je l'ai réveillé à douze heures tapantes pour lui proposer la sortie parisienne. N'avait qu'à pas aller à l'autre bout de la planète, à La Chapelle Serval, assister au 4° Rockabilly Festival, et en plus il me fait râler “ Y avait plein de monde, et plein de supers groupes anglais”. Désolé petit père mais moi j'étais ailleurs sur scène, avec un cheval qui jouait les mustangs sauvages des westerns, alors tes britishs... Bref ce dimanche après-midi, les cats ronronnent sous la couette douillette, à cinq heures du soir l'on n'en compte qu'une infinitésimale poignée aussi frais que des gardons sortis de l'eau depuis quinze jours.

 

a490turky.jpg

 

 

Je vous épargne la visite des étalages. Déjà qu'une broc sans stand de disques c'est un peu comme une Harley Davidson sans roues, même un épouvantail à moineaux refuserait de se vêtir avec les frusques censées réveiller nos concupiscentes pulsions de consommateurs frénétiques. Enfin, l'en faut pour tous les goûts... Ma fille – eh oui bande de chacals j'ai une fille belle et intelligente comme son père – en profite pour féliciter Turky – l'organisateur – de son petit mot à l'adresse des nazillons sur son facebook suite à l'assassinat de Clément Méric. Si les rockers se mettent à faire de la politique, où allons-nous ma bonne dame ?...

 

 

THE KING BAKER'S COMBO

 

a497affiche.jpg

 

Le King Baker's Combo prend place en l' exigu espace imparti au concert. Deux figures connues, Vince qui officie aussi dans Hoochie Coochies et Burnin' Dust, Jim de Jim and The Beans, Carlito l'ancien gérant des Indians à Montreuil, et Blanco que je découvre.

 

 

Carlito officie à la batterie. Mais la messe est déjà dite. Marque la mesure, mais n'en fait pas plus. Assure le minimum syndical. Encore un qui a dû passer une nuit agitée. Heureusement que les trois autres bossent pour six. Vince astique sa double bass avec beaucoup plus de frénésie. Pas de soli à proprement parler mais de délicieux moments où l'on n'entend plus que lui avec les cordes qui rebondissent comme des balles de tennis. Souque ferme. Donne l'assise rythmique et propulse le combo en avant.

 

a491blanco.jpg

 

Pour les guitares c'est un vrai régal. Jim à la sèche électrifiée et Blanco sans cable, en acoustique. Doivent assurer un max pour donner une épaisseur au son. Jim, l'esprit un peu ailleurs, fermerait les yeux avec plaisir, semble tenir debout par la grâce de ses doigts qui s'appuient sur les cordes. Mais jamais au même endroit, s'agitent et gigotent de tous les côtés. Et comme Blanco n'est pas en reste non plus, à eux deux ils mènent un boucan d'enfer. Parfois ils se regardent, du genre “ Ah ! Je t'ai eu coco, tu ne t'y attendais pas à celle-là” et ils repartent avec encore plus de fougue. Tension roots à toute épreuve.

 

a492blanco.jpg

 

Mais la grenade sur le gâteau, c'est la voix de Blanco. Un mélange de hargne et de rage. Après son Long Blond Hair de Johnny Powers impossible de s'amouracher d'une brunette aux cheveux courts, en donne un vocal que l'on peut dire définitif tant sa voix colle à son jeu de guitare. C'est là un des grands secrets du rock, l'important ce n'est pas de faire mieux que, mais de trouver d'instinct la plus parfaite adéquation entre l'idée que l'on se fait d'un morceau et son interprétation personnelle.

 

a493jim.jpg

 

Un Long Black Train de Conway Twitty sec et nerveux comme un crépitement de winchesters et une superbe reprise de Tired and Sleepy d'Eddie Cochran que je qualifierai d'intelligente tant on sent que Blanco se l'est appropriée. Font vite l'unanimité, auprès des danseurs comme des amateurs.

 

a494nous.jpg

 

Plouf ! Dix superbes petites pépites et le set est déjà terminé. Heureusement qu'ils rajoutent très vite qu'un deuxième passage est prévu. L'on a frôlé la prise d'otages. Faut pas habituer le public aux trop bonnes choses, il s'y habitue très vite. L'intermède sera un peu trop long ( mais pas du tout blond hair ) à notre goût. Enfin ils reprennent leurs instrus.

 

a495king.jpg

 

Sont encore meilleurs qu'au premier set. Davantage rentre dedans et vitesse rapide. Nous envoient pour commencer un Rock Crazy Baby d'Art Adams entre les dents et ne baissent plus la garde jusqu'à la fin. Somptueuses parties de grattes sur All I Can Do Is Cry qui donne davantage envie de sauter au plafond que de pleurer. Le chant de Blanco est bien plus rockabilly que celui de Wayne Walker trop entaché de proximités countrisantes. Suivront un Blue Jean & A Boy Shirt de Glen Glenn à vous rendre zinzin et un Gone, Gone, Gone vers la fin pour nous avertir qu'ils vont eux aussi partir. Turky implore un rappel. Nous l'aurons, mais les rockers sont fatigués. Ne nous donneront pas plus.

 

 

Enfin on garde le souvenir de deux sets magistraux habités par la grâce, l'unique soleil de ce dimanche pluvieux.

 

Damie Chad.

 

( Photos récupérées sur le Facbook de King Baker's Combo )

 

 

 

HEROS OUBLIES DU ROCKNROLL

 

 

LES ANNEES SAUVAGES DU ROCK AVANT ELVIS

 

 

NICK TOSCHES

 

 

( Traduction de Jean-Marc Mandosio )

 

 

( Editions ALLIA / 2008 )

 

 

Avec Nick Tosches, cest dans la poche. Enfin, il y a matière à discussion. A lorigine ce sont des chroniques rédigées en 1979 pour le magazine américain Creem. Sagissait alors de parfaire la culture des jeunes ricains tout juste sortis de lœuf qui abordaient les rivages du rock un peu après la bataille. Autant dire quils ne connaissaient rien étant pour la plupart issus de la petite-bourgeoisie blanche besogneuse et bien-pensante. Quil ait pu exister un avant-Presley a dû leur apparaître comme un nouveau concept dune radicalité absolue.

 

a498livre.jpg

 

Pour un amateur averti de rockabilly, nous dirons quil ny a pas beaucoup à boire et très peu à manger. Nous saluerons donc en premier Jean-Luc Mandosio qui a pris son rôle de traducteur au sérieux et qui ne peut voir traîner un mot danglais - serait-ce le titre dune chanson ou lappellation dun label - sans en donner à la seconde même un équivalent en notre humble patois franchouillard.

 

 

DE CELEBRES INCONNUS

 

a499book.jpg

 

Jugez par vous-même : Bill Haley et Screamin Jay Hawkins parmi les inconnus faut oser. Lest sûr que Nick Tosches a ses têtes, il déteste le gros Bill, et a essayé de retrouver les survivants avant de les couler dans le marbre de sa prose moqueuse. Jay Hawkins, laurait pas dû lui rendre visite. Lon naime guère les gars qui se renient eux-mêmes. Le grand Jay noir nous fait son petit numéro de pleurnicheur : pour le monde entier il est le clown augustule de service qui sort de son cercueil en hurlant alors quil aurait été prêt à chanter de lopéra si nous le lui avions demandé. Heureusement cette idée saugrenue ne nous a jamais traversé lesprit, zétaient peut-être tous pétés comme des coings dans le studio quand il a enregistré I Put A Spell On You, mais si Freud avait pu entendre ses beuglements de gorets énamourés jamais il naurait pensé que le désir primitif des animaux sexués que nous sommes puisse être jugulé par les retenues anti-éjaculatoires de notre inconscient.

 

a500screamin.jpg

 

Pour Bill, Nickie sen tire par une pirouette, ne parle que des ses premiers disques avant le rock autour de la pendule. Dans les trois dernières lignes lest bien obligé de reconnaître que sans lui, Presley Na pas osé écrire un chapitre sur Elvis avant RCA, alors il se rabat sur le frère jumeau, Aaron qui aurait été recueilli par la cousine de sa mère et qui aurait enregistré deux disques force du mythe qui happe lécrivain qui promet de ne point sy intéresser dans son titre Preuve que les chemins du rock qui ne partent pas de Presley y mènent tout droit quon le veuille ou non.

 

 

THESE ET ANTITHESE

 

 

Cétait mieux avant. En 1956, le rock est mort et enterré. Lidéal serait darrêter le processus en cinquante-quatre, juste avant que le natif de Tupelo ne franchisse le seuil de Sun, Cest que Nick Tosches possède sa propre chronologie de lhistoire du monde. 1939-1945 : commencement et fin de la seconde guerre mondiale. 1945-1955 : naissance et mort du rockroll. 1956 - 2000 ( date du dernier ajout ) : circulez, il ny a plus rien à voir.

 

 

Ce qui est fou cest le nombre de témoins qui se bousculent au portillon pour revendiquer léminence de leur rôle dans linvention du rock and roll. Pour ceux qui ont eu le mauvais goût de passer larme à gauche avant que Tosches ne les choppe en interview, ne vous inquiétez pas Nick sait faire parler les morts. Mais cest comme pour le venin des serpents. Notre auteur vous inocule lantidote avant la morsure. Prend soin de vous rappeler que lexpression rock and roll est aussi vieille que lAmérique, que personne na jamais été assez malin pour déclarer quil faisait du rock and roll à linstant même où il en faisait.

 

 

Pour cela tous les témoignages concordent : «  Ah ! Si on mavait dit que je faisais du rock, à lheure actuelle je serais plus riche que Presley, plus célèbre quElvis ! ». Tout le monde a le droit de saccrocher à son rêve. Quoique ceux réalisés à postériori relèvent daprès nous de laffabulation schizoprhénique. En plus, dans la plupart des cas lon devine en sourdine le ressentiment des artistes noirs qui savent très bien quils ne jouaient pas dans la même division que les petits blancs souvent ( mais pas toujours ) pas très doués.

 

a501distone.jpg

 

Pas besoin de foncer très loin dans le bouquin : le premier des vingt-huit portraits nest pas terminé que Jesse Stone complice dAhmet Ertegun - fondateur dAtlantic - se vante davoir inventé la rythmique rock : je cite : «  Doo, da-doo, dum ; doo, da-doo, dum » à lui tout seul, pour les besoins de la cause : nécessité adolescente dun beat de base et de danse qui soit ultra swinguant Pas étonnant que lon retrouve aussi les monographies de Louis Jordan et de Louis Prima. Lon comprend mieux pourquoi dans les décennies suivantes la musique noire sest affadie en dance-music.

 

a502atlantic.jpg

 

Dans léphéméride final qui couvre les années 1945-1955 est à peine mentionné en bout de course Bo Diddley auquel il nest fait aucune allusion dans les deux cents pages de texte qui précèdent. Little Richard nest même pas pris en compte et Chuck Berry est cité une seule fois, que ces trois rockers noirs soient hors-jeu du contenu de ce volume démontre que nous ne sommes pas en présence de héros oubliés du rock and roll mais à la recherche de précurseurs. Ce qui nenlève rien à leurs talents ni à leurs mérites.

 

 

Ce qui est en jeu dans nos remarques précédentes cest lessence même du rock and roll perçu par beaucoup comme un simple exutoire dune jeunesse à la recherche damusements joyeux et insouciants et par dautres - dont nous nous réclamons - comme lexpression dune rébellion métaphysique beaucoup plus profonde.

 

 

ACE DE PIQUE

 

a503ace.jpg

 

La dernière livraison - car la vingt-huitième sur Aaron Presley est hors-concours - est dévolue à Johnny Ace. Qui se souviendrait de lui de nos jours sil navait eu la merveilleuse idée de se tirer une balle dans la tête le soir de Noël 1954 avant de passer sur scène ? Pouvait pas soffrir un meilleur cadeau quant à sa postérité. Erreur tragique ou crime mystérieux ? Lon a évoqué de nombreuses hypothèses, de dettes non remboursées à une roulette russe qui aurait mal tourné. Nick Tosches avance une autre solution, mais il se rétracte aussitôt sous prétexte quil ne veut pas de procès Quand on nen dit pas assez, il vaudrait mieux se taire Nous serions plutôt partisan dun certain déséquilibre engendré par un succès répétitif et ultra-rapide. Cette disparition nest pas sen rappeler les franges dombre qui entoureront quelques années plus tard le meurtre de Sam Cooke. Le rock and roll nest pas une partie de plaisir.

 

a505ace.jpg

 

INNOCENCE

 

 

Et pourtant que de sexe ! Ne pensent quà cela. Même les gamines bien élevées comme Wanda Jakson qui déclare avoir le minou en éruption. Tout est prétexte à sous-entendus explicites. Salades salaces. Cramponnez-vous à ce qui dépasse car ça va secouer sec. Je vous passe les images romantiques à lorientale du genre jai le nem tout ramollo Vous rassure tout de suite, il ny a pas que le sexe dans la vie. Il y a aussi lalcool. Nos proto-rockers ne sont pas du genre à laisser les bouteilles à moitié pleines ou à moitié vides. Comme deux sur trois sortent de familles ultra-religieuses avec le papa prêtre ou pasteur, lon se dit que les chemins de foi ardente qui débouchent sur tous les péchés ne sont pas si terribles que cela et que les voies du Seigneur sont bien plus pénétrables quon ne le croit.

 

 

QUI DE QUI ?

 

a506logsdon.jpg

 

Débutons par celui dont le morceau - vous gouterez lambivalence de ce terme en en lisant la fin de cette phrase - I Got A Rocket In My Pocket fut le titre original de La Glorieuse Histoire du Rockabily de Max Décharné ( KRTNT 139 du 11 / 04 / 13 ), Jimmie Logsdon fan absolu de Hank Williams qui enregistra ses plus célèbres rockabilly sous le nom de Jimmie Lloyd, cétait en 1957, après Elvis donc, qui il est vrai à lépoque navalait pas autant de médicaments que lui. Un précurseur en quelque sorte. En plus Jimmie possédait la déplorable habitude de boire plus que de raison et davoir lalcool triste, bluesy en sa jeunesse et plus tard country-tire-larmes.

 

a507harris.jpg

 

Pour Wyonnie Harris, né en 1915 - vingt ans avant the Pelvis - il ny a pas photo, cest bien qui a publié chez King - cétait prémonitoire ! - Good Rockin To Night quElvis reprit sur son deuxième single Sun. Les témoins de lépoque et les mauvaises langues daujourdhui prétendent que cest à lui quElvis a emprunté son jeu de jambes inimitables. En tout cas il est des similitudes étranges entre les deux carrières, Gros cachets, cadillac frime, amateurs de gent féminine, danseur, chanteur dorchestre, vedette de film mais rien à voir avec la bonne éducation de petit blanc du Sud. Cest un gros noir, sans complexe, arrogant, bagarreur, insulteur toujours prêt à traiter les femmes de salopes avant de les passer à casserole. Entre 1945 et 1955 il est le roi du rhythm and Blues et se permet de créer un classique du rock and roll - la fameuse DrinkinWine, Spo-0-Dee-O-Dee. Une personnalité encombrante, le showbiz se hâta de loublier dès que la relève blanche fut en ordre de marche sur le marché. Alcoolique et malade il décède en 1969, on se hâta denterrer son souvenir. Le pionnier des pionniers.

 

a508harris.jpg

 

Par la suite Elvis préféra imiter la fin de carrière de Nat King Cole que celle de Wyonnie Harris. Discographiquement parlant car pour le reste Du sirop de glucose avec une voix romantique à donner le sexe féminin à tous les anges du paradis. Avec parfois une goutte de whisky pour ne pas rejeter ceux qui auraient cédé aux joies infernales. Mais cest le Nat King Cole du début qui est intéressant. Historiquement parlant parce quau seul point de vue musical vous avez le droit de ne pas opiner. Nat Cole est un pianiste remarquable, mais il agit en tant quadoucisseur : prend la folie du ragtime et la fureur du boogie-woogie, les assimile pour mieux les brider. Cétaient des chevaux sauvages, il leur enseigne le trot attelé et la marche au pas. Lélégance en plus, car la Cole attitude cest presque la cool préservation. Un talent certain, il atonnifie le bleu indigo du blues en bleu lavandasse de Klein, agréable à lœil et marque déposée pour éviter les imitations du produit formaté. Nat King Cole cest le moment où le jazz se retourne vers ses origines pour les revisiter et les rendres plus lisses. Acceptables en un mot.

 

a509harris.jpg

 

Cest un combat incessant. Certains à la Wyonnie Harris essaient de retrouver une sauvagerie originelle et dautres comme Nat King Cole tentent de toucher un plus large public - comprenez blanc - en versant beaucoup deau dans leur whisky. Le rock and roll porte en lui ces deux postulations contradictoires. Joue tour à tour la pute aguichante et la vierge intègre. Mais tant quon peut y enfoncer son morceau, personne ne se plaint.

 

 

Ces héros oubliés du rock and roll de Nick Tosches nous aide à nous rappeler lincontournable leçon de McKinley Morganfield, plus vous remontez vers la source dun fleuve profond, plus leau devient boueuse. Et cette muddy water sera la seule qui étanchera votre soif. De connaissance.

 

 

Damie Chad.

 

LOOK BOOKS !

 

 

LA CITADELLE DES VIERGES NOIRES

 

 

MARC-LOUIS QUESTIN

 

 

Illustrations : Tiffanie Uldry / Préface : Pierre Brulhet

 

 

( Editions Unicité / Décembre 2012 )

 

a510citadelle.jpg

 

Un truc à gothiques. J'entends vos dédaigneuses paroles et je vois votre moue sarcastique. Vous avez beau dormir la fenêtre ouverte jamais un méchant vampire ne vous a laissé la trace sanguinolente de son suçon sur votre cou. Vous êtes un esprit fort, vous n'y croyez pas. Mais vous êtes-vous demandé si les goules de la nuit croyaient en votre existence ? C'est une manière différente de poser le problème. De toutes les façons ce n'est pas le sujet du livre mais puisqu'il fait froid dehors, que votre électrophone est en panne, que votre copine s'est décommandée, bref parce que vous n'avez rien de mieux ou de pire à trastéger, en poussant un profond soupir de commisération, un verre de sky à la main vous vous installez dans votre fauteuil, et ouvrez le livre.

 

 

La nouvelle fantastique vous connaissez sur le bout des doigts. Vous en pondriez par dizaines si vous le vouliez vraiment. Un peu de peur, un peu de noir, un peu de sang, un peu de sexe, un peu de mystère, l'important c'est avant tout l'atmosphère inquiétante, cela s'obtient par le velouté du style. Vous ricanez une dernière fois, Marc-Louis Questin, ce n'est ni Edgar Allan Poe, ni Villiers de l'Isle Adam, ni Jean Lorrain, alors il a intérêt à avoir affûter son porte-plume s'il veut vous étonner.

 

a511marc.jpg

 

Vous jubilez. Ah ! le blaireau ! Mais il ne sait même pas bâtir une intrigue qui tienne debout. Abandonne ses personnages au bout de quatre paragraphes, se soucie d'eux comme d'une guigne, part de tous les côtés. Personne ne lui a sussuré le grand secret de la nouvelle : un début, un milieu, une fin. Unité d'action, de temps et de lieu. Mais c'est quoi, c'est qui, ce mec ? Sait pas lire, sait pas écrire, on devrait lui interdire de tenir un stylo. Touche pas une bille. Doit être frappé du calot. Cela pour les dix premières pages.

 

 

Ceci pour les dix pages suivantes. Mais qu'est-ce qu'il nous fait ? Il est à cent pour cent cinoque. Mais où il est allé cherché ce binz ? Ce n'est pas possible ! Et il croit que je vais marcher dans la combine. Alors là, ça devient étrange. Evidemment pris sous cet angle. Il exagère un peu, mais n'a peut-être pas tout à fait tort. Va finir par m'en boucher un coin, s'il continue. En plus il persévère sévère, n'a pas froid aux yeux le pépère. Les conventions littéraires ce n'est pas trop son truc, mais c'est tout de même bien foutu.

 

a512osiris.jpg

 

Faudra vous y faire. Vous aviez raison Marc-Louis Questin ce n'est ni Edgar Allan Poe, ni Villiers de l'Isle Adam, ni Jean Lorrain. Ni tous les autres que vous avez lus. Ce n'est pas mieux. Ce n'est pas moins bien. C'est différent. Vous raconte pas une histoire à la Lord Arthur Machen ( chose ) ou à la Lovecraft, non il n'imite pas les maîtres. Il propose un nouveau modèle. Un nouvel étalon. Or. D'abord il ne raconte pas une histoire. Pour la simple raison qu'il n'y a pas d'histoire. Et je ne dis pas cela parce qu'il y a vingt-trois nouvelles ( le chiffre de l'Eris) dans le volume.

 

 

Vous vous êtes levé de votre fauteuil et vous avez marché sur le plancher de votre chambre pour vous resservir un deuxième verre de sky. Crétinoïde ambulant ! Si je vous demande ce que vous êtes en train de faire vous me répondrez la bouche en coeur de boeuf, je marche sur le plancher de ma chambre. Et vous pensez que vous êtes en train d'arpenter la réalité du monde. A me dégoûter de l'espèce humaine !

 

 

Il est peut-être vrai que vous ayez commencé par marcher sur le plancher de votre chambre mais peut-être à un certain moment avez-vous marché sur la pensée du plancher que l'ancien locataire de votre chambre a projetée dans le monde. Pourquoi l'univers ne serait-il pas composé de courbes mathématiques, mentales et matérielles qui s'entrecroisent, s'emmêlent et s'entremêlent tel un noeud de serpents à mille têtes ? Dèjà Cantor avait entrevuu le problème avec sa théorie des alephs.

 

a512vampire.jpg

 

Evidemment cela change tout. Ce n'est pas seulement qu'à tout moment vous passez d'un plan à un autre c'est que vous êtes constituté de ces mille plans qui s'interpénêtrent en vous. En votre corps et en votre esprit. Actant et acté. Marionnette et marionettiste. Vous êtes ici et ailleurs. Vous êtes vous et d'autres. Alors maintenant, imaginez que vous écrivez une histoire de vampire. Vous aurez un mal fou à isoler l'unicité de votre personnage. Je est un autre a dit Rimbaud. Marc-Louis Questin raconte l'histoire de ce labyrinthe dont nous sommes constitués et de notre chair et de notre esprit et du rêve des autres, et des enseignements des mythologies et des cauchemars du monde et des batailles de montres antédilluviens et de bien d'autres choses encore. Mille chemins ouverts disaient Julien Green. Vous ne les parcourez pas, ce sont eux qui viennent à vous. Husserl lui-même dégoûté par le tollé général soulevé dans les milieux philosophiques par l'esquisse de sa théorie de l'intercommunicabilité des consciences l'avait sévèrement mise en veilleuse. Marc-Louis Questin en use comme d'un point de départ, a généralisé et unifié la pensée à tous les univers possibles et inimaginables.

 

 

Présent, passé, futur, mythes et modernités tout se mélange et se métamorphose en l'autre tout en gardant sa propre essence ontologique. A chaque pas vous empruntez un nouveau pont. Et poutant Marc-Louis Questin ne nous laisse pas dans cette incertitude généralisée. Nous prend par la main et nous guide. Thésée et le fil d'Ariane, mais plutôt comme Virgile vers l'Enfer de Dante, et Beatrix vers le paradis. La nature est un temple aux vivants pilliers nous a dit Baudelaire.

 

 

Je vous laisse à votre lecture. Marc-Louis Questin nous ouvre une des portes d'ivoire et de corne du rêve chère à Gérard de Nerval. Ce frère aîné de George Trakl. Grâce à lui vous entreverrez du Nouveau. Chef-d'oeuvre. Poésie absolue.

 

 

Ce livre est appelé à féconder bien des univers rock. La preuve on y entrevoit Ronnie Bird.

 

 

Damie Chad.

 

 

PASCAL ULRICH

 

 

( LES EDITIONS DU CONTENTIEUX / 30 pp / 15 E )

 

( Robert Roman / Lieu-dit- Bourdet

 

31 470 / France )

 

a513ulrich.jpg

 

Pas vraiment un livre. Un signe aux vivants et au mort. Voici quatre ans que Pascal Ulrich a sauté la ligne. Par la fenêtre. N'a rien laissé derrière lui sinon des centaines d'enveloppes multicolores éparpillées aux quatre coins du monde. Va te faire feutre disait-il à son courrier et vous receviez chez vous des dizaines de visages grimaçants et torturés. Vous souriaient pas mais vous engageaient à les suivre. Artistiquement c'était un peu comme le visage du Cri d'Edward Munch repeint avec les couleurs psychédéliques de l'été de l'amour. Mais l'amour chez Pascal épousait souvent les formes de l'ironie pour ses contemporains et les traits de la haine pour nos pauvres institutions humaines.

 

 

Vous envoyait souvent des poèmes à l'intérieur. Me souviendrai toujours d'une lecture opérée lors d'un spectacle culturel dans une petite commune de la Brie. Le Conseil Municipal tout fier de son initiative était rassemblé au premier rang sur les inconfortables chaises du Foyer Rural Communal. Cela avait commencé très fort par un groupe d'handicapés mentaux qui avaient joué une pièce... Un vieux fond humaniste de charité chrétienne avait poussé la population locale effarée rassemblée en ce lieu à tout de même applaudir...

 

 

Ensuite j'ai déclamé quelques poèmes de Pascal Ulrich. Du genre – je cite de mémoire – ce matin je me suis levé de bonne heure et je ne suis pas digne de vivre : je n'ai pas encore tué mon maire, je n'ai pas encore tué mon député – stupeur dans l'assistance à dominance social-démocrate tempérée... Pascal ne faisait pas dans la dentelle libertaire. Une autre fois dans une église voisine profitant d'une autre manifestation à prétention hautement culturelle j'ai lu sa visite à la Cathédrâle de Strasbourg qui suscita bien des interrogations ravacholiennes chez les fidèles atterrés...

 

a514ulrich.jpg

 

Robert Roman fut un des amis les plus proches de Pascal, a décidé de lui consacrer un ouvrage bio(pas du tout dégradable)graphique. Rassemble les documents. Cette plaquette constituée en majeure partie de reproductions couleur d'enveloppes colorées de Pascal est comme un prélude destiné à raviver le souvenir d'Ulrich, auprès des personnes qui l'ont connu et à donner un aperçu de son talent à ceux qui ne le connaissent pas encore.

 

 

Ne vous la procurez pas pour en faire un objet de collection. Ce serait trahir le cheminement de Pascal Ulrich qui s'efforçait de défoncer les portes afin d'élargir les horizons et d'ouvrir les fenêtres car il redoutait de se trouver enfermé, ne serait-ce qu'en lui-même.

 

 

Damie Chad.

 

 

TEQUILA BLUES

 

 

JEAN-MARIE GALLIAND

 

 

( Livre de Poche / N° 14 578 / 1998 )

 

a514tequila.jpg

 

J'ai flashé sur le titre. Le blues et la téquila - deux des superbes consolations que le bon dieu a donné aux hommes pour s'excuser de les avoir virés comme des mal-propres du paradis terrestre - comme accroche coeur ce n'est pas mal du tout. En plus si sur la quatrième de couve l'on explique qu'au début des annézes 70, l'héroïne s'en est allé aux States jouer du saxophone, l'on prend les yeux fermés. Surtout que l'illustration d'Isabelle Dejoy nous a colorié une nénette genre un peu vulgaire, un peu trop grosse. Pas vraiment la joie jolie.

 

 

Pour la musique, faudra repasser. Ce n'est pas l'intérêt principal de Jean-Marie Galliand, à part quelques titres de standars de jazz éparpillés dans le texte, n'y a rien. Vous y apprendrez que l'on souffle dans un sax, et puis n'en demandez pas plus. Ce qui titille Galliand ce n'est pas le rock, mais le sexe. Ouf ! Nous sommes sauvés.

 

 

Ne criez pas victoire trop tôt. Rien de bien révolutionnaire. Ni même pornographique. Béatrice fait son éducation sentimentale : baisotte par ci par là, pas le genre nymphomane de service. Elle assume sa sexualité de jeune fille, les mauvais coups comme les bons. Reconnaît ses erreurs et évite de mentir sur la réalité de ses sentiments. Tombe amoureuse d'un voyou. Mais comme la morale est sauve, il terminera le road-movie en prison. Ce qu'il y a de terrible c'est que l'on a surtout envie de plaindre Zézette la chienne recueillie, au destin tragique. Le plus beau personnage du roman, nettement plus authentique que les clones de Woody Allen avec qui la demoiselle traîne un bon tiers du bouquin.

 

 

Béatrice retournera-t-elle à Paris ou continuera-t-elle en stop jusqu'au Brésil ? Le livre ne répond pas à cette angoissante question, tant mieux car il y avait longtemps que l'on avait envie de tourner la page.

 

 

Damie Chad.

 

 

EN UN COMBAT DOUTEUX

 

 

JOHN STEINBECK

 

 

( Livre de Poche / N° 262 – 263 )

 

 

Hyper-rock'n'roll. Pourtant c'est tout juste si on aperçoit durant une demi-ligne la forme d'une guitare. Tout les grévistes ne sont pas Woody Guthrie. Parce que la défaite en chantant... Sont mal barrés nos cueilleurs de pommes. Les propriétaires ont baissé la paye et la grève n'est pas au mieux de sa forme. Elle avait bien commencé mais les patrons ne sont pas nés de la dernière pluie. Savent se défendre bien mieux que ceux qui les attaquent. Ont la loi, le fric, la presse, et les milices fascisantes avec eux. Les autres, à part leurs colères passagères et leurs ventres creux n'ont pas grand-chose à offrir.

 

 

Nous sommes au lendemain de la crise de vingt-neuf. Les wooblies ( voir notre livraison 114 du 18 / 10 / 12 ) sont remplacés par les agitateurs communistes. Inutile d'appeler MacArthur à la rescousse, ne sont que deux. Décidés à tout pour réussir. Le combat est douteux car manipulatoire. Ne suffit pas d'expliquer aux prolétaires qu'ils sont des exploités. Le savent déjà et n'en sont pas pour autant en train de dépaver les rues. Faut créer la situation et profiter de toutes les occasions. Partie d'échecs avec le capitalisme qui vous mate.

 

 

Pas tout à fait seuls, non plus. Quelques leaders naturels – les doigts d'une unique main - un tout petit peu plus conscients que leurs camarade sur qui ils ont une certaine emprise. Et puis c'est tout, même si vous comptez cette foule d'ouvriers indécis et versatiles qui oscillent perpétuellement entre crises de rage et néfastes accablements. Autant vouloir pousser une montagne d'un coup d'épaule. Le combat est douteux car perdu d'avance.

 

 

Beau livre, mais guère jubilatoire. Aussi impitoyable qu'un western de Clint Eastwood. La violence n'est pas une solution mais une nécessité. Si vous ne voulez pas le combat, c'est le combat qui vient à vous. Inéluctable fatalité, Steinbeck ne se cache pas derrière des pauses romantiques. Juste derrière son titre. Mais qui doute de la réalité de la lutte des riches contre les pauvres ?

 

 

N'allez surtout pas inverser les termes de l'équation ainsi posée.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

Les commentaires sont fermés.