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29/11/2012

KR'TNT ! ¤ 120. GUIDO KENNETH MARGESSON / MEGATONS / BESSIE SMITH

 

KR'TNT ! ¤ 120

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

29 / 11 / 2012

 

 

GUIDO KENNETH MARGESSON / MEGATONS / BESSIE SMITH

 

 

BAR ST VINCENT / ST MAXIMIN / 24 / 11 / 2012

 

 

THE MEGATONS + GUIDO KENNETH MARGESSON

 

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La teuf-teuf mobile se range comme un bolide de compétition sur le trottoir du St Maximin. Rideau d'étoffe noire sur la façade. Moment de flottement, le concert aurait-il été annulé au dernier moment ? Nous sommes partis sans prendre la peine de vérifier sur www.rockarocky.com Mais non, ce n'est qu'une fausse peur. Nous savons bien que la lumière filtre entre les interstices et qu'il faut passer par l'ouverture latérale. Trois belles sirènes nous accueillent de trois charmants sourires dans l'abri précaire d'un auvent secoué par des bourrasques de vent charitablement destiné aux fumeurs irréductibles.

 

 

Moins de monde que pour notre première visite ( voir notre notre 116 ième livraison du 01 / 11 / 12 ) même si les trois salles se remplissent peu à peu. Tant pis pour les absents, ils auront raté une bonne soirée. Qu'ils se rassurent, nous avons bu et englouti de monstrueux sandwichs en leur honneur. Et aussi écouté un max de bonne musique.

 

 

LES MEGATONS

 

 

Sont pressés, sifflent leurs ballons de rouge, leurs rosettes cornichonnées et leur plateau de fromage, vitesse grand V. La scène les appelle. Petite déconvenue, n'ont pas emmené Johnny Fay avec eux. Notre pionnier est reparti aux States. L'on ne sait quand il reviendra, mais l'on espère bientôt. Ne sont toutefois pas venus tous seuls. Le jeune homme assis à leur table – davantage dévoré par le trac que dévorant son panini maison – ne peut être que Guido Kenneth Margesson, le mystérieux invité surprise annoncé sur les flyers. Mais nous en reparlerons après le premier set des Megatons.

 

 

Sont en forme. Nous débitent leur quinze titres à l'allure d'un hors-bord de compétition. En les écoutant je ne peux m'empêcher de faire un parallèle entre ce white rock qui constitue l'épine dorsale de leurs titres et les premiers morceaux des Ramones. Deux extrémités antithétiques du rock'n'roll, les joyeuses insouciances sixties face à la désespérance nihiliste du punk. Diamétralement opposées quant au climat certes, mais toutes deux si typiquement américaines dans leur volonté de faire soi-même, vite et bien.

 

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Le temps de barjoter dans ma tête, ils ont déjà achevé six titres dont le fameux Cindy Lou de Johnny Fay. Le white rock, ce rock primaire des adolescents du début des années 60 – d'avant les teintes bluesy qu'imposeront les Stones – déborde d'énergie. Entrée au choix, trois poum-poum-poum de batterie ou trois vlang-vlang-vlang de Danelectro, et ensuite c'est la charge de cavalerie légère. Avec l'incessant bourdonnement du saxophone de Jerry qui virevolte au-dessus de la mêlée. Véritable attaque de frelon, se mêle de tout, rebondit partout où on ne l'attend pas même si l'on est toujours dans l'espoir de l'entendre réapparaître dès qu'il cesse ses vibrionnantes menées subversives.

 

 

A peine le temps de demander d'être ravitaillé en bière et la galopade repart. Le répertoire des Megatons est peuplé de jolies filles qui se laissent facilement convaincre, les soirs d'été sur le sable encore chaud de la plage. Les jeux ne sont pas interdits et à tous les coups l'on tire le bon numéro. Rock festif, enjoué et entraînant qui ne vous laisse pas de répit. Lorsque le saxo égrennera les notes mélancoliques de Summertime, vous n'avez pas le temps de saisir votre mouchoir qu'un break de batterie pulvérise la tristesse des jours perdus en une sarabande endiablée.

 

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Cela va si vite que le set est déjà terminé. L'on en reprendrait encore et encore. Nous promettent de revenir, mais après un court entracte, ils laisseront d'abord la place à Guido Kenneth Margesson.

 

 

GUIDO KENNETH MARGESSON

 

 

Premier concert en France. Les Megatons l'ont rencontré aux Pays-Bas. Suite à sa prestation ils lui ont proposé de participer à la soirée au St Vincent. Est venu accompagné de son père. C'est que Guido Kenneth Margesson n'a que seize ans et qu'il débute dans le métier. Mais là il est seul sur scène avec sa gratte. Pas tout à fait puisque Eric et Didac sont à leurs instrus, drums et lead guitar, pour l'accompagner. Mais rien de préparé, à l'arrache, au feeling. Sans filet, pas vraiment l'idéal pour débuter.

 

 

Va s'en tirer comme un chef. Pas sur les trois premiers morceaux où sa guitare et sa voix sont couvertes par la Danelectro de Didac. Mais une fois que Jerry aura opéré les réglages nécessaires sur la console, la situation s'améliore très vite. Guido Kenneth Margesson ne se démonte pas. Belle prestance dans son costume un peu ted mâtinée d'une imperceptible touche de Cash gravité, chemise blanche, cravate rouge et symphonies de gris pour les gilets, le pantalon et le manteau par-dessus. De l'allure, et du bon goût. Idem pour le répertoire. A pioché dans les valeurs sûres. C'est un véritable festival de classiques. Cochran, Vincent, Holly, Berry, Presley... Que du bon.

 

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Le public se laisse vite prendre. L'on sent que la voix est en train de s'affirmer, que le jeu de guitare demande une plus grande tension sur les rythmiques, mais l'ensemble tient la route, le Johnny B. Goode final enfièvrera la salle. Au fur et à mesure que le set s'est déroulé, Guido a pris de l'assurance. La voix est devenue plus dure, sa frappe sur les cordes beaucoup plus précise et il indique des yeux et de la tête la structuration des morceaux aux musiciens. Sait ce qu'il veut. Il aime le rock'n'roll et cherche à se l'approprier pour apporter sa vision personnelle.

 

 

Ne devait faire que quelques titres, nous en offrira une quinzaine. Parmi eux un Say Mama des mieux envoyés et un C'mon Everybody à la guitare bondissante. Touche le coeur de beaucoup de monde. A seize ans il entreprend ce que la plupart de nous ont rêvé de faire sans jamais oser le réaliser. Just a kid. Yes, but a screamin' kid.

 

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En fin de soirée discussion informelle au bar, Mister B. lui conseille des cordes à filets plats mieux appropriés à son style. L'on évoque Billy Fury et Imelda May. Le visage de Guido Kenneth Margeron s'éclaire lorsque Mister B cite Dave Phillips, ce pionnier de la renaissance rockabilly en Angleterre à la fin des années 70, notamment avec les Blue Cats puis avec son propre groupe The Hot Rod Gang. Ses reprises de Gene Vincent font l'unanimité tant par leur fidélité que par leur modernisme. «  C'est mon oncle ! » s'écrie Guido Kenneth Margeron. Bon sang ne saurait mentir. A suivre.

 

 

( The same in english, thank you Aurélie and Thomas for helping me ! )

 

 

GUIDO KENNETH MARGESSON

 

 

 

 

First concert in France. The Megatons met him in the Nederlands. After his performance they offereded him to take part to the St Vincent's evening. He came with his father. Guido Kenneth Margesson is only sixteen and he is starting in the job. But now he's alone on stage with his guitar. Not enterely as Eric and Didac are behind him with their instruments, drums and lead guitar. Nothing 's prepared, everything 's done instinctly. They 've no safety net. Not the best to start.

 

 

Will be like a boss. Not on the first three titles as his guitar ans his voice were covered by Didac's Danelectro. But when wwww will have made all the necessary arrangements on the box, the situation improve quickly. Guido Kenneth Margesson doesn't give up.

 

 

Very handsome in his Teddy-like costume with a graveness Cash touch – white skirts, red tie and shades of grey for his jackets, his trousers and his coat on him. Good taste and class. Same goes for his song. Choser from classics. It's a real festival of then : Cochran, Vincent, Holly, Berry, Presley... Only good stuff.

 

 

The audience gets on rapidly. His voice is going harder, the guitar is increasing tensionon the rhythmivcs plans, but it is pretty good in the while, to finish with Johnny B. Goode. As the set goes on, more Guido affirms himself as the boss. His voice has now harder, his touch on the string finer and he says to the musicians what he wants with his eyes and his head for the structure of the songs.He loves rock'n'roll and he tries to give the music his personnal touch and vision.

 

 

Should have played some songs but he gave fifteens songs. Among then a version of Say Mama very well shot down and a C'mon Everybody with a hupping guitar.All the people are touched. Only sixteen years old and he does what we all dreamed of make without ever realize it. Just a kid. Yeah, but a Screamin' Kid.

 

 

 

 

Later we are speaking in the pub. Mister B says he better use fine string for his style. We speak about Billy Fury and Imelda May. Guido Kenneth Margesson smiles when Mister B speaks speaks about Dave Phillips, this pionnier of the rockabilly rebirth in England, in the late seventies, first with the Blue Cats, then with his Hot Rod Gang. His authentic and modern Gene Vincent 's interpretations are loved by all the cats. «  He's my Uncle ! » shouts Kenneth. Pure blood don't lie ! To be continued.

 

 

THE MEGATONS

 

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Revoici les Megatons. C'est reparti pour un tour. Mais encore plus pulsé. Ne vont plus pouvoir s'arrêter. Sont à fond. Savent-ils encore ce qu'ils font ? Sont sur une vague euphorique. Ils jettent leur dernier 45 tours dans le public. Mister B en reçoit un sur le coin de la figure sans avoir rien demandé. Ira le faire dédicacer à la fin du tour de chant. Mais nous n'en sommes pas encore là.

 

 

Charlie s'en donne à coeur joie. Tout le répertoire y passera, même les nouveaux morceaux en préparation. Finira tout seul, chant et micro, prêt à traverser la nuit jusqu'à cinq heures du matin. Faudra que Jerry coupe les amplis pour qu'il s'avoue vaincu. Le second set est beaucoup plus âpre que le premier. Plus appuyé, plus hargneux si l'on ose dire car le white rock ne chante que le plaisir de vivre vite tout en jouissant d'une éternelle jeunesse. Mais une volonté d'insouciance est aussi le signe de menaces voilées. Le rythme binaire du rock exprime cette dualité, ici sous-jacente. La vie est une partie de flipper. A peine l'avez-vous achevée que vous en rejouez une autre. No tilt. Only lighter bumpers. Et les parties gagnantes qui pètent à la queue leu leu.

 

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Au bar nous sommes rejoint par Eric qui parle de Johnny Fay et de la grande leçon de vie qu'il vient de leur donner, de son groupe Barfly – nous chroniquerons leur single prochainement – du rock'n'roll américain qu'il entrevoit comme une énergie et un feeling que l'on se doit de perpétuer sans trop se poser de questions. Il faut se laisser emporter par la vague, et l'enthousiasme...

 

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Pouvez ne pas être d'accord avec lui et décréter que le rock ne s'improvise pas et qu'il faut travailler chaque jour son instrument et parfaire ses connaissances théoriques tous les soirs, en tout cas nous ne pouvons nier que nous avons passé une soirée revigorante et que nous sommes prêts à remettre le couvert à la prochaine occasion.

 

 

Damie Chad.

 

 

SUR LE PAYS Où NAQUIT LE BLUES D'ALAN LOMAX

 

 

Le BLUES : une manière d'être au monde, un sentiment de l'existence, une attitude face à la douleur, à l'absurde et à l'injustice de l'organisation humaine... Le Blues un chant de libération comme celui de SPARTACUS et une tentative de ne pas succomber à la blessure... une force donc... pour rejoindre le chant de la terre... Mais les hommes d'en bas sont comme des chiens enragés et manquent le chant de la terre... Alors moi je souffle encore plus fort dans mon Harmonica....       Patrick Geffroy        Merci et vive le BLUES

 

IMPERATRICE DU BLUES

 

 

BESSIE SMITH / FLORENCE MARTIN

 

 

Collection : Mood Indigo / 1994

 

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Publié en 1994 aux Editions du Linon, disparues corps et biens, mais aujourd'hui repris avec les autres titres de la collection chez Parenthèses. Le livre avait reçu le Prix Charles Delaunay de l'Académie du Jazz. Amplement mérité. En le lisant l'on s'aperçoit que beaucoup d'autres auteurs « spécialisés » en musiques afro-américaine y ont puisé à pleines mains pour leurs propres ouvrages. Il est vrai que l'on ne vole qu'aux riches. C'est que Florence Martin jouit d'un avantage considérable par rapport à nombre de nos écrivains nationaux, professeur de littérature française au Goucher College de Baltimore elle vit et travaille aux Etats-Unis, elle a donc à sa disposition toute une documentation sans commune mesure avec ce que peuvent offrir les archives sonores et les bibliothèques de notre douce France quant à l'histoire de la musique populaire américaine.

 

 

LES ORIGINES DU BLUES

 

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Doublement intéressantes puisqu'elles sont les mêmes que celles du rock. Florence Martin examine la piste africaine. Remontées aux sources. Très peu musicologue, elle n'explore point cet entre-deux, cet entre deux temps serait-on tenté de dire, qui vit au dix-neuvième siècle s'affronter et s'accoquiner les musiques blanches et noires, pour en fin de compte engendrer et assembler de bric et de broc dans la chaleur vacante des états du Sud cet hybride poisseux que l'on nomme le blues.

 

 

Je soupçonne un tant soit peu Florence Martin d'être un chouïa féministe. N'écrit pas sur Bessie Smith par hasard. Sa stature de femme est importante pour elle. Pas tant l'aspect social du personnage qui se hisse en des conditions plus que défavorables à un niveau de reconnaissance que la plupart de ses congénères, mêmes blanches, n'atteindront jamais. Plutôt la femelle porteuse d'hormones délictueusement hystériques. La fée du logis celle qui nourrit, qui donne le sein et qui prépare la tambouille dans le chaudron familial et qui vous touille cela avec des rires de diablesses en rut et des ricanements menaçants de sorcière. Dust my broom, en quelque sorte. Car question blues vaut mieux s'en référer à Elmore James qu'à Doctor Freud.

 

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Cette femelle porte un nom, elle pratique la magie – noire puisque importée d'Afrique – c' est la prêtresse vaudou. Musique du diable affirmera Robert Johnson. Le blues est une question de pouvoir. Rentré, car les esclaves n'avaient pas trop intérêt à ouvrir leur gueule au pays d'Uncle Sam. Ce qui ne les a pas empêchés de ne jamais la fermer tout à fait. Murmures et rumeurs. Moanin' the Blues.

 

 

Ne pas traduire par gémir ou se plaindre. Mais par chercher l'autre. Le blues est un appel, et qui lance un appel exige une réponse. Celui qui pense que les blues lyrics sont emplis de répétitions qui traduisent un manque d'imagination et de vocabulaire se trompe de culture. Le blues ne répète pas, il dit et il se répond à soi-même. Incantation poétique et inspiration du souffle physique. Le corps répond à l'esprit qui l'appelle. Pas de pudeur. Aucune retenue.

 

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Mais le blues est un avertissement. A mots couverts. N'est pas pour tout le monde. C'est un signe d'alerte discret mais efficace qui renseigne sur les allées et venues du maître dans les champs de coton. En Algérie française, les colons dénonçaient le téléphone arabe. Tout ne se sait pas. Mais beaucoup se transmet. Public choisi. Faut être initié pour comprendre.

 

 

Le blues ne vient de nulle part mais il suinte de partout. Le blues se fout de nous. Il surgit de là où l'on l'attend le moins. De chez les blancs. Dans les plantations des maîtres qui s'amusent à singer leurs esclaves, leurs manières marantes de marcher, de danser, de parler, de chanter. Parodie et fascination. Ces divertissements de bonne compagnie ne peuvent durer qu'un temps. Faudrait pas se prendre au jeu des renversements de valeurs. Des groupes de chanteurs et danseurs professionnels s'empareront du créneau. Se griment le visage en noir pour faire plus vrais.

 

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Les minstrels tournent de ville en ville. Vont trouver un public inattendu, les noirs qui se reconnaissent dans de tels spectacles. Se pensent capables de faire aussi bien. Sans avoir besoin de se maquiller. Faudrait tout de même pas pousser le nègre hors des taudis. Les troupes noires auront leurs propres théâtres, leurs propres tournées. Faut pas mélanger les socquettes blanches avec les chaussettes noires. Et quand je dis propres, comprenez que les lieux sont plus sales et les salaires encore plus crades. Les noirs imitent les blancs qui parodiaient les nègres. Et bientôt les élèves dépasseront les maîtres.

 

 

En attendant tout le monde se marre bien. Car ce sont des numéros à dominance comique. Des danses osées à la Valentin le désossé, des sketches bien gras, des chansons joyeuses et un peu ( beaucoup ) salaces. De temps en temps pour donner du rythme au spectacle l'on glisse un truc plus lent et plus triste. Pour mieux se fendre la poire tout de suite après. Voilà d'où vient le blues. C'est sur un tel terreau que poussera Bessie Smith. Pas de pathos, ce n'est pas une petite fleur délicate au coeur tendre. La tristesse du blues naît d'un éclat de rire.

 

 

BESSIE SMITH

 

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Née en 1894, Bessie monte sur scène en 1915. C'est en cette même année que verra le jour Billy Holiday. Très symbolique. Aujourd'hui la gloire de Billy a éclipsé celle de Bessie. Tout un programme, le jazz a annexé le blues. Nous y reviendrons. En 1915, Bessie n'est qu'une gamine, un peu maigre, mais douée. Le succès viendra doucement mais à pas de velours. Assez vite elle est remarquée et reconnue. Dans toutes les revues auxquelles elle participe c'est elle que le bouche à oreille désigne comme l'attraction la plus forte.

 

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C'est en 1923 qu'elle entre pour la première fois en studio. Columbia ne se moque pas d'elle. Dès le début elle sera très bien payée 500 dollars par morceau, mais pas de royalties, et elle enregistrera en plus de vingt ans plus de 160 titres. Ce sont les disques qui feront de Bessie une star. Non, la star. Elle ne maîtrise pas la production mais la plupart du temps on lui choisit de très bons musicos. Notamment Louis Armstrong. Bessie sera aussi soutenue par les journaux de la presse noire. Compte-rendus de ses spectacles élogieux, très bonnes chroniques de ses 78 tours. Elle tourne beaucoup, possède même son propre wagon pour se déplacer elle et sa troupe dans le Sud et bientôt sur la côte Est. Il est vrai que ses spectacles oscillent entre cirque et opérette. Mais c'est aussi une manière de déjouer la ségrégation, après la représentation toute la troupe, plus de quarante personnes, retournent à la caravane où elle est sûre de pouvoir manger quand la plupart des restaurants ouverts la nuit refusent de servir les nègres...

 

 

BESSIE

 

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Tous les témoignages des contemporains concordent c'est une extraordinaire bête de scène. Ou plutôt une présence indiscutable. Suffit qu'elle apparaisse pour que la foule se taise. Elle subjugue, par sa voix et son charisme si particulier. Grassouillette, dodue, pas spécialement belle, plutôt petite, mais elle sait danser et capter l'auditoire. L'en fait ce qu'elle en veut. Ne joue pas à la mijaurée. Elle aime l'alcool et le sexe. Elle le dit et le proclame dans ses textes. Se produit devant des milliers de spectateurs comme dans des rent parties organisées par un particulier dans son domicile afin de récolter l'argent qui lui permettra de payer son loyer ou de simples soirées entres amis.

 

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Un formidable appétit de vivre. Se choisit un mari puis butine ailleurs. Est connue pour ses passions saphiques. Elle claque l'argent, pour ses soeurs et le restant de la famille qui lui coûte cher. Se vêt de fanfreluches, de robes en satin blanc, s'entortille dans des boas de plume, une véritable blues star. N'a peur de rien, n'a pas sa langue dans sa poche, l'on raconte qu'un soir elle s'opposera toute seule au Klu Klux Klan qui venait saboter son chapiteau...

 

 

THE VOICE

 

 

Mais tout cela n'est que de l'écorce morte. J'ai mis longtemps à comprendre ce qu'une hurleuse de blues à la Janis Joplin pouvait lui trouver pour la tenir en si haute estime. Bessie, j'écoutais trois morceaux et puis j'arrêtais, sympa mais pas bouleversant. Me suis même longtemps demandé, jusqu'à ces dernières semaines pourquoi on la classait parmi les chanteuses de blues.

 

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C'est qu'elle ne chante ni comme Big bill Bronzy, ni comme John Lee Hooker. Je ne parle pas du timbre de la voix bien sûr. En fait elle ne force jamais sa voix. Ne pousse jamais plus haut que sa première émission. Ne monte pas. Tout son art réside dans ses inflexions. Vers le bas. Jamais vertigineuses. Demande une attention soutenue. Ouvrage de précision. Un peu à la Charlie Patton mais qui lui oeuvre dans un registre si grave que tout de suite il induit une intensité dramatique insupportable. Bessie reste dans le mezzo, elle module en médium mais ignore l'attirance des cimes comme le vertige des abîmes. Cela est d'autant plus étrange que les témoignages des spectateurs concordent tous sur la puissance de son organe vocal.

 

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Avec Bessie faut descendre dans les nuances. Pas de montagnes russes. Avec en plus ce décalage avec les textes, souvent à double, voire à triple sens, coquins et émoustillants. N'en fait pas des tonnes. D'ailleurs elle chante aussi bien du blues que des succès pop de l'époque. On dirait que ça l'indiffère. Se contente de mettre son empreinte indélébile dessus. Ni trop, ni trop peu.

 

 

THE END

 

 

En 1929, elle est au sommet de son art et de sa popularité. L'on parierait que la grande dépression ne pourrait avoir qu'apporter de l'eau au moulin du blues. Jamais aux USA l'on aura versé autant de larmes. Mais sans doute est-il inutile d'en rajouter. Etre triste quand tout va plutôt bien que mal, est un luxe d'esthète. Mais lorsque la conjoncture s'aggrave personne ne s'aventure à rajouter du bleu-noir au blues ambiant.

 

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Les temps changent. Les grandes foules ont envie de rigoler et d'oublier. Otez de mes yeux cette crise que je ne veux pas voir. La nouba du jazz fait recette. Fini les quatre musicos en train de répéter à l'infini les notes bleues. L'on désire s'amuser. Faut du monde et un grand orchestre. Faut que ça swingue. Bessie et son miaulement ininterrompu de matou abandonné peut se rhabiller. L'on a besoin de plats plus toniques. Duke Ellington et consorts sont plébiscités.

 

 

Certes Bessie conserve son public, mais l'on comprend qu'il va vieillir avec elle. Renouvellement de génération, les jeunes n'écoutent pas les disques de leurs parents. C'est une loi de la nature. Bessie n'abdique pas, durant les années trente les témoins racontent que lors de ses prestations elle swingue les paroles de ses vieux blues. Essaie de se mettre au goût du jour. Il est pourtant bien connu que les gens préfèrent l'original à la copie.

 

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L'est encore jeune. Il ne lui reste plus qu'à mourir. Vu son caractère de battante et de croqueuse de blues ce doit être son dernier souci. Pas du genre à se suicider. Réussit pourtant à quitter la scène de la vie sans se renier. N'y est pour rien, mais saura soigner sa sortie. Comme sur un disque d'Eddy Mitchell. Sur la route de Memphis. Question mythologie ça nous en bouche un coin. Même Tennessee Williams n'a jamais imaginé un tel lieu mythique pour trucider un des déjantés de la vie que sont habituellement ses personnages. En voiture, elle dort à la place du mort – tout à fait normal pour ce qui va lui tomber dessus.

 

 

Chaleur moite du Sud. Les vitres sont ouvertes. Son bras pend au-dehors le long de la portière. Un camion arrêté qui déboite au mauvais moment... Bessie a le bras arraché. Elle perd énormément de sang. Elle est évanouie. Peut-être en état de coma. Elle ne réveillera pas. Meurt-elle durant son transport ou juste en arrivant à l'hôpital ? Qu'importe après tout.

 

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Une mort à la Eddie Cochran et à la Isadora Duncan étranglée par son écharpe prise dans les rayons d'une des roues de sa voiture. Sic transit gloria mundi. Morte en 1933 il faudra attendre l'an de grâce 1970 pour qu'elle ait droit à une pierre tombale gravée à son nom sur sa tombe...

 

 

Entre temps l'on aura oublié qu'elle avait été l'impératrice du blues. On essaiera de la récupérer. Pour la bonne cause en assurant qu'elle était décédée parce que l'hôpital pour white people de Memphis n'avait pas voulu la soigner... Pour une autre plus ambiguë, on l'étiquettera parmi les chanteuses de jazz...

 

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Cela peut s'expliquer : c'est à la fin des années vingt que les labels spécialisés dans le blues classic dont Bessie est la représentante la plus talentueuse se détournent de ce style dont ils pressentent la fin prochaine. Lassitude du public mais surtout ce que l'on appelle le blues rural est davantage en phase avec l'air du temps. Le crack boursier, les hobos sur la route, la misère galopante, voilà qui entre en totale harmonie avec les cordes usées des guitares fatiguées du delta. Ceux qui n'ont pas le coeur à danser sur les partitions des big bands cuivrés à la mode ne seront pas abandonnés : l'on a à leur proposer une musique qui correspond point par point à leur état d'âme, un blues rudimentaire – qui ne coûte vraiment pas cher à enregistrer – et qui ne peut que leur plaire. L'on ne vous promet pas que votre moral remontera au beau fixe avec ça, mais croyez-nous, c'est l'avenir.

 

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Ne croyaient pas ce qu'ils disaient mais pour une fois ils avaient raison. La grande perdante de tout cela, c'est Bessie Smith dont on se souvient de moins en moins qu'elle fut un des jalons essentiels de l'histoire du blues.

 

 

Damie Chad.

 

 

22/11/2012

KR'TNT ! ¤ 119. ALAN LOMAX / LE PAYS OU NAQUIT LE BLUES

 

KR'TNT ! ¤ 119

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

22 / 11 / 2012

 

 

 

ALAN LOMAX

 

 

LE PAYS Où NAQUIT LE BLUES

 

 

( LES FONDEURS DE BRIQUE / 662 pp / Octobre 2012 )

 

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Toute la musique que j’aime

 

Elle vient de là, elle vient du blues

 

 

Merci Johnny ( et Rollin ), toutefois cela ne répond pas à la question cruciale : mais d’où vient le blues ? Il existe bien un livre qui répond en partie à cette angoissante question, mais jusqu’à ces dernières semaines il n’était accessible qu’en ricain -autant dire en requin méchant qui vous bouffe un mot sur deux - un pavé d’un demi-millier de pages, un truc insurmontable pour mes connaissances, très limitées, de la langue anglaise.

 

 

Mon sang ne fit qu’un tour, et mon stylo qu’un chèque, lorsque j’ai vu la pub sur le site de la revue rock’roll, www.rockandroll , incroyable mais vrai, The Land Where The Blues Began d‘Alan Lomax ( 1915 – 2002 ) , traduit en français par Jacques Vassal chez Les Fondeurs de Brique ! Trois jours plus tard je recevais le bébé. Deux kilos, avec en plus au fond de l’enveloppe un marque-page qui reprend le dessin de la couve de Pascal Comelade, une très chatoyante représentation iconique de Son House, assorti d’un infâme pin’s azuréen barré en petites lettres illisibles par le nom d’Alan Lomax, genre d’objet inesthétique au possible auprès duquel le logo de la SNCF passe pour une peinture originale du Caravage. Un truc à vous refiler le blues pour au moins deux semaines et demie. A vous taper la tête contre le mur. De briques.

 

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Voudrais pas être vachard avec Vassal, mais dans les années soixante-dix, ce frère Jacques tenait la rubrique Folk dans la revue Rock & Folk. A l’époque j’étais déjà depuis longtemps branché électrique et mes préférences couraient plutôt du côté des trashy tracts d’Eve Punk Adrien, le gars qui vous parlait du punk alors que le mouvement du même nom n’existait pas encore. Le KR’TNTreader aura remarqué que la traduction d’En Route Pour la Gloire de Woody Guthrie ( livraison N° 106 du QQ / QQ / 12 ) était aussi due à Jacques Vassal, comme quoi notre journaliste spécialisé en folksong ne s’intéresse pas qu’à la cueillette des escargots de Bourgogne. En ramasse aussi quelques uns à la coquille explosive.

 

 

LOMAX, PÈRE & FILS

 

 

Tout le monde connaît Edward Sheriff Curtis ( 1868 – 1952 ). Soupçonne même qu’en fouillant dans votre bibliothèque ou en vérifiant les posters sur vos murs je trouverais sans mal quelques reproductions de ces magnifiques photos d’indiens qui nous sont un irremplaçable témoignage sur les peuples amérindiens… C’est grâce à l’appareil photographique de Curtis que nous possédons les portraits - chevaux, squaws, enfants, tipis, guerriers - des tribus et des principaux chefs qui menèrent cette guerre perdue d’avance conte les envahisseurs blancs. Son of a frontier indian swirl - tourbillon indien sur la frontière comme l’écrivit Jim Morisson…

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De la même génération John Lomax ( 1867 – 1948 ) s’engagea dans un semblable projet, non plus sur les tribus cheyennes ou sioux, définitivement vaincues et enfermées à double tour dans les mouroirs des réserves, mais centré sur la people musique de son pays. Progrès technologique oblige l’on ne photographiait plus, l’on enregistrait. Tout ce qui passait à portée de micros, folk, country, blues. Pour être sûr de n’oublier personne Lomax visita le pays du Nord au Sud et d’Est en Ouest. Une moisson abondante, nous lui devons la majeure partie des documents sonores relatifs à la musique populaire des USA des années vingt et trente, précieusement archivée et conservée à la Bibliothèque du Congrès.

 

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Très vite John Lomax s’adjoignit la présence de son fils Alan. Subjugué par l’exemple paternel, ses études de sociologie achevée, Alan Lomax n’eut de cesse de continuer l’œuvre de son père. Avec un matériel de plus en plus sophistiqué - mais combien rudimentaire quand on le compare aux simples capacité d’un téléphone portable d’aujourd’hui - et dans un esprit et une méthodologie à prétention universitaire et donc beaucoup plus scientifique et théorique… Son livre parut en 1993 aux Etats-Unis, il est important d’entendre Alan Lomax répéter qu’il regrettait de n’avoir eu que dix-sept ans lorsqu’il accompagna son géniteur. Il a vu et entendu, mais à maintes reprises il se reproche de n’avoir su analyser et comprendre le sens des scènes qu’il n’avait alors décryptées qu’au travers du prisme de sa native naïveté…

 

 

ORIGINE AFRO-AMERICAINE

 

 

Il y a longtemps sur des guitares,

 

Des mains noires lui donnaient le jour

 

 

Remet pas en question la version de Johnny, Mister Alan Lomax, le blues a bien été engendré par les noirs des Etats-Unis. Du Sud. Et pour être plus précis du delta formé par le Mississipi et la Swanee River. Mais pas uniquement. Les esclaves importés d’Afrique ne sont pas venus tout seuls. Ont emmené avec eux les schèmes directeurs de leurs organisations sociales. Et devant la férocité de l’exploitation dont ils furent victimes, leur seule défense fut la résurgence instinctive de ces lointaines pratiques africaines qui furent d’autant plus efficaces que les blancs étaient dans l’incapacité de percevoir en leurs manifestations les plus évidentes leur insidieuse puissance de détournement des règles et des lois qu'ils avaient prescrits pour leur sécurité.

 

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Les noirs exilés des rivages africains provenaient de peuples de cultivateurs habitués à arracher leurs champs à une végétation dense et luxuriante. Travaux agricoles de déforestation des plus pénibles qui ne pouvaient être réalisés par des individus solitaires. Ces tâches se déroulaient en groupes, sous un soleil de plomb, leur monotonie était rompue par des chants destinés à souder le groupe et à donner le rythme. Dans les villages la vie sociale était en quelque sorte ritualisée par de multiples chants adaptée à chaque besogne quotidienne et aux diverses cérémonies qui réunissaient toute une tribu.

 

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Alan Lomax appuie aussi sa thèse sur de nombreux exemples pris dans l’histoire du peuplement du pourtour méditerranéen. De fait il oppose l’individualisme européen à la collectivité primitive et africaine. Si on le suit dans ses raisonnements l’on pourrait parler de mentalité anglo-américaine abreuvée à la double mamelle du libéralisme individualiste et du puritanisme protestant, mais en américain incapable de percevoir la dichotomie latino-nordique européenne il ne va pas si loin dans sa critique généalogique de la mentalité américaine.

 

 

MEMPHIS NIGHT

 

 

Près de dix-sept années séparent les anecdotes relatés à la fin du livre de celles du début. Mais aux deux extrémités la même scène se répète pratiquement à l’identique. L’intervention brutale d’une patrouille de police à l’encontre d’Alan Lomax suspecté de fricoter d’un peu trop près avec les nègres. En 1959, l’affaire se termine plutôt bien, mais en 1942 elle frôle la catastrophe. Vous reconnaîtrez qu’Alan a exagéré, les preuves sont formelles : dans la même journée il a serré la main à un négro, en a appelé un autre Monsieur, et crime des crimes est carrément entré dans la véranda d’une maison de négro pour discuter avec une vieille mama. Trois privautés des plus interdites et des plus dangereuses puisque susceptibles de faire germer dans la stupide caboche d’un negro l’idée d’une quelconque égalité entre un noir et un blanc.

 

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Sais bien que pour la mama, vous auriez fait de même. Vous seriez même agenouillé et auriez baisé la trace de ses pas. Pas parce qu’elle était jeune et jolie mais parce qu’elle était la mère de Robert Johnson. Rien à redire ! Lomax a du goût et le nez fin. C’est en écoutant chez lui les disques de ce bluesman inconnu qu’il a compris qu’il était en présence d’un des plus exceptionnels représentants du blues, novateur mais en même temps authentiquement branché sur les racines les plus originelles de la musique du diable. Nous plante tout de suite dans la descendance souveraine, Charley Patton, Son House, Johnnie Johnson. Lomax est parti à la recherche de Robert Jonson pour apprendre très vite qu’il a cassé sa pipe, qu’on lui a cassé sa pipe, quelques mois auparavant.

 

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Ne le plaignez pas. Du moins pas plus que sa communauté. Robert Johnson est un réprouvé, an anarchist, an antechrist, comme disaient si bien les Pistolets du Sexe. A abandonné l’Eglise méthodiste dont il était un des fils naturels. Car pour que la nuit de l’esclavage soit encore plus noire, les Blancs ont refilé à ces nouvelles ouailles le petit Jésus en prime des coups de trique. Soumission quotidienne et espérance en un séjour de gloire post-mortem. Le genre de promesse qui ne coûte pas cher et qui vous rend un imbécile heureux.

 

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Faut pas exagérer les Maîtres ont bien voulu partager le Christ mais ce sera au Dieu miséricordieux de se portionner en deux. Apartheid religieux. Le temple ne sera pas une maison communautaire. A chacun son Eglise et les brebis en deux enclos séparés ne seront pas mélangées. Le plus terrible c’est que les prêtres noirs vont en rajouter à leur cahier de charges. On permet aux fidèles de chanter mais pas de jouer d’instruments. Le tam-tam est perçu par les Blanc comme le téléphone arabe de la révolte toujours possible. Pour les ministres du culte noir il faudra évidemment totalement laisser de côté, ne pas même y toucher du bout des lèvres, tout ce qui est musique et chanson profanes. Ces nouveaux baptisés seront - excusez la métaphore plus que litigieuse pour des réformés, plus catholiques que le pape. Les Blancs écoutent toutes sortes de musique en dehors des cérémonies religieuses. L’on danse dans les maisons des Maîtres et dans les bals privés ou officiels. Les prêtres noirs interdiront à leurs fidèles les trémoussements sataniques de la danse. L’on pourra traîner les petons sur le sol mais ne jamais esquisser le moindre lever de pieds.

 

 

Lorsque dans Crossroad Robert Johnson met en scène son entrevue pédagogique with Satan, il ne fait qu’imager la réprobation qui entourait les fils perdus qui couraient les chemins et les bouges leur guitare dans la main. Le peuple noir n’avait pas lu tous les livres mais la chair était souvent faible. Entre deux cérémonies bibliques beaucoup de fidèles se donnaient du bon temps dans les juke joints. Même quand il n’y avait pas de toit les chattes étaient brûlantes et les rasades d’alcool fait maison ou de contrebande ( mot très mal venu ) ne vous désaltéraient jamais. Joyeuses sarabandes.

 

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Les blancs pensent avoir refermé le carcan du christianisme sur le cou de leurs serviteurs mais ceux-ci vont en user à leur manière. A malin, malin et demi. Tout en regrettant, pour des raisons qui nous paraissent davantage sentimentales que réfléchies, l’abandon des anciens negro-spirituals au profit d’une nouvelle manière de chanter qui se met en place et que l’on surnomme gospel, Alan Lomax nous montre comment les fidèles ont perverti le sens religieux de la cérémonie. Tout semble se dérouler normalement, mais par le jeu des questions-réponses et des interventions apparemment aléatoires et circonstancielles de l‘auditoire, pour celui qui sait entendre entre les versets des cantiques et les vers des improvisations individuelles, circulent et un discours politique de non acceptation de son sort et un rejet profond de l’idéologie officielle.

 

 

BLUE NOTES

 

 

Si les notes de la gamme blues tremblent sur elles-mêmes c’est que les noirs ont sans arrêt le cul entre deux chaises. Posez sur le premier plateau de la balance la colère qui bouillonne à l’intérieur de soi, la rage contenue, l’envie de se rebeller une fois pour toutes et sur le second, qui l’emporte toujours sur le premier, la servilité apparente, toujours se soumettre, se faire plus idiot que l’on est, avaler des couleuvres aussi grosses que des anacondas, le sourire sur sa bonne face épanouie de contentement.

 

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Les blancs ne font pas de sentiment, un bon noir est celui qui se soumet, le mauvais negro ne vit pas assez longtemps pour exister vraiment. A la moindre incartade, le fusil ou le lynchage. Point à la ligne. Si vous pensez pouvoir vous échapper, n’oubliez pas que votre famille écopera du mauvais sort qui vous était réservé.

 

 

L’homme noir est seul. Subtile différence, pas la femme noire. Souvent cantonnée dans le cercle familial et sous la protection de l’assemblée de l’Eglise qu’elle fréquente. C’est une espèce de matriarcat qui s’est développé : les hommes sont la plupart du temps dehors au boulot, c’est eux qui subissent de plein fouet ( ceci n’est pas une métaphore ) le contact direct avec l’exploitation. Travaillent où on les envoie, ne rentrent pas tous les jours chez eux. Les tendres poulettes possèdent une liberté sexuelle bien établie. Pour être débarrassées des gamins elles les envoient chez une grande sœur assagie par l’âge ou bien souvent les confient à grand-mère. Durant l’absence des pères elles s’en donnent à corps joie avec de jeunes amants… L’infidélité féminine sera le thème principal de la musique bleue.

 

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Le blues sera une musique d’individus. Nobody but you ne peut ressentir vos douleurs les plus intimes, vos chagrins les plus profonds. Autant la trame rythmique du blues sera vite fixée, autant les paroles seront improvisées. L’on est toujours surpris lorsque l’on essaie de traduire les paroles d’un blues. Nos paroliers ignorent tout de la règle des trois unités. N’ont pas été très longtemps à l’école. L’histoire racontée n’est guère linéaire, elle fait des allers et retours incompréhensibles entre le passé et le présent, d’un couplet à l’autre l’on sent que l’on voyage dans toutes les directions. N’incriminez pas vos capacités linguistiques, suffit d’avoir l’oreille coquine ou rebelle pour percevoir les sous-entendus grivois ou les double-sens revendicatifs, pour sûr les bluesmen improvisent à partir de citations, d’emprunts et de fragments prè-composés, mais la déstructuration de ces textes reflète avant tout la situation de ces existences ballotées, hachées, amputées, mutilées… Lomax règle quelques comptes avec Faulkner, ses histoires plein sud ne prennent jamais un noir comme héros. Se fondent dans le décor, jouent leur rôle naturel de personnages secondaires… alors que la désarticulation du récit faulknérien n’est que la transcription littéraire d’un vécu noir par excellence. Mais de là à heurter la sensibilité d’un public par nature blanc de peau…

 

 

THE LEVEE

 

 

Jusque là nous sommes restés dans les limites du supportable. Mais le pire est toujours certain. Le delta est aujourd’hui un lieu paradisiaque. Si vous détestez la chaleur, abstenez-vous. Mais si vous aimez les cartes postales, n’hésitez pas, les demeures à colonnes blanches, le fleuve majestueux qui roule de paisibles flots, les champs de coton qui s’étendent à l’infini, les magnolias en fleurs et patati et patata… Ca n’a pas toujours été comme ça. Imaginez un marécage infesté de millions de moustiques, des serpents tubulaires patibulaires et des crocodiles qui n’ont aucune envie de finir en bottes western. Des lianes, des troncs d’arbres emmêlés, une végétation luxuriante, des fondrières, des sables mouvants, bref un paysage d’apocalypse dans lequel un homme blanc normalement constitué prendra garde de ne porter ni la main, ni le pied.

 

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Lorsque l’on y introduisit les premières équipes d’esclaves l’on se disait que ce ne serait pas une grosse perte s’ils se faisaient bouffer par les fièvres ou les alligators. S’y sentirent très vite comme chez eux. Comme quoi il ne faut jamais désespérer de la nature sous-humaine. Vous lâchiez un négro tout seul dans cette jungle aquatique, il n’y faisait pas long feu. Mais une centaine, tous ensemble, rangés comme une phalange macédonienne, armés de pelles, de pics, de pioches, de barres à mines et de cordes, vous arasaient l’humide terrain en cinq sec. Suffisait de les laisser chanter à leur rythme et ils faisaient le travail presque tout seuls. Bien entendu quelques gardes affublés d’une winchester automatique ne gênaient en rien le rendement.

 

 

Ce sont les esclaves noirs qui firent de l’enfer vert du delta un pays de cocagne. Possédaient des techniques ancestrales un savoir-faire de défrichage dont les maîtres blancs n’avaient aucune idée. L’histoire aurait pu s’arrêter là, hélas il n’en fut rien. Messire Mississipi se mit à pisser . Si fort qu’il déborda. Tous ceux qui tombaient dans sa crue étaient cuits. Des centaines de morts. Des champs de coton pas du tout hydrophiles se retrouvaient dans l’eau avant d’avoir pu dire plouf.

 

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Aux grands maux, les grands remèdes. Facile il suffisait de rehausser d’une dizaine de mètres les premières digues du fleuve, des affluents et des canaux. Pour la main d’œuvre nécessaire à l’édification des levees l’on réquisitionna les prisonniers et tous les noirs que l’on put rafler un peu partout. Ca s’appelait les fermes d’état mais ça préfigurait de très près les futurs camps de concentration européens. Des conditions d’exploitation d’une dureté inimaginable. Mais c’est dans ces chaudrons d’iniquités que naquirent et le blues et le rock and roll.

 

 

ETYMOLOGIE ROCK

 

 

Amis rockers tendez l’oreille. L’on vous a raconté que le terme rock and roll était un phrasé un peu enlevé que les pianistes de boogie-woogie mettaient en branle dans les tripots de la Nouvelle-Orléans dès que la clientèle ne montait plus à flots continus vers ( ou sur ) les hôtesses d’accueil préposées à leur bien-être. Pour maintenir la cadence du tiroir caisse un petit coup de roulis-gooly sur le piano et hop c’était reparti à coups de barres jusqu’au mois de mars.

 

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Alan Lomax en propose une autre. Moins affriolante. Quoique en y réfléchissant… Se demandait comment les détenus faisaient pour hisser jusqu’au haut des digues d’énormes troncs d’arbres de plusieurs centaines de kilos. Un jeu d’enfant lui ont répondu, démonstration à l’appui deux vieux prisonniers de l’ancien temps. Vieille technique de portage africaine. Un à chaque extrémité de la bille de bois que vous tenez grâce à une chaîne. Pour avancer vous la faites rouler tout en le balançant par de légères tractions conjuguées, zip à droite puis zip à gauche, mais attention d’abord vous le balancez ( rock ) et puis ensuite ( and ) vous le roulez ( roll ). Dernier petit secret, ne pas marcher, mais courir, le rythme rapide est le secret du rock and roll. Ces mecs qui balancent et roulent avec un gros bâton derrière leur cul, je n’ose même pas imaginer ce que doctor Freud en aurait conclu.

 

 

THE HOLLER

 

 

Après cet intermède rock revenons au blues. Travail des plus pénibles, mauvaises nourritures, chaleur étouffante, perspectives bouchées pour plusieurs années, chefs tatillons et vicieux, insultes et coups de fouets pour celui qui ne tenait pas le rythme, l’on conçoit aisément que parfois l’individu devait se sentir perdu et annihilé à suivre la cadence donnée par le meneur. C’est alors que prévalaient l’envie de s’affirmer et le désir de rompre l’anonymat de la brigade courbé sur la terre. L’on pouvait communier avec le reste du groupe en se mêlant à ceux qui marquaient le contre-chant par des réponses appropriées ou des exclamations d’encouragement ou d’approbation. Mais c’était d’une certaine manière reconnaître son inféodation à une chaîne de travailleurs dont on n’était qu’un maillon interchangeable.

 

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Restait alors la solution la plus désespérée. Celle de clamer à la face du monde et son unicité fondatrice et sa solitude dévastatrice. Chaque prisonnier possédait son holler. Traduisez par cri ou beuglement. Un peu comme le jeune des cités qui appose sur les murs labyrinthiques des métropoles babyloniennes modernes son graphe, griffe léonesque d’être humain qui se surpasse en même temps que flaque visqueuse de chien qui pisse pour marquer son désarroi et son territoire… Une modulation, de mode mineur, plus ou moins longue, qui exprimait sa personnalité, qui s’amalgamait au chant du groupe tout en s’en détachant si nettement par son phrasé hyper-individualisé que les centaines de codétenus qui ahanaient dans les terrains alentours le repéraient et en reconnaissaient sans faillir l’émetteur.

 

 

Ce blues que l’on présente si souvent comme un chant alterné, un jeu plus ou moins stérile de questions sans réponses, Alan Lomax nous le restitue en son unité originelle.

 

 

LE BLUES

 

 

Quand il compare le blues à sa naissance à la musique européenne traditionnelle européenne de son époque Lomax théorise quelque peu. Pour notre part nous nous méfions de ces généralités qui n’explorent que les sentiers qui permettent de se diriger vers notre propre point de vue. Les pays qui possèdent une structure étatique forte ont corseté leur musique. Il existe en ces contrées un répertoire qui ne laisse aucune liberté aux interprètes. N’allez pas vous amuser à changer la tonalité d’un lied de Schubert ! Même la musique de variété est sévèrement encadrée, il existe des chanteurs professionnels qui chantent à votre place.

 

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Alors que tout un chacun qui éprouve le blues peut se mettre à créer son propre mantra. Hélas, les hommes d’affaire qui ont compris qu’ils pouvaient faire beaucoup d’argent en proposant au public des disques de blues ont perverti le système. Plus le marché grandit plus l’on sert une soupe communatoire de plus en plus standardisée. A ce jeu le jazz a très vite perdu son âme, dès la création des grands orchestres, il serait dommage que le blues suive un chemin identique…. Il est à craindre que Lomax ne se soit révélé prophète en son propre pays.

 

 

 

DUST MY BROOM

 

 

L’on a maintes fois glosé sur la signification de l'interprétation du titre chaotique de Robert Johnson par Elmore James. Les jeunes filles qui ont l’esprit très bien placé sont certaines de reconnaître ce balai - véritable manche de sorcière - dont il faut secouer la poussière, et peut-être même le réduire en poussière en son entier. Du moins qu’il ne vous en reste plus qu’un trognon informe entre les mains. Une nouvelle anecdote contée par Alan Lomax nous offre un autre éclairage de l’expression, moins poétique.

 

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Mené par Muddy Waters - vous noterez ses douteuses fréquentations - notre auteur débarque en un juke joint en folie. A l’intérieur c’est plein comme un œuf, pas besoin d’être OO7 pour s’en apercevoir. A deux kilomètres à la ronde l’on percevait le piétinement régulier de centaines de pieds qui suivaient le rythme donné par le guitariste en tapant sur le plancher. Mais la surprise provient d’un jeune garçon qui passe le balai sur le sol pour jouer des vibrations provoquées par le martèlement des pas sur les lattes de bois… Ce n’est pas pour rien que l’on appelle les baguettes souples qui servent à frapper les futs d’une batterie des balais.

 

 

Après quoi Lomax insiste quelque peu sur un truc que vous connaissez bien, mais version tiédasse. Le slow drag. Merci ce n’est pas la peine de réciter toute la liste des minettes que vous avez draguées sur les slows de vos surprises-parties. Vous n’y êtes pas du tout. Le slow drag se dansait exclusivement sur du blues et pas sur de la variétoche fastoche. Pas du tout à la romantique, joue contre joue. Plutôt en mimant plus que frénétiquement les actes répréhensibles des plus pénétrantes copulations. Le slow drag fut longtemps considéré comme une danse obscène. Mais son influence sur de nombreuses danses sud-américaines comme le tango n’est pas remise en question.

 

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Y a encore mille sujets que Lomax aborde mais dont je n’ai pas parlé. Mais avant de vous quitter je me permettrais d’attirer votre attention sur la troisième de couverture, contient un CD qui reprend et illustre les différents chapitres du bouquin, car je vous rappelle que Lomax n’était pas venu pour prendre des notes mais pour enregistrer, et préfère vous dire qu’il y a du beau monde :

 

 

Walkin Blues de Son House, difficile de trouver un titre mieux approprié pour ouvrir la marche. Le blues dans toute sa ruralité, voix de tête, guitares rythmiques, miaulement d'harmonica par derrière, gratellement obsédant de la mandoline, le morceau part à l'aventure se casse la gueule sur le pont d'Arcole instrumental et la voix de Son House qui revient en plus méchant. Du pur blues, vous voulez rire : l'essence même du rock'n'roll.

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Florence Stomp et son choeur de jeunes filles essayez d'imaginez le point équidistant que vous pourriez projetez entre le gospel et les comptines des cours de récréation, vous y êtes en plein. Soyons sérieux, quittons nos demoiselles pour écouter le sermon du Révérend Ribbins entouré de ses ouailles. Chante comme Otis Redding, s'égosille comme un porc que l'on égorge, et hurle comme un leader du Black Panther, c'est toutefois enregistré en 1941.

 

Roustabout Song de John Cameron plus proche de la ballade, une pause bienvenue avant de se lancer dans le chant de levee Early in the Morning pris sur le vif au pénitencier de Parchman en 1948, avec le rythme marqué par le bruit des haches. Subtiles variations entre la l'outil métronome et les voix qui montent ou descendent selon la fatigue et les reprises d'énergie. Sublime.

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L'on quitte la vallée, nous sommes dans les collines avec Sid Hemphill, musique de bal, les racines concomittantes du blues noir et de la country blanche sont à vif. Entrez dans la danse violon et grosse caisse vous accompagnent. La voix se fait plus dure. Faut dominer la masse sonore.

 

Fred McDowel capté en 1959 à une époque où les Stones qui le prendront en première partie de leur tournée n'existaient pas encore. Peigne et deux guitares mènent un train d'enfer, blues slide mais c'est déjà l'urgence du Mystery Train et tout le rock moderne est dans cette voix féline qui s'impose par-dessus le background instrumental.

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Beaucoup plus rural dans les premières notes, il est vrai que c'est de 1941. Mais c'est aussi de Muddy Waters qui jamais plus n'a sonné aussi campagnard que sur ce Country Blues. Lomax conseillera à cette étoile montante locale de s'exiler sous les cieux de Chicago, là où les astres sont alimentées à l'électricité. Le chaînon manquant entre le blues et le rock a été identifié depuis plus d'un demi-siècle.

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Black, Brown & White de Big Bill Broonzy : Avec le gros Bill l'on ne sait jamais si l'on est dans le blues ou dans le folk. Preuve que les barrières entre les genres musicaux sont aussi illusoires que celles dressées par les différences de couleur de peau.

 

La vie est ainsi, parfois vous avez droit à un cadeau innattendu : Sonny Boy Williamson, Big Bill Broonzy et Memphis Slim réunis à New York en 1947, superbe ne vous en dis pas plus parce qu'une livraison de KR'TNT sur Memphis Slim est dans les cartons. Attention chef-d'oeuvre.

 

 

Un livre que tout amateur de rock se doit de posséder dans sa bibliothèque. Merci aux fondeurs de briques.

 

Damie Chad.

 

 

RECTIFICATIF

Tout grand homme possède ses moments de faiblesse. Même Damie Chad ( proprement incroyable et salement vrai ! ). Dans la Livraison 114 du 10 / 08 / 12, une funeste erreur due à l'attaque surprise de drones de provenance non-identifiée m'a conduit à quelques erreurs généalogiques : j'ai stupidement déclaré que le chanteur Kik du Gommar avait officié en des temps anciens chez Lucrate Milk. Il n'en fut rien, c'était chez Remorah, groupe alternatif des années 90. Que les dieux du rock'n'roll me pardonnent ! Mille excuses à Kik.

 

 

GUITARE XTREME. N° 53.

 

Novembre-Décembre 2012.

 

 

Jimmy Page imperial en couverture, ça ne se refuse pas. Remarquez que ce mois-ci il est difficile d'échapper à Page. L'est sur toutes les pages de tous les magazines rock. C'est comme ça avec le Dirigeable quand il passe à l'attaque c'est du massif et du lourd. N'ont jamais pu faire les choses en petit chez Led Zeppe. S'arrangent pour voler la vedette aux Stones qui pourtant mettent les plats minuscules dans les grands. Z'ont pensé à votre cadeau de Noël. Tata Yvette va encore se fendre de trente euros pour vous offrir le Celebration Day, la dernière vidéo de nos tontons flingueurs chéris.

 

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L'ai pas écouté, les avis sont mitigés. Pour ma part j'avais follement aimé les vidéos amateurs que les heureux privilégiés qui avaient eu la chance de participer au concert donné en décembre 2007 en hommage à Ahmet Ertegün, le patron d'Atlantic certes, mais surtout un dangereux activiste de la musique populaire américaine. Mais ne nous égarons pas : des vidéos crades de chez crades au son bousillé, aux couleurs criardes mais dignes de la folie chaotique du Zeppelin. Page a fait saisir tout ce matériel pirate et a travaillé sur les bandes originales, à peaufiné l'enregistrement. L'a dû refaire quelques lignes de guitare par ci par là. Du bidouillage, du maquillage. Oui mais à l'arrivée ce sera toujours du Led Zeppe à rajouter aux 254 pirates du groupe... La moindre scorie du Led c'est un peu comme un tesson d'amphore spartiate du temps de Léonidas. C'est sacré.

 

 

A regarder les engins qui évoluent dans le ciel l'on oublie de porter les yeux sur la piste d'aéroport. Première fois que je me suis acheté un numéro de Guitare Xtreme. Une erreur. Fatale mais que je viens de réparer. C'est bien fait. Bien documenté. Sans esbrouffe. Est livré avec un CD de démonstration. Peut pas vous en parler, on me l'a déjà fauché, pensez pas que les copains guitaristes allaient avoir pitié de moi, Alexis Mazzoleni qui vous initie aux plans secrets de Buddy Holly, pas question que ça dorme dans les archives.

 

 

Puisque l'on est dans le rock des pionniers, très symptomatique le blind test auquel on soumet Manu Livertout. C'est un peu notre Joe Satriani national, à part que lui il citerait plutôt Dimebag de Pantera et Joey Tafolla comme référence et que comme en France tout un chacun – à part des poignées de connaisseurs – ignore Joe Satriani, je ne vous donne pas cher de l'aura de Livertout auprès du grand public. En fait il est plus grand que public.

 

 

En tout cas, il a l'oreille et la connaissance, Livertout vous livre tous les noms des guitaristes qui lui sont proposés. Un robot shred. N'y a qu'à la fin qu'il se plante lamentablement. Voit vraiment pas. C'est juste Cliff Gallup sur Race with the Devil de Gene Vincent ! Shame on him ! Se rattrape aux branchettes en citant Scotty Moore et Elvis Presley et en pontifiant : «  C'est toujours bon d'apprécier le son original du rock'n'roll original. ». A méditer. La virtuosité du metal moderne possède ses continents engloutis. Le blues et le rock. A force de se couper de ses racines... Return to the sender comme disait Elvis !

 

Damie Chad.

 

 

15/11/2012

KR'TNT ! ¤ 118. MARTYRS / DOCTOR DOOM / JOHNNY FAY /

 

KR'TNT ! ¤ 118

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

15 / 11 / 2012

 

 

 

DOCTOR DOOM / MARTYRS / MEGATONS / JOHNNY FAY / LIL'ESTHER /

SONNY AND HIS WILD COWS / TIN STARS

 

 

 

CONCERTS

 

 

03 / 11 / 12 / BELPECH ( 11 ) / LE VIXIEGE

 

 

DOCTOR DOOM / MARTYRS

 

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Belpech, nom de Zeus, n'ai pas mis les pieds dans ce patelin perdu depuis 1969, à l'époque les copains du coin avançaient le fumeux projet, qui ne dépassa pas le stade de l'hypothèse woodstockéenne aléatoire, de préparation d'un festival de pop-music dans la Basse-Ariège... En attendant la teuf-teuf mobile fonçait d'instinct à toute blinde sur les étroits rubans asphaltés d'un paysage aussi plat que le delta. Du Rhône. Je vous en prie cessez de prononcer le mot Mississipi à toute occasion. Par contre le Vixiège, inconnu au bataillon. Je subodorais un vague corps de ferme en bout de chemin vicinal, mais non ! à chaque croisement j'avais beau scruter les panneaux, rien de rien. Ai calmé la teuf-teuf à l'entrée du bourg. Remarquez j'aurais pu la traverser à 180 km /h, avec les volets rabattus sur les façades et les portes fermées à double-tour, restait même pas un seul bellopodien à écraser. Une rue centrale aussi longue qu'un sandwich sans beurre, je commençais à m'inquiéter lorsque enfin, tel Bernadette Soubirous, je connus enfin les joies de l'illumination. Le Vixiege, écrit en grosses lettres rouges électriques de ce qui manifestement se présentait comme la façade d'un café-restaurant.

 

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Billard, grand écran, six tables, quatre personnes au comptoir pas besoin de demander si c'est ici le concert. Sur ma droite s'ouvre une salle de restaurant, une dizaine d'individus silencieux mais vêtus de cuir noir occupent les chaises des tables rangées sur le côté. Tombe pile-poil, Doctor Doom est en train de parachever la balance. Je m'inquiète un peu, il est huit heures et quart et l'auditoire ne dépasse pas les quinze personnes, musiciens compris. Un peu râlant pour un concert gratuit, le premier organisé par Angry Pumpkin(09), dont la représentante toute pâle de stress essaie de faire contenance. Mais les Dieux du rock doivent veiller sur la Citrouille Coléreuse car le public arrive, petit à petit, mais sûrement, surgi d'on ne sait où dans cette nuit improbable... Pari gagné, la salle sera plein comme un oeuf à la coque avant que vous n'y trempiez vos mouillettes.

 

 

DOCTOR DOOM

 

 

De toutes les façons Doctor Doom monte sur scène pour calmer nos angoisses. Nous ont déjà délivré une potion – voir notre 107 ° livraison du 30 / 08 / 12 – mais ce coup-ci ils vont nous filer une piqûre de rappel. De cheval. Nous les avions bien appréciés sur la scène du festival Rock'n'Cook, mais le son se perdait un peu – l'orga auraient avancé le plateau de quelques mètres afin de mieux se protéger des espaces ouverts, tout le monde y aurait gagné – mais ici dans cette salle assez étroite vont pouvoir produire une matière sonore adéquate à leur style de musique.

 

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Ne sont formés que depuis un an mais on sent qu'ils travaillent dur. Ont déjà progressé depuis le mois de juillet. Des reprises et des originaux, se préparent à enregistrer leur premier CD. Nous accordons qu'ils ne proposent rien de révolutionnaire. Encore trop près d'un hard rock basique à la AC / DC même s'ils sont prêts pour les grandes envolées lyriques. Ils possèdent la hargne rock, le rentre-dedans à tous crins qui leur permet d'assurer un set juteux et gouleyant. Leur manque encore la maîtrise des architectures sonores. Mais cela viendra avec la pratique et les premiers enregistrements, lorsqu'ils seront confrontés à la décantation de leurs influences et face au problème crucial de poser les fondations de la singularité de leur style.

 

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En attendant tout le monde en prend plein les écoutilles, et le groupe gagne en assurance et en cohésion à chaque morceau. Immensément grand, rivière de cheveux blonds qui descend très bas dans son dos, le teint aussi pâle que les sons de sa basse sont sombres, Sébastien ourle de velours noir la pulsation rythmique du combo. Au chant de temps en temps et à la batterie toujours, Olivier s'en donne à coeur joie, mouline de toutes ses forces. Il est la plaque-tournante, celui qui met la loco sur les bons rails. Quant à Jérémie et Jean aux guitares, nos deux forçats du riff jettent des pelletées de feu dans le foyer de la bête qui ronronne de plaisir.

 

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S'en sortent comme des chefs. Le public les laisse partir à regrets. Un set carré, au cordeau. Un groupe d'avenir.

 

 

INTERMEDE

 

 

Napoléon définissait le département lapidairement : «  L'Ariège : des hommes et du fer ». Les temps ont changé : les mines ne sont plus exploitées depuis belle lurette et la population décline, mais la contrée reste fidèle à la définition impériale, suffit de moderniser les termes : L'Ariège : du métal et un public rock. Nous retrouvons Alex de Deadlight Entertainment le label d'Alex qui grandit, l'assos Angry Pumpkins et Logo live de Paris qui ouvre une section T-shirts dans le 09... Sans parler de Les photographies d'Alpha ( voir : www.facebook.com/SilberigesSpektrum ) à qui l'on a piqué les photos du concert sur www.facebooks.com/angrypumpkin09

 

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MARTYRS

 

 

J'avons remarqué un groupe de zozos, rigolards, grandes gueules, facétieux, joyeux lurons, vous l'avez deviné c'étaient les Martyrs. Portent mal leur nom, dans la vie civile. Sur scène aussi car on ne peut pas dire qu'ils soient dévorés par de masochistes conduites régressives. Plutôt du genre à vous foutre une beigne sur la joue gauche alors qu'ils viennent de vous en coller une sur la droite. Même si vous ne l'avez pas demandé. Côté martyrs tiendraient plutôt la place du bourreau, et il est manifeste qu'ils aiment appuyer là où ça fait le plus mal.

 

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N'ont pas déjà commencé à jouer qu' au premier demi-riff de guitare expédié pour vérifier la sono l'on sent que l'on change de dimension. Barrez l'identité française du groupe. Relève de la classe internationale. Mais assez de blabla, vous voulez écouter. Inutile de se lancer dans des dissections généalogiques. Est-ce du hardcore ou du black metal ? Et pourquoi pas du death ou du edge ? Les quatre mon général et bien plus encore, c'est Martyrs tout simplement.

 

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Une machine à tuer. A tirer dans la foule. Mais pas anonymement. Piétinent d'abord tous vos idéaux, vous prouvent par a + b que vous n'êtes rien qu'une illusion, une ombre de vous-même qui ne reflète que le vide absolue de la vacuité humaine. La légion des démons, celle sur qui vous aviez refermé le couvercle de la raison au fin-fond de votre boîte crânienne, en espérant qu'ils n'en sortiront jamais. Funeste erreur, ils se sont échappés et dansent leur sarabande mortuaire devant vos yeux hagards. Se sont peinturlurés de peintures de guerre, car ils vous en veulent à mort de ne pas vouloir les laisser vivre. Sont les zombies de vos cauchemars externalisés qui gesticulent et déambulent sous les lumières glauques des projecteurs. Ne disent pas un mot. Ils hurlent, ils éructent, ils crament vos oreilles de stridences éraillées et ferraillées de grommellements informes et infâmes. Pantomime du désespoir métaphysique de la solitude inhumaine qui nous fonde tel un puits sans fond dans lequel on nous jette dès notre naissance et dans lequel l'on dégringole pour la néantisation de nos glamoureuses infortunes et l'asepsie de nos existences étriquées.

 

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Martyrs sur scène c'est un crachat de comanches au galop sur la face du monde. Une cavalcade de hussards vers la mitraille de notre destin horrifique et cimeterrial. Tchang you very much au drumer fou qui s'agite comme l'imagination dans un bocal d'explosifs. Il kiffe le kit et tonne sur les toms des breaks denses comme des folies meurtrières. N'ont pas deux chanteurs, ce soir Guillaume est seul, hurleur à la lune noire, qui incite le public à sortir de ces gonds congelés de spectateurs amorphes. Nous sommes tous les fantômes de nos propres erreurs, autant rejoindre la ghost dance des clameurs qui ne s'éteindront jamais.

 

 

Le set s'achève comme un éboulis de blocs cyclopéens parmi les gravats d'une guitare qui a rendu l'âme, guerre à ses cendres électriques. Martyrs a fait sauter les fusibles. Celles de nos résistances intérieures. Martyrs, recommandé pour la chasse aux nuisibles. Grande claque et hourvari d'un public conquis, vaincu et KO debout.

 

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Sur disque Martyrs c'est comme en public. Sans concession, sans forfaitures, sans sucre ajouté. N'y a que la dose de curare qui n'est pas indiquée sur la pochette. Mais mortelle à tous les coups. Neuf ampoules létales sous forme d'un comprimé noir. EVERY DAY... YOU'RE ALONE, au cas où vous n'auriez pas compris, vous trouverez de brèves notifications à l'intérieur de la pochette toute noire.

 

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La copine est sortie à moitié ( hélas ) nue de la salle de bain lorsque j'ai glissé la galette des morts dans le lecteur. Pas le genre de truc à vous faire voir la vie en rose bonbon de mauvais matin. Par contre idéal comme complément énergétique. Z'aurez envie de bouffer le monde une fois que vous l'aurez écouté. Un disque vénéneux à perfuser d'urgence dans votre veine cave – celle qui descend dans les profondeurs de vos turpitudes - et qui enfonce la production rock de notre doux pays, et de loin. Ca se trouve sur www.deadlight.fr. Et si vous ne faites pas la démarche, c'est que vous n'êtes pas très futé ou alors trop peureux pour vous regarder dans la glace froide de vos atonies...

 

 

En tout cas un grand merci à Angry Pumnky ( 09 ) pour ce premier concert gratuit. Une superbe réussite. Un véritable cadeau rock'n'roll.

 

 

 

10 / 11 / 12 / VILLENEUVE SAINT GEORGE ( 94 )

 

 

THE MEGATONS / THE TINSTAR

 

LIL ESTHER / JONNY FAY

 

SONNY AND HIS WILD COWS

 

 

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Devrais être décoré de la légion d'honneur et la teuf-teuf mobile voir son nom inscrit sur la tombe de soldat inconnu car pour trouver la rue à Villeneuve Saint George sans GPS ni carte, peux vous affirmer que ce n'est pas de la petite bière. De rocker. Pénètre dans les lieux juste au moment où les Megatons débutent leur show.

 

 

MEGATONS + JOHNNY FAY

 

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Déjà vus à Appoigny ( voir notre 99 ième livraison du 24 / 05 / 12 ). Sont à l'identique dans leur costume bleu, le sax en avant et la machine par derrière qui tourne comme une bielle dans son huile. Manque quelque chose, une étincelle, un petit truc qui transformerait une honnête prestation en un très bon show. Elle arrive. Au bout de trois quarts d'heure. S'appelle Johnny Fay. L'on croyait notre américain en Italie, mais non il est là et bien là. Tout sourire et en pleine forme. Un adolescent de soixante dix berges qui ne demande qu'à brûler les planches, accompagnés par des gars qui ont la moitié de son âge spécialisés dans le rock garage du tout début des années 6o aux USA, l'on comprend vite que l'on ne va pas s'ennuyer.

 

 

L'était pas prévu au programme Johnny, croit monter sur scène pour un ou deux morceaux. Lui sera interdit de redescendre de sitôt, et par le public subjugué, et par le quintet qui le couve comme un poussin. L'on aura droit à un véritable petit tour de chant. Ai toujours pensé qu'un chanteur était un membre à part entière d'un combo et qu'il n'avait nul besoin de s'encombrer d'un instrument. Johnny Fay nous en apportera la preuve irréfutable. Pas le genre de gars à chanter du bout des lèvres, dégoise à plein gosier. Les mains et le corps ponctuent les intonations et les couplets. Et comme par miracle, derrière le groupe monte en ébullition. Changement total de régime, l'orchestre se trouve transcendé par son soliste.

 

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Surtout que Johnny ne tire pas la couverture à soi, ouvre de larges espaces de soli au saxophone et à la guitare. S'expriment en donnant de la gomme sur toute la gamme. La salle exulte, Johnny l'a tirée de sa léthargie soyons-polis-soyons-sympas-entre-rockers. Non, faut que ça pulse, que ça braille, que ça communique, que ça communie. Johnny Fay nous sert un Slippin'n' slidin démentiel – peut-être mon morceau préféré du grand Richard – et termine en apothéose sur deux morceaux de Presley avec une fille dans les bras. Que demander de plus ? One more ! Clame la foule désespérée mais les Megatons s'interposent. Johnny a un concert le lendemain en Belgique et un autre à Amsterdam. La Pologne est dans la ligne de mire, la tournée européenne de notre retraité de Cleveland n'en finit plus de s'allonger. Merci aux Mégatons de permettre la reviviscence d'un des derniers pionniers.

 

 

LIL' ESTHER + THE TINSTARS

 

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Ca fait plaisir de la retrouver. Même si l'on n'avait pas pu la voir au Tattookustom Festival ( livraison 111 du 27 / 09 / 12 ), cause de gros ennuis de santé. La voici, très sixty, rouge à lèvres écarlates, chevelure bouclée rejetée en arrière, une rose rouge et blanche piquée dedans, robe rouge qui se confond un peu avec le rideau d'arrière-scène, heureusement que les yeux sont bleus pour apporter une touche paisible à l'ensemble de ces sanglantes rougeurs.

 

 

Les Tin Stars sont autour. Lui concoctent un arrangement idoine. Le guitariste se met en quatre pour lui offrir un mélange étonnant, mid western jump avec paillettes d'accompagnements django-jazz, guitare hawaïenne pleurante sur fond de rockabilly endiablé. Lil' Esther oscille entre tous ces genres. Après la tornade Johnny Fay, ça tombe un peu à plat. Mais notre diva finira par s'imposer. Sans concession vis-à-vis du public, en défendant son propre style jusqu'à repartir sous les hourras de satisfaction. Chante un bon bout de temps, finit par vous envoûter, et vous emmène en des domaines dans lesquels vous ne mettez que très rarement les pieds.

 

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Elle sait être tour à tour tendre et romantique avec tous les malheurs de la terre qui tombent sur ce pauvre petit bout de femme fragile comme un flocon de neige, pour trois morceaux plus tard se transformer en harpie vindicative prête à lâcher son balai pour vous éloigner des ses jupes à coups de fusils. Un bouquet d'arômes divergent mais de fragrances subtiles. Je remarque que la plupart des jeunes femmes présentes ont beaucoup apprécié. Vous parle pas des Tin Stars puisqu'ils reviennent en fin de soirée. Lil descend de la scène les souliers à la main sous une ovation unanime.

 

 

SONNY AND HIS WILD COWS

 

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Avec un nom comme cela l'on ne sait pas si l'on ne va finir dans les abattoirs. En plus partent pour le rodéo avec un fameux handicap. Pourraient être français, anglais, américains, hollandais, allemands comme tout le monde. A la rigueur espagnol, ou italiens, on leur pardonnerait. Mais non, ils sont hongrois. On croit rêver. Du rockabilly hongrois, on aura tout vu dans ce bas-monde, ô funérailles comme disait ma concierge.

 

 

Z'ont le look d'avant. Costar-cravate pour trois d'entre eux. Profil d'étudiant sage pour le pianiste, look passe-partout pour le batteur. Un harmoniciste avec une casquette style britannique qui lui mange la moitié du visage, la deuxième voilée par les mains qui tiennent le micro et l'harmo. Le contrebassiste dans son costume rayé serait un magnifique employé de bureau. Avec un flingue dans la poche. Enfin j'ai gardé le plus beau pour la fin. Sonny, une gueule en lame de couteau, le nez qui part vers la droite, et les dents qui se barrent de l'autre côté, des rayures trop larges sur son pantalon et sa veste, une énorme guitare qui détonne avec sa silhouette longiligne. Bref une dégaine incroyable de cat sorti tout droit du rayon des années cinquante.

 

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Je peux vous le certifier l'anglais tout seul ce n'est pas facile à piger, mais l'anglais avec l'accent hongrois c'est carrément dur. Sonny se présente, l'assistance préfèrerait qu'il chantât. Deux balles traçantes coup sur coup. Le pantin semble se désarticuler. Mais c'est déjà fini. Un peu plus dans les retours, please. Et Little Tommy drummer qui n'entend pas l'harmo, et le chant qui... balance exaspérante un peu longuette. N'y a que Gordon Taylor appuyé sur sa contrebasse qui prend son mal en patience, un sourire radieux aux lèvres. En ce moment précis je ne donne pas cher ( à saucisses ) de la cote d'amour du rockabilly hongrois dans le public franchouillard.

 

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Et puis brusquement c'est l'apocalypse. Une énergie démentielle. Notre Crazy piano Benny nous bombarde d'un boogie dévastateur. Enfonce les touches une à une comme des épingles dans des abdomens de papillons vivants mais je certifie que cela vous ramone les oreilles plus rapidement qu'un détergent agricole. Sonny est partout à la fois, se plie en deux, en quatre, en huit, en seize, nous déverse un rockabilly au napalm. Brûlant tout droit sorti de l'enfer.

 

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Vont nous retracer l'histoire du rock'n'roll en quatre épisode, le rock'n'roll, le rhythm and Blues, le blues et le rockabilly. Pour les séquences deux et quatre l'harmoniciste monte sur scène. Aurait mérité un potentiomètre plus élevé, mais ne gâchons pas notre plaisir. Surtout que la quatrième station tourne à la folie furieuse. Sont plus que trois sur scène, basse, batterie et guitare. Je vous accorde que Sonny n'est pas un grand soliste, plutôt un rythmique fou. Ultra violent, ultra saccadé, hoquetant à merveille, se jouant de sa voix ( romaine ) qui court droit dans le mur avant de rebondir comme une balle de squash. On ne peut pas dire qu'il chouchoute sa guitare, la passe d'un côté à l'autre, la projette, la rattrape, s'y appuie dessus, elle n'est qu'une béquille qui lui permet d'atteindre à l'orgasme jouissif du dépassement de soi. A la fin du set l'on sent qu'il se retient pour ne pas la fracasser contre le plancher. Sonny donne dans le rockabilly destroy.

 

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Vous dis pas ce qui se passe dans la salle. Ca s'égosille à pleins poumons, les vaches décidément démentes de Sonny remportent le premier prix et le ruban bleu. Ces hongrois de malheur nous donnent une bonne leçon. Faudrait pas nous endormir sur nos lauriers. Nous filent de monstrueux coups de cornes dans le cul pour nous aider à avancer plus vite. Un sacré beau set. Et le pire c'est que tout cela repose sur une seule réalité : l'amour immodéré que Sonny porte au rock'n'roll.

 

 

THE TINSTARS

 

 

Les étoiles d'étain vont relever le gant avec brio. Ne vont pas chercher à courir après le taureau furieux et ses vaches folles. Pour définir grossièrement je dirais que les Tin Stars sont plus près de Buddy Holly que de Johnny Carroll, mais quelle prestance, quelle aisance !

 

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Rick de Bruijn qui qui s'était pratiquement caché derrière la contrebasse est maintenant devant. Focalise les regars et la lumière. Boucle d'or à l'oreille, baques aux doigts, haute stature, tunique noire de combat nouée par devant par sa ceinture, cravate et cheveux savamment en désordre, n'a qu'a ouvrir la bouche pour dominer son monde. Chante méchamment bien. Maîtrise rehaussée d'un filet d'humour, l'on s'en apercevra lorsque le son se coupera de manière très inappropriée aux trois quarts du set. Saura arranger avec le bassiste un petit intermède a capella vivifiant. L'on sent que Rick est la colonne vertébrale du groupe.

 

 

N'est pas entouré d'un équipage de manchots non plus. En retrait sur sa contrebasse Dusty Candre Hanselman est toujours là à l'endroit exact où on l'attend, sur le temps comme sur le contretemps. Possède un oeil fureteur braqué sur ses trois comparses, sait capter, prévenir le moindre signe d'inquiétude et se débrouille toujours pour y remédier de façon fort élégante. Joue un peu le rôle du père qui a tout vu, tout lu et tout connu et qui fait part de son expérience sans aucune lourdeur.

 

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De l'autre côté c'est Dusty Cigaar le jeune fils prêt à toutes les escapades. Pas un inconscient. Loin de là. Ne met les pieds quelque part sans savoir où il les pose. A totalement transformé son jeux de guitare entre les deux sets. A servi à Lil' Esther un fastueux jump de culasse, maintenant il balance du roll à en-veux-tu-en-voilà. C'est bien le même guitariste sur la même Fender crème, mais pas du tout le même son. Ici l'on s'énerve carrément. Parfois l'on frise avec le binaire un peu simpliste du style Ted, mais c'est Rick qui de la voix apporte une touche plus swinguante qui empêche le morceau de s'ossifier dans la facilité d'un binaire trop répétitif.

 

 

Vous parle pas du batteur un peu trop caché par la double bass. Ne m'a pas transcendé mais n'ai pas pu analyser son jeu. Tout ce que je peux affirmer c'est que Darryl Cigaar a donné au groupe l'assise rythmique qui lui est indispensable. Les Tin Stars ont tenu le public en haleine jusqu'à la fin. Ne feront qu'un rappel, mais après deux longs sets de longue et bonne tenue dans la soirée plus la route de retour à assurer, il était sage de ne pas leur en vouloir. Me suis aperçu ce soir comment la sonorisation du Tattookustom Festival était mauvaise, et comment une mauvais équilibrage du son peut nuire à la qualité d'un groupe. Non seulement les Tin Stars ne m'ont pas déçu mais ils ont emporté toute mon estime. Respect.

 

 

CODA

 

 

Quatre et demie du matin, j'arrête la teuf-teuf mobile. Rapide compte-rendu à mon chien avant de glisser dans les bras de Morphée. Très belle soirée, de plus en plus de filles dans ces soirées. Les rockers ont la cote ! Ne pas oublier les dames du bar, les étalages de fringues et bijoux. Plus sérieux, Steve Ryddell en personne qui présente ses disques ( que nous chroniquons fidèlement sur KR'TNT ), et la boutique Lenox avec ces caisses remplies de trésors rock'n'rolliens. C'est bon, vous pouvez faire de beaux rêves.

 

Damie Chad.

 

 

 

LOOK BOOKS

 

 

LES ANNEES BLUE NOTE.

 

PHOTOGRAPHIEES PAR FRANCIS WOLF.

 

Editions Plume. 1996.

 

MICHAEL CUSCUNA. CHARLIE LAURIE. OSCAR SCHNIDER.

 

Préface de Herbie Hancock.

 

C'est du jazz. Amis rockers vous allez adorer. Pourrez vous en servir comme plateau de la table de camping que vous êtes en train de bricoler. Sans regrets, trop grand, trop haut, trop large pour rentrer dans votre bibliothèque. De plus, pratiquement pas de texte, que des photos. En noir et blanc. Mais que voulez-vous les jazzeux n'aiment pas les couleurs criardes du rockabilly. De toutes les manières, à l'époque où elles ont été prises...

 

Enfin, ils auraient pu faire un effort d'imagination, en monochrome bleu, elles eussent été bien plus originales et auraient apporté la blue note idoine. Car il s'agit d'un livre d'hommage au label Blue Note. Une belle histoire, encore plus réjouissante que celle de Sun Records. C'est que Sam Phillips bien qu'il ait présidé à la naissance du rock, n'était qu'un talent scout des disques Chess à la recherche de la bonne affaire qui ferait Bingo ! En plus quand il l'a trouvée il l'a revendue à RCA.

 

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Avec Blue Note, c'est totalement autre chose. Le jazz existe depuis plus d'un demi-siècle lorsque Alfred Lion dirige sa première session. C'est un allemand fan transi de jazz que la misère et la montée d'Hitler au pouvoir poussent à se réfugier aux USA. Le pays de la liberté – c'est ce que l'on dit – et du jazz, ce qui est beaucoup plus véridique. Sera rejoint au dernier instant par un de ses amis qui quittera le pays de Goethe sur le dernier bateau empli de juifs que les nazis laisseront partir...

 

Aux pays des buffalos vont bouffer de la vache maigre et de l'encornée enragée aussi, nos deux immigrés. Qu'importe quand on aime le jazz, l'on ne compte pas. Enfin presque pas. Economiseront sou par sou. Tout cela pour le luxe de pouvoir offrir quelques heures de studio à Albert Hammons et Meade Lux Lewis... Non pas parce qu'ils pensent qu'ils vont se faire un max de pognon, mais tout simplement parce qu'ils aiment ces deux pianistes de boogie.

 

Se mettent au service des artistes. Les laissent longuement répéter tous frais payés, soignent la qualité de l'enregistrement, commencent à bosser sur les quatre heures et demie du matin quand tout le monde est encore chaud des concerts donnés la veille au soir dans les clubs... plus tard ils apporteront une précision maniaque aux notes des pochettes, et se serviront des photos de Wolf pour illustrer les covers. Ne courent pas après le fric, laisseront même Billie Hollyday et ses musiciens arrivés à l'improviste sur le trottoir car le studio est déjà rempli de musicos moins prestigieux mais en pleine création...

 

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Ce qui devait arriva. Blus Note devint le label d'avant-garde préféré des jazzmen. Un catalogue prestigieux d'Ornette Coleman à Wayne Shorter. Du Hard Bop au Free Jazz. Au milieu des années 60, le public se détourne du jazz, s'intéresse de plus en plus au rock... Alfred Lion, malade du coeur, prend sa retraite... le label sera vendu à Liberty – un nom cher à tous les admirateurs d'Eddie Cochran – dans les années 80, le label Mosaic se spécialisera dans la réédition des fastueux album Blue Note.... L'Histoire embaume ses plus chers cadavres. Alfred Lion refile à Mosaic les deux mètres cubes de négatifs et de photographies qui forment les archives de Francis Wolf. D'où le livre.

 

Un peu tristounet à mon humble avis. Wolf traque les expressions. Les visages se suivent, rires, sourires, inquiétudes, angoisses, malaises, tristesses, sérénités, réflexions... et finissent par se ressembler. Ne soyez pas traumatisés s'il vous semble qu'à force de le feuilleter le bouquin vous file le blues. C'est que vous vous êtes à point pour écouter le catalogue. Vous avez attrapé la note bleue. The Blue Note.

 

Avant tout pour les fans de jazz.

 

Damie Chad.