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22/11/2012

KR'TNT ! ¤ 119. ALAN LOMAX / LE PAYS OU NAQUIT LE BLUES

 

KR'TNT ! ¤ 119

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

22 / 11 / 2012

 

 

 

ALAN LOMAX

 

 

LE PAYS Où NAQUIT LE BLUES

 

 

( LES FONDEURS DE BRIQUE / 662 pp / Octobre 2012 )

 

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Toute la musique que j’aime

 

Elle vient de là, elle vient du blues

 

 

Merci Johnny ( et Rollin ), toutefois cela ne répond pas à la question cruciale : mais d’où vient le blues ? Il existe bien un livre qui répond en partie à cette angoissante question, mais jusqu’à ces dernières semaines il n’était accessible qu’en ricain -autant dire en requin méchant qui vous bouffe un mot sur deux - un pavé d’un demi-millier de pages, un truc insurmontable pour mes connaissances, très limitées, de la langue anglaise.

 

 

Mon sang ne fit qu’un tour, et mon stylo qu’un chèque, lorsque j’ai vu la pub sur le site de la revue rock’roll, www.rockandroll , incroyable mais vrai, The Land Where The Blues Began d‘Alan Lomax ( 1915 – 2002 ) , traduit en français par Jacques Vassal chez Les Fondeurs de Brique ! Trois jours plus tard je recevais le bébé. Deux kilos, avec en plus au fond de l’enveloppe un marque-page qui reprend le dessin de la couve de Pascal Comelade, une très chatoyante représentation iconique de Son House, assorti d’un infâme pin’s azuréen barré en petites lettres illisibles par le nom d’Alan Lomax, genre d’objet inesthétique au possible auprès duquel le logo de la SNCF passe pour une peinture originale du Caravage. Un truc à vous refiler le blues pour au moins deux semaines et demie. A vous taper la tête contre le mur. De briques.

 

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Voudrais pas être vachard avec Vassal, mais dans les années soixante-dix, ce frère Jacques tenait la rubrique Folk dans la revue Rock & Folk. A l’époque j’étais déjà depuis longtemps branché électrique et mes préférences couraient plutôt du côté des trashy tracts d’Eve Punk Adrien, le gars qui vous parlait du punk alors que le mouvement du même nom n’existait pas encore. Le KR’TNTreader aura remarqué que la traduction d’En Route Pour la Gloire de Woody Guthrie ( livraison N° 106 du QQ / QQ / 12 ) était aussi due à Jacques Vassal, comme quoi notre journaliste spécialisé en folksong ne s’intéresse pas qu’à la cueillette des escargots de Bourgogne. En ramasse aussi quelques uns à la coquille explosive.

 

 

LOMAX, PÈRE & FILS

 

 

Tout le monde connaît Edward Sheriff Curtis ( 1868 – 1952 ). Soupçonne même qu’en fouillant dans votre bibliothèque ou en vérifiant les posters sur vos murs je trouverais sans mal quelques reproductions de ces magnifiques photos d’indiens qui nous sont un irremplaçable témoignage sur les peuples amérindiens… C’est grâce à l’appareil photographique de Curtis que nous possédons les portraits - chevaux, squaws, enfants, tipis, guerriers - des tribus et des principaux chefs qui menèrent cette guerre perdue d’avance conte les envahisseurs blancs. Son of a frontier indian swirl - tourbillon indien sur la frontière comme l’écrivit Jim Morisson…

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De la même génération John Lomax ( 1867 – 1948 ) s’engagea dans un semblable projet, non plus sur les tribus cheyennes ou sioux, définitivement vaincues et enfermées à double tour dans les mouroirs des réserves, mais centré sur la people musique de son pays. Progrès technologique oblige l’on ne photographiait plus, l’on enregistrait. Tout ce qui passait à portée de micros, folk, country, blues. Pour être sûr de n’oublier personne Lomax visita le pays du Nord au Sud et d’Est en Ouest. Une moisson abondante, nous lui devons la majeure partie des documents sonores relatifs à la musique populaire des USA des années vingt et trente, précieusement archivée et conservée à la Bibliothèque du Congrès.

 

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Très vite John Lomax s’adjoignit la présence de son fils Alan. Subjugué par l’exemple paternel, ses études de sociologie achevée, Alan Lomax n’eut de cesse de continuer l’œuvre de son père. Avec un matériel de plus en plus sophistiqué - mais combien rudimentaire quand on le compare aux simples capacité d’un téléphone portable d’aujourd’hui - et dans un esprit et une méthodologie à prétention universitaire et donc beaucoup plus scientifique et théorique… Son livre parut en 1993 aux Etats-Unis, il est important d’entendre Alan Lomax répéter qu’il regrettait de n’avoir eu que dix-sept ans lorsqu’il accompagna son géniteur. Il a vu et entendu, mais à maintes reprises il se reproche de n’avoir su analyser et comprendre le sens des scènes qu’il n’avait alors décryptées qu’au travers du prisme de sa native naïveté…

 

 

ORIGINE AFRO-AMERICAINE

 

 

Il y a longtemps sur des guitares,

 

Des mains noires lui donnaient le jour

 

 

Remet pas en question la version de Johnny, Mister Alan Lomax, le blues a bien été engendré par les noirs des Etats-Unis. Du Sud. Et pour être plus précis du delta formé par le Mississipi et la Swanee River. Mais pas uniquement. Les esclaves importés d’Afrique ne sont pas venus tout seuls. Ont emmené avec eux les schèmes directeurs de leurs organisations sociales. Et devant la férocité de l’exploitation dont ils furent victimes, leur seule défense fut la résurgence instinctive de ces lointaines pratiques africaines qui furent d’autant plus efficaces que les blancs étaient dans l’incapacité de percevoir en leurs manifestations les plus évidentes leur insidieuse puissance de détournement des règles et des lois qu'ils avaient prescrits pour leur sécurité.

 

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Les noirs exilés des rivages africains provenaient de peuples de cultivateurs habitués à arracher leurs champs à une végétation dense et luxuriante. Travaux agricoles de déforestation des plus pénibles qui ne pouvaient être réalisés par des individus solitaires. Ces tâches se déroulaient en groupes, sous un soleil de plomb, leur monotonie était rompue par des chants destinés à souder le groupe et à donner le rythme. Dans les villages la vie sociale était en quelque sorte ritualisée par de multiples chants adaptée à chaque besogne quotidienne et aux diverses cérémonies qui réunissaient toute une tribu.

 

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Alan Lomax appuie aussi sa thèse sur de nombreux exemples pris dans l’histoire du peuplement du pourtour méditerranéen. De fait il oppose l’individualisme européen à la collectivité primitive et africaine. Si on le suit dans ses raisonnements l’on pourrait parler de mentalité anglo-américaine abreuvée à la double mamelle du libéralisme individualiste et du puritanisme protestant, mais en américain incapable de percevoir la dichotomie latino-nordique européenne il ne va pas si loin dans sa critique généalogique de la mentalité américaine.

 

 

MEMPHIS NIGHT

 

 

Près de dix-sept années séparent les anecdotes relatés à la fin du livre de celles du début. Mais aux deux extrémités la même scène se répète pratiquement à l’identique. L’intervention brutale d’une patrouille de police à l’encontre d’Alan Lomax suspecté de fricoter d’un peu trop près avec les nègres. En 1959, l’affaire se termine plutôt bien, mais en 1942 elle frôle la catastrophe. Vous reconnaîtrez qu’Alan a exagéré, les preuves sont formelles : dans la même journée il a serré la main à un négro, en a appelé un autre Monsieur, et crime des crimes est carrément entré dans la véranda d’une maison de négro pour discuter avec une vieille mama. Trois privautés des plus interdites et des plus dangereuses puisque susceptibles de faire germer dans la stupide caboche d’un negro l’idée d’une quelconque égalité entre un noir et un blanc.

 

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Sais bien que pour la mama, vous auriez fait de même. Vous seriez même agenouillé et auriez baisé la trace de ses pas. Pas parce qu’elle était jeune et jolie mais parce qu’elle était la mère de Robert Johnson. Rien à redire ! Lomax a du goût et le nez fin. C’est en écoutant chez lui les disques de ce bluesman inconnu qu’il a compris qu’il était en présence d’un des plus exceptionnels représentants du blues, novateur mais en même temps authentiquement branché sur les racines les plus originelles de la musique du diable. Nous plante tout de suite dans la descendance souveraine, Charley Patton, Son House, Johnnie Johnson. Lomax est parti à la recherche de Robert Jonson pour apprendre très vite qu’il a cassé sa pipe, qu’on lui a cassé sa pipe, quelques mois auparavant.

 

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Ne le plaignez pas. Du moins pas plus que sa communauté. Robert Johnson est un réprouvé, an anarchist, an antechrist, comme disaient si bien les Pistolets du Sexe. A abandonné l’Eglise méthodiste dont il était un des fils naturels. Car pour que la nuit de l’esclavage soit encore plus noire, les Blancs ont refilé à ces nouvelles ouailles le petit Jésus en prime des coups de trique. Soumission quotidienne et espérance en un séjour de gloire post-mortem. Le genre de promesse qui ne coûte pas cher et qui vous rend un imbécile heureux.

 

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Faut pas exagérer les Maîtres ont bien voulu partager le Christ mais ce sera au Dieu miséricordieux de se portionner en deux. Apartheid religieux. Le temple ne sera pas une maison communautaire. A chacun son Eglise et les brebis en deux enclos séparés ne seront pas mélangées. Le plus terrible c’est que les prêtres noirs vont en rajouter à leur cahier de charges. On permet aux fidèles de chanter mais pas de jouer d’instruments. Le tam-tam est perçu par les Blanc comme le téléphone arabe de la révolte toujours possible. Pour les ministres du culte noir il faudra évidemment totalement laisser de côté, ne pas même y toucher du bout des lèvres, tout ce qui est musique et chanson profanes. Ces nouveaux baptisés seront - excusez la métaphore plus que litigieuse pour des réformés, plus catholiques que le pape. Les Blancs écoutent toutes sortes de musique en dehors des cérémonies religieuses. L’on danse dans les maisons des Maîtres et dans les bals privés ou officiels. Les prêtres noirs interdiront à leurs fidèles les trémoussements sataniques de la danse. L’on pourra traîner les petons sur le sol mais ne jamais esquisser le moindre lever de pieds.

 

 

Lorsque dans Crossroad Robert Johnson met en scène son entrevue pédagogique with Satan, il ne fait qu’imager la réprobation qui entourait les fils perdus qui couraient les chemins et les bouges leur guitare dans la main. Le peuple noir n’avait pas lu tous les livres mais la chair était souvent faible. Entre deux cérémonies bibliques beaucoup de fidèles se donnaient du bon temps dans les juke joints. Même quand il n’y avait pas de toit les chattes étaient brûlantes et les rasades d’alcool fait maison ou de contrebande ( mot très mal venu ) ne vous désaltéraient jamais. Joyeuses sarabandes.

 

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Les blancs pensent avoir refermé le carcan du christianisme sur le cou de leurs serviteurs mais ceux-ci vont en user à leur manière. A malin, malin et demi. Tout en regrettant, pour des raisons qui nous paraissent davantage sentimentales que réfléchies, l’abandon des anciens negro-spirituals au profit d’une nouvelle manière de chanter qui se met en place et que l’on surnomme gospel, Alan Lomax nous montre comment les fidèles ont perverti le sens religieux de la cérémonie. Tout semble se dérouler normalement, mais par le jeu des questions-réponses et des interventions apparemment aléatoires et circonstancielles de l‘auditoire, pour celui qui sait entendre entre les versets des cantiques et les vers des improvisations individuelles, circulent et un discours politique de non acceptation de son sort et un rejet profond de l’idéologie officielle.

 

 

BLUE NOTES

 

 

Si les notes de la gamme blues tremblent sur elles-mêmes c’est que les noirs ont sans arrêt le cul entre deux chaises. Posez sur le premier plateau de la balance la colère qui bouillonne à l’intérieur de soi, la rage contenue, l’envie de se rebeller une fois pour toutes et sur le second, qui l’emporte toujours sur le premier, la servilité apparente, toujours se soumettre, se faire plus idiot que l’on est, avaler des couleuvres aussi grosses que des anacondas, le sourire sur sa bonne face épanouie de contentement.

 

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Les blancs ne font pas de sentiment, un bon noir est celui qui se soumet, le mauvais negro ne vit pas assez longtemps pour exister vraiment. A la moindre incartade, le fusil ou le lynchage. Point à la ligne. Si vous pensez pouvoir vous échapper, n’oubliez pas que votre famille écopera du mauvais sort qui vous était réservé.

 

 

L’homme noir est seul. Subtile différence, pas la femme noire. Souvent cantonnée dans le cercle familial et sous la protection de l’assemblée de l’Eglise qu’elle fréquente. C’est une espèce de matriarcat qui s’est développé : les hommes sont la plupart du temps dehors au boulot, c’est eux qui subissent de plein fouet ( ceci n’est pas une métaphore ) le contact direct avec l’exploitation. Travaillent où on les envoie, ne rentrent pas tous les jours chez eux. Les tendres poulettes possèdent une liberté sexuelle bien établie. Pour être débarrassées des gamins elles les envoient chez une grande sœur assagie par l’âge ou bien souvent les confient à grand-mère. Durant l’absence des pères elles s’en donnent à corps joie avec de jeunes amants… L’infidélité féminine sera le thème principal de la musique bleue.

 

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Le blues sera une musique d’individus. Nobody but you ne peut ressentir vos douleurs les plus intimes, vos chagrins les plus profonds. Autant la trame rythmique du blues sera vite fixée, autant les paroles seront improvisées. L’on est toujours surpris lorsque l’on essaie de traduire les paroles d’un blues. Nos paroliers ignorent tout de la règle des trois unités. N’ont pas été très longtemps à l’école. L’histoire racontée n’est guère linéaire, elle fait des allers et retours incompréhensibles entre le passé et le présent, d’un couplet à l’autre l’on sent que l’on voyage dans toutes les directions. N’incriminez pas vos capacités linguistiques, suffit d’avoir l’oreille coquine ou rebelle pour percevoir les sous-entendus grivois ou les double-sens revendicatifs, pour sûr les bluesmen improvisent à partir de citations, d’emprunts et de fragments prè-composés, mais la déstructuration de ces textes reflète avant tout la situation de ces existences ballotées, hachées, amputées, mutilées… Lomax règle quelques comptes avec Faulkner, ses histoires plein sud ne prennent jamais un noir comme héros. Se fondent dans le décor, jouent leur rôle naturel de personnages secondaires… alors que la désarticulation du récit faulknérien n’est que la transcription littéraire d’un vécu noir par excellence. Mais de là à heurter la sensibilité d’un public par nature blanc de peau…

 

 

THE LEVEE

 

 

Jusque là nous sommes restés dans les limites du supportable. Mais le pire est toujours certain. Le delta est aujourd’hui un lieu paradisiaque. Si vous détestez la chaleur, abstenez-vous. Mais si vous aimez les cartes postales, n’hésitez pas, les demeures à colonnes blanches, le fleuve majestueux qui roule de paisibles flots, les champs de coton qui s’étendent à l’infini, les magnolias en fleurs et patati et patata… Ca n’a pas toujours été comme ça. Imaginez un marécage infesté de millions de moustiques, des serpents tubulaires patibulaires et des crocodiles qui n’ont aucune envie de finir en bottes western. Des lianes, des troncs d’arbres emmêlés, une végétation luxuriante, des fondrières, des sables mouvants, bref un paysage d’apocalypse dans lequel un homme blanc normalement constitué prendra garde de ne porter ni la main, ni le pied.

 

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Lorsque l’on y introduisit les premières équipes d’esclaves l’on se disait que ce ne serait pas une grosse perte s’ils se faisaient bouffer par les fièvres ou les alligators. S’y sentirent très vite comme chez eux. Comme quoi il ne faut jamais désespérer de la nature sous-humaine. Vous lâchiez un négro tout seul dans cette jungle aquatique, il n’y faisait pas long feu. Mais une centaine, tous ensemble, rangés comme une phalange macédonienne, armés de pelles, de pics, de pioches, de barres à mines et de cordes, vous arasaient l’humide terrain en cinq sec. Suffisait de les laisser chanter à leur rythme et ils faisaient le travail presque tout seuls. Bien entendu quelques gardes affublés d’une winchester automatique ne gênaient en rien le rendement.

 

 

Ce sont les esclaves noirs qui firent de l’enfer vert du delta un pays de cocagne. Possédaient des techniques ancestrales un savoir-faire de défrichage dont les maîtres blancs n’avaient aucune idée. L’histoire aurait pu s’arrêter là, hélas il n’en fut rien. Messire Mississipi se mit à pisser . Si fort qu’il déborda. Tous ceux qui tombaient dans sa crue étaient cuits. Des centaines de morts. Des champs de coton pas du tout hydrophiles se retrouvaient dans l’eau avant d’avoir pu dire plouf.

 

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Aux grands maux, les grands remèdes. Facile il suffisait de rehausser d’une dizaine de mètres les premières digues du fleuve, des affluents et des canaux. Pour la main d’œuvre nécessaire à l’édification des levees l’on réquisitionna les prisonniers et tous les noirs que l’on put rafler un peu partout. Ca s’appelait les fermes d’état mais ça préfigurait de très près les futurs camps de concentration européens. Des conditions d’exploitation d’une dureté inimaginable. Mais c’est dans ces chaudrons d’iniquités que naquirent et le blues et le rock and roll.

 

 

ETYMOLOGIE ROCK

 

 

Amis rockers tendez l’oreille. L’on vous a raconté que le terme rock and roll était un phrasé un peu enlevé que les pianistes de boogie-woogie mettaient en branle dans les tripots de la Nouvelle-Orléans dès que la clientèle ne montait plus à flots continus vers ( ou sur ) les hôtesses d’accueil préposées à leur bien-être. Pour maintenir la cadence du tiroir caisse un petit coup de roulis-gooly sur le piano et hop c’était reparti à coups de barres jusqu’au mois de mars.

 

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Alan Lomax en propose une autre. Moins affriolante. Quoique en y réfléchissant… Se demandait comment les détenus faisaient pour hisser jusqu’au haut des digues d’énormes troncs d’arbres de plusieurs centaines de kilos. Un jeu d’enfant lui ont répondu, démonstration à l’appui deux vieux prisonniers de l’ancien temps. Vieille technique de portage africaine. Un à chaque extrémité de la bille de bois que vous tenez grâce à une chaîne. Pour avancer vous la faites rouler tout en le balançant par de légères tractions conjuguées, zip à droite puis zip à gauche, mais attention d’abord vous le balancez ( rock ) et puis ensuite ( and ) vous le roulez ( roll ). Dernier petit secret, ne pas marcher, mais courir, le rythme rapide est le secret du rock and roll. Ces mecs qui balancent et roulent avec un gros bâton derrière leur cul, je n’ose même pas imaginer ce que doctor Freud en aurait conclu.

 

 

THE HOLLER

 

 

Après cet intermède rock revenons au blues. Travail des plus pénibles, mauvaises nourritures, chaleur étouffante, perspectives bouchées pour plusieurs années, chefs tatillons et vicieux, insultes et coups de fouets pour celui qui ne tenait pas le rythme, l’on conçoit aisément que parfois l’individu devait se sentir perdu et annihilé à suivre la cadence donnée par le meneur. C’est alors que prévalaient l’envie de s’affirmer et le désir de rompre l’anonymat de la brigade courbé sur la terre. L’on pouvait communier avec le reste du groupe en se mêlant à ceux qui marquaient le contre-chant par des réponses appropriées ou des exclamations d’encouragement ou d’approbation. Mais c’était d’une certaine manière reconnaître son inféodation à une chaîne de travailleurs dont on n’était qu’un maillon interchangeable.

 

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Restait alors la solution la plus désespérée. Celle de clamer à la face du monde et son unicité fondatrice et sa solitude dévastatrice. Chaque prisonnier possédait son holler. Traduisez par cri ou beuglement. Un peu comme le jeune des cités qui appose sur les murs labyrinthiques des métropoles babyloniennes modernes son graphe, griffe léonesque d’être humain qui se surpasse en même temps que flaque visqueuse de chien qui pisse pour marquer son désarroi et son territoire… Une modulation, de mode mineur, plus ou moins longue, qui exprimait sa personnalité, qui s’amalgamait au chant du groupe tout en s’en détachant si nettement par son phrasé hyper-individualisé que les centaines de codétenus qui ahanaient dans les terrains alentours le repéraient et en reconnaissaient sans faillir l’émetteur.

 

 

Ce blues que l’on présente si souvent comme un chant alterné, un jeu plus ou moins stérile de questions sans réponses, Alan Lomax nous le restitue en son unité originelle.

 

 

LE BLUES

 

 

Quand il compare le blues à sa naissance à la musique européenne traditionnelle européenne de son époque Lomax théorise quelque peu. Pour notre part nous nous méfions de ces généralités qui n’explorent que les sentiers qui permettent de se diriger vers notre propre point de vue. Les pays qui possèdent une structure étatique forte ont corseté leur musique. Il existe en ces contrées un répertoire qui ne laisse aucune liberté aux interprètes. N’allez pas vous amuser à changer la tonalité d’un lied de Schubert ! Même la musique de variété est sévèrement encadrée, il existe des chanteurs professionnels qui chantent à votre place.

 

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Alors que tout un chacun qui éprouve le blues peut se mettre à créer son propre mantra. Hélas, les hommes d’affaire qui ont compris qu’ils pouvaient faire beaucoup d’argent en proposant au public des disques de blues ont perverti le système. Plus le marché grandit plus l’on sert une soupe communatoire de plus en plus standardisée. A ce jeu le jazz a très vite perdu son âme, dès la création des grands orchestres, il serait dommage que le blues suive un chemin identique…. Il est à craindre que Lomax ne se soit révélé prophète en son propre pays.

 

 

 

DUST MY BROOM

 

 

L’on a maintes fois glosé sur la signification de l'interprétation du titre chaotique de Robert Johnson par Elmore James. Les jeunes filles qui ont l’esprit très bien placé sont certaines de reconnaître ce balai - véritable manche de sorcière - dont il faut secouer la poussière, et peut-être même le réduire en poussière en son entier. Du moins qu’il ne vous en reste plus qu’un trognon informe entre les mains. Une nouvelle anecdote contée par Alan Lomax nous offre un autre éclairage de l’expression, moins poétique.

 

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Mené par Muddy Waters - vous noterez ses douteuses fréquentations - notre auteur débarque en un juke joint en folie. A l’intérieur c’est plein comme un œuf, pas besoin d’être OO7 pour s’en apercevoir. A deux kilomètres à la ronde l’on percevait le piétinement régulier de centaines de pieds qui suivaient le rythme donné par le guitariste en tapant sur le plancher. Mais la surprise provient d’un jeune garçon qui passe le balai sur le sol pour jouer des vibrations provoquées par le martèlement des pas sur les lattes de bois… Ce n’est pas pour rien que l’on appelle les baguettes souples qui servent à frapper les futs d’une batterie des balais.

 

 

Après quoi Lomax insiste quelque peu sur un truc que vous connaissez bien, mais version tiédasse. Le slow drag. Merci ce n’est pas la peine de réciter toute la liste des minettes que vous avez draguées sur les slows de vos surprises-parties. Vous n’y êtes pas du tout. Le slow drag se dansait exclusivement sur du blues et pas sur de la variétoche fastoche. Pas du tout à la romantique, joue contre joue. Plutôt en mimant plus que frénétiquement les actes répréhensibles des plus pénétrantes copulations. Le slow drag fut longtemps considéré comme une danse obscène. Mais son influence sur de nombreuses danses sud-américaines comme le tango n’est pas remise en question.

 

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Y a encore mille sujets que Lomax aborde mais dont je n’ai pas parlé. Mais avant de vous quitter je me permettrais d’attirer votre attention sur la troisième de couverture, contient un CD qui reprend et illustre les différents chapitres du bouquin, car je vous rappelle que Lomax n’était pas venu pour prendre des notes mais pour enregistrer, et préfère vous dire qu’il y a du beau monde :

 

 

Walkin Blues de Son House, difficile de trouver un titre mieux approprié pour ouvrir la marche. Le blues dans toute sa ruralité, voix de tête, guitares rythmiques, miaulement d'harmonica par derrière, gratellement obsédant de la mandoline, le morceau part à l'aventure se casse la gueule sur le pont d'Arcole instrumental et la voix de Son House qui revient en plus méchant. Du pur blues, vous voulez rire : l'essence même du rock'n'roll.

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Florence Stomp et son choeur de jeunes filles essayez d'imaginez le point équidistant que vous pourriez projetez entre le gospel et les comptines des cours de récréation, vous y êtes en plein. Soyons sérieux, quittons nos demoiselles pour écouter le sermon du Révérend Ribbins entouré de ses ouailles. Chante comme Otis Redding, s'égosille comme un porc que l'on égorge, et hurle comme un leader du Black Panther, c'est toutefois enregistré en 1941.

 

Roustabout Song de John Cameron plus proche de la ballade, une pause bienvenue avant de se lancer dans le chant de levee Early in the Morning pris sur le vif au pénitencier de Parchman en 1948, avec le rythme marqué par le bruit des haches. Subtiles variations entre la l'outil métronome et les voix qui montent ou descendent selon la fatigue et les reprises d'énergie. Sublime.

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L'on quitte la vallée, nous sommes dans les collines avec Sid Hemphill, musique de bal, les racines concomittantes du blues noir et de la country blanche sont à vif. Entrez dans la danse violon et grosse caisse vous accompagnent. La voix se fait plus dure. Faut dominer la masse sonore.

 

Fred McDowel capté en 1959 à une époque où les Stones qui le prendront en première partie de leur tournée n'existaient pas encore. Peigne et deux guitares mènent un train d'enfer, blues slide mais c'est déjà l'urgence du Mystery Train et tout le rock moderne est dans cette voix féline qui s'impose par-dessus le background instrumental.

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Beaucoup plus rural dans les premières notes, il est vrai que c'est de 1941. Mais c'est aussi de Muddy Waters qui jamais plus n'a sonné aussi campagnard que sur ce Country Blues. Lomax conseillera à cette étoile montante locale de s'exiler sous les cieux de Chicago, là où les astres sont alimentées à l'électricité. Le chaînon manquant entre le blues et le rock a été identifié depuis plus d'un demi-siècle.

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Black, Brown & White de Big Bill Broonzy : Avec le gros Bill l'on ne sait jamais si l'on est dans le blues ou dans le folk. Preuve que les barrières entre les genres musicaux sont aussi illusoires que celles dressées par les différences de couleur de peau.

 

La vie est ainsi, parfois vous avez droit à un cadeau innattendu : Sonny Boy Williamson, Big Bill Broonzy et Memphis Slim réunis à New York en 1947, superbe ne vous en dis pas plus parce qu'une livraison de KR'TNT sur Memphis Slim est dans les cartons. Attention chef-d'oeuvre.

 

 

Un livre que tout amateur de rock se doit de posséder dans sa bibliothèque. Merci aux fondeurs de briques.

 

Damie Chad.

 

 

RECTIFICATIF

Tout grand homme possède ses moments de faiblesse. Même Damie Chad ( proprement incroyable et salement vrai ! ). Dans la Livraison 114 du 10 / 08 / 12, une funeste erreur due à l'attaque surprise de drones de provenance non-identifiée m'a conduit à quelques erreurs généalogiques : j'ai stupidement déclaré que le chanteur Kik du Gommar avait officié en des temps anciens chez Lucrate Milk. Il n'en fut rien, c'était chez Remorah, groupe alternatif des années 90. Que les dieux du rock'n'roll me pardonnent ! Mille excuses à Kik.

 

 

GUITARE XTREME. N° 53.

 

Novembre-Décembre 2012.

 

 

Jimmy Page imperial en couverture, ça ne se refuse pas. Remarquez que ce mois-ci il est difficile d'échapper à Page. L'est sur toutes les pages de tous les magazines rock. C'est comme ça avec le Dirigeable quand il passe à l'attaque c'est du massif et du lourd. N'ont jamais pu faire les choses en petit chez Led Zeppe. S'arrangent pour voler la vedette aux Stones qui pourtant mettent les plats minuscules dans les grands. Z'ont pensé à votre cadeau de Noël. Tata Yvette va encore se fendre de trente euros pour vous offrir le Celebration Day, la dernière vidéo de nos tontons flingueurs chéris.

 

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L'ai pas écouté, les avis sont mitigés. Pour ma part j'avais follement aimé les vidéos amateurs que les heureux privilégiés qui avaient eu la chance de participer au concert donné en décembre 2007 en hommage à Ahmet Ertegün, le patron d'Atlantic certes, mais surtout un dangereux activiste de la musique populaire américaine. Mais ne nous égarons pas : des vidéos crades de chez crades au son bousillé, aux couleurs criardes mais dignes de la folie chaotique du Zeppelin. Page a fait saisir tout ce matériel pirate et a travaillé sur les bandes originales, à peaufiné l'enregistrement. L'a dû refaire quelques lignes de guitare par ci par là. Du bidouillage, du maquillage. Oui mais à l'arrivée ce sera toujours du Led Zeppe à rajouter aux 254 pirates du groupe... La moindre scorie du Led c'est un peu comme un tesson d'amphore spartiate du temps de Léonidas. C'est sacré.

 

 

A regarder les engins qui évoluent dans le ciel l'on oublie de porter les yeux sur la piste d'aéroport. Première fois que je me suis acheté un numéro de Guitare Xtreme. Une erreur. Fatale mais que je viens de réparer. C'est bien fait. Bien documenté. Sans esbrouffe. Est livré avec un CD de démonstration. Peut pas vous en parler, on me l'a déjà fauché, pensez pas que les copains guitaristes allaient avoir pitié de moi, Alexis Mazzoleni qui vous initie aux plans secrets de Buddy Holly, pas question que ça dorme dans les archives.

 

 

Puisque l'on est dans le rock des pionniers, très symptomatique le blind test auquel on soumet Manu Livertout. C'est un peu notre Joe Satriani national, à part que lui il citerait plutôt Dimebag de Pantera et Joey Tafolla comme référence et que comme en France tout un chacun – à part des poignées de connaisseurs – ignore Joe Satriani, je ne vous donne pas cher de l'aura de Livertout auprès du grand public. En fait il est plus grand que public.

 

 

En tout cas, il a l'oreille et la connaissance, Livertout vous livre tous les noms des guitaristes qui lui sont proposés. Un robot shred. N'y a qu'à la fin qu'il se plante lamentablement. Voit vraiment pas. C'est juste Cliff Gallup sur Race with the Devil de Gene Vincent ! Shame on him ! Se rattrape aux branchettes en citant Scotty Moore et Elvis Presley et en pontifiant : «  C'est toujours bon d'apprécier le son original du rock'n'roll original. ». A méditer. La virtuosité du metal moderne possède ses continents engloutis. Le blues et le rock. A force de se couper de ses racines... Return to the sender comme disait Elvis !

 

Damie Chad.

 

 

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