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29/10/2010

KR'TNT ! ¤ 24.

 

KR'TNT ! ¤ 24

LIVRAISON DU 28 / 10 / 2010

A ROCK LIT BLOG'N'ROLL

 

 

EDITO

 

Le rock français, c'est un peu comme la choucroute marseillaise ou la pizza péruvienne. Quoi que l'on en dise il a mauvaise réputation. Ce qui, question rock, ne saurait être un mal en soi. Mais l'on a beau se promettre d'être gentil et de ne pas être mauvaise langue, l'on est bien obligé de s'avouer, entre nous et au fond de soi, qu'il a toujours un petit côté variétoche.

 

C'en est même devenu une espèce de vérité intangible, un a priori partagé par les fans. Et les musiciens, à tel point que beaucoup de groupes se refusent aujourd'hui de composer en douce langue françoise et optent pour l'idiome ultra-manchin. Et ce dès le début. Dans les années soixante les Chats Sauvages se faisaient un honneur de chanter en public en anglais et c'est encore l'anglais que les Variations nous régalèrent d'un démentiel Come Along en 1968.

 

Il faut dire que le rock'n'roll a débarqué par chez nous en lousdec. Pouvait pas tomber pire. A la fin des années cinquante rares étaient ceux capables de comprendre les paroles, et encore moins la musique, des disques venus d'Amérique. Tout le monde n'y entravait que couic. Pauvre rock'n'roll, confisqué par des musicos, qui se la jouaient cador de studio, et qui n'ont été sensibles qu'au rythme. Trop fort, trop rapide, trop syncopé, qu'ils ont assimilé à la seule chose qu'ils connaissaient, mais qu'ils étaient très loin de maîtriser : la rythmique jazz. Z'ont pas compris l'arrière-plan bluesy et les roots country. Pouvaient pas savoir, mais ont sacrément manqué de flair.

 

Pour toute une génération d'intellectuels fascinés par la culture américaine, le rock a été entendu comme une parodie de petits blancs ignares qui singeaient les doctes jazzmen. Les pitoyables galéjades d'un Boris Vian sont l'exemple parfait de ce qu'il n'aurait pas fallu faire.

La clique pseudo-existentialiste a méchamment savonné la pente pour ceux qui suivraient.

 

Et en effet, ça a ramé sec pour les gamins dégingandés qui se sont par la suite radinés la gueule enfarinée. Les aînés qui se sont aperçus qu'ils avaient pris l'ascenseur en marche ne leur ont pas fait de cadeaux. De toutes les manières ils ne pouvaient offrir que leur médiocre incompréhension. L'anecdote des Five Rock transformés en Chaussettes Noires illustrent à merveille le drame du rock'n'roll français, dès le début l'histoire était mal démarrée.

De 1960 à 1963, le rock français est parti de rien pour arriver à pas grand chose. Pas de chanteurs qui sussent chanter, pas de musiciens qui sussent à jouer, et point de compositeurs qui sussent composer. Certes ils eurent pour eux l'effet de surprise, la fougue et l'énergie de la jeunesse, mais dès que les vieux croutons du showbiz eurent repris les manettes de contrôle le reflux fut terrible. Seuls quelques uns, une minuscule poignée, les plus bosseurs et les plus talentueux, parvinrent à échapper à la décrue généralisée.

 

Durant plus de dix ans le rock national avança, cahin-caha, clopin-clopant, le dos au mur, sans cesse obligé de louvoyer entre les fourches caudines de la variété et le silence des médias. Jusqu'à ce qu'enfin l'on eut la satisfaction d'un groupe qui ait atteint le niveau et la qualité d'un groupe anglais. Magma, bien entendu. Une espèce d'aérolithe tombé d'une autre galaxie. Tellement étrange et différent qu'il ne fit jamais de petits sur le sol national.

 

Qu'on le veuille ou non, un Téléphone resta toujours en deçà de l'orphéon électrique mené par Christian Vander. Et puis il faut avouer que de l'autre côté de l'océan, entre temps ils avaient mis les bouchées mille. Quand on arrivait à dégoter un bon guitariste de par chez nous, en face ils en pondaient cent cinquante dans le même mois capables de jouer mieux et plus fort.

 

Mais citrouille sur le carrosse, ce que le rock'n'roll français n'a jamais réussi à entreposer dans son escarcelle, ce ne sont ni les studios, ni les ingénieurs du son, ni les lieux de concert, mais pire que tout cela : le public.

 

Par chez nous le public rock est spécialement volatile, incapable de soutenir ses propres options. Dans les années soixante-dix, ceux qui s'intéressaient à ce qu'ils surnommaient la pop-music en vinrent à ostraciser le rock'n'roll ! Un peu comme la poule qui se moque de l'oeuf dont elle est sortie. Si par malheur vous spécifiez french rock'n'roll, faut voir à quels sourires de commisération condescendante vous vous exposiez.

 

Comme un seul homme dans les années 80, nos amateurs de pop progressive accueillirent l'indigeste soupe de la world music comme une révélation mystique... Inutile de continuer le tableau, la cause du rock en France est une cause perdue... Le plus embêtant c'est qu'aux States et dans l'United Kingdom, s'amorce aussi un recul des plus inquiétants, dû à la standardisation effrénée d'une production devenue industrielle. Mais nous en reparlerons. Ce qui n'empêche pas, un peu partout, et notamment par ici, des îlots de résistance de s'accrocher et de croître...

 

Damie Chad.

 

 

 

LE CROOCKNER DE BELLEVILLE

 

S'il en est un qui ploie sous les lauriers de la gloire depuis quinze jours, c'est le père Schmall qui entame sa dernière tournée et sort un nouvel album intitulé Come back, ce qui ne manque d'humour pour quelqu'un qui a occupé pratiquement sans discontinuer le devant de la scène depuis cinquante ans.

 

Cette flatteuse unanimité nous laisse rêveur. Pas que nous détesterions le sujet Mitchell. Nous possédons l'intégrale de ses vinyls et pas mal de ses CD. Eddy, c'est une vieille histoire. Je l'ai connu avant de savoir qui il était. J'étais mouflet que je me rappelle la danse de saint-guy qui saisissait l'ensemble de la famille regroupée devant le poste de télévision, le dimanche après-midi, lorsque surgissaient les Chaussettes Noires. Les commentaires étaient peu amènes. Les adultes n'entravaient pas la longueur de ses cheveux - la même que celle de nombreux cadres dynamiques de nos jours - quant à la musique fallait posséder des oreilles de lynx pour la discerner sous la bronca familiale.

 

Je suis arrivé à maturité adolescente en pleine déconfiture. Les média avaient opéré leur normalisation auditive. De la tornade rock qui avait submergé la France entre 1960 et 1963, il ne restait plus aucune trace. Pour un jeune garçon désargenté du fin-fond de la France, il fallait faire un sacré boulot d'enquête pour se connecter. En 1965 j'achetais mon premier 45 Tour d'Eddy Mitchell. Pouvais pas mieux tomber : « Si tu n'étais pas mon frère » en titre vedette + « J'avais deux amis » qui faisait le raccord avec tout le rock'n'roll américain originel et « Tu ne peux pas » reprise du I'm crying des Animals directement branchée sur l'explosion anglaise.

 

Eddy fut un magnifique intercesseur. Toute une génération a appris le rock en étudiant le verso de ses pochettes. Bien sûr les disques d'Eddy ne faisaient pas le poids face à une galette de Gene Vincent ou des Yardbirds mais durant des années il était nécessaire de secourir le soldat Mitchell qui pratiquement seul contre tous, continuait le combat rock sur le sol français. De « S'il n'en reste qu'un » à « L'épopée du rock » Eddy troua les murailles de l'opacité franchouillarde à plusieurs reprises. Avec Big Jim Sullivan et Jimmy Page à la guitare par derrière, le pape du rock assurait. Fit même le vol jusqu'à Memphis pour enregistrer avec la crème des musiciens de rymth'n'blues...

 

Par la suite c'est devenu plus difficile. Le rock évoluait à vitesse grand V. Si doué fût-il un chanteur à lui tout seul ne pouvait jouer à armes égales avec les redoutables assemblages des super-groupes de la nouvelle génération. Pas question de rivaliser contre Cream ou Led Zeppelin, l'intendance musicale de Monsieur Eddy ne pouvait plus suivre. Fallut négocier de sacrés virages et se raccrocher aux petites branches, d'Otis Redding à Stevie Wonder, bonjour la dégringolade.

 

Le début des seventies fut très dur pour Claude Moine qui fit un peu n'importe quoi pourvu que cela ressemblât à de la musique évoluée. Fut simplement tenu sous perfusion par les fans de la première heure qui renâclaient mais qui continuèrent à acheter les disques. Ce n'est pas qu'ils étaient mauvais, c'est qu'ils n'étaient pas bon.

 

Il fallut le bon coup de pied au cul du revival pour qu'Eddy trouve enfin la porte de sortie. Direction Nashville, retour à la case départ rock'n'roll, merci Chuck Berry, et arrivée dans un nouveau pays musical, la country. Entre temps la voix de Mitchell avait mué, elle s'était veloutée, du hamburger pour jeune homme en colère l'on était passé à la soupe de première catégorie pour habitué gourmet. Mais comme d'un autre côté son écriture beaucoup plus incisive atteignit à une qualité jamais égalée, l'on ne s'en aperçut pas tout de suite.

 

Eddy dériva doucement sur la quarantaine. Le bonhomme changeait. Son pôle intello prit le dessus, et que je vous écrive mes mémoires et que je présente une émission de télé. Avec à chaque fois, en grand professionnel, le public dans la poche. Bientôt viendrait le temps des films et des primes à l'acteur. Mitchell devint le cow-boy made in USA, francisé, franchisé... Il était temps pour lui de se retirer des affaires et de se reposer dans le cimetière des éléphants.

 

La hargne était partie. Le pistolero maudit du rock français s'est retrouvé dans le costume du shérif bien-aimé de la majorité silencieuse. Question chansons ça a commencé à branler dans le manche. Du blues de luxe, du jazz sirupeux, des grands orchestres de violons larmoyants, des big bands en folie qui louchaient vers les années quarante, le tout empaqueté sous vide. De la marchandise irréprochable. Le produit fini que personne en France n'était capable d'égaler, mais des trucs de vieux, brisés par la vie, qui s'apitoient sur eux-mêmes puisque dans deux ans les filles ne leur jetteront plus un regard. Ou pire encore, le ringard qui se cache derrière l'humour désabusé des vaincus.

 

Avec bien sûr à chaque fois une ou deux pépites à ravir le coeur des fans, mais l'obligation de se fader aussi sept ou huit morceaux à côté de la plaque tectonique rock. De moins en moins de real beat et l'organe vocal qui s'assouplissait de session en session. Des musicos triés sur le volet, une production de plus en plus perfectionniste pour un résultat de moins en moins convaincant. Plus c'est mieux, moins c'est bon !

 

Longtemps j'ai continué à acheter ses disques, sans les écouter... et les quatre derniers je les ai laissés au magasin. De bonnes choses dessus comme cette version live de « Paloma dort », mais l'ensemble est ennuyeux, le précédent CD pompeusement intitulé Grand Ecran est d'une tristesse désolante, l'on s'imaginait un western spaghetti pétaradant sur les berges du Rio Grande, et nous voici en colonie de vacances dans la Mer de sable d'Ermenonville.

 

Le rock est loin. Eddy est porté aux nues par l'establishment médiatique. Tout le monde l'aime, le respecte et l'adore. En parfait gentleman, il tire sa révérence avant qu'il ne soit trop tard. Une carrière extraordinaire. A su toujours rester digne. N'a jamais sacrifié aux peoples. N'a pas sa langue dans sa poche et se permet de dire ce qu'il pense. A part qu'il n'a plus trop grand-chose à dire. Il vit un peu dans un nuage doré, le père Schmall ! Et de son antique réputation de rocker qu'il a su thésauriser. C'est un fin manieur d'encensoir. Avec tout ce qu'il faut d'auto-dérision pour ne pas paraître pédant. Du grand art. De la fine dentelle.

 

Mais un des très rares grands Artistes – pour ne pas dire l'Unique – que nous ayons dans nos tiroirs. Fidèle à lui-même, sans nul doute. Mais au rock, j'en doute.

 

Damie Chad.

 

 

21/10/2010

KR'TNT ! ¤ 23.

 

 

KR'TNT ! ¤ 23

LIVRAISON DU 19 / 10 / 2010

A ROCK LIT BLOG'N'ROLL

 

 

EDITROCK

 

Parler de LEFTY FRIZZEL ne peut pas faire du mal. Plutôt du bien, même. La suite logique de notre précédente livraison consacrée au Man in Black, si l'on veut. LEFTY nous a quitté depuis plus d'un demi-siècle, mais sa figure nous paraît aussi essentielle et actuelle que nos jours les plus récents.

 

N'empêche que ces dernières semaines, le rock'n'roll se décline dans la rue. Ne tournez pas la tête pour chercher de nouvelles affiches. Ce n'est pas à proprement parler le rock qui est dans la rue, mais la rue qui devient rock'n'roll.

 

Appelez cela comme vous voulez, les gens, le peuple, les jeunes ( et les moins jeunes ) défilent et parfois se heurtent pas très gentiment avec nos amis les cops, de plus en plus nombreux, et de plus en plus en colère. Dans la rue. Côté artistes, c'est le calme plat, la dérobade à l'anglaise. Nos hurleurs patentés ne donnent plus de la voix. Nos chanteurs adorés sont aux abonnés absents. Et pas sur la liste rouge et noire.

 

Ainsi va le rock, un peu à côté de ses pompes de daim bleu. Rebelle, aristo du perfecto, de la dégaine à gogo, mais n'aime pas trop se mélanger au populo. Le rock n'apprécie point trop que ses racines refassent surface. Que nenni, ce ne sont ni le blues, ni la country, mais la pauvreté et la misère.

 

Un sacré creuset, qui métamorphose les humiliations de la vie en rage adolescente, et les frustrations refoulées en cris de haine et de triomphe. Ne tombons pas dans le simplisme, non plus. L'on peut être un grand artiste sans être nécessairement un révolutionnaire patenté. Mais parfois l'on exprime par sa voix, ou son instrument, des émotions et des vécus qui viennent de loin et dont on est le médiateur plus ou moins inconscient.

 

Il est arrivé à plus d'une de nos idoles de troquer leur paire de santiagues de lonesome cow-boy qui cavalait dans leur tête... pour les charentaises de la respectabilité qui roupillent sur leurs royalties. Tant vont les cruches au dollar qu'elles n'apaisent plus notre soif.

 

Le rock a toujours eu le cul entre deux chaises. Entre la flambe et la brûlure. Et beaucoup, aussi bien parmi les créateurs que les fans, ont vite fait de reposer les lauriers de leurs fesses sur le fauteuil le plus respectable. Pas le rocking-chair de la bascule à tout crin, mais l'autre le strapontin du show-biz de la suffisance.

 

Voici un sujet que l'on n'aborde guère dans les fanzines. Triste réalité de nos contradictions que nous soldons dans la case des pertes et profits. Surtout profits, d'ailleurs. Si aujourd'hui le rock se meurt, c'est qu'il devenu trop gros, trot gras, trop mou du vide. Pas tout le monde, mais beaucoup trop.

 

Ce vent brûlant qui souffle dans la rue est à écouter. C'est ainsi que le rock'n'roll chevauchera à nouveau la tempête.

DAMIE CHAD.

 

 

 

 

SPECIAL LEFTY FRIZZELL

 

 

Le nom de Lefty Frizzell ne dit plus grand chose à beaucoup de monde. Il fut pourtant en son temps l'alter ego d'Hank Williams. Les deux hommes ont tourné ensemble et jouaient à pile ou face lequel des deux passeraient en vedette... Sans doute n'a-t-il manqué à Lefty Frizzell qu'une mort rapide pour acquérir une gloire immortelle. Tous deux écrivirent et interprétèrent leur propre musique. Hank Williams avec cette voix nasillarde qui aujourd'hui fait si authentique, si roots... et même un peu artificielle couleur locale, péquenot du sud profond.


Lefty Frizzell n'était pas pourvu d'un aussi campagnard papier verre au fond de la gorge. Non son organe répondrait plutôt à l'appellation velouté pur sucre. Ne pas confondre avec la guimauve. Il y a autant de tristesse dans le timbre de Frizzell que chez Williams, mais avec la classe en plus. On ne les a pas tous les deux surnommés les bluemen de la country par hasard. Pour me faire mieux comprendre, je dirais que la voix de Frizzell est à mi-chemin entre Hank Williams et Elvis Presley. Je ne sais si je vous aide à mieux entendre. Mais le gars Presley a tout de suite pigé. L'anecdote est peu connue mais, vers la fin, Presley forma le projet d'un trente-trois tours composé uniquement de chansons de Lefty Frizzell.Encore une fois, Frizzell devança le disciple et montra le chemin. Il disparut en 1975, le King se hâta de l'imiter dans les mois qui suivirent. L'on peut se demander ce qu'il serait advenu d'Hank Williams si les petites pilules ne l'avaient ravi avant son heure. Serait-il tout de même une légende, ou un bon chanteur plus ou moins oublié parmi tant d'autres ? Frizzell avait choisi une autre route. L'alcool. Au milieu des années soixante Lefty Frizzell connut une certaine éclipse. Mais tous les témoignages sont formels, lorsque le succès revint dans les seventies et qu'il enregistra ses deux derniers disques souvent considérés comme son chat du cygne, il employa son argent à boire encore plus qu'avant.Frizzell qui reste un des princes de la country était une roc'n'roll star dans l'âme. Né en 1928, son itinéraire et son mode de vie high on life, n'est pas sans parallèle avec Gene Vincent. Bien avant le King, les gosses rêvaient de sa grosse cadillac, point rose mais aussi noire que ses idées, dans laquelle il se rendait à ses concerts. La voix de Frizzell est inimitable. Encore faut-il savoir l'apprécier. Merle Hagard qui dépensa 50 000 dollars pour entrer en possession de sa guitare personnelle, aujourd'hui déposée au Country Hall of Fame, prétend que Lefty Frizzell est avant tout un chanteur pour chanteurs. Nous dirions plutôt que pour un public non anglophone pas très habitué aux différents accents des Etats du Sud, il n'est pas évident d'apprécier la subtilité du phrasé de Frizzell, cette façon si particulière d'allonger démesurément les syllabes. Mais il vous suffira d'écouter la quarantaine de versions de The Long Black Veil disponibles quasi instantanément sur le net et de la rapprocher de l'original de Frizzell pour sentir la différence. Comparée à cette dernière combien celle, tiens au hasard, des Chieftains + Mick Jagger, malgré sa pompeuse instrumentation folk-progressive, risque de vous écorcher les oreilles !

 

 

Certaines reprises sont très belles, mais pour faire écho à notre vingt-deuxième livraison il faut reconnaître que seules celles ( notamment avec Joni Mitchell ) de Johnny Cash se démarquent en bien – mais pas en mieux - de l'originale. Poussons un petit cocorico, celle de Burning Dust est très loin de se classer parmi les plus mauvaises.

    LEFTY FRIZZELL VERS 1950

Lefty Frizell.jpgQuand survint la vague rockabilly, Lefty Frizzell sacrifia aussi au vent nouveau. Rien de tel pour mettre en évidence son côté mauvais garçon ! Frizzell qui passa quatorze mois en prison pour vol ne fut pas pour rien l'idole de l'Outlaw Country des années soixante-dix. Il chante méchamment bien, mais ses morceaux rockab sont un tantinet trop longuets. Pourquoi ferait-il court alors qu'il sait si bien se perdre dans les labyrinthes du désespoir de tous les hôtels aux coeurs brisés !

 

Lefty Frizzell est un des chantres du honky tonk, non pas ce style de piano de bastringue ultra syncopé employé par les jazzmen pour chauffer leur auditoire – mais ce genre de chansonnette sentimentalo-larmoyante, et nostalgo-romantique, qui reste l'essence de la musique country. Qui rappelons-le n'est pas une musique de balloche, comme certaines inflexions commerciales s'acharnent à la transformer, mais l'expression tragique de la solitude de l'âme humaine confrontée à la grandeur immémoriale des espaces américains.

 

Et puis un homme qui affirmait que la vie est comme la poésie, ne peut pas être totalement mauvais..

DAMIE CHAD

 

Pour vous en rendre compte par vous-mêmes, allez écouter la box set Life's like poetry chez Bear Family. L'intégrale. 12 cd, plus de 300 morceaux. Strongly expensive but very indispensable ! Vous pouvez aussi devenir an re-appropriation's outlaw adept. Typically country !

 

14/10/2010

KR'TNT ! ¤ 22.

 

KR'TNT ! ¤ 22

LIVRAISON DU 14 / 10 / 2010

A ROCK LIT BLOG'N'ROLL

 

 

 

EDITROCK

 

Puisque nous avons évoqué les racines noires du rock'n'roll dans notre précédente livraison, il est peut-être temps de s'intéresser à l'autre mamelle de notre musique, le country.

Il se trouve que depuis quelques années le country s'installe en France. Un public est en train de se créer, peut-être pas celui dont nous aurions rêvé mais de plus en plus important et de plus en plus visible. Pour ne pas dire tapageur.

 

Des gens très bien. Mais ô combien déconcertants. La country est rentrée par la petite porte, celle du salon. De danse. L'on ne compte plus les clubs country qui se montent un peu partout, jusqu'au fin-fond de nos campagnes les plus lointaines.

Ce n'est n'est déjà plus une mode. C'est presque une habitude. Plus de brocante villageoise sans son exhibition country... Les rondes de stetsons remplacent les défilés de majorettes, au grand plaisir des masses silencieuses.

 

Cet été, suis tombé en plein centre de ma cité natale, très loin au bout des pistes perdues, sur une manifestation country de trois jours et trois nuits. Faramineux progrès des consciences municipales quand on pense qu'en l'an de grâce 1970, nos édiles avaient ordonné de couper l'électricité du premier ( et dernier ) Festival pop, situé à l'extrême périphérie de la ville, sous prétexte que East of Eden. Il est sûr que ce groupe mené par un violon faisait un bruit de tous les diables !

 

Bref voici RUSTY LEGS, groupe connu ( des connaisseurs ) qui entre en scène. Un beau début, un instrumental à la Il était une fois dans l'Ouest, un peu kitch parodique, mais avec des tonneaux en flammes, et assez décoiffant. C'est après que ça a commencé à nous défriser. Deux cents simili cow-boys accompagnés de leurs cow-boys favorites qui se lèvent et se mettent à danser comme un seul homme sur le plancher ( des vaches ) disposé devant l'orchestre.

 

Et jusqu'à la fin de la nuit, ils ne vont pas en rater une seule. Increvables et interminables. Parfois l'on frôle la commotion collective, RUSTY LEGS joue un morceau inconnu ! Mais le combo a tout prévu «  Ca se danse comme... » soupir de soulagement unanime, l'on sent que l'on a échappé à une catastrophe nucléaire...

 

La musique, ils s'en foutent, ce sont des échappés de la fièvre du samedi soir qui se sont se retrouvés par mégarde à Nashville, la quarantaine, qui courent après une joyeuse jeunesse qu'ils n'ont jamais connue. Pas méchants, pas vindicatifs, pas rebelles pour cinquante cents, un peu réacs, un peu american beauf dream, et pas fufuts de pétrole. De braves gens, ni pires ni meilleurs que vous et moi.

 

Mais qui par contre possèdent un énorme défaut que nous ne partageons pas. Ces gens-là n'aiment pas la country, ils consomment du country. Si sur l'emballage il n'est pas écrit en grosses lettres rouges que le produit est périmé, ils ne risquent pas de jeter la barquette !

Ils mangent ce qu'on leur donne car ils sont incapables de le prendre par eux-mêmes.

Damie Chad.

 

 

 

 

CASH

L'AUTOBIOGRAPHIE

 

( avec la collaboration de PATRICK CARR )

 

Traduit de l'américain par Emmanuel Dazin.

360 pp. LE CASTOR ASTRAL 2005.

 

 

Le livre est à l'image de ses chansons. Noir. Sans fioritures. Une guitare, et une voix. Rien de plus. Rien de moins. Rien de trop. Du Cash millésimé. Je ne peux écouter un disque de Cash sans penser que le croquemort qui lira mon avis de décès avant de descendre mon cercueil dans la terre fraîche aura exactement le même timbre. Sombre. Mortuaire. A geler mon pauvre sang déjà glacé. Pourtant je ne lui en veux pas au père Cash. Me le réécoute régulièrement depuis des années. Depuis que minaud j'avais lu au dos du Crazy Beat de Gégène qu'il était son chanteur préféré avec Hank Williams. Il ne faut jamais croire ce que l'on vous dit.

 

Se promener dans la vie avec le funèbre bourdon de Cash quelque part en arrière-fond de votre caboche, c'est se charger d'un terrible handicap pour tout ce qui va suivre. D'ailleurs Cash lui-même n'a pas dérogé à sa propre règle. Vous pouvez être sûr qu'il est allé à maintes reprises frappé à la porte des Enfers. Et qu'il n'a pas dû attendre longtemps pour qu'on lui ouvre. Le plus dramatique, c'est qu'il en soit ressorti. Plusieurs fois. Je suis pas sûr qu'au soir de telles entrevues, le diable ait réussi à fermer l'oeil de la nuit. Dans son antre, tout seul, au centre des cercles de feu.

 

It's not very grave. For Cash, naturally. Pour vous, je m'en fous. Mais Cash a toujours été au côté de Dieu. Quarante ans après, il n'en démord pas. La première fois qu'il lui est apparu, c'est au studio Sun, du temps où il se faisait appeler Elvis Presley. Le plus grand, le meilleur. Même si Jerry Lee était encore plus fou que lui, et même qu'il jouait mille fois mieux du piano que lui, et que l'Elvis lui aussi en avait conscience.

 

Plus tard l'hillbilly cat il est remonté au ciel dans son palais de Graceland et ça a été un de ces chemins de croix, pour le retrouver que vous n'en avez pas idée. C'est que là-haut c'est loin, et que l'on ne peut y arriver qu'en rampant à l'horizontale comme un ver de terre. Faut sacrément s'accrocher. Mais Cash, il y a réussi. Y a mis tellement du sien que c'en devient gênant. S'est acheté la Bible en plusieurs traductions et les encyclopédies qui vont avec. L'a bûché. L'a marné, l'est même allé faire un film, sur ses propres deniers ( de Judas ) à Jérusalem sur la vie de votre Seigneur. Il a enregistré des tonnes de gospel et a poussé la plaisanterie jusqu'à écrire un roman sur la vie de Paul. The man in white qu'il l'a appelé. Qui a dit que Johnny à défaut d'amour n'avait pas d'humour ? Et vicieux avec ça. Scrupuleux comme une teigne. Remet en doute la conversion de son mécréant de père après la mort de son fils de quatorze ans coupé en deux par une scie mécanique. Les actes et les paroles ne suffisent pas à Cash. Croit pas aux signes extérieurs du miracle. Faut que ça vienne du dedans du coeur et que ça saigne à blanc comme pureté de neige.

 

Vient de plus loin que la misère le petit ( propriétaire ) Cash. Toute la famille a trimé dans les champs de coton. Pire que les nègres dans les plantations. Et comme pour les noirs, il n'y avait qu'une chose qui ne coûtait pas cher, les cantiques d'Eglise et les chants religieux. Ca ne nourrit pas vraiment son homme, mais ça se multiplie comme des petits pains. Poussez pas, il y en aura pour tout le monde. Tellement partout qu'ils n'ont jamais pu entendre l'Internationale ! La révolte ne fait pas partie de l'horizon intellectuel de la génération Cash. Quand certains vous expliquent que le blues est de gauche et la country de droite, ils n'ont pas tout à fait tort. Ni tout à fait raison non plus.

 

Cash participe du rêve américain. Il n'en est pas le one-self-man de service pour autant. Son truc à lui, c'est plutôt l'homme qui se détruit lui-même. Il a tout essayé. L'a goûté à toutes les pilules du bonheur artificiel. Il ne cache rien. N'en tire aucune gloriole non plus. Se raconte Aau plus près. Il a juste survécu. A toutes les plaies de la misère et de l'injustice. Elles se sont rouvertes quand le succès et l'argent sont venus. Ont eu un mal de chien à repartir par la suite. Se sont accrochées à leurs cauchemars.

 

Il est vrai que le man in black se trimballe de sacrées croix. Chez lui, c'est travail, famille et patrie en même temps. Il n'en est pas pour cela exempt de contradictions. Pas du genre à manifester contre la guerre au Vietnam, mais il crie bien haut que les jeunes gens ne doivent pas périr en de douteux combats qui ne les concernent pas. Il fait partie de cette majorité silencieuse qui gueule plus fort que tous les beats et tous folkleux réunis. Cash c'est l'écolo qui vous brûle la moitié d'un parc national et qui se fout du juge qui cherche à comprendre. Raquera sec, mais n'aura jamais un mot de regret.

 

N'allez jamais zieuter les vidéos de la Carter Family sur You Tube. Vous tomberez amoureux de la jeune fourteen years old June. Vous pourrez pas en démordre. Une présence, une exubérance d'être, un brin de folie et de friponnerie à la demander en mariage à la minute. Cash devra attendre dix ans avant de l'épouser. Une redoutable femelle américaine. Cash n'a jamais regretté. Vous, il y aurait longtemps que vous vous seriez tiré une balle dans la tête pour lui échapper. Mais Cash, il fait ce qu'aucun rocker n'a jamais osé faire, il ne laisse pas bobonne à la maison : on the road avec elle, des milliers de kilomètres et de représentations, d'un bout à l'autre des Etats-Unis, et un peu partout dans le monde. C'est un punk allemand qui à l'issue d'un concert explicitera le deal : « Madame, vous déchirez grave. » Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, ce sont les filles et puis la petite-fille qui monteront sur scène accompagner leur père et qui deviendront des figures reconnues de la country. Les coyotes enragés aux poils rêches n'accouchent pas de gentils jolis chats.

 

Cash se gêne pas. Il se définit comme un guitariste limité qui n'a pas eu le courage de progresser. Il n'a pas tort. Durant cinquante ans il nous a resservi la même rythmique. Plus la même voix, monocorde de pendu. Mais c'est du granit. Importé directement des montagnes rockeuses. Une assise, un bouclier. Toute la chanson américaine repose là-dessus. Blues, traditionnel, folk, country. Outlaw, rockabilly and roots. Cash prend tout mais n'emporte rien. Il est seulement aussi difficile de passer avant qu'après lui. La moulinette Cash vous réduit n'importe quoi en poudre. Mais c'est de l'indian pemmican qui en ressort. De l'énergie en barre.

 

Se vante même d'avoir soufflé à Carl Perkins l'idée de Blue Suede Shoes. Faut oser. Sans rancune. Carl Perkins est l'autre grande figure qui se détache du bouquin. L'on sent une grande tendresse pour le friend qui boppait le blues comme personne et buvait le désespoir comme un trou. Un Carl Perkins, avec comme une existence entre parenthèses, entre les deux morts accidentelles de ses deux frères, chacune des deux aux bouts opposés de sa vie.

 

Et puis pire que tout, les trois Parques : la vieillesse, la sagesse et la faiblesse. L'homme en black est toujours là. Regardez la dernière photo, la guitare à la main, les yeux levés vers le ciel, monolithique dans son large cache-poussière noir. Il ressemble à la statue de Balzac sculptée par Rodin. Il est une force qui va. La voix est cassée. Chevrotante presque. Mais chaque mot vous cloue au mur comme une rafale de winchester. Y a-t-il jamais eu un poëte qui ait su détacher ses paroles comme cela, mouche et buffalo à tous les coups. En 2003, Cash est rentré dans l'éternité de sa propre évidence. La country est restée orpheline.

 

Damie Chad.