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29/10/2010

KR'TNT ! ¤ 24.

 

KR'TNT ! ¤ 24

LIVRAISON DU 28 / 10 / 2010

A ROCK LIT BLOG'N'ROLL

 

 

EDITO

 

Le rock français, c'est un peu comme la choucroute marseillaise ou la pizza péruvienne. Quoi que l'on en dise il a mauvaise réputation. Ce qui, question rock, ne saurait être un mal en soi. Mais l'on a beau se promettre d'être gentil et de ne pas être mauvaise langue, l'on est bien obligé de s'avouer, entre nous et au fond de soi, qu'il a toujours un petit côté variétoche.

 

C'en est même devenu une espèce de vérité intangible, un a priori partagé par les fans. Et les musiciens, à tel point que beaucoup de groupes se refusent aujourd'hui de composer en douce langue françoise et optent pour l'idiome ultra-manchin. Et ce dès le début. Dans les années soixante les Chats Sauvages se faisaient un honneur de chanter en public en anglais et c'est encore l'anglais que les Variations nous régalèrent d'un démentiel Come Along en 1968.

 

Il faut dire que le rock'n'roll a débarqué par chez nous en lousdec. Pouvait pas tomber pire. A la fin des années cinquante rares étaient ceux capables de comprendre les paroles, et encore moins la musique, des disques venus d'Amérique. Tout le monde n'y entravait que couic. Pauvre rock'n'roll, confisqué par des musicos, qui se la jouaient cador de studio, et qui n'ont été sensibles qu'au rythme. Trop fort, trop rapide, trop syncopé, qu'ils ont assimilé à la seule chose qu'ils connaissaient, mais qu'ils étaient très loin de maîtriser : la rythmique jazz. Z'ont pas compris l'arrière-plan bluesy et les roots country. Pouvaient pas savoir, mais ont sacrément manqué de flair.

 

Pour toute une génération d'intellectuels fascinés par la culture américaine, le rock a été entendu comme une parodie de petits blancs ignares qui singeaient les doctes jazzmen. Les pitoyables galéjades d'un Boris Vian sont l'exemple parfait de ce qu'il n'aurait pas fallu faire.

La clique pseudo-existentialiste a méchamment savonné la pente pour ceux qui suivraient.

 

Et en effet, ça a ramé sec pour les gamins dégingandés qui se sont par la suite radinés la gueule enfarinée. Les aînés qui se sont aperçus qu'ils avaient pris l'ascenseur en marche ne leur ont pas fait de cadeaux. De toutes les manières ils ne pouvaient offrir que leur médiocre incompréhension. L'anecdote des Five Rock transformés en Chaussettes Noires illustrent à merveille le drame du rock'n'roll français, dès le début l'histoire était mal démarrée.

De 1960 à 1963, le rock français est parti de rien pour arriver à pas grand chose. Pas de chanteurs qui sussent chanter, pas de musiciens qui sussent à jouer, et point de compositeurs qui sussent composer. Certes ils eurent pour eux l'effet de surprise, la fougue et l'énergie de la jeunesse, mais dès que les vieux croutons du showbiz eurent repris les manettes de contrôle le reflux fut terrible. Seuls quelques uns, une minuscule poignée, les plus bosseurs et les plus talentueux, parvinrent à échapper à la décrue généralisée.

 

Durant plus de dix ans le rock national avança, cahin-caha, clopin-clopant, le dos au mur, sans cesse obligé de louvoyer entre les fourches caudines de la variété et le silence des médias. Jusqu'à ce qu'enfin l'on eut la satisfaction d'un groupe qui ait atteint le niveau et la qualité d'un groupe anglais. Magma, bien entendu. Une espèce d'aérolithe tombé d'une autre galaxie. Tellement étrange et différent qu'il ne fit jamais de petits sur le sol national.

 

Qu'on le veuille ou non, un Téléphone resta toujours en deçà de l'orphéon électrique mené par Christian Vander. Et puis il faut avouer que de l'autre côté de l'océan, entre temps ils avaient mis les bouchées mille. Quand on arrivait à dégoter un bon guitariste de par chez nous, en face ils en pondaient cent cinquante dans le même mois capables de jouer mieux et plus fort.

 

Mais citrouille sur le carrosse, ce que le rock'n'roll français n'a jamais réussi à entreposer dans son escarcelle, ce ne sont ni les studios, ni les ingénieurs du son, ni les lieux de concert, mais pire que tout cela : le public.

 

Par chez nous le public rock est spécialement volatile, incapable de soutenir ses propres options. Dans les années soixante-dix, ceux qui s'intéressaient à ce qu'ils surnommaient la pop-music en vinrent à ostraciser le rock'n'roll ! Un peu comme la poule qui se moque de l'oeuf dont elle est sortie. Si par malheur vous spécifiez french rock'n'roll, faut voir à quels sourires de commisération condescendante vous vous exposiez.

 

Comme un seul homme dans les années 80, nos amateurs de pop progressive accueillirent l'indigeste soupe de la world music comme une révélation mystique... Inutile de continuer le tableau, la cause du rock en France est une cause perdue... Le plus embêtant c'est qu'aux States et dans l'United Kingdom, s'amorce aussi un recul des plus inquiétants, dû à la standardisation effrénée d'une production devenue industrielle. Mais nous en reparlerons. Ce qui n'empêche pas, un peu partout, et notamment par ici, des îlots de résistance de s'accrocher et de croître...

 

Damie Chad.

 

 

 

LE CROOCKNER DE BELLEVILLE

 

S'il en est un qui ploie sous les lauriers de la gloire depuis quinze jours, c'est le père Schmall qui entame sa dernière tournée et sort un nouvel album intitulé Come back, ce qui ne manque d'humour pour quelqu'un qui a occupé pratiquement sans discontinuer le devant de la scène depuis cinquante ans.

 

Cette flatteuse unanimité nous laisse rêveur. Pas que nous détesterions le sujet Mitchell. Nous possédons l'intégrale de ses vinyls et pas mal de ses CD. Eddy, c'est une vieille histoire. Je l'ai connu avant de savoir qui il était. J'étais mouflet que je me rappelle la danse de saint-guy qui saisissait l'ensemble de la famille regroupée devant le poste de télévision, le dimanche après-midi, lorsque surgissaient les Chaussettes Noires. Les commentaires étaient peu amènes. Les adultes n'entravaient pas la longueur de ses cheveux - la même que celle de nombreux cadres dynamiques de nos jours - quant à la musique fallait posséder des oreilles de lynx pour la discerner sous la bronca familiale.

 

Je suis arrivé à maturité adolescente en pleine déconfiture. Les média avaient opéré leur normalisation auditive. De la tornade rock qui avait submergé la France entre 1960 et 1963, il ne restait plus aucune trace. Pour un jeune garçon désargenté du fin-fond de la France, il fallait faire un sacré boulot d'enquête pour se connecter. En 1965 j'achetais mon premier 45 Tour d'Eddy Mitchell. Pouvais pas mieux tomber : « Si tu n'étais pas mon frère » en titre vedette + « J'avais deux amis » qui faisait le raccord avec tout le rock'n'roll américain originel et « Tu ne peux pas » reprise du I'm crying des Animals directement branchée sur l'explosion anglaise.

 

Eddy fut un magnifique intercesseur. Toute une génération a appris le rock en étudiant le verso de ses pochettes. Bien sûr les disques d'Eddy ne faisaient pas le poids face à une galette de Gene Vincent ou des Yardbirds mais durant des années il était nécessaire de secourir le soldat Mitchell qui pratiquement seul contre tous, continuait le combat rock sur le sol français. De « S'il n'en reste qu'un » à « L'épopée du rock » Eddy troua les murailles de l'opacité franchouillarde à plusieurs reprises. Avec Big Jim Sullivan et Jimmy Page à la guitare par derrière, le pape du rock assurait. Fit même le vol jusqu'à Memphis pour enregistrer avec la crème des musiciens de rymth'n'blues...

 

Par la suite c'est devenu plus difficile. Le rock évoluait à vitesse grand V. Si doué fût-il un chanteur à lui tout seul ne pouvait jouer à armes égales avec les redoutables assemblages des super-groupes de la nouvelle génération. Pas question de rivaliser contre Cream ou Led Zeppelin, l'intendance musicale de Monsieur Eddy ne pouvait plus suivre. Fallut négocier de sacrés virages et se raccrocher aux petites branches, d'Otis Redding à Stevie Wonder, bonjour la dégringolade.

 

Le début des seventies fut très dur pour Claude Moine qui fit un peu n'importe quoi pourvu que cela ressemblât à de la musique évoluée. Fut simplement tenu sous perfusion par les fans de la première heure qui renâclaient mais qui continuèrent à acheter les disques. Ce n'est pas qu'ils étaient mauvais, c'est qu'ils n'étaient pas bon.

 

Il fallut le bon coup de pied au cul du revival pour qu'Eddy trouve enfin la porte de sortie. Direction Nashville, retour à la case départ rock'n'roll, merci Chuck Berry, et arrivée dans un nouveau pays musical, la country. Entre temps la voix de Mitchell avait mué, elle s'était veloutée, du hamburger pour jeune homme en colère l'on était passé à la soupe de première catégorie pour habitué gourmet. Mais comme d'un autre côté son écriture beaucoup plus incisive atteignit à une qualité jamais égalée, l'on ne s'en aperçut pas tout de suite.

 

Eddy dériva doucement sur la quarantaine. Le bonhomme changeait. Son pôle intello prit le dessus, et que je vous écrive mes mémoires et que je présente une émission de télé. Avec à chaque fois, en grand professionnel, le public dans la poche. Bientôt viendrait le temps des films et des primes à l'acteur. Mitchell devint le cow-boy made in USA, francisé, franchisé... Il était temps pour lui de se retirer des affaires et de se reposer dans le cimetière des éléphants.

 

La hargne était partie. Le pistolero maudit du rock français s'est retrouvé dans le costume du shérif bien-aimé de la majorité silencieuse. Question chansons ça a commencé à branler dans le manche. Du blues de luxe, du jazz sirupeux, des grands orchestres de violons larmoyants, des big bands en folie qui louchaient vers les années quarante, le tout empaqueté sous vide. De la marchandise irréprochable. Le produit fini que personne en France n'était capable d'égaler, mais des trucs de vieux, brisés par la vie, qui s'apitoient sur eux-mêmes puisque dans deux ans les filles ne leur jetteront plus un regard. Ou pire encore, le ringard qui se cache derrière l'humour désabusé des vaincus.

 

Avec bien sûr à chaque fois une ou deux pépites à ravir le coeur des fans, mais l'obligation de se fader aussi sept ou huit morceaux à côté de la plaque tectonique rock. De moins en moins de real beat et l'organe vocal qui s'assouplissait de session en session. Des musicos triés sur le volet, une production de plus en plus perfectionniste pour un résultat de moins en moins convaincant. Plus c'est mieux, moins c'est bon !

 

Longtemps j'ai continué à acheter ses disques, sans les écouter... et les quatre derniers je les ai laissés au magasin. De bonnes choses dessus comme cette version live de « Paloma dort », mais l'ensemble est ennuyeux, le précédent CD pompeusement intitulé Grand Ecran est d'une tristesse désolante, l'on s'imaginait un western spaghetti pétaradant sur les berges du Rio Grande, et nous voici en colonie de vacances dans la Mer de sable d'Ermenonville.

 

Le rock est loin. Eddy est porté aux nues par l'establishment médiatique. Tout le monde l'aime, le respecte et l'adore. En parfait gentleman, il tire sa révérence avant qu'il ne soit trop tard. Une carrière extraordinaire. A su toujours rester digne. N'a jamais sacrifié aux peoples. N'a pas sa langue dans sa poche et se permet de dire ce qu'il pense. A part qu'il n'a plus trop grand-chose à dire. Il vit un peu dans un nuage doré, le père Schmall ! Et de son antique réputation de rocker qu'il a su thésauriser. C'est un fin manieur d'encensoir. Avec tout ce qu'il faut d'auto-dérision pour ne pas paraître pédant. Du grand art. De la fine dentelle.

 

Mais un des très rares grands Artistes – pour ne pas dire l'Unique – que nous ayons dans nos tiroirs. Fidèle à lui-même, sans nul doute. Mais au rock, j'en doute.

 

Damie Chad.

 

 

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