14/10/2010
KR'TNT ! ¤ 22.
KR'TNT ! ¤ 22
LIVRAISON DU 14 / 10 / 2010
A ROCK LIT BLOG'N'ROLL
EDITROCK
Puisque nous avons évoqué les racines noires du rock'n'roll dans notre précédente livraison, il est peut-être temps de s'intéresser à l'autre mamelle de notre musique, le country. Il se trouve que depuis quelques années le country s'installe en France. Un public est en train de se créer, peut-être pas celui dont nous aurions rêvé mais de plus en plus important et de plus en plus visible. Pour ne pas dire tapageur.
Des gens très bien. Mais ô combien déconcertants. La country est rentrée par la petite porte, celle du salon. De danse. L'on ne compte plus les clubs country qui se montent un peu partout, jusqu'au fin-fond de nos campagnes les plus lointaines. Ce n'est n'est déjà plus une mode. C'est presque une habitude. Plus de brocante villageoise sans son exhibition country... Les rondes de stetsons remplacent les défilés de majorettes, au grand plaisir des masses silencieuses.
Cet été, suis tombé en plein centre de ma cité natale, très loin au bout des pistes perdues, sur une manifestation country de trois jours et trois nuits. Faramineux progrès des consciences municipales quand on pense qu'en l'an de grâce 1970, nos édiles avaient ordonné de couper l'électricité du premier ( et dernier ) Festival pop, situé à l'extrême périphérie de la ville, sous prétexte que East of Eden. Il est sûr que ce groupe mené par un violon faisait un bruit de tous les diables !
Bref voici RUSTY LEGS, groupe connu ( des connaisseurs ) qui entre en scène. Un beau début, un instrumental à la Il était une fois dans l'Ouest, un peu kitch parodique, mais avec des tonneaux en flammes, et assez décoiffant. C'est après que ça a commencé à nous défriser. Deux cents simili cow-boys accompagnés de leurs cow-boys favorites qui se lèvent et se mettent à danser comme un seul homme sur le plancher ( des vaches ) disposé devant l'orchestre.
Et jusqu'à la fin de la nuit, ils ne vont pas en rater une seule. Increvables et interminables. Parfois l'on frôle la commotion collective, RUSTY LEGS joue un morceau inconnu ! Mais le combo a tout prévu « Ca se danse comme... » soupir de soulagement unanime, l'on sent que l'on a échappé à une catastrophe nucléaire...
La musique, ils s'en foutent, ce sont des échappés de la fièvre du samedi soir qui se sont se retrouvés par mégarde à Nashville, la quarantaine, qui courent après une joyeuse jeunesse qu'ils n'ont jamais connue. Pas méchants, pas vindicatifs, pas rebelles pour cinquante cents, un peu réacs, un peu american beauf dream, et pas fufuts de pétrole. De braves gens, ni pires ni meilleurs que vous et moi.
Mais qui par contre possèdent un énorme défaut que nous ne partageons pas. Ces gens-là n'aiment pas la country, ils consomment du country. Si sur l'emballage il n'est pas écrit en grosses lettres rouges que le produit est périmé, ils ne risquent pas de jeter la barquette ! Ils mangent ce qu'on leur donne car ils sont incapables de le prendre par eux-mêmes. Damie Chad.
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CASH
L'AUTOBIOGRAPHIE
( avec la collaboration de PATRICK CARR )
Traduit de l'américain par Emmanuel Dazin.
360 pp. LE CASTOR ASTRAL 2005.
Le livre est à l'image de ses chansons. Noir. Sans fioritures. Une guitare, et une voix. Rien de plus. Rien de moins. Rien de trop. Du Cash millésimé. Je ne peux écouter un disque de Cash sans penser que le croquemort qui lira mon avis de décès avant de descendre mon cercueil dans la terre fraîche aura exactement le même timbre. Sombre. Mortuaire. A geler mon pauvre sang déjà glacé. Pourtant je ne lui en veux pas au père Cash. Me le réécoute régulièrement depuis des années. Depuis que minaud j'avais lu au dos du Crazy Beat de Gégène qu'il était son chanteur préféré avec Hank Williams. Il ne faut jamais croire ce que l'on vous dit.
Se promener dans la vie avec le funèbre bourdon de Cash quelque part en arrière-fond de votre caboche, c'est se charger d'un terrible handicap pour tout ce qui va suivre. D'ailleurs Cash lui-même n'a pas dérogé à sa propre règle. Vous pouvez être sûr qu'il est allé à maintes reprises frappé à la porte des Enfers. Et qu'il n'a pas dû attendre longtemps pour qu'on lui ouvre. Le plus dramatique, c'est qu'il en soit ressorti. Plusieurs fois. Je suis pas sûr qu'au soir de telles entrevues, le diable ait réussi à fermer l'oeil de la nuit. Dans son antre, tout seul, au centre des cercles de feu.
It's not very grave. For Cash, naturally. Pour vous, je m'en fous. Mais Cash a toujours été au côté de Dieu. Quarante ans après, il n'en démord pas. La première fois qu'il lui est apparu, c'est au studio Sun, du temps où il se faisait appeler Elvis Presley. Le plus grand, le meilleur. Même si Jerry Lee était encore plus fou que lui, et même qu'il jouait mille fois mieux du piano que lui, et que l'Elvis lui aussi en avait conscience.
Plus tard l'hillbilly cat il est remonté au ciel dans son palais de Graceland et ça a été un de ces chemins de croix, pour le retrouver que vous n'en avez pas idée. C'est que là-haut c'est loin, et que l'on ne peut y arriver qu'en rampant à l'horizontale comme un ver de terre. Faut sacrément s'accrocher. Mais Cash, il y a réussi. Y a mis tellement du sien que c'en devient gênant. S'est acheté la Bible en plusieurs traductions et les encyclopédies qui vont avec. L'a bûché. L'a marné, l'est même allé faire un film, sur ses propres deniers ( de Judas ) à Jérusalem sur la vie de votre Seigneur. Il a enregistré des tonnes de gospel et a poussé la plaisanterie jusqu'à écrire un roman sur la vie de Paul. The man in white qu'il l'a appelé. Qui a dit que Johnny à défaut d'amour n'avait pas d'humour ? Et vicieux avec ça. Scrupuleux comme une teigne. Remet en doute la conversion de son mécréant de père après la mort de son fils de quatorze ans coupé en deux par une scie mécanique. Les actes et les paroles ne suffisent pas à Cash. Croit pas aux signes extérieurs du miracle. Faut que ça vienne du dedans du coeur et que ça saigne à blanc comme pureté de neige.
Vient de plus loin que la misère le petit ( propriétaire ) Cash. Toute la famille a trimé dans les champs de coton. Pire que les nègres dans les plantations. Et comme pour les noirs, il n'y avait qu'une chose qui ne coûtait pas cher, les cantiques d'Eglise et les chants religieux. Ca ne nourrit pas vraiment son homme, mais ça se multiplie comme des petits pains. Poussez pas, il y en aura pour tout le monde. Tellement partout qu'ils n'ont jamais pu entendre l'Internationale ! La révolte ne fait pas partie de l'horizon intellectuel de la génération Cash. Quand certains vous expliquent que le blues est de gauche et la country de droite, ils n'ont pas tout à fait tort. Ni tout à fait raison non plus.
Cash participe du rêve américain. Il n'en est pas le one-self-man de service pour autant. Son truc à lui, c'est plutôt l'homme qui se détruit lui-même. Il a tout essayé. L'a goûté à toutes les pilules du bonheur artificiel. Il ne cache rien. N'en tire aucune gloriole non plus. Se raconte Aau plus près. Il a juste survécu. A toutes les plaies de la misère et de l'injustice. Elles se sont rouvertes quand le succès et l'argent sont venus. Ont eu un mal de chien à repartir par la suite. Se sont accrochées à leurs cauchemars.
Il est vrai que le man in black se trimballe de sacrées croix. Chez lui, c'est travail, famille et patrie en même temps. Il n'en est pas pour cela exempt de contradictions. Pas du genre à manifester contre la guerre au Vietnam, mais il crie bien haut que les jeunes gens ne doivent pas périr en de douteux combats qui ne les concernent pas. Il fait partie de cette majorité silencieuse qui gueule plus fort que tous les beats et tous folkleux réunis. Cash c'est l'écolo qui vous brûle la moitié d'un parc national et qui se fout du juge qui cherche à comprendre. Raquera sec, mais n'aura jamais un mot de regret.
N'allez jamais zieuter les vidéos de la Carter Family sur You Tube. Vous tomberez amoureux de la jeune fourteen years old June. Vous pourrez pas en démordre. Une présence, une exubérance d'être, un brin de folie et de friponnerie à la demander en mariage à la minute. Cash devra attendre dix ans avant de l'épouser. Une redoutable femelle américaine. Cash n'a jamais regretté. Vous, il y aurait longtemps que vous vous seriez tiré une balle dans la tête pour lui échapper. Mais Cash, il fait ce qu'aucun rocker n'a jamais osé faire, il ne laisse pas bobonne à la maison : on the road avec elle, des milliers de kilomètres et de représentations, d'un bout à l'autre des Etats-Unis, et un peu partout dans le monde. C'est un punk allemand qui à l'issue d'un concert explicitera le deal : « Madame, vous déchirez grave. » Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, ce sont les filles et puis la petite-fille qui monteront sur scène accompagner leur père et qui deviendront des figures reconnues de la country. Les coyotes enragés aux poils rêches n'accouchent pas de gentils jolis chats.
Cash se gêne pas. Il se définit comme un guitariste limité qui n'a pas eu le courage de progresser. Il n'a pas tort. Durant cinquante ans il nous a resservi la même rythmique. Plus la même voix, monocorde de pendu. Mais c'est du granit. Importé directement des montagnes rockeuses. Une assise, un bouclier. Toute la chanson américaine repose là-dessus. Blues, traditionnel, folk, country. Outlaw, rockabilly and roots. Cash prend tout mais n'emporte rien. Il est seulement aussi difficile de passer avant qu'après lui. La moulinette Cash vous réduit n'importe quoi en poudre. Mais c'est de l'indian pemmican qui en ressort. De l'énergie en barre.
Se vante même d'avoir soufflé à Carl Perkins l'idée de Blue Suede Shoes. Faut oser. Sans rancune. Carl Perkins est l'autre grande figure qui se détache du bouquin. L'on sent une grande tendresse pour le friend qui boppait le blues comme personne et buvait le désespoir comme un trou. Un Carl Perkins, avec comme une existence entre parenthèses, entre les deux morts accidentelles de ses deux frères, chacune des deux aux bouts opposés de sa vie.
Et puis pire que tout, les trois Parques : la vieillesse, la sagesse et la faiblesse. L'homme en black est toujours là. Regardez la dernière photo, la guitare à la main, les yeux levés vers le ciel, monolithique dans son large cache-poussière noir. Il ressemble à la statue de Balzac sculptée par Rodin. Il est une force qui va. La voix est cassée. Chevrotante presque. Mais chaque mot vous cloue au mur comme une rafale de winchester. Y a-t-il jamais eu un poëte qui ait su détacher ses paroles comme cela, mouche et buffalo à tous les coups. En 2003, Cash est rentré dans l'éternité de sa propre évidence. La country est restée orpheline.
Damie Chad.
14:55 | Lien permanent | Commentaires (0)
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