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05/03/2020

KR'TNT ! 454: GENE VINCENT / ROD HAMDALLAH / JOHN FOGERTY / ALICIA F ! / TWANGY & TOM TRIO / JAMES BROWN

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 454

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

05 / 03 / 2020

 

GENE VINCENT H.S. ROCKABILLY GENERATION

ROD HAMDALLAH / JOHN FOGERTY

ALICIA F ! / THE TWANGY & TOM TRIO

JAMES BROWN

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

GENE VINCENT

LA LEGENDE DU ROCKABILLY

ROCKABILLY GENERATION

( Hors-Série / Série Limitée / Février 2020 )

 

Rockabilly Generation nous offre son premier numéro spécial consacré à Gene Vincent. Quarante pages dédiés à un des pionniers du rock'n'roll les plus emblématiques. Si cher à de nombreux fans français. La bio de Gene visitée pas à pas, sous la supervision éclairée de Gilles Vignal. Toute une carrière qui aurait pu être plus resplendissante mais il des diamants noirs qui étincellent au cœur des nuits les plus profondes.

Certes on ne résume pas toute une vie aussi riche que celle de Gene Vicent en quarante pages, mais l'essentiel ( et même plus ) est dit. Nombreux documents iconographiques intelligemment choisis et significatifs. Ce numéro spécial ravira autant les connaisseurs que les amateurs de la première et de la dernière heure. L'étrange carrière de Cliff Gallup est aussi présentée par un des meilleurs guitaristes français, Tony Marlow.

Ce premier tirage limité à cent exemplaires est destiné à devenir un collector des bibliothèques des heureux possesseurs. Merci à Pascale Clesh, Maryse Lecoultre, Bryan Kazh, Tony Marlow, Damie Chad, Dominique Faraut et Sergio Kazh.

 

Hamdallah au pays de l’or noir

Rod Hamdallah n’est pas aussi farceur qu’Abdallah, le jeune prince héritier qui fait tourner tout le monde en bourrique dans Tintin Au Pays de l’Or Noir, mais il a un petit côté freluquet qui pourrait à l’extrême limite le rapprocher de ce personnage jadis croqué par l’immense Hergé pour les besoins de la cause des jeunes de 7 à 77 ans. Rod Hamdallah allume aussi des pétards, mais des pétards plus intéressants, ceux du punk-blues tel que pratiqué voici vingt ou trente ans par le Jon Spencer Blues Explosion. Il en a récupéré le panache et l’énergie, et le voyant à l’œuvre se livrer à ses exactions, force est d’applaudir des deux mains.

Pour sa mini-tournée européenne, il est accompagné par les Weird Omen et là, on ne rigole plus. Le jeune prince héritier ne pouvait pas rêver mieux. Pas d’équipe plus dédiée, plus rentre-dedans, plus appropriée que celle-là. C’est même peut-être mieux que s’il avait été accompagné par, mettons, le JSBX. Comme grosse cerise sur le gâteau, le jeune prince héritier dispose du sax de Fred Rollercoaster et ce n’est pas rien. Le son hante le son, et c’est un phénomène qu’on observe que dans deux univers : celui des Weird Omen et celui de Rowland S. Howard.

Sous sa casquette de marin breton, Rod Hamdallah shake bien sa chique. On pourrait croire qu’il a fait toute sa vie. On sent chez lui la petite impatience du big guitar slinger. De toute évidence, ce mec sait naviguer comme un capitaine. On l’avait déjà vu à l’œuvre dans les Legendary Shack Shakers, lors d’un set historique au Cosmic Trip. Cette fois, il récupère le premier rôle et tient bien le cap derrière le micro. Il a tout ce qu’un jeune prince héritier peut espérer : le son, l’aisance, les chansons, le guitar-slinging, la casquette de marin, la fraîcheur juvénile, les flaming sideburns, tout est parfait. Il sait glisser des petites tortillettes fatales entre deux power-chords, il est certainement l’un des guitar killers les plus redoutés de la frontière, il joue en tension permanente, il est plutôt prodigue en matière de ferveur, il ne laisse rien au hasard, aucun blanc ni aucune note errante, tout coule en flux tendu et, comme dirait le Capitaine Haddock, ça rocke en stock, mille sabords ! Il gratte des notes comme s’il en pleuvait, il peut même faire du Kramer, il fait tout ce qu’il veut, comme s’il cédait à tous ses caprices. Il claque ses notes sur sa petite guitare noire sans jamais trop regarder où il pose les doigts. Il joue du médiator comme s’il se taillait à la machette un chemin dans la jungle de Bornéo, ah il faut le voir sur scène, sous sa casquette de capitaine Haddock. Le jeune prince héritier Hamdallah est un sérieux prétendant au trône.

Pour l’instant, il n’existe d’un EP cinq titres sur le marché, mais ce n’est pas un coup d’EP dans l’eau. Et comme sur scène le jeune prince héritier Hamdallah n’en finit plus d’annoncer de nouvelles chansons, et il faut s’attendre à l’avènement prochain d’un big bad fat album. Ce mec est capable d’embarquer n’importe quel groove de heavy rock en enfer. Il s’est spécialisé dans les montées de fièvre, c’est même un orfèvre en la matière. Il faut essayer de l’écouter religieusement, car ça vaut la peine. Il a voix au chapitre, il agit comme s’il se sentait investi d’une mission divine. Il faut voir comme il dégage les bronches avec son «Carry You Home».

Et comme par hasard, qui disait de lui le plus grand bien à la radio ? Mr G, évidemment, sur le mighty Dig It! Radio Show. L’an passé, il en proposa même trois rincettes dans la même soirée, «Think About It», «I Don’t Mind» et «Heartbeat». Comme ça au moins, on savait à quoi s’en tenir. Plus de tergiversation possible. Impossible de rester perplexe, comme un con, les bras ballants et la bouche ouverte. Le message était clair. Rod Hamdallah, avec son nom à coucher dehors ? Vas-y mon gars, saute sur ta mobylette et fonce chez ton disquaire !

Tu comprendras mieux quand tu vas entendre «I Don’t Mind». Le jeune prince héritier tape dans la désinvolture du heavy blues punk jadis promu par le JSBX. Rod Hamballah l’a à sa main, vas-y Rod, on est avec toi. C’est bien qu’il réanime la flamme des vieux JSBX qui furent les héros du temps d’avant. Rod le fait bien raide, à sa façon, il joue la puta del sol jusqu’à l’os de la cucaracha. Que le grand cric le croque, comme dirait le Capitaine Haddock dont Rod a de toute évidence piqué la casquette pendant qu’il cuvait l’une des ces grosses bouteilles de rhum remontées par le Professeur Tournesol des cales de la Licorne. Ah ceux qui ont raté les épisodes de Tintin ne savent pas ce qu’ils ont raté. On pourrait aussi plaindre ceux qui vont rater l’épisode du coup d’EP dans l’eau du prince héritier, ils n’auront plus qu’à sortir leur vieux mouchoir à carreaux pour y verser de chaudes larmes, car quand on a tout raté, c’est la seule chose qui reste à faire. Dommage, car le paradis était à portée de main. Le Capitaine Haddock pourrait en parler savamment, lui qui a écouté l’EP du jeune prince héritier et qui, tonnerre de Brest, l’a trouvé sympa. Pas comme les disques des moules à gaufres qu’on ne nommera pas ici pour ne pas salir le joli blog de Damie Chad, même si l’envie tape au carreau. Tiens, puisqu’on patauge dans les bonnes intentions, voilà un scoop : le morceau préféré du Capitaine Haddock. Il l’avoue sans minauder, c’est «Take Me Back», pourquoi, parce qu’il est aussi explosif que son ancêtre le chevalier François de Hadoque qui fit sauter la Sainte-Barbe de la Licorne. Le jeune prince héritier allume sa mèche lui aussi et boum ! Ça saute. Il fait sauter toutes les possibilités du punk-blues avec une aménité qui l’honore, avec un sens du rampant qui n’attend aucun pardon en retour. Attention à ce jeune prince héritier : il pourrait détrôner Spencer 1er, le Napoléon du blast furnace.

Signé : Cazengler, Rod Abdomen

Rod Hamdallah. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 15 février 2020

Rod Hamdallah. Think About It EP.

C’est jeudi, c’est Fogerty

La scène se déroule en 1969, chez un petit disquaire caennais installé en face des Galeries. De mémoire, il portait des lunettes et arborait une tignasse noire bien frisée. Tout excité, il brandissait une pochette et parlait d’une voix aiguë :

— Tu connais ça ?

— Euh bah non...

— Creedence Clearwater, un groupe de ricains ! Ça vient tout juste d’arriver. ‘Coute ça !

Il le posa sur la platine et poussa le volume à fond. Et boom, «Born On The Bayou» fit brutalement grimper la température dans la boutica. Le ricain chantait son gut out à l’éraillée vermoulue - Chasin’ down a hoodoo there/ Chasin’ down a hoodoo there !

— Ouh la la ! Ben dis donc !

— Pas mal, hein ? Tu le prends ?

Le disquaire savait très bien ce qu’il faisait. C’était vendu d’avance. Il s’agissait d’un gros cartonné US, une copie de Bayou Country sur America, avec cette horrible pochette divisée en quatre pour recevoir quatre grosses bouilles mal dégrossies. Elles étaient cadrées si serré qu’elles en devenaient laides. Ces mecs ressemblaient à des anti-rock stars mais l’album sonnait le tocsin de la révélation. N’oublions pas qu’en 1969, le Bristish Blues monopolisait l’attention, et les cœurs penchaient plus facilement pour Peter Green et Stan Webb que pour d’obscurs challengers américains. Les Creedence nous bourraient ensuite le mou avec un beau brin de heavy groove ferroviaire intitulé «Graveyard Train», monté sur un seul riff, comme chez Bo Diddley. John Fogerty chantait ça de toutes ses forces. En B, ils continuaient de jiver leur Californian Hell avec «Penthouse Pauper» et ses accords bien acérés - If I were a gambler/ You know I’d never lose - Fogerty chantait comme un dieu, il fallait bien l’admettre - And if I were a guitar player/ Lord/ I’d have to play the blues - On tombait à la suite sur la version définitive de «Proud Mary», l’un des plus beaux hits venus des Amériques, idéal et bien balancé, joué aux beaux accords de revoyure. Ils bouclaient cet album somptueux et rude à la fois avec «Keep On Chooglin’» qui reste l’un des sommets du bon vieux boogie d’antan. Quelle attaque ! Ils maîtrisaient déjà l’art de monter en pression, à coups de shuffle d’harmo dans le rumble doucereux. Un modèle du genre. Les sept minutes du cut étaient bien méritées. Ces mecs n’en finissaient plus de remonter dans l’estime des estaminets.

 

Malgré l’aspect révélatoire, on a ensuite lâché l’affaire. Pourquoi ? Parce que Creedence était dans tous les jukes avec des hits qui semblaient trop parfaits, aussi parfaits que pouvaient l’être le «Venus» des Shocking Blue ou «Whole Lotta Love» qu’on entendait aussi partout. Trop, c’est trop.

Cet été là, Yves, un copain du lycée, me refit le coup du disquaire :

— Tu connais ça ?

— Euh bah...

— Creedence Clearwater, un groupe de ricains ! C’est leur premier album. ‘Coute ça !

Il posa le disque sur sa platine et mit le volume à fond.

— Mais c’est «I Put A Spell On You», l’hit de Scrrrrreamin’ Jay !

— Oui, mais ‘coute leur version !

Effectivement, John Fogerty lui explosait littéralement la bobinette. Exploser Screamin’ Jay, il fallait oser ! On aurait dit que ces mecs descendaient jouer à la cave avec des guitares rouillées. Non seulement Fogerty foutait le feu au chant, mais sa partie de guitare se voulait encore plus terrible. Aw, ces mecs étaient les champions du climax. En retournant la pochette, je vis que cet album sans titre était paru un an avant l’autre, le révélatoire, Bayou Country. Ils jouaient le groove exacerbé de «The Working Man» au gratté de côtes, et on entendait encore une fois une incroyable partie de guitare. On tombait ensuite sur ce remake de «Suzi Q» qui allait les rendre célèbres dans le monde entier. Ils s’imposaient par la grâce de leur groove et basculaient dans l’hypno, avec un Fogerty claquant sa chique et tournicotant dans des effets à sec. C’était un peu trop beau pour être vrai. Qui pouvait prétendre incendier un cut comme il le faisait dans «Ninety Nine & A Half» ? Qui pouvait chanter avec un ton aussi abrasif ? Tout l’album était gorgé de ce son acerbe et bienvenu, sec et claironnant. Ils sortaient parfois des solos du meilleur cru et ils terminaient avec «Walk On The Water», un beau spécimen de boogie blast. John Fogerty y rongeait son os. Il chantait ça à la revancharde de pitbull des cités.

 

Pour des raisons économiques, j’évitais de passer tous les jours devant la vitrine du petit disquaire évoqué plus haut. Sa vitrine était la plus parfaite illustration de la tentation. Oscar Wilde disait de la tentation que le meilleur moyen d’y résister était d’y céder, à quoi il eût fallu ajouter : à condition d’avoir le portefeuille bien garni, ce qui n’était évidemment pas le cas d’un lycéen boutonneux issu de la classe très moyenne. Mais je fus pris ce jour-là d’une crise de hardiesse mêlée d’inconscience et entrai d’un pas aussi ferme que possible dans la boutica. Me voyant ainsi lancé, le frisé alla aussitôt extirper un album d’un bac :

— Tu connais ça ?

— Encore un Creedence ? Mais y viennent-y pas d’en pond’ un ?

— C’est leur troisième ! Ça vient tout juste d’arriver. ‘Coute ça !

Même pas le temps de dire non. Ça partait au triple galop avec «Down On The Corner». Fogerty semblait y chevaucher à la tête d’un bataillon de Confédérés, avec un chapeau à plumeau claquant au vent. Du coup, il perdait tout le spongieux bactériologique du Bayou. Trop aéré, mais quand même bien swingué des bretelles. Ces mecs jouaient cartes sur table. Il n’existait pas de meilleur coup de bluff que Creedence. Les accords d’«It Came Out Of The Sky» sonnaient comme du fer blanc. Délicieux effet. Fogerty élaguait son passage, il ne laissait rien traîner, il claquait son razor sharp au vu et au su de tout le monde. L’album s’appelait Willy And The Poor Boys et la pochette n’inspirait pas confiance. On tombait plus loin sur une version de «Cotton Fields» assez dense et bien fouillée, chantée à la chemise à carreaux bien rugueuse, très différente de celle des Beach Boys. On voyait bien que Fogerty était un mec sincère et qu’il chantait à la demande.

— Alors, pas mal, non ?

— Je préfère Bayou Country. Mais c’est vrai, on voit bien que Fogerty est un mec sincère et qu’y chante à la demande.

Comme il me voyait dubitatif, il retourna l’album et bhhham, «Fortunate Son» explosa dans la boutica. Il s’agissait d’un vrai hit en fer blanc, claqué à l’accord et au shout d’attaque. Fogerty semblait sauter à la gorge de son hit. On sentait chez eux la violente énergie des kids américains qui ont tout pigé. Le disquaire sauta un cut pour aller au suivant, «The Midnight Special». Fogerty y proposait rien de moins qu’un Memphis groove, mais on avait envie de lui dire : «Fais gaffe, Fog, ne déconne pas avec le midnight special, c’est le train des taulards, ce n’est pas un jouet.»

 

Le paternel venait de se faire muter en Haute Normandie et la veille du départ, j’allai dire adieu au copain Yves. Il paya son spliff et sa mousse, et sortit un album de la pile posée par terre contre le mur de sa chambrette.

— Tu connais ça ? Y vient tout juste de sortir !

— Quoi ? Y viennent d’en pond’ deux ! Y sont compèt’ment tarés, ces mecs-là !

— Ah oui mais là, tu vas voir ce que tu vas voir !

Il le mit en route et monta le volume. Boum ! John Fogerty sortait un riff noyé dans les sous-bois pour allumer son «Green River». Il développait une dynamique infernale.

— Tu vois, faut pas prendre ces mecs pour des pines d’alouettes !

— Tu l’as dit bouffi, c’est vachement balèze. Comment qu’y s’appelle ton album ?

Green River !

— Ah ouais ! Quelle pochette !

C’était battu sec et net et sans bavure, ils faisaient du punk des bois, flirtant avec un certain minimalisme et chanté à l’écho du Fog. On aurait presque pu parler d’étalon or du rock américain.

— Attends, t’as pas tout vu !

Avec «Commotion», ils retrouvaient l’esprit de Bayou Country. La basse courait dans le cut comme le furet et Fogerty chantait au gras du menton, c’était plein de rustines de son, de relances de batterie approximatives, mais ces mecs y croyaient dur comme fer, ils jouaient avec la foi du charbonnier et nous embarquaient dans leur délire de véracité exacerbée. Ils offraient encore un festin de son avec «Tombstone Shadow», le riff semblait grossir pour devenir phénoménal. Plus qu’ailleurs, Fogerty semblait y créer un monde. Creedence devenait un groupe épais, ces mecs savaient claquer des notes à la volée. Le copain Yves retourna le disque et «Bad Moon Rising» fit vibrer les carreaux de la fenêtre. On avait beau se dire que leur beat était trop sincère et le chant trop in the face, on cédait au charme toxique de ce hit extrêmement rock’n’roll. Les accords semblaient rebondir, ces mecs n’en finissaient plus de ramener du gusto. «Cross-Tie Walker» sonnait comme le meilleur boogie de tous les temps et ils terminaient avec une version épouvantablement géniale de «The Night Time Is The Right Time». Ils swinguaient leur Night Time à l’extrême, l’infestaient de remugles, le bardaient de chœurs tendancieux qui préfiguraient ceux des punks et Fog chantait à l’incendiaire. Alors qu’ils renouaient avec le divin groove de swamp, Fog vibrait son night time à la folie.

— Génial !

— Tiens, j’te le file, c’est mon cadeau d’adieu.

— Mais non t’es jobard ! J’le ramasserai à Rouen, t’inquéquète donc pas !

 

Ado, on trimbale pas mal de superstitions. L’une d’elle consistait à croire qu’un changement de région allait calmer l’ardeur productiviste des Creedence. Il n’était tout simplement pas possible de les suivre, ni au plan économique, ni au plan émotif. D’autant qu’à l’époque, les bons albums se bousculaient littéralement au portillon.

Un disquaire rouennais s’était installé dans une encoignure, comme une araignée. Physiquement, cet homme n’avait rien d’un disquaire, il aurait pu être prof de techno ou contremaître dans une usine d’aspirateurs, mais il vendait des bons disques, du genre Toe Fat ou Gasoline Alley. Il me laissa farfouiller un bon quart d’heure dans ses bacs, puis il engagea la conversation :

— Vous cherchez quelque chose en particulier, jeune homme ?

— Bah non, j’jette just’ un œil.

— Vous connaissez ce groupe ?

Il brandissait un album. Je vis les barbes et les moustaches et les reconnus immédiatement. Je décidai de faire l’érudit interloqué :

— Mais c’est les zèbres de Creedence ! Y zont pas encore sorti un album, quand même !

— Mais si, il s’appelle Pendulum. Les gens se l’arrachent, vous voulez l’écouter ?

— Alors just’ un ou deux morceaux, just’ pour voir...

Je pris la pochette et vis que le cut qu’on entendait s’appelait «Pagan Baby». Fogerty semblait encore travailler l’inventivité du raw et gardait la mainmise sur le drive. Il se permettait même le luxe d’enclencher de sacrés vieux coups d’overdrive.

— Qu’en pensez-vous ? C’est pas mal, non ?

— Ben ouais, le problème c’est qu’c’est toujours bien. Pour vous, ça doit être sympa de vendre ce genre de p’tite galette.

— Tous les clients n’ont pas forcément bon goût.

Je fis semblant de ne pas entendre le compliment caché. Il sauta le cut suivant pour aller au troisième, «Chameleon». Fogerty semblait monter à bord de son cut comme un mec saute dans un train, avec l’énergie d’un nègre fuyant les champs de coton et les chiens du patron blanc.

— Ah la gueule du truc ! On s’croirait chez Stax !

— Vous allez voir le suivant, c’est un tube !

C’est vrai que «Have You Ever Seen The Rain» sonnait comme le hit pop absolu. Fog chantait à l’aube du rock. Le disquaire retourna l’album pour passer «Born To Move», que Fog semblait chanter sous la carpette.

— Et maintenant, vous allez avoir encore un tube pour le même prix...

Eh oui, comment résister à l’ampleur d’un hit comme «Hey Tonight» ? Fogerty n’en finissait plus d’exploser son vieux boogie blast, et cette affaire commençait à devenir drôlement mythique.

 

Comme je ne voulais pas qu’il me colle sous le nez un nouvel album de Creedence à chaque fois que je mettais les pieds chez lui, je cessai tout simplement d’y aller. Je ne voulais pas passer ma vie à acheter des albums de Creedence. Au moins avec les Stooges et le MC5, on était moins sollicité, ces mecs-là avaient l’élégance de se limiter à trois albums.

C’est chez un nouveau copain de lycée que je découvris par inadvertance le petit nouveau. Le copain Pierrot bricolait des motos anglaises et écoutait accessoirement un peu de rock. Après qu’il m’ait filé la trouille de ma vie en m’emmenant faire un tour aux Essarts derrière lui sur sa BSA, il voulut se faire pardonner en me payant un coup de cidre chez lui. Il vivait dans une ferme, avec ses parents. Il sortit un album de la petite pile posée contre le mur du salon.

— Tu connais ça ?

— Ben ouais, c’est Creedence ! Comment qu’t’as chopé c’truc-là ?

— C’est mon cadeau d’annive ! Ma mère voulait une nouveauté et le disquaire lui a dit que ça venait tout juste de sortir.

— Ouais, je sais, Creedence, ça vient toujours d’sortir. Y z’arrêtent pas, ces mecs-là !

Sur l’horrible pochette on pouvait lire Cosmo’s Factory. Fogerty continuait son petit bonhomme de chemin en chantant ses cuts à la meilleure profondeur de champ. «Ramble Tamble» sonnait comme du big time stuff. Il reprenait aussi un cut de Bo Diddley, «Before You Accuse Me» en mode boogie down et soudain tout valsait avec «Travellin’ Band». Fog s’y montrait aussi raucous que Little Richard, c’mon c’mon ! Ils revenaient plus loin au jungle beat avec «Run Through The Jungle». C’était à la fois sans surprise et terriblement convainquant. Tout le dilemme de Creedence semblait se concentrer dans ce cut emblématique. Pierrot retourna l’album et ça repartit de plus belle avec «Up Around The Bend» qu’on allait entendre continuellement à la radio. Il était impossible d’échapper à l’emprise de ce hit universel. Fog le chantait une fois de plus à l’arrache définitive, il se voulait démesuré, brûlant, c’mon around the wheels ! Il riffait son gimmick dans le feu de l’action. Il rendait ensuite hommage à Elvis avec une version sidérante de «My Baby Left Me». Ça pulsait comme chez Uncle Sam. Fog réinventait la bravado d’Elvis. Le festival se poursuivait avec «Who’ll Stop The Rain», un autre balladif imparable. Fog l’emmenait haut dans le ciel. Il transformait cet album en paradis du rock. On sentait que Fog était devenu l’un des plus brillants songwriters d’Amérique, il naviguait au même niveau que Lou Reed et Bob Dylan. Il savait faire éclore la rose du meilleur rock américain. Il enchaînait avec une version hallucinante d’«I Heard Through The Grapevine» qu’il swinguait comme un démon. On sentait chez lui une passion dévorante pour la Soul et la musique des blacks et il ramenait un léger accent américain dans l’éclat du groove. On voyait bien qu’il allait perdre la tête - About to lose my mind - il faisait du very big Creedence gratté à l’accord.

 

En rentrant du lycée se soir-là, je vis mon cadeau d’annive posé sur la table à manger du salon. Il fallut attendre la fin du repas pour l’ouvrir. Le dernier Creedence, Mardi Gras ! La belle-doche me dit qu’elle avait suivi le conseil du disquaire.

— Lequel ?

— Celui qui se trouve dans une encoignure.

— Ah bah d’accord ! Y l’en rate pas une, ce mec-là !

Un peu plus tard, je descendis dans la cave où je dormais et mis Mardi Gras sur la platine, histoire de tâter le terrain. Ce démon de Fog attaquait à la ferveur des cabanes avec «Looking For A Reason». Avec ce shoot d’Americana, il devenait the king of the Cajun thang ! On ne pouvait décidément rien espérer de mieux. Il revenait ensuite aux racines du big American rock à la ZZ Top avec «Take It Like A Friend». Fog ne chantait pas sous le boisseau, il le râclait, et Stu Cook faisait pouetter sa basse. Avec toute cette désinvolture, ils grimpaient une fois de plus au sommet de leur art. On se régalait d’entendre cette basse pouet-pouet dans le fond ! Fog terminait son bal d’A en chatouillant sa femme entre les cuisses et ça semblait faire son effet, en tous les cas «Someday Never Comes» passait comme une lettre à la poste. Fog se spécialisait dans une Americana de gros sabots. La B semblait moins évidente. Il fallait attendre «Sweet Hitch-Hiker» pour renouer avec le pur jus. Fog y swinguait sa chique et chantait à l’échaudée, la bouche en feu, avec du reviens-y de riffing. Terrific ! Il redevenait tout simplement énorme, il fallait le voir rebondir dans le beat.

 

Tous les fans de Fog devraient lire son autobio, même si elle est écrite en anglais et pas encore traduite. Fog n’est pas un crack de l’écriture et donc sa prose est d’un accès extraordinairement facile. Rien à voir avec Oscar Wilde. Autre particularité : ce n’est pas à proprement parler un livre sur la musique. Fog traite principalement d’un sujet : l’arnaque dont il a été victime. Il consacre les deux tiers de son livre à nous raconter comment il se l’est fait mettre profond en signant bêtement un contrat. Il l’a vraiment très mal vécu. Un vrai traumatisme. On croyait que l’histoire de Creedence était une histoire gaie, celle de quatre kids qui pondaient des tubes comme d’autres pondent des œufs, mais Fog fait de cette histoire un vrai cauchemar, un truc encore plus kafkaïen que les pires délires de Kafka. On comprend à un moment donné que si Fog écrit un livre, ce n’est pas pour vanter les mérites du rock, c’est plutôt pour régler ses comptes, pas seulement avec le boss de Fantasy, Saul Zaentz, mais aussi avec ses collègues de Creedence, qu’il accuse de tous les maux, le pire étant la trahison. Fog est un homme amer, épuisé par quarante ans de luttes intestines et incapable d’accepter de s’être fait plumer comme une oie blanche. À un moment, on se dit en lisant ça qu’il faut être très con pour aller signer un contrat qui donne tous les droits au label boss. Fog raconte en plus qu’ils ont tous les quatre signé ce contrat dans un resto italien très sombre : il n’y avait pas assez de lumière, ils n’arrivaient même pas à lire le menu. En plus ils étaient tous étaient mineurs, sauf Tom, le frère de Fog. C’est une histoire incompréhensible. En plus, les patrons du label qui sont encore les frères Weiss obligent Fog et les trois autres à s’appeler les Colliwogs - A hip-sounding name. Mod. It’s mod - leur disent ces escrocs. Fog et les trois autres ne savent même pas ce qu’est un Golliwog. Des poupées voodoo imaginées par les soldats de l’armée coloniale britannique pour sympathiser avec les indigènes ? L’horreur. Fog déteste le nom. Pourquoi il l’accepte ? Incompréhensible. Quand Saul Zaentz rachète Fantasy aux frères Weiss en 1967, Fog croit retrouver sa liberté. Il commence par changer le nom du groupe et le baptise Creedence Clearwater Rival, après avoir envisagé Whiskey Rebellion. Il en fait deux pages pour montrer à quel point il est intelligent. Stu Cook voulait appeler le groupe Hardwood et Doug Clifford avait trouvé Gossamer Wump and Gumby. Ça ne volait pas très haut chez ces mecs-là. Alors évidemment, quand Saul Zaentz les voit tous les quatre, il se frotte les mains. Il copine avec eux, leur fait croire qu’ils sont en sécurité, et leur fait signer un contrat qui est encore pite que le premier : Zaentz devient propriétaire du copyright de toutes les chansons - lock, stock and barrel, comme dit Fog - mais comment peut-on être assez con pour aller signer un contrat pareil ? Oh, ils ont bien un copain dont le père est avocat...

— Hey Jack, ton père a vu le contrat ?

— Ouais...

— Alors il en dit quoi ?

— Bah rien...

Évidemment, le père du copain n’a jamais vu le contrat et personne ne s’en inquiète. Alors allez-y les gars, écrivez des tubes. Le contrat prévoit 10% de royalties, ce qui rétrospectivement paraît désastreux aux yeux du pauvre Fog qui a dû pleureur toutes les larmes de son corps à voir Zaentz s’enrichir sur son dos et acheter un IMMEUBLE à Los Angeles avec le blé gagné par Creedence, enfin non, pas par Creedence, mais par John Fogerty, car c’est lui qui fait tout. D’ailleurs les trois autres lui en veulent, ils sont jaloux, ils l’accusent de despotisme, évidemment puisque Fog ne s’arrête pas à la composition de SES tubes, il en fait aussi les arrangements, il fait les backing vocals, il mixe des journées entières, il sait exactement comment doit sonner chacun de SES tubes, il ne veut voir personne dans le studio, alors les autres deviennent fous - Y s’prend pour qui John Fogerty ? - Ils devraient pourtant fermer leur gueule, car les tubes se succèdent à une vitesse hallucinante, mais non, ils veulent aussi composer et même chanter. Ce que Fog appelle la mutinerie remonte à l’enregistrement de «Proud Mary», quand il annonce aux autres qu’il ne veut pas les voir traîner dans le studio ni pour les voix ni pour le mix. En 1970, au moment d’entrer en studio pour Pendulum, les trois autres font la gueule et réclament une réunion. Fog sent que la bombe à retardement ne va pas tarder à péter. Un groupe, c’est souvent ça : une bombe à retardement. Les trois autres veulent écrire des chansons. Ok, fin de la dictature et bonjour la démocratie : pour calmer le jeu, Fog dit ok, allez-y les gars, chantez donc vos chansons, mais ce qu’il entend est catastrophique. Les trois autres sont parfaitement incapables de chanter ou de composer. In-ca-pables ! Quand on a la chance de jouer avec un rock genius comme Fog, on devrait avoir la décence de fermer sa grande gueule. On devrait savourer l’incroyable privilège de pouvoir l’accompagner. Fog s’est quand même posé la question de savoir s’il était un tyran - I don’t feel that I was, even now. Was I sure-handed, a perfectionnist, even bullheaded about what I wanted ? Yeah, you bet, sometimes (Je ne crois pas avoir été un tyran, j’étais simplement très sûr de moi, perfectionniste et même assez obstiné, vous l’avez bien compris) - En lisant ce livre, on comprend que Creedence était drôlement mal barré avec ces super-cons et ça n’a tenu que par l’éclat et le panache invraisemblable des compos de Fog. Diable, comme cet homme a dû en baver : écrire des chansons géniales au beau milieu de ce cloaque ! Fog revient inlassablement au contrat : non seulement Fantasy lui pompe une fortune, mais le label possède aussi son avenir, car visiblement, le contrat s’auto-reconduit automatiquement - I was enslaved - Il se voit réduit à l’esclavage. On a envie de lui dire : bien fait pour ta gueule, tu n’avais qu’à pas signer. Encore plus bête qu’un nègre, ce mec-là ! Cette histoire est tellement horrible qu’on doute à un moment de sa crédibilité. Puis Zaentz propose à Fog d’acheter 10% de Fantasy. Fog refuse. Il se méfie. Il découvre plus tard que Fantasy n’a jamais été mis sur le marché. Encore une combine ! Quelques semaines après la mutinerie que Fog appelle The Night of the Generals, Tom, dit nous Fog, «did a remarquable thing. He left the band. I was stunned.» Oui, Tom a eu l’idée remarquable de quitter le groupe, et j’étais scié. Du coup Creedence devient un trio et fait une tournée complètement foireuse. C’est là que Fog décide tout arrêter - I am not going to do this anymore. This is dumb (Je ne veux pas continuer à faire ce truc, c’est complètement con) - Quand le groupe se sépare, Fog croit retrouver sa liberté. Manque de pot, Zaentz l’informe qu’il exerce son pouvoir de renouveler une option sur son contrat, car le contrat ne concerne pas que le groupe, il concerne aussi chacun des quatre individus, dont la poule aux œufs d’or, Fog. Baisé. Ce n’est pas fini. Horrifié, Fog apprend que Fantasy a libéré Tom, Stu et Doug de ce contrat. Zaentz ne garde que Fog. Argghhh !

Quand Fog démarre sa carrière solo, il rencontre David Geffen qui prend pitié de lui et qui rachète son contrat pour un million de dollars. Mais seulement pour les États-Unis et le Canada. Ailleurs, Fog dépend encore de Fantasy. Geffen donne le million de dollars à Fog qui doit le donner à Zaentz. Résultat des courses : Fog doit payer des impôts sur ce million de dollars qu’il n’a même pas encaissé - The whole thing was totally fucked - Là, il commence à battre tous les records de l’enculade. Mais ce n’est pas fini ! Zaentz avait fait croire aux Creedence qu’il avait déposé leur blé à la Castle Bank, dans un paradis fiscal aux Bahamas, pour leur éviter de payer des impôts sur leurs 10% de royalties. Évidemment, il n’y a pas plus de Castle Bank que de beurre en broche. Horrifié, Fog réalise qu’il n’a jamais gagné un rond avec ses tubes. Et en plus, il doit encore quatre albums à Fantasy. Pourquoi ? Le contrat. Alors Fog enregistre un album de reprises, comme ça l’autre enculé ne se fera pas de blé sur son dos. Et puis, de toute façon, il est tellement épuisé par toute cette merde qu’il est incapable d’écrire une nouvelle chanson. C’est là qu’il arrête de façon complètement inconsciente de faire le con. Il commence même à se demander comment il va réussir à sortir de cette histoire. Se faire plumer, c’est une chose, c’est même acquis, mais composer à l’œil pour un escroc en est une autre. Composer à l’œil, c’est tout juste bon pour les nègres. Puis tout se complique car ses trois anciens collègues lui intentent des procès. Ils croient que Fog a tapé dans la caisse, car eux aussi ont vu leurs économies se volatiliser, c’est-à-dire l’argent déposé dans cette fucking Castle Bank qui n’existe pas. Le procès est une manie américaine. Fog en tartine des pages entières : la préparation des procès, le déroulement des procès, les conséquences des procès. Sa nausée devient vite contagieuse. Quand Fog compose «The Old Man Down The Road», Zaentz l’accuse de pomper «Green River», compo (de Fog) dont il possède les droits et pouf, il lui colle un procès dans la barbe. Il réclame 144 millions de dollars de dommages et intérêts. Ce livre est vertigineux de conneries en tous genres. Parfois, il vaut mieux aller travailler dans une charcuterie plutôt de vouloir faire une carrière de rock star. Zaentz lui colle un deuxième procès dans la barbe pour diffamation, à cause de «Zanz Kant Danz», un cut qu’il juge injurieux à son égard. Fog chante en effet l’histoire d’un little pig nommé Zanz - Zanz can’t dance/ But he’ll steal your money - Pour calmer le jeu, Geffen fait retirer l’album des ventes et demande à Fog de corriger la chanson pour débouter le charognard. Fog parvient péniblement à gagner ses procès, en allant devant la Cour Suprême. Mais ça lui coûte la bagatelle d’un million de dollars en frais de justice. Fog demande l’aide de Bill Graham pour convaincre Zaentz de lui revendre les droits de SES chansons. Ok. Comme la somme est énorme, Fog se fait aider par Warner et signe le chèque. Zaentz l’encaisse mais bien sûr il ne tient pas sa parole et ne rend pas les droits des chansons. Une nouvelle fois, Fog se fait rouler la gueule en beauté - I realized that Saul was just evil, pure evil - Bill Graham va disparaître, puis Saul Zaentz, le même jour que Phil Everly, nous dit Fog. Il envisage d’aller pisser sur sa tombe, mais bon, il est temps de passer à autre chose. Fog va aussi découvrir le petit business que Tom, Stu et Doug ont manigancé avec Zaentz derrière son dos : ils ont vendu leur accord 30 000 dollars à Zaentz qui voulait faire des compiles commerciales de Creedence, le genre de trucs qu’on trouvait à l’époque dans une station service. Évidemment, Fog était contre. Zaentz avait la majorité des votes du groupe et donc il pouvait faire n’importe quoi avec les disques de Creedence, sans que Fog en soit informé.

Fog parle quand même un peu de musique dans son autobio : il commence par faire l’éloge de Scotty Moore qui selon lui inventa the rock’n’roll guitar, et Danny Cedrone qui jouait dans les Comets de Bill Haley. Puis Carl Perkins qu’il rencontre en 1986 à Memphis, dans le studio de Chips Moman. Puis Wolf avec lequel il fume des Kool. Il rend aussi hommage à Jimmy Reed - Why has no one ever done Jimmy Reed since Jimmy Reed ? - Puis, Bo Diddley - In my eyes Bo was like Elvis - et il ajoute : «The song ‘Bo Diddley’ is probably my favorite. Spooky as all get-out (...) The most primitive mumbo jumbo !». Little Richard - He’s probably the greatest voice ever in rock’n’roll - Puis James Burton - James just shines ans sparkles - Il dit que son solo sur «Believe What You Say» is the greatest solo you ever heard. Coup de chapeau à Buddy Holly aussi, buy every record he made, puis Jody Reynolds dont le «Endless Sleep» is one of my favourite songs of all time - Wow, he’s talking about suicide ! - Il a 14 ans quand il voit James Brown. Forcément, ça traumatise - His legs are going crazy - C’est là qu’il comprend ce que veut dire le mot showman. Il voit d’autres géants de la scène : Larry Williams et Jackie Wilson, dont les femmes (blanches) arrachent les vêtements. Puis gros coup de cœur pour Booker T & the MGs - The greatest rock and roll band of all time - Les Beatles ? No one ever had it like Booker T & the MGs, affirme Fog - I’m talking about soulfulness, deep feeling, especially in between the beats - Fog dit même qu’en jouant son solo dans «Proud Mary», il essaye de faire son Steve Cropper - That’s me doing my best Steve Cropper - Puis il tire un sacré coup de chapeau aux Sonics - The Sonics I loved. «The Witch» ? I’m still going to do that song one of theses days. Hell Yeah ! - Il rend aussi hommage à Albert King qu’accompagne son groupe préféré, Booker T & the MGs.

Fog parle aussi du son. Quand l’aiguille du vu-mètre va dans le rouge, à l’enregistrement, il dit que c’est là que ça vit - That’s where rock’n’roll lives - et il ajoute : «We don’t stop where it starts to go into the red - That’s the holy grail !». Puis, à cause de Lead Belly, il apprend à accorder sa guitare en Ré (low-tuned D-chord) - It was just... the sound and I go brrrring. That was the holy grail.

Fog est aussi très à cheval sur le métier de rocker. Il ne supporte pas le Grateful Dead, par exemple. Il préfère James Brown ou Hank Ballard qu’il a pu voir à l’Oakland Auditorium - There was so much energy - Il ne supporte pas de voir le Dead s’accorder pendant dix minutes. Ce qu’il supporte encore moins, c’est voir des mecs stoned sur scène. Pas question d’être stoned si tu montes sur scène avec Fog - You dare not be stoned playing music around me. Not in MY band. No - Il profite du passage pour voler dans les plumes de Timothy Leary - What a jerk - Fog voit des gens proposer des pilules au Carousel Ballroom de San Francisco et ça le terrifie - This scared me. LSD ? I didn’t want to jump out a window (Il n’a pas envie de sauter par la fenêtre sous l’emprise du LSD) - Et Fog nous explique qu’il prit très tôt les choses en mains, il ne voulait pas que les autres Creedence viennent mettre leur grain de sel quand il mixait - I didn’t need that distraction - D’où le ressentiment déjà évoqué. Il rappelle qu’au début, ils allaient vite : les trois premiers albums n’ont coûté que 5 000 dollars. Fog se dit borné, au sens où il ne lâche jamais une compo avant qu’elle ne soit parfaite. On connaît les résultat de son obsession - I was pretty tenacious. I’d lock my alligators jaws onto an idea and never let go - Et il ajoute en guise de chute : «Until it worked.» Il voulait que ses hits soit parfait et il ne lâchait jamais le morceau.

Pour l’anecdote : Tom voulait engager le Colonel Parker comme manager et Fog dut lui dire que c’était une mauvaise idée, car Creedence était trop raw. Ils rencontrent aussi Allen Klein en 1970 pour lui demander de les arracher des pattes de Fantasy et Klein répond : «There’s nothing I can do» (Il n’y a rien que je puisse faire). Autre passage purement anecdotique : Woodstock. Fog à l’époque considère que Creedence est le plus grand groupe de rock du monde, il veut donc la tête d’affiche. Mais ils sont programmés après le Dead. Fog poireaute pendant des heures, d’autant que le matos du Dead tombe en panne en plein set et qu’ils redémarrent après la réparation - The Grateful Dead had put half a million people to sleep - Quand Creedence monte sur scène, c’est au cœur de la nuit et tout le monde roupille. Fog ne voit que les premiers rangs, des gens couverts de boue et à moitié nus. Il compare la scène à l’enfer de Dante. Creedence réussit à en réveiller quelques-uns. Si Creedence n’est pas dans le film, c’est parce que Fog a dit non : public endormi, la batterie cassée, mauvais son. Il croit même se souvenir que Creedence n’a pas été payé. Fog ne voulait pas que le monde entier puisse voir un mauvais set. Il ajoute, comme pour se justifier, que Creedence faisait des tas de bons sets ailleurs, à l’époque. Il ne veut même pas avouer qu’il a fait une grosses connerie. Mais il n’en est pas à sa première.

Pour en finir avec Creedence, Fog dit que Green River est son album préféré - My favorite place musically - Il explique aussi qu’ils ont changé de méthode pour enregistrer Pendulum : ils sont entrés en studio sans compos et se sont mis à jammer et à expérimenter. Processus démocratique ! Tout le monde voulait faire Sergent Pepper, mais seuls les Beatles en étaient capables - No one else could, including Creedence - Fog explique qu’«Have You Ever Seen The Rain» concerne la fin du groupe - I was watching the band disintegrate right in front of my eyes - Puis il coule Mardi Gras, à cause des compos de Stu et Doug - They thought they’d written some good songs.

 

En 1975, Fog entame sa carrière solo avec un album sobrement titré John Fogerty. On y va les yeux fermés. Quel album, les amis ! On trouve au moins trois hits là-dedans, à commencer par «The Wall». Back to the big Creedence rumble. Seul un mec comme Fog peut allumer un tel brasero. Il sort là un gros gimmick en fer blanc, aussi puissant qu’un riff de Billy Gibbons. C’est monté sur un beat pilon des forges et ce riff fabuleusement américain sent bon la poussière des dirt roads. Même chose avec «Travelin’ High» : Fog s’embrase, sa voix dégage un souffle brûlant, quelque chose qui relève de la physique nucléaire, et c’est cuivré de frais, alors t’as qu’à voir ! Le troisième hit de l’album ouvre le bal de la B et s’appelle «Almost Saturday Night». Encore un fantastique exercice de style, un nouveau hit à la Creedence, éclaté au sommet de l’art foggy. Il tente aussi une reprise de «Sea Cruise». Cette cover lui va comme un gant, mais il ne dispose pas du son New Orleans. C’est autre chose, Fog chante à volonté, à pleine gueule, les bras en croix, face au monde. Il faut aussi saluer «Rocking All Over The World», car dans le genre, on fait difficilement mieux. Fog chante tous ses cuts à la force du poignet, ce mec n’accepte pas l’idée de rencontrer un obstacle, il est de toute évidence la réincarnation d’un bulldozer, ou pour rester dans un référentiel moins travaux publics et plus mythologique, la réincarnation du Minotaure. Celui de Fellini, bien sûr. En guise de commentaire, Fog lâche ceci : «The Shep album is not my best work. I was having flashes of brillance in the middle of the incompetence.» (Shep album, à cause de son chien qui est avec lui sur la pochette, le Shepherd, c’est-à-dire le berger).

 

Chacun son tour.

— Tu connais ça ?

Et comme le frisé de Caen, on fait des petits bonds en brandissant la pochette de Blue Ridge Rangers. Il n’y a personne en face, mais on le fait juste pour la rigolade, en souvenir du bon vieux temps.

— ‘Coute ça !

Il faut savoir que Fog joue de tous les instruments sur cet album. One-man band ! Il attaque avec un gros coup de bluegrass, «Blue Ridge Ranger Blues». Quel enfoiré ! Débrouille-toi avec ça. Si on aime cette Americana très spéciale de tapé de pied au saloon, on se régale. Zy va Mouloud ! Quelle rasade ! Et pouf, Fog tire l’overdrive avec «Somewhere Listening (For My Name)». Il chante au coin du grand feu de bois sous le ciel étoilé avec des anges qui font les chœurs. Pur jus de gospel batch, baby ! Fog emmène sa mélodie par dessus les toits du monde. On le sent complètement investi de sa mission. Pas plus convaincu que ce mec-là. Mine de rien, il fait de cet album un vrai classique d’Americana. Il tape «You’re The Reason» aux tortillettes de yodell. Comme Fog dispose d’une vraie voix, il se paye tous les luxes intérieurs. Il est tout simplement exceptionnel de chant canard. Il rend ensuite un bel hommage à Hank Williams avec «Jambalaya (On The Bayou)». Il est dessus, avec une incroyable justesse de ton. Fog est l’un des grands chanteurs américains, ses accents perçants ne trompent pas. Ce sont les éclats brûlants de sa voix qui font toute la différence. Et ça continue comme ça jusqu’au bout de l’A avec «She Thinks I Still Care» (chanté au sommet de la glotte) et «California Blues» - I’m going to California/ Where I’ll sleep out every night - le rêve du bouseux, le pensum du rêveur. Il repart de plus belle en B avec «Working On A Building» qu’il chante comme un blackos, wow my Lord, c’est un peu osé, d’autant qu’il n’est pas noir, alors il fait du Creedence et du bon, du chanté serré, il bosse sur un building, c’est bien épicé, avec du gratté de boogie et des chœurs en fer blanc. Il en fait une authentique merveille. Il passe au vieux boogie avec «I Ain’t Never». Admirable Fog, il anime un album entier avec du son et une présence vocale inexorable. Wow comme ce mec est bon, il est tellement américain, il gratte son riff bien sec. Quand on écoute «Heart Of Stone», on se dit qu’il faudrait encourager ce mec, mais il n’a pas besoin de nos encouragements. Il se débrouille très bien tout seul.

 

Comme il n’y a personne en face, alors on s’adresse directement à Fog.

— Bon, ton nouveau truc, là, Centerfield, c’est pas gagné. Comme tous les géants, te voilà confronté aux ravages des années quatre-vingt !

Fog a l’air surpris, il arque le sourcil gauche bien haut.

— Et «Big Train (From Memphis)», c’est du 80 ? Tu te fous de ma gueule ou quoi ?

Et voilà, encore perdu une occasion de fermer ma gueule. Fog a raison, il ramène dans son Big Train un vieux parfum de magie, il y va à coups de when I was young, il recrée sa vision d’un rock parfait, et il faut le respecter pour ça. Il ramène aussi du Creedence dans «The Old Man Down The Road». Il ne peut pas s’en empêcher, the hidey-hide, c’est un accro, ce vieux dieu du rock n’en finit plus de gratter sa vieille harpe, quel son, tout est là, le chant, le juke, la caisse de résonance, l’hidey-hide, il n’a pas bougé d’un seul iota, il n’en finit plus de creedencer avec les loups. Il repart à la conquête avec «Rock And Roll Girls». À la conquête de quoi ? On s’en fout. Il va plus loin se perdre dans un balladif country assez puissant, «I Saw It On TV». Pas de problème, ce mec sait rester crédible - Time to sing/ Time to join a band - Il reprend son bâton de pèlerin pour «Mr Creed» et chante à la brûlante. Il n’en finit plus d’y croire, alors nous aussi. Il reste creedencé jusqu’au bout des ongles avec «Searchlight» et tape dans un truc plus festif avec le morceau titre. Il adore faire la fête, ça fait partie de ses attributs. Tout le monde est invité. Les gens ne l’écoutent que parce qu’il perpétue son extraordinaire saga - Aw put in coach/ I’m ready to play today ! - Fog explique dans son book qu’il est désormais chez Warner qui a racheté Asylum et qu’il bosse avec Mo Austin et Lenny Waronker, enfin des mecs bien - Two of the best guys I’ve ever known in my life - Fog concède que le Old man concerne Zaentz - Take that you fuckin’ old man! It was a catharsis (...) Thus was a triumph over evil - Fog en plus est assez fier de cet album, car il l’a enregistré au Record Plant de Sausalito, dans une pièce qu’avait utilisée Sly Stone et qu’on appelait the Pit. Fog est encore un one-man band à cette époque. Mais il avoue que c’est trop de boulot. C’est comme de monter un film d’animation image par image.

 

— Désolé, Fog, mais Eye Of The Zombie ne mérite aucune pitié. C’est le point bas de ton admirable carrière...

— Bon, ça va, arrête de me cirer les pompes. Ça fait vingt ans que j’allume, alors j’ai pas besoin qu’on m’explique comme ça se creedence !

— C’est vrai, mais tu n’aurais jamais dû mettre un cut aussi poussif que «Going Back Home» en ouverture de bal. Les bras nous en tombent quand on écoute ça !

C’est vrai qu’ensuite, ce démon de Fog se réveille très vite, notamment avec le morceau titre. Il repend les rênes, he rocks it out, comme un vieux rocker des Amériques. Quel shock de rock ! Même chose avec «Headlines», Fog le martèle, on voit bien qu’il restera incendiaire jusqu’à la fin de ses jours. Il fout littéralement le feu au rock. Mais après, ça se gâte, il fait un peu de variété avec un «Knockin’ On Your Door» assez putassier, même si on le voit jeter toute sa niaque dans la bataille du Péloponnèse. Il revient au swamp le temps de «Change The Weather». Il fait sa chèvre et se prend pour Tony Joe. Pas forcément la meilleure idée. Il a perdu ce qui faisait le charme de Bayou Country. On le voit chercher sa pitance dans la mode avec «Wasn’t That A Woman». Atroce ! Il fait une espèce de Soul diskoïde à la mormoille.

— Fuck you Fog !

— Bon, ça va ! ’Coute plutôt «Soda Pop» !

Oui, il a raison, «Soda Pop» sonne comme du gospel batch groové à la basse funk. Quel incroyable retournement de situation ! Inespéré, voilà Fog en mode diskö-funk ! Mais en réalité, il le reconnaît lui-même, I messed with my sound. Les synthés et les boîtes à rythme, c’est pas pour lui. Il a la stupidité de croire qu’il peut faire sonner une boîte à rythme comme un vrai batteur. C’est comme vouloir transformer du plomb en or, dit-il. Un batteur ne doit pas sonner comme un robot. Il se lève d’un bond et les bras au ciel, il s’exclame : «On ne peut pas comparer une boîte à rythme avec Al Jackson !». Il considère cet album comme raté. «How the album is shaped and played just doesn’t seem like me.». Même Mo Ostin lui dit que l’album est foireux. Alors Lenny Waronker demande à Fog de faire un autre Centerfield.

 

— Alors là, mon pote, avec Blue Moon Swamp, tu remontes dans notre estime.

— Oui, j’avais bouffé un gros steak d’alligator, j’avais une de ces triques, mon vieux !

Ça s’entend dès «Southern Streamline». Il amène ça au midnite train, il fait du Creedence avec un aplomb qui laisse rêveur. Wow, il est dans son train et nous avec, il fait une apologie de l’apanage définitif, Fog forgette à qui mieux mieux, fabuleux pusher ! Il claque un solo d’acier et revient au chant comme Arsène Lupin, déguisé en Chef de la Sûreté et tout le monde n’y voit que du feu. Il tape ensuite son «Hot Red Heart» au meilleur stomp de swamp, c’est claqué du beignet au punch élastique, celui qui rebondit dans le feu de l’action, une merveille de démesure punchingballique ! Yah ! Il lance son solo comme on lançait autrefois le Septième de Cavalerie sur un village indien sans défense, mais comme Fog est un héros, alors on claque des mains et on tape du pied. Duck Dunn l’accompagne sur l’effarant «Blueboy» et diable comme il fait chaud dans «A Hundred And Ten In The Shade» !

— Fog, donne-nous un coup à boire, on crève de chaud dans ta chanson !

— Oh pas le temps, je dois chanter mon rumble de vieille cabane pourrie !

Et tout doucement, Fog glisse dans le gospel des esclaves...

— Vas-y Fog, on est avec toi !

Il repart de plus belle avec «Rattlesnake» en mode heavy boogie de chemin poussiéreux. Il plie tout à sa volonté et joue à l’os du crotch. Heavy as hell ! Nouvelle virée rock avec «Walking In A Hurricane», il bat toujours le fer pendant qu’il est chaud, il chante à la ferveur la plus inflammatoire. Fog est un rocker à toute épreuve. Tiens, voilà un nouveau shoot de Creedence : «Rambunctious Boy». Il rallume sa vieille chaudière et nous ressert du c’mon baby sur un plateau d’argent. Ce mec a tellement d’appétit qu’il boufferait un régiment de lanciers du Bengale au petit déjeuner. Il tape «Joy Of My Life» à la slide.

— Vas-y Fog, on est avec toi !

Did I tell you baby/ You are the joy of my life !

Ce mec est un shaman. Sous son air benêt, il remue le ciel et la terre. Il termine avec «Bad Bad Boy» monté sur un heavy riff bien cracra. Il ne laisse absolument aucune chance au hasard. Il taille une route assez unique dans le paysage du rock, shame on you, il revient invariablement aux grandes heures de Bayou Country. C’est une merveille de swamp rock, shame on you ! Il n’existe rien d’aussi délicieusement moisi que le rock de Fog. Le secret de la réussite de cet album, c’est le Mississippi et la découverte du Dobro. Du coup, Fog considère cet album comme l’un de ses favoris.

 

— Là Fog tu exagères avec Premonition !

— Faudrait savoir ce que vous voulez les gars !

Eh oui, dès les premières notes fédératrices de «Born On The Bayou», les gens savent. Fog rentre dans le meilleur lard de rock, il ramone son backwood bare/ Chasing a hoodoo there, il est fantastique, il grimpe dessus comme le loup sur le chaperon rouge, ça chauffe pour les abattis du Saint-Frusquin, on ne pourrait pas s’en lasser, il fait jouir son bayou, alors la foule l’acclame, c’est du live, I thank you so much. Peut-on rêver d’une meilleure entrée en matière ? Non. Il va enfiler les hits comme des perles, «Green River», «Suzie Q», «I Put A Spell On You» et là Fog va chercher les heavy vibes du vieux Jay, il brûle de fièvre et râle ses yeahhhhh comme un hérétique tombé dans les griffes de l’Inquisition. Et paf, il enchaîne avec «Who’ll Stop The Rain», vieux hit parfait et sans histoires, ce mec a tout en magasin, on peut lui demander n’importe quoi, il l’a, il fait du country rock les deux doigts dans le nez, il bat tous les autres à la course. Puis il annonce a new song : «Premonition», le morceau titre. Il revient à ses gros sabots, avec une solide pop-rock on the loose. Et soudain, tout explose avec «Almost Saturday Night», il annonce que c’est une ancienne chanson piratée à outrance, but I don’t mind, here we go ! Admirable ! C’est le hit le plus exaltant de tout le tas, taillé pour la route, aussi powerful qu’un hit des Beach Boys, effarant d’allant. Il revient à son cher vieux «Rocking All Over The World» et le chauffe à la perfection. Il fait du Alvin Lee, puis cet enfoiré vient vanter les mérites de l’amour avec «Joy Of My Life» - This is a song I wrote for my darling wife Judy !

— C’est comme si tu te branlais quand tu chantes ça, mon pauvre Fog...

— Si tu veux, je peux aussi gratter les cordes de ma guitare avec ma bite !

— T’es pas obligé de devenir vulgaire.

Fog repart naviguer à très haut niveau avec «Centerfield». Son set sonne comme un jukebos bourré de hits séculaires. Ce mec est infatigable. Il finit toujours par l’emporter haut la main. C’est un privilège que de le fréquenter. Quand il revient à son cher swamp rock avec «Swamp River Day» il donne l’impression d’avoir inventé le genre. Son rock sent bon la chaleur moite des plans lubriques et les chemises à carreaux ouvertes sur des poitrines généreuses. Il continue de mettre le rock en coupe réglée avec «Hot Red Heart» et roule son boisseau dans la farine. Il claque tout le beignet qu’il peut claquer. Il agit en seigneur, même si cette distinction ne signifie rien dans un pays qui n’a pas connu de moyen-âge. Il multiplie les retours de c’maw, cet album n’en finit plus de friser la perfection. Impossible d’imaginer un rocker plus accompli. Fog annonce que le vieux est sur la route dans «The Old Man Down The Road» et ça bat la chamade côté guitares. Fog fait rouler les hits comme d’autres font rouler les dés, laissez le bon temps roulé, c’est exemplaire, pour un peu, on ferait de lui le guide spirituel du rock. On l’écoute les yeux fermés.

— Vas-y Fog, fonce dans le fog ! On te suit !

Ils enchaîne avec ses hits les plus terribles, «Bad Moon Rising» et «Fortunate Son».

— Des mecs comme toi, il faudrait les faire piquer à la naissance.

— Pourquoi ?

— Parce que tu nous épuises la vervelle avec tes rafales de hits tentaculaires !

Et ceux-là ne sont pas des moindres. «Fortunate Son» est l’un des plus vitupérants, amené par un authentique riff royal. Il l’allume avec une constance qui scie toutes les branches. Fog vaut à lui seul une armée de bûcherons. Pour finir, il nous sort la doublette fatale, «Proud Mary» et «Travelin’ Band». Ah il peut être fier de son good job in the city et son hommage déguisé à Little Richard qui est sans doute sa plus grosse influence. Il chauffe sa hurlette à blanc.

 

— T’as l’air fin sur la pochette de Deja Vu All Over Again. Tu ne sais pas qu’il faut porter un casque pour conduire une moto ? J’espère qu’y t’ont collé une prune !

— Fuck the cops and fuck you !

— Oh la la, ce que tu peux être susceptible. Tout de suite les grands mots ! Et tout de suite les gros accords ! Tu es vraiment le roi du pathos à la sauce tomate, tu plombes le rock dès les prémices, on sait que c’est toi dès les premières mesures de «Deja vu (All Over Again)» ! Tu es reconnaissable entre mille et c’est bien ce qui faut ta force, puissant Fog !

— Ugh !

Oui, le puissant Fog a su instaurer son règne au pays des jukeboxes. Album après album, il reste dans les mêmes ambiances et ne génère jamais le moindre soupçon d’ennui. Les deux blasters de l’album se trouvent à la fin : «Wicked Old Witch» qu’il claque au son de vieille cabane creedencée et qu’il braille au big brawl, et «In The Garden», encore plus explosif, un vrai retournement de situation, Fog y plombe tout le rock américain, il stompe le crâne du rock et redonne au power de Creedence une nouvelle jeunesse. C’est une révélation, il bombarde comme peu savent bombarder.

— Fucking genius !

— Ugh !

Même s’il fait une calypso inepte avec «Sugar Sugar», il se rattrape avec «She’s Got Baggage». Il adore frapper sans prévenir, comme la plupart des mecs dans les combats. Fog est une sorte de Cassius Clay du rock, sa prune ne fait pas de cadeau. Par contre, son «Radar» pue des pieds, on entend des synthés derrière et il fait encore n’importe quoi avec «Honey Do». Le manque d’inspiration ne pardonne pas. Ah comme la vie peut être parfois cruelle. Avec son «Nobody’s Here Anymore», il fait sa pute et se prend pour Dire Straits. Il nous remonte le moral avec un coup de country intitulé «I Will Walk With You». Après les horreurs qui précèdent, c’est un réconfort. Et puis ça recommence.

— Tu nous prends vraiment pour des cons avec ton «Rhubarb Pie».

— T’aime pas la tarte à la rhubarbe ?

Petite précision de taille : Deja Vu concerne la guerre en Iraq, une guerre qui lui rappelle la grosse arnaque de la guerre du Vietnam, à laquelle il a échappé de justesse, bien qu’ayant été mobilisé. Fog dit aussi que cet album est l’un des sommets artistiques de sa vie, même s’il n’a pas gagné un rond avec, dit-il en faisant ha ha, comme le font tous les gens qui se croient drôles.

 

Alors pour bien remettre les pendules à l’heure, Fog se fend en 2006 d’un double live qui contient TOUS ses hits : The Long Road. C’est une bombe ! D’autant plus une bombe qu’il attaque au chaud bouillant avec «Travelin’ Band». Il a récupéré Billy Burnette et Bob Britt on guitars. C’est à la fois heavy et dévastateur. Il n’existe pas dans l’histoire du feuilleton de plus bel épisode. Puis il tape «Green River» à la cisaille de tibia. Le riff taille dans l’os et déclenche l’invasion des frissons dans l’inconscient collectif. Fog joue au pire gusto d’Amérique, son Green River claque dans le bel azur des mythologies adolescentes.

— Vas-y Fog ! This is the heavy load of the CCR !

Cet enfoiré enchaîne avec «Who’ll Stop The Rain». C’est facile quand on a les hits. Il tape dans l’apanage avec la grâce flasque d’un demi-dieu fellinien, il éclate la coque du chant à coup de who’ll stop the rain, il sait ce qu’il fait, il ne laisse aucune chance à la complaisance, Fog est l’artiste parfait. Plus loin, il touille les vieux remugles de boogie rock avec «Hot Red Heart» et revient aux affaires avec «Born On The Bayou» que tout le monde attend comme le messie. Magie pure ! Le solo emporte la tête. Pas besoin d’avaler un truc. C’est un extraordinaire festin de son. Il enchaîne avec l’excellent «Bootleg» tiré du même album et reste dans la jungle avec «Run Through The Jungle» qu’il chante d’autorité. Il attaque le disk 2 avec l’imparable «Have You Ever Seen The Rain». Il chante au brûlot définitif, c’est mélodique en diable, comin’ down on a sunny day. Fog restera l’un des créateurs de hits les plus somptueux d’Amérique, son wanna know éclate au firmament. En matière de pop, on a rarement fait mieux. Pas de plus bel allumage que celui de «Tombstone Shadow». Fog mord dans le métal, il chauffe sa heavy pop rock avec une niaque qui fout les jetons, c’est éclaté au grand jour, ça retapisse des pots d’épices, ça nettoie les parois. Quelle vigueur ! Fog baise tout le rock par devant et par derrière. C’est un immense fucker. Attention, ça explose encore avec «Keep On Chooglin’». Avec Fog, il faut s’attendre à tout et surtout au blast du Chooglin’. C’est démoniaque, on croit entendre Thor battre le fer dans le Bayou, ça bat si dur. On entend rarement des coups de Chooglin’ d’une telle intensité. Cet enfoiré monte encore d’un cran avec «Sweet Hitch Hiker». Fog chevauche en tête, il a derrière lui la meilleure armée du monde, il chante à la force du poignet. Il déborde de power. S’ensuit un autre hit intersidéral, «Hey Tonight», pur chef-d’œuvre d’effervescence universaliste qui dévore tout cru l’inconscient collectif. La clameur l’embarque. À part Chuck Berry et les Beach Boys, personne n’a jamais pondu autant de hits aussi flagrants. D’une certaine façon, Fog est l’un des rois du monde. Il joue son «Centerfield» à la petite entourloupe et se rattrape aussitôt après avec «Up Around The Bend». Le riff indique la voie. Fog nous fourvoie une fois de plus. Et cette façon de hurler son yahhh le rend unique dans l’histoire du rock. Méchant gueulard ! Chaque riff de Fog est un chef-d’œuvre d’art binaire. Il va terminer en beauté avec un enchaînement de cinq titres, à commencer par l’excellent «The Old Man Down The Road», ce heavy groove de swamp rock de hidey-hide. Il y atteint la perfection. S’ensuit «Fortunate Son» claqué au riff vainqueur. Il saute en selle et file ventre à terre, it ain’t meeee ! Ça fracasse tout, c’est bardé de riffs et chanté à l’incendiaire. Fog grimpe au sommet de son art. Il sort ensuite «Bad Moon Rising» de sa manche. Fog est un phénomène. Rien ne l’arrête. Puis il sonne les cloches du rock avec «Rockin’ All Over The World», nous voilà au bal des vampires et boom, il envoie «Proud Mary» éclater en bouquet final. Fog a raison de conclure avec son hit le plus connu.

 

Ah tiens, voilà le bien nommé Revival.

— Dis donc Fog, tu renais de tes cendres ?

— Oh une petite envie de faire des étincelles...

— Décidément, c’est une manie.

Tiens tu vas mettre l’album dans ton lecteur, attacher ta ceinture et aller directement au 7 : «Summer Of Love». Ça y est ? Fuzze-moi, Fog ! Là on ne rigole plus. Fog te pulse le bulbe au fuzzy crash de CCR, il rince tout ça à la petite rincette hendrixienne, comme si de rien n’était. Tu veux un autre shoot ? Va au 12 : ««Longshot» - I ain’t no doctor - Fog pique sa crise de Stonesy les deux doigts dans le nez. Tu veux du big old CCR ? Va au 6, «Long Dark Night». C’mon, il ressort son bon vieux vitriol, il exacerbe son c’mon. Inespéré ! Pur jus ! Il roule son c’mon dans sa farine de riff. Encore besoin d’un petit shoot, honey babe ? Alors va au 8, «Natural Thing», il y shuffle son Natutal avec une incroyable facilité. Il nous refait le coup du CCR. Fog est un démon doré sur tranche, le roi du développé d’orgue, de chant et de guitare. Laisse filer le 9, «It Ain’t Right», et tu verras que Fog ne lâche rien. Il nous refait son Little Richard en 10 avec «I Can’t Take It No More». Il en a les moyens et il reste dans l’inflammatoire en 11 avec «Somebody Help Me». Fog est un lance-flamme à deux pattes, il est le pyromane par excellence, il n’a rien perdu de sa superbe des origines. Bon maintenant reviens au 1, «Don’t You Wish It Was True». Il y chante son gut à l’undergut. Il fait ce qu’il veut de nos oreilles. Fog est le seul maître à bord de son art. Il est le champion du don’t you wish you push too. C’est un sacré régal que de l’écouter braire, il chante à l’intégralité de l’émerveillement. Une fois que tu as rapatrié le disk, Fog te file tout à l’œil, tout ce qu’il a. Il refait du CCR sans foi ni loi, en vrai desperado. Puis il explose «Gunslinger» de son. Il tue carrément la peau de l’ours, Fog chasse dans les forêts, ça se sent au ton de sa voix. Il a la peau cousue de cicatrices, il joue à la revancharde, en vrai grizzly man à la barbe drue. Il veille si bien au grain de l’ivraie. Il erre en Gunslinger dans un monde violent et primitif. Puis il revient sur ses traces avec «Creedence Song». Il est encore pire qu’un renard. Alors évidement, il fend le cœur de ses fans. Fog n’en finit plus de faire le show. Même à l’époque de CCR, il n’avait besoin de personne en Harley Davidson. On le voit bien avec «Broken Down Cowboy», il fait tout le boulot à lui tout seul. Ça prouve ce que ça prouve.

 

Avec The Blue Ridge Rangers Rides Again, Fog revient à sa passion pour la country music et un choix de reprises qui va faire bander les amateurs de country. À commencer par le «Garden Party» de Ricky Nelson. Il tape aussi dans John Denver avec «Back Home Again», country pépère et sans histoire. Il passe aussi par John Prine avec «Paradise», down in Kentucky where my parents were born, puis il s’arrête au bar du saloon pour taper dans Delaney Bramlett avec «Never Ending Song Of Love». Fog adore danser la gigue de country ball. Il rend aussi hommage à Phil Everly avec «When Will I Be Loved», mais c’est avec «Change The Weather» qu’il décroche la timbale. Eh oui, Fog nous pète un coup de CCR. Inespéré. Du CCR au cœur d’un océan de country ! Il ramène son vieil épouvantail et le fait avec aménité, très benoîtement, bien appliqué, il fait twanguer sa réverb et sa voix sonne comme elle n’a jamais sonné. Il faut aussi voir le numéro qu’il fait avec «I Don’t Care» : il lance sa country avec un allant qui laisse perplexe, car son East to West swingue la grosse couenne de la country motion. Quel jus ! - I don’t care if the bells don’t ring ! - Il fait comme si de rien n’était.

— Sacré Fog, tu t’arranges toujours pour te mettre à la pointe du progrès !

— J’adore faire progresser le progrès !

Il a raison au fond, car si personne ne le fait, le progrès n’avancera jamais. On ne remerciera jamais assez Fog pour son dévouement. On retombe en plein dans la country avec «I’ll Be There». Il sable le champ’ du champ, on danse à la campagne de la country, Fog adore cette abondance de good vibes, la nature lui monte au cerveau, il n’a jamais été aussi joyeux. Tu vas aussi te régaler de «Moody River». Fog traite d’égal à égal avec la rivière. Encore du pur jus de country flow avec «Fallin’ Fallin’ Fallin’», même si ça violonne à la mormoille, Fog s’empiffre de toute cette vieille fiesta redneck mais il le fait avec un tact qui en impose.

 

— Bonne idée Fog, ton Wrote A Song For Everyone.

— Yes, un invité par cut. Tiens on commence avec «Fortunate Son» que j’avais écrit pour épingler les fils de sénateurs qui s’arrangeaient pour échapper à ce fuckin’ draft qui envoyait les kids d’Amérique se battre au Vietnam. J’ai écrit ça en vingt minutes, it was very personal to me !

— Tu as été appelé sous les drapeaux ?

— Oui, en 1965, mais on m’a affecté à l’Armée de Réserve et je suis rentré chez moi six mois plus tard, au moment où ça commençait à barder sec.

Fog tape une version extrêmement musclée de «Fortunate Son» avec les Foo Fighters. C’est explosé de son, écartelé à la Ravaillac, ça gicle dans tous les coins, Fog devient fou, complètement fou, un malade bat le beurre derrière lui, alors il en rajoute encore. On entend rarement des blasters aussi ravageurs. Fog c’est le Capitaine Fracasse du Rock.

— Il paraît que tu n’as pas de bons souvenirs d’«Almost Saturday Night»...

— Non, Creedence venait de splitter et j’ai compris que j’étais baisé par mon contrat avec Fantasy. Alors j’ai voulu écrire une chanson joyeuse - Somehow in the midst of this dark times I wrote a very cheerful song - Tout le monde aime le samedi soir.

Qui dira la fabuleuse santé du rock de Fog ? Ça bouillonne dans les artères. On entend même un banjo claironner dans la chtouille. Puis Fog chante «Lodi» avec ses fils Shane et Tyler. Il mène la meilleure des barques.

— «Mystic Highway» est une chanson ancienne, n’est-il pas vrai, señor Fog ?

— Oui, je l’ai composée il y a vingt ou trente ans et conservée dans mon carnet. J’y parle des voyageurs en route vers leur destin. Ils ne savent pas exactement où ils vont ni combien de temps ils voyageront, mais ils savent qu’au bout du compte, leur voyage aura valu le coup.

C’est un vrai hit CCR bardé de son. Herb Peterson amène de la bluegrass guitar à gogo, il gonfle le Fog System à outrance et on entend cette voix se consumer dans le crépuscule ! S’ensuit le morceau titre que chante Miranda Lambert. Fog doit bien aimer son cul pour la laisser démarrer toute seule. Il reprend heureusement les rênes et Tom Morello prend un solo étourdissant.

— Ça devait être en 1999. J’assistais à une réunion de parents d’élèves et un type que je ne connaissais pas est venu droit vers moi pour me dire qu’il avait combattu au Vietnam. Il m’a raconté qu’il faisait partie d’une patrouille qui devait aller chaque nuit dans la jungle traquer ‘Charlie’. Pour se donner du courage, lui et les membres de sa petite patrouille foutaient le volume à fond pour écouter «Bad Moon Rising» avant d’entrer dans la jungle.

Alors Fog le joue jumpy et funny, mais à très haut niveau. Le soliste Guy Bowles fait de la dentelle de Calais. My Morning Jacket accompagne ensuite Fog sur «As Long As I Can See The Light» et Jim Jones démarre au chant. Fog entre au deuxième couplet.

— Dis donc, Fog, «Born On The Bayou» est un vieux coucou !

— Oui, on était programmés à l’Avalon Ballroom, avec Creedence. On était en sixième position sur l’affiche et tout à coup cette chanson m’est arrivée en tête, comme ça, bham !

— Dommage que tu fasses entrer Kid Rock dans cette merveille absolutiste. Il vaut mieux écouter l’original. C’est mieux quand tu partages le chant avec Bob Seger sur «Who’ll Stop The Rain».

— Ahhh «Who’ll Stop The Rain» ! C’est une chanson à propos de Woodstock, a huge gathering of my generation. On y cherchait un maître à penser, a spokesman. Je suis rentré chez moi en pensant qu’on le cherchait encore. This s a song about seeking the truth.

Fog et Bob ramènent tous les deux leurs vieux powers de vieilles biques. Ça devient forcément infernal. Ce hit terrific grille en enfer comme une vieille merguez oubliée sur le barboque. En fait c’est Bob qui voulait reprendre ce vieux hit. Puis Fog part en fog de bonne aventure avec «Hot Red Heart». Brad Paisley nous y claque des accords qui ne laissent pas indifférent. Ce démon de Fog s’arrange toujours pour développer du son. Puis il attaque «Have You Ever Seen The Rain» avec Alan Jackson.

— J’ai écrit cette chanson alors qu’avec Creedence on était arrivés au sommet de la montagne et plutôt que de profiter du soleil, on a préféré avoir la pluie - We should have been having a sunny day, but chose instead to invent rain.

— Finalement, t’es un mec drôlement mélancolique, Fog !

— Oui, mais bien des années plus tard, cette chanson prend un nouveau sens à mes yeux : j’y vois un rainbow.

«I know !» gueule Alan Jackson et Fog reprend le dernier couplet. Quelle merveille ! C’est le hit parfait, ultra-joué à Nashville avec du violon et de la slide à gogo. Fog revient à ses affaires on a sunny day. Il termine avec «Proud Mary». Allen Toussaint l’accompagne au piano. Mais une folle se prend pour Tina.

— Que veux-ru que je te dise de plus, Fog ? Que c’est putassier ?

 

Ce foggy panorama est bien sûr dédié à Mr G, qui démarra son dernier radio show avec «I Put A Spell On You». Well done, G ! Et la paternité de la formule ‘C’est jeudi c’est Fogerty’ lui revient, bien sûr.

Signé : Cazengler, creerance darkwater

Creedence Clearwater Revival. ST. Fantasy 1968

Creedence Clearwater Revival. Bayou Country. America Records 1969

Creedence Clearwater Revival. Willy And The Poor Boys. Fantasy 1969

Creedence Clearwater Revival. Green River. Fantasy 1969

Creedence Clearwater Revival. Pendulum. Fantasy 1970

Creedence Clearwater Revival. Cosmo’s Factory. Fantasy 1970

Creedence Clearwater Revival. Mardi Gras. Fantasy 1972

John Fogerty. John Fogerty. Asylum Records 1975

John Fogerty. Blue Ridge Rangers. Fantasy 1980

John Fogerty. Centerfield. Warner Bros. Records 1984

John Fogerty. Eye Of The Zombie. Warner Bros. Records 1986

John Fogerty. Blue Moon Swamp. Warner Bros. Records 1997

John Fogerty. Premonition. Reprise Records 1998

John Fogerty. Deja Vu All Over Again. Geffen Records 2004

John Fogerty. The Long Road. In Concert. Fantasy 2006

John Fogerty. Revival. Fantasy 2007

John Fogerty. The Blue Ridge Rangers Rides Again. Verve Forecast 2009

John Fogerty. Wrote A Song For Everyone. Vanguard 2013

John Fogerty. Fortunate Son. My Life My Music. Back Bay Books 2015

PARIS / 29 – 02 – 2019

HOLY HOLSTER

ALICIA F !

 

La rue Basfroi débouche dans la rue Charonne. Quand vous apercevez sur un mur l'inscription '' Nous sommes toutes des héroïnes '' en grosses lettres capitales, vous n'êtes plus loin. Les filles se vantent un peu trop mais je ne dis rien puisque ce soir je vais justement voir mon héroïne rock à moi ( et à quelques autres ). Une petite merveille qui s'appelle Alicia F !

L'Holy Holster n'est qu'un bar, mais l'on s'y sent bien. Un de ces vieux rades comme l'en fait plus. Un antre à rockers, pas très grand mais muni d'un outil indispensable, une scène surmontée d'un beau drapeau pirate. Gros flots de bonne musique, bières et affiches de concerts jusqu'au plafond.

ALICIA F !

Elle a sa garde rapprochée derrière elle. Mais c'est Alicia, devant. Alicia F. Les lettres ont leurs résonances secrètes. Robert Graves nous en dévoile quelques unes dans son ouvrage La Déesse Blanche. Ce F, comme hache d'abordage levée bien haut, prête à frapper. A moins que ce soit le signe du feu dévorant s'attaquant à l'arbre du monde. Quelle que soit la lecture de cet alphabet celtique, Alicia porte une mini-kilt, tartan aux teintes d'or blanc, qui irradie et attise l'œil abstrait des désirs épanouis.

Elle chante. Pas Alicia, pas encore. Ce ne sont que les premières secondes du set, mais la basse de Frédéric Lherm entonne le péan guerrier. Elle ne hisse pas le drapeau noir habituel des lignes de basse, l'est particulièrement inspiré ce soir Frédéric Lherm, sa basse est un chant de pourpre profonde, une flamme qui ne s'est pas ralentie une seconde de tout le show, une orange coulée d'annamite suave qui a distillé son poison vital toute la soirée. Rien que cette sonorité inextinguible et c'était gagné.

Et Alicia s'est glissée là-dessus comme une gamine sur le toboggan de la mort. Une voix qui déclare la guerre au monde entier, et à ses côtés Tony Marlow a effleuré sa guitare trident, et Fred Kolinski a frappé, non pas la fin de la récréation, mais le début de la création. Elle a tout compris Alicia. Que le rock'n'roll est une relecture infinie de l'éclat vital de vivre. Qu'elle ne sera intensément Elle que si elle devient la prêtresse du public. Que si elle infuse cette fusion de rêve et de réalité, cet alliage d'énergie et d'attente qui émane d'elle et du public pour le transformer en aile de foudre.

Alors Tony Marlow a allumé le feu de sa guitare. Dès Monthly Visitors parce qu'Alicia y évoque le rougeoiement de sa féminité, ce sont de gros caillots de sang psychédélices qui se sont échappés des cordes de Tony, et Alicia a mordu dans la chair vive du vocal. Etrange comme elle semble portée par son corps, son âme de feu exsudée dans chacun de ses mouvements, arquée en elle-même, elle est en même temps la lave bouillonnante contenue dans le volcan et l'éruption fatidique. Alicia F c'est un peu si vous me permettez ce mauvais jeu de mot systole packin mama, ça ne dure jamais longtemps, un fragment de seconde, durant lequel elle se tait, se rétracte sur elle-même, qui lui est nécessaire pour capter les effluves invisibles du rock'n'roll qui émanent d'elle, elle les rappelle, chienne de berger qui ramène les moutons à la maison, et alors seulement, après cette contraction musculaire, ce bras qu'elle a ramené tout près d'elle, elle vous regarde, elle sait votre attente, et elle libère toute l'énergie amassée. Diastole atomique qui gronde et pulvérise le monde autour d'elle.

Derrière Fred Kolinski mène la danse. Il frappe les mille coups saccadés du destin d'Alicia F, et toute la salle reprend en chœur, I love rock'nroll, l'hymne sacré du rock'n'roll féministe, qui lui colle à la peau, telle une lèpre voodooïque. Et Kolinski magistral, royal, impérial, avec ses longs cheveux d'écume neptutienne qui roule sur ses épaules, le visage impassible, à croire qu'il est sereinement étranger à cette ferveur qu'il a déclenchée, il semble présider une cérémonie secrète dont il marque le déroulement fatidique de ses baguettes catacombères.

Le morceau suivant à vous couper le souffle, le vieux classique malmené de bien belle façon par Tony, une guitare qui se permet toutes les libertés, tous les outrages, une horde de pillards qui boutent le feu au palais, et vous le reconstruisent encore plus beau, car il faut savoir brûler la part humaine pour ne garder que les éclats de divinité dont le rock'n'roll est criblé. Ce soir, tout le long du show, la guitare de Marlow crisse et crise, course poursuite, les pneus qui chuintent sur l'asphalte, dans la grande tradition américaine du blues qui s'est enflammé et a enfanté le démon du rock'n'roll, le fils du diable encore plus méchant et fascinant que son père.

Question angoissante : nos deux deux Fred et Tony, tous trois sur les chapeaux de roue, vont-ils finir par submerger Alicia toute seule avec sa voix et ces trois monstres grondant derrière elle. Dissipez vos doutes, non ! D'abord parce que ce sont des gentlemen. Ensuite parce que seraient-ils les pires des malappris que notre héroïne ne se laisse pas marcher sur les pieds. Ce n'est pas qu'elle commande. C'est qu'elle paye de sa personne. En coupures d'authenticité. Elle ne triche pas. Elle ne joue pas à la diva. Elle s'asperge simplement de l'essence du rock'n'roll et elle craque l'allumette. Qu'elle interprète ses propres morceaux ou les classiques inusables, elle va jusqu'au bout.

Vous seriez en droit de vous demander, avec ses bras résilles, son justaucorps noirs et ses tatous bleus sur ses bras nus, ce qu'elle veut de vous. La même chose qu'elle donne. Tout. Car Alicia une fois qu'elle est dans sa voix, n'est plus avec vous, elle est en elle et en son désir de rock'n'roll. Exhibitrice solitaire. D'abord elle chante pour elle. Et puis pour vous. Ah ! cette manière d'entrer dans un morceau, et surtout d'y rester de bout en bout, de s'y camper dedans, de s'y cramponner comme si elle ne voulait plus en sortir, ne plus jamais le laisser échapper. Elle vous aligne les lyrics comme si elle entreposait des pots de confiture à la dynamite sur l'étagère. Une voix ample et puissante. Et puis elle crie. Des rugissements de panthère. Courts mais intenses. Pour vous avertir que vous êtes sur son territoire de chasse, et que c'est chasse gardée. Mais pas interdite. A vos risques et périls. Et tout le monde s'y risque. Du moins des yeux.

Car il n'est de pire piège que ceux qui se voient. Magie du cirque. Elle sait vous attirer. De ses yeux taquins. De cette main qui descend sous la jupette. Mais qui remonte aussitôt comme pour vous épargner la tentation. La belle hypocrite. Elle fout le feu et elle se tire. Allumeuse de fantasmes. La voici chienne couchée à terre, soumise et aguicheuse, elle se traîne, elle rampe, elle aboie, elle remue de la croupe et du bassin, elle est ce vous voudriez être et que vous n'osez pas devenir, elle froisse les draps de satin de vos intimités et vous exultez, I wanna be your dog, le rock est autant outrage qu'orage. Sinon, bien avant sur City of broken dreams, magnifiquement orchestré par ses trois acolytes, elle a été la grande dame romantique, l'intouchable qui vous a brisé le cœur, votre vie est finie et les vautours du malheur vous dévorent l'âme. Vous la verrez aussi à terre, à genoux, assise, gosse dans le bac à sable, puis pratiquement star de revue, et insupportable Lolita, telle que Nabokov n'a réussi à la rendre si charnellement insaisissable dans son roman. Ses yeux tour à tour lumineux et souverains, cruels et complices, ses cheveux de feu qui brûlent, Alicia toute belle, toute et uniquement rock'n'roll.

Deux rappels et en final un You never can tell, bien nommé, car jamais vous ne pourrez dire les émotions qu'Alicia F a instillées dans les fibres de l'assistance, ce ravissement admiratif qu'elle a suscité dans les esprits d'un public de connaisseurs et d'amateurs, ce sentiment de satisfaction comblée sur les visages. Une soirée rock'n'roll. Merci, Alicia and his boys.

Damie Chad.

 

1, 2, 3, 4 !

THE TWANGY & TOM TRIO

( Twang 002 / Mai 2018 )

 

Un groupe pythagoricien, pythagrockricien pour employer le mot juste, qui essaie et réussit de démontrer la quadrature du triangle, vous annonce la couleur dès le titre, 1, 2, 3, 4 ! , bref un trio à quatre angles – chacun aigu et très pointu en sa matière – inutile de chercher l'erreur, ils ont deux contrebassistes mais n'en utilisent qu'un à chaque fois. Vous trouvez cela bizarre mais pourtant vous avez bien quatre roues à votre voiture et une cinquième en réserve dans la malle !

Phil Twangy : guitar / Long Tom : harmonica / Gégene : contrebasse / Bout d'Fil : contrebasse.

Artwork : Milouf / Photos : Arnaud LD & Jack Torrance. Faut féliciter ces gars. Rien de plus difficile que de réussir une pochette de CD, cela ressemble en poésie classique à l'art imposé du sonnet, caser quatre gars sur une surface réduite et leur donner l'expression de ce qu'ils sont ou ne sont pas selon une esthétique directrice, n'est guère donné à tout le monde. Ici c'est subtil, remarquez l'angle droit formé par le manche de la guitare protubérante qui a l'air de s'échapper du cadre avec celui de la contrebasse croisé aussi à angle droit avec le bras de Gégene qui lui-même initie le troisième côté d'un carré formalisé par la bande blanche de la tunique. Si vous rajoutez au fond la tête et l'épaule de Gégene qui forment l'hypoténuse d'un triangle rectangle, vous vous dites que l'ensemble est construit comme ces tableaux de la Renaissance à consonance structurelle ésotérique élaborés à partir des traités de Macile Ficin.

I got pain : avez-vous fait gaffe au sourire sardonique de Twangy sur la pochette, vous zieute avec ce regard qui en dit plus long que le temps qu'il vous reste à vivre, en corrélation étroite avec sa voix, un froissement inquiétant de reptile qui rampe sur du verre, I got pain qu'il dit mais vous avez plutôt l'impression que le jeu de la contrebasse et les giclées de twang de la guitare ont plutôt envie de vous envoyer un pain sur la gueule. Et derrière le Long Tom qui joue de l'harmonica comme s'il vous enfonçait une vrille dans les yeux. Si vous n'aimez pas, c'est que vous ne savez pas ce qui est bon. Tore apart : essaient de se faire pardonner au morceau suivant de belle facture rockabilly, une histoire classique elle est partie et le gars lui demande de revenir. Même que Long Tom vous envoie un de ces solos encore plus poignant que la Plainte d'automne de Verlaine, voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais à sa place je ne reviendrai pas, avec cette dégelée de guitare qui va lui tomber sans préavis sur le dos au deuxième solo, je me méfierais. En plus ses copains le soutiennent, on dirait qu'ils caressent leur batte de baseball. Let's do the wrong : y a des gars qui sont attirés par le mauvais côté des choses, vous n'y pouvez rien, c'est leur nature, vous envoient une petite rythmique guillerette pour amadouer la compagnie, et après on ne les arrête plus, des rockies qui se livrent à tous les excès permis par le rock'n'roll, et chacun essaie de faire mieux que l'autre, inutile de vous apprendre que cela se finit par un de ces charivarocks du meilleur effet et vous aimeriez que ça ne s'arrête jamais. Jusqu'à la mort qu'ils disent. Blue moon baby : ça a l'air tout mignon avec sa brillance de guitare ce vieux truc de Dave Didllie, mais ce n'est pas pour rien que les Cramps l'ont repris, c'est comme la téquila, la première avalée vous requinque, à la soixantième vous ne savez plus, je vous certifie que les Twangy ils tanguent salement. En plus ils vous font le coup du morceau qui s'arrête. Pour reprendre en pire. Mais vous ne regrettez pas. Somebody's been rocking my boat : qui se souvient encore de Norman Witcher et de son Somebody's...boat, avec guitare déjantée et cette espèce de saxophone dont le son oscille entre la clarinette et le violon, une belle occasion pour le trio de remplacer cette étrange sonorité par celle de l'harmonica. ( L'amateur en profitera pour réécouter le Who is pushing your swing baby since I've been gone de Gene Vincent, et méditer sur la confluence jazz-rockabilly ) en tout cas les Twangy restent dans l'orthodoxie rockab tout en prenant soin pour Phil Twangy de noircir quelque peu sa voix et d'isoler les notes de son solo, et c'est l'harmo qui booste la vitesse en accord avec le pumpin' incessant de la contrebasse. Le chœur final apporte une touche de vieilloterie ancestrale, preuve qu'ils ont dû salement intuiter pour respecter l'esprit du morceau. Please give me something : le gars sait ce qu'il veut et il insiste pour l'obtenir, comme elle n'a pas l'air de comprendre, ils s'y mettent tous à tour de rôle, et ma foi je vous jure qu'ils sont convaincants. Z'ont compris que sur les trente premières secondes de son hit Bill Allen n'était pas assez vindicatif. Pas de temps à perdre à amadouer les greluches, foncent tout de suite, un solo de guitare à faire péter l'élastique de la culotte, et ça finit en un étrange cri de satisfaction. Plus rut que roots. Going strong : ne jamais relâcher la pression. Un harmonica démoniaque qui klaxonne pour vous avertir de ne pas traverser sur le passage clouté, et ça roule à fond la caisse. L'on se doute bien de l'endroit où ils se rendent, alors on monte en passager clandestin dans la remorque et ne croyez pas que l'on va descendre en route, de toutes les manières ce serait trop dangereux. Please don't leave me : plus c'est gros plus ça domine, peut-être est-ce pour cela qu'ils vous le sulfatent avec plus de force, la french touch c'est pas Hou ! Hou ! sous forme de jérémiades plaintives, c'est Ho ! Ho ! qui trompette de la mort si tu fais un pas de plus. Nettement plus percutant. ( I got ) a hole in my pocket : l'on quitte la New Orleans pour le Grand Ole Opry, attention pas la country nostalgique et pleurnicharde, les parties de guitare de Little Jimmy Dickens n'étaient pas piquées de hannetons, faut dire qu'avec Grady Martins derrière ça aide un peu, un beau challenge pour Phil Twangy, mais dans la vie qui ne risque rien n'a rien, et lui il empoche un max, par dessus le marché le Long Tom vous le seconde tout du long. Ain't that a dilly : même genre que le précédent mais les rôles sont un peu inversés, c'est la guitare qui ponctue et l'harmo qui se plante devant et qui ne lâche pas le morceau. La contrebasse poinçonne le shuffle à la TGV et la voix qui aboie vous mordrait presque. Le détour par l'original de Marlon Grisham s'impose toutefois. I'm back again : peut-être le meilleur morceau du CD, mais il n'y a que du meilleur sur cette galette merveilleuse. D'abord cette fragrance de mélancolie dans la voix du gars qui a tout vu tout vécu, cet harmonica qui pousse en douce à la manière de ces taureaux vicieux qui introduisent leur corne dans le ventre du torero et ces éclats de guitare aussi tranchants que du verre. Tore up over you : et un petit dernier pour la route pour vous faire oublier que sur cette terre toutes les choses ont une fin, même le CD du Twangy & Tom Trio. Ne réclamez pas que c'est trop abrupt, vous abreuvent de ces interruptions fatidiques qui vous trouent le cœur pour mieux vous injecter une double potion d'adrénaline à la seconde suivante. Si vous n'êtes pas déjà en train de l'écouter c'est que personne ne peut rien pour vous. Que jamais vous ne serez assis à la droite du diable. Tant pis pour vous. Vous n'avez rien compris au film.

Un disque de rockabilly moderne qui sonne juste.

Damie Chad.

 

METS LE FEU ET TIRE-TOI

JIM McBRIDE

( eD : Gallmeister / Col : Totem / Oct 2019 )

 

Ceci n'est pas une biographie de James Brown. Pour ceux qui veulent suivre dans l'ordre chronologique James Brown dans ses tournées et participer à ses séances d'enregistrement les unes avec les autres, c'est raté. Le choix d'un autre bouquin s'impose. Mais de quoi nous parle donc Jim McBride ? D'abord de lui-même, il est bien connu que charité bien ordonnée, commence par notre petite personne. N'était pas particulièrement enthousiaste pour écrire le bouquin mais son agent littéraire n'avait rien d'autre à lui proposer. Pour être très précis, notre auteur n'avait plus de fric. Passage à vide. Dans ces cas-là, en dernier recours, on ne mégote pas. Soyons honnête ce n'était pas une proposition malhonnête, Jim McBride est un passionné de musique noire. Pour deux raisons, il n'est pas qu'écrivain, l'est aussi musicien, saxophoniste de jazz pour être précis. Une deuxième plus intime : l'est un afro-américain, un noir pour employer le mot qui peut vexer.

Ensuite tout dépend de la méthode employée. Sur n'importe quel type de sujets beaucoup de chercheurs qu'ils soient professionnels ou amateurs, se contentent de lire tous les ouvrages pondus avant eux, compilent les articles de presse, n'oublient pas de visionner l'ensemble des images disponibles, et puis se mettent au boulot... Travaillent chez eux bien au chaud dans leur bureau. McBride n'a pas mis ses pas dans les empreintes laissés par ces devanciers. L'a pris son téléphone et sa voiture et est parti interviewer ceux qui ont côtoyé de près le godfather of funk. Aucun voyeurisme chez lui, n'est pas allé explorer les fonds de culotte des maîtresses ( nombreuses ) de James. Uniquement ceux et celles qui ont permis à James Brown d'être James Brown, les musiciens qui ont bossé pour l'aider à parfaire son style, le staff qui s'est chargé de tout l'aspect organisationnel de l'aventure. Les petites mains si précieuses comme ceux qui s'occupèrent des finances. Nous sommes en Amérique et l'argent-roi est ce qui structure la société... N'a pas interrogé tout le monde, une vingtaine de témoins essentiels. Ce qui induit un double regard. Celui apporté par les réponses aux questions posées par l'interviewer à l'intéressé qui raconte ses souvenirs et fait part de son analyse des évènements, et puis c'est comme en physique quantique il y a toujours une interaction entre l'électron observé et l'observateur. McBride rapporte autant les propos de ces témoins que la façon dont il est entré en contact avec eux, leurs attitudes, leurs mimiques, le décor, et tous ces non-dits qui en disent souvent davantage que les déclarations officielles... Chaque interview est habilement mis en scène, de véritables débuts de romans, parfois policiers, souvent psychologiques, avec présentation, descriptions, analyses, aller-retours incessants entre le passé et le présent. Méfions-nous, ce n'est pas un journaliste qui a rédigé ce bouquin, mais un véritable écrivain. Qui vous en apprendra beaucoup sur James Brown, mais qui avant tout se sert du personnage dont il dévoile des facettes ignorées pour mieux vous communiquer aussi sa vision du monde à lui. Ce qui ne signifie pas qu'il vous raconte des bobards mais qu'il nous livre avant tout ses propres réflexions. En gros, il y va beaucoup plus gonzo-gonzo que mollo-mollo.

James Brown est né en Caroline du Sud. Pour les Européens ce n'est qu'un territoire sur une carte de la grande Amérique. Pour un américain, c'est beaucoup plus précis, c'est le Sud. Pas le Sud géographique des Etats-Unis. Le pays des esclaves. Le pays de la ségrégation. Ne dites pas que c'était il y a longtemps, que c'est de l'histoire ancienne. Que cela n'existe plus. Un mauvais et triste souvenir sur lequel il vaudrait mieux ne pas revenir. James McBride nous dit l'exact opposé. Le racisme est toujours là. Feutré, mais omni-présent. Au Sud. Et au Nord. McBride ne chausse pas les gros sabots revanchards. Ne peint pas la situation en noir et blanc. Il n'y a pas d'un côté les pauvres noirs surexploités et de l'autre les méchants blancs oppresseurs. C'est beaucoup plus complexe que cela. Beaucoup plus subtil. Simplement si vous voulez comprendre le personnage de James Brown, vous ne devez jamais oublier qu'il est né en 1933, que sa carrière a commencé au moment des luttes pour les droits civiques, qu'elle s'est poursuivie lors des soubresauts des révoltes idéologiques des Black Muslims, des Black Panthers, et des émeutes de Watts... Mais ceci n'est encore que l'écume historiale des évènements, la vague est plus profonde, l'histoire de la musique noire est marquée au plus profond de sa psyché, bien des épisodes qui peuvent paraître dramatiques, incompréhensibles, voire cocasses, sont uniquement explicables par la purulente fêlure jamais refermée de l'esclavage.

Pour comprendre James Brown il ne suffit pas d'écouter sa musique, de dire qu'elle est belle, qu'elle est un jalon indispensable de la soul bla-bla-bla... James Brown a fait comme il a pu. Comme toute sa communauté il s'est protégé. Une loi intangible : ne pas faire confiance à l'homme blanc. Ne jamais s'opposer directement. Sourire mais n'en penser pas moins. Baisser les yeux mais tisser ses murailles auto-protectrices. Un unique précepte : ne compte que sur toi-même. Ta famille peut être un rempart, et James McBride arrive à retrouver la filiation familiale du petit James qu'il n'a jamais dévoilé de lui-même. Cet ancêtre qui s'est échappé du pénitencier, qui s'est enfui de Georgie pour fonder une famille en Caroline, de son père qui le laissera à une tante qui s'occupera de lui. Mais cette idée fortement implantée dans sa tête, qu'il est lui James Brown la seule personne qui le tirera de la misère. Une première tragédie incompréhensible : toute une portion du comté, notamment son village natal de Barnwell, dont la population sera expulsée pour construire les usines nécessaires à la confection des bombes atomiques nécessaires à l'Amérique... Sa famille s'installera à Augusta en Georgie. C'est là qu'il rencontrera Leon Austin. L'ami fidèle. Indéfectible. Qui choisira une vie simple : une femme aimée, des enfants. L'anti-James Brown par excellence. Un refuge auquel il retournera souvent.

La suite ressemble à un film, le trafic de pièces de voitures, l'arrestation, trois ans de prison. Libéré à dix-neuf ans, le désir de chanter, de danser de ne pas courber l'échine dans un boulot mal-payé, l'amour de Velma Warren, le mariage, la formation des Flames dans la suite logique des chants à l'Eglise et le rhythm'n'blues de Louis Jordan, les soirées, les fêtes, et le premier succès ( plus d'un million de disques vendus ) Please, Please, Please... Nous sommes en 1956, la partie n'est pas gagnée mais James Brown est déjà tel qu'en lui-même. Ce n'est pas qu'il s'est trouvé, c'est qu'il a tout compris.

L'écriture du livre repose sur la logique de ce que sera désormais la conduite brownienne. A part égale : lui et la communauté noire américaine. Brown s'en tiendra toute sa vie à la même stratégie. D'abord et avant toute chose : c'est lui le patron. Ainsi ce ne sera plus les Flames mais les Famous Flames et bientôt sur les affiches : James Brown and his Famous Flames. Voilà c'est écrit en grosses lettres, le boss c'est James Brown. Ceux qui ne sont pas d'accord peuvent décamper. La plupart des musiciens et des choristes dégageront au bout de quelques années. Brown est intransigeant. L'on obéit au doigt et à l'œil et l'on ferme son claque-merde, sinon l'on est viré. L'est un tyran, une minute de retard à la répète, une chaussure mal cirée, une erreur sur scène, et l'on est foutu dehors tambour battant. Parfois les colères de Brown tournent à la folie, vous pouvez être renvoyé chez vous et rappelé dans les quinze secondes suivantes pour illico presto être de nouveau radié des effectifs et la scène peut se renouveler plus de quarante fois. Brown peut être odieux. Il le sait, mais il ne se soigne pas. N'a même pas envie de guérir. Oui il est terrible avec les femmes, oui elles aussi sont virées de son lit et de sa vie, il les maltraite, il les frappe, il le reconnaît, l'est le premier à avouer que ce n'est pas bien, mais ce n'est pas de sa faute puisqu'il ne peut pas s'en empêcher. Aujourd'hui la bonne mauvaise foi de Brown rendrait folles les militantes de Me Too, il est même étonnant qu'elles n'aient pas encore exigé que l'on brûle ses disques.

C'est que Brown se méfie de tout le monde. Sans doute est-il un tantinet paranoïaque. Envers les blancs et les noirs. Envers ses proches, et toute personne qui pour une raison ou une autre entre en contact avec lui. James Brown contre le monde entier. Mais pas seul. Il sait s'entourer d'amitiés indéfectibles. Le titre du livre explique ce miracle. Mets le feu et tire-toi, l'éditeur a-t-il tiqué devant le titre original : Kill'em abd leave, littéralement Bute-les et barre-toi. C'est le grand secret de James Brown, quand tu fais quelque chose tu le fais et tu décampes aussitôt, après parce ce qui se passe après n'a plus d'importance. Tu as fait ce que tu voulais réaliser, pas la peine de bavasser dessus par la suite. Une règle d'or, le show terminé, pas de réception avec les autorités du coin ou les fans, l'on charge les camions et l'on démarre en pleine nuit. Nombreux témoins dans le bouquin le répètent à l'envi. James Brown, ne faisait pas le service après-vente, ni les risettes à la femme du maire. L'était comme cela avec tout le monde. C'était ainsi qu'il recrutait ses fidèles : le jeune gars sans envergure qui n'osait même pas lui adresser la parole, il lui refilait le deal tout de suite : écoute moi my guy, si tu veux réussir, agis comme je te le dis, suis-moi et je t'apprendrai, facile, obéis-moi, fais comme moi, on les écrase et on se calte !

Pédagogie un peu frustre et expéditive ! Encore faut-il en connaître les deux versants. Si James Brown était dur envers les autres c'est parce qu'il était encore plus dur envers lui-même. Un travailleur infatigable. Ne se tolérait aucune faiblesse. Ne croyait qu'à la persévérance, qu'au travail. Avait l'œil à tout, aux détails les plus insignifiants. Tirait les leçons de ses moindres échecs et y remédiait sur l'heure. Aux jeunes noirs qu'il rencontrait il répétait le même message : travaille, ne quitte pas l'école, instruis-toi, c'est ta seule chance de t'en sortir dans cette société de requins. Avant de mourir James Brown a tenu à rédiger son testament. Pas une feuille de papier griffonnée à la va-vite, un document officiel conforme aux recommandations légales. Ses volontés sont très simples. Près de trois millions de dollars pour ses enfants. Le reste entre cent et cent cinquante millions de dollars versés à des associations ou à des fondations pour que les enfants pauvres ( noirs et blancs ) puissent suivre des études. Brown meurt en 2006, en 2016 date de l'écriture du livre, pas un seul centime n'est parvenu aux enfants. La famille a remis en cause le testament, et des dizaines et des des dizaines d'avocats ont multipliés à l'infini les procédures. Coûteuses. Très coûteuses... Brown avait raison de ne faire confiance à personne.

Brown s'était forgé une éthique. On l'appelait Monsieur Brown et lui-même donnait ce titre à n'importe quelle personne que ce soit le président des Etats-Unis, ses musiciens, ou le moindre anonyme qu'il rencontrait dans la rue. Il exigeait le respect et ne le refusait jamais à un tiers. Depuis tout petit Brown savait que la puissance d'un homme tient pour lui-même à sa valeur morale et selon le restant de l'humanité à sa fortune. Un bon compte en banque vous pose n'importe qui, mais Brown n'avait pas confiance en les banques. Entre 1956 et 1960, cela ne posait guère de problème, il n'avait pas grand-chose, tout ce qu'il gagnait était dépensé pour agrémenter le show ( paye des musiciens, décors, costumes, choristes... ), entre 1960 et 1980, il n'y avait pas non plus de problème, l'argent coulait à flot, et tout le monde y trouvait son compte, lorsque la vague disco a tout submergé, l'étoile de James Brown a pâli, moins de disques vendus, le montant des cachets pour ses shows a fondu comme neige au soleil. Brown s'est battu, des années de vaches maigres mais il a toujours cru qu'il remonterait la pente, l'a tout perdu, ses stations de radio, ses commerces, ses meubles, ses voitures, son avion, mais il s'est obstiné, il est revenu au sommet. Mais entre temps les vautours se sont déchaînés : les agents du fisc lui ont réclamé quinze millions de dollars d'impôts, on allait enfin lui faire la peau à ce négro, tout le monde le crut perdu, mais Brown a su trouver les conseillers financiers qui l'ont tiré de la panade. Il ne les a pas aidés ces alliés inespérés, James Brown a toujours préféré le cash, de la main à la main, faisait parvenir à ses experts ce qu'il voulait, en gardait une grande partie pour lui, d'abord il était dépensier, ensuite il en cachait un peu partout, des réserves au cas où l'aventure tournerait mal...

L'âge est venu. La fatigue, et les douleurs aussi. Des genoux en capilotade. De l'arthrose partout, ses anciennes articulations nickel-chrome totalement niquées. Mais plus que cela, une fatigue morale. James Brown veut bien admettre que la musique ait évolué, que son vieux funk des familles fait partie de ces monuments nationaux que plus personne ne visite, même s'il le juge supérieur à la daube disco et au rap des jeunes générations noires. Ce sont celles-ci qui lui causent du souci. Certes l'est un peu comme ces grands-parents qui poussaient des cris d'horreur devant les cheveux longs de leurs gamins en 1966, lui ce sont les pantalons à mi-cul qui le choquent. Après ces shows il passait systématiquement trois heures sous le sèche-cheveux pour remettre en ordre sa pompadour refusant de recevoir quiconque qui n'était pas de son entourage... Mais il ressent un laisser-aller général dans ces jeunes qui viennent quémander des milliers de dollars pour enregistrer un disque. Qu'ils commencent par travailler, Rome ne s'est pas faite en jour, mais chacun se construit lui-même, brique après brique. Il est devenu la conscience morale de sa communauté, le premier qui leur ait crié haut et fort qu'ils étaient noirs et qu'ils devaient en être fiers. Les pages consacrées aux obsèques de Brown sont édifiantes et bouleversantes à cet égard.

Mais le livre ne s'arrête pas à la mort de James Brown. Le saxophoniste McBride établit une filiation entre Miles Davis, John Coltrane et Brown, des créateurs infatigables qui ont su se remettre en question. Coltrane a reçu cent cinquante dollars pour l'enregistrement de Kind of blue le disque de jazz qui s'est le plus vendu au monde. L'on comprend mieux pourquoi James Brown tenait à être maître chez lui ! Mais dans la vie tout se paie. Et Brown a payé cher. Derrière les barrières protectrices érigées, une terrible solitude. Il a tout connu, la gloire, deux fois la prison, et pire que tout, la honte, lorsque la pression s'est faite si forte, lui qui ne buvait pas d'alcool, que l'on n'a vu que très rarement, jamais en public, une clope au bec, a fini par se droguer, en cachette afin de ne pas donner le mauvais exemple aux jeunes noirs, il s'est abrutir de produits afin d'oublier la déshérence de ces temps nouveaux de renonciation générale qui, lui semblait-il, s'annonçait pour sa communauté...

McBride finit par deux personnages. Vous connaissez le premier : Michael Jackson qu'il présente comme un perfectionniste digne de James Brown, terriblement solitaire comme Brown et terriblement croyant comme Brown. Et puis une dernière, Sister Lee qui tenait l'orgue de l'Eglise que les parents de McBride ont fondée. Une femme un peu stricte qui passait son temps à enseigner la musique aux enfants... La mise en pratique de la grande idée de James Brown, travailler pour soi-même, veiller à éduquer les autres.

Un beau livre, vous y apprendrez beaucoup sur la musique de James Brown et aussi sur l'interdépendance et l'entre-soi des deux communautés américaines, la noire et la blanche, deux culs, entre acceptation et répulsion, posés sur la commode du racisme, un tiroir ouvert et l'autre fermé.

Damie Chad.

 

26/02/2020

KR'TNT ! 453 : SCREAMIN' MONKEYS / ANDY LEWIS / THE TWANGY & TOM TRIO / WHO / TENDRESSE DECHIRANTE / CODICILLE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 453

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

27 / 02 / 2020

 

SCREAMIN' MONKEYS / ANDY LEWIS

THE TWANGY & TOM TRIO / WHO

TENDRESSE DECHIRANTE / CODICILLE

TEXTES + PHOTOS : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Too much Monkeys business

 

Seulement deux 45 tours ! Les Screamin’ Monkeys préfèrent la raréfaction à la prolifération. Pas de danger qu’on les accuse de Ty-Segaller. Leur premier 45 tours date de 2016 et vaut qu’on y fourre son nez car un hit s’y niche : «Cosmic Farmer». Ils amènent ça au heavy groove envenimé et après un superbe solo à la déglinguette bourguignonne, on les voit s’enflammer, c’est fuzzé dans l’âme à coups d’awite awite. Avec «Walk Alone», ils se prennent pour des Américains et ça leur va bien, ils ont de la rémona à revendre, hey hey ! Ils savent ouhater leur pré carré et cultiver une certaine forme de démesure. Ils passent au vieux shoot de garage fever avec «Makes Me Fever». C’est là où les singes sautent sur les archéologues pour leur dévorer les yeux. Quelle boucherie ! Leur fever sent bon la fièvre aphteuse, ils savent articuler leur shit, c’est admirable et intéressant à la fois, une belle énergie sous-tend l’ensemble, d’autant que le mec est bon au chant, comme le montre «Ginger Twister», il traîne ça jusqu’au sommet à coups de what’s the matter, c’est du sérieux, ils groovent un sacré big bag of sound.

L’autre single refuse de décliner son identité. Les flics insistent. No title ! Bim bam ! «Band Of Freaks» ! Les coups commencent à pleuvoir. Garage d’orgue embarqué pour Cythère. Dynamique ventrue et chargée de fagots. Les Monkeys écument la contrée comme les colonnes infernales de Turreau, ils dévastent les Vendées du garage. «Poison Vivi» refuse aussi d’obtempérer. Rien à faire, même si c’est chanté au gras. Bim bam ! Alors il ne leur reste plus qu’une seule chose à faire : une B-side. Ça tombe bien, car voici leur hommage à Jack Scott avec «I Love You Until The Song Is Over», c’est du Way I Walk de bonne guerre et les Monkeys sont malins car ils savent générer des petites débinades psychotropiques. Le chanteur fait une parfaite impersonation de wild rockab, il frise le Robert Gordon, ce qui vaut pour un compliment. Beau final en mode hypno, rehaussé de roucoulades somptueuses.

Vous l’avez bien compris, c’est sur scène qu’ils donnent leur pleine mesure. Attention, les Chalonais sont six sur scène et ils réussissent l’exploit de s’encastrer tous les six dans un minuscule recoin avec une batterie, un orgue et trois amplis. Il faut savoir le faire. Ils semblent réactiver une vieille manière de jouer le rock, pas loin de l’anglaise, celle qui reposait sur une science aiguë du jumping beat et des maracas. Et lorsque l’harmo pointe le museau, il charrie des petits échos de pub-rock à l’anglaise. Oui, un son déjà entendu des milliards de fois mais quand c’est amené avec autant d’allant, ça cloue vite le bec aux commentaires. Ils mettent leur petite industrie en route et s’y tiennent avec une suite dans les idées qui les honore. On ne sait pas qui est Belinda, mais elle a un joli cul. Il faut voir comment les Monkeys lui shakent le booty. Fantastique présence ! C’est la dynamique des deux chanteurs qui donne aux Monkeys ce côté explosif. Franck et Fouine se partagent les cuts et chantent à deux sur d’autres, alors ça précipite le dégorgement des engorgements, ça émoustille les wild émanations, ça bisque les basques du best blast around, ça rue dans les brancards et ça maracasse la carcasse de la rascasse. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit.

On les voit vite partir en mode Fuzztones avec une voodooterie nommée «Voodoo Doll» avant de sombrer dans les affres d’un «Primitive» joué au trombone à coulisse, ce qui est un pari osé, mais qui ne tente rien n’a rien, n’est-il pas vrai ? Leur dominante reste bien le garage d’orgue à la Fuzztones, il adorent se couler dans ce type de mood, c’est leur manière de prêter allégeance au rude Rudi qui du haut de ses deux mètres domine encore l’immense cimetière où dorment en paix relative les milliers de tenants et d’aboutissants du garage moderne. Les Monkeys redonnent vie à leur vieux «Cosmic Farmer» chargé de relents beefheartiens, mais privé du scream final qui impressionnait tant dans la version enregistrée. Quand ils piquent une crise avec «Paranoia», ils filent ventre à terre, histoire de rendre hommage au speed-garage héroïque des New Bomb Turks et autres calaminés des années de braise, et ils reviennent au jumpy jumpah de bonne famille avec «Walk Alone». Comme tous les grands amateurs d’apocalypse, ils aménagent des petites zones de calme pour mieux rebondir au moment de l’assaut final. Si on aime le garage bien foutu et bien senti, c’est le groupe qu’il faut voir. Ils dégagent une sorte d’excédent budgétaire, ce qui mérite d’être noté. Ils dépotent une vingtaine de morceaux avec un enthousiasme qui ne pâlit pas un seul instant et une énergie qui est celle des opiniâtres invétérés.

Leur «Monkey Twist» est une petite merveille d’insistance cavalante, Ces mecs ne lâchent jamais la rampe. Ils redonnent vie à toute cette culture Back From The Grave/Pebbles qui fit les beaux jours des oreilles d’antan. Le garage quand il est bien joué reste l’un des styles de rock les plus vivants, les plus frétillants et certainement le moins corrompu de tous les genres puisque condamné à l’underground. Mais encore une fois, l’underground est un havre de paix, si on voit ce qui se passe aujourd’hui dans les grandes salles de concert. Voir Franck et Fouine chanter à deux «Le Stonien» console du spectacle de toutes ces horreurs. Ils mettent tellement de jus dans ce cut qu’il sonnerait presque comme un hit, d’autant que c’est gorgé d’accents de Stonesy et explosé aux yeah d’unisson du saucisson. Joli coup de chapeau aux Stones qui, faut-il le rappeler, sont à l’origine de tout, enfin de ce qui nous concerne ici. Les Monkeys enchaînent avec un autre clin d’œil, cette fois à Screamin’ Lord Sutch, avec «Jack The Ripper», l’occasion de ressortir le trombone à coulisse pour cuivrer de frais cette vieille scie sautillante qui ne prend toujours pas de rides. C’est chanté au meilleur guttural local, avec du scream à la clé et un sens aigu du boogaloo qui non seulement nous enchante, mais qui en plus croule sous le poids de sa crédibilité. S’ensuit l’excellent «I Love You Until The Song Is Over» qui se trouve sur leur deuxième 45 tours. Ils en font une version longue, un peu hypno et l’arrêtent brutalement. Dommage. Ils pourraient tirer la sauce et faire sauter la sainte-barbe. Ils vont faire un rappel bien sonné des cloches avec un «Diddley Train» tatapoumé dans les règles de l’art et chanté aux renvois de chœurs. Hey Bo Diddley ! Rien de plus légendaire. C’est là où la dynamique des deux chanteurs reprend du poil de la bête. C’est le vrai Diddley beat, avec ses crises de scream et toute sa spectaculaire modernité. Ils finissent à l’emporte-pièce avec un clin d’œil fatal aux Dictators. Ils déterrent «California Sun» de ce premier album des Dictators qui frappa tant les imaginations à sa sortie en 1975. N’oublions pas que Lindsay Hutton tirait le titre de son fanzine The Next Big Thing de cet album fantastique. Les Monkeys amènent le riff de «California Sun» aux deux guitares alternées. C’est en place, bien posé sur le California beat et vite explosé au coin du bois. Ils restituent avec brio la magie de ce cut de cinquante ans d’âge qui repose sur l’alternance de passages clairs et de bouquets d’harmonies vocales noyées de son. Vertiges de l’atour.

Signé : Cazengler, Screamin’ moquette

Screamin’ Monkeys. Chez Kriss. Évreux (27). 31 janvier 2020

Screamin’ Monkeys. ST. Pop The Balloon 2016

Screamin’ Monkeys. No Title. Pop The Balloon 2018

 

Handy Andy

 

Pour bien situer Andy Lewis, il faut commencer par écouter un album paru sur Acid Jazz et annoté par Eddie Piller, qui s’appelle Billion Pound Project. Comme on dit dans les milieux autorisés, c’est un chef d’œuvre. Andy Lewis y invite tous les gens qu’il admire. Piller dit d’Andy qu’il porte son cœur sur les lèvres - this creator and composer wears its heart on its sleeve - Pour Piller, Andy est le gentleman quintessentiel - the quintessential English gentleman - Quand on entend le groove magique de «100 Oxford Street», c’est un peu comme si on se retrouvait à l’angle de Wardour Street at midnight. La température monte violemment avec «(Love is) Alive In My Heart», car Andy fait chanter Keni Burke - a Curtis Mayfield prodigy - Il plane sur le cut un parfum de strong groovy magic. Mais ce qui suit est bien pire : Andy confie «Laughter Ever After» à Bettye LaVette et tout bascule dans la monstruosité, d’autant que Bettye attaque ça à la manière d’Esther Phillips, en chuintant légèrement. Le cut tourne à la dinguerie et ça groove tellement dans l’os de l’art qu’on se retrouve au sommet du genre. Stupéfiant ! En réalité, c’est Bettye qui rend hommage au quintessential gentleman et non l’inverse. La fête se poursuit avec une autre idole d’Andy, Reg King, qui comme chacun sait fut le chanteur de The Action. Le cut s’appelle «Since I Lost My Baby», une fière reprise de Smokey. On a là un fantastique condensé de rock Action définitif. Nous voilà une fois de plus au cœur du mood de myth Mod, dans une sorte de perfection absolue, à l’équilibre parfait entre la classe Soul et l’élégance pop britannique. Encore un coup d’éclat avec «See You There» chanté par l’extraordinaire Lynda Laurence. Elle gueule comme Aretha et vrille son me-eeeeh. Encore une révélation un peu plus loin avec «Devastated», un cut de funk allumé au white heat et que chante Loleatta Holloway. C’est tout simplement le white funk de Sloane Square par un soir glacé et foggy, violonné et saxé, effarant de modernisme déterminé. Andy tend le micro à un autre héros, Andy Ellison, qui ramène sa morgue pour chanter «Heather Lane». C’est toujours un plaisir que d’entendre chanter ce fabuleux glamster métastaseur. Il reste encore une merveille au bout de cette B fatidique : «One By One» que chante Fonchi, une autre reine de la nuit londonienne. Andy lui fournit des chœurs de rêve, c’est-à-dire des chœurs Tamla. Et là, on re-décolle, une fois encore. Impossible de rester assis quand on écoute ce disque.

Au final, cet album donne l’équation magique de la scène Mods anglaise contemporaine, qui propose un mélange unique au monde de Soul et de Mod-rock. Tout ça sur Acid jazz.

Album bien intentionné et même lumineux que ce You Should Be Hearing Something Now paru aussi sur Acid Jazz en 2007. Ce qui frappe le plus, chez Andy Lewis, c’est la clarté du propos. Ce mec joue dans les règles de l’art et s’entoure d’invités de choix. Tiens par exemple Corrina Greyson pour «Window Shopping». C’est une vieille descente au dance-floor, Corrina sait de quoi elle parle, bienvenue au paradis de l’English diskö. Quelle violente énergie, ça transfigure la diskö, kökö, tu n’as même pas idée, voilà le monster küt par excellence ! L’énergie dévore l’oreille. Andy duette ensuite avec Paul Weller qui chante son ass off sur «Are You Trying To Be Something». Ils embarquent ça au meilleur beat qui se puisse concevoir, mais ça va encore se corser avec «Don’t You Know Why You Do it». Claire Nicolson chante ça sucré et propose une fantastique lampée de pop anglaise, avec une perfection qui renvoie bien sûr au cœur de ce vieux mythe qu’on appelait autrefois le Swinging London. Ils sont en plein dedans. On assiste là à un phénomène d’insistance lumineuse assez rare. Sur cet album, tout semble couler de source. Andy Lewis embarque «Phantom Street» au glouglou famélique, il joue son bassmatic avec la grâce d’un saumon d’Écosse argenté et vivace, lancé à l’assaut du torrent. Il duette ensuite avec un certain Johnny Cooke sur «Come Along With Me». C’est un fantastique shuffle d’anticipation, avec une trompette en or qui se glisse dans la ferveur du groove, et Johnny Cooke chante dans la chaleur de la nuit londonienne, c’est somptueux, ultra-orchestré, hissé au sommet de tous les apanages, surtout celui du Mod Jazz. Retour de Claire Nicolson pour ce coup de génie intitulé «In The Land Of You And Me». Elle y va direct. Ah comme c’est puissant ! Elle revient au sucré du jerk, au pur London shake. Ils sont dans l’excellence de la pertinence, dans le tronc du culte, comme dirait Mocky. Andy Lewis sonne comme les Beatles sur «Tell Me Once Again You Love Me» et duette avec David Jay sur «The Love Of My Life», assez black dans l’esprit. Pur son d’exception, une fois encore, David Jay tire la bobinette et ça devient vite énorme. Existe-t-il quelque chose d’aussi parfait ? Dieu seul le sait. Claire Nicolson est au rendez-vous de «Beyond The Fields». Elle chante d’une voix de rêve. Andy Lewis ne pouvait pas espérer mieux. Derrière, ils sont au carré. Et puis voilà le grand retour d’Andy Ellison avec «Top Of The Tower». Il est en place et what a voice ! Il brandit le big étendard du glam anglais. Andy et Andy font bien la paire. C’est convaincu d’avance, le bassmatic dévore le cut tout cru. Croutch croutch.

Le mini-album 41 est paru sur Acid Jazz en 2011 sous la forme d’un double EP. «Complexity» et «Sky Bar» sonnent comme des solides Mod rocks, bien dans l’esprit de la London Mod scene, pas loin de Jam. Par contre, «Centre Of Attention» sonne plus psychédélique, même s’il est monté sur un tempo diskoïdal digne des diskö-floors britanniques.

Avec le Billion Pound Project, l’album qu’Andy Lewis a enregistré avec Judy Dyble est le plus réussi. Il s’appelle Summer Dancing et date de 2017. Il faut se souvenir que Judy Dyble fut la chanteuse & founder-member de Fairport Convention, qu’elle quitta pour aller monter Trader Horne avec Jackie McAuley. Elle a ce qu’on appelle un pedigree. Le morceau titre de l’album sonnerait presque comme in hit psych des sixties. La voix est toujours là. Cette fois, Andy Lewis ne vise pas le Mod rock mais l’esthétique Fairport. Premier point fort de l’album : «A Message». C’est en enchantement. Andy Lewis accompagne Judy Dyble à la stand-up. On sent l’inspiration, elle est palpable. Ça devient infernal avec «Night Of A Thousand Hours», un groove de jazz pianoté dans le flesh du groove. En B, Judy Dyble passe au jerk avec «My Electric Chauffeur». Eh oui, c’est aussi simple que ça. Andy Lewis réussit l’exploit de la ramener sur la piste de danse. On note l’extrême pureté de sa voix dans «Treasure». C’est un filet lumineux, incroyablement juste. L’enchantement se poursuit avec «The Day They Took The Music Away», extraordinaire coup de transe. On entend tout simplement des héros de l’underground britannique. Judy Dyble revient avec «Summer Of Love» à son cher chant chaleureux de l’archiduchesse, alors sont-elles sèches, archi-sèches ? Elle règne sur la tradition d’un chant très anchien. Elle chante aussi «Tired Bones» à la clameur d’antan, la bonne vieille clameur d’excellence privative. C’est paisible et si profondément beau.

On trouve aussi sur Acid Jazz l’album des Red Inspectors, Are We The Red Inspectors? Are We? Andy et ses amis y proposent des instros de clubbing londonien à la James Taylor Quartet. Ils affectionnent particulièrement le groove charmant. On entend Pete Twyman chanter «He’s A Menace» et c’est excellent. On le retrouve au chant sur «The Apology Squad», petite pop montée sur une bassline de rêve, comme suspendue dans le son.

Donc pas grand chose pour un personnage aussi légendaire, mais ses trois albums figurent parmi les grands classiques du rock anglais.

Signé : Cazengler, Andy Le vice

Andy Lewis. Billion Pound Project. Acid Jazz Records 2005

Andy Lewis. You Should be Hearing Something Now. Acid Jazz 2007

Andy Lewis. 41. Acid Jazz 2011

Judy Dyble/Andy Lewis. Summer Dancing. Acid Jazz 2017

Red Inspectors. Are We The Red Inspectors? Are We? Acid Jazz 2011

TROYES / 22 – 01 – 2020

3B

THE TWANGY & TOM TRIO

 

Huit cents kilomètres de la veille dans les pneus et la Teuf-teuf file sur la route de Troyes comme une jeune fille à son premier rendez-vous d'amour. Pour moi ce n'est pas pareil, une question métaphysique m'obsède depuis que j'ai repéré l'affiche sur le FB de Béatrice Berlot, comment trois peut-il être égal à deux ? N'ai jamais été fortiche en mathématique, mais tout de même ! Un truc encore plus difficile que le mystère de la sainte trinité qui nous dit que trois égale un. Maintenant que j'écris cet incipit j'ai la solution, celle du trio pas de la trinité, vous la refilerai tout à l'heure. Le temps de vous faire saliver. Une petite discussion avec Béatrice, toute fière des cent-dix groupes de rockab qui ont défilé dans le 3 B en six ans, mais cela c'est le passé, le futur c'est la programmation qui vient, avec une grosse surprise à venir. Non je ne vous donnerai aucun indice, ni un, ni deux, ni trois, d'autant plus que le Twangy & Tom Trio entre en scène.

THE TWANGY & TOM TRIO

Je vous rassure tout de suite. Le trio est bien constitué de trois éléments. Ce qui est terrible, car il faut l'avouer vous pourriez en supprimer deux au hasard, que celui qui resterait tout seul vous l'écouteriez avec autant de plaisir. A notre droite Gégene ( du Loiret n'oubliez pas la formation est basée à Orléans ). Contrebasse vert turquoise. Avec un auto-collant de pin-up collé dessus. Ce qui pose problème. Pas la pin-up. La colle. Elle tient, un véritable miracle. L'image ne s'est pas décollée de tout le set. C'est que Gégene quand il cogne, vous l'entendez. Ce doit être son karma. Dans une autre vie il a dû mener la charge des éléphants de Porus contre les fantassins d'Alexandre le Grand. Chaque fois que sa menotte s'en vient se catapulter sur les cordes, c'est votre cerveau dans votre boite crânienne qui fait un tour sur lui-même. En plus il exagère, il écrase tout sur son passage, vous pensez que l'histoire du monde vient de se terminer, mais non, si c'était un musicien classique faudrait lui écrire Molto Allegro sur la partoche, car il swingue et caracole comme un jeune poulain qui s'élance au grand trot vers les infinis de l'herbe bleue du Kentucky.

A notre gauche Phil Twangy, à la Gretsch cochranique. Et granitique. Ne vous fiez pas à son air sympathique. Un étrangleur. La main tout en haut du manche. Vous le tient ferme. L'on dirait qu'il a attrapé un cobra par le collet et qu'il lui serre le cou à mort. La poigne reste immobile. N'y a que ses gros doigts qui bougent, comme s'il cherchait à lui éclater quelques ganglions vitaux à l'intérieur. De l'autre main, ce n'est guère mieux. Disons-le franchement, c'est pire. N'est pas du genre à gentiment gratouiller les cordes comme s'il caressait un chat. L'est du style à percer sans pitié le ventre du greffier de multiples coups de poignards. Et vos oreilles le remarquent, il vous les cingle comme s'il vous ramonait l'œsophage avec un fil de fer barbelé. C'est violent, c'est brutal, et vous vous rendez-compte que vous avez en vous une dimension masochiste que vous ignorez.

Oui Phil et Gégene ont le rockabilly sauvage. A tel point que vous dites que ces deux malfrats vous suffisent. Qu'il n'y a aucune nécessité d'ajouter un troisième larron à ce duo. Et pourtant, il y a bien un troisième individu entre ces deux rocs, un gars longiligne, sous une grosse casquette bouffante. Au début vous pensez qu'il est là pour rien. Le gus inutile par excellence. D'ailleurs il n'a même pas un instrument. Enfin si, un minuscule, qu'il cache dans sa main. Un harmonica. Vous le plaignez, mais à part fredonner Oh ! Susanna en sourdine entre deux morceaux, vous vous demandez ce qu'il peut bien pouvoir faire entre ces deux monstruosités rockabyliennes. S'appelle Long Tom, et ce mec il exagère. Nous sommes en plein rockabilly, et au lieu de dire pouce, je passe mon tour, le guy se met à jouer... du blues. Mais du blues plus bleu que bleu. Au début vous pensez qu'il s'est trompé de casting, peut-être même de café, qu'il doit y avoir un concert de blues organisé à l'autre bout de la ville, et puis au bout de deux minutes, vous êtes obligés de reconnaître qu'entre la sauvagerie du rockabilly et la trouble lancinance du blues s'installe une étrange alliance. Ce ne sont pas des contraires qui se repoussent mais des pertinences qui déteignent l'une sur l'autre.

C'est qu'entre le blues et le rockabilly, vous avez quelques relations incestueuses. A l'inter set, Long Tom résumera ces accointances très simplement : vous accélérez un blues vous avez un rockab, vous ralentissez un rockab vous obtenez un blues. Certains croient avoir trouvé la solution en créant le concept de rocking blues. Qui ne me satisfait pas. C'est un truc qui n'a jamais existé, d'un côté vous avez le blues et de l'autre le rockabilly et à eux deux c'est exactement la même chose. La musique du diable pour résoudre le mystère de la sainte trinité ! Si vous en avez deux, vous en avez trois !

La théorie c'est bien. La pratique c'est mieux. Le Twangy & Tom Trio vont aligner trois sets. Nous avouent qu'ils n'ont que trois compos à eux, mais quand l'on compte les compos personnelles d'un Gene Vincent, l'on est surpris. La reprise n'est pas un problème, la solution c'est l'appropriation, vous pouvez faire mieux peut-être, mais l'important c'est de faire autrement. Je prends un exemple : These boots are made for walking, avec eux ça ne marche pas, ça galope, un déchaînement, en l'écoutant je me dis que c'est comme cela que Lee Hazlewood avait dû le rêver avant de la refiler à la petite Nancy. Mais revenons au rockabilly et au blues. Vous ne trouverez pas plus noir que Bo Diddley. Entre nous soit dit avec Gégene, le beau Bo a bobo avec ses congas, peut aller se rhabiller, la contrebasse vous aligne le jungle beat avec une férocité inégalable, Phil à la guitare se charge du rebond, vous tranche les lianes de la forêt vierge à coups de machette, vous débite les pythons en tranches sans état d'âme. Le jeu est si serré que Long Tom n'y glissera pas une fumée d'harmonica, juste quelques bouffées rapides, ne prendra ses aises que lorsque le morceau s'accélèrera, s'échevèlera sur lui-même, alors là vous aurez droit à un incendie australien. On ne peut pas dire que Phil y cassera une corde, c'est si violent que l'on dirait qu'il l'a arrachée.

Mais non, ne sont pas spécialisés dans les instrumentaux, un rockab sans vocal c'est comme film de science-fiction sans extraterrestre. Phil chante comme il joue de la guitare. Fort et incisif. Pousse les lyrics comme des lames de rapière dans le corps d'un ennemi. Particulièrement bon sur les morceaux de Cochran, un Skinny Jim raboté à l'entaille, un Summertime Blues à vous cogner ( merci Gégene ! ) la tête sur le plancher, et un Twenty Fligth Rock monstrueux. De la belle ouvrage. Le troisième set sera démoniaque. Un Mystery Train fabuleux, si vous aviez été là vous comprendriez la trisomie du rockabilly et du blues, Long Tom nous ramène dans le delta alors que dans le même temps Phil nous en éloigne pendant que Gégene nous martèle un boogie-shuffle à vous briser les os. L'on croyait avoir atteint la cime du concert, mais non comparé au Mojo Working qui suit l'on n'était que sur des plateaux de moyenne altitude. Vont nous le faire défiler longtemps, mais en accéléré, sans halte, pire qu'à Chicago à la grande époque de la Chess électrique. Long Tom comme chez lui, et les deux autres qui ne lui cèdent en rien. Jamais l'eau dans laquelle vous avez lavé votre âme n'aura été aussi boueuse. Mais le trio est survolté, vous avez eu du black handsome man, eh bien vous aurez des petits blancs et ils nous fourguent un Rock This Town à faire sauter les centrales atomiques.

Z'ont trop bien fait leur boulot. Doivent payer l'addition. Sont les premiers à s'apercevoir que le Thirty Days de Chuck Berry même rallongé au bouillon-cube explosif ce ne sera pas suffisant. Un rappel avec le monde entier qui danse devant eux, quelle soirée ! J'ai oublié pour débuter le deuxième set les deux morceaux en l'honneur de Crazy Cavan qui s'en est allé rejoindre les anges noirs de l'enfer du rock 'n' roll sans préavis.

Ma promesse : au début c'était Twangy & Tom Duo parce qu'ils étaient deux. Gégene est venu et le duo s'est mué en trio. Mais ce n'est pas fini, Phil me dit qu'ils pensent rajouter un batteur. A croire que ce coup-ci ils veulent ratiboiser l'univers. Surtout laissez-les faire. Après la grande claque, ce sera la grosse beigne. Monstrueux !

Damie Chad.

 

THE WHO

( Collection ROCK&FOLK # 13 / 06 – 02 – 2020 )

 

Pour ne pas vous mélanger les pédales ne confondez pas Rock & Folk Hors - Série, le dernier, le Numéro 38, 22 V'la les filles ! est sorti en novembre 2019, avec Collection Rock & Folk dont le Numéro 13 consacré aux WHO vient de paraître cette première semaine de février 2020. Si les Hors-Séries proviennent tout droit de la plume des journalistes du plus vieux mensuel rock national et international, la Collection est réalisée en collaboration avec Uncut. Une revue rock anglaise à laquelle notre Cat Zengler fait régulièrement allusion dans ses chroniques car les anglais sont plutôt pointus question rock.

L'expression '' biographie non autorisée '' permet de mieux comprendre la raison du titre du magazine britannique. Non coupé, car Uncut n'a pas l'habitude de ne pas poser les questions embarrassantes et de passer sous silence les épisodes plus ou moins controversés de la vie de nos idoles. Toutefois avec un zèbre à la Pete Townshend, c'est comme les tubes de dentifrice, à peine avez-vous dévissé le bouchon que le contenu se hâte de se déverser dans la bonde du lavabo. Ce mec est un bonheur pour les journalistes, vous ouvrez le micro et il prend la parole pour des heures et des heures. Les 120 pages du numéro sont remplies d'interviews données au fil des années à différentes revues, notamment le Melody Maker et Uncut...

Certes les Who étaient quatre mais Keith Moon et John Enwhistle ont quitté notre planète voici longtemps, Roger Daltrey n'a jamais été un grand hâbleur – ce qui ne l'a pas empêché d'avoir ses petites idées personnelles sur la carrière du groupe – et c'est Pete Tonwshend qui est apparu dès le début comme le leader incontestable du bataillon de cette mauvaise troupe. L'est sûr que quand l'on compare Keith à Pete, il n'y a pas photo, entre le gamin qui se complaît à empiler conneries sur conneries et Pete l'intellectuel toujours prêt à expliquer longuement le pourquoi et le comment de tous les actes du band... D'un côté la folie, de l'autre la réflexion. Quant à John et Roger ils suivaient sans trop la ramener, même sans être convaincus, parce que pour prouver à Pete qu'il avait tort, ce n'était pas évident. D'autant plus que les évènements lui donnaient raison. L'était un peu comme ces joueurs d'échecs qui ont un tour d'avance, ou ces turfistes dont la dernière martingale se révèle la plus efficace. Du moins au début. C'est après que les choses se sont gâtées. Mais l'arbre n'est pas tombé du côté par où il penchait.

Donc quatre gamins qui arrivent un peu après la bataille. Beatles, Rolling Stones, Kinks, Animals squattent les premières places depuis deux ans lorsque nos quatre malotrus se jettent dans la mêlée. Ne sont peut-être pas plus plus doués que les autres mais ils possèdent le cinquième élément : l'énergie. N'y a qu'à les voir pour en être convaincu. D'abord vous avez Moon qui vous montre les deux faces de la lune en même temps, il ne joue pas de la batterie, il la détruit. Ensuite vous avez Daltrey qui s'égosille comme un cochon que l'on saigne, Tonwshend qui ne sait pas vraiment jouer de la guitare, alors il lui mouline et lui assène de ces tornioles à lui faire rendre l'âme, et Entwistle qui dans son coin vous surfile toute cette cacophonie au gros fil de basse aussi épais qu'un démarrage de quadrimoteur. Sur disque, ils font ce qu'ils peuvent, de l'improbable au chef d'œuvre. Du rhythm 'n' blues de deuxième zone, des harmonies vocales d'oiseau de volière, et des tranches de grabuge éhontées.

Et là-dessus se pointe le plus gros malheur que la terre ait porté depuis la création des chevaliers de l'Apocalypse. Ne venez pas tenter une piètre divergence avec le dérèglement climatique. Un truc ovnique venu d'ailleurs qui vous pulvérise toute la concurrence. Un morceau, comme on n'en fait plus. Comme ils n'en feront jamais plus. La preuve c'est qu'ils en aligneront des meilleurs. My Generation ! My Malediction ! conviendrait mieux. Surtout pour Pete. '' People try to put usd-down talking 'bout my generation '', entre nous soit dit ça sonne moins bien qu'un vers de Shelley, mais ça pète dur dans les consciences de tous les adolescents du monde. Un beau remue-ménage sonique et un superbe remue-méninge consciencial. Première fois qu'un groupe de rock'n'roll voit plus loin que sa bite, ce n'est pas encore le Tractatus Logicus de Wittgenstein, mais ça s'en rapproche. D'assez loin, pour être franc, disons qu'un professeur ferait suivre de la mention «  En progrès ! » Nous sommes en 1965 et Pete Townshend ( et ses acolytes ) viennent d'inventer le rock'n'roll intellectuel.

Le pauvre Pete n'en croit pas ses yeux. L'est comme l'autruche qui découvre qu'elle vient de pondre un œuf dur. En or. L'avenir est tout tracé. Suffit de suivre la ligne droite du succès. La pente fatale de la victoire. Des trucs aussi chiadés que My Generation, il va vous en écrire toute une série. Saison 1000 en perspective. Un avenir radieux s'annonce. Mais le soleil refusera au dernier moment de se lever. Les singles suivants comblent les fans et les amateurs. La pente sisyphique est toutefois ascendante. I can see for miles le single sur lequel Townshend misait beaucoup pour un numéro 1 n'est pas au rendez-vous. Succès d'estime en quelque sorte, mais pas de quoi remplir la tirelire de l'auto-satisfaction. Townshend est touché dans son orgueil. Mais pas coulé. Réunit son équipage de forbans et leur propose l'inouï. Sont bien obligés d'accepter car ils n'ont aucun autre produit de substitution à offrir.

Ce sera Tommy. Le premier opéra-rock. Ce n'est pas vrai, Townshend le répète à longueur de colonnes, l'a fauché l'idée au Kinks. Certes elle le tenaillait depuis longtemps, l'envie de produire un trente-trois tours qui ait une unité qui racontât une histoire. Un truc qui se tient, avec un début, un milieu et une fin. Il ne va pas y arriver. Va tout juste parvenir à produire un gruyère. En gros la story d'un gamin, une espèce d'autiste, un asperger du flipper, Pete lui-même le reconnaît, pour un auditeur pourvu d'une intelligence supérieure il est difficile de comprendre la logique interne du scénario. L'est rempli de trous. Ce n'est pas très grave, l'humanité est constituée en sa majeure partie d'un ramassis d'esprits moyens. Chacun remplira les vides à sa manière. C'est qu'en y réfléchissant un peu, la véritable nature de Tommy ce n'est pas un opéra. C'est un concept. Mais de quoi ? De Tommy évidemment. Il n'est guère de serpent plus long que celui qui se mord la queue.

Par contre question musique Tommy est une réussite. C'est un opéra – répétons-le – mais nos quatre lascars ne convoquent pas le London Symphonic Orchestra, se chargent du boulot de A à Z. Un orchestre de rock. Un point c'est tout. Avec l'ajout de quelques curiosités pour faire gloser le bas-peuple des journalistes, comme Daltrey qui souffle dans un cor... Mais dans la vie, il ne s'agit pas de faire. Faut aussi refaire. Et les Who vont vous exécuter leur œuvre en public, tout seuls comme des grands, du début à la fin. Succès phénoménal. Townshend n'a pas les chevilles qui enflent. Mais la tête qui explose. Comprend que le problème n'est pas de remporter une victoire si éclatante soit-elle, mais d'en aligner d'autres à la suite.

Dans son cerveau surchauffé Tonwshend se lance dans l'écriture d'un nouvel opéra. Un projet mirifique. Tommy n'est qu'un individu, Lifehouse sera plus ambitieux, une espèce de métaphore musicale de la vie humaine qui embrasse aussi bien le passé que l'avenir. Projet ambitieux qui n'aboutira pas. Echec cuisant mais qui ne se verra pas. Avec les débris de Lifehouse, les Who bâtiront Who's Next ? Une splendeur, bourrée de rock et d'électronique. Ce n'est plus un succès, c'est un virus meurtrier. Les Who ne sont peut-être pas le plus grand groupe de rock du monde, mais certainement le plus novateur. Une promesse d'avenir. Ce fabuleux quatuor détient le futur du rock.

Tiens si on parlait rock. Le rock à prétention intellectuelle c'est bien, mais c'est fatigant. Avec Live At Leeds, les Who démontrent qu'ils n'ont rien perdu de leur fougue et de leur virulence. Un disque à ranger sur l'étagère du haut à côté de Jerry Lou au Star-Club de Hambourg. Townshend se défend à moult reprises d'avoir inventé le hard-rock avec this record. Laisse la couronne à Deep Purple et à plein d'autres. Ce n'est pas que le hard soit trop simpliste, c'est que reconnaître cette paternité c'est perdre l'aspect novateur des Who, n'être plus qu'une étiquette qui sert à désigner une tendance, dont l'évolution lui échappera un jour. Le problème c'est l'échec de Lifehouse. Dans sa tête. Comment le surmonter ? Comment aller de l'avant ?

Townshend tombe dans le piège qu'il a creusé de ses propres mains. Quand on ne peut pas avancer. Ne reste qu'une solution, le retour en arrière. Ce sera Quadrophenia. What is it ? Un nouvel ( un autre ) opéra rock. Bien plus puissant que Tommy. Mais qu'on le veuille ou non, pas autre chose que le concept d'opéra-rock ! Mais ce n'est pas le plus grave. La prescience du danger est d'autant plus dangereuse que souvent elle est inconsciente. Quadrophenia conte la vie de Jimmy, un jeune Mod, autant dire que c'est du passé, nous sommes en 1973 et les Mods c'est de la préhistoire, une période qui connaîtra son acmé entre – soyons généreux – 1964 et 1966. Avec Quadrophenia les Who sont en train de scier les six planches nécessaires à la confection de leur cercueil.

Les disques qui suivront seront un cran au-dessous. Je me souviens d'une longue discussion à la cafetaria de la fac sur le Who by numbers, les malgré-tout et les déçus, mais dans les deux cas la sensation de participer à un combat d'arrière-garde. Les Who se cherchent et ne se trouvent pas. Aux temps d'Elvis, l'on disait qu'une carrière ne durait pas plus de deux ans, ensuite c'était les oubliettes et pour les plus doués la capitalisation rentière assurée par la fidélité des fans des années fastes. Les Who sont dans le peloton de tête depuis plus de dix ans. Le problème c'est qu'il leur reste encore un demi-siècle à vivre. Les choses ont commencé à mal tourner en 1975, les deux années suivantes porteront un coup terrible au rock dit classic. La génération punk ne respecte rien. Rien à foutre des glorieux ancêtres. L'avenir appartient aux jeunes. Les Who s'en vont visiter ses mauvaises troupes dissidentes, sont reçus avec un respect empreint de forte goguenardise. Les grand-pères que l'on aime bien mais totalement dépassés. T'es plus dans le coup papy ! C'est Moon venu en Rolls-Royce qui s'en tirera le mieux. Sur ce, Moon tire sa révérence. L'histoire des Who ne s'achève pas en cette funeste année 1978, mais elle est symboliquement terminée. Par contre c'est celle de Pete Townshend qui commence. Ce numéro spécial Who devient un super spécial Townshend.

Tonwshend est une tête d'œuf cassé. Une espèce de neurasthénique jamais content de lui. Toutefois un déprimé qui se soigne. Un artiste du recollage des morceaux. Un expert de l'art de recycler les restes. Dès 1979, sort The Kids are Allright, un film qui retrace les folles années du groupe à partir de documents d'époque. Même pas six mois plus tard sur les écrans le film Quadrophenia. Puis la bande-originale du film, puis une comédie musicale... Suivront quelques albums des Who, un retour sur scène avec tournée mondiale pour le cinquantenaire, des éditions d'inédits à n'en plus finir, tout cela n'empêche pas Nicolas que la Commune n'est pas morte, non ce n'est pas cela, tout ces efforts, plutôt mieux que mal aboutis, font que Townshend se retrouve renvoyé à lui-même, non pas à son œuvre, l'en est même s'il dit le contraire, assez sereinement satisfait, mais à son corps qui se dégrade, aux années qui s'accumulent, au vieillissement pour employer le mot qui fâche. Ce n'est plus le cinquième élément de l'immortalité éthéréenne des Dieux mais le quatrième âge et son déambulateur qui se profile.

Comme pour tout le monde. Z'oui mais lorsque l'on est un artiste de rock'n'roll c'est plus difficile. Vivre vite et faire un beau cadavre. James Dean avait ainsi défini l'art de vivre very rock'n'roll. Pour la première partie de l'adage chacun se débrouille au mieux, pour la deuxième moins de monde se presse au portillon. Est-ce bien raisonnable, n'est-ce pas une imposture lorsque l'on s'appelle Pete Townshend. Le temps est le lézard dans l'horloge et la lézarde fissure la psyché Townshendienne. L'était un jeune homme en colère contre les adultes de ses jeunes années, mais maintenant le seul coupable qui ne lui a pas permis de s'adjuger ce qu'il désirait – mais quoi au juste ? - c'est lui-même. D'où la nécessité de revenir ronger les vieux os de sa jeunesse. De repartir en tournée. D'enregistrer un nouveau disque des Who en 2019. De publier un roman en 2020, et surtout de s'interroger sans fin sur le sens de cette odyssée du rock'n'roll, de s'obstiner à trouver à cette cochonnerie une tête, une queue, et un sens qui lui apportent sinon satisfaction – les Stones s'en chargent – du moins plénitude.

A première vue, l'on peut s'en moquer. Les affres et les douleurs de Townshend lui appartiennent et personne n'a envie de s'en charger. Surtout pas vous. Moi encore moins. Devrait se souvenir de l'hémistiche fatal des Destinées d'Alfred de Vigny : '' Seul le silence est grand ''. Le genre de rétention orale à laquelle Pete Townshend ne peut se résoudre. Pour nous agacer. Pour notre plus grand plaisir aussi. Le rock est un miroir et nous ne ferons pas comme Tommy l'erreur de le briser. Ce serait se retrouver face à soi-même. L'est plus plaisant de voir Townshend se débattre à notre place. Le spectacle en vaut la peine. Ce pourrait être nous. Mais c'est lui. Tant pis pour lui. Quelle jouissance de le zieuter s'emmêler sans fin les pinceaux de ses contradictions. Voyeurisme et cynisme sont les deux mamelles du rock'n'roll. Et ce treizième – chiffre tarotique maudit – opuscule de la Collection Rock & Folk nous offre cent quarante agoniques pages de délectation assurée. This is not yet the end, beautifull friend !

Damie Chad.



PLANE / TENDRESSE DECHIRANTE

( Clip / 6 – 02 – 2020 )

Troisième clip de Tendresse Déchirante. Nous avions chroniqué le premier Romance Américaine dans notre livraison 412 du 28 / 03 / 2019 et le deuxième Acte II dans la livraison 420 du 23 / 05 / 19.

Un projet d'une simplicité extrême. Du fait maison. Du cousu main. Sont trois, Diane Aberdam et Emilien Prost. Plus une idée. Une ambiance. Une solitude, celle qui régit les êtres entre eux. Une infranchissable pourriture dirait Joë Bousquet, qui sépare et unit tous ceux qui se mettent en marche l'un vers l'autre. Des chansons d'amertume douce, des frisottis d'écume sonore, la plaie et le sel. Celui de la vie qui fuit. Et celui de la mort qui ne vient pas. Un entre-deux. Entre regret et désespoir. Entre présence et absence. Entre fille et garçon. Si loin de l'androgyne initial. Si ce n'est par l'affleurance de la cassure initiale, seule faille qui permette de remonter vers l'origine. Sinon il ne vous reste plus qu'à explorer les conduites induites.

Un clip qui se lit. Une véritable bande-dessinée. Qui bouge. Une application qui métamorphose les images en dessin. Noir et blanc absolument tranchés. Esthétique froide. Expressionniste. Un véritable roman policier. La victime est devant vous. Vivante. Elle dort. Elle se réveille comme tout un chacun puisque le portable sonne. Heureusement qu'il y a ce téléphone qui fait son office de réveille-matin. Il vous rappelle que vous êtes dans un clip musical. Et la musique arrive doucement, des gouttelettes de pluie qui s'éparpillent sur le cristal des songes. Elle est là. L'absente du Dormeur. Poupée fantôme qui danse dans les coins et empoisonne la mémoire de l'Eveillé. Elle joue de la guitare et vous entendez ce froufrou de soie infinie qui bourdonne comme une mouche tsé-tsé qui vous réveille et ne vous laisse que votre rêve à vivre.

Et Lui se plante devant vous. Elle derrière, qui s'agite comme en contre-chant. Car Lui il ne chante pas. Il exhale une longue plainte. Il étire les syllabes, il révèle un secret que tout le monde connaît. Muezzin muré en lui-même qui se mire en son minaret, enfermé dans la tour d'ivoire de sa folie, il évoque l'idole enfuie. Une histoire terriblement quotidienne. Le ballet de la vie heureuse terrassé par les coups de balai du grand nettoyage. Celui des rapports humains, du partage des tâches ménagères, toute cette non-vie qui corrode les âmes bien mieux que le désir.

C'est alors que commence l'histoire. Je ne vous rassure pas, elle n'a pas de fin. Même lorsque le clip s'arrête. Ce n'est pas que nos deux artistes créateurs-réalisateurs n'auraient pas eu le temps de l'achever. Tout au contraire c'est qu'ils ont compris que le temps est discontinu. Qu'il n'est pas une matière homogène. Qu'il est constitué de bulles. Que lorsque vous êtes coincé à l'intérieur de l'une d'entre elles, soit vous êtes assez fort pour la crever et partir vous enfermer dans une autre. Soit vous êtes incapable de casser la coquille protectrice de l'œuf temporel où vous étiez si bien et vous vous recroquevillez entre ses parois ovoïdes car vous êtes persuadé que vous n'en trouveriez pas de meilleur ailleurs.

Ce qui a existé existe pour toujours. Le mieux est de ne pas s'en éloigner. D'y rester à jamais. Cela tourne dans votre tête, cela les autres l'appelle délire. Plane conte cet enfermement en soi-même. Peut-être que ça plane pour lui, mais c'est sûrement plane after crash. Pour que vous compreniez mieux, les paroles ( en anglais ) défilent au bas de l'écran. Elles sont en jaune. La seule couleur du clip, avec le mauve pâle, couleur du sang séché, du chemisier de l'Enfuie.

L'Eveillé est en lui-même. Il est conscient qu'il marche sur l'abîme. Mais il sait que les autres ont tort. Qu'ils sont rétifs  à une réalité plus subtile du monde. Il n'a même plus besoin d'aller vers eux, vers ces semblables si dissemblables, n'envoient-ils pas une messagère, chargée de le ramener à la vie courante. Mais c'est la même qui revient toujours. Car c'est elle que son absence obsédante appelle. L'histoire se répètera mille fois, c'est la seule qu'il veut lire et revivre. Pour des myriades d'éternité. Le schème de la folie n'est que la répétition du même schéma désiré. Cette tendresse déchirée et déchirante se reconstitue sans cesse elle-même.

Très beau clip – une réussite parfaite tant dans la mise en scène de l'adéquation du son et de l'image que dans sa portée métaphysique - avec ce chant de cygne lancinant qui agonise sans fin. Une goutte de poison finement élaborée. Ne l'écoutez pas, ne le regardez pas, vous en deviendriez prisonnier, vous ne pourriez plus vous en détacher. Il est des séparations impossibles.

Damie Chad.

 

CODICILLE A LA CHRONIQUE

   ( IN LIVRAISON 452 )

HAPPY LEGS YEAR 2020

Une précision d'importance apportée par Jean-Michel Esperet quant à ma chronique de la semaine précédente sur le calendrier Happy Legs Year 2020. Non ZioLele n'est pas un être du sexe féminin comme je l'avais induit du court liminaire qui en langue anglaise le définissait en tant que feminist photographer. C'est un homme. Cette qualité n'enlève rien à la beauté de ses photographies mais peut en oblitérer quelque peu la réception. Les esprits pondérés feront remarquer que des jambes féminines photographiées par un homme ou par une femme restent toujours des jambes de femmes. Ce qui est absolument vrai, et totalement faux. Dans une photographie ce n'est pas tant l'objet ou le sujet photographié qui compte mais la vision de l'artiste et aussi son intention.

Les courts dialogues de Jean-Michel Esperet qualifié de mysogynist writer qui mettent en scène la confrontation d'Elle et Lui, m'ont poussé à l'erreur funeste de croire que cette guerre des sexes se perpétuait aussi dans le choix des artistes, un homme écrivain et une femme photographe. Peut-être mérité-je le qualificatif de misogyne au moins autant que Jean-Michel Esperet puisque instinctivement et inconsciemment en ai-je déduit qu'un homme ne pouvait pas être féministe. Par nature. Et par culture. Pour ne pas entrer en d'oiseuses digressions philosophiques, disons par stratégie politique. Qu'un homme puisse se dire féministe me semble relever de ce que Marx appelait, sur un tout autre plan, trahison de classe. Ce qui n'empêche en rien qu'un bourgeois puisse se rallier au prolétariat et en sens inverse un prolétaire à la bourgeoisie. L'intérêt de l'individu s'opposant à celui de sa propre classe.

Je ne pense pas que trahison de sexe soit une heureuse expression. Elle est porteuse d'une certaine connotation moralisante que je réprouve. De même chez Marx cette notion de trahison contient aussi cette dose de moralité qui paraît dire qu'entre les factions qui s'opposent l'une émarge du côté du mal et l'autre du bien. La notion d'intérêt s'y oppose pourtant formellement. En tant que stirnérien – et au-delà de toute vision transgenre - je ne saurais être féministe non pas parce que je suis un homme mais parce que je ne suis que Moi.

Reste maintenant à dégager l'intention du regard de l'homme qui a pris les photos de ces jambes féminines et que je crus femme. Oultre le fait que tous deux soient des êtres humains, celui-ci se décline en tant qu'autre et celle-là en tant que même. Nous entrons-là dans les combinaisons hegelienne de la positivité et de la négativité. Le tout obvié par ma propre subjectivité. Selon que ZioLele soit homme ou femme, la visée de la tentation pourrait être modalisée sous forme active ou passive. Avec aussi cette possibilité que son intention puisse être entrevue sous la forme contraire.

Mais peut-être vaudrait-il mieux se complaire dans la contemplation esthétique de ces photographies que de se perdre dans des ratiocinations indues. Qui n'apportent rien à leur beauté intrinsèque.

Damie Chad.