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11/12/2019

KR'TNT ! 442 : JACKETS / DON CAVALLI / MIKE FANTOM AND THE BOP-A-TONES / BILL HALEY / SYVIE & JOHNNY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 442

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

12 / 12 / 2019

 

JACKETS / DON CAVALLI

MIKE FANTOM & THE BOP - A - TONES

ROCK'N ROLL STORIES / JOHNNY ET SYLVIE

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Jackets of all trades

 

Vous vous souciez de l’avenir du garage ? Rassurez-vous, il est entre de bonnes mains. Jackie Jacket et ses deux jackpotes veillent au grain. Ils veillent d’autant mieux au grain qu’ils savent s’entourer : au dos de la pochette de leur quatrième album, Queen Of The Pill, on lit les noms de Beat-Man, de King Khan et de Jim Diamond. Bloody hell ! On ne pourrait pas concevoir meilleure crème de la crème du gratin dauphinois. On parle ici d’une nouvelle aristocratie du rock underground, ancrée dans l’axe Berlin/Berne, réplique de ce que fut l’aristocratie rock du Swingin’ London, telle que l’incarnèrent Keef Richards, Ginger Baker, Jeff Beck et Rod The Mod avec leurs drogues, leurs bijoux, leurs fast cars et leur belles gonzesses.

Entre ce nouvel album des Jackets et leur réapparition sur scène, on ne sait plus où donner de la tête. Comme dirait la môme Piaf à propos de Jackie Jacket, «tu me fais tourner la tête/ Mon manège à moi c’est toi», oui sur scène, elle n’arrête pas, elle fait tout à l’énergie brute et riffe à bras raccourcis. Elle sur-joue son sur-jeu, elle trépigne et elle hennit, elle prend un malin plaisir à démarrer ses cuts en fuzz-scuzz avant de foncer à travers la plaine en mode slash-and-burn pour aller trébucher fabuleusement, histoire de partir en piqué de Stuka. Live, le «Dreamer» d’ouverture de bal d’A atteint un volume énorme, elle le prend de haut, de très haut et injecte son pathos à la Louise Brooks dans un yeah yeah qui se répand à l’aube de l’aune - Hey little dreamer - ça sonne comme un classique, et ce beau riff se promène à la surface du cut comme une scie de l’ancien régime. Ils tapent très vite dans le «Be Myself» de fin de B, dommage qu’elle n’ait pas sur scène les chœurs d’artichauts berlinois - Do you wanna/ Be my tool - Ce démon de King Khan fait la pluie et le beau temps sur l’album, notamment dans «What About You». Samuel Schmidiger l’embarque au bassmatic jumpy et Jackie Jacket chante sous le couvert jusqu’au moment où ce démon de King Khan vient guester pour un couplet qu’il se met à shaker comme un King. Sur scène, les Jackets exploitent toutes les possibilités que peut offrir la triangulation et ne tombent jamais en panne d’éclairs ni d’interactions. Au contraire, ils montrent que les possibilités sont infinies, pour eux c’est même une évidence, leur abnégation donne le vertige, ils retrouvent une sorte d’innocence originelle, celle dont pouvaient se prévaloir les jeunes loups des early sixties, lorsque ne comptaient que le plaisir de jouer, les poussées de fièvre et les déjections coïtales. Les Jackets, c’est ça, le raw to the bone du plaisir de jouer. Jackie Jacket doit parfois retrouver une certaine forme de stabilité pour chanter, mais aussitôt la fin de couplet, elle bondit et passe des killer solo flash d’antho à Toto, ceux dont on peut se goinfrer jusqu’à la fin des temps sans jamais risquer l’overdose. Elle est le temps du set la reine d’un petit monde afficionadiste. On voit toutes les têtes bouger en rythme, alors ça la galvanise et elle met le turbo dans une riffalama déjà bien énervée. Dans les très bons concerts, les circulations de flux entre la scène et le public sont palpables. Jackie Jacket ne fait pas semblant. Elle se donne à fond. Elle y croit dur comme fer et se transforme en géante. Elle réussit même à allumer le «Steam Queen» qu’on trouve sur Queen Of The Pill. Elle tient son garage par la barbichette, elle semble passer ses solos entre deux eaux et plante son regard dans ceux des méduses échouées au premier rang. Le set dure une bonne heure et ne s’accorde aucun répit. Il se pourrait bien que ce soit le public qui transpire, et non les musiciens. Le clou du spectacle est cette terrifiante reprise du «Hang Up» des Wailers. Jackie Jacket ne pouvait pas faire de meilleur choix que de prêter allégeance aux Wailers qui incarnèrent jadis avec les Sonics le wild Sonic Boom du Pacific Northwest.

On les vit une première fois au Cosmic en 2013. What a révélation ! Ce n’est pas Jackie Jacket qu’on vit arriver sur la petite scène du Jungle Room, mais Loulou de Pabst avec une couette à la verticale sur le haut du crâne et le maquillage d’Alice Cooper (ou d’Hank Von Helvete, au choix), encadrée de deux mecs. Elle chantait avec une hargne édifiante et son bassman jouait en mélodie avec un son bien gras du bide. On aurait pu se croire dans un pub de Londres en 1964. Loulou termina son couplet et soudain, elle disparut - Freak out wouaaaah it’s the only way out ! - Il fallut vite fendre la foule pour aller voir ce qu’elle était devenue. Elle se tortillait au sol pour jouer un solo de pure frenzy, les pattes en l’air. Elle avait tout pigé. Ceux qui virent les Them au Maritime Hotel de Belfast en 1964 durent ressentir exactement la même chose. Il n’existe rien d’aussi jouissif que la sauvagerie scénique. Johnny Burnette et Jackie Jacket, même combat. Indomptable ! Du genre qui s’en va hennir dans la prairie.

Trois ans plus tard, ils sont revenus jouer au même endroit, dans la Jungle Room. Tant mieux, car la salle est plus petite et le son plus ramassé. On les retrouvait tous les trois, bien rassemblés autour de ce lanceur de cuts patenté qu’est le drummer Chris Rosales. Cet Américain expatrié en Suisse mit pendant quelques temps son talent au service du bon Reverend Beat-Man.

Et pouf, ça partait en garage blast, avec une Jackie Loulou en forme olympique. Incroyablement légère et vivace, elle dansait en grattant sa petite guitare jaune. Elle ne portait que du noir et passait ses accords avec une classe indécente, pendant que Samuel Schmidiger montait au créneau pour les chœurs. Ah quelle équipe ! Elle s’amusait déjà à fixer les gens entassés au pied de la petite scène. Ils jouaient ce petit garage féroce et bien en place qu’on retrouve sur leurs quatre albums. Ils incarnaient alors l’avenir du genre. Ils mettaient un point d’honneur à soigner leur virulence. Ils proposaient un garage bien claqué du beignet et baigné dans son jus, rondement mené, sans frime, sans filler. Jackie Jacket montait parfois sa voix comme une sorte de Siouxie éperdue mais elle mettait tellement d’influx dans son blast qu’elle balayait tous les soupçons. On attendait tous le moment fatidique : le solo pattes en l’air. Et pouf, elle tombait enfin sur le dos et pédalait à l’envers en claquant son killer kling-a-klong ! Magnifico ! Elle mettait l’assistance en transe, elle nous shootait une belle dose de spectacle. Le public adore voir les guitaristes se rouler par terre.

Les Jackets s’appuient désormais sur un beau parcours discographique. De la même façon que Queen Of The Pill, leur troisième album intitulé Shadows Of Sound est sorti sur le label du bon Reverend Beat-Man, Voodoo Rhythm. Ça commence mal : Jackie chante son « Don’t Turn Yourself In » à l’insidieuse et remplit son garage de sale petite fuzz. Question son, elle a tout compris, comme Thee Headcoatees voici vingt ans : il faut appuyer sur le bouton pour faire gicler le pus. Ça marche ainsi depuis la nuit des temps. Encore de la belle fuzz dans « At The Go Go ». Ses élans moites se frottent aux résurgences. C’est admirable de râpeuse perversité. Elle encrasse aussi « Keep Yourself Alive » de fuzz, mais chante d’une voix un peu trop docte, à l’Allemande, c’est-à-dire d’une voix glaciale un peu hautaine qui n’est pas sans rappeler celle de Nico. En B, ça chauffe avec des trucs comme « Wheels Of Time », un jerk monté en épingle. Elle trouve enfin sa voix sans « You Better » et paf, on prend une giclée de fuzz dans l’œil. Voilà ce qui arrive quand on s’occupe de ce qui ne nous regarde pas. Elle mène son bal de la dérive, fait des brrrrr et part en vrille de stash. Dans ce mid-tempo bardé d’avantages qu’est « Hands Off Me », elle dit à un mec bas les pattes. Elle sait placer un solo, la garce. Elle termine avec l’excellent morceau titre et chante avec de faux airs de Grace Slick, ou de qui on voudra, après tout on s’en bat l’œil.

L’album précédent s’appelait Way Out. On y trouvait quelques belles énormités fumantes, comme le fameux « Freak Out » qu’ils jouaient sur scène en 2013. Elle le tire à la force du poignet, car c’est du garage gros popotin, bien lesté de basse. Jackie Jacket screame plutôt bien et elle semble à l’aise dans le gros boogaloo - Freak out is the only way out - Ça sonne comme un leitmotiv constructiviste. S’ensuivent quelques cuts très moyens qui font douter les pèlerins et puis soudain, la machine semble se remettre en route avec « You Said ». On y sent bien la partance de la véhémence et l’exégèse de la paragenèse. Voilà un garage fuzz digne des meilleurs jukes du lac Léman. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio du fameux « Hang Up » des Wailers. C’est exactement le même principe que l’« I Can Only Give You Everything » des Them : la fuzz impose sa loi, bien vicelarde et bien lancinante. En B, on tombe sur un « In My Mind » bien sautillé à l’accord et tapé au petit riff persistant. Mais ce qui fait le charme du cut, c’est le minuscule filet de bave fuzz qui coule et qui sert de solo. Fameux ! C’est avec ce genre de trouvaille qu’ils font la différence. Ils semblent aussi vouloir rendre hommage aux Seeds avec « Oh Baby » car on y entend les petits accords légers bien connus des Seedomaniacs. Tiens, encore un perle avec « Falling Girl », fantastiquement balancé aux couplets de chœurs d’artichauts. Comme c’est bien ficelé ! « Last Chance » qui est le dernier cut vaut largement le détour : elle y fait sa folle, sa fauve, sa reine du garage et ça s’emballe pour de vrai. On a là un gros classique chanté à la liberté de ton et elle finit à la clé d’apothéose, sous le soleil de Satan.

Il se pourrait bien que leur premier album, Stuck Inside soit le meilleur des quatre. Jackie Jacket y taille une bavette à la serpe dans le mythique « Demolition Girl » des Saints. Elle jette tout son dévolu dans la balance. Sacré courage, car elle tape vraiment dans l’intapable - That’s what I say ! - On trouve sur ce disque trois beaux classiques garage, à commencer par « Get Back With You », impérieux, joué au riffing traditionnel avec des chœurs masculins bien sentis. Restons dans le garage de sang et de larmes avec « Traitor ». C’est là que naît leur extraordinaire balistique cabalistique, cette fantastique exhalaison riffique qui finit par les caractériser. Jackie Jacket prend un solo en franc-tireur et remonte à la note de gamme pour créer la lueur d’incendie. On sent qu’elle a écouté Johnny Thunders et le MC5. Les Jackets sont déjà terriblement bons - I can’t stand it no more yeah yeah yeah - Et puis voilà « Escape », bardé d’accords exponentiels. Jackie Jacket entre à la fine fleur d’excellence, elle cherche le Graal du gras et transforme le riff en or comme un Pic de la Mirandole des temps modernes. Quel sens aigu de la transmute ! Elle explose le garage c’mon avec des brrrr de lippe ! Fab Fab Fabulous ! D’autres cuts titillent bien l’occiput, comme par exemple « Running », gratté au raw to the bone, belle passade de rhythmalama fa fa fa et de yeah yeah yeah, c’est nerveux, excitant, ah la bourrique, elle sait partir sans prévenir, exactement comme Wild Billy Childish, c’est fin, viandu, tapé derrière par l’infernal Chris Rosales - Get outta my way ! - Elle est dessus et maintient une tension vocale impressionnante. Elle enchaîne avec un « Got No Time » digne des Standells, oui, car elle gratte les accords de « Good Guys Don’t Wear White », et tant mieux. Encore une merveille avec « Out Of My Head » et sa violence déterminée. Jackie Jacket travaille à l’escarmouche et c’est vraiment battu à la soudarde, sans aucune moralité. Vilain cut guerroyé à l’axe et gratté mauvais.

Signé : Cazengler, Jaquéquette

Jackets. L’Abordage. Évreux (27). 28 novembre 2019

Jackets. Stuck Inside. Subversiv Records 2009

Jackets. Way Out. Sound Flat Records 2012

Jackets. Shadows Of Sound. Voodoo Rhythm Records 2015

Jackets. Queen Of The Pill. Voodoo Rhythm 2019

Un bon Cavalli n’est jamais le dernier

- Part Two

 

Le nouvel album de Don Cavalli arrive quelques mois après la bataille. Enregistré et mixé en avril dernier, il aurait pu se vendre au Rétro. Et même bien se vendre. Cet été, beaucoup de gens ont fait le déplacement pour voir Don Cavalli sur scène. L’album qui vient tout juste de paraître s’appelle Banjara et ne propose que six titres. Don Cavalli y calme le jeu. Il chevauche en père peinard dans sa Sierra Banjara au son d’un beau gratté d’exotica. I ain’t gonna hide, chante-t-il dans le morceau titre, il a raison, ça ne sert à rien de vouloir se planquer. S’ensuit ce qu’il faut bien appeler un coup de maître : «The Fall (Of The Roman Empire)», un joli balladif dedicated to the followers of the motion. Don Cavalli y développe un fabuleux sens de l’espace, il fait ici une sorte d’Americana miraculeuse qu’il vient claquer au gimmick dans les encoignures. Ce Fall sonne comme une merveille palpitante. Un «Girl At The Drugstore» gratté au deep de deep avec un son sourd comme un pot boucle l’A. Don Cavalli, c’est Hopalong Cassidy avec une guitare en bois, le menton pointé vers l’avenir, il chante à la petite véhémence et gratte sa dentelle d’arpeggio du Montana. Just perfect ! Vous trouverez certainement la B moins spectaculaire. Il y joue son shake d’«Ann-Doo-Wee» aux percus de cabanon. Ah ça gratte sous le poncho. Nous voilà dans un western, même s’il passe au gospel d’église en bois avec «I’m Gonna Shout». Il termine ce bel exercice de style banjarien avec un «Sunny Side Of The Mountain» qui n’est pas sans rappeler le voyage de retour du Desperado, cet appel à la raison lancé au soir d’une vie - Desperado oh you ain’t gettin’ no younger - Il est temps de rentrer à la maison - Come down to your fences and open the gate, chantait le veux Cash à l’article de la mort. Comme le fit jadis le vieux Cash, Don Cavalli tape dans les profondeurs du feeling pour enchanter son Sunny Side.

S’il faut saluer bien bas un album de Don Cavalli, c’est évidemment The Pharoah. Cet étrange objet paru sous la forme d’un double 25 cm en 1999 fit paraît-il sensation à Londres, parmi les amateurs éclairés. Hélas, mille fois hélas, l’objet est devenu inabordable. Pour l’écouter, il faut soit le télécharger, soit se le faire prêter. C’est l’un des meilleurs albums de rockab jamais enregistrés. Histoire de bien donner le La, Don Cavalli démarre en trombe avec une reprise de Charlie Feathers, «Let’s Live A Little». Il ramène tous les petits jets de junk et hiccuppe à gogo. Il enchâsse son rockab avec une niaque épouvantable. Dans le morceau titre, il fait rimer bingo avec Cairo, il swingue sa chique comme un real cool cat et passe un solo des enfers les deux doigts dans le nez. On trouve très vite un coup de génie en fin d’A : «Money In My Shoe». Ce diable de Cavalli savate son bop, il est mille fois meilleur que Cash, il shake à l’os du crotch, à coups de swings de glotte, le son des guitares se perd dans l’écho du temps, il n’existe aucun équivalent de cette sauvagerie, de ce claqué délinquant, Don Cavalli s’agite comme un punk, il retrouve les secrets de la violence originelle du wild rockab, ça goutte de jus, un vrai jus de frappadingue. Il se régale encore plus avec «Behind The Mountain». Personne ne voudra jamais croire qu’il est plus américain que les Américains, et pourtant c’est vrai, il tourneboule son rockabilly à la softerie enfarinée. Le temps d’une chanson, il règne sur le monde, comme le montre la pochette. Crazy cat ! Il fait exactement ce que fit Elvis en 1954 : il ramène sa voix et son déhanché. C’est tout ce qu’il possède. Et ça suffit. Don Cavalli se situe exactement à ce niveau de compréhension des choses. Tu as la voix et le déhanché, alors roule ma poule. Roll on ! Du coup, Don Cavalli s’en sort bien mieux qu’Elvis car aucun Tom Parker ne l’a harponné. Ouf !

Et ça repart de plus belle en B avec «You’re Gonna Rap». Il explose tous les contours, il joue la carte du gonna rap, chante au lousdé de l’effervescence, il surine ses intentions et viole ses breaks de guitare comme on viole des traités, à l’arrache maximaliste. Il sait aussi partir en mode hillbilly à travers les collines comme le montre «Travelin’ This Lonesome Road», mais il le fait à sa façon, à l’excès de big time de lonesome drifter. En vrai puriste, il joue la carte de l’Americana, qui comme chacun sait, correspond à la vision d’un son. Sans vision, pas d’Americana. Tintin. Sur «Early In The Morning», il émule Charlie Feathers avec un tact et une délicatesse qui n’en finissent plus de l’honorer. Il nous sert cette tranche saignante de rockab du Tennessee sur un plateau d’argent. Il hoche bien son hoquet. Il recrée toutes les conditions du mythe à coup de heavy hiccup, wow cet early in the morning qu’il emmène à fantastique allure ! S’il fallait résumer Don Cavalli en seul mot, ce serait allure. Belle et fantastique allure.

On sort en tremblant de la B et on se demande ce que nous réserve la C. «Master Of Earth» sonne plus classique mais ça reste très sérieux. Il enroule son vaillant Master au ding-a-ling de sing-along avec une présence totémique et enchaîne avec un beau punch-up de saturday night dans «Downtown Saturday Night». Ce mec est bon à pleurer. Il enroule son downtown comme le ferait un géant de Tennessee et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Il regorge de véracité, et dans ce domaine très pointu qu’est le rockab, la véracité vaut tout l’or du monde. Tu ne fais pas de rockab sans crédit. Sans voix ni déhanché. Son «Hey Charmin’» tombe d’ailleurs à point nommé, puisqu’on parle de véracité. Il chante ça au délibéré de Memphis, ce mec déambule dans la mythologie avec une classe désarmante. Ce qui stupéfie le plus, c’est qu’il ne frime pas. Il entend le téléphone sonner dans «When The Phone Rang», hey hey - There was a voice/ Speaking so free/ Calling my name - Il nous fait le coup du boogaloo téléphonique et s’amuse à bopper comme un boppeur. Et de la même façon que Jake Calypso, Don Cavalli sait sonner cajun. La preuve ? «Low Rock And Roll». Il va y chercher des dissonances d’attirance gominale with the ole spanish guitar. Il nous ouvre les portes de son monde qui est celui de la musicalité, un monde réservé aux très grands artistes, des gens du calibre de Mac Rebennack, de Leon Russell, de Davy Graham ou de Taj Mahal. Puis sans prévenir, il revient au big time avec «You Ain’t Gonna Be My Baby» et hiccuppe comme un beau diable de Tail Feather. Rien qu’avec son premier album, il est passé complètement à autre chose, ce que viendront confirmer les albums suivants. Il faut entendre Don Cavalli éclater sa vieille éclate : c’est un phénomène unique au monde. Alors et la D ? Ah mon pauvre ! Pas question de souffler. Don Cavalli tagadate de plus belle avec «Your Lies» qu’il chante du menton, il y va, rien ne peut le freiner. Il sonne déjà comme une vieille évidence avec ce cut demented are go à gogo. Il embarque son «Where You Been Honey» à la folie Méricourt, tagada tagada, c’est trémoussé du gogotting et slappé derrière les oreilles. Il propose un real raw rumble de Parasite dans un «Parasite Blues» gratté aux meilleures guitares de la confrérie confédérée. Si on aime bien les éclairs sauvages, c’est ici qu’on les trouve. Il adresse un dernier clin d’œil à Charlie Feathers avec «Cold Dark Night». Il va le chercher dans la taverne. Attention, c’est un épisode extrêmement attachant. Pas déterminant mais attachant. De toute façon, on adore Charlie Feathers.

Signé : Cazengler, Don Casanis

Don Cavalli. The Pharoah. Tail Records 1999

Don Cavalli. Banjara. Doghouse & Bone Records 2019

 

TROYES - 07 / 12 / 2019

3 B

MIKE FANTOM AND THE BOP - A - TONES

 

Quarante jours sans assister à un concert de pure rockabilly, une véritable mise en quarantaine, un scandale éhonté, une catastrophe planétaire, ne vous raconte pas à quelle vitesse vertigineuse la teuf-teuf roule vers Troyes. Surtout que ce soir, c'est Mike Fantom et ses boys pas du tout atones. J'arrive même avant Lucky le guitariste, ce qui me permet d'assister à sa petite répète personnelle, pas longtemps, l'est pressé de rejoindre ses collègues déjà à table, vous sort sa guitare de son étui et en trois minutes, il effectue tous les règlements nécessaires, royal mais pas manchot le gamin, mais ne gâtons pas le plaisir à l'avance.

MIKE FANTOM AND THE BOP -A-TONES

Quatre sur scène. D'abord il faut réviser vos a priori. Sur les fantômes. Si vous pensez que ces esprits sont à même de circuler sans problème entre le mur et la tapisserie, voici une idée fausse. Apercevoir Mike le Fantom vous détrompera aisément : un géant, massif, en chair et en os. Quand il s'approche du micro vous reculez d'un pas devant sa carrure impressionnante. Sont chacun comme cela. Doués d'une personnalité, une dégaine tranchante qui n'appartient qu'à eux.

Big Ben et sa contrebasse, pas vraiment une big mama, une greluche mal formée, poussée en graine de cocotier, au long cou d'autruche déplumée, des hanches étroites, peau de bois , pas la vénus callipyge aux formes rondouillardes attendue, mais cette maigrelette Big Ben qui ne semble lui prêter qu'une attention distraite ne cesse, l'air de rien, de la frapper durement. Pas en brute, en tire un son d'une lourdeur veloutée – quand on pense qu'il y a des gens qui dépensent des fortunes pour des séances de thérapie sonore – imaginez un éléphant en chaussons roses qui fait des pointes sur le plancher de l'opéra, vous avez les lattes de bois qui fléchissent et craquent puis qui reprennent leur situation initiale dès que la grosse patte se relève et vous sentez une puissante vibration vous envelopper. Durant les trois sets Big Ben n'a pas arrêté une seconde de nous servir ce doux ravage dans nos oreilles, nous a concédé deux petits solos aussi claironnants qu'une trompette, mais pas plus. Sûr de son fait, vous offre la crème de la crème. Et vous n'en avez jamais goûté d'aussi fouettée, d'aussi onctueuse.

Ce grand blond, avec ses lunettes, son grand front intelligent, et son air de mathématicien absorbé en train de résoudre dans sa tête une équation du vingt-septième degré, c'est Marco. Il est assis devant sa batterie. Je précise, car vous pourriez ne pas vous en apercevoir. Le mec ne cherche pas à vous en mettre plein la vue, pour la grosse caisse, l'a choisi la taille fillette, le plus petit modèle disponible dans le commerce. Idem pour la caisse claire, une extra plate, presque un frizbee, un tambour sur sa gauche, pour les autres toms vous remarquerez leur absence. Le minimum vital de survie. Toutefois une frivole fantaisie, une cloche de vache en plastique rose à mon humble avis d'une laideur repoussante. Mais où va-t-on avec cette parcimonie même si on rajoute deux cymbales et une charleston ? Direct au trouble auditif. Car le Marco quand il tape c'est sec comme une écaille de serpent qui joue au cache-nez strangulateur autour de votre gorge, et net comme un bris de vitre qui vous décapite sans que vous vous en rendiez-compte. Comment peut-il arriver à développer une tel ravage sonore avec un kit si minimaliste. Sur Whipe out par exemple il s'est permis trois petits soli aussi efficaces que la lame d'un gladiateur qui sectionne la carotide de son ennemi tombé à terre. Des tueries de trente secondes qui arracheront des cris de joie au public.

Un bémol. L'on sait bien que Lucky n'est ici qu'en remplacement. Mais à choisir un guitariste autant en prendre un qui sache jouer. J'ai le regret de le répéter. Lucky ne joue pas de la guitare, il s'amuse de sa Gretsch. La face éclairée d'un sourire malicieux. Pétillant de mille feux. C'est qu'un morceau de rockabilly, c'est comme un château de cartes, un équilibre miraculeux, un poker qui se gagne, mais que l'on n'a pas le droit de perdre. Dure tâche pour les guitaros, la note N à l'instant T, pas une autre, ni un peu plus tard, ni un peu plus tôt. Pile à l'heure exacte. Tout cela Lucky il sait le faire, il s'en charge parfaitement. Impossible de comprendre comment il fait, mais lorsqu'il a accompli l'impossible, il lui reste encore du temps de rabe. Exemple : il ne peut pas passer un riff comme tout le monde, une fois qu'il a fait son boulot, l'éprouve le besoin mauvais de vous le cisailler en mille morceaux, de lui foutre les tripes à l'air et de s'en servir comme guirlandes pour décorer le sapin de Noël. N'est pas toujours aussi cruel, l'a de délicates intentions, dans un rock torride, dans un maelström dévastateur, au milieu de la tourmente et de la tempête, il hausse sa guitare vers le public, et son visage s'illumine d'une ironique expression extatique pour vous faire écouter le cristal de quelques fragiles notes qui se complaisent à imiter le son charmant d'une mandoline énamourée.

La revue des effectifs est-elle terminée. Non, il y a un général à cette armée de bras casseurs. Mike le Fantom, bien sûr. Ne lance pas du gaz inerte dans les tuyaux. Uniquement de l'hydrogène explosif. Quand il s'empare d'un morceau, il vous en étrille le vocal d'une bien belle manière. C'est comme s'il engageait sa vie et celle de sa fille dans le tumulte. Traitez-le de tête brûlée, mais pas de mauvais père. Quand il boppe il ressemble à Hercule toujours vainqueur avec son art d'enfoncer les crânes avec sa massue. Mike s'en sort toujours haut la main. Que ce soient les compos du groupe ou les classiques – une petite préférence pour Al Ferrier ce qui n'est pas un choix des plus banal – ah, ce Vampire Baby à vous glacer le sang, et ce Real wild child sauvage à souhait.

Et puis Mike il a un truc en plus. Une voix chaude et empathique qui renforce ses pointes d'humour entre les morceaux, une simplicité bonhomme qui ravit l'assistance qui répond et renvoie la balle qu'il saisit au vol. Haute maîtrise et grande simplicité. Sait s'effacer, durant les instrumentaux et laisser la place aux copains. Lucky qui ne s'en prive pas, car en plus de jouer de la guitare comme un dieu, le garnement chante. Là on peut affirmer qu'il sait chanter. Vous transbahute les couplets à croire qu'il chasse les ratignoles à grands coups de balai meurtriers. Cet intermède local l'a émoustillé. Il ne faut jamais réveiller le fauve qui dort en vous, sur Guitar Breaker – un titre sur mesure – il finit par terre à genoux, rejoint par Mike, et même Big Ben vient se mêler à ce capharnaüm de délire collectif pendant que derrière sa batterie Marco sonne la batucada de la fin du monde, à coups de breaks caterpillaresques qui vous encombrent les tympans jusqu'au terminus de la vie.

Le deuxième set restera impérissable dans les mémoires des assistants. Bien sûr cette interprétation tragi-comico-hilarante de Watcha Gonna Do transformée en espagnolade, Marco ponctue en sous-main d'un pontifiant paso-doble – que dis-je d'un paso sextuplé – Mike se la joue en pseudo-cantaor de flamenco, Lucky le chanceux gratte sa guitare à la manière des gitanos de Séville, et Big Ben égrène de lourdes notes qui tombent comme des larmes, l'ensemble évoque le taureau désolé et attendri au milieu de l'arène qui pleure pour consoler le torero de son chagrin d'amour incapacitant car le potentiel meurtrier n'a plu la force d'accomplir son office, oui, il est cocu le matador au cœur d'or ! Mais surtout la quinte flush Shool of rock'n'roll, Blue Suede Shoes, Rockin Ball ( destiné à sortir sur un tribute album le 8 janvier 2020 pour l'anniversaire d'Elvis Presley ), Let's go Boppin Tonight, Skinny Jim ( un petit Cochran n'a jamais tué personne mais vous allonge à jamais sans rémission ), Mike époustouflant dans sa tunique léopard, il chante le rockab, ni à l'américaine, ni à l'anglaise, mais à la Mike, selon sa propre idée créatrice, qui vaut son pesant d'or originel. Bouscule les phonèmes avec une netteté jubilatoire.

Le troisième set passera en une seconde, malgré ses quatre rappels, et le groupe qui serait bien resté encore un peu pour nous régaler... nous retiendrons ce Justine, l'est sûr à la manière dont Mike dégobille les lyrics d'une façon si jouissive qu'elle a connu toutes les infortunes de la vertu et toutes les fortunes du vice. Nous terminerons, sur les riffs berryques de Lucky à faire sauter les barriques et vous faire tourner en bourrique. C'était le dernier concert de l'année au 3 B pour lequel il faut une fois de plus remercier Béatrice la patronne. Mike Fantom and the Bop-A-Tones nous ont régalés d'une apparition et d'une prestation terrifiantes. Allez les voir et vous croirez aux fantômes.

Damie Chad.

P.S. : sans oublier Alex qui n'était pas là, mais présent dans nos pensées.

ROCK'N'ROLL STORIES

( Chaine You tube ou FB )

L'on ne se refait pas. Difficile de se débarrasser de ses vices. D'autant plus quand il s'agit de rock'n'roll. Là, c'est impossible. Surtout quand l'on cause du earlier rock'n'roll. Quand vous avez trempé les doigts dans les pots de confiture de l'armoire de votre grand-mère vous y revenez toujours. Malgré les plus terribles punitions. En plus chez Rock'n'roll Stories c'est ouvert à deux battants. Que voulez-vous il existe des gens qui n'imposent pas de droit d'entrée à leurs passions. Font partager. Alors là je me gave. En plus je m'instruis. Je connais l'histoire par cœur, mais j'y reviens comme l'assassin sur le lieu de son crime. Toujours un détail que l'on ne savait pas, une pochette que l'on n'avait jamais vue, une vue de l'esprit qui ne nous avait jamais traversé. Bref mille et une bonnes et mauvaises raisons de goûter au beurre de cacahouète pimenté du rock'n'roll.

L'on a déjà visionné ensemble Eddie Cochran, Buddy Holly et Gene Vincent, ce coup-ci ce sera Bill Haley.

ROCK'N'ROLL STORIES

Série 1 / Episode 2

BILL HALEY ET SES DEUX PREMIERS LP

Tromperie sur la marchandise. Vous avez acheté un kilo de farine chez l'épicier du coin et vous vous retrouvez avec un kilogramme de pure cocaïne. Bien sûr la quantité est moindre, la vidéo ne dépasse pas les treize minutes. Mais quelle qualité ! Des informations de première main. Préparez-vous à stopper le film à tout instant parce que les pochettes défilent à la vitesse d'un imperturbable vol d'oiseaux migrateurs. Faudrait changer le titre. Les deux premiers LP de Bill Haley, vous les verrez certes, mais cela devrait s'intituler les débuts du rock'n'roll, ou plutôt A la recherche des mythiques racines introuvables du rock'n'roll. Une entreprise aussi insensée que la remontée du Nil de son Delta terminal à sa source originelle. Z'oui mais ceux qui ne l'auront jamais tentée le regretteront toute leur vie.

Bill Haley fut-il le créateur du rock'n'roll ? Ce qui est sûr c'est qu'il fut le premier des pionniers du rock. La différence est subtile mais réelle. De toutes les manières l'on ne prête qu'aux riches, et sa couronne lui sera volée par un Roi plus jeune que lui. Ce n'est qu'une image, mais les dernières années de Bill furent terribles, oublié de tous, arpentant sans fin les trottoirs de sa ville mortuaire, on l'imagine sans peine en héros shakespearien, perdu en sa dépression pré-létale, hurlant à la foule '' My Kingdom for a rock'n'roll !'', alors que la pendule fatidique du rock sonnait son heure ultime.

Elvis naît en 1935, Bill Haley débute dans le métier en 1946... Une grande différence entre les deux, Bill provient du Hillbilly, du western swing, de la country, Elvis exactement pareil mais avec une grande différence, si tous deux s'inspirent de la musique noire, le premier effectue un démarquage, ne le rend pas forcément plus policé, car ça swingue dur sur ses disques, mais son vocal est des plus blancs, alors qu'Elvis commet le sacrilège de véhiculer sur ses enregistrements un impact vocal émotionnel typiquement noir. Elvis rejoint la filigrane du blues, Bill Haley se cantonne au rhythm'n'blues. N'empêche que Presley était infiniment doué et que le beau baryton de ses ballades relève d'une tradition toute européenne. S'il y a eu un melting pot réussi aux USA, c'est avant tout le croisement des origines musicales.

C'est en 1952 que les Saddlemen de Bill prennent le nom de Comets. Jeu de mots comateux avec la comète de Haley. Chez Rock'n'roll Stories dans l'ensemble des musiciens qui gravita autour de Bill c'est à Rudy Pompilli que vont les préférences. C'est vrai que le sax de Pompilli cartonne et écrase tout ce qui bouge autant que le Vésuve dans Les derniers jours de Pompéi. Fait un sacré ménage, le saxo en fureur aboie encore plus que tous les hound dogs de la création. Pour nous, c'est dans le solo de guitare de Danny Cerrone de Rock around the clock que le rock prend vraiment son essor. A ceci près que Cerrone se contente de glisser dans le solo qu'il avait crée trois ans auparavant pour Rock the joint comme le raconte Tony Marlow dans le numéro spécial de Jukebox magazine que tout rocker se doit de posséder, le fameux Rock'n'roll Guitare Heros. Quoi qu'il en soit c'est avec le premier album de Bill chez Essex Rock with Bill Haley and the Comets qui contient entre autres pépites Crazy man crazy, Rock the joint, Farewell so long good-bye, que débute le rock'n'roll. Enfin presque, ou presque pas. Nous sommes invités à écouter la version de 1952 de Rock around the clock par Hal Singer. Ce que je ne manque pas de faire. Une version très swing, beaucoup plus légère et moins cogneuse que celle de Bill, avec passage solo de cuivres à la big band jazz, qui n'est pas sans rappeler les premières moutures ''rock'' auxquelles s'essaieront les français comme Moustache au milieu des années cinquante. Il existe aussi une version originale par Sonny Dae and the Knight enregistrée vingt-trois jours avant Bill et ses Comets. Le deuxième LP sera le Rock Around the Clock paru en 1954 chez Decca. L'on ne s'y attarde guère, la carrière des Comets et de leur mentor est lancée, mais Bill Haley est-il vraiment le père du rock'n'roll ? Je vous laisse regarder la suite passionnante.

Damie Chad.

ROCK'N'ROLL STORIES

Série 1 / Episode 5

BLACKBOARD JUNGLE

 

Rock around the clock aurait-il mis le feu aux poudres planétaires si le titre n'avait pas été inclus dans la bande-son du film Blackboard Jungle, Graine de violence en version française, paru en 1955. Nous ne le pensons pas, n'oublions pas que Rebel Whithout a Cause avec James Dean, et The Wild One avec Marlon Brando ont en un premier temps davantage marqué les imaginaires et les attitudes des jeunes adolescents que la musique des premiers rockers. Elvis inconnu rêvait d'être acteur. Cet aspect n'est point approfondi dans la présentation. Réalisateur et principaux acteurs nous sont présentés, générique de leurs carrières et analyse de leurs talents, de véritables professionnels certains d'entre eux viennent du théâtre, leur filmographie réveille bien des souvenirs, des films comme 3 Heures 10 pour Yuma ou comme La chatte sur un toit brûlant, sont des classiques qui ont permis à la culture américaine d'entrer en symbiose avec l'européenne.

En son temps dans la grande Amérique Graine de violence marqua les esprits. Un professeur qui croit en son métier se trouve confronté à des jeunes garçons issus des basses couches populaires de New York. Blackboard Jungle entraîna bien des débats dans la société blanche d'outre-atlantique, l'élève positif qui veut à tout prix s'en sortir est un jeune noir, et le rôle de la sombre crapule est réservé à un blanc. La pellicule fut une étape non négligeable dans le combat pour les Droits Civiques. Le film se révéla aussi prémonitoire, bien plus que le livre dont il fut tiré, voir notre livraison N° 20 du 27 / 09 / 2010 consacré à l'ouvrage d'Ed Mc Bain paru sous le pseudonyme de Steve Hunter. Une simple adjonction fortuite, pas du tout réfléchie à un niveau idéologique ou artistique, juste une opportunité financière de détention de droits musicaux qui décida de l'inclusion de Rock Around the Clock dans le générique. Mais lorsque l'on remet en relation le morceau de Bill Haley avec la scène au cours de laquelle les élèves cassent la collection de disques de jazz que leur professeur essayait de leur faire connaître et aimer, cette inclusion pratiquement fortuite prend un sens symbolique non escompté. L'on ne pouvait mieux faire pour signifier aux jeunes générations que le jazz était la musique des adultes, et le rock'n'roll, le rythme de la jeunesse. Fatidique et significatif passage de témoin. Dans The Wild One, sorti en 1953, les motards rebelles écoutent du jazz... Foudroyante accélération de l'Histoire qui se met à l'heure du rock'n'roll...

Damie Chad.

 

SYLVIEJOHNNY

LOVESTORY

MARIE DESJARDINS

( Les Editions du Cram / 2016 )

Les livres consacrés à Johnny ne manquent pas. Certains adulent Hallyday et d'autres l'abhorrent. Pour ces derniers peut-être a-t-il vécu l'existence tourbillonnaire qu'ils auraient tant aimé vivre. A laquelle ils n'ont pas osé prétendre. Nietzsche nous a prévenus, nos conduites sont souvent filles d'un ressentiment dont nous refusons d'être conscients. Nos petits arrangements avec la vie – les citernes vides de notre si terne existence pour employer les mots qui disent au plus près nos inconséquences – grimacent comme autant d'ironiques miroirs brisés. Aujourd'hui Sylvie Vartan n'attise plus les mêmes adorations et les mêmes jalousies qu'autrefois. Certes elle fut la compagne de Johnny – il y a longtemps – mais elle n'était qu'une yé-yé, avec tout ce que ce terme induit de mépris et de condescendance. Qu'on lui en dénie ou reconnaisse le titre, au-delà de toute admonestation vitépurative ou récupération laudative, Johnny reste un rocker. Le rocker français par excellence. Le fondateur.

C'est du Canada neigeux que nous vient cette étrange chronique des amours tumultueuses de Sylvie et Johnny parue pour la première fois en 2010 chez Transit Editeur. Peut-être n'est-ce pas un hasard si elle provient de ce pays en même temps cousin et si lointain du nôtre. L'auteur n'est autre que Marie Desjardins, nous avons beaucoup apprécié voici quinze jours son Ambassador Hotel, La mort d'un Kenedy, la naissance d'une rock star, roman imaginaire d'un groupe de rock qui n'a jamais existé, hormis peut-être dans les égrégores – ces résidus psychiques - de l'inconscient collectif de tous les rockers du monde. Qui ne se tendent guère la main et ne s'unissent point davantage, mais ceci est une autre histoire. Tribus indiennes hautement bariolées toujours prêtes à déterrer la hache de guerre l'une contre l'autre.

Les passions humaines sont-elles comme ces soleils morts dont la lumière nous parvient encore des millions d'années après leurs extinctions. Existent-ils des brasiers incandescents qui jamais ne s'éteindront. Marie Desjardins s'est-elle voulue vestale sacrée chargée par les Dieux de rallumer le feu d'un foyer dévasté par les cendres oublieuses du temps passé qui toujours vole de l'avant, obstinément aussi immobile que la flèche cruelle de l'imparable Zénon, refusant de s'enfuir et renaissant éternellement dans la stagnance de sa propre présence ?

Dans les pages de garde de la rubrique '' Même auteur'' Sylvie , Johnny love story est classé dans la rubrique de quatre romans écrits par Marie Desjardins. Nous en prenons acte, ce qui ne nous empêche guère de penser que nous inscririons plutôt ce texte dans la rubrique Poésie ( absente de cette bibliographie ), ou alors de l'entrevoir à la manière antique, comme ce talismanique Daphnis et Chloé, roman choral de Longus. A la mode de chez nous. De nos temporalités heurtées. Rien de pastoral ni de bucolique dans les amours tourmentées de Sylvie et Johnny.

Une histoire d'une banalité absolue, celle d'un couple qui se rencontre, qui s'aime, qui se déchire, qui divorce. Avec tout ce que ce dernier terme induit de conduites sociétales. De ces scansions indépendantes de notre seule volonté qui entremêlent en une même tresse nos inclinations atomiques les plus intimes avec les sanctions symboliques prévues par la loi grégaire du groupe. Nous y réfléchissons peu, mais à chaque moment nous subissons la manipulation prédatrice et insensible de nos congénères.

Avant d'ouvrir ce livre, l'on pourrait opérer un procès d'intentions en facilité à Marie Desjardins. Un ouvrage qui ne manque pas de pain. Facile à écrire puisque la documentation est pléthorique. Rien qu'avec les unes de France-Dimanche et les articles de Match, le volume n'est pas commencé qu'il est déjà écrit à moitié. Pour être gentil, parce que si l'on rajoute les biographies des deux principaux intéressés, les témoignages des principaux témoins de l'affaire, sans parler des nombreux ouvrages dévolus à l'exploration plus ou moins croquignolesques de la carrière de Johnny, ce sont les neuf dixièmes du bouquin qui sont performés avant même d'en avoir tapé le premier mot sur un ordinateur. Oui, mais Marie Desjardins ne mange pas de ces farines-là. Certes elle connaît son sujet, n'en ignore aucune anecdote, mais elle a refusé de se laisser envahir par les détails qui vous enlisent, avant de se vouer à cette tâche elle a soigneusement chassé de sa table de travail, vilains mots remplaçons-les par son espace – physique et mental – de création, toute oiseuse documentation. Je ne citerai qu'un seul exemple. Parmi mille autres possibles.

En juin 1973, le hit J'ai un problème squatte toutes les antennes de radio, les paroles sont de Jean Renard ( provinois notoire et grand-père de Shaké Mouradian dont nous chroniquâmes voici neuf ans le roman Jude R dans notre livraison 78 du 22 / 12 / 2011 ) elles mettent en scène les retrouvailles de Johnny et Sylvie, la énième assomption du couple qui bat d'une aile frénétique, à la télévision l'on aura droit '' en direct '' au baiser de réconciliation des deux amoureux – toute la France populaire émue en pleure de bonheur en ses chaumières – la bonne aubaine pour Marie Desjardins, un chapitre entier, au minimum vingt pages d'assuré, et en avant la musique, tous les dessous et tous les dessus de l'affaire révélés, analysés, scrutés en ses tréfonds les plus sordides. Ben non ! Pas une ligne. Pas un mot. Passé à l'as de pique. Vous n'en saurez rien. Marie Desjardins s'en désintéresse totalement. Ce n'est pas le sujet de son livre.

Vous tiquez. Comme un cheval qui n'en finit pas d'avaler de l'air en s'appuyant sur le rebord de son abreuvoir. Je suis désolé, mais ce qui va suivre renforcera votre angoisse. Qui voit-on dans cet ouvrage : Johnny et Sylvie – respirons c'est la moindre des choses – un soupçon de parents de Johnny, un petit peu plus ceux de Sylvie, David – l'enfant de l'amour – Carlos le secrétaire de Sylvie. Et puis c'est à peu près tout. Quelques noms de-ci de-là surnagent dans le désastre de cet anonymat collectif. J'oubliais la bruyante suite tapageuse non identifiée des copains de Johnny. A la cour du roi Johnny, plus on est de fous, plus on rit, plus on boit... Et puis plus rien. Marie Desjardins n'est pas une adepte du name-dropping. Ne donne pas dans ce genre de facilité. Si cela vous chante vous pouvez vous amuser à un super-jeu de société : ah oui, là c'est la scène avec Bidule... et ici c'est quand Schmoulefrite fait... Il est indubitable que Marie Desjardins ne participera pas à vos futiles amusements de Monsieur-je-sais-tout-de-Johnny ou de Madame-je-n'ignore-rien-de-Sylvie. Manifestement elle n'est pas une fanatique des triviales poursuites circonstancielles. Les noms ont ici pour ainsi dire fonction de couleur locale.

Certes vous avez le décor, les lieux, les endroits, les meubles, les objets, les couleurs. Ne décolle pas non plus de la trame chronologique, les pérégrinations familiales, les circonstances historiques de la cette première génération née durant la deuxième guerre mondiale et qui s'éveillera à l'aube des trente glorieuses, les entrechats du showbiz, l'enfance de nos héros, leur rencontre, leur attirance, leurs fiançailles, leur mariage, leur vie de couple, leurs carrières... Certes s'il avait été agent d'assurances et elle vendeuse dans une boutique de fringues... Rien ne se serait passé comme elle le raconte. Les modalités de votre existence influent sur votre personnalité, votre caractère, vos goûts, vos idées, votre pensée et vos sentiments, vos actes et vos volitions. Marie Desjardins n'oublie aucun de ces termes. Mais elle vise au plus intime. Ô insensé qui crois que je ne suis pas toi. Elle raconte Sylvie et Johnny en dehors de toutes les écorces mortes du vécu.

Comment notre vécu s'interpénètre-t-il avec notre sensibilité ? Comment l'extérieur influence-t-il notre intérieur. Comment le monde nous modifie-t-il, comment se sert-il de notre étendue psychique pour la modeler entre le pouce de la nécessité et l'index du hasard afin de nous transformer à sa guise, tel Descartes joue en ses Méditations avec la cire de l'étendue, et comment réagissons-nous à cette empreinte, comment parvenons-nous à y imprimer la marque indélébile de ce que nous sommes, ou de ce que nous croyons être, ou de ce que nous désirons être !

Là n'est-il pas le problème fondamental. Savoir exactement la puissance de notre opérativité, de notre efficience personnelle sur le monde. La réponse qu'en apporte Marie Desjardins n'est pas des plus optimistes. En apparence nos deux amoureux ne parviennent à n'interagir que l'un sur l'autre. Soyons négatifs : ils sont victimes, soyons positifs : ils sont porteurs de leurs propres êtralités, ils ont beau faire, ils ont beau dire, certes ils ont choisi leur vie, n'ont pas ménagé leurs peines et leurs joies en toute connaissance de cause des nécessaires implications artistiques et existentielles – tournées incessantes, éloignements impératifs – dans le but recherché d'assouvir et d'explorer les potentialités de leurs métiers respectifs. Jamais ils n'auront la force de surmonter, non pas leurs différences, non pas leurs divergences, mais leur trajectoire impulsive, cette course toute personnelle dans laquelle nous nous propulsons selon les affinités les plus électives de notre propre consubstantialité, par laquelle et en laquelle, à nos corps semi-défendant et semi-consentants, nous sommes happés en un engrenage pervers des plus étrangers, des moins maîtrisables.

Johnny et Sylvie se sont aimés. Ils auraient pu être heureux. Ils l'ont été. Par intermittences, ce qui est déjà beaucoup, mais le pire c'est qu'ils ne l'ont pas été, sinon aussi par intermittences. Unis par un sentiment d'incomplétude souveraine. C'est cela que s'attache à rendre visible Marie Desjardins, nous fait pénétrer dans l'âme esseulée et désertée de nos deux héros. Elle s'attarde davantage sur Sylvie, peut-être parce qu'elle est femme et qu'elle distingue mieux les affres et les pâmoisons féminines, sûrement parce que Johnny est plus secret, plus ténébreux et que toute une part de la psyché masculine reste pour elle un continent noir... peut-être parce que Sylvie a beaucoup plus souffert que Johnny, qu'elle était en attente de Johnny, alors que Johnny, grand amateur de chair féminine, ne s'interdisait la consommation d'aucun lot de consolation ou de conquête... Johnny le rocker, sex, drugs and rock'n'roll, Sylvie non pas l'épouse éplorée mais la femme de tête et de stratégiques concessions... Qui ne furent pas à perpétuité. Mais Marie Desjardins ne charge point plus fort l'un des deux plateaux de la balance, un fait reste indubitable : Johnny et Sylvie se sont aimés. Sincèrement, authentiquement. Une love story qui doit se terminer comme toutes les histoires, puisque par essence toute histoire a une fin. Une passion. Autrement dit, une tragédie ontologique. Un aérolithe tombé par mégarde destinale sur deux êtres humains qui n'étaient pas faits l'un pour l'autre, si on estime le phénomène selon les paramètres de la froide raison, un cadeau des Dieux destructeurs, trop grand pour être contenu dans deux misérables vies humaines, cause kaotique d'une irrémissible fracture initiale. A entendre Le cœur en deux de Johnny Hallyday je n'ai jamais pu m'empêcher de penser à la couverture de la première édition d'Au-dessous du Volcan de Malcolm Lowry ( dans Folio) , en tant qu'image tarotique de haute signifiance.

Dans ce livre Marie Desjardins s'est attachée à décrire les émois d'une passion, ses désirs, ses troubles jouissances car ne jouit-on pas davantage de soi-même que de l'autre au travers des étreintes les plus fougueuses comme les plus tendres, ses folies, ses cassures, ses débris, ses détritus, ses désespoirs, ses triomphes, ses victoires, ses défaites, ses incendies, ses extases, ses outrances, ses outrages. A foison le poison ! Ces pages sont à lire comme autant de monologues raciniens, Marie Desjardins use d'une écriture sans appel, un scalpel introspectif qui n'épargne rien, qui triture les chairs de l'âme, qui la met à nu, qui ne cèle rien, ni les non-dits, ni les mensonges que l'on se raconte, ni les rancœurs secrètes qui rancissent le cœur encore plus cruellement que les trahisons les plus éclatantes.

Un lied sauvage et mordoré à la Tristan et Yseult, mais à la fin duquel et Tristan et Yseult oublient de mourir. Point de mort dorée. Ne se termine pas bien. Mais ne finit pas mal non plus. Piteusement, serait-il le mot le plus adéquat ? Puisque nous avons en ce début de chronique cité Nietzsche, le forgeron philosophe, empruntons-lui les mots de la fin. Humain, trop humain.

Un beau livre. Un poème. Un pur poaime. Pas forcément rassurant. Une tenace menace. L'inconciliabilité naturelle des êtres.

Damie Chad.

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